Fiche 07 Matthieu 13-14
Les paraboles du Royaume. Troisième discours.
Rappel des sections précédentes.
Le premier discours (ch. 5 à 7) s’adressait à la foule, de manière universelle ; le second discours (10, 5 à 42) s’adressait aux disciples et donnait quelques consignes sur la mission. Dans la précédente section nous avons pu découvrir que le conflit entre Jésus et ses adversaires prenait corps. La famille spirituelle de Jésus est constituée de ceux qui font la volonté du Père. Une expression est apparue à plusieurs reprises : le Royaume des Cieux. Le discours en paraboles vient éclairer comment Jésus l’entend.
Lecture d’ensemble de la section
Comme pour le premier discours, Jésus s’assied devant la foule. Cette posture est celle de l’enseignant. Matthieu aime présenter ainsi Jésus. Quatre paraboles seront données à la foule, depuis la barque ; puis trois autres pour les seuls disciples, à la maison (le trésor, la perle, le filet). Des explications sont données en aparté aux seuls disciples, parce qu’ils ont demandé à comprendre. Est-ce un signe de leur faible intelligence ou n’est-ce pas plutôt que Matthieu met l’accent sur une attitude où il ne suffit pas d’entendre, encore faut-il faire effort pour comprendre… Disons que les foules entendent, mais ça ne va pas plus loin ! Il serait indélicat de supposer que Jésus se refuse à être compris à partir de la citation “vous aurez beau comprendre, vous ne comprendrez pas…”. C’est plutôt un constat que se permet Matthieu : la Parole est semée pour tous (première parabole), mais tous ne la reçoivent pas avec ardeur. Certains font les œuvres du Père et deviennent membres de la famille spirituelle (dans la maison). Entende celui qui a des oreilles !
Remarque. A la fin des Actes, 28, 26, Luc reprend comme Matthieu, la citation d’Isaïe sur l’endurcissement. C’est une manière de signifier que la difficulté d’entendement ne date pas seulement du temps de Jésus et de la prédication, mais qu’elle existait depuis bien longtemps : au temps des prophètes ; et même au temps de Moïse on constate l’égarement du peuple élu.
Le pourquoi des paraboles. La question posée par les disciples, c’est aussi la nôtre. La parabole est un mode de communication dans les civilisations orientales, aux temps anciens. Jésus parle peu par abstraction (la solidarité, la charité, la convivialité, l’hypocrisie, etc.). Les paraboles sont des images concrètes. Elles mettent en scène des personnages, réels ou fictifs. Il appartient aux interlocuteurs d’interpréter la pensée du maître (quelquefois, le maître la donne). Il arrive souvent qu’il y ait diversité d’interprétations : ne nous en étonnons pas, cherchons plutôt à nous rapprocher de la pensée originelle de Jésus plutôt que de ressortir de notre mémoire tout ce que nous savons déjà, souvent teinté de moralisme alors que la Bonne Nouvelle est tout autre chose. Par exemple, pour la parabole de la semence, regardons d’abord celui qui sème, la gratuité et l’abondance de son geste. Laissons pour un second temps le soin de nous apitoyer sur la piètre qualité de notre terre réceptrice ! Regardons le semeur qui ne sélectionne pas les terrains propices ni n’élimine les autres. Il donne sa chance à toute terre ! Que dirions-nous aujourd’hui si l’éducateur ou le catéchète commençait par sélectionner ceux à qui il accepte de donner de son temps ?
“Il en est du Royaume comme…”
L’expression introduit la plupart des paraboles du chapitre 13. Cela sonne étrangement à notre intelligence, car nous préférons les définitions claires ou les démonstrations. Dire “c’est comme…”, ce n’est pas dans nos modes de penser et nous provoque à chercher à quoi joue Jésus, pas seulement hier, mais aussi pour nous, dans l’Eglise et le monde d’aujourd’hui. Les paraboles sont tournées vers le présent et l’avenir, comme la Parole semée par Jésus. L’avenir, ou temps de la moisson, c’est la fin des temps où se feront le tri et le jugement. Mais l’aujourd’hui, pour les disciples comme pour nous, se situe dans l’entre-deux et il ne nous appartient pas de faire le tri, même si cela nous démange ! D’autres paraboles aux ch.24-25 viendront insister sur l’agir et la veille active. Ici nous devons comprendre comme les apôtres : “c’est quoi, le Royaume ?” ou plutôt, à quoi ressemble-t-il ? La moisson à 100 pour un, le levain dans la pâte, la minuscule graine qui devient arbre, témoignent du contraste entre ce qui est engagé et le résultat acquis !
