Pré-Rentrée en catéchèse

La Malassise Marie-Laure Rochette

Croiser expérience de foi et connaissance

 

Marie-Laure Rochette

Elle est venue plusieurs fois nous entretenir, quand elle était responsable du service de la catéchèse et du catéchuménat national. Elle est aujourd'hui responsable de l'Institut de Pastorale Catéchétique  à la catho de Paris.

On entend parfois dire qu’ils (les enfants et les jeunes!) ne savent plus rien, que les nouvelles méthodes manquent de contenu. Qu’appelle-ton connaissance, qu’appelle-ton expérience de foi et rencontre de Jésus-Christ. Sur quels critères apprécier l’initiation ?

Avec les modules qui proposent des temps différents et complémentaires pour chaque thème étudié, cela donne du temps et des moyens pour faire l’expérience de la prière, de la rencontre de témoins, de l'Ecriture, etc.  On donne parfois l’impression d'avoir peur d’enseigner… qu’est-ce à dire ? Sur quels critères apprécier l’initiation ?

 

Questions qui dérangent !

L’enseignement, la connaissance, le contenu, faire l’expérience ? Pour ouvrir le mot connaissance à différents sens quatre registres :

  • L’expérience est d’abord une question anthropologique. Quelque chose qui aurait trait à l’immédiateté, à l’intuition : une saisie immédiate. Coup de foudre, expérience mystique…

  • La connaissance vécue : parce que je vis certains évènements, j’en acquièrs une certaine connaissance. C’est plus réflexif, mais toujours très enraciné dans la vie.

  • L’expérimentation, c’est-à-dire l’essai, la vérification de la vérité ou fausseté de ce qu’on me dit… Je mets à l’épreuve ce qui m’est proposé.

  • La connaissance habituelle. C’est un acquis qui ne peut pas advenir par la seule expérience. Elle s’inscrit dans l’histoire : j’ai de l’expérience (et non j’ai fait l’expérience de…)

 

Problème du mot expérience

Problème, car notre monde donne la suprématie à la connaissance intellectuelle. L’intellect, la réflexivité est au-dessus des compétences techniques (bac technique et bac S ???). Essayons de voir comment nous apprenons, nous adultes ? Souvent par expérience… parfois par enquête ou information reçue. Les sociétés actuelles ont inventé la VAE : la validation des acquis par l’expérience c’est une manière de reconnaitre qu’il n’y a pas que l’intellect pour acquérir des connaissances.

 

Au plan religieux,

On est souvent méfiant devant l’expérience spirituelle ou l’expérience mystique. Méfiant parce que non conforme comme méthode de connaissance, de savoir. Ainsi fonctionnait l’Inquisition et son attention au vrai. Aujourd’hui des relents de réticences existent toujours contre celui qui s’exprime au premier registre et  non à la reprise et à la communication des enseignements dogmatiques…

 

Quelques binômes pour démêler nos oppositions.

Ces binômes, dans leur opposition, peuvent éclairer notre difficulté à définir et, plus encore, à donner sa place à “l’expérience” :

  • Doctrine et expérience
  • Concept et expérience
  • Message et expérience
  • Enseignement et apprentissage
  • Enseignement et vécu
  • Expliquer et mettre en situation
  • Théorique et pratique.

Ces binômes qui mettent en opposition des mots l'un à l'autre, tout ceci montre que l’expérience n’est pas en odeur de sainteté dans un monde où prime l’intellect. Ceci remonte à l’époque où la théologie dogmatique a pris la prééminence sur tout autre mode de connaissance et, en particulier, sur l’expérience spirituelle. Il n’y a pas de choix à faire entre l’un et l’autre élément au service de la foi, et découvrir comment ils sont intimement liés. Souvent notre question est mal posée : expérience ou connaissance ??? Au sein de la connaissance il y a de l’expérience ; au sein de l’expérience il y a de la connaissance… Alors seulement il sera possible de se comprendre. (Lire Emmanuel Falque). L’expérience ne s’oppose pas à la connaissance, elle en est une forme.

 

 

II/ Un chemin pour sortir de l’impasse :

1)L’Eglise a à la fois une expérience et une connaissance de la foi.

