2ème partie a : Voyages des Pères
Qui est Jésus ? La grande quête.
2. Qui est Jésus ? La grande quête…
Le voyage qu’entreprennent les pères des disciples est émaillé de rencontres avec des personnes qui ont vu Jésus, l’ont entendu, peut-être écouté puis qui ont adhéré ou non à son message. Le récit met très peu Jésus en scène, le propos n’est pas là... David Ratte évince les citations bibliques pour dépeindre les conditions de réception de l’enseignement de Jésus et l’effet que ce dernier ne manque pas de produire. On parle des paroles de Jésus, de ses actes, on nous raconte qui il est, du moins ce que les uns et les autres en ont compris, c’est le cœur du récit, la grande quête, c’est le fil conducteur de cette œuvre.
Après plusieurs lectures des volumes de ce récit, j’ai trouvé, au fil des pages, des éléments qui permettent de mettre en relief plusieurs aspects de la personne de Jésus celui-là même que l’on nomme aussi le Christ, le Messie, le Fils de Dieu. La christologie a pour sujet d’étude la manière dont une communauté, un artiste, un croyant à une époque donnée parle de la personne du Christ, de ce qui est dit de l’homme Jésus de Nazareth, de Jésus le Messie, de Jésus le Christ, de Jésus Fils de Dieu et de Jésus Sauveur des Hommes. Le croyant n’a de cesse de questionner la personne du Christ en Jésus, Fils de Dieu, vrai Homme et vrai Dieu et en quoi sa Bonne Nouvelle est pour tous d’une évidente actualité.
«Le Voyage des Pères », œuvre originale et actuelle m’a semblé être un média pouvant faire l’objet d’une recherche en christologie.
La réflexion que je propose alors est de lire ce récit à l’aide de grilles et de filtres. Une première grille de lecture se focalise sur Jésus, nous le verrons : il appelle d’autres hommes à le suivre, il guérit, il rencontre des opposants et il est vainqueur de la mort.
2.1 - Jésus de Nazareth…il appelle d’autres hommes à le suivre
L’arrivée de Jésus dans la vie des personnages nous est racontée par Jonas dans un récitatif[1] « Au début, je n’avais pas fait attention. Il y avait ce type sur la plage. Il avait l’air d’attendre quelque chose.»
Ce que Jonas est comme empêché de voir parce qu’il lui tourne le dos, le lecteur ne peut le manquer : un gros plan, un zoom sur la largeur de la case, montre le visage de « ce type », comme désireux de rencontre et presque auréolé de la lumière du soleil levant. (T1 p.4case1)
Puis nous sommes amenés à revivre l’action : le « type » monte dans le bateau, se faisant interpeler par un « Hé toi ! » de la part de Jonas lui signifiant qu’il n’est pas le bienvenu à bord auquel il répond « emmenez-moi au large et jetez vos filets », laissant l’interlocuteur sans voix. Ce type est devenu un « problème » pour Jonas qui en appelle aux plus jeunes. D’abord menaçant le regard de l’un d’eux se perd dans celui de l’homme qui une troisième fois demande de l’emmener (ci-dessous T.1 p.5 cases 3, 4,5).
Nous comprenons par la case large de la barque sur l’eau au devant de laquelle se tient Jésus (même s’il n’est pas encore nommé, aucune place n’est laissée au doute) qu’ils ont concédé à sa demande en dépit de la fatigue du travail sans résultat de la nuit. C’est bien dans l’échange des regards que s’est passée la rencontre, nous le lisons dans les focus images des regards... comme de la surprise et de la douceur chez l’un, de la confiance et de la paix chez l’autre.
La pêche miraculeuse permet à l’un des fils de Jonas, Pierre, de dire « Papa, je crois que c’est lui... c’est le Messie ». Notons le « je crois » mis dans la bouche de Pierre qui inaugure sa mise en route à l’invitation de Jésus. Le récitatif reprend alors, Jonas expliquant que Jésus (il est alors nommé pour la première fois) a parlé à leurs garçons et qu’ils l’ont suivi (T.1 p.7).
Les pères sur la piste de Jésus et de leurs fils croisent leurs informations, nous apprenons alors que le groupe seraient constitués de douze « à avoir tout lâché pour lui ». (Ci-dessous T.1 p.14 case 3)
L’image nous montre Jésus parlant, à ces douze hommes en pleine nature, au pied d’un arbre dans une ambiance assez décontractée. Notons que même si le personnage de Jésus est en train de parler (bouche ouverte et main droite appuyant ses propos) aucune bulle ne nous renseigne sur ce qu’il dit.