Quant aux deux paraboles du trésor et de la perle, leur concision oriente vers l’attitude des découvreurs : ils vont et vendent tout ce qu’ils possèdent pour acheter le trésor. Comment ne pas penser au jeune homme riche qui souhaite acquérir le trésor de Dieu et à qui Jésus répond : “Va, vends tout ce que tu as, puis viens, suis-moi… et il s’en alla tout triste !” 19, 21 ? Ces deux paraboles jouent aussi sur l’opposition caché/révélé… et cela résonne avec la section précédente, 11, 25 : “Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents, et de l’avoir révélé aux tout-petits”. Par les multiples petites touches que sont les paraboles, Jésus nous fait deviner le Royaume, le “mystère du Royaume”.
Invitations à… Encouragement, espérance, invitation à la patience, les paraboles invitent à être attentifs à la manière dont Dieu agit dans le monde, différemment de nous. On peut aussi parler d’invitation à l’optimisme envers le monde et envers la mission de la communauté chrétienne dans l’histoire humaine. Ces paraboles ont pu être prononcées par Jésus au moment où les disciples avaient l’impression que la mission en Galilée ne rencontrait pas le succès escompté. Les premières communautés aussi ont vécu l’impression d’échec. La parabole de l’ivraie dans le champ peut évoquer le mal dans le monde en général ; elle peut aussi faire allusion à ceux qui, dans les communautés, ne suivent pas réellement la nouveauté du message de Jésus. Les paraboles invitent à entendre la Parole et à faire l’expérience de la bonté de Dieu.
Zoom : le bon grain et l’ivraie 13, 24-30 + 36-43.
Les paraboles de l’ivraie, de la perle, du trésor et du filet, appartiennent en propre à Matthieu. L’ivraie fait appel à l’expérience commune en humanité d’une coexistence des bons et des mauvais en un même lieu. Les personnages cités : un semeur, un ennemi, les ouvriers, le Fils de l’homme et ses anges. On peut ajouter les sujets du Royaume et les sujets du Malin ; dans le cas présent, ils sont passifs.
La parabole se situe dans le présent et renvoie au futur eschatologique, à la fin des temps. Au présent on constate la coexistence du bon grain et de l’ivraie. Au futur seront expulsés toutes les causes de chute et tous ceux qui commettent l’iniquité. (A rapprocher “les causes de chutes” avec “si quelqu’un cause la chute d’un seul de ces petits… il vaut mieux lui mettre une meule au cou et le jeter à la mer”, Mt. 18, 6). Le temps de la croissance et de la maturation fait intervenir la notion de durée : c’est le temps des hommes et le temps de l’Eglise. Dans cette durée, Jésus dévoile l’attitude différente du semeur (inhabituelle) et des ouvriers (cohérente avec les habitudes de l’époque).
“Le champ c’est le monde”. Cette affirmation, au début de la partie explicative, oblige à penser d’abord à l’espace-monde plutôt qu’à la vie interne de l’Eglise. Les sujets du Royaume ne vivent pas en séparés des sujets du malin, ils coexistent. Le champ c’est le monde (en grec : cosmos), employé par Matthieu, invite à penser à l’universalité concernée par la Parole semée, et le jugement concernera la terre entière. Pourtant l’explication (36-43) semble s’adresser aux seuls disciples, à l’Eglise. La parabole originelle a pu être réinterprétée par Matthieu à destination des communautés chrétiennes. En elles, il y a des fauteurs de trouble, des gens qui font scandale… Sans doute faut-il se rappeler les polémiques entre les chrétiens de stricte observance de la Loi et les chrétiens d’ouverture, entre les tenants de l’enseignement des pharisiens, et les tenants de l’enseignement de Jésus (la loi d’aimer, selon Mt 5-7, fiche 3). Leur coexistence faisait problème hier, comme elle fait encore problème aujourd’hui. La situation est grave, hier comme aujourd’hui. Pourtant la séparation n’interviendra qu’à la fin des temps et par le Fils de l’homme lui-même. Ce faisant, Matthieu fait comprendre à sa communauté qu’elle ne peut pas être un cercle de “purs et de parfaits” et que nul ne peut s’intituler juste avant le verdict du Fils de l’homme dans son Royaume.