 

Premier angle de réflexion : expérience et/ou connaissance? Les deux. Le TNOCF (Texte national pour l'orientation de la catéchèse en France) p. 27 : “la catéchèse est ce que la communauté chrétienne propose à ceux qui librement veulent participer à son expérience et à sa connaissance de la foi. L’Eglise a à connaitre et vivre une expérience de la foi”. Question : est-ce sous le mode de cours et de TP ?. (Relire Michel De Certeau, jésuite in l’expérience religieuse, ‘connaissance vécue’ dans l’Eglise édité dans Voyage mystique. Cerf 1988).

 

Michel de Certau va chercher sa réflexion sur l’expression dans les travaux de Franz Grégoire : l’expérience est une connaissance vécue. Elle est ouverte à tous, n'est pas réservée à une élite. Cf  1 Jn 1 “ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie”. Jean parle bien d'une expérience vécue qu'il communique! Tel est le premier récit des témoins sur ce qu’ils ont vécu avec le Christ. De Certeau met en dialogue expérience et durée : un rapport au temps dans l’expérience. (ceci ne nie pas la possible immédiateté, mais…). La notion de durée, de déploiement dans le temps amène à un déplacement entre ce que je suis et ce que je ne suis pas encore, c’est-à-dire que je suis appelé à me transformer. (A creuser : la conversion : ce qu’elle est, ce qu’elle me fait devenir… dans la durée). Quand nous sommes dans le souci de faire un bilan, nous sommes dans l’après-coup, alors que bien des jeunes et des enfants sont encore dans le moment présent, le temps de l’expérience, de la découverte). Relectures ? C'est souvent ainsi que cela fonctionne dans l'Ecriture, dans l'Eglise, et pour chacun. Dans l’Ecriture : Jacob Gn 29 : je ne savais pas que Dieu était là… c’est après coup. Svt en st Jean: "Plus tard, se rappelant" st Jn. Jn 16, "je vous dis cela pour que une fois les évènements survenus, vous vous souveniez" : expérience et durée ! Il y a le moment, l’après-coup et ce que je suis devenu dans cet entre-deux.

 

Deuxième angle : le langage. Le langage permet de dire l’expérience : sans mise en mots, je ne peux pas dire, transmettre, raconter.. En même temps j’interprète… ce n’est pas possible de faire autrement : les évangélistes d’abord, et nous dans la lecture de leur texte… On devine que la notion de “vérité absolue“, celle que nous voudrions détenir, cela ne peut pas être. Pour enseigner, l’Eglise raconte et donc interprète… Le langage  de l’Eglise est celui de l’expérience… (voir citation De Certeau : le kérygme reçu des apôtres est lui aussi intérieur à une expérience. Ce n’est pas d’abord un objet dogmatique il est l’expression la description d’une expérience vécue par les apôtres et non d’une affirmation dogmatique. La théologie des apôtres est une théologie de l’expérience : ils racontent ce qui leur est arrivé, cette manière de parler dit déjà quelque chose de Dieu.

 

Troisième angle : une expérience à communiquer. Cette expérience (cf. Moïse au Sinaï) ce n’est pas une expérience pour lui seul, c’est une expérience pour le peuple, pas pour lui seul ! L’expérience religieuse n’est pas tant qu’elle vient de Dieu mais surtout elle est "Dieu qui vient" c’est-à-dire que l’expérience est une rencontre.

 

2) Une annonce médiatisée par l’expérience apostolique.

Notre source principale est l’Ecriture. (Voir n° 95-96 Directoire National de la catéchèse). L’originalité de Marc, Matthieu et Luc ? Matthieu a le projet de montrer aux Juifs que, avec Jésus, la promesse est accomplie. Luc s’adresse à des non-Juifs. Il fait une enquête et fonctionne davantage sur le mode de la démonstration. Marc (cf. catéchèse pour un temps de rupture, Reichert), relate l’expérience des disciples, mais pas comme quelque chose qu’il voudrait que l’on partage nécessairement. Notre posture catéchétique habituelle est celle de transmettre quelque chose que nous avons reçu : nous voulons leur apprendre, c’est ainsi que nous avons été formés!. Nous devrions ajouter à notre pratique quelque chose de l’ordre de l’initiation. Relisons Marc et la tempête apaisée : son message n’est pas de dire en conclusion, ”c’est la preuve qu’il est le fils de Dieu”. Marc a fait le choix de dire "Qui est-il ?" Et il laisse son lecteur avec un chemin à faire. Il aide son lecteur en ayant montré comment ce chemin a été parcouru par les apôtres…. (leur peur, leur colère, leur étonnement, etc pléthore d’expérience), mais pas de conclusion sur ce qu’il faut comprendre !!!). Ainsi fonctionne l'initiation à la différence de l'acquisition des connaissances.

