XIV. Homélies d'un curé de campagne

 

LA VIE ET LŒUVRE D’ADRIENNE VON SPEYR (1902-1967)

Aperçus divers

XIV

 

 

Site internet de la

Communauté Saint-Jean :

Balthasar&Speyr


 

 

 

Homélies d’un curé de campagne

avec Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar

et quelques autres

 

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Introduction

Des paroissiens m’ont un jour suggéré de mettre sur internet mes homélies du dimanche à la paroisse de Wisques; c’est ce que j’ai fait; j’ai commencé le 11 janvier 2009 et l’homélie de ma dernière messe en paroisse est celle du 2 juillet 2017. En janvier 2022, j’ai regroupé toutes ces homélies dans l’ordre de l’année liturgique en ajoutant un certain nombre de liens.

Patrick Catry

 

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AVENT

1er dimanche de l'Avent - 2e dimanche de l'Avent - 3e dimanche de l'Avent - 4e dimanche de l'Avent


 

 TEMPS DE NOËL ET DE L’ÉPIPHANIE

Nativité du Seigneur -  Dimanche de la Sainte Famille   - 1er janvier. Sainte Marie, Mère de Dieu -  Fête de l’Épiphanie - Baptême du Seigneur  


 

 CARÊME

1er dimanche de carême - 2e dimanche de carême - 3e dimanche de carême -  4e dimanche de carême  -    5e dimanche de carême - Dimanche des rameaux  


 

 TEMPS PASCAL

Pâques - 2e dimanche de Pâques -- 3e dimanche de Pâques - 4e dimanche de Pâques - 5e dimanche de Pâques - 6e dimanche de Pâques - Ascension -  7e dimanche de Pâques  - Pentecôte

 
 

     TEMPS ORDINAIRE

 Fête de la Sainte Trinité - Fête du Corps et du Sang du Christ -  2e dimanche  - 3e dimanche - 4e dimanche - 5e dimanche - 6e dimanche - 7e dimanche - 8e dimanche - 9e dimanche - 10e dimanche - 11e dimanche - 12e dimanche - 13e dimanche -  14e dimanche  - 15e dimanche - 16e dimanche - 17e dimanche - 18e dimanche -  19e dimanche  - 20e dimanche -  21e dimanche  - 22e dimanche - 23e dimanche - 24e dimanche -  25e dimanche  -  26e dimanche  -  27e dimanche  - 28e dimanche -  29e dimanche  - 30e dimanche -  31e dimanche  -  32e dimanche  -  33e dimanche  - 34e dimanche. Fête du Christ Roi de l'univers      

 
 

  SANCTORAL
 2 février. Présentation du Seigneur au temple - 24 juin. Saint Jean-Baptiste - 29 juin. Saint Pierre et saint Paul -  15 août. Assomption de la Vierge Marie  - 14 septembre. La croix glorieuse - 1er novembre. Fête de tous les saints -  2 novembre. Commémoration de tous les fidèles défunt s - 9 novembre. Dédicace de la basilique du Latran 
  

 

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AVENT

 

28 novembre 2010 - 1er dimanche de l'Avent - Année A

Evangile selon saint Matthieu 24,37-44

Premier dimanche de l'Avent. Nous sommes en marche vers la célébration de Noël. Comme disait notre première lecture : "Venez, montons à la montagne de Dieu". Nous sommes toujours en route vers la montagne de Dieu. Et l'évangile d'aujourd'hui, au lieu de nous parler de Noël, nous parle de la deuxième venue du Fils de Dieu. Nous sommes invités à entrer dans le mystère de Dieu, dans le mystère de notre vie. On peut prendre la vie comme elle vient, sans réfléchir, comme au temps de Noé : on mangeait, on buvait, on se mariait, on prenait du bon temps. Notre évangile nous dit : il n'y a pas que ça dans la vie. Qu'est-ce qu'il y a en plus dans la vie ?

Il y a en plus que le Fils de l'homme viendra et qu'il faut penser à l'accueillir. Il faut penser à lui même quand on mange, quand on boit, quand on se marie, quand on travaille ou qu'on prend du bon temps. Cela ne se fait pas tout seul. Saint Paul nous parle d'un combat, d'un combat de la lumière. Tant que le monde subsiste, il y a deux sortes d'hommes : il y a ceux qui sont touchés par la Parole de Dieu et il y a ceux que la Parole de Dieu n'atteint pas. Plus il y a d'espace pour le Christ dans les cœurs, plus les cœurs vivent dans la lumière. Dieu est Dieu et qui résiste à Dieu se fait du tort à lui-même. Celui qui murmure contre Dieu, celui qui essaie de résister à la volonté de Dieu ne sait pas ce qu'il dit, ne sait pas ce qu'il fait, parce que Dieu est Dieu. Comme disait un jour un croyant d'une autre religion que la religion chrétienne : "On ne demande pas à Dieu pourquoi il agit de telle ou telle manière". On ne demande pas à Dieu de nous rendre des comptes de ce qu'il fait.

La révélation chrétienne nous dit : le monde existe pour Dieu, le monde appartient à Dieu, et Dieu est un mystère pour le monde. Dieu est un mystère pour le monde et le premier mystère de Dieu, c'est son existence. Pour le cardinal Newman, qui était passé de l'anglicanisme au catholicisme, l'existence de Dieu était l'article de foi le plus difficile. Il disait : "De tous les articles de foi, l'existence d'un Dieu est, pour moi, celui qui soulève le plus de difficultés et celui cependant qui s'impose à nos esprits avec le plus de puissance".

Il y a des gens par exemple qui ne croient pas aux miracles. Le miracle, c'est un signe qui est donné à la foi. C'est un message de Dieu. Que faire quand il y a un message de Dieu ? "Ne pas laisser passer un message de Dieu sans l'accueillir". On n'arrive à reconnaître un miracle que par une lumière de grâce. Mais on ne peut jamais savoir si Dieu veut que tel miracle soit un signe pour tel ou tel : on n'a jamais le droit de condamner personne.

On dit parfois que si l’Église était parfaite, si tous les gens d’Église étaient parfaits, et le pape et ses prêtres, et les fidèles, si l’Église était parfaite, tout le monde se précipiterait à l'église. Il y a des gens qui pensent cela, mais ce n'est pas vrai. Le Christ était parfait, et on l'a crucifié. Comme son Époux, l’Église aussi est sur la croix. Il y a un combat de la lumière, nous dit saint Paul. Il y a un combat pour accueillir la lumière, et pour rester dans la lumière. De même il y a un combat pour la prière et pour y rester. Pour notre foi chrétienne, la prière incessante est une chose normale, elle est le but de la vie chrétienne. Cela ne veut pas dire que le croyant doit répéter tout le temps des prières. Cela veut dire que le croyant se trouve constamment devant la face de Dieu. Qu'il rie ou qu'il pleure, qu'il soit fatigué ou en forme, qu'il soit dans la tristesse ou dans la joie, la conscience de la présence de Dieu ne devrait jamais être loin.

"Tenez-vous prêts", nous dit Jésus. L'homme n'est dans le vrai que lorsqu'il vit dans la vérité de Dieu. Et cette vérité, Dieu en a fait don à l'homme par la révélation biblique (Romano Guardini, Newman, Henri de Lubac, Cardinal Danneels, Alexandre Men, AvS, HUvB).

 

1er décembre 2013 - 1er dimanche de l'Avent - Année A

Évangile selon saint Matthieu 24,37-44

"L'heure est venue, il est temps". Saint Paul nous le dit aujourd'hui, et aussi l'évangile que je viens de lire. Il est toujours grand temps de sortir de notre sommeil... C'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra. Il y a beaucoup de manières de dormir. Il y a beaucoup de manières de dormir quand le Seigneur passe. On ferme les yeux, on ferme les oreilles, on ferme son cœur, on ferme son intelligence aux choses de Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire fermer son cœur à Dieu, c'est lui désobéir. Et si on se ferme à Dieu à double tour, nécessairement, un jour ou l'autre, il y a une tristesse qui sera là. Un jour, autrefois, il y a très longtemps peut-être, on a été si proche de Dieu, mais on n'a pas écouté sa voix.

Jésus était dans une synagogue un jour de sabbat. Et un homme possédé se met à crier : "Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : le saint de Dieu". Et Jésus menaça le démon : "Tais-toi et sors de cet homme". L'esprit mauvais n'est pas tué par Jésus, il est vaincu, il va ailleurs, il continuera ailleurs à combattre Dieu et à tenter les croyants et les non croyants. Quand Jésus a vu venir sa Passion, il a ressenti de l'angoisse parce qu'il s'est senti comme séparé de Dieu. Le pécheur, celui qui, volontairement, s'est éloigné de Dieu, aura peur un jour de devoir rencontrer Dieu à nouveau.

"L'heure est venue de sortir de votre sommeil", nous dit saint Paul aujourd'hui. L’heure est toujours venue. Le démon est le père du mensonge, nous dit Jésus (Jn 8,44). Le démon est le grand illusionniste. Il pousse les hommes à donner de l'importance à ce qui n'a pas d'importance. Le démon pousse à vivre dans le monde de l'apparence et du paraître. Et au contraire c'est l'Esprit Saint qui nous donne de l’attrait pour les choses de Dieu, qui nous introduit dans le monde de Dieu. Dieu ne s'introduit pas dans notre vie par effraction : il nous demande notre consentement, notre coopération. Et souvent il demande beaucoup.

Il y a une question qu'on doit poser à Dieu de temps en temps, et même peut-être tous les jours : "Mon Dieu, est-ce que tu es content de moi ?" Il y a trois ou quatre siècles, un chrétien disait ceci dans sa prière : "Mon Dieu, je ne sais pas si vous êtes content de moi, mais pour ma part j'ose dire que je suis content de vous"... C'est une belle petite prière : dire à Dieu qu'on est content de lui... Et espérer que lui aussi est content de nous.

"L'heure est venue de sortir de votre sommeil", nous dit saint Paul aujourd'hui : il est temps de sortir de votre sommeil pour vous éveiller à Dieu. S'éveiller à Dieu, c’est comme une nouvelle naissance. C'est un historien de notre temps qui raconte ça, un vrai croyant : "On entre dans la vie pour Dieu par une nouvelle naissance. On entre dans la vie éternelle par une nouvelle naissance. Il est normal que cette nouvelle naissance soit douloureuse. La vie éternelle, tu l’enfantes dans la douleur. Il est normal que la mort soit douloureuse comme l'entrée dans al vie. Notre mort est une naissance en Dieu, mais c'est une naissance d'une autre nature, une naissance au-delà de la nature. Certains aujourd'hui, même des chrétiens, se mettent à croire à des réincarnations possibles. Ce sont des idées qui nous viennent des philosophies et des religions d'Asie. Ce ne sont pas des idées chrétiennes. Pour notre foi chrétienne, il n'existe pas de vie de rattrapage".

"L'heure est venue de sortir de votre sommeil"... L'heure est toujours venue, parce que dans chaque être qui grandit il y a un noyau de nuit insaisissable. Et certains se livrent à la nuit, volontairement, comme celui qui disait : "J'ai tout à fait le sens du mal et je le pratique volontiers". Mais il arrive aussi qu'on s'éloigne de Dieu d'une manière beaucoup plus insensible. Simone Weil, la philosophe française, morte en Angleterre pendant la guerre 1939-1945, qui était d'origine juive et qui était arrivée aux portes de la foi chrétienne, écrivait un jour avec une certaine férocité : "Quantité de vieilles demoiselles qui n'ont jamais connu l'amour ont dépensé le désir qui était en elles sur des perroquets, des chiens, des neveux ou des parquets cirés"... Il y a beaucoup de manières de s'endormir.

L'heure est venue... Si l'enfant prodigue n'avait pas cru à l'amour de son père, il n'aurait pas pu se mettre en route pour revenir au foyer, même si cet amour paternel le reçoit ensuite d'une manière qu'il n'aurait jamais pu rêver. L'important, c'est que le pécheur a entendu parler d'un amour qui pourrait le concerner. (Avec Jean Daniélou, Claude Tresmontant, Bourdaloue, Pierre Chaunu, Michel Laroche, Régis Debray, Simone Weil, AvS, HUvB).

 

27 novembre 2016 - 1er dimanche  de l'Avent - Année A

Évangile selon saint  Matthieu 24,37-44

L'avènement du Christ, sa venue sur terre il y a deux milles ans, concerne tous les vivants, qu'ils le sachent ou non aujourd'hui. Toutes les nations sont convoquées à la montagne du Seigneur, comme le disait notre première lecture. Saint Paul, lui, nous invitait à revêtir le Christ, c'est-à-dire à nous laisser christifier si on peut dire, c'est-à-dire à devenir davantage chrétiens.

En ce premier dimanche de l'Avent, nous commençons notre marche vers Noël, vers la célébration de la naissance de Jésus il y a deux mille ans, vers la célébration de la première venue de Jésus. Le petit Jésus dans une mangeoire et la crèche de Noël, c'est charmant. Mais la longue réflexion des chrétiens depuis deux mille ans nous fait lire aujourd'hui un évangile qui évoque une autre venue de Jésus, pour nous donner à penser au sérieux infini de cette venue de Jésus il y a deux mille ans. L'évangile d’aujourd’hui évoque une autre venue de Jésus, la grande rencontre que fera un jour tout être humain avec le Seigneur Jésus. A propos de cette rencontre, notre évangile ne nous dit qu'une chose : "Tenez-vous prêts". Nous allons tous à la rencontre du Seigneur Jésus. Une rencontre dont les circonstances ne nous sont pas connues et pour laquelle Jésus nous dit simplement : "C'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra". La meilleure manière de se préparer à cette grande rencontre, c'est de faire la volonté du Père.

Le bienheureux John Henry Newman faisait parler ainsi le Christ : "Bien peu seront prêts à m'ouvrir immédiatement lorsque je frapperai à la porte. Ils auront toujours quelque chose à faire avant d'ouvrir. Ils sont satisfaits d'être sur cette terre, ils ne souhaitent pas aller ailleurs, ils ne veulent pas changer".

Le mystère suprême du Père, créateur du monde, c'est la puissance qu'il a laissée au diable pour séduire les hommes. Dieu aurait été assez puissant pour faire briller partout sa lumière, pour ne pas laisser le mal s'établir ou pour simplement l'étouffer. Qu'il ne l'ait pas fait est ce qu'il y a en lui de plus impénétrable. Mais les hommes devaient être libres, ils n'ont pas été créés tout faits, il leur fallait grandir eux-mêmes pour s'approcher de Dieu. Dieu ne voulait donner son ciel qu'à des fils adultes. Cet espace de liberté que Dieu offre à l'homme renferme les ténèbres de Dieu et le moyen de pécher, de s'éloigner de Dieu. Mais les ténèbres de Dieu, elles aussi, sont un mystère d'amour. Dieu respecte la liberté de l'homme dans ce qu'elle a de plus intime. Dieu ne veut pas s'imposer à l'homme, il ne révèle pas son nom de lui-même en quelque sorte, il attend qu'on désire le connaître, il attend qu'on le cherche.

Mais nous vivons dans un monde où l'on pratique le harcèlement religieux qui vaut le harcèlement sexuel. Il y a un certain nombre d'années déjà, un prêtre vivant au milieu de jeunes leur expliquait le harcèlement auquel ils étaient exposés, afin de les prémunir et de les rendre plus forts.  Il disait : "On va te dire : Tu parles de Dieu : tu es ringard. Tu veux respecter l'amour : tu es puceau. Tu défends la vie : tu es demeuré. Tu pries : tu es bon pour l'hôpital psychiatrique. Tu crois : tu déconnectes".

La foi ne peut être qu'une réponse de l'homme à l'initiative de Dieu qui se révèle, la foi implique une décision de la volonté libre. Mais pour se décider à engager sa vie dans la foi, ou pour se décider à s'engager plus profondément dans la foi, il faut découvrir qu'il y a dans la foi quelque chose de savoureux. Françoise Dolto était psychanalyste. Elle travaillait donc dans un milieu où l'on fait totalement abstraction de Dieu. Ce n'est qu'à l'époque où François Dolto a cessé son activité psychanalytique qu'elle a manifesté en long et en large sa foi chrétienne dans deux livres au moins.  Et elle disait : "Sans la foi, je n'aurais jamais pu faire ce métier".

De quoi Jésus nous parle-t-il ? Il nous parle d'un accès à Dieu qui ne peut être rendu possible que par sa grâce. Et donc le message de Jésus concerne avant tout Dieu lui-même. Son message nous parle de Dieu. Mais ce message entraîne immédiatement des consignes pour l'homme. Jésus invite l'homme à accueillir ce que Dieu seul peut donner. Et Dieu est prêt à le donner à celui qui choisit de s'ouvrir à sa venue.

En ce premier dimanche de l'Avent, nous commençons une marche vers Noël, pour célébrer en quelque sorte l'anniversaire de la naissance du Seigneur  Jésus. Et, dans un premier temps, la foi que Jésus demande aux siens n'est pas dirigée sur lui, mais sur Dieu, le Père invisible, dont il parlait toujours. C'est après la résurrection de Jésus, quand les premiers disciples ont compris que Jésus lui-même était Dieu, surtout avec saint Paul et saint Jean, que les chrétiens se sont adressés à Jésus comme ils s'adressaient à Dieu le Père invisible. Si bien que le Notre Père que Jésus avait enseigné autrefois à ses disciples, ils auraient pu très bien l'adresser alors à Jésus lui-même : Notre Père qui es aux cieux... Seigneur Jésus qui es aux cieux... Que ton nom soit sanctifié... Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel... (Avec Newman, Jacques Loew, Daniel-Ange, Georges Cottier, Françoise Dolto, Joseph Doré, AvS, HUvB).

 

27 novembre 2011- 1er dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Marc 13,33-37

Saint Marc est le plus court de nos quatre évangiles. Il nous donne aujourd'hui un exemple de sa brièveté. Il y a un mot qui revient trois fois en quelques lignes. L'homme qui est parti en voyage a recommandé au portier de veiller. Conclusion : Veillez, car vous ne savez pas quand le maître de maison reviendra. Et enfin, à la dernière ligne : Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! Personne ne choisit le moment où le maître de maison va revenir. Que faire en attendant ? Saint Paul nous le disait dans notre première lecture : Vivre dès aujourd'hui en communion avec le Seigneur Jésus.

Saint Pierre nous dit dans sa première lettre que Dieu nous a donné une vivante espérance par la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts, pour un héritage qui nous est réservé dans les cieux (1 P 1,3-4). Autrement dit, Dieu a déposé dans le cœur des croyants la semence d'une promesse. Notre état d'aujourd'hui ressemble alors à l'état d'une grossesse : l'enfant qui doit naître plus tard est déjà là et il a déjà dans le corps de sa mère une vie propre et réelle.

L'Esprit Saint éveille au fond des cœurs le désir de Dieu, le désir de sa rencontre. Il y a une nostalgie de Dieu qui ne cesse de sous-tendre toutes les activités de l'homme, même celles qui paraissent d'abord s'éloigner le plus de lui. Il y a une grâce prévenante de Dieu qui ne se lasse pas de rechercher l'humanité à travers toute son histoire. Le Seigneur ne cesse de lui ouvrir les bras, l'Esprit Saint ne cesse de la pousser sans jamais la contraindre. Ce qui nous a été donné une fois pour toutes par le baptême, c'est la communion avec Dieu. Il faut maintenant que ça se prolonge tout au long de notre vie par notre libre adhésion. C'est à cela qu'il faut veiller.

Comment faire pour veiller ? Par exemple comme ceci : "Quand je rencontre, au cours d'une visite pastorale (c'est le cardinal Barbarin qui raconte ça), des groupes d'enfants, je leur dis devant les parents et leurs catéchistes : le matin, quand tu te réveilles, commence par faire le signe de la croix. Avant de prendre ta douche ou ton petit déjeuner, donne à Dieu la première place. Tu peux demander à ta maman qu'elle te le rappelle". C'est notre évangile : Je le dis à tous, ayez le cœur éveillé.

Et que fait le cardinal Barbarin le soir avant de se coucher ? Ils nous le raconte lui-même. "Chaque fois que j'entends la question de l'avenir du christianisme au XXIe siècle, je sens pointer un brin d'angoisse. Les effectifs ont baissé, les évêques n'ont plus beaucoup de séminaristes, etc. A cette interrogation, saint Paul donne une réponse chrétienne simple et profonde. C'est un texte que je lis tous les soirs avant de me coucher : Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; laissez-moi vous le redire : Soyez dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien (Ph 4,4-6). Puis saint Paul invite à la prière : En toutes circonstances, dans l'action de grâce, priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, gardera votre cœur et votre intelligence dans le Christ Jésus".

Le dernier mot de notre évangile d'aujourd'hui, c'est : "Je le dis à tous : Veillez". Ce ne sont pas nos fautes et notre orgueil qui intéressent Dieu, mais notre regret et notre humilité. Comment faire pour veiller ? On trouve ça dans la tradition juive comme dans les écrits chrétiens. Comment faire pour veiller ? S'exercer à demeurer uni à Dieu en traitant des choses matérielles. C'est vite dit, mais le premier mot nous dit aussi que c'est un labeur, que c'est une conquête : il faut s'exercer à demeurer uni à Dieu. C'est cela, veiller.

Alors là, il y a une question qui revient sans cesse : Pourquoi Dieu se révèle-t-il si peu ? L'Abbé Pierre aussi entendait la question et il essayait d'y répondre. Pourquoi Dieu se révèle-t-il si peu ? L'Abbé Pierre disait : "Si Dieu se révélait à nous totalement, si nous pouvions le connaître en pleine lumière, alors on ne pourrait que l'aimer. C'est la raison pour laquelle il a voulu nous créer en se voilant à nous. Nous ne voyons pas Dieu. Nous ne pouvons le connaître que de manière indirecte. C'est cette part importante d'obscurité qui nécessite la foi. Toute la grandeur de l'homme, c'est de pouvoir aimer Dieu dans la foi, sans le toucher, sans le voir, sans le connaître directement. Alors sa liberté est totale". Il faut veiller dans la foi, tenir sa foi éveillée.

Par le Seigneur Jésus, le règne de Dieu est en train d'arriver. A tous ceux qui acceptent son message, même aux égarés, il ouvre l'accès à Dieu comme à un Père très aimant (Avec Louis Bouyer, saint Maxime le confesseur, Cardinal Barbarin, Y. Létondot, Abbé Pierre, AvS, HUvB).

 

30 novembre 2014 - 1er dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Marc 13,33-37

Il y a un homme qui est parti en voyage. Et avant de quitter sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs. Cet homme qui est parti, c'est le Seigneur Jésus. Il a confié sa maison à ses serviteurs, à tous ceux qui croient déjà en lui. Et il va revenir un jour, on ne sait pas quand. Alors il nous donne une consigne : Soyez vigilants. Faites le travail que je vous ai confié. Que vos esprits ne soient pas fermés aux choses du ciel en accordant un soin excessif aux choses de la terre.

Tous les hommes, dès leur naissance, sont en marche vers la maison de Dieu, vers la maison d'éternité. Soyez donc vigilants. Vous ne savez pas quand le maître de maison va revenir. Ne faites pas comme le pécheur impénitent qui se dit toujours : "Plus tard, je me repentirai". Il ne faut pas que le maître de maison vous trouve endormis.

Il y a eu une venue unique du Seigneur Jésus à Noël, il y a deux mille ans. Il y a une venue unique du Seigneur Jésus dans chaque vie d'homme pour l'emmener avec lui de ce monde à son Père. Et il y a d'innombrables venues possibles du Seigneur Jésus dans chacune de nos vies.

Voilà saint Pierre : il était bien tranquille avec son métier de pêcheur du lac de Tibériade. Et voilà que le Seigneur Jésus lui demande de laisser tomber ses filets de pêcheur et de se mettre à le suivre. Et pas pour peu de chose, mais pour devenir la tête de l’Église. "Comment moi, pauvre pêcheur du lac de Tibériade, je vais m'en sortir avec une mission pareille ?" Jésus ne lui dit pas tout, tout de suite. C'est seulement après une longue fréquentation du Seigneur Jésus, jour et nuit, qu'un jour saint Pierre pourra lui dire : "Nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu. Tu as les paroles de la vie éternelle".

Il y a peu de temps encore, le plus important au monde pour Pierre, c'était son travail, sa patrie, sa vie au milieu des siens. Maintenant le plus important pour lui, c'est l'amour du Seigneur Jésus pour lui et son amour pour le Seigneur Jésus. "Tu es celui par qui nous sommes prêts à accepter tout ce que Dieu a prévu pour nous. En toi, tout est saint, parce que tout vient de Dieu".

"Vous ne savez pas quand le maître de maison va revenir dans votre vie", nous dit Jésus aujourd'hui. Le maître de maison est venu au bord du lac pour prendre saint Pierre dans ses filets. C'était une première venue de Jésus dans la vie de saint Pierre. Il y en aura bien d'autres, et saint Pierre devra aller d'approfondissement en approfondissement dans la connaissance du Seigneur Jésus. Et le dernier approfondissement sera quand le Seigneur Jésus fera entrer saint Pierre dans la maison du Père. Nous savons que nous sommes faits pour cette maison du Père; mais croire en l'immortalité est une chose, être pressé d'y entrer définitivement en est une autre.

Dans chaque vie humaine, il y a normalement beaucoup de venues du Seigneur Jésus, si on ne lui ferme pas la porte a priori. Chaque eucharistie aussi est une venue du Seigneur Jésus dans nos vies. Quand nous communions, nous avons l'impression de recevoir le Seigneur Jésus mais, en fait, c'est le contraire qui se passe. C'est au plus grand d'absorber le plus petit. Cependant, grâce à ce "stratagème" si on peut dire, grâce à cette sorte de ruse divine, le Seigneur Jésus nous unit à lui... en attendant une dernière venue, définitive.

Évidemment, je peux lâcher la main de Dieu, mais lui ne va jamais lâcher la mienne. Une femme de notre temps raconte ceci : "Élevée dans la foi catholique et gardant au cœur une foi vive, je me suis éloignée de la pratique par manque de nourriture spirituelle, par effarement devant l'indigence de bien des homélies... J'ai préféré me tenir à l'écart et puiser, dans le silence, dans la lecture de la Bible, dans les écrits des théologiens et des mystiques de quoi édifier la maison intérieure". Il aurait été préférable, bien sûr, que cette femme de notre temps continue à se nourrir de l'eucharistie dans l’Église tout en cherchant personnellement une nourriture spirituelle complémentaire dans les théologiens et les mystiques, et la prière personnelle.

La profondeur de notre réception de l’eucharistie devant Dieu dépend de la ferveur que chacun y met. "Soyez vigilants", nous dit le Seigneur Jésus. La société de consommation répond seulement à des besoins très superficiels. Ce n'est pas elle qui nourrit l'âme. C'est pourquoi le désir religieux ne meurt pas, même s'il est parfois bien étouffé sous un tas d'immondices.

Terminer avec le cri d'horreur d'un grand croyant de notre temps, devenu cardinal vers la fin de sa vie. Il écrivait : "Malheur au chrétien qui ne se tiendrait pas chaque jour subjugué par le Seigneur Jésus" ("par l'événement qui a nom Jésus Christ"). (Avec Henri Boulad, Jacqueline Kelen, Michel Evdokimov, Christoph Schönborn, AvS, HUvB).

 

29 novembre 2009 - 1er dimanche de l'Avent - C

Évangile selon saint Luc 21, 25-28. 34-36

Saint Luc nous parle de la venue du Christ. Cela n'a pas l'air très joyeux au départ puisqu'il est question de catastrophes et d'affolements. Mais tout s'apaise quand apparaît le Fils de l'homme : "Redressez-vous, relevez la tête, votre salut est tout proche". Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que l'histoire a un sens, que la marche du temps a un sens, parce que Dieu en est le Maître... La marche de l'histoire et le sens de chacune de nos vies... On est en marche vers un royaume où il n'y a plus ni guerre, ni souffrance, ni mort. Mais cela ne se fera pas sans mal. Comme pour une naissance... avant l'invention de la péridurale.

Il y a la fin des temps et il y a la fin de notre temps. Alors Jésus nous dit : Restez éveillés, priez en tout temps. Pensez souvent à Dieu. Penser à Dieu, c'est aussi une prière. Nous ne connaissons pas l'heure de Dieu, nous ne savons pas ce qu'il nous demandera dans l'heure qui vient. Il nous est demandé de rester disponibles pour ce qu'il nous demandera. Il nous est demandé avant tout d'attendre Dieu. La sainteté, c'est cela aussi : c'est une attente de Dieu, donnée par Dieu. La sainteté vient de Dieu et retourne à lui. Il nous est demandé de ne pas opposer de résistance à l’œuvre de Dieu en nous, il nous est demandé de lui permettre de nous donner ce qui lui semble bon.

Quand saint Paul prie dans sa prison, il ne demande pas à Dieu quelque chose pour lui-même, il ne demande pas à Dieu d'être assez fort pour supporter ses souffrances. Il prie pour que ceux qui lui sont confiés deviennent forts. Saint Paul connaît la richesse de Dieu, et il demande à Dieu de les rendre forts selon la richesse de sa gloire, de les rendre forts avec la surabondance qui est la manière propre à Dieu de donner. "De Dieu jaillit la vie, et dans un seul dessein: la partager".

Question des jeunes à leur évêque (Mgr Dagens) quand ils se préparent à la confirmation... (Question des jeunes et pourquoi pas aussi des vieux) : Pourquoi vivre ? Pourquoi ne pas se donner la mort ? Pourquoi aimer la vie même quand elle est difficile ? Comment faire confiance quand on désire aimé et être aimé ? Et comment prier ? Et comment aller à la rencontre de Dieu ? Et comment connaître Jésus ?

Sainte Thérèse d'Avila, qui était une grande sainte rejoint, elle aussi ces questions d'une certaine manière. Elle disait : "Je supplie, moi aussi, le Seigneur, de me délivrer de tout mal à tout jamais. Car loin de m'acquitter de ce que je lui dois, je m'endette peut-être tous les jours davantage. Ce qui fait mon tourment, ô Seigneur, c'est que je ne puis savoir de manière certaine si je vous aime, ni si mes désirs vous sont agréables".

Jésus, le premier, a vécu de la foi. On le perçoit le mieux dans sa prière vers la fin de sa vie. Et la foi de Jésus, à ce moment-là, c'est de s'en remettre à un Autre, le Père, comme il l'appelait. "Mon âme est triste à en mourir... Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne... Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?... Non pas ma volonté, mais ta volonté"... Et qu'est ce qui s'est passé alors ? Pas une parole, pas un geste de la part de Dieu en réponse à cette prière. Jésus ne peut s'appuyer que sur sa foi, une foi qui se livre, qui se confie, qui s'abandonne.

Un homme qui croit en Dieu ne demande pas de miracles ni d'apparitions. Cependant il ne rejette pas les miracles, ni les apparitions qui se produisent. Du moins les vrais miracles et les vraies apparitions. Ce sont des encouragements de Dieu. "Restez éveillés et priez en tout temps", nous dit Jésus. Dans la vie du roi Baudouin, de Belgique évidemment, on nous raconte que chaque jour il assistait à la messe, à l'eucharistie. Et il avait entre les mains quelque chose comme un "Prions en Église" ou un " Magnificat" et il soulignait les passages qui l'interpellaient. Et l'auteur de cette biographie du roi Baudouin concluait : "Il mangeait véritablement la Parole de Dieu".

C'est la foi qui constitue le lien entre le ciel et la terre. En vivant dans la foi, nous possédons la maîtrise sur notre mort, en ce sens que la mort n'est plus une rupture mais la refonte en Dieu de notre existence. "Restez éveillés et priez, ainsi vous serez jugés dignes d'échapper à tout ce qui doit arriver" (Fiches dominicales, Pierre Gervaise, Mgr Dagens, Thérèse d'Avila, Joseph Doré, Dimitri Doudko, Philippe Verhaeghen, AvS, HUvB).

 

2 décembre 2012 - 1er dimanche de l'Avent – Année C

Évangile selon saint Luc 21,25...36

Premier dimanche de l'Avent qui nous prépare à Noël, qui nous prépare à célébrer la naissance de Jésus il y a deux mille ans. Et voilà que notre évangile nous parle d'une autre venue de Jésus : une venue fulgurante du Fils de l'homme à la fin des temps. Saint Paul nous parle aujourd'hui de cette venue en termes plus sobres : "Agissez de manière à être sans reproches devant Dieu notre Père pour le jour où le Seigneur Jésus viendra". Et l'évangile rejoint saint Paul pour nous inviter à veiller sur notre conduite : "Restez éveillés, pensez souvent à cette venue du Seigneur Jésus, priez en tout temps. Soyez debout quand le Seigneur viendra".

Quand Jésus nous parle de sa venue, il veut nous faire comprendre que cette venue est pour tous les hommes un appel de Dieu. Le plus important dans la vie des hommes, c'est cet appel de Dieu. L'antienne d'ouverture de ce premier dimanche de l'Avent le dit en termes tout simples avec la prière du psaume : "Vers toi, Seigneur, j'élève mon âme. Mon Dieu, je compte sur toi... Je lève les yeux vers toi qui te tiens au ciel". Même si on ne connaît pas l'heure de Dieu, on sait qu'elle viendra.

Tout chrétien, à un moment donné de sa vie, doit se demander à quel état de vie il est appelé. Chacun doit se mettre un jour à la disposition de Dieu. Et une fois qu'on a fait ce choix, tous les jours encore, il faut qu'on demande à Dieu ce qu'il attend de nous aujourd'hui. Les circonstances seront toujours pour nous des poteaux indicateurs.

Un psaume nous fait dire ceci : "Qu'il n'y ait point chez toi de Dieu étranger" (Ps 81,10). Ce qui peut vouloir dire : Dieu ne doit pas être pour toi un étranger. Et quand le Seigneur Jésus viendra, il viendra avec tous les saints, comme dit saint Paul. Et de cette manière, le ciel ne sera pas pour nous quelque chose d'étrange ou d'étranger, puisque nous allons retrouver tous ceux que nous avons connus et aimés, et qui sont déjà auprès de Dieu. Se pose alors la question : "Avec quelle tête et à quel âge allons-nous retrouver ceux que nous avons connus ? A deux ans ou à quatre-vingts ans ?" Saint Paul encore nous dit que nous allons les retrouver avec un corps glorieux. C'est quoi un corps glorieux ? Nous allons les retrouver avec la voix que nous avons aimée, le visage que nous avons aimé, le regard que nous avons aimé.

Il y a des gens qui vivent sans la foi et sans espérance. Mais vivre sans espérance, c'est une horreur. Et Jésus est venu nous délivrer de cette horreur, nous sauver de cette horreur. Dans les premiers temps du christianisme, une fille de seize ans, Annalia, voulait se consacrer à Dieu. Elle disait : "Je pense que c'est une béatitude de posséder Dieu".

Charles Péguy qui avait découvert, ou redécouvert, Dieu à l'âge adulte disait lui aussi à sa manière que c'est une béatitude de posséder Dieu. Péguy le dit en poète et en philosophe qui réfléchit sur le sommeil, et voici ce qu'il écrit : "Je n'aime pas celui qui ne dort pas, dit Dieu. Le sommeil est l'ami de l'homme. Le sommeil est l'ami de Dieu. Le sommeil est peut-être ma plus belle création... Celui qui ne dort pas est infidèle à l'espérance... Pauvres enfants, ils administrent dans la journée leurs affaires avec sagesse. Mais le soir venu, ils ne se résolvent point, ils ne se résignent pas à en confier le gouvernement à ma sagesse... Comme si je n'étais pas capable, peut-être, de m'en occuper un peu"... Le sommeil est peut-être ma plus belle création, dit Dieu".

Notre vie est une somme de petits pas, de travaux quotidiens, le plus souvent insignifiants... Et toujours on voudrait faire ce qu'on aimerait mieux éviter : l'enfant doit aller à l'école et il vit dans l'attente de la récréation... L'étudiant attend l'heure de l'activité professionnelle... Le travailleur attend le soir ou le week-end… Les joies familiales sont achetées au prix de combien de sacrifices et de renoncements ? Et il y a Quelqu'un qui rassemble toute la dispersion apparente de notre existence. Si nous sommes réellement aimés par le Père, nos cheveux sont comptés par lui. Et avec tout l'amas de décombres que constitue finalement toute vie humaine il va faire un édifice habitable. Un jour, nous verrons en Dieu notre vie unifiée et nous reconnaîtrons alors pour la première fois ce que nous aurions toujours voulu être. (Avec Martin Buber, Luc Ferry, Péguy, AvS, HUvB).

 

29 novembre 2015 - 1er dimanche de l'Avent - Année C

Évangile selon saint Luc 21,25-28.34-36

Avec la troisième année du cycle liturgique de trois ans - l'année C -, nous ouvrons aujourd'hui l'évangile de saint Luc dont nous lirons l'essentiel tout au long de cette année. On ne commence pas par le début, mais en ce temps de l'Avent, nous ouvrons l'évangile là où Jésus nous parle de sa venue à la fin des temps. Le temps de l'Avent nous prépare à célébrer l'anniversaire de sa première venue, de sa naissance. Mais à l'horizon, il y a cette venue du Seigneur Jésus à la fin des temps, et la fin des temps, c'est la fin du monde, mais c'est aussi le terme de chacune de nos vies.

Jésus nous parle de sa venue en termes d'apocalypse : de grands signes dans le soleil, la lune et les étoiles, le fracas des mers et des tempêtes. On peut transposer ça dans chacune de nos vies : dans quelle vie n'y a-t-il pas un jour ou l'autre des fracas et des tempêtes, autrement dit des avertissements, des invitations à voir plus loin que le bout de son nez et de la vie présente ? Et la conclusion en est - la morale de l'histoire en est - ce que le Seigneur Jésus nous dit en termes clairs : "Tenez-vous sur vos gardes... Restez éveillés (gardez votre cœur éveillé) et priez en tout temps... Soyez prêts à recevoir le Fils de l'homme quand il viendra, soyez debout".

Un abbé de monastère au Moyen Age, le bienheureux Guerric (du monastère d'Igny, près de Reims) exhortait ses frères à préparer constamment le chemin du Seigneur Jésus. Il leur disait : "Même si vous êtes beaucoup avancés sur ce chemin, il vous reste toujours à le préparer afin que, du point où vous êtes parvenus, vous alliez toujours de l'avant, toujours tendus vers ce qui est au-delà". Et le bienheureux Guerric suggérait de reprendre souvent la prière d'un verset de psaume : "Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes volontés".

La prière est comme une aumône qu'on fait à Dieu ; on sait seulement qu'il en a un urgent besoin pour la partager aussitôt comme il l'entend. On ne peut pas donner quelque chose à un  mendiant en lui prescrivant de ne l’utiliser que selon nos désirs. Ce qu'on lui donne lui appartient. Qu'il en achète de la nourriture ou un manteau, qu'il le gaspille ou qu'il le donne à quelqu'un d’autre, c'est son affaire. Quand Dieu accueille nos prières, il est comme un divin mendiant qui fait ce qu'il veut de nos petites pièces ou des grosses, des petites ou des grandes prières.

"Tenez-vous sur vos gardes, nous dit Jésus. Restez éveillés". C'est comme une évidence. Les spectateurs du Bataclan, le vendredi 13, étaient là pour un moment de détente. Et un fracas de tempête est tombé sur eux sans préavis. Le Père Loew disait : "Nous vivons dans un monde dur où le sang est versé à flots, avec toute la profusion des moyens de l'homme moderne : la société de consommation est une consommatrice de sang". Dieu est réellement présent dans le devoir d'état. Et notre tâche, ce peut être aussi à l'occasion  le devoir de se détendre et d'assister à un spectacle ou à un concert. Nous devons avoir la fierté de notre tâche comme de nos loisirs. Jésus disait : "Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père".

Nous sommes là une fois encore à l'exact contraire de l'homme sans Dieu, notre contemporain, notre contemporain sans Dieu qui s'est dit une fois pour toutes qu'il n'y a rien après, ni au-delà. Aussi doit-il bien profiter de son séjour terrestre, "se faire plaisir" et jouir de tout. La dimension verticale de l'homme est niée ; seul comptent l'immédiat et bien sûr le gros moi. L'être humain est prisonnier de sa condition mortelle ; il n'a pas d'autre choix que d'aménager sa prison et de s'y sentir bien.

C'est quoi la foi chrétienne alors ? Le Seigneur Jésus est venu pour nous libérer de cette prison. Il nous montre le chemin. La vie humaine a une issue. Une issue vers le haut, vers un immense Quelqu'un qui a créé l'homme et qui l'attend dans sa maison. Des sages de notre temps disent d'une manière ou d'une autre : "On ne fera jamais de la terre un paradis, mais c'est déjà quelque chose qu'elle ne devienne pas un enfer... L’État n'est pas appelé à réaliser le royaume de Dieu sur terre, mais à empêcher cette dernière de devenir un enfer".

"Tenez-vous sur vos gardes", nous dit Jésus. Dieu exige de chacun des comptes personnels sur l'utilisation de son temps. Toute l'humanité se trouvera un jour devant le tribunal de Dieu : ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas. Chacun ne peut opérer son salut qu'en coopérant au salut de tous. Mais ce n'est pas en s'occupant uniquement du salut des autres et en oubliant sa propre existence qu'on va faire son propre salut ; il ne suffit pas non plus de travailler purement et simplement au bien-être du monde; il y a toujours aussi un devoir de se réformer soi-même. (Avec Bienheureux Guerric d’Igny, Jacques Loew, François Varillon, Jacqueline Kelen, Gustave Thibon, Paul Evdokimov, AvS, HUvB).

 

5 décembre 2010 - 2e dimanche de l'Avent - Année A

Evangile selon saint Matthieu 3,1-12

Aujourd'hui, dans notre marche vers Noël, apparaît le personnage de Jean-Baptiste. Jean-Baptiste, ce n'est pas le clinquant, ni la consommation. Il est habillé comme un va-nu-pieds et il n'a rien pour attirer les foules, et pourtant il y a des foules qui vont vers lui. Pourquoi ? Parce qu'il avait quelque chose à dire aux gens de la part de Dieu. Et les gens sentaient bien qu'il y avait une parole de Dieu dans la bouche de Jean-Baptiste.

Que disait Jean-Baptiste à tous les gens qui allaient le voir ? Il leur disait deux choses. D'abord, reconnaissez vos péchés ; demandez à Dieu où sont vos vrais péchés, et puis demandez-lui pardon, et à l'avenir faites tout le bien que vous pouvez. D'abord reconnaissez vos péchés. Et ensuite, je veux vous dire qu'après moi arrive quelqu'un qui est beaucoup plus grand que moi. Et lui aussi, il va manier le balai, il va faire le tri dans vos vies : il va brûler ce qui ne vaut rien devant Dieu. Mais ce qui est valable devant Dieu dans vos vies, il va le recueillir dans ses greniers. Le royaume des cieux, le royaume de Dieu est tout proche.

C'est pour nous aussi que parle Jean-Baptiste. La confession, c'est une image du purgatoire. Avant d'être admis dans le royaume de Dieu, on doit faire l'aveu ultime et définitif de ses fautes. L'homme est responsable de ce qu'il fait de son existence. Et beaucoup d'hommes se conduisent comme des irresponsables. Ils sont indifférents à ce qui se passe en eux. Ils passent à côté de l'essentiel. Ils se laissent vivre comme ils peuvent au gré des hauts et des bas de l'existence. Il y a en eux quelque chose d'irresponsable. Saint Jean-Baptiste nous dit aujourd'hui qu'un jour Dieu va faire le ménage. Et Jean-Baptiste nous dit qu'il vaut mieux ne pas attendre et qu'il vaut mieux faire le ménage soi-même.

Une grande partie du ménage est faite quand on sait que le seul vrai sens de la vie humaine, c'est la communion avec Dieu, la communion avec celui qui va venir et qui baptise dans l'Esprit Saint, comme dit Jean-Baptiste. Vivre en communion avec Dieu ici-bas, dès maintenant, ce n'est jamais fini. L’Église, comme chaque chrétien, est sans cesse en approfondissement du mystère du Christ. Les disciples du Christ devraient être aussi compétents dans les choses de la foi qu'ils le sont dans les choses profanes, ni plus ni moins.

La recherche incessante de la communion avec Dieu fait partie aussi de la conversion, de la conversion incessante vers Dieu. On peut se faire des illusions sur sa propre conversion : c'est ce que Jean-Baptiste disait aux pharisiens et aux sadducéens : "Espèces de vipères", leur disait-il gentiment. Vous ne savez pas ce que vous faites, mais le jugement de Dieu sera le moment où toute équivoque sera ôtée. Le temps présent est le lieu de la croissance de l'amour humain pour Dieu. L'homme est tout autant temporel que tendu vers l'éternité, vers Dieu. Le temps d'aujourd'hui n'a de sens que s'il est le lieu, l'occasion d'un mouvement vers la plénitude de l'éternité de Dieu.

Un auteur juif contemporain, poète français reconnu, raconte son enfance. Le jour du sabbat, avec Léopold, son grand-père maternel, il allait à la synagogue. Son propre père n'y mettait jamais les pieds, ou le moins possible. "Mon grand-père savait par cœur des pages entières de prières en hébreu classique auxquelles il ne comprenait pas un mot. Il fallait se lever, s'asseoir, se lever, s'asseoir... Je lui demandais alors pourquoi il fallait se lever ou s'asseoir. Et comme il ne connaissait pas la raison précise de ces rites, il me répondait : 'Il le faut... Parce que ça, c'est important !' Argument décisif ! Il vivait dans une profonde fidélité à la foi de ses ancêtres, à ce monde englouti dont il ignorait totalement la pensée et l'histoire prodigieuses". On ne peut plus vivre de la foi aujourd'hui comme le faisait le grand-père de Claude Vigée... Les disciples du Christ devraient être aussi compétents dans les choses de la foi qu'ils le sont dans les choses profanes... Il est compréhensible qu'un père de famille de quarante ans ne puisse se libérer tous les soirs pour se joindre à une assemblée de prière. Mais une vie chrétienne qui ne reste pas branchée sur la prière devient vide. La prière est la première œuvre de l’Église.

Terminer avec Georges Bernanos. "Le pécheur, c'est celui qui a renoncé à la quête d'une vraie réalité, c'est celui qui connaît le morne ennui d'une vie sans Dieu". (Avec Nicolas Cabasilas, Boris Bobrinskoy, M.-C Bernard, Dumitru Staniloae, Claude Vigée, Andrea Riccardi, Georges Bernanos, AvS).

 

8 décembre 2013 - 2e dimanche de l'Avent - Année A

Évangile selon saint Matthieu 3,1-12

Tout l'Ancien Testament prépare la venue du Messie. Et à la fin de l'Ancien Testament, Jean-Baptiste arrive, envoyé par Dieu, pour dire aux Juifs d'abord que le Messie est tout proche. Mais Jean-Baptiste nous le dit à nous aussi aujourd'hui, il le dit à tous les croyants et aux hommes du monde entier : le Messie est tout proche. Et Jean-Baptiste exhorte ses auditeurs à préparer leurs cœurs en les débarrassant de tout ce qui les encombre.

On venait de loin pour écouter Jean-Baptiste. Il y avait même des gens qui venaient de Jérusalem, des bien-pensants : pharisiens et sadducéens. Jean-Baptiste aurait pu se prendre pour quelqu'un. Mais son rôle est d'annoncer surtout celui qui vient après lui et qui est plus grand que lui : le Messie justement.

Certains se demandaient si Jean-Baptiste lui-même n'était pas le Messie. Et Jean-Baptiste met les choses en place : le Messie n'est pas loin, préparez vos cœurs. Jean-Baptiste n'est pas le Messie, il n'est que le précurseur. Il est content de ce que Dieu lui donne. Mais il parle fort, ça ne plaira pas à tout le monde, et pour cela, un beau jour, on lui tranchera la tête. Comme Jean-Baptiste, nous devrions demander dans notre prière que tout ce que nous faisons renvoie à Dieu et le manifeste, pour sa plus grande gloire. Jean-Baptiste, c'est la définition du saint : il veut ce que Dieu veut, il ne cesse de se jeter dans l'abîme de Dieu. C'est ce que nous essayons de faire dans la prière.

Nous devrions toujours être persuadés, comme d'une évidence, qu'on parle vraiment à Dieu, que Dieu est là et qu'il entend, qu'il reçoit la parole qu'on lui adresse et qu'il y répond. Et cette parole qu'on adresse à Dieu, elle peut être simplement dite au fond du cœur, sans bruit de paroles. Mais elle est dite et Dieu l'entend. Et quand on prend le temps de prier une demi-heure ou une heure, comme à la messe le dimanche, on assume l'effort d'éviter les distractions, et c'est un sérieux devoir. La distraction, en soi, n'est pas un péché. On ne peut pas empêcher notre esprit d'aller voir ailleurs. Le péché commence quand on s'aperçoit qu'on est distrait et qu'on suit son chemin de distraction, volontairement. Nos distractions, nous sommes invités à les insérer dans notre prière ; nos distractions, ce sont des soucis ou des futilités ; les soucis, on les confie à Dieu ; les futilités, ce sera pour plus tard.

Un homme de notre temps, qui est mort maintenant, qui était écrivain et qui a joué aussi un rôle dans la société, disait ceci, un jour qu'on essayait de le faire parler de sa foi chrétienne : "Tous les matins, je lis un passage de l’Évangile et un fragment de la Bible. Je me récite les béatitudes ; je ne voudrais pas commencer autrement la journée". (Et puis il prie un peu devant une reproduction de la Sainte Face du suaire de Turin)... Et il ajoute : "Je ne pourrais pas mener ma vie d'homme public, d’écrivain, d'homme responsable, d'homme qui essaie d'avoir des activités bénévoles, d'aider les autres, non, je ne pourrais pas la mener un seul jour dans cette folie frivole et pathétique qu'est Paris, si je ne prenais pas tous les matins ce grand bain de Dieu".

Mais il explique aussi que pour lui, comme pour tout croyant, la prière ne va pas de soi, elle n'est pas toujours certitude radieuse, mais souvent effort et recherche laborieuse. La première prière, dit-il, c'est : "Apprends-nous à prier". Et il en appelle au curé de Torcy dans le "Journal d'un curé de campagne", de Bernanos. Ce curé conseillait à son jeune confrère de s'appliquer à la prière comme un écolier à ses devoirs, en tirant la langue.

Dans l'évangile tout à l'heure, on a entendu une homélie de Jean-Baptiste. Cela commençait bien : "Espèces de vipères", disait-il à ses auditeurs. Et ses auditeurs en redemandaient. Jean-Baptiste essayait de transmettre sa foi. Avec ses paroles d'homme du désert, il osait placer d'autres hommes devant le fait que l'amour tout-puissant de Dieu les concernait eux aussi.

Jean-Baptiste parlait de l'amour de Dieu avec la rudesse d'un homme du désert. Il parlait plutôt de la colère de Dieu et que le Messie allait faire le ménage entre le bon grain et la paille qui est bonne à être brûlée. Dieu est amour. Beaucoup de chrétiens, beaucoup de baptisés, ne croient pas à l'amour personnel de Dieu. Et ils se justifient en disant : "Si Dieu nous aimait, cela se saurait".

Le Père Ganne, un jésuite, raconte qu'un jour un "brave type", comme il dit, lui avait posé la question : "Comment savez-vous que Dieu nous aime ?" Le Père Ganne ne nous dit pas ce qu'il a répondu. Pour aimer, il faut au moins être deux. Et il faut qu'il y ait une correspondance entre les deux. Marie Noël nous donne une réponse à la question du "brave type" ; elle dit à Dieu dans sa prière : "Je laisse couler mon cœur en vous, comme un vase tombé dans l'eau de la fontaine, et que vous remplissez de vous-même sans nous".

Jean-Baptiste annonce la venue du Messie. Les chrétiens ne sont pas les partisans de Jésus, ce sont ceux pour qui Jésus est le Christ, le Messie. Ils croient qu'avec lui Dieu a offert aux hommes non pas quelque chose mais la réalité ultime, le fin fond du sens de toutes choses. Et accepter ce don, cela veut dire, sans qu'il soit besoin de beaucoup réfléchir, y répondre par l'amour dans toute son existence. (Avec Gilbert Cesbron, Karl Barth, Pierre Ganne, Marie Noël, AvS, HUvB).

 

4 décembre 2016 - 2e dimanche de l'Avent - Année A

Évangile selon saint  Matthieu 3,1-12

Le Fils de Dieu n'est pas arrivé dans le monde sans préparation. Personne n'aurait pu comprendre. Dieu est venu à nous en nous envoyant d'abord des messagers dont le rôle était d'annoncer sa venue future. Ces messagers, c'est d'abord le peuple d'Israël et toute son histoire, des siècles et des siècles de préparation. Isaïe est un messager de Dieu, Jean-Baptiste est un messager de Dieu. Et après la venue sur terre du Messie, Dieu continuera d'envoyer des messagers. Saint Paul est un messager de Dieu. Tous les saints et toutes les saintes de Dieu depuis deux mille ans sont des messagers de Dieu. Chacun à sa manière, par sa vie simplement ou aussi par ses écrits, a quelque chose à nous dire de la part de Dieu.

Et que nous disent tous les messagers de Dieu d'une manière ou d'une autre ? Ils nous disent: "Empresse-toi de plaire à Dieu, attends-le sans cesse dans ton cœur, cherche-le par tes pensées, cherche-le dans tes rencontres, cherche-le dans ta prière, cherche-le à l'église, cherche-le dans ta maison. Dès qu'il aura vu ta ferveur à le chercher et l'espérance inlassable que tu lui portes, il t'instruira, il t'apprendra la prière véritable, il deviendra tout pour toi".

Et que nous dit Jean-Baptiste aujourd'hui ? Il nous dit la même chose, mais à la manière d'un homme qui a vécu longtemps dans le désert, un homme rude : "Préparez le chemin au Seigneur, aplanissez sa route"... Ouvrez votre cœur pour qu'il puisse venir vous visiter. Jean-Baptiste sait qu'il doit annoncer la venue du Messie. Et il imagine ce Messie comme un homme qui va lui ressembler, une espèce d'homme rude du désert : "Il tient en main sa pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, il va faire le tri entre le bon grain qu'il va garder et la paille qu'il va brûler". Saint Jean l'apôtre, après avoir vécu plusieurs années en la compagnie du Seigneur Jésus dira les choses autrement. Il dira : "L'heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité. Le Père cherche de tels adorateurs" : ce sont des paroles que Jean l'évangéliste met sur les lèvres de Jésus. C'est un autre climat que celui de Jean-Baptiste.

Dans l'homme créé, le premier balbutiement de l'enfant est pur ; c'est une parole qui est auprès de Dieu avant que s'éveillent l'égoïsme et la concupiscence. Et puis la dernière parole de l'homme, son dernier soupir quand il s'abandonne et dépose son égoïsme et son mensonge pour retourner à Dieu, cette dernière parole de l'homme est à nouveau une parole pure parce qu'elle s'exprime en Dieu. C'est un retour à la première parole balbutiée par l'enfant. Ces deux paroles sont prononcées dans la faiblesse, dans l'impuissance face à l'amour de Dieu. Il y a une venue de Dieu dans le monde tout au long des siècles, il y a une venue du Fils de Dieu il y a deux mille ans, il y a une venue de Dieu en chacune de nos vies,  de la naissance à la mort.

Et pourquoi Dieu vient-il dans le monde ? La plus belle image de ce que Dieu veut faire en venant dans le monde des hommes, c'est le mariage : le mariage qui est le don des cœurs passant par le don des corps. La plus belle image de ce que Dieu veut en venant dans le monde, c'est d'instaurer avec l'humanité et avec chaque être humain un lien dont le plus beau symbole est celui du mariage : le don des cœurs passant par le don des corps. "Face à cette venue de Dieu dans le monde, en face de l’Évangile, ce n'est pas d'être peu nombreux qui est grave, c'est d'être immobile ou de marcher comme des vieillards". C'est Madeleine Delbrel qui disait cela, elle qui travaillait dans le social en pleine banlieue rouge parisienne : "En face de cette venue de Dieu dans le monde, en face de l’Évangile, ce n'est pas d'être peu nombreux qui est grave, c'est d'être immobile ou de marcher comme des vieillards".

Aujourd'hui les religions sont passées au crible de l'athéisme. "Comment croire au temps du Dieu fragile ?" C'est le titre du livre d'un croyant de notre temps qui essaie de comprendre le phénomène de l'athéisme. Ce croyant fait remarquer - ce que nous pouvons tous observer - que de la même façon qu'un enfant embrasse souvent la religion de ses parents, il hérite souvent aussi de leur athéisme ou de leur agnosticisme, de leur indifférence. Et ce croyant observe alors qu'il y a un athéisme faible qui est surtout sociologique et qui se nourrit de l'air du temps : il s'agit de ne pas dépendre d'un Dieu ou d'une Église supposés oppressants. Et là, il relève ce qu'on déjà observé dimanche dernier : "Certains jeunes croyants - quelle que que soit leur religion - n'osent pas dire leur foi, même sur un mode mineur, dans la crainte de la dérision, voire du mépris du groupe".

Saint Augustin, il y a très longtemps, a mis de longues années avant de découvrir vraiment la foi chrétienne. Il réfléchissait beaucoup, il cherchait beaucoup dans les courants religieux de son temps. Puis un beau jour, ou petit à petit, il a découvert vraiment le christianisme. Et en réfléchissant à son parcours qui était parti de vagues croyances pour arriver à la foi chrétienne, il disait plus tard que, s'il a découvert Dieu un jour datable, plus profondément Dieu était déjà en lui, c'était lui seulement qui sommeillait.

Jean-Baptiste, c'est l'homme du désert. Tout homme qui veut vivre en chrétien doit passer nécessairement aussi, un jour ou l'autre, par le désert, c'est-à-dire passer par une certaine mort dans sa relation avec Dieu. Tous les envoyés de Dieu viennent du désert d'une certaine manière. Le Seigneur Jésus a vécu trente ans de vie cachée. Jean-Baptiste vient du désert. Saint Paul a vécu trois ans en Arabie avant de commencer son ministère d'évangélisation. Un chrétien aujourd'hui peut être fatigué et découragé par le bavardage vide de prière si fréquent dans le christianisme actuel ;  si ce chrétien ou cette chrétienne sort dans le désert comme Élie, il peut se trouver soudain devant la montagne de Dieu, l'Horeb, où il a le droit de rencontrer Dieu directement pour être ensuite envoyé vers ses frères avec une nouvelle mission. (Avec Pseudo-Macaire, André Manaranche, Madeleine Delbrel, Jacques Arènes, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

4 décembre 2011- 2e dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Marc 1,1-8

"Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu"... Commencement de la Bonne Nouvelle, commencement de l’Évangile, c'est la même chose. En deux temps, trois mouvements, saint Marc nous amène à Jésus. De tout l'Ancien Testament qui a préparé la venue de Jésus, saint Marc ne retient qu'un mot du prophète Isaïe... Dieu qui dit par le prophète : "Voici que j'envoie mon messager devant toi". Pour saint Marc, ce messager, c'est Jean-Baptiste.

Et quel est le message de Jean-Baptiste ? "Voici venir après moi celui qui est plus puissant que moi". Jean-Baptiste était puissant. Des foules entières allaient lui rendre visite sur les bords du Jourdain pour se faire baptiser en reconnaissant leurs péchés. Jean-Baptiste était un homme célèbre. Et voilà ce qu'il dit essentiellement : Après moi, vient celui qui est plus puissant que moi. C'est Jésus, bien sûr, le Messie, le Fils de Dieu; c'est lui la Bonne Nouvelle dont saint Marc veut nous parler.

Pourquoi Bonne Nouvelle ? Parce que la grâce nous est venue par Jésus Christ. Il nous a apporté la vérité. Par Jésus, la Parole infinie de Dieu est devenue chair. Tout ce qui se passe dans le monde, toute parole qui est dite dans le monde, a un rapport avec la Parole infinie de Dieu. Bonne Nouvelle, pourquoi ? Parce que la Parole infinie de l'amour a retenti dans le monde. Et toute parole limitée donne à entendre la parole infinie de l'amour.

C'est quoi la Parole infinie de l'amour ? C'est par exemple celle qui dit au bandit crucifié à côté de Jésus : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis !". On voudrait bien l'entendre cette bonne nouvelle qui nous serait dite par Jésus. Bossuet a commenté cette parole de Jésus sur la croix : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis!" Et pour une fois, Bossuet a imité saint Marc et son langage concis. Voici le commentaire de Bossuet. "Aujourd'hui : quelle promptitude ! Avec moi : Quelle compagnie ! Dans le paradis : Quel repos !" "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis!" : voilà le genre de bonne nouvelle qu'on voudrait bien qu'on nous glisse un jour à l'oreille.

Mais que voulez-vous ? Les gens n'ont pas le temps, ils n'ont pas le temps d'écouter la Bonne Nouvelle de Jésus. Le vieux Karamazov, dans le roman de Dostoïevski, disait déjà cela il y a bien longtemps : "Si nous autres, nous ne croyons plus, c'est qu'on n'a pas le temps, les affaires nous absorbent, les jours n'ont que vingt-quatre heures". "On n'a pas le temps!" Mais ce n'est pas vrai. Ce qui est vrai c'est que les gens ne savent pas, ne savent plus ou n'ont jamais su qu'il pouvait y avoir une bonne nouvelle dans la foi chrétienne. Croire ou ne pas croire ! Beaucoup de gens se disent : Est-il bien raisonnable de croire ? Nous qui croyons en la force de la parole infinie de Dieu, nous posons plutôt la question : Est-il raisonnable de ne pas croire ?

Dieu est le destin du monde. Comment les gens peuvent-ils être heureux à toute épreuve en tournant le dos à ce destin du monde ? "Dieu est le destin du monde", c'est un prix Goncourt qui donnait cette définition de Dieu, Dieu qu'il avait redécouvert à l'âge adulte : Didier Decoin. Dieu, c'est la Bonne Nouvelle. Si vous lui tournez le dos, où allez-vous ? Et Didier Decoin donne cette définition dans un petit livre qu'il a intitulé : "La sainte Vierge a les yeux bleus". On n'est pas obligé de croire Didier Decoin sur ce point des yeux bleus. Mais on peut apprécier son chemin qui lui a fait découvrir à l'âge adulte que Dieu était le destin du monde, que Dieu était la Bonne Nouvelle. On lit un livre de deux cents pages sur les choses de Dieu. Il y aura peut-être pour nous dans ce livre quatre ou cinq lieux de lumière. C'est suffisant.

Le psaume dit : "Heureux l'homme qui craint le Seigneur". Craindre, c'est trembler, comme tremble la toile de tente sous l'effet du vent, comme vibre la toile de tente. Alors, "Heureux l'homme qui craint le Seigneur", cela veut dire : Heureux l'homme qui est sensible à sa présence. Heureux l'homme qui vibre au vent de l'Esprit Saint. Grâce à l'Esprit Saint il sait que l’Évangile est vraiment une Bonne Nouvelle, que la foi chrétienne est vraiment la Bonne Nouvelle du siècle présent et de tous les siècles. (Avec Bossuet, Dostoïevski, Guillaume de Menthière, Didier Decoin, AvS).

 

7 décembre 2014 - 2e dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Marc 1,1-8

Saint Marc est bref et direct. Pas de longue introduction à son Évangile, mais simplement : "Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu". Saint Marc entreprend de raconter une histoire qui donnera de la joie au cœur de ceux qui l'entendront. Il va raconter l'histoire d'un homme qui a réellement existé et qui continue à vivre à la droite de Dieu : Jésus de Nazareth. Saint Marc ne parle pas d'un mort mais d'un vivant. Il écrit après Pâques.

Il ne dit pas un mot de la naissance de Jésus, ni de sa jeunesse. Il ne parle pas des hochets du landau de la crèche ni des doudous de la poussette. Il commence son Évangile dans le désert. Le désert, c'est le lieu où l'on meurt de soif et de chaleur, un lieu où il n'y a pas grand-chose à manger. Autrement dit, c'est un lieu de combat. Et Jésus aussi commencera son ministère public en affrontant le démon dans le désert, après avoir jeûné quarante jours.

Jean-Baptiste au désert ne fait pas ce qui lui plaît. Il prend une place qui a été déterminée à l'avance, une place dans le plan de Dieu, et Jean-Baptiste a accepté cette place. Son rôle est de préparer le chemin du Seigneur Jésus. Il est une voix qui crie dans le désert : "Préparez-vous à la venue du Seigneur". Dieu pourrait préparer lui-même le chemin, mais il demande pour cela l'aide de Jean-Baptiste, et finalement l'aide de tous ceux qui croient en lui. Tous sont appelés à prêter leur concours pour aplanir la route. La coopération de tous est requise même dans les petites choses. Même ce qui est insignifiant a du sens sur le chemin de Dieu.

Et Jean baptise tous ceux qui viennent à lui. Ce baptême n'est pas une cérémonie creuse, il s'appuie sur quelque chose de très concret, sur le repentir. Le repentir n'a pas chez tous la même profondeur. Repentir et purification sont toujours liés. Et ceux qui se sont repentis conservent quand même une tendance au péché, mais il leur est permis de commencer une vie nouvelle.

C'est quoi le péché pour ces gens qui vont se faire baptiser par Jean-Baptiste ? Est-ce un péché bien précis ? Ou bien un sentiment général de ne pas correspondre à la volonté de Dieu ? Ou bien le sentiment de n'avoir pas cherché Dieu suffisamment ? Et finalement ils comprennent que le message de Jean est un message de bonheur : Jean leur montre finalement ce qu'est la foi et que leur péché, c'était de s'être tenus en dehors de la foi.

Un professeur qui enseigne l'histoire de la philosophie à l'Université nous parle de l'angoisse. Les états d'angoisse, dit-il, sont l'une des maladies les plus répandues sur la planète. Il y a différentes sortes d'angoisses : il y a celles qui relèvent de la médecine générale, de la biochimie et de la physiologie. Mais il existe aussi des causes spirituelles à l'angoisse. Et les diverses causes peuvent très bien se conjuguer entre elles. Pour l'athéisme, l'homme, tout comme le monde, n'a pas de raison d'être, n'a pas de fondement et n'a pas de but. L'existence de l'homme, comme l'existence du monde, est un surgissement inexplicable de l'être à partir du néant. Cette existence est éphémère : un bref instant entre deux éternités de néant. L'homme ne peut s'appuyer sur personne, puisqu'il n'y a personne. On comprend qu'une telle conception du monde (si elle est vraiment vécue et "réalisée") puise causer de l'angoisse, l'angoisse d'être fait pour la mort, pour le néant. L'homme est un être qui vient du néant et qui va vers le néant. C'est absurde, mais c'est comme comme ça. L'existence est absurde.

Pour nous, chrétiens, la Bonne Nouvelle, c'est qu'il y a une raison d'être au monde, c'est que le monde a un sens, le monde a un but. "Commencement de la Bonne Nouvelle", nous dit saint Marc aujourd'hui. Notre professeur d'université essayait d'expliquer une certaine angoisse d'aujourd'hui. Une femme de notre temps, fort croyante semble-t-il, dans un livre qu'elle a intitulé : "Impatience de l'absolu", rejoint notre professeur quand elle dit : "On a proclamé : Dieu est mort !, et on a voulu croire à une libération. Mais l'homme ne se porte pas bien du tout... On fait semblant d'être neutre, ni pour ni contre. Et en fait, ce qu'on appelle maintenant laïcité n'est bien souvent qu'un déguisement de la pensée athée".

Les gens vont trouver Jean-Baptiste dans le désert : pourquoi ? Celui qui, dans le prophète, reconnaît un prophète, c'est le signe qu'il est prophète, lui aussi, c'est le signe que l'Esprit de Dieu le tient dans ses bras. Et celui qui reconnaît un juste comme un juste, prouve que lui-même est juste, car les âmes qui se ressemblent se reconnaissent. Jean-Baptiste parle dans le désert et les gens vont à lui pour l'entendre, se repentir et se faire baptiser. Jean-Baptiste évangélise à sa manière, c'est-à-dire qu'il laisse passer une parole qui n'est pas de lui, mais de Dieu.

... Commencement de la Bonne Nouvelle... Le lecteur ou l'auditeur de la Parole de Dieu doit entendre ce qu'il plaît au Dieu unique de lui dire maintenant à lui, cet auditeur unique qui est doté, par la grâce, des oreilles de la foi... Il doit regarder la Parole en face, la Parole qui est le Christ et qui s'adresse à lui, non seulement dans l’Évangile, mais aussi par les paroles de l'Ancien Testament ou des apôtres, et par les événements. (Avec Fiches dominicales, Dimanche en paroisse, Claude Tresmontant, Mgr Dagens, AvS, HUvB).

 

6 décembre 2009 - 2e dimanche de l'Avent - C

Évangile selon saint Luc 3, 1-6

En ce deuxième dimanche de l'Avent, saint Jean-Baptiste entre en scène. Saint Luc prend grand soin de situer saint Jean-Baptiste dans l'histoire de son temps : qui était empereur de Rome et qui était gouverneur de Judée et qui étaient les princes de Galilée et d'Iturée et de Trachonitide et d'Abilène. N'en jetez plus. On a compris. Et qu'est-ce qui va se passer alors ? La parole de Dieu fut adressée à Jean, Jean qui allait devenir Jean-Baptiste. On ne sait pas ce que Dieu a dit à Jean-Baptiste. Ce qu'on sait, c'est que Jean-Baptiste s'est mis à appeler les gens à se convertir, à se tourner vers Dieu, à faire le bien plutôt que le mal.

Et pourquoi se convertir ? Pour que Dieu puisse venir, pour que Dieu puisse venir nous visiter. Pour que Dieu puisse venir nous visiter, il faut que la route soit praticable. Il faut aplanir la route, il faut combler les ornières, enlever les gros cailloux et les rochers, tout ce qui encombre la route. Cela permettra à Dieu de s'introduire dans nos vies, de s'y introduire un peu plus.

Et pourquoi Dieu veut-il s'introduire dans nos vies ? Pour nous faire entrer dans sa propre vie. C'était dans la prière d'ouverture de cette messe. Dieu promet un héritage à ses enfants, et cet héritage, c'est que ses enfants puissent entrer dans sa propre vie. Cet héritage promis est d'abord caché en Dieu. Il est caché en Dieu, mais par l'Esprit Saint il est communiqué à ceux qui possèdent la foi, à ceux qui ouvrent leur cœur et leur intelligence à la foi. Non pas pour les bercer dans une fausse sécurité, qui les dispenserait de tout effort, mais pour qu'ils comprennent la grandeur de leur foi et la grandeur du don de la vie que Dieu leur offre.

De même que Jean-Baptiste a annoncé la venue du Seigneur Jésus Christ, de même que Jean-Baptiste a été le précurseur de Jésus, de même on peut dire que le Seigneur Jésus a été le grand précurseur de l'Esprit Saint. Ce sont nos Pères dans la foi qui disent cela. Dieu s'est fait chair, Dieu s'est fait homme pour que l'homme puisse recevoir l'Esprit. Dieu a porté la chair pour que nous puissions être porteurs de l'Esprit. Et nos Pères dans la foi disaient : tout le but de l’œuvre du salut, tout le but du dessein de Dieu, c'est que les croyants reçoivent l'Esprit Saint... L'Esprit Saint consolateur. Pourquoi consolateur ? Parce qu'il nous "console" (si l'on peut dire) de l'absence visible du Seigneur Jésus.

Il faut donc aplanir la route, nous dit Jean-Baptiste, pour livrer passage à Dieu dans nos vies : le Seigneur Jésus et l'Esprit Saint. C'est comme ça que Dieu nous fait entrer dans sa propre vie. Jean-Baptiste avait un message de Dieu pour son peuple à lui, une parole de Dieu pour le peuple juif. Et le peuple juif, à son tour, est porteur d'une révélation pour les païens, d'une parole de Dieu pour les païens.

L'heure de Dieu dans la vie de quelqu'un, c'est l'heure de la rencontre. Dieu vient à notre rencontre dans nos vies. Et notre travail, c'est d'être là à l'heure de Dieu. Notre travail, c'est de consentir au travail que Dieu veut réaliser en nous aujourd'hui. On a le droit d'être parfois fatigué. Mais on n'a pas besoin d'être en forme pour s'offrir à Dieu, pour s'offrir à la prière. C'est quoi la prière ? Ce n'est pas nécessairement réciter des prières et beaucoup de prières. La prière, c'est avant tout une relation vivante et personnelle avec le Dieu vivant et vrai. Et une relation vivante, ça peut se faire avec des mots, mais parfois aussi sans beaucoup de paroles, sans aucune parole.

La grande épreuve des croyants, c'est que Dieu est inaccessible en quelque sorte. Dieu est inaccessible à nos sens : personne n'a jamais vu Dieu. Et la prière, c'est le moyen naturel que nous avons d'entrer en relation avec lui. Dieu nous appelle à prier pour que nous entrions en relation avec lui. Et la prière du chrétien ne consiste pas à essayer de faire l'expérience du vide comme les bouddhistes essaient de le faire. Le chrétien, comme le bouddhiste, vise aussi, d'une certaine manière, à se libérer de l'éphémère et de l'illusoire. Mais ce n'est pas pour faire l'expérience du vide. Le bouddhisme est d'inspiration athée. Si le chrétien cherche à se libérer, d'une certaine manière, de l'éphémère et de l'illusoire, c'est pour répondre à un appel, l'appel du Dieu unique en trois personnes qui a été révélé par le Seigneur Jésus Christ.

L'homme voudrait prier et il ne sait pas comment faire. Le modèle de la prière nous a été donné : le Notre Père, les psaumes, la liturgie de la messe et des heures, et tout le reste, toutes les prières des grands priants de tous les âges, de tous les siècles. L'acte fondamental de toute prière, c'est de dire oui à la volonté de Dieu. Une prière n'est vraie que si elle repose sur un oui, le plus total possible, à la Parole de Dieu. Partout où ce oui est présent - même inavoué, même secret, mais foncier - partout où ce oui est présent, la prière fondamentale est là. (Avec Bruno Régent, Isabelle Mourral, Paul Evdokimov, AvS, HUvB).

 

9 décembre 2012 - 2e dimanche de l'Avent – Année C

Évangile selon saint Luc 3,1-6

Cet évangile que je viens de lire, c'est le début du chapitre troisième de l'évangile de saint Luc. Les deux premiers chapitres de l'évangile de saint Luc sont consacrés à la naissance et à la vie cachée de Jésus. Au chapitre troisième, nous sommes à l'époque où Jésus va commencer son ministère de prédicateur ambulant. D'une manière un peu solennelle, saint Luc précise aujourd'hui les noms des autorités en place en cette année-là : qui était l'empereur de Rome, qui était le gouverneur romain du pays de Jésus (Ponce Pilate), qui étaient les chef juifs de l'époque (le roi Hérode et les grands-prêtres Anne et Caïphe). Tous ces gens ignoraient totalement Jésus à ce moment-.

Mais il y a quelque chose qui se passe dans le secret : un homme - on l'appellera plus tard Jean-Baptiste - qui était une espèce de saint et de prophète, que beaucoup de gens allaient voir pour parler avec lui et l'entendre, ce Jean-Baptiste invitait tout le monde à se détourner du péché, à demander le pardon de Dieu et, en signe de cette demande de pardon, se faire baptiser par lui dans les eaux du Jourdain. Pour le moment Jean-Baptiste ne parle pas de Jésus. C'est après coup qu'on a compris que Jean-Baptiste préparait le chemin pour Jésus.

Et pourquoi Jean-Baptiste avait-il commencé à baptiser les gens dans le Jourdain ? Et pourquoi il pressait les gens de se détourner de leurs péchés ? Ce n'est pas de lui-même que Jean-Baptiste s'était mis en route. Saint Luc nous le dit : Dieu avait parlé à Jean-Baptiste alors que Jean-Baptiste menait dans le désert une vie toute consacrée à Dieu. Dieu avait parlé à Jean-Baptiste et Jean-Baptiste avait commencé son ministère de prédicateur et de baptiseur.

Jean-Baptiste s'était consacré à Dieu. Et Dieu l'avait rempli de son Esprit Saint. Jean-Baptiste était complètement imprégné de l'Esprit Saint. Et qu'est-ce que l'Esprit Saint lui inspire de dire ? Jean-Baptiste presse les gens de se détourner de leurs péchés et de faire le bien plutôt que le mal. Celui qui penserait qu'entre Dieu et lui tout est en ordre, celui-là ne saurait ni ce qu'est Dieu ni ce qu'est l'homme. Dieu avait parlé à Jean-Baptiste et Jean-Baptiste avait accueilli cette parole, et lui-même, pour obéir à cette parole, s'était mis à parler aux hommes. La parole que Jean-Baptiste avait reçue de Dieu était en lui comme un feu caché, un feu vivant, une vie qui débordait de sa parole.

Et voici une espèce de prophète de notre temps. Vous allez peut-être le reconnaître. Voici ce qu'il nous dit : "Que, dans ta journée, labeur et repos soient vivifiés par la Parole de Dieu. Que tu maintiennes en tout le silence intérieur pour demeurer dans le Christ. Pénètre-toi de l'esprit des béatitudes : joie, miséricorde, simplicité".

Et pour le détail de la journée, voici maintenant le poète qui parle comme un enfant, vous allez sans doute aussi le reconnaître. "Tout ce qu'on fait dans la journée est agréable à Dieu, pourvu naturellement que ce soit comme il faut. Tout est à Dieu, tout regarde Dieu, tout se fait sous le regard de Dieu, toute la journée est à Dieu. Toute la prière est à Dieu, tout le travail est à Dieu, tout le jeu aussi est à Dieu quand c'est l'heure de jouer. Je suis un petit Français. Je n'ai pas peur de Dieu parce qu'il est notre Père. Mon père ne me fait pas peur. La prière du matin et la prière du soir, l'angélus du matin et l'angélus du soir, les trois repas par jour et le goûter de quatre heures, et l'appétit aux repas et la prière avant et après le repas, le travail entre les repas, et le jeu quand il faut, et l'amusement quand on peut, prier en se levant parce que la journée commence, puis en se couchant parce que la journée finit et que la nuit commence, demander avant, remercier après, et toujours dans la bonne humeur, c'est pour tout ça ensemble, et pour tout ça l'un après l'autre que nous avons été mis sur terre, c'est tout ça ensemble, tout ça l'un après l'autre qui fait la journée du Bon Dieu". (Vous avez reconnu le poète qui parle comme un enfant pour les grandes personnes, mais ce n'est pas Saint-Exupéry).

Saint Jean-Baptiste invitait les gens à se convertir et à demander pardon à Dieu pour leurs péchés. Le repentir rend ami de Dieu. - Question d'une voyante à Marie : Est-il possible qu'un damné se repente ? Il ne pourrait pas demander pardon ? Dieu ne pourrait-il pas le retirer de l'enfer pour le mettre en paradis ? Marie : Dieu pourrait, bien sûr. Mais eux ne veulent pas. Ils ont de la haine pour Dieu.

Nous allons célébrer la fête de Noël, la fête de l'entrée de Dieu dans le monde. L'entrée de Dieu dans la chair est le fondement de tout. Le Crucifié a souffert l'enfer mérité par les pécheurs, les pécheurs qui se croient pour toujours loin de Dieu : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" C'est parce qu'il était vraiment le Fils de Dieu que Jésus a supporté cette déréliction dans la pure obéissance de l'amour. (Avec Frère Roger, Péguy, Gabriele Amorth, AvS, HUvB). 

 

6 décembre 2015 - 2e dimanche de l'Avent - Année C

Évangile selon saint Luc 3,1-6

Dieu tout-puissant, le Père invisible, n'a pas envoyé son Fils sur terre sans préavis. Pendant des siècles, des hommes de Dieu, des prophètes, ont annoncé, de la part de Dieu, la venue un jour sur terre d'un messager exceptionnel de Dieu, plus grand que tous les prophètes. On ne savait pas trop si ce serait un roi, un prêtre ou un prophète. Dieu ne dit jamais tout, tout de suite. Et ce grand envoyé de Dieu, béni de Dieu d'une manière toute particulière, on l'a appelé le Messie, on pourrait dire : le Béni de Dieu. Et après une longue préparation par les prophètes de l'Ancien Testament, un dernier prophète a été envoyé par Dieu, le Père invisible : Jean-Baptiste, qui verra lui-même et montrera lui-même du doigt le Messie Jésus venu à sa rencontre sur les rives du Jourdain.

Près du Jourdain justement, il y a beaucoup d'hommes avec une grande variété de vêtements : des gens du peuple et des gens riches, des pharisiens aussi avec leurs vêtements ornés de franges et de galons. Debout sur un rocher, il y a Jean-Baptiste. Il parle à la foule, et sa prédication manque plutôt de douceur : il parle comme un tonnerre tant il est sévère dans son discours et dans ses gestes. Il parle de la venue du Messie et il exhorte ses auditeurs à préparer leur cœur en les débarrassant de ce qui les encombre et en redressant leurs pensées. C'est un parler rude. Le précurseur n'a pas la main légère pour soigner les blessures du cœur.  C'est un médecin qui les met à nu, fouille et taille sans pitié : tout ce qui est grand en vous sera abaissé, tout ce qui est tordu en vous sera redressé.

Il n'y a en Dieu aucune tiédeur, les prophètes de l'Ancien Testament le savaient déjà : il punit ou il récompense, il maudit ou il bénit, il y a la colère de Dieu et son amour infini. Il y a des prophètes de l'Ancien Testament qui prononcent sans peur les terribles jugements de Dieu. Et le plus terrible de ces jugements de Dieu s'est révélé à la croix du Seigneur Jésus, qui a porté toute sa souffrance jusqu'à la mort. Mais opposée à la croix, il y a la Pentecôte.

Le Seigneur Jésus n'a pas cherché à être persécuté, il n'a pas voulu la souffrance pour elle-même. Mais de fait il l'a récoltée. Et de fait aussi, la souffrance est une réalité que tout chrétien rencontre, que tout homme rencontre, au moins de manière passagère. Nous sommes des êtres qui passent par la souffrance. Mais nous souffrons plus parce que nous sommes mortels qu'à cause du péché. Ce n'est pas le péché qui est la seule cause de la souffrance. Bien sûr il est fréquent que le péché fasse souffrir : notre péché peut faire souffrir les autres, et parfois ou souvent, sans que nous le sachions, en toute bonne foi presque, pourrait-on dire, notre péché peut aussi nous faire souffrir nous-mêmes. Mais si l'homme rencontre la souffrance, c'est essentiellement parce qu'il est un être limité, c'est à cause de sa finitude. Il ne faut pas relier nécessairement la souffrance au péché.

Il est vrai que le Seigneur Jésus n'aurait pas tant souffert lors de sa Passion s'il n'y avait pas eu de péché dans le monde. Mais il ne faut pas mettre un lien de cause à effet entre la souffrance et le péché. Au contraire, il faut lutter de toutes ses forces contre la souffrance. Et si elle se présente, il ne faut pas se laisser enfermer dans la révolte. Il faut l'affronter avec le Seigneur Jésus, le Serviteur souffrant, dans la perspective d'entrer dans la vie. Et la souffrance, elle est souvent là aussi où on ne l'attendait pas : il n'y a pas d'amitié sans souffrance purificatrice, il n'y a pas d'amour du prochain sans la croix.

"Préparez le chemin du Seigneur", nous dit Jean-Baptiste aujourd'hui. Il est où le chemin du Seigneur ? La conscience est comme la voix de Dieu qui m'indique le chemin de  l'amour maintenant. Seule la conscience peut discerner dans la situation qui est la mienne ce que Dieu me demande pour aimer vraiment mon prochain. Dieu nous invite à suivre notre conscience éclairée par l'Esprit Saint.

"Préparez le chemin du Seigneur", nous dit Jean-Baptiste. Le pardon ! On dit parfois : c'est impardonnable ! Il y a des choses qu'on ne peut pas pardonner. On ne peut pas pardonner au mal absolu. Pour nous, ce n'est pas possible. Mais Dieu, lui, le peut. Le seul qualifié pour tout pardonner, c'est celui qui a tout donné. Et celui qui a tout donné, c'est celui qui a tout créé par amour.

"Préparez le chemin du Seigneur", nous dit Jean-Baptiste. Il y a aussi un chemin que nous n'avons pas préparé nous-mêmes. L'acte d'exister personnellement est déjà aussi une ascèse ; il me faut renoncer au désir d'être autrement, renoncer au désir d'être un autre que celui que je suis. Préparer le chemin du Seigneur, c'est d'abord aussi m'accepter tel que je suis, me recevoir de Quelqu'un qui est infiniment plus grand que nous. (Avec Jean Alberti, Frère John de Taizé, Jean-Luc Marion, AvS, HUvB).

 

12 décembre 2010 - 3e dimanche de l'Avent - Année A

Evangile selon saint Matthieu 11,2-11

Dimanche dernier, Jean-Baptiste annonçait la venue prochaine de Jésus sur la scène du monde : quelqu'un qui est plus grand que moi et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Quand Jésus a commencé son ministère de prédication et de guérison et que Jean-Baptiste s'est retrouvé en prison, Jean-Baptiste a eu des doutes sur l'identité de Jésus : est-ce bien lui qui devait venir ou bien y aura-t-il quelqu'un d'autre après lui, quelqu'un d'autre qui correspondrait mieux à ce que Jean-Baptiste attendait : un homme fort qui baptiserait dans l'Esprit Saint et dans le feu ? Et Jésus ne fait rien de tout cela, semble-t-il.

Jean-Baptiste se pose des questions au sujet de Jésus. Dieu lui a confié la mission d'annoncer la venue d'un grand envoyé de Dieu, pour ne pas dire le Messie. Et les choses ne se passent pas comme Jean-Baptiste l'avait imaginé. Jean-Baptiste a bien accompli sa mission d'annoncer le plus fort, le plus grand qui viendrait après lui. Mais il n'imaginait pas que Jésus serait si discret, malgré tous les miracles qui se produisent autour de lui. Même à ses envoyés, Dieu ne dit pas tout, tout de suite.

Jean-Baptiste est en prison. Qu'est-ce qu'il peut encore faire ? Jean-Baptiste se pose des questions au sujet de Jésus. Mais la mission de Jean-Baptiste continue : il envoie ses disciples poser carrément la question à Jésus. Jésus, lui, n'a pas de doute sur la mission de Jean-Baptiste. Et indirectement, on comprend qu'il n'a pas de doute sur sa propre mission : il est vraiment le Messie. Jean-Baptiste est vraiment grand dans le plan de Dieu, même s'il est maintenant réduit à presque rien dans sa prison. La mission d'un croyant peut se faire là où il semble qu'il n'y ait plus guère de place pour une action chrétienne. Il y a un abîme entre Dieu et nous. A un certain moment, il faudra découvrir que tout est grâce. Dieu pourrait tout faire lui-même, plus facilement et beaucoup plus vite que nous. Et sans cesse Dieu invite les hommes à faire quelque chose pour lui, pour son royaume, comme il dit.

Dans tout ce qui nous arrive, il faudrait dire : je suis sous la protection de Dieu qui m'aime ; Dieu m'aime d'un amour infini et il me donne toujours le meilleur. Jean-Baptiste dans sa prison avait des doutes. Un évêque de notre temps raconte que c'est vers l'âge de sept ou huit ans qu'il a pensé à être prêtre. Le jour de sa communion solennelle (de sa profession de foi), pendant le temps de silence après la communion, il a dit au Seigneur Jésus : "Tu m'as mis dans la tête l'idée d'être prêtre; je ne sais pas si cette idée vient de toi ou si c'est une idée à moi. (Il avait des doutes). Mais je sais par l’Évangile qu'il faut être appelé pour être prêtre. Donc si tu souhaites que je sois prêtre, tu t'arranges pour me le faire savoir, tu me donnes un signe, je suis disponible". Le garçon était au lycée, il fréquentait l'aumônerie. Un jour le prêtre lui a posé la question : "As-tu jamais pensé à être prêtre ?" Lorsque ce prêtre lui a posé la question, le garçon a tout de suite pensé que c'était le signe que Dieu lui donnait, il s'est senti appelé. Cette question du prêtre fut pour lui comme un appel. Ensuite le prêtre a demandé au garçon s'il voulait qu'il en parle à ses parents. Naturellement le garçon n'avait rien dit chez lui. Et c'est comme ça que tout a commencé. L'évêque, c'est Monseigneur Daniel Labille qui a été évêque de Soissons puis de Créteil. Il raconte cela dans un livre-interview qu'il a intitulé : "Je vous précède en Galilée".

Dieu ne dit pas tout, tout de suite, ni au jeune garçon, ni à Jean-Baptiste dans sa prison. Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes, comme dit Jésus, est en prison. A quoi ça sert ? A quoi peut-il encore servir ? Sainte Thérèse d'Avila disait : "Ne visez pas à faire du bien au monde entier ; contentez-vous d'en faire aux personnes dans la société desquelles vous vivez".

A l'origine de toute mission chrétienne, et même de toute vie chrétienne authentique, il doit y avoir un acte d'indifférence absolue, une vraie disponibilité à ce que Dieu peut désirer de moi, une vraie disponibilité à accepter tout ce que Dieu peut décider. C'est le reflet de ce que Jésus demandait à ses disciples : "Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à tout le reste, il ne peut être mon disciple". (Avec Schenouda III, Mgr Labille, Thérèse d'Avila, AvS, HUvB).

 

15 décembre 2013 - 3e dimanche de l'Avent - Année A

Évangile selon saint Matthieu 11,2-11

Jean-Baptiste est en prison parce qu'il reproche au roi Hérode d'avoir pris pour lui la femme de son frère. Jean-Baptiste est en prison, mais il peut recevoir des visites. Et voilà qu'un jour des disciples de Jean-Baptiste vont trouver leur maître avec une affirmation claire et nette : "Pour nous, c'est toi qui es le Messie. Il ne peut pas y avoir quelqu'un de plus saint que toi".

Alors Jean-Baptiste n'arrive pas à convaincre ses disciples qu'ils se trompent : lui, Jean-Baptiste, n'est pas le Messie. Et il désigne deux de ses disciples pour aller trouver Jésus et lui poser la question au nom de Jean-Baptiste : "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?" Autrement dit : "Est-ce que tu es le Messie ? Les deux disciples vont trouver Jésus et ils restent un certain temps auprès de lui, puis ils lui posent leur fameuse question. Alors Jésus leur dit : Vous êtes arrivés ici depuis quelque temps, vous avez pu voir tous les gens qui étaient guéris autour de moi. Vous pouvez aussi les interroger vous-mêmes pour apprendre ce qui leur est arrivé. Et on raconte aux deux disciples de Jean-Baptiste, qu'il y a des sourds qui se sont mis à entendre, des aveugles qui commencent à voir. Et puis des lépreux aussi ont été guéris et même des morts sont ressuscités. Les disciples de Jean-Baptiste s'en vont avec le témoignage de tous ces miraculés. Quand ils sont partis, Jésus explique à tous les gens qui sont là le sens de la mission de Jean-Baptiste : en deux mots, il est le précurseur, le plus grand des prophètes de l'Ancien Testament, celui qui annonce que le Messie est là.

Il y a beaucoup de manières de participer à la vie éternelle. Chez certains, leur participation à la vie éternelle est à peine perceptible. Pour d'autres, comme pour Jean-Baptiste par exemple, la vie éternelle remplit déjà toute leur vie présente sur la terre. Chacun peut souhaiter pour lui-même que sa foi devienne totalement vivante. Mais il est réservé à Dieu de préciser la manière dont il va nous conduire.

Ce que Dieu demande à chacun, c'est d'accepter de se laisser conduire par lui. Il n'attend pas notre obéissance aujourd'hui pour nous laisser faire demain ce que nous voulons. Il ne nous est pas demandé de faire aujourd'hui la volonté du Père pour que demain nous ayons à nouveau la joie de faire notre volonté. Il nous demande toujours l'absolu. A chaque jour suffit sa peine. Demain nous serons entourés de la même grâce qu'aujourd'hui. Dieu conduit les siens de telle manière qu'à chaque instant ils peuvent savoir ce qui est exigé d'eux. Il nous est demandé de répondre à chaque instant à l'attente de Dieu.

Dans toutes les religions du monde, les hommes cherchent Dieu à tâtons, ils tentent de scruter l'invisible. Les chrétiens ne font pas autrement. "Dieu, personne ne l'a jamais vu", lui qui habite une lumière inaccessible. Pourtant le Fils de Dieu, celui qui était au commencement, sans lequel rien ne fut, s'est rendu visible dans la condition d'un homme né à Bethléem de Judée. Cet événement inouï et inimaginable, nous n'aurons jamais fini de l'approfondir.

La révélation chrétienne n'est pas une explication parmi d'autres explications que les hommes se seraient données de l'énigme de leur existence. La révélation nous révèle à nous-mêmes ce que nous ne savions pas que nous étions. La révélation chrétienne nous introduit dans une dimension nouvelle de l'existence. Il n'y a pas d'issue humaine au drame de l'homme : sur ce point, les athées, les sans-Dieu, ont bien raison. Mais ils ont tort quand ils pensent qu'il n'y a a aucune issue.

Beaucoup aujourd'hui cherchent une issue du côté des voyants et des devins. Aujourd'hui en France, le nombre des voyants et des devins n'est pas loin d'atteindre celui de l'ensemble des médecins généralistes, plus de quarante mille. Ce que la plupart des gens ne savent pas, c'est qu'il y a toujours le diable derrière les voyants et les devins. Et si on va les consulter, on est toujours plus ou moins contaminé.

Sainte Thérèse d'Avila disait : "J'ai fait très souvent l'expérience qu'il n'existe pas de moyen plus efficace que l'eau bénite pour chasser les mauvais esprits et pour les empêcher de revenir"... Cela veut dire que l'eau bénite a une force spéciale et extraordinaire. Un exorciste ajoute ceci : "Bien souvent, les armes du chrétien, telles que la prière et les sacrements, se révèlent aussi efficaces qu'un exorcisme".

Nous nous approchons sans cesse du mystère de Noël, pas seulement le 25 décembre. Si Dieu a véritablement assumé la nature humaine, c'est désormais exclusivement par lui que l'homme est digne de comparaître devant sa vérité suprême, devant Dieu. (Avec Henri Madelin, Jean Daniélou, Gilles Jeanguenin, Thérèse d'Avila, AvS, HUvB).

 

11 décembre 2016 - 3e dimanche de l'Avent - Année A

Évangile selon saint  Matthieu 11,2-11

Cet évangile nous met en face du drame de Jean-Baptiste. Jésus a commencé son ministère. Jean, lui, est en prison et il veut savoir. Il fait demander à Jésus : "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?" Jean-Baptiste est envoyé par Dieu comme précurseur du Messie. Le Messie est venu et Jean-Baptiste ne le reconnaît pas.  Du moins il n'est pas sûr que Jésus est bien le Messie. C'est une constatation qu'on a déjà souvent faite : Dieu ne dit pas tout, tout de suite. Il en est de même certainement en chacune de nos vies. Il y a des choses que nous savons, nous avons des projets pour la journée ou pour le long terme, et les choses ne se passent pas nécessairement comme nous l'avions prévu. Même à ses prophètes, Dieu ne dit pas tout, tout de suite. Ils savent quelque chose, ils doivent se lancer. Mais les choses peuvent se dérouler autrement qu'ils l'imaginaient.

C'est la même chose, en infiniment plus grand, dans l'histoire du peuple d'Israël. Toute son existence est prophétique, toute son existence prépare la venue du Messie, et finalement ce Messie sera le Fils de Dieu lui-même. Il est venu pour guérir l'humanité blessée, pour la ramener à Dieu en la portant sur ses épaules. Il est venu comme un médecin, pour guérir l'humanité malade, et cette humanité malade a tué son Sauveur. Le médecin a été envoyé, le malade ne l'a pas reconnu, le malade a tué son médecin. Et le médecin a été tué pour que le malade soit guéri. (C'est saint Augustin encore qui raconte ça).

Même histoire pour les apôtres que pour Jean-Baptiste. A un certain moment, les apôtres ont été convaincus que Jésus était bien le Messie. Mais ils n'avaient jamais imaginé que le Messie finirait cloué sur une croix. Il y a longtemps qu'on a appris que Dieu écrivait droit avec des lignes courbes. Et dans nos vies ? Elles ont été où les surprises ? A moins que, pour vous, il n'y a jamais eu de surprises. Mais si c'est le cas, il n'est jamais trop tard pour en avoir. Et dans notre évangile d'aujourd'hui, après ces doutes de Jean-Baptiste, Jésus fait de Jean-Baptiste un éloge étonnant : "Parmi tous les enfants des hommes, il n'en a pas existé de plus grand que Jean-Baptiste".

Quelqu'un pourrait avoir apporté à la messe toute sa vie de tous les jours. Tel qu'il est, il ose à peine s'approcher pour recevoir la communion. Mais à toutes ces hésitations, le Seigneur Jésus répond en donnant sa paix. C'est comme un sourire de Dieu, c'est comme s'il disait : "Tout est bien ainsi, le reste nous nous en occuperons ensemble". L'humilité du Seigneur Jésus ne veut pas humilier. Dans sa prison, Jean-Baptiste n'est plus sûr de rien et Jésus fait de lui un très grand éloge. Le cardinal Decourtray disait autrefois : "Il y a aujourd'hui dans notre monde des rescapés de l'incroyance. On s'est posé un jour des questions, et la foi est revenue plus forte qu'auparavant".

Il y a quelques jours, nous avons célébré la fête de l'Immaculée Conception de Marie : Marie est toute sainte ; par la grâce de Dieu, elle n'a pas été touchée par le péché. Je termine donc un peu longuement avec une espèce de poème qui concerne Marie, et vous allez en deviner l'auteur. "Ma plus belle invention, dit Dieu, c'est ma Mère. Il me manquait une maman, et je l'ai faite. J'ai fait ma Mère avant qu'elle ne me fasse. C'était plus sûr. Maintenant je suis vraiment un homme comme tous les hommes. Je n'ai plus rien à leur envier, car j'ai une maman. Ça me manquait. Ma Mère, elle s'appelle Marie, dit Dieu. Son âme est absolument pure et pleine de grâce. Son corps est vierge et habité d'une telle lumière que sur terre je ne me suis jamais lassé de la regarder, de l'écouter, de l'admirer. Elle est belle, ma Mère, tellement que, laissant les splendeurs du ciel, je ne me suis pas trouvé dépaysé près d'elle. Pourtant je sais ce que c'est, dit Dieu, que d'être porté par les anges, ça ne vaut pas les bras d'une maman, croyez-moi.

Ma Mère Marie est morte, dit Dieu. Depuis que j'étais remonté au ciel, elle me manquait, je lui manquais. Elle m'a rejoint, avec son âme, avec son corps, directement. Je ne pouvais pas faire autrement. Ça se devait. C'était plus convenable. Les doigts qui ont touché Dieu ne pouvaient pas s'immobiliser. Les yeux qui ont contemplé Dieu ne pouvaient pas rester clos. Les lèvres qui ont embrassé Dieu ne pouvaient se figer. Ce corps très pur qui avait donné un corps à Dieu, ne pouvait pas pourrir, mêlé à la terre... Je n'ai pas pu, ce n'était pas possible, ça m'aurait trop coûté. J'ai beau être Dieu, je suis son Fils et c'est moi qui commande. Et puis, dit Dieu, c'est encore pour mes frères les hommes que j'ai fait cela. Pour qu'ils aient une maman au ciel. Une vraie, une de chez eux, corps et âme. La mienne. C'est fait. Elle est avec moi, depuis l'instant de sa mort. Son Assomption, comme disent les hommes. La Mère a retrouvé son Fils et le Fils sa Mère. Corps et âme, l'un à côté de l'autre, éternellement. Si les hommes devinaient la beauté de ce mystère ! Ils l'ont enfin reconnu officiellement. Mon représentant sur terre, le pape, l'a proclamé solennellement. Ça fait plaisir, dit Dieu, de voir apprécier ses dons. Depuis le temps que le peuple chrétien avait pressenti ce grand mystère de mon amour filial et fraternel...

Maintenant qu'ils l'utilisent davantage ! dit Dieu. Au ciel ils ont une maman qui les suit des yeux, avec ses yeux de chair. Au ciel ils ont une maman qui les aime à plein cœur, avec son cœur de chair. Et cette maman, c'est la mienne, qui me regarde avec les mêmes yeux, qui m'aime avec le même cœur. Si les hommes étaient malins, ils en profiteraient, ils devraient bien se douter que je ne peux rien lui refuser. Que voulez-vous, c'est ma maman. Je l'ai voulue. Je ne m'en plains pas. L'un en face de l'autre, corps et âme, Mère et Fils. Éternellement Mère et Fils". (Avec saint Augustin, Cardinal Decourtray, Charles Péguy, AvS).

 

11 décembre 2011 - 3e dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Jean 1,6-8.19-28

Beaucoup de gens allaient trouver Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain pour se faire baptiser par lui et demander le pardon de leurs péchés. Jean-Baptiste ne faisait pas partie du cercle des autorités juives officielles. Alors pourquoi ces mouvements de foules vers Jean-Baptiste ? Il est normal que les autorités de Jérusalem s'inquiètent, elles veulent s'informer. De quoi se mêle-t-il ce Jean-Baptiste ? Pour qui se prend-il ? Pour l'évangéliste saint Jean, c'est tout simple. "Il y eut un homme envoyé par Dieu. Son nom était Jean". C'est après coup qu'on l'a appelé Jean-Baptiste. Jean, celui qui baptise. Qu'est-ce qu'il fait Jean-Baptiste ? Il aplanit le chemin du Seigneur. Il aplanit le chemin pour que les gens puissent s'approcher de Dieu et de Jésus. Et qui est Jésus ? Quelqu'un qui est au milieu de vous et que vous ne connaissez pas. Infiniment plus grand que moi.

L’Église devrait toujours être comme Jean-Baptiste, elle devrait toujours faire comme Jean-Baptiste, et elle le fait d'ailleurs, c'est-à-dire : annoncer quelqu'un qui est au milieu des hommes et que les hommes ne connaissent pas.

Jésus, un jour, parlera d'une ville sur la montagne. Une ville au sommet d'une montagne ne peut se cacher. "Ainsi votre lumière doit briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux". Jean-Baptiste a été envoyé par Dieu. Il a renoncé à disposer de lui-même. Il ne veut pas briller par lui-même, il laisse briller la lumière que Dieu a allumée. Saint Paul dit cela à sa manière : "Tout ce que vous dites ou faites, faites-le au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce par lui à Dieu le Père" (Col 3,17). Ce que le chrétien dit ou fait doit faire savoir qu'il est conscient que Dieu est présent. Le Seigneur Jésus habite dans les croyants. Et donc ils annoncent Dieu par toute leur existence. Ils sont au service du Seigneur Jésus. Pas à certaines heures seulement, et ils en garderaient d'autres pour eux et pour le monde. Ils sont simplement là au nom du Seigneur, au service du Seigneur Jésus.

"La foi est un amour qui accapare l'homme et lui montre une voie à suivre" (Benoît XVI). Mais Jean-Baptiste nous dit aussi aujourd'hui toute la difficulté de la foi : "Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas". Contrairement au mal, le bien ne fait pas de bruit. On parle trop du mal et pas assez du bien. Si Dieu paraît se taire, il nous parle en réalité par tout ce qui est beau et bien dans le monde. C'est un philosophe chrétien qui disait : "Aussi radical que soit le mal, il n'est pas aussi profond que la bonté". La bonté est présente dans le monde, il faut apprendre à la voir. La bonté aussi est une preuve de Dieu.

D'un côté un journaliste peut écrire : "L'homme est une machine à tuer l'homme". Mais un autre peut répliquer : "L'homme est capable de tout, même du bien". "Au milieu de vous se tient celui que vous en connaissez pas". Tous les croyants véritables pourraient le dire à tous ceux qui ne sont pas croyants comme à ceux qui ont du mal à croire. Pour l'Israël croyant comme pour les chrétiens, il y a la certitude que la Bible contient tout ce que Dieu veut nous faire savoir. Mais l'absence du nom de Dieu dans certaines bouches ne veut pas dire nécessairement l'absence du problème religieux.

Dialogue entre un prêtre et un incroyant (agnostique). Le prêtre à l'incroyant : N'oubliez pas que vous avez été baptisé et qu'il y a une source secrète et cachée en vous qui est invisible. - Réponse de l'incroyant : Je ne m'en suis jamais rendu compte. - La réflexion de ce prêtre à l'incroyant n'est sans doute pas des plus heureuses. Et il a reçu de l'incroyant la réponse qu'il méritait. Le mot de saint Jean-Baptiste est toujours valable, pour le croyant comme pour le non croyant : Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. Mais on ne peut pas dire cela à n'importe qui en particulier pour essayer de le convertir. Le même agnostique expliquait au même prêtre : "Au point de vue religieux, je suis agnostique. Je ne dirai pas que je suis athée. L'homme, pour moi, est un être beaucoup plus mystérieux qu'on ne l'imagine. Il y a du divin dans l'homme. L'homme est quelque chose d'infini, il me passionne plus que toutes les galaxies. Je me moque de la planète Mars ». -Pour un non croyant, c’était une belle profession de foi.

Le message de Dieu n'est une joie que pour le pauvre. Pour le riche, la Parole de Dieu est toujours inopportune, parce qu'elle exige tout l'espace et cet espace est encombré de possessions personnelles. Le message de Dieu n'est pas une joie pour le riche, c'est une gêne. Alors saint Paul nous dit : "Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance : c'est ce que Dieu attend de vous". (Avec Benoît XVI, Jean Delumeau, Paul Ricoeur, Alain de La Morandais, Jacques Vergès, AvS, HUvB).

 

14 décembre 2014 - 3e dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Jean 1,6-8.19-28

En ce troisième dimanche de l'Avent, voilà de nouveausaint Jean-Baptiste. Jean-Baptiste a pour mission de rendre témoignage à la lumière. Elle est dure, sa mission : il vit dans le désert et, à la fin, il sera décapité dans une prison. Elle est dure, sa mission, mais elle lui est confiée dans l'amour et dans la joie. Par la suite, tous les témoins ont pour mission, comme Jean-Baptiste, de montrer la lumière du Seigneur Jésus. Ils savent bien qu'ils ne sont pas eux-mêmes la lumière. Ils sont bien convaincus qu'ils sont des serviteurs inutiles. Et plus ils en sont convaincus, plus le Seigneur Jésus les remplit de sa propre lumière, plus il leur donne de sa grâce pour la gérer et la distribuer.

Jésus a été conçu par Marie dans l'Esprit Saint. Et Jean-Baptiste, quand il était encore dans le sein de sa mère, a reçu l'Esprit Saint par Marie. Jean a reçu sa mission dans le sein de sa mère. Dans l’Église, le même processus se poursuit : c'est Dieu lui-même qui donne la mission, mais Marie transmet quelque chose d'elle-même à tous ceux qui doivent annoncer son Fils.

Et ceux qui annoncent son Fils redisent toujours comme Jean-Baptiste : "Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas"... "Au milieu de nous se tient celui que nous ne connaissons pas..., ou que nous connaissons si peu". Et pourquoi nous le connaissons si peu ? Parce qu'il sort de son éternité pour vivre dans le temps et qu'il rentre dans son éternité par la croix. Et il gère le monde par l’Église, par les saints, etc., pour que le monde entier soit sauvé.

La Bible qui est transmise de génération en génération entre chrétiens, est une littérature voulue par Dieu pour nous dire quelque chose de son mystère. Quand Jean Guitton avait vingt ans, le Père Pouget lui disait un jour : "La Bible est avant tout un livre d'enseignement religieux. On s'égare si l'on s'aventure sans commentaire dans ce 'catéchisme pour primitifs', un vrai ciel d'orage où passe par instants l'éclair divin". Dans ces quelques mots du Père Pouget, il y a ce "catéchisme pour primitifs" qui peut faire sourire. Mais ce catéchisme, c'est aussi un vrai ciel d'orage. Et dans ce ciel d'orage, "passe par instants l'éclair divin". C'est pourquoi le Père Pouget a bien raison de penser qu'il ne faut pas s'aventurer dans la Bible sans commentaire, sans aide. Mais il faut y entrer pour y saisir l'éclair divin.

Jean-Baptiste n'était pas la lumière, mais il était là pour lui rendre témoignage. "Celui qui vient après moi, disait-il, je ne suis même pas digne de défaire la courroie de sa sandale". Un chrétien de notre temps disait : "Une des qualités de la jeunesse d'aujourd'hui est une perspicacité extrêmement vive pour détecter toute contradiction entre la parole qui est dite et ce qui est réellement vécu". Mais à quoi il faudrait ajouter qu'avant de se mettre en chemin vers la vraie lumière, d'innombrables jeunes se laissent subjuguer par le clinquant d'innombrables fausses lumières.

Question des croyants hindouistes à des chrétiens : "Pourquoi, vous autres chrétiens, êtes-vous si peu humbles que vous ne vous intéressez guère aux traditions spirituelles des autres ?" Que dire à cela ? D'abord peut-être, c'est qu'on n'a pas encore fini d'explorer nos propres trésors. On n'aura jamais fini d'ailleurs. Mais il est des chrétiens quand même qui, après avoir exploré longtemps leurs propres trésors, prennent aussi du temps pour aller voir les traditions spirituelles des autres. Dans nos régions actuellement, ce pourrait être surtout l'islam.

Jean-Baptiste n'était pas la lumière, mais il était là pour lui rendre témoignage. Une femme de notre temps disait vers la fin de sa vie qu'elle voudrait dégager chez les autres la voie qui mène à Dieu. Elle avait la conviction que Dieu est caché dans l'intimité la plus profonde du psychisme de l'autre. Et elle pensait devoir écouter Dieu chez ceux qu'elle rencontrait.

Le christianisme est une réalité vivante ancrée dans l'éternité. Alors, quand on a trouvé la lumière, on n'est encore qu'au seuil. Le chemin est encore long, il est éternel, il est infini. La nouvelle évangélisation ne prétend pas apporter quelque chose d'extérieur, mais révéler au fond ce qui est déjà là, pour en faire découvrir toutes les dimensions.

Roger Martin du Gard, qui était tout à fait incroyant, avait une fille qui était très croyante. Entre elle et François Mauriac, il y a eu un échange de lettres qui évoquaient entre autres la question de savoir comment vivre comme croyante avec un père non croyant. Et Mauriac donnait ce conseil : Que la question religieuse ne soit pas une question irritante entre elle et son père. Et Mauriac ajoutait qu'elle détenait un pouvoir infini qui est la prière.

"Il y a au milieu de vous quelqu'un que vous ne connaissez pas", nous dit Jean-Baptiste aujourd'hui. Le domaine que la pensée chrétienne doit accorder à l'Esprit Saint ne peut jamais être assez vaste. Le Seigneur Jésus a vécu sur terre un bref moment, à peine perceptible dans l'histoire du monde : quelques paroles, quelques actes et tout est déjà fini. Et c'est lui qui nous dit : "Il vaut mieux pour vous que je m'en aille. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière" (Jn 16,13). Il y a des dimensions de la Révélation dont l'ouverture est confiée au seul Esprit de Dieu. (Avec Charles Delhez, Jean Guitton, Marie-Joseph Le Guillou, Etty Hillesum, Fabrice Hadjadj, François Mauriac, AvS, HUvB).

 

13 décembre 2009 -  3e dimanche de l'Avent - C

Évangile selon saint Luc 3, 10-18

Jean-Baptiste est toujours là, comme dimanche dernier. Il annonce la venue prochaine du Messie. Il est donc normal qu'il soit là en ce temps de l'Avent. Trois fois, on pose la question à Jean-Baptiste : "Que devons-nous faire pour nous préparer à recevoir le Messie ?" Il y a des soldats qui lui posent la question, et des collecteurs d'impôts, et des bons pratiquants. Que devons-nous faire ? Pour les soldats : vous avez la force pour vous ; il ne faut pas abuser de votre pouvoir : pas de violence ! Les collecteurs d'impôts : vous aussi, vous avez beaucoup de pouvoir ; ne trichez pas, faites ce qui est juste. Et les bons pratiquants : vous ne manquez de rien ; alors n'oubliez pas ceux qui n'ont pas grand-chose ou même rien du tout : pour se vêtir et se nourrir.

Jean-Baptiste ne fait pas de grands discours. On lui pose une question, il va droit au but. Mais il y a une question plus fondamentale qu'on voudrait bien poser à Jean-Baptiste, mais personne n'ose la lui poser clairement : "Est-ce que tu ne serais pas le Messie ?" Jean-Baptiste a deviné qu'on se posait la question. Alors sa réponse est claire et nette aussi : "Je ne suis pas le Messie". Le Messie est beaucoup plus grand que moi, beaucoup plus puissant que moi. Moi, je vous baptise dans l'eau du Jourdain. Lui, le Messie, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu. Qu'est-ce que ça veut dire ? Le Messie va vous juger, il va juger vos vies : le bien aura sa récompense, et le mal aussi aura ce qui lui revient : le feu.

En ce temps de l'Avent, on rencontre de temps en temps une parole de l'Ancien Testament qui dit ceci : "Prépare-toi, Israël, à rencontrer ton Dieu". C'est ce que fait Jean-Baptiste ; il dit aux gens comment ils doivent se préparer à rencontrer leur Dieu ; il nous dit comment nous préparer à rencontrer notre Dieu. Au centre de la crèche, il y a un enfant. La foi suppose toujours l'enfance. Celui qui veut rester un croyant doit rester un enfant vis-à-vis de Dieu. Rester pur comme un enfant vis-à-vis de Dieu. C'est quoi être pur ? Est pur celui qui veut ce que Dieu veut. Saint Jean-Baptiste disait cela à sa manière, bien concrète. Vouloir ce que Dieu veut, c'est une manière de dire : vouloir obéir à Dieu. Et le premier lieu où l'on peut s'exercer à obéir à Dieu, c'est la prière. On prie pour essayer d'être obéissant à Dieu. Et dans cette prière, dans ce temps de prière, on essaie de se taire pour que Dieu puisse parler. Mais est-ce que Dieu peut parler ?

Le théologien Joseph Ratzinger, avant de devenir Benoît XVI, a écrit un jour : "La foi chrétienne signifie être touché par Dieu et témoigner de lui". Est-ce possible ? Être touché par Dieu, c'est une parole de Dieu sans parole. Le cœur de la religion, c'est le lien entre Dieu et l'homme. Comment est-ce possible ? Nos Pères dans la foi disaient : Dieu a déposé dans le cœur humain le désir de Dieu. Cela ne vient pas de l'homme. L'homme est prédestiné à connaître Dieu. Tous les hommes sont prédestinés à connaître Dieu.

Question que se posait un jour un croyant devenu prêtre : "Dans mon engagement au service des hommes, quelle différence entre mon voisin non chrétien et moi-même, sinon qu'il est parfois plus généreux que moi ?" L'homme est prédestiné à rencontrer Dieu. Même celui qui ne croit pas en lui aujourd'hui, même celui qui le nie de toutes ses forces et se plonge dans le mal sans vergogne. C'est encore le théologien Joseph Ratzinger qui nous dit ceci : "Espérons qu'il y a peu d'hommes dont la vie est devenue un non total et irrécupérable... La plupart du temps, malgré beaucoup de manquements, la nostalgie du bien est restée déterminante. Dieu peut ramasser les morceaux et en faire quelque chose... Mais nous avons besoin d'une ultime purification, en ce monde ou en l'autre, un purgatoire précisément".

"Prépare-toi, Israël, à rencontrer ton Dieu". C'est ce qui se passe en chaque eucharistie. On s'avance, on reçoit le pain, le Corps du Christ, on le mange, on retourne à sa place et, cinq minutes après, on sort de l'église. Le chrétien ne sait pas ce qui se passe en lui, ni comment cela se fait. Il croit de son mieux. Mais il sait bien qu'il ne réalise pas totalement. Il se console en pensant qu'il passera toute sa vie sans comprendre totalement... Le seul moyen que j'ai pour me préparer consciemment à recevoir cette lumière, c'est la prière silencieuse qui essaie d'absorber et de digérer spirituellement ce qui a été avalé matériellement. (Avec Joseph Ratzinger, Alexandre Men, saint Maxime le Confesseur, Jacques Marin, AvS, HUvB).

 

16 décembre 2012 - 3e dimanche de l'Avent – Année C

Évangile selon saint Luc 3,10-18

En ce troisième dimanche de l'Avent, nous retrouvons saint Jean-Baptiste comme dimanche dernier. Il y a deux parties dans notre évangile d'aujourd'hui. D'abord les gens qui vont trouver Jean-Baptiste et qui lui demandent ce qu'ils doivent faire pour plaire à Dieu. Et dans la deuxième partie de notre évangile, il est question du Messie.

D'abord : Que devons- nous faire pour plaire à Dieu ? Commençons par les derniers : les soldats. Ce sont les représentants de la force publique. Que doivent-ils faire ? N'abusez pas de votre force. Ne profitez pas de votre force pour faire n'importe quoi. Ne faites de tort à personne. La première manière de faire le bien, c'est de commencer par ne pas faire le mal.

Puis les publicains, les collecteurs d'impôts. Même les collecteurs d'impôts qui n'avaient pas bonne réputation chez les Juifs, même eux sont attirés par la personne de Jean-Baptiste, et ils vont lui demander conseil pour s'approcher de Dieu. Ce qu'ils doivent faire ? Un peu comme les soldats. Eux aussi, les percepteurs d'impôts, jouissent d'un certain pouvoir dans le peuple. Ce qu'ils doivent faire ? Comme les soldats : N'abusez pas de votre puissance. Soyez justes dans votre travail.

Et enfin, ceux qui ne sont ni soldats ni percepteurs d'impôts, qu'est-ce qu'ils doivent faire pour plaire à Dieu ? Si vous avez de quoi (de quoi vivre, de quoi manger et de quoi vous habiller), partagez avec ceux qui sont dans la misère.

Il n'est pas dit que Jean-Baptiste faisait des miracles. Mais les gens se demandaient quand même si Jean-Baptiste ne serait pas le Messie, vu toutes les foules qui se pressaient autour de lui et à qui il prêchait un baptême de conversion pour se rapprocher de Dieu. Jean-Baptiste était au courant de ce qui se disait sur son compte, alors il a mis les choses au point : Non, je ne suis pas le Messie. Le Messie est beaucoup plus puissant que moi. Il est infiniment plus grand que moi, je ne suis même pas digne de me mettre à genoux devant lui pour défaire la courroie de ses sandales.

Trois catégories de gens posent des questions à Jean-Baptiste et il leur donne une réponse qui concerne leur vie personnelle. Mais la plus grosse question, tout le monde se la pose : est-ce que Jean-Baptiste ne serait pas le Messie ? Et aujourd'hui sans doute tout le monde a des questions à poser à Dieu. Tout le monde sans doute se pose des questions : ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas.

Dieu nous permet toutes les questions parce qu'il n'a à craindre aucune question et que les enfants ont le droit de poser des questions. Et le Père répond à chacune de nos questions. Mais beaucoup de gens n'entendent pas la réponse parce qu'ils ne sont pas dans la situation qui est exigée pour saisir la réponse. Je peux poser à Dieu toutes les questions que je veux ; il m'a donné la possibilité et la force de l'interroger, et il s'est obligé aussi à me répondre. Mais la réponse de Dieu peut être incomprise ou on peut l'interpréter comme étant inexistante, parce que l'homme ne l'entend pas. Le silence lui-même est aussi une réponse. Il se peut aussi que la réponse de Dieu n'est pas du tout ce que l'homme attendait. La réponse est adéquate, c'est l'homme qui n'est pas adéquat. Et là, les saints et les saintes de Dieu nous disent que c'est le péché qui nous empêche de comprendre.

Un homme de notre temps, qui réfléchit sur l'existence humaine, une espèce de penseur et de philosophe chrétien, nous dit ceci : "La mort est le facteur le plus important de la vie humaine. L'homme ne peut vivre dignement sans avoir défini son rapport avec la mort. Au lieu d'oublier la mort, l'être humain doit plutôt surmonter la crainte de la mort. Pour cela, prendre en compte la victoire sur la mort réalisée en Jésus Christ. C'est le Christ qui a rendu possible le sens positif de la mort". Saint Jean-Baptiste ne savait pas encore tout ça. L'homme de notre temps qui exprime ces pensées est un orthodoxe. Et l'on peut voir par cet exemple que sa foi orthodoxe et notre foi catholique s'accordent totalement sur ce sujet fondamental. Saint Jean-Baptiste ne savait pas encore tout ça, mais par la grâce de Dieu il savait que le Messie était beaucoup plus puissant que lui.

Il y a des gens qui pensent que la vérité se trouve là où est le désespoir. Ce n'est vraiment pas le message de la foi chrétienne. On pourrait dire que le danger de nos jours pour l’Église, c'est moins l'athéisme ambiant que l'ignorance de certains chrétiens et de beaucoup de baptisés. Beaucoup de gens allaient trouver Jean-Baptiste et lui demandaient : Que devons-nous faire pour plaire à Dieu ? Nous n'avons pas de Jean-Baptiste sous la main pour lui poser la question. Mais nous avons le droit et le devoir de poser la question à Dieu tous les jours de notre vie : Que dois-je faire pour m'approcher de toi en vérité ?

Les chrétiens ne sont pas les partisans de Jésus. Les chrétiens sont ceux pour qui Jésus est le Messie, le Christ. Ils croient qu'avec lui Dieu a offert aux hommes non pas quelque chose mais la réalité ultime. Accepter ce don de Dieu, c'est y croire, c'est y répondre... c'est y répondre par l'amour dans toute son existence. (Avec Nicolas Berdiaev, Isabelle Prêtre, AvS, HUvB).

 

13 décembre 2015 - 3e dimanche de l'Avent - Année C

Évangile selon saint Luc 3,10-18

Il y a deux parties dans cet évangile. D'abord trois questions de gens qui demandent à Jean-Baptiste : Que devons-nous faire pour plaire à Dieu ? Des soldats posent la question, des collecteurs d'impôts et puis des anonymes dont on ne sait pas ce qu'ils font dans la vie. Et la réponse de Jean-Baptiste est simple. Ce que vous devez faire pour plaire à Dieu ? Justice et charité. C'est simple et c'est vaste. Personne ne peut se mettre à notre place. La réponse ne peut être que personnelle. Qu'est-ce que je peux faire aujourd'hui pour plaire à Dieu ? Qu'est-ce que Dieu attend de moi aujourd'hui ?

Puis deuxième partie de l'évangile d'aujourd'hui : il est question du Messie. Jean-Baptiste devait en imposer aux gens à tel point qu'on se demandait s'il n'était pas ce grand envoyé de Dieu qu'on attendait depuis des siècles en Israël : le Messie. Jean-Baptiste est conscient qu'il n'est pas le Messie, mais Dieu lui avait fait comprendre que le Messie était sur le point d'arriver. Et Jean-Baptiste décrit le Messie avec les idées qui sont les siennes : quelqu'un de violent qui va faire le ménage entre le bien et le mal, entre les justes et les mécréants. Et il en revient ainsi à ses propres discours : justice et charité, sinon ça va vous coûter cher.

Jean-Baptiste n'avait pas fait de hautes études. Mais il aurait pu dire ce que saint Paul dira plus tard : "Je n'ai pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu. Et nous parlons non pas un langage enseigné par l'humaine sagesse mais un langage enseigné par l'Esprit". Et les mots de l'Esprit restent sans échos en ceux qui sont prisonniers de leur horizon purement terrestre. Pour entendre et comprendre les mots du prophète, il faut avoir soi-même reçu l'Esprit de Dieu.

Nous nous préparons à célébrer chrétiennement la fête de Noël. L'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, posait la question : "A quoi peut te servir que le Christ, le Messie, soit venu jadis dans la chair s'il n'est pas venu jusqu'à ton âme ?" Et le même homme ajoutait : "Prions pour que chaque jour son avènement s'accomplisse en nous, et que nous puissions dire comme saint Paul : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi".

A Noël, nous célébrons chrétiennement l'anniversaire de la venue en ce monde du Fils de Dieu il y a deux mille ans. N'importe qui peut faire l'expérience de l'irruption de Dieu dans sa vie.  Tout homme est ou deviendra un jour un chercheur de Dieu. Et tout homme a besoin d'une certaine lumière pour son cheminement. Affirmer que Jésus est le Fils de Dieu et qu'il s'est fait homme est un "scandale" que les croyants oublient trop souvent dans leur routine. Et la foi chrétienne affirme aussi que cet homme Jésus a été crucifié d'une manière scandaleuse, et que c'est justement cette mort scandaleuse qui apporte à tout homme d'hier, d'aujourd'hui et de demain la libération et le salut véritable. Bien sûr, on peut repousser Dieu. Mais comme le disait une espèce de sainte de notre temps : "Celui qui repousse Dieu appelle Satan".

Mais comment peut-on exercer son esprit au problème de l’existence de Dieu? C'est un  grand professeur de notre temps qui y réfléchit, et un vrai chrétien. Il dit : Dieu s'offre spontanément à la plupart d'entre nous, plus comme une présence sentie confusément que comme une réponse à un problème quelconque, par exemple quand nous nous trouvons face à l'immensité de l'océan, face à la tranquille pureté des montagnes ou à la vie mystérieuse d'un ciel étoilé au milieu de l'été... Ces tentations fugitives de penser à Dieu nous visitent ordinairement dans nos moments de solitude. Mais il n'y a pas de solitude plus solitaire que celle de l'homme plongé dans un profond chagrin ou confronté à la perspective de sa fin imminente. "On meurt seul", dit Pascal. C'est peut-être pour cette raison que c'est au seuil de la mort que tant d'hommes rencontrent finalement le Dieu qui les attend. Que prouvent de tels sentiments ? Absolument rien. Ce ne sont pas des preuves, ce sont des faits. Y a-t-il des preuves de l'existence de Dieu ? Pour Pascal, il était incompréhensible que Dieu existe, et il était incompréhensible que Dieu n'existe pas.

Jean-Baptiste a eu pour mission d'annoncer la venue imminente du Messie. De chaque chrétien, de chaque homme, Dieu a une idée qui lui détermine sa place dans l’Église, dans la société. On n'a pas à craindre que cette idée, qui est unique et personnelle, ne soit pas assez haute, ne soit pas assez large. Cette idée de Dieu sur les hommes est si haute qu'elle n'a été atteinte par personne si ce n'est par Marie. Réaliser cette idée qui est en Dieu, c'est le but suprême de chaque chrétien. "Que devons- nous faire pour plaire à Die ?" demandait-on à Jean-Baptiste. Qu'est-ce que Dieu attend de moi aujourd'hui et demain et après-demain ? (Avec Origène, Bernard Sesboüé, Étienne Gilson, Pascal, AvS, HUvB).

 

19 décembre 2010 - 4e dimanche de l'Avent - Année A

Evangile selon saint Matthieu 1, 18-24

En ce dimanche juste avant Noël, l'évangile nous dit quelle fut l'origine de Jésus Christ. Cet évangile est rempli de mystères. Faut-il s'en étonner ? Avant que Marie et Joseph commencent la vie commune, Marie fut enceinte par l'action de l'Esprit Saint. Cela veut dire que l'enfant qui va naître vient totalement de Dieu et totalement de Marie, et que Joseph n'y est pour rien. Comment est-ce possible ? Joseph ne sait pas quoi faire. Il ne comprend pas. Et personne ne peut lui expliquer, personne ne peut lui dire ce qu'il doit faire. Et Marie non plus ne peut pas lui parler. Qu'est-ce qu'elle pourrait lui dire ? Alors c'est le ciel qui va se charger d'instruire Joseph sur la conduite à tenir. Un rêve, un songe lui donne la solution ; un ange de Dieu vient lui dire : "N'aie pas peur. L'enfant que Marie attend vient de l'Esprit Saint". L'ange n'en dit pas plus. Joseph n'a pas besoin de tout savoir pour savoir ce qu'il a à faire. Joseph comprend que tout est en ordre. Il se passe des choses étonnantes, mais maintenant il sait que Dieu est là. Alors quand Joseph se réveille, il fait ce que l'ange de Dieu lui a dit : il prend chez lui Marie, son épouse.

Joseph se trouve devant l'incompréhensible et il est invité à faire confiance à Dieu. Il pourrait dire à l'avance la prière de saint Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites : "Seigneur, prends et reçois ma liberté, ma mémoire, mon intelligence, ma volonté, tout ce que j'ai et possède. Tu me l'as donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi, fais-en ce que tu veux. Donne-moi ton amour et ta grâce, cela me suffit".

Il faut dire que Joseph a reçu de Dieu un cadeau merveilleux. Le ciel lui confie Marie, le ciel lui fait le cadeau de Marie. C'est un cadeau qui s'accompagne pour Joseph d'une certaine souffrance parce que tout d'abord il est très ennuyé, il ne sait pas ce qu'il doit faire. Mais c'est un cadeau merveilleux. On peut deviner qu'avant ces événements Joseph était vraiment ouvert à Dieu. Si on se tient devant Dieu, c'est toujours un événement plein de fécondité. Et cette fécondité transforme le croyant tout comme une grossesse transforme la femme. La femme qui attend un enfant, son corps est pris de plus en plus par le service de la fécondité ; elle reçoit la tâche d'être un réceptacle pour l'enfant que Dieu lui a donné. De même le croyant devant Dieu doit savoir qu'il porte un fruit qui vient de Dieu. Dieu modèle l'homme qui se tient devant lui jusqu'à ce qu'il ait l'attitude que Dieu exige de lui. Dieu demande au croyant qu'il reste ouvert à tout ce que Dieu peut lui demander. Joseph s'attendait à tout sauf à ce qui lui est arrivé. Ce qui lui est arrivé est unique dans l'histoire du monde. Pour personne la vie n'est définitivement un long fleuve tranquille.

"Quand Joseph se réveilla, nous dit notre évangile, il fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse". On peut être sûr qu'il y avait beaucoup d'amour entre Joseph et Marie. Dans l'amour, il y a un don de soi. Mais le don de soi est difficile. Il a dû être plus difficile pour Joseph que pour Marie. Il y a dans l'amour une dimension de sacrifice, une mort à soi-même. Et on peut penser que le sacrifice a été plus sensible pour Joseph que pour Marie. L'amour et la souffrance sont inséparables. On n'aime pas par devoir, on n'aime pas sans désir. Joseph n'aimait pas Marie par devoir. Mais on n'aime pas non plus sans savoir qu'on a un devoir envers l'autre. Joseph avait un devoir envers Marie, et Marie certainement aussi avait un devoir envers Joseph.

Dans quelque jours nous célébrerons la fête de Noël. Et pendant les quelques semaines du temps de l'Avent nous nous préparons à cette fête, entre autres manières, en parcourant l'Ancien Testament et en rendant visite au précurseur Jean-Baptiste, et à Joseph et à Marie pour une préparation plus immédiate. Toutes les étapes de la révélation biblique sont requises pour aboutir à l'incarnation de Dieu et donc aussi à la compréhension de Dieu par l'homme. (Avec Lytta Basset, Schenouda III, Antoine Vergote, AvS, HUvB).

 

22 décembre 2013 – 4e dimanche de l’Avent - Année A

Évangile selon saint Matthieu 1,18-24

Marie était promise en mariage à Joseph. Et voilà que Marie est enceinte alors que Joseph n’y est pour rien. Joseph ne comprend pas. Il avait toute confiance en Marie. Mais, vu la situation, il lui semblait impossible de prendre Marie pour épouse. Marie ne lui avait rien dit. Dieu lui avait demandé ce silence. Elle, elle est la servante de Dieu, et les serviteurs ne discutent pas les ordres qu’ils reçoivent. Marie ne pouvait pas parler à Joseph. C’est le ciel lui-même qui va s’en charger. C’est un ange qui va lui dire : "Joseph, ne crains pas de prendre chez toi Marie ; l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint".

Alors Joseph va trouver Marie de bon matin pour lui demander pardon : pardon pour avoir manqué de confiance, pour avoir manqué de charité, pour avoir accusé Marie dans son cœur, pour avoir offensé Marie par un soupçon. Mais Joseph pose quand même une question à Marie : Pourquoi ne m’as-tu rien dit et permettre ainsi que je te soupçonne ? Et la réponse de Marie : Dieu lui a demandé cette obéissance. Je suis la servante de Dieu et les serviteurs ne discutent pas les ordres qu’ils reçoivent.

Le chemin vers la sainteté est long et pénible. Joseph et Marie n’ont pas fini d’en voir ! Le signe spécifique du chemin de Dieu, c’est qu’on ne le choisit pas soi-même. Ni Marie, ni Joseph n’auraient jamais pu imaginer ce qui leur est arrivé : une semence de Dieu déposée dans le sein de Marie. Et l’eucharistie, ce sera plus tard la même chose : une semence de Dieu déposée dans le cœur des croyants dont le fruit mûrit patiemment. Qui peut comprendre ces choses ? Dieu peut atteindre son but par toutes sortes de chemins, même par ceux qui nous semblent impossibles et impraticables.

Joseph, dans son sommeil, a reçu la visite d’un ange, Marie avait avant lui reçu aussi la visite d’un ange. Et l’ange avait dit à Marie : "L’Esprit Saint viendra sur toi". Pour entendre avec justesse la parole de l’ange et le message de l’Esprit Saint, il faut toujours la volonté d’être ouvert à Dieu. C’est cette ouverture qui donne la possibilité d’entendre. Mais cela n’exclut pas la possibilité que l’Esprit Saint reste muet et ne donne pas de mission particulière.

Une mission particulière : c’est bien ce qui est arrivé à la Bienheureuse Marie de l’Incarnation. Elle est née en 1599. Ses parents la marient quand elle a 17 ans. Elle est maman à 19 ans d’un petit garçon, Claude Martin, qui deviendra moine bénédictin et un jour biographe de sa mère. Donc mariée à 17 ans, maman à 19, elle est veuve à 20 ans. Elle se révèle alors une maîtresse femme pour liquider l’entreprise de son mari, qui était au bord de la faillite, et payer les dettes.

En 1631, elle se consacre à Dieu et devient religieuse ursuline. En 1639, on l’envoie au Canada pour une première fondation féminine dans ce pays. Il faut trois mois de navigation pour y arriver. Elle restera 33 ans au cœur de la colonie naissante. Elle est là pour ceux qu’on appelait alors les "sauvages" qui habitaient les forêts : Hurons, Iroquois, Montagnais. Elle reçoit et éduque les filles de ces "sauvages". Elle construit, elle apprend leurs langues. A 65 ans, elle compose un dictionnaire : algonquin – français et français – algonquin, puis un dictionnaire iroquois. Elle a toujours vécu au milieu des tracas et des affaires. C’était le chemin de Dieu pour elle : mariée à 17 ans, maman à 19 et veuve à 20. Dieu en a fait une sainte.

"Joseph, ne crains pas de prendre chez toi Marie". C’était le chemin de Dieu pour Joseph et Marie. Marie attend un enfant, et seule Marie sait comment cet enfant a été conçu : elle est toujours vierge. Il faut que le ciel instruise Joseph. Les paroles de Marie n’auraient pas suffi. Pendant toute le vie de Jésus, il est vraisemblable que Marie et Joseph n’en ont rien dit à personne. C’est après la résurrection de Jésus sans doute, que Marie a pu confier à l’apôtre Jean et aux autres apôtres le secret de la conception virginale. Marie et Joseph étaient les seuls à connaître le secret. Mais savaient-ils que ce Jésus était Dieu lui-même devenu homme, incarné ? Marie peut-être l’a deviné avant même la résurrection, c’est vraisemblable, mais nous n’en sommes pas sûrs.

Le chemin de Marie et de Joseph, le chemin de Marie de l’Incarnation, le chemin de chacune de nos vies : ce qui est premier dans la foi, c’est une obéissance à une lumière intérieure. La grâce, c’est un mouvement personnel de Dieu Trinité qui se penche sur chaque croyant, sur chaque personne, pour un chemin qui est toujours unique et qu’on doit découvrir pas à pas en tenant la main de Dieu. (Avec Marie de l’Incarnation, François Varillon, AvS, HUvB).

 

18 décembre 2016 - 4e dimanche de l'Avent - Année A

Évangile selon saint  Matthieu 1,18-24

Dimanche dernier, l'évangile nous présentait la perplexité de Jean-Baptiste. Il envoyait ses disciples poser la question à Jésus : "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?" Le précurseur du Messie, tout d'un coup, a des doutes. Et Dieu permet ces doutes. Aujourd'hui l'évangile nous présente la perplexité de Joseph à qui Marie était promise en mariage. Avant qu'ils aient habité ensemble, Joseph se rend compte - ou on le lui apprend - que Marie est enceinte. Joseph ne comprend pas. Et le ciel n'avait pas pris soin  de l'avertir. Le ciel laisse le doute s'installer dans le cœur de Joseph : il n'y comprend rien.  Il avait toute confiance en Marie. Maintenant c'est le désarroi total.

Que faire ? Tout de suite Joseph sait la décision qu'il doit prendre. Et ce n'est que lorsque Joseph a bien goûté son désarroi, après qu'il a bien goûté son épreuve, qu'il a bien connu cette souffrance intérieure, c'est alors seulement que le ciel s'ouvre à lui pour lui expliquer les choses : "Joseph, ne crains pas de prendre Marie chez toi : l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint". Il fallait que Joseph participe à l'avance aux souffrances de la Passion. C'eût peut-être été trop facile et trop beau de devenir simplement l'époux de Marie. Le ciel lui impose cette épreuve de ne pas comprendre.

Le mystère de l'origine de Jésus est révélé à Joseph dans un songe. C'était vraiment impossible de le deviner, de l'imaginer. Marie fut enceinte sous l'action de l'Esprit Saint : c'est une donnée de notre foi. Jésus est Dieu et homme. Jésus est Dieu : il a été conçu par l'Esprit Saint. Jésus est homme : il est l'enfant de Marie et il a été élevé par Joseph.

Tout n'est pas simple non plus pour Marie. Elle porte en elle un grand mystère et elle doit devenir quand même l'épouse de Joseph. Dans le mariage chrétien aussi il y a beaucoup d'inconnu. L'homme est aussi un mystère pour la jeune fille qui se donne à lui : elle ne voit pas totalement ce qu'elle lui donne ni ce qu'il en fera, elle sait seulement - sans le savoir - que ce qu'il fera est juste (dans la mesure où il est fidèle à Dieu).

Le ciel fait savoir à Joseph que ce qui est engendré en Marie vient de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint est l'Acteur invisible, mais c'est l'Acteur suprême. C'est lui qui a agi en Marie dans son corps, comme il agit au fond des cœurs en respectant pleinement leur liberté. Et c'est l'Esprit Saint sans doute aussi qui a touché le cœur de Joseph pour lui faire admettre que tout était juste en Marie et qu'il n'avait pas de souci à se faire : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint.

L'homme n'est jamais vertueux une fois pour toutes. Il est toujours en mouvement de perfectionnement. On est toujours en marche vers la sainteté de Dieu. Joseph était croyant, un croyant ordinaire, un croyant plus croyant que d'autres peut-être. Mais ce qui lui est arrivé a dilaté sa foi à l'infini. Voilà qu'on vient lui dire, voilà que le ciel vient lui dire : "Ne crains pas de prendre chez toi Marie ; ce qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint". Il a fallu que Joseph soit touché aussi par l'Esprit Saint pour admettre une chose pareille.

Un saint de notre temps disait : "Je suis un grand pécheur, mais Dieu m'a pardonné. Et il m'a accordé non seulement son pardon, mais encore l'Esprit Saint. Croyez que c'est l'Esprit Saint qui témoigne de Dieu dans toutes les églises et dans mon âme. L'Esprit Saint vit sur terre dans les âmes de ceux qui aiment Dieu". L'Esprit Saint vivait en Marie d'une manière inouïe, il vivait aussi ne Joseph.

Et le même saint que je viens de citer écrivait encore : "Que le Saint Esprit dirige la barque de ton âme... Dieu ne fait aucune violence à l'homme, mais patiemment il se tient à la porte de son cœur, attendant humblement le moment où le cœur s'ouvrira à lui. Dieu lui-même cherche l'homme avant même que l'homme ne recherche Dieu... L'Esprit Saint nous rend proches parents de Dieu". On raconte qu'à l'âge de cinq ans, saint Thomas d'Aquin posait la question "Qu'est-ce que Dieu ?" L'Esprit Saint peut inspirer aussi les enfants. Comment faire pour que la Révélation puisse éclairer l'intelligence de nos contemporains ? Comment faire pour que l'amour du Père puisse se frayer un chemin vers le cœur de ses enfants ?

Au cours de ce pèlerinage qu'est la vie terrestre, l'homme est comme un peu dépaysé du monde, mais il n'est pas encore acclimaté au ciel. C'est un peu l'expérience de Joseph. Il était croyant et, à un certain moment, le ciel lui a demandé un immense pas dans la foi, et Joseph a reçu assez d'Esprit Saint pour oser faire ce pas, il a fait suffisamment accueil à l'Esprit Saint pour oser faire ce pas dans la foi. Que Joseph nous obtienne, à nous aussi, de faire dans la foi les petits pas ou les grands pas que le ciel nous demande de faire (Avec René Coste, Philippe Haddad, saint Silouane, Albert Chapelle, Cardinal Barbarin, AvS, HUvB).

 

18 décembre 2011 - 4e dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Luc 1,26-38

Dernière étape de l'évangile avant Noël : l'annonce à Marie. Dieu lui envoie un ange. Et Marie dialogue avec l'ange. L'ange annonce à Marie qu'elle va avoir un enfant. Et il est nécessaire qu'un ange le lui dise parce que cet enfant n'aura pas de père humain. Comment est-ce possible ? Et l'ange explique à Marie que Dieu est capable de réaliser en elle cette chose impossible. L'ange explique, si l'on peut dire. Dieu est capable de certaines choses qui ne sont pas dans le cours habituel des événements. Marie, qui était très croyante, en est bien convaincue depuis toujours : Dieu est capable de certaines choses qui ne sont pas dans le cours habituel des événements. Marie ne proteste pas en disant par exemple qu'elle est indigne des faveurs de Dieu. Si Dieu le veut, elle n'a pas à réfléchir. Elle dit oui tout de suite. Oui à quoi ? Elle ne sait pas. C'est tellement mystérieux. Mais elle dit oui : Je suis la servante du Seigneur.

L'ange fut envoyé par Dieu à Marie. C'est Dieu lui-même qui assume la responsabilité de la rencontre, c'est lui qui l'organise. Marie ne peut offrir à Dieu que son vide pour qu'il y mette sa plénitude. Le dialogue de Marie avec l'ange c'est le modèle de toute prière. La prière, ce n'est pas seulement une parole adressée à Dieu. La prière, c'est en même temps, et bien plus encore, une écoute de sa parole, une disponibilité à faire ce qu'il dit. La prière n'est pas un monologue, c'est un dialogue. La prière n'est pas seulement l'expression des besoins de l'homme ; prier, c'est se tenir ouvert à tout ce que Dieu dit et à tout ce dont il a besoin. Dieu avait besoin des services de Marie et Marie lui a dit oui.

Ce dialogue de Marie avec l'ange peut aussi nous faire comprendre qu'on ne peut pas faire l'expérience de la foi si on ne conçoit pas Dieu comme un être personnel, capable d'une parole, et l'homme comme un être naturellement tourné vers Dieu. Est-il bon pour l'homme de croire en Dieu ? L'homme peut difficilement entreprendre quelque chose d'aussi raisonnable et d’aussi bon que de se relier à la science de Dieu en croyant (Saint Thomas d'Aquin). Est-il bon pour l'homme de croire en Dieu ? Personne ne peut nous obliger à croire. On ne peut pas croire sans le vouloir. "Un homme peut faire beaucoup de choses pour un autre, mais il ne peut pas lui donner la foi".

Si bien que quelqu'un peut très bien connaître parfaitement les évangiles et refuser de croire. André Gide nous donne un exemple de cette sorte de paradoxe, lui qui dit ceci : "Il y a dans les paroles du Christ plus de lumière que dans toute autre parole humaine. Ceci pourtant ne semble pas suffire pour qu'on devienne chrétien. Encore faut-il croire. Eh bien, je ne crois pas". On peut s'ouvrir à Dieu, on peut se fermer à Dieu. Newman disait : "Nous croyons parce que nous aimons". C'est pourquoi le mieux est que l'éveil à la foi se fasse en famille, le mieux est que les parents acceptent déjà de prier avec leur enfant quand il n’a que deux ou trois ans. Si cette référence à Dieu est négligée, il est évident que la foi sera un langage étranger à l'enfant de huit ans... sauf exception.

Dans son dialogue avec l'ange, à un certain moment, Marie a dit oui à ce qu'elle ne comprenait pas, mais son oui était raisonnable parce qu'elle savait que Dieu était là. Ce qui dépasse la raison, Dieu aussi peut le gérer. Il est impossible de prouver que Dieu n'existe pas. Pas plus qu'il est possible de prouver qu'il existe. Cependant il est raisonnable d'affirmer son existence. Ce qui dépasse la raison ne nie pas la raison. Tout à l'heure André Gide se mettait carrément du côté des non-croyants, tout en reconnaissant qu'il y avait dans les paroles du Christ plus de lumière que dans toute autre parole humaine. Y a-t-il des gens qui refuseront Dieu jusqu'au bout ? Nous n'en savons rien, mais c'est possible. Car si ce n'était pas possible, cela voudrait dire qu'on n'est pas réellement libre. Mais si Dieu nous demande de ne pas juger, c'est parce que nous n'avons pas en mains toutes les cartes.

Si on pensait qu'un homme peut devenir croyant en tombant amoureux ou en trouvant un ami, on se tromperait lourdement. Dans tout ce qui est chrétien, il y a aussi abnégation de soi, renoncement. Le renoncement est une donnée essentielle au christianisme, la Vierge Marie en sait quelque chose. (Avec Joseph Pieper, saint Thomas d'Aquin, Kierkegaard, André Gide, Newman, Mgr Defois, Charles Delhez, AvS, HUvB).

 

21 décembre 2014 - 4e dimanche de l'Avent - Année B

Évangile selon saint Luc 1,26-38

Mille ans avant le Christ, le roi David voulait bâtir une maison de Dieu, un temple. Par son prophète, Dieu annonce à David que c'est lui-même, Dieu, qui va se bâtir un temple dans la descendance du roi. Pour construire ce nouveau temple, Dieu choisit une femme pleine de grâce, Marie. Marie coopère avec Dieu pour la construction du nouveau temple. C'est l'Esprit Saint qui opère en Marie la présence du Seigneur Jésus. Marie devient le premier tabernacle du monde. C'est bien mystérieux pour Marie, ce sera bien mystérieux aussi pour Joseph. C'est bien mystérieux, mais Marie est bien consciente que Dieu lui parle. Et elle-même alors n'a plus qu'une chose à dire : "Je suis la servante du Seigneur. Que tout m'advienne selon ta parole".

Tous les croyants sont des coopérateurs de Dieu. Et tous les humains sont appelés à le devenir : c'est-à-dire croyants et coopérateurs de Dieu. Mais une marche humaine vers Dieu en ligne droite, ça n'existe pas. A certains moments, Dieu touche l'âme, comme Marie par la visite de l’ange, ou d'une autre manière, et la seule réponse possible à ce contact de Dieu, la seule réponse raisonnable, c'est celle de Marie : "Je suis la servante du Seigneur". A certains moments Dieu touche l'âme, à d'autres moments, c'est comme s'il se cachait. Mais la vie continue et il faut bien continuer à marcher en se souvenant qu'un jour on a dit : "Je suis au service du Seigneur". Toute la gloire de Jésus sera un jour de s'asseoir sur un âne : était-ce bien raisonnable ? Une marche humaine vers Dieu en ligne droite, ça n'existe pas.

Après la visite de l'ange, la vie de Marie a continué presque comme auparavant. A ce moment-là, personne n'a rien su de cette visite de l'ange, ni de la descente dans le corps de Marie de la présence de Dieu. On va en pèlerinage dans un lieu célèbre, dans une église ou une cathédrale. Mais tout pèlerinage s'oriente au fond vers le Maître du sanctuaire, jamais vers le sanctuaire lui-même, sauf si on y va simplement en touriste incroyant. Quand on se tourne vers Marie ou vers la crèche, on se tourne finalement vers celui qui habite invisiblement ce sanctuaire. Un grand croyant du XXe siècle disait un jour à Jean Guitton : "On ne risque pas de passer la mesure en louant la Vierge Marie puisqu'elle est toute humilité; les louanges que tu lui fais glissent sur elle pour ricocher sur Dieu". "Dieu a créé le monde pour trouver une mère", disait Nicolas Cabasilas vers la fin du Moyen Age. Et un homme de notre temps, parlant du Christ, disait : "Sa mère fut enceinte du Très-Haut".

L'expérience de Marie en présence de l'ange, tout chrétien la fait aussi d'une certaine manière. Mauriac écrivait à l'un de ses correspondants : "Une des exigences les plus étonnantes de notre Dieu, c'est de tout demander en demeurant caché". Marie, après sa rencontre avec l'ange, n'a pas éprouvé le besoin de raconter partout ce qui lui était arrivé. Elle n'a pas fait de grands discours sur Dieu. Et de toute façon les mots qui essaient de dire la foi chrétienne ne cernent pas la réalité divine, ils nous orientent vers elle. "Je suis la servante du Seigneur, dit Marie Que tout m'advienne selon ta parole". Marie priait certainement déjà avant sa rencontre avec l'ange.

Mais il y a des gens qui ne prient pas et qui ne vont jamais à l'église parce que personne ne les y a conduits : il se peut très bien que ces gens qui ne prient pas ont les mêmes chances que d'autres de faire la volonté de Dieu. Notre intelligence limitée ne peut percer entièrement ce qui a été conçu par le Créateur. Notre intelligence limitée ne peut percer la situation exacte devant Dieu de celui qui ne va jamais à l'église parce que personne ne lui en a montré le chemin. Tout comme notre intelligence limitée ne peut percer ce qui s'est passé entre Marie et l'ange Gabriel.

Est-ce qu'il y a encore aujourd'hui des gens qui disent : "Vous avez la chance d'avoir la foi ; moi, cela ne m'est pas venu" ? Comme s'il s'agissait d'une averse ou d'une grêle de manne : il suffirait de passer dessous ; mais ça, c'est le hasard. Les choses de la foi ne se passent pas de cette manière. On décide ou non d'ouvrir à Dieu son âme, son intelligence, son cœur. Mais il y en a qui se disent : "Et si cette âme soi-disant ouverte appelle les illusions ? Et si cette âme se nourrit de chimères ? Si elle se trompe elle-même ?" Et c'est ainsi, avec ces questions, que certains se ferment sur eux-mêmes. Comme disait l'une de nos contemporaines, assez philosophe : "Nos contemporains ont écarté les illusions religieuses pour entrer dans les illusions de la fête ininterrompue, de la récréation, de la consommation". Et elle concluait : "Fiction que ce bonheur de gadgets, d'amour sans responsabilité et de santé parfaite"... Fiction...

Marie reste éternellement la Mère de cet Enfant qui lui est venu de Dieu. Elle abrite tous les hommes maternellement dans son sein, nous restons toujours pour elle les enfants qu'elle a mis au monde dans la douleur et elle nous mettra au monde jusqu'à ce que cesse le travail d'enfantement de l’Église. (Avec Mgr Khodr, Robert Garric, Fabrice Hadjadj, Nicolas Cabasilas, François Mauriac, Gustave Thibon, Maria Simma, Chantal Delsol, AvS, HUvB).

 

20 décembre 2009. 4e dimanche de l'Avent - C

Évangile selon saint Luc 1, 39-45

Le dernier dimanche avant Noël, nous le passons avec Marie, la mère de Jésus. Pour elle aussi, c'est le temps de l'attente, le temps de sa grossesse. Mais ça ne l'empêche pas d'aller rendre visite, loin de chez elle, à une autre femme qui attend un enfant, sa cousine Élisabeth qui sera la mère de Jean-Baptiste.

L'enfant qu’Élisabeth porte en elle tressaille à l'approche de Jésus. Et à ce moment-là, Élisabeth elle-même est portée par l'Esprit Saint et elle devine que le Messie est venu la visiter, que Dieu est venu la visiter. Élisabeth est comme le porte-parole de son enfant : "Comment ai-je ce bonheur que la Mère de mon Seigneur soit venue jusqu'à moi !" Les deux femmes qui sont là, Marie et Élisabeth, attendent l'enfant du miracle, un enfant qu'on n'attendait pas, un enfant qu'on ne pouvait plus espérer, ou qu’on ne pouvait pas espérer de cette manière-là. Alors, elles tombent dans les bras l'une de l'autre. Elles pleurent de joie et elles remercient Dieu de ces cadeaux venus du ciel.

Dès que Marie a su par l'ange qu'elle deviendrait mère d'une manière incompréhensible, dès que Marie aussi a su par l'ange que sa cousine (sa vieille cousine, si on peut dire) attendait aussi un enfant qu'elle n'attendait plus, Marie s'est mise en route pour aller voir sa cousine, à plus de cent kilomètres de chez elle peut-être, à pied ou à dos d'âne. Marie possède la grâce de faire à chaque instant ce que la grâce lui montre et lui demande. Marie porte en elle un mystère, mais sans le connaître vraiment, sans le pénétrer vraiment. Mais pour ce qu'elle a à faire, il n'est pas nécessaire qu'elle comprenne tout. Il lui est demandé de laisser le mystère s'opérer en elle. Elle s'est mise à la disposition de Dieu quand elle a dit à l'ange : "Qu'il me soit fait selon ta parole". Elle s'est mise à la disposition de Dieu, et Dieu a disposé d'elle. Il lui suffit de comprendre et de faire ce que la grâce, à chaque instant, lui montre et lui demande. Et quelque chose de la grâce de Marie passe à tous les chrétiens s'ils disent vraiment oui à Dieu.

L'homme peut dire non à Dieu. Dieu ne dit que oui et il l'a dit aussi sur la croix. Dieu a dit oui à l'homme puisqu'il l'a créé, quand il l'a créé. Il l'a créé pour le meilleur et pour le pire. Mais le pire, il l'a pris lui-même sur la croix. Vous vous souvenez de ce mot de Jean-Paul Sartre, un homme qui avait dit non à Dieu ouvertement et dans toute son œuvre (jusqu'au bout de sa vie, on ne sait pas), Sartre qui a écrit un jour : "Si Dieu existe, l'homme n'est pas libre". En fait, c'est exactement le contraire qui est vrai : depuis que l'homme existe, c'est Dieu qui n'est plus libre. Depuis qu'il a créé l'homme, Dieu n'est plus libre de ses mouvements, si on peut dire. Dieu a assumé de devenir homme lui-même ; et sur la croix, on a bien vu qu'il n'était plus libre de ses mouvements. L'amour de Dieu pour les hommes est un amour immolé. En tout amour vrai il y a quelque chose comme ça. Tout amour vrai est un amour immolé.

Élisabeth et Marie savent juste ce qu'elles doivent savoir pour savoir ce qu'elle sont à faire et à dire. Une philosophe de notre temps, qui était arrivée aux portes de la foi chrétienne à la fin de sa vie, disait : "Le christianisme parle trop des choses saintes". Elle, la philosophe devenue croyante, craignait de souiller Dieu en le pensant mal. On ne peut pas souiller Dieu, mais on peut le souiller dans le cœur des hommes en donnant de lui une fausse image. Au concile Vatican II, il y a très longtemps déjà, c'était dans les années 1962-1965, tous les évêques du monde réunis ont signé un texte qui disait quelque chose de semblable : "Dans la genèse et la diffusion de l'athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n'est pas mince dans la mesure où, par la négligence dans l'éducation de la foi, par des représentations trompeuses de la doctrine, et aussi par des défaillances de leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire qu'ils voilent l'authentique visage de Dieu et de la religion plus qu'ils ne le révèlent". C'est un texte très dense : on a voulu dire beaucoup de choses en peu de mots; c'est un peu indigeste... Cela vaut la peine de le relire pour commencer à l'assimiler, à le digérer.

Marie s'est offerte sans réserve à une parole de Dieu, elle s'est ouverte sans réserve au Verbe de Dieu. L'homme a été créé par Dieu pour être un auditeur de sa parole. Et l'homme alors devient vraiment ce qu'il doit être en répondant à cette parole. L'homme qui n'est pas dans l'obéissance à la parole libre de Dieu ne correspond pas à l'idée que Dieu se faisait de lui quand il l'a créé. Marie, elle, s'est ouverte sans réserve à une parole de Dieu. Que quelque chose de sa grâce se répande en nos cœurs et dans le cœur de tous les hommes. (Avec Paul Evdokimov, Simone Weil, Jean-Paul Sartre, Vatican II, AvS, HUvB).

 

23 décembre 2012 - 4e dimanche de l'Avent – Année C

Évangile selon saint Luc 1,39-45

Deux cousines attendent un bébé. La plus jeune, Marie, fait tout un voyage pour aller rendre visite à Élisabeth, pour qui la naissance approche. Élisabeth va mettre au monde Jean-Baptiste qui sera le dernier et le plus grand des prophètes de l'ancienne Alliance. Mais cela, Élisabeth ne le sait pas encore. Marie, elle, va mettre Jésus au monde. Que sera cet enfant ? Elle ne le sait pas non plus. Elle sait seulement qu'il vient de Dieu, et uniquement de Dieu.

Et quand les deux cousines se rencontrent, il y a un moment de grâce extraordinaire. Il y a un passage de Dieu qui les envahit toutes les deux. Elles se sentent toutes les deux baignées dans la grâce. C'est Élisabeth qui parle la première : "Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi !" Et Marie de répondre: "Le Seigneur a fait pour moi des merveilles. Saint est son nom !" Les deux femmes se sentent aimées de Dieu et elles se le disent, et cela augmente encore leur joie.

Les deux cousines ne savent pas tout, elles ne savent pas non plus tout ce qui attend leur enfant. Mais Dieu permet pour le moment qu'elles se sentent introduites dans l'amour de Dieu, c'est-à-dire dans l'Esprit Saint. Elles savent de manière élémentaire qu'elles sont aimées et qu'elles aiment. Elles n'ont pas besoin de poser de questions à ce sujet. L'Esprit Saint les remplit de sa présence. Et sa présence répond à toutes les questions qu'elles pourraient se poser.

Marie et Élisabeth étaient heureuses, chacune de son côté. Mais il y a eu un plus dans leur joie quand elles se sont rencontrées. Le philosophe nous dit : "On ne peut pas être heureux tout seul". C'est sûr qu'il y a eu un plus quand Marie et Élisabeth ont pu se dire l'une à l'autre leur bonheur. Élisabeth et Marie n'ont pas eu à réfléchir sur la manière d'engager entre elles un dialogue. Instinctivement elles savaient que Dieu ne demande qu'une chose, c'est que notre cœur soit ouvert au dialogue. Mais Dieu ne nous demande jamais d'ouvrir le cœur des autres au dialogue.

"L'être humain est un grand angoissé. Il cherche sans fin les clefs du bonheur". Pour Élisabeth et Marie, le bonheur était du côté de Dieu qui les avait comblées ; mais il était aussi dans la grâce de leur rencontre. "Le regard, c'est la certitude de l'amour".

Si la vie cesse d'être amour, elle n'est plus la vraie vie. La vie, c'est la communion ; la vie éternelle, c'est la communion avec Dieu, dès maintenant. Mais dans notre existence actuelle, dans la vie présente, l'amour implique la croix, parce qu'il y a des obstacles au don de soi dans l'amour. Nous sommes dans un monde qui est marqué par le mensonge et la trahison, par le désir de posséder et de dominer, par la haine aussi un jour et par la violence. Et alors, dans ces conditions d'existence, la croix éprouve l'amour. Dans la rencontre d’Élisabeth et de Marie, il n'y a pas encore tous ces nuages ; les nuages et les croix viendront plus tard. Par son incarnation, par sa venue dans notre monde, le Seigneur Jésus assume notre vie mêlée de croix et de mort pour nous faire participer à sa vie éternelle.

Nous allons célébrer la fête de Noël, la fête de la venue de Dieu en ce monde. Dieu devient homme et il le demeure éternellement. Par là, Dieu a ouvert à l'homme une issue vers l'infini. (Avec Aristote, les patriarches Bartholomée et Daniel, Cardinal Cottier, Karl Rahner, AvS).
 

20 décembre 2015 - 4e dimanche de l'Avent - Année C

Évangile selon saint Luc 1,39-45

La rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth, c'est Noël avant la lettre. Marie va porter son enfant encore caché à sa cousine. Et Dieu permet à la cousine de reconnaître en Marie quelque chose de divin. Jésus encore caché s'approche d’Élisabeth et Élisabeth est touchée par l'Esprit Saint de Dieu, elle dit à Marie : Tu es vraiment bénie de Dieu, tu portes Dieu en toi et Dieu te porte.

C'est la grâce qui nous est donnée à nous aussi, chaque fois que nous pouvons communier. Et nous portons Dieu en nous jusqu'à la prochaine communion. Et que dit Marie à Dieu, et que devons-nous dire à Dieu quand nous le recevons ? "Je suis la servante du Seigneur". Ou bien comme dans notre deuxième lecture d'aujourd'hui : "Mon Dieu, je veux faire ta volonté".

Mais où est-ce qu'elle est cette volonté ? Nous devons sans cesse demander à Dieu qu'il nous ouvre les yeux. Et qu'il nous donne de voir sa volonté même dans ce qui semble insignifiant dans notre vie, qu'il nous donne de nous donner à lui, et que chaque jour nous devenions plus capables de faire sa volonté. Le contraire de la volonté de Dieu, c'est toujours l'orgueil caché de l'homme. Le diable adore l'orgueil, c'est son péché mignon. Et il tient les hommes par là. Et l'orgueil peut être si bien caché que personne ne s'en aperçoit, et surtout pas celui en qui vit cet orgueil caché, c'est-à-dire en chacun de nous sans doute, dans une certaine mesure.

La vraie prière chrétienne est d'abord l'accueil de ce que nous ne pouvons pas nous-mêmes nous accorder ; la vraie prière chrétienne en ce temps de Noël, c'est de rechercher et de rencontrer celui dont nous avons d'abord à apprendre qui il est. La prière, ce n'est pas d'abord et avant tout demander quelque chose, la prière c'est d'abord chercher à nous ajuster à ce que Dieu nous a fait connaître de lui-même et de son œuvre.

Dieu n'a besoin de rien, il est au-dessus de tout, il possède tout en lui-même et il vient chercher l'homme : c'est le sens de Noël. Quel que soit le péché ou l'infidélité de l'homme, c'est toujours Dieu qui fait et refait le premier pas, qui invite au dialogue quand nous l'avons interrompu. Et la prière, c'est toujours ça aussi : reprendre ou continuer le dialogue.

Jean Guitton, le philosophe et académicien, avait plus de quatre-vingt ans ; on l'interroge sur sa foi chrétienne. Et il disait entre autres choses : "Je trouve que la première communion représente vraiment un moment mystérieux, solennel, dans la vie d'un homme, puisque c'est la première fois qu'il a un contact avec ce qui est essentiel, à savoir Dieu ; mais Dieu comme vivant en lui, lui-même vivant en Dieu". C'est aussi l'expérience vivante de Marie dans l'attente de la naissance. Et du temps de la jeunesse de Jean Guitton, il y avait une prière avant la communion qui disait : "Venez habiter en moi, afin que que je demeure en vous" (parce qu'à cette époque-là on vouvoyait le Bon Dieu). C'est une bonne prière, encore pour aujourd'hui, et pas seulement au matin de la première communion.

Dans la préparation à Noël, l’Église nous met aujourd'hui, par l'évangile, en communion avec Marie. Dans la société humaine, la femme représente le cœur maternel de Dieu. Elle incline à faire prévaloir des relations d'amour sur les rapports de force. La femme est toujours la première à reconnaître en son sein la présence d'un nouvel être humain, qu'elle offre à la reconnaissance et à l'accueil des autres, et d'abord du père.  Et c'est là que le théologien de l’Église ajoute : "Les lois autorisant la femme à avorter détruisent dans la femme ce qui est l'essence même de la féminité : la tendresse maternelle".

La femme de lettres et académicienne se pose un autre genre de question. Elle nous dit : "Pour être très honnête, je dois même dire que moi, une femme, il m'arrive de chercher dans les livres à mieux comprendre cet être si étrange auquel je ne cesse d'avoir à faire et qui est l'homme... Comment peut-on être homme ?" En ces jours de préparation à Noël, il nous faut penser plutôt à demander à notre Mère du ciel quelque chose du regard qu'elle avait sur son Fils Jésus.

Terminer avec l'un de nos anciens dans la foi, il y a très longtemps, saint Grégoire de Nysse, qui écrivait : "Voici qui serait digne d'une longue recherche : comprendre comment vient celui qui est toujours présent ?" (Avec René Marlé, Jean Guitton, Michel Schooyans, Jacqueline de Romilly, Michel Viot, saint Grégoire de Nysse, AvS).
 

TEMPS DE NOËL ET DE ÉPIPHANIE

 

25 décembre 2009 - Noël

Évangile selon saint Jean 1, 1-18

Les évangiles de saint Matthieu et de saint Luc commencent par le récit de l'annonce et de la naissance de Jésus : c'est Bethléem et la crèche et les bergers et les anges. Saint Jean, qui a écrit son évangile longtemps après les autres, suppose que ses lecteurs connaissent tout ça : et la crèche et les bergers et les anges. Lui, saint Jean, avec les autres apôtres bien sûr et les premiers chrétiens, a eu le temps de réfléchir à tous ces événements à la lumière de toute la vie de Jésus et de sa mort et de sa résurrection.

Qu'est-ce que c'est donc que cet enfant qui est né un jour à Bethléem dans une crèche ? Cet enfant vivait depuis toujours auprès du Père, il vit auprès du Père depuis les éternités. Sur terre, cet enfant a reçu, par ses parents, le nom de Jésus. Mais auprès du Père, quel nom lui donner ? Quel était son nom ? Son nom propre, c'est qu'il est le Fils. Mais de plus, c'est ce Fils qui a révélé le Père, c'est ce Fils qui a parlé au nom du Père ; ce Fils, c'est Dieu qui a parlé, il est la bouche du Père invisible, la voix du Père invisible, la Parole du Père. En latin, la parole, ça se dit verbum; alors on a décalqué le mot verbum et on l'a traduit par le mot français Verbe, avec un V majuscule. Le Fils unique du Père invisible, Dieu tout-puissant, s'est fait homme ; la Parole de Dieu, le Verbe, s'est fait homme.

Pourquoi Dieu a-t-il eu l'idée de devenir homme ? Pour nous inonder de sa lumière. Pour nous donner accès à son monde lumineux. Pour nous donner une deuxième vie, plus grande et plus profonde que notre vie terrestre. Il nous fait la grâce de pouvoir devenir enfants de Dieu, la grâce d'avoir auprès de Dieu notre patrie définitive, notre chez-nous définitif, notre maison éternelle.

Dieu, le Père invisible, personne ne l'a jamais vu. Le Fils unique, qui vit auprès du Père depuis toujours, a quitté le Père pour venir nous visiter et nous introduire avec lui auprès du Père. Nous sommes destinés à appartenir à Dieu totalement, nous sommes destinés à être possédés par lui. Comment fait-on quand on voudrait beaucoup aimer quelqu'un ? Il y a une sainte qui disait un jour : "J'espère que le Bon Dieu sent que je l'aime". Dieu, le Père invisible, nous a envoyé son Fils, par amour, à nous qui sommes innombrables. Dieu seul peut nous avoir tous pour ses enfants.

Le dessein de Dieu, le dessein du Fils de Dieu, c'est que tous les humains soient sauvés : c'est infiniment mystérieux et impénétrable. C'est quoi être sauvé ? C'est le royaume de Dieu, c'est être auprès du Père. Pour nos Pères dans la foi, le royaume de Dieu, c'est la connaissance amoureuse de Dieu Trinité. Et la Trinité, c'est la communion.

Dès la période de ses origines, le christianisme s'est présenté comme une révélation qui ouvre sur une compréhension nouvelle de Dieu et du monde. Et cette compréhension nouvelle, c'est qu'on peut parler avec Dieu en toute confiance. Newman, cet Anglican du XIXe siècle qui s'est converti au catholicisme, qui a été choisi comme cardinal par le pape de l'époque, qui sera peut-être un jour canonisé, Newman priait comme ceci : "Je ne veux rien, sinon parler avec toi, juste pour parler. Je souhaite entretenir avec toi une communion consciente".

Et l’Église, la communauté des disciples de Jésus, l’Église qui a été voulue par le Seigneur Jésus, est le signe de Dieu planté dans notre société qui veut se passer de Dieu. L’Église et les chrétiens sont là comme des signes de Dieu pour livrer au monde le mystère du Christ, pour inscrire dans nos sociétés oublieuses le mystère de Dieu qui s'est fait homme.

Qu'est-ce que c'est que Noël ? Noël : il y a ceci de nouveau parmi les hommes, c'est que l'un d'entre eux est Dieu. Pascal disait que Jésus Christ est venu dans l'obscurité, il est venu dans une obscurité telle que les historiens, qui n'écrivent que les choses importantes des États, l'ont à peine aperçu.

La Parole du Dieu invisible qui nous est venue par Jésus Christ concerne tous les humains. Il fait partie de la révélation venue par Jésus Christ que tout homme est déjà foncièrement rejoint par sa grâce. Tout homme, même l'incroyant, est un homme aimé de Dieu, capable de répondre au "Dieu inconnu". Le croyant, le messager de la foi parmi les incroyants, doit prendre au sérieux ses partenaires en les considérant comme des frères dans le Christ. Tous se rencontrent sous le regard du Seigneur et Juge qui leur est commun. Et celui qui est croyant doit toujours se dire aussi qu'une parole de Dieu peut l'atteindre même par son frère non croyant. (Avec Paul Evdokimov, Mgr Dagens, Newman, François Varillon, AvS, HUvB).

