Prêtres et quartiers populaires

Session nationale, Intervention de J-L Souletie

Intervention de Jean-Louis Souletie
Session jeunes pretres, religieux et religieuses en quartiers populaires. 4 et 5 avril 2008
 
 
L'univers urbain de la modernité
En quartiers populaires: nous ne vivons plus dans une France rurale à une époque où 90 % de la population était employée à des tâches agricoles et où le catholicisme était la religion de la quasi totalité des français. Dans le contexte d'une urbanisation considérable (autour de 80% de la population pour 50% en 1936) et d'une mutation de notre civilisation, la question est de repérer quels sont les nœuds de connexions enchevêtrées qui permettent à chacun d'exister comme une personne aujourd'hui au milieu de la multitude des rôles sociaux qui lui incombent (travail, famille, sport, santé, éducation, associatif, religion). L'évolution sociale a fait éclater l'idée même d'une communauté naturelle (le village) comme lieu de la constitution des sujets, une communauté saturante.
Des quartiers, laboratoires du nouveau vivre ensemble
Les quartiers populaires des villes ne sont pas d'abord des problèmes sociaux ou politiques. Ils sont le lieu où s'élabore un nouveau vivre ensemble, multiculturel et multireligieux. Ceci ne se fait pas sans tensions, sans difficultés qui proviennent largement des imprévoyances sociales, des structures d'exclusion et d'injustice. Il s'y vit pourtant des relations qui ne sont pas toutes faites de violence. Des rencontres intéressantes se font à l'école ou en cités, des fidélités et des solidarités se construisent aussi. Mais trouve-t-on assez d'aînés qui aident les plus jeunes à être fiers d'exister même si leur vie est précaire? Et si ces jeunes générations ne se font .pas fières d'elles-mêmes comment pourront elles croire que Dieu s'intéresse à elles? ...
La pauvreté anthropologique
Ce manque de fierté accompagne une pauvreté «anthropologique» qui affecte le vivre ensemble. Les cultures d'origine des personnes immigrées sont parfois en lambeaux dans leur mémoire. Leurs histoires et leurs traditions sont souvent occultées. Les fondamentalismes accentuent ce décrochage entre les jeunes et les anciens pour disqualifier ceux-ci et capter les jeunes dans les officines religieuses fondamentalistes. Pourtant les liens fragiles se maintiennent dans les familles et entre les proches permettant une solidarité.
Le pluralisme et la perte de consensus
L'annonce de l'Evangile ici ne peut faire simplement appel à des valeurs humanistes (loyauté, tolérance, justice etc.) car chaque individu les conçoit différemment des autres et entend les valider par lui-même. Un socle de convictions communes s'est effondré dans les années 1970 et laisse l'individu seul devant ses choix. Sans trop d'appuis institutionnels chacun puise en lui-même les ressources pour faire valoir ses décisions, y compris en matière religieuse dans un monde pluri-religieux.
La dynamique de la confiance
Dans cet univers social, les relations humaines ne peuvent se construire que sur la confiance et non sur le contrat du type de l'échange intéressé: je te donne, tu me donnes. Restaurer la confiance dans le lien social, tel est le défi pour l'invention d'un nouveau vivre ensemble qui s'élabore dans ces quartiers. Comment l'Eglise et le message de l'Evangile y seraient alors absents?
 
Chacun sait qu'il « Il faut y croire» pour tenir dans une responsabilité qu'elle quelle soit (on le sait en JOC), non seulement parce qu'elle mobilise la patience, l'endurance et qu'elle sollicite toujours à nouveau le dévouement, mais encore plus parce qu'elle renvoie chacun, dans l'accomplissement de sa mission à des options fondamentales, à des choix personnellement assumés qui ne relèvent directement ni de l'ordre du savoir, ni de l'ordre du consentement docile à l'idéologie dominante. Initier à la confiance et non à la peur et au mépris, voilà la route.
 
Or la confiance consent à la vulnérabilité de l'éducateur chrétien. Il est vulnérable parce qu'il appartient à cette modernité où les choix sont « affaire de goût» comme dit M. Scouarnec. Non pas que la foi soit laissée à la préférence individuelle ou confisquée par des appartenances communautaires.
 