C’est par le récit du père de Matthieu que nous apprenons l’immédiateté avec laquelle son fils « d’après les témoins présents [...] a planté là tous les encaissements en cours » (T.1 p.15 cases 1 et 2) pour accompagner Jésus.
Nous en apprenons davantage sur Jésus, en même temps que les pères des disciples lors d’un entretien d’une grande discrétion avec un informateur, ancien camarade de résistance de Jonas, dans un coin d’une auberge, à l’écart. (T.1 p.19 et 20) Assez vite, dans la bouche de l’informateur l’auteur place l’incompréhension quant à l’immaculée conception « j’ai pas bien compris ».
La nativité est racontée en quelques cases commentées par un récitatif. Marie est montrée comme soulagée (ci-avant T.1p.19 case7), libérée de l’enfantement assise dans la paille le regard porté vers la mangeoire où est couché le nouveau-né que berce Joseph qui semble-t-il (sang sur sa tunique et grosse goutte de sueur au front) a assisté l’accouchement. A noter que la position de Marie qui semble naturelle après tant d’efforts, peut choquer la sensibilité de certains lecteurs (j’en ai eu échos), l’auteur semble vouloir signifier que cette naissance s’est procédée comme n’importe quelle autre (mêmes souffrances, mêmes tensions, mêmes joies). C’est de cette façon je pense que l’auteur choisit de nous montrer l’humanité de Jésus, en soulignant les caractères liés à toute naissance humaine... Les cases suivantes, toujours dans le récitatif, illustrent brièvement l’annonce faite aux bergers de la venue du futur Roi des Juifs et la crainte d’Hérode pour son trône. Rien n’est signalé quant à la venue de Rois Mages.
Une simple formule résume ce que fait Jésus depuis qu’il a quitté sa famille à 30 ans: « Jésus prêche. Il prêche l’Amour » (T.1 p.21 case 1)
« Partout où il passe, Jésus fait de nouveaux disciples. Les gens se font baptiser par dizaines. Et pis, y’ a de tout... Des hommes, des femmes, des riches, des pauvres, des Juifs, des Samaritains. » (T.1 p.21 cases 6 et 7)
2.2 - Jésus le Messie… il guérit, le Royaume de Dieu est proche
Jésus, « c’est le Messie » comme le dit dès le début Pierre (T.1 p.6), l’auteur fait le choix de nous faire découvrir ce que révèle ce nom donné à Jésus à partir des témoignages et de la culture dans laquelle évoluent les pères.
Le Messie pose des signes, le premier qui est relaté est la pêche miraculeuse du début du récit. S’ensuivent d’autres signes racontés par les témoins que rencontrent les pères.
Le soldat romain du bureau de police prend le lecteur à partie (T.1 p.11 case 4), en se plaignant des Israélites « Et vous connaissez pas leur dernière trouvaille ? Depuis ce matin ils en ont même un qui fait des miracles ».
Un miracle touche de près la personne de Jonas puisque c’est sa propre belle-mère que Jésus a guéri (T.1 p.11 cases 6 à 10) ; c’est l’épouse de Jonas qui raconte ce dont elle a été témoin : « tout le monde ne parle plus que de lui ! Il a enseigné à la synagogue, après quoi tes fils l’ont conduit ici pour qu’il guérisse maman ! Il en a guéri d’autres aussi, des paralytiques, des sourds, des aveugles... C’est le Fils du Très Haut !!! Nous sommes mille fois bénis ! » (T.1 p.12 case 5)
Dans une série de 6 cases larges T.1 p.16 et 17 où différentes personnes répondent aux pères s’enquérant s’ils connaissent Jésus et où il est, un personnage empli de joie et d’émotion montre sa main guérie (ci-dessous T.1 p.16 case 5).
Quand les anciennes prostituées enfuies de chez le Phénicien croisent sur leur route les pères, nous apprenons que le miracle peut prendre la forme du pardon (T.1 p.33 cases 1,2,3)
L’épisode de la tempête apaisée est racontée par un homme dont le regard est visiblement nouveau plus lumineux « Je l’ai vu ! De mes yeux vu ! » (T.1 p.39 case 5). C’est un récitatif que fait cet homme de la tempête «Ils sont arrivés de la Décapole par la mer. Y’avait une tempête de tous les diables. A terre, on s’apprêtait à devoir repêcher les corps. Et tout à coup, la tempête s’est arrêtée. On n’avait jamais vu ça. » (T.1 p.39 case 8 et page 40 cases 1,2 et 3 ci-dessous). Cet homme témoin de l’arrivée du bateau, s’en réfère à ce dont les apôtres ont témoigné pour expliquer le phénomène, ayant été un des premiers à entendre ce que les apôtres ont expliqué : « les apôtres nous ont expliqué que c’était Jésus qui avait calmé la tempête ». La case suivante nous montre Jésus commandant à la tempête « en lui parlant » alors qu’elle fait rage et que l’eau envahit la barque. Les mains en signe d’apaisement « silence », « tais-toi », notons que ces deux bulles, font partie des rares occasions que l’auteur a choisies pour faire parler Jésus, la typographie n’insiste aucunement sur un ordre crié, il semble réellement que Jésus parle à la mer en ces mots (T.1 p.40 case 4 ci-dessous) (voir Marc 5,21-43).