 

Le projet de Marc est déroutant, déstabilisant. Souvenez-vous de la fin de Marc, 16,8 : les femmes ont peur et se taisent... Bizarre ! Ou encore, dans la parabole du semeur, il ne parle pas de la fécondité du semeur… mais que cela donnera un arbre où les oiseaux viendront se reposer… C’est un autre type de langage, qui permet d’entendre que nous avons quelque chose à ajouter à notre pratique : permettre à l’auditeur de se mettre en chemin. Si nous donnons la réponse, nous empêchons le lecteur de faire son chemin. (Différence entre Itinéraire et cheminement : l’itinéraire, tout est balisé, il n’y a qu’à suivre. Le cheminement intérieur c’est la façon dont l’Esprit travaille au cœur et on ne sait pas…).

 

Souvent, pour nous sécuriser, nous disons et faisons le chemin à la place de l’autre : vouloir donner la signification de l’évènement (la bonne réponse!) ne permet pas de deviner ce qui arrive aux disciples, à nos disciples. Les personnages de la narration, dans un récit, ne cessent de formuler des questions, des étonnements, pour que se creusent la question et la réponse. “Quand l’Evangile de Marc engage la relation, il a vraiment le souci de ceux avec qui il veut vivre une démarche. Il ne raconte pas pour que le récit les conduise à la trouvaille qu’il a préparée pour eux. Il raconte pour lancer une quête et il partage cette quête avec eux, de bout en bout, parce que sa seule préoccupation est de les conduire aux évènements qui leur rendront possible une découverte”, mais je ne sais pas laquelle d’avance. (Reichert p.147). (voir la pédagogie des chœurs parlés).

 

3)Expérience ecclésiale de mise en récit.

Donner des définitions et raconter ce qu’on a découvert par expérience, ce n’est pas pareil.

L’Eglise fait cette mise en récit dans la lecture des Evangiles. La liturgie devrait être le lieu où l’Eglise raconte l’expérience qu’elle a de la foi. Une Eglise qui raconte…, est autre qu’une Eglise qui enseigne. Importance de la liturgie au sens large : dans la mesure où elle aide à écouter ce que l’Eglise dit de ce qu’elle croit.

 

III/ Connaissance de la foi et expérience de la foi

Connaissance et expérience, à vivre en correspondance permanente.

Ratzinger rappelait en 1983 que la foi sans expérience ne peut être que verbiage de formules creuses…. Le TNOCF §43 incite à honorer les quatre modalités par lesquelles s’exprime la vie chrétienne : la foi professée, célébrée, vécue et priée. L’expression est traditionnelle, elle est structure de base du catéchisme, C’est ainsi que la foi s’exprime. Or, nous avons tendance à survaloriser l’annonce, qui est une des modalités.

La catéchèse peut exerce sa responsabilité à l’égard de la foi de l’Eglise autrement que par la seule instruction centrée sur les seuls énoncés objectifs de la foi… (Une catéchèse ordonnée par modules, 2008, p.20)

 

Or il y existe des chrétiens pour qui l’appui sur les seuls énoncés de la foi est la sécurité absolue dont ils ont besoin. De là un surinvestissement sur la connaissance. Ainsi quand un diocèse réduit le catéchuménat à l’enseignement du "compendium de l’Eglise catholique", il y a là le choix de résumer la foi à un enseignement de contenu et d'ignorer l'acquisition dans l'expérience. Ceci est un risque grave.

