Nous publions ici le texte de l'interview de Mère Abbesse pour le journal l'Indépendant le 1er avril 2020 par Anne Mainy

 

                    Comment appréhendez-vous à l’abbaye ce qui se passe actuellement ?

    Sœur Anne-Lætitia : Même retirées du monde, nous y vivons, et nous en suivons l’actualité. Nous lisons la presse quotidienne et hebdomadaire. Comme nous ne recevons plus le courrier tous les jours, nous complétons nos informations sur Internet. Mais nous n’y sommes pas collées. On mesure donc toute la gravité de la situation. Bien que cloîtrées, nous ressentons et vivons cette atmosphère qui règne sur le monde.

 

    Oui, vendredi, nous avons participé à la veillée particulière du Pape urbi et orbi. Nous avons prié pour toutes les souffrances engendrées par cette pandémie et demandé à Dieu de prendre en pitié son peuple. Chaque jour, nous adressons une prière à Notre Dame des Ardents, qui a libéré le mal des Arrageois au XIIe siècle, ainsi qu’un chant à la Vierge pour le monde entier.

Depuis le confinement, le Saint Sacrement, c’est-à-dire l’hostie consacrée, est exposé sur notre autel ; et chaque dimanche après-midi, nous consacrons un temps de prière à ce que le monde traverse aujourd’hui. On se relaie en continu pour Lui demander d’éloigner la pandémie, de soutenir les soignants, les gens dans l’épreuve, tous ceux qui se dévouent pour que la vie continue, qui maintiennent l’espérance. Mais aussi de guider dans leurs choix ceux qui doivent prendre des décisions, aujourd’hui et pour l’après. Faudra-t-il continuer comme avant ou tirer les enseignements de cette épreuve ?

 

    Que ce soit à l’échelle mondiale, nationale ou personnelle, on a tous pris conscience de notre fragilité. Il n’y a pas de sécurité, si ce n’est celle de Dieu. Ça nous oblige à une réflexion sur le sens de la vie. Le fait d’être confiné nous renvoie aussi à l’essentiel. On se pose des questions existentielles, et spirituelles si on a la foi. On gagne en être. On n’existe pas par ce que l’on fait ou ce que l’on a, mais par ce qu’on est. Ce temps qui nous est redonné nous permet de vivre le présent. Habituellement, on vit beaucoup dans le futur, mais là, on ne peut plus faire de projet. Alors, il faut vivre maintenant, exister sous le regard de Dieu, être pleinement soi-même, s’ancrer dans le réel, pour gagner en qualité d’existence.

C’est l’opportunité d’une réflexion profonde. Le temps s’arrête, profitons-en. On peut aussi se demander si on est pleinement présent aux autres. D’ailleurs, on le constate : il y a des solidarités, des petits services qui se mettent en place, une attention nouvelle portée aux voisins. On est plus soucieux des autres.

 

   Être cloîtrées fait partie de notre quotidien. C’est, si on peut dire, un confinement choisi. L’objectif est de nous consacrer à Dieu. Qu’Il soit premier en toute chose et d’éviter de se disperser. C’est une vocation. Mais on ressent la différence, puisque désormais l’accueil, l’hôtellerie et l’église sont fermés, alors qu’il y avait des gens qui venaient prier avec nous tous les jours. La solitude est plus grande, mais nous conservons notre mission. Et comme tout le monde, nous respectons les gestes barrières entre nous.

 

    Il faut organiser sa vie, se faire un emploi du temps, se créer des rites. Se donner un cadre permet de continuer, quand est dans le creux de la vague. Et puis, essayer d’alterner les activités manuelles et intellectuelles. On peut nourrir sa foi, par un temps de lecture de la Bible, s’informer sur la vie des saints, se former. On peut s’accorder des moments de prière seul, mais aussi participer à la vie de la paroisse, comme suivre la messe de l’abbé Boucly retransmise sur Facebook. Il y a beaucoup d’initiatives en France pour vivre sa foi. De manière générale, on peut nourrir sa vie intellectuelle. Il faut redoubler d’imagination et tirer profit de ce temps qui nous est offert pour en faire quelque chose de beau, de positif, d’utile, d’instructif, d’altruiste…

 

    C’est une réelle épreuve, mais elles doivent savoir qu’elles ne sont pas oubliées. Elles sont dans nos prières. Nous sommes nombreux à penser à elles. Et pourquoi pas, si dans notre entourage nous en connaissons, leur envoyer un petit mot, leur écrire une carte pour manifester notre présence. C’est un petit geste qui procure une joie immense quand on le reçoit. Ça n’enlève pas le poids des jours, mais ça y met de la lumière.

 

Propos recueillis par AM