2ème partie b - Voyages des pères
Qui est Jésus? suite
Arrivés à Jérusalem, les pères retrouvent « les filles » qui confirment que Jésus y est arrivé aussi. L’une d’elle raconte l’arrivée de Jésus : « Si tu avais vu comment la population l’a accueilli ! C’était incroyable ! » Puis dans un court récitatif sur une image montrant Jésus sur le dos d’un âne entouré d’une foule brandissant des rameaux : « Les gens étendaient des feuilles de palmier sur son chemin. C’était trop beau ! ». (ci-dessous T.2 p.45 case 7).
Même si « Jésus ne fait de mal à personne » l’inquiétude est de mise chez Simon (T.2 p.45 case 8) que disent Les Pharisiens ? Les Romains ?
Il est vrai qu’au cours de leur périple, les pères n’ont pas rencontré que des sympathisants vis-à-vis de Jésus, son discours, ses actes ont fait aussi naître des opposants...
2.3 - Jésus le Messie...il rencontre des opposants
Filant la route suivie par Jésus et ses apôtres, les pères de ces derniers n’ont de cesse de questionner les uns et les autres, toutes celles et ceux qui croisés sur le chemin ont pu entendre parler ou être témoins eux-mêmes du passage de Jésus. Parmi les personnes rencontrées, il y a des fâcheux, des opposants, dont certains seraient prêts à voir périr Jésus.
Notons tout d’abord une position de réserve observée par des Pharisiens, lisible dans la série de larges cases montrant différentes personnes interrogées (ci-dessus T.1 p.17 case 3) « Nous ne souhaitons faire aucune déclaration à ce sujet ».
Dans le récit sur la naissance de Jésus, nous apprenons dans un récitatif que « craignant pour son trône, le Roi Hérode de Judée ordonne qu’on tue l’enfant. » (T.1 p.20 case 3), le même informateur annonce qu’au sujet de Jésus « le sanhédrin (tribunal suprême juif) prend l’histoire très au sérieux. » (T.1 p.21 case 5)
Le Phénicien proxénète lésé par le fait que Jésus «avec son prêchi-prêcha à deux balles a complètement gâché plusieurs de [ses] meilleures gagneuses. » confirme aux pères « ce gars-là faudra pas qu’il vienne pleurer s’il se retrouve avec un contrat sur la tête. » (T.1 p.23 case 4) En d’autres mots, Jésus a mis sa vie en danger avec le discours qu’il a tenu à quelques prostituées depuis « elles refusent de travailler. Et si on essaie de les forcer, elles se mettent à hurler des prières [...] Je vais devoir les tuer » (T.1 p.24 case 4 et 5). Quand les pères tentent de s’opposer à ce sombre projet, le Phénicien rétorque, en une succession de bulles dénotant sa colère que « la foi, c’est pire que la gangrène ! Ça se répand plus vite que la peste ! Impossible de lutter ! Une vraie plaie pour le business ! » (T.1 p.24 case 2).
C’est auprès de l’homme qui leur raconte comment Jésus a calmé la tempête que les pères apprennent aussi l’hostilité qu’ont les Pharisiens à l’égard de Jésus, « nos chers prêtres n’aiment pas beaucoup le Nazaréen. Ni ceux qui en parlent [...] », la plupart des gens ne diront pas qu’ils ont vu Jésus à cause des Pharisiens. (T.1 p.39 cases 1 à 6) Jésus et ses apôtres « ont dû quitter la ville ... rapport aux Pharisiens » (T.1 P.41 case 7).
Une association anti-Jésus s’est crée « association de soutien aux victimes du Nazaréen » (T.2 p.6, 7,8,9), parodiant une probable association qui accompagne les victimes d’addictions ou de dommages et blessures psychologiques l’auteur montre le groupe des pères à la découverte d’ateliers où des victimes tentent de se reconstruire. Certaines personnes souhaitant « guérir des enseignements subversifs véhiculés par la secte du Nazaréen. »
La nouvelle de l’arrestation de Jésus arrive dans le récit par la personne d’une des filles en pleurs et tout courant, criant « Ils l’ont arrêté ! Ils ont arrêté Jésus !! », l’incrédulité se lit sur les visages. A la question pourquoi, elle répond : « Ils veulent le juger pour blasphème ! Ils l’ont traîné devant Hérode... puis devant les Romains ! Ils l’ont gardé toute la nuit ! Et ils l’ont torturé !! [Il est] au palais de Pilate ! Il parle de le condamner à mort !! » (T.2 p.46). Les personnages sont dessinés sans décor, quasiment sur fond blanc ce qui accentue l’effet de froideur contrastant avec l’habituelle chaleur des environnements. L’auteur ne montre aucun des événements relatés advenus à Jésus.