Eglise/monde.
Beaucoup de productions théologiques de l’après-concile ont étudié les rapports Eglise/monde, Royaume déjà là/pas encore. Sans entrer dans le détail des commentaires, retenons la coexistence du bien et du mal dans le monde et au sein des communautés, mais c’est à la fin des temps que sera fait le tri. En attendant, il importe de “vivre avec”, de continuer à cultiver le champ ou à tirer le filet. Le champ c’est le monde, disait aussi Jean-Paul II, en introduction à son exhortation apostolique sur les fidèles laïcs du Christ (Christifideles laici, 1988). Retenons encore le titre d’un texte essentiel du concile Vatican II : “L’Eglise dans le monde de ce temps” (Gaudium et Spes).
La double interprétation de la parabole, universelle et ecclésiale, est à recevoir comme un appel à ne pas vivre en séparés, et à orienter notre vie présente sans crainte, dans l’attente de la venue du Fils de l’homme et de son Royaume. Une autre parabole dira aux ouvriers de la onzième heure : “allez, vous aussi travailler à ma vigne”. Il n’est donc jamais trop tard pour produire de bons fruits.
Pour aller plus loin
Vue d’ensemble et revue de détail.
L’Evangile propose une suite aux paraboles du semeur et de l’ivraie. Elles y sont relues et expliquées détail après détail. Il n’en était pas ainsi lors de la première prédication de Jésus. La perspective première de Jésus, c’est que le Royaume est semé et produira du fruit. La première annonce se polarise sur le sort de la semence, l’explication “postérieure” s’intéresse davantage à la qualité des terrains. En analysant chaque élément, la parabole devient allégorie et déplace le sens : d’une vision globale du Royaume elle individualise, particularise. De l’attitude du semeur généreux, on en arrive à se demander quelle est notre aptitude à recevoir la semence. Ce n’est pas inexact, mais il y a déplacement de notre regard : de l’amour de Dieu vers “le comportement qu’il faut avoir”. Certains exégètes soupçonnent les prédicateurs des premières communautés de détourner le sens vers “la morale de l’histoire”.
L’agriculture dans la Palestine ancienne : on sème d’abord le blé à la volée, puis on retourne la terre sur le grain. Des piétons et des bêtes prenaient des raccourcis à travers champ à la morte saison, c’est le chemin. La faible profondeur de terre et les mauvaises herbes font partie du paysage. Sans ignorer les échecs pour quelques grains, le semeur se réjouit pour l’importance de la récolte. “100, 60 ou 30 pour un” sont des chiffres inouïs à l’époque (3 à 5 pour un).
L’ivraie, ou zizanie, est une plante fort répandue, semblable, en début de croissance, à l’épi de blé. Son repérage est tardif et l’élimination hasardeuse. Le semeur, à la différence des ouvriers, préfère attendre la moisson pour la faire disparaître.
Le contexte des paraboles. Cette série de 7 paraboles emprunte ses images au monde des campagnes et de la vie quotidienne. Bientôt, d’autres paraboles feront référence au contexte social, aux rapports maîtres et salariés/domestiques et aux sans emploi, au festin ou repas de noces, etc.
Plusieurs paraboles ont laissé des traces dans notre langue. Ainsi en est-il pour “semer la zizanie” ou “trouver la perle rare”.
Prière
Semence imprévisible
Père, nous sommes tous des graines de sénevé,
des germes de solidarité, des semences d'espérance.
Les partages avec nos copains, les amis, les voisins, que deviennent-ils ?
Nous ne maîtrisons rien ! Ce n’est pas comme nous avions espéré !
Tu nous déroutes, ça pousse autrement que nous ne l’avions prévu.
Pour grandir, la graine prend son temps mais que de doutes!
Nous sommes persuadés que des réalisations vont mourir.
Malgré la tempête, c'est toujours vivant, et ça repart doucement.
Père, avec Toi, rien n'est jamais foutu. C'est Toi qui es à l’œuvre.
Ton esprit travaille le cœur de nos amis, de nos copains.
Tu marches avec nous dans le quotidien.
Apprends-nous à croire que des semences imprévisibles vont fleurir un jour.
Donne-nous ce regard qui sait s'émerveiller de Ta présence.
Apprends-nous à chanter notre merci pour ces semences d'espérance et de paix.
Autre choix, le chant “Le semeur est sorti” CD “A l’Horeb”.Marc fiche 2.
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