Récits de miracles chez Juifs et Païens

Comprendre qu'hier et aujourd'hui on ne parle pas de la même chose à propos dessur guérisons

Si les récits de miracles des évangiles font problème pour le lecteur d'aujourd'hui, c'est leur absence dans la présentation de Jésus qui aurait fait problème pour les gens du le 1er siècle! En effet, le monde gréco-romain connaît alors le culte des dieux guérisseurs, auxquels on donne le titre de "sauveur" : surtout Asclépios ou Esculape à Epidaure (Grèce) et à Pergame (Asie), et Sérapis en Egypte, et même à Jérusalem au temps de Jésus. Les ex-voto des miraculés d'Epidaure fournissent des récits de guérisons extraordinaires. Au 1er siècle, on connaît des guérisseurs appelés "hommes divins", comme Apollonius de Tyane (mort en 97), et des guérisseurs juifs comme rabbi Hanina ben Dosa (mort en 70). On attribue même à l'empereur Vespasien (mort en 79) le pouvoir de faire des guérisons.

 

Une résurrection par Apollonius de Tyane


"Une jeune fille qui devait se marier mourut; le fiancé suivait le cercueil, sanglotant de chagrin devant ce mariage manqué. Rome se lamentait avec lui: la jeune fille appartenait en effet à une très haute famille. Apollonius passa par là. “Posez la civière, dit-il; ne pleurez plus cette jeune fille”. Il demanda le nom de la jeune fille. La plupart des gens pensaient qu'il allait dire quelque chose qu'on dit à l'occasion de funérailles. Il ne dit rien, mais, l'ayant touchée et murmurant quelque chose d'inaudible, il réveilla la jeune fille de ce qui semblait la mort. La jeune fille poussa un cri et retourna chez son père, comme Alceste remise en vie par Hercule. La famille de la jeune fille voulait offrir en cadeau à Apollonius une très grosse somme de drachmes; il dit de les donner à la jeune fille comme cadeau de mariage. Trouva-t-il encore une étincelle de vie qui avait échappé aux médecins? Réchauffa-t-il et fit-il revenir la vie totalement éteinte? Je ne sais exactement ce qui s'est passé, ni moi ni tous ceux qui étaient là."

 

Un exorcisme par Apollonius de Tyane
 

 

"Dans un groupe, on parle de sujets religieux. Un jeune homme qui se trouve là éclate de rire, d'un rire sacrilège. Apollonius le regarde et déclare: 'Ce n'est pas lui qui rit, mais un démon qui le possède.' De fait, le jeune homme tantôt riait, tantôt pleurait. Apollonius, d'une voix forte, fait partir le démon et le somme de ne plus revenir sur aucun homme. Avant de partir, le démon annonce que, pour se venger, il va abattre une statue. Aussitôt, elle vole en éclats. Le jeune homme se réveille: il est normal. ”

 

Une guérison à distance par rabbi Hanina ben Dosa


"Il arriva qu'une fois le fils de rabbi Gamaliel tomba malade. Celui-ci envoya deux élèves des sages chez rabbi Hanina ben Dosa. Dès que rabbi Hanina les vit, il monta à la chambre haute et implora la Miséricorde. A sa descente, il leur dit: 'Allez, la fièvre l'a quitté'. Ils lui dirent: 'Es-tu prophète ?' Il leur dit: 'Je ne suis pas prophète et je ne suis pas fils de prophète (Am 7,14), mais j'ai appris (par expérience) que si ma prière coule dans ma bouche, je sais qu'elle est acceptée, sinon je sais qu'elle est rejetée. Ils s'assirent et notèrent l'heure précise. Lorsqu'ils revinrent chez rabbi Gamaliel, il leur dit: 'Par le culte! Pas un instant trop tôt ni trop tard, mais le fait s'est bien passé ainsi: à l'heure même (que vous avez notée), la fièvre l'a quitté et il nous a demandé de l'eau à boire."