Cela signifie d'abord que la foi ne bénéficie plus de l'évidence culturelle d'une société française longtemps marquée par les pratiques chrétiennes. Il ne sera probablement pas possible d'initier à croire sans passer par cette affaire de goût: il serait culturellement illusoire et évangéliquement incohérent de vouloir imposer la foi. Ajoutons que cette affaire de goût est irréductible à un savoir: en effet, vous ne pouvez légitimer la foi par un savoir comme le montre Lc l, 19-31: - le mauvais riche et le pauvre Lazare-, même si quelqu'un revient de chez les morts cela ne convaincra pas ceux qui ne mettent pas leur confiance dans la Parole (Moïse et les prophètes).
 
L'affaire de goût signifie qu'il revient à chacun d'engager sa confiance envers la parole qui mérite d'être crue. Mais cette parole n'est pas une idée, ni une sagesse, ni une idéologie, ni une intuition: elle est une tradition historique
qui engage une forme de vie qui appelle une discipline de vie exercée par l'apprentissage d'une vie communautaire (= l'Eglise dans la paroisse comme dans les mouvements et les services, son culte et ses sacrements).
Le témoin par sa chair pleine des cicatrices de ce qu'il dit
Mais attention, loin de la propagande, c'est selon les manières du Christ que l'on peut être initié à l'Evangile. Il y a chez l'initiateur de la foi quelque chose d'évangélique car il est un témoin. Lui-même croit sur parole et donc sans preuve ainsi que l'atteste la résurrection (elle ne ressemble à rien de connu avec quoi la comparer).              '
 
Le témoin parle à partir des cicatrices dont sa vie est marquée pour avoir payé le prix d'une parole qu'il peut énoncer avec autorité pour l'avoir accueillie dans sa chair (Pierre et Paul dans le Nouveau Testament). C'est ainsi que Jésus peut parler avec cette autorité qui donne vie à tous ceux qu'ils rencontrent. C'est ainsi que les témoins véridiques parlent et qu'on les croit sur parole: on écoute Mandela, on écoute Vaclav Avel, Mère Térésa, Desmond Tutu etc. parce qu'ils ont porté les cicatrices des paroles qu'ils prononçaient. C'est de cette manière que l'on est initié à la foi quand il n'existe plus d'institutions fortes qui engendrent mécaniquement à croire sous le mode d'un habitus social.
Qu'est ce que la mission?
Quelle mission pour !'Eglise en quartiers populaires? Rappelons avec le Concile Vatican II que l'Eglise n'apporte pas Dieu au monde qui ne l'aurait pas. Dieu ne s'est pas absenté du monde parce qu'il y a moins de pratiquants. Dieu est créateur du monde à tout instant, et sa présence définitive au monde dans l'incarnation de son Fils et le don de son Esprit ne manque à aucun être humain même si tous ne le connaissent pas.
 
La mission consiste à aider les personnes de ces quartiers à être fières pour qu'elles puissent reconnaître que Dieu ne leur manque pas, qu'il leur est fidèle depuis toujours, y compris dans leurs impasses et leurs galères. Elle consiste aussi à trouver en l'Evangile le moyen de repousser tout ce qui empêche cette reconnaissance de leur dignité et'de la présence de Dieu à leur vie.
Une sacramentalité de l'Eglise
Cette Eglise présente dans les mouvements et dans les paroisses des quartiers étend sa sacramentalité (Lumen Gentium 1) au-delà des sept sacrements. Dans les chemins qu'elle propose dans la première annonce comme dans le catéchuménat, il y a déjà de la sacramentalité de l'Eglise: le Christ y fait déjà signe et atteint ceux et celles qui sont en route ver_ la reconnaissance de Celui qui leur est présent dans les dynamismes qui les habitent quand ils élèvent leurs enfants, quand ils cherchent du travail, quand ils s'aident mutuellement, quand ils font reculer le mal avec courage.
Le baptême à la source de la mission
Une variété d'acteurs de la pastorale est alors nécessaire pour durer dans la proximité et la présence à ces quartiers. Vatican II a réexprimé l'identité de l'Eglise comme la totalité des fidèles en Christ. C'est là, incontestablement, l'une des clefs de lecture majeures de l'œuvre conciliaire. Les conséquences de cette intuition centrale se voient en bien des domaines. Dans l'action liturgique, c'est toute l'assemblée qui est le sujet célébrant: la participation pleine et active de tous est « un droit et un devoir» (Constitution sur la liturgie - n° 14).
 