L’homme poursuit son récit qualifiant l’arrivée de Jésus de « vrai festival » de miracles : « une femme a été guérie d’un flux de sang rien qu’en touchant ses habits. » (T.1 p.40 case 6) ; « deux aveugles l’ont supplié. Et il leur a rendu la vue. » (T.1 p.41 cases 1,2 et 3), nous voyons Jésus poser un geste puis la grande joie dans le regard des aveugles guéris qui lèvent les mains vers le ciel comme pour l’en remercier.
Quittant la ville pour suivre la route qu’ont prise Jésus et ses apôtres, les pères rencontrent la fille de Jaïrus que Jésus a réveillée (T.1 p.43 case 2) (voir Marc 5, 21-43).
Les miracles se succèdent et sont connus de beaucoup, pour preuve la visite guidée du lieu « où le prophète de Nazareth a marché sur les eaux » sur laquelle s’ouvre le tome 2 page 3.
Une multiplication des pains n’est pas explicitée mais présente car lisible dans le dessin (ci-dessus T.2 p.11 cases 1,2,3) nous comprenons que Jésus enseigne à une grande foule assise sur l’herbe et nous voyons quelques disciples distribuer du pain tiré de grandes corbeilles.
C’est dans cette scène aussi qu’Alphée retrouve son fils, Matthieu, qui témoigne de sa joie de suivre Jésus (T.2 p.18 case 5,6,7 et 8) « Tu ne peux imaginer ! J’ai l’impression d’avoir enfin un but ! De donner un sens à mon existence ! Regarde ! On est de plus en plus nombreux à suivre l’enseignant. Les malades sont guéris. Les paralytiques marchent. Les aveugles recouvrent la vue. Les sourds entendent... C’est énorme ce qui est en train de se passer ! Enorme ! » Alphée de demander « Et ça nous mènera où tout ça ? », Matthieu de répondre : « A Jérusalem, Papa... pour commencer. »
L’épisode du possédé Gérasénien (voir Marc 5, 1-20) est racontée à Simon par les gardiens du troupeau de porcs qui se sont jetés dans la mer du haut de la falaise (T.2 p.30,31 et 32) « Et ce matin, y’a le gars de Nazareth qui se pointe avec sa bande. Il voit le maboul. Et voilà qu’il décrète que : » le récitatif laisse place à des bulles ; la parole sort alors de la bouche de Jésus ce qui est notable dans ce récit « cet homme est possédé du démon », puis « démon quel est ton nom ? » pour enfin terminer par un « d’accord » des plus efficaces quand Légion demande quitter le corps de l’homme pour s’établir dans les cochons. Je suppose que l’auteur en faisant à nouveau parler Jésus ouvre à la dimension performative de ses paroles.
Simon se rendant chez Lazare, « un copain de Jésus » récemment décédé, apprend que « Jésus ne serait plus le seul à faire des miracles. Il aurait transmis une partie de ses pouvoirs à ses apôtres. »(T.2 p.38 case 1 et 2) ce qui s’illustre juste après quand Matthieu menace les lépreux guéris qui ont molesté Jonas « Si c’ est tout ce que vous êtes capables de faire une fois guéris, moi je vous recolle la lèpre ! Compris ? » (T.2 p.39 case 3). Nous comprenons aussi que Jésus et ses apôtres peuvent ne pas se trouver au même endroit quand Simon rentre d’avoir rendu visite à Lazare et que son fils n’y était pas (T.2 p.40 case 1).
C’est Esther et son amie qui apprennent à Jonas et Simon la destination du parcours de Jésus « Puisque Jésus est le futur roi des Juifs… c’est forcément à Jérusalem que tout va se dénouer. » (T.2 p.14 case 8)
[1] Le récitatif (ou « voix off ») : ce sont des encadrés généralement situés au bord des vignettes servant aux commentaires en « voix off» pour donner des indications de temps et de lieu ou pour fournir des informations permettant une meilleure compréhension de l'action. Elles peuvent dans certains cas contenir la « voix » du narrateur. Elles ont communément une forme de cartouche rectangulaire. Elles se différencient de la bulle par l’absence de la "queue".