 

Les miracles de Jésus

 

Dans le contexte socio-religieux du 1er siècle, il aurait été impensable que la présentation de Jésus dans les évangiles ne comporte pas de miracle. Dès lors la question se pose: n'a-t-on pas attribué à Jésus des actions miraculeuses, guérisons et exorcismes, pour accréditer sa mission? Autrement dit, Jésus a-t-il vraiment fait des miracles? Les évangiles sont-ils crédibles?

 

Des faits non contestés
Par rapport aux récits sur les "hommes divins", l'évangile de Marc, relativement bref, rapporte une quantité énorme de miracles: une vingtaine! Contrairement à la tendance naturelle à amplifier, ajouter, inventer, on constate le mouvement inverse dans les évangiles. Par rapport à Marc, Matthieu et Luc qui reproduisent la même vingtaine de récits, Jean, à la fin du 1er s., ne rapporte plus que sept "signes", et encore cet aspect miraculeux n'est-il pas du tout exploité: "Heureux ceux qui croient sans avoir vu !" Les contemporains ne mettent pas en doute le fait que Jésus ait fait des miracles et des exorcismes (cf. Ac 2,22). Les scribes reconnaissent que Jésus chasse les démons mais dénoncent l'origine satanique de son pouvoir (Mc 3,22).

 

Des contextes différents


La vraie question n'est donc pas: est-ce que c'est vrai? Ou que s'est-il passé? Mais quand, où, comment, pourquoi Jésus a-t-il fait des miracles? Si on compare les récits évangéliques aux récits païens, on repère les caractéristiques suivantes. Jésus ne fait des guérisons que dans un contexte de foi, au moins implicite (Mc 2,5) ; certains récits développent un dialogue (Mc 9,23-24). Beaucoup comportent la formule: "ta foi t'a sauvé" (Mc 5,34 ; 10,52) ou bien Jésus fait l'éloge de la foi (Mc 7,29 ; Mt 8,10). Par contraste, à Nazareth, où il n'y a pas de foi, Jésus ne fait pas de miracle (Mc 6,6). Quand il guérit un malade, Jésus évite la publicité. Marc note qu'il le prend à l'écart, loin de la foule (7,33; 8,23) et qu'il recommande le silence (Mc 1,44 ; 5,43 ; 7,36 ; 8,26). Ainsi veut-il éviter qu'on exploite le miracle pour sa gloire personnelle. C'est le thème de la deuxième tentation en Mt 4,6-7.

 

Les signes du Règne de Dieu
Mais le plus important est le sens que Jésus donne à ses guérisons ou exorcismes. Ils sont liés à sa mission et au dessein de Dieu. En deux circonstances, que seuls Matthieu et Luc rapportent, Jésus s'explique. A la question de Jean-Baptiste il fait répondre: "Les aveugles voient, les boiteux marchent... la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres" (Mt 11,5 ; Lc 7,22). Et aux scribes, il donne le sens de ses exorcismes: "Si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, c'est que le Règne de Dieu est venu pour vous" (Mt 12,28 ; cf. Lc 11,20). Les miracles de Jésus ne sont pas des actions d'éclat à la gloire du thaumaturge; ils font partie des signes de la mission du Messie qui apporte aux pauvres la Bonne Nouvelle du salut. Ils sont le Règne de Dieu en action, l'intervention de Dieu pour libérer l'homme des forces du mal. Ils disent quelque chose de ce que Dieu veut pour l'homme: la vie, le bonheur, la liberté, selon ce que les prophètes avaient annoncé (ls 35,1-10).

Publié dans Lire le Nouveau Testament, une initiation, tome I, Les quatre Evangiles.
Service biblique Evangile et Vie, p.23-25


P.S. Une très récente émission de France-culture (23 mars 2010) portait sur “Socrate, chaman ou philosophe” qui, par sa parole et ses questionnements, obtenait des guérisons. (France Culture, Les racines du ciel)