C'est « par nature» que « la vocation chrétienne est vocation à l'apostolat » (Décret sur l'apostolat des laïcs - n° 2). Quant aux rapports de l'Eglise avec la société, c'est au «peuple de Dieu» qu'il incombe de «discerner [...] les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu» dans les situations et les événements de chaque temps (Constitution sur l'Eglise dans le monde de ce temps - n° 11). Bref, «il règne entre tous une véritable égalité» (Constitution sur l'Eglise - n° 32).
 
Les mouvements ont ainsi appris à conduire leur action sur la base du baptême et non comme les collaborateurs par « mandat» de l'apostolat de hiérarchie. L'exhortation Christi fideles laici de Jean Paul II souligne ce changement de cap opéré à Vatican II : « Il est certain que tous les membres de !'Eglise participent à sa dimension séculière, mais cela de façon diverse » (nO 15). Resterait à montrer, en dehors même des mouvements qui privilégient « l'engagement à être présents dans la société humaine» (C.F.L. - n° 30), comment cette «façon diverse» devrait pouvoir se vérifier, par exemple, dans des secteurs d'activité comme la pastorale de la santé, la pastorale familiale, l'a pastorale des migrants, mais aussi dans les relations liées à la catéchèse des enfants, à !'animation des aumôneries de jeunes.
La vie religieuse
Dans la ligne du baptême la vie religieuse depuis longtemps présente par ses communautés dans les cités et les quartiers populaires témoigne de l'Evangile vécu et du Règne de Dieu qui vient. Elle pose concrètement les gestes du Christ: hospitalité, pardon, prière, service, confiance, protestation contre l'injustice, don de soi. La vie religieuse ensemence au milieu des populations de toutes religions, la figure du Christ bienveillant et sauveur.
 
Elle témoigne à partir des traces que laisse la foi dans la chair par la consécration, la vie commune et le travail. Si les religieux et les religieuses deviennent des acteurs de la transformation du vivre ensemble, ils le font selon leur charisme dans l'effort commun du diocèse qui voit dans ces quartiers un défi pour l'annonce de l'Evangile au XXIème siècle. Pourquoi pas des moines en quartiers populaires?
Le ministère
Le ministère presbytéral s'en trouve alors mieux défini comme ministère de,
communion dans ce monde pluriculturel, plurireligieux et éclaté. Comme l'écrit A. Borras, vicaire général à Liège et canoniste : «avant de parler des ministères, il ne faut guère perdre de vue qu'ils s'inscrivent dans, pour et par le ministère de l'Eglise locale en laquelle est présente et agissante l'Eglise de Dieu, une, sainte, catholique et apostolique (LG 23a ; cf. SC 41b et CD 11).
 
Les ministères doivent être situés par rapport à la communauté ecclésiale, et non l'inverse. Celle-ci est la réalité enveloppante, disait le Père Y. Congar, à l'intérieur de laquelle les ministères se situent comme des services de cela même que la communauté est appelée à être et à faire[1].C'est ce « ministère de la communauté» que l'évêque a reçu, par son ordination, pour l'exercer avec l'aide des prêtres et des diacres (cf. LG 20c).
 
En tant que titulaires du ministère ordonné, l'évêque, les diacres et les prêtres ont été investis sacramentellement pour signifier que l'Église se reçoit de Dieu par le Christ et dans l'Esprit, qu'elle tient de l'initiative gracieuse de la Trinité d'entrer en alliance. En tant que vis-à-vis, posés par ordination en face de la communauté ecclésiale, ils signifient que celle-ci naît de la grâce.
 
Mais tous les fidèles, ministres ordonnés y compris, réalisent par leur adhésion croyante qu'il n'y a d'Église que par la réponse libre et joyeuse de la foi en participant au don que le Christ fait de sa vie au Père pour le salut du monde.
L'aventure de la foi dans le ministère
Quelle forme pour !'exercice du ministère pastoral? La surcharge de travail et le fait que des actes jadis réservés aux prêtres soient exercés aujourd'hui par des laïcs et des '. diacres risque de déboucher sur une conception « fonctionna liste » du ministère comme un job hiérarchique. Or le ministère de l'Eglise s'il est une fonction est aussi un charisme et relève d'abord d'une aventure spirituelle plus que de tâches répertoriées à exécuter.
 