 

25 décembre 2010 - Noël

Evangile selon saint Jean 1,1-18

Saint Jean ne commence pas son évangile par tout ce qui a entouré la naissance de Jésus, et la crèche et les bergers, comme le font les évangélistes saint Matthieu et saint Luc. Saint Jean a écrit son évangile longtemps après les autres et il n'éprouve pas le besoin de redire ce qui est connu par ailleurs. Saint Jean commence son évangile par un prologue où il essaie de dire ce qu'il a compris du mystère de Jésus. Depuis toujours, Jésus était auprès de Dieu. Tout a été créé par lui. En lui était la vie. Et il était aussi les lumière des hommes. Et au moment voulu par Dieu, il est venu dans le monde. Personne n'a jamais vu Dieu, mais lui, Jésus, qui était auprès du Père depuis toujours, nous l'a fait connaître.

En ce jour de Noël, l'évangéliste saint Jean dirige notre attention au-delà du petit enfant de la crèche. Dieu est présent dans cet enfant comme il est présent dans l'hostie de nos eucharisties. Parce que Jésus vient de Dieu, pour tout homme il est la vraie lumière. Mais tout de suite saint Jean nous avertit que tout le monde n'a pas fait bon accueil à l'Envoyé de Dieu, au créateur du monde. Et l'histoire continue : tous les hommes n'ont pas encore reconnu l'origine divine de Jésus.

Plus loin dans l'évangile, Jésus dira un jour : "Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé", c'est-à-dire Dieu, le Père invisible. Et Jésus avait ajouté : "Si quelqu'un veut faire la volonté du Père, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même". (Jn 7,17). Dieu donne réponse à qui le cherche vraiment. Il ne faut pas fermer la porte à l'imprévu de Dieu, il ne faut pas fermer les yeux à la lumière de Dieu qu'on a pu entrevoir un jour. Nous sommes invités à marcher selon la parole de Dieu qu'on a entendue. Peu importe le moment où on l'a entendue... comme la femme enceinte n'a pas besoin de savoir quand exactement elle est devenue enceinte, mais elle doit simplement s'adapter à la vie qui grandit en elle. Et de même le croyant doit se laisser transformer par la parole qu'il a reçue en lui et qui l'a touchée.

La foi est un don de Dieu, mais on ne peut pas croire sans raison. Tout le monde n'a pas été convaincu par Jésus durant sa vie terrestre. Même ceux qui ont été témoins de ses miracles n'ont pas tous été convaincus qu'il y avait en lui une présence de Dieu. Les miracles les plus éclatants ne convainquent jamais celui qui ne veut pas être convaincu. "Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu". Jésus vient de l'infini de Dieu. Par Jésus, Dieu s'est rendu accessible aux humains. Dieu a pris forme humaine. Selon toutes les apparences, Jésus était un homme comme un autre ; mais qu'un homme comme un autre puisse être perçu comme Dieu en personne, jamais chose pareille ne s'était produite. Jésus est le seul homme qui ait revendiqué d'être l'égal de Dieu. Il est aussi le seul Dieu humilié de l'histoire. Il est le seul aussi auquel des disciples rendent ce témoignage : "Dieu l'a ressuscité d'entre les morts".

L'homme n'a pas seulement besoin de pain, il a aussi besoin de sens. Dieu souhaite donner sa vie en partage. Et pour cela Dieu crée la terre par désir de l'homme. Nous sommes des êtres dont la destinée est d'éternité. Nous ne sommes pas des êtres pour la mort, comme le disent certains philosophes de notre temps, nous sommes des êtres pour la vie. Et le premier devoir des chrétiens n'est pas simplement de moraliser le monde. Le prologue de l'évangile de saint Jean n'est pas d'abord une leçon de morale. Il appelle tous les hommes à recevoir du Seigneur Jésus la lumière et la vie. La peur ne doit pas être à l'origine de la religion.

De quoi le monde d'aujourd'hui doit-il être sauvé ? Il doit être sauvé d'être sans Dieu, d'être sans destin, d'être sans au-delà, d'être seul. Dieu s'est fait homme. C'est l'affirmation centrale du message chrétien. Pour toutes les autres religions, une telle affirmation n'est pas soutenable, c'est totalement absurde. "Dieu s'est fait homme" : cette affirmation sépare radicalement le christianisme de toutes les autres croyances du monde. Mais pour nous, c'est central : Dieu, personne ne l'a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître. (Avec Lytta Basset, Marie-Christine Bernard, Mgr Léonard, Adolphe Gesché, AvS, HUvB).

 

25 décembre 2011 - Noël

Évangile selon saint Jean 1, 1-18

Le jour de Noël, trois messes sont prévues : la première à minuit, la deuxième, c'est la messe de l'aurore, la troisième, c'est la messe du jour, celle que nous célébrons en ce moment. Au monastère, ces trois messes sont toujours célébrées, avec cette particularité que la messe de minuit, au lieu de commencer à minuit, se termine vers minuit.

Pour chacune de ces trois messes, les lectures bibliques sont différentes. A minuit et à l'aurore, nous lisons le récit de la naissance de Jésus selon l'évangéliste saint Luc : c'est l'arrivée de Marie et Joseph à Bethléem. "Pendant qu'ils étaient là, arrivèrent les jours où Marie devait enfanter. Elle mit au monde son fils premier-né, elle l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune". Et puis il y avait des bergers dans les environs. Un ange rempli de lumière les avertit d'une naissance extraordinaire à Bethléem. Jusqu'ici, c'est la messe de minuit.

A la messe de l'aurore, les bergers se mettent en route vers Bethléem. "Ils découvrirent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire". Et les bergers repartirent, ils glorifiaient Dieu pour tout ce qu'ils avaient vu et entendu.

Maintenant, avec la messe du jour, changement de décor pour l'évangile : première page de l'évangile de saint Jean, saint Jean qui nous plonge dans le mystère de Jésus, qui est le mystère de Dieu. Dans tout l'Ancien Testament Dieu a parlé aux hommes par des prophètes. Maintenant il nous a envoyé son Fils qui est infiniment plus grand que tous les hommes de Dieu des temps passés. Tellement grand que le monde a été fait par lui. Dieu, personne ne l'a jamais vu, mais on peut dire que ceux qui ont vu Jésus ont vu Dieu, le Père invisible.

Dans chacune des pages de l'évangile il nous faut découvrir comment Jésus nous parle de l'incompréhensible. La charité, dit saint Paul, l'amour, excuse tout, espère tout, croit tout. La foi ne redoute pas de s'expliquer avec l'incroyance puisque, dans celui qui ne croit pas, la foi reconnaît aussi celui qui pourrait croire. L'être humain peut se fourvoyer tant qu'il voudra, il ne peut renier ce qu'il est vraiment : un être créé à l'image de Dieu, un être tourné vers l'éternité.

Il nous faut sans cesse purifier les idées que nous nous faisons de Dieu, des idées qui ne sont souvent que le reflet de certains rapports sociaux. Dieu n'est pas un maître, il ne domine pas. Dieu est le libérateur, non pas le dominateur. Dieu est attiré par un autre, Dieu aspire à un amour partagé et il attend la réponse de l'homme. Les non croyants, les gens sans Dieu, ont raison de protester contre les fausses images de Dieu. Dieu n'est pas un monarque absolu, c'est un Amour crucifié. Saint Jean vient de nous le dire de manière voilée : Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu.

Le christianisme ne peut être utile à aucune époque, ni par conséquent à la nôtre, s'il n'apporte pas au monde ce que lui seul peut lui apporter, c'est-à-dire le lien avec la puissance infinie de Dieu devenu homme ; et lui-même Jésus, Dieu devenu homme, est en communion avec le Père et l'Esprit Saint dans la Trinité de Dieu.

Le christianisme est - ou devrait être toujours - la religion de la liberté. Dieu lui-même est infiniment tolérant envers le mal qui existe dans le monde. Il supporte les plus grands malfaiteurs au nom de la liberté. Ce n'est pas par besoin que Dieu a amené à l'existence ses créatures. C'est pour que ses créatures soient heureuses d'avoir part à sa vie, et pour se réjouir lui-même de la joie de ses créatures quand elles puisent inépuisablement à l'Inépuisable.

Ne cherchons pas Dieu dans la lune, alors qu'il est en train de nous laver les pieds. C'est la totale impuissance du calvaire qui révèle la vraie nature de la toute-puissance de l’Être infini. L'humilité de l'amour donne la clef : il faut peu de puissance pour s'exhiber, il en faut beaucoup pour s'effacer. Dieu est infiniment riche : mais riche en amour, pas en avoir. Le tout de l'amour, c'est le renoncement à l'indépendance. A la limite, c'est le calvaire, c'est la mort.

Jamais nous n'aurions pu parvenir jusqu'à la vie intérieure de Dieu s'il n'avait voulu nous l'ouvrir par sa Parole, pour autant qu'il veut nous y introduire et nous y associer. (Avec Nicolas Berdiaev, Dumitru Staniloae, saint Maxime le confesseur, François Varillon, Louis Bouyer, AvS).

 

25 décembre 2012 – Noël

Évangile selon saint Jean 1,1-18

Depuis très longtemps dans l’Église, on célèbre trois messes le jour de Noël avec trois évangiles différents. Durant la nuit, l'évangile est celui de la naissance de Jésus. Joseph et Marie arrivent à Bethléem pour une histoire de recensement. Et c'est là, à Bethléem, qu'arrivèrent les jours où Marie devait enfanter. L'évangile dit simplement : elle mit au monde son fils premier-né ; elle l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire car il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune.

L'évangile de la messe de l'aurore - qui a été célébrée ce matin à l'abbaye -, c'est la visite des bergers à l'enfant qui vient de naître. En pleine nuit, des anges avaient annoncé à ces bergers une naissance extraordinaire dans la ville de Bethléem. Aussitôt les bergers se rendent à Bethléem et ils découvrent Marie et Joseph avec le nouveau-né couché dans une mangeoire. Et les bergers retournent à leurs moutons en remerciant Dieu de tout ce qu'ils avaient vu et entendu.

Et maintenant, pour la troisième messe de Noël, la messe du jour, c'est saint Jean qui réfléchit au mystère de Noël, saint Jean, le disciple bien-aimé de Jésus, qui écrit longtemps après les événements et qui est le plus profond des quatre évangélistes.

Ce qui distingue le christianisme des autres religions, c'est l'incarnation, c'est le mystère de Noël. Dieu ne s'est pas seulement révélé du haut de son ciel lointain, il est venu sur terre, il s'est fait homme. La toute-puissance de Dieu est si grande qu'il a aussi le pouvoir de renoncer à en faire usage, et d'entrer dans le monde des hommes, comme un homme ordinaire parmi les hommes. Mais Dieu ne renonce jamais à quelque chose que pour donner. Par l'incarnation, il renonce pour un temps à sa toute-puissance pour introduire toute l'humanité dans sa vie divine.

Dès la première page de son évangile, saint Jean nous dit son étonnement du fait que les chefs juifs, et beaucoup de juifs à leur suite, refusent le mystère de la naissance de Jésus : "Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu". Plus loin dans son évangile, saint Jean nous dira les pensées des chefs juifs : "Ce Jésus, nous connaissons son père et sa mère. Comment peut-il dire maintenant qu'il est descendu du ciel ?"

Du moins les chefs juifs du temps de Jésus croyaient en Dieu. Aujourd'hui, beaucoup de gens non seulement refusent de croire à la divinité de Jésus, ils refusent aussi de croire en Dieu. Mais ils se posent quand même des questions : Est-ce que Dieu existe ? Qui est-il ? A quoi sert-il ? Qu'avons-nous à faire avec lui ? Tous ceux qui se posent la question de Dieu ont forcément une certaine idée de Dieu... Dieu : c'est ce qu'il y a de plus grand, de plus puissant, de plus redoutable, de plus respectable, de meilleur, de plus digne d'amour, de plus désirable...

Les gens donc se font une certaine idée de Dieu. Un peu comme dans l'Ancien Testament. Dans l'Ancien Testament, Dieu était le maître souverain qui punit les méchants et comble les justes de biens. Dans le Nouveau Testament, Dieu se révèle comme un bébé dans une mangeoire, et puis plus tard comme un homme qui meurt sur une croix. C'est ce que saint Paul appelle le scandale de la croix. La foi en Jésus nous maintient sur les traces de Dieu.

L'évangile apporte non seulement un enseignement nouveau, mais il raconte surtout un événement inouï, un bouleversement cosmique survenu dans une lointaine province de l'empire romain ; cet événement, c'est la résurrection des morts. Cette Bonne Nouvelle, qui dépassait toute compréhension humaine, ne pouvait être annoncée en toute vérité que par ceux qui l'avaient eux-mêmes vue et entendue, et plus tard par ceux à qui ces témoins l'avaient transmise. C'est pourquoi quand il a fallu trouver un remplaçant à Judas pour compléter le nombre des douze apôtres, on a choisi un disciple qui avait accompagné Jésus tout le temps que le Seigneur Jésus avait vécu au milieu des douze apôtres, depuis le baptême de Jean-Baptiste jusqu'au jour de l'Ascension, pour être témoin avec eux de sa résurrection.

C'est quoi Noël ? Dieu s'est laissé voir, toucher, entendre. On n'a jamais fini de demander à Dieu de nous faire comprendre ce que nous devons comprendre de ses mystères, comme il veut et quand il veut. Mais il faut le lui demander.

La réponse à la question du sens de l'existence ne peut provenir que du Dieu vivant, et de manière totalement imprévisible... Le plus invraisemblable de tout, c'est que Dieu ne donne pas la réponse du dehors et d'en haut ; il n'est pas le juge qui trône et regarde le jeu du monde. Il est réellement un acteur qui entre presque incognito sur la scène, qui non seulement désire éprouver la finitude avec ses heurs et ses malheurs, mais qui veut en vivre le dénouement, c'est-à-dire l'échec et la mort. Si cela est, l'existence n'aura pas à se plaindre d'avoir été méconnue en ce qui lui donne tout son poids. (Avec Guy Baret, Joseph Moingt, Alexandre Schmemann, Vincent Holzer, AvS, HUvB).

 

25 décembre 2013 – Noël

Évangile selon saint Jean 1,1-18

Nous célébrons la fête de Noël, la fête de la naissance de Jésus. Pourquoi c'est une fête si importante pour les chrétiens ? Nous, les chrétiens, nous croyons en Dieu, comme le croient aussi les Juifs et les musulmans. Mais ce qui distingue les chrétiens des autres croyants, c'est qu'ils croient de toutes leurs forces, de toute leur âme, de tout leur cœur, de toute leur intelligence, (ils croient fermement) que Dieu est devenu homme, que Dieu a voulu devenir homme, qu'il a voulu naître d'une femme (comme dit saint Paul), et donc qu'il est né petit enfant, comme tous les enfants qui viennent au monde.

Pour les Juifs, pour les musulmans, c'est impossible : Dieu est trop grand. Il ne peut pas devenir homme, il ne peut pas devenir petit bébé. Et nous chrétiens, nous croyons cette chose invraisemblable depuis deux mille ans. C'est le fondement de notre foi : Dieu est devenu homme. Et pas n'importe comment ; il n'est pas né dans un palais royal., il est né dans une étable. L'évangile de la messe de minuit racontait cela dans les termes les plus simples.

Marie et Joseph avaient dû se rendre à Bethléem pour se faire inscrire lors d'un recensement de la population de tout l'empire romain. Marie était enceinte, et pendant qu'ils étaient à Bethléem elle a mis son fils au monde. Elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire car il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Donc une naissance du Fils de Dieu dans l'obscurité la plus complète, personne n'est au courant sauf Marie et Joseph.

Mais le ciel lui-même s'occupe de faire connaître l’événement en pleine nuit à des bergers des environs. C'est un ange de Dieu qui va leur annoncer la nouvelle. Et l'ange invite les bergers à aller à Bethléem pour y chercher l'enfant. C'est très facile à trouver, dit-il : l'enfant est couché dans une mangeoire, ce n'est pas tous les jours qu'on voit ça. Mais ça n'effraie pas les bergers : un agneau dans une mangeoire, ils ont déjà vu. Et de fait les bergers vont bien à Bethléem, ils y découvrent Marie et Joseph, avec un nouveau-né couché dans une mangeoire. Ils offrent à Marie quelques petits cadeaux et deux peaux de mouton pour que le bébé ne prenne pas froid dans sa mangeoire : une peau de mouton sous le bébé et une par dessus. Les bergers s'en vont et ils se font un plaisir de raconter à tout le monde ce qui leur est arrivé : cet ange tout rempli de lumière en pleine nuit, cette grande nouvelle qu'il leur a dite et puis vraiment un bébé dans une mangeoire. Ils ne sont pas fous, les bergers, ils n'ont pas eu la berlue. Peu importe qu'on les croit ou qu'on ne les croit pas : eux, ils ne peuvent pas ne pas dire ces choses invraisemblables qui leur sont arrivées, des choses qui leur ont causé un immense bonheur. Il y a eu un passage de Dieu dans leur vie, c'est clair et net. Ils retournent ensuite à leurs moutons, mais avec le Bon Dieu dans leur cœur.

Dieu est toujours disponible. Celui qui prie sait que Dieu est toujours disponible. Le royaume de la prière est toujours ouvert. Et si le croyant cesse sa communication avec Dieu, c'est lui, le croyant, qui en est responsable. Ce n'est pas Dieu, qui est toujours disponible. L'homme peut refuser la prière comme il peut refuser la nourriture. La prière, c'est ce qui nous procure le pain de Dieu. L'âme qui ne prie pas, elle est pareille à un corps qui meurt faute d'aliments. Le pain de Dieu est toujours offert. Dieu ne claque jamais la porte au nez de celui qui frappe. Celui qui possède une maison paternelle mais qui n'y va jamais ne peut prétendre être orphelin. Dieu est là à toute heure pour accueillir son enfant. Dieu met en tout homme le désir de ce qui est bon, le désir de ce qui est beau et vrai. Mais l'homme peut fermer son cœur.

Un grand historien français de notre temps, qui était en même temps un vrai croyant, a écrit beaucoup de livres d'histoire, que je n'ai pas lus, et aussi deux ou trois livres où il a essayé de dire pourquoi il était croyant et en quoi il croyait. C'est toujours intéressant d'aller voir ce que disent ces gens-là, d'aller voir ce qu'ils disent de leur foi avec toute leur culture humaine d'hommes d’aujourd’hui. Nous célébrons Noël, un bébé dans une crèche. Que va devenir cet enfant ? Que nous dit notre historien ? "Dieu est beaucoup plus grand aujourd'hui qu'hier". Pourquoi ? A cause de la fantastique magnitude prise par l’œuvre du Créateur (à cause des fantastiques dimensions prises par l’œuvre du Créateur) : des millions et des milliards d'étoiles ou de galaxies. Et donc Dieu est beaucoup plus grand encore aujourd'hui qu'hier, à la lueur de l'accablante prise de conscience de son infinie grandeur. Dieu si grand, Dieu si proche...

L'un de nos Pères dans la foi, au début du christianisme, a donné un jour une définition assez curieuse de Dieu, mais qui est en même temps très biblique. Donc ce très vieux chrétien disait, à propos du Père des cieux : "Nul n'est plus mère que Dieu". Le Père des cieux est plus mère que toutes les mères. Et même pour Marie, la mère de Jésus, le Père des cieux est plus mère qu'elle. Marie aussi doit se blottir dans les bras de Dieu.

Qu'est-ce que c'est que Noël ? C'est Dieu qui rompt son silence, c'est Dieu qui se met à parler et qui ouvre ses profondeurs au regard de l'homme qu'il a créé. (Avec Jean-Paul II, Pierre Chaunu, Origène, AvS, HUvB).

 

25 décembre 2014 - Noël

Évangile selon saint Jean 1,1-18

Trois messes sont prévues dans les missels pour le jour de Noël : la messe de la nuit, la messe de l'aurore et la messe du jour. Dans les monastères, ces trois messes sont célébrées à l'heure voulue : la nuit, l'aurore et le jour. A la messe de la nuit et à la messe de l'aurore, les évangiles racontent la naissance de Jésus à Bethléem  : et la mangeoire et les bergers et les anges, et Marie et Joseph ; Marie qui retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur.

A la messe du jour que nous célébrons en ce moment, c'est l'évangéliste saint Jean qui réfléchit sur le mystère de la naissance de Jésus. Saint Jean écrit son Évangile longtemps après les événements : il connaît toute la vie de Jésus et aussi sa mort et sa résurrection. Quand le Fils de Dieu est devenu homme, il ne s'est pas manifesté dans le fracas du tonnerre. Il s'est fait petit enfant, née d'une mère humaine. Et pourtant depuis toujours il était auprès de Dieu, et il était Dieu. Il est devenu semblable à nous, il s'est fait chair, pour que nous puissions devenir semblables à lui, c'est-à-dire enfants de Dieu. Il a eu comme nous une mère charnelle qui l'a nourri de sa chair  et abreuvé de son lait. Il a vécu au milieu de nous, humain parmi les humains. Mais il était le Verbe, la Parole de Dieu, et il est resté le Verbe. Il s'est communiqué à nous. Il était à la fois charnel et spirituel. L'eucharistie dans notre vie est le souvenir permanent de cette incarnation.

Il a habité parmi nous. Il est comme le fils d'un riche employeur qui s'offrirait à habiter avec les plus pauvres ouvriers de son père afin de vérifier si, avec ce salaire et ces conditions de vie, on peut réellement joindre les deux bouts. Le Seigneur Jésus met son héritage en dépôt auprès du Père si bien que, sur la croix, il ne saura même plus qu'il en possède un, il renonce à l'exercice de sa divinité. Il n'emporte pour la route que ce que nous aussi nous possédons par sa grâce : la foi, l'amour et l'espérance. Il vit chez nous, dans les mêmes conditions que nous. Et il fournit la preuve que c'est possible : qu'on est capable de mener une vie chrétienne en ce monde-ci, avec ses limites, ses obscurités et la mort. Il nous montre que, dans le cercle fermé de notre existence, on peut mener une vie ouverte à Dieu, où on attend tout de Dieu seul.

Les chrétiens ont construit des églises depuis toujours et, à Noël, ils fabriquent des crèches depuis longtemps. Ce n'est pas que Dieu réclame un logis quelconque, lui qui demeure dans une lumière inaccessible. Mais Dieu infini prend pitié de nos limites et il permet qu'on édifie pour lui une église ou une crèche, qu'on édifie pour lui un logis limité dans l'espace. Et Dieu donne sa bénédiction à ce logis : "Mes yeux et mon cœur y seront pour toujours". Ses yeux y seront pour que l'homme se souvienne que Dieu le voit. Son cœur y est pour que l'homme y ressente de manière particulière la présence et l'amour de Dieu. L'une des préfaces communes de la messe dit ceci à Dieu : "Nos chants n'ajoutent rien à ce que tu es, mais ils nous rapprochent de toi". De même pour nos églises et nos crèches : elles n'ajoutent rien à Dieu, mais elles peuvent nous aider à nous rapprocher de lui.

Ce qui distingue radicalement les chrétiens des juifs et des musulmans, c'est que les chrétiens soutiennent mordicus depuis deux mille ans que Dieu s'est fait homme, que Dieu s'est incarné, que Jésus est vraiment Dieu et vraiment homme. Pour les juifs et les musulmans, c'est impossible, Dieu est trop grand, Dieu est inaccessible. Pour les juifs, il est même interdit de prononcer son nom. Dieu est au-delà de tout ce qu'on peut voir, entendre, dire et penser. Pour nous chrétiens, Dieu aussi demeure toujours insaisissable même quand nous communions, même quand nous adorons le Seigneur Jésus comme Dieu. Dieu demeure toujours insaisissable. Mais Dieu s'est révélé de manière unique en devenant homme. La révélation de Dieu nous illumine de son mystère. L'accueil en nous de ce mystère, c'est la foi.

Noël, c'est comme si le Christ, au moment de sa naissance, s'était déshabillé de sa divinité. (Avec Philarète de Moscou, Georges Cottier, Philippe Haddad, Georges Lauris, AvS).
 

25 décembre 2015 – Noël

Évangile selon saint Jean 1,1-18

La messe que nous célébrons en ce moment est la troisième de ce jour de Noël. L'évangile de la messe de minuit racontait la naissance de Jésus à Bethléem, et qu'il avait fallu le coucher dans une mangeoire. A la deuxième messe de ce jour de Noël, la messe de l'aurore, l'évangile raconte la venue des bergers à la crèche, des bergers qui, en pleine nuit, avaient été avertis par un  ange d'une naissance extraordinaire et l'ange avait invité  les bergers à aller voir le nouveau-né : c'est facile à trouver, il est couché dans une mangeoire. Et puis troisième messe de Noël, la messe du jour, que nous célébrons en ce moment. Alors, là, pour l'évangile, changement de décor : on n'est plus à la crèche auprès du nouveau-né ; saint Jean, dans cet évangile que je viens de lire, essaie de nous dire ce que cette naissance à Bethléem a d’inouï, d'extraordinaire.

Sur le coup, cette naissance n'avait rien d'extraordinaire : un homme et une femme pauvres obligés de mettre leur bébé dans une mangeoire ! Saint Jean met la dernière main à son évangile vers la fin de sa vie. Il a tout connu de la vie publique de Jésus, il a vu sa mort sur la croix et, avec les autres apôtres, il a vu plus d'une fois Jésus vivant, ressuscité, Jésus qui leur apparaissait par-delà la mort. De plus, après la mort de Jésus, saint Jean a vécu de longues années après de Marie, la Mère de Jésus ; et alors il a certainement appris beaucoup de choses sur Jésus qui ne sont pas consignées dans l'évangile. L'essentiel de ce que saint Jean a compris et qu'il nous communique par tout son évangile, c'est que Jésus était Dieu, et qu'il l'était dès son berceau, dès sa mangeoire.

Et que nous dit alors cet enfant-Dieu dans sa mangeoire ?  Il nous dit : "N'ayez pas peur de Dieu". Le Tout-Puissant peut se faire tout petit pour bien montrer qu'on ne doit pas avoir peur de lui. Il est le Tout-Puissant, c'est sûr, mais pas un Tout-Puissant pour écraser le petit.  Il est le Tout-Puissant qui vient dire au petit que le petit a de la valeur à ses yeux, qu'il est grand à ses yeux.

Et le tout petit du premier jour dans la mangeoire, il va devenir un homme célèbre dans son pays, un homme qui faisait beaucoup de miracles pour guérir les gens ; des foules se pressaient autour de lui, on voulait au moins toucher son manteau, comme pour être touché par la grâce qui sortait de lui. Il attirait les foules, il était grand, il était célèbre. Et il a fini tout petit sur une croix, condamné à mort comme un malfaiteur, méprisé par les autorités religieuses de son peuple. Et les foules ne savaient plus que penser. L'évangile d’aujourd’hui résume d'un mot le destin de Jésus : il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu.

Lui, le Dieu tout-puissant et infini, il est venu dans son peuple, il est venu dans l'humanité qu'il avait créée, et les hommes l'ont rejeté, ils l'ont tué, mais il est vivant par-delà la mort. Saint Jean peut le dire avec les autres apôtres : "J'en suis témoin". Et saint Jean conclut : Personne ne peut voir Dieu. personne n'a jamais vu Dieu. Mais lui, Jésus, qui était depuis toujours auprès du Père tout-puissant et invisible, lui, Jésus, il est devenu homme pour nous faire connaître le  Père, pour nous faire comprendre l’amour du Père pour les hommes, pour nous faire comprendre aussi qu'en tout homme il y a quelque chose qui provient de Dieu, qu'il y a en tout homme quelque chose du mystère de Dieu, et c'est pour cela que tous les hommes doivent s'aimer. Lui, Jésus, le Fils unique de Dieu, nous a fait connaître Dieu en vérité. Lui, il est le Fils unique, et nous, nous venons immédiatement après lui, si nombreux que nous nous croyons innombrables, et pourtant Dieu nous connaît tous et chacun par notre nom, malgré notre multitude. L'amour de Dieu nous atteint tous, quelles que soient nos dispositions.

Il y a une présence continue de Dieu à toute notre vie, à tous les hommes. Un grand priant de notre époque citait à ce propos une sentence (bien connue) d'origine arabe : "Une fourmi noire sur une pierre noire dans la nuit noire, Dieu la voit". Et dès les premières pages de la Bible, il nous est dit : "Marche avec Dieu", comme Hénoch, marche en la présence de Dieu. Et la Lettre aux Hébreux continue : "Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent".

Dans l'Ancien Testament, dans l'ancienne Alliance, il est expressément interdit de se fabriquer une image de Dieu. On ne peut pas imaginer Dieu, on ne peut pas se représenter Dieu. Fabriquer une image de Dieu reviendrait à fabriquer une image de soi-même. Dans le christianisme, on représente le Christ en croix, on représente l'enfant Jésus dans la crèche. Mais dans le christianisme, ces représentations renvoient à l'infini de Dieu. Quand on prie l’enfant Jésus de la crèche, on s'adresse à la Trinité infinie de Dieu, qui est sortie d'elle-même dans l'incarnation. Comme disait l'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps : "A Noël, Dieu nous a fait l'aumône de son Fils". (Avec Jacques Loew, saint Jean Chrysostome, AvS, HUvB).
 

25 décembre 2016 – Noël

Évangile selon saint  Jean 1,1-18

Saint Jean introduit son évangile par cette sorte de poème grandiose sur la véritable origine de Jésus. Oui, Jésus est né dans une étable et, à sa naissance, il a été placé dans une mangeoire. Mais il était Dieu auprès de Dieu, le Père invisible. Il est venu dans l'humanité pour nous dire Dieu. Il est venu habiter parmi nous. Il est venu nous montrer le chemin qui conduit à Dieu. Mais l’évangéliste nous dit tout de suite aussi qu'il y a dans tous les humains une part de ténèbres, il y a dans tous les humains une difficulté à accueillir la vraie lumière.

Dieu a préféré se montrer sous les traits d'un petit enfant plutôt que dans le fracas du tonnerre. Dieu a préféré se montrer sous les traits d'un petit enfant, il a préféré apparaître plus aimable que redoutable, pour inspirer confiance. A Bethléem, tout se passe dans le silence et l'effacement. Et les premiers à être avertis que Dieu est né, ce sont des bergers ; ils sont avertis qu'ils doivent trouver quelque part à Bethléem un nouveau-né couché dans une mangeoire. Ce sont des bergers qui sont les premiers avertis de la naissance du Sauveur de toute l'humanité. Il est le Sauveur, mais le Sauveur de quoi ?

En célébrant la naissance de Jésus, nous célébrons aussi tout son mystère, toute sa vie. Et nous savons comment elle s'est terminée : sur la croix. Nous savons déjà qu'il a pris sur lui nos péchés sur la croix ; et en prenant sur lui nos péchés, il nous a séparés nous-mêmes de nos péchés pour que nous puissions nous approcher de Dieu sans qu'il ait quelque chose à nous reprocher. "Quand tu présentes ton offrande à l'autel, si là tu te souviens d'un grief que ton frère a contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère (et avec Dieu), puis reviens, et présente ton offrande".

Par sa naissance en ce monde, Dieu est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. Dès la première page de son évangile, saint Jean évoque la résistance à Dieu qui se trouve chez les hommes. Notre Église n'est pas un rassemblement de purs, mais une communauté de pécheurs, c'est-à-dire de gens qui luttent intérieurement contre le mal qui les sollicite.

Interviewé à la TV, un homme de notre temps, écrivain bien connu, disait ceci : "Je suis agnostique, ce qui veut dire que je ne sais pas. Il y a des gens qui savent que Dieu existe et il y a des gens qui savent que Dieu n'existe pas. Moi, comme la majorité des gens, je ne sais pas. Je constate que Dieu, qui a régné durant des millénaires, ... a passé un mauvais quart d'heure depuis le XIXe siècle et jusqu'à aujourd'hui encore. Je trouve que l'athéisme est magnifique. J'admire les hommes et les femmes qui ne croient pas en Dieu et qui font le bien, car tout de même les chrétiens, les musulmans, les juifs... attendent une récompense dans l'autre monde. Les athées qui ne croient en rien et qui font du bien, je pense que ce sont ceux-là qu'on devrait d'abord faire asseoir à la droite de Dieu auquel ils ne croient pas". Le chrétien qui rapporte les propos de cet agnostique ajoute ceci comme commentaire : "Faire le bien et être ouvert à la possibilité d'un Dieu vaut mieux qu'asséner sans charité sa foi et se comporter comme un malpropre".

Il est vrai qu'il n'est pas toujours facile de croire : aucune preuve scientifique ne vient étayer la foi et l'espérance chrétiennes. Nous avons seulement une humble certitude intérieure, mais une humble certitude intérieure qui a parfois toute la clarté de l'évidence. Mais autre chose est d'essayer de faire partager à d'autres cette certitude intérieure : nous sommes les témoins fragile d'une foi fragile. Mais Dieu a certainement mille manières d'agir dans nos vies, et beaucoup échappent à nos regards. Celui qui n'a  jamais entendu parler de Dieu et qui avance dans la droiture, le service et l'humilité vit une existence humaine admirable. Et comme au soir de notre vie nous serons jugés sur l'amour, nul doute que cette personne sera accueillie dans le paradis.

L’Église tout entière a conscience d'être dépositaire d'un trésor qui la dépasse de toute part : le trésor de la révélation de Dieu transmise de génération en génération et qui a sa norme dans l’Écriture. Beaucoup de gens croient à l'astrologie, aux signes du zodiaque, à l'horoscope, sans parler des voyants, des médiums et des cartomanciennes. Il est désolant de voir ces gens s'égarer n'importe où alors qu'ils pourraient trouver dans les Écritures et toute la tradition chrétienne la Parole qu'ils recherchent et que nous n'aurons jamais fini d'explorer et de comprendre. Il est normal que les gens soient préoccupés par le sens de leur vie et par leur avenir, et ils ont raison parce que c'est un grand mystère. Mais qu'ils n'imaginent pas trouver une réponse éclairante chez des charlatans qui profitent de la crédulité générale pour s'enrichir, qu'ils n'imaginent pas trouver une réponse sûre chez des charlatans qui peuvent dire des choses justes parce qu'ils ont une espèce de pacte avec le diable, et le diable sait beaucoup de choses.

Nous célébrons aujourd'hui la naissance en ce monde du Fils de Dieu. La pensée ultime du Créateur et aussi sa pensée première, quand il envisagea de créer le monde et l'homme, ce fut de rassembler tous les êtres terrestres et célestes sous un seul Chef, le Christ, sous une seule tête, son Fils Jésus Christ. Pour Dieu, créer l'homme, c'est se pencher avec un amour personnel sur cette créature nouveau-née pour lui insuffler cet amour et susciter sa réponse, un peu comme fait une mère : par la force personnelle de son cœur, elle éveille dans son enfant une réponse d'amour, c'est une véritable création. (Avec Bienheureux Guerric d'Igny, Jean d'Ormesson, Olivier Le Gendre, Cardinal Barbarin, AvS, HUvB).

 

26 décembre 2010 - Fête de la Sainte Famille - Année A

Évangile selon saint Matthieu 2,13-15.19-23

Saint Matthieu nous raconte la fuite forcée en Égypte de Joseph, Marie et Jésus, à cause de la violence meurtrière d'Hérode. Une fois encore, c'est dans un songe que Joseph est averti de ce qu'il doit faire. C'est un ange qui avertit Joseph : "Fuis en Égypte avec l'enfant et sa mère parce que Hérode recherche l'enfant pour le faire périr". Et puis quand le danger est passé, parce que Hérode est mort, c'est un ange encore qui fait savoir à Joseph qu'il peut rentrer dans son pays.

Dieu a bien des manières de communiquer avec nous. Il peut envoyer un ange, pas seulement il y a deux mille ans en Palestine. En notre siècle encore il est arrivé qu'un ange communique avec des humains. Mais Dieu n'est pas obligé d'envoyer un ange pour nous dire ce qu'il faut faire. On peut se sentir poussé à faire quelque chose dans le sens de Dieu. On n'y pensait pas du tout auparavant. Et tout d'un coup on se sent poussé à faire quelque chose qu'on n'imaginait même pas. Et par la suite, on se dit qu'il y avait vraiment là le doigt de Dieu.

Dans l'évangile d'aujourd'hui, Joseph ne dit pas un mot, Marie non plus, et Jésus non plus. Il n'y a que l'ange qui parle. Joseph agit. Il fait ce que l'ange lui a suggéré. Et il le fait tout de suite. Joseph est averti la nuit dans un songe, et tout de suite, de nuit, il se lève et part en Égypte avec l'enfant et sa mère. Cela nous signale que si nous vient à l'esprit l'idée de faire quelque chose selon Dieu, il ne faut pas remettre au lendemain. Joseph n'a pas discuté avec l'ange. D'avance il s'était mis à la disposition de Dieu. Dans toute vie chrétienne, il y a des appels de Dieu. Si on ne répond pas la première fois, les appels suivants seront toujours plus faibles : on sera devenu un peu sourd. Ou bien on n'entendra plus rien à cause du bruit de nos soucis et de nos affaires.

Dans l'Ancien Testament, dans l'ancienne Alliance, Dieu a parlé aux hommes par les prophètes. Mais Dieu parle toujours aussi aux hommes par l'intermédiaire de leur conscience. Et enfin Dieu nous a parlé par son Fils qui est plus grand que tous les prophètes. Aucun être humain, aucune religion ne pouvait imaginer le mystère que nous célébrons à Noël : que ce petit enfant de la crèche est le Fils de Dieu. Aucune religion n'avait inventé cela, aucun homme n'avait découvert cela, c'est Dieu qui l'a révélé. Et si Dieu ne l'avait pas révélé, nous ne pourrions pas le savoir, nous ne pourrions pas y croire. On pourrait dire que la plus grande preuve de la toute-puissance de Dieu, c'est qu'il a pu se faire aussi petit enfant.

L’Église alors, c'est la réunion de ceux qui ont reçu la révélation du but ultime de la vie et qui ont accepté cette révélation. L’Église, c'est la réunion de ceux qui suivent le Seigneur Jésus dans sa marche vers le Père, dans son ascension vers le Père. L’Église, c'est la réunion de ceux qui font de cette ascension la destinée de l'homme. La marche vers Dieu est déjà commencée. Et la messe, c'est le rassemblement de ceux qui vont rencontrer le Seigneur Jésus ressuscité. Le Seigneur Jésus est devenu invisible, non pas parce qu'il est mort, mais parce qu'il est ressuscité et qu'il appartient à un monde qui, temporairement, est caché pour nous.

Dans notre évangile d'aujourd'hui il n'y a que l'ange qui parle. Marie, Joseph et Jésus sont tout à fait silencieux. Mais Dieu agit. C'est dans le silence que Dieu fait entendre ses appels. Et ces appels revêtent toutes les formes possibles, douces ou cruelles : les hasards, les joies, les douleurs, les choses dures et aussi les inspirations. Et quand l'homme se met à la recherche de Dieu, il y a bien longtemps que Dieu est à sa recherche. (Avec Christoph Schönborn, Alexandre Schmemann, Paul Evdokimov, AvS).

 

29 décembre 2013 – Fête de la Sainte Famille - Année A

Évangile selon saint Matthieu 2,13-15.19-23

Depuis la naissance de Jésus dans une sorte d’étable, du temps s’est écoulé. On a eu le temps de trouver une maison. Et tout de suite Joseph s’est mis à exercer son métier de charpentier. Jésus a un an peut-être, Joseph fait un rêve. Et il comprend qu’il faut partir tout de suite avec l’enfant et sa mère. Pourquoi ? Parce que le roi Hérode a appris par les mages qu’un roi était né à Bethléem. Alors Hérode veut éliminer ce concurrent possible à la royauté. Et donc le ciel avertit Joseph qu’il faut partir tout de suite avec l’enfant et sa mère.

En pleine nuit, Joseph réveille Marie et lui dit de préparer le coffre et d’y mettre tout ce qu’elle peut y mettre. Il faut emporter le plus de choses possibles. A l’aube, nous fuyons. Je t’expliquerai plus tard. C’est pour Jésus. Un ange m’a dit : "Prends l’enfant et sa mère… Ne perds pas de temps…" Prends le plus de choses possibles, nous devons rester longtemps au loin. Avec les cadeaux des mages, Joseph a pu acheter différentes choses, des outils de charpentier et aussi trois ânes. Le plus solide des ânes, on le charge de tous les bagages possibles. Il y a un âne pour Marie et l’enfant. Et puis Joseph attache son âne à celui qui porte les bagages et lui-même tient la bride de l’âne de Marie.

La fuite commence quand Bethléem dort encore tranquillement, inconsciente de ce qui l’attend. Et ce qui l’attend justement, c’est la colère d’Hérode. On ne lit jamais le dimanche dans évangile ce qui s’est passé à Bethléem après le départ de Jésus, Marie et Joseph. Le roi Hérode fut pris d’une violente colère. Il envoya tuer à Bethléem et dans tous les environs tous les enfants de moins de deux ans, d’après la date qu’il s’était fait préciser par le mages. Qu’est-ce que cela veut dire ? Dès son plus jeune âge, Jésus, on n’en veut pas. Pour différentes raisons. Hérode craignait pour son trône. Plus tard, ce seront les chefs religieux du peule juif.

Le péché affaiblit notre capacité de recevoir la lumière de Dieu. Ou bien on ne la voit plus, ou bien on la voit autrement qu’elle est. Ou bien on la voit, mais aussitôt on ferme les yeux pour ne plus devoir la voir parce que cette lumière est incompatible avec notre péché. Le péché a changé l’œil spirituel de l’homme. Maintenant on doit lutter pour rester dans la lumière, la lumière de la foi. La lumière a le pouvoir de rendre présent à tout instant l’absolue actualité de Dieu. Ce n’est pas un simple souvenir, ce n’est pas quelque chose de théorique. Il suffit d’un contact avec la lumière de Dieu – par la prière, la lecture de l’Écriture ou par tout autre document qui nous parle de Dieu – pour qu’on soit touché immédiatement et directement pas la lumière de la vérité, par la lumière de Dieu. A plus forte raison quand nous recevons la communion, nous entrons en contact avec la lumière de Dieu.

Et le rôle de l’Église, son devoir, sa tâche, c’est d’éclairer l’univers entier de la lumière qu’elle a reçue il y a deux mille ans en Palestine, sur les bords de la Méditerranée. Cette lumière a déjà touché depuis longtemps tous les pays du monde. Mais la lumière peut être là dans notre pays, et on peut fermer les yeux pour ne pas voir la lumière. Ce que nous fêtons en ce temps de Noël, c’est la toute-puissance de Dieu qui s’est anéantie librement en devenant un simple membre de l’humanité. Dieu renonce par là à toute puissance et surtout à toute volonté de puissance. Il s’est anéanti lui-même pour prendre la forme d’un serviteur, comme dit saint Paul.

Le christianisme a deux mille ans. Ce n’est pas deux mille ans de silence de Dieu. Mais on peut aussi se boucher les oreilles pour ne rien entendre. En présence des prophètes, en présence des hommes de Dieu, il y a trois jugements possibles : ou bien on estime que ces hommes ont dit la vérité ; ou bien on pense qu’ils ont délibérément inventé une histoire ; ou bien on se dit qu’ils ont été victimes d’une illusion. Autrement dit, ce que les croyants estiment être une Révélation de Dieu proviendrait soit d’une confusion mentale ("ils sont un peu dérangés"), soit d’une intention volontaire de tromper les gens, soit d’un fait réel.

Les hommes de Dieu n’ont jamais cherché à acquérir par eux-mêmes le don de prophétie. La révélation dont a bénéficié un prophète lui est toujours survenue contre son gré. Pour le prophète Isaïe, la perception de Dieu fut une aventure vécue dans le trouble. Il disait : "Malheur à moi ! Je suis anéanti, car mes yeux ont vu le Roi". Moïse, lui, se voilait le visage, tellement il redoutait de regarder Dieu. Quand Dieu appelle les prophètes, souvent les prophètes se récusent, ils résistent, ils demandent qu’on les laisse en paix : "Seigneur, je t’en supplie, envoie quelqu’un d’autre". C’est la résistance des prophètes qui leur permet de dire en toute sincérité : "Ce n’est pas moi qui parle, c’est Dieu : ainsi parle le Seigneur".

Aucun prophète n’a désiré être prophète. Le curé d’Ars se jugeait indigne d’être curé, même au fin fond de sa campagne. Et il lisait dans les cœurs. Marthe Robin, notre contemporaine, était prophète tout au fond de son lit de paralysée pendant cinquante ans. Elle aussi, elle voyait des choses que personne ne voyait. Jeanne d’Arc, une fille qui n’avait pas vingt ans, le ciel lui demande des choses invraisemblables et elle les fait envers et contre tout.

Joseph dormait bien tranquillement et le ciel lui demande de prendre la route sans tarder avec Marie et l’enfant. Joseph et Marie vivaient dans la lumière de Dieu. Dieu est lumière, le péché est ténèbres. Marie et Joseph étaient plus proches de la lumière que du péché. En Dieu, il n’y a pas dé ténèbres. Et dans le péché il n’y a pas de lumière. Les saints de l’Église ne peuvent aider les autres (et l’Église) à porter leur fardeau que dans la mesure exacte où ils sont eux-mêmes séparés du péché et où ils vivent dans la lumière. (Avec Paul Evdokimov, Abraham Heschel, AvS, HUvB).

 

28 décembre 2014 - Fête de la Sainte Famille - Année B

Évangile selon saint Luc 2,22-40

Dans cette scène de la présentation de Jésus au temple, l’évangéliste nous parle des parents de Jésus, il nous parle de son père et de sa mère, il ne signale même plus qu’ils s’appellent Marie et Joseph. Jésus entre au temple pour la première fois, porté par ses parents.

Et là, au temple, c’est l’Esprit Saint qui a organisé la réception. Il y a d’abord Syméon dont on nous dit que l’Esprit saint était sur lui. Et c’est l’Esprit Saint qui le pousse à aller au temple justement ce jour-là quand Jésus y arrive. Il prend l’enfant dans ses bras, ce qui n’était pas prévu, et l’Esprit Saint lui fait comprendre que cet enfant, que rien ne distinguait des autres, serait la lumière du monde et la gloire de son peuple.

Et par le hasard de Dieu, voilà qu’arrive une vieille femme qui a deviné aussi par l’Esprit Saint que cet enfant aurait un destin exceptionnel, et elle le dit à tout le monde. Puis après avoir accompli les rites prescrits, Jésus, dans les bras de ses parents, dans la maison de ses parents. Il n’y a pas eu de miracle dans le temple. Mais il y a eu une présence silencieuse de l’Esprit qui a touché le cœur d’Anne et de Syméon pour leur permettre de voir en cet enfant dans les bras de ses parents une présence de Dieu.

Un jour, bien plus tard, dans la synagogue de Capharnaüm, des juifs murmurèrent contre Jésus parce qu’il avait dit : "Je suis le pain descendu du ciel". Les juifs disaient : "Ce Jésus, c’est le fils de Joseph, nous connaissons son père et sa mère, qu’est-ce qu’il vient nous dire qu’il est descendu du ciel ?" Et Jésus leur avait répondu : "Ne murmurez pas entre vous. Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire". Quand on vient au Fils, c’est en raison d’un désir du Père qu’on aille vers lui, et d’un désir que le Père a mis en nous par son Esprit Saint. Dieu peut nous attirer à lui par la pensée, la prière et l’action.

Deux personnes reçoivent Jésus dans le temple : Joachim et Anne. Ils étaient proches de Dieu par le cœur et Dieu pouvait leur parler. Ils étaient croyants et ils vivaient les préceptes de l’Ancien Testament, par exemple ceux-ci : "Puisses-tu écouter Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux. Écoute, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dis aujourd’hui restent gravées dans ton cœur. Tu les répétera à tes fils, tu les diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout" (Dt 6,3-7).

Syméon et Anne sont attirés invisiblement au temple pour rencontrer Jésus qui y vient pour la première fois. Les deux, Syméon et Anne, vers la fin de leur longue vie de fidélité, jouissaient de la consolation de l’Esprit Saint. Saint Ignace, le fondateur des jésuites, disait : "J’appelle consolation toute augmentation d’espérance, de foi et de charité, et toute allégresse intérieure qui appelle et attire aux choses célestes et au bien propre de l’âme, en la reposant et en la pacifiant dans son Créateur et Seigneur". La rencontre de Syméon et Anne avec Jésus a été un instant de lumière.

Et ensuite c’est la vie quotidienne qui reprend, la vie quotidienne avec ses questions insolubles. Une espèce de sage qui se trouvait en captivité en Allemagne pendant la guerre 39-45, avec Jean Guitton, lui disait un jour : "Vous trouverez quelque fois, dans votre vie, des questions insolubles. Ce sont des questions qu’il faut confier entièrement, totalement, absolument à Dieu… L’insoluble, c’est la part du divin dans notre vie et le moyen par où nous pouvons nous rattacher immédiatement à Dieu".

L’évangéliste nous dit qu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans Anne servait Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Saint Augustin disait : "Ton désir, voilà ta prière, et si ton désir est continuel, ta prière l’est aussi… Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer". La prière peut ainsi courir discrètement à travers toutes sortes d’activités. Tout être humain est aussi un être vertical. Il est référé à quelque chose qui le dépasse. Et Dieu demande à tout être humain d’aller à sa recherche avec toute son intelligence. La raison humaine est un chemin vers la communion avec Dieu.

Pour les hommes sans Dieu, pour les philosophes sans Dieu d’hier et d’aujourd’hui, la raison humaine remplace la foi chrétienne, la raison humaine  qu’ils considèrent comme la mesure complète et exclusive de la connaissance. Pour ces philosophes, la raison est ce que la grâce est pour les chrétiens… La grâce qui pousse Syméon et Anne au temple pour rencontrer Dieu.

L’esprit de l’homme est attiré par un pôle supérieur. La créature spirituelle sait qu’elle doit s’élever en répondant à un appel d’en haut. Finalement l’attitude fondamentale de l’être créé, c’est le désir, l’aspiration vers Dieu. Mais c’est Dieu qui prend l’initiative, pleinement libre, de donner la réponse à la question nostalgique de l’homme. La réponse dernière de Dieu s’appelle Jésus-Christ. Mais que cette Parole de Dieu puisse être crucifiée, c’est ce que personne n’aurait jamais été capable d’inventer. Alors la multitude le repousse : non seulement cette réponse de Dieu est inattendue, mais de plus elle est indésirable, c’est un scandale et une folie. (Avec saint Ignace, Jean Guitton, saint Augustin, Guy Coq, Gérard Siegwalt, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

27 décembre 2009 - Fête de la Sainte Famille Année C

Évangile selon saint Luc 2, 41-52

Cet évangile, c'est une belle histoire que nous connaissons bien : Jésus qui a douze ans est comme perdu par ses parents et il est retrouvé. Cela nous dit quelque chose des mystères de Dieu et aussi de chacune de nos vies. On retrouve Jésus dans le temple. Il a quand même douze ans, Jésus, déjà, l'âge de la profession de foi aujourd'hui. Je connais un certain nombre de prêtres et d'évêques qui, à douze ans, savaient déjà qu'ils voulaient devenir prêtres. A douze ans, on sait ce qu'on fait quand même.

On retrouve Jésus dans le temple, occupé à parler avec les docteurs de la loi, les spécialistes de la religion ; ils étaient peut-être intéressés d'avoir devant eux un garçon si éveillé et un garçon qui s'intéressait déjà tellement aux choses de la religion, aux choses de Dieu. Jésus est comme chez lui dans le temple. Il est comme chez son Père. Mais il y a des choses qu'on ne comprend pas bien dans cet évangile : pourquoi Jésus n'a-t-il rien dit à ses parents ? Et Jésus s'étonne qu'on se soit fait du souci pour lui. "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que c'est chez mon Père que je dois être ?" Chez mon Père, c'est-à-dire dans le temple, le temple qui est la maison de Dieu. "Ne saviez-vous pas ?" Eh non ! Marie et Joseph ne savaient pas .

Mais pourquoi Jésus n'a-t-il rien dit avant ? Toute la scène se termine dans la paix. Jésus repart avec ses parents et on nous dit qu'il leur était soumis. Alors pourquoi cet épisode où Jésus disparaît pendant trois jours ? Cela donne à réfléchir. Sa mère gardait tout cela dans son cœur. Non pas sur le cœur, mais dans son cœur. La naissance de Jésus, c'était pour elle un très grand mystère. Cette disparition de Jésus pendant trois jours : encore quelque chose qu'elle ne comprend pas. Mais elle devine, elle sait que Dieu est là. Cela ne veut pas dire que tout est facile. Encore et toujours, elle doit apprendre à faire confiance à Dieu. Cette disparition de Jésus pendant trois jours lui révèle au fond quelque chose de Dieu. Elle découvre un peu plus qu'elle doit toujours rester vigilante, à l'écoute de la voix de Dieu ; elle découvre que Dieu peut lui imposer une souffrance, comme celle de la perte de son enfant pendant trois jours. A l'horizon : souffrir avec son Fils sur la croix, pendant trois jours, avant le jour de Pâques. Mais cela, elle ne le sait pas encore.

Jésus était resté au temple parce qu'il trouvait son bonheur en Dieu. C'est quoi un homme ? C'est quelqu'un qui est destiné à trouver son bonheur en Dieu. Marie pouvait comprendre ces choses. Notre ultime demeure est en Dieu. Comme disait le P. Radcliffe, "si nous nous arrachons à nos lits et à nos maisons le dimanche matin, c'est parce qu'ils ne sont pas notre demeure finale". Le P. Radcliffe est un Anglais. Notre ultime demeure est en Dieu. Dieu Trinité est la demeure finale de l'humanité.

La disparition de Jésus pendant trois jours fait entrer Marie un peu plus dans le mystère de Dieu, elle ne sait pas tout de Dieu ni des chemins de Dieu. Il faut qu'elle apprenne. Nos Pères dans la foi disaient : "Nous ne pouvons pas connaître Dieu tel qu'il est , mais seulement ce qu'il n'est pas". Et nous, aujourd'hui, nous devons sans cesse nous libérer de nos fausses idées de Dieu. La foi, c'est un voyage dans l'obscurité où l'on détruit les idoles. Et en s'approchant du mystère de Dieu, on entrevoit aussi notre propre mystère. Dieu m'appelle par mon nom. Ce que je crois, c'est que je suis quelqu'un que Dieu appelle par son nom.

"Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce". Jésus, comme tout enfant authentiquement humain a eu besoin de l'appel d'une mère pour s'éveiller à la conscience de lui-même et pour entrer dans la vie en toute sécurité. L'éveil de l'enfant ne s'accomplit que par la sollicitation de quelqu'un qui, par ses soins, son amour, son sourire, démontre à l'enfant qu'il y a en dehors de lui un monde auquel il peut se fier. Jésus a eu besoin de tout cela de la part de Marie et de Joseph pour qu'il prenne conscience un jour de sa mission de Fils du Père. (Avec Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

30 décembre 2012 - Fête de la Sainte Famille – Année C

Évangile selon saint Luc 2,41-52

Notre évangile d'aujourd'hui nous rapporte la première parole de Jésus qu'on ait gardée : "Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être". Et la dernière parole de Jésus sur la croix sera : "Père, entre tes mains, je remets mon Esprit".

Ce qui est étonnant dans l'évangile d'aujourd'hui, c'est que Jésus n'ait rien dit à Marie et à Joseph : il est resté à Jérusalem alors que ses parents retournaient à Nazareth avec tout un groupe de connaissances et de pèlerins. Cela veut dire aussi qu'on laissait à Jésus une certaine liberté de manœuvre parmi les parents et connaissances. Pour Marie et Joseph, il était évident qu'ils allaient retrouver Jésus le soir quand on ferait halte pour la nuit. Cela s'était toujours passé comme ça, on n'avait pas de souci à se faire.

Et justement, ce premier soir, alors que Jésus avait déjà douze ans, on ne retrouve pas Jésus à la halte du soir. Évidemment quand Marie et Joseph retrouvent Jésus dans le temple à Jérusalem au bout de trois jours, Marie ne peut pas ne pas poser la question : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Cela fait trois jours qu'on te cherche". Et c'est alors que Jésus répond : "Ne saviez-vous pas que c'est chez mon Père que je dois être ?" Et le temple justement, c'est le lieu de la présence de Dieu. Marie dit à Jésus : Ton père et moi, cela fait trois jours que nous te cherchons. Et Jésus répond en parlant de son Père du ciel : C'est chez mon Père que je dois être.

Pour Marie et Joseph, pendant trois jours, il y avait une montagne qui avait soustrait Jésus à leurs regards. Il peut y avoir un jour quelque chose de cela dans notre vie de foi. Pendant un jour ou trois jours ou de longs jours, il peut y avoir une montagne qui soustrait Dieu à nos regards, et on peut se demander alors où est Dieu. Où est notre foi ? Dieu n'a pas épargné à Marie et à Joseph ces trois jours d'épreuve. Pourquoi ?

Nous sommes invités à voir tous les événements de notre vie dans leur relation avec Dieu. Pour Dieu, tout est cohérent, même si nous, nous ne le voyons pas aujourd'hui. Dans la vie de Jésus lui-même, Dieu va pour ainsi dire aussi se cacher derrière un nuage ; lors du sacrifice de Jésus sur la croix, le Père s'est comme retiré, pour que toute la lumière du salut brille sur le Fils.

Dieu nous fait confiance dans notre cheminement personnel ; il nous fait des suggestions en certaines circonstances, mais sans décider pour nous. Si Jésus est resté trois jours à Jérusalem à l'insu de ses parents, cela devait avoir un sens dans le plan de Dieu : pour Marie et Joseph sans doute, pour les docteurs de la Loi aussi avec qui l'enfant Jésus discutait, et pour Jésus lui-même.

L'un de nos contemporains, dans un tout autre contexte, disait : "Aimer quelqu'un, ce n'est pas l'épuiser (ce n'est pas le connaître à fond), c'est au contraire le laisser être dans son mystère. Cela s'apprend douloureusement". Et il ajoutait - ce qui convient tout à fait à notre évangile d'aujourd'hui - : "Ce qu'il y a de plus profond dans la vie, c'est le rapport à Dieu". (Pour tout dire, notre contemporain qui disait cela le disait à propos de Luther et d'Érasme. On était donc à cent lieues de notre évangile d'aujourd'hui).

Marie et Joseph ont dû apprendre ce jour-là à laisser leur enfant aller vers le Père. Une psychanalyste de notre temps n'a révélé qu'à l'âge de la retraite sa foi chrétienne et ça a interloqué profondément tous ses collègues psychanalystes et sans Dieu ; cette personne donc, Françoise Dolto, ne s'accrochait pas à ses patients, elle se réjouissait au contraire de les voir s'en aller si c'était justement pour eux le signe de leur liberté retrouvée. Apprendre à laisser aller...

Jésus était heureux de rester dans le temple, parce que là, il était chez son Père. Jésus était rempli de l'Esprit Saint dès ce moment-là aussi. L'existence de l'Esprit dans notre cœur fait qu'il y a en nous une sympathie quasi naturelle pour Dieu et le monde spirituel. Au contraire, pour le pécheur, Dieu est une terre inconnue. Le pécheur a le cœur insensible à Dieu, il a le cœur aveugle. Le but de la vie chrétienne, c'est d'entrer dans la sphère de l'Esprit de Dieu pour avoir le sens de la vérité de Dieu, pour se laisser attirer par le bien voulu par Dieu, pour percevoir la beauté du monde de Dieu à venir.

Pécheur ou pas gros pécheur apparemment, tout homme est déjà foncièrement rejoint par la grâce du Christ, du moins par l'offre de sa grâce. Cet homme que je rencontre, tout homme, même l'incroyant, est un homme aimé de Dieu, capable de répondre au "Dieu inconnu". Le messager de la foi parmi les incroyants doit prendre au sérieux ses partenaires en les considérant comme frères dans le Christ. Tous se rencontrent sous le regard du Seigneur et du Juge commun. C'est pourquoi le chrétien doit rester conscient que, dans les autres points de vue, il y a aussi une part de vérité, mais que la vérité chrétienne est toujours plus grande que ce qu'il peut en saisir. Et donc que le jugement de Dieu peut l'atteindre même par son frère non croyant. (Avec Guy Bédouelle, Françoise Dolto, Thomas Spidlik, AvS, HUvB).
 

27 décembre 2015 - Fête de la Sainte Famille - Année C

Évangile selon saint Luc 2,41-52

L’évangéliste saint Luc est le seul à nous avoir gardé cet épisode de l'enfance de Jésus. Jésus est un bon fils, soumis à ses parents. Pourquoi ne leur a-t-il rien dit à la fin du pèlerinage à Jérusalem ? On est comme Marie, sa mère, on ne comprend pas. Pendant trois jours, Jésus est comme perdu pour les siens. Quelque vingt ans plus tard, Jésus à nouveau sera comme perdu par les siens. Il était parti sans espoir de retour puisqu'il était mort. Et on l'a retrouvé vivant au bout de trois jours; il s'est manifesté comme étant vivant par-delà la mort. Jésus est ressuscité des morts le troisième jour. Dans notre évangile d'aujourd'hui, c'est au bout de trois jours que ses parents le retrouvent dans le temple. Pourquoi ce silence de Jésus à douze ans ?

Quand Jésus, plus tard, parlera aux foules, il leur dira un jour : "Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres" (Jn 8,12). Quand Jésus avait douze ans, ses parents ont été plongés dans la nuit pendant trois jours, trois jours d'angoisse. Toutes nos nuits, comme nos péchés, tout est finalement dans la lumière. Mais quand on est dans la nuit, on peut se demander parfois s'il y a encore de la lumière quelque part. Dieu permet que les croyants soient parfois dans la nuit. La lumière va revenir, mais Dieu sait quand ! Et ça ne dure pas que trois jours parfois. Ça peut être beaucoup plus long.

Ma mort, c'est la mienne. Personne ne pourra la vivre à ma  place, je serai seul à l'affronter. Prier, c'est se savoir dépendant, c'est recourir à plus fort que soi, c'est s'abandonner à plus fort que soi. Les orgueilleux ne peuvent pas prier. Jésus est comme perdu pendant trois jours. Marie et Joseph le cherchent de toutes leurs forces et dans l'angoisse. Et Jésus leur est rendu au bout de trois jours. L'évangile ne parle pas de la prière de Marie et de Joseph pendant ces  trois jours. Ils recherchaient Jésus de toutes leurs forces, mais en s'abandonnant en même temps entre les mains de Dieu.

Cette nuit de trois jours apprend un peu plus à Marie et à Joseph à s’abandonner entre les mains de Dieu. Cette nuit de trois jours a fait grandir encore la foi de Marie et de Joseph. Nous avons reçu la foi au baptême, sans le savoir, pour la plupart d'entre nous. Nous avons tous à passer d'une foi reçue à une foi approfondie. On a toute la vie pour progresser.

Il y a des Noëls païens ou pagano-chrétiens comme il y a des dimanches pagano-chrétiens. Il faut s'habiller "en dimanche", jouer extérieurement le dimanche, au lieu de le sanctifier, au lieu d'éclairer toute cette journée par la messe du dimanche. Toute la semaine pourrait être comprise comme une ascension vers le dimanche. Le mode d'emploi de notre vie quotidienne devrait être la parole de Dieu.

Marie et Joseph n'ont pas compris pourquoi Jésus avait disparu pendant trois jours sans leur en dire un mot.  Marie et Joseph ont fait là une certaine expérience de Dieu. Dieu n'est pas limité à mon expérience. Dieu est l'Incommensurable, il n'est pas limité à moi-même. Il est le Dieu de toutes choses et de tous les êtres. Il est toujours au-delà de ce que j'ai pu comprendre de lui. C'est pourquoi la foi a tout contre elle : la raison s'y oppose et le monde tel qu'on le voit lui donne tort.

Et le non croyant se croit autorisé à nous dire : "Mais ouvrez donc les yeux sur le monde, Dieu n'y est pas". Et le non croyant peut continuer : "Il faut que vous l'acceptiez : il n'y a visiblement rien. Pourquoi cherchez-vous à rendre compte de ce monde par quelque chose qui n'y est pas et qui expliquerait tout ? Soyez réalistes, expliquez le monde par lui- même, regardez".

Il n'y a aucune évidence de l'existence de Dieu, il n'y en eut jamais et il n'y en aura pas. Si on attend l'apparition, si on attend le miracle, on peut attendre longtemps ; et toujours on soupçonnera d'avoir mal vu, par distraction, illusion ou même hallucination, qui sont toujours convaincantes, mais peut-être dues à ce que l'on vient de boire. Si on attend des preuves, elles ne viendront pas. Mais l'incroyant pourrait un jour aussi se poser la question : "Est-ce que, dans ma conscience, je ne fais pas obstacle à l'accueil de la vérité ?"

Marie et Joseph à la recherche de Jésus ont vécu trois jours dans la nuit. Pourquoi cette épreuve ? L'éternité est toujours présente ; et, par la foi qui grandit et se développe, l'éternité peut se faire progressivement transparente, et finalement se révéler plus présente qu'absente. C'est à cela que nous sommes tous appelés par notre cheminement dans la foi. (Avec Marie-Dominique Goutierre, Gérard Siegwalt, Alexis Jenni, Georges Cottier, saint Maxime le confesseur, AvS, HUvB).
 

1er janvier 2012 - Sainte Marie, Mère de Dieu

Évangile selon saint Luc 2, 16-21

Huit jours après Noël, on nous propose le récit de la visite des bergers à l'enfant nouveau-né. Mais avant de découvrir l'enfant, les bergers découvrent Marie dont c'est la fête aujourd'hui. Marie et Joseph. Marie, elle ne dit pas un mot aujourd'hui : elle retient tous ces événements et elle y réfléchit dans son cœur. Et le huitième jour, l'enfant reçoit le nom de Jésus, le nom que l'ange lui avait donné avant sa conception.

Quand le Fils de Dieu s'abaisse jusqu'à demeurer parmi nous en tant qu'homme, il ne le fait pas avec la distance du grand seigneur qui daigne passer quelque temps dans le logis des domestiques pour témoigner sa bienveillance à ses serviteurs. Il se fait homme comme nous et il devient le meilleur serviteur du Père. Marie, elle aussi, est la servante du Seigneur. Celui qui vit dans la lumière ne cherche qu'à s'effacer devant Dieu. Celui qui vit dans la nuit cherche à se rendre lui-même aussi important que possible. Marie est discrète, on ne l'entend même pas aujourd'hui, elle n'a pas de grande déclaration à faire, elle vit dans la lumière et elle médite dans son cœur tout ce qui vient de se passer depuis neuf mois.

Marie, d'elle on peut dire : "La présence furtive d'un saint suffit pour attester Dieu". Et Dieu vient à chacun d'une manière personnelle. Il est venu à Marie d'une manière invraisemblable. Il est venu à Joseph pour qu'il accueille le mystère de Marie. Il est venu aux bergers pour qu'ils soient remplis de joie en découvrant que les anges ne les avaient pas trompés en leur annonçant un bébé à Bethléem dans une mangeoire.

Dieu dans une mangeoire ! C'est l'originalité de la foi chrétienne. Le christianisme accueille un Dieu qui prend l'initiative de se manifester lui-même. Et il se manifeste d'une manière que personne n'avait osé imaginer. Dans une mangeoire ! Dieu se fait homme pour initier l'homme à une rencontre essentielle avec lui. Dieu ne se manifeste pas de loin, à distance. Il rejoint l'homme dans sa condition mortelle pour lui ouvrir le ciel, c'est-à-dire la parfaite communion avec lui.

Qu'est-ce que c'est que cette parfaite communion avec lui ? Un homme politique de notre temps, qui a été président de la République, pendant presque toute sa vie il s'est présenté comme étant agnostique : Dieu, il n'est ni pour, ni contre, il ne sait pas. Du moins c'est ce qu'il disait. Et voilà qu'au seuil de l'éternité il retrouve l'espérance chrétienne. Un journaliste évoque un jour avec lui sa prochaine rencontre avec Dieu. L'homme politique avait souri et il avait répondu : "J'espère qu'il me dira : sois le bienvenu !" C'est quoi la communion avec Dieu ? C'est espérer qu'un jour il nous dira : "Sois le bienvenu!"

"Tu veux le bonheur et cependant tu vas mourir. Comment fais-tu pour te débrouiller avec ça ? Comment fais-tu pour ne rien diminuer de ton désir de la joie et ne rien offusquer de ta lucidité face à la mort ?"... Comment fais-tu ? "J'espère qu'il me dira : sois le bienvenu!"

On dit que la foi c'est un don de Dieu, pas une simple production de la raison ou du sentiment. Alors on va nous répondre : "La foi est un don, or je n'ai pas reçu ce don, Dieu ne s'est pas encore révélé à moi, je vous envie de croire, pour ma part, je ne peux pas". La foi est un don parce qu'elle porte sur quelque chose qui dépasse notre raison. La foi n'est pas une conclusion théorique. Dieu fait don de sa grâce à tous les hommes, mais il y a pour nous la tâche de nous y disposer et de la recevoir toujours plus profondément. La foi est un don fait à la raison, et la raison doit être dans l'attente active de ce don. "J'espère qu'il me dira : sois le bienvenu !"

Depuis huit jours, nous célébrons tous les jours dans l’Église le mystère de Noël. A la source de l'homme il y a un mystère que rien d'autre ne peut dévoiler qu'une parole venue de Dieu qui est l'origine de l'être. Et parmi toutes ces paroles de Dieu, on voudrait bien un jour qu'il nous dise à nous personnellement : "Sois le bienvenu !" (Avec Henri de Lubac, Mgr Rey, Lucien Jerphagnon, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

1er janvier 2017 - Sainte Marie, Mère de Dieu

Évangile selon saint Luc 2,16-21

En ce 1er janvier, nous souhaitons une bonne et heureuse année à tous ceux que nous rencontrons. Notre première lecture aujourd'hui nous suggère ce que nous pouvons avoir dans le cœur quand nous exprimons nos vœux : "Que le Seigneur te bénisse et te garde. Qu'il fasse briller sur toi son visage. Qu'il se penche vers toi et t'apporte la paix".

Huit jours après avoir célébré la naissance du Seigneur Jésus, l’Église nous invite à célébrer sa Mère, sa Mère qui était au cœur des événements, qui retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur, comme vient de nous le rappeler notre évangile. "Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur" : il est vraisemblable que l'évangéliste saint Luc a recueilli cette confidence de Marie elle-même. A moins que ce ne soit de la bouche de l'apôtre saint Jean à qui Jésus avait confié sa Mère alors qu'il mourait sur la croix.

Marie est la Mère de Dieu et notre mère : qu'on s'en souvienne tous les jours de cette année qui commence. En devenant la Mère du Sauveur, Marie est devenue la mère des sauvés. "Reine du ciel, humble servante, conduis-moi au Seigneur Jésus, toi qui reflètes sa lumière sur tous ceux qui marchent dans la nuit".

Qui se met à la disposition de Dieu portera l'une ou l'autre souffrance. Marie s'est mise à la disposition de Dieu. Quand l'ange l'a appelée de la part de Dieu, elle a simplement dit : "Je suis la servante du Seigneur". Même si Marie s'est mise avec joie à la disposition de Dieu, elle aura à porter l'une ou l'autre souffrance à la suite de son geste. Pourquoi en est-il ainsi ?

Il y a dans le christianisme des mystères qu'on ne peut comprendre que de l'intérieur. Et pour les comprendre de l'intérieur, nous avons besoin de la grâce de Dieu parce que c'est la grâce de Dieu qui éveille le désir d'apprendre à le connaître. Il y a dans le christianisme des mystères de Dieu qu'on ne peut comprendre que sous l'influence de sa grâce, c'est-à-dire de son Esprit Saint. Et l'une des manières de se trouver sous l'influence de la grâce, c'est d'écouter la Parole de Dieu contenue dans l’Écriture. Chaque auditeur de la Parole de Dieu, chaque lecteur de l’Écriture, se retrouve, comme Moïse, à l'écoute de Dieu.

Une prière sans ferveur, c'est comme un corps sans âme, et la ferveur de la prière ne se trouve que sous l'influence de la grâce. Pour le non-croyant, la prière est un doux délire, c'est un soliloque que celui qui prie prend pour une parole adressée à quelqu'un (C'est un philosophe non-croyant d'un temps déjà un peu ancien qui disait cela). La prière a besoin d'être nourrie pour rester vivante. C'est comme dans le mariage : il faut sans cesse mettre du bois pour éviter que le feu s'éteigne ; il faut sans cesse nourrir la fidélité par le dialogue et le partage. Saint Augustin (encore lui !) disait : "Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce qu'on a".  C'est aussi vrai dans le mariage que dans la prière : le bonheur, c'est de continuer à désirer ce qu'on a. Ce qu'on a, c'est une relation avec Dieu, c'est une relation avec un époux ou une épouse.

Voilà Marie sur la paille avec son enfant, et Joseph auprès d'elle. Celui qui a la foi avance comme un pauvre. La foi de Marie, c'est un oui de tout son être à Dieu. La foi tout court, c'est le oui de tout notre être à Dieu. La foi, c'est savoir que la puissance de la grâce nous dépasse. Qu'allons-nous devenir ? Que va devenir cet enfant qui ne vient pas de Joseph mais de Dieu ? La foi, c'est savoir que la puissance de la grâce nous dépasse.

Comment faire pour que les paroles de la vie éternelle et la lumière de l’Évangile rejoignent les cœurs aujourd'hui quand la culture change ? Comment faire pour que cette parole puisse germer et offrir son sens à nos contemporains ? Comment dire la foi aujourd'hui ? Comment nous la dire à nous-mêmes d'abord ? Jésus est la seule personne qui, dans sa petite enfance, n'a pas été blessée par un manque d'amour. Le Seigneur Jésus est totalement amour et son amour se manifeste à travers son désir que chacun de nous soit libéré de sa peur d'aimer. "Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi" (Ap 3,20). Et si tu ne veux pas devenir mon ami parce que tu as trop peur ou parce que tu ne sais pas où ça va te mener, je resterai dehors et j'attendrai ton oui. Nous sommes tous en marche vers Dieu, nous sommes tous appelés à rencontrer Dieu en vérité, tous les humains sont appelés à rencontrer Dieu en vérité, même ceux qui ne le savent pas encore aujourd'hui.

Nous fêtons la Vierge Marie, Mère de Dieu. Elle est sur la paille avec son enfant. Joseph aussi est là. L'Esprit Saint surtout est là qui accompagne tous les événements. L'homme n'est jamais plus libre que lorsqu'il est conduit par l'Esprit. (Avec Sœur Marie-Pierre Faure, Philippe Haddad, saint Augustin, Cardinal Barbarin, AvS, HUvB).
 

3 janvier 2010 - Épiphanie du Seigneur

Evangile selon saint Matthieu 2, 1-12

Saint Matthieu ne raconte pas ce qui s'est passé lors de la naissance de Jésus. Il signale simplement que Jésus est né à Bethléem en Judée et aussitôt il relate cet épisode des mages, des étrangers, des savants qui savent lire les étoiles. Ces mages viennent de l'Orient, ils viennent de l'est, c'est bien vague, on n'en sait pas plus. Ces étrangers arrivent à Jérusalem, ils viennent de loin pour rendre hommage au roi des juifs qui vient de naître. Quand Hérode apprend cela, il n'est pas très heureux. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Le roi des juifs, c'est moi. Et je ne suis pas né la veille. Mais quand même Hérode interroge les spécialistes des Écritures. Et d'après ces spécialistes, le Messie, le futur roi des juifs, doit naître à Bethléem. C'est marqué dans la Bible. Alors Hérode demande aux mages d'aller repérer les lieux. Hérode n'est peut-être pas très convaincu de cette histoire de la naissance récente d'un roi des juifs. Mais on ne sait jamais. Et si vraiment il y a quelque chose, les mages lui rendront service en lui disant exactement où on peut trouver ce roi au berceau. Les mages font ce qu'ils doivent faire, guidés par le ciel. Ils trouvent l'enfant, avec Marie sa mère, ils se prosternent devant lui, ils lui offrent leurs cadeaux. Et puis le ciel encore fait comprendre à ces mages qu'ils ne doivent pas aller rendre compte à Hérode de l'endroit où ils ont trouvé l'enfant. Et donc ils rentrent dans leur pays par un autre chemin.

Que veut dire cette petite histoire des mages qui viennent adorer Jésus enfant ? Cela veut dire que des gens étrangers à la foi d'Israël, étrangers à la foi du peuple de Dieu, viennent les premiers reconnaître le Messie, le grand envoyé de Dieu promis depuis longtemps. Et c'est le ciel lui-même qui guide ces païens vers le Messie d'Israël, le Messie d'Israël qui est venu dans le monde pour toutes les nations du monde, pour tous les hommes. Cet épisode des mages d'Orient nous montre comment Dieu agit. Ces mages ont reconnu une présence de Dieu dans leur vie, ils ont reconnu un appel de Dieu dans un petit événement de leur quotidien, dans un petit événement dans leur vie de tous les jours : il y avait un astre pas comme les autres au bout de leur lunette. Et ils ont su que Dieu leur faisait signe, que Dieu les appelait. On ne doit voir partout des signes de Dieu. Mais Dieu peut nous faire signe par les choses les plus ordinaires. Les mages sont comme des enfants vis-à-vis de Dieu. Ils ne savent pas ce que c'est que désobéir. Ils sont ouverts à Dieu et ils le suivent en toute innocence, en toute naïveté. Et ils trouvent ce qu'ils cherchaient. Les mages ne faisaient pas partie du peuple élu. Et Dieu a été les chercher pour montrer à tous les hommes que tous les hommes sont invités dans son royaume, dans sa maison, à sa table. L’Église du Christ aussi s'adresse au monde entier.

Si le mal est semé sur la terre - produisant des fruits affreux -, si le mal est semé sur la terre chez les croyants comme chez les incroyants, le bien lui aussi est semé, mais sans qu'on le remarque parfois ; et le bien accomplit son œuvre discrètement et avec persévérance. Le mal était semé dans le cœur d'Hérode qui ne pensait qu'à éliminer tout de suite ce soi-disant roi des juifs qui venait de naître. Et le bien était semé dans le cœur des mages, et ils ont fait tout de suite ce que le ciel leur suggérait.

Il y a des gens, des philosophes, des techniciens et beaucoup d'autres qui refusent a priori la possibilité d'un Dieu personnel qui se révèle. Le Dieu incarné, crucifié et ressuscité ne peut agir comme une source de lumière et de paix que pour les cœurs qui s'ouvrent librement à lui. Le malheur par lui-même est quelque chose de négatif. Mais le malheur peut constituer un appel aux profondeurs du cœur, de la conscience, de l'esprit, de l'intelligence. Par contre la prospérité risque de maintenir l'être humain dans le superficiel. Les mages n'ont pas eu besoin de malheur pour se tourner vers Dieu et pour répondre à son appel. Mais il arrive que, devant la mort, devant une situation humainement sans issue, l'homme s'ouvre à Dieu pour recevoir de lui le sens définitif de son existence. Par la foi, l'homme s'en remet tout entier à Dieu.

Le Fils de Dieu se manifeste là où personne ne l'attendait. Les mages n'attendaient rien. Hérode n'attendait rien, surtout pas un nouveau roi des juifs. Le Fils de Dieu se manifeste là où personne ne l'attendait et il projette sa lumière sur l'obscurité de l'homme : sur les mages dans la nuit remplie d'étoiles, et aussi certainement dans chacune de nos vies. (Avec Alexandre Men, Pierre Chaunu, Olivier Clément, Jean Daniélou, Karl Rahner, AvS, HUvB).

 

2 janvier 2011 - Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

Saint Matthieu écrit son évangile aux alentours de l'an 80 sans doute. Il écrit son évangile pour des chrétiens d'origine juive. Et dans la scène qu'il raconte aujourd'hui, il montre que les premiers adorateurs de Jésus (après les bergers) sont des païens, des mages venus d'Orient, des étrangers. Pour saint Paul, qui est aussi d'origine juive, l'un des grands mystères qu'il a découvert en devenant chrétien, c'est que le Seigneur Jésus est le Dieu de tous les hommes, pas seulement le Dieu des juifs, mais le Dieu et des juifs et des païens.

Les mages d'aujourd'hui ont fait un long voyage pour découvrir le Seigneur Jésus. Tous les hommes, de tous les pays du monde sont en route vers le Seigneur Jésus qui nous a révélé le mystère du Père invisible et de l'Esprit Saint. Les mages ont reçu un signe de Dieu, une révélation de Dieu, pour se mettre en route. Saint Paul, qui était un bon juif et un dur à cuire, n'a pas dû faire un aussi long voyage que les mages. Le Seigneur Jésus l'a renversé sur le chemin de Damas. Saint Paul a alors été ébloui par une grande lumière. Il en a perdu la vue pour quelques jours. Mais ses yeux intérieurs se sont alors ouverts à la lumière de Dieu, au grand mystère du Seigneur Jésus.

Et quand les mages ont découvert Jésus, il n'est pas nécessaire qu'ils retournent chez Hérode à Jérusalem pour lui dire qu'ils ont trouvé Jésus. Ni Hérode, ni les savants juifs qui l'entourent ne peuvent y comprendre quelque chose pour le moment. Il y a un temps pour comprendre les choses de Dieu. Il y a un temps pour pouvoir être touché par Dieu, par l'enseignement de Jésus. Il y a des conditions pour qu'on puisse être touché par Dieu. Les mages nous montrent ici le chemin : avec le peu qu'ils ont compris, ils se mettent en route. Ils ont vu une petite lumière dans le ciel, une petite ou une grande. Et quand ils auront marché des jours et des jours, Dieu leur fera le cadeau d'une très grande lumière. Aucun événement qui nous arrive n'est par hasard, aucune parole que nous entendons n'est par hasard. Telle personne t'a été envoyée ; à telle autre personne, c'est toi qui a été envoyé. Et ni elle, ni toi ne le savez. C'est Dieu qui agit de cette manière sur notre destinée spirituelle.

Le problème humain par excellence, c'est celui de la destinée de l'homme. Le christianisme est fondamentalement simple parce qu'il touche à ce qu'il y a de plus essentiel en tout être humain, parce qu'il touche aux questions que les jeunes comme les adultes se posent avec anxiété parfois : pourquoi vivre ? Pourquoi donner la vie plutôt que de ne pas la donner ? Pourquoi aimer la vie surtout quand elle est dure ? Et comment surmonter la peur de ne pas être aimé ? Et où trouver la force d'aimer de façon pure et durable ?

Les mages se sont mis en route quand ils ont vu une petite lumière dans le ciel. Le pape Benoît XVI, quand il n'était encore que le théologien Joseph Ratzinger ou le cardinal Ratzinger, a écrit un petit livre qu'il a intitulé : "Chemin vers Jésus". Encore un chemin ! Et là, il écrit ceci : "Dans une vie humaine, ce qui importe, le point suprême, le point décisif, c'est la primauté de Dieu. Le cœur de la tentation, c'est la mise à l'écart de Dieu : Dieu considéré comme une question d'importance secondaire dans notre vie. La tentation, c'est de se prendre soi-même pour plus important que Dieu, soi-même avec ses besoins et ses désirs personnels : voilà la tentation qui nous menace toujours".

Les mages de l'évangile, quand ils ont découvert l'étoile dans le ciel, ils auraient pu rester tranquilles chez eux, assis au coin du feu. Mais ils se sont mis en route pour aller ils ne savaient pas où, là où Dieu les attendait.

L'aventure des mages, l'univers entier avec ses grands courant d'histoire païenne et judaïque, sont la preuve des efforts constants de Dieu pour ramener à lui sa créature. Et lorsque toutes ses tentatives ont échoué, le Père met son Fils en danger et l'envoie sans défense au milieu des vignerons perfides. Il accepte d'assister en silence à la mort de son Fils. (Avec Alexandre Schmemann, Henri de Lubac, Mgr Dagens, Joseph Ratzinger, AvS, HUvB).

 

8 janvier 2012 - Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

Les mages ont vu un signe dans le ciel. Pour eux, c'est un signe de Dieu. Il faut qu'ils se mettent en route. Ils arrivent à Jérusalem. Et là, ils ne savent plus ce qu'ils doivent faire. Ils interrogent les autorités en place. On les envoie à Bethléem. Et là, les mages trouvent ce qu'ils cherchaient : ils voient l'enfant avec Marie, sa mère, et ils se prosternent devant lui. Ils offrent leurs cadeaux et ils rentrent chez eux par un autre chemin. Pourquoi un autre chemin ? Parce qu'il ne faut pas qu'ils retrouvent le roi Hérode qui ne penserait qu'à une chose : éliminer le plus vite possible ce soi-disant petit roi qui pourrait devenir un concurrent pour le trône.

Les mages : trois petits tours et puis s'en vont. On ne les reverra plus dans l'évangile. Les mages représentent des gens qui sont dans la lumière ; Hérode, lui, c'est les ténèbres. - Avant de partir pour Jérusalem, les mages priaient Dieu : - Pourras-tu te servir de nous ? - Réponse de Dieu : Oui, avec ma grâce. - Les mages : Serons-nous à la hauteur ? - Réponse de Dieu : Oui, avec ma grâce. - Et la grâce de Dieu les accompagne. Quand ils ne savent plus ce qu'ils doivent faire, ils s'informent. Et ce sont de futurs ennemis de Dieu qui vont les mettre sur le bon chemin vers Bethléem. Et pour retourner dans leur pays, la grâce de Dieu encore va leur indiquer un autre chemin.

Voilà les mages : des hommes qui se sont mis à la disposition de Dieu. Et pour se tenir à la disposition de Dieu, ils étaient prêts à renoncer à certaines choses. C'est ce qu'ils ont fait. Ils se sont mis en route sans savoir où ils allaient, mais dans la grâce de Dieu. Par les mages, le Seigneur Jésus nous invite à voir toute chose à la lumière de Dieu. Il veut nous introduire dans la lumière de la foi et de la paix.

"Dieu, personne ne l'a jamais vu. Mais le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l'a fait connaître". C'était l'évangile de Noël. Qu'est-ce que ça veut dire connaître le Père ? Qui donc ça intéresse ? Un homme veut d'abord connaître le dernier épisode de son feuilleton préféré, ou connaître une femme, on connaître Pondichéry, par exemple. Le Père, c'est quoi ? Eh bien, c'est simple, c'est trop simple. Le Père, c'est la source éternelle. Comment a-t-on pu croire que le christianisme allait contre la vie ou que Dieu était en concurrence avec la moindre des choses qu'il a créées ? C'est tout le contraire : il la veut cette petite chose. Ce lis des champs, ce moineau : il les veut infiniment, et à plus forte raison il veut chaque visage. Et il veut répandre sur chacun la vie en surabondance. Le christianisme, c'est cela : une vie éternelle où on n'a jamais fini d'être étonné.

Les mages posent la question au roi Hérode : où est le roi qui vient de naître ? Et Hérode est capable (en se faisant aider) de donner aux mages la bonne réponse. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que le mal qui s'oppose à Dieu entre malgré lui au service de Dieu. Ce sera vrai au maximum de la croix : le mal qui s'oppose à Dieu entre malgré lui au service de Dieu. Et pourtant sur la croix Jésus priera comme ceci : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Cela veut dire pour nous que la certitude de la foi ne nous épargne pas nécessairement la nuit. Une mère qui vient de perdre son enfant est une pauvre. Une femme abandonnée par son mari est une pauvre. Un homme qui perd son travail est un pauvre. Celui qui apprend qu'il a un cancer est un pauvre. Celui qui vieillit et s'affaiblit est un pauvre. Chacun de nous, quand il se sent désarmé, faible, incapable, et qu'il l'admet, est un pauvre. La difficulté, ou le drame, c'est d'admettre notre pauvreté. Il faut entendre Dieu nous dire : "Tu n'as pas besoin de faire semblant, tu n'as pas besoin de te cacher, tu peux être toi-même".

D'une manière invraisemblable les mages ont reconnu devant un petit enfant ce qu'ils cherchaient. Et nous, comme les mages, nous reconnaissons que Dieu s'est rendu visible à nos yeux. Et le Seigneur Jésus doit maintenant nous apprendre "à nous laisser entraîner par lui à aimer ce qui demeure invisible". (Avec Michel Cool, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

6 janvier 2013 - Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

Voilà trois hommes, trois mages, dont le cœur est simple et droit. Ce sont des espèces de savants qui sont curieux de ce qui se passe dans le ciel. Ils ont découvert un beau jour, ou une belle nuit, une étoile inconnue. C'était pour eux un signe du ciel, le signe qu'un roi venait de naître. Et ils se mettent en route pour aller rendre leurs hommages à ce roi dont le ciel a pris l'initiative de leur communiquer l'existence. Si le ciel leur a envoyé un signe, ce n'est pas pour rien. Ils savent qu'ils ont le devoir d'aller rendre hommage à ce roi dont le ciel lui-même a eu le souci de leur communiquer la venue au monde.

Dieu est toujours capable d'agir dans le cœur des hommes pour leur ouvrir une espérance, pour leur montrer un chemin. Dieu habite toujours dans son temple. Le temple de Dieu, c'est aussi le cœur de l'homme. Dieu est à l’œuvre partout, dans la discrétion, le silence, la simplicité, l'inattendu. Dieu est à l’œuvre dans notre vie. Et il va à la rencontre de tous ceux qui ne le connaissent pas encore.

Mais aujourd'hui il y a beaucoup d'obstacles pour nos contemporains qui sont à la recherche de Dieu qui sauve (beaucoup d'obstacles peut-être aussi pour nous-mêmes). C'est l'évangile qui nous le dit : Si quelqu'un te demande de faire une course d'un mille avec lui dans la foi, fais-en deux avec lui (Mt 5,41).

Les mages de notre évangile se sont ouverts à l'inconnu. Il y a toujours de l'inconnu dans nos vies. Un jour, Marie s'est trouvée devant une grossesse inattendue. Un jour, Jésus s'est trouvé devant l'inconnu de sa Passion. Mais chaque fois, ce qui nous est inconnu est connu de Dieu. Et c'est là qu'il nous attend.

Le péché, c'est de refuser la lumière qui nous est donnée. Le péché pour les mages aurait été de hausser les épaules : on ne va quand pas faire tout un voyage pour une malheureuse étoile. Une de plus, une de moins, qu'est-ce qu'on en a à faire ? Et Dieu les attendait à Bethléem. Le péché, c'est aussi de refuser de voir ce qu'on entr'aperçu et qui vient de Dieu ou qui vient peut-être de Dieu.

Mais il y a toujours des obstacles sur la route. Il y a l'astre dans le ciel, il y a la lumineuse clarté du christianisme et il y a aussi la pesanteur de l’Église. Et pourtant la profession de l’Église, c'est de parler à toute l'humanité. Il y a l'astre dans le ciel, mais il y a aussi l'Esprit Saint qui est le témoin à l'intérieur de nous-mêmes et qui nous communique la grâce de croire. Il y a toujours des obstacles sur la route. Des quantités de gens ne savent pas pourquoi ils souffrent et souvent ils se révoltent. Et, dans la prière, nous devons dire à Dieu : "Voilà, nous te prions pour eux qui ne te prient pas et ne savent pas te prier".

Il y a toujours des obstacles sur la route. Par exemple, pourquoi prier ? Nous devons prier pour que la grâce de Dieu nous imbibe, nous prenne, nous transforme, sinon nous restons à la surface de nous-mêmes. C'est notre contemporain, Pierre Goursat, le fondateur de la Communauté de l'Emmanuel qui disait cela aux membres de cette communauté naissante : "Nous devons prier pour que la grâce de Dieu nous imbibe, nous prenne, nous transforme, sinon nous restons à la surface de nous-mêmes".

Il y a toujours des obstacles sur la route. Marie-Madeleine, Marie de Magdala, la pécheresse, avait mis d'elle-même beaucoup d'obstacles sur sa route vers Dieu et vers Jésus. Et que lui dit Jésus quand il l'a rencontrée? "Je ne fais pas de différence entre celui qui m'aime avec une pureté intacte et celui qui m'aime avec le sincère regret d'un cœur qui renaît à la grâce".

Il y a toujours des obstacles sur la route. Voici ce que disait sainte Thérèse de Lisieux : "Où serait votre mérite s'il fallait que vous combattiez quand vous vous sentez du courage ? Qu'importe que vous n'en ayez pas, pourvu que vous agissiez comme si vous en aviez ! Si vous vous trouvez trop lâche pour ramasser un bout de fil et que néanmoins vous le fassiez pour l'amour de Jésus, vous avez plus de mérite que si vous accomplissiez une action beaucoup plus considérable dans un moment de ferveur". Quand Thérèse écrit cela, elle n'avait pas vingt-quatre ans. (Avec Mgr Pican, Alexandre Schmemann, Newman, Pierre Goursat, sainte Thérèse de Lisieux, AvS).

 

5 janvier 2014 Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

Voilà trois personnages puissants avec des habits très riches et tout un défilé de chevaux, de dromadaires et de chameaux. Ils arrivent à Bethléem en pleine nuit. Le bébé qu'ils vont voir a de neuf à douze mois. Le plus vieux des trois se met à parler : une nuit, au mois de décembre précédent, une nouvelle étoile s'est allumée dans le ciel, avec une splendeur inhabituelle. Jamais les cartes du ciel n'avaient signalé cet astre.

Cette étoile avait donc fleuri, envoyée par Dieu, pour dire aux hommes une vérité divine, un secret de Dieu. Mais la plupart des hommes ne savaient pas lire les signes que Dieu leur donne avec les astres de feu dans le ciel parce que leurs âmes étaient plongées dans la boue. Mais, eux, les trois, ils avaient vu et ils cherchaient à comprendre ce que Dieu voulait dire. Et ils s'étaient plongés dans des documents anciens, et ils avaient compris le nom et le secret de l'étoile. Elle voulait dire : "Le Messie est venu au monde".

Et ils étaient partis pour l'adorer. Ils voyageaient de nuit et ils étaient arrivés en Palestine, car l'étoile allait dans cette direction. Et en Palestine, ils vont, bien sûr, à Jérusalem, parce que le roi, c'est là qu'il devait être. Mais l'étoile s'était cachée sur le ciel de cette ville. Ils étaient tout tristes, ils se demandaient s'ils n'avaient pas fait quelque chose de mal aux yeux de Dieu. Ils sont allés voir le roi Hérode pour lui demander dans quel palais était né le roi des juifs. Hérode avait interrogé les spécialistes des Écritures et on lui avait répondu que c'était évidemment à Bethléem.

Les trois hommes se remettent en route, la nuit bien sûr comme toujours, et ils avaient été très heureux de constater que l'étoile était réapparue. Puis l'étoile s'était arrêtée au-dessus de cette maison. Et ils avaient compris que c'était là que se trouvait le divin roi. Et maintenant ils l'adoraient en offrant des cadeaux et en remerciant Dieu de tout leur cœur pour la grâce qu'il leur avait accordée. Et Marie met son bébé dans les bras du plus âgé qui embrasse l'enfant et reçoit ses caresses, et le plus âgé passe ensuite l'enfant aux deux autres. Et la caravane se remet en route.

Beaucoup d'hommes ont vu l'étoile. Il n'y en a que trois qui se sont mis en route. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient à l'écoute de Dieu. Et eux déjà ils ne voulaient plus avoir dans leur cœur un coin qui ne soit pas rempli de la volonté de Dieu. Alors ils se sont laissés attirer par Dieu et ils se sont mis en route.

Et quand on vit comme si Dieu n'existait pas, qu'est-ce qui se passe ? Un philosophe sans Dieu au XIXe siècle a essayé de dire ce qu'il ressentait de l'absence de Dieu : "Comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné une éponge pour effacer tout l'horizon ? Ne sentons-nous pas le souffle du vide sur notre visage ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne vient-il pas toujours des nuits, de plus en plus de nuits ? Ne faut-il pas, dès le matin, allumer les lanternes ?" Autrement dit, il fait froid, il fait nuit, dans un monde sans Dieu.

Cinquante ans plus tard, un autre philosophe sans Dieu disait la solitude de l'homme sans Dieu. Il écrivait : "Nous sommes, et nous sommes seuls". Un autre disait : "A quoi bon aller sur la lune si c'est pour s'y suicider ?" L'homme qui a oublié la résurrection, il est seul dans la prison infinie de l'univers. L'homme est arrivé à maîtriser beaucoup de choses dans le monde, mais cela ne lui a pas apporté automatiquement le bonheur et la plénitude de la vie.

Dieu est l’Absolu, tout le reste est relatif. Jésus nous dit dans les béatitudes : "Bienheureux les pauvres, car le royaume des cieux est à eux". Être pauvre, ce n'est pas intéressant. Tous les pauvres sont bien de cet avis. Ce qui est intéressant, c'est de posséder le royaume des cieux, mais seuls les pauvres le possèdent.

A certaines époques de son histoire, l’Église n'a pas assez respecté la liberté d'autrui... Mais il est difficile de juger le passé avec notre conscience d'aujourd'hui qui est le fruit d'une longue maturation. Mais il est vrai que la mission de l’Église (de tous les baptisés), c'est d'annoncer ce qu'elle a reçu. Elle n'est pas chargée de convertir. L'acte de conversion est propre à chacun et c'est l’œuvre de Dieu. Beaucoup d'hommes avaient vu une étoile nouvelle dans le ciel. Trois hommes seulement se sont mis en route.

Pour aller vers Dieu, aucun trajet, aucun effort n'est foncièrement nécessaire pour passer de notre monde et de notre quotidien à Dieu et à la surnature parce que, comme le dit saint Paul, le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ nous a bénis et comblés de toutes les bénédictions spirituelles dans le Christ. (Avec Nietzsche, Albert Camus, André Malraux, Olivier Clément, Daniel-Ange, Madeleine Delbrel, Cardinal Martini, AvS, HUvB).

 

4 janvier 2015 - Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

Notre évangile nous décrit deux manières de se situer devant le mystère de Dieu : il y a les mages et il y a Hérode. Hérode est roi à Jérusalem : il sait, il n’a pas besoin de chercher. C’est le roi des juifs, on peut supposer qu’il est croyant. Dieu s’est révélé à Israël. Il n’est pas besoin de chercher plus loin : Dieu, on connaît. Les mages, eux, n’ont pas les certitudes d’Hérode. Ils viennent de loin, ils n’ont pas derrière eux la longue histoire de la révélation progressive de Dieu au peuple d’Israël. Et voilà que Dieu intervient dans la vie de ces mages par un signe singulier qu’ils ne comprennent pas : une étoile s’est levée et qui doit vouloir dire quelque chose. Et ils se laissent guider par l’étoile et, à Jérusalem, ils se laissent guider par les sages d’Israël qui connaissent de longue date le Dieu qui s’est révélé à eux. Les mages entendent la parole des prophètes, ils y croient et ils vont se prosterner devant l’enfant de Bethléem. Ensuite, on perd les mages de vue, on ne sait pas ce qu’ils sont devenus.

Le chemin des mages nous indique quelque chose du chemin de tout chrétien et de tout homme. Chacun, qu’il soit croyant ou non aujourd’hui, a toujours à chercher le juste chemin vers Dieu, la vraie religion. Nous sommes toujours appelés à collaborer à l’œuvre de Dieu. La tentation de toujours, celle d’Hérode, est de s’arrêter en chemin. Marie a vécu des choses tout à fait insolites dans son chemin vers Dieu à un certain moment de sa vie : la rencontre de l’ange, la venue en elle d’un enfant alors qu’elle ne connaît pas d’homme, puis la naissance à Bethléem et la fuite en Égypte. Pour Marie, il y a eu l’extraordinaire du début, et ensuite la longue marche dans la foi. Et la longue marche dans la foi, c’est qu’elle sait que Dieu lui donne toujours ce qui est bon même si cela ne conduit pas toujours à une action pieuse ou à une prière consciente. Elle reste naturelle avec Dieu.

Une femme de notre temps, romancière, historienne et mère famille, nous livre son credo. Voici ce qu’elle dit : "En nous donnant la maternité, Dieu nous donne une approche de lui bien plus forte que ce que peut ressentir un homme à l’égard de Dieu. Pendant les neuf mois où nous portons un enfant, nous vivons une expérience prodigieuse : former un être. Tout, en nous, vit cela, pense à cela ; je peux imaginer la sollicitude de Dieu à l’égard de chacun de nous, former un être pour l’éternité, le porter trente ou quatre-vingts ans… Le travail de notre chair nous unit à son travail de gestation du monde. Nous enfantons avec lui, et cela manquera toujours à un homme… Si, dans les églises, il y a toujours plus de femmes que d’hommes, c’est parce que les femmes sont plus proches de Dieu, elles sont reliées à la création, à Dieu créateur, par leur propre chair. Les hommes sont la cérébralité de Dieu, nous sommes sa créativité et son cœur". Voilà donc Jeanne Bourin : les femmes pourront en discuter, et aussi les hommes…

Les mages de notre évangile se sont laissés guider vers la vérité par un signe venu du ciel. On peut dire aussi que l’existence de tout homme est animée par la recherche de Dieu, consciemment ou inconsciemment. Parce qu’il y a en tout homme, un jour ou l’autre, la question de sa propre existence. Et alors, s’interroger sur Dieu, c’est s’interroger sur soi-même.

A l’opposé de l’homme qui n’a pas encore découvert Dieu vraiment et qui se pose des questions un jour ou l’autre, il y a les chrétiens traditionnels. Et ce qui perturbe les chrétiens traditionnels (c’est le Père Radcliffe qui disait cela), ce qui perturbe les chrétiens traditionnels, c’est la peur du chaos. Le monde connu est secoué et l’avenir est incertain. Alors, ils veulent un christianisme qu’incarne un ordre bien défini, un monde sûr et sans danger… Un monde sûr et sans danger qui a conduit Marie à Bethléem pour accoucher dans une étable, et Marie à la croix pour enfanter son Fils dans les ténèbres de la mort et le froid du sépulcre.

Les mages se sont mis en route, guidés par l’étoile mystérieuse. Tout être humain est un mystère. Je suis moi-même un mystère pour moi. Chacun de vous est sans doute un mystère pour lui-même. Donc je ne suis pas mon propriétaire. Il y a quelque chose de moi-même qui m’échappe pour toujours, quelque chose qui est de l’ordre du mystère… Dieu aussi est un mystère. Il est à jamais inaccessible, il est toujours au-delà de toute saisie par nous-mêmes, il est à jamais transcendant, toujours au-delà.

Dieu est toujours au-delà, mais il n’est jamais tout à fait extérieur à l’homme, il n’est jamais tout à fait étranger. Puisque c’est lui qui a fait l’homme. Tout comme un enfant ne peut jamais être tout à fait étranger à sa mère, même si l’enfant, par malheur, s’était beaucoup éloigné d’elle. Dieu ne peut jamais être tout à fait étranger à l’homme. Et alors quand Dieu se dévoile à l’homme, en devenant petit enfant dans une étable, il dévoile aussi l’homme à lui-même. (Avec Dimanche en paroisse, Jeanne Bourin, Rudolph Bultmann, Timothy Radcliffe, Gérard Siegwalt, AvS, HUvB).
 

3 janvier 2016 - Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

Des étrangers, des païens, reçoivent du ciel un signe qui les conduit à Jésus. Cette page de l'évangile est un résumé de l'aventure chrétienne de l'humanité. Tous les humains sont en marche vers Dieu. Et Dieu donne un jour ou l'autre à chaque être humain le signe dont il a besoin pour se mettre en marche vers Dieu, puis ensuite continuer sa marche jusqu'au bout du chemin.

Ça n'a pas été tout seul pour les mages de notre évangile. A un certain moment de leur marche, ils ne savaient plus ce qu'ils devaient faire. Ils avaient comme perdu leur boussole. Dieu permettait pour eux cette épreuve. Les mages ont été obligés de demander leur chemin à des Juifs. Et c'est de cette manière que les Juifs de Jérusalem ont été mis au courant, pour la première fois, que leur Messie était né.

Sur le coup, les Juifs n'ont rien compris. Et le roi des Juifs, Hérode, s'est empressé d'essayer de supprimer cet enfant qui aurait pu devenir roi à sa place. Quelque temps après cette visite des mages à Jérusalem, Hérode envoya sa troupe à Bethléem avec mission de massacrer tous les enfants de moins de deux ans. Mais l'évangile nous raconte comment Jésus a échappé à ce massacre : Joseph, l'époux de Marie, a été averti en songe de quitter le pays en toute hâte ; c'est ainsi que Joseph, Marie et Jésus sont partis en pleine nuit pour aller en Égypte, et ils ne sont revenus en Palestine qu'après la mort d'Hérode quand un ange, une fois encore, avertit Joseph que le danger était écarté et qu'il pouvait rentrer au pays.

Dieu porte et dirige la vie de chaque être humain, et à plus forte raison la vie de Jésus enfant. Dieu porte et dirige chacune de nos vies. Il est compréhensible alors qu'il connaît nos soucis, il ne mésestime pas nos soucis. Dieu se soucie de nous, il se soucie donc aussi de nos petits soucis, et des grands. Saint Pierre, par sa foi juive et par tout ce qu'il avait appris de Jésus, en était bien convaincu, et il donne ce conseil dans sa première Lettre : "Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu, jetez en lui tous vos soucis car il a soin de vous" (1 P 5,7). Celui qui pense venir à bout par lui-même de tous ses soucis crée un obstacle entre lui et Dieu ; c'est comme s'il connaissait un endroit où il ne permettait pas à Dieu d'entrer. Les mages ont eu des soucis à un certain moment, et ils ont demandé aux Juifs de les éclairer. Joseph dormait tranquillement, et il n'avait pas de soucis, mais l'ange de Dieu lui a fait savoir qu'il y avait péril en la demeure et qu'il fallait dare-dare quitter les lieux pour aller en Égypte.

Après sa résurrection, Jésus est apparu au groupe  de ses disciples dans une maison dont les portes étaient bien fermées. Dieu donne à chacun les signes dont il a besoin, que les portes soient fermées ou non. Dieu a parlé aux mages d'une manière, par une étoile qui les intriguait. Presque au bout du chemin des mages, des Juifs leur ont indiqué où ils devaient aller. Dieu a parlé à Joseph d'une autre manière, dans un songe. Dieu est toujours capable d'enter par les portes fermées. L'eucharistie aussi, la messe que nous célébrons, signifie toujours que le Christ, de l'extérieur vient à nous à travers les portes fermées.

Un théologien de notre temps a eu l'audace d'écrire un jour : "Le peu que nous connaissons de notre histoire véritable et la plus profonde nous découvre partout, en tout temps, des effusions de l'Esprit prophétique, des infusions de la vérité divine. A la faveur de circonstances favorables, de grands surplus de lumière vivifiante en viennent comme à déborder".

Pour les mages de l'évangile, il y a eu deux lumières dans leur vie : un astre dans le ciel, puis à Jérusalem les Écritures saintes des Juifs. Pour nous chrétiens, il y a l’Évangile, c’est-à-dire toute la révélation qui nous est venue par le Seigneur Jésus et dont l'essentiel se trouve dans le Nouveau Testament : les quatre évangiles et les écrits des apôtres, les premiers témoins. Pour nous chrétiens, comme lumière sur notre route, il y a toute la révélation contenue dans le Nouveau Testament, mais il y a aussi tous ses prolongements spirituels à travers les siècles.

Nous commençons une nouvelle année : qu'elle soit pour tous une année de lumière et d'un surcroît de lumière. Et je termine avec François Mauriac, avec ce qu'il écrivait à l'un de ses correspondants au seuil d'une année nouvelle : "Que cette année vous apporte ce que vous désirez ou plutôt (car il faut nous méfier de nos désirs) que la volonté de Dieu s'accomplisse en vous et par vous. Quand on est chrétien, il n'y a pas d'autre vœu à formuler que celui-là".(Avec Cardinal Ratzinger, Louis Bouyer, Catherine Chalier, François Mauriac, AvS).
 

8 janvier 2017 – Épiphanie du Seigneur

Évangile selon saint Matthieu 2,1-12

"Levons-nous à l'exemple des mages... Courons avec joie à la demeure de l'enfant... Avant d'adorer cet enfant, décharge-toi de tout ce qui t'encombre. Si tu es riche, dépose ton or à ses pieds, donne-le aux pauvres. Ces étrangers sont venus de loin pour contempler ce nouveau-né ; comment pourrais-tu refuser de faire quelques pas pour visiter un malade ou un prisonnier ? Les mages ont offert leurs trésors à Jésus, et toi, tu n'as même pas un morceau de pain à lui donner ?" Voilà ! Est-ce du pape François? Non, c'est d'un homme qui vivait au IVe siècle à Constantinople, dans la Turquie actuelle, et il s'appelait Jean Chrysostome.

Les mages de l'évangile d'aujourd'hui symbolisent l'humanité tout entière. Ils sont guidés par une étoile mystérieuse et ils se sont mis en marche vers la vraie lumière ; c'est une humble lumière à ce moment-là : ils voient l'enfant et sa Mère, et ils se prosternent pour adorer. Ces étrangers venus de loin sont étrangers à la foi d'Israël. Et ils ont besoin de Jérusalem et des Écritures pour découvrir Jésus. Les gens de Jérusalem, eux, ne se déplacent pas. Ces étrangers se font des illusions avec leur étoile. Envoyons-les donc à Bethléem et bon débarras ! Les bons croyants de Jérusalem passent déjà ainsi à côté de leur Messie, leur Messie qui est aussi leur Dieu.

Et qui sont les gens aujourd'hui qui passent à côté du Messie et à côté de leur Dieu ? Vous les rencontrez dans toutes les rues, tous ces gens qui un jour peut-être ont été au catéchisme et qui n'ont pas découvert ou redécouvert à l'adolescence ou à l'âge adulte le trésor qu'ils avaient sous la main, le trésor qui était à leur porte et qu'ils laissent tomber comme étant sans importance. L'étoile brille pour tous les hommes aujourd'hui encore, il suffit de lever les yeux, et puis ne pas fermer son cœur à la lumière.

"Mages guidés par l'étoile, priez pour nous. Obtenez-nous de deviner l'étoile qui nous guidera jusqu'à la découverte de Dieu. Mages guidés par l'étoile, priez pour que tous les humains découvrent l'étoile qui les rapprochera de Dieu ou les introduira plus avant dans la connaissance de Dieu". Les mages sont des chercheurs de Dieu. Prions pour tous les chercheurs de Dieu : ceux qui se sont éloignés de la foi, ceux qui ne croient plus aux religions pour répondre à leur quête, mais qui demeurent en recherche spirituelle. Les mages n'ont pas trouvé tout de suite. Ils ont cherché, ils ont interrogé, ils ont accepté de se laisser guider vers la lumière. Et la lumière les a convaincus qu'ils avaient trouvé.

Chaque messe, chaque eucharistie, oriente l'homme vers Dieu. Et quand nous venons à Dieu avec une prière, ce n'est pas avec le sentiment que Dieu n'a pas remarqué ce qui nous manque ou qu'il a oublié que nous sommes dans le besoin ou dans la gêne. Mais bien qu'il sache tout, malgré son omniscience, nous attirons son attention sur des choses qui nous tiennent à cœur dans l'espoir que quelque chose d'essentiel et d'utile résultera de notre prière, pour nous-mêmes ou aussi pour d'autres.

L'homme sécularisé n'est pas forcément athée. Simplement, il ne saisit pas la présence de Dieu dans le monde, ni dans sa vie personnelle. Et de même, il ne voit pas la nécessité ni l'utilité de la prière... Il lui semble que le temps de la prière, le temps de la messe, c'est du temps perdu, c'est un temps qui n'est pas bien utilisé parce qu'il ne produit rien d'évident et d'immédiat. Pour le chrétien, le temps de la prière, loin d'être du temps perdu, est un temps d'éternité, un temps dans lequel entre l'éternité, un temps qui est un véhicule vers l'éternité, un temps qui nous rapproche de la lumière. Même si l'homme sécularisé accepte l'existence de Dieu, il ne construit pas de relation personnelle avec lui. Il a arrêté sa marche vers la lumière.

On n'a jamais fini de marcher vers la lumière. Le rôle de la théologie, le rôle de la littérature chrétienne des saints et des penseurs chrétiens, est de communiquer aux croyants et aux autres une connaissance plus approfondie de Dieu, qui est le vrai contenu de la vie éternelle. C'est une connaissance de Dieu pour une communion existentielle avec lui, une communion de vie et d'amour, une rencontre avec lui. Un pasteur protestant, devenu catholique, puis prêtre catholique, nous raconte qu'au catéchisme protestant, de quatorze à dix-huit ans, chaque jeune devait résumer quinze à vingt chapitres de l'Ancien Testament. Et de plus apprendre par cœur le petit catéchisme de Luther. C'est ainsi qu'il avait cherché la lumière.

Terminer avec le romancier Georges Bernanos qui était foncièrement chrétien. Il écrivait : "Tous les chrétiens font partie de l’Église, ils sont tous ses représentants dans le monde ; il faut donc que chacun engage sa personne entière pour aider le monde à prendre conscience de tout ce que l’Église comporte de liberté et de transcendance par rapport au monde". (Avec saint Jean Chrysostome, Patriarche Daniel, Alexandre Schmemann, Michel Viot, Georges Bernanos, AvS).

 

9 janvier 2011 - Fête du baptême du Seigneur - Année A

Évangile selon saint Matthieu 3,13-17

L'Eglise naissante était convaincue que Jésus était sans péché. Longtemps après son baptême, Jésus posa un jour la question à des interlocuteurs qui ne croyaient pas à l'origine divine de sa mission : "Qui d'entre vous me convaincra de péché ?" Qui d'entre vous peut prouver que je suis infidèle à la mission que j'ai reçue de Dieu ? L’Église naissante était convaincue que Jésus était sans péché.

Alors on se demandait pourquoi Jésus avait voulu être baptisé par saint Jean-Baptiste dans le Jourdain. Et déjà Jean-Baptiste lui-même ne comprenait pas pourquoi Jésus voulait être baptisé. Il disait à Jésus : "C'est moi qui devrait être baptisé par toi". Et la réponse de Jésus reste fort énigmatique. Jésus dit simplement : Il faut que ça se passe comme ça. C'est après coup, après la passion et la résurrection de Jésus qu'on a essayé d'expliquer quand même le sens du baptême de Jésus. Il est descendu dans les eaux du Jourdain comme le faisaient tous les pécheurs qui voulaient faire pénitence... Et puis à la fin de sa vie, on l'a élevé sur une croix pour qu'il porte tous les péchés du monde et tous les pécheurs du monde pour que tous les péchés du monde soient effacés comme dans un baptême de sang.

Et quand Jésus a été baptisé, le ciel s'est ouvert, l'Esprit Saint de Dieu est descendu sur Jésus et la voix du Père s'est fait entendre : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour". Alors, pourquoi la croix si le Père a mis tout son amour dans son Fils, Jésus ? Il y a des saints et des saintes et des théologiens qui ont compris que ce n'est pas le Père qui a imposé la croix à son Fils. C'est le Fils qui aurait proposé au Père de mourir sur une croix pour porter tous les péchés de l'humanité. Et quand le Fils a fait au Père cette proposition, c'est comme si le Père avait dit alors au Fils : "Que ta volonté soit faite".

Alors la machine s'est mise en route, et les machinations des hommes, et Jésus a été mis à mort comme un malfaiteur, comme un blasphémateur, comme un ennemi de Dieu. Sur la croix, Jésus ne ressent plus la présence du Père. C'est en souffrant qu'il porte le fardeau de nos péchés. Le plus difficile de la mission de Jésus, c'est sa mort sur la croix. Et à la suite de Jésus, la mission de tous les saints et de toutes les saintes de Dieu, c'est de venir en aide aux pécheurs. Pourquoi le baptême de Jésus ? Pourquoi son baptême sur la croix ? Le mystère déborde à l'infini l'intelligence du croyant.

Le jour du baptême de Jésus, les cieux se sont ouverts : il y a eu une manifestation de l'Esprit de Dieu, il y a eu la voix du Père... L'histoire humaine est ouverte pour toujours à la vie de Dieu, à l'Esprit Saint. Le cardinal Lustiger expliquait un jour ce qu'était une paroisse à son avis. Il disait : "La paroisse d'autrefois se définissait par son territoire : on était de telle paroisse parce qu'on habitait telle rue. Cela n'existe plus de la même façon". Alors où est-elle la paroisse pour le cardinal Lustiger? "La paroisse, c'est le lieu où l'existence de l’Église devient visible". Et il ajoutait : "La ressource fondamentale de la paroisse, c'est l'Esprit Saint qui vous habite".

Jésus tient absolument à entrer dans les eaux du Jourdain et à se faire baptiser comme un pécheur. Et sur la croix, il porte sur son dos tous les péchés et tous les pécheurs du monde. Mais sur la croix, Jésus n'a pas bonne mémoire, c'est l'un des défauts de Jésus. C'est un évêque vietnamien qui dit cela, un évêque qui a connu les prisons de son pays pour le nom de Jésus. Et il explique comment, sur la croix, Jésus n'a pas bonne mémoire. Sur la croix, dans son agonie, Jésus entend la voix du larron placé à sa droite : "Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi". Et l'évêque commente comme ceci : "Si j'avais été à la place de Jésus, j'aurais répondu : Je ne t'oublierai pas, mais tes crimes doivent être expiés, au moins par vingt ans de purgatoire". Jésus répond au contraire au bandit crucifié à côté de lui : "En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis". Il oublie les péchés commis par cet homme. Jésus n'a pas bonne mémoire.

A son baptême, Jésus descend comme un pécheur dans les eaux du Jourdain ; par sa mort sur la croix, le dernier des fils perdus devient le prochain du juif comme du chrétien. Le ciel s'ouvre : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis". (Avec Henri de Lubac, Cardinal Lustiger, Mgr Nguyen, AvS, HUvB).

 

12 janvier 2014 – Fête du baptême du Seigneur - Année A

Évangile selon saint Matthieu 3,13-17

Nous sommes sur les bords du Jourdain. Il y a du monde autour de Jean-Baptiste. Jean-Baptiste est sur un rocher et il parle de là comme d'une estrade, de sa voix tonitruante, pour presser les gens de se convertir. Jésus arrive derrière lui comme s'il était l'un de ceux qui voulaient se faire baptiser. Jean-Baptiste a comme senti la présence de Jésus derrière lui. Tout de suite il descend de son rocher. Il fixe son regard sur Jésus et il crie très fort pour tous ceux qui sont là : "Voici l'Agneau de Dieu. Comment peut-il se faire que mon Seigneur vienne à moi ?" Et Jésus lui dit : "C'est pour accomplir le rite de pénitence (le baptême)". Jean-Baptiste répond : "Jamais, Seigneur, c'est moi qui dois être sanctifié par toi, et voilà que c'est toi qui viens à moi". Alors Jésus dit à Jean-Baptiste : "Permets que tout se passe comme je veux".

Jésus et Jean-Baptiste descendent alors dans l'eau du Jourdain et Jean baptise Jésus en lui versant sur la tête de l'eau du fleuve avec une sorte de tasse suspendue à sa ceinture. Jésus remonte sur la rive, il se recueille dans la prière. Et Jean-Baptiste montre Jésus à la foule en disant qu'il avait reconnu Jésus au signe de l'Esprit de Dieu sous la forme d'une colombe. Et la voix du Père s'était fait entendre qui disait : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé".

Au baptême de Jésus, le ciel s'ouvre. Dieu n'est pas le monarque unique et tout-puissant siégeant sur un trône dans un ciel lointain. L'une des missions de Jésus a été de révéler à l’humanité qu'il y avait trois personnes en Dieu : le Père qui est toujours invisible mais qui peut faire entendre sa voix ; le Fils, Jésus ; l'Esprit Saint qui est invisible aussi et qui se manifeste ici sous la forme d'une colombe, l'Esprit Saint qui fait le lien entre le Père et le Fils. Le Père est placé avant le Fils, mais cela ne veut pas dire qu'il y a des inégalités en Dieu, qu'il y a plusieurs degrés. Le Fils est Dieu comme le Père est Dieu. Et de même dans l’Église il y a une priorité du sacerdoce par rapport au laïcat : c'est le prêtre qui baptise. Mais cela n’indique pas la hiérarchie des valeurs ou des mérites.

Ce qui distingue la foi chrétienne de tout autre enrichissement de savoir et de connaissance, c'est qu'elle est vivante et qu'elle peut devenir vivante au point de devenir la chose primordiale du chrétien, qu'il soit prêtre ou laïc. Nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, disaient : "Est théologien celui qui sait prier". C'est vrai pour le laïc comme pour le prêtre. Qu'est-ce que c'est "être théologien" dans ce sens-là ? C'est quand la foi a le caractère d'une rencontre personnelle avec Dieu. Un théologien des temps anciens, qui était en même temps un saint, disait : "La théologie n'est rien si elle n'est pas une initiation à la proximité brûlante de Dieu". Est-ce que Bernadette était théologienne dans ce sens ? Sans doute, puisqu'elle a connu la proximité brûlante du ciel avec la présence de Marie et qu'elle a su, Dieu sait comment, en communiquer quelque chose au monde entier.

Un homme de notre temps raconte ceci : "Pendant bien des années j'ai rejeté la foi chrétienne pour trois raisons. 1. D'abord je considérais que cette religion était ennuyeuse, car je gardais un triste souvenir des moments passés dans la chapelle de mon école. 2. Ensuite, pour moi, le christianisme sonnait faux. Intellectuellement, j'avais de bonnes raisons de ne pas croire car, non sans prétention, je me prenais pour quelqu'un de très rationnel. 3. Enfin, je trouvais que le christianisme était complètement dépassé. Je ne voyais pas comment ce qui s'était passé il y a deux mille ans au Moyen Orient et à trois mille kilomètres d'ici concernait ma vie au XXIe siècle dans mon pays". Et cet homme est devenu enfin vraiment chrétien, et il dit alors : "Avec le recul du temps, je me rends compte que c'était en partie de ma faute, car je n'avais jamais rien voulu écouter sur ce sujet et j'ignorais tout de la foi chrétienne".

Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et l'homme a-t-il une destinée ? Le problème est inévitable ; l'homme le résout inévitablement ; et cette solution, juste ou fausse, mais volontaire, chacun la porte dans ses actions. Mais nous portons tous en nous le désir naturel d'une communion plus intime avec Dieu. L'esprit humain ne cesse d'être attiré par une force qui vient d'en haut, l'Esprit Saint de Dieu justement. Et donc il apparaît in jour à tout homme, sous une forme ou sous une autre, qu'il faut inévitablement opter pour ou contre l'ouverture à l'action de Dieu.

Dieu agit pas sa grâce sur le cœur de tout homme. "Voici que je me tiens à la porte et je frappe, dit-il. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi". L'amour de Dieu pour l'homme est si grand qu'il ne peut contraindre, car il n'est pas d'amour sans respect. Dieu est comme un mendiant d'amour attendant à la porte de l'âme et n'osant jamais la forcer.

La condition nécessaire pour découvrir la dimension surhumaine du Seigneur Jésus, c'est la foi en Dieu; c'est-à-dire qu'il faut laisser le champ libre à la toute-puissance de Dieu. Dieu, c'est l'infinie liberté qui ne s'ouvre que d'elle-même. (Avec Paul Evdokimov, Grégoire Palamas, Nicky Gumble, Maurice Blondel, Vladimir Lossky, AvS, HUvB).

 

11 janvier 2009 - Fête du baptême du Seigneur - Année B

Évangile selon saint Marc 1,7-11

Lors du baptême de Jésus, une voix s'est fait entendre qui disait à Jésus : "Tu es mon Fils bien-aimé; en toi j'ai mis tout mon amour". Personne n'a jamais vu Dieu, nous dit saint Jean dans son évangile. On ne peut pas saisir Dieu directement. Mais Dieu peut se faire connaître à travers des signes. Le jour de son baptême, Jésus a entendu une voix et il a vu un signe, le signe de la colombe.

Dieu a beaucoup de manières de faire. Mère Teresa a connu très concrètement quelque chose de Dieu, comme Marthe Robin d'une autre manière. Mère Teresa et Marthe Robin ou Bernadette de Lourdes sont des témoins privilégiés du monde d'en haut. Personne n'a jamais vu Dieu, nous dit saint Jean. Mais on peut saisir quelque chose de Dieu à travers des témoins privilégiés : Mère Teresa, Marthe Robin, Bernadette et beaucoup d'autres. Il y a des sources où on peut aller s'abreuver. On ne doit pas se plaindre que Dieu se tait si on ne va pas là où il a manifesté sa présence, là où il a parlé.

Olivier Clément qui fut longtemps professeur d'histoire dans un grand lycée parisien, grand croyant aujourd'hui, mais qui n'a découvert la foi chrétienne qu'à l'âge de trente ans, écrit quelque part que les gens ne savent plus grand-chose de l'histoire de l’Église; ils ne savent plus grand-chose de la véritable histoire, dit-il, qui est l'histoire de la sainteté.

Si aujourd'hui on veut entendre la voix de Dieu, on ne peut pas se dispenser d'aller écouter les saints et les saintes de Dieu, ceux d'aujourd'hui, mais ceux aussi des temps passés. Les gens ne savent plus grand-chose de l'histoire de l’Église, de l'histoire de la sainteté, dit Olivier Clément : "Mais il y a des points d'histoire dont les gens vont se rappeler, ajoute-t-il, des taches sombres de l'histoire de l’Église : l'Inquisition et les guerres de religion; les gens vont se rappeler aussi les prises de position répétées de l’Église sur la morale sexuelle, les gens vont dire que Dieu se tait. C'est qu'ils ne vont pas là où Dieu parle.

Jésus est venu d'en haut pour donner ici-bas une réponse aux questions que tous se posent. Tout au long des âges Dieu a établi des relais pour transmettre ce qu'il a à nous dire. Dieu peut toujours communiquer à tous quelque chose du poids de son éternité. Les hommes peuvent se lamenter du silence de Dieu et de son absence, se lamenter sur la brièveté de la vie et son absurdité. Mais ils peuvent aussi se réjouir de la lumière de Dieu. (Avec Mère Teresa, Olivier Clément, Hans Urs von Balthasar).

 

11 janvier 2015 - Fête du baptême du Seigneur - Année B

Évangile selon saint Marc 1,7-11

Au centre de la foi chrétienne, il y a le mystère de la personne de Jésus. Ce mystère, notre évangile d'aujourd'hui l'entrouvre en quelques mots, en nous rapportant ce qui s'est passé quand Jésus lui-même, vers l'âge de trente ans, a été baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain. Ce qui s'est passé, c'est qu'une voix s'est fait entendre, la voix du Père qui disait à Jésus : "Tu es mon Fils bien-aimé". Et l'Esprit de Dieu aussi se manifeste à ce moment-là, l'Esprit qui manifeste sa présence sous la forme d'une colombe.

L'une des missions du Seigneur Jésus a été de révéler à toute l'humanité que Dieu n'était pas un monarque solitaire et tout-puissant, mais qu'en Dieu lui-même il y avait de l'amour échangé entre trois "quelqu'un", entre trois personnes : le Père, toujours invisible, dont la voix s'est fait entendre lors du baptême de Jésus ; le Seigneur (Jésus) qui a vécu sur terre une bonne trentaine d'années ; et l'Esprit Saint, qui est invisible tout comme le Père, mais qui a manifesté sa présence ce jour-là sous la forme d'une colombe. Pourquoi une colombe ? A la Pentecôte, l'Esprit Saint manifestera sa présence sous la forme d'une violent coup de vent et sous la forme de langues de feu qui se posent sur chacun des apôtres.

Le mystère de Jésus, c'est le mystère de Dieu Trinité. Chacune de nos prières chrétiennes touche Dieu Trinité, même si on prie le Notre Père ou si on adresse une prière au Seigneur Jésus ou à l'Esprit Saint. Et quand nous adressons une prière à un saint ou à une sainte, c'est toujours finalement pour que ce saint ou cette sainte intercède pour nous auprès de Dieu Trinité. Lors du baptême de Jésus, l'Esprit Saint est une présence silencieuse, il manifeste sa présence sous la forme d'une colombe. Dans l’Église aussi et en chacun de nous, l'Esprit Saint opère habituellement de manière extrêmement silencieuse. Mais après un véritable effort accompli longuement dans le secret par une personne, l'Esprit Saint peut aussi descendre du ciel comme un vent violent ou comme la foudre. L'Esprit Saint a couvert Marie de son ombre pour qu'elle devienne enceinte du Très-Haut. Mais dans ses années de jeune fille, Marie avait été préparée silencieusement par l'Esprit Saint.

Si l'on baptise aujourd'hui encore dans l’Église, c'est parce que Jésus lui-même a voulu un jour être baptisé. Pourquoi ce signe sacré du baptême ? Pourquoi ce signe sacré de la messe, de l'eucharistie, que nous célébrons en ce moment ? Un rabbin de notre temps réfléchit au sens des rites dans la liturgie juive. Et nous pouvons faire notre profit de ses réflexions. Voici ce qu'il dit : "Il est vrai qu'il est fort difficile d'admettre qu'il faille obéir à un rite avant même de parvenir à en comprendre le sens profond et sans que ce rite ait une raison évidente. Cette humilité de l'esprit n'est en fait que l'acceptation fondamentale de notre finitude et du caractère nécessairement inachevé de notre savoir, même scientifique".

Le jour du baptême de Jésus, le ciel se déchire, le ciel s'entrouvre. Le mystère de Dieu s'entrouvre. Mais il ne fait que s'entrouvrir. Dieu est saint. Cela veut dire qu'il est inaccessible, cela veut dire qu'il est pour toujours le Tout-Autre. C'est pour cela qu'une psychanalyste chrétienne de notre temps pouvait dire que la prière essentielle est un désir au-delà de toute parole, au-delà de toute prière récitée, au-delà de toute prière avec des mots. La prière, c'est comme la foi, c'est une entrée dans le mystère de Dieu. Le Dieu vivant est toujours le même, aujourd'hui et éternellement, mais le Dieu qui est toujours le même est aussi le Dieu qui est toujours nouveau. Il est le Dieu vivant aujourd'hui.

Dans le message de l’Évangile, il y a des choses qui ne peuvent apparaître que petit à petit, et qui sont une partie des possibilités du Dieu vivant. On pourrait dire ici que les apparitions de la Vierge Marie au cours des siècles étaient contenues dans l’Évangile, mais Dieu ne révèle jamais tout, tout de suite. Les apparitions de la Vierge, à Lourdes ou ailleurs, sont aussi pour le ciel des manières de s'entrouvrir. La Vierge Marie est bien là qui s'entretient avec Bernadette à Lourdes, mais Bernadette n'a pas la possibilité de retenir Marie, Bernadette n'a pas la possibilité de décider quand Marie doit lui apparaître. C'est le ciel qui en décide, le ciel, c'est-à-dire le Dieu vivant.

Dans l'Ancien Testament, on voit l'homme désirer regarder en Dieu. Cette aspiration à regarder en Dieu est satisfaite surabondamment, si on peut dire, par la venue de Dieu dans la demeure des hommes pour habiter chez eux et manger avec eux. Dans cette  descente de Dieu parmi les hommes, rien d'autre ne doit être manifesté que l'humble amour de Dieu. Le ciel n'est plus seulement une image, le ciel est devenu quelqu'un : le Seigneur Jésus. Mais il meurt pour nous tous. Le ciel lui-même est mort pour nous. Et le Seigneur Jésus monte au ciel définitivement et il s'assied à la droite du Père. Par la résurrection du Seigneur Jésus, notre terre a reçu pour toujours quelque chose du ciel, elle en est marquée pour toujours. (Avec Gilles Bernheim, Gérard Siegwalt, Françoise Dolto, Georges Cottier, AvS, HUvB).

 

10 janvier 2010 - Fête du baptême du Seigneur – Année C

Evangile selon saint Luc 3, 15...22

L'évangéliste saint Luc est le seul à nous signaler qu'après avoir été baptisé Jésus s'est mis en prière. Et c'est quand il était en prière que le ciel s'est ouvert. La prière, c'est comme une ouverture entre le ciel et la terre, entre les hommes et Dieu. Dimanche dernier, peu après la naissance de Jésus, des mages, des étrangers, sont venus adorer le Messie, le roi des juifs. Aujourd'hui, trente ans après la naissance de Jésus, c'est Dieu qui vient attester en quelque sorte l'identité de Jésus : "Tu es mon Fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré".

Pour la plupart d'entre nous, notre baptême s'est passé peu après notre naissance, et nous n'en avons pas le souvenir. Nous ne nous souvenons ni du jour de notre naissance, ni du jour de notre baptême. Mais nous ne doutons pas que nous sommes vivants. Et dans la foi, nous savons aussi que le jour de notre baptême une voix du ciel nous a dit : "Tu es mon fils, tu es mon enfant bien-aimé".

A-t-on raison de baptiser les enfants ? Celui qui est convaincu de l'authenticité et de la valeur de la foi chrétienne sait que c'est le meilleur chemin possible, et donc qu'il a le devoir d'engager ses enfants sur ce chemin. A-t-on raison de baptiser les enfants ? On a le droit quand même de faire cadeau d'une grâce. Les parents et les amis de l'enfant n'ont pas seulement entre les mains l'existence biologique de l'enfant, ils ont aussi entre leurs mains son existence spirituelle. L'enfant n'est pas qu'un petit animal. La vie spirituelle de l'enfant se développe à partir de celle des parents et des maîtres.

Peut-on assumer la responsabilité de donner la vie à un être humain alors que personne ne sait les souffrances qui pourront l'atteindre ? Il y aura toujours évidemment la souffrance de la mort. Peut-on assumer la responsabilité de donner la vie à un être humain ? Pour notre foi chrétienne, fondamentale, le don de la vie n'est défendable que si on peut donner plus que la vie, que si on est en mesure de donner un sens plus fort que les souffrances inconnues et la mort qui attendent l'être humain.

A-t-on raison de baptiser les enfants ? On a le droit de faire un cadeau, le cadeau d'une grâce. Pour être baptisé, un adulte doit suivre une catéchèse, un enseignement qui lui explique tout le mystère chrétien et le sens du baptême. Pour l'enfant qui est baptisé tout petit, cette catéchèse doit suivre le baptême. La question essentielle qui est posée à la vie humaine, c'est la mort. Si on n'y répond pas, on n'a rien à répondre sur rien. Quand on est baptisé, on est baptisé au nom de Jésus, de Jésus crucifié et ressuscité, de Jésus qui a les clefs de la mort.

Celui qui est baptisé est appelé à participer à la relation de Jésus avec Dieu. Jésus est Fils, surtout quand il prie. Mais Jésus est constamment ouvert au Dieu vivant : quoi qu'il fasse, il est ouvert au Dieu vivant ; qu'il travaille, qu'il parle ou qu'il se repose, il est toujours à l'écoute du Dieu vivant. Le Père est toujours la source de sa vie. Le Fils, Jésus, ne dirige pas sa propre existence, il la reçoit toujours du fond de son dialogue avec Dieu. Tous les jours, il entend la voix du Père : "Tu es mon Fils ; aujourd'hui je t'ai engendré". Nous pouvons remettre à la Providence de Dieu chaque instant de notre vie. Alors nous savons que ce qui n'a pas de sens n'existe pas. Tout a un sens dans la Providence de Dieu. "Tu es mon fils ; moi, aujourd'hui je t'ai engendré". Et beaucoup peuvent baigner dans la grâce, sans même le savoir : enfants de Dieu aux yeux fermés. Une sainte du Moyen Age disait : "On ne peut dire de personne qu'il est insignifiant puisqu'il est appelé à voir Dieu sans fin". Nos Pères dans la foi disaient : Voir, c'est posséder. Celui qui voit Dieu a obtenu tous les biens qu'on peut concevoir.

La Parole de Dieu, l'Écriture, la Bible, n'a pas peur de l'angoisse ; elle n'a pas peur de la souffrance et de la mort ; elle n'a pas besoin de les recouvrir pudiquement de silence. La Parole de Dieu n'a pas pour but de préserver l'homme de la souffrance et de la mort. Elle n'est pas venue non plus pour ôter simplement l'angoisse de l'homme ou pour l'en dispenser. La Parole de Dieu s'empare de l'angoisse, de la souffrance et de la mort pour leur donner une valeur nouvelle. Quelle valeur ? Tout ce qui est humain est une argile dans la main du Créateur. "Tu es mon enfant bien-aimé". (Avec Fiches dominicales, Joseph Ratzinger, Marguerite Porete, Grégoire de Nysse, AvS, HUvB).

 

13 janvier 2013 - Fête du baptême du Seigneur - Année C

Évangile selon saint Luc 3,15...22

Il y avait tout un courant de ferveur autour de Jean-Baptiste. Beaucoup de gens, pas tous nécessairement très croyants, allaient le voir pour l'entendre parler des choses de Dieu. Et beaucoup se faisaient baptiser par Jean-Baptiste dans les eaux du Jourdain pour demander à Dieu le pardon de leurs péchés. Et Jésus, encore inconnu, se mêle à la foule des pèlerins et il se fait baptiser lui aussi par Jean-Baptiste. Jésus, lui aussi, fait partie du peuple de Dieu ; en se faisant baptiser dans le Jourdain comme tout le monde, il manifeste sa solidarité avec tous.

Saint Luc nous dit aujourd'hui qu'après son baptême, Jésus s'était mis à prier. Et c'est alors que le ciel s'est ouvert pour lui, et pour quelques témoins sans doute. L'Esprit Saint de Dieu ce jour-là manifeste sa présence sous la forme d'une colombe. Le Père manifeste sa présence par une parole : "Tu es mon Fils, moi aujourd'hui je t'ai engendré". Ces quelques mots attribués au Père sont empruntés à un psaume messianique, un psaume donc qui semblait annoncer la venue un jour d'un Roi Messie : "Tu es mon Fils; moi aujourd'hui je t'ai engendré".

C'est pendant que Jésus prie que le ciel s'ouvre et que l'Esprit Saint et le Père manifestent leur présence. Qu'est-ce que cela veut dire ? Chaque fois que le Seigneur Jésus prie, le Père et l'Esprit Saint sont là, mais ils ne manifestent pas nécessairement leur présence. Chaque fois que nous, aujourd'hui, nous prions, le Père est là, et aussi l'Esprit Saint et le Seigneur Jésus.

Tout au long des âges chrétiens, des saints et des saintes de Dieu ont fait l'expérience de la présence de Dieu au cours de leur prière. Ce n'était pas tous les jours nécessairement qu'ils faisaient l'expérience de la présence de Dieu, mais Dieu leur avait fait un jour ce cadeau merveilleux pour qu'ensuite ils vivent tous les jours dans une foi plus vivante et plus consciente. Ce qu'ils ont connu un jour par l'expérience, nous le savons au moins par la foi : Dieu est là chaque fois que nous nous adressons à lui en vérité et dans la droiture du cœur.

Cette scène de l'évangile qui nous montre Jésus en prière et le ciel qui s'entrouvre pour lui nous apprend quelque chose de la prière et quelque chose de Dieu. Qui est Dieu ? Un être imprévisible qui a figure humaine, qui est capable de compassion, donc une personne avec qui on peut parler, que l'on peut prier, et aussi une personne qui nous cherche, donc qui a besoin de nous, une personne aussi qui souffre. Fondamentalement, la prière est toute forme de parole ou de pensée par laquelle l'âme cherche à entrer en communion avec Dieu.

Monseigneur Dagens, qui est aussi membre de l'Académie Française, raconte ceci : Dans son diocèse, il a un jour donné le sacrement de confirmation à une femme de soixante-dix-sept ans. Cette femme avait soigné pendant douze ans son mari qui était paralysé. Et elle écrivait à l'évêque : "Je veux passer le reste de ma vie à prier pour ceux qui ne prient pas. Ils ne le sauront peut-être jamais. Mais ce sera comme une lueur dans la nuit". On ne sait pas ce que Dieu va faire de la prière de cette femme, mais il est sûr qu'il l'entend et qu'il en fera usage pour répandre quelque part quelque chose de sa grâce.

Après son baptême, Jésus était en prière. Et voilà que ce dimanche matin nous sommes réunis aussi pour la prière de la messe, c'est-à-dire pour accueillir le mystère de Dieu et pour entrer dans le mystère de sa présence. Il y a un rapport entre la prière de Jésus le jour de son baptême et la messe que nous célébrons. Une présence de Dieu s'est manifestée le jour du baptême de Jésus. L'eucharistie, la messe, c'est le mystère précieux de Dieu vivant au milieu de ses enfants.

Saint Paul dit quelque part dans l'une de ses lettres à des chrétiens : "Vous tous que le baptême a unis au Christ". Qu'est-ce que c'est qu'un baptisé ? Qu'est-ce que c'est qu'un chrétien ? C'est quelqu'un qui n'en finit pas d'apprendre à devenir chrétien, à connaître le Seigneur Jésus, à vivre de lui et à témoigner de lui comme le chemin, la vérité et la vie.

Le jour de son baptême, Jésus priait. On ne connaît pas les mots de sa prière ce jour-là. Mais on connaît son dernier mot, c’est la parole qu’il a dite à l'heure où il passait de ce monde à son Père, sur la croix, entre deux condamnés à mort : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font" (Lc 23,34).

Que se passe-t-il dans le cœur du Père quand il voit son Fils sur le chemin de la croix ? Quand il doit se dire : "Voilà ce que j'ai permis à mon Fils unique et bien-aimé, parce qu'il m'a prié de pouvoir le faire !" Saint Ignace de Loyola nous dit que nous devons considérer comment Dieu se donne de la peine pour nous et se comporte comme quelqu'un qui fait un travail pénible...

Nous voudrions toujours qu'on nous explique pourquoi Dieu permet tant de souffrances dans le monde. La seule réponse qu'il nous donne se trouve ici : Dieu a tant aimé le monde qu'il a laissé s'écrouler sous ce monde son Fils unique. Et le Fils aimant a pris sur lui notre faute pour que le Père puisse de nouveau voir en nous ses enfants bien-aimés. (Avec Philippe Nemo, Mgr Dagens, AvS, HUvB).
 

10 janvier 2016 - Fête du baptême du Seigneur - Année C

Évangile selon saint Luc 3,15-16.21-22

Sur les rives du Jourdain, Jésus se mêle aux pécheurs pour recevoir le baptême des mains de Jean-Baptiste. On ne se baptise pas soi-même. On reçoit le baptême de quelqu'un d'autre. Et Jésus se mêle à la foule des pécheurs qui se font baptiser par Jean-Baptiste en signe de repentance pour leurs péchés. Personne ne remarque Jésus parmi les pécheurs ; il est le Messie de Dieu, il est le Fils de Dieu, personne ne s'en doute, personne ne le sait. Il se mêle à la foule des pécheurs, il est là comme un pécheur qui vient demander pardon.

Déjà Jésus assume là sur ses épaules le poids du péché de l'humanité tout entière. Ce n'est qu'un petit début. Sur la croix, ce sera autre chose : là il prendra sur lui avec une énorme souffrance les péchés innombrables de tous les hommes, des milliards et des milliards d'hommes. On ne peut pas comprendre ! On ne peut pas comprendre comment c'est possible. Mais on sait que c'est le geste d'un amour infini qui accepte de beaucoup souffrir pour les autres. Comment la souffrance de Dieu peut-elle sauver les hommes, c'est-à-dire les rapprocher de lui dans l'amour ? Comment, on ne sait pas. Les saints nous disent que la souffrance peut être transformée en bénédiction par l'alchimie de Dieu.

Si Dieu s'était contenté de sa joie céleste, il n'aurait pas créé le monde, et le Fils - Jésus - n'aurait pas eu besoin de s'incarner, de devenir homme. En se faisant homme, le Fils a montré ce qu'un homme pouvait faire pour Dieu. Chaque fois que nous voulons sérieusement faire plaisir à Dieu, lui offrir une joie, nous sommes capables de le faire. Et non seulement Dieu reçoit cette joie, il en a besoin dans sa vie trinitaire. Chaque fois que nous essayons de faire plaisir à Dieu, c'est que nous avons compris quelque chose de Dieu.

Jésus meurt sur la croix : c'est le prolongement de son baptême, il a montré ce qu'un homme pouvait faire pour Dieu. Et en montant au ciel, il nous a prouvé à nouveau combien Dieu était proche de l'homme. Comment faire plaisir à Dieu ? Saint Paul le dit de manière étonnante quand il écrit : "Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu". Faites tout pour faire plaisir à Dieu.

Après avoir été baptisé dans le Jourdain, Jésus s'est mis à prier. On voudrait bien savoir comment il priait, avec quels mots, ou sans beaucoup de mots. Toujours est-il qu'il priait, et alors le ciel s'est ouvert, dit l'évangéliste. Jésus est baptisé comme un pécheur pour ouvrir le ciel à tous les pécheurs, c'est-à-dire à tous les hommes, de même qu'il meurt sur la croix pour ouvrir à tous les hommes les portes du paradis. On ne comprendra jamais. Encore une fois, c'est l'alchimie de Dieu, pour ne pas dire son secret et son mystère.

A quoi servent alors les commandements de Dieu ?  La toute-puissance de Dieu qui ordonne n'est autre que la toute-puissance de l'amour qui sauve, la toute-puissance de l'amour qui appelle à la joie, la joie qui est le premier et le dernier mot de toute la Loi, le premier et le dernier mot des dix commandements. Les commandements de Dieu ont pour but de protéger l'homme de tout ce qui le mutile et l'aliène, de protéger l'homme de tout ce qui le rend moins homme, le protéger par exemple des paradis artificiels de l'alcool, de la drogue et des jeux (il y a une addiction aux jeux - à tous les âges-, à la drogue et à l'alcool, et ça peut commencer très tôt). Les commandements de Dieu sont là pour protéger l'homme de ces addictions, pour le protéger du culte du plaisir et de l'avilissement de la femme-objet, du meurtre des petits innocents dans le sein de leur mère, pour le  protéger du culte de la richesse, comme pour le protéger de la paresse qui préfère ne pas travailler et vivre des subventions sociales.

Les commandements de Dieu sont là pour protéger l'homme de toute forme d'idolâtrie qui mutile l'homme et l'éloigne de Dieu. Mais l'idolâtrie peut se cacher partout. On en trouve un exemple chez un spirituel juif du XIXe siècle, qui raconte ceci : "Sacrifier à une idole, qu'est-ce que ça veut dire ? Personne n'aurait l'idée aujourd'hui d'offrir un sacrifice à une idole. Voilà un homme juste et pieux, à table avec d'autres convives. Il mangerait volontiers un peu plus,  mais l'idée de se déconsidérer aux yeux des autres le retient. Il a sacrifié à une idole". Et nous, quelles sont nos idoles ?

Marie-Noël, de son nom d'état-civil Marie Rouget, est l'un des plus grands poètes catholiques français. Son père, agrégé de philosophie, était professeur au lycée d'Auxerre. Il était agnostique et rationaliste, il a fortement développé en sa fille l'esprit critique. Marie-Noël était célibataire contre son gré. Elle était très croyante malgré son père. Elle se décrivait elle-même avec humour comme une grenouille de bénitier absorbée par ses bonnes œuvres. Autrement dit, elle observait ses bonnes œuvres avec un certain recul, pour qu'elles ne deviennent pas une idolâtrie.

Jésus se fait baptiser dans le Jourdain comme un pécheur parmi les pécheurs alors qu'il est "de la Trinité", l'un de la Trinité, l'une des personnes de la Trinité. Si bien que nos Pères dans la foi ont pu dire : "L'un de la Trinité a souffert". Était-ce bien raisonnable de dire que l'un de la Trinité a souffert ? On s'est souvent posé la question dans l’Église. Et on a reconnu finalement que la formule était tout à fait correcte. Parce que si Jésus s'est fait baptiser "pour nous", s'il est mort sur la croix "pour nous" et s'il est ressuscité "pour nous", on ne voit pas pourquoi cette mort pourrait nous sauver si ce Crucifié et ce Ressuscité n’était pas "l'un de la Trinité". (Avec Benoît XVI, Cardinal Decourtray, Martin Buber, Marie Noël, AvS, HUvB).
 

CARÊME

 

13 mars 2011 - 1er dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Matthieu 4,1-11

Le premier dimanche de carême, nous commençons toujours par lire le récit des tentations de Jésus. Et curieusement, pour saint Matthieu, c'est l'Esprit, l'Esprit Saint, qui conduit Jésus au désert pour y être tenté. Tenté par le démon, le diable, Satan, peu importe. Par les deux premières tentations, le démon suggère à Jésus d'opérer un miracle. Tu as faim ? Fais que ces pierres qui sont là dans le désert deviennent des pains. Et puis, tu vas en haut du temple et tu te jettes en bas, et les anges de Dieu vont te porter pour que tu arrives en bas sain et sauf. Ce sera un grand miracle et tout le monde applaudira, et tout le monde te reconnaîtra comme le Messie et le Fils de Dieu. La troisième tentation est plus secrète : ça se passe uniquement entre le démon et Jésus. Le démon promet à Jésus tous les royaumes de la terre : il suffit que Jésus se prosterne devant le démon pour l'adorer.

Et nous, nos tentations, où sont-elles ? Le démon suggère à Jésus de faire un mauvais usage des pouvoirs qu'il a, il suggère à Jésus de faire un mauvais usage du pouvoir qu'il a de faire des miracles. Utiliser les dons de Dieu pour son compte personnel sans demander à Dieu si Dieu le veut. Et la troisième tentation, c'est la plus violente : tourner carrément le dos à Dieu et se prosterner devant le démon. C'est curieux que l'une des premières choses que les évangiles nous disent de Jésus avant le début de sa vie publique, c'est qu'il a été tenté par le démon.

Par les évangiles, la première chose qu'on sait de Marie, c'est qu'elle aussi a été visitée par un ange, mais ce n'était pas le démon. C'était un ange envoyé par Dieu pour lui demander si elle accepterait d'être la Mère du Messie. Et pour Marie, c'est tout de suite qu'elle veut ce que Dieu veut. Si c'est Dieu qui se penche sur elle, sa réponse ne peut être qu'un abandon confiant et aveugle entre ses mains. Si c'est Dieu qui est venu la visiter par son ange, elle ne sait qu'une chose : elle est la servante de Dieu, elle préférera toujours ce que Dieu lui offre et lui propose. Jamais elle ne cherchera à diriger la volonté de Dieu, les désirs de Dieu. Elle dit et elle dira toujours : "Je suis la servante du Seigneur". Que tout se passe selon sa parole et ses désirs. Marie reçoit la visite de l'ange : la réponse est oui. Jésus reçoit la visite du démon : la réponse est non.

Le démon pousse Jésus à des coups d'éclat. Les saints nous disent : l'orgueil est un signe de sottise. Au début de sa vie publique, Jésus est tenté par le démon. C'est pour nous qu'il a été tenté. C'est pour nous dire qu'une vie chrétienne sans tentations, qu'une vie humaine sans tentations, ce n'est pas possible. La foi exige des chrétiens qu'ils restent toute leur vie des élèves à l'école du Seigneur Jésus. Aujourd'hui les chrétiens ont leurs tentations, l’Église aussi a ses tentations aujourd'hui. Benoît XVI, dans l'un de ses livres, cite un Académicien français d'origine roumaine, l'un des pères du théâtre de l'absurde. Il n'est pas sûr qu'Eugène Ionesco soit très chrétien, mais du moins il devine ce que l’Église ne peut pas être. C'est le pape Benoît XVI qui cite Ionesco, un texte de 1975 (un peu vieux déjà!) : "L’Église ne veut pas perdre sa clientèle, elle veut gagner de nouveaux clients. Cela produit une sorte de sécularisation qui est vraiment désolante... Le monde se perd, l’Église se perd dans le monde, les curés sont stupides et médiocres ; ils sont heureux de n'être que des hommes comme les autres : petits-bourgeois médiocres et de gauche. Dans l’Église j'ai entendu dire un curé : 'Soyons joyeux, serrons-nous les mains. Jésus vous souhaite cordialement une bonne journée'. Bientôt on installera un bar pour communier au pain et au vin et on servira des sandwiches et du beaujolais ! Cela me semble être d'une incroyable bêtise et d'un manque total de spiritualité. La fraternité n'est ni médiocrité, ni fraternisation. Nous avons besoin de ce qui échappe au temps. Car qu'est-ce que la religion sans le sacré ? Il ne nous reste rien, rien de solide. Tout est en mouvement. Et nous, pendant ce temps, nous avons besoin d'un roc". C'était Eugène Ionesco qui écrivait cela en 1975, cité par Benoît XVI dans un livre récent. L’Église et les gens d’Église ont aussi leurs tentations. Que faire ? "On ne réforme l’Église qu'en se réformant soi-même".

Jésus a subi des tentations au début de sa vie publique. Mais il connaît la volonté absolue et exigeante de Dieu. Il a la certitude qu'il ne doit pas agir avec des moyens et des pouvoirs surhumains qui se trouveraient peut être magiquement à sa disposition. Il ne peut et ne veut agir qu'avec des forces accordées par Dieu et, du côté humain, avec la pauvreté, la prière, l'obéissance et l'abandon. (Avec Benoît XVI, Eugène Ionesco, André Manaranche, AvS, HUvB).

 

9 mars 2014 - 1er dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Matthieu 4,1-11

Jésus est depuis quarante jours dans un désert montagneux. Satan s'est déguisé en bédouin, il s'approche de Jésus : "Tu es seul ? Comment es-tu arrivé ici ? Tu t'es perdu ? Si j'avais de l'eau dans ma gourde, je t'en donnerais". Satan s'est assis en face de Jésus : "Regarde ces pierres toutes rondes et polies, ne dirait-on pas des pains ? Toi, Fils de Dieu, tu n'as qu'à dire : 'Je le veux' pour qu'elles deviennent du pain odorant. Rassasie-toi, Fils de Dieu, tu es le maître de la terre. Si tu es devenu trop faible pour faire un miracle, veux-tu que je le fasse pour toi ? Je ne suis pas à ton niveau, mais je peux faire quelque chose". Jésus : "Tais-toi! Ce n'est pas seulement de pain que vit l'homme…"

Le démon a un sursaut de rage, mais il se maîtrise. "Viens voir ce qui se passe dans la maison de Dieu. Viens voir tes prêtres : ce sont des hommes, ce ne sont pas des anges. Je te porte tout en haut du temple et tu ordonnes aux anges de te porter sur leurs ailes. Les prêtres vont voir ça. De temps à autre, il faut des choses extraordinaires parce que les hommes ont la mémoire courte". Jésus : "Ne mets ton Dieu à l'épreuve..."

Le diable : "Tu sais bien que le cœur des ministres du temple est un nid de vipères. Tu ne veux rien faire pour eux ? Alors, viens, adore-moi. Je te donnerai toute la terre, tous les royaumes de la terre, toutes les richesses et les femmes et les chevaux, les soldats, le temple. Adore-moi un seul instant et tout est à toi. Un seul instant et j'arrêterai de te tourmenter". Satan se jette à genoux en suppliant. Jésus s'est mis à genoux pour prier. Sa voix est un tonnerre : "Va-t-en, Satan ! Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras, lui seul". Et Satan disparaît avec un hurlement de malédiction.

Dieu est terrible, dit l’Écriture. Il a toute la puissance. Mais ce n'est pas une puissance menaçante. Pour rapprocher les hommes de Dieu, pour racheter les hommes, le Seigneur Jésus est mort sur une croix dans l'extrême faiblesse. Personne ne peut s'opposer à l'acte créateur du Père. De même personne ne peut s'opposer au fait que le Fils de Dieu l'a racheté sur la croix. Personne ne peut regarder la croix et douter que le Seigneur Jésus a souffert aussi pour lui.

Quand Satan parle à Jésus, il le fait en manipulateur. Il propose toujours à Jésus des choses bonnes et désirables : du pain quand on a faim, un grand coup de bluff du haut du temple, toutes les richesses du monde. On peut demander à l'Esprit Saint qu'il nous purifie de tout ce qu'il peut y avoir en nous de manipulateur, de dominateur, de condescendant.

Marx disait : La religion, c'est l'opium du peuple. Il faut abolir la religion parce qu'elle propose un bonheur illusoire. L'abolition de la religion est la condition nécessaire pour que l'homme parvienne à un bonheur réel. Et quel a été le résultat de ce beau programme ? Dans le cas de la Russie soviétique, ça a conduit à l'extermination pure et simple de dizaines de millions de gens qui faisaient obstacle à la volonté des gouvernants. Le diable prétendait faire le bonheur de Jésus. Il prétend toujours faire le bonheur des gens. Et ça marche très souvent. Jusqu'au jour où on se rendra compte qu'on a été berné. Et on peut être berné pendant toute sa vie.

Jean-Paul Sartre était devenu un athée militant. A sa mort, un homme, quelque part en France, un homme qui avait été lui aussi un athée militant et qui était devenu curé dans une paroisse de l'Ariège et qui entretenait une correspondance avec des personnages comme Claudel, Mauriac, Montherlant et Jean Guitton, ce curé donc écrivait le soir de la mort de Jean-Paul Sartre : "J'ai de la peine ce soir. Je ne sais pas si Jean-Paul Sartre a vu le diable, mais ma foi me dit qu'il a vu le Bon Dieu".

Jean-Paul Sartre avait connu un peu le christianisme dans son enfance. Mais quel christianisme ? Beaucoup de chrétiens - et vous en connaissez sans doute - ont été blessés dans leur éducation chrétienne et ils sont allergiques à la foi chrétienne, aux credos chrétiens, aux dogmes chrétiens. Karl Marx voulait organiser un monde sans Dieu. Certains croyants pensent ou disent parfois qu'il n'est pas possible d'organiser la terre sans Dieu. Ce n'est pas juste. On peut très bien organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai, c'est que, sans Dieu, on ne peut en fin de compte organiser la terre que contre l'homme. C'est bien ce qui est arrivé autrefois au paradis des sans-Dieu, en Russie.

Parce que Dieu est Dieu, il n'est pas possible de lui faire du tort, par exemple en lui désobéissant. Le seul tort que l'homme puisse faire, ce n'est pas à Dieu qu'il le fait, c'est à lui-même. Dieu ne nous demande rien, mais il attend de nous que nous soyons ce que nous sommes : des humains; et donc que nous produisions les effets naturels de ce que nous sommes. Les commandements finalement se ramènent à un seul : l'homme est tenu d'être humain. Mais comment se garder de ce qui n'est pas humain ? Le premier commandement, c'est : "Sois ce que tu es. Sois ce que tu dois être. Sois conforme à ce que tu es".

Un temps de carême pour se convertir ! C'est quoi se convertir ? C'est sortir de soi (un peu plus) pour aller vers Dieu, en écoutant sa parole qui appelle et qui montre le chemin. (Avec Timothy Radcliffe, Casy Rivière, Anselm Grün, Henri de Lubac, saint Thomas d'Aquin, Rémi Brague, AvS, HUvB).

 

5 mars 2017 - 1er dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Matthieu 4,1-11

Pourquoi Jésus a-t-il été tenté ? Il aurait pu empêcher le diable de s'approcher de lui. Mais s'il n'avait pas été tenté, comment aurait-il enseigné la manière de vaincre la tentation ? Pourquoi le Christ a-t-il été tenté ? Saint Augustin se posait déjà la question et il essayait d'y donner une réponse. Jésus est tenté trois fois et, trois fois, il oppose la Parole de Dieu au tentateur. Trois fois, il répond : "Il est écrit..." Rien ne peut mettre en cause le oui du Christ à son Père. Et lorsque son heure viendra, ce sera encore un oui sans réserve qu'il dira au Père. A lire l'évangile, la victoire du Seigneur Jésus semble avoir été facile mais, sous cette victoire, il y a la Passion. 

"Par ton jeûne au désert, délivre-nous. De ceux qui s'égarent, prends pitié. De ceux qui sont tentés, prends pitié. De ceux qui doutent, prends pitié. De ceux qui sont partis loin de toi, prends pitié". Adam a connu la douleur d'être chassé du paradis. Il a douté de Dieu et le péché est entré dans le monde. Pour Jésus, cela s'est passé autrement. Le récit des tentations de Jésus résume toute sa vie. Il n'a jamais dévié de sa fidélité à son Père, il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix.

La tentation, ce n'est pas une histoire du passé, mais un combat de chaque jour. Elle est où, notre tentation à nous ? Quand elle devient plus forte, elle entraîne au péché et nous détourne de Dieu. Les serpents qui s'approchent de nous aujourd'hui sont habiles et séducteurs pour nous éloigner de Dieu et de l’Église, l’Église qui est le lieu où l'on apprend à connaître Dieu et à se rapprocher de lui. Jésus est victorieux pour nous du Malin. Et ce n'est pas pour rien que le diable, on l'appelle le Malin.

Elle est où notre tentation aujourd'hui ? On manque de personnes qui s'emploient aux choses de l’Église et de Dieu, on manque de prêtres. Les vocations auxquelles il n'a pas été répondu ont des répercussions dans l’Église. Celui ou celle qui a refusé un choix mûr en gardera mauvaise conscience, il portera en lui une fausseté dont il n'arrivera pas à se débarrasser, parce qu'il aura esquivé une responsabilité. Mais de plus, un vide apparaîtra également dans l’Église. Ce sera par exemple un diocèse qui rencontre des difficultés en raison du manque de prêtres. Si les chrétiens parvenaient à se rendre compte du nombre immense de décisions manquées au sein de l’Église, ils seraient moins indignés à son sujet.

Le fait que tel homme ou telle femme dans l’Église occupe une place qui, finalement, ne lui correspond pas, s'explique peut-être par le fait qu'une autre personne, plus appropriée pour cette charge, s'est refusée à faire la volonté de Dieu. Celui qui vraiment aurait dû être prêtre, s'il refuse sa vocation première, ne pourra pas devenir toujours un époux idéal. Il ne peut pas affirmer qu'il se trouve à la place où Dieu voulait qu'il soit. Dieu utilise tout pour venir à notre rencontre. Même les tentations. Est-ce que notre manière de faire est bonne ? Demain, quel bon chemin prendre... pour une journée paisible à la recherche de Dieu ? Et pour les fermetures à la grâce, pardon !

Le contraire de la tentation, c'est l'amour. L'être humain atteint son sommet dans l'amour quand il n'est plus que relation à l'autre, en se vidant de lui-même pour s'ouvrir à l'autre. Le contraire de la tentation, c'est de s'ouvrir à Dieu en se vidant de soi. Pourquoi ces tentations de Jésus au moment où il va commencer sa vie publique ? Pour nous dire simplement aussi que la tentation fait partie de la vie. Il y a en tout être humain un penchant pour le mal, et ce n'est sûrement pas la science et la technique qui pourront extirper du cœur de l'homme son penchant pour le mal. Les progrès technologiques n'entraînent pas automatiquement le progrès moral.

Un Juif de notre temps résumait ainsi toute la morale : "Il est demandé à tout homme rien d'autre que la paix, la justice, la bonté et l'humilité, en un mot : l'humanité". Il est curieux et instructif que, dans ces quatre termes qui résument pour lui toute la morale, figure aussi l'humilité. Et d'ailleurs dans les tentations que le diable suggère à Jésus, l'orgueil a une bonne place : Ordonne que ces pierres deviennent des pains ! Jette-toi en bas du sommet du temple ! Fais donc des prodiges ! Et le même Juif, notre contemporain, résumait ainsi ce qu'est pour lui la sainteté : "La sainteté, c'est mener une vie droite". Et il ajoutait : "Une vie droite atteste de la présence de Dieu... Tout homme peut être à l'écoute de l'Esprit, même s'il ne sait pas encore lui donner un nom... Tout homme peut comprendre qu'il y a du sacré dans notre monde".

Dieu n'est pas une forteresse à prendre d'assaut. Au contraire, il est une maison pleine de portes ouvertes par lesquelles nous sommes invités à entrer. Dieu, c'est un échange énorme, infini, éternel, entre trois personnes, le Père, le Fils et l'Esprit saint, et il est prévu de toute éternité que nous, qui sommes dehors, nous qui sommes les autres, nous pouvons entrer et nous pouvons avoir part à cet échange d'amour vivant et infini. (Avec Sœur Marie-Pierre Faure, Bruno Régent, Maurice Zundel, Jean-François Bensahel, AvS, HUvB).

 

1er mars 2009 - 1er dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Marc 1,12-15

Saint Marc raconte très sobrement ce temps de quarante jours que Jésus a passé au désert. Pourquoi l'Esprit pousse-t-il Jésus au désert? Et pendant quarante jours. Aujourd'hui encore, il existe dans l’Église des retraites de trente jours. Cela se passe souvent dans des maisons tenues par des jésuites. Et souvent des chrétiens se décident pour une retraite de trente jours quand ils ont à prendre une grande décision pour leur vie. Mais pas nécessairement avant de prendre une grande décision. C'est peut-être uniquement pour vivre avec Dieu seul pendant trente jours. Trente jours au désert pour écouter Dieu.

Jésus, lui, avait quitté Nazareth et son travail de charpentier dans sa commune. Il savait sans doute que le temps était venu pour lui de commencer son ministère de prédicateur. Et l'Esprit lui inspire de se retirer dans un endroit désert. On ne sait rien de la relation de Jésus avec Dieu, le Père invisible, durant ces quarante jours. Saint Marc nous dit seulement que pendant ce temps Jésus fut tenté par Satan. Saint Marc n'en dit pas plus. Mais il est évident que Jésus a vécu ces quarante jours intensément en présence de Dieu, le Père invisible. Vraiment, pendant ces quarante jours, Dieu occupait tout son horizon. Il n'avait plus ses soucis de charpentier, il n'avait pas encore ses rapports quotidiens avec les gens, avec les foules, avec les malades, avec des gens bienveillants et des gens malveillants. Pendant quarante jours, Jésus s'est offert à Dieu seul.

Mais le diable aussi était là, à l'affût. On voit ça aussi dans la vie de certains saints. Quand on remarque que Dieu est très proche de quelqu'un, on se pose la question : et le diable? Et plus d'une fois on nous apprend que le diable non plus n'était pas loin : c'est l'histoire du curé d'Ars, de Marthe Robin et de bien d'autres.

Où est-ce qu'il est le diable pour nous? Le diable ne dit pas son nom. Il ne dit pas : "Attention! Je suis là!" Il est plus malin que ça. Pour un chrétien, tout ce qui ne se fait pas en direction de Dieu est déjà péché ; tout ce qui, dans ma vie, ne peut pas être mis en relation avec la volonté de Dieu est déjà péché.

Il est toujours possible de se détourner du péché, de se détourner d'une vie sans Dieu, même si pendant des années on a vécu comme si Dieu n'existait pas, comme si Dieu ne nous appelait pas. Il est toujours possible de se retourner vers Dieu, de se convertir, ou de se tourner un peu plus vers lui. La possibilité de la conversion d'un homme pécheur n'est jamais aussi désespérée que la conversion du démon.

Jésus a passé quarante jours au désert. Et nous, nous pouvons toujours demander à Dieu de nous apprendre à nous tenir sur nos gardes aux heures du danger et de la tentation. Qu'il nous donne toujours sa lumière et sa force, sa lumière pour voir où est le danger, et sa force. Il est toujours possible de changer de vie, de se retourner vers Dieu.

Oscar Wilde, un Irlandais, raconte l'histoire d'un assassin repenti. Cet homme qui se repent va trouver un pasteur presbytérien, puis un évêque anglican. Les deux le mettent à la porte en lui faisant remarquer qu'ils sont bien bons de ne pas le dénoncer à la police. Puis notre homme entre dans une église catholique, il repère un confessionnal, il s'agenouille et il frappe. Un volet s'ouvre et l'assassin devine dans l'ombre le visage d'un vieux prêtre. Et il dit alors : "Mon Père, j'ai tué". Et au lieu de réagir comme le presbytérien ou l'anglican, le vieux prêtre catholique lui répond seulement : "Combien de fois, mon fils?" Et Jean-Claude Barreau, qui reprend cette vieille anecdote, conclut en disant : "Quelle belle histoire évangélique que celle-là! La confession est un formidable instrument de recommencement".

Aucune relation humaine, même l'amour et l'amitié, ne dure sans le pardon. Les êtres humains se cherchent à tâtons, se rencontrent et se blessent. Le pardon est nécessaire à tous les niveaux. L’Écriture nous le dit : "Nulle créature n'échappe aux regards de Dieu. Tout est à nu et à découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte".

Jésus passe quarante jours au désert pour être seul avec Dieu. On peut toujours se créer un petit désert de cinq minutes ou d'un quart d'heure ou plus pour être avec Dieu seul. L'existence du Seigneur Jésus a pour but d'aider l'homme à aller jusqu'à Dieu. Et l'existence de l’Église n'a pas d'autre sens que de représenter le Seigneur Jésus au milieu de ceux qu'il appelle "les siens". (Avec Jean-Claude Barreau, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

26 février 2012 - 1er dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Marc 1,12-15

L'évangile du premier dimanche de carême évoque toujours les tentations de Jésus au désert. Saint Matthieu et saint Luc parlent de trois tentations de Jésus avec quelques détails. Notre évangile de l'année, saint Marc, est très bref à ce sujet. Il nous dit simplement que Jésus est resté quarante jours au désert et que là, il fut tenté par Satan. Si Jésus a été tenté par Satan, cela veut dire que Satan est présent dans le monde. Il s'est attaqué à Jésus, il évident aussi qu'il s'attaque à chaque être humain. C'est l'un des grands mystères de Dieu qu'il ait laissé à Satan de tels pouvoirs.

Beaucoup de gens ouvrent à Satan la porte de leur maison et de leur cœur sans même s'en apercevoir, sans même s'en douter. On peut se trouver sous l'emprise de Satan sans le savoir. Et pourtant nous avons à notre disposition tout ce qui est nécessaire pour vivre en communion avec Dieu. Et donc nous avons entre nos mains tout ce qui est nécessaire pour ne pas laisser Satan s'emparer de nos vies. Tout le nécessaire, nous l'avons dans notre foi chrétienne, dans toute la révélation biblique de Dieu, dans toute l'histoire des saints et des saintes de Dieu de deux mille ans de christianisme. Si on néglige tout ça et qu'on va chercher ailleurs, n'importe où et n'importe quoi, il ne faudra pas s'étonner qu'on se trouve un jour dans une impasse, sans issue et sans secours. Ce sont des choses qui arrivent.