 

Cela sécurise, mais on perd le fonctionnement entre foi annoncée, vécue, célébrée, priée qui est la structure traditionnelle de toute l’Eglise ; ce n’est pas « la modernité », c'est la donnée traditionnelle. Cette sécurité est aussi exprimée par des prêtres qui trouvent que tout fiche le camp… ; dans un monde dont on a peur, pour trouver des sécurités, on cherche du côté des contenus objectifs, et on fait de la liturgie comme un rituel à accomplir. Faire que les quatre pôles s’articulent harmonieusement n’est pas facile.

 

Comment savoir que l’on fait une expérience chrétienne ?

  • 1-Quel récit je peux en faire? Raconter ce qui m’est arrivé ? Qu’est-ce que je peux dire ? (L’expérience de la prière ; dans une célébration; dans un moment d’engagement avec une association caritative, etc. ; et quel est l’espace que je donne aux personnes que j’accompagne, pour qu’elles racontent à leur tour leur chemin… et je ne sais pas d’avance ce que ça produit. Mais il faut laisser de l’espace pour que ces personnes disent, se disent. (Se référer à ce qu’on dit des récits de vie). En évitant de parler à leur place. Importance de passer du vécu à sa dimension expérience, par le récit. (Cf Jalons ou TOP perso). La mystagogie est un récit proposée à la communauté qui permet de dire ce que produit en nous ce qu’on vient de faire…
     
  • 2-Quel signe de la présence de la charité en moi ? (Cf. 1 Jn 4 qui contient comme un résumé de l’expérience chrétienne : l’amour du prochain, le bannissement de la crainte (n’ayez pas peur, rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ),
     
  • 3-Quelle vie relationnelle avec le Christ de Dieu ? Est-ce quelqu’un avec qui je m’entretiens ou non ? Non seulement en contact, mais en communion, en intimité avec le Christ. Les signes peuvent être très ténus…
     
  • 4-Le fruit de l’Esprit. Galates 5, 22-23 : “Amour, joie, patience, paix, bonté, bienveillance, confiance, fidélité, douceur et maitrise de soi… ” On est dans du concret, et même du subjectif ! Dans son témoignage de foi, l’Eglise ne fait rien d’autre que de raconter.
    St Thomas écrit : "celui qui reçoit la grâce le sait par une certaine expérience de douceur que n’expérimente pas celui qui ne la reçoit pas…." Subjectif, même chez saint Thomas! Qu’est-ce qui fait évènement dans nos vies, qu’est-ce que je peux en dire ? Qu’est-ce qui m’arrive à moi ?

 

Conclusions

Eviter l’appel unique et exclusif à l’expérience; éviter le rejet de toute connaissance. Ou encore le rejet total de la vie de la grâce. L’expérience est chrétienne lorsqu’une personne, ayant entendu le récit des chrétiens, arrive à la conviction que ces récits lui permettent de donner du sens  sa vie ! Le “il faut croire" ne fonctionne plus. La foi chrétienne est acceptée non par des arguments d’autorité, mais par des récits et la vie des chrétiens qui permettent de saisir dans et à travers les expériences humaines l’expérience de la foi, de façon que les expériences humaines des contemporains puissent devenir expérience croyante… parce qu’ils auront entendu les récits des chrétiens, les récits d’Église (texte Marc Dumas).

Le contenu de la foi est l’expérience humaine de la relation avec Jésus-Christ.

Jésus apparut dans le monde non pour enseigner des notions mais pour faire part aux hommes d’une expérience, la sienne propre, celle d’être fils de Dieu… Henri Le Saux.

 

La pédagogie d’initiation de la foi est ce qui permet aux personnes de participer à la connaissance et à l’expérience de l’Eglise. La foi de l’Eglise est exprimée sous une forme expérientielle, Avec Dieu comme sujet, "Dieu qui vient…"  Le désir de Dieu est de se révéler en se laissant trouver…

 

Rédigé à partir de notes sur l'intervention de Marie-Laure Rochette.

 

On peut se procurer auprès du service de la catéchèse le DVD de l'intervention.

Ci-dessous, le texte des documents de référence cités pendant l'intervention.

 

Télécharger le fichier Mala 2014 dossier participants

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Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 7128 visites