Refuser d'identifie le ministère à des tâches fonctionnarisées. Comme le disait H-J Gagey dans une session des prêtres à Nantes: « Le ministère des prêtres ne se laisse pas identifier par l'accomplissement de tâches déterminées, même s'il est vrai que généralement les prêtres se reconnaissent au fait qu'ils accomplissent une fonction dans l'Eglise.
 
« Mis à part », les prêtres sont incorporés par !'ordination au presbyterium diocésain auquel il revient « en bloc» de présider à la vie des communautés, d'assurer l'annonce de l'Évangile et la célébration des sacrements. L'élément diocésain- détermine pas moins !'exercice - du ministère par les prêtres séculiers, que par les religieux. C'est le diocèse qui constitue la véritable communauté ecclésiale de base. Le ministère des prêtres est fondamentalement diocésain parce que l'Église est fondamentalement diocésaine.
 
C'est au presbyterium dans son ensemble qu'il appartient, en union à l'évêque et sur son appel, d'assurer que l'Évangile soit annoncé dans des célébrations où la Parole est annoncée avec l'autorité du seul pasteur, où le peuple de Dieu se trouve configuré et reconfiguré sans cesse au corps de son Seigneur et vécu dans le service de l'humanité par lequel l'Église témoigne de la fidélité de Dieu. »
 
Cette insistance sur la dimension diocésaine du ministère signifie que la figure totale du ministère sacerdotal, prophétique et royal, aucun prêtre ne la réalise pleinement en lui-même, ni même l'évêque, mais le presbyterium uni à l'évêque dont il est le' premier conseil. Le diocèse est la communauté ecclésiale base. Un fait marquant dans la conscience ecclésiale de nombreux laïcs en responsabilité c'est précisément l'émergence de leur conscience diocésaine: ils savent de quel diocèse ils sont. Ils connaissent le chemin des maisons diocésaines.
 
« Temps d'arrêt» à partir de Ac 10 :    
 la rencontre de Corneille et Pierre sous l'impulsion de Dieu:
 
Dieu parle à Pierre et Corneille selon la culture et les préjugés de chacun et ils ne comprennent pas: acceptons de rencontrer les quartiers populaires sur l'appel de Dieu qui peut s'y lire et sur la base de la rencontre avec ceux qui eux aussi entendent confusément Dieu parler.
 
Se mettre en route malgré tout: Pierre malgré les préjugés religieux se mettra difficilement en route et c'est de faire le chemin qui lui fera comprendre que Dieu ne fait pas de différence entre les hommes. C'est l'enracinement de l'Eglise dans ces quartiers, c'est de faire le chemin avec les gens qui fait comprendre le mystère de Dieu qui s'y vit.
 
Reconnaître l'humanité commune: «relève-toi dit Pierre à Corneille, moi aussi je ne suis qu'un homme. » Sur la base de cette reconnaissance naît la parole de foi qui peut attester Jésus Christ. L'Eglise ici prend le chemin de l'homme.
 
Annoncer ce qui est arrivé à Jésus dans sa vie, sa mort et sa résurrection est la mission de Pierre chez Corneille: il est invité à parler. L'Eglise dans les quartiers se fait mendiante et hôte: elle y est invitée à parler du mystère de l'amour à partir des traces que l'amour a laissé dans la chair. Don de l'Esprit sur la maison de Corneille. Avons-nous vu les pentecôtes de l'Esprit dans les quartiers?
 
Par le baptême, la maisonnée de Corneille est devenue chrétienne après avoir reçu l'Esprit au grand étonnement de ceux qui ont encore des préjugés sur l’œuvre et la liberté de Dieu. Devenir chrétien en quartiers populaires atteste la liberté de Dieu.
 
Jean-Louis Souletie, Institut Catholique de Paris.
 


[1] Y. CONGAR, « Mon cheminement dans la théologie des ministères» et « Ministères et structuration de l'Église dans Ministères et communion ecclésiale, Paris, Éd. du Cerf, 1971, respectivement p. 7-30 et 31-49.