C’est comme si nous arrivions au palais de Pilate en courant avec les pères que l’auteur nous présente un Jésus, résigné, les yeux clos et le visage fermé, blessé, couvert d’un manteau pourpre, les mains liées et portant au front une couronne d’épines (ci-dessous T.2 p.47 cases 1,2 et 3). Pilate à ses côtés le désigne ainsi en deux bulles « JUIFS ! Voici l’homme ! Celui qui prétend être votre Roi ! Que dois-je faire ? »
Jésus est livré par Pilate au choix d’une assemblée qui ne lui est pas acquise ; la dernière mise en image de Jésus est un zoom sur son visage de l’image précédente (T.2 p.47 case 7). Notons que dès lors, dans ce qui reste du récit, l’auteur ne nous montrera plus Jésus.
« D’après ce que j’ai entendu, Jésus aurait été trahi par un de ses apôtres... un certain Judas Iscariote... pour trente deniers ! » c’est en ces mots que l’hôte de Jérusalem annonce la tragédie aux pères (T.3 p.7 case 3)
La crucifixion de Jésus doit être pour l’auteur de BD et l’illustrateur source inimaginable de réflexions, de tensions et de compromis, j’en veux pour preuve les travaux de Philippe Kaenel de l’université de Lausanne qui dresse une analyse pointue de la façon dont les illustrateurs choisissent de traiter la crucifixion[1].
David Ratte ouvre une nouvelle perspective en 2 pages toute en détails, sans aucun mot (T.3 p.8 et 9). Tout d’abord une succession de cases larges pour montrer le soleil à son zénith (T.3 p.8 case 2), puis le visage taciturne ou contrarié de soldats Romains (T.3 p.8 case 3), ceux qui n’en croient pas leurs yeux et l’amie d’Esther qui pleure parmi la foule assemblée (T.3 p.8 case 4). Puis en ombre chinoise, le soldat jouant avec son marteau (T.3 p.8 case 5), souligne le caractère incongru de l’habitué, de celui qui sait ce qu’il a à faire. La contre-plongée de la case suivante (T.3 p.8 case 6) marque la violence du coup de marteau sur le pieu et la froideur de celui qui l’assène. La douleur se lit sur les visages en larmes de celles et ceux qui dans la foule semblent sursauter aux coups (T.3 p.8 case 7).
La case suivante couvre l’intégralité de la page (ci-dessus T.3 p.9), c’est une vue de plongée donnant une sensation de vertige. Notre regard domine la foule en arrière-plan en marge du monticule, au second plan à gauche deux soldats postés comme pour contenir les débordements possibles d’une foule vers laquelle ils sont tournés, foule dont les regards se portent hors cadre derrière les soldats, l’auteur a donc imaginé et placé Jésus en croix en dehors du cadre sur la gauche, ; un personnage tourne le dos dans un mouvement de fuite, il semble que ce soit l’amie d’Esther ;plus à droite ce qui semble être deux femmes entièrement couvertes d’une tunique sombre à capuche, l’une collée à l’autre la tenant chaleureusement par l’épaule, l’autre le regard prostré vers le sol et les mains semblant gratter nerveusement la poussière ne serait-elle pas Marie, la mère de Jésus ? Qui est l’homme à genoux derrière elle qui l’observe en pleurant ?
Au premier plan à gauche nous voyons l’ombre du marteau que brandit le bras du soldat. Assène-t-il un ultime coup aux clous qui tiennent Jésus sur la croix ?
Les perspectives et les lignes des regards me permettent d’imaginer alors et de poser la question : notre regard ne serait-il pas celui de qui se trouve aussi mis en croix aux côtés de Jésus,...à sa droite ?
Serions-nous à la place de celui que la tradition a retenu comme le bon larron ? (voir Luc 23,39-43). L’observateur que nous sommes est libre d’interprétation car l’auteur ne donne pas d’autres indices, il a choisi, et je pense qu’il nous offre, de nous laisser à notre propre méditation.
2.4 - Jésus, Fils de Dieu... il est vainqueur de la mort
« Il est mort ! Le Seigneur Jésus est mort ! Nous sommes maudits ! Le sol va nous engloutir ! », les bras au ciel ou les mains protégeant la tête, deux hommes passent en hâte alors que le ciel s’obscurcit (ci-dessous T.3 p.15 case 4). La terre tremble au point que les corps des morts sortent de leur sépulture. (T.3 p.16)
« Ces phénomènes ne peuvent être que l’œuvre du divin... le Très Haut pleure la mort de Jésus [...] c’était son fils... son unique. » Ce sont les soldats Romains de retour de la crucifixion et qui se posent des questions que l’auteur nous permet d’observer (T.3 p.19) l’un d’eux après avoir jeté sur une table le marteau ayant servi à clouer les suppliciés livre ses pensées à ses camarades« Je crois bien qu’on vient de tuer le fils d’un dieu. », « l’obscurité, la terre qui tremble »lui font ajouter « je crois qu’aujourd’hui, il s’est passé quelque chose de grave... et qu’on a pas fini d’en entendre parler... ».
