Fiche 8 Luc Animer les rencontres

Passion et Résurrection ch 22-24

Section 8. Ch.22 à 24


Même si “on connait déjà !”, la lecture en continu permet de découvrir tel ou tel détail qui surprend, étonne, relance notre attention. Nous sommes habitués à une lecture spirituelle et théologique. Prenons le temps de repérer les jeux de pouvoir, les attitudes et les paroles contrastées des intervenants, différentes des autres évangiles (par ex. les dernières paroles, ch. 23, 33-49). N’hésitons pas à utiliser le crayon pour souligner afin de garder notre vigilance active. L’essentiel est de s’abandonner au texte. Un autre exercice pourrait être de lire en parallèle le récit de Marc, ch. 14 à 16,8.

 

Lecture d’ensemble


Satan, le retour. Certains se souviennent que Satan, après les tentations, s’était éloigné de Jésus “jusqu’au moment fixé” (4,13). Le voici revenu au début de cette section : “Satan entra en Judas” (22,3). Il revient pour le temps de l’épreuve (mot plus juste que tentation), épreuve dans laquelle seront plongés les disciples (22, 40 et 46) et Jésus (22, 42).


C’est Jésus qui mène les évènements, jusqu’au moment de l’arrestation (22,54). Il donne les consignes pour les préparatifs du repas ; il mène les discussions. Au cours du repas, il rappelle aux disciples la mission de service (22, 24-27). Cela fait penser à Jean 13, où Jésus lave les pieds des disciples. Ensuite Jésus se rend au Mont des Oliviers où ils avaient monté leur bivouac de pèlerins ; les disciples suivent. Les responsables du peuple ont fait le déplacement pour l’arrestation : à eux s’adressent les reproches de Jésus. A partir de ce moment, d’autres que Jésus mènent les évènements : Judas, la servante, les anciens et chefs des prêtres, Pilate, Hérode, etc. Pour Luc le peuple n’a pas de rôle actif : “Le peuple restait là à regarder” (23,35).


“Il faut…, il fallait que s’accomplissent les Ecritures” (22,37 ; 24,7 et 26). C’est souvent interprété comme signe du destin, de la volonté de Dieu : c’était écrit ! L’Ecriture accomplie, c’était affirmé tout au début, à Nazareth, (4, 21), de même le projet de mort (4, 29). Luc, comme les autres évangélistes, insiste sur la relation entre Jésus et l’Ecriture, non pour dire que “tout était écrit à l’avance”, mais pour signifier que Jésus n’est pas “en dehors de l’Ecriture”, qu’il est “conforme” à ce qu’avaient déjà écrit les prophètes. Luc invite à découvrir la logique des refus, des objections faites à Jésus par les autorités. Cette histoire conflictuelle ne pouvait que mal se terminer. C’était prévisible, non de par la volonté de Dieu, mais de par la volonté des hommes. Les autorités et les institutions juives ont rejeté l’envoyé, comme l’affirme la parabole des vignerons homicides (20, 9-19) : contraste entre le désir de Dieu et l’agir des vignerons. Luc fait dire à Jésus : “Jérusalem, si toi aussi, tu avais reconnu celui qui t’apporte la paix. Hélas…!” (19,42). Relisant les Ecritures après la mort et la résurrection de Jésus, les disciples identifieront Jésus avec le serviteur d’Isaïe et bien d’autres paroles des prophètes avant Lui. (Cf. les disciples d’Emmaüs, dans le zoom).

 

Les motifs de condamnation. Hier comme aujourd’hui, s’exercent des “jeux de pouvoir”. Motif pour Juifs, motif pour Romains, détour chez Hérode ! Par trois fois, Pilate affirme que Jésus est innocent, (4, 14.22) ; par trois fois Pierre a déclaré tout ignorer de Jésus (22, 57-58.60). Luc présente encore deux vies en parallèles : Pierre et Pilate. Ici aussi, le regard de Luc est bienveillant envers l’autorité romaine. (Cf. fiche 3, page 1).


La réponse de Jésus à l’accusation : “c’est vous qui le dites !” (22,70). Ce n’est pas seulement de la prudence. Jésus a parlé ouvertement. Ce n’est plus le moment de compléter ce qu’il n’aurait pas dit ! Désormais, c’est le temps où d’autres parlent de lui, affirment qui il est, prennent sa défense ou l’accusent. Cf. les malfaiteurs sur leur croix.
 