Et que fait Satan ? Par exemple ceci : il agit dans la société sans se faire remarquer. Et voilà que notre société humaniste, prétendument humaniste, s'imagine sauver l'homme en le délivrant de la transcendance. Qu'est-ce que ça veut dire ? Satan insinue dans la société l'idée que pour sauver l'homme il faut le délivrer de Dieu, il faut bannir Dieu pour que l'homme trouve le bonheur. Satan ne peut pas mieux faire. Ce n'est que le début... "Notre société prétendument humaniste s'imagine sauver l'homme en le délivrant de toute transcendance".

L'évangile nous dit que Jésus a connu la tentation. Il ne faut pas s'étonner que dans toute vie chrétienne, que dans toute vie humaine, il y ait des tentations. Le feu de la tentation, le feu de l'épreuve, tout croyant en fait l'expérience comme saint Pierre aussi un jour, en particulier lors de son triple reniement. Ce n'est pas toujours une épreuve visible, c'est peut-être le doute, la lassitude, le vide, l'impuissance, l'ignorance. L'épreuve a toujours pour but d'éprouver et de purifier. L'épreuve peut être insupportable. Quelle parole de foi peut alors être pour nous un grain de lumière ? On ne voit vraiment pas.

"De demain tu ne sais rien si ce n'est que la Providence se lèvera pour toi plus tôt que le soleil". C'est une parole d'un croyant du XIXe siècle. Dans l'épreuve, c'est comme devant la résurrection des morts. "Les morts ne ressuscitent pas, c'est impossible". Dans un premier temps, la pensée fuit devant l'impossible. Ensuite elle comprend qu'en refusant l'impossible elle prétend limiter la puissance amoureuse de Dieu. S'il y a la foi, elle doit passer de l'autre côté du raisonnable. "De demain tu ne sais rien si ce n'est que la Providence se lèvera pour toi plus tôt que le soleil".

Jésus meurt sur la croix. Il y a en lui toute la puissance de Dieu. Et voilà que Dieu présent en cet homme renonce à user de sa puissance pour se soustraire au mal. C'est la plus grande victoire de Satan par l'intermédiaire des adversaires de Jésus. Le Dieu infiniment puissant dépose sa puissance par amour pour réaliser le don extrême de l'amour. Le Seigneur Jésus sur la croix, c'est Dieu qui abandonne le visage de la force vis-à-vis de l'homme, même de l'homme méchant. Ce geste de Dieu qui renonce à faire usage de la force permet la manifestation suprême du don de l'amour. Mais l'histoire ne se termine pas avec la mort de Jésus. La création n'est pas achevée avant la résurrection du Christ.

L'une des choses les plus étonnantes et les plus scandaleuses, c'est que c'est la religion qui a rejeté et crucifié le Seigneur Jésus, la religion de la plupart des chefs religieux du peuple élu de Dieu. Aujourd'hui beaucoup de gens rejettent la religion, et notre société s'imagine sauver l'homme en le délivrant de toute transcendance. Être libre, ce n'est pas simplement faire ce qui nous plaît, car la seule véritable liberté, c'est de faire la volonté de Dieu. Satan pousse les hommes à établir le paradis sur terre, un paradis sans Dieu. Mais le paradis sans Dieu, c'est justement la définition de l'enfer. L'enfer des hommes, c'est le lieu où Dieu est absent.

Le contraire des suggestions de Satan, c'est la prière de Marie, la prière aussi à Marie. Le oui de Marie à Dieu est la source de sa prière. Aucune prière ne peut poser de conditions à Dieu. La prière commence vraiment là où elle se décide à abandonner les conditions et à s'abandonner à Dieu. Qu'il me soit fait selon ta Parole... Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. (Avec Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Lacordaire, Guy Coq, Kallistos Ware, Paul Evdokimov, AvS, HUvB).

 

 22 février 2015 - 1er dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Marc 1,12-15

Fidèle à lui-même et à sa brièveté coutumière, saint Marc expédie en trois lignes son récit de la tentation de Jésus. Ce n'est quand même pas une petite affaire, et on voudrait bien en savoir un peu plus. Jésus vient de recevoir l'Esprit lors de son baptême. Et l'Esprit l'incite à aller au désert. Jésus a reçu l'Esprit et il le suit dès qu'il est en lui. Il obéit à son inspiration et il va au désert. Le Seigneur Jésus obéit à l'Esprit Saint sans poser de questions. Il ne va pas au désert de son propre mouvement, mais sous l'impulsion de l'Esprit. Jésus suit cet Esprit qui lui a été envoyé par le Père. Il va commencer son apostolat en obéissant à l'Esprit qui, au lieu de le conduire au milieu du monde, le conduit dans la solitude du désert. - Et nous, est-ce que nous pouvons entendre les indications de l'Esprit et les suivre ?

Et saint Marc continue : "Jésus resta au désert pendant quarante jours, et il était tenté par Satan". Autrement dit, il doit continuellement repousser des tentations. Il ne faut donc pas s'étonner des tentations. Même si Jésus n'a pas connu le péché, il est un homme que les tentations touchent d'une manière aussi sensible que les autres hommes.  La différence par rapport aux pécheurs, c'est que Jésus terrasse les tentations. On peut demander ici que les tentations du Seigneur Jésus nous obtiennent la grâce de résister à nos propres tentations.

Et puis saint Marc nous parle des bêtes sauvages et des anges autour de Jésus. Nous avons du mal à nous représenter les anges en train de servir Jésus pendant que Satan le tente et que les bêtes sauvages l'entourent... Un chrétien n'est jamais seul dans la tentation. Toujours les anges sont là pour l'aider, qu'il les voie ou non. Les anges peuvent être perçus comme des bonnes pensées, comme un stimulant pour notre volonté de ne pas céder à la tentation.

Le diable veut enchaîner Jésus et les hommes par ses tentations. Il n'y a pas d'amour dans le démon, il n'y a que de la haine : pour Dieu et pour les hommes. Et l'homme est d'autant plus libre qu'il est plus capable d'aimer. Et l'homme est d'autant plus homme qu'il est moins centré sur lui-même. Il ne faut pas essayer d'utiliser les moyens du diable, les moyens du monde, pour accomplir l’œuvre de Dieu.

Le curé d'Ars disait  que le diable ne tente que les âmes qui désirent abandonner le péché. Les autres lui appartiennent, il n'a pas besoin de les tenter. - Le diable est la source d'un grand nombre de nos doutes. Par exemple : "Cela ne vous fera pas de mal de désobéir à Dieu. Dieu est un trouble-fête. Dieu ne veut pas le meilleur pour nos vies. Pour ne pas être perdant, il faut désobéir". Tout cela, ce sont les doutes semés par le diable. Et c'est le contraire qui est vrai, bien sûr : en désobéissant à Dieu, nous passons à côté des meilleures choses qu'il avait préparées pour nous.

On ne doit pas voir le diable partout, ni le voir nulle part. D'abord parce qu'il est invisible et qu'il fait ses coups en douce. De même il ne faut pas voir l'enfer partout, ni le voir nulle part. Un évêque de notre temps disait un jour : "La peur de l'enfer a été un instrument de pouvoir dans les mains des prédicateurs et des responsables d’Église... Elle a fait des ravages dans des psychologies portées à la crainte ou au scrupule. Elle est une des raisons de l'éloignement de beaucoup par rapport à la foi".

Si bien que beaucoup se disent : on peut très bien vivre sans Dieu. Nous n'avons pas besoin de Dieu pour vivre honnêtement, pour être nous-mêmes, pour prendre nos responsabilités dans la vie. Mais quelle idée de Dieu se font les gens qui disent ne pas avoir besoin de Dieu ? Un Juif de notre temps, très croyant, disait ceci : "Dieu : aucun mot n'a été aussi souvent souillé, aussi défiguré. Les générations humaines avec leurs divisions religieuses ont déchiré ce mot ; il porte la trace de leurs doigts à elles toutes, et d'elles toutes il porte le sang. Où trouverai-je un mot qui lui ressemble pour désigner ce qu'il y a de plus haut ? Nous devons respecter ceux qui le vomissent parce qu'ils se soulèvent contre les injustices et les infamies qui se réclament volontiers d'un mandat de Dieu".

Que faire alors, et que dire ? Dieu est discret. C'est un avantage qu'il a sur beaucoup de ceux qui parlent de lui, comme sur beaucoup de ceux qui dénient son existence... Que faire et que dire alors ? Réfléchir entre autres à ce que disait un chrétien des premiers temps, qui était un peu philosophe : "Celui qui a découvert ce qu'il y a de mystère dans le monde ne s'étonnera plus qu'il y en ait dans la révélation de Dieu".

Le dessein de Dieu sur le monde est de réunir le ciel et la terre dans la plénitude du Seigneur Jésus. Parce qu'il est Dieu, il possède tout ce qui est au Père. Et finalement tous les hommes ne reçoivent parfaitement leur sens que par lui. (Avec François Varillon, Cardinal Daniélou, saint Jean-Marie Vianney, Nicky Gumble, Mgr Deniau, Martin Buber, Origène, AvS, HUvB).

 

21 février 2010 - 1er dimanche de carêmeAnnée C

Evangile selon saint Luc 4, 1-13

Chaque année, le premier dimanche de carême, nous retrouvons ce récit de la tentation. Les trois évangiles synoptiques, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, nous donnent chacun une version de ce récit. C'est aussitôt après le baptême de Jésus. Jésus est rempli de l'Esprit Saint, nous dit saint Luc, et il fut conduit par l'Esprit au désert. Là, il fut tenté par le démon. Cette tentation est présentée comme un dialogue entre Jésus et le démon. C'est le démon qui a l'initiative, c'est le démon qui attaque. Le démon pose trois questions à Jésus. Trois questions qui concernent le pouvoir et les pouvoirs. 1. Tu as faim. Tu as le pouvoir de changer des pierres en pain. Fais-le. Puisque tu as faim et que tu en es capable ! 2. Puis le démon affirme que lui-même a tous les pouvoirs. Et qu'il peut les transmettre à Jésus. Il suffit que Jésus se prosterne devant lui. Le démon est menteur, il n'a pas tous les pouvoirs. Mais il fait miroiter devant Jésus un pouvoir universel. Tout de suite. 3. Et puis troisième suggestion du démon : il propose à Jésus un coup d'éclat : se jeter en bas du haut du temple, du haut de la tour Eiffel. Il n'y a pas de danger : Dieu est avec toi.

Comment les évangélistes savent-ils que Jésus a été tenté par le démon ? Et qu'il a été tenté de cette manière-là ? Est-ce que Jésus en a parlé un jour à ses disciples ? Sans doute. Mais pas tout de suite. Qu'est-ce que ça veut dire ces tentations pour Jésus lui-même ? La tentation d'utiliser des prodiges pour convaincre les gens ? Peut-être. Sans doute. Il y a les tentations de Jésus. Pourquoi ? Est-ce que les évangélistes n'auraient pas mieux fait de ne pas en parler ? S'ils en ont parlé, c'est que c'est important pour nous. La tentation, ça existe. Le démon existe. Le mal est attrayant. L'attrait du mal existe. Et c'est comme ça d'ailleurs que le démon s'y prend avec Jésus. Le démon met sous les yeux de Jésus l'intérêt qu'il aurait à suivre ses conseils.

Et nous, comment le démon s'y prend-il avec nous ? Il y a des choses qui semblent innocentes, et le démon est là, bien caché. On participe à une séance de spiritisme, pour s'amuser, pour ne pas déplaire à des amis. Et on ne sait pas que le démon est toujours là dans le spiritisme. Même si les réponses obtenues sont cohérentes. Le démon est là, tapi dans son coin. Vous l'avez taquiné. Il viendra vous rendre visite d'une manière ou d'une autre. Et ce ne sera pas agréable du tout. Et les gens s'étonnent : ils ont fait du spiritisme pour s'amuser, par curiosité. Et les ennuis qu’ils ont par la suite, ils ne savent pas que c’est une suite de leur séance de spiritisme. Le démon, lui, ne s'amuse pas. Il vous a pris dans ses filets. Le démon est capable de nous toucher. Mais Dieu aussi est capable de nous toucher. Il faut souvent lui demander de nous toucher pour qu'il nous ouvre les yeux, pour qu'il nous rende capables d'exécuter ce qu'il nous demande de faire concrètement dans notre vie.

Le démon suggère à Jésus de s'imposer aux yeux du monde par des prodiges. Dans le royaume de Dieu, l'orgueil n'a pas sa place ; tout orgueil, toute vanité sont absolument bannis du royaume de Dieu. Pourquoi ? Parce que personne ne peut se glorifier devant Dieu. Quand Jésus meurt sur une croix, la mort de Jésus confirme ses adversaires dans la certitude qu'il ne peut être Fils de Dieu puisque Dieu le laisse périr. La croix, ce n'est pas la gloire promise à Jésus par le démon. La croix révèle jusqu'où Dieu peut aller pour chercher l'homme. La croix n'est pas seulement une exécution ignominieuse. La croix, c'est l'accomplissement d'un amour inouï. L'envers de la tentation de Jésus par le démon, c'est la croix.

Le démon fait miroiter des merveilles aux yeux de Jésus. Le démon fait miroiter aux yeux du monde les merveilles de l'amour humain et de la sexualité. Et voilà que l'amour humain de l'homme et de la femme, qui est le lieu par excellence de l'amour et qui est un cadeau merveilleux de Dieu, est sans cesse menacé de devenir un lieu de conflit, d'affrontement et de servitude. Il est malin, le démon. Il se sert du meilleur pour faire le pire. Avec Jésus, il s'y est pris d'une manière, mais sans succès. Avec nous, il a bien d'autres tours dans son sac.

Jésus a conscience d'avoir une mission de Dieu. Cette mission de Dieu est absolue et exigeante. Et il sait qu'il n'a pas le droit d'agir avec des moyens et des pouvoirs surhumains qui se trouveraient peut-être magiquement à sa disposition. Il ne peut agir qu'avec les forces que Dieu lui accorde, et donc avec les moyens humains que sont la pauvreté, la prière, l'obéissance et l'abandon. (Avec M. Egger, Jacques Guillet, Bernard Sesboüé, AvS, HUvB).

 

17 février 2013 - 1er dimanche de carême – Année C

Évangile selon saint Luc 4,1-13

Personne n'a été témoin du dialogue entre Jésus et le démon. Si nous en savons aujourd'hui quelque chose, c'est que Jésus a dû en parler un jour à ses disciples. Pas le premier jour, pas tout de suite, évidemment. Mais quand l'occasion s'en est présentée.

Deux fois le démon suggère à Jésus d'opérer un prodige pour son compte personnel. D'abord : puisque tu as faim, ordonne à cette pierre de devenir du pain et tu auras à manger. Jésus a en lui toute la puissance de Dieu, et il pourrait très bien faire ce que le démon lui suggère. Mais la puissance de Dieu qu'il possède, Jésus ne veut l'utiliser que si le Père le veut. En quittant le ciel, le Fils a pour ainsi dire déposé toute sa puissance entre les mains du Père, et une fois qu'il est devenu homme, il ne veut plus utiliser sa puissance de Dieu que si le Père le veut et quand le Père le veut. Jamais Jésus ne veut utiliser sa puissance pour son usage personnel.

Autre prodige que le démon suggère à Jésus : se précipiter en bas du sommet du temple et être secouru par les anges pour arriver à terre sans se faire de mal. Jésus ne veut pas non plus de cet étalage de puissance.

Enfin le démon suggère à Jésus de se prosterner devant lui, de l'adorer. Le démon s'est révolté contre Dieu, il n'a pas voulu l'adorer justement, et il suggère maintenant à Jésus de l'adorer, lui, le démon. Jésus n'a pas fait un long discours au démon. Il a cité une parole de l’Écriture : "Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras".

Jésus a été tenté par le démon. Et nous, où sont-elles nos tentations ? Et comment y répondre pour rester fidèles à Dieu ? Celui qui attend le Seigneur Jésus, celui qui attend Dieu, est sûr de sa présence. Lui préparer son cœur, c'est déjà le posséder. Et le posséder, c'est aussi déjà lui demander de nous éclairer dans notre combat contre les esprits du mal.

Quand on aime quelqu'un, on cherche à lui faire plaisir. Qu'est-ce qu'on peut faire pour faire plaisir à Dieu ? Qu'est-ce qu'il attend de moi aujourd'hui ? Il faut prier, bien sûr; mais c'est quoi prier ? Il faut que notre prière soit perméable à la volonté de Dieu. C'était certainement aussi l'essentiel de la prière de Jésus. Quand on aime quelqu'un, on cherche à lui faire plaisir. Quand on aime quelqu'un, on cherche aussi à connaître celui qu'on aime. Toute notre programme de carême pourrait se résumer dans la prière d'ouverture de cette messe où l'on demande à Dieu de progresser tout au long de ce carême dans la connaissance de Jésus-Christ, de nous ouvrir à sa lumière et de lui être alors de plus en plus fidèles.

C'est quoi être fidèle ? Un des secrets du parfait fidèle est de ne jamais s'ériger en interrogateur de Dieu. Cela veut dire qu'on ne doit jamais demander à Dieu de nous rendre des comptes : Pourquoi as-tu permis ça et ça dans ma vie ? Un des secrets du parfait fidèle est de ne jamais d'ériger en interrogateur de Dieu.

On ne devrait pas dire : "Nous avons péché". Nous devrions dire plutôt : "Nous ne voulons plus pécher". Ou bien il faut dire les deux choses à la suite : "Nous avons péché, c'est vrai. Mais nous ne voulons plus pécher".

Voilà un homme qui était médecin dans un hôpital de campagne pendant la guerre. Il a accompagné beaucoup de blessés graves, d'agonisants, de mourants. Ce médecin était très croyant. Par la suite, il est devenu prêtre. Comment faire auprès d'un homme qui est en train de mourir et qui n'a pas la foi ? Tu peux dire : Tu ne crois pas, mais moi je crois. Je vais parler avec mon Dieu, et toi, écoute comment nous parlons… Et le médecin ajoute : Il arrive souvent que les paroles aillent toucher l'homme. On ne peut pas expliquer ça logiquement. Il est très rare qu'un mourant hausse les épaules et dise : "Partez, vous et votre Dieu !" Mais avant d'arriver à Dieu, il faut absolument faire preuve de compassion, montrer que nous sommes proches, que nous sommes son semblable et qu'il est notre semblable... Je suis persuadé de la nécessité de prier, mais de telle sorte que la prière ne puisse l'offenser. S'il dit : "Surtout, ne me parlez pas de Dieu !", il vaut mieux se taire. Tu as un cœur, tu as une intelligence, tu peux te tenir devant Dieu et porter cet homme devant Dieu. Mais imposer Dieu à un homme qui va mourir, c'est tout simplement cruel.

Terminer avec Sainte Thérèse de Lisieux : "Nous qui courons dans la voie de l'amour, je trouve que nous ne devons pas penser à ce qui peut nous arriver de douloureux, car alors c'est manquer de confiance, et c'est comme se mêler de créer". (Avec S. Clément, Antoine Bloom, sainte Thérèse de Lisieux, AvS).
 

14 février 2016 - 1er dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 4,1-13

Jésus, aussitôt après son baptême, est tenté par le démon. Et pendant quarante jours. Et au bout de quarante jours le démon s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé. Et quel est ce moment où le démon reviendra ? La suprême tentation de Jésus sera sa passion et sa mort. Au moment fixé, Jésus donne sa vie en faisant pleinement confiance au Père : "Père, entre tes mains je remets mon Esprit".

Aujourd’hui Jésus répond aux tentations du démon en s'appuyant sur l’Écriture. Jésus répond aux tentations par trois paroles de l’Écriture. D'abord : "Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre". Ensuite : "C'est Dieu seul que tu adoreras". Enfin : "Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu".

Pourquoi ces tentations de Jésus juste avant qu'il commence sa vie publique de prédicateur itinérant ? Cela doit nous rappeler sans cesse qu'il n'y a pas de foi sans épreuves, il n'y a pas de foi sans lutte contre un adversaire. Il y a, dans toute vie humaine, comme dans la vie de tout croyant, des embûches et des batailles. Que nous dit l’Évangile ? Il faut veiller et combattre.

Tout le monde se souvient de cette parole célèbre d'un de nos contemporains (ou presque) : la plus grande ruse du démon est de faire croire qu'il n'existe pas. Au cours de l'histoire de l’Église, un certain nombre de saints ont eu à lutter avec le diable pour ainsi dire à visage découvert. Et le démon lui-même disait à l'un des saints qu'il importunait : "Je quitte les empires où règne l'idolâtrie (sous-entendu : j'ai là partie gagnée) pour venir dans le christianisme importuner et inquiéter une âme dès qu'elle a entrepris de servir Dieu". Et pourquoi toutes ces attaques du démon ? Certains démons répondirent eux-mêmes à un saint : "Au fond, c'est finalement pour la plus grande gloire de Dieu".

Un protestant allemand qui fut mis à mort par les nazis parce qu'il protestait contre le régime démoniaque de son pays à cette époque, disait : "La foi ne s'acquiert pas à bon marché. L’incroyant peut penser que tout est facile pour le croyant... Le croyant peut répliquer : Si tu crois que c'est facile, tu te trompes".

Tout ce qui se fait en ignorant Dieu ou en luttant contre lui est stérile, est déjà aux mains du démon, qui agit la plupart du temps sans se faire voir, sans même qu'on soupçonne sa présence... Tout ce qui se fait en ignorant Dieu ou en luttant contre lui est déjà aux mains du démon. Un grand cinéaste américain de notre temps disait : "Nous sentant orphelins de Dieu, nous n'avons rien trouvé de mieux que de diviniser la technologie". Sans faire de bruit, le démon a gagné la partie; insidieusement il a glissé dans le jeu un autre dieu : la technologie (et bien d'autres choses).

Les gens qui refusent la foi sont touchés, eux aussi, par les épreuves. Mais en refusant la foi, ils se vouent à une croix sans résurrection.  Notre société du sourire fait tout ce qu'elle peut pour cacher, effacer, ignorer la souffrance et la mort, pour reléguer la souffrance et la mort dans les hospices, loin de nos yeux... jeunes, beaux et joyeux, en entretenant ainsi chez beaucoup aujourd'hui l'illusion de la jeunesse et de la santé éternelles. Là, le démon n'a plus grand-chose à faire, il se repose sur ses lauriers. Le démon est aussi le roi des illusions.

La difficulté de la foi, c'est que l'essentiel se passe dans l'invisible. Il y a eu autrefois, il y a deux mille ans en Palestine, la présence sensible du Fils de Dieu parmi les hommes. Mais Dieu vise un autre type de présence que la présence sensible, il vise la présence invisible de l'Esprit du Père et du Fils. Pour recevoir cette nouvelle présence, les hommes doivent accepter le retrait de la présence sensible de Jésus. Et ce renoncement à la présence sensible du Fils est quelque chose de pénible pour l'homme sensible. Jésus l'avait annoncé avant son départ : "Parce que je vous ai dit : 'Je vais à Celui qui m'a envoyé', la tristesse remplit vos cœurs" (Jn 16,5). Avec l'Esprit Saint, Jésus revient en vérité à ses disciples. Mais c'est désormais une présence spirituelle, ce qui est vrai aussi de l'eucharistie; c'est donc une présence qui suppose son absence sensible. C'est une présence dans la foi. (Avec Père Surin, Dietrich Bonhoeffer, Woody Allen, Olivier Clément, Jean-Marc Potdevin, AvS, HUvB).

 

20 mars 2011 - 2e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Matthieu 17,1-9

Dimanche dernier, le récit des trois tentations de Jésus était rempli de mystère : Jésus en présence du diable. Aujourd'hui, autre récit rempli de mystère : Jésus, tel qu'il est en vérité : dans la gloire de Dieu. Pour les trois tentations de Jésus, il n'y avait pas de témoins. Aujourd'hui, pour révéler son mystère, Jésus ne prend avec lui que trois de ses apôtres : Pierre, Jacques et Jean. C'est encore une confidence. Et en descendant de la montagne, Jésus donne l'ordre à ses trois disciples de ne parler à personne de ce qu'ils ont vu et entendu sur la montagne, l'ordre de ne pas en parler avant sa résurrection d'entre les morts. Pour le moment, c'est un grand secret. Mais Jésus a quand même voulu faire connaître à trois de ses apôtres le mystère de sa relation à Dieu, le Père invisible. La mort de Jésus sur la croix sera pour les disciples un moment terrible. Ils vont douter et s'enfuir. A ce moment-là, ce qui s'était passé sur la montagne ne fera plus le poids. Les disciples n'imaginaient même pas une résurrection.

Sur la montagne, tout d'un coup, Moïse et Élie sont là et ils parlent avec Jésus comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Moïse, mort douze siècles avant le Christ. Élie, mort huit siècles avant le Christ. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que Moïse et Élie sont vivants quelque part dans le monde invisible de Dieu. Et si Dieu le veut, ils peuvent venir à la rencontre de Jésus sur la montagne pour parler avec lui.

En 1858, la Vierge Marie vient rendre visite à Bernadette dans les Pyrénées et elle lui parle. Qu'est-ce que cela veut dire ? La Mère de Jésus a quitté ce monde au premier siècle. On ne sait pas quand exactement. Qu'est-ce que cela veut dire qu'en 1858 elle vienne parler à Bernadette ? Dix-huit fois que Marie est venue. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que Marie est vivante quelque part dans le monde invisible de Dieu. Et si Dieu le veut, si Dieu le lui demande, Marie peut venir dans les Pyrénées en 1858 pour parler avec Bernadette. Pourquoi ? Depuis deux mille ans, le ciel s'entrouvre comme ça de temps en temps. C'est Marie, c'est le Christ, ce sont des saints et des saintes qui viennent rendre visite aux terrestres que nous sommes encore. Pourquoi toutes ces visites ? Pour nous aider à croire tout ce que les évangiles nous ont dit, pour rendre notre foi plus vivante et plus sûre, pour nous faire comprendre qu'il y a des paroles qui nous viennent de l'éternité. Dieu n'est pas muet et il est capable de se faire comprendre par les humains.

Avant la Pentecôte, les apôtres étaient rassemblés au cénacle. Ils attendaient en priant la suite des ordres de Dieu. Par l'Esprit Saint, ils ont reçu une compréhension plus grande du mystère du Seigneur Jésus, ils ont compris quelque chose de la plénitude de Dieu. La scène de la transfiguration de Jésus sur la montagne devant Pierre, Jacques et Jean était un petit acompte qui les préparait à la révélation plénière de Pâques et de la Pentecôte. Le vendredi saint, manifestement Jésus avait échoué. Et toutes les grandes espérances précédentes apparaissaient comme une grande erreur. A Pâques, les apôtres ont découvert que Jésus n'était pas parti dans la mort mais dans la vie. Dieu lui avait donné raison.

Le plein pouvoir divin de Jésus est resté toujours voilé durant sa vie terrestre. La résurrection de Jésus signifie d'abord la révélation du mystère divin de sa personne. Durant sa vie terrestre, Jésus a voulu que trois de ses disciples au moins soient témoins de son mystère, pendant quelques instants, sur la montagne. L'homme aussi est un mystère, une énigme. L'homme est fait à l'image de Dieu, il porte nécessairement en lui quelque chose du caractère mystérieux de Dieu. C'est grâce à la relation de l'homme au mystère du Christ que l'homme n'est plus nécessairement une énigme insoluble. (Avec Benoît XVI, Leo Scheffczyk, AvS, HUvB).

 

16 mars 2014 - 2e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Matthieu 17,1-9

Jésus n'a pris avec lui que trois disciples pour aller avec lui dans la montagne. Les trois disciples n'ont aucune idée de ce qui les attend. Ce qui les attend, c'est que Dieu va leur faire le cadeau d'une expérience mystique. Les trois disciples s’attendaient à tout sauf à ça. Et dans cette expérience mystique sur la montagne, Dieu va leur faire connaître quelque chose de la vraie nature du Seigneur Jésus. Sur la montagne, les trois disciples vont découvrir qu'il y a en Jésus bien plus que ce qu'ils avaient découvert jusque là.

Comme tout le monde, ils avaient été témoins des miracles opérés par Jésus. Comme tout le monde, ils avaient été frappés par l'enseignement de Jésus : il parlait des choses de Dieu beaucoup mieux que tous les scribes et tous les rabbins. Et comme tout le monde, les disciples se disaient que Jésus était un ami de Dieu, un homme de Dieu, un prophète. Mais Jésus, sur la montagne, veut donner aux trois disciples une leçon particulière.

La vraie stature de Jésus, son monde secret, mais qui est en même temps son monde habituel, c'est qu'il est en communion avec les habitants du ciel qui vivent dans le monde invisible de Dieu, le Père invisible : voilà que deux prophètes des temps anciens sont là et qu'ils parlent avec Jésus comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Et puis il y a eu cette immense nuée lumineuse et cette voix puissante qui a retenti et qui disait en parlant de Jésus : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le".

Et après cela, la vie quotidienne ordinaire va reprendre avec les longues marches avec Jésus et les miracles et les enseignements. Mais pour les trois disciples, il y a quelque chose qui est changé fondamentalement dans leur relation au Seigneur Jésus. Constamment le souvenir leur revient de ce qui s'est passé sur la montagne. Là, ils ont été touchés par Dieu, c'est évident. Et maintenant Jésus est de nouveau au milieu d'eux comme un homme ordinaire, comme un prophète quand même, mais avec quelque chose en plus : à tout moment au fond, il pourrait se révéler dans la lumière de Dieu comme il était dans la montagne.

Ce n'est qu'après la résurrection de Jésus que les trois disciples ont pu dire aux autres ce qui s'était passé dans la montagne. Après la résurrection, Jésus apparaît à ses disciples où il veut et quand il veut. Pour les trois disciples, ce n'est pas plus étonnant au fond que ce qui s'est passé sur la montagne. Dieu est capable de ça. Jésus est capable de ça. Ils le savent.

Il y a des choses que les disciples ne peuvent donner que si elles sont devenues pour eux vérité. Elles sont devenues vérité pour les trois disciples sur la montagne, elles sont devenues vérité pour tous les disciples après la résurrection. Et pour les disciples, ces choses de Dieu, qui sont devenues pour eux vérité, sont destinées à devenir vérité pour les hommes du monde entier. Les disciples en trouvaient déjà l'annonce dans le prophète Isaïe qui disait : "La connaissance de Dieu recouvrira le monde comme l'eau recouvre le fond des mers".

Mais quelle est l'image de Dieu que beaucoup d’hommes se font aujourd'hui ? Un cardinal de notre temps disait : "Il y a des gens que les représentations affreusement mièvres de certains saints qu'ils voyaient toujours dans leur enfance ont rempli d'indéracinables préventions contre ces saints eux-mêmes", alors que, de leur vivant, ces saints savaient faire preuve de violence et de grandeur. La scène vécue par les trois disciples sur la montagne n'avait rien de mièvre. Les trois disciples étaient remplis de frayeur, dit l'évangile. Mais comment dire l'invisible ? Les trois disciples ont expérimenté la vérité. Mais la vérité est inexprimable et elle court toujours le risque d'être livrée par les hommes dans ces représentations mièvres dont parlait tout à l'heure le cardinal.

Benoît XVI disait : "La crise de notre monde est une crise de la foi. Il faut prêcher la foi". Oui, mais comment prêcher la foi ? Dans l'un de ses blocs-notes, Mauriac écrivait un jour : "Que de fois l'ai-je rappelé ! Cela fait dix-neuf siècles que les imbéciles font courir le bruit que Dieu préfère les imbéciles !". Alors que faire ? Ne jamais cesser d'étudier la profondeur de la foi chrétienne, ne jamais se contenter de l'écorce des choses ni des mots. L'enseignement de Jésus n'avait pas pour but d'aider les hommes à aménager leur séjour terrestre et de leur apprendre à bien vivre ici-bas. L'unique orientation de la vie, c'est la résurrection. Et c'est de cela que le Seigneur Jésus a donné quelque chose à goûter à ses trois disciples un jour sur la montagne.

Sur la montagne, les trois disciples ont connu quelque chose de la gloire de Dieu. Ils étaient terrifiés en même temps que subjugués : ils auraient voulu que ça dure ! On peut faire trois cabanes de branchages : une pour Moïse, une pour Élie et une pour Jésus. Le Verbe s'est fait chair pour révéler la gloire de Dieu. La beauté de la gloire de Dieu qui subjugue les disciples, c'est au fond que Dieu est la grâce de l'amour. (Avec Cardinal Journet, Benoît XVI, Jacqueline Kelen, AvS, HUvB).

 

8 mars 2009 - 2e dimanche de carême – Année B

Évangile selon saint Marc 9,2-10

Dans la montagne, tout d'un coup, Jésus fut transfiguré et il fut entouré d'une grande lumière. Saint Luc ici vient à notre aide avec un petit détail que saint Marc ne signale pas : à un certain moment dans la montagne, Jésus et les trois disciples ont fait une pause, et Jésus s'est mis à prier. Et c'est quand il priait que tout d'un coup il fut rempli de lumière.

Et voilà que deux hommes qui étaient morts des siècles et des siècles auparavant sont là qui parlent avec Jésus comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Ces deux hommes sont deux prophètes des temps anciens : Moïse, douze siècles avant le Christ, Élie, huit siècles avant le Christ. Qu'est-ce que ça veut dire? Cela veut dire que Moïse et Élie sont vivants quelque part dans le monde invisible de Dieu et, si Dieu le veut, ils peuvent se rendre présents quelque part sur la terre et parler avec Jésus.

En 1858, la Vierge Marie apparaît à Bernadette dans les Pyrénées, et elle s'entretient avec Bernadette. Qu'est-ce que ça veut dire ? Marie, la mère de Jésus, vivait au Ier siècle, et elle est morte, on ne sait pas quand, au cours de ce premier siècle. Qu'est-ce que ça veut dire qu'elle vient parler à Bernadette en 1858 ? Cela veut dire que Marie est vivante quelque part dans le monde invisible de Dieu et, si Dieu le veut, elle peut se rendre présente dans les Pyrénées en 1858 et s'entretenir avec Bernadette...

Et Jésus descend de la montagne avec Pierre, Jacques et Jean. De quoi parlaient-ils en descendant de la montagne? On voudrait bien savoir. Il y a une chose au moins que saint Marc nous dit, c'est que Jésus a demandé à ses trois disciples de ne dire à personne ce qui s'était passé sur la montagne. Ils ne pourront en parler que lorsque Jésus sera ressuscité d'entre les morts. Et saint Marc nous dit que les trois disciples se demandaient ce que ça voulait dire : "ressusciter d'entre les morts". On n'a jamais vu ça. Quand on est mort, on est mort. Et c'est pour toujours.

Sur la montagne, les trois disciples ont bénéficié d'une révélation sans précédent. Et pendant des jours et des jours, sans rien dire à personne ils ont ruminé dans leur cœur et dans leur tête ce qui s'était passé sur la montagne. On peut penser que leur cœur, à eux aussi, était tout brûlant. Ils avaient été enveloppés d'une grande lumière, c'est-à-dire qu'ils avaient été saisis par l'Esprit Saint. Mais pour le moment c'était un grand secret pour eux trois seulement.

En leur révélant un secret, Jésus leur confie une mission. Ils devront parler de ce secret quand le temps sera venu. Qu'est-ce que ça veut dire : ressusciter d'entre les morts? Jésus ne leur a pas expliqué ce que ça veut dire. Mais après sa mort, trois jours après sa mort, et pendant quarante jours, il leur a imposé sa présence vivante par-delà la mort. Et alors les trois disciples ont tout compris. Et leur langue a pu se dénouer. Et ils ont pu dire que ce n'est pas étonnant que Jésus est vivant par-delà la mort puisque, sur la montagne déjà, ils avaient vu aussi que Moïse et Élie étaient toujours vivants dans le monde invisible de Dieu, et que Moïse et Élie étaient venus leur rendre visite pour leur faire deviner déjà qu'il y avait une vie par-delà la mort.

La première vérité chrétienne, c'est la croyance en la résurrection de Jésus. L’Église est née de l'événement de la résurrection. La Bonne Nouvelle, ce ne sont pas les béatitudes, ce ne sont pas quelques règles de conduite ou quelques jolies paraboles, la Bonne Nouvelle, c'est la résurrection. Le christianisme, c'est l'affirmation tranquille et incroyable d'une expérience soudaine et historiquement datée : des hommes ont constaté que Jésus était revenu du royaume des morts : Jésus est ressuscité.

Une poignée d'hommes ont été les partenaires de Jésus dans ses entretiens sur la terre et nous pourrions les envier pour ce bonheur. Mais, dans ce entretiens, ils se sont comportés aussi lourdement et aussi maladroitement que nous l'aurions fait si nous avions été à leur place. Les disciples d'autrefois ont vu la manifestation terrestre et extérieure de Jésus, et ce côté extérieur leur cachait dans une large mesure le côté intérieur et divin de Jésus. C'est pour cela qu'avant de partir Jésus a dit à ses disciples : "Il vaut mieux pour vous que je m'en aille. Sinon l'Esprit Saint ne viendra pas. Et quand l'Esprit de vérité viendra, il vous introduira dans la vérité tout entière". Les véritables dimensions de Jésus sont confiées au seul Esprit de Dieu. C'est pourquoi on ne peut jamais accorder assez d'importance à l'Esprit Saint. (Avec Jean-Claude Barreau, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

4 mars 2012 - 2e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Marc 9,2-10

Tous les ans, le deuxième dimanche de carême, nous lisons le récit de la transfiguration de Jésus. Cette année, dans l'évangile de saint Marc. Jésus emmène trois disciples à l'écart des autres disciples. Il emmène Pierre, évidemment, puisque Jésus l'a désigné comme le chef des apôtres. Pierre doit apprendre quelque chose : la relation de Jésus à son Père. Ce n'est pas un miracle de guérison ; Pierre doit être témoin d'un miracle qui éclaire la personne de Jésus. C'est un état de Jésus qui existe aussi d'ordinaire, mais qui doit être montré aux trois disciples, justement dans la solitude. Avec Pierre, il y a aussi Jean, le disciple bien-aimé, et Jacques, le frère de Jean

Le Seigneur Jésus se montre donc aux trois disciples sous une nouvelle manière d'être. "Jésus fut transfiguré devant eux". Jésus leur apparaît autrement que d'habitude. Question qui se pose : est-ce que Jésus lui-même passe par cette transformation ? Ou bien est-ce que les trois disciples le voient alors soudain tel que Jésus se tient toujours devant Dieu ? Est-ce que cette transfiguration serait son état habituel devant le Père ? Ce qu'on peut dire en tout cas, c'est que la transfiguration est avant tout une vérité divine qui est communiquée aux disciples pour un instant. Pour un instant, ils voient le Fils avec les yeux de Dieu. Non pas comme s'ils étaient à la place du Père, mais ils le voient avec la lumière dont Dieu le voit. Ils voient son être divin, sa sainteté, le fait qu'il demeure auprès du Père, ce qu'il possède toujours mais qui reste d'ordinaire voilé à leur connaissance terrestre et sensible.

En ce moment précis, ils doivent voir le Fils tel que le Père le voit... Pour un instant qu'ils n'oublieront jamais, le Fils est pour ainsi dire livré à leurs regards dans la lumière de Dieu pour qu'ils apprennent qui il est en vérité. Une fois au moins, ils doivent trembler d'être admis à vivre ainsi avec Dieu, de se trouver dans sa proximité, ils ne peuvent pas être secoués comme ça tous les jours. Mais ils doivent se souvenir d’avoir vu Jésus tel qu'il est devant Dieu, tout autre qu'ils ne l'avaient vu jusqu'à présent.

Les vêtements de Jésus devinrent éblouissants. Ces vêtements blancs ne concernent pas d'abord le vêtement, mais l'être spirituel intime de Jésus. En voyant le Seigneur Jésus transfiguré, les disciples remarquent qu'il est auprès du Père dans le ciel. Et dans le ciel, il y a aussi tout d'un coup deux grands personnages de l'Ancien Testament : Élie et Moïse. Et ces deux prophètes de l'Ancien Testament parlent avec le Messie. Il n'est pas dit que Moïse et Élie parlent en inconnus avec le Seigneur Jésus. On dirait plutôt qu'ils continuent une conversation commencée depuis longtemps.

Alors Pierre prend la parole, lui aussi. Il éprouve le besoin d'intervenir. Il doit parler, mais il ne sait pas ce qu'il doit dire. De tout croyant, qui croit vraiment, le Seigneur Jésus exige toujours plus que ce qu'il peut donner. L'amour de Dieu demande toujours plus que ce qu'on peut donner, et pourtant il n'exige jamais trop. Pierre veut faire trois tentes. Il n'a pas compris, bien sûr, que le Seigneur Jésus, au ciel avec Moïse et Élie, n'a pas besoin de tentes. Ils sont immergés dans le monde de Dieu. Mais saint Pierre ajoute quand même : on est bienheureux d'être ici.

Et aussitôt saint Marc ajoute que les trois disciples étaient remplis de frayeur. Ils sont transportés dans une réalité surhumaine. Ils sont comme dans un tourbillon. Les disciples ont déjà expérimenté beaucoup de faits extraordinaires opérés par Jésus, mais c'était toujours resté dans leur monde terrestre. Maintenant ils sont arrachés à ce monde terrestre. Le ciel s'est ouvert à eux, la vie éternelle a fait soudain irruption dans leur vie quotidienne. Ils doivent apprendre à voir des choses qu'aucun homme ne voit d'ordinaire. Comment ne seraient-ils pas saisis de frayeur ?

Et puis une nuée survint. C'est un symbole de la présence de l'Esprit Saint et de la sainteté de Dieu. Alors la voix de Dieu retentit comme elle s'était fait entendre autrefois dans la nuée de l'Ancien Testament. Et la voix s'adresse aux disciples comme s'ils étaient des élus, ce qu'ils sont d'ailleurs. La voix leur annonce : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé". Ils est l'Élu par excellence.

Il arrive ceci d'inouï aux trois disciples : non seulement ils ont entendu la voix d’Élie et de Moïse, mais ils ont entendu la voix du Père lui-même. Ils font l'expérience d'une dilatation soudaine et inconcevable de toute leur âme. Le Père en personne vient confirmer la nature filiale de Jésus, d'une manière totalement inattendue et inconnue. Et le Père dit aux disciples : "Écoutez-le". Autrement dit, les trois disciples ont tout à recevoir de Jésus. Par la voix du Père, les trois disciples apprennent d'une manière toute nouvelle qui est Jésus : pas seulement un homme qui vient de Dieu, pas seulement un homme qui vit uni à Dieu, mais le Fils bien-aimé du Père. Les trois disciples découvrent en Dieu une relation intime. Et ils découvrent cette relation dans la nuée, dans l'atmosphère qui règne entre le Père et le Fils, dans l'Esprit Saint. Et en même temps une exigence : écouter le Fils parce qu'il est le Bien-aimé, faire la volonté du Père en écoutant le Fils.

Et tout d'un coup il n'y a plus que Jésus seul avec les trois disciples. Pour eux, Jésus est le marcheur avec qui ils sont allés dans la montagne. Il y a un instant, il a parlé avec Moïse et Élie. Il est celui qui fait des miracles. Il est celui qu'ils côtoient. Tout cela, ils le savaient plus ou moins. Mais il est encore bien plus : il est tout. Maintenant il est toute leur foi, tout leur amour, toute leur espérance. Maintenant il est pour eux le chemin qui vient du Père et qui conduit au Père.

Et on descend de la montagne. Il est toujours difficile pour un homme, après avoir vécu un sommet, de devoir ensuite redescendre. Mais les disciples restent avec le Seigneur Jésus tel qu'il était auparavant. Et voilà qu'en plus ils ont le souvenir de la montagne. Ils n'ont pas la capacité de voir en permanence Jésus comme le Fils du Père. Ils ont eu cette capacité un instant, dans une grâce toute particulière. Ils continuent à vivre dans la grâce, mais une grâce quotidienne, plus petite à leurs yeux, mais une grâce qui leur permet pourtant de se rappeler sans cesse la grandeur de la grâce qu'ils ont reçue. Leur quotidien a maintenant un autre visage : la proximité de Jésus avec Dieu leur apparaît maintenant bien plus réelle.

Les trois disciples sont les premiers chrétiens auxquels une manifestation du ciel a été accordée, ils ont vécu quelque chose d'analogue aux prophètes de l'Ancien Testament. Ils n'ont le droit de s'attribuer en rien le mérite de cette grâce, ni de compter sur une répétition. Ils doivent simplement apprendre à être obéissants, à vivre toujours plus dans l'amour. Il est hors de question qu'ils puissent se sentir maintenant prophètes ou saints.

Jésus ne fait aucun commentaire sur la parole du Père que les disciples ont entendue, aucun éclaircissement. Jésus dit une seule chose : défense d'en parler ! Les disciples voient certainement dans ce qu'ils ont expérimenté de nouvelles chances pour leur apostolat. Si eux, des gens raisonnables, ont vécu une chose pareille et s'ils pouvaient la raconter, combien de nouveaux disciples ne pourraient-ils pas recruter ! Et Jésus leur demande de ne rien dire. Ils ne doivent pas en parler avant la résurrection de Jésus d'entre les morts. Mais qu'est-ce que ça veut dire : ressusciter d'entre les morts ? Les disciples se le demandent.

Le silence qui leur est imposé sur tout cela est pour eux presque comme une pénitence. Pour Jésus, cela veut dire que sa Passion ne doit pas être gâchée par des paroles prématurées de ses disciples. Ils n'ont pas le droit de livrer les mystères de Jésus à l'extérieur, mais ils peuvent en parler entre eux. Ils n'ont aucune expérience, et cette discussion entre eux fait partie de leur formation. Ils doivent apprendre à penser et à s'exprimer. Ils sont éduqués à une nouvelle pauvreté comme à une nouvelle richesse, à un partage de tout ce qui leur appartient en tant que disciples. (Avec Adrienne von Speyr).

 

1er mars 2015 - 2e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Marc 9,2-10

Jésus prend avec lui trois disciples. Pourquoi trois seulement ? Jésus les emmène à l’écart. Il veut leur faire voir non pas un miracle, il veut leur faire voir qui il est réellement. Il veut leur montrer ce qu’il est à l’ordinaire. Ce qu’il est à l’ordinaire, son état ordinaire, c’est sa relation au Père, c’est qu’il demeure dans la grâce du Père. C’est une vérité divine qui est communiquée aux trois pour un instant.

Ils voient le Fils de Dieu avec les yeux de Dieu. Il le voit un instant dans la lumière où Dieu le voit. Ils voient son être divin qui est toujours auprès du Père, quelque chose qui reste habituellement caché à leur connaissance terrestre. Tout d’un coup ils doivent voir Jésus comme le Père le voit : dans sa relation au Père et à l’Esprit Saint.

Pour un instant qu’ils n’oublieront jamais, le Seigneur Jésus est pour ainsi dire livré à leurs regards dans la lumière de Dieu pour qu’ils apprennent qui il est en vérité. Pour une fois, ils doivent être admis à trembler d’être admis à vivre ainsi avec Dieu, de se trouver dans sa proximité. Ce n’est pas tous les jours qu’ils peuvent être ainsi secoués. Mais ils doivent se souvenir qu’ils l’ont vu un jour tel qu’il est devant Dieu, avec des habits resplendissants, tout différent de son apparence de tous les jours.

En ce début de carême, notre évangile nous montre que notre vie est un chemin de lumière. Il y a des luttes et des renoncements, mais au terme il y a la victoire finale qui sera le don du Ressuscité. Un instant, sur la montagne, les trois disciples ont su ce que c’était qu’appartenir totalement à Dieu, qu’être possédé par lui. Parce que le Seigneur Jésus est Dieu, il est toujours bien plus que ce que nous pouvons penser. Dans chacune de nos rencontres avec lui, dans chacune de nos prières vraies, dans chacune de nos communions, il y a toujours plus que ce qu’on peut en saisir.

Les chrétiens, comme tous les humains, sont en marche vers la mort. Par nous-mêmes, nous ne pouvons pas franchir l’abîme de la mort. Mais Dieu, en Jésus, a franchi deux fois cet abîme. Il l’a franchi par son incarnation, en se dépouillant de sa divinité pour devenir totalement humain. Et puis dans sa Pâque, il a traversé l’abîme de la mort pour rejoindre le Père invisible dans les cieux. Il nous a ouvert de cette manière le chemin. Il a ouvert une brèche dans l’abîme. Dans le Seigneur Jésus, Dieu nous a donné un passeur.

Évidemment, il est plus facile de s’installer devant la télé que devant le tabernacle, plus facile de s’installer devant la télé que de prendre du temps pour prier Dieu ou pour approfondir sa foi par des lectures. Il ne suffit pas de naître chrétien, de devenir chrétien par le baptême, il faut le redevenir en le choisissant. L’Évangile n'a été donné qu'une fois. La foi chrétienne est la même pour tous. Mais l'accueil de la foi chrétienne n'est pas le même chez tous, parce que chacun la reçoit selon son ouverture à Dieu.

Il y a possibilité de salut pour tous, à condition  de  vouloir ouvrir cette porte fermée au plus profond de soi. Dieu cherche des hommes dont il puisse faire sa demeure. Il y a une souffrance que Dieu, le Père de tous les hommes, subit en ce monde où l'homme le tourmente en se défigurant lui-même. Les Pères du désert, les premiers moines, disaient que le plus grand des péchés, c'est l'oubli de Dieu, quand l'homme devient opaque, incapable de s'arrêter un instant dans le silence, insensible aux sollicitations secrètes de Dieu, pourtant si fréquentes.

Révérer Dieu ne dispense pas du tout de s'occuper des hommes. Mais à ne servir que les hommes et la planète, on en vient à négliger Dieu. D'une manière ou d'une autre, le croyant se trouve affronté à l'indifférence ou au mépris de la foi chrétienne. C'est cela, entre autres raisons, qui nécessite pour le croyant un travail incessant d'approfondissement. Pourquoi je crois et en quoi je crois ? Et si la foi est aujourd'hui pour moi une évidence, s'il évident aussi pour moi que tous les hommes sont en marche vers le Dieu de Jésus-Christ, pourquoi beaucoup d'hommes aujourd'hui n'ont pas découvert le Dieu vivant ? Pourquoi ? Un chrétien philosophe de notre temps disait : "Pour connaître Dieu réellement, il faut l'aimer au point d'être tout à lui et de lui sacrifier tout le reste".

La révélation qui nous est venue par le Seigneur Jésus contient surabondamment la vérité pour chaque époque de l'histoire, donc aussi pour la nôtre. Mais cette révélation ne contient pas la vérité de telle sorte qu'elle tomberait dans les bras des croyants sans qu'ils s'approprient par la réflexion le cadeau de cette vérité. Il serait indigne qu'il en soit autrement : ce serait indigne de la grâce aussi bien que de l'homme. L'Esprit Saint manifeste à chaque époque l'aspect de la vérité divine qui lui est particulièrement réservé, si du moins les hommes de cette époque s'efforcent, par la prière, d'obtenir cette vérité. Et cette vérité se trouve toujours au centre, elle est un foyer ardent d'où la lumière rayonne, comme elle rayonnait sur Pierre, Jacques et Jean, tout seuls à trois dans la montagne avec le Seigneur Jésus. (Avec Jean-Pierre Rey, Père Jozo, Colette Kessler, Claude Vigée, Olivier Clément, Jacqueline Kelen, Jacques Arènes, Maurice Blondel, AvS, HUvB).

 

28 février 2010 - 2e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 9,28-36

Dimanche dernier, nous avons lu le récit des tentations de Jésus : Jésus face au démon. Aujourd'hui, c'est le récit de la transfiguration de Jésus : Jésus devant Dieu. Jésus va dans la montagne pour prier tranquillement. Il prend quand même avec lui trois disciples : Pierre, Jacques et Jean. Pourquoi prendre avec lui trois disciples s'il veut prier ? Les trois disciples doivent apprendre quelque chose du mystère de Jésus. Dieu va leur révéler quelque chose du mystère de Jésus.

Les trois disciples voient Jésus en prière. Et à un certain moment, Jésus est tout rempli de lumière, et aussi son visage et ses vêtements. Ce sont des phénomènes qu'on retrouve dans les vies des saints et des saintes de Dieu tout au long de l'histoire de l’Église. On ne peut pas voir Dieu. Mais Dieu peut manifester sa présence en telle ou telle personne en la remplissant de lumière. Et les gens qui sont là voient cette lumière. Et puis voilà que deux hommes qui sont morts depuis longtemps, Moïse et Élie, des prophètes des temps anciens - douze siècles avant le Christ pour Moïse et huit siècles avant le Christ pour Élie - sont là tout d'un coup et ils parlent avec Jésus comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Et de quoi parlent-ils avec Jésus ? Ils parlent de sa mort. Mais ce n'est pas le terme "mort" qui est utilisé, c'est le terme "départ". "Ils parlaient de son départ". De plus les disciples entendent une voix : "Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi. Écoutez-le". Après cela, Jésus se retrouve dans son état habituel, Jésus se retrouve seul avec ses trois disciples. On descend de la montagne. Et l'évangéliste conclut la scène en nous disant que les trois disciples ne dirent rien à personne de ce qui s'était passé dans la montagne.

Mais ce qu'on peut deviner, c'est qu'après la mort et la résurrection de Jésus la langue des disciples a pu se délier. Et ils ont fait le lien entre ce Jésus rempli de lumière sur la montagne et le Jésus qui entrait chez eux toutes portes closes après sa mort. Sur la montagne, Dieu avait donné aux trois disciples un certain pressentiment de la véritable personnalité de Jésus : Jésus faisait partie du monde de Dieu, il était en dialogue comme de plain-pied avec le monde de Dieu, et Moïse et Élie, et tous les autres aussi sans doute. Et dans la montagne, les trois disciples avaient été comme intégrés, eux aussi, à la vie de Dieu, à la vie éternelle. Ils étaient baignés dans l'Esprit Saint, dans la nuée lumineuse. Les trois disciples comprennent et ils ne comprennent pas. Mais ils ont été touchés par Dieu, c'est évident. Dieu ne dit jamais tout, tout de suite. Peut-être que les disciples ont compris un peu mieux alors qu'en toute parole de Jésus il y avait une profondeur éternelle. Sur la montagne, Jésus a introduit un peu plus les trois disciples dans le mystère de l'au-delà, dans le mystère de sa relation avec le Père.

L'homme ne dispose pas de Dieu. Comme le disent les théologiens : de Dieu, nous ne pouvons pas savoir ce qu'il est, mais seulement ce qu'il n'est pas. Dieu est toujours connu comme inconnu. Et si les théologiens disent quand même quelque chose de Dieu, ce sera toujours comme en bégayant. C'est saint Grégoire le Grand qui disait cela vers l'an 600. Dieu ne vient pas seulement à la rencontre de l'homme, il lui donne aussi la possibilité de le rencontrer.

Malgré cette expérience des trois disciples dans la montagne, Pierre, un jour, va renier Jésus. Et il faudra la résurrection de Jésus pour que Pierre se reprenne totalement, pour que Jésus le reprenne totalement. Et saint Pierre et les autres disciples attesteront à tous les hommes qu'ils peuvent atteindre l'expérience qu'ils ont faite de Jésus vivant par-delà la mort, et ils témoigneront aussi de cette expérience qu'ils avaient faite sur la montagne. Mais le témoin ne possède pas la capacité automatique de convaincre : le témoin est désarmé et vulnérable. Si on ne veut pas croire ce qu'il dit, il ne peut pas contraindre à croire. Personne ne comprend la vérité révélée par Dieu s'il n'en a pas la grâce, sans la présence de l'Esprit Saint. Cette grâce est offerte à tous, mais elle ne peut pas être donnée à ceux qui ne veulent pas l'accueillir. La foi est essentiellement libre. Elle est liée à la bonne volonté. Il n'y a pas de connaissance de Dieu sans conversion du cœur. Un Dieu qui se présenterait à l'intelligence de l'homme de telle manière qu'il suffirait de raisonner correctement pour adhérer à lui ne serait pas le Dieu vivant. On ne peut pas démontrer Dieu. Mais Dieu peut montrer quelque chose de lui, manifester sa présence comme aux trois disciples avec Jésus dans la montagne, comme dans chacune de nos vies sans doute, d’une autre manière, un jour ou l'autre.

Le Seigneur Jésus n'est rien d'autre, si l'on peut dire, que le sommet de l'histoire de Dieu avec sa création. Et l'image du Crucifié, l'image de la Passion montre l'obscurité de Dieu et elle nous invite à la conversion. (Avec Jean-Pierre Torrell, saint Thomas d'Aquin, saint Grégoire le Grand, André Manaranche, AvS, HUvB).

 

24 février 2013 - 2e dimanche de carême – Année C

Évangile selon saint Luc 9,28-36

Dimanche dernier, c'était la scène mystérieuse de la tentation de Jésus. Aujourd'hui, c'est la scène mystérieuse de la transfiguration de Jésus. Jésus et ses douze apôtres sont en marche dans les environs de Nazareth. Tout d'un coup Jésus s'arrête et il dit : "Que Pierre, Jean et jacques viennent avec moi sur la montagne". Et Jésus dit aux autres de se disséminer sur les routes qui entourent la montagne et de prêcher le Seigneur Dieu. Il leur donne ensuite rendez-vous le soir même à Nazareth : "Ne vous éloignez donc pas. La paix soit avec vous !"

Jésus et les trois commencent la montée. Jésus marche d'un pas si rapide que Pierre a du mal à suivre. A un arrêt, Pierre qui est tout rouge et en sueur, demande à Jésus : "Mais où allons-nous ? Il n'y a pas de maisons sur la montagne !" Réponse de Jésus : "Je vais m'unir à mon Père et je vous ai voulu avec moi parce que je vous aime. Allons vite !" Saint Pierre proteste un peu : "Est-ce qu'on ne pourrait pas marcher un peu plus doucement ?" Réponse de Jésus : "Aux rendez-vous de Dieu, il faut toujours se rendre rapidement... Là-haut vous pourrez vous reposer". Et ils reprennent la montée. De là-haut ils peuvent voir au loin le lac de Tibériade et toute la plaine.

Et Jésus dit aux trois : "Reposez-vous ici, je vais là-bas pour prier". Jésus s'arrête près d'un rocher, il y appuie sa tête et ses mains. Pendant ce temps-là, Pierre et Jacques enlèvent leurs sandales pour secouer la poussière et les petits cailloux. Jean, lui, reste assis et il regarde Jésus qui n'est pas bien loin. Et puis les trois se mettent à somnoler. Ils sont réveillés par une grande clarté et ils voient Jésus transfiguré. Son visage est comme un soleil ; il est maintenant debout et il paraît encore plus grand que d'habitude. Jésus reste le visage levé vers le ciel. Les apôtres ont presque peur et ils l'appellent parce qu'ils ont l'impression que ce n'est plus leur Maître qui est là. Puis tout d'un coup apparaissent Moïse et Élie : Moïse qui était mort douze siècles auparavant, Élie huit siècles auparavant. Et Moïse et Élie parlent avec Jésus comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Puis il y a une nuée qui passe et qui couvre la montagne. Il y a une voix qui se fait entendre : "Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi. Écoutez-le". Et après cela, il n'y a plus là que Jésus et ses trois disciples. On descend de la montagne.

Les trois apôtres n'ont rien dit aux autres de ce qui s'était passé sur la montagne. Mais très souvent ils en ont discuté à trois : qu'est-ce que ça veut dire tout ça ? Question qu'on se pose : pourquoi Jésus n'a-t-il pris avec lui que trois disciples sur la montagne et pas les douze ? Comme très souvent, Dieu ne dit pas tout, tout de suite, à tout le monde. Dans les apparitions de la Vierge Marie (à Lourdes, à Fatima, à l'Île Bouchard et ailleurs), Marie donne aux voyants des secrets. Pourquoi des secrets ? Et pourquoi aux voyants seulement et pas à tout le monde ? Pourquoi ?

Qu'est-ce qui s'est passé sur la montagne ? Le Père a donné aux trois disciples la grâce de faire l'expérience du monde de Dieu. A un certain moment, il y a une nuée qui a recouvert la montagne : c'est le signe de la présence de l'Esprit Saint. Et c'est dans l'Esprit Saint que les trois disciples ont entendu la voix du Père parlant de Jésus, le Fils bien-aimé. Pourquoi Jésus a-t-il emmené trois disciples sur la montagne ? Pourquoi ? Pour les faire progresser dans la connaissance de Dieu et dans la connaissance aussi de Jésus lui-même.

Quand Jésus sera ressuscité, il apparaîtra à ses disciples de manière inattendue, et il disparaîtra tout aussi mystérieusement, sans que les disciples se sentent abandonnés pour autant. Sur la montagne, Jésus a donné aux trois disciples un avant-goût de ce qui arriverait plus tard : une présence de Dieu qui va et qui vient, mais qu'on ne peut pas saisir soi-même à son gré.

Dieu est inaccessible, et en même temps il peut se révéler où il veut et quand il veut, et toucher au plus profond. Dieu demeure au-dessus du monde, Dieu est transcendant, et en même temps très présent au monde. C'est cette expérience très concrète que les trois disciples ont faite sur la montagne et que Jésus a voulue pour eux. Cela n'a pas empêché les trois disciples de sombrer dans le désespoir et la nuit totale quand Jésus a disparu de la scène du monde en mourant sur une croix. Dostoïevski disait : "Ce n'est pas comme un enfant que je crois au Christ et le confesse. C'est à travers le creuset du doute que ma foi est passée".

La présence permanente du Seigneur Jésus auprès de nous se réalise à travers des absences et des retraits successifs. Il est venu dans le monde pour quelques années, puis il disparaît : "Je quitte le monde et je vais au Père" (Jn 16,28). Et cependant il ajoute, de manière paradoxale : "Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père" (Jn 14,28). Pourquoi ? "Parce que le Père est plus grand que moi".En disparaissant vers le Dieu plus grand, il parvient lui-même à sa véritable stature, celle que les trois disciples ont pu entrevoir sur la montagne de la Transfiguration et qui devient définitive pour lui à sa résurrection. (Avec Michel Rondet, Jacques Arènes, Dostoïevski, AvS, HUvB).
 

21 février 2016 - 2e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 9,28b-36

Dimanche dernier, l'évangile était celui de la tentation de Jésus par le démon : épisode bien mystérieux dont Jésus était le seul témoin. Si les apôtres en ont su un jour quelque chose, c'est que Jésus lui-même a dû leur en parler. Aujourd'hui, autre épisode bien mystérieux de la vie de Jésus : sa transfiguration. Mais aujourd'hui Jésus a voulu emmener avec lui trois apôtres pour qu'ils soient témoins de l'événement. Pourquoi trois apôtres seulement et pas les douze ?

Tout au long de l'histoire, Dieu se révèle souvent à une personne avec mission de communiquer un jour aux autres ce qu'elle a reçu de Dieu. Aujourd'hui c'est une révélation à trois apôtres : Pierre, Jacques et Jean. Et l'un des évangélistes nous fait savoir que c'est Jésus lui-même qui a donné à ces apôtres la consigne de ne rien dire aux autres de ce qu'ils avaient vu et entendu tant qu'il ne serait pas ressuscité d'entre les morts. Pourquoi cette consigne de silence ? Jésus a estimé qu'il était préférable que personne n'en sache rien pour le moment, sauf les trois disciples privilégiés.

Dans cette scène de la transfiguration, Jésus se trouve en conversation avec deux hommes qui étaient morts des siècles et des siècles auparavant, deux prophètes : Moïse douze siècles auparavant, Élie huit siècles auparavant. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que Moïse et Élie sont vivants quelque part dans le monde invisible de Dieu, et si Dieu le veut, si Dieu le permet, ils peuvent entrer en conversation avec le Seigneur Jésus, et cela devant trois témoins, Pierre, Jacques et Jean, qui ne prennent pas part à la conversation.

Et enfin dans cette scène de la transfiguration, la voix du Père se fait entendre, cette voix qui dit de Jésus : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le". Les apôtres étaient effrayés. Ce n'est pas Jésus qui révèle aux apôtres son mystère, c'est la voix du Père. Encore une fois Dieu ne dit pas tout, tout de suite, à tout le monde. Pourquoi? C'est comme ça.

La mort de Jésus sera pour ses disciples quelque chose d'insupportable et d'incompréhensible. En voyant tous les miracles de Jésus, en l'entendant parler du Père comme personne, les disciples étaient persuadés que Jésus venait bien de Dieu. Pourquoi sa mort alors ? Pourquoi cette fin si lamentable ? Est-ce que Jésus s'est trompé ? Est-ce que les apôtres se sont trompés sur Jésus ? Malgré tous leurs doutes au moment de la croix, il y avait quand même pour Pierre, Jacques et Jean, le souvenir de cette scène sur la montagne, où ils avaient vu Jésus dans la gloire de Dieu. Pourquoi cette mort de Jésus ? Les apôtres comprendront, après la résurrection,  que la toute-puissance du Fils est si grande qu'il a aussi le pouvoir de renoncer à en faire usage : c'est l'abandon de la croix et la descente aux enfers.

Nous, chrétiens, nous croyons que l'une des missions de Jésus a été de révéler à l'humanité qu'il y a en Dieu trois "quelqu'un", trois personnes : le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Dire que Dieu est amour et qu'il est Trinité, c'est la même chose. Mais on ne peut pas se représenter la Trinité. On ne peut pas représenter le Père éternel par un personnage barbu, blanchi, un peu sénile. L’Église orthodoxe en 1667, au concile de Moscou, interdit la représentation de la Trinité sous forme de paternité. Et dans l'évangile d'aujourd'hui, si Moïse et Élie sont en conversation avec Jésus, le Père n'apparaît pas : les apôtres entendent seulement sa voix.

Moïse et Élie sont là à la transfiguration de Jésus. Si nous lisons toujours l'Ancien Testament dans notre première lecture du dimanche, c'est parce que l'Ancien Testament est la patrie de Jésus, c'est pour y découvrir que le Nouveau Testament commençait déjà à s'y révéler. Le Dieu unique qui s'est manifesté en Jésus à un certain moment  du temps et en un certain lieu de l'univers, ce Dieu unique s'était déjà révélé auparavant d'une autre façon qu'en Jésus, dans l'Ancien Testament, et même aussi à travers les dieux du paganisme. Quelle est la vocation de Jésus, le Fils de Dieu ? Sa vocation est de manifester l'amour du Père pour le monde et d'entraîner le monde dans l'amour pour le Père.

Dieu s'est révélé aux hommes dans l'Ancien Testament puis dans le Nouveau Testament. Mais les hommes ont toujours tendance à s'approprier Dieu. Finalement les chefs du peuple élu par Dieu ont renié Dieu au moment le plus capital de sa révélation, quand il s'est révélé par le Seigneur Jésus. A un certain moment, les chefs juifs disent à Jésus : "Ce n'est pas pour une œuvre bonne que nous voulons te lapider, c'est pour un blasphème, parce que toi, qui n'es qu'un homme, tu veux te faire passer pour Dieu". Et quand Jésus passera en jugement devant le grand tribunal des Juifs, les chefs diront : "Vous avez entendu le blasphème : il prétend être le Christ, le Fils de Dieu... Qu'il soit crucifié". Conclusion de l’évangéliste Jean : "Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu". (Avec Jean Delumeau, Joseph Moingt, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

27 mars 2011 - 3e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 4,5-42

Jésus et la Samaritaine : c'est une grande page de l'évangile de saint Jean. Il est midi. Jésus a marché toute la matinée avec ses disciples. On s'est arrêté auprès d'un puits, c'est là qu'on va pique-niquer. Les apôtres sont partis en ville chercher de quoi manger. Jésus reste seul près du puits. Pour se recueillir, pour prier peut-être comme il fait souvent.

Et voilà qu'arrive une femme du pays qui vient se ravitailler en eau. Jésus aurait pu ne rien dire, la laisser faire et la laisser repartir. Ce n'est pas la femme qui engage la conversation, c'est Jésus. Jésus lui demande de l'eau qu'elle a puisée. Tout commence comme ça, par un service que Jésus demande à la Samaritaine. Jésus demande de l'eau. Cela ne se refuse pas. La femme aurait pu donner de l'eau à Jésus sans rien dire. Mais elle a l'habitude de vivre en compagnie. Et elle taquine un peu Jésus : C'est bizarre ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine. Voilà l'affaire engagée. Il y a l'eau du puits, mais il existe aussi une eau vive, une eau éternelle. La Samaritaine ne ne le sait pas.

A un certain moment, on ne sait pas pourquoi, Jésus demande à la femme qui est là d'aller chercher son mari. Alors là, les affaires se corsent. "Mon mari ? Je n'ai pas de mari!" Déjà l'eau vive dont Jésus disposerait : c'était bien curieux, mais pas très croyable. Mais quand Jésus lui répond tout à trac qu'elle a déjà eu cinq maris, en plus de celui qu'elle a maintenant, la femme craque : "Tu dois être un prophète, un homme de Dieu !" Et elle retourne en ville en courant, elle devient porteuse de Bonne Nouvelle plutôt que porteuse d'eau.

Et saint Jean conclut : "Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus à cause des paroles de la femme qui avait rendu ce témoignage : Il m'a dit tout ce que j'ai fait". Et les gens de la ville sont persuadés aussitôt que Jésus est vraiment le Sauveur du monde. Jésus avait parlé d'eau vive. L'eau vive, c'est aussi l'Esprit Saint. Et cette eau vive avait rempli tout de suite le cœur de beaucoup de Samaritains pour leur faire comprendre que Jésus était vraiment le Sauveur du monde. Leur cœur était devenu tout d'un coup tout brûlant.

On ne sait pas ce qu'est devenue la Samaritaine. L'évangile n'en parle plus. Ce qu'on peut constater simplement, c'est que la lumière de l'amour avait pénétré dans les ténèbres de sa vie. Et tout de suite elle avait voulu partager la lumière qu'elle avait reçue. Et pour son grand bonheur, beaucoup de ses compatriotes furent eux aussi touchés par la lumière.

Question simple : Dieu, que veut-il de nous ? Que nous l'aimions, que nous l'accueillions comme la source, le sens et le but de notre vie. Et le sommet de la révélation de Dieu, c'est Jésus. La Samaritaine avait découvert Dieu en parlant avec Jésus. Et elle s'est arrangée pour que ses compatriotes aussi découvrent Dieu en parlant avec Jésus. Celui qui veut découvrir Dieu doit être prêt à prendre du temps pour lui. Et il faut être prêt à y mettre le prix. Dieu ne s'impose pas. Il ne nous court pas après. Il en appelle à notre liberté. Beaucoup de Samaritains de cette ville ont été touchés par Jésus, mais pas tous.

Saint Paul nous dit que la sagesse de Dieu est mystérieuse, qu'elle est longtemps demeurée cachée. Maintenant cette sagesse, Dieu nous l'a révélée par son Esprit Saint. L'Esprit en effet sonde tout jusqu'aux profondeurs de Dieu. Et nous, comme les Samaritains, nous avons reçu l'Esprit qui vient de Dieu pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits. (Avec Alexandre Schmemann, Benoît XVI, AvS, HUvB).

 

23 mars 2014 - 3e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 4,5-42

Nous sommes en Samarie. C'est l'heure de midi. Jésus s'arrête auprès d'un puits avec ses disciples après une longue marche. Et Jésus envoie en ville tous ses apôtres pour acheter ce qu'il faut pour le repas. Les disciples sont un peu inquiets de laisser Jésus seul dans ce pays de Samaritains qui sont hostiles aux Juifs. Mais Jésus veut être seul. Il sait certainement pourquoi.

Et tous les disciples s'en vont. Jésus est assis. Il prie et médite. Arrive une femme portant sa cruche. Elle a 35-40 ans. Elle s'étonne de voir un homme assis là. "La paix soit avec toi", lui dit Jésus. "Tu peux me donner à boire ? J'ai beaucoup marché, j'ai soif". La femme : "Mais tu es Juif ! Et tu me demande à boire ! Un Juif qui parle poliment à une Samaritaine, on n'a jamais vu ça ! Je devrais te dire que je ne te donne pas d'eau pour punir en toi toutes les insultes que les Juifs nous adressent depuis des siècles !"

Alors Jésus veut lui donner de l'eau vive. La femme : "Ce puits est à nous, et l'eau de ce puits aussi". Jésus : "Femme, tout appartient à Dieu. Tous les hommes viennent de Dieu, les Samaritains comme les Juifs. Si une erreur nous a séparés, ça ne change rien à notre origine. Moi, je ne t'attaque pas, je n'attaque pas ta race. Pourquoi veux-tu être agressive ?" La femme : "Tu es bien le premier Juif que j'entends parler comme ça ! Mais toi, tu n'as rien pour puiser, comment pourrais-tu me donner de l'eau ?"

Jésus : "Moi, j'ai une eau telle que celui qui l'aura bue ne sentira plus la soif. Cette eau n'appartient qu'à moi, et je la donne à qui la demande". La femme : "Je ne comprends pas. Tu es un magicien ? Tu dis que ton eau dure toute la vie. Donne-moi donc cette eau si vraiment tu la possèdes. Je me fatigue à venir jusqu’ici. Si je l'ai, je n'aurai plus soif et je ne deviendrai ni malade ni vieille". Jésus : "Il n'y a que ça qui te fatigue ? Il y a quelque chose de plus important que le corps, c'est l’âme... Comment tu t'appelles ?"

La femme : "Vous dites, vous, que nous, les Samaritains, nous sommes des païens. Nous ne pouvons pas être saints". (La femme n'a plus son ton impertinent et ironique). Jésus : "Même un païen peut être vertueux. Et Dieu, qui est juste, le récompensera pour le bien qu'il aura fait. Entre un fidèle souillé d'une faute grave et un païen sans faute, Dieu regarde avec moins de rigueur le païen. Tu vis en terre païenne, mais tu pourrais au moins avoir une vie vertueuse. Va chercher ton mari et reviens avec lui".

La femme : "Je n'ai pas de mari !" Jésus : "Oui, mais tu as eu cinq hommes... Même ta religion ne conseille pas l'impureté. Pourquoi vis-tu ainsi ? Où sont tes enfants ?" La femme baisse la tête et ne dit rien. Jésus : "Tu ne les as pas eus sur la terre, mais leurs petites âmes, auxquelles tu as interdit de voir la lumière du jour, t'adressent des reproches. Ce n'est que par le pardon de Dieu que tu peux devenir riche, et donc c'est de tes enfants que tu peux devenir riche".

La femme : "Je vois que tu es un prophète, et j'ai honte". Jésus : "Ne pleure pas. Reste ici, je te parlerai de Dieu. Si tu avais bien connu le vrai Dieu, tu ne te serais pas avilie". La femme : "Nous aussi, nous savons que le Messie va bientôt venir. Tout près d'ici se trouve celui qu'on appelle son précurseur. Il s'appelle Jean. Mais il est très sévère. Toi, tu es bon, et les pauvres âmes n'ont pas peur de toi. Le Messie, on l'appelle le roi de la paix. Est-ce qu'il faudra encore l'attendre longtemps ?"

Jésus : "Moi qui te parle, je suis le Messie". La femme : "Toi !" Et elle veut s'enfuir. Jésus : "Je suis venu ici parce que je savais que ton âme était lasse d'être errante. Je suis venu te donner une nourriture nouvelle... Voilà mes disciples qui reviennent". Les disciples regardent la femme plus ou moins discrètement. Et la femme s'en va sans sa cruche, mais elle revient escortée de Samaritains. Jésus dit à ses disciples : "Voilà les Samaritains qui arrivent. Usez de charité envers eux. Ce sont des âmes qui viennent à Dieu".

Dans la première lettre de saint Jean, il est dit ceci : "Si quelqu'un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu'il prie, et il lui donnera la vie". Quand je vois le péché des autres, il y a quelque chose comme une communion dans la faute : moi, pécheur, je n'ai pas empêché mon frère de pécher. Toute réception d'un sacrement inclut d'une certaine manière les frères. Personne ne peut recevoir l'absolution pour lui seul, en voulant exclure les autres de cette grâce. De même pour la communion eucharistique.

"Heureux les doux", dira Jésus. Le doux, c'est celui que n'habite pas l'orgueil des conquérants. C'est l'homme au cœur humble qui obéit d'abord à l'amour. Jésus et la Samaritaine : ce dialogue montre comment naît une amitié. L'amitié fait découvrir la personne dans sa bonté, la bonté d'une personne qui me touche et qui me fait vivre. Et la bonté d'une personne conduit à la bonté de Dieu ; la bonté d'une personne, c'est le reflet de la bonté de Dieu. Toute rencontre dans l'amour suppose le respect de l'autre.

Le Seigneur Jésus n'est étranger à personne parce que tous les hommes, au fond de leur être, attendent Dieu. En profondeur, l'âme de chaque homme est en contact avec Dieu. De l'intérieur, Dieu peut parler à chacun de nous. Qui veut reconnaître Dieu doit être disposé à lui consacrer du temps. Dieu ne s'impose pas à nous. Il ne nous court pas après. Il fait appel à notre liberté. Et c'est seulement si nous disons oui nous-mêmes, si nous lui donnons de notre temps que le chemin peut s'ouvrir.

Jésus n'est pas venu d'abord comme un maître pour nous enseigner le vrai, ni comme le Sauveur, ni comme le Libérateur. Il est venu pour manifester et faire rayonner son amour trinitaire éternel. (Avec Cardinal Lustiger, François Varillon, Joseph Ratzinger, AvS, HUvB).

 

19 mars 2017 - 3e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 4,5-42

Jésus donc, fatigué par le chemin, s'assied au bord du puits. Ce n'est pas sans raison que Jésus se fatigue, ce n'est pas sans raison que nous voyons accablée de lassitude la puissance même de Dieu. Nous voyons en Jésus la force et la faiblesse. Il nous apparaît tout à la fois puissant et anéanti. Au commencement il était le Verbe et le Verbe était Dieu : c'est sa force. Et le Verbe a habité parmi nous : c'est sa faiblesse. 

Ce troisième dimanche de carême, c'est le dimanche de la Samaritaine. Elle rencontre Jésus, voyageur fatigué, assis au bord du puits de Jacob. Jésus est fatigué et il a soif. "Donne-moi à boire !" Petit à petit Jésus va découvrir à la femme son secret à lui : il est le don de Dieu, il est la source d'eau vive, le Sauveur du monde. Et à la femme, il va révéler son péché. La femme ne comprend pas. Comment Jésus qui n'a rien pour puiser pourrait-il lui donner de l’eau ? L'eau vive, c'est l'image de la vie éternelle qui ne peut appartenir qu'à Dieu. Jésus est venu pour l'offrir à tous.

"Seigneur Jésus, comme à la femme de Samarie, tu me demandes à boire". Le Seigneur sur nos chemins nous demande à boire. Quelle eau lui donner ? Il a soif qu'on ait soif de lui, qu'on ait soif de Dieu. "Aujourd'hui, ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur. Mon âme a soif de toi". Seigneur Jésus, comme à la femme de Samarie, tu me demandes à boire. Donne-moi d'exaucer ta prière et, à ton tour, Seigneur Jésus, donne-moi à boire. "Femme de Samarie, fais que je devienne avec toi témoin de la source vive". Cette femme avait eu cinq maris et celui qu'elle avait alors n'était pas le sien. Et le Seigneur Jésus a besoin d'elle pour faire d'elle sa messagère auprès de ses compatriotes.

La mission invisible de l'homme est toujours proportionnelle à l'amour, même quand la mission visible paraît secondaire et extrêmement petite. La femme de Samarie ne peut pas ne rien dire à ses compatriotes du trésor qu'elle vient de découvrir. Et les gens de Samarie se laissent convaincre par elle d'aller trouver eux-mêmes Jésus. C'est Dieu lui-même qui a choisi pour  la Samaritaine le travail qu'elle avait à faire.

Ce que le christianisme apporte de radicalement nouveau, et que l'on ne trouve dans aucune autre conception religieuse, c'est que le baptisé, par le fait de ce don gratuit du Christ, a le pouvoir de transmettre à autrui ce qu'il a lui-même reçu, même si rien de ce passage ne lui est directement perceptible... Croire, c'est croire l'impossible, c'est croire que notre faiblesse, notre souffrance, notre misère, peuvent quelque chose pour autrui... et particulièrement pour celui devant qui nous nous trouvons le plus démuni, de celui qui refuse le message du Christ, car c'est pour lui justement que nous a été donné le baptême, c'est pour lui que nous avons grâce de salut.

L'incroyant que nous rencontrons peut se demander parfois : "Et si Dieu existait malgré tout !"... Parce que l'homme, c'est un jour ou l'autre l'animal qui s'étonne d'exister. L'homme cherche des raisons de vivre au-delà de lui-même. Il aspire à une joie qui ne le possède pas encore vraiment et dont il attend son accomplissement. Marie, qui défait les nœuds, ouvre aussi les cœurs fermés. La Samaritaine a réussi à convaincre ses compatriotes d'aller voir Jésus. Pour persuader, il vaut mieux être intelligent. La Samaritaine a éveillé la curiosité de ses compatriotes. La connaissance que procure la foi n'apaise pas le désir de savoir, elle l'attise.

A l'origine du christianisme, il y eu trois miracles : le premier, c'est la résurrection du Christ ; le second est que les apôtres ont cru en cette résurrection; et le troisième miracle, c'est qu'il y a eu des gens pour croire les apôtres. Le principal obstacle à notre illumination par l'Esprit Saint, c'est l'orgueil. Le principal obstacle à la foi vivante, c'est l'orgueil. L'humilité de Dieu est inconcevable. Dieu est humilité. Rien d'impur, c'est-à-dire rien d'orgueilleux ne s'approche de lui. L'essence de l'enfer, c'est l'orgueil.

Les gens sont prêts à tout acte négatif : à douter de Dieu, mais aussi à lui résister en face, peut-être même à le haïr parce qu'il laisse aller le monde comme il va, parce qu'il abandonne ses enfants à l'angoisse et à la nuit, ne leur laissant comme espoir que le néant, comme consolation que la mort certaine. La foi nous fait prier autrement : "J'ai toujours les yeux sur le Seigneur, lui qui dégage mes pieds du filet. Regarde, Seigneur, et prends pitié de moi, car je suis seul et misérable". (Avec saint Augustin, Henri de Lubac, Fabrice Hadjadj, Alain Besançon, Père Sophrony, AvS, HUvB).

 

15 mars 2009 - 3e dimanche de carême – Année B

Évangile selon saint Jean 2,13-25

On peut imaginer que Jésus invite d'abord fort poliment les vendeurs à aller s'installer ailleurs. Aujourd'hui il est descendu de la montagne de la Transfiguration, il entre dans la maison du Père, sa maison terrestre, le temple, et il chasse à coups de fouet tous ceux qui ne doivent pas s'y trouver.

Un peu comme pendant le carême : il faut chasser de nos vies tout ce qui ne doit pas s'y trouver, tout ce qui n'est pas selon Dieu. Dans tout l'évangile, c'est sans doute le seul acte de violence de Jésus : "Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic". Saint Paul nous dit : "Le temple de Dieu, c'est vous". Ne profanez pas le temple de Dieu. "Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi" : c'était notre première lecture.

On peut remarquer comment Jésus parle de Dieu : le temple, pour lui, ce n'est pas la maison de Dieu, c'est "la maison de mon Père". Autrement dit, Jésus manifeste ici qu'il a conscience d'avoir une relation privilégiée avec Dieu : mon Père. Et les Juifs un jour lui reprocheront énergiquement d'avoir émis cette prétention, d'appeler Dieu son Père.

Dans un enseignement sur la manière de prier, Jésus dira à ses disciples que, pour prier, il vaut mieux le faire dans le secret. Bien sûr on peut aller au temple pour prier, on peut aller à l'église. Mais on doit aussi prier dans le secret, dans ta chambre, par exemple. Et que dit Jésus à ce moment-là ? Il dit : "Ton Père (tiens, c'est curieux! pour parler de Dieu)... ton Père qui est là dans le secret te le rendra". Qu'est-ce qu'il va te rendre, le Père? La récompense, c'est que ton Père voit ce qui se passe dans le secret, le Père est la récompense de celui qui s'est mis à l'écart pour prier. Celui qui prie est comme nu devant Dieu, après avoir congédié le monde qui l'entourait. Celui qui prie n'a pas de secret pour Dieu. Il est là, ouvert, et Dieu voit tout. Et il laisse Dieu faire dans le secret tout ce qu'il veut. "Mon Dieu, montre-moi mon chemin. Montre-moi tes chemins. Qu'est-ce que tu attends de moi aujourd'hui? Parle, Seigneur, ton serviteur écoute".

Il ne faut pas commencer par dire à Dieu : "Écoute, Seigneur, je te parle. Écoute-moi bien". Il est vrai que dans les psaumes on dit plus d'une fois : "Écoute ma prière, Seigneur". Mais il faut peut-être commencer par dire : "Parle d'abord, Seigneur, ton serviteur écoute". Marthe Robin dit ici une chose étonnante et en même temps rassurante et consolante. Marthe Robin le dit, mais cela fait quand même partie du trésor de l’Église. Marthe Robin pense que le temps gratuit donné à Dieu seul dans le silence d'une prière personnelle peut être plus fructueux que de communier à la messe. Il faut se souvenir de cela quand, pour une raison ou pour une autre, on ne communie pas à la messe. Et puis il faut ajouter aussi que communier à la messe implique qu'on accompagne cette communion d'une prière personnelle, dans le secret.

Mère Teresa peut ici nous apprendre quelque chose, elle qui savait ce que c'était qu'être proche de Dieu et être proche des hommes. Elle enseignait à ses sœurs comment faire pour être proche de Dieu et être proche des hommes. Elle disait : Essayez d'accroître votre connaissance du mystère de Jésus, du mystère de la rédemption. Cette connaissance vous fera prendre part à la Passion du Christ, à la souffrance du Christ. Sans notre souffrance, notre œuvre ne serait qu'une action sociale, très bonne et très utile, mais elle ne serait pas l’œuvre de Jésus Christ, ni une participation à la rédemption. Jésus a voulu nous aider en partageant notre vie, notre solitude, notre agonie et notre mort. Tout cela, il l'a pris sur lui et il l'a porté dans la nuit la plus noire. Ce n'est qu'en étant un avec nous qu'il nous a rachetés. Nous avons la possibilité de faire de même : toute la désolation des pauvres, non seulement leur pauvreté matérielle, mais leur misère spirituelle doit être rachetée et nous devons y prendre notre part.

Et Mère Teresa suggère à ses sœurs une manière de penser quand elles trouvent que leur vie est difficile : se dire : je souhaite vivre au milieu de tous ces gens qui sont si éloignés de Dieu, qui se sont tant détournés de la lumière de Jésus, pour les aider, prendre sur moi quelque chose de leur souffrance. Et Mère Teresa ajoute : Oui, partageons les souffrances de nos pauvres, car ce n'est qu'en étant une avec eux que nous pouvons les racheter, c'est-à-dire amener Dieu dans leur vie, et les amener à Dieu.

On peut noter ici comment Mère Teresa définit la rédemption. C'est quoi la rédemption ? C'est quoi racheter le monde ? Racheter les hommes ? C'est amener Dieu dans leur vie, les amener à Dieu. C'est ce que Jésus voulait faire en chassant les vendeurs du temple : il voulait les amener à Dieu en les chassant du temple.

L'évangile d'aujourd'hui parle d'une colère de Jésus. Dans l'Apocalypse, il est question aussi d'une colère de l'Agneau. Et cette colère de l'Agneau est aussi grande que la colère du Père. Mais pour réconcilier le monde avec Dieu (pour le racheter), l'Agneau boit au mont des oliviers la coupe de la colère du Père, jusqu'à la lie, il souffre de la peur de la mort, il souffre de l'absence de Dieu qu'éprouvent les pécheurs, il se charge de toutes les fautes de ses frères, et ainsi il met fin à la colère de Dieu. (Avec Marthe Robin, Bertrand Souchard, Mère Teresa, Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar.

 

11 mars 2012 - 3e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 2,13-25

Jésus chasse les vendeurs du temple. Jésus accueille avec miséricorde la femme adultère. Il sait se montrer plein de douceur. On voit aujourd'hui qu'il sait se montrer plein de violence. Jésus nous révèle ici quelque chose de Dieu. Il y a en Dieu toute la douceur du monde, mais il peut manifester aussi une rigueur implacable. Jésus sait se montrer indulgent, il sait excuser les fautes et les couvrir pour orienter les gens vers Dieu, pour les encourager à ne vouloir que le bien. Il y a du bon grain et de l'ivraie dans le champ de Dieu, dans le cœur de l'homme. Il ne faut pas tout casser. Pour Jésus, il est plus important de préserver ce qu'il y a de bon que de détruire le mauvais. C'est une indication aussi pour les chrétiens au milieu des non croyants.

Jésus s'est permis un jour de chasser les vendeurs du temple. On ne doit pas se prendre pour Jésus. En accomplissant cet acte de violence, Jésus n'a fait qu'accroître la hargne de ses adversaires. On lui demande d'ailleurs de quoi il se mêle. Qui t'a donné mission de chasser les vendeurs ? Jésus fait preuve de violence alors que d'habitude il invite à la patience, à la modération.

C'est quoi la violence ? Souvent nous cherchons à blesser les autres parce que nous avons été nous-mêmes blessés. Vous connaissez cette histoire : Un contremaître enguirlande un de ses ouvriers... qui ne peut pas répliquer sous peine de perdre sa place. L'ouvrier rentre chez lui en colère et déverse cette colère sur sa femme qui n'a pas préparé le repas à l'heure... Elle n'ose pas lui répondre, mais elle passe sa colère sur son fils qu'elle surprend à chiper dans le frigidaire... Le fils ne répond pas, mais il se venge sur le chien... qui se précipite sur le chat... qui avale une souris ! ... Souvent nous cherchons à blesser les autres parce que nous avons été nous-mêmes blessés.

D'autre part le philosophe, qui est humoriste à certaines heures, chrétien aussi, ose dire ceci : "Certains coups de pied au derrière ont avant tout une intention de tendresse, avec pouvoir de propulsion. C'est l'amour qui les décoche". Le Seigneur Jésus a fait preuve de violence en chassant les vendeurs du temple. Et il invite à la douceur tous ceux qui croient en lui. Mais on n'y arrive pas toujours.

"L’Église est sainte, mais souvent, ce que nous avons fait dans l’Église est lamentable. (C'est le cardinal Barbarin qui dit cela). Il faut demander pardon à toutes les personnes que nous avons blessées. L'anticléricalisme, pour une bonne part, vient du fait que nous avons trahi notre mission de service. Que l’Église demande pardon et reconnaisse les fautes commises par ses ministres, c'est bien. Mais il faut aussi tourner la page et avancer dans une collaboration sereine".

Le Seigneur Jésus manifeste de la violence avec les vendeurs du temple. Mais Dieu ne fait que rarement violence à la liberté humaine. La plupart du temps, il laisse l'homme libre d'agir comme il le veut. Le Bienheureux Newman posait la question : "La discrétion du langage n'est-elle pas la règle de toute vie sociale ?" Et il ajoutait : "La vérité, certes, mais pas forcément toute la vérité. C'est la règle de toute société". Et Benoît XVI d'ajouter pour l’Église : "Dans l’Église, personne ne doit imposer aux autres sa propre volonté".

Qui peut mesurer ce que Dieu a risqué quand il a créé des êtres libres capables de le contredire en pleine face ? Devait-il les damner ? Il est alors perdant au jeu cosmique qu'il avait engagé. Devait-il simplement leur faire grâce ? Il n'aurait alors pas pris au sérieux leur liberté, l'aurait court-circuitée. Comment pouvait-il prendre ce risque ? A une seule condition : que, depuis l'origine, le Fils éternel se porte garant des pécheurs par une solidarité absolue avec eux jusqu'à l'abandon par Dieu. C'est à ce prix que Dieu a pu déclarer "très bon" ce monde atroce et lui donner d'exister. (Avec Cardinal Barbarin, Fabrice Hadjadj, Newman, Benoît XVI, AvS, HUvB).

 

8 mars 2015 - 3e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 2,13-25

Jésus est souvent allé au temple de Jérusalem. Pourquoi ce coup de colère ce jour-là ? Il y avait du monde dans les cours autour du temple. On y vendait, entre autres, des agneaux pour la fête de Pâques. Jésus aussi  a acheté son agneau, c'est saint Pierre qui l'a payé et il tirait l'agneau derrière lui. Un vendeur avait refilé à deux petits vieux un agneau chétif et les sacrificateurs n'en avaient pas voulu. Alors les deux petits vieux reviennent à celui qui leur a vendu l'agneau défectueux pour expliquer l'affaire. Ils se font insulter, bien sûr. Mais Jésus a vu la scène. Il s'approche. Il met la main sur l'épaule de la femme : "Pourquoi pleures-tu ?" Et elle explique les raisons de leur chagrin.

Jésus alors s'adresse au vendeur d'agneaux : "Change cet agneau à ces fidèles. Il n'est pas digne de l'autel comme il n'est pas digne que tu profites de ces deux pauvres vieux parce qu'ils sont faibles et sans défense". Le vendeur se moque de Jésus : "Un Galiléen qui vient nous faire la leçon ! Écoutez-moi ça !" Il y a vite un petit attroupement autour de Jésus :  les autres marchands et vendeurs prennent fait et cause en faveur de leur collègue et complice contre Jésus. Jésus n'a rien en main, mais il est rempli de colère et c'est alors qu'il renverse les tables et leur monnaie ; il prend des cordes qui attachaient les bœufs, il s'en fait un fouet qu'il fait tournoyer sur les bêtes et sur les corps.

Aussitôt arrivent des prêtres, des rabbins et des pharisiens, et c'est le petit dialogue que l'évangile vient de nous rapporter : "Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ?" Et la réponse de Jésus semble tout à fait à côté de la question qui a été posée : "Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai". Ces paroles font partie de toutes les paroles énigmatiques de Jésus que les disciples n'ont comprises que plus tard. Des paroles qu'ils n'ont pas comprises sur le coup, mais qu'ils ont gardées dans leur mémoire.

Détruire le temple : c'est mettre Jésus à mort. Et Jésus va relever ce temple dans les trois jours : trois jours après sa mort, il va montrer qu'il est debout, qu'il est vivant, qu'il vient vraiment de Dieu, qu'il est si proche du Père invisible qu'il a le même rang que lui, la même puissance, la même divinité. En ce troisième dimanche de carême, l'évangile tourne nos regards vers le terme du carême : la passion et la mort de Jésus, et puis le jour de Pâques. Et puis l'évangéliste évoque aussi un verset du psaume 68 : "L'amour de ta maison fera mon tourment". Jésus montre son zèle pour la maison de Dieu, pour le temple.

Une fille de notre temps, quand elle avait dix-neuf - vingt ans, priait comme ceci dans la ville où elle habitait : "Mon Dieu, allume ton amour dans cette ville. Fais qu'en chaque église il y ait quelqu'un qui prie vraiment. Permets qu'en chaque maison il y ait une flamme qui fait penser à toi. Sois tous les jours avec ceux qui te prient". C'est une bonne prière pour un temps de carême.

A tous ceux qui deviennent chrétiens ou qui sont devenus chrétiens, le Seigneur Jésus a dit d'une manière ou d'une autre : "Viens et suis-moi". Chaque jour, il nous redit ces paroles parce que chaque jour il nous invite à la prière : "Viens et suis-moi". Chaque jour, et plus encore pendant le temps du carême. A cet appel du Seigneur Jésus, qui va répondre : "Pour le moment, j'ai autre chose à faire, je te suivrai plus tard. Je répondrai plus tard à ton invitation à la prière" ?

La prière n'est pas un impôt qu'on paie à Dieu, ce n'est pas un office qu'on a promis d'accomplir. Comme disait un grand croyant de notre temps, devenu chrétien à l'âge adulte, "la prière est la recherche amoureuse du visage de Dieu". Et il ajoutait : "Amoureuse : cela ne veut pas dire que tout se passe dans l'allégresse, non. Mais je le recherche, je viens vers lui, je me détourne de ma route, je m'approche de lui, je désire le connaître... La prière, c'est avec Moïse, écouter Dieu qui me parle face à face comme un ami parle à son ami".

Mais qu'est-ce que c'est qu'un ami ? Un chrétien de notre temps nous l'explique à sa manière : "La joie la plus profonde est celle qui vient du fait de me sentir aimé et reconnu comme je suis, en communion avec un autre. Je dis bien 'comme je suis', c'est-à-dire avec toute mon histoire, tous mes dons et toutes mes peurs, avec toutes ces pauvretés en moi, et même avec mon péché. Dieu m'aime ainsi, tout pécheur que je suis, avec mes addictions, mes compulsions et mes fuites. Je ressens alors une joie inaperçue jusqu'alors : je suis aimé, je compte pour toi".

En chaque eucharistie, Dieu vient à notre rencontre, comme un ami, comme le Seigneur Jésus allait à la rencontre de ses apôtres après sa résurrection, entre sa résurrection et son Ascension. La messe est presque le contraire de l'Ascension. La messe, c'est une descente toujours nouvelle sur terre de celui qui est monté aux ceux. 

Aujourd'hui on apprend par l'évangile que le Seigneur Jésus a un jour fait le ménage dans le temple. On peut toujours lui demander aussi - mais c'est peut-être dangereux - qu'il fasse le ménage dans notre vie, qu'il nous désencombre de tous les soucis et de tous les plaisirs inutiles qui nous empêchent plus ou moins de servir Dieu plus vraiment, de servir Dieu et les hommes. Et la communication de Dieu ne vient pas seulement de l'extérieur et d'en haut, elle peut surgir aussi du tréfonds de l'esprit des croyants, de l'Esprit Saint. (Avec Frère Roger, Jacques Loew, Erich Przywara, AvS, HUvB).

 

7 mars 2010 - 3e Dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 13,1-9

Un évangile en trois temps aujourd'hui : 1/ Un massacre par Pilate. On ne sait pas pourquoi. 2/ L'effondrement d'une tour : 18 victimes. On ne sait pas pourquoi. 3/ La petite histoire de l'arbre qui ne donne pas de fruits : on ne sait pas pourquoi. - De nos jours, on pourrait ajouter bien d'autres catastrophes, en France et ailleurs, qui ont fait bien plus de victimes. On ne sait pas toujours pourquoi. Parfois on sait. Saint Paul, tout à l'heure, dans la deuxième lecture, en tire la leçon : "Tout cela est arrivé pour nous servir d'exemple. Celui qui se croit solide, qu'il fasse attention à ne pas tomber". Jésus ne fait pas de grandes théories. Il dit quelques mots, il raconte une petite histoire, une parabole. Il nous invite à réfléchir. Réfléchir à quoi ? Il faut se préparer, il faut être prêt, il faut que nos vies portent du fruit. On n'a pas le droit d'avoir une vie stérile.

Quand Moïse veut s'approcher du buisson ardent, du buisson en feu, quand Moïse veut s'approcher de Dieu, il doit quitter ses chaussures. On lui dit : "Enlève tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte". On ne s'approche pas de Dieu n'importe comment. Le théologien Joseph Ratzinger, aujourd'hui le pape Benoît XVI, raconte quelque part que les moines de l'abbaye de Cluny, vers l'an mille, quand ils s'approchaient pour recevoir la communion, enlevaient leurs chaussures, comme Moïse devant le buisson ardent.

Dans l'Ancien Testament, le Christ était déjà présent. Toute l'histoire du peuple de Dieu dans l'Ancien Testament est une prophétie, est comme une préparation de la venue en ce monde du Fils de Dieu. Jésus nous invite à être attentifs à Dieu, à ne pas oublier Dieu. Et si on l'a oublié pour un peu de temps ou pour un très long temps, il est toujours temps de s'y mettre, d'enlever ses chaussures et de s'approcher de Dieu. Il est toujours temps d'appeler Dieu, il est toujours temps de lui dire : "Seigneur, comme tu vois et comme tu sais, prends pitié". Mais Dieu voit si celui qui l'appelle comme ça se donne vraiment en l'appelant. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire : "Se donner à Dieu" ? Cela veut dire essayer de dire en vérité les paroles du Notre Père : "Que ta volonté soit faite". Ce n'est pas une petite affaire et on est obligé d'y mettre toute sa foi pour dire ces quelques mots : "Que ta volonté soit faite".

Ce que Jésus nous dit dans l'évangile d'aujourd'hui, c'est que le temps, le temps présent est un don de Dieu, un don de Dieu au service de l'éternité. Aux yeux de Dieu chaque instant a une valeur précise du point de vue de l'éternité. Et le chrétien doit en quelque sorte lutter pour donner à tout ce qu'il fait dans le temps le poids de l'éternité, le poids du monde de Dieu. Et c'est quoi l'éternité ? Saint Jean nous le dit dans l'Apocalypse ; c'est le Seigneur Jésus qui parle : "Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi".

Le Père Alexandre Men, un prêtre russe orthodoxe qui, à la fin du régime communiste, s'est fait massacrer pour sa foi communicative, a écrit entre autres choses un petit commentaire de l'Apocalypse. Et quelque part il écrit ceci : "Nous devons absolument rejeter comme étranger au christianisme le sentiment de peur de la fin du monde". Et il ajoutait quelques pages plus loin : "Il faut vivre comme si le jugement dernier allait advenir demain et œuvrer comme si nous avions l'éternité devant nous". L'évangile nous enseigne : "Veillez et priez". Et le Père Men concluait : "Faire la volonté de Dieu avec joie et patience". Un autre chrétien d'Orient, l'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps disait : "Une poignée de sable dans la mer immense, voilà ce qu'est le péché de tout homme en comparaison de la miséricorde de Dieu". L'un de nos contemporains, décédé maintenant, un grand romancier, écrivait un jour dans son journal : "Le paradis n'est pas autre chose qu'aimer Dieu, et il n'y a pas d'autre enfer que de n'être pas avec Dieu".

Je termine avec un autre grand romancier contemporain, vrai croyant lui aussi : "Le pécheur, c'est celui qui a renoncé à chercher la vraie réalité, c'est celui qui connaît le morne ennui d'une vie sans Dieu". L'acte de foi réclame du croyant le don de tout son être. La foi, c'est l'adaptation de toute son existence à Dieu. (Avec Joseph Ratzinger, Alexandre Men, Isaac le syrien, Julien Green, Georges Bernanos, AvS, HUvB).

 

3 mars 2013 - 3e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 13,1-9

Voilà deux événements tragiques : Pilate qui fait massacrer des gens pendant qu'ils offrent un sacrifice; et puis dix-huit personnes qui se font tuer quand une tour s'écroule. Qui est coupable ? Réponse de Jésus : il ne faut pas croire que ceux qui sont frappés sont toujours les plus mauvais. Que chacun s'examine soi-même, et pas les autres. Que chacun balaie devant sa propre porte.

Il y avait un figuier qui ne portait pas de figues. Faudrait le couper pour mettre autre chose à la place. Le jardinier, lui, pense que tout n'est pas encore perdu. Je vais bien soigner ce figuier, peut-être qu'il va donner du fruit quand même cette année. Sinon, il faudra l'éliminer.

Les douze apôtres de Jésus n'étaient pas parfaits. Il y avait de grosses disputes entre eux. Et Jésus devait souvent les reprendre et corriger leur manière de penser. Et dans le groupe des douze, il y a quand même eu Judas. Et Judas aussi, le Seigneur Jésus l'a porté sur la croix en portant le péché de tous les hommes ; la croix, c'est la folie de Dieu ; la croix, c'est ce qu'il y a de plus caché dans sa sagesse. Est-ce qu'elle va porter du fruit ?

La vie en Dieu des croyants n'est pas une affaire superficielle et vague. La vie en Dieu exige des efforts et des décisions de la part de l'homme. L'homme aurait aimé vivre toujours sous le regard de Dieu comme Adam au paradis. Mais maintenant l'homme vit tourné vers la mort. Cela ne lui sert à rien de ne pas en connaître l'heure. Mais il ne peut pas vivre comme si cette heure ne le concernait pas, comme si elle n'allait pas sonner pour lui... C'est Pilate qui fait un massacre, c'est une tour qui s'effondre, c'est un accident.

Le cardinal Barbarin nous suggère de nous avancer pour la communion en disant : "S'il te plaît, Seigneur, donne-moi un peu de foi pour tenir jusqu'à demain… Et puis un peu d'amour aussi, pour aimer tous ceux que j'ai à aimer, parce que mon cœur en manque. Et puis encore un peu d'espérance".

Un chrétien motivé de notre temps raconte une histoire. C'est un jeune garçon à l'école, qui dit tout le temps : Ah! Quand j'aurai quitté l'école et que je travaillerai, je serai heureux ! Il quitte l'école et il se met à travailler, et il dit sans cesse : Ah! Quand je me marierai, ce sera le bonheur ! Il se marie et, au bout de quelques mois, il constate que la vie manque de variété, et il se dit : Ah! Que ce sera bien quand on aura des enfants ! Les enfants viennent et c'est charmant, mais ils pleurent vraiment souvent à deux heures du matin, et le jeune homme soupire : Vivement qu'ils soient grands ! Et les enfants grandissent, ils ne pleurent plus à deux heures du matin, mais ils font mille bêtises et les vrais problèmes commencent. Et lui, il rêve au moment où il sera seul avec sa femme. Ce sera si bien ! Et quand enfin il est vieux, il se souvient avec nostalgie des temps anciens : c'était si bien !

On pourrait tous ajouter des chapitres à cette histoire. Mais voici sa conclusion : Nous avons tous du mal à vivre le moment présent, à nous réjouir de la présence de Dieu ici et maintenant... Rendre grâce pour ce qu'on a. Ne plus pleurer pour ce qu'on n'a pas. S'accepter et accepter les autres tels qu'ils sont, en voyant la lumière qui est en eux, et en ayant la certitude que nous pouvons tous grandir... On n'en a pas pour un carême seulement. Ce sera un peu plus long de grandir. Il faut bien soigner le figuier ; peut-être qu'il portera du fruit un jour quand même.

Il y a toujours des gens qui rêvent de réformer l’Église et les gens d’Église. Ce qui réforme l’Église, ce ne sont ni les pamphlets, ni les pétitions, ni les mouvements "critiques" ou "fidèles"; c'est la sainteté de chaque chrétien, qui demande chaque jour à l'Esprit de réformer la part d’Église qui demeure en lui, c'est-à-dire qui demande chaque jour à l'Esprit la conversion de son cœur, la conversion du figuier.

Dans l’Église, le plus grand, le plus chrétien, c'est celui qui est le plus au service des autres, comme Jésus qui sert à la table eucharistique et lave les pieds à l'ennemi, même à Judas. (Avec Cardinal Barbarin, Jean-Luc Marion, AvS, HUvB).
 

28 février 2016 - 3e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 13,1-9

L'évangile d'aujourd'hui nous invite à nous convertir. - "Mais je vais à la messe tous les dimanches, même parfois aussi en semaine, comment voulez-vous que je me convertisse ? Je fais tout bien". - Si c'est vrai, tant mieux, pourvu que ça dure ! Mais on trouve quand même aussi dans le Nouveau Testament cet avertissement : "Celui qui dit qu'il est sans péché est un menteu". Et aussi : "Même celui qui est saint pèche sept fois par jour". Sept fois par jour, c'est-à-dire souvent.

Quand, au début de la messe, nous disons le "Je confesse à Dieu", la première chose que nous disons, c'est : "Je reconnais devant mes frères que j'ai péché en pensée, en parole, par action et par omission". Mais où est-il notre péché ? Si on commet un gros péché tout rond, il nous crève les yeux. La prière constante du pèlerin russe était : "Seigneur Jésus, Fils du Dieu vivant, aie pitié de moi pécheur". Le Seigneur Jésus ne nous demande pas de nous culpabiliser stupidement. L'une des prières du cardinal Newman commence comme ceci : "Conduis-moi, douce lumière". On pourrait ajouter : "Qu'est-ce que tu attends de moi aujourd'hui ? Qu'est-ce que je peux faire pour te faire plaisir ?"

Très souvent on voit très bien les péchés des autres, on voit très bien ce qui n'est pas juste dans les paroles, les actions, le comportement des autres. Et on peut très bien être aveugle sur soi-même. Jésus aussi attire notre attention sur ce point quand il parle de la paille et de la poutre. Et l’Écriture nous invite à prier comme ceci : "Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur, guide-moi dans la vérité" ; c'est l'un des refrains que nous chantons de temps en temps le dimanche.

Saint Paul nous invite à nous revêtir de ce que Dieu aime, c'est-à-dire compassion, bienveillance, humilité, douceur, patience. L'évangile d'aujourd'hui nous invite aussi à percevoir dans les événements de tous les jours la relation qu'ils ont avec Dieu. Pour le chrétien, il n’existe rien qui soit absolument inutile. Tout événement de notre vie a un sens pour Dieu. Notre vie tout entière doit être présente dans notre prière pour être offerte à Dieu.

Le Seigneur Jésus ne dit pas : "Aimez-moi". Il dit : "Aimez-vous". Ce qu'il nous demande, c'est que nous supportions de vivre ensemble, c'est que nous nous supportions. Le curé d'Ars disait : "Que c'est beau, mes enfants, d'être accompagné par le Saint-Esprit. C'est un bon guide que celui-là. Quand le Saint-Esprit veut une chose, elle réussit toujours. Et dire qu'il y a tant de gens qui ne veulent pas le suivre !" L’Écriture n'est pas faite pour satisfaire des curiosités frivoles, mais toujours pour nous conduire au salut. Et c'est quoi le salut ? C'est la rencontre avec Dieu et l'union avec lui.

Marie, la Mère de Jésus, est pleine de grâce. Elle est quelqu'un qui écoute et qui prie. Elle est sans cesse attentive aux multiples appels du Dieu vivant. Elle est quelqu'un qui prie, elle est tout entière tendue vers Dieu, et donc quelqu'un qui aime avec la générosité du véritable amour, mais aussi avec toute la capacité de discernement qui se trouve dans l'amour, et aussi avec la préparation à la souffrance qui se trouve dans l'amour.

Tout chrétien sait bien que le premier commandement, c'est d'aimer. Mais c'est quoi l'amour ? Aimer, ce n'est pas dominer, c'est se mettre à genoux devant l'autre. Il y a de l'amour vrai entre deux personnes quand les deux s'agenouillent l'une devant l'autre. C'est une manière de parler, bien sûr. L'amour, c'est Jésus : il se laisse assassiner pour offrir la résurrection à ses assassins. Jésus refuse de s'imposer par le miracle et l'autorité : il se tait devant Pilate, il ne descend pas de sa croix, il ressuscite dans le secret ; seule la liberté royale de la foi peut le reconnaître, seul le libre amour peut le reconnaître.

L'évangile d'aujourd'hui nous invite à la conversion incessante. Notre vraie volonté, c'est de n'en avoir point d'autre que la volonté de Dieu. Mais cela ne peut se faire sans un sacrifice foncier. Dans l'eucharistie, dans la communion, l'Homme-Dieu donne à chacun la possibilité de participer à son pouvoir. Il y a une communion des saints aussi dans l'eucharistie, et le Seigneur Jésus peut donner à celui qui communie de partager le poids du péché d'une autre personne. Celui qui s'offre ainsi à porter avec le Christ le fardeau de ses frères sait, dans la foi, que son geste est riche de sens et qu'il porte ses fruits, mais il ne saura ni comment, ni au profit de qui cela se fait. Il entre simplement, avec l'offrande du Fils, dans la parole miséricordieuse du Père. (Avec Christian Bobin, saint Jean-Marie Vianney, Louis Bouyer, Joseph Ratzinger, Pierre Emmanuel, Olivier Clément, Maurice Blondel, AvS, HUvB).

 

3 avril 2011 - 4e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 9,1-41

Ce récit de la guérison par Jésus de l'aveugle-né est encore une grande page de l'évangile de saint Jean, après celle qui a été lue dimanche dernier, l'évangile de la Samaritaine. Jésus ose dire aujourd'hui : "Je suis la lumière du monde". Comment est-ce possible ? Pourquoi Jésus dit-il une chose pareille ? Jésus a conscience d'apporter au monde une lumière. C'est la certitude de Jésus qu'il apporte au monde la lumière de Dieu. Mais est-ce que les hommes peuvent reconnaître en Jésus la lumière de Dieu ? Autrefois, il y a deux mille ans. Aujourd'hui en l'an 2011. Pour l'aveugle qui a été guéri par Jésus, il n'y a aucun problème, c'est une évidence. Je n'y voyais rien, j'étais aveugle. Maintenant j'y vois. C'est grâce à Jésus que je suis devenu un voyant. C'est inouï. Si vous me demandez ce que je pense de Jésus, c'est tout simple, c'est un homme de Dieu. Si Jésus ne venait pas de Dieu, il n'aurait pas pu faire que je ne sois plus aveugle. Jésus existe et Dieu aussi existe. C'est une évidence.

Voilà un miracle, évident. Évident pour l'homme qui découvre ce que c'est que d'avoir des yeux pour voir. Pour les adversaires de Jésus, ce miracle est un problème. C'est un problème bien gênant. La solution, pour eux, c'est qu'il n'y a pas eu de miracle. Jésus n'a rien fait du tout : cet homme n'était pas aveugle. Mais comme l'aveugle insiste devant tout le monde pour dire qu'il était bien aveugle, et que c'est bien Jésus qui lui a donné la vue, qu'est-ce qu'on va bien pouvoir inventer contre Jésus ? Ce qu'on invente ? C'est que Jésus a fait ça un jour de sabbat. (C'est vrai, c'était un jour de sabbat!) On n'a pas le droit de faire certaines choses le jour du sabbat. Et donc Jésus est un pécheur, ce n'est pas un homme de Dieu.

La réplique de l'aveugle veut son pesant d'or : "Moi, je sais une chose. Il m'a ouvert les yeux. Comme chacun sait, Dieu n'exauce pas les pécheurs. Mais si quelqu'un fait sa volonté, il l'exauce. Si Jésus ne venait pas de Dieu, il n'aurait rien pu faire". Les adversaires de Jésus veulent en finir avec cet imbécile qui veut leur faire la leçon, ils le mettent dehors.

Cette histoire de l'aveugle guéri et des pharisiens qui ne veulent pas y croire, c'est notre histoire à nous aujourd'hui, c'est l'histoire du monde d'aujourd'hui, c'est l'histoire des croyants et des non-croyants d'aujourd'hui. Le chrétien ne croit pas à une multitude de choses. Au fond, il croit simplement en Dieu, il croit qu'il n'existe qu'un seul et vrai Dieu. Et ce Dieu se rend accessible en celui qu'il a envoyé : Jésus-Christ. Dieu montre son visage en celui qu'il a envoyé, en son Fils. Dieu et son Fils, c'est tout un, et en même temps ils sont différents.

Jésus dit quelque part dans l'évangile - c'est dans une prière qu'il adresse à Dieu, le Père invisible - :"La vie éternelle, c'est que les hommes te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ". La vie éternelle, ce n'est pas la vie qui vient après la mort. La vie éternelle, c'est la vie elle-même, c'est la vraie vie qui peut être vécue aussi dans le temps présent, aujourd'hui, et qui ensuite ne va pas s'achever avec la mort physique.

Mais toujours la question : comment est-il possible de croire en Dieu et en Jésus ? La foi prend naissance quand les hommes sont touchés intérieurement par l'Esprit de Dieu qui ouvre leur cœur et le purifie. Dimanche dernier, c'était la Samaritaine. Aujourd'hui, c'est l'aveugle guéri. Et aussi une partie de l'entourage de la Samaritaine et de l'aveugle guéri.

Au XVIIIe siècle, on voulait se moquer d'un petit Juif fort croyant. L'adulte qui voulait se moquer du petit croyant lui avait dit : "Je te donne un florin (c'était en Pologne) si tu me dis où Dieu habite". Qu'est-ce qu'il faut répondre à ça ? Le garçon avait répondu du tac au tac : "Et ben moi, je t'en donne deux si tu me dis où il n'habite pas". Le garçon était aussi malin que l'aveugle guéri devant les pharisiens.

Dans l'évangile d'aujourd'hui, comme dans le monde d'aujourd'hui, il y a les croyants et les adversaires de Jésus. Le combat était inégal entre l'aveugle guéri et les savants adversaires de Jésus. Et que s'est-il passé ? Il s'est passé ce que dit l'auteur anonyme de la Lettre aux Hébreux : "La Parole de Dieu est vivante et efficace. Elle est plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants. Elle démêle les intentions et les pensées du cœur. Aucune créature n'échappe aux regards de Dieu. Tout est à nu et à découvert aux yeux de celui à qui nous devrons rendre compte". (Avec Benoît XVI, Martin Buber, AvS, HUvB).

 

30 mars 2014 - 4e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 9,1-41

Jésus dans une rue de Jérusalem avec ses disciples. Ils croisent un homme jeune qui avance en tâtant les murs avec son bâton. Il a un visage, mais il est sans yeux. Jésus ne s'occupe pas de l'aveugle, mais ses disciples lui posent la question : Quel malheur ! Pour être puni ainsi, il a certainement péché. Mais s'il est né aveugle, comment peut-il avoir péché avant de naître ? Ou bien ce sont ses parents qui ont péché et Dieu les a punis en le faisant naître ainsi.

Jésus : Ni lui, ni ses parents n'ont péché plus que tout homme ; et peut-être même qu'ils ont moins péché que d'autres parce que souvent la pauvreté est un frein pour le péché. Je suis la Lumière du monde pour que ceux du monde qui ont oublié Dieu voient et se souviennent, et pour que ceux qui cherchent Dieu ou lui appartiennent déjà soient confirmés dans la foi et dans l'amour.

Jésus demande alors à un de ses disciples d'aller chercher l'aveugle : il ne doit pas être très loin. Aussitôt Jésus fait un peu de boue au bord de la route. Et quand l'aveugle arrive, Jésus ne lui demande rien, contrairement à ses habitudes. Tout de suite il étale un peu de cette boue sur les paupières closes de l'aveugle et il lui dit d'aller le plus vite possible à la piscine de Siloé sans s'arrêter pour parler avec quelqu'un.

L'aveugle y va, il se frotte plusieurs fois les yeux avec l'eau de la fontaine. Et tout d'un coup il y voit et il n'en revient pas : il voit de l'eau et un arbre et une femme qui arrive à la fontaine avec son enfant, et une brebis qui arrache un brin de verdure à un arbuste. Il retourne à sa maison, ses parents n'habitent pas loin. Sa mère tombe en larmes, son père se tourmente la barbe d'une main agitée. Il y a un tas de gens qui sont arrivés, mais aussi des prêtres et des scribes qui avaient tout de suite été avertis par deux des leurs qui avaient suivi l'aveugle jusqu'à la piscine de Siloé.

Et les docteurs de la loi demandent à l'aveugle de raconter lui-même ce qui s'est passé. "Quand Jésus m'a mis de la boue sur les yeux et qu'il m'a dit d'aller à la piscine, j'étais un peu déçu, j'espérais y voir tout de suite. On m'avait dit qu'il en était capable. J'ai failli croire que c'était une plaisanterie de jeunes qui voulaient se moquer de moi ; mais j'ai entendu une voix intérieure qui disait : Espère et obéis. J'y suis allé, je me suis lavé et j'ai vu.

Les docteurs de la Loi : "Viens avec nous, tu dois faire une déposition comme quoi il t'a guéri le jour du sabbat. Celui qui t'a guéri est un Satan, il a péché le jour du sabbat". L'aveugle guéri : "C'est vous qui êtes Satan !Je devrais déposer contre celui qui m'a fait du bien ! Vous êtes ivres !" Pour finir l'aveugle guéri accepte d'aller au temple avec les docteurs de la Loi. Et là on lui pose la question : "Tu sais qui est ce Jésus ?" L'aveugle guéri : "Je n'en sais rien, je suis pauvre et ignorant ; il y a peu de temps, j'étais aveugle, ça, je le sais; et je sais aussi que c'est lui qui m'a guéri. S'il a pu le faire, c'est que certainement Dieu est avec lui". Les docteurs de la Loi : "Ne blasphème pas ! Dieu ne peut pas être avec quelqu'un qui n'observe pas le sabbat !" Et ils chassent l'homme comme si c'était un damné.

Pourquoi y a-t-il des gens qui ne peuvent pas être touchés par Dieu, par le mystère de l’amour de Dieu ? L'homme ne peut y avoir accès que s'il s'ouvre à Dieu par une foi vivante. Et quel est le credo du non croyant aujourd'hui ? En voici un, d'un scientifique de notre temps : "L'ancienne alliance est rompue. L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'univers d'où il a émergé par hasard. Son destin n'est écrit nulle part, son devoir non plus. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres". A ce credo, le croyant pose une question : "Comment un univers que je découvre, par ma science, tellement pétri d'intelligibilité, ne serait-il pas le produit d'une intelligence ?"

L'aveugle guéri devant les docteurs de la Loi : la foi est une affaire d'amour et la grâce a besoin de silence pour passer. Personne ne convertit personne si ce n'est Dieu. La foi n'est pas transmissible. Le monde qui nous entoure est souvent si peu attentif aux choses de Dieu qu'il faut un effort assidu pour se tenir éveillé aux réalités spirituelles et surnaturelles. Dans les choses de Dieu, c'est déjà beaucoup que nous comprenions qu'il est raisonnable de ne pas tout comprendre : l'aveugle guéri n'a pas éprouvé le besoin de demander à Jésus comment il avait pu faire ce miracle. On doit savoir que Dieu peut toujours nous dire comme Jésus l'a fait comprendre un jour à ses disciples : il y a encore apprendre beaucoup de choses qu'ils ne savent pas. Au fond, devant l'aveugle guéri, les docteurs de la Loi ont peur de la lumière. La vérité n'a jamais à craindre la lumière.

Quoi qu’on dise et quoi qu'on fasse, l'homme se souvient de Dieu. Même s'il le nie aujourd'hui, même quand il s'efforce d'éradiquer du cerveau des humains la pensée de Dieu, l'athée, le soi-disant sans Dieu, sera toujours rattrapé : l'homme se souvient de Dieu. (Avec Jérôme Monod, Cardinal Daniélou, Henri Fesquet, Maurice Blondel, Jacqueline Kelen, AvS).

 

26 mars 2017 - 4e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 9,1-41

Cet évangile illustre la venue de la lumière dans les ténèbres. A chacun de dire avec l'aveugle guéri : "Je crois, Seigneur !" Aveugles ou voyants, croyants ou non, nous marchons vers celui qui est la lumière du monde. Avec l’Église nous demandons pour tous les croyants que Dieu augmente la foi du peuple chrétien. - Crois-tu au Fils de l'homme ? - Je crois, Seigneur !

L'aveugle voit. Autour de lui, il y a des gens qui disent : Ce n'est pas possible, il y a du diable là en-dessous ! Le seul qui voit bien, c'est l'aveugle qui a été guéri. Ce sont les autres qui sont aveugles, qui n'ont rien compris, qui ne veulent pas comprendre. Et pourquoi ? L'aveugle guéri devine que Jésus vient de Dieu, qu'il est un prophète. Dès le début de son évangile, saint Jean explique ce qu'est la foi : "A tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu" (Jn 1,12), il a donné de voir que Jésus est vraiment la lumière du monde.

Jésus passe et il voit l'aveugle, l'aveugle qui ne peut pas encore le voir. L'aveugle marchait dans la nuit. "Viens ouvrir nos yeux ! Viens ouvrir les yeux de tous ceux qui n'ont pas encore vu que tu étais la lumière du monde. mets sur nos lèvres les mots qui conduiront à la lumière ceux qui nous approchent, croyants ou non croyants. Augmente la foi du peuple chrétien. Augmente encore et toujours ma foi. Que simplement je te dise : Tu es mon berger, je ne manque de rien".

Les pharisiens ont choisi de ne pas regarder la lumière. Pourquoi ? La lumière peut être gênante. Parce qu'il y a quelque chose en moi qui peut-être a peur de la lumière. L'aveugle de l'évangile est l'image du genre humain. Dès le premier péché, l'homme s'est fermé à Dieu, il s'est fermé à la lumière. Tout péché nous ferme un peu ou beaucoup à la lumière. Le vice du premier Adam qui s'est fermé à la lumière est passé en nous comme une seconde nature. Tout homme naît aveugle spirituellement. Le Christ a baptisé pour ainsi dire cet homme en lui rendant la vue. En lui rendant la vue, il l'a ouvert à la foi. Que notre foi soit toujours plus claire, plus évidente, plus lumineuse. "Ayant déjà en nous la foi, remplis-nous, Seigneur, de ta connaissance comme les eaux recouvrent le fond des mers".

Personne ne peut amener quelqu'un à croire au Seigneur Jésus tel qu'il est par ses propres forces. Par ses propres forces, on ne peut l'amener qu'à une fausse image du Seigneur Jésus. Et le passage est souvent imperceptible entre le désir de convertir quelqu'un au Seigneur Jésus et le désir de le convertir à soi !

Dieu n'est pas bavard. Dieu ne nous dit sur lui et sur son œuvre que ce dont nous avons strictement besoin. Ce qu'il dit est pour notre salut. A la différence des prédicateurs, Dieu n'est pas bavard. Tout est absolument nécessaire. L'histoire du peuple hébreu, c'est l'aventure mystique de l'humanité. Les documents qui relatent cette aventure (tout l'Ancien Testament) relatent un itinéraire que le chrétien revit aujourd'hui sous le régime de la nouvelle Alliance. Le christianisme est le fruit d'une longue évolution. Avec Jésus, l'humanité a atteint le point culminant de sa spiritualité. "Jamais homme n'a parlé comme cet homme". Le message de Jésus est tellement parfait (avec sa mort sur la croix et sa résurrection) qu'il est impossible d'en concevoir un meilleur. Il a d'ailleurs mis un point final à l'âge de la création religieuse de l'humanité : vingt siècles d'histoire confirment ce jugement.

Pour la foi chrétienne, la révélation est close à la mort du dernier apôtre. Mais la révélation ne s'est pas arrêtée à la mort de Jésus, elle se poursuit par l'action de l'Esprit Saint, sous un autre mode. Celui qui a guidé les mages par une étoile est capable aussi d'instruire secrètement les hommes dans leur cœur. Mais Dieu a voulu aussi avoir besoin des hommes. Il a bien fallu qu'il choisisse douze apôtres parmi tous ses disciples. Et la foi chrétienne est venue jusqu'à nous grâce à une très longue chaîne de témoins qui finalement constituent l’Église. Mais tout n'est pas parfait dans les croyants qui transmettent la foi. Il peut y avoir des scories qui font obstacle à la vérité. Tous les croyants ne sont pas parfaits. Et donc l’Église elle-même n'est pas parfaite. Ce qui a parfois pour effet de fermer à beaucoup de nos contemporains la qualité de la vie spirituelle qui est proposée à l'humanité par le christianisme. L’Église est parfois perçue comme un repoussoir par des personnes que la spiritualité chrétienne pourrait attirer. Et alors beaucoup de gens se bricolent une petite religion à leur guise : on va brûler un cierge dans une église, on va brûler de l'encens dans sa maison pour soi-disant chasser les mauvais esprits, on va aller prier sainte Rita à Vendeville, ou la Vierge Marie à la grotte de Clairmarais. Ce n'est pas interdit, mais est-ce là la connaissance plénière de la vérité ? Ce n'est qu'un tout petit début de la foi véritable.

Le Seigneur Jésus est le centre de la révélation chrétienne. Le meilleur de la foi chrétienne depuis deux mille ans, chez les saints et les mystiques, est à notre disposition pour nous aider à comprendre le mystère de Jésus. L'Esprit Saint de Dieu souffle toujours vers le centre. Dieu nous donne la vérité intégrale, mais nous n'en voyons jamais que des fragments. (Avec Pierre Chaunu, Claude Tresmontant, Henri Fesquet, Xavier. Léon-Dufour, saint Bernard, Guy Coq, AvS, HUvB).

 

22 mars 2009 -4e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 3,14-21

Cet évangile que je viens de lire, ce sont des paroles attribuées à Jésus à la suite d'un entretien qu'il a eu avec Nicodème. On ne lit jamais le dimanche à la messe cet entretien de Jésus avec Nicodème. Cet entretien commence comme ceci : "Il y avait parmi les pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des juifs". Voilà l'homme qui va venir trouver jésus : un notable, un pharisien.

Mais il ne vient pas trouver Jésus dans la journée, il vient la nuit : il ne souhaite pas que ses collègues, les pharisiens, sachent qu'il a été rendre visite à Jésus. Et en présence de Jésus le pharisien commence par quelques mots aimables et flatteurs pour s'attirer la bienveillance de son interlocuteur. Il dit à Jésus : "Maître, nous le savons, tu viens de la part de Dieu, car personne ne peut faire les miracles que tu fais si Dieu n'est pas avec lui". Voilà donc ce que pensent les pharisiens, du moins certains : Jésus vient bien de la part de Dieu. La preuve : tous les miracles qu'il fait.

Et on n'a pas le temps de savoir pourquoi Nicodème est venu trouver Jésus. Nicodème n'a pas le temps de parler. Jésus lui dit tout de suite quelques mots étranges qui semblent n'avoir aucun rapport avec ce que Nicodème vient de lui dire. Jésus répond à Nicodème : "A moins de naître de nouveau, personne ne peut voir le royaume de Dieu". C'est-à-dire personne ne peut avoir la vie éternelle.

Nicodème a bien entendu. Et il pose une bonne question, parce qu'on ne voit pas bien ce que Jésus veut dire. Jésus a parlé de naître de nouveau. Peut-on une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? Alors Jésus explique : pour entrer dans le royaume de Dieu, pour entrer dans la vie éternelle de Dieu, il faut naître de l'eau et de l'Esprit. On n'est pas beaucoup plus avancé. Qu'est-ce que ça veut dire : naître de l'Esprit? Alors Jésus continue : l'Esprit de Dieu, c'est comme le vent : le vent souffle où il veut, tu entends le vent siffler dans les arbres, mais tu ne sais pas d'où il vient, ni où il va. C'est comme ça pour quiconque est né de l'Esprit.

Ce n'est pas encore très clair tout ça et Nicodème pose donc la question : "Comment cela peut-il se faire?" Et que fait Jésus alors? Il répond par une question : "Tu es un maître en Israël, un pharisien, et tu ignores ces choses ?" On arrive alors à notre évangile d'aujourd'hui. On a oublié Nicodème et on ne sait pas ce qu'il va faire dans l'immédiat cette nuit-là.

Jésus continue à parler. Mais il se peut très bien aussi que l'évangile que je viens de lire, ce sont au fond des réflexions de l'évangéliste lui-même, longtemps après les événements, longtemps après la résurrection de Jésus. Et que dit saint Jean ? Il dit l'essentiel de la foi des premiers disciples : Celui qui croit en Jésus a déjà en lui la vie éternelle. Il a en lui une vie nouvelle, pas une vie purement terrestre. Il a en lui la vie de Dieu. Il est né à une autre vie, il est né à la vie de Dieu. Parce que Dieu aime le monde, il a envoyé son Fils Jésus pour que tous ceux qui croient en lui aient la vie éternelle.

Jésus est la lumière du monde, la lumière envoyée par Dieu. Mais beaucoup d'hommes préfèrent rester dans les ténèbres. Pourquoi ? Parce que, quand on fait le mal, on n'aime pas la lumière. C'est en cachette qu'on fait le mal, c'est dans la nuit. Celui qui fait le bien est déjà dans la lumière, la lumière de Jésus et la lumière de Dieu.

Nicodème est venu la nuit pour rencontrer Jésus. Pourquoi voulait-il voir Jésus ? Parce qu'il cherchait la vérité. Et en cherchant la vérité, il était déjà dans la lumière. Mais on peut grandir aussi dans la lumière. Comme on peut aussi s'enfoncer dans les ténèbres et rester dans le mal. Le péché, ce n'est pas seulement les dix commandements : tu ne tueras, pas, tu ne voleras pas, tu ne mentiras pas, etc. La plupart du temps, le péché n'est pas là où on le cherche. Souvent un acte de refus de Dieu, tout intérieur et tout caché, est beaucoup plus terrible et plus blessant que tout le reste.

Notre évangile dit aujourd'hui :"Dieu a tant amé le monde qu'il a donné son Fils unique". Et nous disons dans notre credo : "Je crois en Dieu le Père tout-puissant". Si vraiment Dieu est amour, il ne peut pas être tout-puissant comme peuvent l'imaginer les païens. Devant le refus, Dieu ne peut rien. La toute-puissance dont parle notre credo n'est acceptable que si elle est la toute-puissance de l'amour. Et la toute-puissance de l'amour, justement, c'est qu'en certains cas elle est réduite à l'impuissance. Et alors, ce qui se passe dans la toute-puissance, c'est une souffrance rentrée, une souffrance secrète, une souffrance qui en fin de compte "expie", si l'on peut dire, le refus qui est essuyé.

Les deux images les plus fortes de la foi chrétienne ne sont pas des images de puissance, ce sont des images de faiblesse : un enfant dans un berceau, un supplicié sur un gibet. Et même le nouveau-né n'est pas un fils de prince... Dieu le Père tout-puissant a tant aimé le monde qu'il a livré son Fils unique : c'est notre évangile d'aujourd'hui.

Nicodème vient trouver Jésus. L'Esprit de Dieu poussait Nicodème à aller trouver Jésus. Et Nicodème ne le savait pas. La foi est toujours obéissance même lorsqu'elle cherche à comprendre. Et ce n'est que par la foi que nous comprenons... L'Esprit souffle où il veut. Ce n'est que par l'Esprit de Dieu que nous comprenons les choses de Dieu. (Avec Jean-Claude Barreau, Karl Barth, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

18 mars 2012 - 4e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 3,14-21

Douze siècles avant le Christ, Moïse avait fait élever sur un mât un serpent de bronze. Et tous ceux qui avaient été mordus par des serpents venimeux étaient guéris s'ils levaient les yeux vers le serpent de bronze en haut du mât. De même Jésus sera élevé sur la croix, et tous ceux qui lèveront les yeux vers lui avec foi seront sauvés. Lever les yeux vers lui, c'est s'ouvrir à la lumière. Et s'ouvrir à la lumière, c'est être libéré de tout ce qui n'est pas Dieu. "La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière". Il y a une part de ténèbres en tout être humain. Mais Dieu est si puissant qu'en regardant les hommes il peut découvrir partout sa grâce, malgré les péché et les ténèbres.

Toi, tu dis : "C'est un criminel, qu'il aille donc brûler dans le feu de l'enfer". Mais je te demande : "Si Dieu te donnait une bonne place dans le paradis et que, de là, tu vois dans le feu celui auquel tu as souhaité les tourments, n'aurais-tu pas alors pitié de lui, quel qu'il soit ?" Dieu est si puissant qu'en regardant les hommes il peut découvrir partout sa grâce, malgré les ténèbres et le péché... Dieu nous aime comme une tendre mère aime son enfant malade. Dostoïevski disait : "Autant une mère éprouve de joie en voyant les premiers sourires de son enfant, autant Dieu en éprouve chaque fois qu'il voit, du haut du ciel, un pécheur le prier du fond du cœur".

"Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé". Le royaume de Dieu, c'est un appel à la communion, c'est une invitation au banquet. Mais comment oser y croire ? Que le Dieu éternel se soucie de nous, les hommes, et qu'il nous connaisse, que celui qui est insaisissable se soit fait saisissable dans l'homme Jésus, que celui qui est immortel ait souffert sur la croix, que la résurrection et la vie éternelle nous soient promises à nous, mortels, croire tout cela, c'est une prétention irritante pour beaucoup de gens aujourd'hui.

Dieu a créé le monde, et Dieu n'est pas du monde. Nous sommes au monde, mais nous ne sommes pas faits pour le monde. Et pour le prêtre, sa situation est impossible. Il se condamne lui-même à l'impossible puisque sa tâche consiste à donner un Dieu qu'il n'a pas à des hommes qui n'en veulent pas. La foi alors, envers contre tout, c'est la découverte que je suis aimé de Dieu. Je suis invité à relire mon histoire à la lumière de l'amour. Il est toujours possible de venir à la lumière, mais on peut toujours aussi préférer rester dans les ténèbres.

La solution fondamentale des doutes contre la foi n'est pas dans la recherche intellectuelle, mais dans le recours à Dieu même. Tout peut s'éclairer si on repart de lui, si on adhère à sa grâce et à sa lumière. Il y a un pas qui ne peut être franchi que dans l'humilité.

Le vouloir divin sur l'homme est fort clair grâce à la Révélation. Mais ce qui, pour chacun en particulier, est le meilleur, et sous quelle forme il se présente, personne ne peut le dire. Et là, il n'y a pas d'autre règle que de s'abandonner à la volonté personnelle et insondable de Dieu. (Avec saint Silouane, Sophrony, Dostoïevski, Paul Evdokimov, Joseph Ratzinger, Gustave Thibon, René Laurentin, Suso, AvS, HUvB).

 

15 mars 2015 - 4e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 3,14-21

Nous avons commencé le carême par l'évangile de la tentation de Jésus, c'est-à_dire aussi de nos tentations à nous. Aujourd'hui l'évangile nous parle encore de la tentation sous la forme d'un combat entre les ténèbres et la lumière. Les hommes ont tout ce qu'il faut pour vivre dans la lumière, mais souvent ils préfèrent les ténèbres. Quand on fait le mal, on choisit les ténèbres.

On peut se cacher pour faire le mal, mais il arrive aussi qu'on le fasse au grand jour et qu'on le clame sur les toits, comme si c'était une grande victoire. Ce que nous dit toute notre foi chrétienne, c'est que faire le mal n'est pas la voie du bonheur. Le mal conduit à des impasses. Le remède au mal qui persécute toute l'humanité, c'est de faire ce que faisaient les Hébreux dans le désert quand ils étaient poursuivis par la maladie et la mort, le remède, c'est de se tourner vers le signe que Dieu nous donne, se tourner vers la lumière qui provient du Seigneur Jésus sur la croix. Le mal, le péché, n'est pas supprimé quand on le regarde ; il est supprimé quand on lève les yeux vers la pureté qui nous entraîne vers le haut. C'est la pureté qui vient d'en haut qui nous purifie, et la pureté est un chemin vers l'amour. Jamais la pureté n'est un but en soi.

Les saints dans l’Église jouent le même rôle que le Seigneur Jésus sur la croix ; les saints ont été attirés vers le haut et ils nous transmettent quelque chose de la lumière de Dieu. Personne n'a jamais vu Dieu, mais le Seigneur Jésus élevé sur la croix et ceux qui sont avec lui nous le montrent. Les saints sont comme des auberges sur la route ; elles peuvent restaurer, mais elles ne retiennent pas leur hôte. Le terme du voyage, c'est la vie éternelle. "Tout homme qui croit au Fils unique de Dieu ne périra pas, il obtiendra la vie éternelle".

La foi et la vie éternelle ne font qu'un. La foi, c'est comme la prière, c'est ouvrir son intelligence. Ou plutôt laisser Dieu ouvrir notre intelligence et notre cœur au sens des vraies valeurs. Et où sont les vraies valeurs ?  Dieu veut que nous nous dépassions, que nous dépassions nos limites pour aller vers lui. L'homme peut dépasser ses limites vers le haut, vers la lumière, ou vers le bas, vers les ténèbres. André Frossard, autrefois, parlait d'un monde où il est permis d'assassiner les enfants pour convenance personnelle.

Mais des ténèbres, il y en a partout, et dans le monde et en tout homme et dans l’Église. A l'époque du concile Vatican II, le cardinal Beran (archevêque de Prague), qui connaissait bien les persécutions religieuses de son pays en régime communiste, disait : "Dans ma patrie, l’Église semble expier aujourd'hui les fautes et les péchés qui ont été commis en son nom autrefois contre la liberté religieuse, comme ce fut le cas au XVe siècle pour le bûcher du prêtre Jean Huss ou au XVIIe siècle pour le retour forcé à la foi catholique d'une grande partie du peuple de Bohême en vertu du principe : le souverain de la région  lui impose sa religion. Ce recours au bras séculier, voulant ou prétendant servir la foi catholique, a, en réalité, laissé une blessure certaine dans le cœur de la population. Ce traumatisme a mis obstacle au progrès religieux. Il a fourni et fournit encore aux ennemis de l’Église un argument facile pour l'attaquer".

Des ténèbres, il y en a toujours et partout. Vous vous rappelez l'apôtre saint Jean : "Celui qui dit qu'il est sans péché est un menteur". Pour lutter contre les ténèbres, il faut se tourner vers la lumière qui émane de la croix, qui émane du Seigneur Jésus sur la croix. Pourquoi ? Parce que la croix du Seigneur Jésus nous montre que, pour le Tout-Puissant, créer n'est pas une petite affaire, une partie de plaisir. C'est une aventure, un risque, une bataille où il s'engage tout entier. On ne comprendra jamais tout à fait.

Il y a un combat des ténèbres contre la lumière, en chaque être humain, croyant ou incroyant. Saint Augustin disait : "Dieu nous a faits sans nous, mais il ne nous sauvera pas sans nous". Le non croyant aussi a ses combats entre les ténèbres et la lumière. Un romancier d'aujourd'hui, bien connu, dont les romans ne sont pas à mettre entre toutes les mains, paraît-il, était un jour interviewé par un média quelconque ; même lui avait dit : "Il arrive un âge où il n'est plus raisonnable d'être athée".

Longtemps avant les événements, le Seigneur Jésus annonce qu'il faut que le Fils de l'homme soit élevé, comme le serpent de bronze fut élevé sur un mât par Moïse dans le désert. La souffrance du Seigneur Jésus pour les autres, sa mort pour les autres, incluait aussi sa nuit intérieure qui lui donnait le sentiment d'un naufrage dans le non-sens : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Jésus a conscience de cette substitution : il souffre et meurt pour les autres, pour que tous les autres, aussi nombreux que les étoiles du ciel, comprennent quelque chose de la lumière, arrivent d'une manière ou d'une autre à la lumière. Et le soir de la dernière Cène, au moment où il va effacer notre faute dans sa chair, il nous donne à la place sa propre chair dans l'eucharistie. (Avec Jacques Loew, André Frossard, Cardinal Beran, Teilhard de Chardin, saint Augustin, Michel Houellebecq, AvS, HUvB).

 

14 mars 2010 - 4e Dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 15,1-3.11-32

Trois personnages dans cette petite histoire que Jésus raconte : un père et ses deux fils. Et Jésus raconte cette parabole à l'intention des pharisiens et des scribes qui ne comprenaient pas que Jésus fasse bon accueil aux pécheurs. Jésus raconte cette parabole pour notre instruction à nous, à nous qui sommes comme le fils cadet ou comme le fils aîné, ou comme les deux à la fois. Mais on ne connaît pas la fin de l'histoire, le fin mot de l'histoire. Qu'est-ce qu'il a fait finalement le fils aîné de la parabole ? Il est resté dehors ? Ou bien il a été faire la fête avec tout le monde ?

C'est dur d'être le fils aîné. Le père doit simplement pardonner à l'un de ses fils, au plus jeune. Le fils aîné doit pardonner deux fois : une fois à son père et une fois à son frère plus jeune. La pilule est dure à avaler. Il faut se mettre à sa place. Son frère cadet a été faire la fête avec des prostituées et son père efface tout comme si de rien n'était. Faut pas pousser ! C'est dur d'être le fils aîné, c'est dur d'être le bien-pensant, c'est dur d'être celui qui fait tout bien quand on voit que celui qui a tout fait de travers, on le reçoit comme un prince.

Et le père dans l'histoire, que voulez-vous qu’il fasse ? Le père comprend tout. Il aurait pu rester de marbre avec son fils cadet et le renvoyer d'où il était venu. "Tu es parti de ton plein gré avec ton magot, je ne veux plus te revoir". Il aurait pu dire ça, le père.

Et le fils aîné ? Le père comprend bien que c'est difficile d'être gentil avec un frère qui n'a pas été correct du tout. Le fils aîné reproche à son père de n'être pas juste, il lui reproche de mieux traiter son fils cadet qui a été pitoyable que lui-même, le fils aîné, qui a toujours fait son devoir.

Et Jésus nous laisse avec ces trois personnages. Jésus veut nous dire quelque chose de Dieu avec cette petite histoire. Il veut nous indiquer un chemin. Jésus ne dit pas tout. Il nous donne matière à réflexion. Quelle réflexion ? Celle du psaume : "Bénis le Seigneur, ô mon âme, n'oublie aucun de ses bienfaits. Comme est loin l'Orient de l'Occident, il éloigne de nous nos péchés". C'est dur de porter le péché des autres, c'est ce que fait le père de la parabole, c'est ce que doit faire aussi le frère aîné. Nos péchés, Dieu les a mis loin de nous, il les a pris avec lui, il a pris nos péchés sur lui dans sa Passion. Quand il ressuscite à Pâques, on ne peut plus voir une trace de péché. La joie de Pâques n'est pas troublée par le péché. Personne plus que le Père ne se réjouit de ce que son Fils soit ressuscité de la mort vers l'éternelle vie.

La parabole d'aujourd'hui, c'est la parabole du pardon. Jésus nous invite tous à vivre du pardon, du pardon reçu et du pardon donné. Frère Roger, de Taizé, disait : "Qui aspire à vivre du pardon cherche plus à écouter qu'à convaincre, cherche plus à comprendre qu'à s'imposer"... Convaincre par exemple que c'est l'autre qui a tort. Saint Thomas d'Aquin disait : "La nature de Dieu, c'est la bonté. Tout ce qui existe est bon du seul fait que cela existe, puisque c'est la volonté de Dieu qui est la cause de toute chose. Aimer quelqu'un, ce n'est rien d'autre que de lui vouloir du bien". Le père de la parabole aime toujours ses deux fils : le fidèle et l'infidèle.

Et pourtant on ne peut pas dire que le mal, c'est bien. Le mal, c'est le mal. Peut-on dire du mal qui est vrai? Peut-on dévoiler de quelqu'un le mal qu'il a fait? On appelle ça la médisance. Est-ce qu'on peut ? Le plus facile pour ne pas dire du mal vrai des autres, ce serait qu'on ne voie pas le mal qu'ils font. Comment faire ? Saint François de Sales, qui était un malin, disait : "Quand mon voisin est borgne, je le regarde de profil". Autrement dit, quand je le regarde de profil, je ne sais pas qu'il est borgne.

Personne ne se tient isolé devant Dieu. Tout le monde sait bien que le mystère des autres nous est caché, mais que ce mystère est découvert aux yeux de Dieu. Si on veut connaître quelqu'un d'autre en vérité, il faut chercher à le voir avec les yeux de Dieu, il faut regarder ses déficiences comme Dieu les voit, c'est-à-dire avec un amour très pur. Et les saints nous disent que pour y arriver, cela ne peut se faire qu'en étroite relation avec Dieu, dans la prière et le renoncement. Dieu nous a faits intelligents, et le bien, c'est le bien, et le mal, c'est le mal. Mais la capacité de juger que nous avons implique qu'on remette finalement le jugement entre les mains de Dieu. (Avec Frère Roger, saint Thomas d'Aquin, saint François de Sales, AvS, HUvB).

 

10 mars 2013 - 4e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 15,1-3.11-32

Il y a des gens qui sont choqués par le comportement de Jésus. Au lieu de fuir les pécheurs, Jésus leur fait bon accueil. Alors Jésus raconte de petites histoires, des paraboles, pour essayer d'expliquer. Aujourd'hui la parabole du fils prodigue.

L'histoire racontée par Jésus était beaucoup plus longue. Notre évangile ne nous donne qu'un résumé. Voilà les deux fils. L'aîné était sérieux, travailleur, affectueux, obéissant. Le second était plus intelligent que l'aîné. L'aîné, il faut le dire, était un peu borné. Mais le cadet était rebelle, ami du luxe et du plaisir, dépensier et paresseux. Plus d'une fois, son père a essayé de le remettre sur le droit chemin, mais sans résultat. A chaque fois, les réponses du fils cadet étaient méchantes. Et un jour, après une dispute plus forte encore que d'habitude, le fils cadet dit à son père : Donne-moi ma part de tes biens. Comme ça, je n'aurai plus à entendre tes reproches et les plaintes de mon frère.

Le père avertit quand même son fils cadet de faire attention : tu seras bientôt dans la misère si tu continues comme ça. Qu'est-ce que tu vas faire alors ? Réponse du cadet : Sois tranquille, je ne te demanderai rien donne-moi ma part. Le père alors fait estimer tout son avoir : ses terres et ses objets précieux. A l'aîné, il donne les champs et les vignes, les troupeaux et les oliviers. Et au cadet, il donne l'argent et les bijoux. Tout de suite le cadet vend tous les bijoux pour avoir de l'argent frais. Il fait cela en quelques jours et il part pour un pays lointain.

Et là il a honte de dire qu'il vient de la campagne, il se fait passer pour un fils de roi. Et c'est la grande vie : des festins, des amis et des filles, du vin, des jeux, une vie dissolue. Les réserves s'épuisent, et il arrive à la misère. Il était trop orgueilleux pour retourner chez son père. Alors il se fait embaucher comme gardien de cochons. Et il voyait les cochons se remplir le ventre de gousses et de glands et il soupirait : si au moins je pouvais me remplir le ventre de ce que mangent les cochons ! Mais c'est trop mauvais, c'est immangeable. Et il pleurait en pensant aux riches festins de satrape qu'il se payait peu de temps auparavant... Et il pensait aussi aux domestiques de son père : ils étaient plus heureux que lui... Ce fut une longue lutte pour briser l'orgueil.

Enfin arriva le jour où, n'y tenant plus, il revint à l'humilité et à la sagesse : c'est une sottise que cet orgueil qui me retient. Et il retourna à sa maison en mendiant le long des routes. Et voilà les champs de son père. Et son père est là qui surveille les travaux. Son père voit de loin un homme tout seul sur la route ; tout de suite, il reconnaît la démarche de son fils. Et on rentre à la maison. Et ce fils perdu, il doit comprendre qu'il est toujours pour moi le petit dernier.

Le frère aîné rentre du travail aux champs. Il demande à un domestique ce qui se passe. Le domestique lui répond ingénument qu'on n'attend que lui pour commencer la fête. Le frère aîné est furieux. Son père sort de la maison pour essayer de le raisonner. Et l'aîné finit par se rendre à toutes les raisons de son père.

Les pharisiens et les scribes récriminaient contre Jésus : pourquoi fait-il bon accueil aux pécheurs ? Et Jésus leur raconte cette histoire. Le père avait toutes les raison de renvoyer son fils à ses cochons. Mais ce n'est pas cela qu'il a fait. Le pardon de Dieu est toujours possible.

Le pape Benoît XVI disait un jour lors d'une audience générale : "Savoir avoir recours, chaque fois que cela est nécessaire, au sacrement de la réconciliation pour purifier l'âme de tout péché grave". Benoît XVI pesait ses mots.

Saint Paul dit quelque part dans sa lettre aux chrétiens d'Éphèse : "Vous n'êtes plus des étrangers, vous êtes de la maison de Dieu" (Ep 2,19). Vous êtes de la maison de Dieu, cela veut dire que la maison de Dieu est leur maison, cela veut dire aussi que la maison de Dieu a besoin d'eux. Ils font partie de la maison de Dieu. Ils ont besoin d'être dans la maison de Dieu pour se sentir bien, le frère aîné en a payé le prix. Ils ont la permission d'être là, mais la maison de Dieu aussi a besoin d'eux. Dieu a besoin d'eux : c'est pour cela qu'il a envoyé son Fils : pour qu'il lui ramène le monde et chaque créature en particulier. Et chaque créature porte en elle la nécessité de faire partie de la maison de Dieu.

C'est Dieu qui nous cherche, ce n'est pas nous qui le cherchons. Le monde n'a donc qu'une seule logique, la logique de Dieu. Mais que cette logique nous apparaisse ou ne nous apparaisse pas, c'est une autre affaire : on peut en discuter. Il est normal qu'elle ne nous apparaisse pas clairement, mais pourtant il n'y en a pas d'autres.

Pour le Nouveau Testament, pour notre foi chrétienne, le Seigneur Jésus est le frère aîné d'une multitude. Il est le Fils aîné. Et sa grâce, c'est de nous emmener avec lui dans son mouvement de retour vers le Père. (Avec Benoît XVI, Jean-Luc Marion, AvS, HUvB).
 

6 mars 2016 - 4e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Luc 15,1-3.11-32

Cette parabole du fils prodigue, l’évangéliste saint Luc est le seul à nous l'avoir conservée. C'est l'un des trésors de cet évangile. Trois personnages : le fils cadet, le fils aîné et le père. Le fils cadet, c'est tout, tout de suite. Le fils cadet, c'est l'argent et les plaisirs. Son père, il s'en moque pas mal. Sa mère, on ne la voit même pas dans la parabole. Et quand ce fils cadet crèvera de misère, il aura le culot de revenir à la maison.

Le fils aîné, il fait tout bien. Et comme récompense, on ne lui donne même pas un chevreau pour faire la fête avec ses amis. Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette maison. Et le père qui fait n'importe quoi ! On n'a pas idée de faire une fête pour un garçon sans scrupules qui a fait un tas de bêtises. Qu'on le reçoive à la maison, peut-être. Mais qu'on le mette au pain sec et à l'eau pendant un certain temps et qu'on le fasse bosser dur pour qu'il rattrape le temps perdu.

Le père n'est pas raisonnable. Et Jésus nous dit : "Voilà : votre Père du ciel, il est comme ça. Il y a quelque chose qui n'est pas raisonnable en lui. Et si, un jour, vous voulez être reçus dans sa maison, il faudra faire comme lui". Le fin de l'histoire, on la connaît ; le Père du ciel a livré son Fils unique aux mains des pécheurs pour ouvrir à tous les hommes les portes de sa maison : ce n'est pas très raisonnable non plus.

Saint Paul écrit quelque part que nous ne savons pas prier comme il faut. Et il ajoute que l'Esprit Saint lui-même intercède pour nous (Rm 8,26). On ne peut prier comme il faut que si l'Esprit Saint du Dieu vivant vient à notre aide pour nous adapter aux mœurs et coutumes du Dieu vivant. Et c'est l'Esprit Saint aussi qui peut nous faire comprendre que nous ne pouvons souffrir autrement qu'en souffrant avec le Fils. (Est-ce raisonnable de souffrir ?) Chaque fois que nous touchons nos limites, nous sommes invités à nous remettre au Fils et à l'Esprit pour qu'ils transmettent nos demandes au Père (et aussi tous nos points d'interrogation).

Dans une retraite prêchée au Vatican il y a quelques années, le prédicateur du pape, des cardinaux et du personnel de la curie romaine, le prédicateur était un évêque vietnamien qui avait connu les prisons communistes de son pays. Et ce prédicateur avait osé parler des défauts de Jésus. Le deuxième défaut de Jésus, c'est que Jésus ne connaît pas les mathématiques. Si Jésus avait passé un examen de mathématiques, il aurait peut-être été recalé. La parabole de la brebis perdue le montre bien. Un berger avait cent brebis. L'une d'elle s'égare et il s'en va sans délai à sa recherche en laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres à la bergerie. Une fois qu'il l'a retrouvée, il la charge sur ses épaules. Pour Jésus, un égale quatre-vingt-dix-neuf, et peut-être encore plus. Qui acceptera jamais une chose pareille ? Sans compter la parabole des ouvriers envoyés à la vigne. Celui qui a travaillé une heure gagne autant que celui qui a travaillé huit heures. Si Jésus avait été un directeur d'entreprise, il aurait fait faillite : comment peut-on payer une heure de travail au prix d'une journée ?"

Après le discours de Jésus sur le pain de vie, où là aussi il y avait des choses déraisonnables, Jésus pose la question à ses apôtres : "Voulez-vous partir, vous aussi ?"  Et saint Pierre avait répondu pour tous : "A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie". Pierre ne comprend pas mieux que les autres. On peut même admettre qu'il n'y entend rien, mais il sait déjà que partir, ce  serait quitter sa vie... Jésus n'est pas ce qu'il possède, mais ce sans quoi vivre ne serait plus vivre.

Au XVIIe siècle en France, l'incroyance ne disait pas cela. Pour cette incroyance, la religion chrétienne est une fable. Cette divinité est trop haute pour s'occuper de nos affaires. Il faut satisfaire nos inclinations et nos passions, qui sont aussi innocentes que la nature même. Il n'y a pas de péché. Il est douteux que notre âme soit immortelle ou qu'il y ait un paradis, un enfer et un purgatoire. Mais au même XVIIe siècle, le croyant qu'était Pascal estimait, quant à lui que "rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d'esprit que de ne pas connaître quel est le malheur d'un homme sans Dieu".

Il y a quelque chose de déraisonnable, humainement parlant, dans la parabole du fils prodigue comme dans la parabole des ouvriers envoyés à la vigne. Dans chacune de nos vies, il y a sans doute aussi des événements déraisonnables, des choses qu'on ne comprend pas, qu'on n'avait pas imaginées comme ça. Nous ne pouvons pas embrasser notre vie d'un seul coup d’œil, ni l'avenir sans doute, ni le passé. Il nous est en tout cas demandé de consentir à un plan conçu par Dieu, un plan plus grand que ce qu'on imagine, en tout cas un plan qui se présente autrement qu'on se l'était imaginé. Il nous est toujours  suggéré de dire avec le psaume : "Comme la tendresse d'un père pour son  enfant, le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour". (Avec Mgr Fr.-X. Nguyen Van Thuan, Michel de Certeau, Pascal, Georges Cottier, AvS, HUvB).

 

10 avril 2011 - 5e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 11,1-45

Ce récit de la résurrection de Lazare est propre à l'évangile de saint Jean. La Passion de Jésus n'est plus très loin. Les évangiles ne nous disent pas grand-chose des relations de Jésus avec Lazare, Marthe et Marie. C'est ici seulement qu'on apprend par l'évangéliste que Jésus aimait Marthe et sa sœur ainsi que Lazare, leur frère. Cela veut dire entre autres choses que Jésus était un habitué de leur maison, et qu'il avait dû y séjourner plus d'une fois avec ses disciples.

Cette fois-là, Jésus est loin de Béthanie quand on lui fait savoir que Lazare est à toute extrémité. Et Jésus, volontairement, ne se met pas en route tout de suite. C'est comme s'il attendait la mort de son ami pour opérer un miracle plus grand qu'une simple guérison (une simple guérison, si on peut dire!).

Quand Jésus arrive aux portes de Béthanie, Marthe court à sa rencontre. Elle ne trouve rien de mieux à faire que de reprocher à Jésus de n'être pas venu plus tôt : "Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Maintenant c'est fini, tu arrives trop tard". Et Jésus répond en substance : "N'aie pas peur. Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi ne mourra jamais".

Jésus se fait conduire ensuite au tombeau de Lazare. Tout le monde pleure et Jésus aussi se met à pleurer. Cela fait quatre jours que Lazare est dans son tombeau. Jésus se met à prier à haute voix. Et ensuite il s'adresse à Lazare comme si Lazare pouvait l'entendre. Il lui dit d'une voix forte : "Lazare, sors". Et Lazare lui obéit, il est à nouveau vivant. L'évangéliste ne nous donne pas plus de détails sur l'expérience de Lazare mort et sur son expérience de retour à la vie. Mais l'évangéliste nous dit la réaction de tous ceux qui étaient présents : "Les nombreux Juifs qui étaient venus entourer Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui".

Qu'est-ce que ça veut dire "croire"? Croire, cela veut dire se savoir aimé de Dieu de telle manière qu'on ne doit plus vivre dans la crainte. Croire en Dieu, c'est davantage que la simple conviction que Dieu existe. C'est aussi se savoir aimé de Dieu.

C'était en Allemagne il y a trente ans. Un futur jésuite devait faire un stage d'infirmier dans un hôpital. Longtemps après les événements, il raconte ceci : dans l'hôpital où il était, un petit garçon de cinq ans doit être opéré. Sa mère l'accompagne jusqu'à l'entrée de la salle d'opération. Le petit garçon dit alors à sa mère : "Maman, c'est quand même vrai que le Bon Dieu est toujours auprès de moi !" C'est ça la foi chrétienne. Et le garçon de cinq ans peut le dire et le comprendre. Il s'agissait d'une grave opération dont l'issue était incertaine. Le garçon ne voulait pas dire : "Tout ira bien, je pourrai bientôt rentrer à la maison". Ce qu'il voulait dire, c'était plutôt ceci : "Quoi qu'il arrive, je serai toujours entre les mains de Dieu, entre les mains de son amour". Dans sa peur, il sait que Dieu est avec lui. Il le sait parce que sa maman le lui a dit.

Un croyant commençait à dire le credo : "Je crois". Tout de suite il s'arrête et il dit : "Je ne comprends pas". On lui demande : "Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?" - "Je ne comprends pas cette histoire. Si réellement je crois, comment est-il possible alors de pécher ? Et si je ne crois pas réellement, pourquoi alors dire un mensonge ?" Et l'ancien lui dit alors : "Quand on dit : 'Je crois', cela veut dire qu'on demande à Dieu de nous donner la foi : que je puisse croire". C'est une anecdote qu'on trouve dans des récits juifs anciens.

La foi est faite de choses simples et d'une prière simple. Cette foi simple aura le courage de ne pas trop demander à Dieu. Il faut que je demande au Père ce qui me tient à cœur parce que je suis son enfant. Jésus lui-même l'a dit plus d'une fois : "Demandez et vous recevrez". Mais ce n'est qu'un premier niveau de la prière. Quand la prière s'approfondit, elle se simplifie ; de plus en plus elle accepte que Dieu soit ce qu'il est et qu'il se manifeste de la manière qui lui plaît. La demande demeure au cœur de la prière, mais elle est moins insistante et, surtout, elle s'accompagne de la conclusion que lui donne Jésus : "Cependant, que ta volonté soit faite".

Terminer avec une prière de saint Augustin. C'était un grand croyant des premiers temps de l’Église. On a toujours beaucoup à recevoir des grands croyants de tous les temps. Saint Augustin disait ceci dans sa prière : "Mon Dieu, tu précèdes tous les temps passés du haut de ton éternité toujours présente, et tu dépasses tous les avenirs". (Avec Peter Knauer, Martin Buber, Philippe Ferlay, saint Augustin, HUvB).

 

6 avril 2014 - 5e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 11,1-45

Il y a beaucoup de monde tout autour de la maison de Lazare et dans la maison. C'est une vaste maison tout près de Jérusalem avec des jardins et des parterres et des bosquets. Lazare est un homme riche, un gros propriétaire terrien. Quand Jésus arrive avec ses disciples, on a déjà averti Marthe, la sœur de Lazare, que Jésus arrivait. Aussitôt Marthe sort de chez elle, elle tombe en larmes aux pieds de Jésus. "Paix à toi", lui dit Jésus. Marthe : "Mais il n'y a plus de paix pour ta servante. Lazare est mort. Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt quand il était encore vivant ? Il t'a tant appelé, Lazare, mon frère. Nous espérions tout de toi". (Autrement dit, tu nous a déçues, ma sœur et moi).

On est toujours dans les jardins de la maison, il y a toujours là quantité de Juifs importants de Jérusalem venus pour les condoléance : certains bienveillants pour Jésus, d'autres hostiles. Marthe : "Maintenant, je vais aller chercher ma sœur". Marie arrive en courant, elle se jette aux pieds de Jésus en pleurant. Jésus : "Lève-toi, Marie ! Pourquoi ces pleurs comme ceux des gens qui n'ont pas d'espérance ?" Marie : "Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt ? Tu savais que Lazare était malade. Si tu avais été ici, il ne serait pas mort. Pourquoi n'es-tu pas venu ? Pourquoi nous as-tu fait cela, Jésus ?"

Le ton de Marie est celui de l'angoisse plutôt que celui des reproches. Jésus : "Marie, ne pleure pas. Moi aussi, je souffre de la mort de l’ami fidèle. Mais je te le dis : Ne pleure pas ! Lève-toi. Peux-tu croire que je t'ai donné cette douleur inutilement ? Où l'avez-vous mis ?"

Le tombeau se trouve à l'extrémité du verger dans une espèce de grotte. Jésus regarde la lourde pierre et il pleure. Tout d'un coup, après avoir essuyé ses larmes, Jésus crie : "Enlevez cette pierre !" Personne ne bouge. Jésus répète plus fort son ordre. Marthe : "Maître, ce n'est pas possible, il y a quatre jours qu'il est là. Il sent déjà. Que veux-tu voir ? Sa pourriture ?" Jésus : "Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Enlevez cette pierre, je le veux".

Marthe fait signe à des serviteurs d'aller chercher les outils nécessaires pour déplacer la lourde pierre. Les serviteurs reviennent et, petit à petit, ils arrivent à écarter la pierre. Jésus prie tout haut, puis il reste un moment en silence, il s'avance jusqu'au seuil du tombeau et, d'une voix puissante, il crie : "Lazare ! Viens dehors !" Et celui qui était mort avance lentement, serré dans ses bandes, semblable à une statue de plâtre à peine ébauchée. Jésus : "Débarrassez-le et laissez-le aller".

Notre foi chrétienne s'ouvre sur l'infini. Et quand elle a compris quelque chose, elle comprend plus clairement qu'elle n'est qu'au commencement. A douze ans, on fait ce qu'on appelle sa profession de foi. Et cette foi peut être très vivante et très profonde. Mais on ne peut pas s'arrêter là. On ne doit jamais s'arrêter de chercher à mieux comprendre le fin fond de la foi chrétienne. Si on s'arrête, c'est qu'on n'a encore rien compris. La révélation de Dieu répond aux questions qui seront toujours posées, ces question que nous sommes nous-mêmes.

Un physicien de notre temps, qu'on interrogeait sur sa foi chrétienne, raconte ceci : "Dans une civilisation grégaire comme la nôtre, les hommes ne valent plus rien si on les écarte de l'action commune. Or l'homme rejeté peut prier. Et lorsqu'il prie, il participe au destin du monde. Je connais des gens (nous en connaissons tous) qui vivent dans une petite pièce sur un lit de douleur, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans les hôpitaux ou chez eux. Ils se lèvent un tout petit peu dans la journée, quand ils le peuvent. J'ai encore vu, il y a quelques jours, une de ces personnes qui vit depuis plusieurs années très recluse, qui n'a pratiquement pas de contact avec le monde extérieur, en dehors d'une radio et de la télévision. Mais elle prie. La prière est pour elle fondamentale. Pour moi aussi, je crois qu'il y a une réalité dans la prière". L'homme qui raconte ça est un Français, physicien célèbre de notre temps.

Jésus pleure la mort de son ami Lazare. Ni la souffrance, ni la détresse humaine ne sont voulues par Dieu. Dieu n'assiste jamais passivement à la peine des êtres humains, il souffre avec l'innocent, il souffre avec chacun. Il y a une douleur de Dieu, il y a une souffrance du Seigneur Jésus.

"Mon Dieu, j'ai un très grand regret de vous avoir offensé..." Nous connaissons bien la formule ! Le péché n'inflige pas à Dieu une lésion qu'il faudrait compenser. Celui qui est lésé par le péché, c'est celui-là même qui le commet. En commettant le péché, le pécheur s'abîme lui-même. Saint Thomas d'Aquin ramassait tout cela en une formule : "Dieu n'est offensé par nous que dans la mesure où nous agissons contre notre propre bien". L'homme qui commet le péché ne blesse que lui-même. Dieu est le Bien de l'homme. Pécher, c'est se séparer de Dieu, c'est se faire tort à soi-même.

Terminer avec Thérèse de Lisieux : "Quand j'ai commis une faute qui me rend triste, je sais bien que cette tristesse est la conséquence de mon infidélité. Mais croyez-vous que j'en reste là ? Oh! Non ; je m'empresse de dire au Bon Dieu : Mon Dieu, je sais que ce sentiment de tristesse, je l'ai mérité ; cependant laissez-moi vous l’offrir tout de même, comme une épreuve que vous m'envoyez par amour. Je regrette ce que j'ai fait, mais je suis contente d'avoir cette souffrance à vous offrir". (Avec Bernard Sesboüé, Louis Leprince-Ringuet, Frère Roger, Rémi Brague, saint Thomas d'Aquin, Thérèse de Lisieux, AvS).

 

2 avril 2017 - 5e dimanche de carême - Année A

Évangile selon saint Jean 11,1-45

Dans cet évangile, personne ne triche avec la réalité de la mort et du deuil. Marie pleure la mort de son frère et Jésus pleure la mort de son ami. Pour l'évangéliste, la résurrection de Lazare n'est pas un miracle mais un signe. On aurait plutôt envie de dire : ce miracle est le signe qui préfigure la mort et la résurrection de Jésus et de tous ceux qui croient en lui. Lazare n'est revenu à la vie que pour un temps. Il faudra bien qu'il meure un jour pour de bon. Mais en ressuscitant son ami Lazare, Jésus nous donne un signe qu'il a un pouvoir sur la mort, que la mort n'aura pas le dernier mot, ni au terme de la maladie de son ami, ni au terme de nos pauvres vies condamnées à la dégradation inévitable. La victoire du Christ sur la mort ne signifie pas l'abolition de la mort. Le passage par la tombe demeure notre lot commun. L'évangéliste décrit le miracle de telle manière qu'il suggère ce qui adviendra lors du passage de chacun de nous par la porte étroite. A peine nos yeux se seront-ils fermés sur ce monde que nous entendrons Jésus nous crier d'une voix forte : "Viens dehors !"

Dans notre première lecture déjà, dans l'Ancien Testament, le Très-Haut s'engageait solennellement à nous arracher à la mort et à nous faire vivre de sa propre vie : "Quand j'ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai sortir, vous saurez que je suis le Seigneur, vous apprendrez à me connaître vraiment. Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez". Dieu veut nous arracher à l'esclavage de la mort et de son cortège de souffrances. Avec le psalmiste et avec Job, nous pouvons dire et redire : "J'espère le Seigneur de toute mon âme ; je l'espère et j'attends sa parole, car près de lui est l'amour... Oui, j'en suis sûr, il me tirera du sommeil de la mort, et de mes yeux de chair je verrai  Dieu mon Sauveur".