Dans la nuit qui semble durer plus qu’habituellement (T.3 p.21), nous apprenons par l’une des filles que « tous les disciples se sont dispersés. Les Apôtres se terrent. Ils ont peur d’être traqués, arrêtés et... et exécutés. Ils ont peur de finir comme Jésus. » (T.3 p.22 case 2).
Le corps de Jésus a été mis au tombeau. « C’est Joseph d’Arimathée qui a récupéré le corps de Jésus. Et avec l’aide de Nicodème il l’a mis dans une tombe neuve qu’il venait d’acheter. » (T.3 p.26 case 2) C’est ce que dit l’hôte de Jérusalem aux pères qui semblent épuisés, fatigués, las, il ajoute que la tombe est gardée jour et nuit puisque « Jésus avait dit qu’après sa mort il reviendrait dans les trois jours. Alors ils [les membres du sanhédrin] ont peur que quelqu’un vole son corps pour faire croire à sa résurrection. » (T.3 p.26 case 7)
La résurrection est déjà annoncée dans le Tome 1, alors que Jonas demande à Esther ce qu’il est advenu de la fille absente (T.1 p.34), elle lui répond « elle est morte » (T.1 P.34 case 6), nous comprenons par les deux cases suivantes que le Phénicien proxénète l’a exécutée comme il l’avait prévu. Esther les yeux, emplis de larmes à l’évocation de cette tragédie, levés vers le ciel comme avec espoir d’ajouter « Heureusement, le Seigneur la ressuscitera dans son royaume aux derniers jours. » (T.1 p.34 case 10). Puis, c’est lorsqu’ils rencontrent la fille de Jaïrus qu’elle leur annonce le plus simplement « l’autre jour, j’étais morte. Alors il [Jésus] m’a réveillée. » (T.1 p.43 case 2), les pères semblant ne croire ni leurs oreilles, ni leurs yeux, restant bouche bée. « Certains refusent encore de voir la vérité qui leur crève les yeux. Il faut juste leur laisser un peu de temps. » C’est ainsi que Jaïrus finit d’exposer sa rencontre avec Jésus et la résurrection de sa fille devant l’incrédulité de Jonas. (T.1 p.46 case 4).
« Tout le monde parle de ça ! » (T.3 p.33 case 7), c’est l’entrepreneur Benhamou venu pour prendre soin du corps du défunt Alphée qui annonce à Simon « Jésus [...] a foutu le camp de sa tombe. » (T.3 p.33 case 5) devant la stupéfaction de Simon il poursuit « Figure –toi que c’matin on a retrouvé les deux gardes dans le coltard. Quand à la tombe, elle était vide. Envolé le Jésus ! »
Le soleil est au zénith (ci-dessus T.3 p.34 case 4), Simon a accouru pour prévenir Jonas et les filles. Nous les retrouvons dans les buissons, ils observent tous ceux qui sont devant le tombeau cherchant une explication, s’accusant ou louant les cieux (ci-dessus T.3 p.34 cases 6 et 7).
« Il est revenu ! », « Il est partout ! Partout ! » le Phénicien, ancien proxénète devenu disciple est tout à sa joie, une euphorie qui lui donne un large sourire béat. (T.3 P.35 cases 2 et 4)
« Jésus est vivant ! » Esther revient vers ses compagnons après avoir discuté avec deux femmes qui « lui ont parlé ce matin. Par contre elles savent pas où il est allé. » (T.3 p.35 case 8).
Jésus, malgré une enquête en règle et minutieuse auprès des habitants de chaque quartier de Jérusalem, demeure introuvable.
« Il s’en va. » C’est avec Jonas qui suit le Phénicien se précipitant vers un promontoire où « on dirait qu’ y a du monde là-haut » que nous retrouvons Simon (T.3 p.42 et 43). Une lumière aveuglante semble venir du ciel, « il s’en va » (ci-contre T.3 p.43 case 4). Une silhouette se devine au sommet d’une colonne de lumière blanche et rayonnante, un souffle vient comme bousculer les buissons et palmier alentours (ci-dessous T.3 p.43 case 6)
Jésus ne reviendra pas, nous l’apprenons de la bouche des Apôtres que les pères viennent de retrouver.(T.3 p.44)
Notons la symbolique de la lumière liée à Jésus que l’auteur distille au cours du récit.
Tout d’abord Jésus arrive comme auréolé du soleil levant pour demander aux pêcheurs de se remettre à la tâche, inaugurant ainsi son ministère. Puis c’est sous un soleil au zénith que Jésus est mis en croix. S’ensuit, à sa mort, une nuit qui n’en finit pas. Sous un nouveau soleil à son zénith nous découvrons que le tombeau est vide. Enfin, c’est dans une explosion de lumière que Jésus monte au ciel.
[1] Philippe KAENEL, professeur titulaire d'histoire de l'art, maître d'enseignement et de recherche de l’Université de Lausanne a écrit De l’édition illustrée à la bande-dessinée : réimaginer la Passion au XXème siècle, article paru dans la Revue Electronique de Littérature Française. http://www.revue-relief.org/index.php/relief/article/viewArticle/230