Pauvre pour les pauvres

par le cardinal Gerhard Müller.

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Recension : Pauvre pour les pauvres.

 

Gerhard Müller est préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi. Nommé par Benoit XVI en 2012, il est confirmé  ce poste par le pape François qui le créée cardinal en février 2014. Pauvre pour les pauvres est préfacé par le pape François. La réflexion de ce livre s’appuie une insertion pastorale au Pérou, avec les pauvres sur les hauts plateaux, près de Lima.

 

Il est aussi le fruit de la réflexion théologique et pastorale menée en Amérique latine durant la dernière partie du XXème siècle et début du XXIème. Ce fut le même type d’insertion pastorale pour Jorge Mario Bergoglio en Argentine, durant ces mêmes années. On ne s’étonnera donc pas de trouver une certaine connivence entre la réflexion du pape François et celle du dominicain G.Müller, péruvien qui fit ses études à Louvain et à Lyon.

 

Avec le sous-titre “la mission de l’Eglise”, nous mesurons la portée du livre. Ce n’est pas une nième méditation sur la charité envers les pauvres, c’est le fondement de l’Eglise à la suite du Christ. Le commentaire de la parabole du bon samaritain appelle à la nécessaire conversion de chacun pour rencontrer le pauvre et le servir.

 

Au long de l’ouvrage, chacun pourra lire des mots et expressions en fidélité au Concile Vatican II et mises en œuvre dans le concret de l’existence chrétienne. Ces mots, ces attitudes ne devraient pas nous être étrangers : option préférentielle pour les pauvres, peuple de Dieu, solidarité, engagement, Communautés ecclésiales de base, justice, “ voir, juger, agir”, les signes des temps ; évangélisation et engagement pour la justice. L’intuition qui préside à la proximité avec les pauvre : “… les visages souffrants des pauvres dans lesquels nous reconnaissons le visage souffrant de Jésus-Christ”.

 

G.Müller était ami et disciple de Gustavo Guttierez. Ce qu’il a vécu dans la périphérie des campagnes des Andes péruviennes lui permet de parler juste. “Il ne suffit pas d’étudier les livres, écrit Josef Sayer en fin de livre, Müller est descendu avec cohérence dans le monde des pauvres”. La théologie de Gutierez, telle qu’en parle Müller, part de l’expérience concrète vécue avec les pauvres des paroisses où il exerçait. Dans le livre, on retrouve trace des mises en garde contre la révolution, la violence, on y fait aussi référence aux violences institutionnelles. On y croise aussi la figure de Mgr Roméro, exécuté au cours d’une messe et dont le procès en béatification est à nouveau introduit.

 

Les trois parties du livre s’articulent à partir de l’expérience vécue par l’Eglises qui vit en Amérique latine : la mission libératrice de l’Eglise ; la mission évangélisatrice de l’Eglise et De l’Amérique latine  l’Eglise universelle. Ce livre concerne donc l’Eglise universelle. Il cherche à rendre compréhensible et utile à tous la réflexion théologique qui a mûri cinquante ans durant malgré de nombreuses oppositions, discrètement évoquées à la fin de l’ouvrage. Peut-être sera-t-on étonner de voir d’abord évoquée la mission libératrice de l’Eglise. Mais comment des gens opprimés peuvent-ils entendre la bonne nouvelle si leurs corps ne sont pas libérés des oppressions et structures de violence qui en font des esclaves ? “Face aux conditions de vie qui portent atteinte à la dignité humaine, comment, dans la vie des individus et des communautés, le message de l’amour”.

 

Gerhard Müller reprend plusieurs documents des papes Jean-Paul II et Benoit XVI, à commencer par Sollicitudo rei sociales et la notion de structure de péché sur laquelle l’auteur apporte d’utiles précisions. L’inspiration première reste l’Evangile et le suivre Jésus pour qui, libération des corps et bonne nouvelle de l’amour de Dieu vont de pair. Au fil des pages sont évoqués apparaître des noms de lieux ou de personnes qui honorent l’Eglise : Medellin, Puebla, Aparecida, mais aussi Mgr Romero

 

Il faut attendre les dernières pages pour voir évoquées les critiques émises contre cette Eglise, critiques dont les pouvoirs en place ne sont pas innocents, par exemple : Certains regroupements d’intérêt d’Amérique latine…; ou “Müller et Guttierez ont défendu les paysans des abus de la violence structurelle et politique et pour cette œuvre critique et prophétique ils n’étaient certainement pas aimés par les autorités politiques.” Suffit-il d’évoquer le temps de la guerre froide Est-Ouest pour justifie de tant de fausses accusations, y compris l’inimitié manifestée  Rome lors de la nomination du nouveau préfet ? Le chemin parcouru est aujourd’hui confirmé et soutenu nettement par le pape François qui veut une Eglise pauvre pour les pauvres.

 

Pour et avec les pauvres : les pauvres eux-mêmes doivent pouvoir gérer leur destin. Il ne s’agit pas de parler pour les pauvres. Exigence de solidarité avec les pauvres et justice sociale sont associées au long de l’ouvrage. Facile à lire, le livre rappelle que la mission de l’Eglise n’est pas seulement d’enseigner le Royaume céleste… “La sainteté n’est pas une fuite vers l’intimisme ou vers l’individualisme religieux, tendance très marquée dans la société et le monde religieux d’aujourd’hui. Le discours insiste : ce n’est pas non plus un “abandon de la réalité urgente des grands problèmes économiques, sociaux et politiques de l’Amérique latine et du monde, et une fuite de la réalité vers un monde spirituel” (cité à Aparecida, n° 146).

EH. 

Pauvre pour les pauvres  Parole et silence, 2014,  18€