Dans la foi, Dieu donne à l'homme un monde qui n'a pas les limites de l'esprit humain. Il lui donne le monde divin. "Qui donc chez les hommes connaît les secrets de l'homme sinon l'esprit de l'homme qui est en lui. De même nul ne connaît les secrets de Dieu sinon l'Esprit de Dieu... Et nous, nous avons reçu l'Esprit qui vient de Dieu afin de connaître les dons que Dieu nous a faits" (1 Co 2,11-12). Mais l'Esprit sait aussi que les hommes peuvent se fermer à lui et s'opposer au Père.

Pourquoi les eucharisties du dimanche ? Parce que ces assemblées incarnent aujourd'hui la Parole vivante de Dieu qui continue à interpeller tous les hommes. La résurrection de Lazare manifeste quelque chose de la toute-puissance de Jésus. Mais la toute-puissance de Dieu se révèle aussi dans la toute-faiblesse. L'amour ne peut violenter. On peut toujours se fermer à l'amour. La toute-puissance de Dieu se manifeste aussi dans la toute-faiblesse : c'est le nouveau-né dans une crèche, c'est un homme torturé sur une croix. Tout cela ne correspond pas à l'image que les païens se font de Dieu, ni les Juifs, ni les musulmans. Seuls les chrétiens croient à ces choses. L'amour ne peut violenter. Ce bébé dans une crèche, cet homme sur une croix.

L'enfer, c'est l'absence de Dieu, c'est l'absence de sens : la vie n'a pas de sens. Dieu a soif de l'homme, et l'homme le fuit. Sur la croix, Jésus va se retrouver un instant comme un athée, comme un homme sans Dieu : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Et alors tout s'inverse : "Père entre tes mains, je remets mon esprit". Dieu a soif de l'homme et l'homme le fuit. Un grand croyant des siècles passés écrivait un jour : "Le blasphème des impies est peut-être plus agréable à Dieu que l'alléluia des croyants". Pourquoi ? Parce qu'il y a des chrétiens faussement religieux qui font semblant d'être près de Dieu alors qu'en réalité ils s'en éloignent.

Que se passe-t-il après la résurrection de Lazare ? A la vue du miracle, beaucoup de Juifs crurent en Jésus. Toutefois quelques-uns d'entre eux allèrent trouver les pharisiens et leur racontèrent ce qu'avait fait Jésus. Grands-prêtres et pharisiens réunirent alors un conseil : "Que faisons-nous ? Dirent-ils ; cet homme accomplit beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire, tous croiront en lui et les Romains viendront et ils détruiront notre Lieu saint et notre nation". Et c'est alors que les grands-prêtres et les pharisiens décidèrent que Jésus devait mourir : "Ils furent résolus à le tuer".

"Le succès n'est pas un nom de Dieu" (Martin Buber). Il faut situer la fine pointe du christianisme dans le fait que la fécondité chrétienne atteint son sommet dans l'échec aux yeux du monde, dans la faillite de la croix. Jésus s'abandonne à la volonté incompréhensible du Père, il obéit dans la nuit de l'esprit, il se laisse conduire là où il ne veut pas aller, il se laisse enfouir dans la terre comme un grain de blé : c'est là le principe  d'une fécondité nouvelle que le monde ne peut comprendre. (Avec Joseph-Marie Verlinde, J. Peneau, Jean-Claude Barreau, Olivier Clément, Luther, Michel Evdokimov, AvS, HUvB).

 

29 mars 2009 - 5e dimanche de carême - année B

Évangile selon saint Jean 12,20-33

Nous approchons des jours saints. Voilà que des Grecs sont arrivés à Jérusalem pour célébrer la Pâque des Juifs avec les Juifs : des Grecs sympathisant de la foi des Juifs. Et ces Grecs disent à un disciple de Jésus : "Nous voudrions voir jésus". Il faut comprendre : "Nous voudrions avoir un entretien avec Jésus". Jésus est mis au courant de ces désirs des Grecs d'avoir un entretien avec lui ; et alors l'évangéliste met dans la bouche de Jésus tout un discours qui semble n'avoir rien à faire avec les Grecs qui voulaient le voir.

L'évangile de Jean est toujours lumineux et complexe. Lui, saint Jean, il sait beaucoup de choses. Mais comment les faire comprendre à ceux qui n'ont pas encore compris? Lui, saint Jean, il a touché Jésus, il a tout vu de ce que Jésus a fait, il a entendu tout ce que Jésus a dit pendant deux ou trois ans ; mais il en sait encore beaucoup plus que ce que tout le monde a pu voir et entendre. Ce n'est pas de sa faute, pourrait-on dire : c'est un don de Dieu, un don de Jésus et de l'Esprit Saint.

"Nous voudrions voir Jésus". Alors Jésus va se montrer. Il va montrer deux choses, et il va les montrer sans les montrer. Il va les faire deviner, parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas montrer comme ça tout de suite à tout le monde. Il dit d'abord qu'il va être glorifié : il sera rempli d'honneur et de gloire. Cela, tout le monde comprend, désire et approuve : il sera glorieux, et nous avec lui, bien sûr.

Et aussitôt Jésus explique comment ça va se passer. Cela va se passer comme pour un grain de blé qu'on jette en terre pour en espérer plus tard une moisson. Et le grain de blé commence par pourrir en quelque sorte, par mourir. Sinon, s'il reste un beau grain de blé, rien ne va se passer et il n'y aura pas de moisson. Le grain de blé, c'est Jésus, bien sûr. Et Jésus est bouleversé : c'est terrible de devoir mourir, de devoir être jeté en terre et de disparaître. Il a envie de crier : "Père, délivre-moi de cette heure de ténèbres et de mort". A sa manière, l'évangéliste saint Jean résume le combat intérieur de Jésus au jardin des oliviers la veille de sa mort.

Il y a alors là dans l'évangile de saint Jean un petit épisode qu'il est seul à rapporter : "Du ciel vint une voix qui disait : J'ai glorifié mon nom et je le glorifierai encore". Qu'est-ce que ça veut dire ? Dans le Notre Père, Jésus nous a appris à prier comme ceci : "Que ton nom soit sanctifié, que ton nom soit glorifié par tous les hommes. Que tous les hommes te reconnaissent comme Dieu, le Dieu unique t véritable, Créateur du ciel et de la terre", qui a tellement aimé le monde qu'il lui a envoyé son Fils unique pour ramener tous les hommes dans l'amitié avec Dieu comme lui-même, Jésus, vit dans l'amitié de Dieu depuis toujours, et avant même la création du monde.

Le Fils de Dieu va mourir sur la croix à la place de tous les pécheurs du monde qui auraient mérité ce sort parce qu'ils ont refusé Dieu, parce qu'ils ont oublié Dieu, parce qu'ils se sont détournés de Dieu. Jésus se fait volontairement solidaire du péché de tous les hommes. Et par un grand mystère de Dieu, qu'on ne comprendra jamais, ce sacrifice de Jésus pour tous les autres doit ramener un jour tous les hommes dans l'amitié de Dieu.

Sur la croix, Jésus s'est fait solidaire de tous les pécheurs que nous sommes. Et dans la vie chrétienne, dans la foi chrétienne, quelque chose de ce mystère de la substitution continue. Tous les hommes, tous les croyants, sont solidaires les uns des autres. Et même ceux qui n'ont pas connu (beaucoup) le péché sont solidaires de tous ceux qui se sont éloignés de Dieu ou n'ont jamais voulu le reconnaître comme Dieu. Et ces chrétiens, solidaires du péché de tous, participent d'une certaine manière à la croix de Jésus pour le salut de tous.

Au IIe siècle de notre ère, les intellectuels païens, grecs et romains, étaient pour la plupart imperméables à l'évangile. Ils avaient du mal à accepter que Dieu se modifie et se transforme. Ils se scandalisaient de l'existence obscure que les évangélistes attribuaient au Fils de Dieu : la pauvreté de ses parents, son enfance modeste, ses humbles compagnons, ces odeurs de poussière, de charpente, de poisson, et enfin la prison et la mort. Aux yeux de ces intellectuels, un dieu ne pouvait pas finir de façon ignoble ; en un mot, tout cela leur semblait peu convenable. "Folie pour les païens", écrit saint Paul.

Et au pied de la croix, il y avait la Mère de Jésus. Le plus terrible pour une mère, c'est de voir son fils mourir. Marie souffre à présent les douleurs de tous les enfantements de tous les hommes à la grâce. Voilà comment Marie est la mère de la vie : en consentant à la croix de son enfant.

Les grecs disaient : "Nous voudrions voir Jésus". Et Jésus leur parle du grain de blé. Et la moisson viendra et la gloire. "Dieu veut me faire participer à sa béatitude éternelle". Mais si l'homme refuse Dieu, le bon pasteur, se trouve dans une impasse, car les brebis sont toujours libres de le suivre ou non. Et toute existence chrétienne suit quelque chose du parcours de Jésus. On peut le dire avec saint Paul, qui avait compris beaucoup de choses des mystères de Dieu : l'existence chrétienne n'est digne de foi que si nous sommes comme des gens qui vont mourir et nous voilà vivants, comme des gens qui n'ont rien nous qui possédons tout, comme des pauvres nous qui faisons tant de riches. (Avec Jean-Claude Barreau, Fabrice Hadjadj, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

25 mars 2012 - 5e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 12,20-33

Des Grecs veulent voir Jésus. Des Grecs, c'est-à-dire des non-Juifs, mais qui admirent la religion d'Israël et qui, au temps de Pâques, viennent à Jérusalem comme tous les Juifs pour célébrer la fête. Et ces Grecs voudraient voir Jésus dont ils ont entendu parler en bien. Et que fait Jésus ? Il n'accomplit pas de miracle sous leurs yeux, au contraire. Il parle du grain de blé qu'on met en terre, d'un grain de blé qui va disparaître en terre, qui va mourir. Et c'est justement en mourant qu'il va produire un épi avec beaucoup de grains de blé. Des Grecs, des étrangers, veulent voir Jésus. Jésus leur parle à mots couverts de sa mort, comme un grain de blé en terre, et de sa résurrection, comme un épi bien rempli de grains.

Après cela, dans notre évangile d'aujourd'hui, il y a une scène qui ressemble fort à la prière désolée de Jésus à Gethsémani : il crie devant Dieu son angoisse devant les souffrances et la mort qui approchent. Et puis il s'en remet au Père : Que ta volonté soit faite. Il faut que Jésus soit élevé de terre sur la croix pour attirer à lui tous les hommes. Sur la croix, il y a des souffrances physiques inimaginables. Mais il y a aussi une souffrance intérieure inimaginable.

Les enfants jouent tranquillement quand ils savent que leur mère est dans la pièce à côté. Jésus, en tant que Dieu, a toujours su que le Père était là, comme tout près, on pouvait à tout instant lever les yeux vers lui. Sur la croix, Jésus ne sait plus que le Père est là ; le Père est voilé. Et maintenant Jésus doit lutter en lui-même contre la possibilité divine qu'il a d'aller au-delà et de s'assurer. Et cette possibilité, il la maîtrise si bien qu'il n'y a plus là que l'homme crucifié. Sur la croix, Jésus fait l'expérience de ce que c'est que d'être sans Dieu, de ce que c'est que d'avoir refusé Dieu. Et il fait cette expérience pour obtenir de Dieu le retournement et la conversion de tous ceux qui rejettent Dieu. Dans le don de lui-même sur la croix, Jésus dépose pour ainsi dire tout le péché du monde dans l'amour de Dieu et le fait fondre en lui. Et puis au-delà de la mort, Jésus sera élevé dans la gloire de Dieu par sa résurrection d'entre les morts.

Il y a des gens qui, par testament, veulent se faire incinérer en s'imaginant que, réduits en cendres, ils échapperont à Dieu. Je rencontre de temps en temps des couples pour préparer le baptême de leur enfant; on prépare la célébration du baptême, on parle aussi de tout et de rien, on parle aussi de la foi qui les amène à l’Église avec leur enfant ; à un certain moment, je pose la question : Est-ce que vous croyez qu'il y a une vie après la mort ? Plus d'une fois la réponse a été négative, et pour le papa et pour la maman : Non, il n'y a pas de vie après la mort.

Que signifie transmettre la vie à un être si en même temps je ne suis pas assuré d'un sens positif au fait de vivre ? Puis-je honnêtement assumer la paternité ou la maternité si je suis convaincu que vivre n'a aucun sens au-delà de la vie présente, qu'être né est un malheur, qu'il vaudrait mieux ne pas être né ? Le fait de donner la vie m'impose de me rendre capable de donner un sens, d'offrir par mes paroles, par mon attitude, une vision positive possible de l'existence. C'est dans la famille d'abord qu'on peut découvrir la foi.

Comment faire pour aimer Dieu ? Il faut aussi aimer Dieu avec toute son intelligence. Sinon ça ne va pas. La foi chrétienne est travaillée par la conviction que l’Évangile a quelque chose d'essentiel à apporter à toute l'humanité, que l'on soit croyant ou non aujourd'hui.

Nous devons connaître l'amour du Christ - l'amour que le Christ a pour nous - l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu (Ep 3,19)... Impossible de concevoir quelque chose qui aurait plus de poids, qui serait plus enrichissant et comblerait davantage les hommes. (Avec Jean Renard, Benoît XVI, Guy Coq, Joseph-Marie Verlinde, AvS, HUvB).

 

22 mars 2015 - 5e dimanche de carême - Année B

Évangile selon saint Jean 12,20-33

"Nous voudrions voir Jésus" : c'est une bonne prière, que nous pouvons faire nôtre. Et que répond Jésus aux hommes qui voulaient le voir ? Il leur raconte la parabole du grain de blé. Pour Jésus, cette parabole résume toute sa vie, elle explique le sens de son existence. La mort du grain de blé est connue de tous. Et pourtant personne ne souhaite expérimenter ce que doit subir la petite graine pour porter du fruit. Ce que personne ne souhaite pour lui-même, Jésus, lui, va le faire. C'est pour cela qu'il est venu : pour mourir et porter du fruit. Il doit goûter  cette solitude dans la mort.

Il sait aussi que le Père qui l'écoute souffre avec lui de l'effroi qu'il ressent. La moisson que Dieu va récolter par la mort de son Fils s'étend à l'infini : c'est une moisson qui sera composée de fils à l'infini. Jésus parle de sa mort, mais il décrit en même temps la vie de tout chrétien, de tout homme, qui doit tomber en terre pour porter du fruit. Il doit mourir à lui-même pour être capable de vivre pour le Seigneur Jésus et pour Dieu. Il doit mourir pour être capable de voir le Seigneur Jésus. Pour nous chrétiens, le Seigneur Jésus est la plénitude de la manifestation de Dieu. Et il faudra bien, un jour ou l'autre, que les hommes du monde entier le découvrent.

L’Église, depuis sa naissance, met au centre de sa spiritualité la crucifixion du Christ, ses plaies et ses douleurs. Un auteur juif de nos jours nous rappelle, ou nous informe, qu'à l'époque du Christ six cents mille Hébreux ont été crucifiés par les Romains en Judée et en Galilée. Ce chiffre est avancé par l'historien romain Tacite au IIe siècle après le Christ. Mais les sources juives de l'histoire donnent des totaux plus importants encore.

Pour notre foi chrétienne depuis toujours, la mort du Christ et sa résurrection ouvrent tous les temps à l'éternité du Dieu vivant, ouvre tous les  temps et toutes les existences à l'éternité du Dieu vivant... "Nous voudrions voir Jésus"... Nous voudrions voir le Dieu vivant. L'espérance n'habite le cœur de l'homme que lorsqu'il fait l'expérience de Dieu. La science est incapable de nous dire toute la vérité sur la vie.  Mais la religion a besoin de la science, la religion a besoin de la raison, sinon elle s'atrophierait. Sans la raison, la foi demeure aveugle.

"Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul. S'il meurt, il porte beaucoup de fruit". "Quel respect pourrait-on avoir pour un Être suprême ayant considéré comme nécessaire d'inclure dans son 'système divin', dans son plan, la carie, le cancer et la folie ?" C'est un historien italien de notre temps qui pose la question. Mais ce n'est pas fini : "Que lui passait-il par l'esprit quand il choisit de faire naître des déficients sensoriels ou mentaux ? La création est vraiment le péché mortel accompli par un tel créateur. Et s'il existait, chantaient les Communards parisiens,  il faudrait le fusiller. Ça ne se passera pas comme ça avec le vieux à barbe blanche qui a décidé de les faire pleurer, les petits enfants".

Claudel, lui, disait : "Devant le mal, Jésus ne fournit pas une explication... Il ne détruit pas la mort. Il s'étend dessus". Qu'est-ce que la Bible ? C'est un livre qui raconte l'histoire de Dieu avec son peuple et qui raconte en particulier la façon dont cette histoire a culminé en Jésus-Christ qui est le Verbe fait chair.

Et nous vivons aujourd'hui dans un monde où beaucoup font tous leurs efforts pour chasser Dieu de l'esprit et du cœur des humains. Et quand on aura bien extirpé le sens de l'éternel du cœur des hommes, il faudra bien fournir de nombreuses compensations pour que l'homme se console du trésor perdu, ou plutôt arraché, et afin que, peu à peu, il l'oublie. C'est ici que la civilisation du loisir, l'omniprésence des manifestations sportives, la multiplication des chaînes de télévision, l'invasion publicitaire entrent en jeu pour distraire l'individu, c'est-à-dire pour le détourner de cet essentiel dont il ressent parfois une vague nostalgie.

De son temps déjà, saint Paul était bien conscient que c'était un scandale pour les bien-pensants de présenter comme Sauveur du monde un homme crucifié, un Messie crucifié. Le paradoxe absolu de la vision chrétienne des choses, c'est que, dans l'horreur du trépas, sous le poids écrasant du péché du monde et de la déréliction divine s'accomplit le rachat de l'absurdité de la souffrance. Le grain de blé qui meurt, le Seigneur Jésus qui assume le péché du monde, révèle finalement l'amour que le Père porte au monde. (Avec André Chouraqui, Olivier Clément, Jean-Paul II, Abraham Heschel, Messori, Paul Claudel, Rémi Brague, Jacqueline Kelen, AvS, HUvB).

 

21 mars 2010 - 5e dimanche de carême - Année C

Evangile selon saint Jean 8, 1-11

Cette scène de la rencontre de Jésus avec la femme adultère est l'une des plus belles de l'évangile, évidemment, tout le monde le sent bien. Les adversaires de Jésus viennent lui tendre un piège. Quel piège ? Est-ce que Jésus va oser contredire la loi de Moïse qui prescrit de lapider les femmes adultères ? Est-ce que Jésus va faire lapider là, sous ses yeux, cette femme adultère ?

Dans un premier temps Jésus ne dit rien. Il trace des traits sur le sol. On ne sait pas ce que cela veut dire. Les adversaires de Jésus le poussent alors à dire quelque chose, à prendre position. Dans tous les cas, Jésus aura tort. Et la réponse de Jésus est toute simple. Elle échappe au piège qui est tendu. Et ce sont ses interlocuteurs qui sont pris au piège. "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre". Parmi les interlocuteurs de Jésus, personne n'a osé. Et ils se sont tous éclipsés, sans dire un mot, en commençant par les plus vieux.

Et quand ils sont tous partis, Jésus échange deux mots avec la femme qui est toujours là. - Personne ne t'a condamnée ? - Personne, Seigneur. - Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus. "Va et désormais ne pèche plus". Qu'est-ce que ça veut dire ? Il est toujours possible de tourner la page. Il est toujours possible de commencer une nouvelle vie. C'est le pardon de Dieu. Le dernier mot de Dieu n'est pas la force mais la bonté.

Les croyants ont tendance à se juger les uns les autres. Ils ne sont pas infaillibles. Jésus nous dit de ne pas donner trop d'importance à notre jugement. Il y a auprès de nous un ange qui est là comme un envoyé de Dieu et qui nous exhorte à lever les yeux vers Dieu, à penser à lui. "Personne ne t'a condamnée ? Moi non plus je ne te condamne pas". L'amour de Dieu pour l'homme est infiniment discret.

Est-ce que Jésus a prié ce jour-là pour ses interlocuteurs qui étaient venus lui tendre un piège ? Sans doute. Mais l'évangile n'a pas besoin de le dire. Et comment Jésus a-t-il prié pour ses interlocuteurs ? Il a dû prier comme le faisait une petite Anglaise de nos jours qui priait comme ceci : "Dieu, fais que tous les méchants soient bons, et tous les bons, sympas".

Les interlocuteurs de Jésus ce jour-là représentaient la Loi, ils représentaient le pouvoir. L'un de nos contemporains, qui était un peu philosophe et en même temps croyant, disait : "Même quand le pouvoir est entre les mains les plus saintes, le diable y collabore toujours". Ce n'est pas une parole d'évangile. Mais il est évident que le détenteur d'un pouvoir a ses propres tentations. Jésus n'a pas tenu un long discours de morale, ni pour ses interlocuteurs, ni pour la femme qui était là. Comme souvent, comme toujours, il dit quelques mots qui donnent à réfléchir. Mais on peut penser que les interlocuteurs de Jésus comme la femme qui était là se sont sentis compris par Jésus.

Madeleine Delbrel écrivait à l'intention de ses équipes de femmes qui travaillaient dans le social : "Nous ne serions pas des femmes si, à certains jours, nous ne souffrions amèrement de n'être pas comprises, soit par telle d'entre nous, qui sait même par toutes. Or, en chacun, il y a quelque chose qui ne se sera jamais compris par personne. C'est le lieu où Dieu nous parle en nous appelant par notre nom". On ne connaît pas le nom de la femme adultère, mais elle a su qu'elle était comprise. "La conscience est le centre le plus intime et le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre". Ce jour-là, les interlocuteurs de Jésus et la femme adultère ont entendu la voix de Dieu dans leur sanctuaire intérieur.

En pensant à la Passion qui approche : tous les humains sont soumis aux pesanteurs terrestres et à la mort. Jésus est venu pour porter le fardeau et la misère de tous. C'est pourquoi il représente tous les hommes devant Dieu. Et désormais chaque être humain est vu par le Père invisible à travers l'engagement du Fils pour cet homme. Nous avons tous un destin commun avec les interlocuteurs de Jésus ce jour-là et avec la femme adultère. (Avec Sa Béatitude Ignace IV, Timothy Radcliffe, Gustave Thibon, Madeleine Delbrel, Vatican II, AvS, HUvB).

 

17 mars 2013 - 5e dimanche de carême – Année C

Évangile selon saint Jean 8,1-11

Je suppose que, pour beaucoup, cet évangile que je viens de lire est l'une des plus belles pages de toute la Bible. Comme souvent, cette page d'évangile est le résumé d'un récit qui était beaucoup plus long à l'origine. Nous sommes dans l'une des cours du temple. Une journée d'hiver. Des scribes et des pharisiens arrivent avec une femme d'une trentaine d'années. Ils la jettent aux pieds de Jésus. Cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Son mari l'aimait bien, elle ne manquait de rien, elle était la reine de sa maison. Et elle a trahi son mari parce que c'est une pécheresse, une vicieuse, une ingrate. Elle doit être lapidée. Moïse l'a dit. Dans sa loi, il commande que de telles femmes soient lapidées. Elles sont corrompues. Elles doivent être condamnées à mort. Moïse l'a dit. Et toi, Maître, qu'en dis-tu ?

Jésus avait interrompu son discours à l'arrivée des pharisiens. Il se tait. Il se penche tout en restant assis et, avec un doigt, il se met à écrire sur le sol. Les pharisiens parlent, et lui, il écrit. "Maître, nous te parlons, écoute-nous, réponds-nous. Tu n'as pas compris ? Cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère". Et Jésus se tait. "Maître, pour ton bon renom, parle. Que ta sagesse réponde à nos questions. Cette femme ne manquait de rien et elle a trahi". Et Jésus écrit. "Elle a menti à l'homme qui avait sa confiance. Pendant que son homme était absent, elle s'est vautrée dans la luxure. C'est une sacrilège, une blasphématrice". Et Jésus écrit.

Ce qu'il écrit, ce ne sont pas des mots pour rire. Il a écrit : usurier, fornicateur, assassin, voleur, luxurieux, mari et père indigne, rebelle à Dieu, adultère. Les accusateurs sont toujours là. "Maître, ton jugement ! Cette femme doit être jugée. Son souffle est un venin qui trouble les cœurs". Jésus se lève de toute sa haute taille. Il plante ses yeux dans la foule. Il fixe des yeux chacun des hommes qui sont là, avec intensité. Finalement il dit : "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre". Sa voix est un tonnerre. Jésus s'est croisé les bras et il reste là, debout comme un juge qui attend. Son regard continue à fouiller : il fouille, pénètre, accuse.

Puis il y en a un qui s'en va, puis deux, puis cinq, puis en groupes, tête basse. Pas seulement les accusateurs de la femme, mais aussi ceux qui écoutaient le discours de Jésus avant l'arrivée des pharisiens. Jésus reste seul avec Pierre et Jean. Jésus s'est remis à écrire pendant que les accusateurs s'éclipsaient. Il se lève, fait signe aux deux apôtres de se diriger vers la sortie. Jésus reste seul avec la femme, il l'appelle : "Écoute-moi, regarde-moi". Elle n'ose pas lever son visage, alors il répète : "Femme, nous sommes seuls, regarde-moi". Elle lève son visage. les yeux de Jésus sont pleins d'indulgence. "Personne ne t'a condamnée ?" La femme, entre deux sanglots : "Personne, Maître". Jésus : "Moi non plus, je ne vais pas te condamner. Va et ne pèche plus. Va chez toi et sache te faire pardonner, par Dieu et par l'offensé. N'abuse pas de la bonté de Dieu. Va".

Le Seigneur Jésus, le Fils de Dieu, veut rendre accessible aux hommes l'amour du Père. C'est le Père qui a permis et voulu l'incarnation, la venue en ce monde du Seigneur Jésus. Le Seigneur Jésus est venu dans ce monde pour une nouvelle révélation de l'amour. La Trinité est ouverte et expliquée pour nous. Et cette nouvelle révélation de l'amour est au service de notre intégration dans l'amour.

La raison d'être d'une communauté chrétienne est d'exprimer des relations humaines de bienveillance et de bonté. Jésus n'a rien cassé, sauf le jour où il s'est mis en colère contre les vendeurs du temple. Jésus n'a rien cassé, mais il est venu quand même pour briser une certaine caricature de Dieu, la caricature d'un Dieu conçu comme le maître de l'esclave ou comme un père tyrannique.

Dans le credo, le premier article est que nous croyons en Dieu le Père tout-puissant. Mais si nous ne confessons Dieu que comme le Père tout-puissant, nous ne le connaissons qu'à moitié. Il est la Toute-puissance qui, en même temps, se laisse envelopper des langes de l'impuissance... Il a pour ainsi dire la puissance incompréhensible de se rendre faible lui-même.

Dans notre évangile d'aujourd'hui, Jésus était seul et désarmé en face d'une meute d'adversaires. Et il les a mis en fuite par sa parole. Mais ceux qui se sont enfuis se sont bien juré de revenir un jour à ce Jésus et d'avoir le dernier mot. La honte qu'il leur a infligée est insupportable. On va le lui faire payer.

On n'a plus de nouvelles de la femme que Jésus a renvoyée chez elle dans la paix de Dieu. Mais elle a compris ceci : "Si un amour m'est accordé, je ne peux le comprendre que comme un miracle". (Avec Frère John, Georges Cottier, Newman, AvS, HUvB).
 

13 mars 2016 - 5e dimanche de carême - Année C

Évangile selon saint Jean 8,1-11

Cette rencontre de Jésus avec la femme adultère, c'est l'une des perles des évangiles évidemment. Jésus ne dit pas grand-chose, deux mots seulement : un mot pour les pharisiens, un mot pour la femme qui est accusée. Jésus ne dit que deux mots aujourd'hui, et en même temps c'est une révélation énorme sur le visage de Dieu.

Jésus nous dit la juste attitude de l'homme devant Dieu : il ne faut pas faire le malin. Celui qui se croit sans péché n'a rien à faire dans la maison de Dieu. On n'entre pas chez Dieu la tête haute. La femme qui est justement accusée arrive la tête basse et toute tremblante. Jésus lui dit deux mots : elle peut retourner chez elle le cœur en paix et réconciliée avec Dieu.

Saint Paul dit quelque part que la sagesse de ce monde est folie devant Dieu (1 Co 3,19). Le cœur de la sagesse de Dieu et du Seigneur Jésus, c'est l'amour. Les scribes et les pharisiens de notre évangile représentent la sagesse du monde. Ils ont tissé autour d'eux un filet de camouflage, ils sont astucieux. Mais la ruse de Dieu est plus grande que la leur. Au début, ils ne savent peut-être pas qu'ils sont pris. Dieu a toute l'éternité devant lui. Quand vont-ils prendre conscience qu'ils sont prisonniers ? Un jour Dieu peut déchirer leur filet pour les combler de la vraie sagesse.

C'est quoi l'amour ? Être aimé, c'est avoir le sentiment d'exister pour quelqu'un, mais aussi grâce à quelqu'un. C'est ce qui est arrivé à la femme condamnée ce jour-là. Elle a eu le sentiment d'exister pour quelqu'un, le sentiment d'entrer dans la grâce de Dieu. Jésus dit deux mots aux accusateurs de la femme, et ils s'en vont la tête basse.

Un auteur latin païen disait au IIe siècle : "Que toutes tes pensées soient telles que si on te demandait à tout instant ce que tu penses, tu puisses toujours l'avouer sans honte". C'était un auteur païen, mais il ne devait pas être loin de Dieu. Est-ce que les hommes d'aujourd'hui, dont beaucoup semblent loin de Dieu, peuvent trouver dans l’Église une lumière quelconque et un salut ? Un théologien de notre temps disait à ce sujet : "L'homme d'aujourd'hui ne consentira à s'en remettre à l’Église que si celle-ci fait elle-même l'inventaire de ses abîmes à elle : ceux de la grâce reçue de Dieu et ceux de la faiblesse héritée de l'humanité pécheresse dont elle est faite".

Les scribes et les pharisiens qui accusent la femme qu'ils présentent à Jésus sont riches de leur religion. Mais il est difficile d'être riche et de garder un cœur de pauvre. C'est quoi l'humilité alors ? C'est rechercher en soi toute trace d'une volonté de puissance et de domination, et même toute forme de recherche de soi aux dépens d'autrui. C'est le cardinal Newman qui exprimait ces pensées et il concluait qu'il y avait un combat continuel à mener contre des tendances.

Dans un film américain de 1998, l'auteur donne la parole au diable. Et que dit le diable ? "La vanité est décidément mon péché préféré". Qu'on soit croyant ou non, la vanité et l'orgueil touchent tout le monde. Les hommes de science aussi ont leurs tentations. Les hommes de science qui scrutent les mystères de l'univers (l'infiniment petit et l'infiniment grand) sont parfois (ou souvent) tentés de sortir de leur domaine de compétence et de risquer une parole de philosophe ou de théologien ou d'agnostique ou d'athée. Mais ici Einstein lui-même les met en garde, il disait : "Un homme de science est souvent un pauvre philosophe".

Dans  notre évangile, il y a des hommes qui arrivent la tête haute et sûrs de leurs vertus, et ils repartent la tête basse. La femme était arrivée la tête basse, toute confuse et tremblante de peur, et Jésus lui donne sa paix. Le carême est un temps où l'on devrait apprendre un peu plus le renoncement. Le renoncement est supposé pour entendre correctement ce que Dieu veut nous dire, comme le renoncement est requis dans le simple amour du prochain. La femme accusée, Jésus l'invite à ne plus pécher, à renoncer à son péché. Les scribes et les pharisiens bien pensants, qui s'en vont la tête basse, ont-ils compris leur douleur ? Ou bien décident-ils une fois pour toutes d'en finir avec Jésus après avoir reçu une telle humiliation ? Et ils disent peut-être déjà : "Rira bien qui rira le dernier. On aura ta peau". (Avec Michel Deneken, Marc-Aurèle, Marie-Joseph Le Guillou, Jean-Claude Guillebaud, Newman, AvS, HUvB).

 

17 avril 2011 - Dimanche des rameaux - Année A

Évangile selon saint Matthieu 26,14-27,66

On vient de lire à quatre voix la lecture brève de la Passion de Jésus, la lecture brève qui commence par la comparution de Jésus devant Pilate, le gouverneur romain. Je vous dis un mot de tout ce qui précède dans la lecture intégrale de la Passion.

Tout commence par la trahison de Judas. Judas qui va trouver les grands-prêtres et qui leur dit : "Que voulez-vous me donner ? Et moi vous montrerai où on peut trouver Jésus la nuit". Puis c'est le dernier repas de Jésus avec ses disciples. Pendant ce repas, Jésus annonce à ses disciples que l'un d'entre eux va le trahir. Il ne leur dit pas qui c'est. Au cours de ce repas, Jésus institue l'eucharistie. Mais sur le moment, les disciples ne le savent pas. En bénissant le pain, Jésus dit : "Ceci est mon corps, prenez et mangez". Et en bénissant la coupe de vin, Jésus dit : "Buvez-en tous, ceci est mon sang qui va être répandu pour la multitude en rémission des péchés".

Puis saint Pierre promet à Jésus que jamais il ne va le renier, même si tous les autres l'abandonnaient. Et Jésus lui prédit que cette nuit même, avant le chant du coq, Pierre va proclamer, solennellement, qu'il ne connaît pas Jésus. Jésus et ses disciples vont passer la nuit à Gethsémani. Et là Jésus est accablé d'angoisse et de tristesse. Il prie le Père de lui épargner la Passion. Mais il ajoute : "Cependant pas comme je veux, mais comme tu veux". Pendant que Jésus est en prière, dans l'angoisse, ses disciples ont sombré dans le sommeil.

Judas arrive alors avec toute une troupe d'homme en armes. Judas avait donné à ces hommes ce signe : "Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le". Pour les disciples, c'est la débandade. On emmène Jésus chez le grand-prêtre. Tout le sanhédrin est réuni. A un certain moment, le grand-prêtre dit à Jésus : "Je t'adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu". Jésus répond : "Tu l'as dit". Pour tous les Juifs qui sont là, c'est le blasphème. Il mérite la mort.

Pendant ce temps, Pierre était dehors dans la cour. Et il se fait asticoter par une servante, puis par une deuxième servante, puis par tous ceux qui sont là. On le soupçonne d'être un partisan de Jésus. Alors Pierre se met à jurer : "Je ne connais pas cet homme". Et aussitôt un coq se met à chanter. Le matin arrive et on livre Jésus à Pilate, le gouverneur romain, qui seul avait le droit de mettre quelqu'un à mort. C'est le passage qu'on vient de lire à quatre voix.

Après le texte qui a été lu, le texte intégral de la Passion décrit l'ensevelissement de Jésus par Joseph d'Arimathie et quelques femmes. Et enfin, par mesure de précaution, les Juifs mettent une garde à l'entrée du tombeau : il ne faudrait pas que les partisans de Jésus viennent enlever son corps et prétendre ensuite que Jésus est ressuscité.

Il y a trois choses dans la vie : un temps pour l'action (le travail, la vie active), un temps pour la prière et un temps pour se laisser faire (quelque chose qui est hors de portée de notre action parce que nous n'avons pas prise sur les événements). La Passion de Jésus et sa mort, c'est le troisième temps : le temps de se laisser faire. Dans sa Passion et dans sa mort, le Seigneur Jésus a pris sur lui tous les péchés du monde comme s'ils étaient les siens, il a donc pris aussi les nôtres. Jésus est mort pour nous comme dit saint Paul.

La mort de Jésus provient de l'humilité de Dieu. Dieu lui-même descend vers l'homme pour l'attirer à nouveau vers lui. La mort de Jésus, c'est l’œuvre d'un amour. Il est mort pour nous. La mort de Jésus n'est pas un hasard. Jésus est mort pour nos péchés, selon les Écritures. C'est saint Paul encore qui écrit cela. La mort de Jésus entre dans la logique de l'Ancien Testament, dans la logique de l'histoire de Dieu avec son peuple, avec l'humanité. Toutes les paroles de l'Ancien Testament s'accomplissent dans la Passion et la mort de Jésus. La mort de Jésus n'est pas un hasard. Mais pourtant personne ne s'était attendu à une fin du Messie sur une croix.

La croix ne se comprend bien qu'à la lumière du matin de Pâques qui en révèle tout le sens, la croix ne se comprend bien qu'à la lumière de la Pentecôte quand la vie du Ressuscité est intériorisée par le croyant, quand le croyant reçoit ainsi accès à la connaissance du mystère de la croix.

La mort de Jésus est une contrainte. Notre mort est une contrainte, mais c'est aussi un événement spirituel. Dans sa mort, Jésus rend sa vie à son donateur. Jésus nous invite à faire comme lui, à faire de notre mort, un jour, une offrande parfaite entre les mains du Père. (Avec Benoît XVI, Marius Reiser, Joseph-Marie Verlinde, AvS, HuvB).

 

13 avril 2014 - Dimanche des rameaux - Année A

Évangile selon saint Matthieu 26,14-27,66

Nous venons de lire à quatre voix la lecture brève du récit de la Passion selon saint Matthieu. Le récit intégral de la Passion commence par la dernière Cène, le denier repas de Jésus avec les siens et l'institution de l'eucharistie. Mais sur le coup, les apôtres n'avaient aucune idée de l'eucharistie.

Après la dernière Cène, Jésus se rend au mont des oliviers avec ses disciples pour y passer la nuit. A un certain endroit, Jésus fait arrêter le groupe des disciples et il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean pour aller un peu plus loin. A un certain moment, Jésus dit aux trois : "Arrêtez-vous ici, attendez-moi pendant que je prie. Mais ne dormez pas. Je pourrais avoir besoin de vous. Et je vous le demande par charité : priez. Votre Maître est très accablé". Pierre, qui est toujours plein d'assurance, dit à Jésus : "Sois tranquille, Maître. Nous veillerons et nous prierons. Tu n'as qu'à nous appeler et nous viendrons".

Jésus alors les quitte. Les trois disciples ramassent des feuilles et des branches pour faire un feu qui pourra les tenir éveillés. Jésus donc s'éloigne un peu et il se met à prier près d'un rocher, tantôt à genoux, tantôt les bras en croix. Puis il revient vers les trois disciples : "Vous dormez ? Vous n'avez pas pu veiller une seule heure ? Et moi, j'ai tant besoin de votre réconfort et de vos prières !" Les trois sursautent, ils murmurent une excuse : "C'est le vin, c'est la nourriture ! Mais maintenant ça se passe. Nous allons parler entre nous et ça nous empêchera de dormir. Nous allons prier à haute voix". Jésus : "Oui, priez et veillez. Pour vous aussi, vous en avez besoin".

Et Jésus s'en retourne à son rocher. Il est rempli d'angoisse et il prie. A un certain moment, il crie le nom de Pierre et de Jean. Il se dit qu'ils vont venir et ils ne viennent pas. Il les appelle encore. Rien ! Et il va retrouver Pierre et les deux frères, Jacques et Jean. Ils sont encore plus endormis que la première fois. "Pierre, je vous ai appelés trois fois. Que faites-vous ? Vous dormez encore ? Mais vous ne sentez pas à quel point je souffre ? Priez..." Les trois se réveillent comme ils peuvent et ils s’excusent comme ils peuvent. Pierre : "Ce doit être le vin. Il était fort. Et aussi ce froid. On s'est couvert pour ne pas le sentir. On n'a plus eu froid et le sommeil est venu. Tu dis que tu nous as appelés. Pourtant il me semblait que je ne dormais pas". Jésus : "Mon âme est triste à en mourir". Et il s'en retourne là où il a déjà prié.

"Il est trop amer ce calice. Je ne peux pas, c'est au-dessus de mes forces. Éloigne-le, Père, pitié pour moi. Qu'ai-je fait pour le mériter ? Cependant, Père, n'écoute pas ma voix si elle te demande ce qui est contraire à ta volonté. Que ta volonté soit faite, non la mienne". Et puis : "Va-t-en, Satan, j'appartiens à Dieu". Et Jésus continue à prier, puis il retourne retrouver ses trois disciples : cette fois-ci, ils dorment profondément, carrément allongés près du feu éteint. Jésus doit les secouer pour les faire sortir du sommeil. "Levez-vous. Celui qui me trahit est proche". Les trois remettent leurs manteaux et apparaît alors la troupe de sbires avec Judas à leur tête.

La plus grande douleur qu'on puisse infliger au Père, c'est de tuer son Fils. Dès l'instant où le Fils est dans le monde, son chemin est un chemin de retour vers le Père. Ce chemin est rectiligne même quand il passe par la par la prière angoissée au mont des oliviers et la Passion. Le chemin est rectiligne même quand il se sentira abandonné par le Père, quand il aura l'impression que le Père n'est plus là, quand la nuit pour lui sera totale. "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Jésus porte ici sur lui au maximum le péché de tous ceux qui se sont détournés de Dieu, le péché de tous ceux qui vivent comme si Dieu n'existait pas. Ce n'est pas la souffrance de Jésus qui nous sauve, c'est l'amour avec lequel il a vécu cette souffrance. Il n'est qu'une souffrance, c'est d'être seul. Et sur la croix, pour Jésus, le Père a disparu.

Un évêque de notre temps, qui vit toujours mais qui n'est plus en fonction, raconte ceci : A l'âge de sept ans, il a perdu son père. Il y a une expérience qu'il a faite avec son père dont il se souviendra toujours. Quand il avait fait une bêtise, son père le punissait en ne lui parlant plus. Alors le petit garçon le suppliait de lui dire quelque chose. Jésus supplie son Père de lui dire sa présence. Et le Père ne répond pas. Dieu permet toujours un mal pour un plus grand bien. Sainte Thérèse d'Avila disait : "Tout est grâce!"

Jésus devant la mort ! On pose la question à un philosophe de notre temps, un philosophe très croyant : "Avez-vous peur de mourir ?" Que dit le philosophe devant une telle question ? "Ma première réponse serait que Jésus n'a pas tellement apprécié de mourir. Cela ne lui a pas plu du tout. Et je ne vois pas pourquoi cela me plairait davantage !" Et un autre philosophe croyant, qui est mort depuis un certain temps déjà, écrivait dans son journal intime : "Ne pas faire à Dieu l'injure de trembler d'effroi à la pensée d'entrer un jour dans la maison du Père".

Dans sa Passion, le Seigneur Jésus a véritablement renoncé, pour de bon, à la consolation du royaume lumineux de la foi, de l'espérance de la charité. Il ne voit plus non plus la lumière et la consolation qui peuvent exister pour les autres. Ce n'est pas parce que le Seigneur Jésus était infidèle que l’image de Dieu s'est obscurcie pour lui. Au cours des âges, des saints et des saintes ont connu ce genre de nuit. Cet obscurcissement chez eux de l'image de Dieu était pour Dieu une manière de les honorer de ses mystères les plus précieux. (Avec Cardinal Congar, Marie-Claude Germain, Rémi Brague, Maurice Blondel, AvS, HuvB).

 

9 avril 2017 - Dimanche des rameaux - Année A

Évangile selon saint Matthieu 26,14-27,66

Nous venons de lire à quatre voix la lecture brève de la Passion selon saint Matthieu. Je reprends d'abord quelque éléments de la lecture intégrale. Au premier plan, il y a d'abord Judas. L'un des douze apôtres de Jésus, nommé Judas l'Iscariote, alla trouver les chefs des prêtres et leur dit : "Que voulez-vous me donner si je vous le livre ?" Ils lui proposèrent trente pièces d'argent. Dès lors Judas cherchait une occasion favorable pour livrer Jésus. Et puis c'est la dernière Cène, le dernier repas de Jésus avec les siens, mais personne ne sait que c'est le dernier repas, sauf Jésus. Et dès que tout le monde est à table, Jésus déclare : "Je vous le dis : L'un de vous va me livrer". Les apôtres sont très attristés et ils se mettent à lui demander l'un après l'autre : "Serait-ce moi, Seigneur ?" Puis Jésus institue ce qui sera plus tard l'eucharistie : pendant le repas Jésus prit du pain... Puis une coupe de vin... Prenez et mangez, ceci est mon corps... Prenez et buvez, ceci est mon sang. Puis Jésus va passer la nuit à Gethsémani avec ses apôtres. Et durant cette nuit, Judas arrive avec une foule d'homme en armes. Judas avait donné un signe aux hommes en armes : "Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le". Et Judas s'approche de Jésus, il lui dit : "Salut, Rabbi", et il l'embrasse. Jésus lui dit : "Fais ta besogne". On emmène Jésus devant le grand-prêtre Caïphe. Tous les chefs des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire condamner à mort. Judas, en voyant cela, est tout d'un coup pris de remords. Il rapporte les trente pièces d'argent aux chefs des prêtres et aux anciens en disant : "J'ai péché en livrant à la mort un innocent". Les chefs répondent à Judas : "C'est ton problème, pas le nôtre". Alors Judas jeta les pièces d'argent dans le temple et il alla se pendre. Judas n'aurait pas dû se supprimer. Mais il y a au moins ceci de positif chez lui, c'est qu'il a regretté d'avoir trahi Jésus, et un pardon aurait pu lui être offert à lui aussi tout comme à Pierre après son reniement.

Et on arrive alors à la lecture qu'on vient de faire à quatre voix : Jésus comparaît devant Pilate, et c'est toute la Passion. Le Dieu impassible va souffrir dans la chair qu'il a reçue de la Vierge Marie. Le Dieu immortel va mourir dans notre humanité qui est mortellement atteinte par le péché. Le Dieu tout-puissant va ressusciter dans ce même corps pour nous donner part à sa vie divine. Il faut que le Seigneur Jésus traverse  les grandes eaux de la mort pour que nous puissions le suivre dans la vie.

Tous les pécheurs sont convoqués à cette liturgie de la mort sur la croix . Jésus est crucifié entre deux bandits qui l'insultent. Les passants l'injurient. Les chefs des prêtres se moquent de lui. Les soldats le raillent. Jésus alors cria d'une voix forte : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" C'est un cri qu'il fait monter du fond de l'humanité pécheresse à laquelle il s'est identifié. Puis Jésus rendit son Esprit. Ses yeux se ferment sur le monde pour s'ouvrir sur le Père qui a entendu sa supplication.

Nous sommes au pied de la croix dans la foule des pécheurs et nous redisons à Dieu, d'un cœur plein de foi : "Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants pour nous laver de tout péché". Séparés de Dieu, nous sommes sans importance. En tant que chrétiens, nous sommes frères du Fils. Le Seigneur Jésus est cloué sur la croix, sans espace, sans liberté, accompagné seulement de la pensée qui a fait toute sa vie : porter le péché du monde. Il n'est plus capable du moindre geste de défense. Il ne lui est plus possible que de laisser faire ce que le Père veut et ce que veulent les hommes.

Sur la croix, Jésus se solidarise avec le dernier des hommes, avec le plus lointain, le sans-Dieu. Sur la croix, Jésus se fait tout à tous. Sur la croix, Jésus s'approche de tout homme éloigné de lui et lui offre pardon et rédemption. Et à tous ceux qui ont reçu son pardon, le Seigneur Jésus demande de faire comme lui : il demande à chacun de se faire "tout à tous" pour révéler à toute personne, sans discrimination, que Dieu lui est proche et l'aime immensément.

Voltaire écrivait : "Que Dieu existe, la belle affaire, n'importe quel abruti est capable de s'en rendre compte, ça ruisselle d'intelligence ; mais ce que je n'arrive pas à croire, c'est qu'il s’intéresse à moi". Et pourtant tout chrétien peut le savoir, plus ou moins bien, plus ou moins confusément, avec saint Paul : "Il m'a aimé et s'est livré pour moi".

Le mystère de la croix est tout aussi incompréhensible que l'existence du mal : du mal physique ou du mal moral, du mal qui touche le corps ou du mal qui touche le cœur et l'âme. La croix du Christ n'amoindrit en aucune façon le scandale du mal. Mais la croix de Jésus peut aider les hommes à accepter des souffrances qui souvent paraissent intolérables, à les accepter non pas parce qu'un Dieu souffre en solidarité avec eux (en quoi cela pourrait-il les soulager ?), mais parce qu'une souffrance divine englobe toutes ces souffrances pour les transformer en prière ; et par la prière, toutes les tragédies humaines, qui n'ont pas de sens en elles-mêmes, peuvent recevoir finalement un sens rédempteur pour le salut du monde, parce que toute souffrance peut être assumée secrètement, mystérieusement, dans le sacrifice du Christ crucifié, le Christ qui est la Tête inséparable de ses membres. (Avec Joseph-Marie Verlinde, Mgr Nguyen, Voltaire, AvS, HUvB).

 

5 avril 2009 - Dimanche des rameaux - Année B

Évangile selon saint Marc 14,1-15,47

Les derniers mots du récit de la Passion qui vient d'être lu, ce sont les mots de l'officier romain qui était de service ce jour-là pour la crucifixion des trois hommes. Et ce païen, en voyant la mort de Jésus, s'exclame : "Vraiment cet homme était le Fils de Dieu". On pourrait dire que l'évangile est maintenant bouclé. Vous vous souvenez que saint Marc commence son évangile comme ceci : "Commencement de l'évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu". Et voilà maintenant que l'officier romain lui répond en écho : "Vraiment cet homme était le Fils de Dieu".

On vient de lire à quatre voix la lecture brève de la Passion de Jésus selon saint Marc. Il faudrait quand même se rappeler un peu tout ce qui n'a pas été lu aujourd'hui. Le récit commence au premier verset du chapitre 14 de saint Marc : "La fête de la Pâque allait avoir lieu dans deux jours". Alors tout le monde se prépare. Les chefs religieux juifs se demandent comment faire pour arrêter Jésus et le faire mourir. De son côté une femme, dont saint Marc ne dit pas le nom, dépense une forte somme d'argent pour acheter un parfum qu'elle répand sur la tête de Jésus au cours d'un repas. Puis Jésus envoie deux disciples pour préparer la salle où il va prendre le repas pascal avec ses amis. Pendant ce temps, Judas va trouver les chefs des prêtres pour leur livrer Jésus.

Puis c'est le repas de la Pâque où le corps et le sang de Jésus remplacent l'agneau pascal. Jésus prend du pain et il dit : "Ceci est mon corps". Puis Jésus prend une coupe de vin et il dit : "Ceci est mon sang répandu pour la multitude". Et tout le monde part pour le mont des oliviers pour y passer la nuit. Et là, Jésus se met à prier. Tout seul. Parce que ses disciples s'endorment tout de suite. Et quelle est la prière de Jésus? "Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe, cette Passion, cette souffrance, cette mort. Cependant pas ce que je veux, mais ce que tu veux". Et toute une troupe arrive avec Judas ; et Judas embrasse Jésus. C'était le signe convenu. Les gardes ne connaissaient pas Jésus. Alors Judas leur avait dit : "Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le".

On emmène alors Jésus pour le procès religieux devant les chefs des prêtres. A un certain moment, le grand-prêtre pose une dernière question à Jésus : "Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni?" Jésus répond : "Je le suis". Alors le grand-prêtre : "Vous avez entendu le blasphème? Il mérite la mort, c'est écrit dans la Loi de Moïse".

Pendant ce temps, Pierre est en bas, dans la cour. Une servante le dévisage et elle lui dit : "Mais toi aussi, tu étais avec ce Jésus". Et vous connaissez la réponse. Peu après la servante revient à la charge et elle dit à tous ceux qui sont là : "En voilà un qui est des leurs". Après ça, ce sont les gens qui sont là qui disent à Pierre : "Tu dois certainement en être, on te reconnaît à ton accent, tu es Galiléen comme ce Jésus". Et Pierre jure ses grands dieux qu'il ne connaît pas cet homme. Et le coq chante. Et Pierre s'enfuit en pleurant.

On arrive alors à l'évangile qu'on vient de lire : le procès devant Pilate, la question : Barabbas ou Jésus, Jésus couronné d'épines comme un roi il est couronné. On cloue Jésus sur une croix. Et les chefs se moquent de lui : "Montre-nous maintenant ce que tu es capable de faire !" De neuf heures du matin à trois heures de l'après-midi : sur une croix, c'est long. "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Puis on dépose le corps de Jésus dans un sépulcre qui était creusé dans le roc. Il y avait là Marie-Madeleine et la mère de José, qui s'appelait Marie aussi.

Il faut lire et relire la Passion de Jésus. Saint Marc, qui est si bref d'habitude, prend le temps de deux chapitres pour raconter la mort de Jésus... "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Dieu peut sembler se retirer tout en étant là. Il semble ne pas réagir à ma prière, à mon amour. Il semble absent tout simplement.

A Gethsémani, Jésus emmène trois disciples avec lui pour prier. Et les trois s'endorment. Pour les trois, il est plus facile de se lever et de suivre Jésus que de prier. Jésus leur demande de prier avec lui et ils s'endorment. Deux fois.

La mère de Jésus était là à la croix. Pour elle aussi, tout s'écroule, tout a été vain. Elle est désemparée, elle ne comprend plus rien. Elle comprend seulement que le péché est plus fort qu'elle ne le pensait. Elle sent combien les plans de Dieu sont incompréhensibles : la mission de son Fils est brisée.

Il ne faut pas aller trop vite à Pâques et à la résurrection. Il y aura deux nuits à passer, celle du vendredi au samedi, et celle du samedi au dimanche. L'un de nos Père dans la foi, saint Grégoire de Nazianze, disait : "Le Christ a voulu dormir pour bénir notre sommeil, il a voulu être fatigué pour consacrer nos fatigues, il a voulu pleurer pour donner valeur à nos larmes". Il a voulu mourir. Pourquoi?

Jésus a été exécuté parce qu'il avait osé critiquer les autorités religieuses de son temps. La croix de Jésus, il ne faut pas la quitter trop vite. L'un de nos contemporains écrit avec un certain sourire, un sourire triste : "Il y a des gens qui portent la terrible croix d'ignorer la croix". Qui est Jésus Christ? Il est l'amour de Dieu venu en ce monde, et son action essentielle est de se pencher sur l'humanité blessée, laissée à demi-morte au bord du chemin. La croix de Jésus, c'est aussi l'amour de Dieu qui se penche sur l'humanité blessée.

Quelque part dans l'évangile, Jésus réclame de ceux qui le suivent de porter la croix chaque jour. Alors il est impensable qu'il ait pu exiger des autres ce qu'il n'était pas disposé à porter lui-même. Marie a accompagné le Dieu incarné du berceau à la tombe et au-delà, à la vie glorifiée. Quand on ne comprend plus, il faut encore tenir la main de Marie. (Avec saint Grégoire de Nazianze, saint Irénée, Fabrice Hadjadj, Cardinal Barbarin, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

1er avril 2012 - Dimanche des rameaux - Année B

Évangile selon saint Marc 14,1-15,47

Nous venons de lire à quatre voix la lecture brève de la passion de Jésus selon saint Marc. Il faut revenir un peu sur tout ce qui a précédé. Tout commence par ce qu'on appelle la trahison de Judas. Judas avait beaucoup insisté auprès de Jésus pour devenir l'un de ses apôtres. Pour finir Jésus avait accepté. Judas, lui, rêvait toujours d'un Messie glorieux, et de la gloire que lui, Judas, pourrait en retirer. Judas ne comprenait pas que Jésus ne voulait pas être un Messie glorieux et conquérant. Il y avait une lutte dans le cœur de Judas entre le bien et le mal. Et finalement, à un certain moment, le mal a été le plus fort. Judas connaissait bien le personnel du temple ; directement ou indirectement, il avait des contacts fréquents avec les chefs des prêtres. Et donc il a été leur proposer de leur indiquer où ils allaient pouvoir trouver Jésus une nuit pour l'arrêter, parce qu'il connaissait fort bien les habitudes de Jésus. Mais il faudrait quand même qu'on le rétribue, lui, Judas pour cette trahison : trente pièces d'argent qu'on va lui donner.

Ensuite dans notre évangile, c'est le repas pascal de Jésus avec ses apôtres. Au cours de ce repas, Jésus avertit ses apôtres que l'un d'eux va le trahir. Certains soupçonnent Judas, mais ce n'est pas clair. Et pendant le repas Jésus prit du pain, le bénit, le rompit en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps. Et même chose pour une coupe de vin : Jésus la prend, la bénit et la donne à ses apôtres : Buvez-en tous, car ceci est mon sang. Les apôtres n'ont pas dû y comprendre grand-chose sur le moment. C'est plus tard qu'ils ont compris qu'ils devaient refaire les actes de Jésus et redire ces paroles de ce soir-là en mémoire de lui.

Et puis c'est le départ pour le mont des oliviers. Et Jésus annonce à ses apôtres qu'ils vont tous l'abandonner cette nuit même. Saint Pierre proteste : Moi, je ne tomberai jamais ! Et Jésus lui annonce qu'avant même le chant du coq, cette nuit-là, saint Pierre aura renié Jésus par trois fois.

Et c'est la grande prière désolée de Jésus à Gethsémani. Il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, comme pour la Transfiguration, pour prier avec lui. Mais bien vite les trois s'endorment et Jésus continue seul sa prière : "Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite".

Et voilà que Judas arrive avec toute une troupe. Judas avait donné un signe : "Celui que j'embrasserai, c'est lui, arrêtez-le". Et Judas embrasse Jésus. Pierre sort son épée, il se met à taper dans le tas. Mais Jésus lui dit : Rentre ton épée. Alors c'est la débandade des apôtres : si on ne peut pas défendre Jésus les armes à la main, on ne va quand même pas se laisser prendre comme ça !

On amène Jésus au grand-prêtre Caïphe. A un certain moment, Caïphe pose à Jésus la question essentielle : "Je t'adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Messie, le Fils de Dieu". Et Jésus répond : "Tu l'as dit". Conclusion du tribunal : il a blasphémé, il mérite la mort.

Puis c'est l'épisode de Pierre qu'on retrouve dans la cour du grand-prêtre. Là, trois fois, on le dévisage, on croit le reconnaître et on l'accuse d'être l'un des partisans de Jésus. Et Pierre s'en tire en disant : "Je ne connais pas cet homme". Et aussitôt un coq chanta. Pierre alors se rappela les paroles de Jésus, il sortit et pleura amèrement.

De son côté, Judas est pris de remords : "J'ai péché en livrant à la mort un innocent". Il jeta dans le temple les trente pièces d'argent qu'il avait reçues pour trahir Jésus et il alla se pendre, comme si Jésus et Marie, sa mère, n'étaient pas prêts à lui pardonner, à lui aussi.

Et on arrive alors à l'évangile qui vient d'être lu à quatre voix : Jésus devant Pilate, le gouverneur romain. Puis Jésus cloué sur une croix et sa mort. Et à la fin le centurion, qui en a vu d'autres, s'exclame : "Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu".

Ce qui importe, c'est que notre prière soit vraie, que notre foi soit vraie et qu'elle dirige toute notre vie. Et si la souffrance nous touche, il faudrait aussi que nous la remettions à Dieu dans une prière vraie. Les chefs juifs exigent que Jésus soit mis à mort pour son blasphème, pour son péché. Et ils ne remarquent pas que cette mort sur la croix est pour eux ce jour-là.

Sur la croix, Jésus était entouré de deux bandits, crucifiés comme lui. Saint Marc ne nous dit pas que l'un de ces deux bandits s'est converti sur sa croix. C'est l'évangéliste saint Luc qui nous parle du bon larron. Au départ, le bon larron est aussi mauvais que l'autre. Il injurie Jésus tout comme l'autre. Puis subitement il entend cette prière de celui qui est supplicié comme lui : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font". Et cette prière fait tout de suite son chemin de clarté dans cette âme ténébreuse. Voilà quelqu'un qui est crucifié, raillé de tous, et qui demande à Dieu de pardonner à ses bourreaux. Pour notre larron, c'est un coup au cœur. Il sent qu'il y a là quelque chose qui n'est pas ordinaire, que cet homme n'est pas comme les autres, même s'il descend avec lui dans son tourment. Et il a encore la force de dire à Jésus : "Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume". Réponse de Jésus : "Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis".

Pourquoi Dieu est-il devenu homme ? Pourquoi l'un de la Trinité est devenu homme ? Pourquoi l'incarnation du Fils de Dieu ? Parce qu'il veut prendre sur lui la culpabilité de tous les hommes. Dieu nous a aimés jusqu'à en mourir. L'amour du prochain alors, c'est de chercher à imiter Dieu, c'est de nous conformer à la pensée et à l'attitude de Dieu pour le monde. (Avec Fabrice Hadjadj, AvS, HuvB).

 

29 mars 2015 - Dimanche des rameaux - Année B

Évangile selon saint Marc 14,1-15,47

Nous venons de prendre la lecture brève du récit de la Passion du Seigneur Jésus. Le récit se poursuit par la mise au tombeau de Jésus. Un certain nombre de femmes entouraient Marie, la Mère de Jésus, pas loin de la croix, des femmes qui connaissaient Jésus depuis la Galilée. Ce ne sont pas ces femmes qui sont allées trouver Pilate pour obtenir l'autorisation d'ensevelir le corps de Jésus. C'est un membre du grand Conseil des Juifs, Joseph d'Arimathie, qui a fait la démarche auprès de Pilate.

Dans le grand Conseil des Juifs qui a décidé la mort de Jésus, il y avait plusieurs hommes qui étaient favorables à Jésus, mais ils n'osaient pas le faire savoir trop ouvertement : ils étaient trop minoritaires. Il y a un autre de ces notables dont on connaît le nom, c'est Nicodème qui avait un jour été trouver Jésus durant la nuit pour discuter avec lui. Donc, après la mort de Jésus, Joseph d'Arimathie va trouver Pilate pour lui demander l'autorisation d'ensevelir le corps de Jésus. Pilate est étonné que Jésus soit déjà mort.

Il fait appeler le centurion pour avoir confirmation de la mort de Jésus. Et sur le rapport du centurion, Pilate permet à Joseph de prendre le corps de Jésus. Avec l'aide des femmes, il descend le corps de Jésus de la croix, il l'enveloppe dans un linceul, il le dépose dans un sépulcre creusé dans le roc et il roule une pierre contre l'entrée du tombeau. Le dernier verset de l'évangile d'aujourd'hui nous dit ceci : "Marie-Madeleine et Marie, mère de José, regardaient l'endroit où on l'avait mis".

Ce sont les chefs Juifs de l'époque qui ont condamné Jésus à mort. Depuis toujours dans l’Église, on a su que le Seigneur Jésus était mort pour nos péchés, le péché de tous les hommes, de tous les temps. Il est mort pour nos péchés: qu'est-ce que ça veut dire ?  Nous ne sommes pas seulement les spectateurs de la Passion, nous en sommes les bénéficiaires. Depuis la mort de Jésus sur une croix, il n'est plus possible qu'une mort humaine ne soit pas en rapport avec cette mort de Jésus sur la croix.

Derrière chaque mort individuelle, il y a la mort du Seigneur Jésus. Il est mort sur la croix pour chacun, et il participe par avance à chaque mort. Il possède les clefs du mystère de la mort. Et pourquoi possède-t-il les clefs de la mort ? Parce qu'il est Dieu et Fils de Dieu. Parce que, sur la croix, il a renoncé à sa toute-puissance de Dieu et qu'il s'est laissé gagner par une impuissance totale.

Quand on regarde le chemin de croix du Seigneur Jésus et qu'on essaie de l'accompagner dans la vie de tous les jours, ce n'est pas toujours la joie débordante. Mais du fait que le Seigneur Jésus nous a précédés sur cette voie, quelque chose de la paix du Seigneur Jésus peut rayonner sur nous. Le Christ ne sera dans la joie parfaite que lorsque tout son Corps y sera, c'est-à-dire toute l’Église composée de tous les humains. L’Église est le lieu où l'on avance vers la résurrection ; l’Église est le laboratoire de la résurrection.

Marie, la mère de Jésus, a connu la plus terrible épreuve qui puisse advenir à une mère, celle d'assister impuissante à la Passion et à la mort de son enfant. C'est pourquoi elle a un pouvoir singulier d'assistance à toutes les morts. On lui dit cette confiance qu'on a en elle chaque fois qu'on dit un Je vous salue Marie : on lui demande de prier aussi pour nous à l'heure de notre mort.

Un homme de notre temps, journaliste, qui était aussi écrivain à ses heures, a raconté l'histoire de son cancer. Et là, quelque part, il fait un acte de foi quand il dit : "La question fondamentale de la vie est celle de la mort".  Mais nos contemporains préfèrent s'illusionner, ils ne veulent ni mourir, ni apprendre à mourir. Ils veulent guérir de tout. Pourquoi pas ? Mais vouloir guérir de tout n'étanche pas le désir d'infini. Et prolonger l'existence des individus ne leur procure pas la vie éternelle.

Terminer avec une espèce de profession de foi d'un grand théologien de notre temps, qui est peut-être aussi une espèce de saint. Il disait, ou plutôt il écrivait : "Le Christ vivant en moi m'est si intime et plus proche de moi que moi-même parce qu'il est mort pour moi, parce qu'il m'a pris en lui sur la croix, et qu'il me prend en lui sans cesse à nouveau dans l'eucharistie". (Avec Dumitru Staniloae, Olivier Le Gendre, Jacqueline Kelen, AvS, HuvB).

 

28 mars 2010 - Dimanche des rameaux - Année C

Evangile selon saint Luc 22, 14 - 23, 56

Nous avons lu à quatre voix la lecture brève de la Passion selon saint Luc. Il faut revenir maintenant un peu en arrière. La Passion de Jésus commence par le repas pascal. "Jésus se mit à table, et ses apôtres avec lui". Et Jésus dit alors : "J'ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir !" Et Jésus prit du pain : "Ceci est mon corps donné pour vous". Et Jésus prit la coupe de vin : "Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang répandu pour vous".

Et Jésus avertit saint Pierre que saint Pierre sera tout faible et qu'il va renier Jésus. Saint Pierre proteste, tout fier, que ça n'arrivera pas. Il est fort saint Pierre. Et puis Jésus au mont des oliviers avec ses disciples. C'est la prière angoissée de Jésus : "Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe. Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse mais la tienne". Jésus nous apprend à prier comme il faut.

Et puis arrive Judas et avec lui toute une troupe. Judas s'approche de Jésus pour l'embrasser. Jésus lui dit : "Judas, c'est pas un baiser que tu me livres !" Il y a des baisers trompeurs. On emmène Jésus dans la cour du grand-prêtre. On a allumé un grand feu parce qu'il ne fait pas chaud. Et saint Pierre, mine de rien, se glisse au milieu de tous ceux qui sont là. Et trois fois il y a quelqu'un qui le dévisage et qui l'accuse de faire partie de la bande à Jésus. Et trois fois saint Pierre répond qu'il n'en est rien, qu'il ne connaît pas ce Jésus, qu'il ne fait pas partie de sa bande, qu'il ne sait pas de quoi on parle. Et le coq chante, et Jésus pose son regard sur Pierre et Pierre s'enfuit en pleurant.

On arrive alors à la lecture qui a été faite à quatre voix. La Passion de Jésus, sa mort et sa résurrection constituent le cœur de la foi chrétienne. Les adversaires de Jésus l'emportent aujourd'hui. Mais ils ne seront pas vainqueurs. C'était en 1943, en pleine guerre. Il y avait beaucoup de choses horribles et atroces. Et une sainte qui vivait alors a reçu du ciel de comprendre à ce moment-là comment tout ce qui était horrible et atroce était enveloppé et porté par l'amour... A l'arrière-plan, il y a le péché qui est responsable de toutes les misères. Mais ce que cette sainte a compris surtout à ce moment-là, c'est que sans ces souffrances, les hommes n'arriveraient pas à l'amour de Dieu. Elle comprend comment les séparations des familles, les décès, les privations, les blessures ouvrent les hommes et leur apprennent à quitter leur égoïsme et à penser un jour à Dieu et à leur prochain. Il peut se faire que par une catastrophe frappant une ville durant la guerre quelques-uns au moins se tournent vers Dieu.

On ne peut pas comprendre la Passion, mais le Fils de Dieu a voulu passer par là. Il a eu faim et il a rassasié des milliers de gens. Il est épuisé, mais il est le repos des épuisés. Il fut accablé de sommeil, mais il a marché légèrement sur la mer. Il prie, mais il écoute les prières. Il demande où se trouve le tombeau de Lazare son ami, il pleure sa mort parce qu'il était homme, et il le ressuscite parce qu'il était Dieu. Il est vendu pour trente pièces d'argent, mais il rachète le monde. Comme une brebis il est conduit à l'abattoir, mais il est le berger d'Israël et aussi de toute l'humanité. Il est muet comme un agneau, il est cependant la Parole de Dieu. Il est blessé, mais il guérit toute infirmité. Il meurt, mais il donne la vie.

Pourquoi tant de misères dans le monde ? Chaque jour, nous éprouvons le besoin intense d'être consolés, consolés par l'Esprit de Dieu. Très souvent Jésus insiste sur le fait que rien n'est jamais joué d'avance. Toujours on peut se convertir. Saint Pierre pensait que tout était joué d'avance. Et il s'est aperçu que ce n'était pas vrai. Il se croyait fort et il était faible. Le bon larron, lui, a espéré contre toute espérance que tout n'était pas perdu pour lui. Et il a été exaucé. Toujours on peut se convertir. Dieu fait lever son soleil sur les bons et les mauvais ; et le bon grain et l'ivraie grandissent ensemble.

Pourquoi tant de misères dans le monde ? Mère Térésa : "Aussi longtemps que Dieu me gardera ma voix, je manifesterai mon opposition aux comportements qui conduisent au sida. Et aussi longtemps que Dieu m'en donnera la force, je soignerai les malades du sida avec l'amour qu'il me donne".

Tout le credo de la première Église s'est cristallisé autour de la fin effrayante de Jésus sur la croix. Pourquoi ? Pourquoi cette fin effrayante ? Pourquoi ? Elle s'est produite pour nous. Et saint Paul dit même : pour chacun de nous, pour moi. "Ma vie présente, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi" (Ga 2, 20). (Avec saint Grégoire de Nazianze, Ambroise-Marie Carré, Michel Deneken, Mère Térésa, AvS, HUvB). 

 

24 mars 2013 - Dimanche des rameaux - Année C

Évangile selon saint Luc 22,14-23,56

Nous venons de lire à quatre voix la lecture brève de la Passion selon saint Luc. Je rappelle en deux mots les événements qui ont précédé, selon la lecture intégrale. C'est d'abord la dernière Cène, le dernier repas de Jésus avec les siens ; au cours de ce repas, Jésus institue l'eucharistie, mais les apôtres n'en savent rien à ce moment-là. Deuxième scène : Jésus en prière au mont des oliviers, qui demande au Père d'éloigner de lui toutes ces souffrances qui approchent. Et puis : "Non pas comme je veux, mais comme tu veux". Et c'est le baiser de Judas dans la nuit noire. Et ce sont les larmes de saint Pierre au petit matin, au chant du coq. Et Jésus devant le grand Conseil des Juifs.

Nous arrivons alors à la partie de la Passion que nous venons de lire : Jésus devant Pilate, puis devant Hérode, puis devant la foule, puis sur le chemin du calvaire. L'évangile consacre alors deux lignes à Simon de Cyrène : "Pendant qu'ils emmenaient Jésus, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu'il la porte derrière Jésus".

Simon de Cyrène était un maraîcher des environs de Jérusalem. Quarante-cinq ans environ. Il arrivait dans la ville avec une charrette de légumes, et ses deux fils par dessus, ses deux fils qui s'appelaient Alexandre et Rufus d'après l'évangile de Marc. Simon de Cyrène avait garé sa charrette pour laisser passer le convoi des condamnés avec toute une escorte de soldats romains, à pied et à cheval. Le centurion romain, qui s'appelait Longin, voyait Jésus tituber depuis quelque temps sous le poids de la croix. Cela veut dire à quel point la flagellation avait dû être dure pour que Jésus n'ait plus la force de porter la croix. Et il fallait absolument qu'il arrive vivant au lieu de la crucifixion.

Alors le centurion réquisitionne Simon de Cyrène qui regarde passer le convoi. Le centurion à Simon : "Homme, viens ici". Simon fait semblant de ne pas entendre, il regarde ailleurs. Mais avec Longin, on ne plaisante pas. Longin répète son ordre de telle façon que Simon jette les rênes à ses fils et il s'approche du centurion. Longin : "Tu vois cet homme. (Il montre Jésus). Il ne peut plus avancer avec sa croix. Tu es fort. Prends sa croix et porte-la jusqu'au sommet". Réponse de Simon : "Je ne peux pas, j'ai l'âne, il est rétif, les garçons ne peuvent pas le retenir". Longin : "Fais ce que je t'ai dit si tu ne veux pas perdre l'âne et gagner vingt coups de bâtons comme punition". Simon de Cyrène n'ose plus réagir. Il crie aux garçons : "Allez vite à la maison et dites que j'arrive tout de suite". Puis il prend la croix et il marche derrière Jésus. Quand on est arrivé en haut, le centurion dit à Simon de Cyrène qu'il peut s'en aller.

Le centurion faisait son travail d'officier romain. Dès le départ, il avait remarqué que Jésus n'était pas un condamné comme les autres. Et il s'était montré plutôt bienveillant pour Jésus. On retrouve le centurion dans notre évangile après la mort de Jésus : "A la vue de ce qui s'était passé, le centurion rendait gloire à Dieu. Il disait : Sûrement, cet homme était un juste".

Qu'est-ce qu'il avait vu et entendu le centurion ? Il avait entendu trois paroles de Jésus sur la croix. La première concernait ceux qui l'avaient condamné à mort et qui étaient là sous la croix à se moquer de Jésus : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font". Et puis, au larron repentant, Jésus avait dit : "Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis". Et enfin, un dernier mot, une prière : "Père, entre tes mains, je remets mon esprit". Pour l'officier romain, Jésus n'était pas un condamné comme les autres. Et il s'écrie : "Sûrement, cet homme était un juste".

En chaque eucharistie, nous célébrons la mort et aussi la résurrection de Jésus. Pour qu'il y ait eucharistie, il s'est passé d'abord quelque chose dans la Trinité. Le Père a permis au Fils de se donner au monde afin d'éveiller en chaque homme l'amour de Dieu. En donnant au Fils cette "permission", le Père renonce en quelque sorte au Fils et il l'offre d'une manière eucharistique. Derrière le sacrifice du Fils, il y a donc le don d'amour du Père, qui est la source de l'eucharistie.

Au sein de la Trinité, ce que désire le Fils, c'est de se faire envoyer par le Père pour racheter le monde. Et le Père consent tellement au désir du Fils qu'il lui fait dépasser à l'infini les limites d'une vie humaine en inventant l'eucharistie. Le Fils réclame pour ainsi dire au Père la durée d'une vie humaine, et le Père lui donne la durée du monde. Le Fils reste toujours uni au Père en se faisant eucharistie, et il communique le Père.Le Christ en croix n'est pas simplement un Christ mort. C'est le Seigneur, maître de sa propre mort et Seigneur de la vie. L'un de nos Pères dans la foi disait : "Je le vois crucifié et je l'appelle Roi"(Saint Jean Chrysostome). La Mère de Jésus était là au pied de la croix. Il fallait qu'elle soit à côté de Jésus dans son humiliation. Pas à une grande distance de Jésus, pour pleurer. Il fallait qu'elle soit tout près de Jésus, près de son corps, elle fallait qu'elle lui soit présente pour lui signifier : "Je t'aime". (Avec Patriarche Daniel, AvS).
 

20 mars 2016 - Dimanche des rameaux - Année C

Évangile selon saint Luc 22,14-23,56

Nous venons de lire à quatre voix le récit de la Passion de Jésus dans sa version brève. Je vous résume à grands traits ce qui précède cette lecture brève dans le texte intégral. Saint Luc commence son récit par la dernière Cène, le dernier repas de Jésus avec les siens : c'est au fond le récit de l'institution de l'eucharistie par Jésus. Quand Jésus est à table avec ses disciples, la première chose qu'il leur dit, c'est : "J'ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir".

Puis au cours de ce repas, Jésus dit les paroles fondatrices de l'eucharistie en distribuant à ses disciples le pain rompu : "Ceci est mon corps donné pour vous". Et pour la coupe de vin : "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous". Et alors là, sans avertissement, les apôtres se mettent à se quereller pour savoir lequel d'entre eux était le plus grand. Autrement dit, les disciples étaient totalement inconscients de la gravité de l'heure, et que c'était l'heure du dernier repas.

Jésus alors s'adresse à Simon- Pierre : "Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères". Alors saint Pierre, tout feu,tout flamme, déclare haut et net qu'il n'a peur de rien, qu'il est prêt à aller en prison avec Jésus, et même de mourir avec lui. Et tout de suite Jésus lui annonce que ça ne va pas se passer comme ça et qu'il va renier son Maître cette nuit même.

Puis Jésus part avec ses disciples pour passer la nuit au mont des oliviers comme il en avait l'habitude sans doute. Et là Jésus se met à prier dans la plus grande angoisse. Dans sa prière, il exprime toute sa peur devant la mort atroce qui l'attend. Et l'évangéliste nous a gardé l'essentiel de cette prière de Jésus : "Père, si tu veux, éloigne de moi ce calice ; cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne". Cette prière de Jésus, c'est vraiment le modèle de toute prière faite dans l'angoisse.

Puis Jésus est arrêté. En tête des hommes qui sont venus arrêter Jésus, il y a Judas, l'un des douze apôtres. Judas s'approche de Jésus pour l'embrasser. Et Jésus lui dit : "Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme !" Puis Jésus est emmené en pleine nuit pour une sorte d’interrogatoire, vite fait, bien fait, devant le grand Conseil des Juifs. Et c'est pendant ce temps que Pierre a l’occasion de dire trois fois, dans la cour de la maison du grand-prêtre, qu'il ne connaît pas Jésus. La suite du récit de la Passion, nous venons de la lire à quatre voix.

Les chefs religieux du peuple élu de Dieu ont rejeté Jésus. Ils n'ont pas reconnu en lui un envoyé de Dieu, le grand envoyé de Dieu promis par Dieu à son peuple depuis des siècles : le Messie. Alors faut-il s'étonner que beaucoup de gens aujourd'hui rejettent le Seigneur Jésus, ou l'ignorent, ou font semblant de l'ignorer, ou ne veulent pas s'en approcher parce que c'est trop dangereux ? Pour nous chrétiens, avec le recul du temps, nous savons qu'il y a en tout homme une place qui est préparée pour Dieu. En tout incroyant, il y a une attente de Dieu, plus ou moins consciente, plus ou moins refoulée. Mais ce lieu ne peut pas ne pas être. Et si on est déjà croyant, on doit toujours demander à Dieu de bien vouloir nous donner tous les jours la force de lui donner la courte réponse qu'il voudrait entendre de nous chaque jour. On ne peut pas faire l'expérience de la foi si on ne conçoit pas Dieu comme un être personnel capable d'une parole, et l'homme comme un être naturellement tourné vers Dieu.

Mais que faire alors de la souffrance dans le monde ? Le Seigneur Jésus est mort dans d'atroces souffrances. Et il était Dieu. On ne pourra jamais comprendre. Il y a dans l'Ancien Testament un homme qui connaît aussi beaucoup de souffrances et qui ne comprend pas. C'est Job. Le problème pour Job, ce qu'il ne comprend pas, c'est qu'il est accablé de souffrances alors qu'il n'a rien fait de mal, il n'a rien fait pour mériter tout ça. Et peu à peu, Job va comprendre autre chose : c'est que nous ne sommes pas quittes du mal quand nous n'avons pas fait le mal. Nous devons prendre en nous la souffrance d'autrui même si nous sommes innocents. C'est cela que Dieu attend de nous. Job comprend à la fin que Dieu a voulu associer les hommes à sa propre lutte inconditionnelle contre le mal. Job voit, comme à travers un  voile, le Dieu chrétien. Il comprend déjà d'une certaine manière que Dieu demande à chacun de porter un fragment de la croix pour le salut de tous.

Les hommes ont crucifié Jésus, ils l'ont offert en sacrifice sans se douter que c'est à Dieu qu'ils l'offraient. Les hommes estimaient, avec une conscience pure, qu'ils sacrifiaient un homme pour s'épargner les foudres des Romains ou les foudres de Dieu parce que ce Jésus pervertissait l'idée qu'ils se faisaient de la religion. Les hommes ont offert à Dieu en mal son Fils. Mais on peut aussi offrir Jésus en bien. Près de la croix se tient Marie. Elle accepte ce qu'il y a de plus terrible pour elle, elle partage la disposition d'offrande de son Fils. Et Marie, à ce moment-là, représente toute l’Église qui, par amour, adhère au mystère de la rédemption qu'accomplit Dieu Trinité. (Avec Joseph Pieper, Philippe Nemo, AvS, HuvB).

 

TEMPS PASCAL

 

24 avril 2011 - Dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 20,1-9

La première au tombeau de Jésus le matin de Pâques, c'est Marie-Madeleine. Les autres sont moins pressés. Le tombeau de Jésus est ouvert, ce n'est pas normal. L'évangile ne dit pas que Marie-Madeleine est entrée dans le tombeau pour constater l'absence du corps de Jésus. Marie-Madeleine constate que le tombeau est ouvert, elle court trouver les apôtres. Pierre et Jean se mettent à courir, eux aussi, pour aller au tombeau. Et ils constatent par eux-mêmes ce que Marie-Madeleine leur a dit : le tombeau est ouvert et puis le corps de Jésus n'est plus là. Notre évangile de ce jour de Pâques s'arrête là : "Les disciples n'avaient pas encore compris que, d'après les Écritures, Jésus devait ressusciter d'entre les morts".

Comme toujours, il y a un certain développement dans notre compréhension des mystères de Dieu. Jésus ne dit pas tout, tout de suite. Jésus ressuscité ne se montre pas tout de suite. Et quand il le fera, ce sera tout d'abord à quelques disciples seulement : quelques hommes et quelques femmes, avant de se montrer un jour à cinq cents frères à la fois, selon saint Paul.

Aucun des évangélistes ne décrit la résurrection de Jésus elle-même. La résurrection de Jésus, c'est un processus qui s'est déroulé dans le secret entre Jésus et le Père, un processus qui échappe à l'expérience humaine.

Si le tombeau de Jésus est vide, cela ne suffit pas à prouver sa résurrection. Mais quand même, il était nécessaire que le tombeau soit vide pour qu'on puisse croire en la résurrection de Jésus. L'annonce de sa résurrection aurait été absolument impossible si on avait pu faire référence au cadavre qui se trouvait dans le sépulcre.

Jésus n'est pas revenu à une vie humaine normale, une vie humaine dans ce monde, comme c'était arrivé à Lazare et aux autres morts ressuscités par Jésus. Que Jésus soit ressuscité, cela veut dire qu'il est sorti vers une vie différente, vers une vie nouvelle, vers l'immensité de Dieu. Il est entré dans la vie éternelle de Dieu. La résurrection est une œuvre de la puissance créatrice du Père qui arrache l'humanité de Jésus au pouvoir de la mort, qui arrache au pouvoir de la mort l'humanité de Jésus et la nôtre. Et c'est en partant de la vie éternelle de Dieu où il est entré par la résurrection, c'est de là que Jésus s'est manifesté à ses disciples, hommes et femmes.

Une théologienne protestante d'aujourd'hui ose dire, elle après d'autres, que Marie, la Mère de Jésus, a vraisemblablement été de celles qui, les premières, ont vu Jésus vivant après sa mort. Et maintenant, après la résurrection du Seigneur Jésus, la rédemption s'étend à tous les hommes. Il faut le temps, l'étendue, l'immensité, le mûrissement.

Le Père Manaranche raconte ce qui est arrivé un dimanche après-midi à un frère jésuite coadjuteur, qui était le frère linger de sa communauté de Lyon. Ce frère était parti faire une promenade en ville. Il portait toujours la soutane pour sortir. En revenant à la résidence des jésuites, le frère s'était fait accoster par un homme qui lui avait demandé à brûle-pourpoint : "Vous croyez en Dieu, vous ?" Le frère lui avait répondu : "Cela ne se voit pas, non ?" L'autre alors avait répliqué d'une manière qui se voulait cinglante : "Eh bien moi, je n'y crois pas !" Et le frère lui avait rétorqué : "Eh bien tant pis pour vous !" C'était du tac au tac. Le frère n'avait pas sa langue dans sa poche. C'était un frère d'origine grecque. En rentrant à la maison, il a raconté aux autres son petit dialogue avec l'incroyant.

La réplique du frère est amusante : "Tu n'es pas croyant, tant pis pour toi !" Ce n’était peut-être pas très chrétien. Mais il s’était senti agressé par l'incroyant, alors il lui avait répondu sur le même ton : "Tant pis pour toi !" Intérieurement et silencieusement, il pouvait penser : "Tu n'es pas croyant, c'est dommage. Il te manque quelque chose d'essentiel. Il te manque l'essentiel". Et il a pu le prendre dans sa prière. Il aurait pu prier en s'inspirant du P. Zovko : "Seigneur, bénis tous ceux que j'ai rencontrés aujourd'hui. Remplis leur cœur de paix, de joie et d'amour. Donne une grande joie et des bénédictions à tous ceux qui parlent mal de toi, à tous ceux qui parlent mal de moi, à tous ceux qui parfois te haïssent ou pensent que tu n'existes pas. Seigneur, je te prie, bénis-les tous. Je leur pardonne. Pardonne-moi aussi, Seigneur". (Avec Boris Bobrinskoy, Benoît XVI, Michel Rondet, Lytta Basset, André Manaranche, Père Zovko, AvS).

 

20 avril 2014 - Dimanche de Pâques - Année A
Évangile selon saint Matthieu 28,1-10 (Évangile de la vigile pascale)

Le troisième jour après la mort de Jésus, les premières au tombeau, ce sont quelques femmes, disciples de Jésus. Elles sont parties pour rendre hommage à leur mort vénéré. Et là, au tombeau, voilà qu'une créature lumineuse, un ange, leur parle doucement : "N'ayez pas peur. Il n'y a plus de douleur pour le Christ. Jésus de Nazareth que vous cherchez n'est plus ici, il est ressuscité. Réjouissez-vous avec moi. Allez dire à Pierre et aux disciples qu'il est ressuscité et qu'il vous précède en Galilée. Là, vous le verrez encore pour peu de temps, comme il l'a dit".

Et les femmes s'enfuient, terrorisées, et elles se disent : "Nous allons mourir ! Nous avons vu l'ange du Seigneur !" Que faire ? Si elles disent ce qu'elles ont vu, on ne va pas les croire. Elles ne peuvent rien dire. Puis elles pensent que ce qu'elles ont vu est une tromperie du démon. Elles pensent qu'il n'est pas possible qu'il leur a été accordé de voir le messager de Dieu. C'est Satan qui a voulu les effrayer pour les éloigner de là...

En fait, les femmes disent quand même aux apôtres ce qui leur est arrivé. Mais Pierre et Jean secouent la tête : "Trop de choses ces jours-ci ! Vous êtes toutes perturbées !" Les femmes insistent, Pierre et Jean se regardent : "Imaginations de femmes ! Vous êtes folles, la douleur vous a troublées. La lumière vous a semblé un ange. Le vent, une voix. Je ne vous critique pas. Je vous comprends, mais je ne peux croire qu'à ce que j'ai vu. Le tombeau est ouvert et vide, et les gardes sont partis avec le cadavre !"

Et finalement, ce même troisième jour après la mort de Jésus, Jésus va imposer sa présence vivante à ses apôtres. Même alors ils auront du mal à l'admettre. Ils croyaient voir un fantôme. Et Jésus a dû insister pour qu'on le touche, il a voulu manger avec eux, pour faire tomber leurs résistances. Ce qui ne veut pas dire qu'il avait encore besoin de manger dans le monde invisible du Père.

C'est dur pour l'homme de retrouver ce qu'il possédait dans l'état paradisiaque, c'est-à-dire une existence avec Dieu sans questions, une relation filiale et confiante avec Dieu, la certitude profonde que de Dieu il ne peut venir que du bien.

Le jour de Pâques encore, quand Jésus apparaît à Marie-Madeleine qui pleure au tombeau, Marie tombe à ses pieds, elle voudrait le retenir. Et Jésus lui dit : "Ne me retiens pas ! " Il n'est pas là pour qu'elle le touche et le garde pour elle. Il ne veut pas qu'on le retienne. Il va vers le Père. Ce départ de Jésus est aussi la condition d'accès à une nouvelle forme de présence. Il ne reviendra pas à cette vie. C'est bien lui qui est là, mais il n'est plus tout à fait le même. C'est une présence qui est aussi certaine qu’insaisissable, une présence qu'on peut sentir mais qui échappe à toute saisie.

Jésus s'adresse à Marie-Madeleine pour lui demander de s'en aller et d’annoncer la nouvelle aux disciples. Il n'y a pas de retour à la vie d'avant. Désormais, c'est un autre mode de présence, pour l'éternité. C'est une forme de présence qui suppose la séparation et l'absence, c'est une intériorisation de la présence. "Je demeure en toi".

Nous allons communier - pour beaucoup d'entre nous. Nous allons recevoir le Seigneur Jésus. Il serait plus juste de dire que nous serons reçus pas lui. Nous lui demandons qu'il nous reçoive.

Ne plus s'incliner devant le divin, devant le mystère, ce n'est pas s’émanciper, comme tant d'hommes sans Dieu l'ont fait accroire ou le croient aujourd'hui, c'est se rapetisser soi-même et se couper les ailes. On ne peut pas dépasser le credo de l’Église. L'essentiel est là. Mais Dieu peut faire qu'on découvre, qu'on devine, qu'il y a là infiniment au-delà de ce qu'on a déjà compris. Dieu veut nous faire comprendre qu'au-delà de ces formules du credo, il y a tout l'infini du Dieu vivant qui se révèle comme il veut, à qui il veut, quand il veut. Mais du pape au dernier des croyants, le credo est le même pour tous.

Au centre de l'histoire de l’humanité s'accomplit un acte qui s'étend à toute l’histoire. Cet acte, c'est que le Dieu tout-puissant, le Père invisible, a ressuscité le Christ d'entre les morts. Au centre de l'histoire du monde, il y a le Seigneur Jésus qui est ressuscité d'entre les morts. Dans son temps qui est absolument historique (sous Ponce Pilate), il dévoile le sens de tous les temps. (Avec Nathalie Sarthou-Lajus, Maurice Blondel, Jacqueline Kelen, Jean-Michel Castaing, AvS, HUvB).

 

16 avril 2017 - Dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 20,1-9

Cet évangile annonce l'événement central de l'histoire de l'humanité : la résurrection du Seigneur Jésus. Marie-Madeleine se rend au tombeau de Jésus de grand matin, sans doute pour s'y recueillir et laisser libre cours à son chagrin. Ce ne sont pas les apôtres qui sont les premiers au tombeau. Ils dorment encore sans doute : Jésus est mort, que voulez-vous y faire ? Au tombeau, Marie-Madeleine voit que la pierre a été enlevée du tombeau. On peut supposer qu'elle a quand même jeté un coup d’œil à l'intérieur. Bouleversée, elle court trouver les apôtres : Pierre et Jean, le disciple que Jésus aimait. Et elle leur dit : "On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l'a mis". 

Les deux apôtres se mettent alors, eux aussi, en mouvement, ils se hâtent, ils courent même, mais Jean court plus vite que Pierre et il arrive le premier au tombeau, mais il n'y entre pas. Pierre, lui, entre dans le tombeau sans hésiter et il ne peut que constater l'absence troublante du corps de Jésus. Qu'est-ce que ça veut dire ? L'autre disciple, quand il voit le linceul à sa place et l'autre linge bien roulé à part, comprend tout de suite. Son regard est illuminé par l'amour, il devine l'invisible, il pressent la présence cachée au creux de l'absence. Pour lui, ce lieu n'est plus la sépulture d'un défunt, c'est le temple du Dieu vivant. Pierre n'y voit rien. L'essentiel lui demeure invisible. Pour discerner le mystère de la présence du Vivant, il faut que l'esprit soient illuminé par la foi, l'espérance et l'amour.

Personne n'a vu Jésus en train de ressusciter. Mais plus tard (c'était notre première lecture), Pierre revendiquera l'honneur d'avoir fait partie des disciples qui ont mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts. La résurrection, ce n'est pas quelque chose mais quelqu'un. Et ce quelqu’un, c'est Jésus Christ vivant. La résurrection de Jésus veut dire que Dieu est plus fort que la mort. La parole de Dieu, on peur l'avoir entendu dix fois, cent fois : c'est toujours la même, mais Dieu est capable de nous toucher par cette parole de manière toujours nouvelle. La vie chrétienne n'est pas pensable sans le désir de la proximité du Seigneur Jésus.

Quand Jésus meurt sur la croix, rejeté et condamné par les plus grands chefs religieux du peuple juif, les disciples de Jésus, ses apôtres, n'y comprennent vraiment plus rien. Ils étaient sûrs de Jésus, ils étaient persuadés qu'il venait vraiment de Dieu et même qu'il était le Messie, ce grand envoyé de Dieu promis par les prophètes depuis des siècles. Et voilà que Jésus est mort. On n'y comprend plus rien. On s'est trompé sur Jésus ou Jésus s'est trompé ? C'est le grand trou noir, c'est le désastre, c'est le désespoir.

La résurrection de Jésus, la certitude de la résurrection de Jésus (on a mangé et bu avec lui après sa résurrection !), cela veut dire que Dieu a authentifié la vie, la mission et l'enseignement de Jésus de Nazareth. Et la résurrection de Jésus annonce la nôtre. Le credo chrétien culmine dans la proclamation de la résurrection ds morts à la fin des temps, la résurrection des morts et la vie éternelle. Mais il faut bien se dire qu'il est aussi impossible de se ressusciter soi-même que de se faire naître. Dans les deux cas, il y a un pouvoir qui me transcende, qui me dépasse.

Marie-Madeleine, puis Pierre et Jean au tombeau de Jésus le matin de Pâques, et le tombeau est vide. Jean voit par terre le linceul et un linge roulé à part, à sa place. En voyant ces choses qui ne sont presque rien, Jean découvre aussitôt l'amour vivant du Seigneur Jésus. Il n'y a que dans l'amour que cette vision est possible. Celui qui aime ne peut absolument pas communiquer sa vision, son amour, à celui qui n'aime pas, parce que celui qui n'aime pas est aveugle. Celui qui n'a pas l'amour de Jean ne pourra pas croire que Jean a découvert que l'Amour était vivant en voyant le linceul et le linge, là par terre. Celui qui n'aime pas donnerait mille explications du phénomène. Du moins il aurait besoin de longues preuves pour exclure les autres possibilités. Celui qui n'aime pas perd beaucoup de temps. Il comprendra plus lentement, il attend des assurances, des preuves.

Nous sommes chrétiens parce que le Christ est ressuscité, sinon notre foi serait vide de sens. Pour les disciples, ce n'est qu'à partir de l'événement de Pâques que s'est éclairée toute la vie de Jésus, et même la totalité des Écritures. Et alors, ils ont répandu la lumière de Pâques sur toute leur description de la vie de Jésus et sur toutes ses paroles. Tout le Nouveau Testament est écrit à la lumière de la résurrection. A la mort de Jésus, tout s'était effondré. Par sa résurrection, tout devient cohérent. Et cette cohérence a fasciné le regard spirituel de la première communauté chrétienne. Elle l'a amenée aussi à relire toute l’Écriture, c'est-à-dire tout l'Ancien Testament ; et elle a compris que toutes les Écritures n'ont été écrites que pour lui : il en est la synthèse transcendante. "Nous qui sommes ressuscités avec le Christ, recherchons les réalités d'en haut; c'est là qu'est le Christ, il est assis à la droite de Dieu". (Avec Joseph-Marie Verlinde, Olivier Clément, Paul Dreyfus, Catéchisme de Jean-Paul II, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

12 avril 2009 - Dimanche de Pâques – Année B

Évangile selon saint Jean 20, 1-9

Les versets qui suivent cet évangile que je viens de lire, on ne les lit jamais le dimanche. Alors je commence par vous en dire un mot. Pierre et Jean sont donc allés au tombeau le matin de Pâques ; c'est Marie-Madeleine qui les avait avertis que la pierre du tombeau avait été enlevée. Pierre et Jean courent au tombeau, ils y entrent, ils constatent de fait que le corps de Jésus n'est plus là et ils retournent chez eux.

La suite de l'évangile, c'est que Marie-Madeleine reste là, près du tombeau, elle pleure. Elle se penche vers l'intérieur du tombeau et elle voit deux anges. Et les anges lui demandent : Pourquoi pleures-tu ? (Comme s'ils ne le savaient pas!) Marie-Madeleine : Parce qu'on enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l'a mis. Là-dessus, les anges ne disent rien. Marie-Madeleine se retourne et il y a là un homme qu'elle prend pour le jardinier et elle lui demande : Si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis. Alors Jésus lui dit : Marie. Aussitôt Marie sait que c'est Jésus. Elle se jette à ses pieds pour les embrasser. Et alors Jésus lui dit : Ne me touche pas, ne me retiens pas comme ça, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Et aussitôt Marie-Madeleine court annoncer aux disciples : J'ai vu le Seigneur, et voilà ce qu'il m'a dit. Dans l'évangile de saint Jean, la suite de ce récit de l'apparition de Jésus à Marie-Madeleine le matin de Pâques, c'est le récit de l'apparition de Jésus à tous ses disciples le soir de Pâques.

Donc le matin de Pâques, la pierre du tombeau a été enlevée; Marie-Madeleine qui est debout la première constate le fait et elle court l'annoncer aux disciples. Aussitôt Pierre et Jean courent au tombeau , ils y entrent et ils constatent que si le corps de Jésus n'est pas là, tous les linges qui entouraient le corps sont bien rangés, et pas en tas, n'importe comment, en désordre. Et saint Jean alors devine quelque chose : il vit et il crut. Il y a une lumière qui s'allume dans son cœur. Mais c'est tout. Jésus ne se fait pas voir à lui tout de suite. Pourquoi ?

Quelques instants après, quand Pierre et Jean sont repartis, la première à qui Jésus se fait voir, c'est Marie-Madeleine justement. Mais Jésus ne s'était pas non plus fait voir à elle tout de suite. Pourquoi ? Marie-Madeleine est là au tombeau de Jésus. Elle est ouverte à la grâce. Elle cherche Jésus à travers ses larmes. Elle pense toujours que Jésus est mort pour toujours. Et voilà que Jésus l'appelle par son nom : Marie. Elle ne cherche pas à comprendre. Mais il est là vivant, celui qu'elle croyait mort pour toujours. Jésus se fait voir à elle, Jésus lui ouvre les yeux et elle voit l'invisible. La foi qui ouvre les yeux est toujours un don de Dieu. Et Marie-Madeleine sait tout de suite, elle sait déjà, que le plus important dans la vie, c'est Jésus qui est là, même quand on ne le voit pas, il est là quand on lui parle, quand on le prie, même si on ne le voit pas.

Personne ne savait que Marie était là dans le creux du rocher de Massabielle à Lourdes. Et le ciel a ouvert les yeux de Bernadette, uniquement les yeux de Bernadette, et elle a vu et elle a su que Marie était là. Bernadette l'a vue et elle a su que Marie était là, pas pour elle Bernadette seulement, mais pour que beaucoup se réjouissent avec elle à Lourdes de la présence de Marie.

Marie-Madeleine a été touchée, ses yeux se sont ouverts quand Jésus l'a appelée par son nom : "Marie". Il était là avant même de parler, mais Marie ne le savait pas. C'est comme ça dans toutes nos vies : il est là et nous vivons dans la foi qu'il est toujours capable de nous appeler et de nous ouvrir les yeux au moment choisi par lui.

Mais si Marie-Madeleine avait fait la grasse matinée le matin de Pâques, que se serait-il passé ? Rien peut-être. Le matin de Pâques, ce n'est sans doute pas un hasard que Jésus se soit fait voir à la première qui était à son tombeau, la première, parce qu'elle aimait beaucoup.

Il y a parfois des gens qui disent : La mort, personne n'en est jamais revenu. C'est vrai. Les premiers disciples et Marie-Madeleine pensaient la même chose, personne n'est revenu de la mort. Et voilà que Jésus leur impose sa présence vivante. Il n'y a rien à dire, il n'y a plus qu'à le toucher pour s'assurer qu'il est bien vivant, qu'on ne se fait pas illusion, et puis il n'y a plus qu'à pleurer de joie comme Marie-Madeleine. Jésus ressuscité n'est pas un fantôme, il demande à manger, il montre ses plaies et il propose qu'on vienne le toucher (Thomas). Mais en même temps, il passe à travers les portes fermées.

La résurrection, c'est la réponse de Dieu à toutes nos questions, ou plutôt à l'unique question qui habite le cœur des hommes : D'où viennent l'affliction et les larmes ? En dernier ressort, l'affliction et les larmes viennent de la mort. La réponse de Dieu, c'est la résurrection de Jésus. "Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés".

L'homme a été créé et équipé par la nature, en tant que créature, pour rencontrer et trouver Dieu en toutes choses, et donc aussi pour pouvoir trouver Dieu. C'est cela la nature véritable de l'homme. L'homme est capable de percevoir le Dieu qui le rencontre et qui se révèle à lui. Et Dieu a beaucoup de manières de faire pour se faire reconnaître. Marie-Madeleine a vu Jésus et l'a entendu, Bernadette a vu Marie et l'a entendue. Mais la foi de tout chrétien véritable a aussi des yeux et des oreilles, et Dieu est capable de les ouvrir sur l'invisible, d'ouvrir les yeux du cœur sur l'invisible : dans le recueillement, la prière et la lecture des choses saintes. (Avec Cardinal Barbarin, Fabrice Hadjadj, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

8 avril 2012 - Dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 20,1-9

Personne n'a été témoin de l'instant où Jésus est sorti vivant du tombeau. Ce qui est constaté par les disciples les plus proches de Jésus, c'est que le tombeau est vide. Il y a d'abord Marie-Madeleine, puis Pierre et Jean. Pour ces trois amis de Jésus, le tombeau vide n'est pas un signe de résurrection. Qui pourrait imaginer une chose pareille ? Humainement, qu'est-ce qui a pu se passer ? C'est Marie-Madeleine qui imagine la solution du problème : si le corps de Jésus n'est pas là, c'est qu'on l'a enlevé. Et on ne sait pas où on l'a mis. Et on ne sait pas qui l'a enlevé.

Notre évangile nous dit bien que l'autre disciple, c'est-à-dire saint Jean, a vu lui aussi le tombeau vide, qu'il a vu le linceul resté là et aussi le linge qui avait recouvert la tête. "Il vit et il crut". Il a vu comme les deux autres, mais il est le seul à croire. Il est le seul à deviner tout de suite cette chose invraisemblable que Jésus devait être sorti vivant du tombeau. Mais où est-il ?

L'obscurité en Dieu est la face de la lumière qui nous échappe, elle est la part que Dieu s'est réservée, elle est le signe de sa souveraineté éternelle. Le fait qu'il se réserve l'obscurité est un mystère de son amour pour nous.

Le miracle de la résurrection ne fait pas violence. Il se révèle seulement à celui qui croit et qui aime. La foi découvre que la mort, c'est quelque chose qui est contre nature. Et alors la résurrection du Seigneur Jésus est l'unique fête qui est absolument pleine de sens dans l'existence humaine.

La réponse de Dieu à la grande question des hommes, c'est l'événement de la résurrection au matin de Pâques. Si quelqu'un aime Dieu, alors il se trouve connu de lui (1 Co 8,2). C'est saint Paul qui dit cela. Dieu ne se fait connaître qu'à celui qui l'aime.

Tout le monde, sans exception, d'une manière ou d'une autre, a dû, doit ou devra s'expliquer avec le Christ, qu'il croie ou non en lui aujourd'hui. Ne pas croire en lui, c'est déjà lui répondre. La vie chrétienne tout entière n'est qu'une préparation à la résurrection et à la vie éternelle. Mais la vie éternelle n'est pas la vie après la mort, elle est la vie avec Dieu ; elle commence déjà avant la mort physique, elle commence dans notre propre histoire maintenant.

Il y a partout des croix dans le monde, dans nos églises et dans nos maisons et sur les chapelets. Nous vénérons la croix ; la croix n'est pas sombre, elle est lumineuse parce que celui qui est mort sur la croix a triomphé de la mort. La foi en la résurrection de Jésus est d'une importance historique essentielle. Même les historiens non croyants peuvent s'en rendre compte. Parce que sans cette foi en la résurrection de Jésus on ne voit pas comment une communauté chrétienne aurait jamais pu se former à l'origine et subsister deux milles ans plus tard.

Le matin de Pâques, on constate d'abord et avant tout que le tombeau est vide. Ce n'est que le soir de Pâques que Jésus va se manifester à ses disciples réunis dans une maison. Il va se présenter à eux comme la source de la paix et de la joie, une joie qui a traversé l'impasse de la mort. La Révélation de Dieu a atteint son sommet indépassable avec la mort et la résurrection du Seigneur Jésus. La suite de l'histoire ne peut être qu'un espace dans lequel cette lumière rayonne. (Avec Nicolas Berdiaev, Cardinal Barbarin, Jean-Luc Marion, Patriarche Daniel, Mgr Léonard, AvS, HUvB).

 

5 avril 2015 - Dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 20,1-9

Première constatation du dimanche de Pâques : le tombeau de Jésus est vide. Première question qui se pose : qui a bien pu emporter le corps de Jésus ? Et pour quoi faire ? Après avoir vécu pendant trois ans avec Jésus, les apôtres étaient convaincus que Jésus venait vraiment de Dieu. Alors pourquoi tout a capoté comme ça ? Jésus est mort, c'est fini. On n'a plus qu'à retourner à nos moutons, c'est-à-dire à notre gagne-pain d'autrefois.

Le tombeau de Jésus est vide, mais il y a quand même quelque chose d'étonnant, c'est que le linceul est resté là et que le linge qui recouvrait sa tête est resté là aussi, à sa place. Les apôtres ne peuvent imaginer que Jésus est vivant par-delà la mort, ils ne peuvent pas imaginer qu'il est ressuscité. On n'a jamais vu ça. Ce n'est pas possible, on n'y pense même pas.

On ne lit jamais le dimanche la suite de cet évangile de saint Jean, c'est-à-dire les versets 10 à 18. Le verset 10 nous dit ceci : Après leur visite au tombeau et la constatation que le tombeau était vide, les disciples s'en retournèrent chez eux. Ils ont accompli leur tâche. Ils ont vu, ils ont constaté de leurs yeux ce que leur avait dit Marie-Madeleine : le corps de Jésus n'est plus là.

Marie-Madeleine, elle, reste au tombeau. Elle pleure toujours. Elle voit des anges, mais elle ne sait pas que ce sont des anges. Les anges lui demandent : "Pourquoi pleures-tu ?" Réponse : "On a enlevé mon Seigneur, je ne sais pas où on l'a mis". Elle se retourne, elle voit Jésus, mais elle ne le reconnaît pas. Elle pense que c'est le jardinier. Jésus lui pose la même question que les anges : "Pourquoi pleures-tu ?" Réponse : "Si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis et j'irai le prendre". Jésus alors ne dit qu'un mot, il l'appelle par son nom : "Marie !" Cri du cœur de Madeleine : "Rabbouni !", c'est-à-dire : "Maître !"

Marie-Madeleine est la première à qui le Ressuscité s'adresse. Ce n'est pas par hasard que le Seigneur Jésus, qui a souffert pour les pécheurs, s'adresse en premier lieu à une pécheresse notoire (et repentie). C'est à elle qu'il réserve cet honneur incompréhensible. Ce n'est pas à Pierre ni à Jean. Il est impossible que Marie-Madeleine tire de l'orgueil de cette distinction. A l'instant où elle reçoit cette marque d'estime, elle sait aussi qu'elle la reçoit comme la pécheresse d'autrefois.

Sur la croix, il est mort pour tous, les connus et les inconnus, les importants et ceux qui ne le sont pas, il est mort pour tous les péchés anonymes du monde. Maintenant, quand Jésus appelle Marie par son nom, l'âme de Marie s'ouvre à la divinité du Seigneur Jésus. Maintenant Marie ne pleure plus parce qu'elle cherche, elle pleure parce qu'elle a trouvé, parce que le Seigneur Jésus est là. C'est une présence qui envahit tout.

L'humanité ne s'appartient pas à elle-même. Le monde présent n'est pas la réalité ultime et absolue. Le monde n'a pas son sens en lui-même. Le but de la création, c'est la communion totale de la créature avec son Créateur. La fête de Pâque, la fête de la résurrection du Seigneur Jésus, est l'élément central de l'histoire, qui a fait basculer l'univers dans une nouvelle dimension. La foi chrétienne commence par la foi en la résurrection, la résurrection qui est inséparable de la croix. La croix, c'est que Dieu se livre lui-même.

La suppression des religions est si peu possible que seuls les totalitarismes s'imaginent capables de les gommer et en les interdisant. Et les persécutions violentes qui se sont produites dans les totalitarismes du XXe siècle n'ont obtenu qu'un effacement temporaire des religions puisque, dans tous les cas, les religions resurgissent, aussitôt le totalitarisme repoussé, plus vivantes que jamais.

Dès l'époque des apôtres, on célébrait la fraction du pain, c'est-à-dire l'eucharistie, le premier jour de la semaine, c'est-à-dire le dimanche, le jour de la résurrection. Pourquoi ? Parce que l'eucharistie était célébrée comme une rencontre avec le Ressuscité. Avant la croix et la résurrection, les disciples ne possèdent encore que des amorces de foi. Jésus ne devient réellement objet de foi que par l'achèvement qui est la croix et la résurrection. La vérité dernière de Jésus, mortel et mort, c'est le Ressuscité. Ce qu'il est en vérité, dès sa vie terrestre sur les chemins de Palestine, ce qu'il est en vérité même dans sa mort, c'est qu'il est et qu'il sera le Ressuscité. le christianisme est fondé sur le fait de la résurrection de Jésus dont le tombeau vide était le signe. (Avec Dumitru Staniloae, Henri Boulad, Joseph Ratzinger, Chantal Delsol, Benoît XVI, AvS, HUvB).

 

4 avril 2010 – Dimanche de Pâques - Année C

Evangile selon saints Jean 20, 1-9

La suite de l'évangile de saint Jean que je viens de lire ne fait pas partie des lectures des dimanches. Je vous la résume. Il y avait donc au tombeau Pierre, Jean et Marie-Madeleine. Et le corps de Jésus n'était plus là. Les deux disciples retournent chez eux et Marie-Madeleine reste là. Elle pleure. A un certain moment, elle se penche vers l'intérieur du tombeau et là, elle voit deux anges, en vêtements blancs. Ils étaient assis là où avait reposé le corps de Jésus, l'un à la tête et l'autre aux pieds. Et les anges s'adressent à Marie : "Pourquoi pleures-tu ?" Elle dit : "Parce qu'on a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l'a mis". Marie alors se retourne ; il y a là quelqu'un, mais elle ne sait pas que c'est Jésus. Jésus demande à Marie : "Pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?" Marie pense qu'elle a affaire au jardinier et elle répond : "Si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis et je l'enlèverai". Jésus lui dit : "Marie!" Marie alors reconnaît Jésus, elle se jette à ses pieds qu'elle tient embrassés et elle lui dit : "Rabbouni ! Maître !". Et Jésus lui dit : "Ne me touche pas. Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver les frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu". Et aussitôt Marie court annoncer aux disciples : "J'ai vu le Seigneur et voilà ce qu'il m'a dit".

Les récits concernant la résurrection de Jésus sont simples et sobres. En quelques mots ils disent l'essentiel de la foi chrétienne... La lumière, les ombres et les doutes. Et finalement la lumière... La lumière et la réponse à la question : "Y a-t-il un au-delà ?"

Marie-Madeleine a revu Jésus un instant, et la lumière de son visage demeure à jamais en elle. En un instant elle a reçu la grâce de la certitude. Il y a une connaissance des choses de Dieu qui ne s'acquiert pas uniquement par l'étude. La nouveauté sans précédent qu'apporte au monde la foi chrétienne, c'est la résurrection de Jésus. Et la résurrection de Jésus inclut celle de tous les humains. Si le tombeau est vide, si le corps de Jésus n'est pas là, c'est que Jésus est vivant, avec son corps, ailleurs. Marie-Madeleine pense que Jésus n'est pas là. Elle se retourne et, pendant un instant, il lui est donné de voir et de savoir que Jésus est là. Il lui est donné en même temps de savoir que Jésus sera toujours là même quand elle ne le verra plus.

Jésus se fait voir un instant à Marie, et aussitôt il lui donne une mission : elle doit aller retrouver les disciples tout de suite et elle doit leur dire qu'elle a vu Jésus et que Jésus lui a parlé. Mais les disciples, eux, devront encore attendre pour voir Jésus. Toute grâce de Dieu doit être aussitôt transmise à d'autres, comme Dieu le veut et dans la mesure où Dieu le veut. Ce n'est pas Marie-Madeleine qui a le pouvoir de faire voir Jésus aux disciples. Marie-Madeleine transmet un message. Le cœur des disciples a pu rester froid et insensible pendant tout un temps encore. Ce n'est pas Marie-Madeleine qui peut donner la foi. Ce que les saints nous disent, c'est que, depuis le péché, le monde de l'homme est fermé à Dieu. L'homme s'est fermé à Dieu sans bien voir toutes les conséquences que cela peut avoir pour lui.

On peut trouver étrange ce récit de saint Jean concernant le jour de Pâques. Marie-Madeleine toute seule au tombeau, puis les deux disciples, puis Marie-Madeleine toute seule au tombeau, en larmes, et puis les deux anges, et puis Jésus lui-même qui se fait reconnaître de Marie en l'appelant par son nom. Pour l'évangéliste, c'est une femme qui reçoit la première la révélation de la résurrection de Jésus. Une chrétienne de notre temps croit pouvoir discerner que le cœur d'une femme reste toujours ouvert, elle a une grande réceptivité au spirituel. Et cette croyante ajoute : "De même que Dieu a choisi le sein d'une femme pour apporter le salut, c'est souvent par le cœur de la femme que l'homme peut renouer sa relation avec Dieu". En tout cas c'est ce qui se passe dans l'évangile de la résurrection selon saint Jean. C'est Marie-Madeleine qui est la messagère de Dieu auprès des disciples. Mais de ce qui s'est passé le jour de Pâques on ne peut pas tirer une conclusion générale sur les conduites de Dieu, des hommes et des femmes. Ce qu'on peut dire, c'est que la Vierge Marie est le modèle insurpassable de l'accueil de Dieu par l'humanité. Et, curieusement, les évangiles canoniques ne nous disent rien de la Vierge Marie pour le jour de Pâques. Cela ne veut pas dire que rien ne s'est passé pour elle en ce jour.

Dieu s'est fait homme : c'est l'affirmation centrale du message chrétien. Pour toutes les autres religions, cette affirmation est insoutenable, absurde. Cette affirmation que Dieu s'est fait homme sépare radicalement la foi chrétienne de toutes les autres croyances. Et la révélation de Dieu a atteint son sommet indépassable avec la mort et la résurrection du Christ, du Fils de Dieu. Et sur toute la suite de l'histoire et sur chacune de nos vies la résurrection du Seigneur Jésus projette sa lumière et sa paix. (Avec Joseph Ratzinger, Archimandrite Basile, Jean- Pierre Torrell, Mgr Dubost, Jo Croissant, Jean Duchesne, AvS). 

 

31 mars 2013 - Dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 20,1-9

C'est le matin de Pâques. Marie de Magdala, Marie-Madeleine, est au tombeau de Jésus. Il est vide et elle pleure comme une petite fille. Pour elle, c'est fini : ils ont enlevé le corps de Jésus. Elle part en courant trouver Pierre et Jean. Elle leur dit : "Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau. Qui sait où ils l'ont mis ? Le tombeau est ouvert. Qui a pu faire cela ?"

Pierre et Jean partent tout de suite. Jean arrive le premier. Il se met à genoux à l'entrée du tombeau. Il attend Pierre. Il fait encore très sombre, il n'y a que peu de lumière qui entre par la petite ouverture de la porte et quand Pierre y est entré, il a du mal à voir. Il doit toucher de ses mains pour se rendre compte que le corps de Jésus n'est plus là où il aurait dû être. Il appelle Jean : "Viens donc. J'ai tant pleuré que je n'y vois presque pas avec ce peu de lumière. Ils avaient mis des gardes. Mais ce n'était pas pour nous. C'était pour faire cela. Où l'ont-ils mis ? Maintenant c'est vraiment fini". Ils sont anéantis. Ils vont partir. Marie-Madeleine leur dit : "Moi, je reste ici".

La suite du récit de l'évangile de saint Jean, on ne la lit jamais le dimanche. Alors voici cette suite. Marie-Madeleine ne veut pas quitter le tombeau. Pierre lui dit : "Tu vois, c'était une folie d'espérer quelque chose après la mort !" Marie ne répond même pas. Elle reste près de la porte. Elle regarde à l'intérieur du tombeau et, à travers ses larmes, elle voit deux anges, à la tête et au pied de l'endroit où se trouvait le corps de Jésus. Elle regarde, sans même s'étonner. L'un des deux anges lui dit : "Pourquoi pleures-tu ?" - "Parce qu'ils ont emporté mon Seigneur et je ne sais pas où ils l'ont mis". Marie n'a pas peur de leur parler. Elle ne dit pas : "Qui êtes-vous ?" Rien ne l'étonne plus.

Puis elle voit que les deux anges regardent dehors. Elle fait comme eux, elle se retourne. Il y a là un homme qui la regarde. Et au milieu de ses sanglots, elle répète : "Ils ont pris le Seigneur Jésus. J'étais venue pour l'embaumer. J'ai rassemblé tout mon courage et toute ma foi, et je ne le trouve plus. Tout est inutile. Les hommes ont enlevé mon amour, et avec lui ils m'ont tout enlevé. Si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis et j'irai le prendre. Je ne le dirai à personne. Ce sera un secret entre toi et moi. Je t'en supplie. Veux-tu que je rachète son corps ? Combien veux-tu ? Je suis riche. Dis-moi ce que je dois te donner, mais rends-le moi... Dis-moi où est mon Seigneur Jésus. Je suis forte. Je le prendrai dans mes bras et je le porterai comme un enfant dans un lieu sûr".

Et c'est alors qu'elle entend son nom : "Marie". C'est l'homme qui a dit son nom. Marie n'a qu'un cri : "Rabbouni". Rabbouni, c'est-à-dire : Maître. Marie se lève, elle court aux pieds de Jésus, elle voudrait les baiser. Et Jésus lui dit : "Ne me touche pas. Je ne suis pas encore remonté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : 'Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu'. Et ensuite je reviendrai vers eux". Et Jésus disparaît dans une lumière insoutenable. Marie baise le sol où Jésus se trouvait et elle court vers la maison pour le dire aux disciples et aussi aux femmes qui étaient disciples de Jésus.

On peut se poser la question : pourquoi tous ces événements le matin de Pâques ? Et le tombeau vide, et Pierre et Jean qui vont et viennent, bredouilles. Et Marie qui reste là, et qui est la première à entendre et à voir le Ressuscité... brièvement. Pourquoi tous ces événements ? C'est comme dans chacune de nos vies. Pour le chrétien, il n'existe rien d'absolument inutile. Tout a un sens, même si on ne le voit pas tout de suite.

Et pourquoi Jésus ne s'est-il pas montré tout de suite à Pierre et à Jean ? Pourquoi ? Parce que aucun croyant ne se suffit à lui-même. Même les apôtres ont besoin des autres. Le Seigneur Jésus est aussi dans les frères et les sœurs. Il est impossible de ne faire que donner, comme si on était parfait.

Le Fils éternel de Dieu était entré dans la vie humaine, terrestre et passagère. Par sa résurrection, cet homme entre dans la vie céleste et éternelle du Royaume de la Trinité sainte. Durant le temps de sa mission terrestre, le Fils de Dieu avait, pour ainsi dire, mis entre parenthèses sa toute-puissance. Il avait déposé sa toute-puissance entre les mains du Père. Et le Père lui rend sa toute-puissance par-delà la mort.

Ce qui donne son sens à toute la Bible, c'est le mystère de la résurrection. Jésus ressuscité est le foyer autour duquel gravitent l'Ancien et le Nouveau Testament. Ce qui donne son sens à notre existence de chrétien, c'est également ce mystère. Le Christ ressuscité est le centre des Écritures et de toute notre foi et de la vie de tout homme.

Qu'est-ce que c'est que l'eucharistie ? C'est l'existence de Jésus qui est mise à la disposition de tous sous la forme sacramentelle permanente. L’Église ne s'éveille à la vie, le chrétien ne s'éveille à la vie que par le Seigneur Jésus qui s'enracine dans l’Église et dans le chrétien par le mystère de sa mort et de sa résurrection. (Avec Patriarche Daniel, Jean Delumeau, Xavier Léon-Dufour, AvS, HUvB).
 

27 mars 2016 - Dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 20,1-9

Le matin de Pâques, c'est le grand silence. Les apôtres sont encore totalement abattus. La première au tombeau de Jésus le matin de Pâques, c'est Marie-Madeleine, la grande pécheresse convertie par Jésus. Qu'est-ce qu'elle va faire au tombeau de grand matin ? Ce qu'elle va faire ? Elle est poussée par l'amour de celui qui l'a tirée de sa vie de péché. Jésus est mort, mais c'est lui qui l'a sauvée. Elle arrive au tombeau, ce tombeau est ouvert. Elle court avertir Pierre. Pierre et Jean aussitôt courent au tombeau. Ils entrent pour voir : le tombeau est vide. Tel est l'évangile que l’Église nous propose en ce matin de Pâques.

C'est à la messe du soir du jour de Pâques qu'on lit ce qui est arrivé aux disciples d'Emmaüs, et comment Jésus avait fait route avec eux, incognito, et comment tout à coup, à table, les deux disciples avaient reconnu Jésus, mais aussitôt Jésus avait disparu à leurs regards.

Marie-Madeleine est la première à courir au tombeau le matin de Pâques. Elle sait plus que d'autres tout ce qu'elle doit à Jésus. Elle a été touchée par Dieu dans sa rencontre avec Jésus. Personne ne peut enlever ça de sa vie. Il y a maintenant pour toujours en elle une recherche constante de Dieu, il y a en elle un désir ardent d'être assouvie par Dieu, elle recherche la proximité de Dieu. Et cette proximité, c'est Jésus qui la lui a donnée. Au tombeau, Marie ne voit rien, elle voit seulement que le tombeau a été ouvert. Encore une fois, Dieu ne dit pas tout, tout de suite. Il sait mieux que nous ce dont nous avons besoin.

La foi est toujours un mélange de lumière et d'obscurité. Croire, c'est être fidèle à ce qu'on a vu dans la lumière. C'est ce que fait Marie-Madeleine sans le savoir, c'est ce que font Pierre et Jean ; Pierre, malgré son reniement. "Tout ce que nous pouvons penser de Dieu, ou comprendre, ou nous figurer, ce n'est pas Dieu. Car si les hommes pouvaient le saisir et le concevoir avec leurs facultés, Dieu serait moins que l'homme et nous aurions vite fini de l’aimer". C'est une mystique du Moyen Age qui disait cela, Hadewijch d'Anvers.

Celui qui allait devenir saint Justin est né en Palestine aux environs de l'an 100 après le Christ. Il a longuement cherché la vérité dans différentes écoles de la tradition philosophique grecque. Un jour, sur une plage, il rencontre un mystérieux vieillard qui lui donne ce conseil : "Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut comprendre si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre". Justin est devenu chrétien et, à Rome, il a ouvert une école où il initiait ses élèves à la nouvelle religion qu'il considérait comme la véritable philosophie. On peut retenir ces paroles du vieillard rencontré sur la plage : "Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes".

Jésus est venu annoncer à l'humanité une bonne nouvelle, et cette bonne nouvelle qu'il annonce, c'est une vie qui, dès ici-bas, est mêlée d'éternité. Et cette bonne nouvelle - Jésus va le préciser peu à peu -, c’est lui-même, car il est le chemin, la vérité et la vie, il est la résurrection et la vie. Jésus va au cœur, à la personne, plus loin que les rôles, les masques et le péché. La seule réalité qui compte, c 'est la personne qui s'ouvre à la grâce. Bienheureux, nous dit-il, ceux qui se vident d'eux-mêmes pour laisser l'Esprit les envahir.

Qu'est-ce que l'absence de Dieu sinon l'enfer ? On ne peut mettre de limites à la miséricorde de Dieu, ni à la possibilité pour l'homme de refuser éternellement cette miséricorde, de refuser éternellement de s'ouvrir à la lumière.

Dans l’Église, nous lisons et relisons toujours l'Ancien Testament, c’est-à-dire toute l'histoire du peuple de Dieu avant la venue du Seigneur Jésus, toute la révélation de Dieu avant le Seigneur Jésus. Et quand nous lisons et relisons l'Ancien Testament, c'est toujours en nous souvenant que toutes les révélations de Dieu qu'on y trouve ont eu lieu en vue de la plus importante de toutes : la connaissance du Christ ressuscité. "Le Seigneur est ressuscité du tombeau, lui qui, pour nous, fut suspendu au bois. Voici le jour que fit le Seigneur, qu'il soit pour nous jour de fête et de joie, alléluia". (Avec Hadewijch, saint Justin, Benoît XVI, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

1er mai 2011 - 2e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 20,19-31

L'évangile de saint Jean nous raconte à sa manière ce qui s'est passé le jour de la résurrection de Jésus. Il y a d'abord, de grand matin, Marie-Madeleine au tombeau de Jésus. Elle trouve le tombeau ouvert, alors elle court tout de suite avertir les apôtres. Pierre et Jean courent au tombeau et ils constatent simplement ce que Marie-Madeleine leur a dit : le tombeau est ouvert et le corps de Jésus n'est plus là.

Puis deuxième scène du jour de Pâques selon saint Jean : Jésus apparaît à Marie-Madeleine toute seule qui était restée près du tombeau. Troisième scène du jour de Pâques : le soir, Jésus apparaît à ses disciples réunis en un même lieu. Tous les apôtres sont là sauf Thomas. Quand Thomas rejoint le groupe des apôtres et qu'on lui annonce que Jésus est venu leur rendre visite le soir de Pâques, Thomas ne peut pas y croire.

Huit jours plus tard, tous les apôtres sont toujours réunis dans une maison, Thomas aussi est là. C'est l'heure du repas. Les fenêtres sont barrées et les portes aussi. Tout d'un coup Jésus est là. Tous se lèvent et s'empressent vers Jésus. Le seul qui reste un peu loin, embarrassé, c'est Thomas. Il s'est mis à genoux près de la table, mais il n'ose pas avancer. On dirait même qu'il essaie de se cacher un peu derrière le coin de la table. Et Jésus l'appelle : "Thomas, viens ici". Et Thomas n'ose pas bouger. Alors Jésus s'approche un peu et il lui dit une deuxième fois : "Viens ici, Thomas". La voix de Jésus est plus pressante que la première fois. Thomas se lève tout gêné, tout petit, tout penaud, et il va vers Jésus. Et Jésus s'écrie : "Voilà celui qui ne croit pas s'il ne voit pas!" Mais dans la voix de Jésus, il y a un sourire de pardon. Thomas s'en rend compte et il ose alors regarder Jésus. "Viens ici tout près", lui dit Jésus. Regarde, mets un doigt s'il ne te suffit pas de regarder mes blessures". Jésus a présenté ses mains et il a ouvert son vêtement pour découvrir la plaie de son côté. Thomas tremble, il regarde, mais il n'ose pas toucher. Il voudrait dire quelque chose, mais les mots ne sortent pas. Jésus lui dit alors avec douceur : "Donne-moi ta main, Thomas". Et Jésus lui prend la main droite et lui fait toucher ses plaies. "Ne sois pas incrédule, sois croyant". Thomas est à genoux. Il arrive à dire quelques mots quand même : "Mon Seigneur et mon Dieu". Il ne sait rien dire d'autre. Jésus lui pardonne en lui mettant la main droite sur la tête : "Thomas ! Thomas ! Maintenant tu crois parce que tu as vu. Mais heureux ceux qui croient en moi sans avoir vu". Et Jésus fait asseoir tout le monde pour continuer le repas avec ses disciples. Mais plus personne n'a faim. La joie les a rassasiés.

Le Seigneur Jésus est aussi puissant aujourd'hui qu'autrefois. Il se révèle toujours lui-même autant qu'il est nécessaire pour que notre foi soit vivante et ardente. Mais il faut un minimum d'attention à ses visites, à son passage. Le Seigneur Jésus est prêt à recevoir tous les hommes, il est prêt à recevoir tous ceux que le Père lui donne, parce que tous viennent du Père. Quand on est dans la lumière, il est facile de croire. Ce qui est plus difficile, c'est de savoir que le Seigneur Jésus se trouve aussi en toute obscurité. Thomas a commencé par l'obscurité : c'était difficile.

Aujourd'hui saint Thomas nous apprend à prier : "Mon Seigneur et mon Dieu !" Thomas n'a pas pu en dire plus. On peut penser que ce n'était pas que des mots. Il y avait là toute une demande de pardon, de confiance et de foi. Les saints nous disent : "Il ne faut pas prier seulement par devoir. Il faut mettre de l'amour dans ce qu'on dit"... "Mon Seigneur et mon Dieu !", comme Thomas à genoux devant Jésus, et tout tremblant. En disant ces quelques mots, Thomas était comblé au-delà de toute espérance. Le salut de l'homme, c'est la communion avec Dieu. Thomas s'est senti accueilli tout entier par une présence infinie. Ce fut l'expérience aussi de tous les apôtres réunis ce soir-là.

L'un de nos Pères dans la foi (il y a très longtemps) disait : "L'âme ne peut se reposer que dans l'infini". Et l'infini est toujours là. C'est le Ressuscité qui a promis à ses apôtres : "Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde". Il veut rester concrètement présent à son Église et à chaque croyant, tous les jours, jusqu'à la fin du monde. (Avec Carver Alan Ames, Benoît XVI, saint Grégoire de Nysse, AvS, HUvB).

 

27 avril 2014 - 2e dimanche de Pâques - Année A
Évangile selon saint Jean 20,19-31

Les apôtres n'étaient pas au complet quand le Seigneur Jésus leur est apparu le soir de Pâques : il manquait Thomas. Thomas n'a pas assisté comme les autres à l'apparition inexplicable du Seigneur Jésus, toutes les portes étant closes. Thomas n'a pas vécu l'expérience des autres. Les autres apôtres ne lui racontent rien de plus que le fait qu'ils ont vu le Seigneur Jésus. Ils partagent un mystère qu'ils ne peuvent pas expliquer à Thomas bien que Thomas soit l'un des leurs. Ils essaient quand même d'associer Thomas à leur expérience.

Mais à l'ouverture que lui font les autres, Thomas répond que, pour y croire, il exige des preuves. Il veut des preuves et des preuves sensibles. Il veut voir les signes de la Passion : les mains percées, les pieds percés, le côté percé. Au milieu de son incrédulité, Thomas est vraiment à la recherche de la foi. Il réclame l'examen par ses yeux, par ses doigts,  par sa main tout entière. Il ne dit pas qu'il ne croira pas, mais qu'il veut vérifier pour croire, vérifier par tous les moyens qui sont à sa disposition. Il vit dans un état de doute dont il pense pouvoir se débarrasser par une démarche méthodique. Mais il manque quelque chose à Thomas : s'il aimait vraiment ses frères, il les croirait sur parole. Les autres ont pu voir les plaies sans l'avoir demandé. C'est le Seigneur Jésus qui a voulu qu'ils voient.

Huit jours se passent. Le Seigneur Jésus s'est donné du temps, à lui-même et aussi à Thomas. Et le Seigneur Jésus apparaît de nouveau de la même manière mystérieuse que la fois précédente : les portes étant closes. Les portes closes de notre esprit et de notre âme ne font pas obstacle à sa venue. Même si on voulait l'exclure, il peut quand même passer. En tant que Dieu, il passe les portes closes ; en tant qu'homme, il se tient au milieu d'eux. Il apporte la paix en se tenant au milieu d'eux. En leur souhaitant la paix, il remet leurs âmes à Dieu.

"Thomas, mets ton doigt ici..." Le Seigneur Jésus se met totalement à la disposition de Thomas. Jésus agit comme s'il oubliait qu'il est Dieu et surtout que le Père est en lui. Thomas, lui aussi, est coupable de ces plaies. Par sa croix, le Seigneur Jésus a sauvé tous les hommes, et donc aussi Thomas. Le Seigneur Jésus ne ramène pas Thomas à la foi par un miracle, mais par la preuve que Thomas lui-même a réclamée.

Sur la croix, le Seigneur Jésus a sauvé tous les hommes, y compris Thomas. Mais il a aussi sauvé sa Mère comme si elle était parmi les pécheurs, comme si pour un temps avait été oublié son privilège de l'Immaculée Conception, son privilège d'être née sans péché. Jésus est l'unique Rédempteur. Marie est corédemptrice, mais pour être corédemptrice, elle doit être elle-même rachetée, elle ne peut pas se racheter elle-même. Ce n'est que lorsque la rédemption est accomplie qu'elle reçoit à nouveau son privilège.

L'histoire de l'humanité est l'histoire d'une lente montée vers le Christ. C'est aussi l'histoire de nos hésitations, de nos tâtonnements, de nos révoltes peut-être. Le péché est une réalité historique. Le Christ ne viendra que lorsque l'humanité sera mûre pour le recevoir. Historiquement, le monde est pécheur; l'incarnation de Dieu est donc rédemptrice, cela veut dire qu'au centre du monde il y a la croix et Jésus dessus.

Pour le christianisme, le bonheur, c'est de connaître Dieu, c'est de connaître le Christ, de savourer sa présence. Beaucoup d'hommes aujourd'hui vivent comme si Dieu n'existait pas. Est-ce qu'en vivant sans Dieu l'être humain se trouve allégé d'un fardeau ou bien se trouve-t-il dépouillé d'un trésor ? Se sent-il élargi ou bien confiné dans une prison ?

Un philosophe presque contemporain, très croyant, notait dans son journal intime : "Nous avons à faire l'éducation du sens divin et à restituer à ceux qui l'ont perdue l'intelligence de la pensée chrétienne". Les temps modernes sont capables de produire de nombreux biens. Et pas seulement dans le domaine des biens matériels. Nous leur sommes redevables de nombreux biens de nature culturelle comme l'état de droit, les musées pour tous, la musique sur des supports bon marché. Il y a cependant une chose que les temps modernes sont incapables de dire : pourquoi il est bon qu'il y ait des hommes sur la terre ?

C'est quoi la foi ? Croire, c'est faire, au centre le plus intime de soi-même, un espace réservé à la Parole de Dieu, qui doit y régner et tracer la route. (Avec François Varillon, Jacqueline Kelen, Maurice Blondel, Rémi Brague, AvS, HUvB).

 

23 avril 2017 - 2e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 20,19-31

Les disciples sont enfermés dans le cénacle, et plus encore dans leur peur. Jésus vient rompre cette clôture, cet enfermement. Il se tient au milieu d'eux. En réalité Jésus ne vient pas d'ailleurs, il est toujours présent à côté des siens ; mais il se rend visible à leurs yeux pour qu'ils puissent se rendre compte de sa proximité. Cela demeure vrai pour toute assemblée chrétienne. 

La première parole de Jésus est une parole de paix, une parole qui donne la paix à celui qui l'accueille. Puis Jésus montre ses mains et son côté : on peut y voir les traces qu'il est bien le Crucifié revenu à la vie. Alors il y a de la joie dans le cœur des disciples : ce n'est pas possible, mais il est là et c'est bien lui ! Jésus ressuscité est la parole définitive de réconciliation et de paix. Et il le demeure pour nous jusqu'à la fin des temps.

Puis tout de suite Jésus donne à ses disciples un ordre de mission : il faut qu'à leur tour ils aillent porter le pardon. Il faut avoir été pardonné pour pouvoir pardonner. Puis Jésus souffle sur eux son Esprit Saint et il les invite à l'accueillir : "Recevez l'Esprit Saint". Au lieu d'étouffer dans la peur, ils sont invités à respirer dans la liberté de l'Esprit. Le don de Pâques, c'est le don du pardon. Le premier don de l'Esprit Saint est lié au pardon des péchés. Le Père a envoyé son Fils dans le monde non pour condamner le monde, mais pour le sauver. Le pouvoir de remettre les péchés que Jésus confie à ses disciples est au cœur du mystère de la nouvelle Alliance. Par le don de la paix et la communion de l'Esprit Saint, tous les chrétiens sont porteurs de vie pour le monde.

Et puis il y a Thomas. C'est un cas, Thomas ! Il était resté à l'écart de la joie. Il ne croyait plus à grand-chose. Et Jésus l'invite justement à toucher ses plaies pour qu'il y découvre la compassion de son Seigneur qui est aussi son Dieu. Jésus ne tient pas rigueur à Thomas de son manque de foi, de sa réaction d'incrédulité. Thomas est le premier à bénéficier de la miséricorde, sans beaucoup de paroles. Mais Jésus dit quand même à Thomas, et à tous les hommes aussi sans doute : "Heureux ceux qui croient sans avoir vu !"

Dur, dur pour beaucoup aujourd'hui de croire sans avoir vu ! On ne veut pas croire n'importe quoi. On veut s'appuyer sur du solide. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Heureux ceux qui s'approchent de lui avec un cœur aimant ! Ce qui ne dispense aucunement de faire l'effort incessant de chercher à comprendre ce que l'on croit et à en éprouver ainsi la solidité.

Après Pâques, le Seigneur Jésus s'est manifesté un certain nombre de fois à ses disciples, toujours à l'improviste, dans une maison ou sur la route ou au bord du lac. L'initiative venait toujours de Jésus, les disciples n'y pouvaient rien. Une apparition : ça ne se demande pas ! C'est ainsi qu'ils ont appris peu à peu ce qu'était la foi. La foi, c'est s'habituer lentement aux mœurs de Dieu, à la langue de Dieu, aux usages et aux habitudes de Dieu, à son monde divin. Et petit à petit, pas à pas, le croyant doit essayer de se sentir à l'aise dans le pays de la vérité divine. Ce n'est possible que dans un acte de la plus profonde obéissance. Il est exclu que celui qui n'obéit pas à Dieu puisse s'approcher de lui et le découvrir.

Après Pâques, Jésus s'est manifesté un certain nombre de fois à ses disciples, il ne s'est pas manifesté à Pilate, ni aux chefs de prêtres, ni aux pharisiens. Il s'est manifesté à ses disciples pendant quarante jours. Mais l'histoire ne s'est pas arrêtée quarante jours après Pâques. Comment aujourd'hui pourrait-on être assuré de sa foi si depuis deux mille ans jamais le ciel ne s'était entrouvert ? C'est aujourd'hui le dimanche de la miséricorde. Pourquoi ? C'est la suite d'une révélation du Seigneur Jésus à sœur Faustine, une Polonaise du XXe siècle. Et depuis deux mille ans, le ciel s'est entrouvert bien des fois, toujours pour conforter la foi des croyants et pour inciter les non-croyants à aller voir si peut-être quand même il n'y aurait pas quelque chose au-delà de ce monde. Il y a des hommes et des femmes qui se convertissent sur une espèce de coup de foudre. Mais cela ne les dispense pas de réfléchir et d'approfondir leur foi par la suite afin de la confirmer.

Après sa résurrection, Jésus est apparu un certain nombre de fois à ses disciples. Ces apparitions nous livrent l'un des contenus essentiels de tout le message de Jésus à l'humanité : et ce message, c'est que la vie humaine est appelée à traverser la mort. Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts. Conséquence immédiate : non seulement l'espérance d'une résurrection des morts est ouverte aux hommes, mais dès aujourd'hui chacun doit en tenir compte dans la conduite de son existence. Et donc il s'agira d’orienter effectivement sa vie sur cet essentiel, sur l'unique nécessaire.

La résurrection de Jésus implique que l'homme ait part à la vie éternelle de Dieu. Et comment Jésus s'y prend-il pour nous donner une idée de Dieu, une idée de l’Éternel ? Sans cesse, il se donne et il se retire. Il est toujours l’Insaisissable. Il échappe à Hérode qui voulait le tuer, tout petit enfant. Il échappe aux habitants de Nazareth qui veulent le précipiter du haut de la falaise. Il échappe aux Juifs qui ramassent des pierres pour le lapider. Il échappe à la foule qui voudrait le faire roi après la multiplication des pains. Il ne se laissera prendre que lorsque son heure sera venue pour être livré aux mains des pécheurs. Mais tout cela n'empêche pas qu'on peut le saisir, le toucher, comme la femme qui touche son vêtement pour être guérie, comme la pécheresse qui baise ses pieds, comme Marie de Béthanie qui répand un parfum sur sa tête. Déjà durant sa vie terrestre, Jésus a cette manière mystérieuse de se donner et de se retirer qu'il aura après sa résurrection. Transfiguré sur la montagne, il ne se laisse pas enfermer dans une tente, interrogé par les docteurs il ne tombe pas dans leurs pièges. A Marie-Madeleine, le matin de Pâques, il dit : "Ne me retiens pas ainsi !" Cela veut dire : ma vie terrestre est terminée, vous ne pouvez plus avoir avec moi les mêmes relations qu'autrefois. Et à Thomas qui palpe ses plaies, il dit : "Heureux ceux qui croient sans voir vu !" (Avec Joseph-Marie Verlinde, saint Augustin, Pierre Descouvemont, André Manaranche, Joseph Doré, AvS, HUvB).

 

19 avril 2009 - 2e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 20, 19-31

"C'était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine". Le premier jour de la semaine, c'est notre dimanche d'aujourd'hui. Jésus vient. Il nous dit : La paix soit avec vous. Et les disciples sont remplis de joie. Mais il y en a un qui n'est pas là. C'est Thomas. Les absents ont toujours tort. Alors Thomas n'est pas rempli de joie. Pour lui, Jésus est toujours mort et bien mort. Il veut des preuves, Thomas, et ses collègues ont beau dire : lui, il ne croit que ce qu’il voit. Et lui, Thomas, il n'a pas vu, et donc il ne veut pas croire. Faut pas qu'on me raconte des histoires. C'est impossible.

Et huit jours plus tard, Jésus revient. Les portes sont toujours verrouillées. Et Thomas est là avec les autres. Il a dû attendre huit jours, Thomas. Et les autres aussi ont dû attendre huit jours. Jésus ne leur avait pas dit qu'il reviendrait dans huit jours. Personne ne savait s'il reviendrait. Jésus ne dit jamais tout, tout de suite. Et quand Jésus est là, il s'adresse à Thomas tout seul : "Mets ton doigt dans mes mains percées, mets ta main dans mon côté percé". Thomas s'effondre, il ne sait plus où se mettre. Mais il n'a pas perdu sa langue, et il dit quand même : "Mon Seigneur et mon Dieu".

L'évangile ne parle pas de la réaction des autres disciples. Mais pour eux, cette seconde visite de Jésus est une grande consolation et un grand soulagement : c'est la confirmation de ce qu'ils ont vécu huit jours auparavant et qu'ils n'arrivent pas encore à s'expliquer. Et pendant ces huit jours, les disciples ont beaucoup parlé entre eux, ils ont beaucoup échangé sur tout ce qu'ils avaient connu et entendu de Jésus pendant deux ou trois ans, et toutes ces paroles énigmatiques sur le Père qui l'a envoyé, et qu'il va retourner auprès du Père. Où était Jésus pendant ces huit jours, entre le dimanche de Pâques et le huitième jour ? Cela devient évident pour les disciples : il était auprès de Dieu, auprès du Père. Et puis ce soir-là, huit jours après Pâques, Jésus quitte les siens une nouvelle fois. L'évangile ne dit pas comment cela s'est fait. Mais dès ce moment-là, les disciples ont été remplis déjà de l'Esprit Saint pour comprendre les choses de Dieu.

Si la foi de l'homme est faible, il voit avant tout en Dieu un appui, et il prie Dieu pour tous ses petits besoins personnels, ses petits soucis et ses grands soucis. Et il trouvera pénible de laisser à Dieu le droit de comprendre les choses mieux que lui. Les premiers disciples sont passés par là. Mais maintenant ils sont un plus ancrés dans la confiance et dans la foi. Ils savent un peu mieux que, si Jésus est parti, il ne les a pas abandonnés. Ce ne sont pas les disciples qui décident de faire revenir Jésus. Les disciples apprennent maintenant un peu plus à vivre dans la dépendance de la volonté de Dieu et de Jésus. Et alors ils apprennent à faire leur un peu plus la prière que Jésus leur a apprise. Si les disciples prient maintenant, c'est pour supplier Dieu que sa volonté se fasse, sa volonté et celle de Jésus. C'est pour demander à Dieu et à Jésus qu'ils aient pitié du monde et de l’Église naissante ; ils supplient Dieu et Jésus qu'eux, les disciples, se plient à la volonté de Dieu et qu'ils se mettent, eux les disciples, au service de tout ce que Jésus et le Père leur demanderont.

Cela viendra. Mais pour le moment ils sont dans leur maison, toutes portes fermées. Et un jour, très bientôt, cette poignée de disciples portera témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, avec une grande force (notre deuxième lecture d'aujourd'hui). Avec une grande force et une grande pauvreté parce qu'il n'est pas en leur pouvoir de montrer Jésus ressuscité. Ils doivent donner ce qu'ils n'ont pas. Ils sont simplement des instruments, des tuyaux. Et qu'est-ce qu'on demande à un tuyau? C'est qu'il soit propre et étanche.

Le premier soir, le dimanche de Pâques, les disciples ne s'attendaient pas à une venue de Jésus. Huit jours plus tard, ils ne s'attendaient pas à une venue de Jésus. Et Jésus a dit quand même qu'il reviendrait à la fin des temps, au dernier jour. Ce sera quand le dernier jour ? Le dernier jour, le retour du Christ peut avoir lieu dans 50 ans ou dans 50.000 ans. Ce qui est important, c'est de vivre de telle sorte qu'on soit prêt à l'accueillir dans le quart d'heure qui vient. Il nous demande de vivre simplement en sachant que chacune de nos journées est comme "frôlée" par le dernier jour. Et dans les sacrements, dans l'eucharistie, "le dernier jour frôle chacune de nos journées".

Le Christ ressuscité n'est pas apparu à ses adversaires qui l'ont fait crucifier, il n'est pas allé les narguer comme eux-mêmes s'étaient moqué de lui sur la croix. L'un de nos contemporains, fort croyant, dit ceci : "Ce qui fascine en Dieu, c'est son humble présence. Il ne blesse jamais la dignité humaine. Tout geste autoritaire défigurerait sa face. L'impression que Dieu vient punir est l'un des plus grands obstacles à la foi". Jésus n'a pas accablé Thomas de reproches. Mais Thomas s'est retrouvé tout confus de n'avoir pas cru tout de suite ce que lui disaient les autres disciples.

Où pouvons-nous faire l'expérience de Dieu? Il faut à l'homme un minimum d'expérience comme tremplin pour risquer le saut dans la foi. Les apôtres ont fait l'expérience de la présence de Jésus. Saint Paul a subi à Damas l'emprise du Christ glorifié. Quand Jésus apparaît aux siens, il leur manifeste toujours aussi la distance qui sépare le ciel et la terre. Plus d'une fois, dans les apparitions du Christ ressuscité, Jésus n'est pas reconnu tout de suite. Et quand enfin on l'a reconnu il disparaît, souvent en laissant derrière lui une mission : "Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père". Jésus ne manifeste sa présence que pour mettre en route l’Église croyante sur un chemin indéfiniment long à travers tous les temps. (Avec le P. Jean de Menasce, Cardinal Barbarin, Newman, Frère Roger, AvS, HUvB).

 

15 avril 2012 - 2e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 20,19-31

C'est le troisième jour après la mort de Jésus, nous sommes au soir de Pâques. Les disciples sont là dans une maison, tous les disciples sont là sauf deux : Judas bien sûr, et aussi Thomas qui est un habitué de Jérusalem : il est allé rendre visite à des connaissances ou bien il est allé faire des courses.

Les portes de la maison sont verrouillées. Et Jésus vient et il était là au milieu de ses disciples. Jésus leur montre ses mains de crucifié et son côté qui a été percé par une lance sur la croix. C'est bien lui qui était mort, et c'est bien lui qui est là au milieu de ses disciples. L'évangéliste n'a pas retenu un seul mot des disciples lors de cette première rencontre. Même saint Pierre est muet, saint Pierre qui est toujours le premier à parler.

Mais la vedette du jour, c'est Thomas, Thomas qui n'était pas là quand Jésus est venu pour la première fois. Quand Thomas revient à la maison, il ne peut pas croire les autres quand ils lui disent : "Nous avons vu Jésus". Jésus est mort, c'est une évidence. Alors, qu'on ne vienne pas me dire qu'il est venu ici dans cette maison ce soir.

Huit jours plus tard, tous les disciples se trouvaient de nouveau dans cette maison et Thomas aussi était là. Et l'évangéliste nous dit simplement : "Jésus vient alors que les portes étaient verrouillées et il était là, au milieu d'eux". Alors saint Thomas a eu droit à une leçon particulière de catéchisme par Jésus lui-même. A la fin de la leçon, il y a quand même un petit reproche : "Parce que tu m'as vu, parce que tu as vu mes mains percées et mon côté percé, tu crois. Tu aurais mieux fait de faire confiance aux autres quand ils t'ont dit qu'ils m'avaient revu vivant".

La chose la plus forte que les hommes sont obligés de reconnaître, c'est la mort. Ce n'est pas la vie : la vie, elle paraît tellement naturelle. Ce n'est pas Dieu : Dieu est tellement caché. La vie, les hommes peuvent la dédaigner. Dieu, ils peuvent le nier. Mais la mort, c'est ce qui est inévitable. Le troisième jour après la mort de Jésus, Jésus vient prouver à ses disciples les plus proches que la mort n'est pas la fin de tout, qu'il y a une vie par-delà la mort. Ce soir-là, Jésus ne fait pas à ses disciples un grand discours sur la mort. Il se manifeste à eux comme étant vivant par-delà la mort. Et les apparitions de Marie, la Mère de Jésus, au cours des âges sont là pour manifester avec réalisme que la vie se poursuit.

Jésus annonçait le royaume de Dieu. Et il le faisait parfois en des termes qui le plaçaient au rang de Dieu. Et Dieu l'avait soutenu en lui accordant d'accomplir des miracles. Ceci est absolument unique dans l'histoire de l'humanité. Mais les responsables du peuple juif croyant ont fait mourir Jésus, avec la complicité des Romains. Pourquoi ? Précisément parce que Jésus se prétendait l'égal de Dieu. "Il a blasphémé, il mérite la mort", ont-ils décrété. Et Jésus est mort dans le silence et l'absence de Dieu, abandonné des hommes, abandonné aussi apparemment de ce Dieu dont il se prétendait le Fils unique et l'incomparable intime.

Et puis Dieu a ressuscité celui que les hommes ont mis à mort. Les hommes avaient donné tort à Jésus, mais Dieu lui a donné raison. Les hommes avaient humilié Jésus, mais Dieu l'a glorifié en manifestant au grand jour sa condition divine. Ce témoignage rendu par les apôtres à la résurrection est, lui aussi, unique dans l'histoire de l'humanité. Il n'est aucun autre homme dans l'histoire duquel on ait affirmé sérieusement une chose pareille.

Qu'est-ce que c'est que le salut apporté par Jésus Christ ? Le salut, c'est d'abord la guérison du péché et de la mort. Le salut apporté par le Seigneur Jésus, c'est la réconciliation par la croix, mais aussi la guérison de la mort par la résurrection. Le salut apporté par le Seigneur Jésus, c'est enfin la communion avec Dieu, la communion avec Dieu et avec son prochain, qui peut être toujours plus profonde.

Dans notre évangile d'aujourd'hui, au début, Jésus répand son souffle sur ses disciples et il leur dit : "Recevez l'Esprit Saint". C'est quoi l'Esprit Saint ? Le rôle de l'Esprit Saint est de rafraîchir quotidiennement la mémoire de l’Église et de la remplir de toute la vérité de manière toujours nouvelle. (Avec Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Mgr Léonard, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

12 avril 2015 - 2e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 20,19-31

Tous les ans, le deuxième dimanche de Pâques, nous relisons cet évangile dont l’apôtre saint Thomas est la vedette malgré lui. Par hasard, par le hasard de Dieu, Thomas n'était pas là quand le Seigneur Jésus est apparu au groupe des apôtres le soir de Pâques. Pour le groupe des apôtres non plus, il n'a pas été facile d'admettre que Jésus était là vivant au milieu d'eux alors qu'il était mort sur une croix trois jours auparavant. Au début, les apôtres croyaient voir un fantôme.

Alors Jésus avait dû insister : Touchez-moi, n'ayez pas peur, vous n'auriez pas quelque chose à manger ? Et il avait mangé avec eux pour bien montrer que c'était bien lui et pas un fantôme. Cela ne veut pas dire que là où il était, Jésus avait besoin de manger, mais il avait voulu manger avec ses disciples pour qu'ils se rendent compte que c'était vraiment Jésus qui était là et pas un fantôme.

Et donc, par le hasard de Dieu, Thomas n'était pas là. Alors quand Thomas rentre à la maison et que ses compagnons lui disent qu'ils viennent de voir Jésus vivant, Thomas ne peut pas les croire. "Ce n'est pas possible, je vous dis". Pendant huit jours, Thomas reste bloqué et tout seul dans ses certitudes : ce n'est pas possible. Huit jours plus tard, Jésus se manifeste à nouveau au groupe des apôtres. Cette fois, tout le monde est là, y compris Thomas. Le Seigneur Jésus s'est donné du temps. Il a donné du temps aussi à Thomas : huit jours.

Le Seigneur Jésus apparaît à nouveau de la même manière mystérieuse que la première fois. L'essentiel, c'est que Jésus est là, mais l’évangéliste, qui avait aussi été témoin des événements, a remarqué que les portes étaient verrouillées, et il signale le fait. C'est comme s'il disait au Seigneur Jésus : "Cela aussi tu es capable de le faire, et cela ne m'étonne pas, parce que tu peux tout".

Et à nous, ses lecteurs, l’évangéliste dit : "Il fera pour vous plus que vous ne croyez... Il est arrivé par les portes closes, éternellement il viendra par les portes closes. La grâce du Seigneur Jésus est toujours plus grande que ce qu'on pense". Les portes closes des esprits et des cœurs ne feront pas obstacle éternellement à sa venue. Même si on voulait l'exclure, il peut quand même passer.

L’Évangile tout entier est tendu vers la joie de la résurrection. Mais personne n'a été témoin de l'instant où Jésus est sorti vivant du tombeau. Jésus est arrivé avant nous au terme du voyage et là, il nous attend. Il nous attend et, en même temps, il est déjà vivant dans le chrétien. La mort du Seigneur Jésus et sa résurrection, c'est ce qui aide le chrétien à mourir sa mort chrétienne. Le Ressuscité est le nouveau Temple, le vrai lieu du contact entre Dieu et l'homme.

Ce lieu de contact, c'est aussi l'eucharistie. Mais qui comprendra jamais ce qu'est l'eucharistie ? Saint François d’Assise voyait dans l'eucharistie l'humilité de Dieu : "Que le Seigneur de l'univers, Dieu et Fils de Dieu, s'humilie à ce point !" Newman disait que même en dehors de la communion le vrai chrétien éprouve un sens souverain de la présence de Dieu en lui.

On a reproché à la religion d'être un opium : il est vrai que la religion console l'humanité de son intrinsèque finitude : quoi qu'il arrive les humains savent que leur fin arrivera bien un jour. Et il y a donc toutes les raisons d'en être angoissé. Tant qu'on n'a pas découvert la vérité de la résurrection du Seigneur Jésus après sa mort sur une croix, tant qu'on n'a pas découvert qu'il attend tous les humains au terme de leur voyage, il y a de quoi être angoissé.

Et c'est pourquoi, ceux qui ne veulent pas entendre parler de religion, de Dieu et du Seigneur Jésus ressuscité, tous ces gens courent nécessairement vers le divertissement qui est leur opium qui les soulage un moment de leur angoisse. Le divertissement est un opium pour des humains qui seraient trop malheureux de regarder la vie en face. Il s'agit de ne pas penser à la finitude, de ne pas penser que tout aura une fin. Les émissions de TV sont là pour ça. Il s'agit toujours de repousser ce qui fait question.

Pascal le disait déjà, il y a bien longtemps : "Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser". L'incarnation, c'est-à-dire la venue en ce monde du Fils de Dieu pendant trente-trois ans, avec sa mort sur une croix et ensuite sa résurrection, l'incarnation du Fils de Dieu s'est réalisée justement en vue de briser le cercle démoniaque de la génération et de la mort. (Avec Timothy Radcliffe, Benoît XVI, saint François d'Assise, Newman, Chantal Delsol, Pascal, AvS, HUvB).

 

11 avril 2010 - 2e dimanche de Pâques - Année C

Evangile selon saint Jean 20, 19-31

Chaque année, huit jours après Pâques, nous lisons cet évangile de Thomas : saint Thomas. Le soir du jour de Pâques, Jésus s'était manifesté au groupe de ses disciples qui étaient réunis dans une maison. Saint Thomas n'y était pas. On ne sait pas pourquoi. Le soir du jour de Pâques, saint Thomas n'a donc pas vu Jésus. Et il ne peut pas admettre ce que lui disent les autres disciples qu'ils ont vu Jésus vivant, en chair et en os. Pour lui, Thomas, ce n'est pas possible. Huit jours plus tard, Jésus se manifeste à nouveau à ses disciples rassemblés. Cette fois-là, Thomas est là. Et il peut voir la marque des clous et le côté ouvert. Et Thomas s'effondre comme tout le monde : "Mon Seigneur et mon Dieu!"

Quand Jésus se manifeste à ses disciples le soir de Pâques et huit jours plus tard, la première chose qu'il leur dit, c'est : "La paix soit avec vous". C'est pour tous les hommes, de tous les peuples et de tous les temps, de toute la terre, que Jésus a apporté la paix. L'amour de Dieu qui s'est exprimé par la résurrection de Jésus d'entre les morts dure éternellement. Parce que cela est arrivé un jour, il n'y a pas de motif de désespérer, même si les nouvelles les plus mauvaises se succèdent dans l'histoire du monde, peut-être aussi dans l'histoire de nos vies.

Le Ressuscité n'est pas plus évident aujourd'hui que pour Thomas pendant la semaine qui s'est écoulée entre le jour de Pâques et le dimanche suivant. Le Ressuscité n'est plus de ce monde. Il se révèle à qui il veut et quand il veut. C'est ce qui est arrivé aussi à Jean, l'auteur de l'Apocalypse, bien des années plus tard. On l'a entendu tout à l'heure dans la deuxième lecture. C'était un dimanche, "le jour du Seigneur", comme il dit. Jean a entendu une voix venant du ciel et il a eu une vision du Christ. Et voici ce que dit saint Jean : "Quand je le vis, je tombai comme mort à ses pieds. Mais il posa sur moi sa main droite et il me dit : Sois sans crainte. Je suis le premier et le dernier, je suis le Vivant. J'étais mort, mais me voici vivant pour les siècles des siècles. Et je détiens les clefs de la mort et du séjour des morts".

Et pourquoi le Seigneur Jésus apparaît-il à saint Jean ? Tout de suite, Jésus lui donne une mission : "Écris tout ce que tu as vu et tout ce que tu vas voir". C'est comme ça que commence l'Apocalypse de saint Jean, le dernier livre de toute la Bible et aussi le plus mystérieux. L'Apocalypse commence par une manifestation à Jean du Christ ressuscité. C'était vers la fin du premier siècle de notre ère.

Sur la croix, le Seigneur Jésus a porté tous nos péchés, chacun de nos péchés, comme s'ils étaient les siens. Sur la croix, le Seigneur Jésus échange notre péché contre sa perfection : c'est le fruit de ses souffrances. Et maintenant le Seigneur Jésus nous offre sa perfection pour que nous soyons capables d'aspirer à lui comme au but de notre vie. Saint Thomas n'arrivait pas à croire. La foi permet à l'homme de recevoir la révélation que Dieu fait de lui-même. Dieu ne sauve personne par contrainte. Il offre le salut à tous, mais il laisse à chacun la possibilité de le rejeter. D'ailleurs la possibilité du salut n'est pas offerte une fois seulement. Aux hommes qui le rejettent, Dieu offre une nouvelle chance. Ceux qui n'ont pas répondu à l'appel du Christ durant leur vie terrestre en reçoivent la possibilité après leur mort. Chaque homme doit vaincre en lui-même l'enfer et le diable, chaque homme doit maîtriser en lui-même la force qui l'entraîne à résister à la volonté de Dieu. Le Seigneur Jésus est descendu aux enfers pour délivrer tous les hommes, toute la nature humaine. Mais il ne ressuscite que ceux qui veulent bien le suivre. Le Christ ne force personne à demeurer en enfer, mais il ne sauve personne contre son gré. Ce qui est décisif dans le destin de chacun, c'est sa propre volonté et son désir de suivre le Christ.

Le Seigneur Jésus demeure toujours l'Insaisissable. C'était comme ça déjà durant sa vie terrestre. Il échappe à Hérode qui voulait le tuer dès sa naissance. Il échappe aux habitants de Nazareth qui voulaient le précipiter du haut de la falaise. Il échappe aux Juifs qui ramassaient des pierres pour le lapider. Il échappe à la foule qui ne cesse de le suivre. Il ne se laissera prendre que lorsque son heure sera venue pour qu’il soit livré aux mains des pécheurs. Et en même temps tout cela ne l'empêche pas de se laisser saisir et toucher, comme la femme qui touche son vêtement pour être guérie, comme la pécheresse qui baise ses pieds, comme Marie de Béthanie qui répand un parfum sur sa tête. Déjà durant sa vie terrestre il a cette manière mystérieuse de se donner et de se retirer, comme il fera après sa résurrection. A Marie-Madeleine, le matin de Pâques, il se manifeste et il dit : "Ne me retiens pas". A Thomas qui veut toucher ses plaies, il dit : "Heureux ceux qui ne voient pas et qui croient"."Ma vie terrestre est terminée, vous ne pouvez plus avoir avec moi les mêmes relations qu'autrefois". (Avec Hilarion Alfeyev, Karl Barth, saint Thomas d'Aquin, AvS, HUvB).

 

7 avril 2013 - 2e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 20,19-31

C'est le soir de Pâques. La soirée est déjà bien avancée. Les dix ont terminé leur repas. Et ils sont en train de parler. De quoi ? Encore et toujours de ce que Marie de Magdala est venue leur dire ce matin qu'elle avait vu Jésus vivant.

Et tout d'un coup Jésus est là. "La paix soit avec vous !" Personne ne répond. Les apôtres sont fascinés et en même temps ils auraient envie de fuir. Et Jésus continue en souriant : "N'ayez pas peur ! C'est moi". Personne n'ose parler. Pierre s'est mis à pleurer, Jean sourit. "Je suis Jésus. Je suis ressuscité comme je vous l'avais dit. Jean, viens ici, toi le premier. Tu peux me toucher sans crainte. Regarde : ce sont de vraies mains et de vraies blessures. Regarde mes pieds et la marque du clou. Je ne suis pas un fantôme. Touchez-moi. Asseyons-nous à table. Vous n'avez rien à manger ?" Et on lui apporte du pain, des poissons grillés, du miel. Jésus offre de la nourriture et il mange lui-même. Et Jésus disparaît comme il était entré. Mais la paix de Jésus est restée. Et les dix se mettent à parler un peu et à prier.

Thomas n'est pas là. Il a disparu depuis vendredi. On sait qu'il n'est pas chez ses parents. Et on parle et on prie. Et voilà qu'on frappe à la porte : c'est Thomas, accompagné d'un disciple. On ne reconnaît presque plus Thomas, tellement il est hagard. Il a marché, marché comme un fou dans la campagne, pour fuir sa douleur. Et puis un disciple de Jésus l'a rencontré par hasard et il l'a ramené à la maison où se trouvent les dix.

Alors quand ils se mettent à lui dire qu'ils ont vu Jésus vivant, qu'il est ressuscité et qu'il attend Thomas pour revenir, Thomas ne veut rien savoir. L'autre disciple lui a déjà raconté cette histoire de Marie de Magdala. "Moi, je n'y crois pas, dit Thomas. Je crois ce que je vois et je vois que pour nous c'est fini". Alors les autres insistent: "Mais si, il était là, il a mangé, il a parlé, il nous a bénis, il nous a donné son pardon". Thomas ne sort pas de ses certitudes : "Je ne crois pas. Vous êtes fous. Les femmes pour commencer. Un homme mort ne ressuscite pas. Je ne crois pas, je ne peux pas y croire. Pour croire, je devrais voir. Il faudrait que je voie dans ses mains le trou des clous et que j'y mette mon doigt. Je ne suis pas un enfant ni une femme. Je veux l'évidence. Je ne peux pas accepter ce que vous me dites. Vous vous êtes donné la paix avec votre illusion". Thomas est têtu comme un enfant : "Je croirai si je vois".

Huit jours plus tard, toujours au cénacle où Jésus a pris son dernier repas avec les siens la veille de sa mort. C'est le repas du soir, et c'est Jean qui fait le service. Tout d'un coup Jésus est là, c'est Jean qui le voit le premier. Tous se lèvent et s'approchent de Jésus. Le seul qui reste un peu loin, c'est Thomas. Il s'est mis à genoux près de la table, presque pour se cacher. Il n'ose pas avancer. Quand Jésus voit que l'incrédule n'ose pas avancer, honteux qu'il est de son incrédulité, il l'appelle : "Thomas, viens ici". Thomas lève la tête, mais il n'ose pas bouger. Jésus avance un peu et il lui dit encore une fois : "Viens ici, Thomas". Et la voix de Jésus se fait plus insistante que la première fois. Thomas se lève, tout confus, et il va vers Jésus. "Voici celui qui ne croit pas s'il ne voit pas", dit Jésus. Mais dans sa voix, il y a un sourire de pardon. Alors Thomas regarde Jésus. "Viens ici, tout près. Regarde. Mets un doigt s'il ne te suffit pas de regarder les blessures de ton Maître". Thomas tremble, il regarde, mais il ne touche pas. Ses lèvres remuent, mais rien ne sort. "Donne-moi ta main", dit Jésus, très doucement. Et Jésus prend la main de Thomas et la met dans la déchirure de sa main gauche, puis dans la déchirure de sa poitrine. Thomas tombe à genoux en pleurant et il arrive à dire : "Mon Seigneur et mon Dieu !" Il ne sait rien dire d'autre. Jésus lui met la main sur la tête en disant : "Thomas, Thomas ! Maintenant tu crois parce que tu as vu. Heureux ceux qui croiront en moi sans avoir vu". Et Jésus s'approche de la table et il fait asseoir tout le monde. Mais plus personne n'a faim. Jésus lui-même fait le service : du pain, du fromage, du vin, du miel.

Thomas n'avait pas la force de se jeter dans la joie de Dieu. Et maintenant que Jésus l'a fait entrer dans sa joie, Thomas ne pourra pas la garder pour lui tout seul. Il faudra absolument qu'il la communique à tous ceux qui ne l'ont pas encore connue. Thomas vit désormais dans la joie de la rencontre de Dieu. Et il ne peut que la rayonner pour celui qui ne croit pas encore, pour celui qui n'a pas encore la force de se jeter dans la joie de Dieu. Et Dieu va l'aider.

On ne peut pas réduire le fait chrétien à un humanisme des valeurs. Des gens viennent pour faire baptiser leur enfant. Pourquoi ? On voudrait lui transmettre des valeurs. Mais les non croyants aussi ont des valeurs, les mêmes que les chrétiens en grande partie. On ne peut pas réduire le fait chrétien à un humanisme des valeurs. L'évangile de Thomas est là aujourd'hui pour nous le dire. Où est la valeur de Thomas ? C'est quand il tombe à genoux devant Jésus et qu'il arrive à dire : "Mon Seigneur et mon Dieu !" Tout le reste suivra.

Terminer avec Benoît XVI, dans un recueil de ses textes qui a été intitulé : "Touché par l'invisible". Pour parler de Dieu, l’Écriture parle parfois du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. On peut ajouter : Dieu de Thomas et de tous les saints. "Dieu, l'Invisible et l’Éternel, s'est manifesté en ce monde par des hommes. C'est par des hommes que son visage est devenu reconnaissable. C'est en des hommes que Dieu s'est manifesté. Nous le louons en ceux qui ont été les réceptacles de sa faveur. Ils ne sont pas en travers de son chemin. Ils nous renvoient à Lui". (Avec Vincent Holzer, Benoît XVI, AvS).

 

8 mai 2011 - 3e dmanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Luc 24,13-35

Deux hommes entre deux âges - le plus vieux peut avoir trente-cinq ans - marchent rapidement sur une route sinueuse en tournant le dos à Jérusalem. Ils parlent tout en marchant. "Je crois qu'on a raison de partir. J'ai une famille, toi aussi. Les chefs du temple veulent vraiment en finir. Est-ce qu'ils ont raison ? Est-ce qu'ils ont tort ? Je n'en sais rien. Mais ce n'était pas prudent de rester à Jérusalem".

Celui qui vient de parler, c'est Simon, l'autre s'appelle Cléophas. Et ils continuent à peser le pour et le contre. Les chefs du temple quand même, ils aiment Dieu, comme Israël tout entier depuis toujours. Et comme l'amour est lumière, l'amour ne se trompe pas. Oui mais, tuer Jésus, c'est quand même un crime. Et puis leur amour, est-ce que c'était vraiment de l'amour ? Qu'est-ce qu'ils ont fait avec l'argent du temple, avec l'argent consacré à Dieu ? Ils ont payé le traître, et maintenant ils paient des gardes au tombeau. Admettons que Jésus n'était qu'un prophète, mais est-il permis de tuer un innocent ? Est-ce que tu l'as vu commettre un des crimes dont on l'a accusé ? Non, mais Jésus a quand même fait une erreur. Il aurait dû manifester sa puissance du haut de la croix. Il devait relever le défi et descendre de la croix. L'autre disciple : Il a fait plus que ça. Il est ressuscité. L'autre : Mais est-ce que c'est vrai ? Ressuscité comment ? Avec son seul esprit ou avec son esprit et avec son corps ? ... Notre pauvre Maître ! Et les deux se taisent pendant un bout de temps.