La prière de Jésus et la nôtre. “Non pas ma volonté, mais la tienne” (22, 42). Est-ce soumission à la mort ? Non ! Jésus écarte la tentation de s’en sortir en abandonnant sa mission : le salut de tous. Pendant ce combat, les disciples sont endormis. N’avons-nous pas à apprendre à prier comme Jésus : “Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne”, c’est-à-dire, que ton Nom soit sanctifié, que ton Règne vienne.


Les dernières paroles. (23, 33-49). Cela ressemble à une catéchèse sur l’identité de Jésus. En filigrane, Luc évoque les psaumes 22, 31, 32, 66. Les paroles de chacun seraient à méditer, une à une. Jésus exprime sa relation au Père et demande le pardon, remet son esprit au Père… Des juifs ricanent pendant qu’un malfaiteur crie : “Si tu es le Messie…”, il représente l’Israël du refus. L’autre malfaiteur défend Jésus et le prie : “Souviens-toi de moi”. Ne serait-ce pas la prière du pauvre qui n’a que la confiance à donner : “souviens-toi de moi”. Au milieu du récit, par deux fois reviennent les expressions “Messie” et “Roi des Juifs”. Luc ne laisse pas traîner ces mots par hasard. Qui les reprendra à son compte ? Peut-être le centurion qui voit en Jésus un juste ? Peut-être ce malfaiteur à qui Jésus confie “aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis”. Aujourd’hui, pas demain ! Cette parole ne s’adresse-t-elle pas aussi à tous ceux qui, à la suite du malfaiteur, osent dire : “Jésus, souviens-toi de moi !”

 

La pierre pour sceller l'entrée; Deux chambres Tombeau creusé dans la roche-près de Nazareth  
La pierre pour sceller l'entrée; Deux chambres
La pierre pour sceller l'entrée; Deux chambres

 

Zoom. La primitive Eglise relit l’Ecriture (Emmaüs, 24, 13-35)


Un sabbat s’achève, qui ressemble à un jour vide, il ne se passe rien. Mais le lendemain, premier jour de la semaine, premier jour “ouvrable”, Luc y inscrit plusieurs récits. La Tradition chrétienne y verra le jour de Nouvelle Création, le huitième jour. Voici les femmes au tombeau, leur surprise, et la question : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? ». Voici ensuite un autre récit marqué par l’appel à faire mémoire, appel à la relecture : les disciples d’Emmaüs. Il leur faudra du temps pour reconnaître et comprendre Jésus, à la fraction du pain. Et nous, où et quand nous arrive-t-il de le reconnaître ?

 

Notre habitude de lire ce récit, comme une belle histoire, laisse croire que ça s’est passé tel que raconté. Or il y a sans doute plus, car Luc aime les doubles sens. Il invite à méditer “les évènements” à la lumière des Ecritures. Il provoque ses lecteurs –et pas seulement les deux disciples- à reconnaître la présence “invisible” de Jésus au milieu d’eux.
Le récit commence par une rencontre incognito : ils ne reconnurent pas ! Sur le chemin, le dialogue s’instaure, à l’initiative de l’inconnu. Il invite à faire le récit de l’activité de Jésus et des évènements. Pour les deux disciples, rien qui suscite leur foi : tout cela, maintenant, c’est bien fini ! Tout cela, c’est l’évocation d’une histoire. Leurs attitudes et leurs paroles, c’est une espérance morte.

 

Ils sont invités à faire mémoire des Ecritures. Celui qui les accompagne les ouvre à leur interprétation des Ecritures. Le parcours biblique commence avec Moïse et se poursuit avec les prophètes. Depuis le début de notre lecture d’Evangile, combien de fois n’avons-nous pas rappelé “la Loi et les prophètes” ? Luc a fait s’entrecroiser vie de Jésus et Ecritures. Pour les deux disciples, rien de plus qu’une discussion avec un rabbi. Quand ils entrent dans l’auberge, rien ne semble avoir changé en eux, sinon le désir de continuer la rencontre : “Reste avec nous !”

 

Le dialogue commencé, les disciples souhaitent le continuer : tout comme des catéchumènes, disciples d’aujourd’hui, souhaitent continuer avec des aînés dans la foi le dialogue engagé au sujet de Jésus et des Ecritures. Luc signale que “le jour commence à baisser…”, comme lors de la multiplication des pains (9,12) puis viennent des expressions déjà entendues, accompagnées de gestes connus : bénir, rendre grâce, rompre le pain, le donner. C’est alors seulement que survient le temps de la découverte, de la re-connaissance : “ils le reconnurent à la fraction du pain”.