Et Jésus les rejoint comme un voyageur pauvre et pressé, et il leur demande : De qui parliez-vous ? J'ai entendu des bribes de votre conversation. Qui a été tué ? Les deux disciples ne reconnaissent pas Jésus. Ils lui demandent : Tu es d'ailleurs ? Tu ne t'es pas arrêté à Jérusalem ? Vu tes vêtements poussiéreux et tes sandales, tu dois venir de loin. Jésus : Je viens de très loin. Les deux : Tu dois être fatigué alors, et tu vas loin ? Jésus : Très loin. Les deux : Tu fais du commerce ? Jésus : Je dois acheter une quantité de troupeaux pour un grand seigneur. Je dois faire le tour du monde pour choisir des brebis et des agneaux. Les deux : Ça doit être difficile. Et tu ne t'es pas arrêté à Jérusalem ? Jésus : Pourquoi vous me demandez ça ? Les deux : Tu es bien le seul qui semble ignorer ce qui s'est passé. Jésus : Quoi ? Les deux : Tu viens de loin et c'est sans doute pour ça que tu ne sais pas. Mais à ton accent on devine que tu es de Galilée. Alors tu dois bien savoir, si tu es Juif, que depuis trois ans dans notre patrie un grand prophète s'est levé : Jésus de Nazareth. Il allait dans tout le pays en prêchant. Et il se disait le Messie et il faisait des miracles, beaucoup de miracles. Tu comprends ? Tu es Juif ? Jésus : Je suis premier-né et consacré au Seigneur. Les deux : Alors tu connais notre religion ? Jésus : Je connais tout : les préceptes et les usages, et tout le reste. Les deux : Alors tu sais qu'Israël a eu la promesse d'un Messie : ce serait un roi puissant qui aurait rassemblé tout Israël. Mais lui, ce n'était pas ça. Le voyageur : Comment donc ? Les deux : Lui, il ne cherchait aucun pouvoir terrestre. Mais c'était d'un royaume spirituel qu'il se disait roi. Pour dire vrai, il n'avait pas l'étoffe d'un roi, car il ne voulait que douceur et pardon. Et comment dominer avec des armes pareilles ? Jésus : Et alors ? Les deux : Alors les chefs des prêtres et les anciens d'Israël l'ont pris, ils l'ont jugé digne de mort ; mais en fait pour des fautes qui n'étaient pas vraies. Sa faute, c'était d'être trop bon et trop sévère. Jésus : Comment ça ? Les deux : Il était trop sévère en disant leurs quatre vérités aux chefs d'Israël, et trop bon pour ne pas faire contre eux des miracles qui les auraient foudroyés. Jésus : Il était sévère comme Jean-Baptiste ? Les deux : On ne peut pas le dire. Il faisait de durs reproches aux scribes et aux pharisiens surtout dans les derniers temps. Mais si quelqu'un était pécheur et se repentait, et s'il voyait dans le cœur un vrai repentir - car il lisait dans les cœurs mieux qu'un scribe dans le texte - , il était plus doux qu'une mère. Jésus : Et Rome a permis qu'on tue un innocent ? Les deux : Pilate l'a condamné. Mais il ne voulait pas. Alors ils l'ont menacé de l'accuser auprès de César et il a eu peur. Et maintenant nous sommes très humiliés. Moi, je suis Cléophas, et lui, c'est Simon. Nous sommes tous les deux d'Emmaüs, nous étions disciples du prophète. Jésus : Et maintenant vous ne l'êtes plus ? Les deux : Nous espérions que ce serait lui qui libérerait Israël, et qu'il ferait un prodige pour vaincre. Maintenant c'est fini. Il disait : Venez au royaume. Mais il ne nous a pas donné le royaume. Il a dit aussi : Le troisième jour, je ressusciterai. Mais maintenant on est le troisième jour en fin d'après-midi et il n'est pas ressuscité. Il y a des femmes qui ont dit qu'il était ressuscité. Mais nous, on ne l'a pas vu. Des femmes ! Qui est-ce qui va se fier à elles ? Deux de chez nous, deux chefs, sont allés au tombeau. Il l'ont trouvé vide comme les femmes l'avaient dit, mais lui, ils ne l'ont pas vu, ni là ni ailleurs. C'est une grande misère, on ne sait plus ce qu'il faut penser.

Jésus : Comme vous êtes sots et lents à comprendre ! Comme vous êtes lents à croire aux paroles des prophètes ! L'erreur d'Israël, c'est d'avoir mal interprété la royauté du Messie. Aucune royauté de ce monde n'est éternelle. Même les pharaons d’Égypte ne sont pas éternels. En Israël se trouve la semence de Dieu. Mais la royauté du Messie n'est pas limitée au petit territoire d'Israël. La royauté du Messie s'étend du nord au midi, de l'orient à l'occident, partout où il y a des hommes. Un royaume humain, c'est par l'oppression qu'il est royaume. Le royaume surhumain, c'est par l'amour qu'il règne. Et ce royaume surhumain est illimité parce que l'amour est aimé, ou s'il n'est pas aimé, on le tourne en dérision. Et Dieu, qui est infini, veut des moyens qui soient comme lui. Il veut ce qui n'est pas fini parce qu'il est éternel. La royauté du Messie, c'est la royauté que la bonté éternelle accorde aux pauvres hommes pour leur donner honneur et joie. Est-ce que les Écritures n'ont pas dit que c'est par son holocauste que le Messie sauverait l'homme pécheur ? Et Jonas aussi l'a annoncé, Jonas qui pendant trois jours avait été englouti dans le ventre de la baleine et qui en avait été expulsé le troisième jour. Vous allez me dire : Comment il est ressuscité ? Je réponds : Il est ressuscité avec son vrai corps et avec son esprit divin. Rappelez-vous que Jean-Baptiste parlait de lui comme de l'agneau : c'est par le sang de l'agneau que les premiers-nés d'Israël furent sauvés en Égypte. Rappelez-vous tout cela. Rappelez-vous qu'il aurait été contraire à la mission du Messie, il aurait été contraire à sa miséricorde et à sa mission de punir du haut de la croix ceux qui l'y avaient cloué. Il était toujours le Sauveur même quand il était crucifié et méprisé. Maintenant il est ressuscité. Il a tout accompli. Il était glorieux avant son incarnation. Il est trois fois glorieux maintenant. Après s'être anéanti dans un corps d'homme pendant tant d'années, il s'est immolé lui-même en mourant sur une croix pour accomplir la volonté de Dieu. Maintenant il monte au ciel avec son corps glorifié. Et plus que jamais il appelle avec amour et autorité toutes les tribus du monde ; comme l'ont vu et prévu les prophètes d'Israël, tous les peuples de la terre viendront au Sauveur. Les couleurs de peau n'auront plus aucune importance, il y aura un peuple illimité, resplendissant et pur, une langue unique, un seul amour.

Et le voyageur continue : On arrive à Emmaüs. Moi, je vais plus loin. J'ai encore beaucoup de chemin à faire. Les deux disciples : Tu es plus instruit qu'un rabbi. Nous voudrions encore t'entendre parler. Nous sommes troublés par la tempête de la haine d'Israël. Veux-tu que nous restions avec toi ? Tu pourrais compléter l'instruction du Maître qui nous a été enlevé. Jésus : Vous n'arrivez pas à croire sans nuage. Ce n'est pas de votre faute. Après le sang, il manque encore le feu. Ensuite vous croirez, car vous comprendrez. Adieu ! Les deux : Seigneur, le soir approche. Tu es fatigué. Reste avec nous. Tu nous parleras de Dieu pendant que nous partagerons le pain et le sel. - Jésus entre et on le sert. On se met à table, et les deux disciples demandent au voyageur de bénir la nourriture. Jésus se lève, il tient le pain dans ses mains, il rend grâce pour la nourriture et il s'assied. Il rompt le pain et il en donne à ses deux hôtes. En le faisant, il se révèle pour ce qu'il est : le Ressuscité. Les deux le reconnaissent, ils se mettent à genoux. Mais quand ils osent relever leur visage, il ne reste de lui que le pain rompu. Ils le prennent et le baisent. Chacun prend son morceau, il l'enveloppe dans un linge et le met comme une relique sur sa poitrine. Ils pleurent en disant : C'était lui ! Et nous ne le reconnaissions pas, et pourtant ne sentais-tu pas que ton cœur brûlait dans ta poitrine pendant qu'il nous parlait et nous expliquait les Écritures ? L'autre répond : Je ne sens plus la fatigue, ni la faim. Allons le dire à ceux de Jésus, à Jérusalem. Nous arriverons en pleine nuit, mais si Lui le veut, il nous donnera la manière de passer les portes de la ville. S'il a ouvert les portes de la mort, il pourra bien aussi ouvrir les portes des murs ! Et dans le couchant entièrement pourpre, ils s'en vont vers Jérusalem, le cœur en fête.

Pour les deux disciples, Jésus était là et ils ne le savaient pas. L'au-delà n'était plus l'au-delà. L'au-delà est là, il est au milieu de nous. Dans son dernier livre, le tome 2 de "Jésus de Nazareth", Benoît XVI donne une définition du chrétien : "Être chrétien signifie essentiellement avoir foi dans le Ressuscité, c'est-à-dire croire que Jésus est vraiment ressuscité. Tout le reste découle de là".

 

4 mai 2014 - 3e dimanche de Pâques - Année A
Évangile selon saint Luc 24,13-35

Deux hommes découragés s'éloignent de Jérusalem. Jésus, lui, ne s'éloigne pas d'eux. Ils les rejoint sur la route et il marche avec eux. Et Jésus partage avec eux leur souci et leur peine. Il écoute ce qui les chagrine. Et après avoir écouté les deux hommes, Jésus éveille leur foi en parcourant avec eux les Écritures : "Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ?" Puis arrive ce fameux repas à trois. Et, curieusement, dès que les disciples reconnaissent jésus, Jésus disparaît. Alors les deux disciples courent à Jérusalem annoncer aux autres cette nouvelle incroyable. Mais là, à Jérusalem, les disciples qui sont restés là savent déjà aussi.

Les disciples ne se posent pas la question : comment est-ce possible ? L'essentiel, c'est ce qu'il sont expérimenté de Dieu et de ses mystères. C'est incompréhensible, mais c'est comme ça. Ils prenaient ce repas avec le troisième homme. Dès qu'ils ont su que ce troisième homme, c'était Jésus, Jésus a disparu. Il était là avec nous, à marcher sur le chemin, et nous ne le savions pas. Pour Dieu, le bonheur suprême est de se révéler. Pour Jésus, ce soir-là, le bonheur suprême a été de leur faire la surprise. Les deux disciples n'ont pas dû attendre huit jours comme Thomas. Les deux disciples n'ont rien demandé, et Jésus a répondu à leur désir le plus secret.

Tout au long du chemin, les disciples n'avaient pas reconnu Jésus à son visage. Mais après coup, ils se sont dit l'un à l'autre : "Notre cœur n'était-il pas tout brûlant en nous tandis qu'il nous parait sur la route et qu'il nous faisait comprendre les Écritures ?" Une certaine brûlure dans le cœur en dit plus long que des exposés détaillés.

Il y a des gens incertains de Dieu, il y a des gens assoiffés de Dieu, passionnés de Dieu. Pour tous, pour chacun, il est besoin de trouver la Source qui étanche. Multiples sont les ruisseaux qui proviennent de la Source unique. Quel ruisseau vais-je trouver sur mon chemin de recherche ? La Source est unique. C'est toujours de l'eau. Mais à l'arrivée, elle a beaucoup de goûts différents, beaucoup de qualités différentes, pour s'adapter aux besoins de chacun.

Sur la route avec les deux disciples en marche vers Emmaüs, Jésus leur explique l'Ancien Testament. On pourrait s'étonner que l’Église ait conservé l'Ancien Testament où l'on trouve beaucoup de passages très difficiles. Mais l'évangile d'aujourd'hui nous encourage à lire et à relire l'Ancien Testament (c'est ce que nous faisons aussi chaque dimanche à la messe), pour y trouver des traces, des annonces, de la révélation apportée par le Seigneur Jésus. Le Nouveau Testament, c'est un commentaire de l'Ancien Testament à la lumière d'un fait nouveau et finalement spectaculaire : la venue du Messie, bien sûr, mais d'un Messie qui meurt sur une croix comme un malfaiteur et qui, trois jours après sa mort, commence à imposer  à ses disciples, qui n'en reviennent pas, sa présence vivante.

Depuis lors, pour les chrétiens, tous les hommes sont des ressuscités en puissance, c'est-à-dire qu'ils sont tous appelés à ressusciter. Et malgré tous les malheurs du monde et malgré toutes les péripéties de chacun de nos vies, on peut lorgner vers ce mot, plus ou moins arrogant, d'un philosophe croyant de notre temps : "La vie est belle pour les ressuscités". Et un philosophe croyant du XVe siècle s'écriait avec l'enthousiasme d'un cœur juvénile : "Ils sont morts ceux qui ne vivent pas pour Dieu".

Pour situer les croyants et les non croyants, une femme de notre temps fait appel à la cigale et à la fourmi de La Fontaine, mais elle en fait un usage singulier, vous allez voir : "Quelle misère de constater que tant d'humains ne se préoccupent que de leur existence mortelle et délaissent totalement, sauf parfois in extremis ou lors d'une grave maladie, leur vie éternelle ! Ils seront bien plus démunis que la cigale de la fable lorsque l'hiver du trépas viendra : ils auront amassé des biens en fourmis laborieuses, ils auront profité aussi des plaisirs d'ici-bas, et se retrouveront désemparés lorsqu'il faudra affronter le grand voyage". Et c'est la même croyante qui dit aussi : "Je suis persuadée que, à la radio, une heure avant la fin du monde, les journalistes parleront encore de football". (C'est à croire que cette dame ignore tout des charmes de ce sport pour les spectateurs !)

Cet évangile des disciples d'Emmaüs est rempli de la présence de l'Esprit Saint. L'Esprit n'est même pas mentionné dans ce récit. Mais le cœur tout brûlant des deux disciples est un signe évident de sa présence. L'effusion de l'Esprit Saint, l'effusion de la semence de Dieu dans le sein du monde est l’événement le plus intime de l'histoire. Et cet événement ne cesse de se produire tout au long des âges dans le cœur des croyants qui s'ouvrent à Dieu. (Avec Christian Chabanis, Henri Caffarel, Rémi Brague, Vladimir Jankélévitch, Jacqueline Kelen, AvS, HUvB).

 

30 avril 2017 - 3e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Luc 24,13-35

Deux hommes sur la route d'Emmaüs, qui est situé à deux heures de marche de Jérusalem. L'un des deux s'appelle Cléophas. Un inconnu les rejoint. Les deux disciples s'étaient attachés à Jésus de Nazareth parce qu'ils espéraient qu'il serait le libérateur d'Israël. Maintenant il est mort, ils n'ont plus qu'à retourner à leurs moutons. Et Jésus les rejoint sur leur route de tristesse et il commence par les inviter à exprimer leur souffrance intérieure, leur déception, leur amertume. Et Jésus leur explique alors tout ce qui s'est passé à la lumière des Écritures, c'est-à-dire à la lumière de l'Ancien Testament.

Et après coup, les deux disciples disaient : "Notre cœur était tout brûlant tandis qu'il nous parlait sur la route et qu'il nous faisait comprendre les Écritures". C'est par une interprétation des Écritures que Jésus rallume l’espérance dans le cœur des disciples d'Emmaüs. Leur cœur était tout brûlant. Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que l'Esprit Saint de Dieu déjà était là. C'est l'Esprit Saint qui rend le cœur tout brûlant quand on s'occupe des choses de Dieu.

Alors les deux disciples pressent leur compagnon de route de rester avec eux : "Reste avec nous, le soir approche et déjà le jour baisse". Le Seigneur Jésus avait mis dans les deux disciples la faim de sa parole. Et Jésus, qui avait d'abord fait semblant de vouloir aller plus loin, accepte l'invitation des deux disciples : il entre pour rester avec eux. Et puis à table, Jésus prend le pain, dit la bénédiction, rompt le pain et le leur donne : quelque chose d’habituel pour Jésus lors de ses repas avec ses disciples. C'est alors que les yeux des deux disciples s'ouvrent, ils reconnaissent Jésus, et aussitôt Jésus disparaît.

Dans nos eucharisties d'aujourd'hui, il y a quelque chose de semblable : après avoir mangé la parole de Dieu, nous sommes invités à nous rassasier de Dieu dans la communion eucharistique. Qu'est-ce que la messe du dimanche ? C'est chaque fois la route d'Emmaüs : "Jésus lui-même s'approcha et il marchait avec eux". Et il nous invite à la fraction du pain. "Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures. Que notre cœur devienne brûlant quand tu nous parles". Où rencontrer aujourd'hui le Seigneur Jésus? Réponse de l’évangéliste saint Luc : c'est dans l’Écriture et dans l'eucharistie que nous rencontrons le Seigneur Jésus. 

Aujourd'hui, deux mille ans après les événements, nous avons le trésor de l'expérience de tous les chrétiens qui, avant nous, ont vécu de la même foi que nous et qui ont reçu l'Esprit de Dieu. Eux aussi, tous ces chrétiens d'hier, mais aussi beaucoup de chrétiens d'aujourd'hui, ont quelque chose à nous dire pour que nos cœurs deviennent brûlants quand ils nous disent quelque chose de notre foi. Quand des poules sont en liberté, elles ne cessent de grattouiller le sol et de picorer : elles cherchent des trésors et on dirait qu'elles en trouvent. Grattouiller les Écritures pour trouver le trésor du jour qui commence, pour y trouver une nourriture spirituelle. Et alors peut-être noter ce trésor du jour dans un carnet ou un cahier pour que ce trésor ne soit pas perdu pour nous. C'est une manière de nous ouvrir à la parole de Dieu et de la garder dans notre cœur.

A quoi ça sert d'avoir la foi ? Celui qui vit de la foi vit en Dieu. Il n'a pas besoin d'être angoissé à l'idée que sa vie va prendre fin en Dieu. L'amour humain ici-bas, même quand il se veut éternel, sait bien qu'au fond il ne l'est pas. Dieu a créé l'homme fini, limité, mais il a mis dans le cœur de l'homme le désir de l'infini. Et vivre en Dieu et de Dieu, c'est quelque chose qui peut devenir toujours plus profond dans l'homme. Et pour l'homme, il est impossible de rester neutre en face de Dieu. S'il entend parler de Dieu, il est obligé de dire oui ou non.

Aujourd'hui les moyens de communication offrent à tous une certaine nourriture, une certaine culture, une culture de masse, qui devrait permettre à l'homme d'être plus lui-même et d'avoir plus de lucidité. Mais cette culture de masse, est-ce qu'elle libère vraiment l'homme ou est-ce qu'elle l’enchaîne d'une autre manière ? Autrefois la culture était réservée à des privilégiés, aujourd'hui tout le monde peut avoir accès à cette culture. Mais est-ce qu'elle entraîne vers le bas ou vers le haut ? La culture de masse risque toujours de tout niveler par le bas. Elle va par le chemin le plus facile : faire aspirer à un bien-être matériel.

En fait la vérité ultime de  l'homme est liée au mystère de Dieu. Il est clair alors que la vérité sur l'être de l'homme nous dépassera toujours. Dieu seul peut apporter la consolation, c'est-à-dire la réponse à l'unique question que les hommes se posent depuis le fond des âges et qui résume toutes les autres : est-il vrai que la mort engloutit tout ? Est-il possible que la vie soit victorieuse et que l'amour de Dieu renverse ces obstacles et triomphe du mal, en particulier de la mort ? Au matin de Pâques et sur le chemin d'Emmaüs, le Seigneur Jésus nous apporte la réponse de Dieu.

Sur la route d'Emmaüs, les deux disciples avaient le cœur tout brûlant quand Jésus leur expliquait les Écritures. La créature que Dieu appelle à l'existence est, en soi, caduque ; elle vient du bord du néant, mais elle porte en elle la nostalgie de Dieu qui est la source de son être. Cette nostalgie de Dieu est un attachement amoureux à Dieu, elle est prière, adoration, action de grâces et demande. Dieu a créé l'être humain de telle manière que cet être humain est capable de se retourner personnellement, dans l'amour, vers son origine qui est aussi son but final. (Avec Joseph-Marie Verlinde, Cardinal Barbarin, AvS, HUvB).

 

26 avril 2009 - 3e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Luc 24, 35-48

Saint Luc nous raconte à sa manière ce qui s'est passé le soir de Pâques pour les disciples de Jésus. Saint Luc a d'abord raconté ce qui s'était passé dans l'après-midi pour deux disciples qui faisaient route à pied de Jérusalem à Emmaüs. Et comment ces deux disciples avaient été rejoints par un troisième homme. Et tout à fait à la fin, au cours du repas du soir dans une auberge, le troisième homme s'était fait reconnaître : c'était Jésus. Aussitôt les deux disciples retournent à Jérusalem en courant plus qu'en marchant pour raconter aux autres ce qui leur était arrivé.

Ils n'avaient pas fini de parler que Jésus était là au milieu d'eux. Ils croyaient voir un esprit. Alors Jésus les fait redescendre sur terre : "Regardez mes mains et mes pieds avec les traces des clous. Regardez-moi, touchez-moi. Vous n'avez pas quelque chose à manger?" Cela ne veut pas dire que Jésus avait besoin de manger là où il était, mais c'était pour montrer qu'il était vraiment là tout entier avec un corps.

Mais ce n'est pas tout. Jésus va maintenant nourrir l'esprit de ses disciples. Il va leur ouvrir l'intelligence. Il va essayer de leur faire comprendre ce qui s'est passé : essentiellement sa passion, sa mort et sa résurrection. Plus d'une fois dans les récits concernant la résurrection de Jésus, on entend l'expression : "Il fallait que les choses se passent comme ça". "Il fallait" : parce que les Écritures, la Bible des juifs, annonçaient tout cela. Mais personne n'avait pu deviner que cela concernait Jésus, ni non plus deviner comment ça allait se passer, ni non plus qu'à la fin Jésus ressusciterait d'entre les morts. Les Écritures n'étaient pas aussi explicites que ça. Toutes les allusions des Écritures, on n'a pu les comprendre vraiment qu'après coup. Donc "il fallait que le Fils de l'homme soit livré aux mains des pécheurs" : c'est ce que disent les anges aux femmes le matin de Pâques, les femmes qui étaient les premières au tombeau de Jésus. Mais où trouve-t-on dans les Écritures qu'il fallait que le Fils de l'homme soit livré aux mains des pécheurs ?? Il faut chercher. Et en cherchant, on trouve.

Aux deux disciples en route vers Emmaüs, c'est Jésus lui-même qui explique qu'il fallait que le Messie souffre beaucoup pour entrer dans sa gloire. Qu'est-ce que ça veut dire "sa gloire"? Il fallait que le Messie souffre beaucoup pour retourner auprès du Père. Et le soir de Pâques - notre évangile d'aujourd'hui - Jésus redit la même chose à tous les disciples réunis : "Il fallait que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes", c'est-à-dire tout ce qui a été écrit de moi dans les Écritures.

Pourquoi toujours "il fallait" que les choses se passent comme ça ? Pourquoi ? Parce que Dieu a un plan, Dieu a un projet. Ce plan de Dieu doit se réaliser. Mais les hommes ne le connaissent pas. Le plan de Dieu dépasse l'intelligence des hommes. Les hommes ne comprendront un peu ce plan de Dieu qu'en relisant les Écritures, une fois que Jésus leur aura donné la clef pour comprendre. Et la clef, c'est que c'est bien lui, le Messie ; la clef, c'est qu'il a bien été mis à mort par les pécheurs, par les hommes ; la clef, c'est qu'il est mort justement pour les pécheurs, pour les hommes qui l'ont mis à mort; la clef, c'est qu'il est le Fils de Dieu, et que Dieu ne pouvait pas laisser son Fils dans la mort ; la clef, c'est qu'il appelle maintenant tous les humains à le rejoindre un jour dans le monde infini du Père où il est entré le premier par la résurrection d'entre les morts.

Pourquoi encore et toujours toutes les misères du monde et les souffrances et la mort ? La réponse de la foi chrétienne qui a été donnée aux disciples par la résurrection du Seigneur Jésus, la réponse, c'est que, grâce au miracle suprême de la résurrection des morts, même le royaume de la mort est inclus dans le royaume d'amour du Fils de Dieu. Tout le mal qu'il y a dans le monde et dans nos vies, on pourrait dire que c'est une formidable erreur de destin et de parcours... Et le mal est si grand qu'il nécessite un "déplacement" de Dieu. Il faut que Dieu se déplace, se dérange. Le mal est si grand qu'il faut une descente de Dieu sur la terre et même dans les enfers. Il faut une rédemption parce que l'homme est fait pour la divinisation, c'est-à-dire pour vivre, à visage découvert, dans la compagnie de Dieu.

Le soir de Pâques, le Seigneur Jésus a appris à l’Église, pour toute la suite des temps, comment lire l’Écriture. Comment ? En pesant chaque mot de l’Écriture à la lumière de la totalité de l’Écriture, c'est-à-dire à la lumière de la résurrection de Jésus et, au-delà, à la lumière de la révélation de l'Apocalypse de saint Jean, et à la lumière des révélations dont l'apôtre saint Paul a été le bénéficiaire, et à la lumière des intelligences des mystères de Dieu parsemées dans les évangiles et les autres écrits du Nouveau Testament. Si on ne lit pas les Écritures à la lumière de la totalité des Écritures, on peut devenir témoin de Jéhovah ou adhérer à n'importe quelle autre secte.

Les évangiles nous disent une fois de plus que, dans le plan de Dieu, il y avait les souffrances du Messie et sa résurrection. A l'époque de Jésus, des milliers d'hommes ont connu comme lui les tortures de la mort sur une croix. Mais Jésus a connu quelque chose de plus profond encore : il s'est senti délaissé par Dieu. Lui, il savait par expérience qui était Dieu et il a perdu ce Dieu, apparemment pour toujours. "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" Un seul expie pour les fautes des multitudes. Jésus boit la coupe jusqu'à la lie... pour nous ; non pas pour que nous n'ayons plus à souffrir, mais pour que cette souffrance reçoive en lui un sens suprême. Et quel est ce sens suprême ? C'est celui d'aider à expier pour le monde. La souffrance qui est portée à la suite du Christ peut, elle aussi, avoir part à la fécondité de la souffrance du Christ. Il y a là quelque chose qui fait partie du caractère absolument unique de l'enseignement chrétien. Ceux qui souffrent en la compagnie du Seigneur Jésus apportent probablement bien plus à l'humanité que les actifs et les affairés. Le chrétien a la possibilité de faire bénéficier les autres du prix lié à la souffrance. Et si le chrétien offre sa souffrance à la suite du Seigneur Jésus et en communion avec lui, on peut être sûr que Dieu ne sera pas regardant. (Avec Adolphe Gesché, Pierre Chaunu, AvS, HUvB).

 

22 avril 2012 - 3e Dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Luc 24,35-48

Cet évangile nous raconte ce qui s'est passé le soir de Pâques selon saint Luc. Dans l'après-midi, après une longue marche vers Emmaüs avec deux disciples, Jésus s'était fait reconnaître d'eux au cours d'un repas. Aussitôt les deux disciples retournent à Jérusalem en courant pour annoncer aux autres cette chose incroyable qui vient de leur arriver. Ils étaient encore occupés à raconter quand Jésus vint et il était là au milieu d'eux.

Dans l'après-midi, en marche vers Emmaüs, les deux disciples pensaient bien que tout était bien fini. Ils marchaient ensemble et ils discutaient. Ils échangeaient tout ce qui leur venait à l'esprit, histoire de soulager un peu leur tristesse. En fait ils parlent d'un sujet précis, obsessionnel : tout ce qui est arrivé, les événements. Ce sont des faits incontestables, connus de tous. Dans un instant, ils vont s'étonner que l'inconnu qui les a rejoints sur la route puisse ignorer ce que tout le monde sait : "Tu es bien l'unique pèlerin à Jérusalem à ignorer ce qui s'est passé ces derniers jours".

Ignorer quoi ? Quelles sortes de choses ? Et la réponse vient comme un procès-verbal de gendarmerie : Que Jésus de Nazareth, un prophète puissant en paroles et en actes devant Dieu et devant les hommes, a été condamné à mort puis crucifié par les grands-prêtres et les chefs. Voilà l'accident, l'incident, l'événement. Voilà ce qu'ils ne comprennent pas. Ils savent de science certaine que Jésus est mort et qu'on ne revient pas de la mort. On peut le déplorer, mais c'est ainsi. Il faut rester raisonnable et ne pas délirer.

Et Jésus les rattrape en chemin. Sans aucun doute, il marche plus vite qu'eux. Bientôt il les fait parler de leurs délires tristes. Et marchant à côté de lui et entendant le son de sa voix, ils ne le reconnaissent pas. Pourquoi ? Parce qu'ils ne peuvent même pas imaginer que ce soit lui. Le mort est mort, un point c'est tout. Le reste est tout à fait exclu, ce n'est même pas envisageable.

Alors le Seigneur Jésus se fait pédagogue. Il les laisse à nouveau parler tout leur soûl pour ne rien dire : le prophète puissant qui devait restaurer Israël... Scandaleusement, il a été mis à mort en croix par les chefs du peuple et les prêtres, par son peuple. Il y a bien des femmes de notre groupe qui sont allées au tombeau sans y trouver son corps ; elles ont même parlé d'anges qui le disaient vivant. Et des hommes de chez nous ont confirmé leurs dires.

Alors seulement le Seigneur Jésus prend enfin la parole. En commençant par Moïse et les prophètes, il leur expliqua tout ce qui le concernait dans les Écritures : les Écritures ne concernent que lui. Il fallait que le Christ souffre pour entrer dans sa gloire. Les disciples ne disent rien. Pour les provoquer, Jésus fait mine de continuer son chemin au-delà d'Emmaüs. Alors ils osent supplier : "Reste avec nous". Alors il entra pour rester avec eux. Aucun mot de plus sinon celui de la bénédiction sur le pain. Aussitôt leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent. Aussitôt il disparaît. Aussitôt ils retournent à Jérusalem. Et on arrive alors à l'évangile que je viens de lire. Et là, tout de suite Jésus dit à tous ceux qui sont là : Non, je ne suis pas un fantôme, regardez mes mains et mes pieds, touchez-moi, regardez-moi, vous n'auriez pas quelque chose à manger ?

Depuis toujours, le ciel fait de temps en temps irruption sur notre terre, parmi nous. On pense que le centre du monde, c'est notre monde, et nous au centre dans le monde. Et de temps en temps le ciel s'entrouvre pour nous dire : Attention, vous êtes en marche vers autre chose, vous êtes faits pour autre chose, pour une vie au-delà de votre vie d'aujourd'hui, une vie qui ne finit pas et pour laquelle vous avez été faits depuis les origines.

L'univers et l'homme ne sont pas le produit du hasard. C'est avec joie que Dieu crée chacune de ses créatures. Et il les crée pour diffuser sa joie et pour les faire entrer un jour dans sa joie. Bien sûr on peut rejeter Dieu. Le rejet de Dieu par l'homme a commencé avec Adam et Ève et il a atteint son sommet dans la crucifixion du Seigneur Jésus. Le rejet de Dieu, ou pourrait dire que c'est la loi même de l'existence du monde.

Le Christ, ce n'est pas ce corps pantelant, cloué sur la croix, c'est celui qui, par sa résurrection triomphante, montre le devenir de l'humanité. Certes les êtres humains comme tous les animaux, comme les plantes et tout ce qui respire, sont voués à mourir et à disparaître ; mais, par son appartenance au divin, l'être humain ne meurt pas. (Avec Jean-Luc Marion, Jean Delumeau, Pierre Descouvemont, Alexandre Schmemann, Xavier Emmanuelli, AvS).

 

19 avril 2015 - 3e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Luc 24,35-48

Dimanche dernier, c'était saint Jean qui nous racontait l'apparition de Jésus aux apôtres le soir de Pâques. Aujourd'hui, c'est saint Luc. Tout d'un coup Jésus est là au milieu d'eux. Les apôtres ont peur, ils ont envie de fuir et, en même temps, ils sont fascinés. Jésus leur dit : "N'ayez pas peur. C'est moi. Est-ce que je ne vous avais pas dit que je serais venu?"

Personne n'ose parler. Saint Pierre pleure déjà, Jean sourit. Et Jésus continue : "Regardez-moi. Je suis Jésus, votre Jésus ressuscité, comme il vous l'avait dit. Toi, Jean, viens le premier pour me toucher. Regarde ! Ce sont de vraies mains et de vraies blessures. Regarde mes pieds et cette marque qui est celle du clou. Je ne suis pas un fantôme. Touchez-moi. Les spectres n'ont pas de corps". Jésus met sa main sur la tête de Jean qui a osé s'approcher. "Tu sens ? Elle est chaude et lourde, ma main... Asseyons-nous à table comme toujours. Vous n'avez rien à manger ? Apportez-moi quelque chose".

André et Matthieu, comme des somnambules, vont chercher du pain, du poisson grillé et du miel. Jésus se met à manger et il donne aussi à chacun un peu de ce qu'il mange. Et il les regarde. Le premier qui ose parler, c'est Jacques, le frère de Jean : "Pourquoi nous regardes-tu comme ça ?" - "Parce que je veux vous connaître !" - "Tu ne nous connais pas encore ?" - "Comme vous, vous ne me connaissez pas. Vous vous taisez comme devant un étranger dont vous avez peur. Tout à l'heure, vous parliez. Et maintenant que je suis là, vous vous taisez ! Suis-je tellement changé que vous ne me reconnaissez pas ? Ou bien est-ce que vous ne l'aimez plus ?"

Jean s'est assis à côté de Jésus. Et Pierre, s'est assis pas loin. Il pleure : "Pardon ! Pardon ! Enlève-moi cet enfer où je suis depuis si longtemps. Dis-moi que tu as vu mon erreur pour ce qu'elle a été. Dis-moi que tu as vu mon repentir. Mais dis-moi que je ne dois pas te craindre". - "Viens ici, Simon !" - "J'ai peur !" _ "Viens ici ! Ne sois plus lâche !" - "Je ne mérite pas de venir près de toi !" - "Viens ici ! Mais que vous a fait Satan pour vous aveugler à ce point ? Viens, te dis-je !"

Pierre se traîne à genoux jusqu'à Jésus. Jésus lui met la main sur la tête. Pierre pleure encore plus fort. Il prend la main de Jésus et il la baise. Il ne sait que dire : "Pardon ! Pardon !" - Jésus : "Relève la tête, Simon. Embrasse-moi là où Judas m'a embrassé. Lave avec ton baiser la marque de sa trahison". Les autres, en voyant tout cela, retrouvent un peu de hardiesse et ils s'approchent aussi de Jésus. Et bien que Jésus soit si majestueux, ils trouvent finalement l'audace de parler.

Le premier qui parle, c'est Jacques, le cousin de Jésus : "Pourquoi nous as-tu fait cela, Seigneur ? Pourquoi ne nous as-tu pas donné la force d'être à tes côtés ?" Et la scène continue. Jésus regarde et sourit : "Restez dans ma paix et ne doutez pas de mon amour". Et Jésus disparaît comme il était entré, laissant une place vide entre Jean et Pierre. Jésus disparaît, mais la paix de Jésus est restée qui soigne les amertumes du passé. Les apôtres n'ont plus qu'un seul désir : servir.

Il est dit quelque part dans l'Apocalypse que, dans le ciel, Dieu essuiera toutes les larmes. La seule tristesse qui pourrait nous atteindre au ciel, c'est que Dieu ne soit pas assez honoré. Il n'y a qu'une chose dont on peut se plaindre au ciel, c'est que quelqu'un se détourne de Dieu. Mais cela ne se produit pas, parce que Dieu prend tout le monde en lui et remplit tout le monde.

Le dimanche, c'est le jour de la résurrection. Et l'eucharistie du dimanche, c'est comme une rencontre avec le Ressuscité. Le Père de Foucauld disait : "Prier, c'est penser à Jésus en l'aimant". En présence du Seigneur Jésus, la première réaction des apôtres est un réflexe de peur. Il y a deux sortes de peur en présence de Dieu. C'est saint Augustin qui nous dit cela. "Il y a la crainte qui te fait redouter d'être envoyé dans la géhenne avec le diable. C'est une crainte qui ne vient pas de l'amour de Dieu, elle vient de la peur du châtiment. Au contraire, lorsque tu crains Dieu de peur qu'il ne te retire sa présence, tu désires jouir de lui".

Le soir de Pâques, quand les apôtres, peu à peu, ont osé se rapprocher de Jésus et ont commencé à lui parler, ils avaient perdu la première peur ; mais ensuite ils ont eu peur que Jésus leur retire sa présence. C'est ce qui est arrivé. Mais il leur a laissé un souvenir de sa présence : leur cœur était dans la paix.

Le soir de Pâques, par la venue de Jésus au milieu des apôtres, et son départ aussi incompréhensible, les apôtres ont commencé à comprendre quelque chose comme une évidence, c'est que rien n'est plus réel que le spirituel. (Avec Charles de Foucauld, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

14 avril 2013 - 3e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 21,1-19

Il y a sept apôtres dans la barque sur le lac de Tibériade. S'ils font une bonne pêche, ça tombera bien parce qu'ils n'ont plus d'argent. Il faut ramer pour faire avancer la barque parce qu'il n'y a pas de vent. Toute la nuit, les sept descendent les filets et les remontent. Toujours pas de poissons.

Au petit matin, ils longent la côte. Une voix d'homme vient de la rive : "Vous, dans la barque, vous n'avez rien à manger ?" Les apôtres haussent les épaules en disant "Non" à haute voix. Et puis entre eux ils se disent : "On a toujours l'impression de l'entendre". Et la voix qui vient de la rive leur dit alors : "Jetez le filet à droite de la barque et vous allez trouver". La droite de la barque, c'est vers le large.

Ils jettent le filet, un peu perplexes. Et tout de suite il se remplit de poissons. "Mais c'est le Seigneur" : c'est Jean qui dit ça. Pierre demande : "Le Seigneur, tu dis ?" Jean : "Et tu en doutes ? Il m'a semblé que c'était sa voix, mais maintenant on en a la preuve. Regarde le filet. C'est lui, je te dis". Et ils rament vers la rive. Et Thomas doit prendre la rame de Pierre parce que Pierre s'est mis à l'eau ; en nageant, il avance plus vite que la barque. Il arrive sur une petite plage déserte. Et là, entre deux pierres, il y a un feu de braises. Et tout près du feu, il y a Jésus, souriant et bienveillant. Pierre est tout trempé et il se prosterne sur le sable.

La barque arrive, frotte sur le sable. "Apportez des poissons", dit Jésus. Pierre court à la barque, en sort trois gros poissons, il les vide et les nettoie, il les installe sur le feu et surveille la cuisson. Jésus : "Voilà. Il y a du pain. Vous avez travaillé toute la nuit. Vous êtes fatigués. Cela va vous réconforter. Jésus bénit les pains et les poissons, il en fait huit parts, et il mange, lui aussi. Jésus demande où sont les autres. Et tout un dialogue s'ensuit sur ce que les apôtres devront faire et ne pas faire.

Puis Jésus regarde Pierre avec insistance. Il lui met la main sur l'épaule et il lui demande : "Pierre, m'aimes-tu ?" - "Certainement, Seigneur, tu sais que je t'aime". Pierre répond avec assurance. Jésus : "Pais mes agneaux". Jésus continue : "Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ?" - "Oui, mon Seigneur, et tu sais que je t'aime". Mais la voix de Pierre est moins assurée, elle est même étonnée par la répétition de cette question. "Pais mes agneaux", lui dit Jésus. "Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ?" Pierre : "Seigneur, tu sais tout. Tu sais si moi, je t'aime". La voix de Pierre tremble, parce que si lui-même est sûr de son amour, il a l'impression que Jésus n'en est pas sûr. "Paix mes agneaux". La triple profession de foi a effacé la triple négation.

Puis Jésus dit quelques mots sur l'avenir de Pierre. Et lui dit :"Lève-toi et viens". Et ils vont tous les deux vers la rive pendant que les autres éteignent le feu en l'étouffant sous le sable. Jean a ramassé les restes de pain et il suit Jésus et Pierre. Pierre voit Jean qui les suit et il demande à Jésus : "Et de lui, que lui arrivera-t-il ?" Jésus lui répond: "Que t'importe ? Toi, suis-moi". Les autres arrivent. Tout le monde s'agenouille, Jésus les bénit et les congédie. Ils montent dans la barque et s'éloignent en ramant. Jésus les regarde partir.

Voilà. Pendant tout un temps, très concrètement, sept apôtres ont vécu face à face avec Jésus ressuscité. Ils ont mangé avec lui et parlé avec lui, comme par le passé. Mais ces instants où il est donné aux apôtres de voir le monde invisible où se trouve Jésus ressuscité ne dure pas. Jésus les bénit et les apôtres remontent dans leur barque avec leurs poissons pour les vendre au marché. Le voile qui leur cachait le monde invisible du Ressuscité s'est déchiré un instant. Et maintenant ils doivent continuer à vivre parmi les hommes.

Le ciel s'est refermé, mais ils ont reçu une conscience nouvelle de leur mission. Ils ont gardé surtout le désir de revoir encore le Seigneur Jésus. Et en même temps, ils devinent un peu plus à quel point Jésus est inconnaissable, inconnaissable et imprévisible. Il vit désormais dans le monde invisible de Dieu, auprès du Père. L'un de nos Pères dans la foi disait : "C'est vraiment voir Dieu que de n'être jamais rassasié de le désirer". Et c'est le même qui ajoutait : "Trouver Dieu consiste à le chercher sans cesse. Parce que Dieu est infini" (Grégoire de Nysse).

Pendant tout le temps de Pâques, nous célébrons la résurrection du Seigneur Jésus. "La résurrection de Jésus est importante parce qu'elle montre que la plus grande terreur de l'homme, celle de la mort, repose sur l'illusion. La mort n'est pas la fin de la vie, mais l'entrée finale dans la plénitude de vie qui est le partage de l'être de Dieu". Curieusement, je trouve cette réflexion sur la résurrection de Jésus dans un livre du Dalaï Lama : "Le Dalaï Lama parle de Jésus". Mais le fait qu'il y ait des hommes religieux dans toutes les religions ne veut pas dire que toutes les religions soient égales.

L’Église est le milieu qui a été inventé et préparé pour présenter la plénitude du mystère du Christ, de la manière la plus riche et la plus variée, à travers tous les temps jusqu'à la fin du monde. (Avec Grégoire de Nysse, le Dalaï Lama, Jean Daniélou, AvS, HUvB).
 

10 avril 2016 - 3e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 21,1-19

Deux parties dans cet évangile : d'abord cette pêche miraculeuse et le repas des apôtres avec Jésus au bord du lac ; puis le dialogue de Jésus avec Pierre. Revenons cette année sur ce dialogue. Étrange question de Jésus à Pierre : "Pierre, m'aimes-tu ?" On pourrait dire : Jésus va droit au but. Il ne demande pas à Pierre ce qu'il a fait et dit dans la cour du grand-prêtre quand on l'a soupçonné de faire partie des disciples de Jésus. Ça, c'est le passé. "Aujourd'hui, Pierre, m'aimes-tu ?" Que Jésus pose une fois la question, on peut comprendre. Mais Jésus pose trois fois la question à Pierre. Et Pierre comprend très bien le sens de cette insistance de Jésus. Il en est tout triste : il n'aime pas qu'on lui rappelle comme ça son reniement.

Puis Jésus tourne la page, si on peut dire. Tout de suite il donne à Pierre une marque étonnante de sa confiance : il le confirme comme chef de ses apôtres et de tous ses disciples. Mais aussitôt Jésus annonce à Pierre, de manière voilée, qu'il sera mis à mort à cause de Jésus et qu'il va mourir sur une croix : "Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c'est un autre qui te mettra ta ceinture pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller". Saint Jean, qui écrit son évangile à la fin du Ier siècle, sait bien à ce moment-là que saint Pierre est mort crucifié, alors il ajoute : "Jésus disait cela à Pierre pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu".

Au début de la première Lettre de Pierre, qui est venue jusqu'à nous, Pierre dit d'abord à ses correspondants la joie dans la foi qui nous vient de la résurrection du Seigneur Jésus, mais tout de suite Pierre évoque aussi les épreuves. Autrement dit, pour Pierre, il n'y a  pas de vie chrétienne sans épreuves. Pierre croit en Jésus, le Fils de Dieu, et pour lui, les souffrances font nécessairement partie du destin de Jésus. Mais lui-même, Pierre, il est toujours plus disposé à accueillir toute épreuve comme Jésus l'a fait pour glorifier le Père.

Les historiens sont d'accord pour dire que Jésus de Nazareth a vécu au début de notre ère, qu'il a rassemblé quelques disciples autour de lui, parlé aux foules et qu'il est mort crucifié à Jérusalem, abandonné de tous. Point final. Au moment où Jésus meurt, son histoire ne mérite pas une ligne dans une encyclopédie de l'histoire de l'humanité. La grande singularité de Jésus de Nazareth, par rapport aux autres fondateurs de religion, c'est qu'au moment de sa mort le bilan de sa vie ressemble à un échec assourdissant.

Le constat de l'histoire ne peut pas être : le Nazaréen ressuscita, car personne ne sait au juste ce qui s'est passé et comment ça s'est passé. Mais ce que l’histoire se doit d’enregistrer comme un fait établi, comme une certitude exempte du moindre doute, c'est que les disciples de Jésus ont cru, comme on croit à une vérité d'évidence, avoir revu vivant celui qui venait d'expirer. Lorsque saint Paul parle de la résurrection, il écrit que Jésus a été vu par Pierre, par les Douze, par cinq cents frères, par Jacques, et enfin par lui-même. Saint Paul ne décrit pas la résurrection, il raconte comment des hommes ont été bouleversés par la rencontre du Ressuscité. Et il ajoute : la plupart sont encore vivants. Sous-entendu : "Vous pouvez les interroger".

Les apparitions du Ressuscité, comme celle encore au bord du lac dans notre évangile d'aujourd'hui, témoignent d'une discrétion infinie, qui éveille la foi, mais ne l’impose pas, qui donc consacre notre liberté. Un inconnu est là que Marie-Madeleine prend pour un jardinier, et les pèlerins d'Emmaüs pour un voyageur mal informé, et les disciples sur le lac voient un homme sur le rivage qui leur demande s'ils ont fait bonne pêche.

Dans l'Ancien Testament, il y a un homme qui a été emporté au ciel, c'est le prophète Élie, huit siècles avant le Christ. Le texte sacré dit : Élie a été élevé au ciel dans un char de feu. Ce char de feu n'a cessé de fasciner la mystique juive. C'est dans ce char de feu qu’Élie a été comme englouti par le ciel. Ce char de feu signifie la liberté royale avec laquelle Dieu domine et juge toutes choses en souverain qui habite une lumière inaccessible.

Durant les trente-trois ans de sa vie terrestre, personne n'a pu deviner que Jésus était Dieu. Personne dans le monde juif n'avait jamais imaginé que Dieu pouvait devenir homme, c'est impossible, Dieu est trop grand. Et voilà que Jésus ressuscité se montre vivant à ses disciples, qu'il s'impose à eux comme vivant, qu'il les contraint pour ainsi dire à laisser tomber leurs doutes et leurs hésitations à le reconnaître. Et Jésus les convainc de leur infidélité, de leur manque de foi à ses paroles. Quand enfin Jésus convertit le cœur de ses disciples, c'est alors que, pour la première fois, ils reconnaissent (peu à peu) la divinité du Ressuscité. Cette reconnaissance était impensable avant Pâques. Les disciples reconnaissent alors que Jésus avait vraiment le droit de dire tout ce qu'il disait dans son enseignement d'autrefois. Et les disciples reconnaissent ensuite qu'il y a en lui une présence du Dieu vivant, le Dieu vivant qui fait descendre aux enfers et en remonte, comme disait l'Ancien testament. (Avec André Nouis, Olivier Clément, Louis Bouyer, AvS, HUvB).

 

15 mai 2011 - 4e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 10,1-10

Chaque année, le quatrième dimanche de Pâques, nous lisons un passage du chapitre 10e de l'évangile de saint Jean. Ce chapitre, nos bibles lui donnent comme titre : "Le bon Pasteur". C'est à la suite d'une discussion serrée et sévère de Jésus avec les pharisiens. Et en conclusion de cette discussion, Jésus dit aux pharisiens : "Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais vous dites : Nous voyons ! Alors votre péché demeure". La suite, c'est le passage de l'évangile sur le bon Pasteur que je viens de lire.

Dans un premier temps et d'une manière indirecte, Jésus dit aux pharisiens qu'ils sont comme des voleurs et des brigands dans la bergerie de Dieu. Le vrai pasteur des brebis, c'est Jésus. Les brebis écoutent sa voix, ses brebis reconnaissent sa voix, il appelle ses brebis une à une et il les mène dehors. Il marche devant elle et les brebis le suivent. Si un étranger veut jouer au berger, les brebis ne vont pas le suivre, elles vont le fuir au contraire parce qu'elles ne reconnaissent pas sa voix. Lui, Jésus, il est venu pour que les hommes aient la vie, et la vie en abondance.

Pourquoi le Père a-t-il ressuscité le Fils ? Il l'a ressuscité dans le but de nous ressusciter aussi. Et donc le sens de notre existence, c'est à partir de la résurrection de Jésus qu'il faut le comprendre. Depuis que le Seigneur Jésus est ressuscité, le sort de l'humanité est scellée... définitivement. L'homme ne peut plus se conduire comme un être purement terrestre, temporel, transitoire. Et si le pécheur se croit assez fort, assez malin, pour s'arroger le droit de disposer de lui-même dans le temps, le droit de faire n'importe quoi, comme il lui plaît, le résurrection du Fils l'avertit que la puissance de Dieu disposera de lui dans l'éternité et qu'elle en a déjà disposé.

Quand l'homme se heurte à sa limite inéluctable, la mort, alors intervient la puissance incontournable de Dieu et son jugement. Les limites de notre existence s'effacent par la résurrection. Les limites de notre existence s'effacent par la puissance de Dieu, la puissance de Dieu qui se révèle pleinement dans notre totale impuissance. Le pouvoir que nous avons de façonner notre existence en quelque sorte est quelque chose de tout à fait temporel et transitoire. Parce que Dieu nous a fait don de la liberté, nous pouvons nous donner l'illusion de disposer nous-mêmes de notre existence. En fait le Père dispose de nous en raison de la résurrection du Fils.

Dans l'Ancien Testament, presque jusqu'à la fin, on ne savait pas très bien ce que Dieu ferait de l'homme qui sombre dans la mort. La résurrection du Seigneur Jésus a mis en route un mouvement irréversible vers le Père, un mouvement qui nous "condamne" à la résurrection, qui nous "condamne", si on peut dire. C'est saint Paul qui dit cela aussi : "Dieu - c'est-à-dire le Père - qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera nous aussi par sa puissance".

"Je suis venu pour que les hommes aient la vie", nous dit Jésus dans notre évangile d'aujourd'hui. On pourrait comprendre comme ceci ces paroles de Jésus : Je suis venu dans le monde pour faire découvrir aux hommes le sens de leur vie. Mais est-ce que les hommes se posent la question du sens de leur vie ? Un philosophe d'aujourd'hui, qui est aussi critique littéraire dans un grand journal parisien, écrit ceci : "Il est impossible à l'homme d'aujourd'hui, en Europe, assuré de lui-même, puissant comme jamais, ... il est impossible à cet homme de vivre pour rien, sans s'interroger sur le pourquoi et le comment de sa vie, comme s'il était une toute petite parenthèse dans un monde absurde. Il n'est pas prêt à faire le deuil du sens de sa vie".

Et c'est l'Esprit Saint qui donne aux hommes l'aptitude à pressentir l'invisible : l'invisible, c'est-à-dire le monde invisible et le Dieu invisible. C'est l'Esprit Saint qui nous entrouvre les portes de l'invisible, et si ces portes se referment, c'est notre faute, pas la sienne. "Quand l'Esprit Saint viendra, nous dit Jésus, il vous rappellera tout ce que je vous ai dit". Il vous rappellera, c'est-à-dire il éclairera votre esprit. Parce que ça ne servirait pas à grand-chose de se rappeler les paroles de l'évangile si on n'en comprend pas l'esprit. Pour notre foi chrétienne, c'est l'Esprit Saint qui est le véritable auteur de l'évangile. Mais nous croyons aussi que c'est l'Esprit Saint qui est le seul commentateur autorisé des Écritures : l'Esprit Saint commente l'évangile au fond des cœurs et des intelligences des fils de Dieu.

Vous vous souvenez que, dans une première conclusion de l'évangile de saint Jean, il est dit que Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. L'évangile ne dit pas tout. L'Esprit Saint doit le commenter et le compléter. Et puis il y a des choses sur lesquelles Dieu maintient un silence divin que nous devons respecter. (Avec Damien Le Guay, Denis Tillinac, AvS, HUvB).

 

11 mai 2014 - 4e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 10,1-10

Jésus nous parle de sa mission : il a une mission de berger. Il est le berger de toute l'humanité. Quelque part ailleurs dans l'évangile, Jésus dit : "J'ai pitié de toutes ces foules, car elles sont comme des brebis sans bergers". Alors lui, Jésus, il est venu pour rassembler le troupeau qui n'avait pas de guide, pour le conduire dans un unique bercail, celui du Père.

Et lui, Jésus, il connaît le chemin pour aller au Père, il connaît la porte. Le chemin, c'est lui ; la porte, c'est lui ; le berger, c'est lui. "J'entre dans le bercail du Père et j'en sors comme je veux et quand je veux". Il y a de faux bergers, non seulement en Israël il y a deux mille ans, mais tout au long des âges. Mais il n'y a qu'une porte pour accéder à la maison du Père, pour entrer dans le royaume de Dieu. Lui, Jésus, est la porte, il est le chemin, la vérité et la vie, il est l'unique vrai berger de toute l'humanité.

Il est le chemin par l'exemple de sa vie : la vie d'un homme qui ne vit que pour Dieu tout en étant parfaitement naturel. Les brebis suivent leur berger. Mais le berger fait aussi un travail sur ses brebis. Il y a un "travail de Dieu" sur celui qui a commencé à se tenir disponible pour lui. Et chacun doit coopérer activement à ce travail, apprendre à se laisser faire par Dieu.

Il y a un projet de Dieu pour chaque être humain. Ce qui, pour le non croyant, apparaît comme un accident de parcours appartient aussi à Dieu et à sa providence. Dans la nature il peut y avoir des ruptures, pas dans la surnature. Dans la surnature, le plan de Dieu est toujours parfait, et tout le monde sait que Dieu écrit droit avec des lignes courbes.

Le Seigneur Jésus est venu nous révéler ce que nous sommes dans le dessein de Dieu. Il est celui qui nous introduit au mystère que nous sommes à nous-mêmes parce que, dans ce que nous sommes, il y a un secret dernier qui nous échappe toujours. Le Seigneur Jésus est venu nous dire que Dieu veut faire de nous des vivants en nous faisant participer à la plénitude de vie qui est en lui.

Ce que le Seigneur Jésus nous révèle, c'est que nous ne sommes pas destinés à mourir, mais que nous sommes essentiellement destinés à être des vivants, c'est-à-dire à partager une vie qui dépasse les frontières de ce que nous appelons la vie et la mort. Pascal résumait tout en deux mots : "Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ".

"Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent". Toute personne est infiniment mystérieuse. Nous sommes tous des mystères, tous insondables les uns par rapport aux autres. Le seul moyen que nous avons de lever un coin du mystère, c'est d'accepter que l'autre nous dise ce qu'il est.

Il y a des gens qui se disent sans Dieu. Et certains passent très bien à la télévision pour expliquer leur athéisme. Mais qu'y a-t-il derrière ces athéismes ? Il y a d'abord une erreur : ils ne connaissent pas Dieu. Quand on chasse Dieu par la porte, il revient par le fenêtre. S'ils ne croient pas à telle ou telle image de Dieu, c'est que l'image qu'ils se font de Dieu oscille entre le Père Fouettard et le Père Noël. En fait, tous sont en quête de quelque chose d'autre : ils sont en quête d'amour, en quête de verticalité, en quête du sens de la personne.

C'est quoi une vie sans Dieu ? C'est vivre du mieux que possible et le plus courageusement possible dans une vie considérée comme absurde. L'athéisme revient à dire qu'on ne peut pas avancer. Non seulement notre horizon est bouché, il est mort. Même si la vie proposée par l'athéisme s'efforce d'être heureuse et courageuse, elle tourne en rond. Il n'y a pas de porte ; il y a bien un chemin, mais il ne mène nulle part.

Pendant quarante jours, durant le temps pascal, nous célébrons la résurrection du Seigneur Jésus et tout ce qu'elle nous révèle. Dans sa mort, dans sa descente aux enfers, dans sa résurrection, il n'y a au fond qu'une chose à voir : l'amour de Dieu Trinité pour le monde, et cet amour ne peut être perçu que par l'amour de cet amour. "Je connais mes brebis et mes brebis reconnaissent ma voix". (Avec Cardinal Daniélou, Pascal, Rémi Brague, Bertrand Vergely, AvS, HUvB).

 

7 mai 2017 - 4e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 10,1-10

Jésus se compare tantôt au berger, tantôt à la porte par laquelle les brebis ont accès au pâturage. Les brebis, ce sont les hommes que Jésus est venu rassembler pour les conduire aux sources de la vie, c'est-à-dire au Père. Le bon choix, c'est de passer par la bonne porte qui donne sur les verts pâturages ; le bon choix, c'est d'adhérer dans la foi à la personne du Seigneur Jésus. Comment Jésus a-t-il été le bon berger à l'heure de sa mort et lors de ses apparitions après sa résurrection ?

"Personne n'a vu l'heure de ta victoire. Personne n'est le témoin de la naissance d'un monde nouveau. Personne ne sait comment la nuit infernale du samedi saint s'est transformée en la lumière du matin de Pâques... C'est en dormant que nous avons reçu la grâce de la résurrection". Le troupeau était comme perdu, les uns d'un côté, les autres de l'autre : Thomas perdu dans son doute, Pierre qui reprend son métier de pêcheur, Marie-Madeleine toute seule au tombeau vide le matin de Pâques. Et Jésus ressuscité, comment a-t-il rassemblé son troupeau dispersé ?

Marie-Madeleine d'abord justement. "Tu étais encore à genoux, il y a un instant, en larmes auprès du tombeau vide. Et tu ne penses toujours qu'à une chose : le Seigneur est mort. Tu veux entourer son tombeau d'un culte immortel, prier sans relâche, faire célébrer dans les églises des cérémonies autour d'un absent, un service sans espoir en l'honneur de ton amour défunt. Le tombeau est vide, et toi aussi tu es vide. Tu regardes fixement devant toi, et derrière toi se trouve la vie. Elle t'appelle, tu te retournes et tu ne la reconnais pas ! Et soudain, un seul mot, ton nom : Marie ! Ton nom propre sortant de la bouche de l'amour... Dans le temps d'un éclair je suis devenue un être nouveau pour pouvoir me jeter, dans un transport d'allégresse, aux pieds de la Vie... Et la Vie lui dit : Va l'annoncer à mes frères, va répandre le message, porter la flamme".

Autres brebis, le groupe de disciples. "Le soir, ils sont tous réunis dans la salle, le cœur brûlant et remplis de son amour, et ils se racontent les uns aux autres les événements du jour. Le paradis de Dieu est aussi simple qu'un festin avec un gâteau de miel et du poisson grillé".

Et puis il y a Thomas ! "Toi aussi, Thomas, avance, sors de l'antre de tes douleurs, place ici ton doigt et vois  mes mains ; tends la main et mets-la dans mon côté. Et ne pense pas que ta souffrance aveugle soit plus clairvoyante que ma grâce. Ne te retranche pas dans la citadelle de tes tourments. A vrai dire, tu crois voir plus clair que les autres, tu as en mains des preuves, tu tiens solidement une évidence irréfutable, et ton être tout entier crie : impossible ! Qui oserait s'attaquer à de telles évidences ? Tu te retires dans ta mélancolie, celle-ci du moins est à toi ; tu te sens vivre dans le sentiment aigu de tes douleurs. Mais à présent je suis ressuscité. Et ta douleur que tu estimes sensée ne vient plus du tout à son heure. Ton âme est-elle la mesure de ce qui est possible à Dieu ? Ce que tu tiens pour de la profondeur de ta pensée n'est qu'incroyance. Mais puisque tu es si blessé, tends-moi la main et sens à son contact le battement d'un autre cœur. Dans cette nouvelle expérience, ton âme s'ouvrira et évacuera son poison. Il faut que je l'emporte sur toi. Je ne peux pas renoncer à exiger de  toi ce que tu as de plus cher : ta mélancolie. Rejette cette idole, ce froid bloc de pierre dans ta poitrine, et je te donnerai à sa place un nouveau cœur de chair qui battra au rythme du mien. Ose accomplir le saut dans la lumière. Qu'y a-t-il de plus simple et de plus doux que d'ouvrir les portes à l'amour ? Qu'y a-t-il de plus facile que de tomber à genoux et de dire : Mon Seigneur et mon Dieu ?"

Puis c'est un matin de pêche sur le lac de Tibériade. Sur le rivage, un homme est debout, il appelle, il fait signe, on jette le filet à droite et, à l'instant, c'est un fourmillement de poissons dans le filet. Sur la rive, le déjeuner est prêt. Et personne n'a besoin de demander qui est l'étranger. C'est une paix qui dépasse toute question. Et tout cela est aussi simple que s'il n'en avait jamais été autrement. Le Maître bénit le pain comme à l'ordinaire, il le leur tend après l'avoir partagé. Comme s'il n'y avait jamais eu la croix, les ténèbres, la mort. "La paix soit avec vous !" Comme si la trahison, le reniement, la déroute, ne s'éteint jamais élevés dans leurs cœurs." La paix soit avec vous !" Voyez : j'ai vaincu la mort.

"Et toi, Simon-Pierre, fils de Jean, m'aimes-tu ? M'aimes-tu, toi qui m'as renié trois fois ? Ne m'as-tu pas toujours aimé, et n'était-ce pas encore de l'amour lorsque tu te glissais à ma suite au lieu de fuir comme les autres dans quelque sûre cachette ? N'était-ce pas de l'amour encore lorsque, transi de froid et comme hors de sens, troublé et paralysé, tu assistais au bivouac nocturne ? Tu te chauffais, mais quelle chaleur pouvait pénétrer ton âme engourdie ? Mais il fallait que vous m'abandonniez tous afin que je puisse aller seul mon chemin. Et il fallait ton âme engourdie pour que l'amer torrent de larmes vînt me la livrer tout entière au chant du coq. Tout cela est maintenant lointain et à peine visible encore, une page est tournée. Ce n'est pas seulement la mort que j’ai vaincue, et pas seulement le péché, c'est aussi la honte infâme, la lie amère de ta faute et de ton remords, et ta mauvaise conscience : tout cela a disparu sans laisser plus de traces que la neige qui fond au soleil de Pâques. Maintenant tu me regardes si franchement que je dois bien te croire quand tu dis : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime ! C'est là mon cadeau de Pâques à ton adresse : ta bonne conscience, et tu dois la recevoir aussi avec une bonne conscience, ce cadeau, car je veux, au jour de ma victoire, ne voir autour de moi aucun cœur aigri".

"Mon royaume n'est pas mon royaume. Tout ce qui m'appartient appartient au Père. Vous tous, mes frères, je vous aime pour l'amour de mon Père. Vous êtes le butin que je rapporte avec moi au défilé de ma victoire et que je dépose devant son trône. Croyez-moi, le Père vous aime ; il vous aime tant qu'il ne m'a pas épargné et m'a livré pour vous. A lui est le royaume et c'est pourquoi vous devez dire dans votre prière : Que ton règne vienne. Le royaume que j'ai fondé dans l'angoisse et le sang, qui a pris naissance aujourd'hui, en ce jour de Pâques, je le remets entre ses mains. Et c'est là mon bonheur de revenir dans son sein à travers le brouillard du monde. Pourtant je reviens au foyer plus riche que je n'étais sorti. Nous sommes pris, moi et le monde, dans ce jeu de vagues de l'amour, et il n'y a rien au-delà, sinon l'honneur toujours plus grand du Père qui est toujours plus grand". (Avec Joseph-Marie Verlinde, HUvB).

 

3 mai 2009 - 4e dimanche de Pâques - B

Évangile selon saint Jean 10, 11-18

Chaque année, le quatrième dimanche de Pâques, nous lisons des extraits du chapitre dixième de saint Jean sur le bon pasteur. Et l’Église a fait de ce quatrième dimanche une journée mondiale de prière pour les vocations.

Aujourd'hui, à la fin de l'évangile, Jésus parle de donner sa vie pour ses brebis."J'ai le pouvoir de donner ma vie et le pouvoir de la reprendre : voilà le commandement que j'ai reçu de mon Père". Notre évangile d'aujourd'hui se termine comme ça. Ce qu'on ne lit jamais le dimanche, ce sont les deux petits versets qui suivent et qui disent ceci : Il y eut de nouveau parmi les juifs une scission à cause de ces paroles de Jésus. Beaucoup d'entre eux disaient : Il a un démon, il délire. Pourquoi l'écoutez-vous ? D'autres disaient : Ces paroles ne sont pas d'un démoniaque. Est-ce qu'un démon peut ouvrir les yeux d'un aveugle ?... Parce que, au chapitre neuvième de saint Jean, Jésus avait donné la vue à un aveugle de naissance.

C'est toujours comme ça en présence de jésus : il y en a qui sont pour et il y en a qui sont contre. Il y a des brebis, il y a des bergers, mais il y a aussi des voleurs et des brigands. Il y a de bons bergers, mais il y a aussi des bergers qui ne s'intéressent pas beaucoup aux brebis ; ce sont les mercenaires, ils touchent un salaire pour garder les brebis, mais il ne faut leur en demander trop ; s'il y a danger, si le loup arrive, ils sont les premiers à s'enfuir.

Jésus n'est pas un berger mercenaire, ce n'est pas un salarié. Il est prêt à donner sa vie pour les brebis du Père, et il va la donner d'ailleurs. Et les brebis du Père, c'est toute l'humanité. Le but de Jésus, c'est de conduire tous les hommes vers le Père. Tous les hommes, c'est-à-dire les juifs aussi bien que les païens, les protestants aussi bien que les catholiques, les pratiquants de la messe du dimanche aussi bien que ceux qui ne vont pas à la messe du dimanche, les justes aussi bien que les pécheurs : tous les hommes.

Mais les hommes justement ne sont pas tous des petits moutons bien mignons. Il y a des moutons qui vont se rebeller contre le berger et qui vont devenir des loups, et qui vont tout faire pour saccager la bergerie, pour attirer les brebis dans le bercail des loups et en faire des loups à leur tour. Il y a des brebis qui deviennent des loups.

Mais il y a aussi des brebis qui deviennent des bergers. A ceux-là, Jésus dit : "Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Recevez l'Esprit Saint". Et Jésus les envoie en mission en leur donnant surtout son amour pour le Père. Et quand un chrétien accomplit la mission que Dieu attend de lui, il devient libre pour une mission plus grande. Il y a les bergers et il y a les brebis. Mais finalement, tous sont enfants de Dieu. Et il peut arriver que les brebis prennent soin du berger. Dans la communion de l’Église, chacun devient en un certain sens l'enfant de l'autre. Personne ne doit pouvoir se glorifier.

Personne ne doit pouvoir se glorifier, et pourtant tout le monde sait bien qu'il y a en chaque être humain une volonté de puissance qui n'attend qu'une chose, c'est de pouvoir dominer, dominer les autres bien sûr... Jésus est le bon berger, il n'y a pas que des brebis dans son troupeau. Son troupeau, c'est aussi une meute de loups. Et que dit le bon berger à ses brebis et à ses loups ?

"Même dans les moments où tu en viens à douter de ta capacité d'aimer, sache que moi, le Christ, je continue à croire en toi (loup ou brebis). Ta beauté intérieure, que les autres ne soupçonnent souvent pas, celle que tu ne soupçonnes parfois pas toi-même, moi je la connais. Elle dépasse tout ce que tu peux imaginer, car tu es une merveille de conscience et d'amour créée à l'image de Dieu afin de mener une réciprocité d'amour avec lui. Et tu as donc en toi tout ce qu'il faut pour la vivre. Ose croire non seulement à l'amour que Dieu te portes dès maintenant, mais ose croire aussi aux trésors d'amour et de tendresse qui sommeillent au plus profond de ton cœur. Ils te rendent capables de répondre à l'ardent désir de Dieu d'être aimé de toi".

Il y a un dialogue célèbre de Dostoïevski, le romancier russe, dans l'un de ses romans. L'un des interlocuteurs parle des hommes qui sont méchants et il dit : "Ils ne sont pas bons parce qu'ils ne savent pas qu'ils sont bons... On devrait leur apprendre qu'ils sont bons, et aussitôt tous deviendraient bons, tous, jusqu'au dernier. Et celui qui va enseigner que tous les hommes sont bons, celui-là, il va parachever le monde". Et quelqu'un répond en souriant : "Il y en a un qui a enseigné tout ça, mais on l'a crucifié... Si on vous apprenait que vous croyez en Dieu, vous croiriez en lui. Mais vous ne savez pas encore que vous croyez en Dieu, vous n'y croyez pas".

L'évangile nous parle de brebis, de loups, de berger et de bergerie. C'est l'occasion de rappeler ce vieil axiome de l’Église : "Hors de l’Église (hors de la bergerie), pas de salut". Qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a très longtemps déjà, l'un de nos Pères dans la foi (saint Augustin), disait : "Il y a beaucoup d'hommes qui paraissent être au dehors et qui sont en réalité dedans, et inversement, ce qui est beaucoup plus grave". Beaucoup de gens semblent hors de l’Église, en marge de l’Église, même opposés à l’Église parfois : beaucoup de ces gens peuvent être bien plus chrétiens que les fidèles de la messe du dimanche. Finalement, c'est la tête de l’Église qui décide, c'est le bon pasteur qui décide, dans ses jugements insondables... C'est lui qui décide qui, sur terre, au-dedans et au-dehors de l’Église visible a répondu à l'amour de Dieu et à ses exigences. Donc il existe réellement une frontière, et l’Église n'a pas le droit de la supprimer ou de la déclarer sans importance ; et en même temps, il n'existe pas de frontière parce que le Seigneur de l’Église n'est pas lié par les frontières visibles de l’Église. (Avec Frère Emmanuel de Taizé, Dostoïevski, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

29 avril 2012 - 4e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 10,11-18

Chaque année, le quatrième dimanche de Pâques, nous lisons un passage du chapitre dixième de saint Jean où Jésus parle de sa mission. Sa mission, c'est d'être pour tous les hommes comme un berger pour ses brebis. Ses brebis qui sont comme des personnes.

Première chose que Jésus nous dit aujourd'hui : il y a une différence entre le vrai berger et les mauvais bergers. Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis. C'est ce que Jésus va faire. Mais quand Jésus dit cela, il n'est pas du tout évident que ses auditeurs aient compris alors que Jésus annonçait sa mort. Un berger normal ne donne pas sa vie pour ses brebis. Il chasse les loups à coups de bâton peut-être, mais il ne donne pas sa vie.

Puis deuxième caractéristique du vrai berger pour ses brebis qui sont comme des personnes : il y a une connaissance mutuelle. "Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent". Toute l'humanité est invitée à entrer en relation avec le vrai berger. Mais si les hommes ne veulent pas, qu'est-ce qui va se passer ? Le vrai berger aura beau donner sa vie pour toutes les brebis, il y en a qui vont le suivre et d'autres qui ne voudront pas. Pourquoi ?

Et pourtant viendra un jour, dit Jésus, où toutes les brebis écouteront sa voix, et il y aura un seul troupeau et un seul berger. Comment cela sera-t-il possible ? Saint Jean, dans la deuxième lecture d'aujourd'hui, ne parlait pas de brebis pour désigner les croyants. Il disait : Nous sommes enfants de Dieu. Et il ajoutait que tout le monde n'a pas encore découvert Dieu. Tous les hommes ne savent pas encore qu'ils sont les enfants de Dieu.

On devrait souvent demander à Dieu de nous faire connaître ce qu'il a planté en nous, et comment il désire que cela se développe. Qu'est-ce que cela veut dire que nous sommes enfants de Dieu ? Cela veut dire par exemple que Dieu se trouve derrière toute souffrance et qu'il lui donne son sens dernier. Qu'est-ce que cela veut dire que nous sommes enfants de Dieu ? Tous les hommes sont appelés à devenir enfants de Dieu. Personne ne peut dire qu'il n'a jamais entendu sa voix.

En donnant sa vie pour ses brebis sur la croix, le Seigneur Jésus s'est acquis le droit de donner à chaque croyant une mission particulière. Et personne ne peut dire qu'il a rempli totalement la mission qui lui a été confiée. Personne ne peut dire qu'il n'a jamais entendu la voix de Dieu. Cela peut être une légère inquiétude, ou au contraire une exigence très claire qui s'impose à nous. La voix de Dieu, on peut l'entendre en lisant l’Écriture, en écoutant une prédication, ou bien dans le fond du cœur. C'est toujours la même voix de Dieu, et personne ne peut dire qu'il ne l'a pas entendue. Mais cette parole contient toujours aussi beaucoup plus que ce qu'on en a compris. Il faut sans cesse approfondir les vérités de la foi.

Il est impossible de connaître le Seigneur Jésus sans désirer être avec lui là où il est. Et il n'est pas dans ce monde qui passe. Il est monté au ciel auprès de Dieu. Dès maintenant, dans la mesure où on est croyant, notre vie est cachée avec le Christ en Dieu (Col 3,3). Et comment s'approcher de Dieu ? Un élan de charité rapproche plus de Dieu que mille discours sur les félicités de son royaume. Autrement dit, rien autant que la compassion ne peut donner au cœur d'approcher de Dieu.

On n'a pas besoin d'un référendum pour savoir si Dieu existe. C'est l'un de nos contemporains qui disait cela. Il disait : "Le jour n'est pas loin où nous aurons un référendum pour savoir si Dieu existe". Parce que, dans la tête d'un certain nombre de personnes, pour savoir où est le vrai, le juste, le bon, le bien, le moral, il faut faire un référendum. "Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent", nous dit Jésus. Ce n'est pas un référendum qui va faire l'affaire.

Quand un homme cherche Dieu, c'est qu'il s'est déjà laissé visiter par la grâce de Dieu. La conviction primordiale du croyant, c'est que Dieu a agi, la conviction qu'il agit aujourd'hui et qu'il agira demain. Et l'action de Dieu est permanente et cohérente, et en même temps elle est toujours imprévisible.

Jésus veut donner sa vie pour ses brebis, c'est-à-dire pour tous les hommes. Croire en chrétien, c'est reconnaître en Jésus la parole suprême que Dieu a adressée au monde et, dans cette parole, Dieu dit quel sens a pour lui la création tout entière. (Avec Alexandre Schmemann, Denis Tillinac, Damien Le Guay, Shenouda III, Jean Bancal, AvS, HUvB).

 

26 avril 2015 - 4e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 10,11-18

Chaque année, le quatrième dimanche de Pâques, nous lisons une partie du chapitre dixième de saint Jean qui contient tout un discours de Jésus sur son rôle : "Je suis le bon pasteur, le vrai pasteur". En tant que bon pasteur, le Fils représente le Père, le Dieu invisible. Il représente si bien le Père qu'il devient le Père de ses brebis. Le Père invisible, c'est le Dieu infini. Mais le Seigneur Jésus aussi est le Dieu infini. Les apôtres ne le découvrirent que plus tard, après la mort de Jésus et après sa résurrection.

Jésus représente ici-bas le Père, et il le représente si bien qu'il devient le Père de ses brebis. Les brebis, c'est-à-dire toute l'humanité. Le Père lui a remis toutes les brebis pour qu'il leur donne la vie. Quelle vie ? Sa propre vie, la vie du Fils. C'est en donnant sa vie qu'il devient vraiment le Père des brebis. Il perd sa vie humaine dans la souffrance pour que les brebis obtiennent sa vie éternelle, qui est une vie dans l'amour. Il est le bon pasteur parce qu'il mène ses brebis vers le Père.

Saint Jean nous dit, ou nous rappelle, dans sa première Lettre, que personne n'a jamais vu Dieu. Toute introduction à la foi débouche sur l'invisibilité de Dieu. Mais tous les hommes sont différents les uns des autres. Tous les hommes ne peuvent pas être instruits de la même manière des choses de Dieu. A quelqu'un qui est peu instruit, on peut expliquer moins de choses qu'à un homme plus cultivé. Mais tous atteignent finalement le point au-delà duquel il n'y a plus que le Fils qui voit le Père. Dans la foi chrétienne, chacun doit comprendre autant qu'il en est capable, mais chacun doit demeurer ouvert à une connaissance plus grande, et finalement à la vision que le Seigneur Jésus a du Père, une vision que personne ne peut atteindre. "Personne n'a vu le Père, si ce n'est le Fils".

La Bible est un don de Dieu écrit pour la foi des croyants, un livre écrit par des croyants inspirés d'en haut. C'est un livre où on apprend qui est ce Dieu qui nous parle. Des hommes ont reçu un appel particulier de Dieu pour écrire, sous l'inspiration de Dieu, tel ou tel aspect de notre salut : l'origine du monde, l'appel d'Israël, la Loi, l'Alliance, la Sagesse. Finalement, à travers tous ses livres, la Bible nous dévoile fondamentalement le Dieu créateur.

Dans ce livre qu'est la Bible, on cherche celui qui est dans le livre et qui est au-delà du livre. Mais notre foi chrétienne n'est pas fondée sur un tête-à-tête avec l’Écriture. Il faut des commentaires, il faut la présence d'autres croyants, il faut la médiation de toute une chaîne de croyants. L'approfondissement de la foi est le fruit de l'étude du texte biblique et de la prière. C'est ce qu'on commence à faire quand on va au catéchisme. Et cette étude doit se poursuivre toute la vie.

Exemple. Nous disons dans le credo : "Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre". Mais qu'est-ce que ça veut dire ? La science nous révèle l'existence de mille milliards de galaxies. Une seule galaxie peut compter deux-cents milliards d'étoiles. Des milliards de milliards de comètes gravitent autour du soleil. C'est la démesure ! Dans l'infiniment petit, c'est la même chose. Notre cerveau, c'est une centaine de milliards de neurones... C'est la démesure ! "Je crois en un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre"... C'est vite dit...

L’Église, c'est une préparation : elle nous prépare à la vie éternelle. La fonction de l’Église est donc de faire de notre vie une préparation. Sans cette dimension de préparation, il n'y a pas de christianisme, il n'y a pas d’Église. L’Église n'a pas d'autre tâche dans le monde que de nous communiquer le Christ, aujourd'hui comme le bon Pasteur, comme le Père de toute l'humanité. Et en même temps l’Église est dès maintenant communion avec Dieu.

L’Église n'a d'autre tâche que de faire entrer les croyants dans sa propre obéissance vis-à-vis du Fils, qui est lui-même parfaitement obéissant au Père. Le rôle de l’Église, du pape aux catéchistes et aux parents chrétiens, le rôle de l’Église consiste avant tout à mettre toujours plus l'humanité sur le chemin du Christ. Et suivre le Christ, cela veut dire en même temps une certaine proximité et un amour effacé qui est disponibilité la plus grande possible. La vocation de l’Église, du Pape aux catéchistes et aux parents chrétiens, c'est toujours de disparaître derrière celui qui est l'unique Médiateur entre Dieu et les hommes, le Seigneur Jésus ressuscité, le seul vrai et bon Pasteur de toute l'humanité. (Avec Jean Alberti, Jean Delumeau, Alexandre Schmemann, AvS, HUvB).

 

21 avril 2013 - 4e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 10,27-30

Cet évangile est fait de quatre petits versets. On ne lit jamais le dimanche les versets qui précèdent ni ceux qui suivent. Jésus parle des brebis qui écoutent sa voix. Pourquoi parle-t-il des brebis qui écoutent sa voix ? Parce qu'il y a des hommes qui n'écoutent pas sa voix. Il y a des hommes qui écoutent les paroles de Jésus, des hommes qui croient en la mission divine de Jésus. Et il y a des hommes qui n'y croient pas. L'évangile de Jean nous donne le contexte de ces paroles de Jésus.

C'est l'hiver. A l'occasion d'une fête juive, Jésus est à Jérusalem. Comme il ne fait pas chaud, on va et vient dans le Temple sous le portique de Salomon. Des responsables juifs sont là aussi autour de Jésus et ils lui posent la question : "Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en haleine ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement". Et quelle est la réponse de Jésus ? "Je vous l'ai déjà dit et vous ne croyez pas". Et Jésus s'explique un peu : en voyant tous les miracles que Jésus fait au nom de Dieu, les juifs pourraient bien comprendre. Mais ils ne croient pas. Ils ne croient pas parce qu'ils ne font pas partie des brebis de Jésus. "Mes brebis écoutent ma voix. Je les connais et elles me suivent". Ceux qui voient tous les miracles que je fais, ceux qui écoutent avec un cœur droit toutes les paroles que je dis, ceux-là savent que je viens de Dieu, que je viens du Père. Et tout ce que je dis et tout ce que je fais, je ne le fais pas de moi-même. En toutes choses, je fais la volonté du père. "Le Père et moi, nous sommes un".

Pour les responsables juifs, là, c'en est trop. "Dieu et moi, nous sommes un!" Il est fou ce Jésus ! On n'a pas le droit de laisser dire des choses pareilles. Cet homme mérite la mort. Et ils apportent des pierres pour lapider Jésus, là, tout de suite, dans le Temple. Alors Jésus essaie de les raisonner : "J'ai fait sous vos yeux une quantité de miracles pour soulager des misères. Pour quel miracle voulez-vous me lapider ?" Réponse des responsables juifs : "Ce n'est pas pour tes bonnes œuvres que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi qui n'es qu'un homme tu te fais Dieu". Alors Jésus s'en alla avec ses disciples loin de Jérusalem, au-delà du Jourdain.

On est là au cœur de notre foi. Jésus est-il Dieu, oui ou non ? C'est la question essentielle pour nous aujourd'hui comme il y a deux mille ans pour les responsables juifs. Ce que nous dit la révélation biblique, c'est que personne ne pourra dire que les circonstances extérieures ne lui auraient pas permis de croire. La foi est accessible à tous par la grâce de Dieu.

Voilà un historien de profession, un spécialiste de la période qui va du XVIe au XVIIIe siècle. Il est professeur au Collège de France. Il a écrit beaucoup de livres d'histoire, bien sûr, que je n'ai pas lus. Et lui, ce savant et ce chrétien, essaie de dire ce qu'est la foi chrétienne pour lui. Il est aujourd'hui grand-père et il se trouve dans un chalet de montagne au mois d'avril. Deux de ses petites-filles sont avec lui : Isabelle (sept ans) et Florence (5 ans). Et les deux filles lui demandent de sortir avec elles. "Ma femme les emmitoufle, les barde de pied en cap de vêtements imperméables, et nous quittons le chalet. Les deux fillettes s'enfoncent dans la neige jusqu'aux genoux. Bientôt elles s'y roulent comme de jeunes chiens, se mettent à marcher à quatre pattes, puis se lancent des boules de neige". Puis le groupe des promeneurs arrive à un torrent. "Quand on est enfant, quelle merveille !" Isabelle et Florence le passent et le retraversent sur des planches placées sans doute là par d'autres enfants. Dans l'eau limpide, la plus petite croit apercevoir des boas, ce qui amuse la plus grande des filles. Au bout d'une heure et demie nous remontons vers le chalet.

"Du replat, on découvre toute la chaîne du Mont-blanc, et les sommets se détachent sur un ciel pur... Isabelle, qui a l'âme poétique, déclare soudain : "Ici, c'est presque le paradis". Florence (la plus petite) : "Qu'est-ce que c'est que le paradis ?" Le grand-père : "C'est un bonheur qui ne finit pas". Florence revient à la charge : "Comment le sais-tu, toi ?" Perplexité du grand-père. "Cette question inattendue et bien posée me fait vaciller sur mes bases. Puis je lui réponds : C'est Jésus qui nous l'a révélé. Le grand-père croyait que c'en serait fini avec des questions aussi profondes et aussi difficiles. Mais ce n'est pas tout. Florence (toujours la même) pose une nouvelle question : "Est-ce qu'on met longtemps à mourir ?" Le grand-père sait que Florence est troublée par l'idée de la mort. Alors il essaie de trouver une réponse rassurante et il répond : "Souvent les vieilles gens s'éteignent doucement".

Et puis voilà, on arrive au chalet avec les philosophes en herbe. Quand elles sont arrivées à la maison, elles s'assoient sur le rebord d'une fenêtre du rez-de-chaussée et elles se mettent à chanter à tue-tête. Et notre historien conclut : "Beauté de la nature, bonheur du paradis, mort, après mort : les deux fillettes avaient, spontanément et en quelques phrases, évoqué les aspirations, les angoisses et les attentes des hommes de tous les temps". Pour l'historien de profession et le chrétien convaincu, ce fut une invitation à écrire un livre, qu'il espère être un livre simple, sur ces grands sujets. Cet historien fait partie de ces brebis qui écoutent la voix de Jésus et qui croient que le Père et Jésus ne font qu'un.

Le Seigneur Jésus nous invite à accueillir Dieu avec une foi totale, avec une joie totale, qui l'accepte tel qu'il veut se donner. Pour devenir homme parmi nous, Dieu a d'abord été accueilli par Marie. (Avec Jean Delumeau, AvS, HUvB).
 

17 avril 2016 - 4e dimanche  de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 10,27-30

Chaque année, le quatrième dimanche de Pâques, nous lisons une partie des paroles de Jésus sur  le Bon Pasteur. Le texte retenu cette année ne dit pas le contexte où ces paroles de Jésus ont été prononcées : c'est un contexte de violence. L'évangéliste précise que c'était l'hiver. Jésus est à Jérusalem avec ses disciples pour la fête de la Dédicace. Il va et vient dans le temple, sous le portique de Salomon. A un certain moment, les Juifs font cercle autour de Jésus, des Juifs hostiles à Jésus. Et ces Juifs pressent Jésus de dire clairement s'il est le Messie ou non : "Jusqu'à quand vas-tu nous faire languir ? Si tu es le Christ, dis-le nous clairement".

Et Jésus leur répond : "Je vous l'ai déjà dit, mais vous ne me croyez pas". Et Jésus évoque alors tous les miracles qu'il a faits sous les yeux de tous, des miracles qu'il appelle les œuvres qu'il fait au nom de son Père... "Si vous ne comprenez pas le sens de ces miracles, qu'est-ce que je peux faire pour vous ? Les miracles que je fais pourraient quand même vous faire deviner que je viens bien de Dieu. Mais vous ne croyez pas parce que vous n'êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent ma voix". Et la suite, c'est l'évangile que je viens de lire,  qui se termine par ces paroles : "Le Père et moi, nous sommes un".

Et quelle est alors la réaction des Juifs ? "Les Juifs apportèrent des pierres pour le lapider. Et ils lui disent : "Ce n'est pas pour tes bonnes œuvres que nous te lapidons, pour tous tes miracles. Nous voulons te lapider parce que tu blasphèmes. Toi qui n'es qu'un homme, tu te fais Dieu". Et quelques lignes plus loin, l'évangile ajoute : "Les Juifs voulurent l'arrêter, mais il leur échappa". Cet évangile du Bon Pasteur, cet évangile tout paisible, c'est dans un contexte d'hostilité à Jésus qu'il a été dit : les Juifs en veulent à mort à Jésus parce que ses paroles donnent à penser qu'il se prend pour Dieu : "Le Père et moi, nous sommes un".

Saint Paul dit quelque part que personne ne connaît l'intime de Dieu sinon l'Esprit de Dieu. Et donc si nous voulons connaître Dieu, nous devons soumettre notre esprit à celui de Dieu. Si l'Esprit Saint assume la fonction de révéler le Père, nous devons aller à sa rencontre en libérant notre esprit pour son message. Si nous sommes convaincus que notre esprit ne peut scruter Dieu, nous devons, autant qu'il est possible, libérer notre esprit de ses limites propres pour qu'il soit libre de se laisser saisir par l'Esprit Saint. "Mes brebis écoutent ma voix", dit Jésus. Elles écoutent la voix de l'Esprit.

Dans le Notre Père, il y a cette demande : "Délivre-nous du mal". Le mal dont nous demandons la délivrance, au sens de Jésus, ce mal est avant tout et le plus profondément la perte de la foi. L'incapacité de croire en Dieu et de vivre de la foi est pour Jésus le plus grand des maux. "Délivre-nous du mal". C'est le pape Benoît XVI qui disait cela. "L'incapacité de croire en Dieu et de vivre de la foi est pour Jésus le plus grand des maux". .

Une philosophe de notre temps réfléchit sur notre monde qui est sans Dieu mais qui marche avec la psychologie. L'époque contemporaine s'est montrée attentive à la psychologie, dit-elle. Elle a fait l'inventaire des besoins et des causes de souffrance du psychisme humain : besoin de signification et de sens, besoin de sécurité, d'émotions, d'animation, d'événements et de cérémonies, besoin de fêtes, souffrance de la solitude, de la monotonie, de l'ennui, difficulté d'affronter les situations extrêmes. Et en même temps notre époque, avec son grand déploiement de psychologie, néglige, avec légèreté, de reconnaître à quel point la vie chrétienne répond à ces exigences de notre nature. On se contente le plus souvent de substituts, de remèdes d'une étonnante insuffisance... Derrière la fragilité actuelle des consciences, il faudrait discerner le vide poignant causé par l'oubli de Dieu.

Est-ce que Jésus avait la foi ? Il en avait l'essentiel qui est l'attitude fondamentale en face de Dieu. La foi de Jésus, c'est sa fidélité totale envers son Père, une fidélité accordée une fois pour toutes, mais réalisée à chaque instant. La foi de Jésus, c'est une préférence absolue donnée au Père, à sa personne, à son amour, à sa volonté, à ses ordres, au détriment de ses propres désirs et de ses propres inclinations. Pour le chrétien, avoir la foi, c'est se mettre en union avec le Seigneur Jésus devant Dieu puisque Jésus nous renvoie toujours à son Père et à sa bonté. (Avec Benoît XVI, Isabelle Mourral, AvS, HUvB).

 

22 mai 2011 - 5e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 14,1-12

Aujourd'hui et dimanche prochain nous lisons des passages du discours de Jésus après la cène : son discours d'adieu. Nous sommes là au cœur de l'évangile de saint Jean, un des sommets de toute la révélation biblique. A la fin du dernier repas de Jésus avec ses disciples, Judas était sorti. Et Jésus sait pourquoi Judas est sorti. La machine de mort est en route. Ses disciples ne le savent pas. Jésus dit alors à ses disciples : Je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Et là où je vais, vous ne pouvez pas venir maintenant. Alors les disciples sont inquiets. Ils ne comprennent pas.

C'est ici que commence l'évangile que je viens de lire : "Que votre cœur cesse de se troubler. Vous devez croire en Dieu et croire aussi en moi". Et Jésus explique alors pourquoi il s'en va : "Je pars pour vous préparer une place dans la maison de mon Père". Quand Jésus parle de Dieu, il parle du Père, du Père invisible. Mais cette réponse de Jésus n'est pas claire du tout pour les disciples. Il y en a un qui dit à Jésus : "On ne sait toujours pas où tu vas. Et donc on ne connaît pas non plus le chemin pour te retrouver". Pas une seule fois ici, Jésus ne parle de sa mort ; il dit : "Je vais vers le Père". C'est très mystérieux pour les disciples.

Et tout ce que Jésus ajoute, c'est toujours aussi mystérieux. Par exemple : "Celui qui m'a vu a vu le Père". Et encore : "Je suis dans le Père et le Père et en en moi". Qu'est-ce que ça veut dire ? Alors on entend le cri du cœur d'un disciple : "Montre-nous le Père et cela nous suffit". Jésus sait bien que c'est difficile à comprendre pour ses disciples. Alors il ajoute : Souvenez-vous de tous les miracles que j'ai faits sous vos yeux. Ça, pour vous, c'était du concret, c'était du réel. Alors ce que je vous dis maintenant, c'est aussi du concret, du réel : le Père et la maison du Père, le Père qui est en moi et moi dans le Père. Un jour vous comprendrez. Oui, mais ! Pourquoi ne pas comprendre tout de suite. Pourquoi nous faire attendre ? C'est l'apôtre Philippe qui demande à Jésus : Montre-nous le Père".

Les saints et les théologiens de l’Église nous disent ici : celui qui veut toucher la vérité a déjà été touché par la grâce de Dieu. Mais sur le moment, il ne sait pas nécessairement qu'il a été touché par Dieu. On ne peut pas acquérir la foi par soi-même. La foi, c'est le don invisible de la force vivante de Dieu. Jésus promet aux siens qu'après son départ il va revenir les visiter. Comment ? Par l'Esprit Saint et par l'eucharistie. Les disciples ne comprennent pas tout de suite ce que Jésus leur dit. Personne n'arrive à la foi par la seule discussion, bien que la foi puisse très bien se défendre selon la raison. Mais la foi chrétienne est plus riche que toute raison. Si on s'enferme dans sa raison, on n'a plus aucun espace en soi pour recevoir Dieu et la foi en Dieu.

L'Esprit Saint peut nous ouvrir les yeux et l'intelligence par différents moyens, qui sont les moyens de Dieu : une rencontre humaine, une lecture, un bouleversement intérieur. Notre cœur s'ouvre et nous découvrons Dieu. La condition première pour recevoir l'Esprit Saint, c'est de vouloir nous repentir, c'est de vouloir nous vider de tout ce qui en nous est étranger à Dieu, c'est de vouloir nous vider de toutes les impuretés qui ne peuvent entrer dans le royaume des cieux. Quelles impuretés ? Saint Paul en énumère quelques-unes : l'orgueil, la haine, la jalousie, et tout ce qui ne vient pas de Dieu.

Les apôtres sont perplexes en entendant parler Jésus. Il va vers le Père. Alors, montre-nous le Père. Et Jésus répond : "Qui m'a vu a vu le Père". Il y a de quoi être perplexe. Les apparitions de Lourdes dépassent notre entendement et pourtant elles existent. Comment alors prendre possession personnellement du message chrétien ? Au début, quand on est jeune, il est normal qu'on reçoive tout de l’Église, de ses parents, des enseignants, d'une manière passive si on peut dire. Pour que la foi chrétienne devienne l'essentiel de la vie, il faut l'assumer un jour personnellement. Un jour, c'est-à-dire à l’adolescence puis à l'âge adulte, pendant toute une tranche de sa vie, et même durant toute sa vie... Pour y trouver le sens de son existence. Chacun doit découvrir par soi-même. Il y a là tout un cheminement, tout un chemin. Si on ne prend pas la peine de faire cet effort, la foi chrétienne restera toujours un peu à la surface, elle semblera toujours manquer un peu ou beaucoup de solidité, de consistance et de sérieux. Est-ce que la recherche religieuse est au centre de ma vie ?

Il y a notre histoire personnelle, il y a aussi l'histoire de toute l'humanité, il y a l'histoire d'Israël telle que nous la connaissons par la Bible essentiellement. Toute l'histoire d'Israël, au fond, c'est une éducation de toute l'humanité, c'est une initiation progressive à la vérité de Dieu. C'est une réponse à la question de Philippe : "Montre-nous le Père". (Avec Boris Bobrinskoy, Marcel Légaut, François Varillon, Philippe Maxence, AvS, HUvB).

 

18 mai 2014 - 5e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 14,1-12

Avec cet évangile, nous sommes au cœur du discours de Jésus après la Cène : c'est l'un des sommets de toute la révélation biblique. Jésus nous parle de sa mort. Il sait que son existence est menacée : les chefs religieux de son peuple en veulent à sa vie. Jésus ne dit pas qu'il va mourir : il va vers le Père. Mais il ne veut pas y aller tout seul. Pour le moment, il va y aller tout seul, mais c'est pour préparer une place auprès du Père pour tous les siens. Quand va-t-il revenir pour chercher les siens ? Il ne le dit pas.

Thomas comprend que Jésus veut partir dans un pays lointain, et il demande le chemin pour aller dans ce pays. A la fin de l'évangile, quand Jésus ressuscité imposera à ses disciples sa présence vivante, Thomas ne va plus poser de question : il se jettera dans la bras de Jésus en lui disant : "Mon Seigneur et mon Dieu !" Le chemin, c'est lui, Jésus. Et le bout du chemin, c'est Jésus encore... Parce que le Père et lui ne font qu'un. Ils sont bien deux, le Père et le Fils, mais ils ne font qu'un dans l'amour.

Il y a un homme de notre temps pour qui la foi était devenue très vivante et, par la grâce de Dieu, il a pu en parler de manière très vivante. Il m'est déjà arrivé de parler de lui, mais jamais dans une homélie du dimanche, me semble-t-il... Vous vous souvenez sans doute de Michel Serrault, un homme de théâtre et de cinéma. Il est mort il y a quelques années. C'était un chrétien dont la foi était profonde. Quelques années avant sa mort, lors d'une interview, on avait essayé de le faire parler de sa foi chrétienne. Voici quelques extraits de cette interview.

Question : Quel est pour vous le comble de la misère ? Réponse : Ma misère. Question : Votre rêve de bonheur ? Réponse : Faire le bonheur de quelqu'un. Dans les moments les plus tristes, les plus vides, les plus pénibles de notre vie, alors qu'on se sent abandonné, on peut encore, sans le savoir, servir à quelque chose. Grâce à Dieu. On devient un instrument de Dieu, c'est très mystérieux. Dieu se cache en nous pour agir, dans les moments les plus pauvres.

Question : Quel serait votre plus grand malheur ? Réponse : Perdre la foi. Et perdre un enfant. Je l'ai vécu ce malheur-là. Je n'aime pas trop en parler... Question : La vertu la plus nécessaire aujourd'hui ? Réponse : La compassion et le partage. Je ne suis pas un rebelle. Mes peines, mes incompréhensions, je les remets entre vos mains, Seigneur. Entre vos mains, Seigneur, je remets mon incapacité à comprendre et à vivre certaines heures. J'ai perdu une de mes filles à dix-neuf ans. Je ne comprends pas. Mais je partage cette incompréhensible souffrance avec les millions de personnes dans le monde qui perdent leur enfant. Je fais partie des humains qui pleurent. Je crois, mais je ne comprends pas toujours Dieu. Dieu est amour et des enfants se tuent en voiture. Il est l'amour et il y a toutes les guerres et toutes les atrocités du monde. C'est le grand mystère. Je laisse ça avec un immense point d'interrogation. Je reste sans réponse devant la mort des innocents. Mais j'affirme : Dieu est amour. C'est la clef de tout.

Question : S'il vous restait une heure à vivre, comment la passeriez-vous ? Réponse : En prière. Question : Comment aimeriez-vous mourir ? Réponse : Chrétien ! On n'est jamais vraiment chrétien. C'est une direction qu'on prend. Le jour où on sera totalement chrétien, on sera rappelé très vite. Question : Votre épitaphe ? Réponse : A bientôt. Question : Votre testament ? Réponse : Dieu est un feu qui couve.

C'était Michel Serrault. Il essayait peut-être simplement d'être vrai devant Dieu et de se laisser remplir par son Esprit.

 

14 mai 2017 - 5e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 14,1-12

Nous sommes dans le Discours d'adieu de Jésus. Dans l'évangile d'aujourd'hui, pour répondre aux questions des apôtres, Jésus parle du Père, le Père, c'est-à-dire le Dieu invisible. Pour parler de Dieu, Jésus n'emploie pas habituellement le mot Dieu. Il emploie le mot Père, sauf une fois ici dans cet évangile. C'est le dernier repas de Jésus avec les siens. Les disciples ne savent pas que c’est le dernier, mais ils sont inquiets. Et Jésus commence donc par leur dire : "Ne soyez pas bouleversés. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi". Autrement dit, la foi des disciples en Jésus et en Dieu doit surmonter leurs inquiétudes.

Et toute de suite Jésus indique la raison pour laquelle les disciples ne doivent pas être bouleversés : c'est qu'il y a beaucoup de place dans la maison du Père. Mais Jésus dit plus précisément : "Dans la maison de mon Père". Il n'est sur le même plan que les disciples devant le Père : la maison du Père, c'est la maison de mon Père. Jésus a une relation privilégiée avec le Père. Alors Thomas, qui a les pieds sur terre, pose à Jésus la bonne question : Nous ne savons même pas où tu vas. Où est-ce qu'elle est la maison de ton Père ? Alors la réponse de Jésus, Thomas n'a pas dû y comprendre grand-chose, ni nous non plus d'ailleurs dans une certaine mesure. Où il est le Père ? Celui qui me voit voit le Père ! Ce n'était pas du tout évident pour Thomas, ni pour les autres disciples. C'est maintenant seulement, à l'heure des adieux, que Jésus révèle à ses disciples que, derrière tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit, il y a le Père. Il est habité par le Père. Derrière tout ce que Jésus dit et fait, il faut discerner la présence invisible du Père, c'est-à-dire de Dieu. Tout ce que Jésus dit et fait révèle quelque chose du Père. On peut lire et relire l’Évangile dans cette optique.

C'est alors que Philippe pose à Jésus la question claire et nette : "Montre-nous le Père et cela nous suffit". Et la réponse de Jésus, une fois encore, est bien mystérieuse : "Te montrer le Père ? Mais tu ne sais pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ?" Thomas avait dit à Jésus : "Tu nous dis que tu vas partir, mais nous ne savons pas où tu vas". C'est tout à fait à la fin de notre évangile d’aujourd’hui que Jésus répond à Thomas : "Je vais vers le Père".

L'une des missions de Jésus a été de révéler à l'humanité qu'il y avait en Dieu trois "Quelqu'un", trois personnes : le Père invisible, le Seigneur Jésus qui a vécu sur terre pendant trente-trois ans, et l'Esprit Saint, tout aussi invisible que le Père. Nous les chrétiens, nous sommes les seuls au monde à croire à ces choses - cela fait quand même quelques milliards - et cela depuis depuis deux mille ans. Pour les Juifs et les musulmans, Dieu est un monarque unique et tout- puissant qui règne tout seul dans son ciel et qui de là-haut dirige le monde.

Comment le Père peut-il être en Jésus, et Jésus dans le Père ? On en trouve une certaine explication, un peu dure et paradoxale, dans  le même Discours d'adieu de Jésus. Tous les disciples sont à table. A un certain moment, Jésus trempa une bouchée et la donna à Judas. Et l'évangéliste ajoute : "A ce moment-là, après la bouchée, Satan entra en lui". Satan est un ange déchu, invisible, mais il peut habiter le cœur de l'homme, il peut entrer dans une personne pour la diriger et au besoin parler par elle, et au besoin agir par elle.

L’œuvre du Seigneur Jésus, c'est d'éduquer les hommes pour Dieu, leur apprendre les bonnes manières pour avoir une relation juste avec Dieu. Et l'essentiel est toujours dans l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Le programme est infini. Dostoïevski fait dire quelque part à l'un de ses personnages de roman : "Si Dieu n'existe pas, tout est permis". Jean-Paul Sartre estimait que cette opinion du personnage de Dostoïevski était une grave erreur. Il disait : "Que Dieu existe ou n'existe pas, la morale est une affaire entre hommes, et Dieu n'a pas à y mettre son nez". Sartre n'était pas croyant. Il avait fait le choix de ne pas croire, il avait renié toute foi. Maintenant, aujourd'hui, par-delà la mort, il a bien fallu qu'il rencontre le Dieu auquel il ne croyait pas. Quelle idée Sartre se faisait-il de Dieu ? Les chrétiens, même après la résurrection de Jésus, ont encore et toujours un effort à faire pour comprendre mieux le Dieu auquel ils croient.

L'Abbé Maurice Zundel disait : "En un certain sens, le message de Jésus Christ n'est pas encore parvenu aux chrétiens d'aujourd'hui; la plupart des chrétiens (et nous, les premiers), ne sont pas encore chrétiens dans la mesure où nous ne saisissons pas à quel point Jésus Christ constitue une révolution dans notre compréhension de Dieu".  Aujourd'hui, beaucoup de gens ne croient plus en Dieu, mais ils sont prêts à croire n'importe quoi. L'homme d'aujourd'hui veut avoir une foi raisonnable, qu'il soit capable de justifier à ses propres yeux comme aux yeux des autres. Comment faire pour aider l'homme d'aujourd'hui à vivre d'une foi intellectuellement honnête ? Être chrétien ne dispense pas de chercher Dieu.

L’Écriture est le lieu privilégié pour approfondir sa foi. L’Écriture est la Parole de Dieu, mais elle parfois bien compliquée et obscure. Un théologien de notre époque disait : "On peut parler de l'humilité de l’Écriture, de l'humble et scandaleuse condition du texte. Qu'y a-t-il donc dans ce pauvre texte de l’Écriture ? Et comment en proclamer la fécondité ?" La Bible, c'est quelques milliers de pages. Et c'est l'Esprit Saint de Dieu qui nous les donne. Est-ce qu'on peut dire que la Bible est le seul lieu où Dieu se dit ? La Bible, c'est le document de base de la foi des chrétiens, le livre de référence, mais Dieu ne se prive pas de se dire ailleurs et de mille autres manières. Mais ces mille manières se rattachent toutes, d'une manière ou d'une autre, au document de base qu'est l’Écriture. On ne peut être vraiment chrétien que si on a faim de l’Écriture, que si on a conscience qu'on n'a jamais fini de l'assimiler.

Le centre de l'histoire du monde, c'est le Dieu fait homme, Jésus Christ. Lui qui disait : Je suis dans le Père et le Père est en moi. Je suis habité par le Père. Au centre de l'histoire du monde, le Seigneur Jésus accomplit un acte (cet acte, c'est toute sa vie) qui s'étend à toute l’histoire, après lui et avant lui. Dans son temps, qui est absolument historique et circonscrit, il dévoile le sens de tous les temps : sa résurrection ouvre à tous les hommes le chemin de la maison du Père. (Avec Jean-Paul Sartre, Maurice Zundel, Bernard Sesboüé, Karl Rahner, Albert Chapelle, AvS, HUvB).

 

10 mai 2009 - 5e dimanche de Pâques - B

Évangile selon saint Jean 15, 1-8

Nous sommes dans le discours de Jésus après la Cène, le discours d'adieu de Jésus, juste avant sa Passion, qui occupe les chapitres 13 à 17 de l'évangile de saint Jean. Il est fort possible que saint Jean ait regroupé là un certain nombre de paroles de Jésus qui auraient été dites en différentes circonstances. Et l'une de ces circonstances est peut-être à chercher dans les entretiens que Jésus a eus avec ses disciples après sa résurrection. Au début du livre des Actes des apôtres, saint Luc nous dit qu'après sa Passion, Jésus s'est montré vivant à ses disciples avec de nombreuses preuves et saint Luc ajoute : "Pendant quarante jours, il leur était apparu et il les avait entretenus du royaume de Dieu". Mais saint Luc, là, n'en dit pas plus. Et on voudrait bien savoir ce que Jésus a dit à ses disciples alors. L'une des hypothèses, c'est qu'on trouverait des traces de ce que Jésus a dit à ce moment-là dans le discours après la Cène de l'évangile de saint Jean.

"Demeurez en moi, comme moi en vous". Trois, quatre, cinq fois dans l'évangile d'aujourd'hui, Jésus reprend l'expression : "Demeurez en moi". La première fois, c'est comme un ordre, un conseil. Et puis il ajoute : "Si vous ne demeurez pas en moi, vous ne pourrez pas porter de fruit". Et puis il redit la même chose de manière positive : "Celui qui demeure en moi, celui-là portera du fruit". Et puis, nouvelle sentence négative : "Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est comme du bois mort, bon à être jeté au feu". Et puis, en contrepartie, nouvelle sentence positive : "Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voulez et vous l'aurez". Et après l'évangile que je viens de lire, Jésus ajoute encore : "Demeurez dans mon amour". Et comment faire pour demeurer dans son amour ? "Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour". Est-ce que Jésus a pu dire tout cela à ses disciples avant sa mort et sa résurrection ? "Demeurez en moi comme moi je demeure en vous... Demeurez en mon amour".

Mais qu'est-ce que ça veut dire : "Demeurez en moi" ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Écoutons le poète croyant, le croyant qui essaie d'imaginer : "Demeurez en moi, comme moi en vous. Comment vous étonner qu'une goutte du sang de mon cœur se soit insinuée dans tous vos sens et dans toutes vos énergies ?... Et que délicatement les pensées de mon cœur s'infiltrent dans votre cœur tout occupé du monde?"... "Demeurez en moi, comme moi en vous... Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce vous voudrez et vous l'obtiendrez".

Saint Paul qui, dans la première partie de sa vie, ne croyait pas du tout au Seigneur Jésus, a un jour été touché par lui, près de Damas. En un instant, Paul a tout compris, en un instant il a tout su de Jésus en quelque sorte. Et longtemps après, saint Paul a pu un jour dire et écrire : "Je peux tout en celui qui me rend fort". Saint Paul est au bord d'une source inépuisable qui est à sa disposition, une source à laquelle il peut sans cesse puiser pour rencontrer ce que le Seigneur lui envoie. C'est une autre manière de dire qu'il demeure dans l'amour du Seigneur Jésus.

"Demeurez en moi... Demeurez dans mon amour". Jésus reprend à sa manière le premier commandement de Dieu. Le premier commandement, c'est : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit" (Mt 22, 37). Le premier commandement est au fond une révélation étonnante sur Dieu. La première demande adressée par Dieu à sa créature, ce n'est pas d'accomplir telle ou telle œuvre particulière, ce n'est pas de suivre tel ou tel précepte étroit ou encore d'adopter telle ou telle attitude pieuse. Le premier commandement, c'est de l'aimer : demeurez dans mon amour. Et l'aimer de tout son être. Qu'est-ce que ça veut dire ? Dans le premier commandement, on pourrait dire que le cœur de Dieu se révèle, Dieu qui désire ardemment être aimé, et être aimé non d'un amour banal ou partiel, mais d'un amour total et passionné. Toute demande sincère d'être aimé a quelque chose de bouleversant. Et c'est ce que Dieu demande à tous les humains.

On peut penser que saint Jean demeurait vraiment en Dieu. Et c'est pour cela qu'il a pu écrire ce que nous avons entendu tout à l'heure dans la deuxième lecture : "Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout. Et notre cœur aurait beau nous condamner, Dieu est plus grand que notre cœur". Dieu connaît toutes les blessures de chacun, y compris les blessures jadis refoulées, qui ne sont pas encore remontées à la conscience ou celles qui ne remonteront pas à la conscience en cette vie... Mais il y a une autre blessure en tout homme, une blessure qui fait dire à l'auteur de l’Épître aux Hébreux que l'être humain est comme un étranger sur cette terre. C'est une blessure qui est une attente, une blessure qui fait dire à saint Augustin que le cœur humain est sans repos tant qu'il ne se repose pas en Dieu.

Dans la Bible, un croyant s'est un jour exclamé dans sa prière : "Vraiment, tu es un Dieu caché". C'est vrai qu'il est caché, mais en même temps il est visible dans sa création. Lui qui dépasse infiniment le monde n'est loin d'aucun homme et, de plus, il veut être cherché avec un grand désir, constamment et à travers tout. Et en s'abandonnant à Dieu dans la foi, l'homme ne se perd pas lui-même, au contraire il devient vraiment lui-même pour la première fois. C'est l'expérience de tous les grands convertis de l'histoire. (Avec Frère Emmanuel de Taizé, AvS, HUvB).

 

6 mai 2012 - 5e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 15,1-8

Comme dimanche dernier, Jésus parle de sa mission. Dimanche dernier, il disait : Je suis le vrai berger. Aujourd'hui il dit : Je suis la vraie vigne. Et dans la pensée de Dieu, toute l'humanité doit faire partie de cette vraie vigne. Le Seigneur Jésus est la vraie vigne et tous les croyants font partie de cette vraie vigne : ils sont les sarments de cette vraie vigne. Mais ce sont des sarments volontaires. Ils peuvent rester dans la vigne, ils peuvent aussi décider de s'en aller. S'ils s'en vont, ils seront comme du bois mort. S'ils décident de rester, ils ne doivent pas s'étonner qu'ils seront travaillés. Le Père va les purifier, il va les émonder, il va les tailler, comme on taille les arbres fruitiers pour qu'ils donnent davantage de fruits ou des fruits plus gros et plus savoureux. Conclusion de Jésus : Demeurez en moi, demeurez unis à moi, comme moi en vous. C'est comme ça que vous serez vraiment mes disciples, et alors vous porterez le fruit que le Père attend de vous.

Les disciples de Jésus sont invités à rester ouverts au monde de Dieu, ouverts au souffle de l'Esprit de Dieu. Le signe distinctif des disciples de Jésus, c'est l'acceptation de la volonté de Dieu là où ils se trouvent. "Tout sarment qui donne du fruit, mon Père le nettoie, le purifie, pour qu'il en donne davantage". Les disciples de Jésus sont tous des convertis. Dans ce sens au moins qu'ils ont tous décidé un jour de vivre unis au Seigneur Jésus. Et le converti sait toujours qu'il est petit, qu'il est faible, qu'il est pécheur, qu'il connaît bien des rechutes. Mais il est converti, il est orienté pour toute sa vie vers le Seigneur Jésus. Il "demeure" en lui, comme dit l'évangile.

On peut toujours être davantage avec Dieu. Un chrétien du IIe siècle avait envoyé une lettre aux empereurs Marc-Aurèle et Commode pour défendre les chrétiens en un temps où les persécutions contre les chrétiens étaient toujours plus ou moins menaçantes. Ce chrétien s'appelait Athénagore et il écrivait ceci : "Tu trouverais parmi nous beaucoup d'hommes et de femmes qui vieillissent en restant célibataires dans l'espoir d'être davantage avec Dieu". Ce qui veut dire qu'au IIe siècle déjà des chrétiens se consacraient à Dieu en renonçant au mariage dans l'espoir d'être davantage avec Dieu. Mais le souci d'être davantage avec Dieu devrait être le souci normal de tout baptisé.

L’Église est le lieu où les hommes trouvent ou retrouvent leur communion avec Dieu et entre eux. Le but de la vie de l’Église et de la vie chrétienne est d'approfondir davantage la communion avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint, et de faire rayonner cette communion dans le monde entier. Il se peut que l'évangile ne nous dise plus rien parce qu'on l'a trop entendu. Comment faire pour que l'évangile nous redise quelque chose ? Il n'y a pas de rencontres fortuites, par hasard : ou bien Dieu nous envoie la personne qui nous est nécessaire, ou bien, à notre insu, nous sommes envoyés par Dieu vers quelqu'un.

"Demeurez en moi", dit Jésus. Comment faire ? Il est parfois salutaire de garder, au cœur d'une journée de travail, une parole ou une prière brève qui permettra de garder le contact avec le Seigneur Jésus dans les occupations quotidiennes. On trouve dans Dostoïevski, le grand romancier russe, le petit dialogue suivant entre un chrétien et quelqu'un qui n'est pas très chrétien ou même peut-être pas chrétien du tout. Ce dernier pose la question au vrai croyant : Vous parlez toujours de mystères. Qu'est-ce que c'est que le mystère ? Et voici la réponse : "Tout est mystère, mon ami, le mystère de Dieu est partout. Dans chaque arbre, dans chaque brin d'herbe, ce mystère est enfermé. Qu'un petit oiseau chante, que les étoiles au grand complet brillent dans la nuit, tout cela est mystère, le même mystère. Mais le plus grand de tous les mystères, c'est ce qui attend l'âme de l'homme dans l'autre monde. Voilà, mon ami !" En écho à Dostoïevski, voici Benoît XVI qui nous dit à sa manière ce que c'est que porter du fruit : "Ouvrir l'oreille des autres aux mystères divins". C'est quoi le mystère ?

"Chrétien, que dis-tu de toi-même ?" "Demeurez en moi", dit Jésus. Prenez et mangez. Mangez la vie divine pour la faire vôtre, afin que la communion soit totale, afin qu'il y ait une seule vie en Dieu et dans les hommes. (Avec Athénagore, Patriarche Daniel, Dostoïevski, Benoît XVI, Enzo Bianchi, AvS).

 

3 mai 2015 -  5e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean15,1-8

Jésus se caractérise comme étant la vigne. La vigne appartient au Père, qui est le vigneron. Jésus appartient au Père parce qu'il est le Fils. Mais il est dans le monde, et il est le modèle de toute relation véritable avec Dieu. Pour que la vigne puisse porter du fruit, elle doit endurer les soins du jardinier divin. Le Père ne ménage pas la vigne, il enlève les sarments inutiles; et même tout sarment qui porte du fruit, le Père l'émonde pour qu'il en porte davantage.

L’œuvre de la rédemption exige que le Fils ne soit pas ménagé. Le Père ne doit pas ménager le Fils, et le Fils ne doit pas se laisser ménager par le Père. Le point culminant du service du Fils, ce sera la croix... La croix qui est maintenant toute proche parce que nous sommes dans le Discours d'adieu de Jésus. Avant la Passion, avant que l'inévitable se déclenche, Jésus remet son esprit au Père à l'image de la vigne qui s'offre au vigneron. Le Fils se met à la pleine disposition du Père. C'est le Père qui décide de ce qu'il veut couper dans la vigne.

On  pourrait se demander  comment le Père pourrait trouver dans le Fils quelque chose de stérile qu'il devrait couper. C'est possible, parce que le Fils est uni à tous les hommes. Si les sarments ne portent pas de fruit, c'est qu'ils ne le veulent pas : par exemple, ils ne veulent pas telle mission, ou bien tout simplement ils ne veulent pas de l'amour. Dieu ne connaît qu'une mesure, c'est que nous lui appartenions totalement.  Le sarment mort que Dieu découvre en nous, il ne le tolère pas. Il ne tolère pas de sarment mort sur la vigne de son Fils.

On ne sait jamais d'avance comment Dieu va agir dans notre vie. Aucun prophète ne pouvait dire de lui-même : "A tel jour, le Seigneur parlera, le Seigneur agira". Et si quelqu'un pouvait le dire, il ne le pouvait que parce que Dieu lui-même le lui avait annoncé. Lui-même en était incapable. On ne sait jamais d'avance comment Dieu va agir dans notre vie. Mais c'est là qu'on peut se souvenir des paroles de saint Jean dans notre deuxième lecture d'aujourd'hui : "Si notre cœur ne nous accuse pas, nous nous tenons avec assurance devant Dieu... Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît tout".

Au début, dans l'Ancien Testament, Dieu avait donné rendez-vous à un seul peuple. Mais ce rendez-vous de Dieu avec un seul peuple, Israël, s'est transformé pour permettre à Dieu de rencontrer tous les peuples. Dieu veut toujours rencontrer tous les hommes, même ceux qui lui tournent le dos aujourd’hui, même ceux qui le maudissent, même ceux qui proclament bien haut qu'à leur avis Dieu n'existe pas. Et si des hommes refusent Dieu aujourd'hui, ce refus ne peut avoir qu'un temps. Et si des hommes refusent Dieu aujourd'hui, ils ont peut-être mille raisons de le faire. Un Juif croyant disait : "Ne juge pas ton prochain avant que tu ne te sois trouvé toi-même dans la même situation que lui".

Il y a trois phases du Seigneur Jésus dans sa Passion. Il y a d'abord la prière spontanée : "Que ce calice s'éloigne de moi". Puis il y a le désespoir : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" Et enfin, il y a l'abandon total : "En tes mains je remets mon esprit"... Ne juge pas ton prochain avant que tu ne te sois trouvé dans la même situation que lui...

Il y a des gens qui refusent Dieu aujourd'hui d'une manière ou d'une autre. Et ils peuvent trouver qu'ils ont mille raisons de le faire. Mais la conviction de notre foi chrétienne est que personne ne reste en dehors des appels de l'Esprit. Dieu est notre Créateur. Du point de vue de Dieu, il n'y a qu'une possibilité pour nous, c'est que nous allions à lui, puisque notre centre est en lui. Du point de vue de l'homme, il y a aussi la possibilité de se donner le choix entre le Bien et le Mal. La vérité ne se donne pas d'emblée, on a besoin d'y être conduit. D'où la nécessité de tous les croyants véritables qui nous ont précédés et qui nous ont conduits vers la foi.

Le Seigneur Jésus parle aujourd'hui du Père qui nettoie sa vigne. Et ce travail de Dieu concerne finalement tout être humain. Les saints et les saintes de Dieu nous disent ici que le principal travail du croyant, c'est de se préparer activement l'esprit à ne pas résister à Dieu, à se tenir le plus disponible possible à l'action de Dieu. "Mon Dieu, comme tu vois et comme tu sais, prends pitié". (Avec André Neher, Raymond Aron, Gustave Thibon, Edouard Pousset, AvS, HUvB).

 

28 avril 2013 - 5e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 13,31-35

Pendant trois dimanches de suite nous lisons des extraits du Discours de Jésus après la Cène, dans l'évangile de saint Jean, chapitres 13 à 17. Dans l'évangile que je viens de lire, il est question de Judas. Mais on ne dit pas pourquoi Judas quitte la salle du repas que Jésus vient de prendre avec les siens. On ne lit jamais le dimanche l'annonce par Jésus de la trahison de Judas. Au cours du dernier repas de Jésus avec les siens - mais les disciples ne savent pas, bien sûr, que c'est le dernier repas -, à un certain moment, Jésus se lève et il tient absolument à laver lui-même les pieds de tous ses disciples. Puis Jésus ajoute un petit mot d'explication, et c'est alors qu'il est troublé dans son esprit, et il dit, tout ému : "En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera".

Les disciples se regardent tous les uns les autres en se demandant de qui Jésus veut parler. On s'était remis à table, et saint Jean était tout près de Jésus. Alors saint Pierre fait signe à Jean pour qu'il demande à Jésus de qui il veut parler. "Qui est-ce ?" Jean pose la question à Jésus pendant que les autres parlent toujours entre eux et ils n'entendent rien de la question de Jean. Jésus dit à Jean : "C'est celui à qui je vais donner la bouchée que je vais tremper". Et Jésus trempe la bouchée et la donne à Judas. Il n'y a que Jean qui comprend ce que cela veut dire. Et l'évangéliste ajoute : "Après la bouchée, Satan entra en Judas". Jean n'a pas le temps de dire quelque chose à Pierre que Jésus dit à Judas : "Ce que tu as à faire, fais-le vite". Mais personne ne comprend de quoi il s'agit. "Comme Judas tenait la bourse, certains pensaient que Jésus voulait lui dire : Achète ce dont nous avons besoin pour la fête. Ou bien : Va donner quelque chose aux pauvres".

Et l'évangéliste ajoute : "Aussitôt la bouchée prise, Judas sortit ; c'était la nuit". Oui, c'était la nuit. La nuit pour Judas qui se livrait à Satan, la nuit pour Jésus qui allait entrer dans sa Passion, la nuit pour les apôtres dont le moral serait bientôt réduit à zéro.

Et Jésus se met à parler à tous les apôtres qui sont restés, les onze ; il ne parle pas de Judas, il parle de l'amour. "Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres". C'est bon pour vous, c'est bon aussi pour tous ceux qui ne sont pas encore croyants. Il faudrait que les non croyants puissent découvrir la vérité du christianisme dans la conduite et les paroles des chrétiens.

Cela peut déjà se passer en famille. Une mère s'agenouille auprès du lit de son enfant et prie avec lui. L'enfant est encore si petit qu'il ne comprend rien. Il sait seulement que, tous les jours, sa mère l'a pris dans ses bras, lui a joint ses petites mains et a dit ensuite quelque chose avec une certaine intonation. Cela s'est répété et fait partie à présent du quotidien. Et maintenant que l'enfant est un peu plus grand et se souvient mieux, si elle venait à omettre ou à changer quelque chose, alors l'enfant s'en apercevrait et le ferait remarquer à sa maman : c'est pas comme ça qu'on dit. Il a été introduit dans la prière sans savoir ce que prier veut dire. Il sent seulement qu'il se passe alors quelque chose d'autre que d'habitude, et qui est comme produit par l'amour de sa mère, que cela fait partie de son amour. C'est une des manières dont l'enfant fait l'expérience de l'amour de sa mère : elle est là et elle s'occupe de lui.

Dans la transmission de la foi chrétienne, l'essentiel n'est pas au catéchisme, il n'est pas à la messe du dimanche, il est d'abord dans la famille. "Je vous donne un commandement nouveau, nous dit Jésus : c'est de vous aimer les uns les autres". Il y a deux amours, c'est clair. Il y a un amour qui est replié sur soi, un amour égocentrique. Et il y a l'amour qui est désintéressé. L'amour qui est replié sur soi, c'est un amour triste, qui n'a rien à donner. L'amour désintéressé, c'est un mouvement de générosité. Il ne veut pas le bien et les valeurs seulement pour lui-même, ils les veut en même temps pour les autres.

Le meilleur nom de Dieu, c'est celui de Bonté. Dieu, qui est la cause de toutes choses, aime toutes choses. Dieu n'est pas envieux. "Faites comme Dieu, nous dit Jésus : aimez-vous les uns les autres". Un philosophe grec de l'Antiquité disait déjà que l'amitié, c'est le bien social par excellence. En prêchant la parole de Jésus, l’Église prêche le salut personnel, bien sûr, mais aussi la communion des saints, la dignité de chaque personne humaine et la nature communautaire de notre vie.

Aimez-vous les uns les autres : Pourquoi ? A quoi ça sert ? Pourquoi ? Parce que Dieu est amour. A quoi ça sert ? Parce qu'il y a plus de bonheur là où il y a plus d'amour. "Dieu est amour". Aucune autre religion au monde n'a osé exprimer ces quelques mots : "Dieu est amour". (Avec Jean Daniélou, Adolphe Gesché, Cardinal Lustiger, AvS, HUvB).
 

24 avril 2016 - 5e dimanche  de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 13,31...35

Nous sommes dans le discours de Jésus après la Cène, le discours d'adieu de Jésus à ses disciples. Aujourd'hui, c'est très bref. Jésus leur dit trois fois la même chose : "Aimez-vous les uns les autres". Pourquoi trois fois de suite ? Jésus éprouve le besoin d'insister. Sans doute parce que la partie n'est pas gagnée d'avance. "Aimez-vous les uns les autres". Mais qu'est-ce que ça veut dire : aimer ? Le pape François vient de publier tout un livre sur l'amour humain dans le couple et dans la famille. Pourquoi tout un livre pour essayer d'expliquer ce que c'est qu'aimer ? Jésus n'a pas donné tant d'explications. Mais Jésus n'a pas tout dit. Et il laisse un peu de travail à ses disciples.

Qu'est-ce que ça veut dire "aimer" pour l'homme et la femme qui sont unis par le mariage ?  Qu'est-ce que ça veut dire "aimer" quand on a vingt ans, quand on a cinquante ans, quand on a quatre-vingts ans ? Et pour les enfants d'une même famille, qu'est-ce que ça veut dire "aimer" ? Et entre parents et enfants, qu'est-ce que ça veut dire "aimer"? Et si je ne me sens pas aimé moi-même, est-ce que le commandement de Jésus est valable aussi pour moi ? Et si je ne suis pas aimé comme je voudrais être aimé, qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que ça veut dire "aimer"?

On pourrait rassembler toutes les paroles de Jésus sur l'amour. Il dit quelque part : "Le Père lui-même vous aime". Le Père invisible, Dieu tout-puissant, mon Père et votre Père, vous aime. Qu'est-ce que ça veut dire et à quoi ça sert ? Et puis Jésus dit aussi : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime". Alors là, ça va un peu loin, ça fait mal. Qu'est-ce que ça veut dire : "donner sa vie"? Jésus nous avertit aussi que personne ne peut se convertir à Dieu sans mourir à soi-même. Encore une fois mourir ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Dieu est plus important que l'homme. Pour nous chrétiens, le modèle de l'amour, c'est la relation du Père et du Fils Jésus. Entre le Père invisible, entre le Père tout-puissant et le Seigneur Jésus, il y a de l'amour, et un amour obéissant. Tout ce que le Père ordonne est amour, même lorsque c'est pénible, même lorsque dans la nuit de la souffrance, le Fils ne saisit plus le sens de son obéissance : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". On n'en est pas tous les jours à cette extrémité, mais le petit renoncement humain peut rendre vrai le désir de l'homme d'être introduit dans la vérité de Dieu.

Un homme de notre temps, un peu ou beaucoup philosophe, qui s'est converti à l'âge adulte à la foi catholique, a gardé de sa jeunesse vagabonde des formules à l'emporte-pièce par lesquelles il adore choquer son lecteur. Par exemple. Il y a trois états, dit-il : le mariage, la vie religieuse et la vie dissolue. Et il continue : "Les époux ont besoin des moines et les moines ont besoin des prostituées. Pas dans leur cellule, évidemment, mais pour leur cœur. En regardant les moines, les époux se rappellent que leur union n'est pas tout et qu'elle n'est profonde que de s'ouvrir à ce qui la dépasse. En regardant les prostituées, les moines se rappellent que, sans la grâce, ils seraient bien pires, et que, parmi ces misérables, il en est qui aiment mieux qu'eux, à leur insu, et qui couvent les plus foudroyants repentirs. En vérité, dit Jésus aux grands-prêtres et aux anciens, les publicains et les prostituées vous devancent dans le royaume de Dieu. "Aimez-vous les uns les autres". C'est quoi l'amour ? Saint Augustin disait : "Si le Christ t'aime, c'est profit pour toi et non pour le Christ. Et si tu aimes le Christ, c'est profit pour toi, non pour le Christ".

C'est quoi l'amour ?  C'est un prêtre orthodoxe, marié, qui raconte ceci dans son journal. Ce prêtre orthodoxe a vécu un certain temps en France et il a fait ensuite l’essentiel de sa "carrière" aux États-Unis. D'un côté il connaît comme il dit, "un petit monde étouffant qui sue l'inimitié, l'orgueil mesquin, la minable ambition, les règlements de compte personnels, la méfiance". Et de l'autre côté, il sait ce que c'est qu'une atmosphère d'amitié, de lumière, de bienveillance. Et il évoque alors une scène de restaurant avec sa femme et en compagnie d'une certaine Aniouka : "avec qui on est toujours si bien du fait de sa transparence, de son intégrité, de sa franchise".

Qu'est-ce que ça veut dire "aimer"? C'est quoi la communion des saints (dans l'amour) ? La communion des saints ne peut pas être un cercle fermé de gens qui échangent entre eux leurs mérites, comme par exemple on rassemble des capitaux pour leur faire produire davantage. La communion des saints ne peut être qu'un cercle ouvert de gens qui donnent sans compter, qui rayonnent gratuitement sans se soucier d'être eux-mêmes éclairés en retour par un autre rayonnement. C'est cela l'amour. C'est de cette manière que le Christ s'est livré lui-même sur la croix et dans l'eucharistie. Ne peut devenir membre de ce cercle que celui qui est disposé à perdre. L'objectif de la communion des saints n'est pas de lutter ensemble contre le mal, mais simplement de rayonner le bien. Et en fait, ce n'est même pas cela, car le bien rayonne de lui-même. L'objectif de la communion des saints, c'est tout simplement d'être disponible, afin que les desseins de Dieu se réalisent grâce à ceux qui portent son nom. (Avec Fabrice Hadjadj, Alexandre Schmemann, AvS, HUvB).

 

29 mai 2011 – 6e dimanche de Pâques – Année A

Évangile selon saint Jean 14,15-21

Comme dimanche dernier nous sommes dans le discours d’adieu de Jésus à ses disciples, au cours du dernier repas de Jésus avec les siens. Il est question de garder les commandements de Jésus, de garder sa parole, de garder toute la révélation qu’il est venu apporter aux hommes. Si on garde les commandements de Jésus, on sera uni à lui. Et si on est uni à lui, on sera aussi en communion avec le Père, le Dieu invisible. "Si quelqu’un m’aime, dit Jésus, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera". Et puis "moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui".

Dans un cérémonial ancien du baptême, à un certain moment, après la renonciation à Satan, le prêtre pose la question à celui qui va être baptisé : "Est-ce que tu veux t’unir au Christ ?" Et le futur baptisé répond : "Je veux m’unir à lui". Une deuxième fois le prêtre pose la question : "Est-ce que tu veux t’unir au Christ ?" Et si on veut être baptisé il faut répondre : "Je veux m’unir à lui". Et une troisième fois le prêtre pose la question : "Est-ce que tu veux t’unir au Christ ?""Je veux m’unir à lui". Le prêtre pose alors une nouvelle question : "Est-ce que tu t’es uni au Christ ?" Et celui qui doit être baptisé répond : "Je me suis uni au Christ". Dernière question : "Crois-tu en lui ?" Réponse : "Je crois en lui comme mon Roi et mon Dieu".

Et puis dans notre évangile d’aujourd’hui Jésus annonce à ses disciples que le Père, le Dieu invisible, va leur donner son Esprit Saint. L’Esprit Saint qui sera pour toujours avec eux. Mais tout le monde n’est pas capable de recevoir l’Esprit Saint, c’est ce que Jésus ajoute : "Le monde est incapable de le recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas". Mais pour Jésus, ses disciples vont connaître l’Esprit Saint. Pourquoi ? "Parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il sera en vous". Pour les disciples, cela demeure très mystérieux pour le moment.

Dans les commencements, si on avait demandé à l’apôtre saint Jean ce que c’est que de suivre le Christ, il aurait répondu : suivre le Christ, c’est demeurer auprès de lui, c’est recevoir chacune de ses paroles, c’est se laisser envoyer par lui, c’est lui demander des explications pour ce que je n’ai pas compris. Mais plus tard, un jour ou l’autre, très vite, la réponse de l’apôtre Jean aurait été différente. Suivre le Christ, c’est quoi ? Il aurait répondu : "L’amour du Seigneur est si grand que j’accepterai tout ce qu’il dira même si je ne le comprends pas. Ce que je porte en moi est à lui avant que cela ne m’appartienne".

Les saints et les saintes de Dieu connaissent la proximité de Dieu. Et en même temps ils sont sans cesse rejetés dans la solitude. Ils sont des hommes et des femmes qui sont au courant de toutes les richesses de Dieu et ils doivent cependant vivre dans la pauvreté. Ils sont riches parce qu’ils ont pu jeter un coup d’œil sur la plénitude de la grâce de Dieu. Mais ensuite le trésor se ferme pour eux et ils pourraient souvent douter qu’ils aient sérieusement fait l’expérience de la richesse. Tous les saints et les saintes de Dieu ont connu des successions de présence de Dieu et d’obscurité. La vie de foi est obéissance à la vérité et à la volonté de Dieu.

Jésus promet à ses disciples que le Père leur donnera son Esprit Saint. C’est la grâce de l’Esprit Saint qui nous met d’abord à genoux dans la prière et qui ensuite nous relève pour que, debout devant Dieu, nous puissions courir à sa rencontre. Il en va de la connaissance de Dieu comme de celle d’une personne humaine : on ne peut connaître quelqu’un que s’il se livre lui-même. Saint Paul le dit à sa manière : "Qui donc d’entre les hommes sait ce qui concerne l’homme sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ?" Et saint Paul ajoute, pour commenter l’évangile d’aujourd’hui : "De même nul ne connaît ce qui concerne Dieu sinon l’Esprit de Dieu" (1 Co 2,11). Dieu seul peut nous faire comprendre qui est Dieu. Il n’y a pas de connaissance de Dieu sans révélation.

Se laisser conduire par Dieu, c’est essentiellement une attitude d’humilité, de simplicité de la foi. Seule cette attitude permet à Dieu de se communiquer, seule cette attitude accorde à la lumière de Dieu l’espace d’un cœur purifié. "Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu". (Alexandre Schmemann, Boris Bobrinskoy, Michel Salamolard, AvS, HUvB).

 

25 mai 2014 - 6e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 14,15-21

Dans le discours après la Cène, Jésus prépare ses disciples à son départ. Il va les laisser seuls. Mais tout de suite Jésus assure à ses disciples que quelqu'un d'autre viendra à sa place : l'Esprit Saint. Dans l'évangile d’aujourd’hui, les apôtres ne posent aucune question. Mais toutes les questions sont là présentes dans leur tête. Il va partir, on ne sait pas où. Mais il nous dit qu'on connaît le chemin. Qu'est-ce que ça veut dire ? Puis il va nous envoyer quelqu'un à sa place : l'Esprit Saint. Qu'est-ce que c'est que ça ? Dans la tête des disciples, c'est la confusion totale. Précédemment un disciple avait posé la question à Jésus : "Montre-nous le Père" dont tu nous parles toujours. Maintenant personne ne pose la question : "Montre-nous cet Esprit Saint".

A ces questions insolubles, les disciples vont recevoir la réponse le jour de la Pentecôte. Le Père sera toujours invisible, l'Esprit sera toujours invisible. Mais l'Esprit Saint viendra sur eux et en eux comme une force et une lumière. Jusqu'à la Pentecôte, les apôtres étaient restés cachés dans leur maison parce qu'ils avaient peur de se faire arrêter et de subir le sort de Jésus. Dès que l'Esprit Saint les aura touchés, le jour de la Pentecôte, ils auront perdu toute crainte et ils se mettront à crier par-dessus les toits que Jésus est vraiment ressuscité, qu'il est vraiment vivant par-delà la mort, et il faut que tout le monde croie en lui pour être sauvé.

Les disciples n'ont pas vu l'Esprit, mais l'Esprit est descendu en eux comme un feu brûlant dans leur cœur, qui les remplit de certitude et d'audace. Ils n'ont plus peur de rien. Dieu est devenu pour eux si vivant, l'Esprit Saint est devenu pour eux si vivant, qu'ils n'ont plus d'autre possibilité que de s'abandonner tout entiers à son gouvernement. L'Esprit Saint est venu dans la vie des apôtres pour les faire sortir de leur vie étriquée et les introduire dans sa vie éternelle. Il est venu les chercher dans leurs idées étroites pour les faire participer à son infini.

Il y a mille chemins vers Dieu et Dieu a encore beaucoup plus de chemins pour venir jusqu’à nous. Comment faire pour prier ? Faut-il prier longtemps ou pas longtemps ? Le Père François Varillon, qui était jésuite, raconte ceci : "Je connais un très saint religieux, et je voudrais bien avoir autant d’abnégation que lui ; or cet homme est psychologiquement construit de telle manière que la prière un peu longue le démolit complètement. Ce serait de la sottise (pour lui) que de décider de prier une demi-heure ou une heure ; il faut qu’il procède autrement, par petites pauses tout au long du jour, en interrompant son travail, une minute, deux minutes, pour se retrouver devant Dieu. C’est une autre manière de prier qui n’est pas mauvaise et qui lui convient". Il y a mille chemins vers Dieu…

Il y a mille chemins vers Dieu, et là, c'est un dominicain que j'appelle à la rescousse, le Père Carré, qui a fait partie de l'Académie Française vers la fin de sa vie. Dans l'un de ses livres, il parle des bienfaits d'un séjour à l'hôpital (tout le monde n'est pas obligé d’apprécier un séjour à l'hôpital). Mais voici quand même ce que dit le Père Carré : "L'un des bienfaits d'un séjour à l'hôpital est de nous obliger à découvrir des souffrances que l'on côtoyait jusque-là sans y prêter attention".

Il y a mille chemins vers Dieu ? Et l'enfer alors ? Est-ce qu'il n'y a pas aussi mille chemins vers l'enfer ? Le Nouveau Testament nous enseigne que Dieu est amour. Mais si Dieu est amour, est-ce que l'enfer est possible ? Du moins, si Dieu est amour, l'enfer, c'est l'anomalie suprême. En tout cas, être chrétien, c'est croire davantage au Christ qu'à l’existence de l'enfer. Être chrétien, c'est d'abord croire au Christ. Et lorsque la question se pose, espérer qu'il sera impossible qu'il y ait des hommes en enfer et que finalement l'amour dont nous sommes aimés sera finalement vainqueur.

L’Église se croit parfois autorisée à déclarer solennellement que tel ou tel chrétien ou chrétienne est auprès de Dieu, l’Église se croit parfois autorisée - après de longues enquêtes - à reconnaître comme saint ou sainte telle ou telle personne. Jamais l’Église ne s'est crue autorisée à déclare qu'un tel ou un tel est en enfer. C'est le secret de Dieu et Dieu ne dit pas tout, tout de suite. On ne peut pas dire que Dieu a créé l'enfer. C'est l'homme finalement qui est responsable de son existence. Le Christ ne voue personne à la perdition. Il ne décrète pas la condamnation ; la condamnation est là où l'homme demeure loin de Dieu ; la condamnation vient de ce que l'homme persiste dans son repli sur lui-même, dans son refus de la lumière de Dieu.

La première fois que le curé de campagne de Bernanos rencontre la comtesse, le curé lui dit : "L'enfer, chère madame, c'est de ne plus aimer". (Avec François Varillon, Ambroise-Marie Carré, Gustave Martelet, Cardinal Ratzinger, Georges Bernanos, AvS).

 

21 mai 2017 - 6e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 14,15-21

Jésus promet à ses disciples de leur envoyer l'Esprit Saint. Et pour cela, Jésus va prier le Père. Et "le Père vous donnera l'Esprit Saint", l'Esprit saint qui sera un autre Défenseur, le premier Défenseur étant Jésus. Grâce à l'Esprit Saint, les disciples ne vont plus se sentir abandonnés par Jésus après sa mort et après son Ascension. L'Esprit Saint sera une certaine présence de Dieu dans leur vie, qui leur fera prendre conscience que la foi en Dieu le Père invisible et que la foi en son Fils Jésus, c'est quelque chose de réel. 

Mais pour recevoir l'Esprit Saint, pour percevoir l'Esprit Saint, il y a une condition, c'est d'accepter les commandements de Jésus et d'y rester fidèle. C'est en gardant les commandements de Jésus qu'on manifeste qu'on l'aime. L'Esprit Saint est en quelque sorte l'un des secrets de Jésus, et on ne manifeste ses secrets que lorsqu'on se sent en confiance, c'est-à-dire avec ceux qu'on aime et dont on sait qu'ils nous aiment. C'est en gardant les commandements de Jésus qu'on manifeste qu'on l'aime. Et Jésus conclut : "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; et moi aussi je l'aimerai".

Et comment le Père et Jésus vont-ils manifester cet amour ? "Je me manifesterai à lui". Comment ? Par l'action invisible et tout intérieure de l'Esprit Saint. "Celui qui m'aime saura qu'il est en moi et moi en lui". Et il saura aussi que Jésus lui-même est dans le Père. C'est de cette manière que Jésus va manifester son amour à ceux qui lui sont fidèles, c'est-à-dire à ceux qui gardent ses commandements. Plus haut dans l’Évangile, Jésus avait signalé que le monde est incapable de recevoir l'Esprit Saint, de connaître ces choses, parce que la définition du monde, pour saint Jean, c'est qu'il se détourne de Dieu, qu'il n'est pas fidèle aux commandements. L'amour ne peut être que réciproque, il n'y a pas d'amour à sens unique. Si quelqu'un n'aime pas Dieu, Dieu ne peut pas lui manifester son amour, et Dieu reste alors pour lui l'étranger, l'inconnu, l'inutile, le gêneur.

Ailleurs dans le Discours d'adieu, Jésus appelle l'Esprit Saint le Consolateur. A tout ce qui n'a pas de sens dans la vie, là où humainement il n'y a plus d'espoir, l'Esprit donne un sens infini et divin. Et qu'est-ce qui serait plus désespérant pour les disciples de Jésus que la tâche dont il les a chargés : porter son message jusqu'au bout du monde ? L'Esprit Saint est toujours là pour rendre vivante la relation entre le Seigneur et ses disciples. Rien pour eux n'est jamais du passé, tout reste toujours un avenir vivant. Tous les pourquoi, toutes les énigmes, sont résolus par l'Esprit Saint. L'étroite vie humaine qui est la nôtre peut être si riche que l'infini de Dieu y trouve sa place. C'est cela, la consolation de l'Esprit Saint.

L'être humain est un animal doué de raison. L'homme vit sur trois niveaux : le niveau animal, le niveau rationnel, le niveau spirituel. Le domaine animal est spirituellement neutre. Mais cette neutralité couve un danger. Dans l'état naturel de la vie, il y a des scories, de la saleté, de la grossièreté, de la cruauté. Lorsque la passion envahit l'esprit, qui va dompter la brute qui est en nous ? Qui va nous apprendre que le bien vaut le prix du renoncement ? La neutralité est une illusion. La vie animale est dirigée par les forces instinctives sans préoccupation du but ; elle est centrée sur la satisfaction des besoins. Voilà l'être animal qui est en nous.

L'élément spirituel en l'homme, c'est la volonté de poursuivre des buts supérieurs et, de cette manière, dé dépasser ses besoins. L'égoïsme est centré sur lui-même ; la libération de l'égoïsme dégage de soi-même. L'essentiel de l'homme réside dans sa capacité à s'élever au-dessus de ses besoins et de ses mobiles égoïstes. Et tout le sens des commandements de Dieu et de Jésus, c'est de montrer un chemin, c'est d'ouvrir l'être humain à l'Esprit Saint de Dieu.

Les saints et les mystiques dans l’Église, les théologiens les plus profonds, plongent dans l’Écriture ; et ils nourrissent alors l'intelligence de l’Église par leur familiarité avec l’Écriture. Mais l’Écriture n'est toujours que comme une lettre morte si l'Esprit Saint n'inspire pas celui qui la lit pour qu'il y reconnaisse une présence vivante. Nous sommes invités à lire l’Écriture avec l'aide de l'Esprit Saint pour découvrir dans le texte la présence cachée de Dieu, du Christ et de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint vivifie la lettre qu'il a inspirée. Et on peut découvrir aussi la présence de l'Esprit Saint en tous ceux qui, de génération en génération, ont  fidèlement transmis la Parole de Dieu.

La vie des disciples avec Jésus pendant deux ou trois ans a été tout au plus pour les disciples l'occasion d'un début de compréhension du mystère de Jésus. Puis est arrivée la lumière fulgurante de Pâques. Cette lumière fulgurante n'a pu leur révéler que graduellement, sous l'action de l'Esprit Saint encore une fois, le sens de la vie passée de Jésus, le sens avant tout de sa Passion, le sens de toute l'ancienne Alliance et le sens enfin de la réalité de l’Église. (Avec Abraham Heschel, Albert Chapelle, AvS, HUvB).

 

17 mai 2009 - 6e dimanche de Pâques - B

Évangile selon saint Jean 15, 9-17

Quand on arrive à la fin de cet évangile d'aujourd'hui, on se demande : de quoi Jésus a-t-il parlé ? Et puis, est-ce que ça me touche ? Est-ce que ça me concerne ? "Comme le Père m'a aimé et qu'il m'aime toujours, moi aussi je vous ai aimés et je vous aime toujours". Devant une parole comme celle-là, on a envie de dire avec un croyant de notre temps, dont la profession était d'être philosophe, on a envie de dire : "Je demande la grâce de lire l'amour de Dieu en tout et d'en être transformé". Pourquoi faudrait-il demander cette grâce ? Peut-être tout simplement pour que ces paroles de Jésus nous touchent au moins un peu et ne restent pas pour nous des paroles étrangères qui n'ont aucune importance pour nous... "Demander la grâce de lire l'amour de Dieu en tout".

Et notre croyant continuait - parce qu’un philosophe ça réfléchit, c'est sa profession de réfléchir, comme c'est la profession de tout être humain d'ailleurs -, notre philosophe croyant continuait en disant : "Nous ne savons jamais le tout d'un être, même du plus aimé, surtout du plus aimé"... Nous ne savons jamais le tout d'un être. "Il y a un mystère au cœur de tout amour comme de tout rapport humain". Et Jésus voudrait nous faire entrevoir, nous faire sentir le mystère de Dieu et son propre mystère et notre propre mystère. Les relations entre les humains, c'est toujours une question d'aimer ou de ne pas aimer. Et je continue toujours avec notre philosophe croyant, notre croyant philosophe : "Le véritable amour..." Pourquoi dit-il 'le véritable amour'? Sans doute parce qu'il y a aussi un amour qui est faux, un amour qui fait semblant d'être amour, mais qui au fond n'est pas de l'amour... "Le véritable amour se vit comme un mystère silencieux auquel on participe par un approfondissement de sa propre vie, par une confiance que l'on mérite".

Jésus parle de demeurer dans l'amour. Ici on apprend qu'un amour, ça se mérite ; pour mériter un amour, il faut qu'on puisse avoir confiance en nous. Et puis notre philosophe dit aussi qu'il faut approfondir sa propre vie pour connaître un amour véritable. Qu'est-ce qu'il veut dire par là : approfondir sa propre vie ?

Jésus a choisi douze disciples. Ce n'était pas les hommes les plus connus, ni les plus riches, ni les plus doués. Mais après le départ de Jésus, et sa résurrection, et le don de l'Esprit Saint, ces quelques hommes savaient, dans la foi, qu'ils avaient une mission. Et ils savaient aussi que si Jésus leur avait donné une mission, que si Dieu leur avait donné une mission, ils seraient capables aussi de la remplir. Ni le cœur, ni l'intelligence ne seront un empêchement. Ces quelques hommes chargés d'une mission iront leur chemin avec la bénédiction de Dieu. Leur courage vient d'un amour. Ils ont appris cela de Jésus. Lui, Jésus, il était aimé par le Père et ça ne l'a pas empêché de perdre sa vie, de donner sa vie. Pour l'amour de celui qui les a envoyés, les disciples oublient tout ce qui n'est pas Dieu, pour que Dieu porte du fruit dans leur vie.

Qu'est-ce que les disciples de Jésus ont appris de lui ? Ils ont appris que Dieu aime les hommes. Ils ont appris que ce Dieu qui aime les hommes pose à chacun d'eux une question : "M'aimes-tu ?" Et chacun répond comme il peut. Et la foi, qu'est-ce que c'est ? La foi, c'est : "Dieu aime les hommes". Et la foi, c'est quand l'homme reconnaît pour vraie cette existence de Dieu et de son amour.

Un cardinal de notre temps, qui veut rester anonyme, réfléchit lui aussi comme un philosophe, sur l'état actuel du monde et en particulier sur nos sociétés occidentales qui, pour une large part, n'ont plus qu'une vague mémoire de leurs origines chrétiennes. C'est le monde où nous vivons. Et qu'est-ce qu'il pense, notre cardinal philosophe ? Il dit : "Nous devons cesser de donner à tout bout de champ des leçons au monde. Il faut que nous arrêtions d'apparaître comme les rabat-joie et les pères fouettards du monde". Que dire alors ? Ce qu'il faut dire ? C'est que Dieu est Dieu et qu'il aime le monde, et qu'il l'a tant aimé qu'il a envoyé son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais qu'il ait la vie éternelle (Jn 3, 16).

Et après ces quelques mots tirés de l'évangile de saint Jean, le cardinal reprend : "Ce ne sont pas des leçons adressées au monde qui l'amèneront à croire en la vérité, en la réalité et en la validité de ce message. Aucune leçon de morale, aucune leçon de catéchisme, aucune leçon de théologie ne le permettra". C'est bien. Mais concrètement, qu'est-ce qu'il faut faire ? Le cardinal a plus de quatre-vingts ans aujourd'hui. Il est parti dans l'Asie du Sud-Est et il vit là dans un centre qui accueille des enfants dont les parents sont morts du sida, un centre aussi qui accueille des malades du sida en fin de vie. Le cardinal ne peut pas faire grand-chose. Mais il est là, pendant des heures parfois, à côté d'un malade, sans rien dire parce qu'il ne connaît pas la langue, il est là simplement pour faire comprendre à ce mourant qu'il a du prix à ses yeux.

Et le cardinal revient à nos sociétés occidentales, autrefois plus ou moins chrétiennes, nos sociétés occidentales qui ne sont pas très éloignées des pays qui n'ont jamais été chrétiens. Et il dit : "Ces sociétés ont besoin qu'on leur réapprenne le B, A, BA". Et quel est ce B, A, BA? Elles ont besoin, ces sociétés, que leur soient redonnées des preuves de la tendresse de Dieu avant même qu'on puisse les enseigner ou qu'on puisse les ré-enseigner"... Donc, il faudrait qu'il y ait volonté des chrétiens de rendre sensible autour d'eux la tendresse de Dieu. Et beaucoup le font d'ailleurs".

Il faut que celui qui aime soit un puits profond pour qu'il puisse puiser en lui-même... Et le puits le plus profond, le plus inépuisable, c'est le Seigneur Jésus. Chaque homme est un petit rouage dans la gigantesque machine du monde et du travail. Mais ce qu'il peut apprendre de Dieu, c'est que tout être humain est unique en son genre et que l'amour qu'il a dans le cœur est irremplaçable. (Avec René Habachi, Olivier Le Gendre, AvS, HUvB).

 

13 mai 2012 - 6e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 15,9-17

"Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres". Qu'est-ce que Jésus est venu révéler au monde ? Ce qui est le plus important au monde, c'est qu'il y ait de l'amour entre tous les hommes. Qu'est-ce que Jésus est venu révéler au monde ? C'est que Dieu existe et que les hommes ne sont pas pour lui des esclaves ou des marionnettes. Jésus aussi est Dieu, comme le Père invisible. Et il est venu dire aux hommes : vous n'êtes pas pour Dieu comme des esclaves, des serviteurs ou des marionnettes. Vous êtes pour moi des amis.

En créant les hommes, Dieu a voulu créer une chaîne d'amis, une chaîne d'amour. C'est facile à dire, c'est facile à imaginer, c'est facile à comprendre que s'il y avait partout de l'amour, ce serait déjà le paradis. Jésus ouvre à tous les hommes le paradis de l'amour. C'est facile à dire, c'est plus difficile à réaliser. Et pourquoi Jésus propose-t-il à tous les hommes ce paradis de l'amour ? Il le dit aujourd'hui : c'est pour que vous connaissiez la joie, "pour que ma joie soit en vous et que vous soyez comblés de joie".

Et aussitôt Jésus ajoute qu'il n'y a pas de roses sans épines. Comment dit-il cela ? Il dit : "L'amour, cela veut dire : donner sa vie pour ceux qu'on aime". Comprenne qui pourra ! Beaucoup se disent alors : si c'est ça la joie qu'il nous propose, non merci, très peu pour moi !

De toute éternité, Dieu le Père savait que le Fils était prêt à se donner totalement lui-même. L'incarnation n'aurait pas été nécessaire pour l'en convaincre. Il aurait suffi au Fils de dire une parole. Pour le Père, elle aurait été chargée de toute la plénitude de la réalité. Et pourtant le Fils a entrepris de vivre avec les hommes, au milieu des hommes ; il leur livre les mystères de sa venue pour inviter les hommes à aller avec lui, donc à souffrir avec lui, parce que c'est par l'amour que le Fils veut sauver le monde. L'incarnation du Fils révèle l'intention de Dieu de transformer en saints les hommes pécheurs.

Le Fils de Dieu est venu nous dire, il est venu dire à tous les hommes : Vous êtes pour moi des amis. Je voudrais que vous deveniez tous pour moi des amis. C'est Dieu qui nous dit cela. Parce que Dieu est humble. "Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur". C'est une parole de Jésus. Amour et orgueil sont incompatibles. Le seul chemin vers le Christ, c'est l'humilité. Le seul chemin vers l'amour, c'est l'humilité. Toute passion cherche à abaisser le prochain au rang d'objet. l'amour tisse un lien entre les hommes, les passions l'abîment. Celui qui est plein de lui-même ne peut aimer les autres. C'est pourquoi Jésus parle de mourir pour aimer.

La vie éternelle, c'est quoi ? Jésus nous le dit aujourd'hui : il est venu nous inviter à entrer dans sa joie. La vie éternelle, ce n'est pas un état, c'est une rencontre. Elle n'est pas l'entrée dans quelque chose, mais l'union à quelqu'un. Et si la vie présente ne doit pas fleurir en vie éternelle, notre lucidité devrait nous forcer à avouer qu'elle n'a pas de sens. Le mystère de l'incarnation, ce n'est pas "tout le monde est beau, tout le monde est gentil". Le mystère de l'incarnation, c'est une tragédie. Mais c'est une tragédie de la joie et non du malheur.

"Dieu est béatitude" : c'est saint Thomas d'Aquin qui dit cela. Et donc puisque Dieu est créateur, nous sommes amenés à cette conclusion, trop vite oubliée par le croyant doloriste, que non seulement nous avons été créés pour la joie, mais aussi et d'abord que nous avons été créés par la joie. Nous et toute chose. Si bien que nous devrions confesser que la joie est le fond de l'être. Pourquoi cette évidence de la foi paraît-elle si obscure à notre expérience ? "Je suis venu, nous dit Jésus, pour que vous soyez comblés de joie".

La joie pascale des chrétiens doit être une joie contenue, une joie qui garde présente la pensée des souffrances des autres et de l'humanité en général. La joie est le fondement existentiel de tout être chrétien, mais cette joie peut être enfouie dans les profondeurs de l'âme, qui appartiennent à Dieu, et cette joie peut devenir insaisissable pour le croyant. Et en même temps l'Esprit ne cesse d'attester que nous sommes enfants de Dieu. Nous souffrons avec le Christ pour être aussi glorifiés avec lui (Ro 8,16 s.). (Avec Pierre Goursat, D. Staniloae, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

10 mai 2015 -  6e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean15,9-17

Cet évangile est la suite de l'évangile de dimanche dernier, au chapitre quinzième de l'évangile de saint Jean, dans le Discours d'adieu de Jésus. Jésus commence par dire : "Le Père m'a aimé". "Le Père m'aime". Le Père l'a aimé comme son prochain, comme celui à qui il confie tout, de qui il attend tout. (Aimer, c'est tout attendre de l'autre ; aimer, c'est tout lui confier)... Le Père attend tout du Fils. Il attend tout ce que le Fils peut lui donner, c'est-à-dire l'amour parfait.

Et de même que le Père aime le Fils, le Fils aime ses disciples. Et dans cet amour (illimité), il n'y a pas de place pour la déception. Bien sûr, nous les disciples, nous décevons le Seigneur Jésus par nos défaillances (continuelles). Mais son amour ne s'y arrête pas. Il ne se laisse pas décourager par nos défaillances. Il attend de nous une réponse sans réserve. Tout en sachant que nous sommes pécheurs, tout en connaissant nos faiblesses, il ne tient pas compte de nos refus, il est toujours disposé à couvrir de sa grâce tout ce qui manque, toutes nos déficiences.

Si bien qu'il peut dire : "Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés"... Je vous ai aimés d'un amour qui ne se sent jamais déçu. Il exige toujours plus qu'il n'obtient, mais il ne se retire jamais comme s'il était éconduit. Tout amour cherche à conquérir, et le Seigneur Jésus ne se lasse pas de solliciter notre réponse. Il se comporte comme si son amour était accepté alors même que nous le repoussons. Même sur la croix, il ne cessera de nous aimer en sollicitant notre réponse.

Et le Seigneur Jésus ajoute alors : "Demeurez dans mon amour". Jésus ne parle pas à ses disciples de leurs faiblesses et de leurs péchés. La seule chose qu'ils doivent savoir, c'est qu'il les aime malgré tout et par-dessus tout. Mais cela, les disciples ne le comprennent pas encore. Ils ne sentent toujours pas qu'ils sont aimés. Ils sentent seulement qu'ils sont subjugués par le Seigneur Jésus. Et Jésus leur demande de vivre simplement du cadeau de son amour et de s'abandonner à sa grâce. Jésus, au fond, leur demande l'humilité : qu'ils acceptent de se laisser aimer par Dieu, et qu'ils veuillent bien aimer eux-mêmes dans cet amour de Dieu, même s'ils ne comprennent pas tout.

Mais le tragique de la condition de l'homme, c'est qu'il se sent fait pour la joie et pour la vie, et qu'il se trouve en fait devant la souffrance et la mort. Les premières pages de la Bible posent déjà le problème. Et la Bible, au fond, c'est l'histoire de nos relations avec Dieu. Dans l'histoire d' Israël avant le Christ, il y a eu une grande cassure, c'est l'exil à Babylone, six siècles avant le Christ. Le peuple élu est brisé, il est arraché à sa terre. Normalement Israël aurait dû disparaître, il aurait dû se fondre dans les mœurs et la religion de son vainqueur. Et c'est tout le contraire qui est arrivé. Au cœur de l'épreuve de l'exil à Babylone, le peuple élu a découvert que son Dieu (Yahvé) n'est pas seulement le Dieu de son peuple Israël, mais qu'il est aussi le Dieu de tous les hommes, le Dieu universel, le Dieu unique. On a gardé de ce temps-là la formule : "A quelque chose malheur est bon".

"Demeurez dans mon amour", dit Jésus à ses disciples. Et le théologien orthodoxe, notre contemporain, un homme marié, ajoute ceci : "Tout grand amour est toujours crucifié". C'est dans l'exil à Babylone, c'est dans son malheur, que le peuple élu a découvert que Dieu était encore plus grand que ce qu'il imaginait... A quelque chose malheur est bon. En soi, la mort est une incurable faiblesse. Mais finalement ce qui est une puissance universelle d'amoindrissement et de disparition, Dieu le transforme en facteur de vivification. C'est ce que nous célébrons tout au long de ce temps pascal : le Seigneur Jésus est sorti vivant du tombeau.

Dans la résurrection de Jésus, Dieu détruit la mort sans nous détruire nous-mêmes. En ressuscitant Jésus, Dieu réalise dans l'histoire le projet primordial de son éternité. Le Seigneur Jésus est la présence personnelle de Dieu dans la douleur scandalisée du monde. C'est un Père de l’Église qui disait : "Celui qui se trouve initié au mystère de la résurrection découvre la raison pour laquelle Dieu a créé toute chose au commencement". Aucun problème humain n'est résolu alors comme par enchantement. La douleur demeure, la mort aussi, mais elles sont plus supportables, car elles sont éclairées. (Avec François Varillon, Jean Alberti, Paul Evdokimov, Teilhard de Chardin, Gustave Martelet, AvS).

 

5 mai 2013 - 6e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 14,23-29

Nous sommes au chapitre quatorzième de saint Jean, au cœur du Discours de Jésus après la Cène. Jésus sait que sa mort est proche, une mort violente, terrible. Il ne dit pas aux siens qu'il va mourir; il dit : Je vais vers le Père. Mais quand je serai parti, le Père vous enverra l'Esprit Saint. Et l'Esprit Saint vous rappellera tout ce que je vous ai dit et il vous introduira dans la vérité tout entière. Les apôtres n'y comprenaient pas grand-chose. Ils comprenaient quand même que Jésus allait les quitter. Pour aller où ? Ce n'est pas clair du tout. Il y a même un apôtre qui lui pose la question, c'est Thomas : Nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin pour te retrouver ? Et puis, qu'est-ce que c'est que cet Esprit Saint qu'il va nous envoyer ? On n'y comprend rien. Ils vont tout comprendre le jour de la Pentecôte, bien sûr. Mais pour le moment, c'est le trou noir. Ils sont inquiets, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est pourquoi Jésus essaie de les rassurer : "Ne soyez pas bouleversés, n'ayez pas peur !"

Avec cet évangile et tout le discours après la Cène, nous sommes au cœur de la révélation biblique et chrétienne. Jésus, qui est Dieu lui-même, parle du Père qui est Dieu et de l'Esprit Saint qui est Dieu. Et tout au long du Discours après la Cène, Jésus parle des mystères de Dieu de différentes manières. Ce sont de multiples approches des mystères de Dieu.

Dieu n'impose rien à l'homme, pas même la foi, sans attendre son accord. Depuis toujours l'homme est une créature de Dieu, bien sûr ; mais il faut encore que Dieu prenne possession de l'homme. Dieu ne le fait pas en s'imposant à l'homme de force : il faut toujours que l'homme s'offre à lui pour que Dieu prenne possession de lui, lui envoie son Esprit Saint et vienne demeurer en lui. Ce que Dieu vise, dans son éternité, c'est de s'unir avec l'humanité tout entière ; cette union de Dieu et de l'humanité, c'est ce que nous appelons l’Église. C'est quoi l’Église encore ?

Un journaliste américain fait un reportage sur Mère Teresa. Il est à Calcutta et il rencontre Mère Teresa en train de soigner un homme dans la maison où on reçoit les mourants. Le journaliste est très étonné. Il dit à Mère Teresa : "Ma Sœur, je ne ferais pas ce que vous faites même pour mille dollars américains par jour !" Et quelle a été la réponse de Mère Teresa ? "Moi non plus". C'est-à-dire qu'elle non plus, Mère Teresa, elle ne ferait pas ce qu'elle fait même pour beaucoup d'argent. C'est quoi l’Église, et le Père et le Fils et l'Esprit Saint. Tout est là, en Mère Teresa.

Dieu a créé l'homme, et ensuite il s'est comme effacé volontairement devant lui. Par là, Dieu a pris un très grand risque, puisqu'il a ouvert un espace à la liberté, une liberté qui peut se révolter contre Dieu et refuser l'amour de son Créateur. Dieu peut tout sauf contraindre l'homme à l'aimer.

Jésus nous parle aujourd'hui du Père qui est plus grand que lui. Il nous parle de l'Esprit Saint que le Père va envoyer à ses disciples quand lui-même, Jésus, sera parti. Les apôtres n'ont rien compris sur le moment. Mais ils ont gardé dans leur mémoire toutes ces paroles énigmatiques de Jésus. Et plus tard ils comprendront... Ils comprendront que, si Dieu est amour, il ne peut pas être une seule personne. Si Dieu est amour, il est nécessairement plusieurs personnes, parce qu'il faut être plusieurs pour s'aimer. Dieu est amour parce que les trois personnes divines s'aiment d'un amour si parfait qu'elles sont vraiment un seul être. Mais alors comment le Père et l'Esprit Saint ont-ils accepté que le Fils seul s'enfonce dans le bourbier de l'humanité ?

Toute notre foi se résume à croire que Dieu nous aime ; c'est tout, il n'y a rien d'autre. Tout le credo ne fait qu'expliquer ça. Croire en Dieu, c'est apprendre à voir les choses comme Dieu les voit. La foi, c'est le commencement d'une amitié avec Dieu. Mais pour le moment, ici-bas, être uni à Dieu, cela veut dire être uni à l'Inconnu... L'Inconnu que Jésus essaie d'expliquer aujourd'hui : le Père qui est plus grand que lui, et l'Esprit Saint qui viendra, et lui-même Jésus qui sera toujours avec les siens par-delà sa propre mort.

Les deux dogmes fondamentaux de la foi sont le Christ et la Trinité. Comment est-il possible que Dieu crée le monde alors qu'il n'en a aucun besoin ? Le mystère du Christ, le mystère du Seigneur Jésus, est l'unique voie d'accès à la Trinité : c'est Jésus qui nous a fait connaître l'existence de la Trinité. ( Avec François Varillon, Mère Teresa, Olivier Clément, Cyrille Argenti, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).
 

1er mai 2016 - 6e dimanche  de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 14,23-29

Comme dimanche dernier, nous sommes dans le discours de Jésus après la Cène. "Si quelqu'un m'aime, il restera fidèle à ma parole". Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est en aimant que nous accordons à la parole de Jésus la place qu'il lui faut pour qu'elle s'épanouisse en nous davantage. C'est en aimant que nous devenons capables d'offrir en nous au Seigneur Jésus une place de plus en plus importante.

Chez celui qui aime Dieu et son prochain, le Père et le Fils se font une demeure. Celui qui aime devient la demeure de Dieu. Dieu vient chez lui comme dans sa patrie. Celui qui aime possède la grâce. Le Père et le Fils viennent dans une âme afin d'agir et de rayonner dans le monde à partir d'elle. Dieu ne se manifeste pas au monde pour le convertir une fois pour toutes par un miracle retentissant. Il vient conquérir des personnes, et c'est à partir de ces personnes qu'il vient faire rayonner sa lumière, et la faire rayonner dans toutes les régions de l'humanité.

Le Seigneur Jésus connaît deux classes d'hommes : ceux qui aiment et ceux qui n'aiment pas, soit par entêtement, soit par ignorance. Ceux qui le haïssent s'opposent à lui, ne veulent lui céder aucune place. Ils savent ce qu'ils rejettent. Mais le Seigneur Jésus les aime, eux aussi, il sait ce qu'il perd en eux. Parmi ceux qui ne gardent pas ses commandements, il y a toutes les nuances. Il y a ceux qui n'arrêtent pas de dire qu'ils ne veulent rien savoir de lui, et il y a ceux qui ne cessent de protester de leur grand amour et qui le méprisent quand même dans leur cœur parce que, malgré leur observance des commandements, ils n'ont pas l'amour. Il y a des hommes qui sont disponibles pour tout sauf pour l'amour.  Et à la place de l'amour, ils se créent des compensations dans l'activisme, dans des actions charitables, dans n'importe quelle activité. On les admire peut-être, mais le Seigneur Jésus seul sait qu'ils ne l'aiment pas.

Et puis il y a les indifférents qui ne gardent pas la parole du Seigneur Jésus parce qu'ils ne la connaissent pas, parce qu'ils ne l'ont pas entendue. Ce sont ceux qui nous sont confiés. Ils ont peut-être appris quelque chose des paroles et des commandements du Seigneur Jésus, mais leur cœur n'a pas été touché. Il y a donc en eux un accès qui reste ouvert pour le Seigneur Jésus. Le Seigneur Jésus a un droit sur eux et il impose à ceux qui l’aiment déjà le devoir d'avoir pour ces indifférents une sollicitude toujours plus grande.

"Si quelqu'un m'aime, il restera fidèle à ma parole"... "Il est incroyablement simple, mais en même temps incroyablement difficile pour un homme d'aimer vraiment". C'est le pape Benoît XVI qui disait cela à l'époque où il n’était encore que le cardinal Ratzinger. Et il ajoutait : " La patience, c'est le visage quotidien de la charité. Le cardinal citait alors le pape Paul VI dans son discours de clôture de Vatican II : "L'art d'aimer se transforme souvent en art de souffrir".

Saint Augustin, il y a très longtemps (il est mort en 430), a longuement commenté l'évangile de saint Jean et aussi ses épîtres. Il a donc dû s’expliquer souvent sur l'amour et sur la charité. On peut en retenir deux choses : "Plus nous sommes exempts de l'enflure de l'orgueil, plus nous sommes pleins d'amour". Et puis : "Là où est la charité, là est la paix ; et là où est l'humilité, là est la charité".

C'est quoi l'amour ?  On peut en trouver aussi une expression dans un futur philosophe français et chrétien qui notait dans ses carnets personnels en 1884, alors qu'il avait vingt-trois ans et qu'il était étudiant à l’École Normale Supérieure de Paris : "Ne point rencontrer un enfant dans la rue sans lui donner une bénédiction intérieure".

"Si quelqu'un m'aime, il restera fidèle à ma parole; mon Père l'aimera, nous viendrons chez lui, nous viendrons demeurer auprès de lui". L’Église est le peuple de Dieu et elle est absolument solidaire de l'humanité dans sa totalité. Et le Seigneur Jésus veut racheter le monde dans sa totalité. Il est absolument solidaire de tout homme, même du dernier de ses frères. (Avec Benoît XVI, Paul VI, Maurice Blondel, saint Augustin, Péguy, AvS).

 

2 juin 2011 - Fête de l'Ascension - Année A (Premières communions)

Évangile selon saint Matthieu 28,16-20

Cet évangile que je viens de lire, ce sont les dernières lignes de l'évangile selon saint Matthieu, les dernières paroles de Jésus à ses disciples avant de les quitter pour aller s'asseoir à la droite du Père, comme dit saint Paul et comme nous le disons aussi dans le credo. Qu'est-ce que cela veut dire : il est assis à la droite du Père, il est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ? On ne doit pas s'imaginer un trône où le Père serait assis et un autre trône, à côté de lui, où serait assis le Seigneur Jésus. "Il est assis à la droite du Père" : c'est une manière symbolique de parler, c'est une manière imagée de parler pour dire que Jésus a le même rang, la même dignité, la même toute-puissance que Dieu, le Père invisible.

Et parce que Jésus a la toute-puissance de Dieu, il peut dire à ses disciples qu'il les quitte pour toujours et qu'en même temps il sera toujours avec eux : "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre". Et par ce pouvoir que Jésus possède, il a voulu aussi être présent dans l'hostie qui est consacrée au cours de la messe.

Vous vous souvenez tous sans doute de cette anecdote qu'on trouve dans la vie de Marthe Robin. Chaque jour, le Père Finet allait porter la communion à Marthe Robin qui était alitée dans la ferme de ses parents, à la campagne. Un jour le Père Finet avait dû s'absenter et il avait demandé à un autre prêtre d'aller porter la communion à Marthe. Ce prêtre arrive chez Marthe et tous deux commencent par prier un peu ensemble. Tout d'un coup, Marthe dit au prêtre : "Jésus n'est pas là !". Alors le prêtre lui dit : "Mais si, j'ai une hostie, là, dans la custode, sur ma poitrine". Et puis le prêtre et Marthe Robin continuent à prier un peu. Une deuxième fois, Marthe Robin dit au prêtre : "Jésus n'est pas là !" Alors le prêtre ouvre la custode qu'il avait sur la poitrine. Il n'y a pas d'hostie ! : Ah! Il a oublié d'en prendre une ce matin.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Le prêtre était persuadé d'avoir une hostie dans la custode. Mais Marthe, qui était une grande amie de Dieu, savait que Jésus n'était pas là, autrement dit qu'il n'y avait pas d'hostie dans la custode du prêtre. Qu'est-ce que cela veut dire ? Marthe était une grande amie de Dieu et, par un don gratuit de Dieu, par une grâce de Dieu, du Seigneur Jésus, elle savait que la custode était vide. Elle "sentait" que Jésus n'était pas là. Cette petite anecdote de la vie de Marthe Robin est bien faite pour nous faire toucher comme du doigt la présence du Christ dans l'eucharistie, dans l'hostie consacrée. Le prêtre était persuadé d'avoir sur lui une hostie consacrée, Marthe savait que Jésus n'était pas là. Et c'est elle qui avait raison. Elle voyait l'invisible parce que Dieu était avec elle, parce que le Seigneur Jésus était avec elle. Et si le Seigneur Jésus était avec elle, c'est parce que elle-même était toujours avec le Seigneur Jésus. Et le Seigneur Jésus lui avait fait aussi ce cadeau de savoir qu'il n'était pas là, que la custode était vide. "Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde", dit Jésus, surtout dans l'eucharistie. C'est pourquoi Marthe Robin communiait tous les jours pour rester en contact avec le Seigneur Jésus.

En 1912 - il y a quatre-vingt-dix-neuf ans - une maman arrive à une audience du pape Pie X (saint Pie X) avec son enfant de quatre ans. L'enfant s'approche du pape et tout naturellement et avec confiance il met ses mains sur les genoux du pape. Pie X demande : Quel âge as-tu ? C'est la maman qui répond : Il a quatre ans et, dans deux ans, j'espère qu'il fera sa première communion. Le pape regarde l'enfant droit dans les yeux et il demande à l'enfant : Qui reçoit-on dans la communion ? L'enfant : Jésus-Christ. Le pape : Et qui est Jésus-Christ ? L'enfant : Jésus-Christ, c'est Dieu. Alors le pape dit à la mère : Venez avec lui demain. Je lui donnerai moi-même la communion. L'enfant avait quatre ans et le pape était un saint : saint Pie X.

Celui qui est de Dieu écoute volontiers la Parole de Dieu, c'est la parole de sa patrie, la parole de ses origines. Chaque être humain, chaque homme doit se sentir comme un élu. Il doit penser que Dieu a sur lui un dessein bien précis et il doit se mettre à la disposition de cette vue de Dieu sur lui. Qu'est-ce que Dieu attend de moi aujourd'hui ? Qu'est-ce que Dieu attend de moi demain et tous les jours de ma vie ? C'est une question qu'il faut toujours poser à Dieu, chaque jour, et aussi chaque fois qu'on communie. Qu'est-ce que Dieu attend de moi aujourd'hui ? Et quand on reçoit le Seigneur Jésus dans la communion, on reçoit aussi en même temps le Père et l'Esprit Saint.

Je lisais ces jours-ci les Mémoires de l'exorciste du diocèse de Rome, le Père Gabriel Amorth. Quelque part dans ce livre, il raconte que lorsqu'il prêche il dit toujours : Beaucoup de gens déclarent qu'ils sont croyants mais non pratiquants. Je leur réponds qu'ils sont bêtes. Car il est dit dans l'évangile : Ce n'est pas celui qui dit : "Seigneur!Seigneur !" qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui agit et montre sa foi.

Si vous ne devenez pas comme des enfants, nous dit Jésus, vous ne pouvez pas entrer dans le royaume de Dieu. C'est le moment d'y penser chaque fois qu'on participe à l'eucharistie. L'apôtre Thomas ne voulait pas croire sans avoir vu et touché. Et Jésus lui a dit, pour nous tous : Heureux ceux qui croient sans avoir vu. (Avec Marthe Robin, Nicolas Buttet, Gabriele Amorth, AvS, HUvB).

 

29 mai 2014 - Fête de l'Ascension - Année A

Évangile selon saint Matthieu 28,16-20

Cet évangile, ce sont les dernières lignes de l'évangile selon saint Matthieu, les dernières paroles de Jésus : c'est un ordre de mission : "De toutes les nations, faites des disciples". Et Jésus dit cela à une poignée d'hommes qui ne sont sans doute jamais sortis de leur pays : "De toutes les nations, faites des disciples". Et comment faire des disciples ? Il faut les baptiser et leur apprendre à garder tous les commandements que Jésus a donnés aux siens. Et tous ces commandements découlent des deux premiers : aimer Dieu et aimer son prochain. Deux petits commandements, mais un vaste programme.

Et puis baptiser les nations, c'est-à-dire les plonger dans l'eau. Mais pas n'importe comment. Les plonger dans l'eau pour les consacrer au Père et au Fils et à l'Esprit Saint. C'est tout simple et c'est un vaste programme d'entrer dans la connaissance du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Une connaissance qui n'est vraie que si elle est une relation dans l'amour. Enfin dernière ligne de l'évangile : Jésus assure aux siens qu'il sera avec eux tous les jours jusqu'à la fin du monde. Mais pour que Jésus soit avec eux, il faut qu'eux aussi soient avec lui.

La parole du Seigneur Jésus porte toujours plus loin que ce qu'on avait pensé. Il y a des choses aussi que le Seigneur Jésus nous montre aussi dans notre vie quotidienne : il faut y être attentif. Jésus sait bien que, pour un homme, la solitude est insupportable. Alors Jésus dit aux siens qu'il sera toujours avec eux, il leur dit que ceux qui cherchent à vivre selon la volonté du Père ne seront jamais seuls.

A celui qui prie vraiment, Dieu peut se communiquer, il peut donner de sentir sa présence... Une présence qui donne une certitude. Nous savons que Dieu est là. Il n'est nulle part aussi présent que là où l'on cherche à s'approcher de lui : c'est ce qu'on essaie de faire en relisant les Écritures dans la prière. Là, on n'est pas dans une religion de pacotille qui est offerte le plus souvent par la télévision en dehors des émissions religieuses proprement dites.

Celui qui essaie de prier vraiment ne se contente jamais de l'existence de Dieu. Il en demande la présence et le visage. Avec saint Anselme, un homme du Moyen Age, il prie comme ceci : "Seigneur, si tu n'es pas ici, où te chercherais-je absent ? Si cependant tu es partout, pourquoi ne te vois-je pas présent ?" Celui qui prie suppose non seulement l'existence de Dieu, mais son écoute et sa capacité de réponse. Celui qui prend son téléphone a l'intention de s'adresser à quelqu'un qui existe, même si pour le moment il ne le voit pas.

Être chrétien c'est accueillir la Révélation venue du Père. On voudrait le voir, on voudrait le sentir, en être sûr. C'est la plainte du Père de Foucauld le 6 juin 1897 : "Si au moins je sentais que Jésus m'aime, mais il ne me le dit jamais". Un couple habitant les Flandres raconte ceci dans un livre témoignage paru il y a quelques années : "Le soir, quand les enfants sont couchés, c'est une joie pour nous d'éteindre la télé (on ne montre que violence), de pouvoir lire la Parole et méditer un texte en couple". Pourquoi pas ? Saint Jean Chrysostome disait : "Dieu récompense toujours quiconque pense à lui".

Elle peut être partout la lumière de notre Dieu. Une femme de notre temps, qui écrit beaucoup et qui est très croyante, raconte ceci : "Je quittais un hôtel de province où j'avais passé la nuit. Rendant les clefs de la chambre, je saluai l'homme qui se trouvait à la réception. Et celui-ci m'offrit un sourire si chaleureux, si plein de bonté, que j'en fus saisie et comme enveloppée. L'envie me prit de poser sur-le-champs mon léger bagage et de rester là, dans la lumière de ce sourire".

Si l'enfant apprend que Dieu est toujours près de lui, il comprendra très vite qu'il est toujours aimé et protégé... "Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde". (Avec saint Anselme, Adolphe Gesché, Charles de Foucauld, saint Jean Chrysostome, Jacqueline Kelen, Maria Simma, AvS).

 

25 mai 2017 - Fête de l'Ascension - Année A

Évangile selon saint Matthieu 28,16-20

Cet évangile que je viens de lire, ce sont les dernières lignes de l'évangile de saint Matthieu. Saint Matthieu ne parle pas de l'Ascension, ni l'évangile de saint Jean. Saint Marc la décrit sobrement : "Or le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il s'assit à le droite de Dieu". Saint Luc, lui, se contente de signaler discrètement que Jésus "se sépara d'eux et fut emporté au ciel". En clair : le temps des apparitions est terminé, Jésus ne va plus se manifester aux apôtres dans son corps glorieux. 

Ce sont les Actes des apôtres (notre première lecture) qui décrivent le mieux l'Ascension : "Jésus, après qu'il leur eut ainsi parlé, fut élevé en leur présence et une nuée le déroba à leurs yeux". Jésus ressuscité se manifeste une dernière fois à ses disciples et il se soustrait définitivement à leurs regards, il entre pleinement, définitivement, dans la gloire de son Père. Il fait comprendre à ses disciples que désormais, c'est fini, il ne va plus leur apparaître comme il l’a fait pendant quarante jours.

L'Ascension est un mystère d'espérance qui nous concerne tous. La rédemption n'est pas le simple rachat du péché par la mort de Jésus sur la croix ; le but dernier de la rédemption, c'est de permettre à tout homme de participer à la vie même de Dieu. L'Ascension est pour nous un  gage d'espérance, l'espérance de retrouver un jour le Seigneur Jésus, l'espérance aussi de retrouver en lui tous ceux qui nous sont chers et qui nous ont précédés auprès de lui.

Telle est l'espérance que nous donne l'Ascension de Jésus, mais nous n'avons pas le droit de chercher par nous-mêmes à entrer en communication avec les défunts, c'était déjà tout à fait interdit dans l'Ancien Testament. Et à ce sujet saint Thomas d'Aquin nous dit quelque chose de très instructif. Saint Thomas d'Aquin, grand théologien du Moyen Age et encore toujours très vénéré par l’Église et par les papes, dit quelque part qu'il arrive souvent que Dieu permet à des défunts de se manifester d'une manière ou d'une autre pour qu'on prie pour eux. Thomas d'Aquin, un théologien, si sûr, qui ose dire une chose pareille ! Mais saint Thomas dit aussi que le diable est capable de faire comme si c'était un défunt qui se manifestait, alors que ce n'est pas un défunt, c'est le diable, et le diable est capable d'imiter la voix et le mode d'expression et l'allure d'un défunt. Et beaucoup de gens se laissent prendre aux apparences, ils pensent communiquer avec un défunt, et en fait ils sont branchés sur le diable, et alors, comme on dit, bonjour les dégâts ! Quand le diable est là, ce n'est jamais pour notre bien : il commence par faire peur, mais il peut aussi se produire d'autres phénomènes désagréables et incompréhensibles. Celui qui joue avec le diable est toujours perdant.

Toute la vie du chrétien, si sa foi est cohérente, consiste à rechercher ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Car c'est en haut qu'est notre but, non sur la terre (Col 3,1-2). Ici-bas il peut nous arriver de dire à un ami : Je recommande à tes prières telle ou telle intention. Avec les saints qui sont déjà auprès du Christ dans le ciel, on peut faire la même chose : leur confier telle ou telle intention. Et on sait que celui qui séjourne dans le ciel a plus de pouvoir de prière qu'un ami d'ici-bas. Celui qui séjourne dans le ciel jouit de la vison du Christ et de Dieu, il peut mieux mesurer la force de notre intention et de notre désir, et lui qui est au ciel connaît les desseins de Dieu et comment il distribue ses grâces. Et on sait alors aussi que si notre prière n'aboutit pas ici-bas au résultat qu'on attendait, tout est bien ainsi. Parce que toute vraie prière, ici-bas ou dans le ciel comporte toujours aussi, au moins implicitement, les mots de la prière de Jésus : "Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux". Et plus un homme est chrétien et saint, plus il cherche à adapter ses paroles aux mots de la prière de Jésus.

Nous croyons qu'il y a un sens à ce que nous faisons, à ce que nous vivons, nous croyons que le monde est intelligible. Ce sens, qu'il s'agit de découvrir, nous le relions à Dieu, qui en est la cause, et à son Esprit Saint. Il n'y a pas de hasard, nous ne sommes pas des grains de sable ballottés par la mer et le vent. Nous sommes en marche vers Dieu, vers le Christ qui est à la droite de Dieu, et nous savons qu'il est aussi avec nous sur tous nos chemins.

Jésus n'a pas prédit à ses disciples d'autre destinée que la sienne. Et quelle est sa destinée ? C'est le ciel peut-être, sans doute, certainement. Mais ici-bas, sa destinée, c'est la croix. Et à ses disciples ici-bas, Jésus ne promet rien d'autre : "Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite n'est pas digne de moi". Autrement dit, celui qui mise sur l'unique nécessaire, qui est Dieu, gagne tout, et pour cela, il doit s'attendre à perdre à tout ce qui n'est pas l'Unique : le Christ assis à la droite du Père. (Avec Joseph-Marie Verlinde, saint Thomas d'Aquin, Jean-François Bensahel, AvS, HUvB).

 

21 mai 2009 - Fête de l'Ascension - Année B

Évangile selon saint Marc 16, 15-20

Cet évangile que je viens de lire, ce sont les toutes dernières lignes de l'évangile selon saint Marc. Et tous les commentaires nous signalent que cette finale de saint Marc n'a sans doute pas été rédigée par saint Marc lui-même. Néanmoins cette finale fait bien partie des Écritures inspirées.

Entre le jour de Pâques et le jour de l'Ascension, il y a exactement quarante jours. Et saint Luc comme l'évangile de saint Marc nous disent que Jésus a parlé longuement à ses apôtres pendant ce temps-là. Et puis le quarantième jour, "le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et il s'est assis à la droite de Dieu". "Il fut enlevé" : c'est une manière de nous faire comprendre que quelqu'un l'a enlevé, Dieu bien sûr, c'est-à-dire le Père invisible. Les apôtres ont pu voir Jésus partir. Mais ils n'ont pas vu qu'il s'est assis à la droite de Dieu, c'est-à-dire à la droite du Père. Qu'est-ce que ça veut dire : "Assis à la droite de Dieu" Cela ne veut pas dire qu'il y a un trône pour deux ou qu'il y a deux trônes l'un à côté de l'autre. "Assis à la droite du Père" : c'est une manière symbolique de parler, c'est une manière imagée de parler, pour dire que Jésus a finalement le même rang que Dieu, le Père invisible, le même rang, la même dignité, la même puissance. Dans la deuxième lecture, tout à l'heure, saint Paul disait la même chose en d'autres termes; il disait de Jésus : "Il est monté au plus haut des cieux".

Au cours de sa vie terrestre, Jésus a parfois menacé de l'enfer : "Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal. Mais s'il dit à son frère : 'Crétin', il en répondra au Sanhédrin ; et s'il lui dit : 'Renégat', il en répondra dans la géhenne de feu" (Mt 5, 22). C'est une menace. Mais Jésus n'est pas venu pour élargir les entrées de l'enfer et en rendre l'accès plus facile. Il est venu pour élargir les entrées du ciel. C'est quoi le ciel ? C'est quoi la vie éternelle ? La vie éternelle, c'est de connaître le Père. On trouve ça dans une grande prière de Jésus qu'il adresse au Père justement; Jésus prie pour les siens, pour ses disciples tout proches, mais aussi pour tous les hommes, et il demande au Père dans sa prière de donner à tous les hommes la vie éternelle. Et il ajoute : "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu" (Jn 17, 3).

A quelles conditions notre connaissance de Dieu est véritable ? A quelles conditions notre relation à la vie éternelle est vraie ? L'une des conditions, c'est que les croyants recevoivent l'Esprit Saint. Et aujourd'hui l’Écriture nous dit que l'Esprit Saint est une force. L'Esprit Saint va donner aux disciples de Jésus la force d'être les témoins de Jésus dans le monde entier. Et comment va faire l'Esprit Saint ? L'Esprit Saint peut faire que du jour au lendemain ce qui nous était incompréhensible devient compréhensible. Cela ne veut pas dire qu'on sera capable de l'expliquer ; mais cela veut dire que telle ou telle réalité spirituelle deviendra pour nous une évidence.

Jésus est monté au plus haut des cieux, il s'est assis à la droite du Père. Et en même temps, il est toujours avec nous, au milieu de nous. Et il ne cesse d'appeler tous les hommes à le rejoindre un jour auprès du Père, dans le monde invisible du Père, dans le monde éternel du Père. Mais que se passe-t-il si un être humain refuse d'ouvrir son cœur et d'accueillir cet amour qui lui est offert ? On a posé un jour la question à une espèce de saint de notre temps. Et cet espèce de saint avait répondu : "Soyez sûr que, tant qu'il y aura quelqu'un en enfer, le Christ y sera avec lui. Dieu reste à la porte de chaque cœur, même des cœurs qui restent fermés et, s'il le faut, il attendra toute l'éternité que ces cœurs s'ouvrent à lui".

Jésus est monté au ciel, il s'est assis à la droite de Dieu, auprès du Père. Jésus nous a appris comment il fallait prier : "Notre Père qui es aux cieux". Le premier mot que l'Esprit Saint nous apprend à balbutier comme enfants de Dieu, c'est le mot "Père". C'est saint Paul aussi qui nous dit cela : Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils pour que nous lui disions : "Père", Abba, c'est-à-dire papa (Ga 4, 6). L'Esprit Saint qui nous est donné est donc en premier lieu un esprit de dialogue avec Dieu, un esprit de prière. Et après cela, un esprit de dialogue avec les hommes, un esprit de mission. Et le "Je vous salue Marie", c'est aussi une prière de l'Esprit Saint, car l'ange a salué Marie dans l'Esprit Saint en lui disant : Je te salue, Marie, comblée de grâce. Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce. Et quand Élisabeth a rencontré Marie, Élisabeth a été remplie de l'Esprit Saint et elle a dit : Tu es bénie entre toutes les femmes, plus que toutes les femmes, et ton enfant aussi est béni.

Aucun croyant ne reçoit l'Esprit à titre privé, il reçoit toujours l'Esprit pour le bien du Corps entier, c'est-à-dire pour l’Église, c'est-à-dire finalement pour le monde entier. "Recevez l'Esprit Saint. De toutes les nations, faites des disciples". (Avec Père Sophrony, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

17 mai 2012 - Fête de l'Ascension - Année B

Évangile selon saint Marc 16,15-20

Cet évangile que je viens de lire, c'est la conclusion de l'évangile de saint Marc, ce sont les dernières paroles de Jésus à ses disciples, et puis son départ vers le Père. "Le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et il s'assit à la droite de Dieu". Cela ne veut pas dire qu'au ciel il y a un trône et que le Père et le Fils sont assis l'un à côté de l'autre. C'est une manière symbolique de parler, c'est une image pour dire que Jésus a le même rang que Dieu, le Père invisible, la même toute-puissance, cela veut dire que Jésus est Dieu comme le Père.

Et que dit le Seigneur Jésus à ses disciples quand il les quitte ? "Allez dans le monde entier. Proclamez partout la Bonne Nouvelle. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé". Saint Marc raconte dans son évangile l'histoire d'un homme qui était possédé par le démon. "Il habitait dans les tombeaux, et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. Car souvent il avait été lié avec des entraves et des chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les entraves et personne n'avait la force de le maîtriser". Personne n'était capable de maîtriser le possédé. Tous ceux qui avaient essayé de le faire étaient des gens d'une force ordinaire, sans l'aide du Seigneur Jésus. D'emblée ils étaient désavantagés. Cela veut dire que, dans un monde où l'esprit du mal agit avec beaucoup de force, nous ne pouvons jamais pénétrer sans les armes de Dieu. Ce n'est que par la force de l'Esprit Saint que nous pouvons faire quelque chose en tant que chrétiens.

On n'a jamais le droit d'imaginer qu'on peut arriver à quelque chose chez les autres grâce à nos propres forces, grâce à notre savoir-faire et à notre pouvoir de persuasion. Si, dans une conversation, nous essayons de montrer à quelqu'un le chemin de Dieu, la vérité immuable est que notre propre force n'y peut rien. C'est Dieu qui le fait et se sert de nous comme d'un instrument. C'est pour cela que nous sommes là. Notre action éventuelle sur les autres commence dans la prière et continue dans la conversation. "Proclamez partout la Bonne Nouvelle. Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Sans moi, vous ne pouvez rien faire".

Un professeur au Collège de France à Paris, chrétien convaincu, écrit ceci, qui peut ouvrir des horizons à beaucoup, croyants et incroyants : "Il serait temps enfin, pour un véritable dialogue entre tous ceux qui croient au ciel ou non, de poser les bases d'un œcuménisme bien compris". Et comment ce professeur voit-il cet "œcuménisme bien compris", comme il dit ? "Tout homme a le droit ne pas avoir de religion ; tout homme a le droit de choisir sa religion ; tout homme a le droit de changer de religion ; tout homme a le droit de parler partout de sa religion".

Ceci étant dit pour une tolérance universelle, dans la mesure où nous sommes chrétiens, nous ajoutons : "L'athéisme est une surdité spirituelle". C'est un handicap, c'est une maladie. Mais ceci n'est pas à dire à celui qui est fier d'être sans Dieu. Il n'y a que Dieu qui peut changer les cœurs et les ouvrir à sa lumière.

Pour les époques où la foi était florissante, pour les époques, pas si lointaines, où la foi était plus florissante qu'aujourd'hui, la question qui se pose est celle-ci : dans quelles proportions la foi authentique était-elle mêlée de superstition et de conformisme social ? Aujourd'hui le mouvement s'est inversé. Le conformisme social n'est plus de croire, le conformisme social est d'estimer que le ciel est vide.

Mais l'histoire nous fait toucher du doigt que la révolte de l'homme contre Dieu au nom de la liberté humaine peut devenir un esclavage de l'homme lui-même. La preuve en est, par exemple, l'humanisme athée des idéologies totalitaires qui ont sévi en Europe et ailleurs au XXe siècle... "Proclamez la Bonne Nouvelle partout dans le monde... Je suis avec vous tous les jours... Sans moi, vous ne pouvez rien faire..."

Le Seigneur Jésus, en montant au ciel, a laissé à l'Esprit Saint un travail formidable. La propre vie de Jésus ayant été un échec, tout est à reconstruire de fond en comble. Il faut consolider la foi, l'espérance, la charité. Il faut donner la force pour vivre en chrétien. Et pour cela, il faut créer une structure mystérieuse qu'on appelle l’Église : l’Église qui est en partie visible et en partie cachée. Et avec l’Église, il y a tout ce qui lui appartient : l’Écriture, la tradition, le ministère, l'enseignement de la vérité du Seigneur Jésus déployée par l'imagination infinie de l'Esprit. C'est comme si la révélation du Père et de son amour commençait réellement pour de bon. (Avec André Miquel, Gustave Thibon, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

14 mai 2015 - Fête de l'Ascension - Année B

Évangile selon saint Marc 16,15-20

Cet évangile que je viens de lire, ce sont les dernières lignes de l'évangile de saint Marc. "Après leur avoir parlé, le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel". Saint Marc ne décrit pas l'Ascension. Jésus a commencé ici-bas une œuvre. Il laisse à ses disciples le soin de la continuer. Tout le monde n'est pas converti. La parole de Jésus n'a atteint qu'un petit nombre d'hommes. Les disciples doivent porter plus loin la parole et le message de Jésus. Jésus a accompli sa mission en mourant pour tous. Du haut du ciel, il va poursuivre sa mission. Il a promis à ses disciples qu'il serait avec eux, invisiblement, jusqu'à la fin du monde.

Comment Jésus va-t-il poursuivre sa mission du haut du ciel ? Il a dit à ses disciples que des signes accompagneront ceux qui auront cru. Quels signes ? Par exemple, ce qu'on vient d'entendre dans l'évangile : "En mon nom, les disciples chasseront les esprits mauvais". Cette parole de Jésus à ses disciples atteint aussi ses disciples d'aujourd'hui. Dans chaque diocèse, il y a - ou il devrait y avoir - une exorciste nommé officiellement par l'évêque.

L'exorciste d'un diocèse de France a fait paraître assez récemment un livre où il raconte un peu son expérience. A son avis, sur cent personnes qui ont des ennuis du fait des esprits mauvais, cinq seulement relèvent du ministère proprement dit de l'exorciste. Et donc quatre-vingt-quinze pour cent des personnes qui ont des ennuis provenant des esprits mauvais ne relèvent pas exclusivement du ministère de l'exorciste; tout prêtre peut faire pour ces personnes des prières de délivrance ou de libération, et d'abord sans doute parler un peu avec elles, essayer de comprendre ce qui se passe  et leur expliquer tant bien que mal ce qui leur arrive.

En plus du monde visible, qui a des proportions colossales, de l'infiniment grand à l'infiniment petit, Dieu a créé des êtres invisibles : les anges. Il y a des anges qui sont restés fidèles à Dieu, d'autres se sont révoltés contre Dieu : ils ont de la haine pour Dieu et pour toutes les créatures de Dieu. Ils sont des centaines, des milliers, des millions, des milliards, on ne sait pas.  Ils sont incapables de faire directement du mal à Dieu, mais ils cherchent, de tout leur pouvoir, à faire du mal aux créatures de Dieu, aux hommes. Le Seigneur Jésus a donné à ses disciples et à son Église jusqu'à aujourd'hui, le pouvoir de chasser les esprits mauvais et de les empêcher de nuire.

Beaucoup de gens, même des chrétiens, pensent que les esprits mauvais, ça n'existe pas. Et il arrive que des gens qui ne croient pas "à tout ça" comme ils disent, sont eux-mêmes victimes un jour de ces esprits mauvais, qu'ils sont témoins de choses incroyables. Ils ne savent pas ce qui leur tombe sur la tête. Notre foi chrétienne connaît l'explication de ces choses et le Seigneur Jésus a donné à ses disciples, à son Église, le pouvoir d'y remédier. On ne doit pas voir le diable partout, mais il ne faut pas dire non plus que "tout ça", c'est de la blague.

L'existence du diable n'est pas au centre de la foi chrétienne. Au centre, il y a le Seigneur Jésus qui est monté aux cieux et qui reste invisiblement avec ses disciples ici-bas jusqu'à la fin du monde. Il y a communication incessante entre l'ici-bas et le monde d'en-haut. Saint Augustin disait : "Comme nos oreilles entendent nos voix, c'est ainsi que Dieu entend nos pensées"... L'existence du diable n'est pas au centre de la foi chrétienne. Au centre, il y a le Seigneur Jésus qui est venu en ce monde pour nous initier réellement à l'existence éternelle de Dieu.

Le diable refuse Dieu de toutes ses forces, comme il y a des hommes qui refusent Dieu de toutes leurs forces. "Le début de l'orgueil pour l'homme, c'est de renier Dieu" (Si 10,6-22). On trouve ça dans la Bible. Les saints nous disent par contre : "Sans humilité, nous ne pouvons pas voir Dieu" (saint Tikhon de Zadonsk).

"Le Seigneur Jésus, après avoir parlé (une dernière fois) à ses disciples, fut enlevé au ciel". Par la messe, par l'eucharistie, le Seigneur Jésus éternel devient contemporain de son Église, il le devient d'une manière incessamment renouvelée ; il devient contemporain de son Église et de ses disciples sans être pour autant soumis encore une fois au temps terrestre, ni mesuré par lui. Tout chrétien doit sans cesse redire cette prière secrète du prêtre avant la communion : "Que jamais je ne sois séparé de toi". (Avec saint Augustin, Gustave Martelet, saint Tikhon de Zadonsk, AvS, HUvB).

 

9 mai 2013 - Fête de l'Ascension - Année C

Évangile selon saint Luc 24,46-53

Cet évangile, ce sont les dernières lignes de l'évangile de saint Luc. Chaque année, le vendredi saint, nous célébrons la mort du Seigneur Jésus. Et le troisième jour après sa mort, le jour de Pâques, nous célébrons sa résurrection. Dès ce troisième jour après sa mort, et pendant quarante jours, Jésus va imposer à ses disciples les plus proches sa présence vivante comme une évidence. Au début, les disciples avaient bien du mal à y croire. Alors il a fallu que Jésus insiste : Regardez-moi, touchez-moi. Je ne suis pas un fantôme. Vous n'auriez pas quelque chose à manger ? Et il a partagé avec eux un repas. Et puis Jésus disparaît comme il était venu.

Et ces événements se sont reproduits pendant quarante jours, en divers lieux et pour un certain nombre de disciples. Toujours à l'improviste, tout d'un coup, Jésus était là. Il se faisait reconnaître et il leur parlait. Arrive enfin le quarantième jour après Pâques dont nous parle l'évangile d'aujourd'hui. Jésus fait comprendre à ses disciples que désormais il ne va plus leur apparaître comme il l'a fait pendant ces quarante jours. Désormais ses disciples devront vivre dans la foi pure et nue. Mais en même temps il sera toujours avec eux, d'une manière invisible. Et il leur enverra son Esprit Saint qui, lui aussi, sera toujours avec eux.

Où en sommes-nous maintenant en l'an 2013 ? Le Seigneur Jésus est toujours présent, mais il est invisible. Et son Esprit Saint aussi est toujours présent, et lui aussi est toujours invisible. Il est donné à tout être humain, aujourd'hui comme hier, la possibilité de rester dans la mouvance de Dieu tout au long des jours.

Dieu, c'est l'infini. Et l'infini de Dieu Trinité (Père, Fils et Esprit Saint) est mis à la disposition de la vie de l'homme, une vie qui est limitée, qui n'est pas infinie. Et quand, dans cette vie chrétienne, la mort survient, elle est un gain parce que cette mort n'est pas un terme, elle n'est pas la fin de tout, mais elle est un accès, une ouverture, une porte. Pourquoi ? Parce qu'elle dévoile ce qui était inespéré, ce qui était caché jusque-là ; elle dévoile comme visible et comme quelque chose qui comble ce qui, jusque-là était inespéré.

Comment s'approcher de Dieu ? On se rapproche de Dieu chaque fois qu'on se défait de fausses idées sur Dieu. Dieu m'a créé pour que je lui rende un service bien précis. Il m'a confié une tâche qu'il n'a confiée à personne d'autre. J'ai une mission. Il se peut que je ne la connaisse jamais en cette vie ; mais on me la dira dans l'autre.

Comment s'approcher de Dieu ? Les commandements de Dieu sont là pour baliser le chemin. Les commandements de Dieu ne sont pas là pour nous soumettre à un policier divin. Ils sont là parce que c'est par là que passe notre éducation à l'amitié avec Dieu.

Des jeunes vont faire aujourd'hui officiellement leur profession de foi. Ils ont été baptisés peu de temps après leur naissance sans être conscients de ce qui se passait. Et pourquoi les parents font-ils baptiser un enfant qui n'est pas conscient qu'il est baptisé ? C'est dans la conviction qu'être humain, c'est être fait pour Dieu.

L'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps le disait à sa manière dans une formule qui est très belle et que tout le monde, sans doute, connaît par cœur : "Tu nous a faits pour toi, mon Dieu, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en toi". Il n'y a aucun homme qui ne soit destiné, un jour, à plonger dans la vie de Dieu Trinité, en ce monde ou en l'autre.

C'est quoi la foi ? C'est quoi la profession de foi ? Il y a très longtemps, on posa un jour la question à un chrétien qui ne vivait que pour Dieu : "Comment doit-on prier ?" Et l'ancien avait répondu : "Point n'est besoin de se perdre en paroles. Il suffit d'étendre les mains et de dire : Seigneur, comme tu veux et comme tu sais, prends pitié". Le Seigneur Jésus lui-même n'a qu'un désir : c'est de nous faire désirer et demander le don de son Esprit Saint.

En tout lieu où l'homme peut aller, le Christ est déjà présent. La résurrection est offerte à tout homme. De même que le Seigneur Jésus meurt pour les pécheurs et avec eux, crucifié entre deux brigands, il les entraîne tous dans sa résurrection. (Avec Timothy Radcliffe, saint Augustin, Jean Daniélou, Abba Macaire, AvS, HUvB).
 

5 mai 2016 - Fête de l'Ascension - Année C

Évangile selon saint Luc 24,46-53

Saint Luc raconte deux fois le dernier départ de Jésus, son Ascension : une fois dans l'évangile que je viens de lire et une autre fois, de manière un peu plus détaillée, au début du livre des Actes des apôtres : c'était notre première lecture aujourd'hui. Saint Luc nous raconte qu'après sa Passion Jésus s'était montré vivant à ses apôtres pendant quarante jours et qu'il leur avait parlé alors  du royaume de Dieu, mais personne ne nous dit comment pendant ces quarante jours Jésus avait parlé du royaume de Dieu. On aimerait bien le savoir.

Les apparitions de Jésus après sa mort, on en connaît un certain nombre : le jour de Pâques à Marie-Madeleine, à Pierre, aux deux disciples d'Emmaüs et, le soir même de Pâques, à tous les disciples réunis, tous les apôtres à l'exception de Thomas. Et justement, grâce à Thomas, on sait que Jésus s'est montré vivant huit jours aussi après Pâques à tous les apôtres, avec une leçon particulière pour Thomas.

Par saint Paul, on apprend que le Seigneur Jésus s'est manifesté un jour aussi à plus de cinq cents frères à la fois. Cinq cents : cela veut dire qu'aussitôt après la Passion et la Résurrection, on avait déjà pu réunir un jour cinq cents disciples ! On connaît aussi une apparition de Jésus à sept disciples au bord du lac de Galilée, au petit matin, alors que les sept avaient passé toute la nuit sans prendre un seul poisson.

Et le quarantième jour, Jésus a fait comprendre à ses apôtres que c'était fini : il n'allait plus leur apparaître comme ça, et que désormais ils allaient devoir vivre dans la foi pure et nue. Les évangiles et les Actes des apôtres ne disent pas tout : on ne peut jamais tout dire. Mais ce qu'on peut quand même deviner, c'est que, pendant ces quarante jours, les apôtres ont beaucoup réfléchi et se sont posé beaucoup de questions. L'évidence pour eux était que Jésus était vivant par-delà la mort et qu'il était capable de se manifester à eux où il voulait et quand il voulait. Mais entre ses manifestations à ses apôtres, où était Jésus ? C'était bien mystérieux.

Et les apôtres ont alors dû mettre en commun tous les souvenirs qu'ils avaient de paroles un peu énigmatiques que Jésus leur avait dites autrefois : "Le Père et moi, nous sommes un... Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils". Et puis aussi, peu de temps avant sa mort : "Je vais vers le Père". Et les apôtres se demandaient ce que ça voulait dire. Et puis pour trois apôtres - Pierre Jacques et Jean -, il y avait eu sur la montagne cette scène étrange où Jésus s'était trouvé en conversation avec deux prophètes morts des siècles et des siècles auparavant : Élie huit siècles auparavant, et Moïse douze siècles auparavant. Et les trois se parlaient comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Sur la montagne aussi il y avait eu cette voix qui les avait terrorisés, cette voix qui avait dit en parlant de Jésus : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le". Et ce jour-là, en descendant dans la plaine, Jésus avait ordonné aux trois disciples de ne dire à personne ce qui s'était passé sur la montagne tant qu'il ne serait pas ressuscité d'entre les morts. Maintenant les trois apôtres pouvaient parler et réfléchir avec tous les autres sur tous ces événements.

Alors où était Jésus entre deux apparitions ? Il ne pouvait être que dans le monde invisible du Père, le Dieu tout-puissant qui avait fait entendre sa voix sur la montagne. Et puis, autre question : qui était Jésus en vérité ? Après avoir vécu trois ans, jour et nuit, avec Jésus, les apôtres étaient convaincus que Jésus était le grand envoyé de Dieu annoncé par les prophètes depuis des siècles, le grand envoyé qu'on appelait le Messie. Mais pendant les quarante jours entre Pâques et l'Ascension, les apôtres ont dû aller beaucoup plus loin. Quand exactement, on ne le sait pas, mais un beau jour ou petit à petit, ils sont arrivés à la conclusion que Jésus devait être si proche de Dieu, le Père invisible, qu'il devait être Dieu lui aussi.

Le jour de l'Ascension, Jésus fait comprendre à ses apôtres que désormais ils devront vivre dans la foi pure et nue. Mais depuis deux mille ans, cela n'a pas empêché le Seigneur Jésus de se manifester bien des fois à des hommes ou à des femmes que l’Église par la suite a bien souvent déclarés saints ou saintes. Et l'un des premiers à bénéficier d'une apparition du Seigneur Jésus, c'est quelqu'un qui n'était même pas encore chrétien, c'est saint Paul qui persécutait les chrétiens de toutes ses forces.

Pourquoi Dieu se révèle-t-il si peu ? Si Dieu se révélait à nous totalement, si nous pouvions le connaître en pleine lumière, on ne pourrait que l'aimer. C'est la raison pour laquelle il a voulu nous créer en se voilant à nous. Nous ne voyons pas Dieu. Nous ne pouvons le connaître que de manière indirecte. C'est cette part d'obscurité qui nécessite la foi. Et toute la grandeur de l'homme, c'est de pouvoir aimer Dieu dans la foi, sans le toucher, sans le voir, sans le connaître directement. Alors la liberté de l'homme est totale.

La prière peut apporter le sentiment de la présence de Dieu et de son amour pour sa créature raisonnable. La grâce du repentir est le ravissement de l'âme vers Dieu, quand la lumière fait son apparition et l'attire. Nous portons en nous, tous les hommes portent en eux, une aspiration irrésistible à percer le mystère de l’Être de Dieu. Être aveugle est certes une grande privation. Mais il n'y a pas de malheur plus grand, pas de maladie plus terrible, que de ne pas connaître Dieu.

En quittant ses apôtres le jour de l'Ascension, Jésus leur promet l'Esprit Saint. Le premier mot que l'Esprit nous apprend à balbutier comme enfants de Dieu, c'est le mot "Père" (Abba). L'Esprit Saint qui nous est donné est donc en premier lieu un esprit de dialogue avec Dieu, un esprit de prière. Et, à partir de là seulement, un esprit d'entretien avec les hommes, un esprit de mission. La profondeur personnelle de l'individu a son foyer dans l'éternel. (Avec Abbé Pierre, Père Sophrony, HUvB).

 

5 juin 2011 - 7e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 17,1-11

Chaque année, le septième dimanche de Pâques, nous lisons une partie du chapitre dix-septième de l'évangile de Jean. Moyennant quoi, en trois ans, nous lisons l'ensemble de ce chapitre. Tout ce chapitre dix-septième est une grande prière de Jésus, qui forme la conclusion du discours de Jésus après la Cène. Après cette grande prière de Jésus, c'est la Passion qui va commencer.

Dans cette grande prière, Jésus jette un regard sur le passé : tout le but de sa vie a été de faire connaître le Père, le seul Dieu, le vrai Dieu. Et pourquoi faire connaître le Père aux hommes ? Pour que les hommes aient la vie en plénitude. "La vie éternelle, c'est de te connaître, toi, le seul Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ". Le but de la vie de Jésus, c'est d'entraîner tous les hommes dans la connaissance du Père et dans l'amour du Père. Connaître et aimer, ça va ensemble pour Jésus.

Pendant tout le temps de Pâques, pendant tout le temps pascal, tous les jours, dans la prière officielle de l’Église, nous célébrons la résurrection du Seigneur Jésus. Mais personne plus que le Père ne se réjouit de ce que le Fils soit ressuscité de la mort pour la vie éternelle. Pour l'homme terrestre, pour nous tous, rien n'est plus sûr que notre existence (nous sommes là et bien là) et, en même temps, rien n'est plus incompréhensible. Alors le Seigneur Jésus, le Fils, est sorti du Père pour nous dire que notre existence a un sens, pour nous révéler le Père, pour nous dire que le Père invite chez lui tous les humains parce qu’il les aime, pour nous montrer comment on aime le Père, parce que là est le bonheur pour tous les humains ; et lui, Jésus, le premier, aime le Père, il ne peut pas faire autrement que d'aimer le Père. Le Fils est venu pour nous expliquer que notre vie temporelle, notre vie terrestre est insérée dans le programme de Dieu. Et il faut consentir à ce programme. Dieu, le Père invisible, s'est révélé par son Fils, le Seigneur Jésus. Et Dieu se révèle toujours lui-même autant qu'il est nécessaire pour que notre foi soit vivante et ardente.

Il existe un certain développement dans notre compréhension des mystères de Dieu, un approfondissement. Nos Pères dans la foi disaient : "Dans l'Ancien Testament, on s'adressait au Père et on pressentait le Fils (L'Ancien Testament annonçait un Messie). Le Nouveau Testament a révélé le Fils. Et maintenant l'Esprit Saint est révélé comme étant une personne". Il existe un certain développement dans notre compréhension des mystères de Dieu.

Il y a en l'homme un besoin incoercible de voir le Père. C'est la prière un jour d'un des disciples de Jésus : "Montre-nous le Père" (Jn 14,8). Ce que nous sommes ? Nous sommes des hommes porteurs de l'Esprit (des pneumatophores) et des hommes porteurs du Christ (des christophores). Nous ne pouvons pas comprendre la Parole de Dieu, les paroles de Jésus sans l'aide de l'Esprit Saint. Et toute la Bible est une littérature voulue par Dieu pour nous dire quelque chose de son mystère.

La foi, c'est quelque chose de personnel qui donne à l'existence humaine une sorte de solidité en Dieu. La foi, c'est quelque chose de personnel, mais en même temps la foi de l’Église, la foi de tout le peuple chrétien depuis deux mille ans est infiniment plus riche et plus éclairée que la foi de chacun des chrétiens. C'est pourquoi il est important de fréquenter l’Église et de fréquenter les chrétiens depuis les origines. Et pourtant on peut dire que Dieu n'est pas plus proche de l'homme croyant que de l'homme qui ne veut pas entendre parler de Dieu. Il faudra bien que cet homme sans Dieu découvre Dieu un jour.

Toute l'histoire humaine est prise en charge par l'histoire du Christ. C'est la vie du Christ, la vie du Fils de Dieu qui donne son sens à toute l'histoire humaine. Mais le Christ n'impose pas ce sens à l'histoire humaine sans qu'elle y fasse attention. Au contraire, le Christ réclame de l'homme une volonté de présence, de participation. La véritable essence de l'homme, sa véritable nature se trouve en Dieu. (Avec saint Grégoire de Nazianze, Boris Bobrinskoy, Charles Delhez, Marcel Neusch, AvS, HUvB).

 

1er juin 2014 - 7e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 17,1-11

Cet évangile, c'est le début de la grande prière de Jésus, qui est la conclusion du discours après la Cène. Jésus se présente, si l'on peut dire, comme le révélateur du Père : "J'ai fait connaître ton nom aux hommes". C'est l'une des missions de Jésus : faire connaître à toute l'humanité que Dieu n'est pas un monarque tout-puissant et solitaire, mais qu'en Dieu lui-même il y avait trois "quelqu'un", trois personnes, qui vivent dans l'amour, et que l’une de ces personnes est devenue homme pendant une bonne trentaine d’années. On ne pourra jamais comprendre.

Depuis deux mille ans, les chrétiens sont les seuls au monde à le savoir et à le croire, cela fait quand même quelques milliards de personnes. Les Juifs ne l'ont jamais admis : Dieu est beaucoup trop grand pour qu'il s'abaisse à devenir un homme. Les musulmans non plus n'ont jamais admis que Jésus était Dieu : Dieu est trop grand.

Et dans sa prière au Père invisible, le Seigneur Jésus dit aujourd'hui : "La vie éternelle, c'est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ". A la Pentecôte, et après la Pentecôte, les premiers disciples de Jésus vont découvrir qu'il y a un troisième quelqu'un en Dieu, une troisième personne, invisible aussi, comme le Père : l'Esprit Saint.

Le but de toute la création, le but originel de Dieu, est de faire participer les hommes au dialogue qui existe en Dieu entre les trois personnes. Toute l'organisation du salut par Dieu tend à ce but : l'incarnation du Fils, la vocation des apôtres, l'envoi de l'Esprit Saint, la fondation de l’Église. Le but de toute cette organisation est de faire participer les hommes au dialogue qui existe en Dieu entre les trois personnes. Et un dialogue, c'est quelque chose de vivant. La vie éternelle n'est pas un repos, elle est bien éternelle vie.

Seulement le problème pour beaucoup, surtout les jeunes, c'est qu'à la messe on s'ennuie. C'est un jeune de dix-neuf ans qui disait : "On revient toujours sur le même problème : on a lâché la messe parce qu'on s'y ennuyait, mais après, on lâche Dieu, c'est fatal !" En fait manquer la messe, ce n'est pas seulement abandonner une pratique, c'est se couper de Dieu.

On ne peut pas être chrétien si on ne fait pas l'effort personnel d'assumer sa foi petit à petit, et aussi de l'approfondir sans cesse. De même la messe ne peut pas être une rencontre avec le Dieu vivant si on ne l'assume pas personnellement avec toute sa foi. On doit toujours réfléchir à cette réflexion d'un théologien, d'Amérique latine : "Il y a des profondeurs dans le christianisme que nous n'avons pas encore fouillées".

Beaucoup de croyants ne savent pas ces choses : il existe encore bien des profondeurs qu'ils n'ont pas fouillées. Et ils croient tout savoir. Et alors ou bien ils vont chercher ailleurs, ou bien ils estiment que la foi chrétienne c'est bon pour les enfants, ou bien ils laissent tout tomber. Choisir Dieu réclame un choix libre, et la pratique religieuse requiert beaucoup plus d'efforts que l'athéisme. Se convertir, c'est enlever tout ce qui bloque notre chemin vers Dieu.

Tout le monde connaît des parents chrétiens qui ne font pas baptiser leurs enfants et qui disent que leurs enfants choisiront eux-mêmes plus tard. Ils choisiront leur religion quand ils seront grands. Et on ne les fait pas baptiser et on ne les envoie pas au catéchisme. Qu'est-ce qui se passe alors ? C'est permettre à Satan de les détourner plus facilement du vrai Dieu. Quel parent qui aime son enfant voudrait le laisser choisir entre un aliment qui nourrit et un autre qui pourrait l'empoisonner et le tuer ?

Pour que se produise la rencontre entre Dieu et l'homme, qui doit faire le premier pas ? Est-ce Dieu ou est-ce l'homme ? Devant Dieu, l'homme éprouve son impuissance, et il a le sentiment qu'il ne peut qu'attendre en demandant à Dieu de bien vouloir faire le premier pas. Mais en même temps il entend ce qu'il ne peut s'empêcher d'entendre : que Dieu lui demande qu'il fasse, lui, l'homme le premier pas. Et comme Dieu est Dieu, c'est bien lui qui doit avoir le dernier mot. Et cette conversation entre Dieu et l'homme se poursuit toute la vie.

Avoir trouvé Dieu, ce n'est pas une fin, c'est un commencement. La Parole de Dieu peut toucher la personne au plus secret d'elle-même... Non pas dans le tonnerre et l'ouragan, mais comme le murmure entendu autrefois par le prophète Élie, un murmure où il a perçu la proximité de Dieu.

Dimanche prochain, c'est la Pentecôte, la fête de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint nous est donné afin que nous apprenions à comprendre que Dieu est amour. Et l'eucharistie est le don toujours nouveau de l'amour de Dieu, un don toujours inconcevable. Et alors pourquoi un chrétien irait-il à la messe le dimanche sinon pour rencontrer sans cesse ce don de Dieu qui nous est destiné, et pour l'incorporer. (Avec André Sève, Marie-Christine Ceruti-Cendrier, Maria Simma, Catherine Chalier, Franz Rosenzweig, AvS, HUvB).

 

28 mai 2017 - 7e dimanche de Pâques - Année A

Évangile selon saint Jean 17,1-11

L'évangile nous invite à entrer dans la prière que Jésus adresse à son Père. Jésus demande d'abord à son Père de le glorifier ! Pourquoi ? Pas pour la gloriole sans doute, mais pour qu'il puisse glorifier le Père. Qu'est-ce que ça veut dire ? Le Seigneur Jésus a glorifié le Père ici-bas en le faisant connaître comme le seul et unique vrai Dieu pour toute l'humanité ; le Seigneur Jésus a fait connaître le Père par sa parole et par ses miracles. 

Maintenant la Passion de Jésus approche, et sa mort. Il sera bien élevé sur la croix, mais trois jours après, le Père va l'élever dans le ciel en le ressuscitant. Jésus sera condamné comme blasphémateur, il va souffrir une mort cruelle entre deux brigands sous les sarcasmes des chefs religieux de son peuple et de la foule. Où est la gloire quand Jésus meurt sur la croix ? En réalité, c'est la Passion de Jésus et sa mort sur la croix qui donnent du poids à toute sa vie parce que, par sa Passion  et par sa mort, il va délivrer les hommes de leur péché et les tourner vers Dieu, si les hommes le veulent bien, parce qu'ils ont toujours la liberté de refuser Dieu. 

La mort de Jésus sur la croix est la révélation déconcertante de la valeur de la souffrance. La souffrance n'est pas à rechercher pour elle-même. L'évangile nous enseigne à ne pas maudire les épreuves, mais plutôt à faire tous nos efforts pour les vivre en communion avec le Seigneur Jésus  pour que Dieu transforme ces épreuves, par son alchimie, en bénédiction pour le monde. Et quelle est, pour le monde, la plus grande bénédiction qu'il puisse recevoir ? C'est de connaître Dieu en vérité et en toute sécurité. La vie éternelle, dit Jésus, c'est de connaître le seul Dieu vivant et vrai, et de connaître en vérité Celui qu'il a envoyé dans le monde, son Fils Jésus Christ.

Mais à quoi ça sert de connaître Dieu ? La plus énorme prison de l'homme, c'est d'être voué à la mort. Et c'est de cette prison que je suis évadé par la foi lumineuse en Dieu (Père, Fils et Esprit Saint) que le Seigneur Jésus est venu révéler à toute l'humanité. Mais pour laisser Dieu "entrer" en nous, il nous faut nous retirer, comme lui, le Créateur, s'est retiré pour nous laisser être, il s'est retiré pour nous laisser être en liberté. En créant l'homme libre, Dieu s'est pour ainsi dire retiré, il cesse de commander partout en maître absolu alors qu'il en avait le pouvoir.

Dieu prend chacun tel qu'il est et là où il est. Quoi qu'on ait fait ou pas fait, tout homme reste quelqu'un qui est appelé, quelqu'un même qui est désiré. Après, c'est affaire du développement d'une relation personnelle avec Dieu, en vérité. L'unique réponse possible, adéquate, de l'homme à la parole de Dieu, c'est celle de la disponibilité.

Et maintenant je m'adresse surtout à Agathe, Baptiste et Pierre (deux frères), Caroline, Mathis et Zélie qui vont communier aujourd'hui pour la première fois ...   ...   … (Avec Joseph-Marie Verlinde, Jean-Claude Barreau, Jean Duchesne, AvS, HUvB).

 

24 mai 2009 - 7e dimanche de Pâques - B

Évangile selon saint Jean 17, 11-19

Chaque année, le 7e dimanche de Pâques, nous lisons un passage de la grande prière de Jésus la veille de sa mort, cette grande prière qui occupe tout le chapitre 17e de saint Jean.

C'est une prière de Jésus avant de quitter les siens. Jésus demande au Père de garder ses disciples fidèles à la Parole qu'il leur a transmise, qu'ils soient fidèles à la Révélation qu'il leur a faite des mystères de Dieu. Cette Révélation dit la vérité sur Dieu et sur le monde. Et cette Révélation est faite pour la joie des disciples, pour la joie de tous les hommes. C'est Dieu qui a créé le monde et tout ce qui existe et toute l'humanité. Et au soir de la création, Dieu a comme regardé toute son œuvre, et " Dieu vit que cela était bon", comme le dit le récit de la Genèse.

Mais dans ce monde qui était bon, il s'est introduit un poison de mal, un poison de mort. Dieu aime toujours le monde qu'il a créé ; Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que le monde soit sauvé par lui (Jn 3, 16-17). Mais dans ce monde que Dieu aime, il y a un poison, un poison de mort, il y a le monde du mal, le monde du Mauvais, le monde de l'adversaire de Dieu, le monde des forces hostiles à Dieu. Ces forces du mal, ce sont ceux qui s'opposent à Jésus, ce sont ceux qui sont sous l'emprise du Mauvais. Et Jésus prie pour que ses disciples ne soient pas contaminés par eux, pour que ses disciples restent fidèles à Dieu et témoins de la Révélation que Jésus leur a apportée, cette Révélation qui est faite pour la joie de tous les hommes.

"Nul ne peut venir à moi, dit Jésus, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire" (Jn 6, 64). Et parmi ceux qui sont venus à Jésus, il y avait Judas. Saint Jean dit plus d'une fois dans son évangile que Jésus savait qui allait le livrer. Jésus ne reçoit pas seulement ceux qui, à vue humaine, se développeront bien, mais aussi ceux qui, dès le début, paraissent difficiles et même sans espérance.

Jésus est venu dans le monde pour donner aux hommes sa joie. Ce n'est pas toujours très clair qu'il y ait de la joie pour le monde ou pour les disciples de Jésus. Ce n'est pas toujours très clair. Mais pour beaucoup de chrétiens, même dans les temps obscurs, même dans les passages difficiles, la Mère de Jésus, Marie, reste comme une lumière et un réconfort. Il n'est pas dit que la Mère de Jésus nous conduira toujours sur le chemin le plus facile et le plus agréable. Elle ne peut pas le faire et elle ne doit pas le faire, parce qu'elle doit conduire les hommes à son Fils qui a suivi le chemin de la croix, son Fils qui l'a emmenée avec lui sur ce chemin. Et Marie ne s'oppose pas aux desseins de son Fils. Elle ne veut pas donner l'impression qu'elle sait mieux que lui comment il faut conduire les hommes. Elle sait combien il a raison de demander à chacun un certain renoncement. Tout chemin que nous ménage Marie est un chemin de renoncement. Mais du fait qu'on la rencontre sur ce chemin, il perd quelque chose de son caractère triste et inhumain. Marie nous rend doucement attentifs à la nécessité de la croix.

Dieu a créé un monde qui était bon. Et aujourd'hui il y a du mal dans le monde et dans le cœur des hommes. Ce que vient nous dire la Révélation de Dieu venue par le Seigneur Jésus, c'est que le mal n'est pas aussi profond que la bonté. Et si les religions ont un sens, c'est de libérer le fond de bonté qui se trouve dans le fond du cœur des hommes, c'est d'aller le chercher là où il est complètement enfoui.

Ceci est une forme de l'amour des autres, et ce n'est pas le tout de la religion. Jésus demande d'abord au Père de garder ses disciples fidèles à son nom. C'est de cette manière que les disciples de Jésus connaîtront quelque chose de sa joie. Dieu n'est pas là d'abord pour répondre aux demandes et aux angoisses des hommes. Dieu n'est pas là d'abord pour satisfaire nos demandes humaines. Jésus veut éveiller dans le cœur des humains un amour authentique de Dieu, c'est-à-dire que Jésus veut amener les humains à être attentifs à Dieu lui-même et non pas d'abord à être attentifs à lui pour en obtenir quelque chose. Pourquoi ? Cela veut dire que Jésus veut amener les humains à reconnaître en Dieu même un désir d'être aimé par les hommes. Le but de Dieu dans la création était de créer un être conscient - au terme d'une longue évolution peut-être -, capable un jour de mener avec lui, Dieu, une réciprocité d'amour qui n'aura pas de fin.

Entre l'Ascension et la Pentecôte, nous vivons une neuvaine de préparation au don de l'Esprit Saint. On ne peut jamais accorder assez de place à l'Esprit Saint. Dans l'histoire du monde, les quelque trente ans de la vie de Jésus sont comme un bref moment à peine perceptible : quelques paroles, quelques actes, et tout est déjà fini. Et Jésus dit en s'en allant : "Il vaut mieux pour vous que je m'en aille. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière" (Jn 16,7.13). La maigre révélation en paroles et en actes des quelque trente ans de la vie de Jésus s'ouvre sur des dimensions qui sont confiées au seul Esprit de Dieu. (Avec Fiches dominicales, Paul Ricoeur, Frère Emmanuel de Taizé, AvS, HUvB).

 

20 mai 2012 - 7e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean 17,11-19

Chaque année, le septième dimanche de Pâques nous lisons un passage de la grande prière de Jésus qu'on trouve au chapitre dix-septième de saint Jean. C'est la conclusion du Discours après la Cène, juste avant la Passion.

Aujourd'hui le Seigneur Jésus demande au Père de garder ses disciples dans la fidélité. Pourquoi ? Sans doute parce que la fidélité, ce n'est pas évident. La fidélité à Dieu, ce n'est pas évident. Pourquoi ? Les disciples vivent dans un monde qui ne veut pas de Dieu, qui ne veut pas de la Révélation de Dieu venue par le Seigneur Jésus. Les chefs juifs du temps de Jésus n'ont pas voulu de Jésus. Les empereurs romains, pendant trois siècles, ont persécuté les chrétiens. Alors Jésus demande au Père de garder ses disciples sous sa protection : ils sont dans le monde, garde-les du mal, garde-les du Mauvais, c'est-à-dire du diable. Comme dans le Notre Père : délivre-nous du mal, délivre-nous du Mauvais, délivre-nous des emprises du diable.

Souvent dans les évangiles on nous signale que Jésus s'éloignait pour un temps de ses disciples pour prier, pour prier le Père invisible. Et là, on ne connaît jamais le contenu de la prière de Jésus. On peut prier en disant simplement les prières qu'on a reçues de l’Église. Elles ont quelque chose de clair et de rassurant. Mais la tradition de l’Église nous apprend aussi à prier sans paroles. Qu'est-ce que l’Église nous dit alors ? "Ouvre-toi totalement à Dieu. Fais-toi silencieux pour qu'il puisse te parler". Mais peut-on faire l'expérience de Dieu de cette manière-là ? Est-ce qu'on ne s'enfonce pas dans l'illusion ? On peut essayer de se raccrocher à un minimum de mots qu'on redit doucement devant Dieu, par exemple : Viens... Viens Esprit Saint... Viens nous visiter... Viens remplir de ta grâce les cœurs que tu as créés... Viens nous remplir de ta présence.

La prière est faite pour nous introduire à une humble familiarité avec Dieu. Si Dieu est tout-puissant et éternel, comment une familiarité est-elle possible ? Par l'humilité devant Dieu... Dieu tout-puissant et éternel qui nous invite à vivre en communion avec lui.... Pas seulement au-delà de la vie présente, mais tout de suite, maintenant, dès la vie présente qui nous est donnée pour découvrir la familiarité avec Dieu.

Une parole de rabbin nous dit ceci : "Les chemins pour accéder à Dieu sont multiples : révélation, méditation, ou bien une espérance malgré un grand malheur". C'est quoi un grand malheur ? C'est l'échec, c'est l'épreuve de la croix. Cela aussi fait partie du monde, de la vie de l'homme. "Je ne te demande pas de retirer mes disciples du monde, mais de les garder du Mauvais", dit Jésus au Père dans sa prière.

L'Esprit Saint libère aussi l'homme de l'obsession de la réussite. L'échec, ça existe, et aussi l'épreuve de la croix... "Garde-les du Mauvais". De quoi l'Esprit Saint libère-t-il encore les chrétiens ? Ils les libère d'eux-mêmes. Il les libère de l'égoïsme qui se manifeste dans l'agressivité et dans le désir de dominer. Et s'il existe un zèle missionnaire, ce n'est pas le désir de dominer le monde, mais le désir de partager avec lui un don reçu. "Allez dans le monde entier proclamer la Bonne Nouvelle". La prière est le contraire de la volonté de dominer. Dans la prière, nous essayons de nous donner totalement à Dieu.

Nous avons été donnés à Dieu le jour de notre baptême. Et ensuite, qu'est-ce qui se passe ? C'est Péguy qui nous le dit. Ensuite, ce qui se passe, c'est qu'il n'y a pas trop de toute notre vie pour que l'eau qui a été versée sur notre tête le jour de notre baptême descende jusqu'à nos pieds. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que le combat de toute la vie chrétienne consiste à faire en sorte que la grâce vienne habiter la totalité de notre personne ; pas seulement nos pensées, mais aussi nos paroles, nos actes, nos désirs et nos rêves.

Cette prière de Jésus aujourd'hui dans l'évangile nous dit, d'une certaine manière, comment on devient chrétien. C'est quoi devenir chrétien ? C'est quoi être chrétien ? Être chrétien, c'est avoir conscience d'appartenir définitivement au mystère de Dieu fait homme. (Avec Patriarche Daniel, Philippe Haddad, Péguy, André Nouis, AvS, HUvB).

 

17 mai 2015 -  7e dimanche de Pâques - Année B

Évangile selon saint Jean17,11b-19

Tous les ans, entre l'Ascension et la Pentecôte, nous lisons un passage de la grande prière de Jésus qu'on trouve dans le Discours de Jésus après la Cène. Aujourd'hui, pour s'adresser au Père, le Seigneur Jésus l'appelle : "Père saint". C'est l'heure solennelle avant la croix. Jésus recommande d'avance au Père ses disciples. Sur la croix, il ne pourra plus les garder et les protéger lui-même.

La croix, c'est tout seul qu'il devra la porter. Et lui-même alors devra renoncer au réconfort que pourrait lui apporter l'accompagnement de ses disciples. Il demande donc au Père d'accorder à ses disciples toute sa protection. Il voudrait les savoir unis au Père. Plus tard, les disciples pourront de nouveau aller leur chemin avec lui, Jésus. Mais pour le moment, il ne peut pas les emmener avec lui. Sur la croix, Jésus n'admettra que sa Mère et Jean. Jésus estime que Jean est capable comme sa Mère de partager  tout le mystère de la Passion.

Jésus a toujours dit qu'il voulait ramener au Père tous les hommes qui s'étaient détournés de lui par le péché. Aucun ne s'est perdu sauf celui qui s'en va à sa perte, sauf celui qu'il ne peut pas rendre au Père maintenant : Judas est sur le point de le trahir. Si Judas lui aussi doit être sauvé, ce ne sera que par la croix elle-même. Judas n'a pas encore trahi, mais le péché qu'on prémédite de commettre est pire que le péché commis. Aussi longtemps que quelqu'un a l'intention de pécher, il est incapable de regretter. Quand le péché est commis, une voie est ouverte pour le regret et la confession. Un homme qui meurt au moment où il est bien décidé à commettre un péché grave est plus mal loti au jugement que celui qui l'a déjà commis parce que, pour celui qui a déjà commis le péché, l'acte accompli ne peut plus lui barrer le chemin du retour.

Et Jésus continue sa prière : "Je viens vers toi". Le Fils s'apprête au retour, c'est une décision commune au Père et au Fils. Le Père l'attire à lui, l'accueille, le reçoit à bras ouverts. Et Judas, lui, livre Jésus, puis il va se pendre. C'est une manière désordonnée d'exprimer après coup son regret. Les saints et les saintes de Dieu nous disent ici que la mort, c'est une invention de Dieu, qui finalement empêche le pécheur de se défendre contre sa grâce.

La révélation de Dieu nous invite à croire en lui ; la foi, c'est une relation avec Dieu ; la foi, c'est quelque chose qui est de l'ordre de la relation. Est-ce purement illusoire ? Est-ce purement irrationnel ? Voilà un garçon et une fille qui s'aiment. Est-ce que leur relation est illusoire ? Est-ce qu'elle est vraie scientifiquement ? Est-ce qu'elle est irrationnelle ? La relation (dans l'amour) est d'un autre ordre que le scientifique et le relationnel : la relation d'un homme et d'une femme qui s'aiment, comme la relation de l'homme avec Dieu.

"Père saint, garde mes disciples dans ton amour"...Aucune démarche scientifique ne peut créer une amitié. L'amitié surgit de l'intérieur. Et où est l'intérieur quand il s'agit d'une relation  avec Dieu ? C'est le domaine de l'Esprit Saint, l'Esprit Saint qui parle sans bruit à l'oreille du cœur, comme disaient les Pères. Le bienheureux Dom Marmion disait: "Je vous recommande une grande fidélité aux chuchotements du Saint-Esprit".

Pour que vienne l'Esprit;, il fallait en quelque sorte que Jésus disparaisse. Il le dit lui-même dans le Discours après la Cène : "Si je ne m'en vais pas, l'Esprit Saint ne viendra pas". Un sage hindou disait : "Pour que le spirituel se manifeste, il faut que le matériel ait disparu". Saint Grégoire le Grand commentait comme ceci la parole de Jésus : "Si je ne vous enlève pas ma présence corporelle, la spirituelle ne viendra pas".

Mais Dieu a commencé quand même par devenir homme. On ne comprendra jamais vraiment ce que cela signifie pour Dieu de devenir homme. Un philosophe de notre temps, fort croyant, essayait de le dire comme ceci : "Dieu s'est enchaîné à notre chair pour achever son amoureuse création".

Dieu s'est révélé à l'humanité par le Seigneur Jésus. Jésus a rapproché Dieu de nous. Et il a retiré à l'homme son éloignement de Dieu. La foi chrétienne est la révélation la plus grande possible de l'amour éternel. Et l'unique réponse adéquate au fait qu'il a daigné mourir pour moi par amour, ce serait ma disposition à lui offrir aussi toute ma vie avec la grâce de Dieu. (Avec Pierre Ganne, Dom Marmion, Lytta Basset, saint Grégoire le Grand, Maurice Blondel, AvS, HUvB).

 

12 mai 2013 - 7e dimanche de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 17,20-26

Chaque année, le dimanche qui suit l'Ascension, nous lisons un passage de la grande prière de Jésus juste avant sa Passion. Nous trouvons cette grande prière au chapitre dix-septième de saint Jean. Et dans les trois années du cycle liturgique des lectures, nous lisons intégralement cette grande prière.

Quelle est la prière de Jésus ? Il prie d'abord pour tous les disciples qui sont autour de lui ce soir-là, le dernier soir qu'il passe avec eux. Tous les disciples qui sont là sont chargés par lui de transmettre au monde entier ce qu'ils ont reçu de lui, son message, sa parole. Alors Jésus ne prie pas seulement pour les disciples qui sont avec lui ce soir-là, il prie aussi pour tous ceux qui croiront un jour en lui pour avoir entendu la parole des apôtres ou de leurs successeurs.

Dans cette grande prière, Jésus s'adresse au Père. Il parle au Père en toute confiance. Et il voudrait que l'unité dans l'amour qui existe entre le Père et lui règne aussi entre lui, Jésus, et tous ceux qui croiront un jour en lui. Et Jésus demande au Père que tous ceux qui croiront un jour en lui soient aussi avec lui par-delà la vie présente, et qu'ils soient avec lui dans l'amour du Père. Parce que l'un des buts de la vie du Fils de Dieu ici-bas a été de faire connaître le Père à toute l'humanité.

Les Juifs ne le savaient pas, et beaucoup de Juifs jusqu'à présent ne veulent pas le savoir. Les musulmans non plus ne veulent pas savoir que Dieu est amour et qu'il y a de l'amour au sein même de Dieu entre le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Dieu a un Fils : les Juifs ne peuvent pas l'admettre, les musulmans non plus. Les Juifs et les musulmans regardent Dieu comme tout-puissant, mais ils le tiennent en quelque sorte pour impuissant parce qu'ils ne lui accordent pas la seule chose dont (tout) le monde est capable : avoir un Fils. Pour les Juifs, Jésus mérite la mort parce qu'il s'est dit Fils de Dieu.

Et même si Dieu avait un Fils (ce qui, pour eux, est impossible), il serait plus impossible encore qu'il lui ait permis de s'abaisser jusqu'à la bassesse de la nature humaine. Il aurait dû, absolument, le lui interdire. Pour les Juifs, seul un Dieu lointain peut être le vrai Dieu.

L’Église primitive s'est battue pendant des siècles pour trouver les mots qui disaient sa foi : cet homme, Jésus, n'était pas seulement un prophète, un messager de Dieu, un ange, il était Dieu. Comment cela peut-il se faire ? C'est un mystère qui nous dépasse. Jésus est Dieu, le Père est Dieu, il n'y a qu'un seul Dieu, mais Jésus n'est pas le Père. C'est une façon très mystérieuse de parler. Et de plus il y a cet Esprit Saint dont Jésus nous dit qu'il nous accueille dans la communion avec Dieu et nous y maintient, parce que lui aussi, il est Dieu.

Dans sa grande prière, la veille de sa Passion, Jésus a donc prié aussi pour nous qui croyons en lui aujourd'hui. Ce qu'un être humain peut donner de plus profond à son prochain, c'est sa prière. C'est si profond que ça ne se voit pas et qu'on ne peut pas le montrer. La prière qu'on fait pour quelqu'un, c'est un don sans intermédiaire à l'intimité de l'autre.

Dans sa grande prière, Jésus demande au Père que tous les croyants ne fassent qu'un dans l'amour. Il y a beaucoup de manières d'aimer, et il y a de fausses manières d'aimer. Et les saints nous disent que nous devons discerner les fausses manières d'aimer. Prier pour quelqu'un, c'est le confier à la garde aimante de Dieu. Et Dieu saura bien ce qu'il a à faire de notre prière. On ne sait pas ce qu'il faut demander vraiment pour les autres. Si on prie pour les autres, c'est essentiellement pour que Dieu leur fasse du bien. Et ce bien, il n'y a que Dieu qui sait vraiment où il est. Jésus devait le savoir : il prie le Père pour que tous les croyants vivent dans l'unité de l'amour.

Comment situer alors l'autorité dans l’Église ? Ce sont les saints qui nous le disent : Dans le christianisme, l'autorité ne devient croyable et ne sera acceptée par le peuple que si elle s'exerce dans l'humilité de l'amour, à l'exemple du Christ. (Avec Timothy Radcliffe, Anselm Grün, Madeleine Delbrel, AvS, HUvB).
 

8 mai 2016 - 7e dimanche  de Pâques - Année C

Évangile selon saint Jean 17,20-26

Chaque année, le septième dimanche de Pâques, nous lisons un passage de la grande prière de Jésus qu'on trouve dans le Discours après la Cène, cette grande prière qu'on appelle souvent la prière sacerdotale. L'évangile d'aujourd'hui commence comme ceci : "Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi".

Le Seigneur Jésus présente au Père ceux qui, par les siens (les apôtres puis ensuite tous ses disciples), acquièrent la foi en lui, ceux qui sont en route vers lui et se trouvent encore en dehors de l’Église. Pour eux, ce sera plus difficile que pour ses apôtres. Les apôtres ont reconnu en lui le Messie. Et ils pouvaient déjà pressentir qu'en lui et derrière lui il y avait un infini mystérieux. Ceux qui vont venir plus tard à la foi ne voient pas le Seigneur Jésus, ils n'entendent de lui que ce qu'en disent ses disciples.

L'ardeur qui anime les disciples peut ressembler parfois à un zèle purement humain. Et ce zèle peut apparaître d'autant plus exagéré que les disciples ne savent pas toujours présenter de manière convaincante ce qui est au cœur de leur foi. Alors le Seigneur Jésus inclut dans sa prière ceux qui n'ont pas encore découvert la foi. Il faut qu'ils soient capables de percevoir le Seigneur Jésus par la foi, l'amour et l’espérance à travers l'enseignement imparfait de ses disciples. Il faut qu'ils puissent distinguer, dans ce que disent les croyants, ce qui vient de Dieu et ce qui ne vient pas de Dieu. Et l'amour priant du Seigneur est assez fort pour leur communiquer cette clairvoyance.

Il ne faut pas non plus que ceux qui cherchent le Seigneur Jésus se mettent à aimer d'abord l'apôtre pour être conduits, dans un second temps, auprès du Seigneur Jésus. L'apôtre n'a pas le droit d’accaparer l'amour de ceux qui cherchent. Tout leur amour doit être aussitôt orienté vers le Seigneur Jésus. Et la joie de l'apôtre est de se retrouver avec son "élève" dans la prière, de se retrouver ensemble à genoux devant Dieu. Le Seigneur Jésus prie donc spécialement pour les convertis... Et on n'a jamais fini de se convertir, c'est-à-dire de s'approcher de Dieu en vérité.

Mais il y a combien de gens qui pensent toujours qu'ils ont mieux à faire que de s'occuper de Dieu ! C'est le vieux Karamazov, dans le roman de Dostoïevski, qui disait : "Si nous autres, nous ne croyons plus, c'est qu'on n'a pas le temps, les affaires nous absorbent, les jours n'ont que vingt-quatre heures". Croire ou ne pas croire : est-il bien raisonnable de croire ? Dieu est le destin du monde. On lit un livre de deux-cents pages sur les choses de Dieu. Il y aura peut-être pour nous dans ce livre quatre ou cinq lieux de lumière : c'est suffisant.

Il y a un verset de psaume qui dit : "Heureux l'homme qui craint le Seigneur". Craindre Dieu maintenant : où va-t-on ? Est-ce avec la crainte qu'on attire les hommes à Dieu ? En hébreu, la racine du mot "crainte" a bien le sens de trembler. Mais la même racine a produit aussi le mot "tente". Pourquoi ? Parce que ce morceau de toile vibre en quelque sorte sous l'action du vent, il bouge sous l'effet d'une présence. Alors "Heureux l'homme qui craint le Seigneur" veut dire au fond : "Heureux l'homme qui est sensible à sa présence". Plus nous le connaissons, plus nous vibrons en sa présence. "Heureux l'homme qui vibre au vent de l'Esprit Saint".

Et alors c'est quoi la foi ? Comme disait Benoît XVI, "la foi est un amour qui accapare l'homme et lui montre une voie à suivre". Il n'y a pas de malheur plus grand que de ne pas connaître le Dieu véritable... Il n'y a pas de bonheur plus grand que de rencontrer le Dieu vivant. Et dans la lumière de cette connaissance, non seulement les heures agréables, mais aussi les situations accablantes et pénibles sont pleines de sens profond et deviennent par là même un peu plus supportables et justifiées.

Jésus priait ainsi : "Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour tous ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi". Nous aussi, nous étions inclus dans cette prière. La grâce, c'est l'action de Dieu par laquelle il porte sa créature vers le but de son existence. Le but de cette existence est de s'offrir à Dieu. La grâce, c'est la force de Dieu, c'est son Esprit Saint. (Avec Dostoïevski, Guillaume de Menthière, Didier Decoin, Benoît XVI, Père Sophrony, AvS, HUvB).

 

12 juin 2011 - Pentecôte - Année A (Profession de foi et premières communions)

Évangile selon saint Jean 20,19-23

Dans son discours d'adieu, Jésus avait promis à ses disciples qu'il leur enverrait son Esprit Saint. Les disciples se demandaient ce que Jésus voulait dire par là. Qu'est-ce que c'est que cet Esprit Saint ? Pour l'évangéliste saint Jean, dès le soir de Pâques, quand Jésus apparaît à ses disciples réunis, après leur avoir montré ses mains et son côté (ses mains qui avaient été percées par les clous et son côté qui avait été percé par la lance), il dit à ses disciples : "Recevez l'Esprit Sain t". Et en disant cela, Jésus avait soufflé sur eux.

L'évangéliste saint Luc - qui est aussi l'auteur des Actes des apôtres - nous raconte une venue de l'Esprit Saint sur les disciples cinquante jours après Pâques, le jour de la Pentecôte. Là, il n'est pas question du souffle de Jésus, mais il y eut, venant du ciel, un bruit pareil à celui d'un violent coup de vent. Il y eut comme une sorte de feu qui se divisait en langues et qui se posa sur chacun des disciples. Alors tous furent remplis de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint est invisible, comme le Père est invisible. Mais il se manifeste à la Pentecôte comme un vent violent, comme des langues de feu. Lors du baptême de Jésus, il avait manifesté sa présence sous la forme d'une colombe.

Jésus avait promis à ses disciples qu'il leur enverrait l'Esprit Saint. Pour quoi faire, l'Esprit Saint ? On le voit dès le jour de la Pentecôte : l'Esprit Saint pousse saint Pierre à parler de Jésus, l'Esprit saint pousse saint Pierre intérieurement à parler de Jésus, l'Esprit lui donne la forcer et le courage de parler de Jésus, et aussi les mots qu'il faut pour parler de Jésus. Et que dit saint Pierre à propos de Jésus à tous les juifs qui s'étaient réunis ? Il leur dit que Jésus est vraiment ressuscité et qu'il faut que tout le monde croit en lui pour être sauvé.

Jésus, on a pu le voir, l'entendre, le toucher pendant sa vie terrestre. Et ses disciples ont pu aussi le voir, l'entendre et le toucher après sa résurrection. L'Esprit Saint, lui, est insaisissable. Il est comme un feu, il est comme un vent violent ou comme un vent léger. Il est comme un feu à l'intérieur du cœur et comme une lumière dans l'intelligence. C'est pourquoi saint Paul dit que personne ne peut croire en Jésus sans l'Esprit Saint. Mais saint Paul dit aussi que l'homme a le pouvoir redoutable d'éteindre le feu. Il nous dit dans l'une de ses lettres : "N'éteignez pas l'Esprit". On peut se sentir poussé à croire en Jésus ressuscité, on peut se sentir poussé à croire en Dieu, le Père invisible, dont Jésus parlait toujours, mais on peut aussi faire la sourde oreille, et dire en quelque sorte à l'Esprit Saint : Laisse-moi tranquille, je ne veux pas m'occuper de Jésus ni de Dieu. Les évangiles nous disent quelque part que le péché contre l'Esprit est un péché impardonnable. L'homme a le pouvoir redoutable de fermer la porte à l'Esprit de Dieu, de faire le sourd, de faire comme s'il n'avait pas entendu.

Jésus et le Père invisible sont toujours disposés à donner à tout homme leur Esprit Saint. C'est par l'Esprit Saint que nous pouvons croire vraiment. Et la première chose que l'Esprit Saint nous enseigne, c'est la prière. C'est quoi la prière ? La prière veut dire que nous nous sommes décidés pour Dieu. Celui qui prie vraiment est décidé à respecter Dieu, il est décidé à vivre en sa présence, il est décidé à se mettre à nu devant lui, il est décidé à l'implorer pour quelque chose. Mais cette décision humaine de se mettre à prier, c'est toujours la réponse à une décision de Dieu, Dieu qui est résolu à se révéler à l'homme, à lui être accessible, à exaucer ses prières.

On peut dire que le mystère ultime de l’Église consiste à connaître l'Esprit Saint, à le recevoir, à être en communion avec lui. Mais qu'est-ce que cela veut dire : connaître l'Esprit saint, avoir l'Esprit Saint, être en lui ? L'Esprit Saint de Dieu transforme en joie tout ce qu'il touche. Parce que nous avons reçu l'Esprit de Dieu, notre vraie vie est cachée avec le Christ en Dieu, comme dit saint Paul, et dès maintenant nous participons au royaume éternel de Dieu.

On sonne à la porte d'une maison. C'est monsieur qui va ouvrir. Le visiteur se présente : c'est pour un sondage. Avez-vous la foi ? Réponse du monsieur : J'en sais rien. Il faut demander à ma femme. C'est elle qui s'occupe de tout ça. - Et vous, vous êtes croyants ? Vous êtes chrétiens ? Pourquoi ? Et vous croyez en quoi ? Et à quoi ça vous engage ?

Dans quelques instants, Lise va renouveler la profession de foi de son baptême et, avec elle, nous redisons notre foi comme tous les dimanches dans le credo, dans le Je crois en Dieu. Et tout à l'heure cinq enfants parmi nous vont communier pour la première fois. Pour eux tous, et aussi pour nous-mêmes qui les entourons, nous pouvons dire et redire : "Viens Esprit Saint, viens nous visiter, viens remplir de ta présence les cœurs que tu as créés". (Avec Alexandre Schmemann, AvS).

 

8 juin 2014 - Pentecôte - Année A

Évangile selon saint Jean 20,19-23

La scène de cet évangile se passe au soir du jour de Pâques. Par peur des Juifs, les apôtres sont dans une maison aux portes bien verrouillées. Le Seigneur Jésus se moque des verrous et de la peur de ses disciples : il est là tout à coup au milieu des siens. Et il leur apporte deux choses : la paix et l'Esprit Saint. Il leur apporte la paix et aussitôt la peur a disparu : "Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur". Deux fois Jésus leur dit : "La paix soit avec vous". C'est une paix pour le monde entier. Tous les hommes sont appelés à entrer dans la paix de Dieu en se réconciliant avec lui.

Le Seigneur Jésus apporte la paix par sa présence mais aussi en donnant son Esprit Saint. Le Seigneur Jésus apporte la paix par sa présence. Et il assure à ses disciples qu'il sera avec eux tous les jours jusqu'à la fin du monde. Après la résurrection, le Seigneur Jésus est au ciel, mais il est tout autant auprès de chaque homme et en chaque homme qui croit en lui et qui l'aime. Il a la liberté de se trouver simultanément à plusieurs endroits. Il est au ciel, et il est auprès de nous sur la terre.

Et puisque lui, l'Incommensurable, est avec nous, créatures limitées, nous aussi, nous sommes partout où se trouve le Seigneur Jésus, que nous le sachions ou non. Et le Seigneur Jésus ne cesse de donner son Esprit jusqu'à la fin du monde. Les saints et les saintes de l’Église ont tellement en eux l'Esprit Saint qu'ils n'ont pas besoin de le garder pour eux-mêmes. Il déborde d'eux en quelque sorte partout où ils passent.

L'Esprit Saint de Dieu parle à l'homme sans bruit de voix et sans paroles, il met dans le cœur et l'intelligence une conviction intime. Ressentir cette grâce et cette présence est une chose ; en faire part en est une autre. C'est pourquoi il est difficile pour les convertis de dire ce qui les a convaincus.

Le Seigneur Jésus envoie ses disciples dans le monde entier avec pour bagage essentiel l'Esprit Saint... L'Esprit saint qu'on ne voit pas et qui souffle où il veut et quand il veut. La foi chrétienne s'efforce de montrer que le fait chrétien a une portée universelle. Pourquoi universelle ? Parce que tous les hommes ont une destinée commune. La prétention de la foi chrétienne, c'est d'ouvrir un espace de sens et de vie qui est accessible à tous. La foi chrétienne met l'homme en question, et cela ouvre l'homme à son propre mystère.

L'accueil qui sera fait à la parole des disciples relève de la liberté de chacun. La foi chrétienne peut éveiller un intérêt, elle ne peut pas forcer une adhésion. Elle peut tout au plus montrer un espace de sens et indiquer les gains et les pertes à s'y risquer. Le disciple peut parler, l'Esprit fait tout le reste, et l'interlocuteur peut s'ouvrir à l'Esprit de Dieu ou bien garder toutes ses portes bien fermées et refuser de les ouvrir.

Un croyant dont la foi était tiède était passé à une foi très ardente. Cela s'est fait en l'espace d'une journée. Et il racontait par la suite à un ami : "Ce jour-là, je fus avec Dieu comme je ne l'avais jamais été auparavant". Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l'Esprit Saint de Dieu était passé par là. Et le même homme ajoutait : "Les changements grands et décisifs qui marquent une vie ne sont jamais des cadeaux. Ils doivent advenir lorsqu'on a suffisamment œuvré pour les recevoir".

C'est grâce à l'Esprit Saint qu'on peut comprendre que Dieu fait tout pour chacun de nous comme si chacun de nous était seul. Le converti, c'est quelqu'un qui a perçu dans la foi, dans la communauté chrétienne, dans les livres, la trace d'un Dieu qui le cherche. "Toutes les âmes sont à moi", dit l’Éternel. Il y a en chaque enfant humain une part qui n'appartient pas à ses parents. L'âme n'appartient à personne, elle est à Dieu, mais ce Dieu, précisément, lui laisse sa liberté. Et la liberté demeure toujours imprévisible. L'homme est construit pour le bonheur, et ce bonheur n'est réalisé qu'en Dieu.

L'homme a un désir naturel d'exister toujours. Ce qu'apporte la révélation chrétienne, c'est la certitude que la loi de la corruption n'est pas le dernier mot de la condition humaine. Dieu veut envoyer son Esprit Saint sur toute la terre et dans le cœur de chaque homme. Et que se passe-t-il si on se ferme ? Les saints nous disent : "Dieu ne revient pas là où on a piétiné ses grâces".

Le Seigneur Jésus n'a rien écrit lui-même et il ne demande pas qu'on écrive. Mais par les hommes de son Église, l'Esprit Saint produira un document adéquat sur ce que fut le Seigneur Jésus, le Verbe incarné de Dieu, et ce document reste la norme pour tous les temps. L'Esprit Saint rend sans cesse présent tout ce que Jésus était et tout ce qu'il est encore. (Avec Fiches dominicales, Jean Duchesne, Marcel Neusch, Franz Rosenzweig, Maurice Blondel, Catherine Chalier, Surin, Philippe-Marie Margelidon, AvS, HUvB).

 

4 juin 2017 - Pentecôte - Année A

Évangile selon saint Jean 20,19-23

A des jeunes le jour de leur profession de foi : "Quand tu es né et qu'on t'a baptisé, ce sont tes parents qui ont choisi pour toi. Tu n'étais donc pas libre. Mais le baptême nous fait entrer dans la vie de Dieu. Pourquoi attendre l'âge de quinze ans pour donner à l'enfant la grâce d'être citoyen du ciel ? Tu es Français à ta naissance sans que tu aies jamais choisi la France. On te fait apprendre la langue française sans que tu l'aies voulu. On n'attend pas ta quinzième année pour te donner une patrie et une langue. La France est ta patrie terrestre, de même l’Église chrétienne est ta patrie céleste. Quant à la profession de foi que tes parents ont faite à ta place le jour de ton baptême alors que tu ne pouvais pas comprendre et que tu n'étais pas libre, lorsque tu arrives à l'âge raisonnable, tu peux la renouveler" ... ...   ...  Ce jour, c''est aujourd'hui ...   ...   …

Nous célébrons aujourd'hui dans l’Église la fête de la Pentecôte, le jour où l'Esprit Saint est descendu sur les apôtres ; notre première lecture aujourd'hui nous en a fait le récit. Jésus avait dit à ses disciples : "Il est bon pour vous que je m'en aille, sinon l'Esprit Saint ne viendra pas sur vous". Jésus est sur le départ, il passe le relais à l'Esprit, l'Esprit Saint qui, dit Jésus, restera avec vous pour toujours. "Il vous enseignera toutes choses et il vous rappellera tout ce que je vous ai dit".

Pour nous, chrétiens, la Bible, l’Écriture Sainte, est le livre de base qui est transmis dans l’Église de génération en génération depuis les origines. La Bible est le trésor de l’Église où est mis par écrit l'essentiel de la révélation de Dieu à son peuple, et finalement à toute l'humanité. Dieu est sorti de son silence, et des croyants ont mis par écrit ce qu'ils ont compris que Dieu leur révélait. La Bible est faite d'un certain nombre d'écrits qui ont été composés sur des centaines d'années. Pour nous, chrétiens, le Bible est l’œuvre d'écrivains, mais d'écrivains qui étaient inspirés par l'Esprit Saint de Dieu. Et pour comprendre et recevoir comme il faut la Bible, l'Esprit Saint aussi doit nous aider pour que nous recevions la Parole de Dieu comme une parole vivante qui  est destinée à nous mettre dans une communion vivante avec Dieu.

"Les oiseaux volent, les poissons nagent et les hommes prient". C'est un saint des premiers siècles chrétiens qui disait cela : "Les oiseaux volent, les poissons nagent et les hommes prient". Il voulait dire par là que les hommes sont branchés sur Dieu, c'est ça la prière et, au fond, c'est l'essentiel de l'homme : l'homme est fait pour Dieu. Et c'est l'Esprit Saint qui, invisiblement, met pour ainsi dire dans le cœur de l'homme la certitude qu'il est fait pour Dieu.

Le premier mot que l'Esprit Saint nous apprend à balbutier comme enfants de Dieu, c'est le mot "Père"... "Notre Père qui es aux cieux"... L'Esprit Saint nous est donné en premier lieu comme un Esprit de dialogue avec Dieu, un Esprit de prière. Le Notre Père est une prière dans le langage de Dieu : tous les souhaits qui s'y trouvent répondent à un souhait de Dieu. Le "Je vous salue Marie" aussi est une prière dans l'Esprit Saint. "Je vous salue Marie" : c'est le salut de l'ange à Marie, dans l'Esprit Saint. Et puis "Tu es bénie entre toutes les femmes" : c'est le salut à Marie de sa cousine Élisabeth, Élisabeth qui était remplie de l'Esprit Saint. Il n'est pas nécessaire de faire toujours appel explicitement à l'Esprit Saint dans notre prière, mais toute prière doit être faite dans l'Esprit Saint... Notre Père qui es aux cieux... Je vous salue Marie (Avec Joseph-Marie Verlinde, Isaac le syrien, AvS, HUvB).

 

31 mai 2009 - Pentecôte - B (Jour de profession de foi)

Évangile selon saint Jean 15, 26-27; 16, 12-15

Un petit mot d'abord à l'adresse de ceux qui font profession de foi aujourd'hui. C'est quelque chose que je raconte souvent pour la célébration d'un baptême. Mais c'est tout à fait aussi de circonstance un jour de profession de foi.

Quand tu es né et qu'on t'a baptisé, ce sont tes parents qui ont choisi pour toi. Tu n'étais donc pas libre. Mais le baptême nous fait entrer dans la vie de Dieu. Pourquoi attendre l'âge de quinze ans pour donner à l'enfant la grâce d'être citoyen du ciel ? Tu es Français à ta naissance sans que tu aies jamais choisi la France. On t'a fait apprendre la langue française sans que tu l'aies voulu. On n'attend pas ta quinzième année pour te donner une patrie et une langue. La France est ta patrie terrestre; de même l’Église chrétienne est ta patrie céleste. Quant à la profession de foi que tes parents ont faite à ta place le jour de ton baptême alors que tu ne pouvais pas comprendre et que tu n'étais pas libre, lorsque tu arrives à l'âge raisonnable, tu peux la renouveler.

Eh bien, ce jour est arrivé de renouveler la profession de foi du baptême. Mais ce qu'il faut ajouter maintenant, c'est une question. Qu'est-ce qu'on sait de la foi chrétienne à douze ans ? Qu'est-ce qu'on sait de la vie ? On n'arrête pas d'aller à l'école à douze ans. On va à l'école aujourd'hui jusqu'à seize ans au moins, souvent jusqu'à vingt ans et au-delà pour acquérir une formation, une profession, un métier, avec l'espérance de trouver ensuite un travail. Ce qu'on sait de la foi chrétienne à douze ans, ce n'est pas faux, mais c'est un tout petit début. Pour qu'une foi chrétienne puisse tenir, il est nécessaire que l'approfondissement de la foi chrétienne se poursuive tout au long des études : collège, lycée, écoles techniques et professionnelles, université, pour que le niveau des connaissances chrétiennes et de la vie chrétienne vécue demeure toujours à peu près au niveau intellectuel des connaissances qu'on acquiert dans les études profanes. Sinon, encore une fois, la foi chrétienne ne peut pas tenir debout. Dieu a créé l'homme intelligent et il veut que l'homme aille vers lui avec toute son intelligence.

Je rencontrais un jour un couple pour préparer un baptême. La maman se disait croyante, le papa se disait incroyant. Et il avait éprouvé le besoin de justifier son incroyance : "Vous savez, moi, je suis plutôt scientifique !" En fait pour tout bagage scientifique, il avait un bac S. Et il avait arrêté là ses études pour devenir préparateur de commandes ! Qu'est-ce qu'il faut dire à cela? Je n'ai pas répondu tout de suite. Dans un premier temps, ce qu'on peut dire, c'est qu'il y a beaucoup de scientifiques authentiques qui sont chrétiens, et des chrétiens motivés, et leurs connaissances scientifiques ne les empêchent pas du tout d'être chrétiens. Mais il est évident qu'un adulte qui n'a gardé vaguement que quelques vagues connaissances de la foi chrétienne de son enfance, cet adulte ne peut pas tenir la foi chrétienne pour quelque chose de valable et de sérieux.

On pourrait appliquer un mot de l'évangile d'aujourd'hui à l'adresse de ceux qui font profession de foi aujourd'hui. C'est Jésus qui disait : "J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter". A douze ans, il y a encore beaucoup de choses concernant la foi chrétienne qu'on n'a pas la force de porter, de comprendre. Qu'est-ce qu'on sait de la foi chrétienne à douze ans ? Ce qu'on sait ? L'essentiel peut-être, si on est sérieux et fidèle et honnête. Je connais un certain nombre de prêtres et d'évêques qui, à douze ans, savaient déjà qu'ils voulaient devenir prêtres. Cela ne veut pas dire que tous les garçons qui à douze ans pensent à devenir prêtres deviendront prêtres un jour. A douze ans, on a encore un long chemin à parcourir avant de devenir prêtre, et il se peut qu'en cours de route on nous dise qu'au fond ce n'est pas notre voie, que Dieu nous veut ailleurs. Mais à douze ans, un certain nombre de prêtres savaient déjà qu'ils désiraient devenir prêtres.

A douze ans comme à quatre-vingts ans, il y a une prière essentielle qu'il faut faire tous les jours : "Mon Dieu, qu'est-ce que tu attends de moi aujourd'hui? Mon Dieu, toute ma vie est devant toi, cinquante ans de vie ou vingt ans de vie : qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Montre-moi mon chemin. Que tout se passe comme tu le veux". C'est ce qu'a fait la Mère de Jésus, Marie, elle a tout mis au service de Dieu : son âme et son corps, quand elle a dit à l'ange : "Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi selon ta parole". Qu'est-ce que c'est qu'une foi vivante? C'est quelque chose comme la foi de Marie, la Mère de Jésus. La foi, c'est quand on s'adresse à Dieu comme à quelqu'un, comme à un suprême quelqu'un. En d'autres termes, plus compliqués : une foi vivante, c'est avant tout une relation interpersonnelle à vivre intensément avec Dieu.

Qu'est-ce que Dieu va me demander aujourd'hui ? Un cardinal, qui ne dit pas son nom, raconte comment le cardinal Ratzinger est devenu le pape Benoît XVI. Le cardinal Ratzinger avait plus de soixante-quinze ans et il avait demandé déjà plusieurs fois à Jean-Paul II de le décharger de ses fonctions à Rome pour qu'il puisse vivre une retraite paisible et qu'il ne soit plus constamment bousculé par tous les soucis de sa charge. Et le cardinal qui ne dit pas son nom dit ceci : "Je sais que le cardinal Ratzinger a souffert de devenir Benoît XVI. Je le sais parce que cela se lisait dans ses yeux quand il a vu venir l'inéluctable pendant la vacance du siège, et il en a tremblé. Cela veut dire qu'après la mort de Jean-Paul II il y a eu beaucoup d'échanges entre tous les cardinaux qui devaient élire le nouveau pape. Et le cardinal Ratzinger a bien compris à ce moment-là que beaucoup de cardinaux avaient l'intention de voter pour lui. Et alors notre cardinal anonyme nous dit que le cardinal Ratzinger a souffert de devenir Benoît XVI. Cela se lisait dans ses yeux. Il en a tremblé.

"Mon Dieu, qu'est-ce que tu attends de moi aujourd'hui?" Pour le cardinal Ratzinger, ce sont les autres cardinaux qui lui ont demandé un service, celui de devenir pape. Et le cardinal Ratzinger en a tremblé, mais il a dit oui à ce que Dieu lui demandait. A douze ans comme à quatre-vingts ans, la foi vivante, c'est dire oui à Dieu chaque jour. Mais :"Viens à mon aide. Guide-moi sur le chemin que je dois prendre". (Avec Jean Guitton, Olivier Le Gendre, AvS).

 

27 mai 2012 - Pentecôte - Année B

Évangile selon saint Jean 15,26-27; 16,12-15

En cette fête de la Pentecôte qui est aussi un jour de profession de foi dans cette chapelle, je voudrais d'abord reprendre quelque chose que je dis souvent lors d'un baptême et que j'ai déjà dit plus d'une fois un jour de profession de foi. Je m'adresse d'abord à C. et à M.

Quand tu es né et qu'on t'a baptisé, ce sont tes parents qui ont choisi pour toi. Tu n'étais donc pas libre. Mais le baptême nous fait entrer dans la vie de Dieu. Pourquoi attendre l'âge de quinze ans pour donner à l'enfant la grâce d'être citoyen du ciel. Tu es Français à ta naissance sans que tu aies jamais choisi la France. On t'a fait apprendre la langue français sans que tu l'aies voulu. On n'attend pas ta quinzième année pour te donner une patrie et une langue. La France est ta patrie terrestre ; de même l’Église chrétienne est ta patrie céleste. Quant à la profession de foi que tes parente ont faite à ta place le jour de ton baptême, alors que tu ne pouvais pas comprendre et que tu n'étais pas libre, lorsque tu arrives à l'âge raisonnable, tu peux la renouveler.

D'où vient ce texte que je viens de lire ? Il vient d'un homme qui avait fait aussi sa profession de foi à l'âge de 10-12 ans. Et l'enfant de 10-12 ans était devenu professeur dans l’Éducation Nationale, puis professeur de philosophie à l'Université, longtemps à la Sorbonne à Paris. Et tout au long de ses études, il avait continué à approfondir la foi chrétienne de ses 10-12 ans. Cet homme est mort maintenant. Et comme il était un peu célèbre, les journaux ont parlé de lui à cette époque. Il a écrit des libres de philosophie - bien sûr - et aussi un certain nombre de livres sur la foi chrétienne où il essayait de dire pourquoi il était croyant et en quoi il croyait et comment il croyait.

La foi chrétienne n'est pas une fleur plantée en terre une fois pour toutes, il faut l'arroser, la cultiver. Vous qui avez 10-12 ans ou cinquante ans ou quatre-vingts ans, nous tous, c'est à nous tous qu'est adressée aujourd'hui la parole du Seigneur Jésus qu'on vient d'entendre dans l'évangile : "J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter". C'est pourquoi chaque fois qu'on renouvelle sa profession de foi : à 10-12 ans, mais aussi chaque dimanche à la messe, et même chaque jour, nous devons ajouter cette prière : "Seigneur, augmente en nous la foi". Pourquoi ? Parce que la majeure partie de ce qui touche Dieu demeure toujours caché. Au cours de la messe (au cours de l'eucharistie), l'hostie est montrée. Mais elle est toujours montrée sous le signe du mystère caché.

La fête de la Pentecôte, c'est la fête de l'Esprit Saint, la fête anniversaire de la première venue de l'Esprit Saint sur les apôtres de Jésus cinquante jours après Pâques. Aujourd'hui encore l'Esprit Saint nous est donné dans la mesure où nos cœurs sont disposés pour l'accueillir. Par l'Esprit Saint, nous comprenons ce que le Père invisible, le Dieu invisible, nous donne à comprendre. Mais l'Esprit Saint ne nous donne de comprendre que si nous l'en prions.

On peut avoir le désir de s'ouvrir à l'Esprit Saint de Dieu. On peut aussi garder son cœur et son intelligence fermés. Et quelque part dans l'évangile Jésus nous dit que tout péché peut être pardonné par Dieu aux hommes, mais qu'il y a un péché qui ne peut pas être pardonné, c'est le blasphème contre l'Esprit Saint. Si, volontairement, on veut rester dans l'ignorance ou dans l'erreur, si volontairement on ferme les yeux à la lumière, l'Esprit Saint ne peut pas venir. Et on reste dans la nuit et le péché. De lui-même, l'homme ne peut pas se rendre capable de Dieu. C'est Dieu qui nous rend purs en descendant vers nous. La pureté est un don.

Et que vient faire l’Église dans tout ça ? L’Église se présente simplement comme détentrice d'un message qu'elle offre au service des hommes, qu'elle leur propose pour éclairer leur vie. Elle le fait parfois (ou souvent) maladroitement, sans doute. Elle ne vise pas à s'imposer elle-même, elle vise même à s'effacer devant la source vive qu'elle veut rendre accessible. C'est ce que Jésus nous dit aujourd'hui : "Quand viendra l'Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière". Ce n'est pas l’Église qui peut le faire, ce ne sont pas les hommes, c'est l'Esprit de Dieu.

L'Esprit saint, c'est quoi, c'est qui ? A quoi sert-il ? La réponse peut tenir en deux mots : "L'amour répandu dans l'homme par l'Esprit Saint lui donne le goût de Dieu". (Avec Jean Guitton, Benoît XVI, Guy Coq, AvS, HUvB).

 

24 mai 2015 - Pentecôte - Année B

Évangile selon saint Jean 15,26-27; 16,12-15

Avec cet évangile, nous sommes encore une fois dans le Discours de Jésus après la Cène, son grand discours d'adieu à ses disciples avant la Passion. "J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire", leur dit Jésus. Il aurait encore beaucoup de choses à leur dire sur sa vie éternelle auprès du Père, sur la raison de sa venue dans le monde, sur sa Passion toute proche et sur son retour dans la Trinité. Jésus voudrait initier plus profondément ses apôtres aux desseins de Dieu, mais il doit y renoncer parce qu'ils ne sont pas encore en état de comprendre sa mission.

Jésus quand même veut leur faire comprendre qu'il y a encore beaucoup de choses qu'ils ne peuvent pas comprendre maintenant. Et c'est alors que Jésus leur parle de l'Esprit Saint, de l'Esprit de vérité, qui leur expliquera tout ce que le Seigneur Jésus ne leur dit pas en ce moment. La croix : ils ne peuvent pas la comprendre maintenant. Plus tard, l'Esprit Saint la leur fera comprendre comme une réalité fondamentale du christianisme. Il fera comprendre aux chrétiens que la Passion du Seigneur Jésus est mise à la disposition de chaque vie humaine et de chaque souffrance, que toute vie chrétienne se vit sous le signe de la croix.

L'Esprit Saint doit dévoiler tout le royaume de l'amour : l'amour du Fils pour le Père, pour le monde, pour sa Mère, pour la croix, pour les pauvres. Et Jésus ajoute que l'Esprit Saint ne parlera pas de lui-même : il parlera à partir du Père et du Fils. C'est l'Esprit Saint qui est à l'origine du corps de Jésus dans le sein de sa Mère. C'est lui qui a déposé en elle son  origine. L'Esprit Saint se trouve à l'origine du mystère le plus intime entre Marie et son Fils Jésus. Il était caché au plus profond de cette relation et il a suivi cette relation tout au long de la vie de Marie et de son Fils.

Ici-bas, Jésus n'a guère parlé de sa relation avec sa Mère. Il ne pouvait pas en parler sur les places publiques. Il ne pouvait pas parler en public de sa Mère virginale. Le Fils ne pouvait pas en parler lui-même, mais tout ce qu'il a vécu doit appartenir à tous. Et ce sera la tâche de l'Esprit Saint de révéler ces choses. C'est l'Esprit Saint qui donne accès au mystère de Marie. Tous les états de vie chrétienne lèvent les yeux vers Marie : les enfants et les adultes, ceux qui sont mariés et ceux qui sont consacrés à Dieu, ceux qui sont mariés et ceux qui vivent dans une certaine solitude. Plus que le Seigneur Jésus, c'est l'Esprit Saint qui sera dans l’Église le propagateur de la mariologie, de la vénération pour Marie.

L'Esprit Saint, on pourrait dire aussi qu'il nous initie à tout ce qu'il y a de mystérieux dans nos vies et dans le mystère de Dieu. Par exemple, à cause d'une prière faite aujourd'hui, Dieu peut corriger quelque chose qui s'est passé il y a des milliers d'années, tout comme il peut faire apparaître en pleine lumière un passage de l'Ancien Testament auquel on n'avait jamais fait attention ou qu'on n'avait jamais compris.

La Révélation est close avec le Seigneur Jésus (sa vie, sa mort, sa résurrection). C'est un axiome théologique. Mais c'est aussi une façon de parler. Dire que la Révélation est close ne veut pas dire que tout s'arrête. Ce qu'on veut dire par là,  c'est que le Seigneur Jésus a fait franchir à l'humanité un seuil décisif. Il est un commencement absolu, mais ce n'est qu'un commencement. Les disciples de Jésus essaient de le faire connaître peu à peu au monde depuis deux mille ans. Ils le font connaître plus ou moins bien. Mais toute prédication authentique du mystère de Jésus a toujours été précédée, accompagnée et suivie de la visite de Dieu et de sa grâce, c'est-à-dire de l'Esprit Saint.

Le jour de la Pentecôte (on l'a entendu tout à l'heure dans la première lecture), l'Esprit s'est fait entendre dans un bruit pareil à celui d'un violent coup de vent. Mais dans l'Ancien Testament, un  prophète a aussi entendu la voix de Dieu dans un murmure à la limite du silence. Le voyant de l'Apocalypse a entendu aussi la voix de Dieu qui disait : "Je me tiens à la porte et je frappe"... Je frappe à la porte et j'attends... "Si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte..." Et si on n'ouvre pas la porte, que se passe-t-il ? Dieu est amour et il peut souffrir de n'être pas aimé.

C'est quoi la voix de Dieu ? Cela peut être aussi chaque fois qu'on se sent incliné à faire le bien, chaque fois que le bien se présente à nous : on peut le faire tout de suite ou lui tourner le dos. "Je me tiens à la porte et je frappe". La voix de Dieu peut se faire entendre comme un doux murmure, mais elle peut claquer aussi dans chacune de nos vies comme de violents coups de tonnerre... pour nous faire sortir de notre sommeil.

L'envoi de l'Esprit Saint permet à l'homme d'entrer personnellement dans la connaissance du mystère infini de la vie, de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus. C'est l'envoi de l'Esprit Saint qui encourage l'homme de l'intérieur pour le rendre capable d'oser l'amour chrétien. (Avec Pierre Ganne, Karl Rahner, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

19 mai 2013 - Pentecôte - Année C

Évangile selon saint Jean 14,15...26

C'est juste avant de mourir que Jésus a parlé ouvertement de l'Esprit Saint à ses apôtres. Jésus ne disait pas qu'il allait mourir, il disait : "Je vais vers le Père". Les apôtres croyaient très fort que Jésus venait de Dieu. Depuis trois ans, les apôtres vivaient dans la compagnie de Jésus, jour et nuit. Ils avaient vu des quantités de miracles opérés par Jésus, ils avaient entendu toutes ses paroles et tous ses discours qui leur parlaient au cœur bien plus que tous les discours de leurs rabbins. Et Jésus leur annonce maintenant qu'il va les quitter, qu'il va les laisser tomber pour ainsi dire, tout en leur disant qu'ils devront aller dans le monde entier pour dire à tous les hommes ce qu'ils ont vu et entendu de Jésus.

"Nous, les pauvres pêcheurs et artisans de Galilée et d'ailleurs, aller dans le monde entier ! On n'a pas fait d'études, on ne sait pas parler !" C'est vrai. Et depuis deux mille ans jusqu'à aujourd'hui, il y a des milliards d'hommes qui ont cru et qui croient toujours de toutes leurs forces que Jésus a apporté au monde la seule parole qui peut éclairer chaque homme dans toute son existence, pour lui faire comprendre quel est le sens de la vie d'un homme sur terre.

Quand Jésus annonce à ses apôtres qu'il va les quitter, les apôtres se sentent totalement démunis et incapables. Mais en même temps qu'il annonce son départ, Jésus leur promet qu'il sera toujours avec eux, invisiblement, et qu'un autre aussi sera avec eux : l'Esprit Saint, qui est invisible aussi, qui est Dieu et qui vient de Dieu, et qui peut parler tout bas dans le cœur des hommes pour leur faire comprendre ce que les apôtres pourront dire à haute voix de tout ce qu'ils savent de Jésus et de sa mission, et de Dieu, le Père invisible.

Le Seigneur Jésus met son Esprit à notre disposition pour que nous puissions dire les mots du Notre Père par exemple avec la même attitude filiale que lui, pour que nous puissions dire les mots du Notre Père en toute confiance, avec la certitude confiante que Dieu entend notre prière. La prière est une conversation. Alors je dois me présenter devant Dieu de telle sorte que je le laisse parler comme un interlocuteur très célèbre, qui me dépasse infiniment, et qui, cependant, condescend à se faire comprendre par moi.

Mais où peut-on entendre la voix de Dieu ? De deux manières. D'abord on trouve des quantités de paroles de Dieu dans les Écritures. Et il faut chercher celles qui nous concernent et qui nous parlent, à nous, aujourd'hui. Et la deuxième manière d'entendre la voix de Dieu, c'est celle que l'Esprit Saint peut faire entendre dans nos cœurs sans bruits de paroles.

C'est quoi l'amitié avec Dieu ? C'est prendre du temps en compagnie de Dieu. Nous devons apprendre à être heureux de prendre du temps avec Dieu. On passe du temps avec ses amis. Mais qui est Dieu ? Dans cette vie, on ne peut pas savoir qui est Dieu, on peut seulement savoir ce que Dieu n'est pas. Nous devons sans cesse essayer de nous affranchir des conceptions de Dieu qui sont infantiles. Dieu nous voit tels que nous sommes, et ils nous voit amoureusement. Et, sous-entendu, Dieu nous demande d'avoir le même regard que lui sur les autres : par exemple commencer à accepter que cette personne agaçante, stupide, arrogante, effrayante, est la bien-aimée de Dieu. Si nous pensons avoir fixé une fois pour toutes l'image de ces gens, nous nous trompons.

Comment faire pour prier Dieu en toute confiance ? Un Anglais du XIXe siècle, Newman, qui allait devenir un saint vénéré par l’Église, à une certaine période de sa jeunesse, était tout à fait déprimé, découragé, exténué. Il a alors composé une prière qui est bien connue et qui est toujours la bienvenue : "Conduis-moi, douce lumière, au milieu des ténèbres qui m'environnent. La nuit est noire et je suis loin de la maison. Conduis-moi, veille sur mes pas. Je ne demande pas à voir ce qui se passe au loin. Un seul pas suffit pour moi. Conduis-moi".

Sainte Thérèse de Lisieux est morte toute jeune, à vingt-quatre ans, dans un carmel. Parmi toutes les pensées qui lui venaient et qu'elle mettait par écrit, il y a ces lignes où elle retrouve les pensées de Newman dans sa dépression : "Nous qui courons dans la voie de l'amour, il ne faut jamais nous tourmenter de rien. Si je ne souffrais pas de minute en minute, il me serait impossible de garder la patience ; mais je ne vois que le moment présent, j'oublie le passé et je me garde bien d'envisager l'avenir. Si on se décourage, si parfois on désespère, c'est parce qu'on pense au passé et à l'avenir... Je ne me tourmente pas, je ne veux penser qu'au moment présent". (Avec Timothy Radcliffe, Newman, Thérèse de Lisieux, AvS).
 

TEMPS ORDINAIRE

 

19 juin 2011 - Fête de la Sainte Trinité - Année A

Évangile selon saint Jean 3,16-18

"Dieu a envoyé son Fils dans le monde". C'est qui "Dieu" dans ce passage de l'évangile ? C'est le Père, évidemment, puisqu'il a envoyé son Fils, son Fils unique. Le Père a envoyé son Fils dans le monde ; on pourrait dire : c'est Noël, c'est la naissance de Jésus. Le Père a donné son Fils au monde ; l’Écriture dit aussi qu'il a livré son Fils aux mains des pécheurs : on peut comprendre que c'est la Passion et la mort de Jésus. Et pourquoi tout ça ? La première ligne de l'évangile d'aujourd'hui le dit : c'est parce que Dieu aime le monde, il a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils.

En cette fête de la Trinité, notre évangile ne parle pas de l'Esprit Saint. C'est la deuxième lecture d'aujourd'hui qui parle de l'Esprit Saint. Cette deuxième lecture, c'est la conclusion de la deuxième lettre de saint Paul aux chrétiens de Corinthe, en Grèce : "La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu (le Père invisible), la communion de l'Esprit Saint". Toute la Trinité est là.

Les historiens, les exégètes, sont arrivés à déterminer que cette lettre a dû être écrite par saint Paul en l'an 55, donc une bonne vingtaine d'années après la mort de Jésus (et sa résurrection). Saint Paul, comme les douze apôtres de Jésus, était un juif. Pour tous les juifs, c'était une évidence qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, et pas trente-six dieux comme dans tous les peuples aux alentours d'Israël. Dieu s'était révélé à Israël pendant des siècles et des siècles comme un Dieu unique et tout-puissant, créateur des mondes, le monde visible et le monde invisible. Un Dieu unique et tout-puissant qui était à l'origine du peuple d'Israël, un Dieu unique et tout-puissant qui aimait fort Israël, Israël qui était comme son enfant, malgré tous ses péchés, tous ses écarts de conduite, toutes ses infidélités. Dieu est unique et tout-puissant, c'est une évidence pour tous les juifs croyants.

Alors Jésus arrive sur la scène du monde. Vers l'âge de trente ans, il commence un ministère de prédication accompagné de beaucoup de miracles. Très vite, au bout de deux ou trois ans, les chefs juifs veulent se débarrasser de Jésus parce qu'ils sont persuadés que Jésus, c'est une perversion de leur vraie religion du vrai Dieu unique et tout-puissant. Jésus meurt sur une croix, condamné comme un criminel. Mais à partir du troisième jour après sa mort, il se manifeste à ses apôtres, et aussi à un certain nombre de ses disciples, il se manifeste comme étant vivant par-delà la mort. Et alors les apôtres acquièrent la certitude que Jésus est vivant quelque part dans le monde invisible du Père, si proche du Père invisible qu'il devait être Dieu comme le Père.

Et l'Esprit Saint alors ? Avant de mourir Jésus avait annoncé à ses disciples qu'il leur enverrait son Esprit Saint comme quelqu'un qui le remplacerait auprès d'eux. Et l'Esprit Saint s'était manifesté aux apôtres le jour de la Pentecôte, cinquante jours après Pâques. Et donc les apôtres, les premiers chrétiens, qui croyaient toujours fermement qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, se retrouvaient avec trois "quelqu'un" en Dieu : le Père dont Jésus parlait toujours, le Seigneur Jésus qui avait quitté de monde pour aller auprès du Père et l'Esprit Saint qui avait été envoyé par Jésus. C'est plus tard que les chrétiens vont inventer le mot "Trinité" pour dire leur foi : Dieu est unique et il est en même temps trois personnes.

Et nous, chrétiens, quand nous prions Dieu, nous prions toujours Dieu Trinité. Même quand nous prions le Père, nous atteignons toute la Trinité, parce qu'il y a toujours communion, communication, entre le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Et c'est la même chose quand nous prions le Seigneur Jésus ou l'Esprit Saint, nous atteignons toujours toute la Trinité parce qu'il y a communion entre le Père, le Fils et l'Esprit Saint.

Dieu est communion. L'Esprit Saint éveille en nos cœurs, en nos intelligences, le désir de Dieu. Et le simple désir de Dieu est déjà prière. Tous nos désirs humains et tous les désirs de Dieu qui sont en nous sont des reflets du désir qui est en Dieu d'être notre Dieu. On peut prier Dieu avec des mots, on peut aussi le prier sans paroles. On peut dire avec des mots l'amour qu'on ressent, mais on peut également vivre dans l'amour sans paroles parce que tout ce qui doit être dit a été dit, ou bien parce que tout est si simple que plus rien ne doit être dit. La prière naît d'elle-même du fait qu'on est ensemble.

Un homme de notre temps qui a trois doctorats à son actif (lettres, sciences économiques et droit) raconte : "A 5-6 ans, je priais comme on respire, comme une source chante l'eau". Il le devait à sa famille, bien sûr, mais sans doute aussi à l'Esprit Saint qui agit souvent sans dire son nom. Le curé d'Ars disait : "Sans le Saint-Esprit, tout est froid". L'amour de Dieu est déversé dans nos cœurs par le Saint-Esprit : saint Paul parlait certainement d'expérience.

Nous ne pouvons rien comprendre à toute l'histoire du monde et à toute notre propre histoire en dehors de la profondeur de Dieu. Le fin fond de notre vérité est en Dieu. Le tout de l'homme n'est pas la vie végétative. Sans la profondeur de Dieu, les hommes restent d'affreux monstres non développés, comme disait le chrétien Bernanos, des moignons d'hommes. Nous sommes nés de la lumière et nous retournons à la lumière. (Avec Frère Roger, Jean Bancal, saint Jean-Marie Vianney, Boris Bobrinskoy, Georges Bernanos, AvS, HUvB).

 

15 juin 2014 - Fête de la Sainte Trinité - Année A

Évangile selon saint Jean 3,16-18

Cet évangile est la conclusion de l'entretien de Jésus avec Nicodème. Nicodème était un des notables juifs, un vrai pharisien. Il avait pris rendez-vous avec Jésus. Mais un rendez-vous dans la nuit noire. Pourquoi durant la nuit ? Parce qu'il ne voulait pas que ses collègues du sanhédrin sachent qu'il avait des sympathies pour Jésus. Un de ses collègues du sanhédrin avait les mêmes sentiments que lui sur Jésus, c'était Joseph d'Arimathie. Et les deux hommes s'étaient dit : "Gardons secrète notre manière de voir. Si les autres savent que nous sommes disciples de Jésus, ils nous tiendront à l'écart de leurs pensées et de leurs décisions".

Et Nicodème, dans cette nuit du rendez-vous, avait commencé par dire à Jésus : "Nous savons que tu es venu de la part de Dieu. Personne ne peut faire les miracles que tu fais si Dieu n'est pas avec lui". Et c'est alors que Jésus avait dit à Nicodème de l'Esprit Saint : "L'Esprit souffle où il veut", il arrive si on l’appelle et il passe. Seul celui qui est attentif peut le suivre. Le suivre, mais pour aller où ? Pour entrer dans la vie de Dieu. "Dieu (c'est-à-dire le Père invisible) a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique". Il a permis à son Fils unique d'aller dans le monde des hommes. Et ce Fils unique de Dieu, Jésus, est venu pour dire à toute l'humanité le chemin de Dieu, le chemin qui mène à Dieu.

Nicodème connaissait Jésus. Mais il voulait en savoir davantage. Il veut comprendre, il veut savoir qui est Dieu en vérité. Nicodème est sur ce point le modèle de tout chrétien. Nicodème est un bon pharisien, un vrai croyant, mais il voudrait en savoir davantage pour s'approcher encore plus de Dieu. Dieu ne nous devient accessible que s'il nous parle. Sinon, nous n'avons aucun accès à Dieu. Dieu, c'est l'Incommensurable qui nous dépasse tellement que nous ne pouvons mêmes pas être touchés par sa grandeur.

Nous sommes des humains, nous vivons dans un monde limité et fini, seul ce qui est dans notre monde, seul ce qui est limité nous interpelle. Nous ne sommes pas de plain-pied avec l'infini. L'infini est ce que nous ne pouvons pas nous représenter, c'est pourquoi il ne nous dit rien. Pour que l'infini nous dise quelque chose, il faut que l'Esprit Saint nous éveille à l'infini. L'Esprit Saint qui souffle où il veut, et son passage est un appel.

C'est l'occasion de relire cette belle prière attribuée à saint Grégoire de Nazianze qui vivait au IVe siècle dans la Turquie actuelle. Il était évêque de la ville de Nazianze. "Ô Toi, l'au-delà de tout, n'est-ce pas là tout ce qu'on peut dire de Toi ? Aucun mot ne t'exprime, tu dépasses toute intelligence. Tu es indicible, tu es inconnaissable. Tous les êtres te proclament : ceux qui parlent et ceux qui sont muets. Tous les êtres te rendent hommage : ceux qui pensent et ceux qui n'ont pas la pensée. Le désir universel est tendu vers Toi. Tout ce qui existe te prie. De tous les êtres, tu es la fin. Comment te nommerai-je, Toi le seul qu'on ne peut pas nommer ? Prends pitié, ô Toi, l'au-delà de tout. N'est-ce pas tout ce qu'on peut chanter de Toi ?"

Le danger le plus redoutable dans la religion, c'est d'infantiliser les données de notre foi. Une foi qui s'exprime de manière infantile ne peut pas faire le poids. Alors il y a aujourd’hui ceux qui pensent qu'il n'y a pas de Dieu et il y a ceux qui s'honorent d'en douter. Il y a ceux qui imaginent que l'absence de religion dans l'espace public est la condition nécessaire et suffisante du bonheur, alors que l'expérience le dément au moins par l'exemple de l'ancienne Russie soviétique.

L'humanité est bien plus qu’une espèce animale particulièrement dominatrice, parce que chacun y est unique aux yeux de Dieu et invité à entrer avec lui dans une relation singulière. Nicodème allait voir Jésus pour s'instruire des choses de Dieu. Chaque chrétien, et l’Église aussi, a encore et toujours beaucoup à apprendre. Le voyant de l'Apocalypse nous dit : "Écoutez ce que l'Esprit dit aux Églises". Quand on baptise un enfant, c'est comme si on déposait une graine dans les profondeurs de ce sol qu'il représente. Si plus tard cette graine n'est pas soignée, elle est susceptible de rester ainsi enfouie jusqu'à la fin de sa vie.

Innombrables sont les manières dont Dieu peut se rendre intelligible à nos yeux. Depuis deux mille ans, la diversité des expériences des mystiques n'est qu'un symbole de la diversité des formes de rencontres entre Dieu et le croyant, entre la grâce et la prière. L'important est que le croyant s'ouvre et se donne en toute humilité et abandon. (Avec saint Grégoire de Nazianze, Jean Duchesne, Georges Florovsky, AvS, HUvB).

 

11 juin 2017 - Fête de la Sainte Trinité - Année A

Évangile selon saint Jean 3,16-18

Cet évangile d'aujourd'hui se trouve à peu près à la fin de l'entretien de Jésus avec Nicodème, au chapitre troisième de l'évangile de saint Jean. Nicodème est un notable juif, du parti des pharisiens ; et par crainte des collègues de son parti, c'est en secret qu'il avait pris rendez-vous avec Jésus pour lui poser quelques questions. Plus tard, Nicodème eut le courage de prendre publiquement parti pour Jésus. Et finalement c'est lui qui, avec Joseph d'Arimathie, descendit Jésus de la croix pour l'ensevelir dignement. 

Ce Nicodème avait certainement senti que Jésus venait de Dieu et qu'il pouvait lui montrer le chemin de la vie. Ce notable juif attendait du Messie qu'il serait le libérateur de son peuple - comme le croyaient tous les Juifs de son temps -, qu'il chasserait les ennemis d'Israël, qu'il apporterait la paix, la justice, l'ordre. Et puis voilà que Jésus lui annonce qu'il sera suspendu sur une croix afin que tous ceux qui le regarderont trouvent la guérison  et la vie éternelle.

C'est alors qu'on arrive à notre évangile d’aujourd’hui : "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique..." Il a livré son Fils unique à la mort pour que les hommes soient sauvés, pour qu'ils trouvent le chemin du salut et rencontrent Dieu en vérité. Jésus dit au fond à Nicodème : La paix que tu désires, Dieu te la donnera par moi. Regarde la croix, tu verras alors combien Dieu t'a aimé. Regarde vers moi, crois-moi, fais-moi confiance, je ne suis pas venu pour juger les hommes mais pour les sauver... Jésus n'est pas venu pour nous reprocher le catalogue de nos fautes, mais pour nous en délivrer. Et Jésus nous invite à faire comme lui : ne pas juger, mais sauver. Et Jésus sait qu'il faut du temps pour en arriver là, en arriver à ne plus prendre ses décisions qu'en lui, à ne plus regarder que lui, à juger toutes choses avec lui.

Et c'est là qu'intervient l'Esprit Saint. L'Esprit Saint n'est pas quelque chose de vague qui accompagne l'homme sur son chemin et dont l'homme pourrait se saisir à certaines heures pour se procurer son aide. L'Esprit Saint habite l'homme, il peut lui suggérer les actes de l'Esprit, et l'homme est alors capable de faire les choses avec la force de Dieu. Dieu fait aux hommes le cadeau de son Esprit Saint pour que les hommes puissent penser et agir selon les vues de Dieu.

Le rôle du prophète est de transmettre une parole de Dieu qu'il a reçue par l'Esprit Saint. Quelques siècles avant le Christ, le prophète Amos a quitté sa campagne et ses vaches pour aller en ville, à Béthel. Et là, dans la ville, le prophète Amos doit annoncer de la part de Dieu, que le roi d'Israël va périr par l'épée et que le peuple d'Israël serait exilé et envoyé en captivité. Quand le prêtre de Béthel entend ce discours de malheur, il est fâché et il dit au prophète Amos : "Va-t-en, retourne dans ta campagne, et ne prophétise plus jamais dans notre bonne ville de Béthel". Alors le prophète explique au prêtre de Béthel ce qui lui est arrivé : "Je ne suis pas prophète; je gardais les vaches et je m'occupais de mes arbres fruitiers. Mais le Seigneur m'a pris de derrière le troupeau et il m'a dit : Va prophétiser à Béthel et lui annoncer tous les malheurs qui vont lui arriver. Et maintenant, toi, le prêtre de Béthel qui veux m'interdire de parler au nom de Dieu, il va aussi t'arriver des malheurs, à toi et à toute ta famille ; et puis Israël sera déporté loin de sa terre". Quelques siècles avant le Christ, le prophète avait reçu par l'Esprit Saint une parole de Dieu pour son peuple.

L'Esprit Saint ne fait pas de bruit habituellement. Il agit dans le secret. Et il nous est simplement demandé d'ouvrir les oreilles de notre cœur pour l'entendre. Saint Justin, un philosophe devenu chrétien du IIe siècle, qui devait mourir martyr, conseille au Juif Tryphon, qui n'était pas encore chrétien : "Avant tout, prie pour que les portes de la lumière te soient ouvertes !" On peut comprendre : "Avant tout, prie pour que tu puisses entendre la voix de l'Esprit Saint, pour que tu puisses comprendre les suggestions secrètes de l'Esprit Saint". Il y a des paroles et des pensées qui peuvent venir de l'Esprit Saint, mais il y a aussi des paroles qui sont des péchés contre l'Esprit, par exemple la parole de mensonge qui vise à dominer, à manipuler, à tuer...

"Dieu a envoyé son Fils dans le monde (et sur la croix) non pas pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé". Dieu n'a besoin de condamner personne. Celui qui ne veut pas de Dieu se condamne lui-même. Celui qui refuse Dieu, un feu le dévore, un feu qui est en lui-même. Le sacrement est la garantie que la grâce du Christ est toujours à la disposition de l'homme, dans le sacrement du pardon comme dans le sacrement de l'eucharistie, où l'on dit toujours au Seigneur Jésus : "Que jamais je ne sois séparé de toi". (Avec Cardinal Schönborn, Abraham Heschel, saint Justin, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

7 juin 2009 - Fête de la Sainte Trinité - B

Évangile selon saint Matthieu 28, 16-20

Cet évangile, ce sont les toutes dernières lignes de l'évangile de saint Matthieu. Jésus ressuscité se présente ici comme le Roi Messie qui dispose du pouvoir divin : "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre". Jésus n'est pas seulement le Messie d'Israël, sa royauté est universelle, elle s'étend à toutes les nations : "De toutes les nations faites des disciples".

Mais Jésus ne s'impose pas de lui-même à toutes les nations. C'est à ses disciples qu'il confie la mission de le faire connaître. C'est une tâche gigantesque qui dépasse de beaucoup les possibilités humaines de ces quelques hommes. Alors Jésus ajoute (c'est son dernier mot) : "Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde".

Ce qu'on retient surtout de cet évangile en cette fête de la Sainte Trinité, c'est la mission confiée aux apôtres de baptiser tous les hommes au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Pourquoi au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ? Saint Paul nous le dit : c'est parce que nous sommes invités à entrer dans la vie même de Dieu ; tous les hommes sont invités à vivre en communion avec Dieu. Et l'amour des croyants pour Dieu, l'amour des chrétiens pour Dieu Trinité les pousse à porter sa vérité aux non-croyants.

Si quelqu'un se trouve à la place où Dieu veut qu'il soit, alors il est sûr de lui... Sûr d'une certitude que Dieu lui donne, une certitude qui n'est pas concevable humainement. C'est une certitude qui porte en elle le mouvement de la réponse : le oui à la volonté de Dieu et l'engagement sur le chemin préparé par Dieu. Douze hommes pour évangéliser le monde entier, ce n'est pas raisonnable, ça dépasse les forces humaines. C'est pour cela que Jésus ajoute : "Je serai avec vous tous les jours". Et les disciples de Jésus doivent aussi être avec lui tous les jours... Être avec lui tous les jours aussi pendant un certain temps dans la prière. Sinon ils ne vont plus entendre la voix et les désirs de Dieu, ils ne feront plus que ce qu'ils désirent eux-mêmes.

Mère Teresa disait : "Si le Seigneur veut que nous réalisions quelque chose, il ne manquera pas de nous donner les moyens de l'accomplir. S'il ne nous les donne pas, cela indique que notre projet n'est pas conforme à sa volonté. En ce cas, nous y renonçons". En disant cela, Mère Teresa nous apprend beaucoup de choses. Si quelque chose vient de Dieu, cela se fera. Si Dieu ne nous donne pas les moyens de réaliser quelque chose, cela veut dire que notre projet n'est pas conforme à sa volonté. Mère Teresa (avec toute la tradition d'ailleurs) nous fait comprendre ici en profondeur l'évangile et le dessein de Dieu sur le monde et sur chacune de nos vies.

Pourquoi baptiser tous les hommes au nom de Dieu Trinité ? Parce que Jésus est venu nous dire le chemin, le chemin vers Dieu. Et en nous disant le chemin vers Dieu, Jésus a révélé aussi au monde le mystère de l'homme. Mais il y a toujours deux grandes familles d'esprit qui s'affrontent. Il y a ceux qui pensent que l'homme n'est vraiment lui-même que par la foi en Dieu, que dans la reconnaissance de Dieu. Et d'autre part ceux qui pensent qu'on ne peut être homme en vérité que si on refuse l'idée de Dieu. Le fond même de l'athéisme est d'affirmer que l'homme ne devient adulte que le jour où il assume tout seul son avenir et le jour où il ne se tourne plus désormais vers un autre, vers Dieu, pour en attendre secours et aide. Cet argument des sans-Dieu est corrosif : pour être adulte, il faut se passer de Dieu.

Pour nous, chrétiens, c'est le contraire qui est vrai : on ne peut pas comprendre le mystère de l'homme en dehors du mystère de Dieu. Comme le disent tous les vrais théologiens et les vrais croyants de notre temps : "Nous respectons les athées, nous respectons les sans-Dieu, mais pour nous l'athéisme nous apparaît comme une mutilation de l'homme". Tout le problème alors est sans cesse pour nous chrétiens de nous assurer de la solidité de nos bases.

La révélation que Dieu a faite de lui-même est infiniment complexe, ce qui est compréhensible si Dieu, c'est l'Infini. C'est infiniment complexe, mais les plus petits y ont accès, et les plus grands aussi peuvent s'y sentir à l'aise. Dieu veut être aussi bien un Dieu proche qu'un Dieu lointain. Il est proche : "Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde". Il est lointain pour ceux que l'orgueil ou le scepticisme tiennent loin de lui. Il est proche pour les humbles, pour ceux qui sont prêts à l'entendre.

Dieu nous a créés de telle sorte que pour être nous-mêmes nous devons entendre la Parole de Dieu. Il nous en a donné le pouvoir et aussi le devoir. Avec la foi, Dieu nous a donné le pouvoir d'entendre, et toutes nos petites excuses n'y changent rien. La table de la foi demeure toujours garnie, que l'invité se présente ou se dérobe sous mille prétextes et excuses. (Avec Mère Teresa, Jean Daniélou, AvS, HUvB).

 

3 juin 2012 - Fête de la Sainte Trinité - Année B

Évangile selon saint Matthieu 28,16-20

Cet évangile que je viens de lire, ce sont les dernières lignes de l'évangile de saint Matthieu. C'est une dernière apparition de Jésus à ses apôtres après sa résurrection. Ce sont ses adieux : il envoie ses apôtres en mission jusqu'au bout du monde et jusqu'à la fin des temps : baptiser le monde entier ; mais pas seulement baptiser : apprendre aussi au monde entier à garder les commandements. C'est une mission impossible. Alors Jésus ajoute : "Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde". Et quand on baptise quelqu'un, on ne doit pas le baptiser au nom de Jésus, on doit le baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

L'une des missions de Jésus a été de révéler au monde, et d'abord au peuple d'Israël, que Dieu n'était pas un monarque tout-puissant, qui trônait en solitaire dans son ciel inaccessible. L'une des missions de Jésus a été de révéler au monde un aspect des mystères de Dieu.

Jésus le révèle par exemple dans sa manière de prier Dieu. Sur la croix, Jésus a prié comme ceci : "Père, en tes mains, je remets mon Esprit". Qu'est-ce que c'est cette prière ? C'est une parole d'amour. C'est une prière qui dit : Mon Père, je m'abandonne à toi. C'est une prière qui peut nous être utile une fois ou l'autre dans la vie, en certaines grandes circonstances, et certainement aussi dans la perspective du grand passage : "Mon Père, je m'abandonne à toi". C'est la prière de Jésus sur la croix, c'est une parole d'amour. Jésus nous apprend à prier le Père comme lui-même le faisait.

Saint Paul avait été converti par le Seigneur Jésus lui-même qui s'était mis en travers de sa route sur le chemin, près de Damas. A ce moment-là, et par la suite encore, saint Paul avait été comblé de toute la plénitude de Dieu. Et saint Paul a été envoyé en mission dans le monde entier. Et que dit-il ? Il dit par exemple : "Je fléchis les genoux devant le Père. Qu'il daigne vous armer de puissance par son Esprit. Qu'il fasse habiter le Christ dans vos cœurs par la foi. Et alors vous aurez la force de comprendre ce qu'est la longueur et la largeur, la hauteur et la profondeur. Vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance. Et vous serez comblés de toute la plénitude de Dieu".

Saint Paul a été converti par le Seigneur Jésus et le Seigneur Jésus l'a mis en relation avec l'Esprit Saint et avec le Père. Saint Paul sait que les nouveaux chrétiens ont soif de connaissance. Alors il leur ouvre tous les espaces. Ils doivent apprendre à connaître Dieu dans l'infini de son amour. Ils ne doivent pas se contenter d'une idée vague et superficielle, ils doivent continuer à chercher avec persévérance, à élargir leur connaissance, à progresser vers l'infini. C'est l'Esprit Saint qui nous pousse pour ainsi dire du dedans à la rencontre de Dieu. Au plus profond de nous-mêmes l'Esprit ne cesse de nous aimanter vers le vrai qui est notre bien.

Dans livre-dialogue avec un philosophe non croyant, le cardinal Barbarin indique à un certain moment le but du christianisme selon lui. C'est quoi le but du christianisme ? "Que l'amour de Dieu, l'amour d'un Père, atteigne enfin le cœur de tous ses enfants : voilà le but du christianisme"... Proclamez partout la Bonne Nouvelle, disait Jésus.

Un philosophe de notre temps, tout à fait croyant, lui, explique quand même les difficultés de la tâche. Voici ce qu'il dit : "Pour ce qui concerne la France, le vrai problème, c'est que la plupart des gens qui se disent sans Dieu, en réalité croient en quelque chose, et que tous ces athées sont d'une crédulité extrême face à des choses ridicules : le bio, le techno, le loto, la nouvelle star ou la nouvelle Mercedes, le travail où l'on se réalise, ou l'orgasme qui vous emporte au septième ciel. Comment essayer de révéler à ces gens sans Dieu (à ces athées) ce qu'ils cherchent de façon si déviée à travers ces contrefaçons ?"

"De toutes les nations, faites des disciples", nous dit Jésus aujourd'hui dans l'évangile. Le Dieu d'Israël et le Seigneur de l’Église s'attribuent d'emblée droit et puissance sur l'Histoire tout entière. Mille huit cents ans avant le Christ, il est promis à Abraham que tous les peuples seraient bénis en lui. Cinq siècles avant le Christ, il est promis au second Isaïe que Jérusalem serait le centre de tous les royaumes de la terre. Et Jésus impose à ses apôtres et à tous les chrétiens une mission qui concerne tout l'humanité : "De toutes les nations, faites des disciples. Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit". (Avec Louis Bouyer, Cardinal Barbarin, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

31 mai 2015 - Fête de la Sainte Trinité - Année B

Évangile selon saint Matthieu 28,16-20

Cet évangile, ce sont les dernières lignes de l'évangile de saint Matthieu : des paroles d'adieu de Jésus à ses disciples et ses dernières consignes. "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre". Et parce qu'il a ce pouvoir, il l'utilise maintenant pour envoyer ses disciples dans le monde entier avec sa puissance. Il donne à ses disciples une mission qui sert à glorifier le Père. Ils doivent aller dans tous les peuples et dans toutes les directions, parce que tous les peuples et toutes les régions du monde appartiennent déjà au Fils. Les disciples devront marcher avec la force céleste du Fils qui les accompagne pour faire des hommes, dès ici-bas, des citoyens du ciel.

La mission des disciples est illimité dans l'espace et dans le temps. Les peuples doivent retourner à Dieu, non pas tels qu'ils étaient, mais marqués par l'Esprit Saint qui en fait des  disciples du Fils. Jésus envoie ses disciples avec quelque chose de sa puissance. Celui qui a donné au Fils sa puissance, c'est le Père. Le Père n'est pas devenu homme, mais il attend des hommes qu'ils reviennent à lui avec le Fils.

Durant sa vie ici-bas, Jésus n'a eu au fond que peu de disciples, il n'a rencontré personnellement que relativement peu de personnes. Maintenant ce cercle de rencontres est étendu à l'infini : tous les peuples doivent devenir disciples. Ailleurs dans l'évangile, le Seigneur Jésus ressuscité dit à l'apôtre Pierre : "Pais mes agneaux, sois le pasteur de mes brebis". Pierre doit leur donner l'intelligence du Christ, les ramener dans son royaume.

Et il est où ce royaume ? Le royaume, c'est que la résurrection est possible puisque le Christ est ressuscité : c'est là un fait que les premiers témoins vont attester jusqu'au supplice. La résurrection du Christ est le modèle de que sera notre propre résurrection. Le Christ apparaît et disparaît sans tenir compte des lois de notre monde habituel. Il entre dans une maison dont toutes les portes sont fermées.

A la résurrection, il n'est pas question non plus de se marier. Saint Paul parle d'un corps glorieux, mais il est impossible de nous représenter ce que peut être un corps glorieux. La résurrection n'est pas la répétition du monde que nous connaissons, c'est une transformation, c'est un renouvellement, c'est une création. Ce qui est certain, c'est que le corps physique, biologique, n'est pas constitué pour durer éternellement. La résurrection sera une véritable création, l'ultime étape au fond de la création, son achèvement.

Et c'est en Israël qu'a été commencée cette transformation radicale de l'homme. C'est là que Dieu consent à établir des relations personnelles entre lui et les hommes. Cela commence avec Abraham, mille huit-cents ans avant le Christ. Israël, c'est d'abord un peuple que Dieu s'est préparé pour s'y faire connaître. Et maintenant le Seigneur Jésus donne à ses disciples comme consigne : "De toutes les nations faites des disciples".

Dans l'Ancien Testament, les hommes de Dieu, les prophètes, ont dû lutter constamment contre la grande tentation d'Israël, qui était de retourner aux faux dieux, aux idoles des religions primitives d'où était issu Abraham. Et les faux dieux, il y en a encore et toujours aujourd'hui. L'athéisme est une religion comme une autre, une fausse religion, même si elle s'ignore. Les agnostiques, eux, qui se proclament sans certitude, les agnostiques eux-mêmes ne sont pas délivrés de la croyance parce qu'ils ont au moins foi en leur choix agnostique : "On ne sait pas, disent-ils. On n'est ni pour ni contre". Ils ont au moins cette croyance-là.

En fait l'Esprit de Dieu parle dans le livre du monde comme dans le livre des Écritures. Et le livre du monde, ce sont aussi toutes les productions de l'esprit humain, même celles qui s'opposent à Dieu. Même dans ces productions, il y a une recherche de Dieu, une recherche de Dieu à tâtons, à l'aveuglette. Et la tâche des chrétiens est d'essayer de discerner le vrai du faux, de discerner les appels de Dieu et les appels d'en-bas, les refus de Dieu.

On ne peut pas aimer Dieu de tout son cœur sans l'aimer aussi avec toute son intelligence. L'homme n'est pas moins raisonnable quand il se met à croire ; au contraire, il en devient plus intelligent. Saint Augustin disait : "Il faut chercher Dieu pour le trouver, parce qu'il est caché. Et quand on l'a trouvé, il faut le chercher encore parce qu'il est infini".... On ne peut pas aimer Dieu de tout son cœur sans l'aimer aussi avec toute son intelligence. Quand on aime quelqu'un, on cherche à le connaître davantage. Quand on aime quelqu'un, on lui parle. Et parler à Dieu, c'est ça la prière, parler à Dieu avec le cœur. 

Dieu demeure toujours l'Insaisissable. Comme Jésus déjà après sa résurrection. A Marie-Madeleine, le matin de Pâques, il dit : "Ne me retiens pas ainsi". A Thomas qui palpe ses plaies, il dit : "Heureux ceux qui ne voient pas et croient sans avoir vu". Autrement dit : ma vie terrestre est terminée. Vous ne pouvez plus avoir avec moi les mêmes relations qu'autrefois. "Mais je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde". (Avec Vladimir Zelenskij, Claude Tresmontant, Jean-Claude Guillebaud, Albert Chapelle, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

30 mai 2010 – Fête de la Sainte Trinité - Année C

Evangile selon saint Jean 16, 12-15

Ces quelques lignes que je viens de lire font partie du discours d'adieu de Jésus qui se trouve dans l'évangile de saint Jean. Jésus évoque l'Esprit Saint, l'Esprit de vérité, comme il dit. Et il évoque aussi le Père. Jésus va vers le Père. L'Esprit Saint vient du Père. Il vient vers les disciples pour les introduire dans la vérité tout entière. L'Esprit Saint doit donc continuer de que Jésus avait commencé : révéler aux hommes le mystère de Dieu.

Un saint de l’Église d'Orient disait à un enfant : "Si tu pouvais jouer avec le Seigneur, ce serait la chose la plus énorme qu'on eût jamais faite. Tout le monde le prend tellement au sérieux qu'on le rend mortellement ennuyeux. Joue avec Dieu, mon fils. Il est le suprême compagnon de jeu".

Nous devons constamment purifier l'idée que nous nous faisons de Dieu, de son visage, de sa vérité mystérieuse. Aucune description de l'ami ne peut le faire connaître si celui à qui on le décrit n'a pas l'amour. Celui qui n'est pas chrétien ne voit dans la vie chrétienne qu'une perte de temps. Et avec raison, parce qu'il considère le temps du monde comme la durée véritable et essentielle. Le chrétien, par contre, ne voit dans le temps présent qu'un emprunt fait à l'éternité. Tout ce qui est essentiel est caché dans ce qui est au-dessus du temps.

Nos Pères dans la foi disaient : "Dieu ne peut forcer personne à l'aimer". Et nos Pères dans la foi ajoutaient : "Dieu ne persuade ni par la puissance, ni par la force, mais par son Esprit". Mais comment faire pour que vienne l'Esprit ? L'un de nos Pères dans la foi, encore, disait : "Avant toute lecture de l'Écriture, prie et supplie Dieu pour qu'il se révèle à toi". Si nous lisons l'Écriture dans nos assemblées du dimanche ou dans nos pratiques personnelles, c'est pour être en communion avec Dieu. Le chant dans nos assemblées (si les chants sont valables) peut aussi être un moment particulier de communion avec Dieu. "Une prière chantée ensemble donne de laisser monter en soi le désir de Dieu".

On peut deviner le travail formidable que le Seigneur Jésus a laissé à l'Esprit Saint. Sa propre vie a été un échec. Tout est à reconstruire de fond en comble. Il faut consolider la foi, l'espérance, la charité. Il faut donner sa force à la vie chrétienne. Et pour rendre cela possible, il faut créer une structure qui s'appelle l’Église, une structure qui est en partie visible et en partie cachée. Et avec l’Église, il y a tout ce qui lui appartient : son péché, l'Écriture, la Tradition, le ministère et surtout peut-être l'enseignement de la vérité du Seigneur Jésus par l'imagination infinie de l'Esprit, l'Esprit qui révèle aussi le Père par la sainteté des croyants et la théologie. Le Fils et l'Esprit Saint agissent toujours ensemble. Ils sont avec nous jusqu'à la fin du monde. A la Pentecôte, c'est comme si la révélation du Père et son amour commençait réellement pour de bon. (Avec Paul Evdokimov, saint Ephrem, Frère Roger, AvS, HUvB).

 

26 mai 2013 - Fête de la Sainte Trinité - Année C

Évangile selon saint Jean 16,12-15

L'une des missions du Seigneur Jésus a été de révéler au monde la plénitude du mystère de Dieu. Toute la révélation de l'Ancien Testament, d'Abraham au Christ, donc pendant quelque 1800 ans, a été consacrée au Dieu unique. Pendant tous ces siècles, la grande tentation du peuple d'Israël a toujours été de revenir au culte des idoles, au culte des faux dieux, tel qu'il était toujours pratiqué dans tous les peuples qui entouraient Israël, y compris chez les Grecs et les Romains.

Mais la foi juive authentique était une foi au Dieu unique, créateur de l'univers, au Dieu tout-puissant qui avait choisi le peuple d'Israël pour en faire le dépositaire unique de sa révélation. Et voilà que Jésus, en très peu de temps, deux ou trois ans, apporte à l'humanité une nouvelle révélation de Dieu : Dieu unique toujours, mais en qui il y a de l'amour qui circule, un amour infini entre le Père invisible, le Fils qui a vécu dans le monde pendant quelque trente ans, et l'Esprit Saint qui est invisible aussi, comme le Père, et qui est toujours à l’œuvre dans le monde.

Et Jésus, qui a vécu sur terre une bonne trentaine d'années, est retourné, après sa mort sur la croix, dans le monde invisible du Père et de l'Esprit. Et lui aussi, le Fils, est toujours à l’œuvre dans le monde, comme l'Esprit Saint, invisiblement. Et ce Dieu invisible, qui a d'abord choisi le peuple d'Israël pour en faire le dépositaire de sa révélation, c'est-à-dire de ses secrets, de ses mystères, ce même Dieu se révèle aussi comme le Seigneur de toute l'humanité, de tous les humains, depuis les premiers hommes au fin fond des âges jusqu'au dernier qui vivra à la fin du monde : soixante-dix milliards jusqu'à aujourd'hui, nous disent les historiens ; et il y en a un qui ajoute : Dieu, c'est la démesure.

Et alors tout geste d'amour humain est toujours, aux yeux de Dieu, un début d'amour divin, même si ce geste d'amour se fait en dehors de l’Église. Dans ce cas, pour Dieu, le geste d'amour humain s'adresse toujours à un Seigneur que l'on pressent mais que l'on n'a pas encore rencontré.

"Nous, chrétiens, nous n'avons rien à demander, rien à imposer, mais nous devons témoigner que la vie a un sens, qu'elle est immense, qu'elle s'en va vers l'éternité". C'est un évêque de notre temps qui disait cela, une espèce de prophète en son genre, un évêque de l’Église d'Orient : il redisait à sa manière le caractère universel du message chrétien. Et dans notre Église catholique, avec Vatican II et avec le pape Jean-Paul II, nous retrouvons la même certitude : "Le Christ est uni à chaque humain sans exception, même s'il n'en est pas conscient. Des multitudes d'êtres humains ignorent tout de Dieu, jusqu'à son nom. Mais Dieu, lui, est en communion avec chacun".

Le credo, le "Je crois en Dieu", est un résumé de notre foi chrétienne. Et ce credo est une histoire d'amour dans laquelle nous vouons notre vie à Dieu. Le credo affirme que l'histoire humaine est une histoire d'amour, qui nous mène de la création de toute chose par Dieu le tout-puissant, au pardon des péchés, à la résurrection des morts et à la vie éternelle.

C'est quoi devenir chrétien ? C'est petit à petit chercher notre sécurité en Dieu, dans le Seigneur Jésus, dans l'Esprit Saint. C'est petit à petit découvrir l'amour que Dieu a pour nous... au-delà de l'amour de ses parents quand on est enfant, au-delà de l'amour de son mari ou de sa femme si on est marié, dans la solitude si on vit sans mari et sans femme... Devenir chrétien, c'est découvrir petit à petit l'amour que Dieu a pour nous quel que soit notre âge et quelle que soit notre situation dans la vie. Jean-Paul II disait : "Personne ne peut vivre sans amour".

"Évidemment, pour beaucoup de gens, Dieu est invraisemblable, c'est une affaire entendue. Mais l'absence de Dieu est plus invraisemblable encore". C'est quelqu'un qui se présentait comme agnostique qui écrivait ces lignes. Mais on devine quand même qu'au fond il était croyant. Il a écrit un livre auquel il a donné pour titre : "C'est une chose étrange à la fin que le monde". On peut trouver aussi que ce titre est étrange ! Mais peu importe et, pour cet auteur, Dieu est invraisemblable, c'est une affaire entendue, mais l'absence de Dieu est encore plus invraisemblable. Qu'est-ce que cela veut dire enfin, sinon qu'il était croyant tout en affirmant qu'il était agnostique, peut-être pour mieux faire passer son message de croyant : "C'est une chose étrange à la fin que le monde !"

Dimanche dernier, nous célébrions la fête de la Pentecôte, aujourd'hui nous célébrons la fête de la Sainte Trinité. Jésus, le Fils de Dieu, envoie son Esprit Saint sur ses disciples au moment où il retourne vers son Père. Et le rôle de l'Esprit Saint est d'expliquer Jésus aux disciples parce que, si Jésus a expliqué le Père invisible, il ne s'est pas expliqué totalement lui-même. Il nous a donc donné son Esprit pour que nous entrions dans la vérité tout entière. (Avec Pierre Chaunu, Patriarche Athénagoras, Jean-Paul II, Vatican II, Frère Roger, Timothy Radcliffe, Françoise Dolto, Jean d'Ormesson, AvS, HUvB).
 

22 mai 2016 - Fête de la Sainte Trinité - Année C

Évangile selon saint Jean 16,12-15

Nous sommes dans le Discours de Jésus après la Cène, au chapitre seizième de saint Jean. Jésus parle de l'Esprit Saint : l'Esprit Saint qui est le lien entre le Seigneur Jésus, le Père et les disciples. L'Esprit Saint va expliquer aux disciples tout ce que le Seigneur Jésus n'exprime pas pour le moment : "J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter".

C'est l'Esprit Saint qui doit nous introduire dans la vérité tout entière. Il ne parlera pas de lui-même, il parlera plutôt à partir du Père et du Fils. Il sera comme un médiateur entre le ciel et la terre, il sera comme un médiateur comme il l'a été quand il a été envoyé par le Père pour former le Fils dans le sein de sa Mère, Marie. C'est lui, l'Esprit Saint, qui a déposé en elle l'origine du corps du Fils. L'Esprit Saint se trouve donc à l'origine du mystère le plus intime entre Marie et son Fils. C'est lui, l'Esprit, qui a amené la Mère et le Fils l'un à l'autre.

Mais tant que Jésus était ici-bas, il n'a guère parlé de sa relation avec sa Mère : ce n'est pas un sujet qu'il aurait pu exposer sur les places publiques. Cette intimité entre lui et sa Mère, il l'a gardée pour lui. Il était impensable qu'il ait choisi pour sujet de sa prédication les mystères de sa Mère virginale. La Vierge devient Mère en devenant l'épouse de l'Esprit Saint. C'est infiniment mystérieux et Jésus ne peut pas en parler. Mais, à cause de l'amour, il faut que tout ce qu'il possède de richesses intérieures soit un jour révélé et rendu public. Tout ce qui lui appartient doit dorénavant appartenir à tous. Et ce sera la tâche de l'Esprit Saint de révéler cette plénitude.

Le Seigneur Jésus ne peut pas parler de ces choses pour le moment parce que ses disciples ne le supporteraient pas. Plus que le Fils, c'est l'Esprit Saint qui va révéler les mystères de Marie, c'est l'Esprit Saint qui sera l'initiateur de la mariologie dans l’Église, c'est lui qui incitera l’Église à vénérer Marie. C'est ainsi que l'Esprit Saint dévoilera les choses à venir, il procurera ainsi à la foi une nourriture toujours nouvelle. A Lourdes en 1858, Marie apparaît à Bernadette, mais Lourdes, depuis ce temps-là, c'est une énorme présence d' Esprit Saint, de lien entre le ciel et la terre.

A quoi sert la foi chrétienne ? La foi chrétienne ne peut être utile à aucune époque, ni par conséquent à la nôtre, si la foi chrétienne ne lui apporte pas ce qu'elle seule peut lui apporter, c'est-à-dire le lien avec la source infinie de puissance de Dieu devenu homme, lui-même en communion avec le Père et l'Esprit Saint. Ce n'est pas du tout par besoin que Dieu a amené ses créatures à l'existence, c'est pour que ses créatures soient heureuses d'avoir part à sa vie et pour se réjouir Lui-même de la joie de ses créatures quand elles puisent inépuisablement à Lui qui est l'Inépuisable. Jamais nous n'aurions pu parvenir jusqu'à la vie intérieure de Dieu s'il n'avait voulu nous l'ouvrir par sa Parole et par son Esprit Saint, pour autant qu'il veut nous y introduire et nous y associer. Le Seigneur Jésus veut nous introduire dans la lumière de la foi et de la paix. Jésus invite celui qui lui fait confiance à voir toute chose à la lumière de Dieu.

Et aujourd'hui, depuis des dizaines d'années et même depuis quelques siècles, des gens qui se pensent et se disent éclairés font tout ce qu'ils peuvent pour chasser de l'esprit des hommes l'idée de Dieu. Un romancier avait inventé la pilule du bonheur. Et elle servait à quoi la pilule du bonheur ?  C'était un vaccin contre les préoccupations de l'au-delà. Pour apporter à l'homme la paix de l'âme et l'harmonie, il faut chasser de lui le tourment qui est constamment alimenté par la religion. D'où l'idée de cette pilule du bonheur qui allait débarrasser l'homme de la surcharge épuisante de la religion.

C'est un autre romancier qui raconte l'histoire d'un homme qui se sent mal. Il va trouver son médecin. Et que lui dit son médecin ? "C'est très grave, il vous est venu une âme. C'est incurable à moins que... On pourrait peut-être opérer". Le malade pose alors la question à son médecin : "Mais qu'est-ce que c'est qu'une âme ? Que m'est-il arrivé ?" - "On ne sait pas, dit le médecin. C'est comme les omoplates : autrefois des ailes y étaient attachées, mais des ailes, on n'en a plus besoin, pas davantage que d'une âme, vous comprenez ?" Et le médecin regarde bizarrement son malade : "Vous êtes sûr que vous n'avez contaminé personne ? C'est que ça peut être contagieux". "Ah !, dit le malade, comme cette âme est douloureuse! Je suis malade. Je vais obéir scrupuleusement à vos prescriptions : il faut absolument éliminer la religion pour être heureux. Il faut arriver à s'en passer". La vraie croyante qui raconte ces histoires est professeur d'Université et membre de l'Institut de France.

Nous célébrons aujourd'hui la fête de la Sainte Trinité : le mystère du Père et de l'Esprit Saint, que le Seigneur Jésus a révélé à toute l'humanité. Dieu Trinité est vie éternelle, échange éternel dans l'amour. On ne va jamais comprendre ici-bas. Mais c'est toujours par le Fils et dans l'Esprit que le monde est en mouvement vers l'éternel mouvement de Dieu. (Avec Dumitru Staniloae, saint Maxime le confesseur, Louis Bouyer, Michel Cool, Chantal Delsol, AvS, HUvB).

 

26 juin 2011 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année A

Évangile selon saint Jean 6,51-58

Jésus se présente aujourd'hui comme le pain vivant qui peut satisfaire toutes les faims. Il est la manne véritable que Dieu donne à l'humanité pour sa marche à travers le désert, le désert de ce monde, le désert de nos existences. Toutes les nourritures terrestres ne peuvent jamais satisfaire pleinement le cœur humain.

Le passage de l'évangile que je viens de lire est extrait du chapitre sixième de l'évangile de saint Jean. Tout ce chapitre est un long discours de Jésus après le récit de la multiplication des pains. Quand saint Jean écrit son évangile, vers la fin du premier siècle, la pratique de l'eucharistie était bien établie dans l’Église et c'est à la lumière de cette pratique que saint Jean comprend les paroles de Jésus.

Ce que saint Jean a compris du mystère de Jésus, c'est que la volonté de Jésus était que ses disciples aient la vie, et qu'ils l'aient en plénitude. En plénitude, c'est-à-dire un jour... éternellement. "Je suis le pain vivant descendu du ciel", dit Jésus. Et il veut entraîner vers le Père, vers le Dieu invisible, tous les hommes qui s'attachent à lui, qui croient en lui, qui sont en communion avec lui. Jésus, qui vient du Père, veut entraîner tous les hommes avec lui dans son retour au Père.

Toute existence humaine est comme une longue marche à travers le désert, comme celle des Hébreux autrefois pendant quarante ans. C'est long quarante ans ! Et dans le désert on connaît des périodes où l'on sent la pauvreté et la soif et la faim. Et pas seulement des périodes peut-être, mais tous les jours pendant quarante ans. Même quand on est tout petit, on apprend qu'on doit renoncer à certaines choses. On ne peut pas toujours avoir tout, et tout de suite. On fait déjà l'expérience du désert. La tentation, c'est toujours vouloir avoir tout, tout de suite. La marche dans le désert, c'est une épreuve.

Et dans le désert, même quand on a déjà entendu parler de Dieu, on peut être tenté - on va sûrement être tenté un jour -, d'aller chercher ailleurs des nourritures terrestres. Mais un jour ou l'autre - ça peut être très tôt, ça peut être très tard -, on est contraint de se jeter dans les bras de la grâce de Dieu et de lui confier ses affaires. Il y a des gens qui, pendant très longtemps, ne veulent pas se jeter dans les bras de la grâce alors qu'ils sont dans le désert comme tout le monde.

Il y a des gens qui se prétendent athées ou agnostiques, sans Dieu, mais ils consultent les voyantes et les tireuses de cartes et les horoscopes, ils font des courbettes devant la réincarnation, ils sont prêts à accueillir un tas de choses farfelues pourvu que ce ne soit pas le Dieu révélé par le Seigneur Jésus... Des balivernes délirantes paraissent intelligentes parce que, avant tout, elles apportent une satisfaction rapide... La bêtise, c'est ce qui marche... La bêtise prospère... Une fois pour toutes elle a déclaré qu'elle était intelligente et que la foi, c'est de la bêtise. (Je puise ces pensées et ces mots chez un homme qui arrive à la fin de sa carrière. Il a dû fuir la Russie avec ses parents au début du bolchevisme. Il a fait toutes ses études à Paris et dans la région parisienne. Il est devenu prêtre orthodoxe; puis il a été appelé à New York pour devenir professeur dans un séminaire orthodoxe. Il en est ensuite devenu le doyen. Pendant de longues années il a tenu un journal qu'on a découvert après sa mort dans un tiroir de son bureau. C'est un homme qui avait beaucoup de relations, également avec un homme comme Soljenitsyne. Et son journal est rempli de réflexions touchant la foi et l'absence de foi, des réflexions aussi sur toute la misère du monde : aux États-Unis, en France, en Russie et ailleurs). Et c'est dans ce journal qu'il est question de la bêtise des gens qui se croient intelligents parce qu'ils refusent Dieu... Ils refusent Dieu, mais ils consultent les voyantes, et les magnétiseurs et les horoscopes. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui se disent croyants et qui fréquentent aussi les voyantes et les tireuses de cartes, etc. "La bêtise, écrit-il, est le fruit indubitable, et le plus terrible, du péché originel. Le diable est intelligent, dit-on. Mais non justement, le diable est infiniment bête, et c'est précisément dans sa bêtise que réside sa force. S'il avait été intelligent, il ne serait pas devenu le diable. Il y a longtemps qu'il se serait repenti. Parce que se rebeller contre Dieu est avant tout terriblement bête... La bêtise est fertile en inventions... La bêtise est tromperie et mensonge... Des balivernes délirantes paraissent intelligentes parce que, avant tout, elles apportent une satisfaction rapide... La bêtise, c'est ce qui marche... La bêtise prospère. Elle a une fois pour toutes déclaré qu'elle était intelligente et que la foi, c'est de la bêtise".

Les images de Dieu et de l’Église du Christ qui sont offertes au monde (dans les médias) sont si grotesques que personne ne doit s'étonner de l'athéisme et de l'hostilité à l’Église. Pour nous, chrétiens, rien n'est plus réel que le spirituel. Dans l'eucharistie, Dieu fait de son Fils la nourriture du monde entier. Jésus est venu nous apporter le salut. Qu'est-ce que c'est que le salut ? On ne peut parler de véritable salut que lorsque quelqu'un qui souffre et qui jusque là restait esclave de cette souffrance s'en remet à Dieu qui domine cette souffrance et qui tient toute l'humanité entre ses mains. (Avec Fiches dominicales, Mgr Léonard, Alexandre Schmemann, AvS, HUvB).

 

22 juin 2014 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année A

Évangile selon saint Jean 6,51-58

Cet évangile d'aujourd'hui est un passage du discours de Jésus sur le pain de vie après le miracle de la multiplication des pains. Jésus est le pain de Dieu, un cadeau de Dieu, descendu du ciel pour l'humanité tout entière.

Nous sommes dans la synagogue de Capharnaüm dont le chef est Jaïre, Jaïre dont Jésus avait ressuscité la fille unique âgée d'environ douze ans. Et Jésus demande qu'on laisse ouvertes les portes de la synagogue pour que tous ceux qui sont dehors puissent l'entendre.

Vous êtes contents parce que je vous ai donné à manger. Cherchez aussi à vous procurer la nourriture pour la vie éternelle. La Loi et tous les prophètes sont faits pour vous nourrir de Dieu. Si quelqu'un n'a pas la foi, il ne peut pas venir à moi et me dire : "Donne-moi le vrai pain". L’œuvre de base pour recevoir ce vrai pain, c'est de croire en celui que Dieu a envoyé.

Mais où est-il ce pain ? Comment le trouve-t-on ? Quel nom a-t-il ? "Je suis le pain de vie. C'est en moi que sont tous les trésors de Dieu. Personne ne peut venir à moi s'il n'est pas conduit par le Père; le Père voit les ténèbres et il voit celui qui a un vrai désir de la lumière. C'est Dieu qui lui apprend où il doit aller pour être instruit pas Dieu. Tout homme dont l'esprit est droit a entendu Dieu lui parler et il a appris de mon Père à venir à moi".

Il y a un psaume qui dit : "Je tiens les yeux levés vers le Seigneur". Il appartient au serviteur de tenir son regard fixé sur le Seigneur parce que tel est son service. Même si on ne connaît pas l'heure de Dieu, on sait qu'elle viendra. Jésus nous invite à manger le pain de vie, non pas pour l'oublier dès qu'on l'a mangé. Mais pour qu'après l'avoir mangé on garde les yeux fixés sur le Seigneur.

Tout ce que Dieu nous donne est toujours un commencement. Tout ce que Dieu nous donne à comprendre est toujours le point de départ d'un mouvement infini. La grâce est un feu qui brûle ; il suffit d'une allumette pour mettre le feu. Si on alimente le feu, il peut brûler à l'infini. Mais si on n’alimente pas le feu, il s'éteint évidemment. Si on n’alimente pas la foi, elle va s'éteindre, nécessairement.

Dans le sermon sur la montagne et dans tout l'évangile, Jésus condamne sans appel tous les bonheurs au rabais. L'homme est fait pour autre chose que pour les petits bonheurs au rabais. Le christianisme ne propose pas une recette pour être infailliblement heureux. Jésus nous traduit Dieu et il ne veut que la grandeur de l'homme. Et où est la grandeur de l'homme ? Est-ce qu'elle se trouve dans le message incessant de la télévision qui se moque systématiquement de tout ce qui va au-delà du profit et du confort, de la jouissance et du succès ?

Nous avons tous en nous un vide qui ne peut être rempli que par l'infini de Dieu. On peut être un grand théologien et ne jamais avoir découvert Dieu en vérité dans la simplicité du cœur. Il n'est pas nécessaire de pratiquer des exercices mentaux compliqués pour aller vers Dieu. Mais l'homme a le terrible pouvoir de s'opposer à la volonté de Dieu... du moins pour le moment.

"C'est une chose étrange à la fin que le monde". Si vous avez lu ce livre, vous avez pu lire quelque part cette profession de foi de l'auteur, notre contemporain : "Un beau matin de juillet, sous un soleil qui tapait fort, je me suis demandé d'où nous venions, où nous allions et ce que nous faisions sur cette terre... Nous qui avons la chance d'être nés et de ne pas être déjà morts, que faisons-nous sur cette terre ?... J'ai beaucoup dormi, j'ai perdu beaucoup de temps, j'ai commis pas mal d’erreurs. Ce qu'il y avait de moins inutile sous le soleil, c'était de nous aimer les uns les autres".

L'auteur de ce livre : "C'est une chose étrange à la fin que le monde", se dit aujourd'hui agnostique : il ne sait pas, dit-il, il aimerait bien savoir, ou au moins en savoir un peu plus. Et il a écrit ce livre pour tenter d'y voir un peu plus clair. "Je ne sais pas si Dieu existe mais, depuis toujours, je l'espère avec force... De temps en temps le doute l'emporte sur l'espérance. Et de temps en temps l'espérance l'emporte sur le doute. Ce cruel état d'incertitude ne durera pas toujours. Grâce à Dieu, je mourrai".

Un cardinal italien de notre temps rapporte dans l'un de ses livres ce que disait sainte Catherine de Gênes, une mystique du XVe siècle. Elle affirmait que, dans une vision, elle avait vu Jésus sourire et lui dire : "Si tu savais ce que j'ai fait pour Judas !"

Dieu n'a besoin de damner personne. Celui qui ne veut pas Dieu se condamne lui-même. Celui qui refuse Dieu, un feu le dévore, un feu qui est en lui-même. Qu'est-ce que le sacrement ? Qu'est-ce que l'eucharistie ? Le sacrement est la garantie que la grâce du Christ est toujours à la disposition de l'homme. (Avec Mgr Doré, François Mauriac, Pierre Descouvemont, Jean d'Ormesson, sainte Catherine de Gênes, AvS, HUvB).