 

Cette histoire de deux hommes, c’est aussi l’histoire de celles et ceux qui deviennent disciples du Christ. En partageant leur quotidien à la lumière des Ecritures, en partageant le pain entre tous, les disciples d’hier et ceux d’aujourd’hui reconnaissent que le Christ Jésus est au milieu d’eux. Alors les disciples se remettent en route, bien qu’il fasse soir ! Dans nos vies, il arrive aussi qu’il fasse soir… En nous arrêtant à l’auberge du Christ, en partageant l’Ecriture et le pain, nous reconnaissons qu’Il est avec nous, qu’Il invite à nous relever et à continuer la route, dans sa lumière.

 

 

Pour aller plus loin.


Et maintenant ? Il a fallu du temps, 40 jours lit-on dans les Actes, c’est-à-dire un certain temps où les disciples restent entre eux, dans l’attente et la prière. On imagine qu’ils ont ressassé les Ecritures où il est question d’un serviteur souffrant, d’un envoyé de Dieu qui serait incompris, persécuté, alors qu’il faisait le bien, qu’il guérissait et annonçait la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui se faisait proche, un “fils d’homme” qui apportait la paix et la réconciliation des pécheurs avec Dieu. Ils ont alors découvert en Jésus le visage du Messie de Dieu selon les Ecritures. Ce n’est plus la fin d’une histoire, mais le début d’une Vie nouvelle. Ce Jésus qu’ils avaient connu vivant, qui a été crucifié, Dieu l’a fait Seigneur et Christ en le ressuscitant. Telle sera désormais leur conviction, la foi qu’ils proclameront, au souffle de l’Esprit (Actes 2).

 

Aujourd’hui, quand nous relisons les récits rédigés par Luc, nous ne pouvons pas en rester à la lecture d’une histoire au premier degré. Pour Luc, il y a plusieurs niveaux de compréhension. Ce récit de Pâques, avec deux témoins, décrit aussi l’attitude de la première communauté d’Eglise qui accède à la foi en Jésus, leur ami, Messie de Dieu. “Notre cœur n’était-il pas tout brûlant ?” A peine le pain rompu, ils reprennent la route pour annoncer la Bonne Nouvelle : “Christ est vivant !” Et nous ?

 

L’évangile selon Luc semble s’arrêter au soir de Pâques. Mais Luc continue son œuvre avec les Actes des apôtres, que nous pourrions découvrir l’an prochain. Il y témoigne de l’annonce de la Bonne Nouvelle de “Dieu au milieu de nous” jusque chez les païens, jusqu’aux extrémités de la terre : “C'est aux païens qu'a été envoyé ce salut de Dieu. Eux, du moins, ils écouteront !” (Ac 28,28). Pour que cela se réalise, il aura fallu que les Douze parlent en d’autres langues, hors des murs de leur maison, hors de Jérusalem. A nous d’être témoins hors les murs, à leur suite.

 

Prier la Parole. Sur la route d'Emmaüs

 

Sur la route, ils étaient deux. Les voici trois.
Jésus est avec eux qu'ils ne savent pas.
Mon Dieu, mon Dieu, ton rendez-vous sera-t-il toujours en chemin
Et c'est en marche que nous avons le plus de chances de te rencontrer?

 

Tu n'es donc pas un Dieu de tout repos,
Un Dieu arrivé et installé, un Dieu de trône et de maître-autel.
Tu n'es donc toujours qu'un Dieu vagabond,
Un Dieu d'exode et sans domicile fixe.

Ta seule demeure sera donc toujours la route?

 

Et il suffira que ces deux-là, sur la route d'Emmaüs,
Veuillent t'arrêter dans une auberge, qu'ils désirent t'installer,
Même provisoirement, pour que tu t'effaces de leurs yeux.

 

Sur la route, ils étaient deux, ils se parlaient.
Ils partageaient les mots de leur tristesse, les phrases de leurs regrets,
Le choc de cette mort en croix qui ressemblait trop à un assassinat.

 

Ils étaient sur la route à se parler, les voici trois,
Jésus est avec eux, qu'ils ne reconnaissent pas.

Mon Dieu, mon Dieu,
C’est donc quand nous commençons d'oser nous parler,
Lorsque nous prenons le risque de l'échange,
C'est donc lorsque nous tentons de communiquer
Que tu es là, au milieu de nous?

 

Mon Dieu, c'est donc toujours Toi qui te glisses
Dans notre conversation, au moment où nous nous y attendons le moins.
Mon Dieu, mon Dieu, c'est donc lorsque nous acceptons d'être deux
Que nous sommes trois?


                              Revue « Prier »

 

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Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 4128 visites