 

18 juin 2017 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année A

Évangile selon saint Jean 6,51-58

On comprend l'étonnement des auditeurs de Jésus quand il leur dit : "Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui". Il doit être fou ce Jésus ! Et Jésus leur répète la même chose : "Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle". Pour les adversaires de Jésus, la cause est entendue : il déraisonne. Mais pour beaucoup de disciples de Jésus aussi, qui jusque-là étaient bienveillants à son égard, trop, c'est trop : "Ce qu'il dit est insupportable. Qui peut l'écouter ?" Et l'évangéliste Jean qui était présent à la scène relate que beaucoup de disciples se détournèrent alors de Jésus et le quittèrent. Jésus aurait pu essayer de les rassurer en leur disant qu'il ne fallait pas prendre ses paroles au pied de la lettre, qu'il avait parlé de manière imagée. Mais non, Jésus ne nuance pas du tout ce qu'il vient de dire et il répète : "Ma chair est une vraie nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ce pain vivra éternellement". Et cela fait deux mille ans dans l’Église que nous croyons à cette chose invraisemblable.

Aujourd'hui, après la deuxième lecture, on a lu au micro quatre strophes d'une espèce de poème composé par saint Thomas d'Aquin pour la Fête-Dieu, pour la fête du Corps et du Sang du Christ. Ce poème de saint Thomas d'Aquin comporte en réalité vingt-quatre strophes. Il vaut la peine d'y jeter un coup d’œil parce que ce grand théologien qu'était saint Thomas d'Aquin essaie de nous expliquer là pourquoi nous croyons à ces choses.

Voici quelques extraits de ce poème : "Célèbre ton Sauveur, ton Chef et ton Pasteur, par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse toutes les louanges. Le Pain vivant, le Pain de vie t'est proposé aujourd'hui comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu'il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à pleine voix, car c'est aujourd'hui la journée solennelle où nous fêtons la première institution de ce banquet divin. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu'en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruit par son précepte, nous consacrons le pain et le vin. C'est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devienne son sang. Ce qu'on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l'affirmer, hors des lois de la nature. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des deux espèces. On le reçoit sans le briser, il est reçu tout entier. Qu'un seul communie ou dix mille, il se donne à l'un comme aux autres, il nourrit sans disparaître. Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort : mort pour les pécheurs, vie pour les justes. Si l'on divise les hosties, souviens-toi qu'il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n'est en rien divisé, ni sa taille ni son état n'ont en rien diminué. Le voici le pain des anges, il est le pain de l'homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu'on ne peut jeter aux chiens. Ô bon Pasteur, notre vrai pain, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage en compagnie de tous les saints".

Dieu s'adapte à chaque croyant : quiconque prie reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira. Il est demandé à chacun d'aller à Dieu avec le sentiment de faire par là la chose la plus naturelle du monde. Les croyants ne doivent pas penser que, pour être de bons chrétiens, ils doivent tout mettre sens dessus dessous, être obligés de se transformer de fond en comble, pour devenir peu à peu dignes de Dieu. Dieu va s'occuper lui-même de la dignité. Il suffit aux chrétiens de s'approcher. Ils doivent rester simples, mais savoir que, dans la simplicité, toutes les voies sont ouvertes.

Qu'est-ce qu'une vie sans Dieu ? Qu'est-ce qu'une vie sans éternité ? Une vie sans espérance d'éternité est-elle une vie véritablement humaine ? Préparer un avenir pour ses enfants, s'engager auprès des démunis et pour l’environnement sont en soi des projets très nobles, mais ils demeurent des initiatives à court d'horizon et de véritable sens ultime... Dieu seul peut apporter une réponse qui satisfasse le cœur humain. Le scepticisme intégral, l'antithéisme intégral, ferme l’éternité. Quelle prétention ne faut-il pas pour fermer l'éternité ! Quelle naïveté ne faut-il pas pour prétendre fermer l'éternité ! Ceux qui ferment la porte à toute idée d'éternité, ne pourraient-ils pas au moins garder ouverte la possibilité d'une espérance en Dieu ?

De tous les mystères divins, le mystère du Christ est le plus mystérieux. Ce mystère, c'est que Dieu lui-même est venu dans le monde. Et en venant dans le monde, il est devenu le mystère central du monde, il est le sens même de toutes choses. Et quand nous communions lors de l'eucharistie, le but du Seigneur Jésus est de nous entraîner avec lui vers le Père. (Avec Cardinal Schönborn, saint Thomas d'Aquin, Jean-François Gosselin, AvS, HUvB).

 

14 juin 2009 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année B

Évangile selon saint Marc 14, 12...26

La scène se passe le jour où l'on immole l'agneau pascal, une fois par an. On immole l'agneau pascal et on le mange tous ensemble. On offre à Dieu l'agneau pascal et on le mange tous ensemble pour être en communion avec Dieu. C'est un repas sacré, un vrai repas.

Au cours du dernier repas de Jésus avec ses disciples, où l'on mangeait l'agneau pascal, Jésus essaie de faire comprendre à ses disciples que l'agneau pascal, c'est lui. C'est lui qui va être immolé, sacrifié à Dieu, une fois pour toutes. Et il faudra que les siens se nourrissent de son corps et de son sang, comme ils se nourrissent de l'agneau pascal ce soir-là.

Mais l'agneau pascal que les disciples de Jésus devront manger, ce sera du pain et du vin consacrés. On se demande ce que les disciples ont bien pu comprendre le soir du dernier repas quand Jésus a dit sur le pain : "Ceci est mon corps". Et quand il a dit sur le vin : "Ceci est mon sang". On se demande comment s'est fait le passage entre ce dernier repas de Jésus avec les siens et la première eucharistie des disciples après le départ de Jésus.

Toujours est-il que très vite les premiers chrétiens ont su ce que nous a transmis saint Paul : "Le pain que nous rompons n'est-il pas communion au corps du Christ? La coupe de vin que nous bénissons, n'est-elle pas communion au sang du Christ ?" (1 Co 10, 16). Nous prenons le pain et le vin consacrés pour entrer en communion avec le Seigneur Jésus. Et saint Paul ajoute : il y en a qui entrent en communion avec les démons parce qu'ils mangent de la viande sacrifiée aux idoles. Nous, avec le pain et le vin consacrés, nous entrons en communion avec le Seigneur Jésus.

Les saints nous disent que la plus grande audace d'amour du Seigneur Jésus a peut-être été la fondation de l’Église. On peut ajouter que l'eucharistie du pain et du vin consacrés est une autre grande audace de l'amour du Seigneur Jésus. Dieu fait sa demeure en l'homme : nous lui demandons qu'il prenne possession de nous et de toutes nos activités. C'est vrai de toute prière d'ailleurs. L'essentiel de la prière consiste toujours d'abord à s'offrir à Dieu, à se laisser conduire par lui et remplir par lui. Qu'il prenne possession de nous et qu'il se serve de nous comme il l'entend.

C'est tout simple apparemment de recevoir la communion, mais les saints nous disent : "Rien ne demande plus d'effort que de prier". Et le temps de la communion est un temps de prière plus intense que les autres. Rien ne demande plus d'effort que de prier... parce que prier, c'est d'abord s'offrir à Dieu. On peut dire d'une manière légère que l'eucharistie est un mystère et donc qu'on ne doit pas chercher à comprendre. Mais c'est tout le contraire qui est vrai : dans les choses de Dieu, le mystère, ce n'est pas quelque chose qu'on ne peut pas comprendre, c'est quelque chose qu'on n'a jamais fini de comprendre. Ces choses se disent et s'écrivent fréquemment aujourd'hui.

C'est quoi le royaume de Dieu, c'est quoi le paradis? Le royaume de Dieu, ce n'est pas un lieu. Le paradis, ce n'est pas un lieu. Le royaume de Dieu, c'est Jésus lui-même. Le paradis vivant, c'est Jésus lui-même. On pourrait dire que le ciel dont parlent les chrétiens est absorbé en Dieu. Le paradis de Dieu s'efface devant le Dieu du paradis.

Et communier, c'est recevoir Dieu en soi, dans sa maison. Mais pour recevoir Dieu comme il faut, pour nous présenter devant Dieu comme il faut, personne ne peut faire l'économie d'une purification. Et les saints nous disent ici, avec toute la tradition, que nous sommes incapables de voir nos propres taches et de nous en débarrasser. Il faut que le Créateur vienne achever son œuvre en nous. Et un saint Jean de la croix, par exemple, nous avertit que, pendant cette purification, nous endurons mille morts. Et alors pour la première fois peut-être nous crierons vers Dieu de toutes forces en toute vérité : "Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur".

Un Père du désert nous dit : "Rien ne demande plus d'effort que de prier". Mais prier, c'est parfois aussi se reposer en Dieu. Un dominicain de notre temps, le P. Garrigues, raconte qu'à l'âge de cinq ans il avait vu se mère assise dans un fauteuil, les yeux fermés. Et le petit garçon avait cru qu'elle était morte. Elle priait. Et le garçon lui avait dit : "Non, tu ne pries pas". Car, pour lui, prier, c'était dire une prière comme il le faisait le soir avec elle avant de se coucher. Sa mère priait, les yeux fermés, et il croyait qu'elle était morte. Prier, c'est aussi se reposer en Dieu, et justement, pourquoi pas, quand on vient de communier.

On peut dire qu'à chaque messe il se passe quelque chose non seulement pour l’Église, non seulement pour le chrétien qui y participe, mais aussi, en toute vérité, pour le Seigneur Jésus. La meilleure comparaison qu'on peut utiliser pour dire ce qui se passe dans la communion, c'est de la comparer aux rencontres du Ressuscité avec Marie-Madeleine au tombeau le matin de Pâques, avec les disciples d'Emmaüs, avec Thomas, avec tous les apôtres. Par l'eucharistie, le Seigneur Jésus éternel devient le contemporain de son Église et de chaque chrétien, sans être pour autant soumis au temps terrestre. (Avec Jean de la croix, un Père du désert, François Varillon, Henri de Lubac, Jean-Miguel Garrigues, AvS, HUvB).

 

10 juin 2012 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année B

Évangile selon saint Marc 14,12-16.22-26

Pour célébrer la fête du Corps et du Sang du Christ nous lisons aujourd'hui deux petits passages de l'évangile de saint Marc : d'abord les préparatifs du repas pascal, puis l'institution de l'eucharistie. Dans le texte intégral de saint Marc, entre les préparatifs du repas et l'institution de l'eucharistie, il y a l'annonce par Jésus de la trahison de Judas. Et aussitôt après l'institution de l'eucharistie, il y a la prédiction par Jésus du reniement de saint Pierre.

Selon les dernières lignes de l'évangile de saint Matthieu, en quittant ses apôtres, Jésus leur a dit : Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. Aujourd'hui nous comprenons qu'une des manières pour Jésus de rester avec nous jusqu'à la fin du monde, c'est l'eucharistie, le sacrement de son Corps et de son Sang.

Mais quand Jésus a célébré cette dernière Cène, ce dernier repas avec les siens, il n'est pas sûr que les apôtres y aient compris grand-chose. Jésus a béni le pain, il l'a rompu et il l'a donné à ses apôtres en disant : "Prenez, ceci est mon corps". Et pour la coupe de vin, Jésus a rendu grâce, il a dit : "Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, répandu pour la multitude", puis il a donné la coupe à ses apôtres, ils en burent tous.

Jésus parle de son corps brisé, de son sang répandu. C'est pour dans quelques heures. Mais pour les apôtres, à ce moment-là, la mort de Jésus devait encore être quelque chose d'impensable. Ceci est mon corps, ceci est mon sang. C'est après coup que les apôtres ont compris le corps brisé et le sang répandu. C'est après coup que les apôtres ont compris qu'ils devaient se réunir à nouveau tous ensemble pour faire ce que Jésus avait fait lors de son dernier repas. "Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Prenez et mangez. Prenez et buvez. Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde".

Jésus était mort méprisable, il était ressuscité éclatant de gloire. Il était venu les retrouver dans leur maison à travers les portes fermées. Il est maintenant la Porte qui ouvre le temps et l'espace, il est la Porte entre le ciel et la terre. On ne va au Père que par lui. Il est la Porte entre la croix et la résurrection. Il est la Porte entre l'existence naturelle et la vie en Dieu. Il est la Lumière du monde. Il sait que personne ne peut trébucher sur sa route.

Ceci dit, l'eucharistie reste toujours pour nous un mystère de la foi. La foi doit retrouver sans cesse ses raisons de croire. Et l'intelligence n'est pas nécessairement du côté de ceux qui refusent de s'agenouiller devant le mystère. Nous, chrétiens, nous sommes devant le mystère et nous cherchons sans cesse les raisons que nous avons de croire à ce mystère.

Mais l'athéisme aussi est d'abord une profession de foi. D'emblée il affirme : Dieu, ce n'est pas possible. Alors la question que nous devons poser n'est pas : "Est-ce que tu crois en Dieu ?". La question qu'il faut poser est celle-ci : En quoi mets-tu le principe suprême de ton existence ? Qu'est-ce que tu divinises ? En un mot, où est-ce que tu fourres ton dieu ? Car tu en as forcément un quelque part. C'est peut-être une vedette de cinéma, un gros compte en banque, le sexe des femmes ou la choucroute garnie. Où est-il ton dieu ? Qu'est-ce que tu divinises dans ta vie ?

Pour nous, chrétiens, la foi ne va pas de soi. Elle nous place dans une posture de contestation par rapport au prêt-à-penser façonné par les médias. Il fut un temps, pas si lointain, où les chrétiens se trouvèrent désarçonnés par trois penseurs et philosophes qu'on a appelés les maîtres du soupçon. Des maîtres du soupçon qui ont inoculé dans l'esprit de bien des gens l'idée que le christianisme n'était qu'une illusion, une tromperie gigantesque. Aujourd'hui d'autres philosophes - chrétiens - retournent la question et ils discernent dans ces sans-Dieu, maîtres du soupçon, des auxiliaires de l'intelligence. Pourquoi ? Parce que ces philosophes sans Dieu poussent les chrétiens à mieux ressaisir leur foi. Pourquoi en avoir peur ? L'intelligence est du côté du Christ.

Nous célébrons aujourd'hui la fête du Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Les sacrements de l’Église sont là uniquement pour que l'acte de la rédemption - croix, résurrection, Pentecôte - ne se réduise jamais à un pur souvenir, mais soit un perpétuel présent. "Le Corps du Christ". "Amen. C'est vrai. Je crois". (Avec Mgr Rey, Isabelle Prêtre, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

7 juin 2015 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année B

Évangile selon saint Marc 14,12-16.22-26

La dernière Cène - le dernier repas de Jésus avec ses disciples, où il a institué l'eucharistie - nous l'avons célébrée trois jours avant Pâques, le jeudi saint. Aujourd’hui, en la fête du Corps et du Sang du christ, nous revenons à ce dernier repas de Jésus, qui institue l'eucharistie. Pendant ce repas, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples. Jésus n'a certainement jamais mangé sans bénir la nourriture pour qu'elle soit prise dans le sens de Dieu.

Les disciples sont habitués à ce geste du Seigneur Jésus chaque fois qu'ils ont mangé avec lui. Cette fois-ci, c'est le repas pascal. Après avoir béni le pain, Jésus rompt le pain et le partage à ses disciples. Ils reçoivent la nourriture de sa main : c'était la coutume, une coutume pour ainsi dire patriarcale. Les disciples ne se servent pas, ils sont servis. Tout est comme d’habitude, mais Jésus sait le caractère nouveau de ce repas. Il ne dit pas à l'avance ce que ce repas a de particulier : il fait le geste quotidien, mais ce geste aujourd'hui fait déjà partie de la Passion. Les disciples n'y font pas attention plus que ça.

En partageant le pain, Jésus dit : "Prenez, ceci est mon corps". C'est le grand miracle au milieu des croyants. Le pain apparaît aux disciples exactement comme il était auparavant. Et le Seigneur Jésus exige de leur foi qu'ils le reçoivent comme son corps, sans laisser place au doute. C'est un miracle opéré pour les croyants. Rien n'est perceptible pour les sens pendant que ce pain est devenu le corps du Christ. Pour les autres miracles de Jésus, il y a eu un changement : l'aveugle voit, Lazare ressuscite. Ici, pour les sens, rien n'est changé. Les disciples reçoivent le corps du Christ. Il agit en eux comme un aliment divin. C'est pour l'offrir que Jésus est venu dans le monde, et il l'offre juste avant sa Passion. Les disciples se laissent introduire dans son miracle.

Nous pouvons demander aujourd'hui au Seigneur Jésus qu'il nous présente son eucharistie comme il l'a fait aux apôtres afin qu'il devienne en nous un aliment qui nous fortifie, qui nous accompagne sur notre chemin, vivifie notre prière, nous donne pour la journée la force de rester près de lui.

Un évêque, originaire du diocèse d'Arras, disait un jour : "Le ministère, c'est marcher sur l'eau, ça nous dépasse de toutes parts". En ce jour de la fête du Corps et du sang du Christ, nous pouvons dire aussi : "L'eucharistie, ça nous dépasse de toutes parts. C'est comme marcher sur l'eau". On ne comprendra jamais. Le Fils est dans le sein du Père, il repose sur le cœur du Père, si l'on peut dire. L'écart infini qui sépare le Créateur de la créature ne saurait être franchi que par Dieu lui-même. Et il le franchit chaque jour dans l'eucharistie. Comment est-ce possible ?

Humainement, rationnellement, techniquement, ce n'est pas possible. Mais aujourd'hui il y a des gens qui ne sont peut-être pas très croyants, qui n'étaient peut-être pas très croyants, mais qui ont fait aussi l'expérience de choses invisibles. des événements incroyables se passent dans leurs maisons ou dans leur existence, des choses désagréables, des choses qui font peur, et ils se demandent ce qui leur arrive, ils se disent : "On n'est pas fous quand même. Qu'est-ce que c'est que ça ?" Jusqu'au jour où on peut leur expliquer que les forces du mal existent, que les esprits du mal - des esprits invisibles - existent et qu'ils sont capables de provoquer tous ces phénomènes inquiétants. Ces personnes sont touchées par l'invisible et, plus que d'autres alors peut-être, elles peuvent comprendre que Dieu aussi, et plus encore, est capable d'agir dans l'invisible, et que la présence de Dieu dans l'eucharistie aussi est possible.

Lundi dernier, c'était la fête de saint Justin, l'un des premiers martyrs de l’Église, au IIe siècle. L'office des lectures nous donnait à lire ce jour-là un extrait d'une œuvre de saint Justin qui était philosophe. Et ce texte disait ceci : "Avant tout, prie pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, car personne ne peut voir ni comprendre si Dieu et son Christ ne lui donnent de comprendre". Saint François de Sales, lui, avant de commencer une prédication, saluait l'ange de chacun de ses auditeurs en le priant de préparer son cœur à l'écoute de la parole de Dieu.

Le Seigneur Jésus s'est offert corporellement pour nous dans sa Passion. A l'époque de Jésus, les Juifs comme les païens offraient à Dieu des plantes et des animaux. Pour nous, chrétiens, le don que le Seigneur Jésus fait de lui-même est la seule offrande vraie, suffisante et éternellement durable. Cette offrande a été présentée à Dieu une fois pour toutes, donc aussi pour aujourd'hui. Et ce qui nous est demandé à tous, c'est de nous inclure nous-mêmes dans cette offrande. C'est ce que nous demandons dans l'une des prières eucharistiques : "Seigneur Dieu notre Père, regarde cette offrande que tu as donnée à ton Église". Cette offrande, c’est le Seigneur Jésus lui-même. Et maintenant "accorde à tous ceux qui vont partager ce pain d'être eux-mêmes dans le Christ une offrande vivante à la louange de ta gloire" (Avec Benoît XVI, saint Justin, saint François de Sales, AvS, HUvB).

 

6 juin 2010 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année C

Evangile selon saint Luc 9, 11-17

Au soir d'une journée où Jésus avait beaucoup parlé aux foules qui le suivaient, les disciples ont tout d'un coup le souci que ces foules prennent un petit repas alors qu'on se trouve dans un endroit désert. La solution est simple : que tous ces gens aillent chercher de quoi manger dans les villages des environs et qu'ils y passent la nuit ; c'est ce que les disciples suggèrent à Jésus. Et la réponse de Jésus est étonnante. Il dit à ses disciples : "Donnez-leur vous-mêmes à manger".

Tout ce qui suit annonce l'eucharistie, tout ce qui suit annonce l’Église qui distribue l'eucharistie. Il faut mettre de l'ordre dans cette foule : faire asseoir tous ces gens par groupe de cinquante. Puis Jésus bénit les pains et, quand il a rompu les pains, les apôtres sont chargés de faire la distribution. Et quand tout le monde a mangé, il reste encore du pain parce que le pain offert par Jésus est offert en abondance.

Jésus veut toujours se communiquer à nous. Venir à l'eucharistie, à la messe, le dimanche ou en semaine, c'est répondre au grand désir qu'a Jésus de nous recevoir. Il nous reçoit et il nous demande de le recevoir pour qu'il soit toujours avec nous, pour qu'il nous remplisse de sa présence, dans nos pensées, nos paroles et nos actes. Le Seigneur Jésus voudrait nous habituer à avoir avec Dieu un rapport qui ressemble au sien. Le Seigneur Jésus nous demande de le recevoir pour qu'il nous initie aux mystères de Dieu. Ce n'est pas l’œuvre des hommes. Saint Paul écrit quelque part aux chrétiens de Corinthe : "La coupe que nous bénissons, n'est elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas une communion au corps du Christ ?" (1 Co 10, 16). La bénédiction de l'apôtre ou du prêtre est dite en obéissance à la parole du Seigneur Jésus. La bénédiction que l'apôtre ou le prêtre dit sur le pain ou le vin est une bénédiction du Seigneur Jésus, une bénédiction commandée par lui, une bénédiction qui est efficace par lui, même s'il utilise un serviteur pour donner cette bénédiction.

Un professeur français, grand spécialiste de la langue et de la littérature arabes classiques, qui a dirigé aussi le Collège de France et la Bibliothèque Nationale, a plus d'une fois essayé de dire quelque chose de sa foi chrétienne dans des petits livres. Comment peut-on dire sa foi quand on est un érudit comme lui ? Il le fait parfois avec simplicité, mais aussi avec beaucoup de force de conviction. Il dit par exemple : "Combien de fois faudra-t-il répéter que nous ne sommes pas des imbéciles parce que nous croyons à la divinité de Jésus Christ ?" (Et on pourrait ajouter, et il ajoute parfois : parce que nous croyons à la résurrection, parce que nous croyons à la présence du Christ dans l'eucharistie). Il ajoute : "C'est difficile. Et même je dirais, c'est impossible à imaginer : cet homme en qui nous voyons Dieu fut vilipendé, sali, trahi, torturé et, pour finir, tué !" Et c'est toujours le même professeur qui continue : "La résurrection, c'est l'extrême de l'inimaginable. Ces corps devenus poussière, éparpillés,... recréés à partir d'un seul atome perdu en terre ou explosé dans l'infini. Quel livre tient compte de toutes ces vies disparues, oubliées sur les registres de nos états-civils ? Un livre, oui, ou plutôt une page unique et souveraine : la mémoire de Dieu".

Le même André Miquel traduit à sa manière l'une de nos prières de nos messes du dimanche, c'est par là que je termine. Il écrit ceci : "Qu'au milieu des instabilités de ce monde nos cœurs soient amarrés là où sont les joies véritables". On pourrait dire aussi : "Qu'au milieu des programmes de variétés de ce monde nos cœurs sachent restés amarrés là où se trouvent les vraies joies". Amarrés aussi à l'eucharistie. (Avec Maurice Zundel, André Miquel, AvS).

 

2 juin 2013 - Fête du Corps et du Sang du Christ - Année C

Évangile selon saint Luc 9,11-17

Une foule de cinq mille hommes autour de Jésus pour se faire guérir ou écouter sa parole ! Cinq mille hommes, ça fait quand même beaucoup ! Le soir approche. Cela n'a pas l'air d'inquiéter les gens. Ce sont les apôtres qui se posent des questions. Il serait peut-être temps de dire à tous ces gens de s'en aller pour trouver de quoi manger et un gîte pour la nuit. Et Jésus ne veut pas. Il dit à ses apôtres de donner eux-mêmes à manger à ces cinq mille hommes. C'est impossible, évidemment, avec notre provision de cinq pains et deux poissons.

Et alors Jésus fait les gestes qu'il renouvellera le soir de la Cène : lever les yeux au ciel, bénir le pain, le rompre et le donner. Avec ces cinq mille hommes ce soir-là, les apôtres n'ont pas dû y comprendre grand-chose. Mais ils ont quand même été stupéfaits. Et le soir de la dernière Cène, les apôtres n'ont pas dû y comprendre grand-chose non plus.

C'est plus tard qu'ils comprendront qu'ils devaient refaire pour tous les croyants ce que Jésus avait fait le dernier soir. Il est tout aussi impossible de nourrir cinq mille hommes avec cinq pains que d'offrir le Corps du Christ à manger jusqu'à la fin du monde. "Ma chair est vraiment une nourriture. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Celui qui mange ma chair vivra par moi". Comment est-ce possible ? C'est tout aussi possible que de nourrir cinq mille hommes avec cinq pains.

La foi chrétienne se nourrit d'un mystère infiniment fécond. Et la vie éternelle elle-même nous fera pénétrer plus profondément à l'intérieur de ce mystère. Par l'eucharistie - qui est un miracle -, la vie du Fils pénètre en chaque croyant, et le résultat en est que ce n'est plus nous qui vivons pour nous-mêmes, mais que c'est lui qui vit en nous... si nous l'acceptons.

Les croyants sont encouragés à faire l'effort de comprendre la Parole de Dieu, mais il faut aussi qu'ils soient constamment avertis de ne jamais oublier que Dieu est inconcevable, qu'il est le Tout-autre. Et ce qui vaut pour la Parole de Dieu vaut tout autant pour l'eucharistie : faire l'effort de comprendre, et comprendre toujours mieux que Dieu est au-delà, qu'il est le Tout-autre.

Le frère Roger de Taizé disait : "Avec mes frères, être avant tout des hommes de prière et d'écoute, jamais des maîtres spirituels... pour aider ceux qui viennent à trouver dans le Christ un sens à leur vie, à trouver comment Dieu peut être tout pour eux". Et comment Dieu peut-il être tout pour nous ? En reconnaissant notre absolue pauvreté devant Dieu, en reconnaissant notre totale dépendance à l'égard de Dieu. Y compris dans l'eucharistie, quand le Seigneur Jésus nous dit : "Prenez et mangez, ceci est mon Corps".

C'est quoi la messe du dimanche ? C'est une halte où on va à la source. Depuis deux mille ans les circonstances historiques ont bien changé ; les langues et les mœurs évoluent, les organisations sociales bougent. Mais l'homme reste une énigme pour lui-même ; il est déchiré, mais il est appelé à la vie dont le Christ nous montre le chemin. La vraie difficulté à entendre et à comprendre la Parole de Dieu et le message du Seigneur Jésus ne tient pas d'abord aux différences de culture et de civilisation, la vraie difficulté à entendre et à comprendre la foi chrétienne tient aux résistances que nous opposons à l'amour auquel elle nous appelle. L'homme ne peut trouver Dieu qu'en écoutant Dieu.

Pourquoi Jésus a-t-il choisi comme objets médiateurs une bouchée de pain et une gorgée de vin pour signifier son Corps et son Sang ? Pourquoi ? Réponse d'un psychiatre chrétien de notre région, qui est mort maintenant. Pourquoi Jésus a-t-il choisi comme objets médiateurs une bouchée de pain et une gorgée de vin pour signifier son Corps et son Sang ? Pourquoi, sinon pour réduire au silence toutes les idéologies, toutes les inégalités intellectuelles ou culturelles entre les humains.

Que Dieu se soit abaissé jusqu'à devenir homme reste toujours le mystère le plus essentiel de Dieu par lequel il communique au monde qui il est en vérité. Et Dieu s'est abaissé encore plus en se faisant eucharistie. (Avec Henri de Lubac, Frère Roger, Georges Cottier, Mgr Dagens, Cardinal Lustiger, Antoine Vergote, Pierre Bour, AvS, HUvB).
 

29 mai 2016 - Fête du Corps et du Sang du Christ  - Année C

Évangile selon saint Luc 9,11b-17

Le récit de la multiplication des pains, on en trouve six dans les évangiles : deux dans saint Matthieu, deux dans saint Marc, un dans saint Jean et un dans saint Luc : le passage que je viens de lire. "Jésus prit les cinq pains... et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu'ils les distribuent à tout le monde". Ces paroles de Jésus ressemblent étrangement aux paroles du prêtre en toute eucharistie : "La veille de sa Passion, il prit le pain dans ses mains très saintes et, les yeux levés au ciel, vers toi, Dieu, son Père tout-puissant, en te rendant grâce il le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous".

Il est assez clair que le miracle de la multiplication des pains est une annonce voilée du miracle de l'eucharistie, tous les jours, jusqu'à la fin des temps. On peut vraiment dire à chaque messe : "Il est grand le mystère de la foi". Au bout du monde (pour nous), en Amérique du sud, Dom Helder Camara disait aussi : "Dans l'eucharistie, ce n'est pas une ombre que nous embrassons, c'est vraiment le Christ vivant qui est là". Dans le mystère impensable du corps et du sang du Christ, il se donne à nous, et nous nous offrons à lui.

Au cours de la messe, la plupart des prières sont adressées au Père. Par exemple, très explicitement le début de la prière eucharistique n° 1 : "Père infiniment bon, toi vers qui montent nos louanges, nous te supplions par Jésus Christ, notre Seigneur, d'accepter et de bénir ces offrandes saintes". Après la communion, il y a des saints et des saintes qui continuaient à prier le Père : "Père, tu nous as donné ton Fils vivant, et tu permets qu'il ne cesse de venir à nous dans l'hostie. Accorde-nous de l'accueillir dans toute sa force divine. Qu'en dépit de nos déficiences et de nos faiblesses, il se sente en nous chez lui, et puisse faire sortir de notre cœur ce que toi, tu veux. Accorde-nous de le suivre avec ardeur autant que nous en sommes capables. Tu donnes à beaucoup d'hommes aujourd'hui la grâce de le recevoir. Permets que chacun d'eux en emmène d'autres avec lui : ceux qui sont empêchés de venir ou ceux qui le connaissent à peine".

Qu'est-ce que ça veut dire connaître le Seigneur Jésus, connaître le Père ? Qui donc est-ce que ça intéresse ? Un homme veut d'abord connaître le dernier épisode de son feuilleton préféré ou le résultat du dernier match de foot, ou connaître une femme, ou connaître Pondichéry par exemple. Le Père, c'est quoi ? Le Christ, c'est quoi ? Eh bien, c'est simple, trop simple même : le Père, le Christ, c'est la source éternelle... Comment a-t-on pu croire que le christianisme allait contre la vie ou que Dieu était en concurrence avec la moindre des choses qu'il a créée ? C'est tout le contraire : Dieu la veut cette petite chose ; ce lis des champs, ce moineau, il les veut infiniment, et à plus forte raison chaque visage. Et il veut répandre sur chacun la vie en surabondance. Le christianisme, c'est cela : une vie éternelle où l'on n'a jamais fini d'être étonné.

Qu'est-ce que ça veut dire l'eucharistie ?  Saint Augustin disait : "Comprendre, c'est la récompense de la foi. Donc ne cherche pas à comprendre pour croire, mais crois (d'abord) afin de comprendre". Et saint Augustin cite alors un verset du prophète Isaïe dans une traduction ancienne : "Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas". L'eucharistie, on pourrait dire qu'elle est le signe d'un Dieu humble. Le Dieu fait homme est un Dieu humble... En Occident, quand la religion a été dans l'orgueil, elle a tué Dieu. Autrement dit elle a déshonoré Dieu aux yeux des hommes, elle l'a rendu encore plus incroyable... L’eucharistie, on pourrait dire qu'elle est le signe d'un Dieu humble.

Tout au long de sa brève vie publique, le Seigneur Jésus a sans doute préparé ses amis au scandale de la Cène, plus grand que celui de la croix. L'eucharistie, c'est l'usage de toutes les églises, c'est la foi indéfectible en la transcendance du pain rompu, devenu non pas un élément du monde, mais le soleil, le centre de gravité de tous les sacrements.

Le cœur aimant de Dieu s'est montré dans la croix du Christ. Et chaque eucharistie nous ramène à ce centre. Le dessein de Dieu sur le monde est de réunir le ciel et la terre dans la plénitude du Seigneur Jésus. Chaque fois que nous le recevons, nous lui disons : "Que jamais je ne sois séparé de toi". (Avec Dom Helder Camara, Fabrice Hadjadj, saint Augustin, Bertrand Vergely, Jean Guitton, AvS, HUvB).
 

TEMPS ORDINAIRE

 

16 janvier 2011 - 2e dimanche du temps ordfinaire - Année A

Évangile selon saint Jean 1, 29-34

Chaque année, le dimanche qui suit la fête du baptême du Christ, nous lisons une partie du témoignage de saint Jean-Baptiste sur Jésus dans l'évangile de saint Jean. Des pharisiens avaient un jour demandé à Jean-Baptiste pourquoi il se permettait de baptiser les gens dans le Jourdain. Et à ce moment-là Jean-Baptiste avait répondu que quelqu'un viendrait après lui qui baptiserait dans l'Esprit Saint, quelqu'un de plus grand que lui. Dans l'évangile d'aujourd'hui le jour est venu où Jean-Baptiste reconnaît Jésus et le désigne comme étant celui dont il avait annoncé la venue : "Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde". Qu'est-ce que ça veut dire : l'Agneau de Dieu ?

Saint Jean-Baptiste dit lui-même qu'il ne connaissait pas Jésus, il ne le connaissait pas comme l'Agneau de Dieu peut-être. Il a eu besoin d'une révélation intérieure pour savoir qui était Jésus en vérité : "Celui qui m'a envoyé m'a dit : L'homme sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint". Et Jean-Baptiste ajoute alors ce qu'il a vu, il a vu l'Esprit descendre sur Jésus : c'est lui l’Élu de Dieu, l'Agneau de Dieu, le Fils de Dieu. Il paraît assez clair qu'à ce moment-là saint Jean-Baptiste ne connaissait pas le fin fond de l'affaire, il ne connaissait pas nécessairement tout le destin de Jésus, et sa mort sur la croix deux ou trois ans plus tard, ni sa résurrection, ni la Pentecôte. Même à ses prophètes Dieu ne révèle pas tout, tout de suite.

Saint Jean-Baptiste a conscience d'avoir reçu de Dieu une mission, il a conscience d'avoir été envoyé. Dans la deuxième lecture tout à l'heure, on a entendu saint Paul affirmer simplement et avec assurance que lui aussi avait été appelé par Dieu : "Moi, Paul, j'ai été appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus". Au début de sa vie de jeune juif adulte, saint Paul pensait à tout sauf à ça. Jésus, il l'avait en horreur parce qu'il pensait que la foi en Jésus, c'était une perversion de l'unique vraie religion qui est celle des juifs évidemment. Ce n'était pas du tout la volonté de Paul de devenir apôtre du Christ Jésus. Et ici il nous dit en deux mots ce qui s'est passé et qu'on connaît plus en détail par ailleurs : "C'est par la volonté de Dieu que je suis devenu apôtre du Christ Jésus".

Saint Jean-Baptiste ne connaissait pas Jésus, et le ciel lui a fait connaître qui était Jésus, du moins en partie. Saint Paul ne voulait rien savoir de Jésus. Et la volonté de Dieu s'est imposée à saint Paul pour qu'il devienne apôtre et serviteur du Seigneur Jésus. Saint Pierre, lui, à un certain moment ne voulait pas que Jésus lui lave les pieds. Et finalement il a dû se laisser faire. Saint Pierre ne voulait pas que Jésus lui lave les pieds. Il ne comprenait pas. Il doit finalement accepter que toutes les exigences de Jésus sont justes, que toutes les exigences de Dieu sont justes, mais qu'on ne peut pas comprendre les manières d'agir de Dieu avant qu'il estime que le moment est venu pour nous de comprendre. Quand viendra le moment ? C'est à Dieu d'en décider, c'est à Jésus d'en décider : ce sera ici-bas ou bien dans l'au-delà.

Saint Jean-Baptiste, saint Paul, saint Pierre : ils ont tous été appelés par Dieu, et ils ont dû découvrir leur chemin peu à peu, pas à pas. Il y a un homme de notre temps dont on sait tous aussi qu'il a été appelé, c'est le pape Benoît XVI. Il était cardinal, il avait l'âge de prendre sa retraite, et le pape Jean-Paul II lui avait demandé de continuer quand même encore un peu son travail à la tête de la congrégation pour la doctrine de la foi. Et voilà que le cardinal Ratzinger, qui était candidat à la retraite, les cardinaux l'élisent pape. Un journaliste allemand a interviewé le par Benoît XVI au mois d'août de l'année dernière et un livre a rendu compte de ces conversations entre Benoît XVI et le journaliste. Le titre du livre, c'est "Lumière du monde". Vous avez peut-être eu déjà l'occasion de le lire. Je voudrais vous citer une seule question du journaliste et la réponse de Benoît XVI. Cela peut être éclairant pour tout le monde, quelle que soit notre situation.

Le journaliste : "Votre prédécesseur (Jean-Paul II) passait pour un grand bateleur dont la seule présence physique, la voix et la gestuelle produisaient un effet considérable et avaient un immense écho dans les médias. Vous n'avez pas forcément la même stature, ni la même voix. Cela vous a-t-il posé problème ?" Benoît XVI : "Je me suis simplement dit : je suis comme je suis. Ce que je peux donner, je le donne, et ce que je ne peux pas donner, j'essaie aussi de ne pas le donner. Je ne cherche pas à faire de moi-même ce que je ne suis pas. J'ai été élu, c'est tout - les cardinaux en portent aussi la responsabilité - et je fais ce que je peux". (Entre nous, j'aimerais bien entendre vos commentaires sur ce dialogue du journaliste et de Benoît XVI).

Benoît XVI n'a pas demandé à être pape. Et maintenant qu'il a dit oui à un appel, il fait ce qu'il peut, comme il dit. C'est beau ! Saint Jean-Baptiste aussi faisait ce qu'il pouvait, et saint Pierre et saint Paul. Tous ceux que Dieu appelle à son service - c'est-à-dire tous les croyants - sont appelés au fond à servir de pont entre Dieu et le monde. Toute l’Église doit servir de pont entre Dieu et le monde. Et l’Église sera d'autant plus digne de foi qu'elle sera davantage une transparence qui laisse voir Dieu, de même que le Seigneur Jésus laisse transparaître le Père. (Avec Benoît XVI, AvS, HUvB).

 

19 janvier 2014 – 2e dimanche du temps ordinaire  - Année A

Évangile selon saint Jean 1,29-34

L'évangile de saint Jean ne raconte pas le baptême de Jésus comme l'évangile de saint Matthieu l'a fait dimanche dernier. L'évangile de Jean rapporte le témoignage de Jean-Baptiste sur Jésus. Jean-Baptiste a reçu une révélation de Dieu concernant Jésus. Par cette révélation, Jean-Baptiste sait trois choses.

1. D'abord que Jésus est l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Et comment enlève-t-il le péché du monde ? On le saura plus tard. Il enlève le péché du monde en mourant sur une croix. 2. Deuxième chose que Jean-Baptiste a à nous dire concernant Jésus : c'est qu'il est le Fils de Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire que Jésus est le Fils de Dieu ? Il faut relire tous les évangiles pour découvrir petit à petit ce que c'est pour Jésus être le Fils de Dieu. 3. Troisième chose que Jean-Baptiste a à nous dire concernant Jésus, c'est que lui, Jean-Baptiste a vu descendre sur Jésus l'Esprit Saint de Dieu. Habituellement on ne voit pas l'Esprit Saint de Dieu, mais le jour du baptême de Jésus, Dieu a permis que Jean-Baptiste voie de ses propres yeux l’Esprit Saint descendre sur Jésus. Et ce jour-là, l’Esprit Saint est descendu sur Jésus sous la forme d'une colombe. Tous les gens qui étaient là autour de Jean-Baptiste et de Jésus n'ont pas vu cela. C'est à saint Jean-Baptiste seul qu'il a été donné de voir ce qui habituellement est invisible.

Ce n'est pas Jean-Baptiste qui a demandé à voir ce qui est invisible, c'est Dieu qui a averti Jean-Baptiste qu'il allait voir l'invisible, qu'il allait voir ce qui habituellement ne se voit pas. Tout au long des âges chrétiens, il y a eu des saints et des saintes qui ont vu l'invisible, une fois peut-être comme un éclair, ou très souvent peut-être dans leur vie. Cela dépendait uniquement de Dieu et de ses intentions sur ces personnes et sur l’Église. Tous ceux qui ont reçu un jour un don de Dieu de cette nature, c'est toujours pour toute l’Église qu'ils l'ont reçu. Dieu a un dessein pour chaque personne, pour toute l’Église, pour toute l'humanité. Quel est le dessein de Dieu aujourd'hui pour nous ? C'est tous les jours qu'on doit lui demander de nous ouvrir les yeux pour savoir comment accomplir notre tâche d'aujourd'hui.

Tout être humain est obligé de marcher à la suite du Christ. L'invitation que nous avons reçue à faire ce chemin vers le Père avec le Seigneur Jésus est si pressante qu'en fin de compte peu importe que nous disions oui ou non. Parce que nous sommes obligés de nous y engager. C'est comme si le Seigneur Jésus nous montrait une montagne très haute et nous annonçait qu'il monterait là-haut et que tous, nous irions avec lui. Il ne demande pas qui en a envie ou qui n'en a pas envie, il ne nous demande pas si nous espérons réussir ou si nous désespérons d'y arriver. La seule chose qu'il nous laisse entendre, c'est que tout le monde doit arriver là-haut : les bons alpinistes aussi bien que les boiteux et les malades qui ne sont pas capables de faire trois pas, ceux qui sont aussitôt prêts à marcher avec lui aussi bien que ceux qui estiment d'emblée qu'une telle exigence ne les concerne pas. On n'y comprend rien, mais tous se voient entraînés dans une aventure qui paraît insensée, tous sont embarqués vers des sommets auxquels un homme raisonnable n'a jamais osé songer, des sommets où normalement il ne pourrait même pas respirer. Et c'est précisément cette chose apparemment impossible que le Seigneur Jésus exige absolument de tous et de chacun.

Dans l’évangile d'aujourd'hui, les trois personnes de la Trinité sont présentes. Le Père : saint Jean-Baptiste ne dit pas son nom, mais il dit : "Celui qui m'a envoyé baptiser". C'est qui ? C'est Dieu, le Père invisible. Et puis au centre de la scène d’aujourd’hui, il y a le Seigneur Jésus. Et puis il y a une présence de l'Esprit Saint que Jean-Baptiste a la grâce unique de voir descendre sur Jésus... Le Père, le Fils, l’Esprit Saint : être chrétien, c'est être plongé dans la vie de Dieu qui est Trinité. C'est une très haute montagne. Et on peut très bien penser qu'on n'y arrivera jamais, comme dans l'histoire de tout à l'heure. Mais qu'on le veuille ou non, on est embarqué.

Mais comment faire ? On ne sait pas, Dieu le sait. Le jour du baptême de Jésus, il y avait la présence de l’Esprit Saint. L'Esprit Saint est toujours là dans l’Église et aussi dans chaque vie humaine. Et que fait l'Esprit Saint ? Comme disait un théologien orthodoxe de notre temps : "L'Esprit Saint ne peut rien faire d'autre que de nous rendre évidente la divinité du Christ".

Et le Christ, c'est la résurrection, la jubilation pascale, mais c'est aussi la croix et la tristesse à en mourir comme à Gethsémani. Et là, c'est l'affaire de l’Esprit du Christ de distribuer les situations qui nous conforment à telle ou telle situation du Seigneur Jésus : il peut nous plonger dans la jubilation pascale, il peut aussi nous plonger dans la "tristesse à en mourir". (Avec Jean Daniélou, Vladimir Lossky, AvS, HUvB).

 

15 janvier 2017 - 2e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Jean 1,29-34

Nous avons célébré dimanche dernier la fête de l’Épiphanie. Habituellement, huit jours après l’Épiphanie, nous célébrons la fête du baptême du Seigneur Jésus. Mais quand l’Épiphanie tombe un dimanche, comme cette année, on célèbre la fête du baptême du Christ le lundi. Et dès le dimanche qui suit l’Épiphanie, nous commençons la longue marche des dimanches verts, autrement dit des dimanches du temps ordinaire. Aujourd'hui l'évangile nous fait revenir quand même au baptême du Christ avec ces paroles de Jean-Baptiste qui raconte ce qui s'est passé lors de ce baptême : "J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur Jésus. Et celui qui m'a envoyé baptiser m'a dit : L'homme sur qui tu verras descendre et demeurer l'Esprit, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit Saint". 

S'il y a encore aujourd'hui un baptême chrétien, c'est parce que le Seigneur Jésus lui-même a voulu être baptisé. Nos anciens dans la foi, les Pères de l’Église, disaient : Jésus n'avait pas besoin d'être baptisé puisqu'il était sans péché. Et s'il a voulu recevoir le baptême, ce n'était pas pour se débarrasser de péchés qu'il n'avait pas commis, mais pour sanctifier les eaux afin d'effacer les péchés de tous les croyants par le baptême de la nouvelle naissance. Le baptême du Christ nous lave de nos fautes et nous renouvelle pour la vie éternelle. C'est par toute sa vie que le Seigneur Jésus nous lave de nos fautes et surtout par sa Passion et par sa mort sur la croix, qu'il appelait lui-même le baptême qu'il devrait recevoir un jour. Il est l'Agneau de Dieu qui fait don de sa vie pour enlever le péché du monde en le portant sur lui.

Devant la croix du Seigneur Jésus, nous demeurons toujours des injustes qui ont provoqué cette croix. Par elle, le Fils conduit au Père tous les désobéissants, le Père les reçoit de la main du Fils et il fait qu'ils deviennent obéissants. C'est saint Pierre qui nous dit cela dans sa première Lettre : "Le Christ est mort pour les péchés; lui qui était juste, il est mort pour des injustes afin de nous mener à Dieu". Le Seigneur Jésus s'est offert volontairement à Dieu pour subir le supplice de la croix. Notre réaction vis-à-vis de Dieu devrait essayer d'imiter l'attitude du Seigneur Jésus, et se dire : "Quel bonheur que Dieu nous demande quelque chose !" Et Dieu veut se servir des hommes, de chacun.

Un homme ou une femme sont atteints de cette maladie qui s'appelle la vanité, l'amour infantile de soi-même, l'inépuisable passion de se mettre en avant, de se raconter, l'illusion d'être le centre et d'être important. La foi chrétienne doit apprendre à décentrer cet être centré sur lui-même, à le faire sortir de lui-même, à s'oublier lui-même petit à petit. Et finalement cela doit amener l'homme ou la femme à reconnaître que par eux-mêmes il ne sont rien, qu'en eux-mêmes il n'y a rien d'intéressant, que tout ce qui est riche et intéressant se trouve en dehors d'eux, se trouve en Dieu finalement qui est la source de toute richesse. C'est alors seulement peut-être qu'on peut se mettre vraiment à la disposition de Dieu, quelle que soit sa profession, sa vocation ou sa situation dans le monde. Et là on rejoint le Seigneur Jésus qui a voulu descendre dans les eaux du Jourdain pour se faire baptiser comme tous les pécheurs, qui a voulu aussi par la suite subir le baptême de la Passion et de la croix.

Un prêtre orthodoxe américain notait un jour dans son journal personnel qui a été publié après sa mort : "Ce qui est redoutable dans le monde, ce qui est redoutable dans chaque homme, c'est le pouvoir, et seulement lui. Et le seul mérite de la démocratie - par ailleurs tellement ennuyeuse ! - c'est de limiter ce pouvoir". C'est peut-être une bonne réflexion en cette année 2017 en France où les élections ne vont pas manquer. Jésus se fait baptiser dans le Jourdain comme un pécheur parmi les pécheurs. Quelque temps après, il va attirer les foules. Et les pharisiens seront pleins de rancœur parce que Jésus attire les foules.

Un homme d'origine juive, mais qui était tout à fait sans Dieu, qui est devenu chrétien, qui s'est marié et qui a autour de lui une ribambelle d'enfants, écrit dans un livre qu'il a intitulé "Le paradis à la porte": "La femme ne jouit de son parfum que si d'autres le respirent. Ainsi de la joie : n'en profite que celui qui la prodigue". Jésus se fait baptiser comme un pécheur pour porter au fond tous les péchés du monde et donner à tous les pécheurs la grâce de se libérer de leur péché et de s'ouvrir à Dieu. Le Seigneur Jésus a porté tous les péchés du monde. Et tous les croyants, tous les hommes finalement un jour, sont invités à porter avec lui une part du péché du monde. Toute souffrance, tout désagrément de la vie peut s’inscrire dans ce programme. Le mariage aussi comporte l'exigence de mourir à soi-même et de naître à l'autre. Une petite fille de quatre ans peut très bien le savoir. Un philosophe de notre temps écrit ceci quelque part : "Je connais une petite fille de quatre ans, elle arrive chez vous. Au lieu de dire bonjour, elle dit : Je t'aime. Elle ne dit pas : Je t'aime beaucoup. Simplement : je t'aime".

Nous venons de fêter la naissance de Jésus et, trois semaines plus tard, nous arrivons déjà à son baptême vers l'âge de trente ans. Pendant ces trente ans, c'est le grand silence, on ne sait pas grand-chose de ce qui s'est passé. Mais il s'est passé au moins ceci : l'éveil d'un enfant à la conscience de soi ne s'accomplit que par la sollicitation d'une personne qui, par ses soins, son amour, son sourire, démontre à l'enfant qu'il y a en dehors de lui un monde auquel il peut se fier ; et c'est ce risque de sortir de soi-même qui engendre la conscience de soi. Jésus, comme tout enfant authentique, a eu besoin de cet appel d'une mère pour acquérir cette identité humaine; il a eu besoin de toute une éducation venant de l'extérieur pour s'assurer en soi-même des profondeurs de sa conscience et de sa mission de Fils du Père. (Avec Bruno Régent, Claude Tresmontant, Alexandre Schmemann, Fabrice Hadjadj, Gérard Siegwalt, Guy Coq, AvS, HUvB).

 

18 janvier 2009 - 2e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 1,25-32

Dieu appelle Samuel d'une manière. Il appelle les premiers disciples d'une autre manière. On constate simplement les choses : Dieu a beaucoup de manières de faire. Ce que le jeune Samuel comprend, ce que les premiers disciples comprennent, c'est que c'est important. Tout d'un coup ils savent : Dieu est là. Et si Dieu est là, c'est ce qu'il y a de plus important dans leur vie. Tout d'un coup Dieu est là dans leur vie terrestre. Dieu est venu frapper à leur porte. Alors c'est évident pour ceux que Dieu appelle : ils veulent se tenir à la disposition de Dieu, ils veulent faire tout de suite ce qu'ils ont compris. Tout de suite, ils veulent bâtir sur le roc de leur évidence.

Dans la lettre de saint Jacques, il est dit ceci : "Quand nous mettons aux chevaux un mors dans leur bouche pour nous en faire obéir, nous dirigeons tout leur corps". De même la Parole de Dieu est comme un mors pour les chevaux, pour nous faire accomplir le service que Dieu nous demande. "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute". C'est valable pour les disciples de Jésus, c'est-à-dire pour tous les baptisés, et un jour ou l'autre c'est valable pour tous les hommes.

Il y a des incroyants qui s'étonnent ou qui s'indignent qu'un incroyant comme eux, à l'approche de la mort, commence à s'occuper de la religion, fasse appeler un prêtre. Un professeur de philosophie de notre temps, chrétien motivé, essaie d'expliquer alors ce qui se passe. Et il dit : "Il ne faut pas s'étonner ni s'indigner si Isidore Duru, clerc de notaire à Toulon, qui pensa si peu à Dieu avant de mourir, soupire vers Lui sur son lit d'hôpital". Et notre philosophe essaie d'expliquer aux incroyants qui pourraient s'indigner ou ridiculiser cette découverte tardive de Dieu que "ce n'est pas tant la peur qui lui ferait vite fabriquer une petite idole en guise refuge pitoyable". C'est tout le contraire qui se passe. "C'est l'approche de la mort qui lui fait briser toutes les idoles de ce monde, toutes les idoles qui remplissaient sa vie jusque-là. C'est la mort maintenant qui lui impose un face-à-face avec le mystère", c'est-à-dire avec Dieu. Et notre philosophe conclut : "Le clerc de notaire agnostique ( qui ne croyait à rien) se trouve d'accord avec la carmélite qui, sans le connaître, à cent lieues de là, priait déjà pour lui".

Ici, c'est un autre genre d'appel de Dieu; ce n'est pas l'appel à Samuel, ce n'est pas l'appel des premiers disciples de Jésus. C'est autre chose. Chacun de nous a son appel, et ses appels. Nous pouvons nous imposer chaque soir, porte fermée, téléphone décroché, quelques minutes de silence... Nous avons beaucoup plus de temps que nous ne le pensons... La prière ouvre l'homme à Dieu.

Ne vaudrait-il pas mieux, en fin de compte, renoncer à réfléchir sur Dieu et à parler de lui, s'il est l'Inconnu, même et surtout lorsqu'il se révèle? Nous n'en avons pas le droit puisqu'il est venu à nous à travers des événements qui ont atteint leur point culminant en Jésus Christ. Le Seigneur Jésus nous apprend à nous adresser à Dieu comme à une personne à qui nous pouvons et devons nous livrer sans conditions; c'est ce qu'exige de nous toute la Bible; et cette exigence de Dieu est légitime à cause de la preuve que Dieu nous a donné de son amour pour le monde. "Il m'a aimé et s'est livré pour moi" (Avec Fabrice Hadjadj, Olivier Clément, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

15 janvier 2012 - 2e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 1,35-42

Les lectures d'aujourd'hui nous offrent deux récits de vocation. Mille ans avant le Christ, un enfant est tiré de son sommeil par un appel de Dieu : Samuel. Au début, Samuel ne sait pas que c'est Dieu qui l'appelle. Finalement c'est le prêtre Eli qui dit à l'enfant ce qu'il doit faire si on l'appelle encore. Il faudra qu'il dise : "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute".

Dans l'évangile d'aujourd'hui, c'est aussi un homme d'âge mûr qui met André et Jean sur la piste de Jésus. Jean-Baptiste, qui est du même âge que Jésus, dit simplement à deux de ses disciples que Jésus qui passait par là était l'Agneau de Dieu. Jean-Baptiste ne dit pas à André et à Jean ce qu'ils doivent faire. Mais les deux disciples sont attirés par Jésus. Tout se suite ils le suivent. Jésus s'aperçoit qu'il est suivi. Il se retourne : "Que cherchez-vous ?" Les deux disciples ne savent pas trop ce qu'ils cherchent. Simplement ils voudraient bien connaître Jésus un peu plus. Alors ils répondent : "Où demeures-tu ?" Et Jésus les invite à rester avec lui ce soir-là.

Il y avait Jésus qui passait, il y avait Jean-Baptiste qui avait auprès de lui deux de ses disciples : André et Jean. Tout était prévu, rien n'est perdu, rien n'est dû au hasard. Tout dépend d'une volonté précise de Dieu. Dans l’Écriture, il n'y a aucun texte dont un chrétien pourrait dire qu'il ne le concerne pas. Mais aucun passage de l’Écriture n'est fermé sur lui-même, il doit être une clef pour tous les autres passages.

André et Jean sont restés avec Jésus ce premier soir. On ne connaît pas le contenu de leur conversation. Mais comme en toute conversation, il y a des choses qui sont dites, des choses qui sont écoutées, des questions qui sont posées, des échanges comme en toute conversation humaine. On ne connaît pas le contenu de la conversation entre Jésus et les deux disciples ce soir-là. Mais on en voit le résultat ; le résultat, on le voit le lendemain quand les deux disciples disent à Simon-Pierre : "Nous avons trouvé le Messie". Et pourquoi disent-ils cela ? Parce que leur cœur avait été touché, leur cœur et leur intelligence. Qu'est-ce qu'ils connaissaient de Jésus ? Pas grand-chose encore. Mais après cette conversation avec Jésus, ils avaient acquis quelque chose d'essentiel : la foi en Jésus. Plus tard ils allaient comprendre bien des choses.

"Comprendre, c'est la récompense de la foi". C'est saint Augustin qui disait cela. Et saint Augustin ajoutait quelques mots sur lesquels il y aurait beaucoup à réfléchir : "Ne cherche pas à comprendre pour croire, mais crois afin de comprendre. Parce qu'il est dit dans l’Écriture : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas".

C'est l'histoire d'un journaliste de notre temps. En 1968, pour un journal du Sud-Ouest, il était à Paris pour couvrir les événements chauds de ce printemps. Ensuite, pendant vingt ans, il a parcouru le monde pour un grand journal parisien. Il était préposé aux catastrophes : Biafra, guerre du Kippour, guerre du Liban, guerre entre l'Inde et le Pakistan. Puis il a démissionné de son journal pour prendre un peu de recul. De la foi de son enfance, il ne restait plus grand-chose, dit-il. Il était plongé dans un monde où la tradition chrétienne était considérée comme faisant partie d'un archaïsme résiduel qui n'a pas de prise sur l'intelligence d'aujourd'hui.

Et voilà que depuis vingt ans maintenant cet homme réfléchit et publie des ouvrages. Et il est devenu convaincu qu'il y a dans le christianisme un trésor. "J'ai envie de dire à ces gens qu'ils dorment sur un trésor". Tout cela dans un livre qui a pour titre : "Comment je suis redevenu chrétien". Il ne vous reste plus qu'à deviner le nom de l'auteur.

André et Jean, dans leur première rencontre avec Jésus, ont tout de suite deviné qu'ils avaient découvert ce trésor. Et comment notre journaliste comprend ce trésor ? Il écrit ceci : "Le 'consentement' à la résurrection est le cœur incandescent de la foi chrétienne. On pourrait même dire qu'il la définit". Le journaliste dit 'consentement' à la résurrection. Il veut dire : croire à cette chose incroyable qu'est la résurrection, consentir à y croire.

"Nos textes chrétiens (Écriture, prières de l’Église, écrits des chrétiens depuis deux mille ans) ne sont pas des dépôts sacrés (auxquels on ne touche pas), nos textes chrétiens sont une fontaine de village à laquelle chaque génération vient s'abreuver, en buvant une eau sans cesse différente". (Nos Écritures... une fontaine de village). Ce sont des pensées à peu près de Jean XXIII. André et Jean avaient bu à la source le premier soir. Et tout de suite ils ont dit à Pierre : viens voir, nous avons trouvé une source. Chacun doit trouver la source qui est faite pour lui ; et toutes les sources remontent à une seule source éternelle.

Jésus pose la question aux deux disciples qui le suivent : "Que cherchez-vous ?" Ce que Dieu cherche, c'est l'adhésion intérieure de l'homme. Et dès le premier soir André et Jean ont été conquis et ont donné à Jésus cette adhésion intérieure. (Avec saint Augustin, Jean-Claude Guillebaud, Jean XXIII, AvS, HUvB).

 

18 janvier 2015 - 2e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 1,25-32

Toute la Bible est le livre de la révélation de Dieu, toute la Bible, c’est-à-dire l’Ancien Testament et le Nouveau testament. Comment Dieu fait-il pour se révéler ? Mille ans avant le Christ, Dieu appelle Samuel. Au début, Samuel ne comprend pas que c’est Dieu qui l’appelle. Le prêtre Eli non plus ne comprend pas tout de suite. C’est la troisième fois seulement que le prêtre Eli comprend que Dieu est là et qu’il appelle Samuel. Et que faut-il faire si Dieu appelle ? C’est tout simple. Il faut dire : "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute".

Dans notre évangile d’aujourd’hui, c’est aussi le récit d’une première rencontre. Ici, c’est l’ancien, c’est Jean-Baptiste qui met deux de ses disciples sur la piste de Jésus. Jean-Baptiste leur dit à propos de Jésus : "Voici l’Agneau de Dieu". L’un des deux disciples, l’évangéliste nous dit son nom : il s’appelait André. L’autre disciple, on peut bien penser que c’est l’évangéliste lui-même : Jean, Jean l’apôtre. Dans sa vieillesse, Jean se souvenait encore très bien de ce jour et de l’heure : c’était vers quatre heures de l’après-midi.

Et qu’est-ce qui se passe dans cette première rencontre avec le Seigneur Jésus ? L’évangéliste n’en dit que deux mots. Jésus marchait sur le chemin. André et Jean se mettent à marcher derrière lui. Jésus se retourne et il leur pose la question : "Que cherchez-vous ?" C’est Dieu qui nous pose la question. "Que cherchez-vous ?" Que faut-il répondre à une question pareille ? On fait ce qu’on peut pour répondre. On répond par la première chose qui vient à l’esprit. On répond à la question de Jésus par une question : "Où demeures-tu ?" - "Venez voir", dit Jésus. Et les deux disciples restèrent avec lui ce jour-là. Il était quatre heures de l’après-midi. Mais l’évangéliste ne dit pas un mot de plus sur ce que Jésus a dit ce jour-là. Toujours est-il que les deux disciples ont été conquis tout de suite.

Pour pouvoir être touché par l’enseignement de Jésus, il faut déjà porter en soi une attente, un germe d’amour. Une espèce de sainte de notre temps nous dit ceci : "Depuis que j’ai connu le Christ, j’ai beaucoup appris. Je me suis beaucoup rapprochée de lui. Mais en me rapprochant de lui, je sais mieux que Dieu est toujours  dans le même lointain. Il n’y a aucun rapprochement, même si on apprend toujours à mieux aimer et à mieux louer".

Il y a un rapport intime entre Dieu et le monde. Mais on ne perçoit ce rapport intime que par la foi et une foi qui aime. Reconnaître qu’il y a un rapport intime entre Dieu et le monde, c’est en quelque sorte la récompense de l’acte d’attention à Dieu qui nous le fait reconnaître en tout ce qu’il nous envoie. Tous les événements qui surviennent dans la vie d’un homme sont des envoyés de Dieu. Et dans ces événements, l’homme ne doit trouver que la volonté du Roi de l’univers. Pour André et Jean, dans l’évangile de ce dimanche, l’événement du jour a été cette rencontre avec Jésus, une rencontre qu’ils n’avaient pas prévue. Et ils restèrent avec lui ce jour-là.

Dans notre prière du matin chaque jour, on peut demander à Dieu d’organiser lui-même les rencontres de la journée. Et s’il n’y a pas de rencontre, c’est que tout est bien ainsi. On nous raconte que le général Weygand faisait toujours secrètement à Dieu cette prière : "Mon Dieu, ne me donnez jamais que les charges que je suis capable de remplir".

Dans les lectures bibliques d’aujourd’hui, Dieu se révèle à Samuel, le Seigneur Jésus se révèle à deux disciples. Pascal disait : "Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait pas mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi". Et il ajoutait : "Prions Dieu de nous le faire connaître et servir en tout".

Un homme de notre temps, qui venait de loin (il a reçu le baptême à l’âge de trente ans), disait : "L’homme, sans le savoir, a soif de Dieu, et il se détourne de lui". Cet homme de notre temps redisait à sa manière ce que disait déjà saint Ignace, évêque d’Antioche, mort martyr au IIe siècle : "Il y a en chaque homme une eau vive qui murmure : Viens vers  le Père"… Une eau vive, c’est-à-dire l’Esprit Saint. Mais notre contemporain qui venait de l’incroyance totale disait encore par la suite : "La vraie Toute-Puissance de Dieu, c’est qu’il laisse surgir une liberté capable de le renier".

Le Seigneur Jésus, le Fils de Dieu, est le dernier mot de Dieu en fait de révélation. Dieu ne peut pas aller plus loin. Ce dernier mot de Dieu, les deux premiers disciples l’ont découvert un après-midi vers quatre heures sur les rives du Jourdain. Mais ce n’était qu’un tout petit début. Quand soixante ans ou soixante-dix ans plus tard, Jean mettra la dernière main à son évangile, il avait toujours l’impression de n’en être qu’au début. Mais le peu qu’il estime connaître et qu’il veut transmettre au lecteur de son évangile, suffit pour vivre de la vie de Dieu. (Avec Jean de Menasce, Jean Guitton, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

17 janvier 2010 - 2e dimanche du temps ordinaire – Année C

Evangile selon saint Jean 2, 1-11

Nous sommes au chapitre deuxième de l'évangile de saint Jean, donc au début de la vie publique de Jésus, juste après l'appel des premiers disciples. Première chose que l'évangéliste signale : Jésus participe à des noces avec ses disciples. On invite largement en Orient. Comme si Jésus n'avait rien d'autre à faire que d'aller à un mariage. La mère de Jésus aussi était là. Et c'est elle qui, à un certain moment, sait qu'il n'y a plus de vin. On ne nous dit pas combien il y avait d'invités, on ne nous dit pas combien de jours dure la noce, on ne nous dit pas combien de litres déjà ont été engloutis.

Ce qu'on nous dit, c'est que la mère de Jésus va trouver son fils pour lui dire au coin de l'oreille qu'il n'y a plus de vin. C'est un peu gênant quand même. Jésus aurait pu dire comme un rabat-joie : ils ont déjà assez bu comme ça ; ils n'ont qu'à boire de l'eau s'ils ont soif. A sa mère qui vient lui dire qu'il n'y a plus de vin, Jésus semble répondre : "Que veux-tu que j'y fasse? C'est pas mon problème". Mais sa mère, qui comprend tout, dit quand même à ceux qui font le service : "Faites tout ce qu'il vous dira. Je ne sais pas ce qu'il va vous dire, mais faites-le. Peut-être même qu'il ne vous dira rien". Mais finalement le vin coule à flots : six cents litres! Est-ce bien raisonnable ?

Depuis les jours des noces de Cana, Marie murmure inlassablement à l'oreille de son Fils : "Ils n'ont plus de vin". C'est une prière qu'elle rabâche sans cesse à l'oreille de son Fils pour les hommes d'hier et pour ceux d'aujourd'hui. Marie ne cesse de dire à son Fils : "Ils n'ont plus de vin". Et Marie ne cesse de nous dire comme autrefois : "Faites tout ce qu'il vous dira". Autrement dit, si nous n'allons pas puiser nous-mêmes les six cents litres d'eau pour les amener dans la salle du festin, il n'y aura pas de vin. "Faites tout ce qu'il vous dira". Et les serviteurs font ce qu’ils doivent faire, et l'eau arrive, et le vin aussi. Ce n'était pas prévu, c'était imprévisible. Mais les disciples de Jésus ont tout vu : ils n'ont pas compris grand-chose, mais il y a une chose qu'ils ont comprise : ils peuvent faire confiance à Jésus. Jésus leur a donné un signe, un signe pour qu'ils sachent qu'avec lui, Jésus, ils sont sur le chemin de Dieu. Dieu est avec Jésus.

C'est la mère de Jésus qui déclenche le miracle. Pour un enfant chrétien, ce que la prière a de concret commence dès qu'on lui présente la Mère de Dieu à vénérer. Une image de Marie, une statue, un chant, ce sont les premières choses qu'un enfant parvient à saisir de Dieu et du monde d'en haut. Dieu lui-même peut encore longtemps rester abstrait pour l'enfant, alors que la mère de Jésus est déjà pour lui si concrète. A elle, il peut se confier, il peut lui remettre tout ce qu'il ne comprend pas. L'enfant ne sait pas pourquoi certaines choses qu'il aimerait faire sont défendues, mais il comprend déjà que cela ferait de la peine à la mère de Jésus.

Qu'est-ce que c'est qu'aimer ? Qu'est-ce que ça veut dire aimer ? Cela veut dire : se donner, se livrer en toute confiance. Et un enfant est capable de ça. C'est sa manière de croire : en Marie, en Dieu, en tout le monde d'en haut. L'enfant ne désire qu'une chose : aimer et être aimé. Et il n'y a pas que l'enfant qui est comme ça. Et que nous disent les saints ? Ils nous disent : Dieu ne peut qu'aimer. Il regarde tout être humain avec une infinie tendresse. C'est ce que fait Jésus aux noces de Cana. Il a pitié de la foule, déjà, comme dira plus tard de lui l'évangile. Il a pitié de la foule de tous ces gens qui ont soif, qui n'ont plus de vin. Tous les hommes recherchent le bonheur, tous les hommes cherchent à être heureux, et Pascal ajoute, même celui qui va se pendre.

Un mariage, un jour ce noces, c'est une promesse de bonheur. Et Jésus assiste aux noces. Une histoire juive raconte qu'après avoir créé le monde Dieu a travaillé à organiser les mariages, il a travaillé à diriger un tel vers une telle, qui est sa moitié, au sens fort du terme. Qu'en est-il alors de ceux qui ne se marient pas ? De ceux qui n'ont pas trouvé leur moitié ? La moitié qui leur manque pour être complet. Dans le christianisme, celui qui ne se marie pas est appelé à vivre une relation nuptiale avec son Dieu. C'est Dieu qui doit devenir son tout, bien plus que sa moitié. Ce n'est pas facile, mais le mariage non plus n'est pas facile. C'est pour cela que Jésus était au mariage de Cana, pour aider.

La présence de Jésus aux noces de Cana est comme un symbole de toute son existence. Jésus va à des noces. Dieu est venu dans le monde pour montrer comment il aimait vraiment l'humanité. Il l'aime comme un époux peut aimer son épouse. Et il a montré comment il aimait son épouse, en donnant sa vie pour elle. (Fiches dominicales, Frère Roger, Pascal, Joseph Ratzinger, AvS, HUvB).

 

20 janvier 2013 - 2e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Jean 2,1-11

Nous sommes au débit de la vie publique de Jésus et de son ministère de prédicateur itinérant. Il a déjà réuni autour de lui quelques disciples et aujourd'hui il est invité à un mariage. Jésus ne fait pas de grands discours aujourd'hui. L'évangéliste a retenu un petit dialogue entre Jésus et sa mère, sa mère qui lui signale qu'il n'y a plus de vin dans la maison, parce que les noces, en Orient, ça dure plusieurs jours, et on avait calculé trop juste.

Jésus est un invité parmi d'autres. Qu'est-ce qu'il en a à faire qu'il n'y a plus de vin ? Jésus n'a pas répondu à sa mère : "S'il n'y a plus de vin, ils n'ont qu'à boire de l'eau, ça ne leur fera pas de mal". Et pourquoi Jésus fait-il un miracle, en quelque sorte tout à fait inutile ? Pourquoi ? Il y a au moins deux résultats : d'abord les gens pourront continuer à boire du vin, et puis les disciples qui étaient là, on ne les entend pas , mais ils sont là, témoins, ils se rendent bien compte de ce qui s'est passé, et ils découvrent quelque chose de Jésus. Qu'est-ce que ça veut dire pour eux, croire en Jésus ? Ce que les disciples ont compris, c'est que la main de Dieu était là. De l'eau, du vin ! Ce n'est pas possible, rationnellement, humainement parlant.

Jésus est invité à des noces, et il y va. A quoi ça sert ? On ne peut pas toujours dire à quoi sert ceci ou cela dans la vie de tous les jours. Le Seigneur Jésus, lui aussi, a vu venir le quotidien avec sa petitesse, sa banalité. Il ne l'a pas écarté. Par hasard il y avait un mariage, par hasard on lui a dit qu'il n'y avait plus de vin. Et discrètement, sans tambour ni trompette, il a fait ce que sa mère n'osait même pas lui demander, et tout le monde a su que Dieu était avec lui.

Mère Teresa était enseignante dans une maison d'éducation où elle était très heureuse. Elle a quitté cette maison d'éducation quand elle a découvert la pauvreté et la misère. Elle rencontre une pauvre femme que son fils avait jetée dans une poubelle et qui était dévorée par les rats. Patiemment, Mère Teresa se met à la laver avec amour et l'arrache à la mort. La pauvre femme émerge et elle dit à Mère Teresa : "Mais pourquoi fais-tu cela ?" Réponse : "A cause de mon Dieu". Alors cette femme dit à Mère Teresa : "Dis-moi quel est ton Dieu, pour que je le suive, moi aussi". Mère Teresa n'était pas à la noce, elle n'a pas fait de miracle. Mais Dieu en a fait un pour elle : une femme s'est mise à croire au Dieu de Mère Teresa.

Une société d'incroyants, la nôtre, ne peut sa passer de croire devant les trois vertiges de la vie, de l'amour et de la mort. La femme mangée par les rats était au bord de la mort, elle a vu l'amour et elle a cru en Dieu. Comment parler de Dieu aujourd'hui ? Mère Teresa avait son style pour le faire, le philosophe d'aujourd'hui a aussi son style, qui est celui du philosophe, mais qui est aussi un peu comme le style de la rue, le philosophe qui dit ceci aujourd'hui : "Il faut prêcher l'espérance avant de faire la morale, annoncer le salut avant de dénoncer le salaud".

Aux noces de Cana, quand il n'y a plus de vin à boire, Jésus ne se lance pas dans un grand discours sur les bienfaits de la sobriété. Mère Teresa n'a pas fait de longs discours à la femme qui était mangée par les rats... "Il faut prêcher l'espérance avant de faire la morale, annoncer le salut, avant de dénoncer le salaud". Et le philosophe continue : "On peut se faire donneur de leçons évangéliques pour n'avoir jamais à en recevoir des autres".

Aux noces de Cana, les disciples ont tout vu, et ils ont cru en Jésus. Mais Jésus ne fait pas de miracles tous les jours. Il laisse les hommes suivre leur chemin qui n'est pas toujours tout de suite un chemin vers Dieu. Mais le cœur du pire ennemi de Dieu, malgré tout, a été fait par Dieu et pour Dieu... Ce n'est pas parce que mon interlocuteur s'oppose à moi qu'il s'oppose à Dieu. La personne en apparence la plus hostile à Dieu est peut-être au fond plus proche de Dieu que moi. Et il se peut qu'il ne claironne son hostilité que par une ignorance invincible, par un embrigadement qui l'a formaté depuis l'enfance... Est-ce qu'on peut discerner ce qui est déjà de Dieu dans le non-chrétien ou le pseudo-chrétien ?

La mère de Jésus était là aux noces de Cana. Marie était loin de pénétrer tous les mystères insondables dont elle était le centre. Elle doit fournir l'effort de les méditer inlassablement afin de les comprendre autant que possible. Il lui a été dit qu'elle enfantera un fils, conçu non d'un homme, mais de l'Esprit Saint. Et la voilà enceinte et elle est encore vierge. Ce fils lui a été désigné comme le fils du Très-Haut. Comment une jeune fille juive pouvait concevoir que Dieu, que Yahvé, a un fils ? Mais elle est enceinte, et c'est là un fait indéniable. L'incarnation est un fait qu'elle ne comprend pas mais qu'elle médite inlassablement. Et comment s'est produit l'inconcevable ? "L'Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre". (Avec Mère Teresa, Cardinal Poupard, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

17 janvier 2016 - 2e dimanche du temps ordinaire  - Année C

Évangile selon saint Jean 2,1-11

Marie, la mère de Jésus, est très liée aux parents de l’époux de ce jour : ils ont organisé la fête des noces dans leur maison, à l'étage, et Marie a aidé quelque peu à la préparation de la salle des noces. Jésus arrive. On l'installe à la table d'honneur avec l'époux, l'épouse et les parents des jeunes mariés. Marie est en face de lui. A un certain moment, Marie s'aperçoit que les serviteurs parlotent avec le majordome. Elle comprend qu'il y a quelque chose de désagréable. Elle va se renseigner et c'est alors qu'elle va glisser à l'oreille de Jésus : "Fils, ils n'ont plus de vin". La réponse de Jésus est assez énigmatique, mais Marie a lu dans les yeux de son Fils son assentiment. Elle dit aux serviteurs : "Faites tout ce qu'il vous dira". Les serviteurs vont chercher de l'eau au puits. Le majordome se verse un peu de ce liquide, l'essaie, le goûte, il semble très étonné. Et la suite, on la connaît. Dans la salle passe un murmure, les têtes se tournent vers Jésus et Marie. Jésus se lève, il dit une seule parole : "Remerciez Marie", et puis il quitte le repas. Sur le seuil, il répète : "Paix à cette maison et que la bénédiction de Dieu soit sur vous".

Et à nous, Jésus nous dit : "Rappelez-vous toujours que mon premier miracle est arrivé par Marie. Je ne refuse rien à ma Mère à cause de sa prière. J'ai voulu rendre manifeste au monde sa puissance en même temps que la mienne. Remerciez Marie, c'est par elle que vous avez toutes mes grâces, spécialement celle du pardon".

Pourquoi ce premier miracle de Jésus pour donner du vin à des noces ? Pourquoi ? Dans un premier temps, on peut dire : un miracle pour faire plaisir à ces gens, c'est-à-dire pour leur faire comprendre qu'il les aimait. Plus tard, quand on demandera à Jésus : "Quel est le plus grand commandement ?", il répondra que le premier commandement, c'est d'aimer Dieu ; et que le second, très lié au premier, c'est d'aimer son prochain. Il y a des gens qui aiment Dieu, mais pas le prochain. Il y en a d'autres qui peuvent aimer le prochain, mais pas Dieu. Et il y a ceux qui n'aiment ni Dieu ni le prochain. Comment agir avec eux ?

Le catéchisme pour adultes, de Jean-Paul II, disait (et dit toujours) : "Chaque famille chrétienne est un îlot de vie chrétienne dans un monde incroyant". Mais pourquoi y a-t-il tant d'incroyants ? Est-ce que Dieu ne pourrait pas intervenir comme il l'a fait aux noces de Cana pour ce qu'on pourrait appeler des futilités ? Pourquoi ? Aimer, c'est promettre et se promettre de ne jamais employer à l'égard de l'être aimé les moyens de la puissance. Refuser toute puissance, c'est s'exposer au refus, à l'incompréhension et à l'infidélité. Et Dieu respecte la liberté humaine à un point tel qu'il se garde bien d'intervenir dans le monde à tout bout de champ.

C'est par la prière qu'on trouve le chemin qui mène à Dieu. C'est un historien juif de notre temps qui dit cela : "La prière juive n'est pas une demande adressée à Dieu, elle est un soutien que l'homme apporte à l'action de son Créateur. Toute prière est une contribution à l’œuvre voulue par Dieu et ne doit être que cela". C'est ce qu'a fait Marie aux noces de Cana : "Ils n'ont plus de vin". Mais "que ta volonté soit faite et non la mienne".

Pourquoi offrir du vin par un miracle à des noces de village ? Jésus n'a pas donné d'explications. Dieu peut avoir des secrets qu'il ne communique pas. Parmi les conduites de Dieu, l'une des plus étranges est celle-ci : Jésus choisit douze apôtres, il les forme, il leur donne la mission d'annoncer l’Évangile aux nations. Et puis, sans les prévenir, il fait en sorte que ce soit un treizième, saint Paul, qui sera le principal apôtre en réalité, mais pas officiellement ; un treizième qui n'a même pas connu Jésus ici-bas, qui n'a pas vécu trois ans avec lui, qui n'a pas vu tous ses miracles, qui n'a pas entendu toutes ses prédications et tous ses conseils. Saint Paul aura même l'audace d'écrire un jour qu'il travaille beaucoup plus, à lui tout seul, que tous les autres. Jésus éduque bien douze hommes, douze apôtres. Et sans rien dire à personne, il en choisit un treizième qui travaillera plus que tous les autres à la mission. Dieu peut avoir des secrets qu'il ne communique pas. Et il en est certainement ainsi aussi dans chacune de nos vies.

Il y a des gens qui se demandent si on ne va pas s'ennuyer dans l'éternité. Tout le monde connaît l'humoriste qui disait : "L'éternité, c'est long, surtout vers la fin"... Dieu peut avoir des secrets qu'il ne communique pas. Qu'est-ce qui peut apaiser l'homme plus que cette double certitude : je n'ai pas à redouter de pouvoir comprendre Dieu et de l'épuiser, mais son caractère éternellement inconcevable sera pour moi la source d'une connaissance et d'un amour qui me dépasseront éternellement. (Avec Catéchisme de l’Église catholique, François Varillon, Jean Guitton, AvS, HUvB).

 

23 janvier 2011 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 4,12-23

Jésus a passé toute sa jeunesse à Nazareth, en Galilée, dans le nord de la Palestine. Saint Matthieu nous raconte aujourd'hui les débuts de la vie publique de Jésus, les débuts de son ministère. Originaire de Galilée, Jésus commence donc son ministère en Galilée. Son programme est résumé en quelques mots par l'évangéliste : "Convertissez-vous, car le royaume des cieux est tout proche, le royaume de Dieu est tout proche". Qu'est-ce que c'est que ce royaume de Dieu ? Il faut lire et relire tout le Nouveau Testament pour le savoir.

Et puis, première action de Jésus : il embauche quatre hommes : des artisans pêcheurs. Pourquoi pas des scribes ou des pharisiens ? Pourquoi pas des professeurs d’Écriture Sainte? Les quatre hommes que Jésus appelle à l'accompagner, Jésus va les former lui-même. Ils n'ont qu'une chose à faire pour le moment : écouter et regarder. Ils pêchaient du poisson. Jésus va en faire des pêcheurs d'hommes. Les pêcheurs ne savent jamais d'avance si la pêche sera bonne. C'est comme ça pour pêcher du poisson, ce sera comme ça aussi pour pêcher des hommes. C'est Dieu qui mène la barque.

Jésus demande à quatre hommes de l'accompagner, et ces quatre hommes acceptent. L'évangéliste ne nous dit rien de leur état d'âme. Quitter son métier et son gagne-pain, c'est quand même quelque chose. Pour aller où ? On ne sait pas. On sait simplement qu'on part avec Jésus. Il est fort possible que ces quatre hommes connaissaient déjà un peu Jésus, et ce qu'il disait et ce qu'il faisait. Jésus n'était peut-être pas pour eux tout à fait un inconnu. Et quand Jésus les a appelés, ils se sont laissé faire. Jésus n'est pas encore connu comme la lumière des nations. Mais les quatre hommes ont dû discerner, ils ont dû comprendre qu'il y avait en Jésus quelque chose qui venait de Dieu. Et ils sont partis avec lui.

Jésus déjà les avait initiés à la vie éternelle. Il leur avait donné le goût de Dieu. Jésus appelle ces quatre hommes : Pierre, Jacques et Jean, et André. Et ces quatre hommes ont répondu d'une certaine manière : "Que ta volonté soit faite". La mission des apôtres commence par un temps de formation, de formation auprès de Jésus. Les apôtres ont une mission bien visible. Mais il y a aussi dans le monde des missions invisibles. Les saints nous disent : "La mission invisible d'un homme est toujours proportionnelle à l'amour, même si sa mission visible apparaît microscopique et accessoire. Un amour parfait peut rester entièrement caché dans l’Église, tout en étant parfaitement efficace". On n'a pas tous la même mission. On n'a pas tous à être apôtres à la manière de Pierre, Jacques et Jean et André. Comment faire ?

Le pape Benoît XVI peut nous donner des idées. Dans son livre-interview "Lumière du monde", il dit ceci quelque part : "L’Église n'impose rien à personne, elle ne présente pas un quelconque système moral. Ce qui est vraiment décisif, c'est que Dieu existe. Ce qui est vraiment décisif, c'est que l’Église ouvre les portes vers Dieu et donne ainsi aux gens ce qu'ils attendent le plus, ce dont ils ont le plus besoin et ce qui peut aussi leur apporter la plus grande aide".

Et concrètement, que faire ? Benoît XVI continue : "L’Église le fait avant tout par le moyen du miracle de l'amour qui ne cesse de se répéter : lorsque des gens, sans en tirer profit, sans que leur métier les oblige à le faire, motivés par le Christ, prêtent secours et assistance aux autres". Tout n'est pas dit en ces quelques mots; mais pour beaucoup de gens, c'est peut-être une ouverture sur Dieu.

Les pêcheurs lancent leurs filets, mais ils ne sont pas sûrs de ce qui va se passer. Un homme de notre temps, haut placé dans l'administration et l'enseignement, a un jour été touché par Dieu pour mettre en œuvre quelque chose de très concret au point de vue évangélisation et, un jour, il aurait entendu une voix lui dire : "Répands ma Parole sans te soucier des résultats". Cet homme, qui est aussi poète et philosophe, a raconté un peu ce qui lui était arrivé dans un livre qu'il a intitulé : "J'ai rencontré Dieu". (Ce n'est pas André Frossard). Et le même homme, poète et philosophe, dit quelque part, toujours à propos de mission : "On ne peut affirmer Dieu qu'en s'effaçant". Et le même disait encore : "Ce n'est pas Dieu qui est absent, c'est nous qui sommes absents à Dieu... La prière, c'est le constant moteur de la mise en Présence". (Avec Benoît XVI, Jean Bancal, AvS).

 

26 janvier 2014 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 4,12-23

Jésus commence à se constituer une équipe de disciples. Il choisit deux couples de frères : Pierre et son frère André, Jacques et son frère Jean. Ces quatre hommes étaient des artisans pêcheurs du lac de Galilée. Et pour leur dire pourquoi ils doivent le suivre, Jésus fait un jeu de mots : Jusqu'à présent vous étiez des pêcheurs de poissons, venez avec moi, je vais faire de vous des pêcheurs d'hommes. Pêcher des poissons, pêcher des hommes, ce n'est pas la même chose. Comment cela pourra-t-il se faire ? C'est une question que Marie avait un jour posée à l'ange. Ici Jésus ne s'occupe pas d’expliquer comment ça va se passer.

Mais les quatre hommes, qui avaient fréquenté Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain, connaissaient déjà un peu Jésus. Et quand Jésus leur demande d'aller avec lui, tout de suite ils répondent : "Présent". Ces quatre hommes savaient que Jean-Baptiste était un homme de Dieu. Et Jean-Baptiste avait fait de Jésus une présentation étonnante. Jean-Baptiste était vénéré comme un prophète et un saint, et il avait dit solennellement que Jésus était beaucoup plus grand que lui. Alors quand Jésus demande à ces quatre hommes de faire route désormais avec lui, ils n'ont aucune hésitation.

L'Esprit Saint les a peut-être aussi instruits de l'intérieur. Et de cette manière, ils savent exactement ce qu'ils doivent faire. Comme Marie, la Mère de Jésus : elle se tient toujours exactement là où elle doit se tenir. Et Marie est conduite par l'amour. Et tout en elle est droit. Pendant trois ans, les quatre disciples vont beaucoup apprendre de Jésus. Mais ils vont aussi apprendre à connaître sa Mère, et plus encore sans doute après la mort de Jésus, et d'elle aussi ils vont beaucoup recevoir.

Le premier jour, sur les bords du lac, les quatre disciples n'ont encore aucune idée de ce qui va se passer. Ils ne peuvent absolument pas prévoir comment Jésus va les instruire, comment Dieu va les instruire. Nous devons toujours laisser à Dieu toutes les possibilités de se révéler à notre esprit. Quand il le veut, Dieu peut déplacer des murs et nous ouvrir un peu plus à son monde secret. Mais il y a en quelque sorte un préalable : "Retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte". Pour que le monde de Dieu s'ouvre à nous, il faut que le reste nous soit devenu comme invisible, au moins pour un temps. C'est ce qui se passe dans toute vraie prière.

Quatre hommes sont embauchés par Jésus. Plus tard, Jésus va les envoyer en mission. Ils pourraient dire alors comme un homme de notre temps qui, lui aussi, avait été envoyé par Dieu à sa manière : "Nous sommes envoyés, mais pas pour faire n’importe quoi, ni par n'importe quel moyen, pour faire de cette terre une terre de communion".

Qu'est-ce qu'il y a de plus profond en l'homme ? C'est son être spirituel, sa capacité d'aimer, sa destinée personnelle. Beaucoup de choses changent au cours des temps. Nous ne sommes plus au Moyen Age, ni au temps des Barbares (s'il est vrai qu'il n'y a plus de Barbares aujourd'hui). Mais dans sa réalité profonde, l'homme n'a pas changé. L’environnement de l'homme a changé mais, dans sa nature, dans sa capacité de connaître, dans son désir de bonheur, dans son désir de s'ouvrir et d’aimer les hommes, dans ses relations avec Dieu, l'homme n'a pas subi de mutation. La connaissance de la lune ne modifie en rien notre connaissance de l'homme en ce qu'il a de plus profond. La destinée de l'homme n'a pas changé quand il devient astronaute. Mais il est sûr que le démon de l'athéisme a fait une partie de son travail. Cela ne veut pas dire que sa victoire sera définitive ni complète.

Beaucoup d'hommes d’aujourd’hui ressemblent fort aux hommes décrits par Pascal, il y a quelques siècles : "Les hommes n'ayant pu guérir la mort, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y pas penser". Un penseur de notre temps (pour ne pas dire un philosophe), sans Dieu, écrivait dans sa jeunesse (il avait vingt-trois ans) : "J'ai trop de jeunesse en moi pour pouvoir parler de la mort". Mais plus tard, la mort sera l'obsession de cet homme, et il dira alors : "Le destin fait de nous tous des condamnés à mort. Nous n'avons pas mérité cela".

C'était un homme qui ne croyait pas en Dieu. Mais Dieu demande à chacun de nous de chercher à connaître la vérité. Dieu nous fait cette singulière confiance de demander à chacun d'entre nous d'essayer de découvrir la vérité. Quatre disciples sont embarqués par Jésus ; ils savent déjà des choses, mais ils en ont encore beaucoup à apprendre. C'est vrai pour chacun d'entre nous.

Être chrétien, ce n'est pas facile. Être sans Dieu, c'est encore plus difficile à longue échéance. Être chrétien n'est pas facile. Les quatre disciples ne sont pas invités à imiter le Christ. Le Seigneur Jésus est unique et inimitable. Les quatre disciples sont invités cependant à suivre Jésus. C'est ce qu'essaient de faire tous les chrétiens. (Avec Frère Roger, Jacques Marin, Pascal, Albert Camus, AvS, HUvB).

 

22 janvier 2017 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 4,12-23

Saint Matthieu nous présente les débuts du ministère public de Jésus : cela se passe en Galilée, au Nord de la Palestine. Jésus parcourait toute la région. C'est en Galilée que Jésus exercera l'essentiel de son travail de prophète et de Messie. La vie publique de Jésus sera brève : pas plus de trois ans. Très rapidement donc Jésus s'attache des disciples qui pourront continuer son œuvre. Les quatre premiers qu'il appelle sont des artisans pêcheurs du lac de Galilée, ce ne sont pas des savants. Il y a Pierre et son frère André. Et puis deux autres frères : Jacques et Jean, Jean qui deviendra "le disciple que Jésus aimait", comme dit l'évangile de Jean justement. Jésus appelle quelques disciples et sa mission commence. Longtemps après les événements, l’évangéliste pourra dire : "Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière". 

Et qu'est-ce que les gens ont vu tout d'abord ? Ils ont vu que Jésus faisait des miracles, beaucoup de miracles, c'est ça le plus frappant. Il guérissait beaucoup de malades. C'est ça d'abord qui frappe. Et alors les gens se disaient : Ce Jésus, ce doit être un ami de Dieu, un prophète de Dieu, sinon il ne pourrait pas faire tous ces miracles. Et puis Jésus donnait souvent des enseignements dans les synagogues. Et les gens remarquaient que Jésus parlait beaucoup mieux de la foi et de la religion que tous les chefs juifs. Si bien que les gens se posaient la question, qu'on trouve plus loin dans l'évangile : "D'où lui vient toute cette sagesse ?" Lui qui était artisan menuisier comme Joseph que tout le monde connaissait comme étant son père.

Et que disait Jésus ? C'est très bref ce que nous rapporte aujourd'hui l'évangile : Jésus proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume Et puis aussi : "Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche".  C'est quoi le Royaume ? Et c'est quoi la Bonne Nouvelle ? "Seigneur Jésus, toi qui es présent au milieu de nous, rends-nous attentifs à l'appel que tu nous adresses aujourd'hui. Donne-nous de répondre avec courage à tous les appels de ta grâce".

Pour beaucoup de ceux qui participent à la messe, il y a une réception visible de l'hostie consacrée. Mais l'union avec le Seigneur Jésus ne se limite pas à la communion qui est distribuée par le prêtre ou un laïc. L'eucharistie nous apporte le don de la vie en communion avec le Seigneur Jésus. Et l'union avec le Seigneur Jésus ne se limite pas à la communion quand elle est distribuée. Quelqu'un qui a la foi, a toujours la foi, même quand il ne récite pas le "Je crois en Dieu", le credo. De même celui qui reçoit la communion doit continuer normalement à vivre en communion avec le Seigneur Jésus même quand il n'a plus en lui sensiblement l'hostie sacramentelle. De même qu'il y a un état de foi, il y a aussi un état de communion.

Et celui qui ne communie pas au cours de la messe peut avoir lui aussi intérieurement cet état de communion. Et c'est quoi cet état de communion ? C'est ce qui pourrait nous faire redire plus d'une fois au cours de nos journées, plus d'une fois et même aussi souvent que nous le pouvons ou le désirons : "Seigneur Jésus, toi qui es présent au milieu de nous, rends-nous attentifs à l'appel que tu nous adresse en ce moment, et donne-nous de répondre avec courage à tous les appels de ta grâce".

Une Espagnole, fort croyante, mariée et mère famille, a écrit, il y a un certain temps, un livre auquel elle a donné pour titre : "Une voix de femme". Et là, quelque part, elle nous dit ceci qui s'adresse aux femmes aussi bien qu'aux hommes et aux plus jeunes : "On peut aussi appliquer sa créativité à rencontrer Dieu. Car on ne peut pas attendre passivement de recevoir les choses : rien ne remplace le travail personnel de chacun". On pourrait ajouter : s'il n'y a pas ce travail personnel de chacun, la foi n'est plus vivante, elle est morte.

C'est quoi la foi vivante ? C'est quoi le Royaume ? C'est quoi la Bonne Nouvelle ? Treize siècles après le Christ, saint François d'Assise avait tout compris avec cette prière si connue et si belle : "Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine, que je mette l'amour. Là où est l'offense, que je mette le pardon. Là où est le désespoir, que je mette l'espérance. Là où est la tristesse, que je mette la joie".

C'est quoi la foi vivante ? C'est quoi le Royaume ? C'est quoi la Bonne Nouvelle ? C'est ceci : "Ne cherche pas le pouvoir. Si tu y es appelé, ne le considère que comme une occasion de servir. S'il arrive que tu puisses te mettre en évidence sans profit pour le prochain, ou que tu puises faire montre de ta supériorité, abstiens-toi. N'alimente pas ton amour-propre". C'est un penseur russe qui disait cela, russe et chrétien : Ne cherche pas le pouvoir. Si tu y es appelé, ne le considère que comme une occasion de servir... Et si tu es tenté de faire le malin, abstiens-toi.

Aujourd'hui dans l'évangile, Jésus commence sa mission, la mission qu'il a reçue du Père, dans l'Esprit Saint, la mission de révéler l'essence de Dieu et son attitude envers les hommes. Jésus, bien sûr va parler des pauvres, des petits, des indigents, des pécheurs. Mais il va nous montrer aussi la colère de Dieu, par exemple quand il voit profaner le lieu de son culte par les vendeurs du temple. Il va nous dire aussi le dégoût que Dieu éprouve à devoir longtemps demeurer au milieu de gens inintelligents, qui ne comprennent rien à son message. Il va nous dire aussi la tristesse et les larmes de Dieu sur Jérusalem, qui a refusé son invitation. Et puis il y aura aussi son cri d'abandon sur la croix où Jésus supplie Dieu comme un pécheur parmi les pécheurs : "Pourquoi m'as-tu abandonné?" C'est quoi le Royaume ? C'est quoi la Bonne Nouvelle ? Toute l'existence de Jésus se tient au service de son annonce de Dieu. (Avec Mercedes Gomez-Ferrer, saint François d'Assise, Vladimir Soloviev, AvS, HUvB).

 

25 janvier 2009 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,14-20

Voilà six hommes que Dieu a été chercher pour leur confier une mission : Jonas, Pierre et André, Jacques et Jean, Paul. En les appelant, Dieu leur a fait don de la foi. Ils ont été connectés à Dieu. Croire, c'est être connecté à Dieu. Et cela, on ne peut pas le faire par soi-même. Dieu est tel qu'il ne peut être atteint que par la foi. Il n'y a que Dieu qui peut nous connecter à lui, comme il a fait pour Paul et pour les autres.

Alors les incroyants utilisent la formule pour s'excuser de ne pas avoir la foi. Si la foi est un don de Dieu et qu'ils ne sont pas croyants, c'est que Dieu ne leur a pas donné la foi. Plus ou moins consciemment, ils accusent Dieu de ne pas leur avoir donné la foi. Cela est fait pour leur donner bonne conscience et ils peuvent en être soulagés. "Ouf! Ils ont échappé à la foi !"

Par la foi, nous acceptons de nous brancher sur Dieu, de nous laisser brancher sur Dieu. Les six hommes d'aujourd'hui ont accepté de répondre à l'invitation qui leur était faite. Mais sur les six, il y en a au moins un qui a commencé par dire : "Non, je ne veux pas", c'est Jonas.

On pourrait dire : Dieu ne nous demande rien. Il attend de nous que nous acceptions ce qu'il veut nous donner. Et qu'est-ce qu'il veut nous donner, Dieu ? Ce qu'il veut nous donner? C'est la vie éternelle. C'est ça la Bonne Nouvelle.

Un jour, une future sainte de notre temps entre dans une église, l'église du Saint-Esprit, comme il y a des églises du Sacré-Coeur ou de l'Immaculée Conception. Elle a dix-neuf ans et elle explique à son petit frère que, si cette église s'appelle l'église du Saint-Esprit, c'est que l'Esprit Saint doit y vivre. Il vit dans l'église, il vit dans la foi, il vit en chaque croyant...Il y a peut-être cinquante personnes dans cette église, il y en a qui prient vraiment, en qui l'Esprit Saint vit réellement. Et il y en a beaucoup d'autres pour qui l'Esprit n'est qu'un souvenir.

Et alors elle se met à prier : "Mon Dieu, je t'en prie, aie pitié de nous tous... Tu vois que nous avons tant de mal à te comprendre. Quand j'étais petite, tu étais tout proche, mais maintenant tu es souvent si loin. C'est peut-être de ma faute. Je t'en prie, mon Dieu, enlève de moi tout ce qui n'est pas à toi, arrache-le et mets à la place tout ce que tu veux. Je ne sais pas bien ce que je dois faire de ma vie. Et s'il y a encore autre chose qui n'est pas juste en moi, je te prie de me le montrer et d'enlever tout ce qui ne te plaît pas et de me pardonner.

Et enfin donne-moi ton Esprit Saint. Donne m'en beaucoup, beaucoup, donne m'en tellement que je puisse le donner à tous ceux qui en ont besoin... Mon Dieu, je t'aime beaucoup et je te le demande : aime-moi, et aime aussi toute ma famille, ma mère et mon petit frère qui m'a accompagné, mon école, tous ceux qu'un jour je rencontrerai. Et puis je voudrais que tu me montres le véritable chemin, dès aujourd'hui. Donne à tous la vérité de ton Esprit Saint".

Et à cette grande prière, elle avait encore ajouté des petites prières comme celles-ci : "Allume ton amour dans cette ville"... "Fais qu'en chaque église il y ait quelqu'un qui te prie vraiment"... "Permets qu'en chaque maison il y ait une flamme qui fait penser à toi"... "Sois tous les jours avec ceux qui prient". Amen. (Avec Rémi Brague, Adrienne von Speyr).

 

25 janvier 2015 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,14-20

Nous retrouvons aujourd'hui l'évangile de saint Marc qui sera notre évangile pour la plupart des dimanches verts. Dimanche dernier, l'évangéliste saint Jean nous racontait une première rencontre de Jésus avec quelques disciples : André, Jean et Pierre. Aujourd'hui saint Marc nous dit en quelques mots l'appel définitif des quatre premiers disciples de Jésus.

Il y a d'abord Pierre et André qui font leur métier de pêcheurs dans le lac de Galilée. Ils ne font rien d'extraordinaire et ils n'attendent rien de particulier. Jésus les regarde travailler. Ils jettent leurs filets à la mer. Quand on jette les filets, on n'est jamais sûr du résultat. On travaille dans une certaine espérance : cela fait partie des petites possibilités de chaque jour. Ils veulent simplement gagner leur vie. Il y a des bons jours, il y a des mauvais jours, il y a de bons endroits et des mauvais endroits. Ils choisissent ce qui leur semble le meilleur, mais il y a toujours une part d'incertitude.

Jésus les regarde à la manœuvre. Les deux pêcheurs n'auraient pas remarqué Jésus s'il ne les avaient pas interpellés. Il leur dit : "Venez à ma suite". Et tout de suite Jésus ajoute le motif de son ordre : "Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes". Jésus se permet de les interpeller et d'exiger d'eux le maximum : laisser tomber leur gagne-pain et le suivre pour une vie inconnue. Au début, les deux disciples ignoraient tout de la divinité de Jésus, de son droit de poser des exigences : Venez avec moi. Je vais faire de vous des pêcheurs d'hommes. Au fond, je veux vous laisser dans votre profession. Vous allez rester des pêcheurs. Seulement, au lieu des poissons, ce sont des hommes qui viendront. Et ce sera toujours un travail qu'on fait dans l'espérance.

Ils étaient travailleurs, ils sont appelés à travailler plus. Ils étaient croyants comme les juifs de la première Alliance. Mais leur foi devra avoir un nouveau commencement. Où va se faire ce travail de pêcheurs d'hommes ? Sûrement pas dans le désert, mais là où il y a de l'eau et des poissons. Et pour cette nouvelle pêche, ils devront faire usage de leur intelligence. Et toujours ils devront s'interroger : Est-ce que je fais bien mon travail ? "Et aussitôt, laissant là leurs filets, ils suivirent Jésus".

Plus tard, après la mort de Jésus et sa résurrection, ils sauront que l'Esprit Saint de Dieu sera avec eux pour dire les paroles qu'il faut. Et ils sauront aussi que l'Esprit Saint sera dans le cœur des hommes pour qu'ils se laissent toucher et convaincre par leur parole. Mais l'Esprit Saint ne s'impose pas, on peut l'accueillir, on peut aussi le refuser. La négation, c'est un produit de mon intelligence. Mon intelligence est capable de nier. Quand l'enfant découvre la négation, quand il découvre la possibilité de dire non, il est tout fier. Il aime dire non parce que, en disant non, il s'affirme, il s'affirme en dehors des autres.

La liberté, c'est la meilleure et la pire des choses. La liberté, c'est la possibilité de transgresser les interdits. Cela a commencé au jardin d’Éden avec Adam et Ève. Et puis il y a eu Caïn qui as tué son frère Abel. "Tu étais libre, Caïn ! Qu'as-tu fait de ton frère ?" Vous vous souvenez du mot d'un personnage de Dostoïevski : "Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis". Ce n'est pas tout à fait vrai, ce n'est même pas vrai du tout, parce qu'une conscience droite a des requêtes qui sont difficiles à étouffer.

Sur les bords du lac de Galilée, le Seigneur Jésus appelle quatre hommes. Ils étaient libres de dire oui ou non. La liberté, pour quoi faire ? Lord Halifax, un grand Anglais de la première moitié du XXe siècle, disait un jour à Jean Guitton : "Quelle drôle de chose que la grande nation chrétienne qu'est la France empêche qu'on parle de Dieu à l'école !" Jean Guitton avait été toute sa vie professeur de philosophie. Il aurait aimé proposer à des élèves ce sujet de dissertation : "Renan a dit : Le catholicisme est admirable en tout. Hélas, il n'est pas vrai ! Mauriac a dit : Le catholicisme est critiquable et défaillant en tout, mais il est vrai. Vous donnerez votre opinion".

Et que se passe-t-il en l'absence de Dieu, en l'absence du Dieu révélé par le Seigneur Jésus ? Que se passe-t-il quand on refuse Dieu ? Il se passe des événements qu'on a vu se produire en France tout récemment.  La sécularisation, l'absence de Dieu, l'athéisme, cela produit un vide spirituel. Et qu'est-ce qu'on peut fonder sur un vide spirituel ? Mais il faut sans cesse approfondir les vérités de la foi.

C'est quoi les vérités de la foi ? L'homme est un être limité : c'est une évidence. Et en même temps il est capable d'infini, du moins il en a le désir. L'homme peut deviner que son existence et sa liberté sont comme suspendus à un Être infini, universel, total. L'homme demande du sens. Pourquoi vivre ? L'homme cherche à comprendre. Et le sommet de ce qu'il peut comprendre, c'est du côté de Dieu. Les disciples au bord du lac sont appelés par le Seigneur Jésus. Ils ne savent pas grand-chose encore. Ils ont un long chemin à faire avec le Seigneur Jésus pour le découvrir et le connaître vraiment et entrer avec lui dans la plénitude du mystère de Dieu. (Avec Cardinal Lustiger, Ambroise-Marie Carré, Lord Halifax, Jean Guitton, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

24 janvier 2010 - 3e Dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 1, 1-4; 4, 14-21

Cet évangile est composé de deux parties, évidemment : il y a d'abord le prologue de l'évangile de saint Luc, au chapitre premier ; de là on passe au chapitre quatrième, le récit des débuts du ministère public de Jésus, dans la synagogue de Nazareth.

Dans le prologue de son évangile, saint Luc nous dit qu'il sait que d'autres récits de la vie de Jésus circulent déjà. Mais lui, saint Luc, il estime qu'il y a encore d'autres choses à dire. Saint Marc et saint Matthieu et leurs sources n'ont pas tout dit. Lui, saint Luc, il a eu accès à d'autres sources, à d'autres recueils de paroles de Jésus, à d'autres recueils aussi peut-être de petits événements de la vie de Jésus. Et il estime de son devoir de faire un exposé suivi avec tous les matériaux dont il dispose. Il faut qu'on puisse se rendre compte de la solidité des bases de la foi en Jésus Christ.

Ce qui se passe ensuite dans la synagogue de Nazareth, c'est un film au ralenti : Jésus entre dans la synagogue, il s'assied sans doute puisqu'on nous dit ensuite qu'il se lève pour faire la lecture. On lui présente le livre à lire, Jésus ouvre le livre, il trouve le passage qu'il faut, et enfin il se met à lire. Puis Jésus referme le livre, il le rend au servant et il s'assied. Maintenant il va parler. Tout le monde a les yeux fixés sur lui. Et de tout ce que Jésus a pu dire ce jour-là, saint Luc n'a retenu qu'une petite phrase : "Cette parole de l'Écriture que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit". Et que disait cette parole de l'Écriture, cette parole de Dieu qu'on trouve dans le prophète Isaïe exactement ? "L'Esprit du Seigneur est sur moi. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle".

Qu'est-ce que Jésus a dit de plus ce jour-là ? Saint Luc ne nous le dit pas. Jésus a au moins dit : "Cette parole de l'Écriture que je viens de lire, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit". Jésus dit : "L'Esprit du Seigneur est sur moi aujourd'hui". Tout chrétien, tout baptisé peut en dire autant : "L'Esprit du Seigneur est sur moi. L'Esprit du Seigneur est en moi". Alors tout chrétien peut savoir que chacune de ses prières, que chacune de ses conversations avec Dieu est une rencontre. En chaque prière, il sait qu'il peut confier son âme à Dieu. En chaque prière, il sait qu'il est attendu par Dieu. Il sait que tout a un sens, rien n'est hasard. Tout sert immédiatement le grand dessein de Dieu, le grand plan de Dieu, sur la vie de chacun et sur l'immensité de l'humanité. "L'Esprit du Seigneur est sur moi", dit Jésus.

Aux noces de Cana, Jésus a distribué le vin à profusion. Il nous dit : "Croyez et vous recevrez le vin savoureux de la présence de l'Esprit Saint dans votre vie". L'Esprit Saint agit toujours dans l’Église, il agit à travers les hommes, mais cela ne veut pas dire qu'il les libère nécessairement de toutes leurs faiblesses. L'Esprit Saint agit toujours dans l’Église comme il peut toujours aussi agir en chaque chrétien. Mais chaque chrétien et chaque homme d’Église peut se rendre imperméable à l'Esprit de Dieu. L’Église est là et l'Esprit Saint est là pour permettre à chacun d'entre nous d'avoir accès à la vie éternelle. Et là, je vous cite un homme qui est devenu pape, le cardinal Ratzinger, il écrivait ceci : "Il se peut qu'une personne exerce à longueur de temps des activités dans des associations ecclésiales, sans que cette personne soit en fait chrétienne. A l'inverse, il peut se faire qu'une autre personne vive simplement de la Parole de Dieu et de l'eucharistie et pratique la charité qui naît de la foi, sans avoir jamais figuré dans un comité d’Église, sans avoir fait partie des synodes, et il peut se faire que cette personne soit vraiment chrétienne". "L'Esprit du Seigneur est sur moi", dit Jésus. Comment pouvons-nous savoir si nous nous laissons vraiment guider par l'Esprit de Dieu ?

L'un des saints de l’Église d'Orient disait : "Chercher le royaume de Dieu, cela veut dire : chercher l'Esprit Saint". Et il ajoutait : "Le but de la vie chrétienne, c'est l'acquisition de l'Esprit Saint". Lors de la célébration du sacrement de confirmation, un évêque demande à un garçon s'il est prêt à aller à l'église tous les dimanches. Le garçon : "Est-ce que vous irez voir le même film toutes les semaines ?" Qu'est-ce qu'il faut dire à cela ? Aller communier, c'est une chose ; aller voir un film, c'est autre chose. "L'Esprit du Seigneur est sur moi", dit Jésus. On ne peut rien comprendre aux choses de Dieu sans le don de son Esprit Saint, sans s’ouvrir à l’Esprit Saint.

Est-ce que nous connaissons ce que nous espérons ? Ce n'est ni une connaissance totale, ni une ignorance totale. Un être humain, c'est librement qu'il peut nous introduire dans son intimité. Dieu, qui est un suprême quelqu'un, c'est librement aussi qu'il peut nous introduire dans son intimité, dans sa connaissance. Saint Paul nous dit : "Nous chrétiens, nous avons reçu l'Esprit qui vient de Dieu afin de connaître les dons que Dieu nous a faits". Tout ne s'arrête pas à une Parole de Dieu. Dieu va jusqu'à déposer son Esprit dans notre esprit. Alors, qu'il nous donne à tous beaucoup, beaucoup, beaucoup de son Esprit. (Avec Joseph Ratzinger, Séraphim de Sarov, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

27 janvier 2013 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 1,1-4; 4,14-21

Il y a deux parties dans notre évangile d'aujourd'hui. Il y a d'abord le prologue de l'évangile de saint Luc : pourquoi saint Luc a écrit un évangile alors que d'autres évangiles existent déjà ; et comment il a procédé, les enquêtes qu'il a menées pour que son évangile soit basé sur des données historiques solides.

Et puis deuxième partie de notre évangile d'aujourd'hui, qui se trouve au chapitre quatrième de saint Luc : Jésus dans la synagogue de Nazareth. Comme il en avait l'habitude, Jésus va à la synagogue le jour du sabbat. Et à la synagogue, il y a des prières et aussi des lectures de l’Écriture, comme aujourd'hui encore dans nos assemblées eucharistiques du dimanche.

Jésus se lève pour faire la lecture. On nous explique que tout juif adulte était admis, avec l'autorisation du chef de synagogue, à faire la lecture publique du texte sacré. Et on donne à lire à Jésus le livre du prophète Isaïe. Jésus se met à lire : "L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction".

Peu de temps auparavant, Jésus avait été baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain. Et après avoir été baptisé, alors que Jésus était en prière, l'Esprit Saint était descendu sur lui sous la forme d'une colombe. Alors dans la synagogue de Nazareth, Jésus lit justement ces paroles du prophète Isaïe : "L'Esprit du Seigneur est sur moi". Jésus referme le livre, le rend au servant, il s'assied et il donne un petit commentaire du passage de l’Écriture qu'il vient de lire : Oui, l'Esprit du Seigneur est sur moi. Ce que le prophète a dit il y a cinq siècles, c'est à mon sujet qu'il l'a dit, parce que vraiment l'Esprit saint est descendu sur moi.

C'est quoi l'Esprit Saint ? C'est qui l'Esprit Saint ? L'évangile nous le dit ailleurs : "L'Esprit Saint, tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va". C'est comme le vent, c'est comme un souffle d'air. Si tu es ouvert à l'appel de Dieu, si tu es ouvert à l'Esprit Saint, tu ne peux pas savoir la réponse que tu entendras, tu ne peux pas savoir comment l’Esprit Saint viendra à toi, ni dans quel domaine tu seras appelé à agir.

Il y a dans le choix de Dieu quelque chose qui peut nous sembler à un certain moment comme une absence de choix. Je choisis Dieu, mais lui me choisit dans un choix qui n'est pas un choix à mes yeux. Je dis : "Ce que tu veux, Seigneur!" Et la réponse peut être toute différente de ce que j'attendais. Une chose est sûre : c'est que je ne mets pas à la disposition de l'Esprit de Dieu sans être accepté. Si j'ai choisi de me soumettre au choix de Dieu, c'est lui désormais qui décide.

Aujourd'hui l'homme ordinaire, qui ne fréquente pas les églises, qui est déchristianisé, croit savoir qui est Dieu, qui est le Christ. Il croit savoir alors qu'il ne sait pas. Et donc il ignore qu'il ignore. Comment cet homme ordinaire peut-il être touché à nouveau par Dieu ?

Le cardinal Saliège, qui a été longtemps archevêque de Toulouse, entre autres pendant la guerre 39-45, et qui avait pris publiquement plus d'une fois la défense des Juifs persécutés par l'occupant, le cardinal Saliège, dans l'un de ses menus propos qu'il publiait régulièrement dans la Semaine religieuse de son diocèse, écrivait un jour ceci : "Malheur à l'homme qui n'apprend plus ! Malheur à celui qui croit ne plus avoir à apprendre !" On peut ajouter : "Surtout dans les choses de Dieu"... "Malheur à celui qui croit savoir tout de Dieu !" Pourquoi ? Parce qu'il a fermé sa porte à l'Esprit Saint de Dieu.

Puisque j'ai ouvert les "Menus propos" du cardinal Saliège, je continue avec lui. Il écrit quelque part : "Satan est intelligent. Satan est puissant. Satan n'est pas un voyou. Satan est un monsieur très bien. Et il y a des hommes qui prétendent le combattre et qui en sont possédés". Mais il y a aussi des gens qui ne prétendent pas combattre Satan, qui prétendent même que Satan n'existe pas, que Dieu non plus n'existe pas d'ailleurs. Ils ne combattent pas Satan, mais Satan les possède sans qu'ils s'en doutent. Satan est intelligent. Satan est puissant. Satan n'est pas un voyou. Satan est un monsieur très bien". On peut ne pas le combattre et en être possédé.

Alors l'homme ordinaire, qui ne fréquente pas les églises, qui croit savoir qui est Dieu alors qu'il ne le sait pas, comment peut-il à nouveau être touché par Dieu ? Par hasard, je trouve une réponse à cette question, toujours dans les "Menus propos" du cardinal Saliège, qui écrit quelque part : "L'épreuve est souvent la voie mystérieuse par laquelle le Dieu vivant pénètre dans une âme".

"L'Esprit du Seigneur est sur moi", disait Jésus. Il était aussi sur sa Mère ; l'ange avait dit à Marie : "L'Esprit Saint viendra sur toi, et tu auras un fils". L'Esprit Saint est aussi dans tous les baptisés. Les chrétiens d'Orient ont une prière à l'Esprit Saint qui dit ceci (c'est par là que je termine) : "Esprit de vérité, Consolateur, Roi céleste, toi qui es partout présent et qui remplis tout, trésor des biens et donateur de vie, fais ta demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos vies, toi qui es bon". (Avec Fabrice Hadjadj, Cardinal Saliège, AvS).
 

24 janvier 2016 - 3e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 1,1-4; 4,14-21

Il y a deux parties dans cet évangile. Il y a d'abord l'introduction que donne saint Luc à son ouvrage. Et puis on aborde le chapitre 4 avec la scène qui se passe dans la synagogue de Nazareth.

Saint Luc, l'auteur du troisième évangile, saint Paul en parle dans ses lettres comme d'un "cher médecin". Et saint Paul ajoute que toutes les églises chantent la louange de ce frère au sujet de son évangile. Saint Luc, dans son introduction, nous fait savoir qu'il est au courant qu'il existe déjà dans les communautés chrétiennes des récits concernant la vie de Jésus. Et donc lui, "le cher médecin", estime qu'il vaut la peine de reprendre le travail et de composer quelque chose à partir de toutes les sources de renseignements qu'il pourra trouver. Il faut que la foi puisse s'appuyer sur quelque chose de solide.

Et ce travail n'est jamais terminé. Chaque chrétien doit le continuer pour son compte personnel, sinon sa foi ne peut pas tenir debout. On apprend des choses au catéchisme si on a eu la chance d'y aller quand on était petit. Mais qu'est-ce qu'on sait de la foi chrétienne à douze ans quand on fait sa profession de foi ? On connaît l'essentiel de la foi chrétienne sans doute, du moins on peut l'espérer. Mais qu'est-ce qu'on sait de la vie à douze ans ? On n'arrête pas d'aller à l'école à douze ans. Qu'est-ce qu'on ferait dans la vie aujourd'hui ? On va à l'école jusqu'à seize ans, et souvent bien plus longtemps, pour acquérir des compétences, une formation , un métier, une profession. Et il est important que l'approfondissement de la foi chrétienne se poursuive tout au long des études profanes pour que le niveau intellectuel des connaissances chrétiennes qu'on a demeure toujours à peu près au niveau des connaissances profanes qu'on acquiert au collège, au lycée et au-delà. Si on ne fait pas cet effort d'approfondissement de la foi chrétienne tout au long de sa vie, la foi chrétienne ne peut pas tenir le coup, elle ne peut pas faire le poids.

Et puis l'histoire ne s'est pas arrêtée à la mort de Jésus, ni non plus à ses apparitions de Ressuscité. L'essentiel de la foi chrétienne est résumé dans le Nouveau Testament. Qui a déjà lu le Nouveau Testament de la première à la dernière page ? Et qui ne l'a pas encore lu ? Et tous ceux qui l'ont lu, est-ce qu'ils ont tout compris ? Si ça peut vous consoler (ou vous rassurer), je peux vous dire qu'il y a encore bien des choses qui sont bien obscures pour moi dans le Nouveau Testament.

Pour la foi chrétienne, la révélation est close à la mort du dernier apôtre : c'est une manière de parler, c'est une manière de dire que les apôtres sont les témoins privilégiés et uniques de la révélation qui nous est venue par la vie, l'enseignement, la mort et la résurrection de Jésus. Il n'y a pas d'autre révélation à attendre. Mais tout au long des âges, Dieu ne cesse de se révéler pour approfondir cette révélation unique dont l'essentiel est contenu dans le Nouveau Testament.

André Frossard n'avait pas été au catéchisme dans son enfance. Il était né dans une famille totalement sans Dieu et même anti-cléricale. Et il avait découvert la foi chrétienne à l'âge adulte. Longtemps après cette découverte inattendue de Dieu, il a enfin osé essayer de raconter ce qui lui était arrivé dans un livre auquel il a donné pour titre : "Dieu existe, je l'ai rencontré". Et après cela, André Frossard a souvent essayé de dire pourquoi il était croyant et en quoi il croyait. Dans l'un de ses livres, qu'il a intitulé : "Il y a un autre monde", il dit ceci quelque part : "Toute l'histoire du judéo-christianisme est une suite ininterrompue de révélations personnelles".

Devant quelqu'un qui ne dit rien, on dit : "C'est un mur". Devant Dieu, on est comme devant un mur. La foi nous dit : ce mur a des oreilles. La foi nous dit aussi : ce mur parle, quoi que vous pensiez. Comment l'entendre ? Où l'entendre ? Ce mur fait entendre un tas de petits bruits. Il faut lui dire : "Donne-moi un cœur qui écoute. Donne-moi de comprendre où tu parles". Le premier fruit de la prière, c'est de créer en celui qui prie de la place pour les desseins de Dieu. De plus, la prière engendre la prière, et elle pousse à faire attention à Dieu même en dehors du temps de la prière.

Terminer avec saint Augustin, l'un de nos ancêtres dans la foi, l'un des plus grands des Pères de l’Église. Il était évêque en Afrique du Nord au tournant du quatrième et du cinquième siècle. Avant de devenir chrétien, Augustin était un espèce de philosophe non croyant. Il a découvert, lui aussi, la foi chrétienne à l'âge adulte, et puis il est devenu évêque. On a gardé de lui d'innombrables sermons et homélies et ouvrages. Et dans l'une de ces homélies, il dit ceci : "Saint Paul dit : Priez sans cesse ! Est-ce qu'on peut être toujours à genoux ? Pas possible. Le psaume nous dit : Devant toi est tout mon désir. Il n'est pas devant les hommes, qui ne peuvent voir le cœur. Mais que ton désir soit devant Dieu et le Père qui voit dans le secret t'exaucera. Ton désir, voilà ta prière. Si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. C'est une prière qui peut être ininterrompue. Quoi que tu fasses, même sans parler, si tu désires, tu ne cesses de prier. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer. Tu ne te tairas que si tu cesses d'aimer". (Avec André Frossard, saint Augustin, AvS).

 

30 janvier 2011 - 4e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12

Dans l'évangile de saint Matthieu, on trouve cinq grands discours de Jésus. Le passage que je viens de lire, c'est le début du premier de ces cinq discours, qu'on appelle le "Sermon sur la montagne". "Quand Jésus vit la foule qui le suivait, il gravit la montagne". La montagne : c'est peut-être beaucoup dire. Certains commentateurs de l’Écriture estiment qu'il s'agirait d'une des collines proches de Capharnaüm. Peu importe.

Premier discours de Jésus; neuf fois le mot "heureux". Premier discours de Jésus : il nous parle du bonheur, il nous parle du chemin du bonheur. Et où est-il ce bonheur pour Jésus ? C'est le royaume des cieux, c'est la terre promise, c 'est de voir Dieu, etc. Autrement dit : pour Jésus, le bonheur est du côté de Dieu. Le bonheur, c'est de se tourner vers Dieu. Et le chemin du bonheur, c'est de remettre sa vie entre les mains de Dieu. Et pour remettre sa vie entre les mains de Dieu, il suffit d'essayer de l'imiter : heureux les doux, les miséricordieux, les artisans de paix, ceux qui ont une âme de pauvre. C'est comme ça que Jésus s'est mis à instruire ses disciples le premier jour, si l'on peut dire. C'est du moins ce qu'on trouve dans l'évangile. Est-ce que ces paroles de Jésus nous instruisent ? On sait tout ça par cœur.

Une femme de 33 ans à Paris. C'est à l'âge de 20 ans qu'elle s'est convertie. Elle était née dans une famille catholique non pratiquante : autrement dit, on n'allait pas à la messe le dimanche. Et donc dans sa jeunesse, jusqu'à 20 ans, elle avait une vision très négative de ceux qu'on appelait gentiment dans son milieu : "les cathos". "Ils représentaient pour moi le comble de l'ignorance et de la bêtise". Et puis un beau jour elle est invitée à une soirée à Paris. Et c'est sur le chemin de cette soirée qu'en quelques secondes elle a su que Dieu existait, qu'elle était aimée par Dieu et que sa vie allait changer. Elle avait 20 ans. Et à 33 ans, elle dit ceci : "Il est urgent que chaque personne sache qu'elle est aimée de Dieu, qu'elle a du prix à ses yeux et que, quoi qu'il arrive, Dieu notre Père ne nous laisse jamais tomber". Qu'est-ce qui s'est passé quand elle avait 20 ans ? On ne sait pas. Elle dit simplement le résultat : en quelques secondes elle a su l'essentiel, en quelques secondes elle a connu le chemin du bonheur.

Heureux ceux qui ont une âme de pauvre : c'est comme ça qu'on peut comprendre la première béatitude : heureux les pauvres de cœur. On peut comprendre aussi autrement ceux qui sont pauvres de cœur ; ceux-là, en cet autre sens, on ne peut pas dire qu'ils sont heureux. ; les pauvres de cœur, ce sont peut-être aussi les gens qui sont loin de la foi ; leur cœur est pauvre parce qu'ils sont loin de Dieu, parce qu'ils ne connaissent pas Dieu en vérité. La Parisienne qui a découvert Dieu à 20 ans : tout d'un coup elle a eu le cœur riche, riche de Dieu. Et à 33 ans, elle pense toujours qu'il est urgent que chaque personne sache qu'elle est aimée de Dieu. Pour elle, évangéliser, c'est partager le trésor de la foi avec ceux qui n'y ont pas encore goûté.

Mais pourquoi évangéliser ? Parce que Dieu se sert des hommes pour se faire comprendre aux hommes. Il y a des prophètes, il y a des saints et des saintes : ils sont là pour nous faire comprendre ce qu'ils ont compris de la richesse de Dieu. Pour la Parisienne de 20 ans, il est impossible d'avoir découvert l'amour de Dieu sans être invité à partager sa découverte. Saint Paul, dans ses lettres, ne fait que ça : partager sa découverte du Dieu et Père de Jésus Christ, comme il dit. Saint Paul est toujours conscient que tout ce qu'il dit et écrit, c'est le faible témoignage d'un croyant qui balbutie et qui est constamment conscient de son incapacité, qui mesure la distance entre lui et sa mission, et qui sait que seule la grâce de Dieu peut tout faire, et tout compléter, et tout réparer, et convaincre les cœurs. Tous ceux qui ont été touchés par Dieu sont des riches, mais ils ont une âme de pauvre.

La foi, ça consiste à prêter attention à celui qui nous appelle par notre nom et attend une réponse. Et donc si la foi consiste à entendre Dieu nous parler, il faut commencer par apprendre à être silencieux. Quand nous allons à l'église et que nous écoutons les lectures, ce n'est pas dans l'espoir d'apprendre du nouveau sur Dieu, mais dans l'espoir de le rencontrer. C'est quoi être chrétien ? C'est avoir conscience d'appartenir définitivement au mystère de Dieu, au mystère de Dieu devenu homme. (Avec Jean-Baptiste Maillard, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

29 janvier 2017 - 4e dimanche du temps ordinaire  - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12

Les béatitudes, c'est le chemin du bonheur proposé par Jésus. Finalement c'est le seul chemin possible pour atteindre vraiment le bonheur. Pourquoi ? Parce que c'est le chemin qui conduit à Dieu, c'est le chemin du croyant qui cherche à être toujours disponible pour accomplir ce que Dieu veut de lui et qui met en Dieu sa confiance. 

Heureux ceux qui ont un cœur de pauvre, heureux les doux, heureux les miséricordieux, heureux les artisans de paix. "Esprit Saint, fais-moi accueillir les béatitudes. Découvre-moi en elles le cœur du Christ et le désir du Père. Fais que j'en vive. Fais qu'elles illuminent mon existence". Les béatitudes : tous les humains sont des petits devant Dieu, même ceux qui ont le plus d'honneur parmi les hommes. Les béatitudes, qu'est-ce que ça veut dire ? Le cœur de l’Évangile, le cœur de la Bonne Nouvelle, du message de Jésus à l'humanité, c'est que Dieu veut le bonheur de tous les hommes. Dieu veut notre bonheur. Pas le bonheur d'un bonimenteur de TV ou de spectacles débiles.

Dieu veut le bonheur de tous les hommes. Et voilà que, dans ces béatitudes, il y a quelques points qui détonnent : Heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui sont persécutés pour le royaume de Dieu, heureux êtes-vous si on vous insulte et si on se moque de vous parce que vous êtes croyants. Pourquoi ces béatitudes qui annoncent des malheurs ? Parce qu'il y a des gens qui se ferment à Dieu, qui refusent de vivre dans l'amour et la générosité. Alors ça les dérange que tout le monde ne vit pas comme eux.

Et enfin il y a : Heureux les cœurs purs ! C'est quoi un cœur pur ? C'est le résumé de toutes les béatitudes, c'est le résumé du chemin vers Dieu. Le cœur pur, c'est celui qui veut ce que Dieu veut, c'est celui qui fait confiance à Dieu parce que Dieu est Dieu et qu'il sait où il va, il sait où l'on va, il sait où va notre route. Elle va vers lui, notre route, nécessairement, qu'on le veuille ou non aujourd'hui. Et le bonheur, c'est de savoir que, quoi qu'il arrive, Dieu sait, Dieu est là, Dieu veut notre bien.

Il a été donné à saint Paul de connaître de manière unique le mystère de Jésus : Lui qui était Dieu, il a pris volontairement la condition d'homme. Il a fait plus encore : il s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort sur une croix. Si le Fils est venu dans le monde, c'est pour obéir au Père. Toute sa vie est une obéissance au Père, une obéissance qu'il considère comme son plus grand bien, une obéissance qui attribue toute la gloire au Père et la refuse pour lui-même. L'attitude du Fils à l'égard du Père est une attitude d'humilité. En toutes choses, il estime le Père plus que lui-même ; en toutes choses, il cherche le Père. Pour lui, rien n'a de valeur que ce qui vient du Père. C'est le chemin des béatitudes.

Et voilà que les croyants, voilà que l’Église, voilà que les chrétiens essaient de suivre le chemin des béatitudes, tracé par le Seigneur Jésus pour le bonheur de tous les humains. L’Église, c'est quelque chose d'immense et de mystérieux, à qui rien d'humain n'est étranger : ni le rire, ni les larmes, ni le péché, ni la sainteté. Dans l'histoire de l’Église, il y a des ombres et des lumières. Les catholiques sont plus sensibles aux lumières, les anticléricaux sont plus sensibles aux ombres. Mais c'est une Europe déchristianisée, celle des nazis et des staliniens, qui a inauguré, à une échelle inconnue jusque là dans ces pays, les crimes de masse idéologiquement "purificateurs".

Là aussi on prétendait vouloir le bonheur des peuples ou d'un peuple et d'une race. Mais c'était un bonheur sans Dieu, qui s'est transformé en malheur pour des multitudes d'humains. Il y avait quelque chose de diabolique dans ce bonheur sans Dieu. Celui qui est avec Dieu ne doit pas avoir peur du Malin. C'est un exorciste qui disait cela. Et il continuait : "Les actions du Malin, les maléfices, perdent leur efficacité quand on leur oppose le bouclier de la prière. Les sacrements, la prière, la charité fraternelle sont le meilleur rempart contre les actions du démon". Il aurait pu ajouter les béatitudes : les béatitudes, ce n'est pas le style du démon, de l'adversaire de Dieu.

Heureux les miséricordieux ! C'est quoi la miséricorde ? Un jeune homme va voir Marthe Robin et il lui fait part de son désir d'épouser une jeune femme divorcée. Et Marthe lui adresse des paroles qui montrent qu'elle ne juge pas : "Il y a bien sûr les commandements de Dieu et de l’Église, que nous devons observer et suivre, mais il y a l'infinie miséricorde de Dieu pour ceux qui s'aiment réellement, et cela, lui seul le sait". Marthe Robin n'avait pas fait beaucoup d'études, mais elle en savait beaucoup sur les choses de Dieu et elle avait l'art de les dire.

C'est quoi les béatitudes ? Le Seigneur Jésus incarne toutes les béatitudes. Les béatitudes, c'est lui. Le Christ vivant en moi m'est si intime parce qu'il est mort pour moi, parce qu'il m'a pris en lui sur la croix et qu'il me prend en lui sans cesse dans l'eucharistie. (Avec Sœur Marie-Pierre Faure, Christianne Méroz, Philippe Braud, Gilles Jeanguenin, Marthe Robin, AvS, HUvB).

 

1er février 2009 - 4e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,21-28

Jésus prend la parole pour commenter les Écritures. Jésus délivre un homme possédé par un esprit mauvais. Le démon sait beaucoup de choses, il est plus perspicace que les hommes qui sont là. Tout de suite, en face de Jésus, le démon sait à qui il a affaire. Le démon se démène et gesticule et il dit à Jésus : "Je sais qui tu es! Tu es le Saint de Dieu". Qu'est-ce que ça veut dire? Le démon sent tout de suite que Jésus est le grand prophète consacré par Dieu pour accomplir sa mission. Si Jésus est le Saint de Dieu, l'emprise du démon sur les hommes est menacée. Le démon a peur. Jésus alors dit seulement deux mots au démon : "Tais-toi, sors de cet homme".

Jésus n'a pas commencé son ministère de prédicateur ambulant en disant : "Je suis Dieu, je suis le Fils de Dieu, écoutez-moi bien!". Personne n'aurait pu le comprendre, personne n'aurait pu le croire. Dieu est trop grand. Dans le monde juif, personne n'a jamais eu l'idée que Dieu pouvait être un homme, pouvait devenir un homme. Et alors on peut relire tous les évangiles pour voir comment Jésus s'y est pris pour faire deviner petit à petit aux hommes qu'il y avait en lui un mystère.

Il y a deux choses qui ont frappé d'abord les auditeurs de Jésus et les témoins de sa vie. D'abord sa manière de parler des choses de Dieu. Un jour les gens diront de lui :"Jamais homme n'a parlé comme cet homme". Et beaucoup de gens s'approcheront de lui pour écouter ses enseignements. Et puis, deuxième chose qui a frappé tout de suite, ce sont les miracles de Jésus et la manière qu'il avait de les accomplir. Aujourd'hui ce n'est pas un miracle physique qui se produit, c'est un miracle spirituel : Jésus est en face d'un démon qui a pris possession d'un homme. Jésus ne fait pas de grandes prières pour demander à Dieu de chasser ce démon. Il donne lui-même un ordre au démon. Et le démon lui obéit. Et tout le monde est stupéfait : comment se fait-il que Jésus peut faire ça aussi simplement?

En face de Dieu, il est impossible que l'homme reste neutre. S'il entend parler de Dieu, il est obligé de dire oui ou non. Pour le démon de l'évangile d'aujourd'hui, c'est clair comme le jour : devant Jésus, c'est "non". En face de Jésus, en face de Dieu, il est impossible que l'homme reste neutre.

Et tous les chrétiens peuvent aider à s'approcher de Dieu les gens qui ignorent tout de lui. C'est quelque chose de très simple et de très modeste : la manière de vivre des chrétiens, leur manière de se comporter, leur manière de parler peut préparer le terrain pour que Dieu donne à ces gens accès à la grâce de la foi, parce que Dieu seul fait don de la grâce de la foi. Les œuvres justes et bonnes des chrétiens peuvent faciliter aux non-croyants l'accès à la foi.

Et là, nous avons tous en mémoire sans doute des réflexions que nous avons entendues un jour ou l'autre : des gens qui ne veulent plus entendre parler de religion parce qu'ils connaissent des gens qui vont à la messe tous les dimanches et qui, dans la vie de tous les jours, sont des gens impossibles, si pas malhonnêtes. On peut aider les gens à s'approcher de Dieu par sa manière de vivre et sa manière d'être, on peut aussi détourner les gens de Dieu, même en allant à la messe tous les dimanches.

Qu'est-ce que ça veut dire : "Aimer son prochain pour l'amour de Dieu"? Cela veut dire : aimer son prochain parce que Dieu l'aime et parce que Dieu me rend aussi capable de l'aimer. Et l'une des manières de l'aimer, c'est au moins de ne pas être un obstacle pour lui dans sa marche vers Dieu, dans sa reconnaissance de Dieu, dans sa découverte de Dieu. Le démon, lui, fait tout ce qui est en son pouvoir pour détourner les hommes de Dieu. Mais le démon n'agit pas toujours, le démon n'agit pas souvent à visage découvert, comme dans l'évangile d'aujourd'hui.

Le cardinal Barbarin raconte que, pour le dixième anniversaire de la mosquée de Lyon, le Préfet avait tenu un discours où il disait que l’État français reconnaît, à côté des dimensions corporelles et intellectuelles des jeunes Français, leur formation spirituelle comme essentielle. Le cardinal Barbarin était présent et quelle a été sa réaction, intérieure du moins, à ce discours du Préfet ? C'est un beau principe que l’État reconnaisse comme essentielle pour les jeunes Français leur formation spirituelle, c'est-à-dire religieuse. Le principe est juste et bon, mais la réalité ne suit pas. Et le cardinal note : "Parfois je vois que des jeunes doivent faire preuve d'héroïsme et qu'ils sont l'objet de critiques ou de quolibets tout simplement parce que l'on sait qu'ils sont chrétiens, qu'ils vont à la messe ou préparent leur confirmation". Et le cardinal conclut : "Ce n'est pas si facile d'obtenir ce minimum qui devrait être évident, à savoir que la foi et la vie religieuse soient respectées".

Tout homme qui veut vivre chrétiennement doit d'abord être mort avec le Christ dans une relation immédiate avec Dieu. Les envoyés de Dieu viennent toujours du désert, d'une manière ou d'une autre. Le Seigneur Jésus a commencé par trente ans de vie cachée et quarante jours de combat au désert contre Satan dans la relation immédiate avec Dieu. Saint Jean-Baptiste vient du désert. L'apôtre saint Paul a commencé par trois années en Arabie. Le prophète Élie, découragé, est parti au désert et c'est là qu'il a eu le droit de rencontrer Dieu directement pour être envoyé vers ses frères avec une nouvelle mission... Tout homme qui veut vivre chrétiennement doit d'abord être mort avec le Christ et vivre une relation immédiate et personnelle avec Dieu. (Avec Rémi Brague, Cardinal Barbarin, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

29 janvier 2012 - 4e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,21-28

Dimanche dernier, c'était l'appel par Jésus de ses premiers disciples. Aujourd'hui l'évangéliste nous montre les débuts du ministère de Jésus. Comme tout bon juif, Jésus va à la synagogue le jour du sabbat. Là, les autorités lui permettent ou lui demandent de commenter les Écritures qui ont été lues. On ne sait pas ce qu'a dit Jésus ce jour-là, mais les gens sont frappés par son enseignement.

Et voilà que dans l'assemblée il y avait un homme qui était possédé par l'esprit du mal. L'esprit du mal s'exprime par la bouche de cet homme. Il crie à Jésus : "Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Je sais qui tu es : le Saint de Dieu". Et aussitôt Jésus répond : "Tais-toi et sors de cet homme". Et l'esprit mauvais sort de cet homme en poussant un grand cri.

Il y a beaucoup de gens aujourd'hui, même des chrétiens, qui ne croient pas à l'existence du diable. Le diable est malin. Dans l'orgueil, par exemple, se trouve Satan. Mais il ne dit pas son nom. Il manœuvre par l'intérieur sans faire de bruit, et on ne remarque pas tout de suite, ou bien on ne remarque jamais, que, dans l'orgueil, se trouve Satan.

Mais parfois la présence du diable, aujourd'hui encore, est plus sensible. Voilà des gens qui ont acheté une maison. Et la maman remarque des choses bizarres dans cette maison. Son mari commence par lui dire qu'il ne faut pas faire attention à ça. Des choses bizarres, ça existe, mais faut pas en faire une drame. Puis un beau jour, lui aussi, le mari, il est témoin de choses bizarres dans cette maison. Il a beau se dire que ce n'est pas croyable, que ce n'est pas possible, il y a des choses bizarres dans cette maison, il le constate par lui-même.

A la longue, ça devient gênant, ça devient inquiétant. On dirait qu'on n'est pas seuls dans cette maison, il y a des présences. Qu'est-ce qu'on fait ? Vite, vite, on revend cette maison et on va habiter ailleurs. Les notaires connaissent comme ça des maisons qui changent souvent de propriétaire. On ne sait pas pourquoi, mais c'est comme ça. Et celui qui vend sa maison vite, vite, ne va pas dire à l'acheteur de sa maison pourquoi il est pressé de la revendre.

Si c'est un couple chrétien qui est témoin de phénomènes bizarres dans sa maison, et si ce couple est suffisamment averti des données de la foi chrétienne, un jour ou l'autre il pensera à une présence invisible du démon. Alors, si c'est le démon, qu'est-ce qu'on peut faire ? Ce n'est pas la police qui peut y faire quelque chose, ni le médecin, ni le plombier. Il n'y a que Dieu qui peut y faire quelque chose ou le Seigneur Jésus comme dans l'évangile d'aujourd'hui. Il faut bénir cette maison, il faut demander à Dieu de chasser de cette maison ces présences indésirables et inquiétantes. Et par la puissance de Dieu les phénomènes disparaîtront. Pas le premier jour peut-être. Mais les phénomènes disparaîtront. Il se peut aussi que les puissances mauvaises ne sont pas d’abord liées à la maison mais aux personnes qui y habitent ou à l’une d’entre elles.

Quand le croyant prie Dieu, il n'a pas besoin de tout savoir. Il laisse à Dieu le soin de ce qu'il ne connaît pas. Comment le diable va-t-il quitter cette maison ? On n'a pas besoin de le savoir. Dieu ne dit pas tout. Il nous a dit ce qui est nécessaire : prier. "Délivre-nous du mal, délivre-nous du Malin".

Dieu nous demande aussi de nous libérer de toute idole que notre imagination peut produire sur Dieu. Dieu se définit par le fait qu'on ne peut pas le connaître. On peut savoir qu'il existe, c'est la foi. Mais il y a de l'insaisissable en Dieu, de l'incompréhensible, de l'obscur.

Il y a des gens qui ne veulent pas prier Dieu, mais qui osent prier le diable. Et si on prie le diable, il répond tout de suite, il est là tout de suite. Le diable adore qu'on l'adore, qu'on fasse appel à lui. Mais quand il vient, ce n'est jamais pour le bonheur de l'homme. Dans ces maisons où il y a des présences inquiétantes, il y a grande chance qu'un jour, il y a très longtemps peut-être, on a prié le diable, par exemple en faisant une séance de spiritisme, même pour s'amuser ou pour voir ce qui va se passer. Le diable est toujours là, même dans une séance de spiritisme à laquelle on peut participer sans trop y croire. Et on s'étonne qu'il y a dans cette maison des phénomènes inexpliqués, gênants et finalement inquiétants. Le Seigneur Jésus nous invite à prier comme ceci : "Que la lumière de Dieu illumine nos cœurs. Que la paix et la lumière de Dieu viennent en nous".

Le premier commandement, c'est d'aimer Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire : aimer ? Et qu'est-ce que ça veut dire : aimer Dieu ? Il y a dans l'amour une ardeur qui veut apprendre à connaître celui qu'on aime. C'est pour cela que Dieu s'est fait homme, pour se laisser voir et contempler, pour qu'on puisse voir comment est Dieu. Mais Jésus est déjà si loin, si loin dans le temps ! Mais il nous a laissé sa parole. Beaucoup de paroles et peu de paroles. Nous sommes invités à nous nourrir de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Cependant notre curiosité concernant les choses de Dieu doit savoir se limiter, elle doit savoir apprécier la nourriture que Dieu nous donne aujourd'hui et nous en contenter. Cette nourriture pour aujourd'hui, on peut y trouver sa joie et aussi la force nécessaire pour le bout de chemin qu'on doit parcourir aujourd'hui pour atteindre un jour le mont Horeb, la montagne de Dieu. (Avec Jean-Luc Marion, AvS, HUvB).

 

1er février 2015 - 4e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,21-28

En bon Juif, Jésus va à la synagogue le jour du sabbat. Souvent le chef de la synagogue invite Jésus à prendre la parole après la lecture des Écritures. Jésus ne se fait pas prier. Il se met à parler et les gens sont frappés par ce qu’il dit. Et les gens comparent avec les discours habituels du chef de la synagogue.

Dans l’assemblée, ce jour-là, il y avait un homme tourmenté par un esprit mauvais. A un certain moment, Jésus demande qu’on lui amène cet homme. Alors le chef de la synagogue dit à Jésus : "Fais attention ! Le démon va le tourmenter, et quand cet homme s’excite, il griffe et il mord". Et voilà l’homme en face de Jésus. Tout de suite il dit à Jésus:  "Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Pourquoi es-tu venu nous tourmenter ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu". Le démon a peur de Jésus. Il sait très bien que Jésus n’est pas un homme ordinaire. Et Jésus révèle ce jour-là son autorité sur les démons, il les fait taire. "Tais-toi, dit-il au démon présent en cet homme. Tais-toi et sors de cet homme. Je te le commande". Et l’homme commence à s’agiter comme si quelqu’un le maltraitait et le secouait. Il se met à hurler d’une voix inhumaine, puis il est plaqué au sol. Alors il se relève, étonné et guéri.

Dans le credo de Nicée, le credo le plus long qu’on a le dimanche après l’évangile et l’homélie, la première chose qu’on affirme, c’est notre foi en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible. Et dans ce monde invisible créé par Dieu, il y a les anges. Il y a deux sortes d’anges : certains sont restés fidèles à Dieu (ce sont les bons  anges), d’autres se sont révoltés contre Dieu, ils ont de la haine pour Dieu et pour toutes les créatures de Dieu, pour tous les humains. Combien y a-t-il d’anges ? Des centaines, des milliers, des millions, des milliards ? On ne sait pas. L’existence des anges et des démons fait partie de la foi chrétienne.

Le démon a de la haine pour Dieu et pour tous les humains et pour tout ce qui est chrétien. Et là où il y a de l’amour chrétien, Satan n’est pas loin parce qu’il fait ses meilleures prises là où l’amour  véritable se refroidit ; et quand l’amour véritable se refroidit, il devient quelque chose qui porte encore le nom d’amour, mais en réalité, ce n’est plus de l’amour, c’est le plaisir égoïste. Ce qui intéresse avant tout le démon, c’est l’ordinaire, c’est de faire tomber les gens dans le péché, c’est d’éloigner les gens de Dieu. Là, le démon ne fait pas de bruit. Le démon a de la haine pour Dieu et pour tous les humains. Mais les démons se détestent aussi entre eux. Les démons adorent mettre partout de la brouille et de la haine : dans les couples, dans les familles, dans toute la société.

Mais il peut arriver que toutes sortes de phénomènes bizarres et inexpliqués se produisent dans la vie de quelqu’un ou dans une maison. On ne doit pas voir le diable partout, mais on ne doit pas non plus le voir nulle part. Les gens oublient Dieu, ne fréquentent plus les églises, ne vont plus à la messe le dimanche, mais ils vont voir des magnétiseurs, des voyantes, des médiums, des cartomanciennes. Et en sortant de là, ces gens peuvent très bien avoir été contaminés par le diable d’une manière ou d’une autre et constater ensuite dans leur vie ou dans leur maison des choses étranges. On doit toujours se souvenir que les anges sont des créatures de Dieu, les bons anges comme les mauvais anges. Et que Dieu est bien sûr plus fort que les êtres qu’il a créés, et donc il suffit de prier Dieu pour être protégé. Mais si on a été longtemps sous l’emprise du diable, la libération est souvent plus longue.

Le cardinal Lustiger posait la question : "Pourquoi Dieu, le Seigneur du monde, n’est-il pas adoré par tous les hommes ?" Et le cardinal répondait lui-même : "C’est parce qu’ils sont prisonniers de leurs idoles, de leur péché, de leur repliement sur eux-mêmes. Ils sont enfermés dans leur péché, esclaves de l’Adversaire", c’est-à-dire du diable. Si Dieu est le fondement et la fin de toutes choses, comment se fait-il que tant d’hommes l’aient nié et le nient encore ?

Jacqueline de Romilly, célèbre professeur de littérature classique, membre de l’Académie française, fut baptisée à l’âge de 95 ans. Elle disait : "Il est grand temps". C’est le Père Radcliffe qui raconte ça. Mais une autre source nous dit que Jacqueline de Romilly aurait reçu le baptême en 1940 et qu’elle n’a achevé sa conversion au catholicisme qu’en l’an 2008, à l’âge de 95 ans, assistée par un prêtre maronite qui l’a préparée à la première communion et à la confirmation. Comme elle disait : "Il est grand temps".

C’est quoi le péché originel ?  Les théologiens nous disent : on ne peut que balbutier. La doctrine du péché originel ne signifie pas que nous sommes complètement corrompus, mais que nous sommes nés en portant des traces de brouille avec Dieu et les uns avec les autres. Le désir d’amour qui est inscrit au plus profond de l’être humain doit être libéré du  fardeau de l’histoire et d’une tendance à frapper et à faire mal, quelque chose que nous portons dans nos gènes et que le judaïsme appelle "la pulsion au mal".

La dernière demande du Notre Père nous fait dire ceci : "Délivre-nous du mal". Mais cela peut vouloir dire aussi : "Délivre-nous du Malin", c’est-à-dire du diable. Et quand nous disons : "Ne nous soumets pas à la tentation", nous demandons à Dieu de ne pas nous laisser tomber dans la tentation : qu’il nous garde d’y consentir. (Avec Gabriele Amorth, Cardinal Lustiger, Erich Przywara, Timothy Radcliffe, Serge-Thomas Bonino, AvS, HUvB).

 

31 janvier 2010 - 4e Dimanche du temps ordinaire – Année C

Evangile selon saint Luc 4, 21-30

Cet évangile est la suite de l'évangile de dimanche dernier. Nous sommes dans la synagogue de Nazareth. Nazareth, c'est la ville, le village, la commune où Jésus a grandi et travaillé. Pendant longtemps. On le connaît bien et on connaît sa famille. Tout le monde commence par admirer le message de grâce qui sort de la bouche de Jésus. Au début, tous admirent Jésus. A la fin, tous deviennent furieux. Pourquoi ? Jésus a lu le prophète Isaïe et ensuite il l'a commenté. Jusque là, pas de problème. Les choses se gâtent ensuite. Jésus annonce que le message de grâce qu'il apporte ne sera pas reçu par le peuple élu, par le peuple d'Israël. Mais les païens, eux, vont le recevoir. C'est comme ça depuis toujours : la Parole de Dieu est tantôt accueillie, tantôt rejetée. C'est comme ça depuis Adam et Ève jusqu'à aujourd'hui : il y a des gens qui accueillent Dieu et il y en a qui le refusent. Si Dieu n'est pas reçu dans son peuple, il ira ailleurs. Et finalement il se proposera à tous les hommes.

Mais le refus des hommes peut être violent. Bien des prophètes des temps anciens, comme Jérémie, ont été maltraités par les hommes : on va les traiter de prophètes de malheurs ; on dira à Jérémie : arrête tes jérémiades. On essaiera de les faire taire. Et la meilleure manière de les faire taire, c'est de les mettre à mort. C'est ce qui est arrivé à Jean-Baptiste. C'est ce qu'on voulait faire à Jésus, à Nazareth d'abord ; c'est ce qu'on lui fera à Jérusalem plus tard. A Nazareth, son heure n'était pas encore venue.

Il y a une continuité de l'Ancien Testament au Nouveau Testament. Aujourd'hui Jésus lui-même parle des prophètes anciens : Élie et Élisée, huit siècles avant le Christ. Dieu est toujours le même. Huit siècles avant le Christ, Dieu avait déjà son peuple élu. Mais cela ne l'empêchait pas de s'occuper aussi des païens : la veuve de Sarepta ou Naaman, un Syrien. Six siècles avant le Christ, quand Dieu appelle Jérémie pour qu'il devienne son porte-parole, il l'avertit que ce ne sera pas une partie de plaisir : on va te combattre, on va te harceler pour que tu te taises. Ne tremble pas. Je suis avec toi.

Il n'y a en Dieu aucune tiédeur : il punit ou il récompense, il y a la colère de Dieu et son amour infini. Jésus a porté le péché des hommes jusqu'à la mort. Et il l'a fait pour que nous soyons rendus aptes au royaume des cieux : les hommes sont faits pour vivre en communion avec celui qui les a créés. On dit parfois : "Dieu peut tout". Mais ce n'est pas vrai, Dieu ne peut pas tout. Dieu ne peut que ce que peut l'amour. Et toutes les fois que nous sortons de la sphère de l'amour, nous nous trompons sur Dieu et nous sommes en train de fabriquer un Jupiter qui tonne dans les cieux. Jésus est venu dans le monde pour nous montrer que Dieu est le premier à porter la souffrance. Et la souffrance de Dieu, c'est essentiellement que les hommes ne veulent pas de lui, le refusent. L'Ancien Testament déjà nous le montre et Jésus nous le redit. Dieu annonce toujours à ses envoyés qu'ils devront porter avec lui une part de ses souffrances... pour le péché des hommes, pour le refus des hommes. Newman, le cardinal Newman, cet anglican du XIXe siècle converti au catholicisme, priait comme ceci : "Seigneur Jésus, je crois... que rien de grand ne s'accomplit sans souffrances et sans humiliations". Pourquoi Newman dit-il cela ?

Je termine avec l'histoire d'Antoine, saint Antoine le grand, le père des moines, qui vivait en Égypte au IVe siècle. Un jour saint Antoine demande au Christ de lui confirmer s'il était bien sur la bonne voie en vivant comme ça au désert et en ne vivant que pour Dieu. Oui, lui dit le Christ, c'est très bien. Mais à Alexandrie, la grande ville, il y a un cordonnier qui te précède. Alors Antoine va trouver le cordonnier. Et le cordonnier n'a rien à lui dire. Sa vie est banale. Il répare les chaussures et il en fabrique des neuves. Alors Antoine se présente. Tout le monde a entendu parler d'Antoine, tout le monde disait que c'était un saint. Alors quand le cordonnier apprend qu'il a devant lui le saint du désert, il se jette à ses pieds et il commence à lui dire ce qu'il fait et qu'Antoine voulait savoir. Le cordonnier raconte : "De tout ce que je gagne, je fais trois parts égales : une pour les plus pauvres que moi, une autre pour l’Église, la troisième pour ma famille". Alors Antoine n'est pas convaincu que c'est de cette manière que le cordonnier le précède devant Dieu. Lui-même, Antoine, il a vendu tous ses biens, il a distribué l'argent aux pauvres, comme Jésus l'avait dit un jour au jeune homme riche : "Une seule chose te manque. Va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens, suis-moi". Un jour Antoine avait entendu cet évangile à l'église et il avait vendu tous ses biens. Antoine révèle alors au cordonnier ce que le Christ lui-même lui a dit : que le cordonnier le précède devant Dieu. Le cordonnier réfléchit et il dit : C'est peut-être ceci. Tout le jour, pendant que je travaille, je vois passer beaucoup de gens. Cette ville d'Alexandrie est si grande. Alors je prie : "Que tous soient sauvés, moi seul mérite d'être perdu". Et alors Antoine a compris que c'était pour cette prière, sans cesse redite au long des jours, que le cordonnier le précédait. (Fiches dominicales, Michel Dubost, Newman, Olivier Clément, saint Antoine le grand, AvS).

 

3 février 2013 - 4e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 4,21-30

Cet évangile d'aujourd'hui est la suite de l'évangile de dimanche dernier. Jésus avait lu dans la synagogue de Nazareth un passage du livre d'Isaïe : "L'Esprit du Seigneur est sur moi". Jésus avait ensuite commenté ce texte, il avait dit : "C'est de moi que le prophète a parlé, parce que l'Esprit Saint de Dieu est vraiment sur moi". Et les gens de Nazareth s'étonnent. Ils n'avaient jamais entendu Jésus parler de la sorte. Ils étaient surpris en bien. Ils n'avaient jamais deviné que le fils du charpentier pouvait aussi bien leur parler de Dieu.

Mais dans le récit de saint Luc, aussitôt les choses se gâtent. On reproche à Jésus de ne pas faire de miracles à Nazareth, son village (son village ou sa ville), alors qu'il en a fait à Capharnaüm. L'évangile ne dit pas tout, évidemment, c'est un raccourci. A la fin, les gens de la synagogue s'énervent et ils poussent Jésus hors de la commune pour le précipiter du haut d'une falaise. Mais Jésus s'échappe, on ne sait pas comment, l'évangile de donne pas de détails.

Depuis longtemps, les spécialistes des Écritures ont décortiqué tous les éléments de cette scène de Nazareth que saint Luc place au début de la vie publique de Jésus. Et il semble bien que cette scène du rejet de Jésus par ses compatriotes a dû se passer plus tard dans la vie de Jésus. Après tout un temps de bon accueil de sa parole, de son message, de sa personne, beaucoup de ses contemporains, à commencer par les chefs religieux de son peuple, se sont opposés à lui de plus en plus fermement, de plus en plus violemment, jusqu'à la conclusion de la condamnation de Jésus à mort. Dans ce récit de l'accueil, puis du rejet de Jésus à Nazareth, saint Luc donnerait au fond un raccourci, un résumé, de ce qui sera le destin de Jésus durant les deux ou trois ans de sa vie publique.

Le bon berger ne cesse d'appeler ses brebis. Il est toujours prêt à appeler celles qui se sont éloignées. Il est légitime que les hommes se posent la question au sujet de Jésus : est-ce qu'il vient vraiment de Dieu ? Au début, les gens de Nazareth sont subjugués. Et beaucoup des contemporains de Jésus aussi : ils sentaient qu'il y avait une présence de Dieu dans les paroles de Jésus. Dieu soutient les siens, Dieu accompagne l'homme qui le cherche. Dieu donne à l'homme non seulement de quoi se nourrir, de quoi nourrir son intelligence, mais Dieu donne aussi à l'homme de correspondre mieux chaque jour à la proximité de Dieu, si l'homme le veut bien.

Dimanche dernier, je vous parlais du cardinal Saliège. A la suite d'un AVC, il avait perdu l'usage de la parole et aussi l’usage d'une partie de ses membres. Et voici ce qu'il disait de son état : "J'aimais parler. Et Dieu m'a pris ma langue. J'aimais marcher. Et Dieu m'a pris mes jambes. Il peut tout prendre. Je lui ai tout donné". On aurait envie de demander au cardinal pourquoi il était croyant comme ça.

Il y a un certain nombre d'années, un historien français de la philosophie, avait publié un petit livre dont le titre était : "L'athéisme difficile". Et l'auteur de ce livre, qui était membre de l'Académie Française, expliquait qu'à son avis il n'était pas si facile que ça de vivre sans Dieu, de croire que Dieu n'existe pas. Il disait : "Dieu a laissé sa marque sur son ouvrage, et il est pour l'homme inexcusable de prétendre qu'il en ignore l'existence. La plus claire de ces marques sur son œuvre, c'est l'homme lui-même, avec son intelligence et sa volonté".

A sa manière de philosophe, cet historien de la philosophie essayait d'expliquer pourquoi il était raisonnable de croire. Il ajoutait : "Qu'il y ait aujourd'hui encore des chrétiens qui sont physiciens, biologistes et savants de tout ordre ne prouve rien en faveur de la religion, mais permet au moins d'affirmer que l'esprit scientifique n'exclut pas l'assentiment à l'idée de Dieu".

On peut toujours se demander pourquoi il y a si peu de croyants visibles aujourd'hui. L'exemple de Jésus à Nazareth nous explique les choses : Jésus lui-même n'a pas réussi à convaincre tout le monde. Pourquoi ? Les chrétiens peuvent toujours aussi se demander en quoi, par leur manière de vivre, par leur propre culture religieuse, par leur propre ignorance des choses de Dieu, ils portent la responsabilité principale dans le fait que la parole de l’Évangile ne soit pas accueillie, que la foi chrétienne ne soit pas accueillie.

Terminer avec un vieux prêtre américain qui parlait un jour avec l'historien de la philosophie dont je vous parlais tout à l'heure. Le vieux prêtre américain lui disait : "Il y a toujours quelque chose qu'on peut apprendre d'un sermon, c'est la patience". (Avec Cardinal Saliège, Étienne Gilson, Guy Coq, AvS).
 

31 janvier 2016 - 4e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 4,21-30

Dimanche dernier, Jésus faisait la lecture de la Bible dans la synagogue de Nazareth. Aujourd'hui, on entend son homélie, on entend le commentaire qu'il fait de la Parole de Dieu qu'il a lue. Saint Luc, bien sûr, ne donne qu’un bref résumé de la scène. D'un côté, les gens de Nazareth sont surpris et charmés d'entendre Jésus si bien commenter l’Écriture. Et d'autre part, ça les chagrine, on sent une pointe de jalousie : on le connaît depuis toujours, ce Jésus, charpentier et fils de charpentier ; où est-ce qu'il a appris à si bien parler de Dieu ? Il n'a plus qu'à faire des miracles et on croira en lui. Et Jésus n'accepte pas de faire des miracles pour satisfaire la curiosité des gens. Ça rend furieux finalement les gens de Nazareth.

Dieu a fait aux hommes le don de la liberté.  Dieu s'est révélé et se révèle aux hommes, il ne veut  pas, il ne peut pas les contraindre à croire. Mais si Dieu se révèle, il attend des hommes une réponse positive et un engagement dans la foi. Un jour, dans des discussions serrées avec des chefs juifs, Jésus leur dira : "Vous voulez me tuer parce que ma parole n'entre pas en vous"(Jn 8,37). C'est-à-dire qu'ils ne laissent pas sa parole pénétrer en eux. Celui qui a eu une vision ne peut pas forcer à croire celui qui ne l'a pas eue. C'était la situation de Bernadette à Lourdes. Elle disait ce qu'elle avait vu et entendu : c'était sa mission de le dire. Mais elle n'était pas chargée d'obliger les gens à la croire. Pour la croire, il fallait que les gens vivent aussi dans la grâce. Celui qui entend dans la grâce comprendra.

Il y a sans doute, un  jour ou l'autre, en chaque homme un combat entre la foi et l'incroyance. Un jour, il faut bien admettre qu'on n'a pas toujours raison, et commencer à s'apercevoir qu'entre nos idées et le réel, il y a un redoutable adversaire à juguler : notre susceptibilité, notre agressivité, notre besoin d'avoir le dernier mot. C'est le tréfonds d'un péché, le tréfonds d'un poison qui est présent en tout inconscient : on veut demeurer soi-même la seule mesure de tout. Il y a quelque chose de cela dans la synagogue de Nazareth, comme dans tout combat intérieur entre la foi et l'incroyance.

Aujourd'hui, le monde n'est plus païen, il est profondément athée. Il écoute d'autres évangiles, il écoute d'autres prophètes. L'esprit sceptique est toujours prêt à poser la question soupçonneuse de Pilate : "Qu'est-ce que c'est que la vérité ?" L’Église est jugée par le monde. Et il faut reconnaître qu'il y a des présentations de la foi chrétienne qui stérilisent l’Évangile. Et alors l’Évangile, toute la révélation qui nous est venue par le Seigneur Jésus, ne rencontre que la totale indifférence : c'est une parole qui résonne dans le vide.

Cinq siècles avant le Christ, le prophète avait déjà vu le problème quand il disait : "Malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux et s'estiment intelligents" (Isaïe). Aujourd'hui, on ne cesse de nous parler de la croissance. Mais qu'est-ce qui nous prouve que la croissance matérielle est essentielle ? C'est un observateur contemporain qui pose la question, un observateur chrétien. Et il continue : "On peut très bien se pendre dans le tout confort. Peut-être que résoudre la crise serait de comprendre que tout ne se joue pas de ce côté-là".

En France, quand un homme politique parle de Dieu, c'est un scandale. Aux États-Unis, quand un homme politique ne parle pas de Dieu, c'est un scandale. Il faudrait trouver une juste mesure entre le Dieu de la religion civile américaine et l’athéisme de principe de la république française. Que nous montre la scène de rejet dans la synagogue de Nazareth ? Elle nous montre, entre autres, qu’un mauvais penchant habite le cœur humain, comme le dit la tradition juive. Chez tous les athées, on retrouve la même chose. Quand on chasse Dieu par la porte, il revient par la fenêtre. Quelle est l'image de Dieu que se font les sans-Dieu ? C'est une image qui oscille antre le Père Fouettard et le Père Noël. Mais tous sont à la recherche de quelque chose : ils sont en quête d'amour, d'un sens de la personne, de la transcendance, de la verticalité. Quand on chasse Dieu par la porte, il revient par la fenêtre.

Dans la synagogue de Nazareth, les gens étaient frappés par l'enseignement de Jésus. Mais les gens de Nazareth étaient alors très loin de connaître la vraie personnalité de Jésus, Dieu et Fils de Dieu. Dieu est la Vérité. Il offre à l'homme sa Vérité dans toute l'histoire du peuple juif avant la venue de Jésus, et Dieu offre au maximum sa Vérité par la venue en ce monde de son Fils. Dieu est la Vérité, il offre aux hommes sa vérité. Et alors l'homme n'est lui-même dans la vérité que s'il vit dans la Vérité de Dieu. (Avec Bernard Bro, Paul Evdokimov, Fabrice Hadjadj, Bertrand Vergely, Catherine Chalier, AvS, HUvB).

 

6 février 2011 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,13-16

Jésus qui dit à ses disciples : "Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde". Le sel, il en faut très peu dans la nourriture. Mais il en faut pour que la nourriture ait du goût. Le sel dans la nourriture, on ne le voit pas, mais il est là. Il agit sans qu'on le voit. Pourquoi Jésus dit-il à ses disciples : "Vous êtes le sel de la terre ?" Cela veut dire entre autres choses : par la foi qui est en vous, vous portez un trésor qui est caché. Vous le portez pour vous-mêmes et aussi pour tous ceux qui entrent en contact avec vous. Voilà pour le sel, qu'on ne voit pas dans la nourriture, mais qui donne du goût à la vie.

Et Jésus ajoute : "Vous êtes la lumière du monde". C'est le contraire du sel, au point de vue visibilité. On ne met pas la lampe sous le boisseau, en dessous d'un meuble. On la met au plafond ou ailleurs pour qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Pour le moment, Jésus ne dit pas à ses disciples qu'ils doivent parler pour être des lumières. C'est en faisant le bien que ses disciples seront lumière et alors les gens rendront gloire à Dieu, le Père qui est aux cieux.

Pour Jésus, ses disciples, parce qu'ils sont croyants, sont totalement immergés dans leur mission de croyants. Dans la mesure où ils sont croyants et où ils font le bien, il ne peuvent pas ne pas être sel de la terre et lumière du monde. Si on est croyant, on ne peut rien faire, même pas écrire une lettre, sans que cela ait un rapport avec la foi, avec la mission. Sel de la terre et lumière du monde. Et cela inclut aussi les rapports amicaux. "Vous êtes le sel de la terre" : la première façon d'évangéliser, c'est de prier pour toutes les personnes que nous rencontrons dans notre journée. Le sel ne fait pas de bruit, la prière non plus.

"Vous êtes la lumière du monde". Voici ce qu'en dit le pape Benoît XVI dans le livre-interview intitulé justement "Lumière du monde" : "En ce temps de scandales (Benoît XVI pense à la pédophilie), on est vraiment triste de constater la misère de l’Église et à quel point certains de ses membres se sont éloignés de Jésus Christ. Il est nécessaire que nous fassions cette expérience, pour notre humiliation, pour notre véritable humilité. Et malgré tout, on sait que le Christ n'abandonne pas son Église. En dépit de la faiblesse des hommes, c'est par l’Église qu'il se manifeste. D'un côté, consternation face à la misère de l’Église, en présence du péché de l’Église, et en même temps constatation que le Christ n'abandonne pas cet outil, qu'il agit à travers lui, qu'il se montre constamment à travers l’Église et en elle".

"Vous êtes la lumière du monde". Le pape Benoît XVI nous donne un commentaire merveilleux et réaliste de cette lumière. On ne peut pas cacher les ténèbres qu'il y a aussi dans l’Église. Et malgré toutes ces ténèbres, en nous aussi, il y a encore et toujours la lumière. Les premières paroles du Christ à ses apôtres après sa résurrection concernent le pardon des péchés. Jésus dit à ses apôtres : "Recevez l'Esprit saint ! Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis". Comme si Jésus voulait dire : "Voici que je vous apporte le fruit essentiel de ma croix, de ma mort, de ma résurrection : ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis".

Le peuple de la Bible est un peuple qui ne cache pas les péchés de ses ancêtres. La généalogie de Jésus selon saint Matthieu, les ancêtres de Jésus, c'est une liste de pécheurs et de pécheresses, de femmes en situation irrégulière : Thamar est une pécheresse, Rahab une prostituée, Ruth une étrangère, la quatrième, saint Matthieu ne dit pas son nom, il dit simplement qu'elle a été la femme d'Urie, c'est Bethsabée, une femme adultère. Et puis dans le Nouveau Testament, Jésus choisit Pierre qui va le renier, et Paul qui l'a persécuté. Et ils sont les colonnes de l’Église. "Vous êtes la lumière du monde", leur dit Jésus. C'est en voyant ce que vous faites de bien que les hommes rendront gloire à Dieu. Grâce à Dieu, on a encore du chemin à faire !

Vous êtes le sel de la terre. (C'est Dieu qui donne du goût à la vie). Vous êtes la lumière du monde. (C'est Dieu la lumière du monde). Saint Thomas d'Aquin dit à sa manière l'essentiel de la foi : "Dieu est l'Indispensable sans qui l'homme affamé de bonheur ne peut atteindre sa fin". (Avec Josémaria Escriva, Benoît XVI, André Frossard, Mgr Nguyen, saint Thomas d'Aquin, AvS, HUvB).

 

9 février 2014 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,13-16

Jésus est en petit comité avec ses disciples les plus proches. Il leur pose la question : "Qui êtes-vous ? Que devez-vous devenir ?" Vous devez être le sel de la terre. C'est avec vous que je veux saler le monde, pour lui donner le goût des choses de Dieu. Mais si vous perdez votre saveur de sel, vous n'êtes plus bon à rien. Et comment pouvez-vous perdre votre saveur de sel ? En vous laissant envahir par tout ce qui est humain, en vous laissant envahir sous une avalanche de sensations et de sentiments purement humains.

Vous êtes et vous devez être la lumière du monde. Je vous ai choisis pour continuer d'éclairer le monde quand je serai retourné auprès du Père. Mais comment pourriez-vous donner de la lumière aux autres si vous êtes des lanternes éteintes ? Les gens se tourneront vers vous, mais ils recevront de vous le scandale et la mort. Rappelez-vous : celui à qui on a donné davantage est tenu à donner davantage.

Tous les disciples de Jésus, pas seulement les apôtres, seront toujours perplexes devant cette mission qui leur a été donnée. Ils ont reçu une certaine révélation des mystères de Dieu, mais saint Paul le disait déjà aux premiers chrétiens de Corinthe : "Vous êtes dans l'attente de la révélation de notre Seigneur Jésus Christ" (1 Co 1,7). Vous avez reçu une certaine révélation des mystères de Dieu, mais vous êtes dans l'attente de sa pleine révélation. Et pourtant dès à présent, nous pouvons vivre en plénitude des mystères que nous avons reçus. Et en même temps, nous vivons dans un état de pauvreté fondamentale. Nous n'avons pas encore vu Dieu et pourtant nous vivons de lui, parce qu'il nous voit, et nous vivons dans l'espérance de le voir un jour comme il nous voit.

Nous disons : "Notre Père qui es aux cieux". Mais nous avons le droit et le devoir de compléter et de dire : "Notre Père qui es aux cieux et qui es en nous". Quand nous prions, nous nous adressons à Dieu qui est en nous et en dehors de nous. Saint Paul disait aux premiers chrétiens de Rome : "L'Esprit de Dieu habite en vous" (Rm 8,11). Le même saint Paul disait : "Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi". Et saint Jean, dans sa première lettre, nous dit aussi que Dieu demeure en nous et nous en Dieu...

Notre Père qui es aux cieux et aussi en nous. Il peut entendre nos prières et aussi celles des autres, qui leur sont peut-être opposées. Jésus dit à ses disciples : "Vous devez être la lumière du monde". Mais Jésus lui-même dit qu'il ne peut rien de lui-même (Jn 5, 30 et 19. "Ma doctrine n'est pas de moi" (Jn 7,16). Et dans le discours après la cène il dit à ses apôtres : "Sans moi vous ne pouvez rien faire" (Jn 15,5). Mais "comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie" (Jn 20,21).

Et voilà un homme sans Dieu face à un chrétien. Et l'homme sans Dieu dit ceci : "Quel étrange père que ce lui qui se cache quand ses enfants ont mal ! Pourquoi accepter de lui ce que l'on n'oserait accepter d'aucun père ? Il m'est arrivé de passer plusieurs heures dans le service de pédiatrie d'un grand hôpital parisien. Cela donne une très haute idée de l'homme et une piètre idée de Dieu, s'il existe. Qu'est-ce que ce Dieu qui abandonne les gazelles au tigre et les enfants au cancer ?"

Vous devez être la lumière du monde, nous dit Jésus. Mais nous portons cette lumière dans une pauvreté fondamentale. Que peut dire le chrétien en face de l'homme sans Dieu dans un hôpital d'enfants ? Un chrétien disait ceci : qu'est-ce qui aide face à la souffrance ? Être là, aimer, avoir la foi. Celui qui spécule sur l'inexistence de Dieu à partir de la souffrance d'un enfant n'aime pas, n'a pas la foi et n'est pas là. Il se donne des raisons de ne pas aimer, de ne pas avoir la foi, de ne pas être là". Tout n'est pas dit par là, bien sûr.

Mais ce même chrétien, qui est aussi un peu philosophe, dit ailleurs : "En France, aujourd'hui, il est mal vu de croire... Dieu est un mot qui fâche et même un mot honteux... Cette incroyance a des effets dévastateurs. Elle plonge la société dans le vide et la morosité, elle crée un climat délétère qui pousse certains au suicide : la vie n'a pas de sens".

Vous devez être la lumière pour tous ceux qui sont sans lumière. La lumière se voit. Vous devez aussi être le sel. Le sel des aliments ne se voit pas. Mais il est là et il agit et il donne du goût aux aliments, et il donne du sens à la vie. Avoir la foi consiste à croire qu'effectivement il y a autre chose que ce que nous voyons ; la réalité va bien plus loin que nous ne le pensons.

Pourquoi l’existence ? Pourquoi des êtres ? Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? Il n'y a qu'une chose qui peut justifier notre existence : c'est une philosophie de l'amour et de la liberté, c'est l'amour de Dieu pour cet enfant qu'est le monde. (Avec Oscar Cullmann, André Comte-Sponville, Bertrand Vergely, AvS, HUvB).

 

5 février 2017 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,13-16

"Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde". Jésus n'invite certainement pas les siens à la prétention : ce n'est pas le style de la maison. Tout ce que tu as, tu l'as reçu. Et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu : c'est aussi dans l’Écriture. Lumière du monde : c'est une tâche que Jésus impose aux siens, à tous les siens, du haut en bas de l'échelle. Lumière du monde : c'est d'abord savoir et apprécier de plus en plus la lumière unique qui est contenue dans la foi au Dieu vivant - Père, Fils et Esprit Saint - révélé en plénitude par le Seigneur Jésus. Et pour apprécier de plus en plus cette lumière, il est indispensable de la scruter sans cesse avec toutes les ressources de l'intelligence humaine.

L'un de nos contemporains, journaliste et directeur de théâtre à Paris, disait récemment : "Le christianisme est la religion de l'intelligence. Et c'est bien parce que le christianisme est la religion de l'intelligence qu'elle ne doit surtout pas avoir peur de ses mystères". "Seigneur Jésus, daigne allumer toi-même nos lampes... Fais-les brûler sans fin dans ton Église et dans le monde, et recevoir de toi qui es la lumière éternelle une lumière indéfectible. Que ta lumière dissipe nos propres ténèbres et que, par nous, elle fasse reculer les ténèbres du monde. Veuille donc, Seigneur Jésus, allumer ma lampe à ta propre lumière... Qu'à cette lumière, je ne cesse de tendre vers toi mon regard et mon désir". (C'est une prière qui nous vient du fond des âges, de saint Colomban au Ve-VIe siècle).

Et voici maintenant une prière à l'usage des enfants, à l'usage aussi des adultes qui sont des enfants qui ont grandi. "En étant gentil et aimable, je suis la lumière du monde. En pensant aux plus pauvres, je suis la lumière du monde. Quand je fais la paix et quand je pardonne, je suis la lumière du monde. Avec ma joie, avec ma bonne humeur, je suis la lumière du monde... Seigneur Jésus, toi qui es la lumière du monde, donne-moi d'accueillir ta lumière, de la rayonner un peu. Vacillante est peut-être la foi qui m'habite. Donne-moi d'accomplir ce que tu attends de moi, ce que mon prochain attend de moi".

Le Seigneur Jésus est la lumière du monde. Il y a des hommes qui sont touchés par la lumière, qui sont touchés par la révélation de Dieu venue par Jésus-Christ, mais qui ne font pas le pas de la foi pour une raison ou pour une autre. Le Seigneur Jésus est la lumière du monde mais, la plupart du temps, nous ne connaissons à vrai dire ses plans que lorsqu'ils sont réalisés, lorsque nous pouvons les considérer après coup comme quelque chose de relativement terminé. C'est pourquoi, en règle générale, nous devons toujours laisser mûrir le temps pour comprendre le dessein de Dieu sur le monde et sur chacune de nos vies.

"Vous êtes la lumière du monde"... "Si parler de Dieu est dangereux, le taire serait grave. Il faut dire Dieu, quitte à le dire mal. (C'est un grand historien français qui disait cela, c'était un protestant très croyant)... Si parler de Dieu est dangereux, le taire serait grave. Il faut dire Dieu, quitte à le dire mal, de façon approximative et inadéquate. C'est la tâche de chaque génération de renouveler le discours sur Dieu... Il vaut mille fois mieux en parler mal que de n'en pas parler".

"Vous êtes la lumière du monde"... Le Christ a aussi promis à son Église que les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. mais il ne l'a jamais assurée de devenir majoritaire ou dominante dans le monde : il lui a seulement demandé de passer par la même croix que lui, la croix par laquelle il a conquis le monde. Toute l'humanité est appelée à recevoir la lumière de Dieu, toute l'humanité est appelée à entrer dans le mystère de Dieu. Mais on peut s'enfermer dans le refus de Dieu. "Vous êtes la lumière du monde"... On parle parfois d'une foi en dialogue. C'est quoi une foi en dialogue ? C'est le partage des certitudes qui éclairent notre vie.

Le Seigneur Jésus est la lumière du monde. Mais la "discrétion de Dieu" laisse intérieurement sa place à la liberté humaine. La Parole de Dieu s'offre toujours de manière à éclairer ceux qui cherchent la lumière et à obscurcir ceux qui la repoussent. C'est saint Paul qui disait cela. Nous vivons dans une société qui se ferme largement au surnaturel. Bien sûr, la société civile n'a pas à dire ce qu'il faut croire, mais à reconnaître la dignité et la nécessité du croire pour maintenir la qualité de la civilisation entière.

Dieu a couru un grand risque quand il a créé des êtres libres et capables de le contredire en pleine  face. Devait-il les damner ? Devait-il simplement leur faire grâce et passer l'éponge ? Dans ce dernier cas, il n'aurait pas pris la liberté au sérieux. Comment pouvait-il prendre ce risque ? A une seule condition : c'est que, dès l'origine, le Fils éternel se pose en garant des pécheurs par une solidarité absolue avec eux jusqu'à l'abandon de Dieu qu'il a connu sur la croix. C'est à ce seul prix que Dieu a pu déclarer "très bon" ce monde atroce et lui donner l'existence. (Avec Jean-Luc Jeener, saint Colomban, Sœur Marie-Pierre Faure, Pierre Chaunu, Jean-Luc Marion, Mgr Dagens, Guy Coq, AvS, HUvB).

 

8 février 2009 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,29-39

Première scène : la belle-mère de Pierre. Deuxième scène : les malades et les esprits mauvais. Jésus chasse des esprits mauvais et il les empêche de parler parce que les démons savent qui il est. Pour Jésus, il est trop tôt pour en parler, et il ne veut pas que les démons fassent pour lui de la publicité. Les démons ne veulent que du mal, même quand ils disent des choses qui sont vraies. De nos jours encore des voyantes ou des tireuses de cartes peuvent dire des choses vraies, qu'elles ne peuvent pas savoir d'une manière naturelle. Les choses qu'on ne peut pas savoir d'une manière naturelle, ou bien ça vient de Dieu ou bien ça vient du diable. Des prophètes et des saints connaissent des choses qu'ils ne peuvent pas savoir d'une manière naturelle : c'est Dieu qui les inspire. Les voyantes et les tireuses de cartes peuvent aussi connaître des choses qu'elles ne peuvent pas savoir d'une manière naturelle : c'est le diable qui les inspire. Et alors quand on fréquente le diable, il y a toujours des dégâts, un jour ou l'autre. Et des dégâts de toutes sortes : dans la santé, dans la maison, dans les relations, dans les affaires. On va voir une voyante ou on tire les cartes ou on manipule le pendule pour savoir l'avenir... On "joue" avec le pendule ou les cartes. Mais le diable, lui, ne joue pas. Si vous touchez le pendule ou les cartes, si vous allez voir une voyante, vous avez déjà le petit doigt dans son piège. Jésus ne dit qu'une chose au démon : "Tais-toi et va-t-en".

Troisième scène de l'évangile d'aujourd'hui : au petit matin, Jésus n'est plus dans la maison où on a passé la nuit. Mais Simon-Pierre et les premiers disciples savent où retrouver Jésus : il est parti tout seul au petit matin, quand tout le monde dormait encore, il est parti au bord du lac peut-être, c'est si beau. Il est parti prendre le frais et prier. Cette page de l'évangile nous révèle quelque chose de Dieu. C'est pour cela que Jésus est sorti, comme il est dit ; il est sorti d'auprès de Dieu pour révéler au monde quelque chose de Dieu, quelques petites choses au sujet de Dieu. Et comment fait-il aujourd'hui pour révéler quelque chose de Dieu? Il prend la belle-mère de Simon par la main et elle est guérie. Il chasse des démons et il les empêche de parler. Et il va prier tout seul le Père invisible qui l'a envoyé dans le monde. C'est tout simple, si on peut dire : guérir quelqu'un, chasser des démons et prier. Et derrière tout cela, il y a Dieu, et Dieu, c'est de l’éternellement inattendu. C'est tout simple l'évangile d'aujourd'hui, et Dieu est là. Toutes les prophéties de l'Ancien Testament, toutes les promesses d'autrefois, personne ne pouvait imaginer qu'elles allaient s'accomplir comme ça en une seule journée de Jésus. Dans l'eucharistie que nous célébrons, c'est tout simple aussi, Jésus nous prend par la main, et il veut nous introduire dans sa prière au Père invisible. On pense peut-être que ce n'est rien de prier le Père invisible, le Père de notre Seigneur Jésus Christ, comme dit saint Paul, mais l'islam, par exemple, ne veut pas donner à Dieu le nom de Père. L'islam attribue à Dieu 99 noms, les plus beaux noms de Dieu, mais parmi ces 99 noms, comme par hasard, il n'y a pas le nom de Père. Pourquoi? Pour Jésus, c'est quelque chose d'essentiel, le Père qui l'a envoyé, il fait toujours la volonté du Père. Et il nous dit aussi : mon Père est votre Père.

L'évangile d'aujourd'hui parle aussi des malades. Le rabbin Gilles Bernheim raconte sa visite à un malade. C'est une règle religieuse chez les Juifs, dit-il, que si on fait une visite à un malade, on doit faire la même visite chaque semaine, et de la même durée. Le rabbin allait donc rendre visite régulièrement à un homme de vingt-huit ans, malade du sida, en phase terminale, qu'il accompagnait depuis de nombreux mois. A la fin le malade était si mal qu'il ne parlait plus. Et quand le rabbin allait le voir, il était recroquevillé contre le mur, comme absent. Et le rabbin y allait de semaine en semaine. Et le malade ne parlait pas, toujours tourné contre le mur, sans même que le rabbin puisse voir son visage. Et lui-même, le rabbin, restait silencieux. Cela a duré trois mois. Un jour, alors qu'il allait partir, le malade s'est retourné, s'est appuyé sur son coude et il a posé sa tête sur la main du rabbin et il lui a parlé, très distinctement. Puis il est mort sur la main du rabbin. C'était un homme marié, avec un enfant, qui avait eu une relation homosexuelle et qui avait été rejeté par sa famille, il n'arrivait pas à mourir. Et quelle est la conclusion du rabbin? De quoi avons-nous besoin, de la naissance jusqu'à la mort et tout au long de la vie, si ce n'est de la parole d'un humain, parole prononcée ou silencieuse?... Un humain, un seul, qui nous donne le droit d'exister, quelles que soient nos fautes. Une parole de délivrance. De quel pain bénit avons-nous besoin si ce n'est de cet amour-là? Ma présence renouvelée, bien que paraissant inutile, a peut-être été pour cet homme le signe qu'il attendait, cette reconnaissance sans laquelle il lui était impossible de s'abandonner pour pouvoir enfin mourir... Le rabbin porte en lui toutes les richesses de l'Ancien Testament et de toute la tradition juive qui a vécu depuis deux mille ans au contact de la tradition chrétienne. Il ne croit pas en Jésus Christ, Fils de Dieu, mais, comme disait Jésus un jour à un de ses coreligionnaires, il n'est sans doute pas loin du royaume de Dieu. (Avec Rémi Brague, Gilles Bernheim, Adrienne von Speyr).

 

5 février 2012 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,29-39

Saint Marc nous raconte aujourd'hui une journée de Jésus, en trois petites scènes. D'abord on voit Jésus dans la maison de Simon-Pierre. La belle-mère est malade et Jésus la guérit. Selon une certaine tradition, la femme de saint Pierre s'appelait Porphyrée. Le couple n'avait pas d'enfant. Mais au cours des trois années de la vie publique de Jésus, le couple aurait adopté un petit garçon qui s'appelait Margziam.

Puis deuxième scène de notre évangile : c'est le soir. Beaucoup de monde dans la maison et autour de la maison où se trouvait Jésus, et Jésus guérit beaucoup de malades. Enfin, troisième scène, le lendemain matin, Jésus est parti tout seul, très tôt, dans la nature, pour prier. Ses disciples vont à sa recherche, ils le trouvent, ils veulent le retenir à Capharnaüm parce que beaucoup de gens désirent le voir et être guéris. Mais Jésus ne veut pas rester prisonnier d'une ville, il y a encore tant d'autres lieux à visiter : il faut que là aussi il proclame la Bonne Nouvelle.

Pour les deux premières scènes de cet évangile, saint Marc n'a retenu aucune parole de Jésus. Pour la troisième scène, on entend la réponse de Jésus à ses disciples qui veulent le retenir à Capharnaüm : "Partons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame la Bonne Nouvelle".

Tous ceux qui avaient entendu une prédication de Jésus, tous ceux qui avaient vu se produire un miracle, rentraient chez eux avec une espèce d'aiguillon dans leur cœur, une espèce d'aiguillon qui continuait à influencer leur comportement dans leur famille et dans leur commune. C'était une espèce d'influence par contagion. Et cette influence par contagion, Jésus la transmet à son Église, à tous les baptisés, à tous les convertis. La deuxième lecture tout à l'heure nous a rappelé l'expérience de saint Paul. Lui, le converti, il ne peut pas ne pas parler de la grâce qu'il a reçue. Il a été touché par Dieu, donc il a reçu de Dieu une charge, la charge de communiquer à d'autres la grâce qui lui a été faite. Il souhaite que le plus grand nombre possible de gens découvre comme lui le mystère de Dieu et du Seigneur Jésus Christ.

Je lisais récemment le bilan de la vie d'un homme qui se définit comme athée, résolument sans Dieu. Il ne se demande même pas si Dieu existe ou si Dieu n'existe pas. Pour lui, l'affaire est claire, Dieu n'existe pas. Il écrit ceci : "Ma certitude est que les dieux, y compris le Dieu des trois religions du livre, sont une invention des hommes". Saint Paul aussi, dans sa vie de jeune adulte, ne croyait pas du tout non plus que Jésus pouvait venir de Dieu. Et puis, un beau jour, le Seigneur Jésus lui-même est venu mettre par terre toute sa certitude.

Cet écrivain athée, mais respectueux des croyances, écrit régulièrement une chronique dans le journal catholique "La croix". C'est un politologue. Il fait part de ses réflexions sur ce qu'il voit, lit et entend. Il est marié, il a quatre enfants, quatre garçons, tous aussi professeurs et athées que leur père, mais les quatre ont été baptisés tout petits par un prêtre ami de cet écrivain sans Dieu. Il est marié avec une femme qui, à l'époque du mariage, était catholique mais non croyante. Et cette femme, à une certaine époque de sa vie de couple, a redécouvert la foi chrétienne. Elle a alors approfondi ses connaissances chrétiennes en suivant des cours de théologie à Paris, et en lisant par elle-même aussi bien sûr. Et elle s'est engagée dans différents services d’Église.

Son mari, toujours athée, est toujours très heureux avec elle alors qu'il a plus de quatre-vingts ans maintenant. Il a écrit de belle choses sur l'amour dans le couple, par exemple celle-ci :" L'amour, c'est la joie que l'on éprouve à la perspective de vieillir ensemble" Et puis il écrit aussi ceci à propos de sa femme qui est aujourd'hui croyante motivée et de lui qui est toujours résolument sans Dieu : "Il est certain que ma femme souffre de mon athéisme et moi assurément pas du tout de sa foi".

Cet écrivain sans Dieu a vécu en Bretagne pendant un certain temps au moins. Et il raconte que là, lui et sa femme ont vraiment lié amitié avec un jeune prêtre. Ce jeune prêtre est même devenu le parrain d'une de leurs petites-filles qui avait demandé le baptême alors que ses parents, fort incroyants, ne l'avaient pas fait baptiser. Et enfin notre incroyant a même prévu ses funérailles. A l’Église même, si sa femme le désire. Et un prêtre ami est déjà retenu pour la célébration.

Voilà donc un homme qui connaît tout de la Bible et de la Bonne Nouvelle de Jésus. Et ça ne l'intéresse pas. Du moins c'est ce qu'il dit, ce qu'il professe. A côté de notre écrivain athée, on peut lire la profession de foi d'un écrivain croyant d'aujourd'hui, qui a aussi pignon sur rue, professeur lui aussi, non d'études politiques mais de philosophie; ce croyant écrit ceci : "La puissance de Dieu surpasse les impuissances des hommes, ou plutôt surpasse ce que les hommes, dans leur condition présente, tiennent pour radicalement impossible". Le professeur athée déclare : "Ce n'est pas possible". Le professeur croyant estime que la puissance de Dieu surpasse les impuissances des hommes.

L'attitude de foi fait que l'homme n'aborde la Parole de Dieu, l’Écriture, qu'à genoux dans la poussière, convaincu que la Parole écrite, imprimée, contient l'esprit et la force qui permettent à l'homme de rencontrer l'infini de Dieu dans la foi. (Avec Alfred Grosser, Jean-Luc Marion, AvS, HUvB).

 

8 février 2015 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,29-39

Trois petites scènes : 1. La belle-mère de Simon-Pierre. 2. Le soir venu, beaucoup de guérisons. 3. Le lendemain matin : Jésus en prière.

"La belle-mère de Simon était au lit avec de la fièvre". Jésus arrive chez elle : "Comment va la malade ?" - "Elle a une forte fièvre, le médecin est venu, il dit qu'elle est trop vieille pour guérir. Elle ne mange plus, elle est agitée, elle gémit, elle crie, elle pleure" - Jésus : "Conduisez-moi auprès d'elle". - "Rabbi, je ne sais pas si elle voudra te voir. Elle ne veut voir personne. Je n'ose pas lui dire : Je vais t'amener le rabbi". Alors Jésus s'adresse à Simon-Pierre : "C'est à toi d'agir, Simon. Tu es un homme et tu es le plus âgé des gendres. Vas-y". Pierre fait une grimace, mais il y va quand même. Il passe une porte ou deux, on l'entend parler ; il passe la tête à la porte : "Viens, mais fais vite avant qu'elle change d'avis".

Jésus passe une porte puis deux, il va près d'une couche basse sur laquelle est étendue la malade. Jésus se penche sur le lit et il sourit : "Tu as mal?" - "Je meurs". - Jésus : "Non, tu ne vas pas mourir. Est-ce que tu crois que je peux te guérir ?" - "Et pourquoi le ferais-tu ? Tu ne me connais pas". - Jésus : "A cause de Simon qui m'a parlé de toi". - "Simon ! Mais comment se fait-il que Simon ait pensé à moi ?" - Jésus : "C'est qu'il est meilleur que tu ne crois". - "Tu me guéris alors ? Je ne vais pas mourir ?" - "Non, femme. Pour l'instant tu ne vas pas mourir. Peux-tu croire en moi ?" - "Je crois, je crois. Il me suffit de ne pas mourir". Jésus sourit encore, il la prend par la main. Jésus se redresse et il crie : "Sois guérie. Je le veux. Lève-toi".

Et la vieille s'écrie : "Oh ! Dieu des pères ! Mais je n'ai plus rien. Mais je suis guérie. Venez, venez". Ses belles-filles arrivent. "Mais regardez, dit la vieille, je remue et je n'ai plus mal et je n'ai plus de fièvre. Regardez comme je suis fraîche. Je ne meurs plus". Simon alors s'adresse à sa belle-mère : "Le Maître t'a guérie. Tu ne lui dis rien ?" - "Ah ! Si. Je n'y pensais pas. Merci. Que puis-je faire pour te remercier ?" Jésus : "Être bonne, très bonne. Car l’Éternel a été bon pour toi. Et si ça ne t'ennuie pas, permets-moi de me reposer aujourd'hui dans ta maison. J'ai beaucoup marché ces jours-ci, je suis fatigué". Et Jésus va s'asseoir au jardin avec Pierre, André, Jacques et Jean.  Le lendemain matin, très tôt, Jésus se lève avant tout le monde, et il va prier tout seul, quelque part dans la nature.

Le Fils de Dieu s'est fait homme pour réajuster le rapport des hommes à Dieu. Et cela, il le fait par cette prière matinale tout seul dans la nature. Il le fera aussi sur la croix. Personne ne peut s'opposer à l'acte de création du Père. Nous sommes là, tous les hommes sont là et ils sont vivants. Et personne non plus ne peut s'opposer au fait que le Fils de Dieu a prié pour lui et l'a racheté sur la croix.

Nous sommes tous en marche vers Dieu. Et le Seigneur Jésus est venu pour montrer à toute l'humanité le chemin. Il a montré son pouvoir en guérissant les malades. Par sa prière du matin dans la nature, il a montré qu'il était lui-même en relation avec quelqu'un qui était plus grand que lui, comme il le dit ailleurs dans l'évangile. Là aussi il nous montre le chemin.

A la messe du dimanche, la première lecture est la plupart du temps un passage de l'Ancien Testament. Pourquoi cette lecture ? Parce que l'Ancien Testament est le lieu où le mystère de Dieu a commencé à se manifester. Et le Nouveau Testament (les évangiles, les lettres des apôtres et l'Apocalypse) fait partie du témoignage vivant de l’Église sur le mystère du Christ.

La religion, c'est l'opium du peuple, disait Marx. C'est quelque chose que l'homme s'invente pour dépasser ses problèmes. Mais Dieu est tellement inscrit dans le cœur de l'homme qu'un jour ou l'autre il ne peut pas ne pas resurgir au fin fond de la conscience. Et quel est l'opium des sans-Dieu aujourd'hui dans nos sociétés ? Les sociétés sans Dieu du XXe siècle ont fabriqué des sociétés où l'homme est compté pour rien. Et aujourd'hui quel genre de société fabriquent les sociétés sans Dieu ? 

L'inconvénient d'une civilisation de la fête, c'est de favoriser la superficialité et le gaspillage. Le chrétien d'aujourd'hui est plongé dans cette civilisation du loisir. Et c'est cette civilisation du loisir qui, par-dessus tout, a éloigné les fidèles des églises, à commencer par les trois heures quotidiennes de télévision du Français moyen. Faire la fête devient une nécessité tellement première qu'elle l'emporte parfois sur toute autre hiérarchie des biens.

"Partons ailleurs dans les villages voisins afin que là aussi je proclame la Bonne Nouvelle". Et Jésus parcourait toute la Galilée. Celui à qui s'adresse la Parole de Dieu a déjà reçu l'offre de sa grâce, aujourd'hui comme  hier : il  est enveloppé par elle, si bien que, même celui qui dit non, même celui qui ne veut pas croire à la Parole, reste marqué par cette grâce. (Avec Cardinal Lustiger, René-Luc, Thierry-Dominique Humbrecht, AvS, HUvB).

 

7 février 2010 - 5e Dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 5, 1-11

Voilà un évangile que nous connaissons bien : une pêche miraculeuse et l'appel par Jésus de ses quatre premiers disciples. Première scène : Jésus qui parle aux gens, qui parle à la foule. "Il enseignait la foule", dit saint Luc. Mais saint Luc ne nous dit pas ici ce que Jésus disait : on voudrait bien savoir. On se pressait autour de Jésus "pour écouter la parole", "pour écouter la parole de Dieu", c'est ce que dit saint Luc. Mais saint Luc ne nous dit pas quelle était cette parole de Dieu.

Et puis Jésus demande à Simon, à Simon-Pierre, d'aller au large pour une partie de pêche. Le matin de bonne heure, Simon-Pierre était revenu bredouille de la pêche de nuit. Il n'a pas beaucoup dormi. Il n'est pas très enchanté de recommencer. Mais Simon-Pierre connaît déjà un peu Jésus. Il n'ose pas lui dire non. "Puisque tu le demandes, on va y aller... Si ça peut te faire plaisir". Et puis il arrive ce qui ne devait pas arriver : une quantité invraisemblable de poissons. Simon-Pierre ne crie pas au miracle, mais c'est tout comme. Pour Simon-Pierre, cette pêche incroyable, c'est impossible. Il y a là le doigt de Dieu. Et sa manière à lui de s'exprimer, c'est de dire à Jésus : "Éloigne-toi de moi, je suis un pécheur". Pas un pêcheur de poissons, mais un pécheur plein de péchés devant la grandeur de Dieu. Je ne suis pas digne. Dieu était là et je ne le savais pas. Et il m'a fait ce cadeau incroyable.

Et Jésus tire la leçon de ce qui s'est passé. Simon, tu a pris beaucoup de poissons. Viens avec moi maintenant. Désormais, ce sont des hommes que tu devras prendre dans les filets de Dieu... C'est une manière de parler... Les hommes ne sont pas des poissons, et ils ne se laisseront pas tous prendre par Dieu aussi facilement. Jésus a donné à Simon-Pierre un signe fort. Pierre a été touché. Dieu est là. Pour lui, c'est une évidence. Il faut qu'il aille avec Jésus. Où ? On ne sait pas. Mais on y va. Pierre a été empoigné par Dieu, par Jésus.

Saint Paul, lui, n'avait pas le métier de pêcheur du lac de Génésareth. Mais le Seigneur Jésus l'a pêché autrement que saint Pierre pour en faire un disciple et un apôtre. Pierre et Paul ont été empoignés par Dieu pour toujours. Il est vrai que saint Pierre a connu un instant de faiblesse au moment de la Passion, quand Jésus a été arrêté et qu'il est passé en jugement. Mais cet instant n'a duré qu'un instant justement et saint Pierre a repris le dessus. Jésus a été le pêcher une deuxième fois. Et comment Jésus a-t-il fait pour pêcher Pierre une deuxième fois ? Il lui a posé la question : "Pierre, m'aimes-tu?" Trois fois que Jésus lui a posé la question. Et alors Pierre, tout comme Paul, va essayer de transmettre ce qu'il a reçu à un maximum d'hommes et de femmes. C'est le service qu'il a à rendre à Jésus. C'est évident. Il ne peut pas faire autrement.

Un évêque pose trois questions (un évêque de quelque part en France) : 1/ Lorsque quelqu'un vous demande pourquoi vous croyez en Dieu, que répondez-vous? Saint Pierre, qu'est-ce qu'il dirait? Saint Paul, qu'est-ce qu'il dirait? - 2/ Deuxième question de l'évêque : Est-ce que l'histoire d'Israël a une place dans votre manière de croire en Dieu? Quelle est votre familiarité avec le premier Testament? Pensez-vous que cela est important?

Aujourd'hui la première lecture nous disait comment Isaïe avait été touché par Dieu : c'était sept ou huit siècles avant le Christ. Bernadette, à Lourdes, a été touchée par Dieu quand la Vierge Marie lui est apparue. D'une manière cavalière, on pourrait dire : Dieu a de la suite dans les idées : il touche Isaïe, il touche Pierre et Paul, il touche Bernadette. 3/ Troisième question de l'évêque : Au cours de votre vie, avez-vous évolué dans la manière dont vous pensez à Dieu?

Et l'évêque commentait lui-même un peu ses questions : chacun de nous devrait régulièrement faire le récit de la découverte de sa foi. Et du chemin qu'il a parcouru depuis. Chacun doit trouver une explication adéquate. Mais la foi du chrétien n'est pas simplement le produit de ce que chacun pense par lui même. Il y a la base qui est la Parole de Dieu, résumée en quelque sorte dans l'Écriture, et il y a toute l'expérience des hommes et des femmes qui ont été touchés par Dieu tout au long des siècles, depuis l'Ancien Testament jusqu'à aujourd'hui. La foi chrétienne n'est pas le produit de ce que chacun pense par lui-même.

L'homme doit compter avec une parole éventuelle de Dieu. Autrement dit : il se peut que Dieu va parler. Pour Isaïe, c'est d'une manière ; pour saint Pierre, c'est d'une autre manière; pour saint Paul, c'est autrement ; pour Bernadette, c'est autre chose encore. L'homme doit compter avec une parole éventuelle de Dieu. Dieu est toujours capable de rompre son silence et d'ouvrir ses profondeurs. (Avec Mgr Dubost, Karl Rahner, AvS, HUvB).

 

10 février 2013 - 5e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 5,1-11

Les lectures bibliques de ce dimanche nous présentent trois manifestations de la présence de Dieu.

Huit siècles avant le Christ, Isaïe était conseiller à la cour du roi. Il a une vision dans le temple, une vision grandiose qui est pour lui un signe manifeste de la présence de Dieu. C'est une vision toute personnelle. Si d'autres personnes se trouvaient dans le temple à ce moment-là, elles n'auraient rien vu, ni rien entendu de spécial. C'est à Isaïe personnellement que Dieu révèle sa présence, sa grandeur, sa puissance. Isaïe sait que Dieu est là. Il se prosterne devant lui de tout son long par terre. Et il entend que Dieu demande qui il pourra envoyer comme messager. Aussitôt Isaïe répond présent ; pour lui, c'est une évidence, Dieu l'appelle, il sera prophète, il parlera au nom de Dieu.

Deuxième manifestation de Dieu aujourd'hui, c'est à saint Paul. Saint Paul qui nous raconte pourquoi il est devenu chrétien. Lui, saint Paul, était un bon Juif, tout à fait imperméable à l'idée que ce Jésus de Nazareth pouvait être un envoyé de Dieu. Pour lui, il était tout à fait incroyable que ce Jésus serait vivant par-delà la mort : il était mort crucifié par la volonté des chefs religieux de son peuple. Pour Paul, les chefs religieux de son peuple avaient eu tout à fait raison d'éliminer ce Jésus. Et maintenant, vingt ans, trente ans après la mort de Jésus peut-être, saint Paul résume toute sa foi nouvelle et toute la foi des chrétiens depuis le début. Oui, Jésus est bien mort, il a bien été mis au tombeau, mais il est sorti vivant du tombeau, il est ressuscité, et il est apparu à celui-ci et à celui-là, puis aux douze apôtres, puis à cinq cents frères à la fois, et j'en passe. Et après cela, il m'est apparu à moi aussi, le petit dernier, l'indigne, parce que je luttais contre lui de toutes mes forces. Et alors je me suis mis à genoux devant lui pour lui demander pardon. Et tout de suite il m'a embauché pour que je proclame partout qu'il est vraiment ressuscité d'entre les morts et qu'il appelle tous les humains à croire en lui et à entrer avec lui, par-delà la mort, dans le royaume du Père invisible, le Dieu qui s'était révélé autrefois au prophète Isaïe.

Et troisième manifestation de Dieu aujourd'hui : l'évangile que je viens de lire. Jésus qui s'installe dans une barque et qui, de là comme d'une tribune, se met à parler aux gens restés sur la rive du lac. On ne sait pas ce qu'a dit Jésus ce jour-là ; ce qu'a retenu l'évangéliste, c'est ce qui s'est passé ensuite. Jésus arrête de parler à la foule et il demande à Pierre, le chef naturel des quelques pêcheurs qui sont là, il lui demande d'aller au large avec sa barque pour prendre du poisson. Saint Pierre vient de passer tout une nuit sans rien prendre, il n'a pas envie de perdre son temps. Vaudrait mieux recommencer la nuit suivante. Mais déjà il n'ose pas dire non à Jésus. Il hausse les épaules et il se dit en bougonnant : "Si ça peut lui faire plaisir !" Et les voilà dans le lac avec très vite une énorme quantité de poissons ; faut même appeler la deuxième barque en renfort parce qu'il y en a trop. Dans toute sa carrière de pêcheur, saint Pierre n'avais jamais vu ça. Ce n'est pas croyable ! Personne ne parle de miracle, Jésus n'est pas là avec un vêtement éblouissant, ni le visage rempli de lumière. Mais saint Pierre et ses trois compagnons ont reçu de Jésus un signe fort. Pour eux, la main de Dieu est là ; c'est tout vu, c'est décidé, on part avec Jésus. Saint Pierre et ses trois compagnons ont senti qu'il y avait en Jésus une présence de Dieu et que cette présence était plus importante que tout le reste. Ils avaient touché quelque chose de la vie éternelle et ils ne voulaient plus s'en séparer. Dans quelle galère Jésus les emmenait, ils ne le savaient pas. Ils n'ont pas besoin de tout savoir tout de suite. Une chose est sûre, il les emmène vers le Père.

Trois manifestations de Dieu dans nos lectures de ce dimanche. Chaque fois il y a une présence invisible de l'Esprit Saint qui fait le lien invisible entre Dieu et les hommes. Et l'histoire continue depuis deux mille ans ; et depuis deux mille ans Dieu donne à chacun les signes dont il a besoin pour pouvoir s'approcher de lui en toute confiance et en toute certitude.

Comme disait un jour un évêque de l’Église d'Orient : "Sans l'Esprit Saint, Dieu est loin, le Christ reste du passé, l’Évangile une lettre morte, l’Église une simple organisation, l'autorité une domination, la mission une propagande, le culte une évocation et l'agir chrétien une morale d'esclave... Mais dans l'Esprit Saint, le Christ ressuscité est là, l’Évangile est une puissance divine, l’Église signifie la communion trinitaire, l'autorité est un service libérateur, la mission est une Pentecôte, l'eucharistie est mémorial et anticipation, l'agir humain est déifié".

Dans les trois manifestations de Dieu de ce dimanche, des hommes ont touché quelque chose de l'éternité, c'est-à-dire de la vie de Dieu. Sur terre déjà, l'homme vit dans l'éternité. L'ici-bas et l'éternité ne font qu'un. Le temps présent, c'est l'éternité voilée. L'éternité, c'est le temps dévoilé. Durant les quarante jours qui ont suivi Pâques, le Seigneur Jésus est apparu à celui-ci et à celui-là et à beaucoup d'autres. Durant les quarante jours où le Seigneur Jésus transfiguré s'est rendu visible et a marché sur la terre, les disciples ont senti le parfum du bienheureux jardin et ils ont pu même nous le rendre perceptible dans les récits de la résurrection. (Avec Métropolite Ignace de Lattaquié, AvS, HUvB).
 

7 février 2016 - 5e dimanche du temps ordinaire  - Année C

Évangile selon saint Luc 5,1-11

Jésus a longuement parlé aux foules au bord du lac. Il ne peut pas toujours parler. Il demande alors à Pierre d'aller au large et de jeter les filets pour prendre du poisson. Alors Pierre proteste un peu : "J'ai travaillé toute la nuit à essayer de prendre du poisson. J'ai les bras rompus d'avoir jeté et relevé le filet toute la nuit, et pour rien. Le poisson est au fond, je ne sais pas où". Et Jésus répète : "Pierre, fais ce que je te dis". Et pendant qu'ils s'éloignent un peu de la rive, Pierre dit encore à Jésus : "Je t'assure que ce n'est pas l'heure favorable. En ce moment, les poissons, je ne sais pas où ils sont à se reposer". Jésus est assis à la proue, il sourit et ne dit rien.

Les pêcheurs font un arc de cercle sur le lac et puis ils jettent leur filet. Quelques minutes d'attente et puis la barque est secouée étrangement. Et Pierre s'écrie : "Mais ce sont les poissons !" Pierre ordonne aux autres de relever le filet. Et la barque se met à pencher du côté du filet. Alors, vite, vite, Pierre appelle Jacques et jean qui étaient restés à terre : "Venez avec les rames". Ils réussissent à hisser le filet. Les barques accostent. Un panier, deux, cinq, dix. Ils sont tous remplis à ras bords. Et il y a encore un  tas de poissons qui frétillent dans le filet. Tout d'un coup Pierre comprend, il est effrayé : "Maître, Seigneur, éloigne-toi de moi, je suis un homme pécheur. Je ne suis pas digne d'être près de toi". Pierre est à genoux sur la grève humide. Jésus le regarde et sourit. Et il lui dit : "Relève-toi ! Je ne te lâche plus. Suis-moi. Désormais tu seras pêcheur d'hommes. Et avec toi, tes compagnons que voici". Pierre n'a plus rien à dire. Après ce qu'il vient de voir, il n'a plus d'objections. Il ira partout où Jésus lui demandera d'aller. Il n'a plus peur de rien.

Un jour, bien plus tard, dans le temple, Jésus lancera à pleine voix l'appel suivant : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d'eau vive". Et l'évangéliste ajoute : "Jésus parlait de l'Esprit Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui". L'eau que l'assoiffé reçoit et accueille du Seigneur Jésus va rejaillir à nouveau de lui dans l'amour. Ce qu'il reçoit du Seigneur Jésus, ce qui étanche d'abord sa propre soif, c'est l'Esprit Saint. Et ce qu'il reçoit va se multiplier si bien qu'il pourra en abreuver d'autres. Tout ce que le Seigneur Jésus procure, c'est toujours pour le communiquer. Pierre n'a rien dans les mains, mais il pourra recevoir l'Esprit Saint et le communiquer à d'autres.

Après cette pêche étonnante, Pierre n'a plus rien à dire, il n'a plus d'objections à opposer à ce que Jésus lui demande. Jésus lui dit : "Viens avec moi : tu seras pêcheur d'hommes". Pierre ne demande même plus comment ce sera possible : il n'a même pas le certificat d’études. Mais dès ce moment-là, l'amour de Dieu avait été déversé dans son cœur par l'Esprit Saint. En un instant au bord du lac, la foi de saint Pierre a été dilatée. L'homme est "capable de Dieu" ("capax Dei", disaient en latin les anciens auteurs chrétiens). L'homme est capable de Dieu. Dieu est capable de remplir l'homme. L'homme est capable aussi de dire non à Dieu. Mais ce jour-là au bord du lac, la question ne se posait plus pour Pierre : il était envahi par une présence.

Le chemin de Pierre dans la foi ne fait que commencer. En un instant au bord du lac, tout était clair pour lui. Mais la suite des événements nous fait savoir que Pierre a encore beaucoup de choses à apprendre dans la foi. Pour lui, comme pour nous, la foi est un effort constant de purification des images de Dieu qu'on peut avoir. Et cette purification se continue et doit se continuer tout au long aussi de l’histoire de l’Église. L'Esprit Saint empêche l’Église de se tromper sur l'essentiel, mais il ne l'assure pas que la formule qu'elle donne est toujours la meilleure.

Le Notre Père déjà est si difficile à comprendre. Nous disons à Dieu : "Que ton nom soit sanctifié !" Qu'est-ce que ça veut dire ? Le cardinal Lustiger expliquait : "Que tu sois connu de tous les hommes, que tous les hommes te connaissent comme Dieu tout-puissant et éternel, Créateur du ciel et de la terre, que tous les hommes t'adorent et se prosternent devant toi". Que ton nom soit sanctifié...

On n'a jamais fini de progresser dans la foi. Le Père Radcliffe, le dominicain anglais, raconte que, dans le Nord des Philippines, les jeunes apportent leurs stylos pour les faire bénir avant les examens... Pourquoi pas ? Ce n'est pas interdit. Mais on peut espérer que, pour ces jeunes, la foi chrétienne ne se limite pas à cette démarche la veille d'un examen... Et nous, comment notre foi chrétienne peut-elle progresser ?

Dans toute la révélation biblique - Ancien et Nouveau Testament - Dieu parle. Et quand Dieu parle, il ne peut parler que de lui-même. Ce sont des choses qui ne concernent pas d'abord l'homme, mais Dieu. Et cependant ces choses de Dieu concernent l'homme parce que c'est à l'homme que Dieu s'adresse. (Avec Enzo Bianchi, Jean Guitton, Cardinal Lustiger, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

13 février 2011 - 6e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,17-37

Nous sommes toujours dans le sermon de Jésus sur la montagne. Aujourd'hui Jésus situe son enseignement dans la droite ligne de l'Ancien Testament, dans la droite ligne des dix commandements de la Loi de Moïse. Les dix commandements sont les dix commandements de l'amour. Dans l'évangile que je viens de lire, Jésus relève trois commandements. Pour faire le bien, il faut commencer par ne pas faire le mal. 1. D'abord ne pas tuer, ne pas supprimer la vie de quelqu'un. C'est évident. Et Jésus ajoute : il ne faut même pas se mettre en colère contre quelqu'un, il ne faut pas lui dire des gros mots. Et si on a causé du tort à quelqu'un, réparer les dégâts. 2. Et puis, pas d'adultère. Ne pas prendre la femme de son prochain. C'est évident. Et Jésus ajoute : il ne faut même pas entretenir dans ses pensées le désir de prendre la femme de son prochain. 3. Enfin ne pas mentir. Oui, c'est oui ; non, c'est non. Le reste vient du diable.

Tout cela est élémentaire, si on peut dire. C'est la base. Il n'y a plus qu'à mettre tout cela en pratique. Il n'y a qu'à : c'est là que ça se complique. Ce n'est pas toujours si facile que ça. Jésus nous indique un chemin : "Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle". C'était ce que disait déjà Ben Sirac dans notre première lecture. Tout homme de bonne volonté, même non croyant, peut comprendre la justesse des commandements de Dieu concernant nos rapports avec les autres. Et dans la mesure où les non croyants accomplissent les commandements de Dieu, ils ne sont pas loin de Dieu. Mais on peut aussi être non croyant et se raidir contre les commandements, on peut y résister consciemment. On n'en veut pas.

Si tout le monde pratiquait les commandements de Dieu, on serait au paradis. Mais on n'est pas encore au paradis et on a souvent mille raisons de se plaindre des autres, justement parce qu'ils n'observent pas les commandements de Dieu qui rendraient la vie plus facile à tout le monde. Que faire ?

Un saint du XVIIe siècle, saint Claude La Colombière, disait ceci : "Vous ne savez que faire à la messe ? Vous vous plaignez tous les jours de vos parents, de vos amis, de vos enfants, de vos femmes. Demandez à Dieu qu'il rende cet ennemi plus raisonnable, cette fille plus modeste, ce mari moins bourru, cette femme moins chagrine. Et pour obtenir toutes ces grâces, offrez-lui Jésus Christ en sacrifice".

La première manière de témoigner de sa foi auprès des croyants comme des non croyants ou des peu croyants, c'est de pratiquer les commandements de Dieu. Il y a dix commandements dans la Loi de Moïse, mais il y en a infiniment plus dans la vie concrète. C'est ce que Jésus nous dit aujourd'hui. Un homme de notre temps qui a été touché par Dieu pour témoigner de sa foi nous offre quelques commandements de l'amour au-delà des dix commandements de la Loi de Moïse : "Témoigner de sa foi, cela peut se faire de multiples manières : l'attitude d'accueil, l'écoute aimante, le silence porteur, le service exemplaire, le partage des joies et des peines, la parole de paix qui réconforte, les réponses aux interpellations explicites ou implicites, le conseil approprié, l'affirmation vécue de son expérience, la simple profession de foi, etc.". Témoigner de sa foi quand l'occasion s'en présente, cela fait partie aussi des dix commandements. Il faut bien chercher pour trouver à quel commandement cela se rattache.

Le Seigneur Jésus ne nous demande pas de nous imposer au monde, mais d'y être avec lui, comme le sel qui garde sa saveur ou comme la lumière qui ne craint pas l'obscurité. On témoigne de la foi qui nous anime en observant les commandements et en parlant quand l'occasion s'en présente. Et que dit ici le philosophe de notre temps, converti à l'âge adulte à la foi chrétienne ? "Celui qui témoigne avec suffisance témoigne contre soi, quelle que soit la véracité de son témoignage, car le vrai témoin de la vérité ne peut être suffisant; il doit être transparent à Celui dont il témoigne, qu'il reconnaît plus grand, et devant lequel il s'efface pour qu'autrui puisse aller à sa rencontre".

Et si tu trouves que l’Église n'est pas à la hauteur, eh bien, fais de ton mieux pour que cela change. Et pour cela imite au plus intime de ton cœur l'humble geste d'amour de Jésus qui lave les pieds sales de ses frères. On n'a pas le droit de choisir quand on se met à laver les pieds. Chacun de ces frères aux pieds sales est le frère pour lequel le Christ est mort, qu'il soit sympathique ou non, progressiste ou réactionnaire, ou Dieu sait quoi encore. Seul l'amour construit. (Avec saint Claude La Colombière, Jean Bancal, Mgr Dagens, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

16 février 2014 - 6e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,17-37

Le Seigneur Jésus nous invite aujourd'hui à faire attention à ce qui se passe dans notre cœur, dans notre tête. Ne pas tuer, ne pas voler, ne pas prendre la femme de son prochain : ce sont des actes (à ne pas faire). Le Seigneur Jésus nous dit de faire attention aussi et d'abord à ce qui se passe dans notre tête, dans notre cœur. Parce que Dieu connaît aussi nos intentions cachées.

Le premier péché est tout à fait caché : on pense dans sa tête à ce qu'on pourrait faire de mal : se venger par exemple, mépriser quelqu'un dans son cœur, ruminer dans son cœur avec convoitise la pensée d'un homme ou d'une femme qu'on a vus alors qu'on est soi-même marié ou alors que cet homme ou cette femme sont engagés de leur côté dans le mariage.

On ne peut pas être fidèle à Dieu et respecter les autres sans un minimum de renoncement, sans un minimum de maîtrise de soi et d'abord de ses pensées. Ce renoncement est déjà une manière de porter la croix, une manière de suivre le Seigneur Jésus.

Dans la prière, il y a le même combat. On ne peut pas être à la messe pendant une heure sans avoir des distractions. Notre cerveau travaille toujours et il a tendance à s'éparpiller. Dans la prière aussi il y a un renoncement : on va à la messe, on se met à prier pour être avec Dieu, pour le rencontrer. Les distractions ne peuvent pas ne pas arriver : il nous est demandé de les confier à Dieu : c'est pour lui qu'on est venu, c'est pour lui qu'on a commencé à prier. Dans notre foi, il se cache toujours encore un morceau d'incroyance. Mais on peut penser aussi à l'inverse qu'en toute incroyance il y a aussi un morceau de foi.

L’Écriture nous dit plus d'une fois que les hommes regardent l'apparence, mais que Dieu regarde le cœur. Dieu regarde aussi les actes bien sûr. On se dit chrétien, mais on ne va pas à la messe le dimanche, ce qui est quand même le B,A,BA d'une vie de chrétien. On se dit chrétien, mais on ne prie jamais, on ne parle jamais à Dieu : c'est comme si Dieu n’existait pas. Ou bien on se contente d'une petite prière le matin ou le soir - vite fait bien fait, ou vite fait mal fait - si on n’oublie pas.

Dans l'Apocalypse, saint Jean parle de ceux qui ne sont chrétiens que de nom. Il dit de ces chrétiens qu'ils sont la synagogue de Satan. Il y a des gens dont la foi est tiède et comme morte. Il y a des gens qui mentent vraiment sur leur foi et ils savent qu'ils mentent. Dieu voit les actes, il sait aussi ce qui se passe dans le cœur.

C'est un homme qui se dit agnostique. Il n'est ni pour ni contre la religion, il dit qu'il ne sait pas, mais on n'est pas tout à fait sûr qu'il ne sait pas, il est plutôt bienveillant pour la religion. Et il a inventé une petite histoire. Un protestant et un catholique cherchent à se convertir mutuellement. Finalement le protestant décide de passer quelques mois à Rome pour en avoir le cœur net. Le catholique se dit : "C'est fichu ! Il va être écœuré !" Or, ce qui se passe, c'est que, quand le voyageur revient, il se fait catholique. Pourquoi ? Il dit: "Ce que j'ai vu au Vatican est tellement effroyable que je me suis dit que s'ils tiennent comme ça depuis deux mille ans, c'est qu'ils ont la Vérité". C'est une petite histoire inventée par un homme qui se dit agnostique.

Les hommes voient les apparences; Dieu regarde le cœur. C'est vrai aussi pour l’eucharistie que nous célébrons. Saint Thomas d'Aquin fait remarquer que ce n'est pas parce qu'on est plus près de l'eucharistie physiquement que l'on est plus près de la présence de Dieu. On peut très bien s'abstenir de communier pour une raison ou pour une autre et être en réalité plus près de Dieu que quelqu'un qui communie tous les jours.

Qu'est-ce que c'est que la prière ? C'est rempli de distractions. Vous êtes à l'église. Et vous remarquez que votre voisin semble vraiment plongé dans la prière. Pensez-vous ! Il se demande si sa voiture va démarrer. Toute prière est bonne si elle vient d'un cœur vrai. L'humilité est essentielle à l'amour. Il n'y a pas d'amour vrai sans humilité. C'est la même chose pour la prière. L'humilité est essentielle à la prière. Nous sommes toujours des débutants devant Dieu, des tout petits. Le premier mot de la prière devrait toujours être : Apprends-moi à prier... en vérité.

Ne pas tuer, ne pas voler, ne pas prendre le mari ou la femme de son prochain : les commandements de Dieu sont des poteaux indicateurs sur le chemin de la liberté, sur le chemin de Dieu. Ils nous disent comment faire et comment être pour avoir avec Dieu une relation qui soit juste. Et tout se passe d'abord dans le cœur. (Avec Alfred Grosser, saint Thomas d'Aquin, Jacques Ravanel, Rémy Schappacher, François Varillon, AvS, HUvB).

 

12 février 2017 - 6e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,17-37

La Loi de Moïse, douze siècles avant le Christ, prescrit de ne pas tuer. Le Seigneur Jésus nous dit de ne même pas nous irriter sans raison, afin d'arracher de nos cœurs la racine du péché, parce que ce qui commence par la colère peut se terminer par l'homicide. Chaque semaine, on voit ça dans les tribunaux. - La Loi de Moïse, douze siècles avant le Christ, prescrit de ne pas prendre la femme de son prochain, de ne pas commettre l'adultère. Le Seigneur Jésus nous demande de surveiller d'abord nos pensées, nos désirs, nos regards, pour arracher de nos cœurs la racine du péché. - La Loi de Moïse, douze siècles avant le Christ, c'était une époque encore bien barbare. Le Seigneur Jésus va plus loin et plus haut : il ne vise pas seulement les actes extérieurs, mais l'intérieur, le cœur. Les hommes voient l'extérieur, Dieu regarde le cœur. L'Esprit Saint voit le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu, nous disait saint Paul, même les profondeurs de notre cœur.

Les commandements du Seigneur Jésus ne sont pas destinés à une élite, ils ne sont pas réservés à quelques-uns. Le Seigneur Jésus nous indique comment on peut faire pour faire la volonté de Dieu. Dire dans son cœur : "Je veux faire la volonté de Dieu", cela veut dire : "Je veux me dépouiller de tout ce qui n'est pas de Dieu, et vider mon cœur, entre autre choses, de toutes les choses matérielles. Je veux renoncer à ma volonté propre, à mes goûts, à mes fantaisies, à mon inconstance. De toute ma volonté, je vais essayer d'aimer Dieu en faisant ce qu'il me demande, je vais choisir en faveur de lui, je veux courir vers lui, je veux arriver jusqu'à lui, je veux le posséder". (Si vous ne l'avez pas deviné, c'est de Mère Teresa de Calcutta, sainte Mère Teresa, si concrète et si pratique !)

Les commandements du Seigneur Jésus, ce sont les chemins du bonheur, du vrai bonheur. Mais Dieu nous laisse libres de lui dire oui ou non. C'était notre première lecture déjà, Ben Sira, quelque temps avant le Christ : Nous sommes libres de choisir entre l'eau et le feu, entre la vie et la mort, entre le bien et le mal. Si tu le veux, tu peux. Il dépend de ton choix de rester fidèle. Comme disait l'Américain : Yes, we can! Nous le pouvons. "Seigneur Jésus, que mon cœur s'ouvre à ta parole, qu'il désire la garder. Les nourritures terrestres m'attirent. La tentation existe. Alors je te prie du fond du cœur : Fais-moi vouloir le bonheur que tu offres".

On trouve des athées heureux (des gens qui ne croient pas en Dieu et qui sont heureux). "Il y a même quelque chose de particulièrement émouvant, je dirais presque de particulièrement chrétien, chez certaines de ces personnes qui font le bien dans une absolue gratuité, qui vivent leur vie pleinement et en sérénité, en étant convaincu qu'il n'y a rien après la mort et que la fin de leur belle vie est définitive. Heureusement pour eux, ils se trompent. Et le Seigneur Dieu les acceptera en son sein avec le même amour qu'un baptisé qui a essayé d'être fidèle à la foi de son baptême". (Vous l’avez peut-être deviné, c'est du journaliste et directeur de théâtre parisien dont je vous ai parlé dimanche dernier).

Les hommes voient l'extérieur de nos actes, Dieu regarde le cœur. C'est la même chose pour la prière. La prière a une portée qui demeure cachée même à celui qui prie. Ce qu'il sait, c'est qu'il participe à quelque chose de mystérieux. Sa foi lui montre le chemin : c'est l'ouverture de son esprit à l'Esprit Saint de Dieu, dans un oubli de soi qui équivaut à une totale pauvreté devant Dieu. On peut prier de mille manières ; mais si la prière est assez profonde, elle sera toujours quelque part, à un certain moment, une remise de soi entre les mains du Père. Dieu regarde le cœur. Et son Esprit Saint aussi nous inspire. Il nous pousse à nous approcher de Dieu si nous lui disons oui.

Il nous presse aussi à nous former. Ou bien avons-nous renoncé à approfondit notre foi ? Dieu peut toujours toucher l'esprit de l'homme et lui donner, d'une manière immédiate, la connaissance de lui-même. Il y a la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, et il y a des paroles de Dieu tout au long des âges de la vie et dans les écrits des croyants et des saints. Il y a la Parole de Dieu et les paroles de Dieu, mais il y a un apprentissage de la langue de Dieu et de la Parole de Dieu. Et ce n'est jamais fini. Et cela ne peut se faire sans l'aide de l'Esprit Saint qui éduque chacun à son rythme. Il est important que nous restions constamment attentifs aux indications que Dieu nous donne sur ce que nous devons faire et la manière de le faire.

L'évangile d’aujourd’hui nous invite à surveiller ce qui se passe dans notre cœur. "L'Esprit de Dieu voit le fond des choses, et même les ^profondeurs de Dieu". La révélation biblique est une ouverture sur l'intimité de Dieu. La foi, c'est la conscience de la présence permanente de Dieu dans son peuple, dans son Église, dans chaque croyant. Et l'eucharistie nous a été donnée pour nous ressourcer sans cesse à l'événement-source de la mort vivifiante du Seigneur Jésus qui nous a dit à propos de l'eucharistie : "Faites ceci en mémoire de moi". (Avec Mère Teresa, Sœur Marie-Pierre Faure, Jean-Luc Jeener, Jacques Marin, Père Sophrony, Albert Chapelle, AvS, HUvB).

 

15 février 2009 - 6e dimanche du temps ordinaire – Année B

Évangile selon saint Marc 1,40-45

Le lépreux : "Si tu le veux, tu peux me guérir". Jésus : "Je le veux, sois guéri". Ce bref dialogue est une image, un symbole de ce qui se passe en tout sacrement dans l’Église. "Ceci est mon corps", et Jésus est là, il se rend présent. Comment est-ce possible?... "Je le veux, sois purifié". Et l'homme est guéri. "Je te pardonne tous tes péchés". Comment est-ce possible?... "Je le veux, sois purifié". Et l'homme est guéri. Jésus est sorti vivant du tombeau le troisième jour. Comment est-ce possible?... "Je le veux, sois purifié", et l'homme est guéri.

En décembre dernier, le bureau médical de Lourdes, qui est composé de médecins et de spécialistes internationaux, a reconnu comme remarquables, inexplicables, cinq guérisons. Les médecins ne disent pas comment ça s'est fait. Mais après avoir étudié les cas pendant des années à partir des dossiers médicaux et vu l'état des personnes aujourd'hui, ils disent : normalement, on ne guérit pas de ces maladies; et ces personnes ne sont plus malades. Voilà ce que nous constatons. Et leur guérison est liée à la grotte de Massabielle, c'est-à-dire à la Vierge Marie qui est passée par là il y a 150 ans. Alors les médecins de Lourdes nous disent : voilà ce que nous avons observé. Pensez-en ce que vous voulez! Mais demandez un peu aussi ce qu'en pensent les personnes qui ont été guéries.

Il y a des gens, même des croyants, qui pensent que les miracles physiques, ça n'existe pas. Ou du moins, mieux vaut ne pas en parler! Qu'ils aillent demander aux cinq personnes qui ont été reconnues comme guéries de manière "remarquable" (curieux qualificatif!) par les médecins de Lourdes en décembre dernier ! Il y a même des croyants pour qui les miracles physiques ne sont pas possibles. Dieu ne peut pas faire de miracles.

Cela rappelle cette histoire du XVIIIe siècle. Dans un cimetière parisien, des miracles se produisaient sur une tombe. Cela faisait beaucoup de bruit et beaucoup de foin : il y en a qui était pour, il y en a qui était contre, il y avait des scènes d'hystérie. Pour avoir la paix et remettre un peu d'ordre dans le cimetière, la police l'avait fait fermer. Et alors un plaisantin avait accroché à l'entrée du cimetière une pancarte où il avait écrit en grand : "De par le roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu". Un jour, Jésus avait donné la vue à un aveugle de naissance. Et qu'ont dit certains adversaires de Jésus? Non, ce n'est pas possible. Ce n'est pas le même homme.

Pour nous-mêmes et pour tous les croyants, et pour les non-croyants, nous devons toujours demander à Dieu de bien vouloir nous donner son Esprit pour que, par lui, nous apprenions à croire, et aussi pour que notre foi devienne capable de bouger les choses que Dieu veut changer.

Même s'il y a des raisons de croire, il y a toujours dans la foi quelque chose qui nous dépasse. Même si la beauté de la foi peut se découvrir, il y a toujours dans la foi quelque chose qui nous dépasse. On peut dire que la foi est certaine, mais pas évidente. La foi est certitude, et en même temps elle est recherche, elle est désir. Parce que la foi n'est pas évidente, celui qui est sans Dieu pense que la foi est incertaine. L'homme sans Dieu, l'athée, refuse d'approfondir le mystère de la foi et il en reste à l'idée que la foi n'est pas évidente. Mais ce qu'on doit dire aussi, c'est que, même si je suis certain d'être dans le pays de Dieu, je n'ai pas encore exploré tous les recoins de ce pays.

Ce qui est beau ne prétend jamais forcer des résistances, ce qui est beau captive gracieusement ceux qui se laissent convaincre. Dieu ne prétend jamais forcer des résistances, il captive gracieusement des libertés qui se laissent convaincre. Le lépreux de l'évangile, Jésus lui dit : "Je le veux, sois guéri". Des guérisons à Lourdes... Dieu ne prétend jamais forcer des résistances, il captive gracieusement des libertés qui se laissent convaincre. (Avec Bertrand Souchard, Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar).

 

12 février 2012 - 6e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,40-45

Jésus guérit un lépreux. "Si tu le veux, tu peux me guérir". - "Je le veux, sois purifié, sois guéri". Saint Marc, comme souvent, s'en tient à l'essentiel. Il est avare de mots. Ce qu'on peut noter dans ce bref récit, c'est la manière dont Jésus opère le miracle. Au cours des siècles, un certain nombre d'hommes de Dieu, des saints et des saintes, ont obtenu de Dieu des miracles, à force de prières, pourrait-on dire. L'un des signes de la divinité de Jésus, c'est justement la manière qu'il a de guérir quelqu'un. Il n'a pas besoin de supplier Dieu pour obtenir une guérison. Il n'y a que Dieu qui peut guérir un lépreux. Alors, c'est de sa propre autorité que Jésus guérit un homme : "Je le veux, sois guéri".

Et aussitôt Jésus renvoie cet homme guéri en lui demandant de ne dire à personne ce qui lui est arrivé, sauf au prêtre. Mais cet homme guéri ne peut pas retenir sa langue, c'est plus fort que lui. Pourquoi devrait-il taire un miracle de Dieu ? Dans l’Église d'aujourd'hui, il existe encore des miracles. Des guérisons inexpliquées et reconnues comme telles par les spécialistes. Et parfois on garde ça sous le boisseau, certains n'osent pas en parler dans l’Église, on se demande pourquoi. Mais on peut deviner peut-être quand même le pourquoi de cette timidité.

Pourquoi le lépreux d'aujourd'hui a-t-il été guéri ? Parce qu'il a osé demander. Le miracle ne peut être accordé là où il n'y a pas de foi ni de désir de l'obtenir. La puissance de Dieu surpasse les impuissances des hommes, ou plutôt ce que les hommes, dans leur condition présente, tiennent pour radicalement impossible.

Le plus grand miracle du Seigneur Jésus, le seul qu'il ne fait pas lui-même mais qu'il reçoit du Père par l'Esprit, c'est sa propre résurrection. En acceptant la mort, Jésus accepte la fin, pour lui, de toute possibilité. Et c'est justement cette impossibilité à vue humaine que la toute-puissance de Dieu vient frapper : "Cet homme, vous l'avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies. C'est celui-là que Dieu a ressuscité, le délivrant des affres de la mort, car il était impossible que celle-ci le gardât sous son pouvoir" (Ac 2,23-24). C'est ce que saint Pierre ose dire à la foule des juifs le jour de la Pentecôte. Les gens disaient : il est impossible de revenir de la mort à la vie. Dans la nuit de Pâques, l'impossible est devenu possible, parce qu'il était impossible que le Fils de Dieu reste dans la mort. Pour la première fois, la résurrection soumet la mort à la vie.

Il y a très longtemps, l'un de nos Pères dans la foi disait : "C'est de Dieu que nous parlons, quoi d'étonnant que tu ne comprennes pas ! Car si tu avais compris, ce ne serait pas Dieu". Le danger, c'est de vivre dans l'illusion insensée de prétendre le comprendre. Mais on peut s'approcher de Dieu sans le comprendre. Et c'est quand on devine que Dieu est incompréhensible qu'on a le plus de chance de s'approcher de lui en vérité.

Les miracles, les visions, les apparitions ne sont pas une partie essentielle de la foi chrétienne. Mais l’Église reconnaît comme authentiques certaines apparitions, certains miracles. Ce qui veut dire que, pour elle, dans ces phénomènes, il n'y a rien de contraire à la foi et à la morale. Quand l’Église reconnaît comme authentiques certaines apparitions ou certains miracles, c'est qu'il existe des indices suffisants pour qu'ils puissent être reconnus pour vrais. Et alors il ne serait pas juste de se contenter de les évacuer, de faire la sourde oreille ou de se boucher les yeux.

L’Église a été voulue par Dieu pour ouvrir l'humanité à un royaume qui n'est pas de ce monde, mais un royaume qui a déjà fait irruption dans ce monde. On peut refuser Dieu, parce que Dieu persuade mais ne contraint pas, la violence lui est étrangère. Mais l'homme ne se comprend pas sans Dieu et il ne s'accomplit pas sans Dieu.

Adam autrefois a agi dans le monde créé par Dieu comme si Dieu ne le voyait pas, comme si Dieu était absent, comme si Dieu n'existait pas. Aujourd'hui beaucoup d'hommes ont du mal à s'apercevoir que Dieu les voit, qu'il est présent, même si, par respect pour notre liberté, il donne l'impression d'être absent.

La Bible ne s'intéresse pas aux dispositions religieuses de l'homme, mais à sa docilité envers la révélation que Dieu fait de lui-même et envers la tâche que Dieu lui confie. Celui qui vit et pratique la fidélité de la foi reçoit, de façon mystérieuse, la certitude d'être sur la bonne voie vers le Père et d'en être l'enfant bien-aimé. (Avec Jean-Luc Marion, Joseph Pieper, Patriarche Daniel, HUvB).

 

15 février 2015 - 6e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 1,40-45

Le récit de la guérison du lépreux par Jésus est très bref. L’évangile de saint Marc est le plus court de nos quatre évangiles : il va droit à l’essentiel, il ne raconte pas les détails. Mais saint Ignace de Loyola nous invite à voir ou à imaginer des détails, à faire une composition de lieu, comme il dit : décrire le paysage, l’environnement, toutes les personnes concernées, leurs états d’âme et leurs mimiques.

Saint Marc commence aujourd’hui son évangile en nous disant : "Un lépreux vient trouver Jésus". Ce n’est pas si simple que ça ! Ce lépreux, c’est une ruine humaine, un squelette ambulant, une tête de cadavre. Ses lèvres et son nez sont rongés par le mal. Il vit dans une espèce de caverne à un kilomètre du village le plus proche. De quoi vit-il ? De temps en temps, il y a un homme qui lui apporte des provisions. Il dépose ces provisions près de la caverne et il s’en va. Et quand il s’est un peu éloigné, il appelle le lépreux et ils se parlent à une certaine distance : il ne faut pas se laisser contaminer.

Cet homme aux provisions, c’est un bossu qui a été guéri par Jésus. Et ce jour-là, le bossu annonce au lépreux que Jésus est dans le village tout proche. Et il donne rendez-vous au lépreux dans un petit bois, pas loin de là. Lui, il va aller chercher Jésus. Quand le lépreux voit Jésus, il se prosterne à terre, le nez dans l’herbe, puis il se redresse sur ses genoux ; il tend les bras vers Jésus, à distance : "Si tu veux, tu peux me guérir". Jésus regarde ce fantôme. Il avance la main pour le caresser. Le lépreux se rejette en arrière : "Ne me touche pas ! Aie pitié de moi !" Jésus fait un pas en avant, il pose sa main sur la tête dévorée par la lèpre et il dit à voix forte, mais une voix pleine d’amour : "Je le veux, sois purifié !" La main de Jésus reste un certain temps sur la tête du lépreux. "Lève-toi. Va trouver le prêtre et fais ce qu’il te dira. Mais ne dis pas ce que je t’ai fait. Sois bon seulement. Ne pèche plus jamais. Je te bénis".

L’ancien bossu qui a assisté à toute la scène dit au lépreux : "Mais tu n’as plus rien, tu es tout à fait guéri !" Jésus va s’en aller. Alors le lépreux dit à Jésus : "Maître, Maître, je ne veux plus te quitter". Jésus : "Fais ce que dit la Loi de Moïse.Nous nous reverrons plus tard. Pour la deuxième fois, que ma bénédiction soit sur toi". Jésus s’en va. Les deux amis pleurent de joie. Et ils retournent une dernière fois à la caverne.

Les brins d’herbe ne se posent pas la question de savoir pourquoi ils sont là. Les zèbres non plus ne se posent pas la question. Et puis il y a les hommes. Une des différences entre les zèbres et les hommes, c’est que les hommes se posent parfois des questions. L’homme est une espèce inquiète. Pas seulement inquiète de ce qu’elle va manger ou de qui va la manger, mais inquiète en profondeur. Inquiète de savoir qui elle est vraiment. L’inquiétude fait partie des droits de l’homme.

Le lépreux guéri, le bossu guéri, ne se posent plus de questions. Ils veulent rester avec celui qui les a sauvés. Ils ont trouvé Jésus et ils veulent rester avec lui. Ils l’ont trouvé, mais ils voudraient le connaître davantage. Ils ont trouvé Jésus, mais ils continuent à le chercher. Celui qui a trouvé Jésus devra chercher éternellement. Celui qui a trouvé Jésus se trouve pris dans un mouvement qui ne va jamais s’arrêter parce que c’est un mouvement vers Dieu. La recherche ne s’arrête pas quand on a trouvé. Toute découverte est le point de départ d’une nouvelle recherche. les bergers de Bethléem cherchent, les mages à l’étoile cherchent, et Marie-Madeleine le cherche jusque dans la mort et le froid du tombeau.

La personne est un puits jamais pleinement connu. Pour saint Paul aussi, l’événement qui s’appelle Jésus-Christ est un  geste de Dieu qui dépasse toute compréhension. Mais c’est aussi une donnée de l’histoire qui fait appel à l’intelligence. Dieu est quelqu’un qui s’est révélé et qui ne peut être connu en dehors d’une Révélation. Il faut rencontrer ce Dieu personnel, et on le cherche par un engagement total : c’est ce que le lépreux guéri avait senti d’instinct. Il voulait rester avec Jésus. C’est le seul moyen de le connaître.

Au temps de l’exil à Babylone, six siècles avant le Christ, le peuple élu de Dieu a tout perdu :  il a perdu sa terre, il a perdu son temple, son temple qui était pour lui comme la garantie de la présence de Dieu au milieu de lui. Le peuple de Dieu est sans repères et sans avenir. Mais Dieu est fidèle, malgré les apparences. Il le fait dire par l’un de ses prophètes : "Sion avait dit : Yahvé m’a abandonné, le Seigneur m’a oublié! Une femme oublie-t-elle son enfant ? Est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si une mère pouvait oublier, moi, je ne t’oublierai jamais. Vois, je t’ai gravé sur les paumes de mes mains" (Is 49,14-16).

Saint Paul aussi était une espèce de lépreux. Et le Seigneur l’a guéri, lui aussi. Jésus l’a guéri sur le chemin près de Damas. Saint Paul n’était pas lépreux, il était aveugle. Il ne voyait pas le mystère de Jésus, il ne voyait pas que Jésus venait de Dieu. Et Jésus l’a guéri. Et désormais, comme le lépreux, saint Paul ne veut plus quitter le Seigneur Jésus. Jésus, c’est sa vie, c’est sa vérité, il est ressuscité avec lui, comme le lépreux. Jésus maintenant est parti, mais Paul est quand même toujours avec lui et il attend son retour, et il le retrouve mystérieusement aussi en chaque eucharistie. (Avec Bernard Peyrous, Dumitru Staniloae, Jacques Guillet, Vladimir Lossky, Michel Rondet, AvS, HUvB).

 

14 février 2010 - 6e Dimanche du temps ordinaire – Année C

Evangile selon saint Luc 6, 17. 20-26

Dimanche dernier, Jésus était monté dans une barque et, de là, il avait parlé à la foule qui était sur le rivage. A ce moment-là, saint Luc ne nous dit pas le contenu de l'enseignement de Jésus. Il nous le dit aujourd'hui. Jésus commence en annonçant le bonheur que Dieu souhaite à l'homme. On connaîtra ce bonheur si on est son disciple. Heureux, vous, les pauvres. Heureux, vous qui avez faim. Heureux, vous qui pleurez maintenant. Pourquoi ? Parce que le royaume de Dieu est à vous.

Ce que Jésus nous dit de la vie : c'est qu'elle est un vide suivi d'une joie. Dans quelle vie n'y a-t-il pas des vides, des passages à vide ? Alors on se raccroche à ce qu'on peut. Il y a très longtemps, l'un de nos Pères dans la foi disait : "Les bonheurs passagers sont comme des planches jetées sur une mer agitée. Il ne faut ni les rejeter comme inutiles, ni s'y cramponner comme si elles étaient le port du salut. Il faut s'en servir adroitement pour les dépasser".

Nous sommes remplis de désirs. Et nous connaissons aussi des déceptions. Ce que Jésus nous dit aujourd'hui, c'est qu'il faut essayer de voir plus loin. Peut-être que les déceptions sont là pour nous apprendre à purifier nos désirs, à élever le niveau de nos désirs. Heureux les pauvres, dit Jésus. le royaume des cieux est à eux. On pourrait traduire : Heureux ceux qui visent le royaume de Dieu. Il serait malheureux de rater le chemin de l'essentiel. Heureux ceux qui connaissent les joies de l'existence et qui savent les mettre au service de l'essentiel. Heureux qui sont privés de beaucoup des joies de l'existence : ça, c'est plus difficile à comprendre. A Gethsémani, les disciples sont fatigués. Jésus aussi est fatigué, mais il prolonge sa prière. Et trois fois, il trouve ses disciples endormis. Et lui, il continue à prier malgré sa fatigue. Il offre au Père tout ce qu'il a. Est-ce que Jésus était heureux à Gethsémani ? Que fait Jésus à Gethsémani ? Il nous prend pour ainsi dire par la main pour nous conduire sur le chemin de Dieu.

Un historien de notre temps essaie de dire ce que veut dire pour lui le purgatoire. Il dit les choses d'une manière assez lourde, pour essayer de se faire comprendre. Il dit : "Je ne vais pas entrer au paradis (je ne vais pas entrer dans le royaume de Dieu) du Seigneur sans avoir pris une douche, mis une chemise neuve et un complet propre". Une certaine pauvreté dès maintenant, certaines larmes, cela peut être déjà comme une manière d'être purifié en vue du royaume de Dieu.

Heureux les pauvres ! Pendant longtemps, les chrétiens furent les premiers, au milieu des peuples, à développer les institutions de soutien aux malades et aux abandonnés, et à organiser pour les milieux populaires des écoles gratuites. Peu à peu la société civile a pris le relais des ordres religieux et des communautés chrétiennes. C'était normal. Le domaine à assurer en premier lieu par l’Église, ce n'est pas le domaine des problèmes de société. C'est le problème de l'homme, le problème de la vocation première de l'être humain, le problème de la profondeur de l'être humain. Dieu est vraiment autre chose qu'une roue de secours pour la bonne marche de la société.

La dernière béatitude de l'évangile d'aujourd'hui est la plus étonnante : "Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïront à cause de moi". Un homme de Dieu de notre temps disait : "Il faudra que ce soit un secret entre le Christ et moi quand je serai traité injustement".

Jésus est le premier à vivre les béatitudes dont il parle : être pauvre, avoir faim, pleurer, être l'objet de la haine des hommes. Qui peut mesurer ce que Dieu a risqué quand il a créé des êtres libres, capables de le contredire en pleine face ? Devait-il les damner ? Mais alors il serait perdant au grand jeu cosmique qu'il avait engagé. Devait-il simplement leur faire grâce ? Alors il n'aurait pas pris leur liberté au sérieux, il l'aurait court-circuitée. Comment Dieu pouvait-il prendre le risque de créer des êtres libres capables de le contredire en pleine face ? A une seule condition : c'est que, depuis l'origine, le Fils éternel se porte garant des pécheurs, par une solidarité absolue avec eux, jusqu'à l'abandon par Dieu. C'est à ce prix que Dieu a pu déclarer "très bon" ce monde atroce et lui donner l'existence. (Avec Fiches dominicales, saint Augustin, Jean-Pierre Torrell, Jean Delumeau, Mgr Elchinger, François Varillon, AvS, HUvB).

 

20 février 2011 - 7e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,38-48

Aujourd'hui Jésus nous demande l'impossible. Donner à qui nous demande : ça passe encore. Cela dépend d'ailleurs de ce qu'on va nous demander. Ne pas riposter au méchant. Souvent c'est une question de bon sens. Ce serait perdre son temps que de riposter. Aimer ses ennemis ? Comment faire ? Faut-il leur sauter au cou pour les embrasser (pas pour les égorger) ? Jésus ne dit pas cela ; il nous dit de prier pour eux. Eux aussi sont des enfants de Dieu. Qu'ils se rapprochent de Dieu ! S'ils se rapprochent de Dieu, et nous aussi, nous ne serons plus tout à fait des ennemis. Là où les consignes de Jésus nous dépassent tout à fait, c'est quand il nous dit : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait".

Au ciel (c'est saint Jean qui nous dit cela dans l'Apocalypse), tous auront le nom de Dieu inscrit sur leurs fronts : "Tous verront la face de Dieu et son nom sera sur leurs fronts" (Ap 22,4). Mais pourtant au ciel, tous ne seront pas égaux, les saints et les saintes ne sont pas tous égaux ; il y en a des grands et des petits. Mais il n'y aura pas d'envie dans le ciel, il n'y aura pas de jalousie parce que tout le monde sera suffisamment comblé pour qu'il n'y ait pas d'envie, parce que à ce moment-là on sera suffisamment proche de Dieu, on sera suffisamment parfait pour qu'on soit prêt à faire lever le soleil sur les méchants comme sur les bons.

Pour le moment, les paroles de Jésus dans l'évangile d'aujourd'hui nous semblent assez impossibles à réaliser. Un jour, dans une discussion avec ses adversaires, scribes et pharisiens, Jésus leur a dit : "Vous cherchez à me tuer parce que ma parole ne pénètre pas en vous". Il faut laisser du temps au temps, et alors peut-être la parole de Jésus pénétrera un peu en nous. "Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait".

Si on veut convertir quelqu'un, on a deux moyens pour cela : l'action et la prière. L'action : on peut essayer de persuader l'autre, on peut essayer de lui prouver les choses. Mais on peut aussi prier pour lui. Et les saints ajouteraient : on peut aussi souffrir pour lui et faire pénitence. C'est ce que faisait le curé d'Ars.

Qu'est-ce que c'est être chrétien ? Avant de devenir pape, Benoît XVI disait ceci : "Être chrétien, cela veut dire aimer". Jusque-là on pourrait ne pas être très convaincu. Mais le cardinal Ratzinger ajoutait : "C'est à la fois incroyablement difficile et extrêmement simple. Aimer, c'est cesser de faire de nous-mêmes le centre du monde". Et le cardinal Ratzinger concluait : "Mais lequel d'entre nous peut dire qu'il accomplit vraiment le service de la charité auprès des autres ?"

Qu'est-ce que ça veut dire aimer ? C'est toujours le futur pape qui essaie de le dire : "Aimer chrétiennement, cela veut dire aimer comme le Christ". Jusque-là, on n'est pas très avancé. C'est la suite qui est plus concrète. "Aimer chrétiennement, cela veut dire aimer comme le Christ, c'est-à-dire être bon envers celui qui a besoin de notre bonté".

Dans un cahier d'intentions de prière qu'on trouve parfois au fond des églises, quelqu'un avait écrit un jour : "Seigneur, rends notre couple doux et humble afin d'aider à l'élaboration de ton royaume".

Le monde entier sait aujourd'hui qu'il y a un bien et un mal. C'est André Frossard qui écrit cela, lui qui a été converti par Dieu à l'âge adulte. André Frossard ne demandait pas du tout à être converti. C'est Dieu qui a été le chercher. Et il a abouti à l'Académie française. Donc André Frossard : "Le monde entier sait aujourd'hui qu'il y a un bien et un mal, que ce bien est lié à l'amour du prochain, du pauvre, de l'exilé, à la compassion pour les malades, les opprimés, au respect des personnes, à commencer par les plus humbles, toutes choses que l'Ancien Testament a apprises aux juifs, l’Évangile au reste des hommes. Le seul régime qui ait rompu ouvertement avec la morale judéo-chrétienne est le nazisme, paganisme intégral et cynique, adorateur de la force, champion d'une race supérieure imaginaire, et contre qui témoignera éternellement la fumée immobile d'Auschwitz".

"L'amour seul est digne de foi" : c'est le titre d'un des petits livres du cardinal Hans Urs von Balthasar. Là aussi cet homme d’Église donne une définition de l'amour chrétien : il est miséricorde qui vient du cœur, disposition bienveillante d'accueil, sentiment d'humilité, douceur qui ne se défend pas, patience pleine de générosité, disposition à supporter le prochain insupportable, pardon parce que Dieu a pardonné. (Avec Benoît XVI, André Frossard, AvS, HUvB).

 

23 février 2014 - 7e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,38-48

Nous continuons aujourd'hui la lecture du sermon sur la montagne qui occupe les chapitres 5 à 7 de l'évangile de saint Matthieu. Aujourd'hui Jésus veut inculquer la douceur : à ses disciples d'abord, mais aussi au monde entier. La douceur ! Alors que nous portons tous en nous des germes de violence... Cet animal n'est pas méchant, quand on l'attaque il se défend.

Jésus propose à toute l'humanité un sacré combat : le combat qui cherche à maîtriser en soi les racines de la violence, qu'on ait dix ans ou quatre-vingt-dix ans. Ne pas riposter au méchant, dit Jésus. Mais cela n'empêche pas qu'on a quand même le droit de se défendre si on marche sur nos plates-bandes. Aimer ses ennemis, dit Jésus. Mais il ne dit pas qu'il faut aller les embrasser. Lui-même n'a pas été embrasser les scribes et les pharisiens avec qui il avait des explications orageuses. Il les traitait d'hypocrites et de races de vipères.

On vous a volés ? Ne pensez pas tout de suite : mon prochain est un être cupide. Pensez plutôt : mon pauvre frère est dans le besoin. Mais le pauvre frère n'est pas toujours dans le besoin : il vous vole parce qu'il a besoin d'argent pour sa drogue. Ce n'est pas un besoin comme un autre. Puis : Ne jugez pas, ne critiquez pas ! Vous ne connaissez pas les raisons des actions des autres. Finalement Jésus invite à prier pour tous les hommes, y compris pour tous ceux qui nous créent des ennuis. Et lui-même a offert sa mort pour tous les hommes : pour ses ennemis, mais aussi pour ses disciples, pour nous tous.

En quelques mots dans cet évangile, Jésus nous propose un chemin et un combat pour toute la vie : c'est comme ça qu'on devient un peu plus enfant de Dieu. Jésus a offert de mourir sur une croix et il a souffert cette croix en n'y comprenant plus rien : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" C'était la nuit pour son esprit. Le Seigneur Jésus n'est devenu pleinement lumière pour le monde que dans la nuit totale de la croix.

Jésus nous propose un combat intérieur pour toute notre vie. On ne peut jamais se dire qu'on a gagné une fois pour toutes, que le combat est terminé. Celui qui penserait ou dirait qu'entre Dieu et lui tout est en ordre ne saurait ni ce qu'est Dieu ni ce qu'est l'homme.

Un saint russe du XIXe siècle conseillait ceci : "Tous les jours, lisez un chapitre des évangiles. Et si l'angoisse vous prend (on pourrait dire : si la colère vous prend), lisez de nouveau jusqu'à ce qu'elle passe ; si elle revient, lisez de nouveau l'évangile". Cela se passait en Russie au XIXe siècle.

Mais vers l'an 400, saint Jean Chrysostome, qui était évêque dans une ville de la Turquie actuelle, donnait un conseil du même genre : il exhortait ses auditeurs à lire l’Écriture chez eux, dans leur maison. Et il prévoyait l'objection de certains de ces chrétiens : "Je ne suis pas moine, disent certains, d'entre vous. Mais là est votre erreur de croire que la lecture des Écritures ne concerne que les moines, alors que cela vous est beaucoup plus nécessaire, à vous qui êtes au milieu du monde. Il y a pire que de ne pas lire l’Écriture, c'est de croire cette lecture inutile". Et saint Jean Chrysostome conseillait d'étudier à la maison le passage qui devait être lu à l'église ; il conseillait aussi d'avoir le souci d'habituer les enfants à la lecture attentive et quotidienne de l’Écriture sainte. C'était au IVe siècle dans la Turquie actuelle.

Dans l’évangile d'aujourd'hui, le Seigneur Jésus nous propose un combat intérieur pour toute la vie. Saint Jean Chrysostome nous suggère une arme pour ce combat. C'est un combat pour toute la vie. Croire aussi est un combat. Au long des années, l'être humain se dégrade, du moins en façade ; en profondeur, on peut espérer qu'il se construit : le corps de la résurrection est en chantier.

Dieu a fait l'homme à son image. L'homme ressemble à Dieu. Mais l'homme doit lutter pour ressembler à Dieu. Dieu est amour : c'est le dernier mot de la Révélation sur Dieu lui-même par Dieu lui-même. Donc si Dieu a fait l'homme à son image, l'homme aussi est amour : il a un besoin incoercible d'aimer et d'être aimé... Nous voulons aimer et surtout être aimés... Nous avons tous besoin de nous faire aimer.

Terminer avec un chrétien philosophe de notre temps dont certaines expressions ne sont pas très philosophiques, vous allez voir. Voici ce qu'il dit : "Le chrétien moyen s'imagine que la force de Dieu consiste à anéantir ses adversaires, éventuellement à les envoyer se faire griller les fesses en enfer... Le Dieu des chrétiens, lui, n'agit pas comme cela, il a une autre logique. Le Dieu des chrétiens procède autrement... Ceux qui lui désobéissent, il cherche à les transformer de l'intérieur parce qu'il respecte leur liberté... Il cherche à faire en sorte que l'homme veuille librement son salut". (Avec Ambroise d'Optino, saint Jean Chrysostome, François-Xavier Durrwell, Jean-Luc Marion, Rémi Brague, AvS).

 

19 février 2017 - 7e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 5,38-48

Chaque jour, nous disons à Dieu : "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés". Autrement dit, nous devons être prêts à pardonner toutes les fautes que l'on commet contre nous si nous voulons que Dieu nous pardonne. Des siècles et des siècles avant le Christ, dans le livre du Lévitique (notre première lecture), on pouvait trouver déjà le commandement de Jésus de notre évangile : Tu n'auras aucune pensée de haine contre ton frère... Tu ne te vengeras pas... Tu aimeras ton prochain comme toi-même... "Esprit Saint, viens à notre secours quand il nous semble impossible de répondre au commandement de l'amour".

"Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait". Est-ce du domaine du possible ? Mais pour entrer dans la maison du Père, pour entrer dans le royaume de Dieu, il faudra bien. "Être parfait comme votre Père céleste" : qu'est-ce que ça veut dire ? Au cœur du Père, il y a de l'amour. Il n'a pas hésité à permettre à son Fils de devenir homme et de mourir sur une croix pour ramener à lui tous ses enfants égarés. Le temps du purgatoire après la mort est un temps où l'on devra apprendre vraiment les mœurs de Dieu pour pouvoir entrer dans sa maison ; on n'y entrera pas n'importe comment, les mains dans les poches par exemple, en prétendant avoir tous les droits. Et c'est alors que l'Esprit Saint encore, qui connaît le fond des cœurs, pourra nous montrer tout ce qui n'a pas été juste dans notre vie ici-bas, toutes les fois où nous avons été défaillants dans l'amour, toutes les fois où l'on n'a pas montré de l'amour comme il aurait fallu le faire pour être parfait comme le Père du ciel, le Dieu invisible, pour être vraiment les enfants aimants d'un Père aimant.

Saint Augustin a une expression un peu forte dans l'une de ses lettres. Il dit ceci : "En aimant sincèrement quelqu'un qui nous a fait du mal, nous désirons qu'il devienne notre ami". (Comment est-ce possible? Au ciel, ce sera possible, et même obligatoire, nécessairement. Mais ici-bas !)... "En aimant sincèrement quelqu'un qui nous a fait du mal, nous désirons qu'il devienne notre ami. Nous ne l'aimerions pas si nous ne voulions pas qu'il soit bon ; et il ne sera pas bon au fond du cœur tant qu'il ne sera pas bon au point qu'il puisse être aimable et qu'on puisse l'aimer".

Au purgatoire, après la mort, nous devrons apprendre à nous juger selon la mesure de la justice et de l'amour de Dieu. Au purgatoire, tous les hommes ne vont pas commencer au même niveau. Les uns ont derrière eux une vie de péché, les autres une vie dans la grâce. Pécheurs, ils le sont tous (nous le sommes tous), mais ils ont reçu plus ou moins de la grâce, ils en ont saisi plus ou moins. Tous doivent pourtant changer leur manière de penser et s'adapter à l’atmosphère de Dieu. Ils doivent s'habituer à la justice du Père et à l'amour du Fils. Ils ne sont pas uniquement passifs, ils ne sont pas purifiés sans le vouloir. Le côté passif du purgatoire consiste en ce qu'ils sont placés maintenant devant une seule possibilité : se laisser purifier, capituler devant la justice du Père et l'amour du Fils. Aucun recoin de l'âme ne peut se soustraire à la justice, aucun recoin ne peut se soustraire à l’amour. L'âme doit s'offrir tout entière à la justice et tout entière à l'amour.

Et pourquoi une vie tout entière nous a été donnée ? Simplement et uniquement peut-être pour apprendre les mœurs de Dieu, pour apprendre à aimer. Le Frère Roger, de Taizé, qui était un homme de paix, s'est fait tuer à l'arme blanche dans son église, au milieu de ses frères et de toute une assemblée de prière. Longtemps avant il avait écrit : "Le cœur trouve une paix quand, blessé ou humilié, il confie à Dieu, sans attendre un instant, ceux qui l'ont heurté, malmené". Le Frère Roger, ici, n'emploie pas le mot amour, il dit les choses autrement : "Le cœur trouve une paix quand, blessé ou humilié, il confie à Dieu, sans attendre un instant, ceux qui l'ont heurté, malmené".

Le journaliste et directeur d'un théâtre parisien, dont je vous ai déjà parlé deux fois, écrit quelque part aussi : "Il n'y a rien de plus difficile à l'homme que le pardon". Notre évangile d'aujourd'hui nous invite à imiter Dieu qui fait luire son soleil et descendre sa pluie sur les bons comme sur les méchants. Un prêtre orthodoxe disait : "Chacun de nous doit avoir pour les autres l'amour d'une mère". (Vaste programme !) Le même prêtre orthodoxe expliquait ce qui s'est passé au paradis, et c'est quelque chose de très pratique pour notre propre vie. Il disait : "Au paradis, quand Dieu parla avec Adam, celui-ci refusa d'être accusé d'avoir mangé du fruit défendu. Il répliqua à Dieu : C'est toi qui m'as donné cette femme, c'est elle qui m'a donné ce fruit à manger. Et le prêtre orthodoxe concluait : Efforçons-nous de ne pas accuser Dieu".

"Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait". C'est-à-dire : Faites du bien même si on vous a fait du mal. On ne peut pas imaginer Dieu. On lui a fait du mal, il nous donne son Fils unique, qui sera maltraité encore plus que lui. On ne peut pas imaginer Dieu à partir de ce qui est humain. On ne peut pas comprendre ce que Dieu fait pour l'homme. Humainement, ce que Dieu fait pour l'homme, c'est de la pure folie. Dieu n'est pas le fruit d'un raisonnement. Pour nous, les humains, Dieu est toujours le Tout Autre, le trois fois Saint. (Avec Sœur Marie-Pierre Faure, saint Augustin, Frère Roger, Jean-Luc Jeener, Père Sophrony, AvS, HUvB).

 

22 février 2009 - 7e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 2,1-12

On descend le paralysé par la terrasse. C'est spectaculaire, mais le plus intéressant est ailleurs. Le plus intéressant, c'est la manière dont Jésus s'y prend aujourd'hui pour révéler quelque chose de son mystère. Très vite les gens ont reconnu en Jésus un homme de Dieu. Il parlait des choses de Dieu beaucoup mieux que tous les rabbins. Et puis il guérissait un tas de gens. Jésus devait être un ami de Dieu, un prophète, sinon il ne pourrait pas faire tous ces miracles. Mais aujourd'hui justement Jésus ne guérit pas, ou pas tout de suite du moins, l'homme paralysé qu'on lui amène.

Jésus commence par dire une petite parole qui dérange : il dit au paralysé que ses péchés sont remis. Ce n'est pas ça que demandait le paralysé ni les hommes qui l'ont amené là. Et les chefs juifs qui sont là dans l'assistance reprochent à Jésus d'avoir parlé de rémission des péchés : il n'y a que Dieu qui peut remettre les péchés. Tout le monde est d'accord : il n'y a que Dieu qui peut remettre les péchés. Et alors Jésus va donner une preuve qu'il a ce pouvoir. Il ne dit pas directement qu'il est Dieu. Personne ne pourrait comprendre pour le moment. Mais il donne un signe fort qu'il a ce pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. Qu'est-ce qui plus facile : dire à cet hommes : "Je te remets tes péchés " ou lui dire : "Lève-toi, prends ton brancard sur tes épaules et rentre chez toi"? Et aussitôt l'homme se lève devant tout le monde.

Jésus ne dit pas directement qu'il est Dieu. Mais on peut relire tous les évangiles pour voir comment Jésus s'y prend pour révéler petit à petit, par petites touches, qu'il y a en lui un mystère, le mystère d'une relation privilégiée avec Dieu. Toute parole de Jésus a une ouverture sur l'infini. C'est bien le cas dans notre évangile d'aujourd'hui. Qu'est-ce qui est plus facile : remettre les péchés ou remettre sur pieds un paralysé?

Le Seigneur Jésus est toujours proche. S'il ne peut pas entrer par la porte, il passera par le toit ou la fenêtre. Il arrivera aussi toutes portes fermées. Parfois aussi il frappera avant d'entrer. "Je me tiens à la porte et je frappe, dit-il dans l'Apocalypse. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi". C'était une maison tout ordinaire et tout d'un coup on se rend compte que Dieu est là, qu'il y a un passage de Dieu : le paralysé s'en va debout avec son brancard. Il est la preuve ambulante d'un passage de Dieu. Ce jour-là Dieu est entré un peu plus dans le cœur des gens. Il a frappé à leur porte. Et les gens étaient stupéfaits, ils n'avaient jamais rien vu de pareil, ils n'avaient jamais senti Dieu aussi proche que dans ce miracle sous leurs yeux.

L'animal, une fois rassasié, est content, il n'éprouve aucun manque. L'homme, quand il a bien mangé, éprouve encore un manque. "L'homme ne vit pas seulement de pain". Certes il faut manger et Jésus nous fait prier le Père pour le pain de chaque jour. Mais une fois la faim matérielle rassasiée, il reste une autre faim, une faim d'autre chose, une faim insatiable, un désir inassouvi.

Jean-Claude Barreau avait tout pour rester toute sa vie un homme sans Dieu. Il avait été élevé à l'écart de toute religion par deux grands-pères athées. L'un de ces grands-pères était un anticlérical virulent. Il lui arrivait quand même d'entrer dans une église, mais il manifestait alors ostensiblement par toute son attitude qu'il était entré là comme on entre dans un musée pour s'arrêter devant des tableaux ou des sculptures ou des perspectives. L'autre grand-père était juif, mais un juif athée, sans Dieu. Et ce grand-père juif athée, quand il croisait un rabbin, changeait de trottoir. Alors pourquoi Jean-Claude Barreau a-t-il changé de trottoir? Pourquoi a-t-il quitté le trottoir de l'athéisme pour le trottoir de la foi chrétienne? Il raconte ça lui-même. (Affaire à suivre).

 

19 février 2012 - 7e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 2,1-12

Nous voilà de nouveau à Capharnaüm. Nous sommes à la maison : sans doute la maison de saint Pierre. Il y a beaucoup de monde et quand quatre hommes arrivent avec un brancard sur lquel se trouve un paralysé, ils ne peuvent pas entrer à cause de la foule. Pas de problème, on entre dans la maison par le toit, et on fait descendre le brancard aux pieds de Jésus. Et c'est alors enfin qu'on entend une parole, Jésus qui dit au paralysé : "Tes péchés sont pardonnés. Je te pardonne tes péchés". Comme si c'était le plus urgent à dire et à faire en présence d'un paralysé.

Dans l'assemblée, il y a des gens qui ruminent dans leur cœur, des scribes qui connaissent bien toute la Loi de Dieu et de Moïse : il n'y a que Dieu qui peut remettre les péchés. Comment se fait-il que ce Jésus se croit autorisé à prendre la place de Dieu ? Il blasphème. Et Jésus connaît ce qui se passe dans le cœur de ces hommes, il connaît les pensées secrètes du cœur. Et il pose la question : "Qu'est-ce qui est le plus facile ? Dire à ce paralysé : Tes péchés sont pardonnés, ou bien lui dire : Lève-toi, prends ton brancard et marche ?" Il y a un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu : remettre les péchés. Tout le monde est d'accord là-dessus. Et Jésus va donner un signe que lui, il a ce pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. Il renvoie le paralysé à sa maison avec son brancard sous le bras.

Dimanche dernier, Jésus guérit un lépreux par sa propre autorité : "Je le veux, sois guéri". C'est un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu de guérir instantanément un lépreux. Aujourd'hui Jésus donne un nouveau signe qu'il y a en lui la puissance de Dieu. Et tout le monde est stupéfait : on n'a jamais vu ça ! Saint Marc n'insiste pas. Il passe à un autre épisode.

Dans l'évangile d'aujourd'hui, saint Marc n'a retenu aucune prière, aucune demande de guérison. Ce n'était pas nécessaire. Il n'est pas nécessaire d'utiliser beaucoup de mots dans la prière. Vous vous souvenez de la prière d'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, une prière qui disait simplement à Dieu : "Comme tu vois et comme tu sais, prends pitié". Ce n'est pas la peine d'en dire plus. Mais on peut reprendre indéfiniment ces quelques mots, dans la paix de Dieu. Une sainte de notre temps disait : "Il nous est donné la possibilité meurtrière de réduire Dieu au silence par nos interminables bavardages pendant la prière".

Première réaction de Jésus devant cet homme paralysé : il le guérit du péché. "Je te pardonne tes péchés. Dieu te les pardonne". On pourrait dire : le péché est contraire à la nature humaine. Lorsque Dieu pardonne le péché, il guérit l'âme ; il rend la santé. La santé spirituelle de l'homme, c'est sa capacité à aimer Dieu et son prochain. Car plus on aime Dieu et son prochain, plus on est en bonne santé spirituelle. A l'inverse, plus on oublie Dieu et son prochain, plus on est malade spirituellement.

Mais il y a un combat dans la foi... très souvent... du moins à certaines époques de la vie, peut-être. Un bibliste de notre temps disait : "Dans le croyant que je suis, survit un incroyant qui tente sans cesse d'éliminer Dieu de la scène du monde". Croire, ce n'est pas seulement appeler Dieu au secours quand tout va mal, ce n'est pas occasionnellement appeler Dieu à la rescousse.

Jésus pardonne au paralysé ses péchés. C'est quoi le péché ? Commettre le péché, c'est agir contre son propre bien. C'est saint Thomas d'Aquin qui disait cela : "Dieu n'est jamais offensé par nous sinon du fait que nous agissons contre notre bien". En créant l'univers, ce que Dieu veut, c'est donner aux êtres limités que nous sommes quelque chose de sa vie divine.

On place le paralysé devant Jésus et Jésus lui pardonne d'abord ses péchés. On ne sait pas de quoi il s'agit. C'est le moment de se souvenir d'une parole de Jésus qu'on trouve dans la tradition chrétienne : "Sur celui qui est tombé, un regard d'amour a plus de puissance qu'une malédiction". Que penser alors de l'idée de l'enfer ? Il y a des gens qui pensent que l'enfer c'est, de la part de Dieu, une cruauté sans nom. On devrait dire au contraire, d'une manière paradoxale, que l'enfer, c'est le lieu de la tolérance divine : Dieu s'y incline devant celui qui refuse sa grâce, librement et sciemment ; Dieu tolère pour jamais cette dissidence, parce que si Dieu peut charmer quelqu'un (le ravir), il ne veut pas s'en emparer de force, contre sa volonté, il ne veut pas lui faire violence.

En créant le monde et les hommes, Dieu a couru un risque : le risque de laisser partir à la dérive toute la liberté humaine. Et pour rattraper cette dérive, le Fils de Dieu a proposé au Père de s'enfoncer jusqu'à la mort dans la galère du monde, pour ramener le monde à Dieu. (Avec Patriarche Daniel, Xavier Léon-Dufour, Nicolas Buttet, saint Thomas d'Aquin, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).
 

27 février 2011 - 8e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 6,24-34

A chaque jour suffit sa peine. A chacun son métier et les vaches seront bien gardées. L'oiseau fait son métier d'oiseau et il trouve de quoi se nourrir, se loger et se chauffer. Le lis des champs fait son métier de fleur au grand soleil et sous la pluie, dans le froid de la nuit et la chaleur du jour, et c'est une fleur magnifique. Et quand l'homme fait son métier d'homme, quand il fait ce qu'il est capable de faire, en temps normal il doit s'en sortir honorablement. Mais il y a quand même toujours une part d'inconnu. Aujourd'hui plus que par le passé. Peut-être. Est-ce qu'on aura toujours du travail ? Est-ce qu'on aura toujours la santé ? Est-ce qu'on vivra toujours dans l'amour ? Etc. Toutes les questions sont là. A chaque jour suffit sa peine. Et Jésus ajoute : Votre Père du ciel sait que vous avez besoin de tout cela. Oui, mais si on n'a pas tout cela, qu'est-ce qu'il faut faire ?

Dans cet évangile, Jésus redit à sa manière ce qu'on a entendu dans la première lecture. Les gens disaient : Dieu nous a abandonnés, Dieu nous a oubliés. Et Dieu avait répondu par la bouche du prophète : "Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant ? Même si elle pouvait l'oublier, moi, je ne t'oublierai jamais". Saint Jean ajoute dans sa première lettre : "Il n'y a pas de crainte dans l'amour. Le parfait amour bannit la crainte" (1 Jn 4, 18). Il n'y a pas de crainte dans l'amour, dit saint Jean. Cela dépend des points de vue. Dans l'amour aussi, il peut y avoir une crainte : la crainte de perdre l'amour. Ce que Jésus nous dit, et saint Jean après lui, et l'Ancien Testament avant lui : on ne doit pas craindre que Dieu nous oublie. Mais vis-à-vis de Dieu, le premier pas de l'amour consiste à renoncer à disposer nous-mêmes des projets que Dieu a sur nous. Le oui humain à Dieu n'est jamais un oui complet. On commence toujours - sans doute - par dire à Dieu un demi-oui. Et Dieu s'installe dans notre demi-oui pour le transformer petit à petit en un oui complet, si nous l'acceptons.

A quoi sert la foi ? Elle sert à aider l'homme dans sa vie. Parce que la vie n'est pas toujours rose. La foi sert à aider l'homme dans sa vie, dans ses joies et dans sa douleur. C'est Benoît XVI qui dit cela dans un livre intitulé Touché par l'invisible : "La foi sert à aider l'homme dans sa vie, dans ses joies et dans sa douleur. La foi ne peut pas arrêter la douleur, mais elle rend l'homme capable de la porter et de la supporter".

La Parole de Dieu dans l'Ancien Testament vaut pour tous les hommes : "Je t'appelle par ton nom, tu es mien". Chaque homme est connu et aimé de Dieu. Chacun est voulu par Dieu. C'est pourquoi aussi nous baptisons les enfants tout petits. Le baptême signifie que nous rendons à Dieu ce qui vient de lui. L'enfant n'est pas simplement à moi comme une pièce de monnaie est à moi. L'enfant est confié par Dieu à notre responsabilité pour que nous le laissions être un libre enfant de Dieu. Si quelqu'un ne sait plus pourquoi il vit, il se contente de donner à l'enfant la vie... la vie qui, à elle seule, n'a pas de sens. Mais le croyant sait à qui appartient l'enfant, au plus profond. Si nous amenons l'enfant à la lumière de Dieu, nous ne lui faisons pas violence, nous le conduisons là où il trouve sa vraie réalité. Nous le remettons dans les mains du Créateur et Sauveur. C'est le mystère du baptême.

Jésus nous parle aujourd'hui des petits oiseaux et des fleurs. Jésus ne dit pas tout tout de suite. Les exigences chrétiennes ne sont pas toutes bonnes à dire d'un coup. Car le tentateur rôde. La liberté des enfants de Dieu, il dira que c'est une servitude insoutenable. Il cherchera à faire fuir celui qui aspire à la vie nouvelle dans le Christ, de crainte d'être soumis à une discipline trop sévère. A quoi sert la loi morale alors, à quoi servent les dix commandements ? Ils servent entre autres choses à humaniser l'humanité.

En nous parlant des fleurs et des petits oiseaux, Jésus veut nous parler de Dieu. C'est un début. A la fin de l'évangile, il nous fera comprendre que la résurrection est offerte à tout homme. Il meurt pour les pécheurs et avec eux, crucifié entre deux brigands. De même il les entraîne dans sa résurrection. (Avec Benoît XVI, Cardinal Lustiger, Bertrand Vergely, AvS, HUvB).

 

2 mars 2014 - 8e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 6,24-34

On ne peut jamais séparer une parole de Jésus de toutes ses autres paroles. On ne peut jamais isoler un mot de la Bible sans tenir compte de tous les autres mots. Sinon on arrive à des absurdités et on ne comprend pas ce que Dieu veut vraiment nous dire.

Le Seigneur Jésus ne nous invite pas à ne rien faire. Regardez les oiseaux du ciel : il faut qu'ils travaillent pour trouver leur nourriture. Les lis des champs : il faut qu'ils aillent chercher au fin fond de la terre tout ce qui va faire leur beauté. Des soucis, vous en aurez tous les jours. Pour gagner votre pain, gérer votre maison ou garder la santé. Des soucis, il y en aura tous les jours. Un jour à la fois. A chaque jour suffit sa peine : c'était la conclusion de notre évangile.

Mais la question du début est toujours là : qu'est-ce qui est le plus important dans votre vie ? Dieu ou tout le reste ? Dieu ou bien l'argent et les plaisirs et les loisirs et les détentes et les vacances et les balades ? "Cherchez d'abord le royaume de Dieu". Pensez toujours aux choses de Dieu : dans vos travaux comme dans vos loisirs. Ou du moins pensez-y avant ou après, s'il n'est pas toujours possible d'y penser dans le feu de l'action. "Élevons notre cœur. Nous le tournons vers le Seigneur".

Le but doit toujours être un oui total à Dieu. Le souhait du Seigneur Jésus, c'est que nous apprenions à vivre avec Dieu au milieu du temps ; le souhait du Seigneur Jésus, c'est que nous ne soyons pas ouverts aux choses de Dieu uniquement lorsque nous sommes à l'église ; son souhait c’est que nous restions aussi en communion avec Dieu entre deux passages à l'église, entre une prière du matin et une prière du soir. En devenant homme, le Seigneur Jésus n'a rien renié de sa vie éternelle en communion avec le Père. Et il voudrait que nous aussi, nous donnions à notre vie quotidienne la marque de l'éternité, il voudrait que notre vie quotidienne soit aussi une vie en communion avec Dieu.

Et voilà Péguy : "La foi, ça ne m'étonne pas, dit Dieu, ça n'est pas étonnant. J'éclate tellement dans ma création, dans le vent qui souffle dans la vallée, dans la calme vallée, dans la recoite vallée, dans la fourmi, mon infime créature, qui rampe et amasse petitement, dans l'aigle qui a au moins deux mètres d'envergure, dans le regard et dans la voix des enfants, et dans le cœur de l'homme qui est ce qu'il y a de plus profond dans le monde... La foi, ça ne m'étonne pas, dit Dieu, j'éclate tellement dans ma création". Mais la fourmi fait son petit travail de fourmi, et le grand aigle son grand travail d'aigle.

Le curé d'Ars avait tout compris. Il disait à ses paroissiens : "Il y en a parmi vous qui ont l'air de dire au Bon Dieu : Je m'en vais vous dire deux mots pour me débarrasser de vous". Autrement dit, une petite prière - vite faite mal faite -, et je suis tranquille pour la journée. "Je m'en vais vous dire deux mots pour me débarrasser de voue".

Et voilà un homme du Moyen Age finissant qui donne un sermon. Il commence par citer un mot du Seigneur Jésus dans l'Apocalypse : "Je me tiens à la porte à frapper et à attendre. Celui qui me laissera entrer, c'est avec lui que je prendrai mon repas". Tu n'as pas besoin de le chercher ici ou là. Il n'est pas plus loin que devant ta porte. Il est là, debout, il attend celui qu'il trouvera prêt à lui ouvrir et à le laisser entrer... Tu n'as pas besoin de l'appeler au loin : il attendra que tu lui ouvres la porte. Il a mille fois plus besoin de toi que tu n'as besoin de lui. Tu pourrais dire : Comment cela peut-il être ? Je ne le vois pas. De le voir n'est pas en ton pouvoir, mais dans le sien autant qu'il lui convient. Il peut se montrer s'il le veut et se cacher s'il le veut". C'était dans un sermon de celui qu'on appelait Maître Eckhart.

"Cherchez d'abord le royaume de Dieu", nous dit aujourd'hui le Seigneur Jésus. Chaque être humain devra se demander à un moment ou à un autre : "D'où est-ce que je viens ? Où vais-je ? Quel est le sens de ma vie ?" Si on ne se pose pas ces questions, on passe à côté de sa propre vie. Nous ne pouvons pas faire autrement que de prendre position. Je peux repousser ces questions tant que je veux, et même très longtemps, mais elles me rattraperont un jour. Il faut alors espérer qu'il ne sera pas trop tard pour pouvoir constater : "J'ai mal agi pendant trop d'années".

La parabole de l'enfant prodigue, du fils prodigue, contient un double avertissement, dans le prolongement de l'évangile d’aujourd’hui : n'oubliez pas le royaume de Dieu dans votre vie de tous les jours. Le premier avertissement de la parabole du fils prodigue, c'est de ne pas prendre le chemin qui nous éloigne de Dieu. Le deuxième avertissement est pour le fils aîné : ne pas méconnaître la grâce qui nous est donnée d'être proches de Dieu. (Avec Charles Péguy, saint Jean-Marie Vianney, Eckhart, Cardinal Schönborn, AvS, HUvB).

 

26 février 2017 - 8e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 6,24-34

Dans un premier temps, notre évangile répond au cri de détresse de beaucoup de gens, des gens qui crient vers Dieu comme Jésus sur la croix : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Et il n'y a pas que le manque de nourriture qui peut être source d'angoisse. Il y a dans la vie tant d'autres soucis angoissants et quotidiens pour beaucoup de gens : le manque de travail ou les difficultés de la vie de famille, ou un deuil, ou la solitude, soucis pour notre pays, soucis pour le monde. Qui n'a pas envie, un jour ou l'autre, de prier comme Jésus sur la croix : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"

Notre première lecture, quelques siècles avant notre évangile, nous donnait déjà la réponse de Dieu. Les croyants de Jérusalem,  disaient : "Le Seigneur nous a abandonnés, le Seigneur nous a oubliés". Et Dieu répondait par son prophète : "Est-ce qu'une femme peut oublier son petit enfant ? Même si elle pouvait l'oublier, moi je ne t'oublierai jamais". Jésus nous invite à chercher en Dieu notre salut, notre sécurité, même quand tout va mal, surtout quand tout va mal.

Personne ne peut vivre sans confiance. L'évangile d'aujourd'hui nous presse de faire confiance à Dieu, les yeux fermés. Jésus nous dit : "Votre Père du ciel sait ce dont vous avez besoin". Il y a les épreuves et les soucis personnels, il y a les soucis et les épreuves de l’Église. "Esprit Saint, dans toutes les épreuves que l’Église traverse, qu'elle continue à chercher le Royaume. Donne-lui de ne pas se soucier d'être influente. Qu'elle soit simplement témoin de l'existence de Dieu et témoin de l'amour de Dieu pour l'humanité".

Jésus présente Dieu comme un Père plein de sollicitude pour ses créatures, même les plus petites : les oiseaux du ciel et les fleurs des champs, qui sont mieux habillées que le roi Salomon. Jésus veut ouvrir ses disciples à voir au-delà de l'horizon terrestre, à situer leur vrai trésor auprès de Dieu, dans leur relation avec Dieu. Et on peut bien se douter que le Seigneur Jésus n'encourage pas les hommes à l'oisiveté, à la paresse, à la négligence. Mais il nous dit : "Ne vivez pas que pour l'argent". L'asservissement à l'argent guette tout le monde. L'argent n'est pas une fin mais un moyen. Et les richesses du monde doivent être partagées pour le bien commun du monde entier. Vaste programme, encore et toujours en chantier !

Saint Séraphim de Sarov, un saint russe du XIXe siècle, disait : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa vérité. Tout le reste vous sera donné par surcroît. Dieu recherche avant tout un cœur rempli de foi en lui et en son Fils unique. En réponse à cette foi, il envoie d'en haut la grâce de l'Esprit Saint. Oui, le Seigneur cherche un cœur rempli d'amour pour lui et pour le prochain. Il nous dit : Fils, donne-moi ton cœur, et le reste, je te le donnerai par surcroît". Le premier mouvement du nourrisson, son premier balbutiement, est pur, en Dieu pour ainsi dire. Par la suite, avec la convoitise qui s'éveille, le péché trouble et fausse cette première parole du nourrisson. La dernière parole de l'homme, son dernier soupir, revient à la pureté du commencement, quand l'homme, dans la faiblesse de la mort, se rend de nouveau à Dieu.

La foi donne le sens fondamental de la vie. Chaque croyant doit chercher à comprendre ce que Dieu veut de lui et à entrer dans l'Esprit du Christ. Et pour cette raison, la foi suppose une vie selon une certaine morale : l'homme est responsable de sa vie, de ses actes, du sens qu'il donne ou découvre à sa vie. Et là, la foi chrétienne aide l'homme à se construire en l'aidant à discerner ce qu'il est bon d'accueillir ou de refuser, accueillir ce qui construit réellement et refuser ce qui détruit ou entrave. C'est une autre manière de dire : Chercher d'abord le royaume de Dieu et sa vérité".

"Que ton Nom soit sanctifié parmi tous les peuples. Que ton règne vienne dans l'âme de tous les hommes. Délivre-nous du Malin, c'est-à-dire du diable, qui sème partout l'ivraie de la haine et de la mort". L'évangile d’aujourd’hui, c'est l'annonce joyeuse d'une vie nouvelle, c'est un appel critique à la conversion permanente des personnes et des structures, c'est une parole d'espérance.

L'athéisme d'aujourd'hui résulte souvent d'une grande ignorance des traditions religieuses : on les assimile souvent, purement et simplement, aux violences épouvantables qu'elles ont commises et commettent encore au nom de Dieu et sous prétexte de le servir. Mais que font les hommes d'aujourd'hui sans religion ? Ils vivent dans une société où rien ne les secourt face à toutes les questions qu'ils se posent : Pourquoi moi ? Pourquoi naître alors que personne ne m'attendait ? Que veut-on ? Que faire de ma vie quand je suis seul à décider ? Pourquoi la maladie tombe sur moi, et l'accident, et l'abandon ? A quoi bon avoir vécu si l'on doit disparaître sans laisser de traces, comme si, aux yeux des autres, vous n'aviez pas vécu ? "Église, que dis-tu de ton Dieu?"

A l'âge de douze ans, à l'issue d'un pèlerinage à Jérusalem, dans la longue marche du retour à Nazareth, Jésus est comme perdu pour ses parents. Le premier soir, après une longue marche, où on croyait Jésus mêlé à d'autres groupes de pèlerins, ses parents ne retrouvent pas Jésus. Ils retournent à Jérusalem en interrogeant tous ceux qu'ils rencontrent. Et ce n'est qu'au bout de trois jours qu'ils retrouvent Jésus. Marie lui pose alors la question : "Pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois, ton père et moi, nous te cherchions avec douleur". Cette douleur, Jésus ne pouvait pas la leur épargner. Ce n'est qu'en cherchant que le chrétien peut trouver. (Avec saint Séraphim de Sarov, Père Sophrony, Patriarche Daniel, Catherine Chalier, Marcel Gauchet, Cardinal Poupard, AvS, HUvB).
 

6 mars 2011 - 9e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 7, 21-27

Cet évangile que je viens de lire est la conclusion du sermon sur la montagne. Mais le texte intégral de saint Matthieu ajoute encore deux petits versets qui disent ceci : "Quand Jésus eut achevé ces discours, les foules étaient frappées de son enseignement, car il parlait en homme qui a autorité et non pas comme leurs scribes". Dans les deux ou trois années où Jésus a mené une vie publique, il y a deux choses qui frappaient les gens : d'abord Jésus accomplissait beaucoup de miracles, et beaucoup de gens allaient le voir pour se faire guérir ou obtenir la guérison de leurs proches. Et puis, deuxième chose qui frappait les gens chez Jésus, c'est qu'il parlait de Dieu beaucoup mieux que leurs chefs religieux. Et donc beaucoup de gens s'assemblaient autour de Jésus partout où il passait pour l'écouter.

Jésus termine son discours sur la montagne en renvoyant les gens chez eux et en leur disant : Il n'y a plus qu'à mettre tout cela en pratique. Le pratiquant pour Jésus, ce n'est pas celui qui va seulement à la messe le dimanche, c'est celui qui cherche tous les jours à faire la volonté du Père qui est aux cieux. Et Jésus termine par une petite histoire où il compare deux maisons : la maison solide qui résiste à la tempête, et la maison qui s'écroule sous les intempéries parce que ses fondements n'étaient pas solides. C'est comme si Jésus nous disait : il y aura des tempêtes dans votre vie. Accrochez-vous à votre rocher : "Sois mon rocher, ma citadelle, Seigneur".

Jésus parle de faire la volonté de son Père qui est aux cieux. Et la volonté de son Père peut être imprévisible. On s'attendait à tout sauf à ça. Comment faire pour être disponible à tout ce que Dieu va nous demander ? Comment faire quand on peut se croire inadapté à ce que Dieu nous demande ou nous impose ? Il faut écouter les saints et les saintes de Dieu. Ils disent : demander à Dieu de fortifier en nous le sens de ce qui est vraiment durable, le sens de ce qui est à lui. Demander à Dieu de nous montrer en même temps le caractère éphémère de ce qui est terrestre, le caractère provisoire de ce qui est terrestre. Nous pas pour nous rendre inconsolables, mais avec l'espérance qui sait que la construction de Dieu se réalise par ce qui est terrestre.

Nous sommes "appelés à la résurrection" : c'est le titre d'un livre paru récemment. Et là, quelque part, il est question des choses dures qui sont vécues dans la vie présente. Comment être chrétien alors ? L'auteur écrit ceci : "On ne peut pas prendre sur soi la douleur d'une femme qui a perdu son enfant, d'une mère dont le fils s'est suicidé, d'une épouse trahie et abandonnée. Tout ce qu'on peut faire, c'est de rester présent aux côtés de celui qui souffre, comme Marie au pied de la croix. Et lorsque les mots sont impuissants, une présence silencieuse, quelques gestes de tendresse et d'amitié diront mieux que tout notre compassion". Notre vie est fragile, menacée, mortelle. Elle n'a pas d'autre patrie durable que la joie du Père. Dans la parabole des talents, il est dit au serviteur bon et fidèle : "Entre dans la joie de ton Seigneur".

Notre foi chrétienne est enracinée dans l’Écriture, Ancien et Nouveau Testament. Nous sommes toujours très proches de la foi vraie des juifs d'autrefois et des juifs d'aujourd'hui. Un rabbin contemporain nous parle de sa rencontre avec des grands malades : "Le sida... Nous autres, rabbins, nous sommes parfois les derniers à pouvoir encore nous avancer sur ce terrain de l'extrême détresse. Le rapport à Dieu du malade est beaucoup plus direct que le nôtre. Ce qu'il sollicite lorsqu'il en appelle à la personne du rabbin, c'est une aide pour parachever le travail du sens de sa propre disparition. La souffrance conduit au dépassement, à la modification des repères, elle donne parfois une densité véritable à la vie. La maladie est souvent une porte ouverte sur l'essentiel, qui place le malade sur le seuil d'une quête de l'absolu". C'est le moment de dire et de redire : "Sois mon rocher, ma citadelle, Seigneur".

La souffrance du monde est souvent le meilleur prétexte aux accusations lancées contre Dieu. Et notre foi chrétienne ne cesse de nous dire que le monde dépend tout entier de l'être divin qui le précède. "Notre Père qui es aux cieux, que ta volonté soit faite". (Avec Michel Rondet, Gilles Bernheim, AvS, HUvB).

 

9 juin 2013 - 10e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 7,11-17

C'est dans saint Luc seulement qu'on trouve ce récit de la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Jésus va entrer dans cette ville avec ses apôtres quand arrive un cortège funèbre avec grand bruit de pleureuses comme il était d'usage en ce temps-là en Israël. Les porteurs tiennent la litière du mort sur leurs épaules. A côté, une femme voilée avance en pleurant, soutenue par des parents et des amies.

Tous les apôtres sont émus et Jésus s'avance vers la litière. La femme se lamente : "Pourquoi lui et pas moi ? Ce n'est pas juste que celle qui a engendré voit périr son fruit". Jésus lui dit : "Ne pleure pas, mère". Il touche la litière et il dit aux porteurs : "Arrêtez et posez la litière à terre". Les porteurs obéissent et le brancard reste posé sur ses quatre pieds. Jésus saisit le drap qui recouvre le mort et le rejette en arrière. La mère crie sa douleur en appelant son fils par son nom : "Daniel !". Jésus tient toujours les mains de la mère dans la sienne. Il se redresse et, avec toute la puissance de sa voix, il ordonne : "Jeune homme ! Je te le dis : lève-toi !"

Et le mort s'assoit sur la litière avec ses bandelettes et il appelle sa mère avec la voix d'un enfant terrorisé. Jésus dit à la mère : "Il est à toi, femme. Je te le rends au nom de Dieu. Aidez-le à se débarrasser du suaire et soyez heureux". Jésus veut s'en aller, mais la foule est là qui le bloque près de la litière. Le suaire est enlevé ainsi que les bandelettes. La mère et le fils peuvent s'embrasser. La femme prend son fils par la main, elle s'agenouille devant Jésus en disant à son fils : "Toi aussi, bénis ce Jésus qui t'a rendu à la vie et qui t'a rendu à ta mère". Et elle baise le vêtement de Jésus pendant que la foule chante l'hosanna à Dieu et à son Messie. Et la foule crie : "Que béni soit Jésus, le fils de David ! Un grand prophète s'est levé parmi nous. Dieu a vraiment visité son peuple. Alléluia ! Alléluia !" Finalement Jésus peut se dégager et entrer dans la ville avec ses apôtres.

Quand Jésus a commencé son ministère de prédicateur itinérant, vers l'âge de trente ans, il n'a pas dit : "Je suis Dieu, je suis le Fils de Dieu". Personne n'aurait pu le croire ni le comprendre. Alors on peut relire les évangiles pour voir comment Jésus s'y est pris pour faire deviner petit à petit qu'il y avait en lui un mystère. Jésus faisait beaucoup de miracles, et les gens disaient : "Ce Jésus doit être un ami de Dieu, sinon il ne pourrait pas faire tout ça !" C'est un ami de Dieu, c'est un prophète, comme les grands prophètes des temps anciens. C'est ce que les gens disent aujourd'hui aussi quand Jésus rend à la vie le fils de la veuve de Naïm : "Un grand prophète s'est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple !"

C'est la première étape dans la découverte du mystère de Jésus : c'est un homme de Dieu, un ami de Dieu, un prophète. Et les douze apôtres sont témoins de tout cela. Et en voyant tout cela, les apôtres ont le désir très fort de continuer la route avec Jésus. Et chaque fois qu'il y a un miracle, Jésus apaise le désir des apôtres et en même temps il l'allume plus fort : il remplace une soif par une autre soif, la soif de faire connaître aux autres tout ce qu'ils ont découvert eux-mêmes. Ils savent maintenant qu'aucun événement de leur vie quotidienne n'est sans rapport avec Dieu. Il devinent aussi que tous ceux qui s'approchent du Seigneur Jésus reçoivent une mission.

C'est un homme de 58 ans. Trois enfants, diacre permanent. Enfance chrétienne, J.O.C., puis trou total au point de vue religion. Plus rien. Et il raconte ceci : "La reprise a été extraordinaire. Je la dois à ma femme. C'était une fille très chrétienne et, tout naturellement, j'allais à la messe avec elle. Elle est du genre discret. Elle ne m'a jamais dit : 'Tu devrais aller à la messe', ou des choses de ce genre. Mais progressivement, près d'elle, je reprenais contact avec la pratique et avec les idées chrétiennes".

Jésus rend à la vie et à sa mère le jeune homme de Naïm. Il y a là les apôtres et beaucoup d'autres témoins. Et tous ces témoins ne voudront pas tenir leur langue, ils vont parler. Des gens vont les entendre parler de ce Jésus et de ce que Dieu a fait par lui. Ici-bas, nous ne voyons pas Dieu. C'est par l'oreille que nous accédons à lui. C'est saint Paul qui le dit : "La foi vient par l'oreille"(Ro 10,7). Il y a l'écoute de l'oreille et l'écoute du cœur pour nous éveiller au meilleur de notre destinée. Souvent dans la Bible il nous est dit d'écouter : "Écoutez... A vous de voir s'il faut continuer à vous enfoncer dans votre égoïsme et votre matérialisme ou si vous allez enfin ouvrir votre cœur !"

Il y a deux manières de craindre Dieu. C'est saint Augustin qui raconte cette histoire. "Je connais deux femmes qui craignent. La première est infidèle à son mari et elle a peur d'être découverte. La seconde est fidèle à son mari et elle craint de ne pas l'aimer assez". Saint Augustin, mort en 430, était évêque dans l'Afrique du Nord actuelle : il savait dire des choses percutantes, qui ont toujours beaucoup de saveur, aujourd'hui encore : "Je connais deux femmes qui craignent..." Pour respecter la parité, il pourrait dire aussi : "Je connais deux hommes qui craignent..."

Les apôtres avaient vu beaucoup de miracles de Jésus. Ils étaient subjugués. Pour eux, Jésus était non seulement un prophète, un grand prophète, il était le Messie et sans doute plus encore. Et un beau jour, un triste jour, Judas a trahi, Pierre a renié, et les autres se sont enfuis. Nous devons apprendre que nous sommes capables de tous les péchés comme les apôtres. Et alors, sur la croix, Dieu a abandonné dans la nuit son Fils qui portait le péché de tous. (Avec André Sève, René Laurentin, saint Augustin, AvS, HuvB).

 

5 juin 2016 - 10e dimanche du temps ordinaire  - Année C

Évangile selon saint Luc 7,11-17

Jésus est sur les routes de Palestine avec ses disciples. Une grande foule l'accompagnait, dit saint Luc. Jésus et les siens rencontrent un cortège funèbre : il s'agissait d'un jeune dont la mère était veuve. Jésus arrête les porteurs, il dit à la femme : "Ne pleure pas". Et au jeune homme il dit : "Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi". Le mort se redressa et se mit à parler.

Dans l'Ancien Testament, des hommes de Dieu, des prophètes, ont eux aussi obtenu parfois des miracles. Exemple dans notre première lecture d'aujourd'hui : le prophète Élie, huit siècles avant le Christ, obtient de Dieu qu'un enfant revienne à la vie. La différence entre Jésus et les prophètes, c'est que le prophète a besoin de longues prières pour obtenir de Dieu le miracle. Jésus, lui, obtient le miracle par sa propre autorité. Il dit au mort sur sa civière : "Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi".

Ce sont des scènes de ce genre qui ont fait beaucoup réfléchir les apôtres, avant la mort de Jésus et aussi après sa résurrection. C'est l'un des éléments de la réflexion des apôtres qui les a amenés un jour à conclure avec évidence que Jésus devait être Dieu lui-même. Il n'avait pas besoin de prier pour obtenir un miracle. Il le faisait de sa propre autorité, il était Dieu lui-même, le Fils de Dieu, Dieu le Père invisible dont il parlait toujours.

Jésus a choisi peu à peu douze apôtres pour qu'ils soient toujours avec lui. Qu'est-ce qu'ils savaient de Jésus les douze apôtres, quand il leur a demandé de l'accompagner ? Pas grand-chose. C'est en accompagnant le Seigneur Jésus pendant des jours et des jours qu'ils ont appris à mieux le connaître. Nous sommes tous sur le chemin de Dieu, tous les humains sont en marche vers Dieu, tous les humains cheminent avec le Seigneur Jésus même s'ils ne le savent pas encore aujourd'hui. Et quand on a commencé à cheminer avec Dieu, on n'arrête jamais de continuer à le chercher. On devra toujours le chercher comme Celui qui est toujours plus grand que ce qu'on avait imaginé.

Un homme de notre temps, né en 1944, était à Paris en 1968, au moment des événements chauds de ce printemps-là. Il était étudiant et, en même temps, il travaillait déjà pour un journal du Sud-Ouest. Ensuite, pendant vingt ans, il a parcouru le monde pour un grand journal parisien. Il était, comme il dit, "préposé aux catastrophes", envoyé sur tous les points chauds de l'actualité : Biafra, Vietnam, guerre du Kippour, guerre du Liban, guerre entre l'Inde et le Pakistan. Et puis, au bout de vingt ans, il a démissionné de son journal pour prendre un peu de recul.

A cette époque, de la foi de son enfance, il ne restait plus grand-chose, plongé qu'il était dans un monde où la tradition chrétienne fait partie d'une archaïsme résiduel qui n'a pas de prise sur l'intelligence d'aujourd'hui. Et voilà que depuis vingt ans maintenant il réfléchit et publie de s articles et des livres sur la foi chrétienne. Il est devenu convaincu qu'il y a dans la foi chrétienne un trésor. Il écrit quelque part : "J'ai envie de dire à ces gens qu'ils dorment sur un trésor". Il écrit cela dans un livre auquel il a donné pour titre : "Comment je suis redevenu chrétien". Et dans ce même livre, il cite le pape Jean XXIII : "Nos textes ne sont pas des dépôts sacrés, mais une fontaine de village". Et notre auteur commente : "Une fontaine de village à laquelle chaque génération vient s'abreuver, en buvant une eau sans cesse différente, en redonnant vie à la fontaine". Encore une profession de foi du même homme : "Le 'consentement' à la résurrection est le cœur incandescent de la foi chrétienne". On pourrait même dire qu'il la définit.

Mais pour percevoir en vérité le cœur incandescent de la foi chrétienne, pour se rendre compte qu'il y a là un trésor, il faut savoir, comme ce grand reporter, prendre un temps de recul, prendre un temps de silence. Claudel disait : "Les gens aiment les bains de soleil. Et pourquoi pas des bains de silence ?" Quand notre grand reporter a pris du recul, il ne lui restait plus grand-chose de la foi chrétienne de son enfance. Mais le Christ est aussi le Seigneur de ceux qui ne croient pas en lui et de ceux qui l'ont oublié.

Tout enseignement concernant Jésus devrait commencer ou se poursuivre par le silence : "Prosterne-toi en silence devant l'Ineffable", disait l'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, saint Cyrille d'Alexandrie. La voix de Dieu est silencieuse, elle exerce une pression infiniment légère, jamais irrésistible. C'est-à-dire qu'on peut toujours faire comme si on n'avait rien entendu.

La naissance de l’Église est due à une tragédie : la mise à mort de Jésus sur une croix. La naissance de l’Église est due à une tragédie, on peut même dire qu'il s'agit de la tragédie centrale du point de vue de Dieu et de l'histoire du monde : il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu. Et les siens, ce ne sont pas seulement les autorités religieuses juives de l'époque de Jésus ; les siens qui ne l'ont pas reçu, c'est finalement toute l'humanité. Mais le dernier acte de cette tragédie n'est pas encore joué. (Avec Jean-Claude Guillebaud, Paul Claudel, Michel et Paul Evdokimov, saint Cyrille d'Alexandrie, AvS, HuvB).
 

13 juin 2010 - 11e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evanglie selon saint Luc 7, 36 - 8,3

Seul l'évangéliste saint Luc nous a gardé cet épisode de la femme pardonnée et aimante. Jésus a été invité chez un pharisien pour prendre un repas. Deux personnages se détachent dans ce récit : Simon, le pharisien, et une femme, dont on ne connaît pas le nom, mais dont tout le monde sait qu'elle est une pécheresse. Simon n'a pas grand-chose à se reprocher. C'est un bon pharisien, un bon pratiquant, capable aussi d'inviter Jésus à sa table, avec ses disciples également, peut-être bien.

Le pharisien, qui connaît les bonnes manières, ne va pas trouver la femme qui est venue sans être invitée pour lui dire de s'en aller tout de suite et d'arrêter ses singeries. Le pharisien garde pour lui ses réflexions. Il n'a pas à parler de cette femme : tout le monde la connaît. Cela lui répugne un peu quand même qu'elle soit là, dans sa maison. Pour le pharisien, le problème, c'est Jésus. "Si cet homme était prophète - comme tout le monde le dit -, il saurait qui est cette femme qui le touche et ce qu'elle est". Est-ce que Jésus peut vraiment être un envoyé de Dieu ? Il devrait avoir horreur du péché et de cette pécheresse. Et voilà que Jésus laisse faire. Mais Jésus est prophète malgré tout, pas comme l'imagine le pharisien. Jésus devine les pensées du pharisien, ce qu'il a dans le cœur : ce qu'il a dans le cœur et sur Jésus et sur cette femme qui est là.

Et c'est alors que Jésus raconte cette petite histoire d'un homme riche qui avait prêté de l'argent à deux hommes : à l’un cinq cents pièces d'argent, à l'autre cinquante... Etc. Et voilà que l'homme riche passe l'éponge sur les deux dettes. Et bien évidemment celui qui devait cinq cents pièces d'argent sera plus reconnaissant (en principe) que celui qui n'en devait que cinquante. La pécheresse a montré à Jésus plus d'amour que le pharisien. Jésus dit à la pécheresse : "Tes péchés sont pardonnés... Je te pardonne tes péchés". Et les gens qui sont là à table se demandent alors : qui est cet homme qui va jusqu'à pardonner les péchés ?

Qui est ce Jésus ? On le saura plus tard. Comment il enlève les péchés ? On le saura plus tard. "Par chacun de nos péchés nous augmentons personnellement les souffrances du Seigneur Jésus". Sur la croix, Jésus rencontre deux brigands. Sur la croix, Jésus n'a rien perdu de son pouvoir de toucher les hommes. Les hommes répondent par la vérité ou par le mensonge, ils répondent par l'amour ou par la haine. Dans l'évangile d'aujourd'hui, à la fin, on a oublié le pharisien qui a invité Jésus. On ne sait pas comment s'est terminé le repas, ni la conversation entre Jésus et le pharisien. Sur la croix ou à table chez le pharisien, le Seigneur Jésus n'oublie jamais de servir les autres et d'entrer en communion avec eux.

La femme de l'évangile d'aujourd'hui n'a pas dit un mot que l'évangéliste aurait retenu. Elle disait peut-être dans son cœur, comme un homme de notre temps : "Comprenne qui pourra : je suis indigne de toi et pas indigne de te prier". Et pas indigne de verser mes larmes sur tes pieds. Le pharisien va au ciel d'une manière, la pécheresse d'une autre manière : chacun va au ciel par son propre escalier. Et comment un enfant va-t-il au ciel ? Comment un enfant peut-il trouver le chemin de Dieu ? Un prêtre d'un ancien pays de l'Est disait : "Comment pourrais-je, en tant que catéchiste, persuader un enfant qu'il doit croire en Dieu, qu'il doit aimer Dieu, si sa maman ne l'a pas déjà fait ?" Et que disent les parents ? Ils disent par exemple : "On assume son rôle de parent comme on peut. Rarement comme on le voudrait". On n'a pas toujours sous la main ou dans la tête une petite histoire comme celle que Jésus raconte au pharisien, une petite histoire à portée de l'enfant.

A la fin de l'évangile, les gens se posent la question à propos de Jésus : "Qui est cet homme qui va jusqu'à pardonner les péchés ?" Pourquoi l'incarnation du Fils de Dieu ? Parce qu'il veut prendre sur lui la culpabilité de tous les hommes, le péché de tous les hommes. Dieu nous a aimés jusqu'à en mourir - nous le savons tous, même si on ne peut pas le comprendre - et il nous invite à nous conformer à son attitude pour le monde. (Avec André Miquel, P. Jozo, Marguerite Gentzbittel, AvS, HuvB).

 

17 juin 2012 -11e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 4,26-34

Nous retrouvons aujourd'hui l'évangile de saint Marc dont nous lirons l'essentiel d'ici la fin de l'année liturgique. Aujourd'hui deux petites paraboles sur le royaume de Dieu ou le règne de Dieu dans son royaume.

D'abord la parabole du grain de blé semé en terre. Par un prodige qui ne cesse de se renouveler, ce grain qui pourrit en terre va produire d'abord ce qui ressemble à de l'herbe. Et puis un beau jour cette sorte d'herbe va produire un épi, et dans cet épi il y aura des grains de blé. Pour Jésus, le royaume de Dieu pousse de la même manière, sans bruit, et on ne sait pas comment. Mais ça pousse. Les hommes ont quand même fait quelque chose. Ils ont semé du grain. Ils ont semé la Parole de Dieu. Comment va-t-elle grandir ? On ne sait pas. Mais elle va grandir.

Dans la deuxième petite parabole d'aujourd'hui, Jésus essaie de montrer que ce qui est tout petit au début va devenir un grand arbre. Comment est-ce possible que cette toute petite graine devienne un grand arbre ? Notre prière d'ouverture d'aujourd'hui a bien retenu la leçon. Elle nous fait prier comme ceci : "Puisque l'homme est fragile et que sans toi il ne peut rien, donne-nous toujours le secours de ta grâce".

Dans notre vie personnelle aussi nous sommes invités à mettre du grain en terre pour qu'il produise un jour des épis. Comment faire pour mettre du grain en terre ? Saint Paul nous le disait tout à l'heure dans le deuxième lecture : on met du grain en terre quand on cherche à plaire à Dieu. Et pourquoi essayer de plaire à Dieu ? Parce que, un jour, on se retrouvera à découvert au tribunal du Christ pour recevoir ce qu'on aura semé, ce qu'on aura mérité.

Et avant d'entrer dans la joie du royaume, il faudra peut-être qu'on élimine tout ce qui en nous n'est pas digne du royaume de Dieu. Et ce lieu où on élimine, ce temps où on élimine, c'est le lieu et le temps de la purification, le lieu et le temps du purgatoire. Et il se peut qu'à ce moment-là on ne comprenne pas bien ce qui se passe. Cela va faire mal d'éliminer tout ce qui en nous n'est pas adapté aux mœurs du royaume de Dieu. L'âme est plongée dans une souffrance à laquelle d'abord elle ne comprend rien. Ce n'est que peu à peu, à travers cette souffrance, qu'elle apprend à voir la gravité de sa propre faute et qu'elle en est purifiée. C'est aussi mystérieux que la naissance de l'épi à partir d'un grain de blé jeté en terre.

Ce qui distingue les chrétiens, c'est qu'ils peuvent être pires que les autres. Ils peuvent être infiniment pires. Pourquoi ? Au Moyen Age, Dante qui a écrit un livre sur le paradis et l'enfer, mettait beaucoup de catholiques dans son enfer, et même des papes. Le Christ est le chemin, la vérité et la vie. Alors commettre les mêmes fautes que les autres alors qu'on a explicitement le Christ avec soi, et donc qu'on a reçu beaucoup plus que les autres, c'est être bien pire.

Un historien de notre temps, qui n'est pas croyant, mais qui n'est pas non plus radicalement fermé et hostile, raconte, vers la fin de sa vie, qu'il vit depuis un demi siècle avec Thérèse, sa femme..., sa femme qui est "délicatement présente à ses côtés". Alors on pose à cet historien qui est en même temps philosophe, la question : "Qu’est-ce que l'amour ?" Et il répond : "L'amour nous fait craindre la mort de l'autre à chaque instant. Quand on fait un mariage d'amour, on promène une angoisse pour toujours. Mais si c'était à refaire, je le referais, avec la même". Il est difficile de ne pas comprendre que cet homme n'était pas loin du royaume de Dieu.

Cet historien philosophe était foncièrement agnostique. Il disait : Je ne sais pas. Mais son dernier mot était : On ne sait jamais. Et c'est le même homme qui, dans un livre où il rassemble beaucoup de pensées cite la pensée d'un vrai philosophe pour exprimer sa propre pensée : "On peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien". On ajouterait volontiers : "On peut vivre sans la foi en Dieu, mais pas si bien".

Comment grandit le grain de blé semé en terre pour devenir épi ? Il faut laisser faire. La foi, c'est laisser Dieu agir à sa guise. Mais pas seulement le laisser agir à sa guise, c'est vouloir aussi ce qu'il veut, c'est-à-dire vouloir être saisi par lui. (Avec Fabrice Hadjadj, Lucien Jerphagnon, AvS, HuvB).

 

16 juin 2013 - 11e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 7,36-8,3

Un pharisien, un petit vieux très riche, organise un grand repas ; il y a là tous ses amis et il a aussi invité Jésus. C'est une grande salle, très bien ornée ; les convives sont nombreux. L'apôtre saint Jean est à table tout près de Jésus. Il n'y a pas de femmes. Tout le monde parle et de temps en temps le maître de maison fait sentir à Jésus que Jésus a beaucoup de chance d'avoir été invité dans sa riche maison. Et Jésus répond avec courtoisie.

Et voilà qu'arrive une femme, jeune, très belle, richement vêtue et coiffée avec soin. Et des bijoux. Tous, sauf Jésus, se retournent pour la regarder. Jésus continue la conversation qu'il avait avec le maître de maison. La femme s 'approche de Jésus, elle s'agenouille à ses pieds, elle enlève les sandales de Jésus, elle embrasse ses pieds en sanglotant. Jésus ne dit rien. Mais il y a des convives qui plaisantent entre eux, se font des clins d’œil et ricanent. Le maître de maison est fâché que cette femme soit entrée si librement chez lui, cela pourrait faire croire aux autres qu'elle est une habituée de la maison.

Puis la femme essuie de ses cheveux les pieds de Jésus qu'elle a mouillés de ses larmes, elle enduit les pieds de Jésus d'un parfum qu'elle a apporté. Le visage du pharisien se fait de plus en plus hargneux. C'est alors que Jésus s'adresse à lui en l'appelant par son nom : "Simon, j'ai quelque chose à te dire". Et Jésus raconte cette petite histoire du créancier qui avait deux débiteurs, et le créancier remet leur dette à tous deux : à celui qui devait cinq cents pièces d'argent et à celui qui n'en devait que cinquante. Évidemment celui à qui on a remis la dette de cinq cents deniers est beaucoup plus reconnaissant que l'autre.

Et voilà : cette femme avait une grosse dette, un gros poids sur la conscience, et elle demande pardon et le pardon lui est accordé. Et lui, le riche pharisien, il n'a pas été capable de montrer à Jésus autant d'amour. Les paroles de Jésus sont accompagnés d'un regard qui fait baisser la tête au pharisien haineux. La femme s'en va en laissant ses bijoux aux pieds de Jésus. Jésus pose un instant sa main sur la tête de la femme qui est inclinée et il lui dit : "Va en paix".

La femme était venue là parce que, un jour, par hasard, elle avait entendu un discours de Jésus. Elles est venue trouver Jésus parce qu'elle se rend compte qu'elle a trouvé le bien, la joie, la paix : tout cela qu'elle avait cherché ailleurs inutilement. "Simon, je te le dis en vérité, je ne fais pas de différence entre celui qui m'aime depuis sa jeunesse avec une pureté intacte et cette femme qui m'aime avec le regret sincère d'un cœur qui renaît à la grâce".

Les évangiles nous racontent comment les apôtres ont tout abandonné avec simplicité pour suivre le Seigneur Jésus. Les difficultés viendront plus tard. Mais il ne faut pas en conclure que le premier pas leur a été facile. Suivre le Christ reste dans la vie une rupture douloureuse. Le renoncement est réel, mais le poids de l'appel l'emporte sur tout. Et celui qui est appelé doit tout faire pour demeurer dans cette voix qui l’a appelé. L'idée de vivre sans cette voix qui l'a appelé apparaît comme une solitude insupportable. Celui qui répond oui à la voix sait qu'il aura à lutter. Il ne sera pas toujours dans la joie, il connaîtra des heures de doute ; ses fautes et ses faiblesses ne vont pas le laisser en repos. Mais il na pas le choix puisqu'on l'a appelé.

Dieu est entré dans l'histoire humaine. Il s'est révélé dans une histoire du salut de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament, une histoire du salut dont l'incarnation du Fils est le centre. Et aujourd'hui, avec les hommes qui questionnent et qui cherchent, il nous faut apprendre à accueillir de façon nouvelle la lumière de la Parole de Dieu. L'Europe redevient païenne mais, parmi ces nouveaux païens, il y a aussi une nouvelle soif de Dieu. Un vice-recteur de l'Université de Louvain disait un jour à sa manière comment il comprenait la difficulté de vivre de ces nouveaux païens. Il disait : "Le sans-Dieu, il a froid à l'âme". (Pour l'homélie, le "sans-Dieu" traduit le "sans-culotte" de l'original).

La femme dont nous parle l'évangile d'aujourd'hui a sans doute éprouvé dans sa vie de péché ce qu'exprimait un philosophe de notre temps dans ses "Carnets de la drôle de guerre", quand il écrivait : "Il y a toujours un vide essentiel au cœur du vice et le plaisir vicieux est amer". Et ce philosophe n'était pas un modèle de vertu !

C'est quoi la rédemption ? Dieu se fait solidaire de nos fautes comme une mère toute sainte peut l'être du crime de ses enfants, et Dieu se fait victime de nos refus jusqu'à la mort de la croix. (Avec Joseph Ratzinger, Gabriel Ringlet, Jean-Paul Sartre, Maurice Zundel, AvS).

 

14 juin 2015 - 11e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 4,26-34

Nous ne savons pas à quoi ressemblera le royaume de Dieu. Mais là où est l’Église, là où sont les croyants, là où on essaie de faire la volonté de Dieu, le royaume de Dieu est en train d'advenir. C'est comme un homme qui jette du grain dans son champ. L’Église tout entière a le devoir de semer. Et l’Église, c'est vous, c'est moi. Personne ne peut être chrétien pour soi tout seul.

Une fois que l'homme a semé son grain, nuit et jour la semence germe et grandit. Si la semence vient réellement de Dieu, elle a en elle la force de germer. La grâce de Dieu donne à la parole semée une force de croissance. Si une parole qui possède quelque chose de la force de Dieu tombe en nous, elle germera. Il y a sans doute des graines qui sont tombées en nous, qui auraient été capables de germer, mais qui sèchent par notre faute.

Il y a deux choses qui sont attendues de nous. D'abord que nous accueillions en nous la parole pour qu’elle puisse germer en nous, et la parole germe en nous si nous nous mettons à la disposition de la parole. Ensuite, ce qui est attendu de nous, c'est que nous ne gardions pas pour nous la semence qui germe en nous. L'homme qui a semé sa graine ne sait pas comment elle germe et grandit. Il y a dans notre vie quantité d'influences : des paroles, des rencontres, des journées particulières... Et puis de nouveau la marée basse où il ne se passe rien. Et pourtant il y a quelque chose qui a grandi en nous sans qu'on le sache.

Des conversions comme celle de saint Paul qui, en un instant, se détourne de sa vie passée pour commencer une vie nouvelle, sont rares. La plupart du temps, nous ne pouvons pas dire avec certitude pourquoi il y a eu un jour dans notre vie la volonté de consacrer notre vie à la foi. La force insaisissable de la grâce de Dieu était là, invisible, occupée à faire germer la semence. Il y a beaucoup de hasards dans notre vie, il y a beaucoup de hasards dans notre chemin de foi. Mais, comme disait Bernanos, le hasard, c'est peut-être la logique de Dieu.

Dans le royaume de Dieu, il y a tout ce qui se voit et il y a aussi tout ce qui ne se voit pas. Un historien de notre temps raconte ceci : "Mon métier d'historien m'apprend que la troupe qui, depuis deux mille ans, fait profession de suivre le Christ, ne comprend pas que des lâches ou des traîtres. Elle a ses héros, elle a aussi la foule innombrable des obscurs et des sans-grade. Dans l'armée des saints, les soldats inconnus sont légion". Voilà le royaume de Dieu.

Le royaume de Dieu, c'est une toute petite semence, et cette petite semence doit envahir le monde. Tout commence avec Israël. Puis vient l’Église qui est Israël ouvert à toutes les nations qui sont à la recherche de la connaissance du Dieu vivant. La foi chrétienne est une toute petite semence, le christianisme ne fait que commencer... L'homme est un animal religieux, c'est même sa principale caractéristique, puisque, jusqu'à preuve du contraire, il est le seul animal qui se pose des questions existentielles.

Et puis cela fait deux siècles que des gens prétendent que la religion, c'est fini, que la religion et la famille sont des structures purement historiques dont le "Progrès" allait nous débarrasser. En fait le sacré est toujours là, le sacré est un élément de la structure de la conscience, ce n'est pas quelque chose de purement historique et de passager. L'expérience du sacré est lié indissolublement à l'effort fait par l'homme pour construire un monde qui ait une signification.

Mais on peut aussi étouffer le sens du sacré, étouffer la petite graine. Je lisais par hasard dans un périodique ces temps-ci : "Résolution : modérer mon utilisation d'internet et de la télévision". Ça aussi, ça peut étouffer la petite graine. La messe, l'eucharistie, c'est accueillir le mystère de Dieu et entrer dans le mystère de sa présence.

Terminer avec saint Jean Climaque, un moine du VIIe siècle, qui nous dit comment cultiver la petite graine : "Quand tu pries, ne recherche pas des mots compliqués, car le balbutiement simple et sans variété des enfants a souvent touché le Père des cieux. Ne cherche pas à beaucoup parler quand tu pries, de peur que ton esprit se distraie à chercher des mots. Un seul mot du publicain apaisa Dieu et un seul cri de foi sauva le larron. Si une parole de ta prière te remplit de douceur, demeure en elle, car alors notre ange gardien est là, priant avec nous". (Avec Georges Bernanos, Francis Rapp, Claude Tresmontant, Chantal Delsol, Mgr Dagens, saint Jean Climaque, AvS).
 

12 juin 2016 - 11e dimanche du temps ordinaire   - Année C

Évangile selon saint Luc 7,36 - 8,3

Un pharisien invite Jésus à sa table. Une femme bien connue comme pécheresse est aux pieds de Jésus. Jésus lui dit : "Tes péchés sont pardonnés", pour ne pas dire : "Je te pardonne tous tes péchés". Dans notre première lecture d'aujourd'hui, David, le roi David, reçoit aussi le pardon de Dieu pour ses péchés. On ne lit jamais le dimanche ce que notre première lecture appelle le péché de David ; on en trouve le récit au chapitre onzième du deuxième Livre de Samuel.

Le roi David a envoyé son armée en campagne pour faire la guerre. Le chef de l'armée s'appelle Joab. David était resté à Jérusalem. "Il arriva que, vers le soir, David s'étant levé de sa couche et se promenant sur la terrasse du palais, aperçut une femme qui se baignait. David fit prendre des informations sur cette femme et on lui répondit : C'est Bethsabée, la femme d'Urias. Alors David envoya chercher Bethsabée, elle vint chez lui, il coucha avec elle, puis elle retourna dans sa maison. Quelque temps après, elle sut qu'elle était enceinte et elle en avertit le roi. Alors David envoya dire au chef de son armée, Joab, de lui envoyer Urias pour quelques jours de permission.

Quand Urias se présenta au roi, David lui demanda des nouvelles de l'armée et il le renvoya pour qu'il aille coucher chez lui. Mais Urias resta à la porte du palais avec les gardes de son maître. On en informa David. Le roi demande alors à Urias pourquoi il n'est pas descendu dans sa maison. Réponse d'Urias : "Tous les soldats du roi campent en rase campagne et moi, j'irais dans ma maison pour manger et boire et coucher avec ma femme ? Jamais de la vie !" Le lendemain, le roi invita Urias à sa table, il le fit bien boire, il l'enivra. Mais malgré cela, Urias fit comme la veille, il s'étendit par terre à la porte du palais avec les gardes du roi.

Alors le lendemain, David envoie une lettre à Joab, le chef de son armée : "Mets Urias au plus fort de la bataille, et reculez derrière lui, qu'il soit frappé et qu'il meure". Joab obéit à l'ordre du roi. Les gens de la ville que Joab assiégeait firent une sortie. Il y eut des tués dans l'armée et Urias mourut aussi. Joab envoya la nouvelle à David. Lorsque la femme d'Urias apprit que son mari était mort, elle fit le deuil de son époux. Quand le deuil fut achevé, David l'envoya chercher et elle devint sa femme, en tout bien tout honneur évidemment. Quelques mois après, elle mit au monde un fils.

David n'a pas tué lui-même le mari de cette femme, il n'était pas si bête. Il a sauvé la face en le faisant tuer au combat. Et David pensait l'affaire réglée. Pas vu, pas pris, la main dans le sac. C'est alors que Dieu envoie à David son prophète Nathan pour menacer David des pires châtiments pour ce qu'il a fait. David ne proteste pas. Il comprend que Dieu a connu toutes ses manœuvres. Tout de suite il demande pardon : "J'ai péché contre le Seigneur". Et le prophète répond à David : "Le Seigneur te pardonne ton péché".

Mais l'affaire n'est pas terminée. Le péché de David est pardonné, David ne va pas mourir tout de suite,  mais il aura à souffrir des conséquences de son péché, et quelqu'un d'autre que lui va aussi souffrir à cause de son péché. Cette scène du péché pardonné et de la souffrance annonce la Passion de Jésus sur la croix pour le rachat des péchés de toute l'humanité. Le Seigneur Jésus pardonne tous les péchés de l'humanité en les prenant sur lui dans la souffrance et la mort. Il n'y a pas de pardon du péché sans souffrance. Sur la croix, le Seigneur Jésus a porté chacun de nos péchés comme s'ils étaient les siens. Le fruit de ses souffrances, c'est que nous soyons capables d'aspirer à lui comme au but de notre vie.

David a fait preuve d'astuce pour liquider Urias sans y mettre la main lui-même. C'est ce qu'on appelle la mauvaise foi. Un homme de notre temps, fort croyant, semble-t-il, et philosophe de profession, confesse ceci : "J'ai personnellement éprouvé, par moi-même d'abord, que le contraire de la foi n'est pas tellement le doute ou l'incroyance, mais la mauvaise foi". Autrement dit, on se donne de bonnes raisons pour faire ce qu'on fait, pour croire ou ne pas croire, mais ce n'est pas toujours si innocent que ça et Dieu connaît le fond des cœurs. L'homme est fondamentalement bon, mais son cœur est radicalement blessé. C'est une manière de dire le péché originel. Le centre le plus secret de l'homme, sa conscience, est le sanctuaire où il est seul avec Dieu, et là, dans ce lieu le plus intime Dieu fait entendre sa voix.

Quand arrivera le jugement de Dieu sur la vie d'un homme, le regard de celui qui est jugé ne pourra pas se détourner du Juge. Il ne pourra pas du tout regarder alors autour de lui pour voir voir comment ça se passe pour les autres, en mieux ou en pire. Il ne sera pas question non plus d'essayer de se justifier aux yeux du Juge en se référant aux comportements d'autres personnes qui lui auraient fait ceci ou cela, ou qui l'auraient entraîné à telle ou telle action. Le Juge sait tout cela, il n'a besoin d'aucune explication. Tous ceux qui seront devant le Juge verront Celui qu'ils ont transpercé. Et ils se frapperont la poitrine à cause de lui. Ils prendront de plus en plus conscience de la répercussion effective de leur péché en Dieu lui-même : ce sera comme un feu purifiant. (Avec Jean-Luc Marion, Matthieu Rougé, AvS, HuvB).

 

25 juin 2017 - 12e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 10,26-33

Nous sommes au chapitre dixième de saint Matthieu, qu'on a appelé le Discours apostolique de Jésus. Le début de ce chapitre est tout à fait stimulant : "Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons !" C'est magnifique de puissance et de miracles. Puis le ton va changer : "Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups". Et Jésus annonce alors une série de vexations et de persécutions en tous genres qu'auront à subir les témoins de l’Évangile. Le message que les apôtres ont à transmettre ne sera pas le bienvenu auprès de tous. La proximité du royaume de Dieu va en inquiéter plus d'un : et le diable et les hommes.

L'affrontement est inévitable entre le Prince de ce monde (le diable) et la grâce de Dieu. Le monde du Prince de ce monde est fasciné par l'avoir, la gloire et le pouvoir. Et donc ce monde ne veut pas qu'un Roi doux et humble règne sur lui, il ne veut pas non plus que triomphe la logique de l'amour, qui est la logique du don et du service désintéressé. Le diable adore la gloire, mais il travaille dans les ténèbres, et ceux qui le suivent adorent aussi les manœuvres obscures. Et c'est là qu'on arrive à notre évangile d'aujourd'hui : rien ne sert de mentir, tout ce qui est voilé sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu, même les intentions secrètes des hommes.

Devant saint Jean Bosco, le diable a dû dévoiler son nom. Et quel est son nom ? Son nom est "Ferme cœur, ferme bouche et ferme bourse". Le démon ferme le cœur de l'homme pour le rendre insensible à l'appel de Dieu, pour le rendre indifférent à la misère du monde et à la souffrance des hommes. Le démon ferme notre bouche pour nous empêcher de reconnaître notre péché et demander le pardon de Dieu. Le démon ferme notre bourse pour nous détourner du partage qui nous ferait entrer dans la logique de l’amour. "Seigneur, donne-moi la force de ton Esprit pour m'arracher à la séduction de l’Ennemi et à ma tiédeur. Embrase mon  cœur d'amour pour toi et de compassion pour mes frères. Et donne-moi l'audace de proclamer par une sincère conversion de vie que ton royaume est présent au milieu de nous".

Dès la première rencontre de Jésus avec saint Pierre, Pierre est appelé le rocher, il reçoit la charge de l’Église. Il ne le sait pas encore, pas plus que les premiers disciples qui l'accompagnent. Mais dès cet instant la charge de l’Église pèse sur lui. La charge de l’Église pèse sur chaque chrétien. Elle pèse sur chacun tout entière parce que, dans l’Église, personne n'est superflu et personne ne peut repousser sur les autres chrétiens la charge de l’Église. Chacun a dans l’Église sa mission personnelle, qui est la mission que le Seigneur Jésus lui impose.

Et quelle est cette mission ? D'une manière ou d'une autre elle rejoint la mission de Jésus qui est venu dire que le royaume de Dieu est tout proche. Ce royaume est tellement proche que c'est Jésus lui-même qui est ce royaume. Le royaume, ce n'est pas une chose, ce n'est pas un territoire, c'est quelqu'un, c'est le Seigneur Jésus. Jésus conduit les hommes jusqu'au fait énorme qu'en lui, Jésus, Dieu lui-même est présent parmi les hommes, il est la présence même de Dieu. Le royaume de Dieu est tout proche. Dieu existe, Dieu est vraiment Dieu, c'est-à-dire qu'il tient dans ses mains les rênes du monde. Par la présence et l'action de Jésus, Dieu est entré dans l'histoire d'une manière toute nouvelle. Jésus lui-même est le trésor. Et la perle précieuse, c'est la communion avec lui.

Croire en Dieu créateur, c'est croire que la réalité est fondamentalement bonne et précieuse parce que quelque chose de bon et de bienveillant est à la source de la vie. C'est croire que le bien est plus fort que le mal, c'est croire qu'il y a de bonnes raisons de vivre et d'espérer. "Soyez sans crainte : vous valez bien plus que tous les moineaux du monde". L'athéisme, c'est une existence sans horizon, qui se résume comme ceci : naître, survivre et mourir. Pour nous chrétiens, l'homme ne prend sens que par l'infini, l'infini qui l'habite et l'appelle. L'homme ne prend sens que par un désir de l'au-delà. Que devient l'être humain s'il perd le désir d'éternité ? La foi ouvre sur des réalités qui ne se vérifient qu'en les accueillant dans l'ouverture et l'amour. "Aime et fais ce que tu veux", disait saint Augustin, il y a très longtemps. Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par amour. Si tu parles, parle par amour. Si tu corriges, corrige par amour. Aie au fond du cœur la racine de l'amour. De cette racine, rien ne peut sortir de mauvais.

"Ce que je vous dis dans l'ombre, dites-le au grand jour. Ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les toits". Dieu est sorti de son silence pour se révéler lui-même : dans la création, dans toute l’histoire du peuple qu'il avait choisi pour être le dépositaire d'une révélation destinée finalement à toute l'humanité. Mais il fait partie du respect que Dieu porte à sa créature de ne pas remplacer ni d'anticiper ce qu'elle peut trouver et fournir par ses propres forces et ses propres efforts. Dieu n'est pas un père qui fait les devoirs scolaires de ses fils. Mais il révèle à l'homme ce que l'homme est essentiellement incapable de découvrir et de comprendre par lui-même. "Ce que je vous dis au creux de l'oreille, proclamez-le sur les toits". (Avec Joseph-Marie Verlinde, Benoît XVI, Jean-François Gosselin, Adolphe  Gesché, saint Augustin, AvS, HuvB).

 

21 juin 2009 - 12e dimanche du temps ordinaire - B

Évangile selon saint Marc 4, 35-41

Au soir d'une journée où Jésus a beaucoup parlé, il souhaite trouver un peu de calme. Jésus se trouvait peut-être dans une barque et c'est de là qu'il avait parlé à la foule restée sur la rive. Pour trouver la paix, il ne faut pas descendre à terre. Allons plutôt de l'autre côté du lac. C'est ce que font les apôtres et Jésus s'endort tout de suite.

Et voilà que le temps change brusquement : grand vent et tempête. C'est sérieux, c'est grave, ça devient dangereux pour la barque et surtout pour les hommes qui y sont. On réveille Jésus en catastrophe : on coule ! Et Jésus ordonne à la mer de se calmer : Silence, tais-toi ! Et il dit à ses disciples : Pourquoi avoir peur? Et les disciples sont stupéfaits : comment se fait-il que Jésus puisse apaiser une tempête en disant deux mots. On n'a jamais vu ça ! Personne ne peut faire cesser une tempête, ni d'ailleurs en provoquer une. C'est quelque chose qui va marquer pour toujours l'esprit des disciples. Pourquoi Jésus a-t-il ce pouvoir d'apaiser une tempête ?

Mais pourquoi aussi s'endort-il justement avant la tempête? Et il dort si fort que même la tempête ne le réveille pas. On trouve la question dans un psaume de l'Ancien Testament. C'est une prière à Dieu, une question angoissée : "Pourquoi dors-tu, Seigneur? Réveille-toi". C'est dans le psaume 43 :"Pourquoi dors-tu, Seigneur?" C'est sûr pour les disciples dans la barque : on va couler, on ne peut rien faire, on ne peut rien faire contre les éléments déchaînés.

Un jour, les disciples auront l'impression de couler tout à fait. C'est le jour où Jésus est mort. Jésus s'est endormi d'un sommeil pour toujours. Sa barque a coulé. Il n'y a que lui qui est mort. Les disciples sont restés sur la rive, ils sont toujours vivants. Mais lui, Jésus, il est mort, crucifié par les Romains à la demande des chefs juifs. Et ça a duré trois jours. Les disciples n'étaient pas morts comme Jésus et avec Jésus. Mais en eux il y avait quelque chose qui était mort, leur cœur était mort. Ils n'y comprenaient plus rien. Pour eux, il était évident que Dieu était avec Jésus, que Jésus avait un immense pouvoir sur Dieu. Et voilà que Dieu l'avait abandonné. Vraiment tout s'était écroulé dans leur tête.

Et trois jours après la mort de Jésus, Dieu va leur prouver aux disciples, qu'il est toujours capable de calmer les tempêtes, et même plus encore qu'il est capable de ressusciter les morts. Comment est-ce possible ? On ne sait pas le comment, mais on constate le résultat : la mer subitement devient calme; Jésus était mort et, subitement, il se présente à ses disciples comme vivant. Jésus nous invite à aimer l'invisible de Dieu. Et c'est en voyant tout ce qui est visible dans le monde que nous sommes amenés à aimer l'invisible de Dieu. Le visible qu'il y a dans le monde, c'est aussi le prochain, les autres. Et dans les autres, dans le prochain, l'essentiel, ce sont ses souhaits et ses désirs, ses efforts vers Dieu.

Le soir du vendredi saint, le soir de la mort de Jésus, les disciples avaient tout perdu ; ils avaient perdu aussi leurs illusions. On ne sait même pas s'ils avaient encore la force de prier avec le psaume : "Du fond de l'abîme, je crie vers toi, Seigneur". Le soir de la mort de Jésus, les apôtres avaient perdu ce qui faisait la richesse de leur vie, ce qui était le sens de leur vie : la présence de Dieu en Jésus. Et c'est dans leur infinie pauvreté que Dieu a été les chercher. C'est dans leur infinie pauvreté que Dieu les a ouverts à l'imprévisible de la grâce, à l'imprévisible de la résurrection de Jésus.

L'eucharistie aussi, c'est l'imprévisible de la grâce. Jésus donne au pain et au vin consacrés la puissance d'une présence divine qu'aucune religion ne donne à ses symboles cultuels. En mangeant le pain eucharistique, le croyant a part à la vie divine de Jésus, à la vie divine du Ressuscité. Comment est-ce possible? C'est tout aussi impossible qu'une tempête apaisée et une résurrection d'entre les morts. Et les disciples ont constaté qu'une tempête pouvait s'apaiser en un instant et que Jésus mort était toujours vivant... en Dieu.

La prière, c'est l'apprentissage de l'espérance. "Si personne ne m'écoute plus, Dieu m'écoute encore. Si je ne peux plus parler à personne, je peux toujours parler à Dieu. S'il n'y a personne qui peut m'aider, Lui peut m'aider. Si je suis tombé dans une extrême solitude, celui qui prie n'est jamais seul". C'est le pape Benoît XVI qui nous dit ces choses. "Si personne ne m'écoute plus, Dieu m'écoute encore". Etc.

Par le fait de la résurrection de Jésus, une énergie a été définitivement enfouie dans le monde. Et cette énergie tend vers l'avant. Car par la résurrection des morts, le Seigneur Jésus dépasse toutes les plus grandes utopies du monde. Quelle utopie terrestre serait capable de nous ramener le passé, la mort, les milliards de morts qui nous ont précédés et, pire encore, leurs affreuses souffrances ? Et cette expérience la plus utopique est enracinée dans le cœur des croyants par la résurrection de Jésus. "Pourquoi avoir peur?", nous dit Jésus aujourd'hui. J'ai vaincu et la tempête et le monde et Satan et la mort. (Avec Antoine Vergote, Benoît XVI, AvS, HuvB).

 

21 juin 2015 - 12e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 4,35-41

Une barque de pêche pour cinq ou six personnes. Jésus est assis à l'arrière, la tête appuyée sur une tablette. Pierre est au gouvernail, André s'occupe des voiles, deux autres disciples mettent en ordre les filets comme s'ils se préparaient à pêcher durant la nuit. C'est la fin du jour, le soleil descend. Le ciel s'obscurcit, des nuages d'orage débouchent à l'improviste. En quelques minutes, le lac bouillonne d'écume. Les flots heurtent le bateau, l'élèvent et l'abaissent, le retournent en tout sens.

Jésus dort, rien ne le réveille, ni le bruit de la tempête, ni les voix excitées des disciples. La tempête est de plus en plus brutale. Le lac est noir. La barque est poussée vers le large par le vent et elle commence à engloutir de l'eau. Les disciples sont à la manœuvre pour écoper l'eau que les vagues projettent. Mais ça ne sert à rien. Ils pataugent maintenant jusqu'à mi-jambes, et la barque continue à s'alourdir. Pierre perd son calme et sa patience. Il donne le gouvernail à son frère, et il va vers Jésus en titubant. Il secoue Jésus vigoureusement. Jésus se réveille, lève la tête. "Sauve-nous, Maître, nous périssons". Pierre doit crier pour se faire entendre.

Jésus regarde son disciple et les autres, il regarde le lac. "Est-ce que tu crois que je puisse vous sauver ?" - "Vite, Maître", lui répond Pierre, alors qu'une vraie montagne d'eau se dirige vers la pauvre barque. Les disciples la voient venir, ils pensent bien que c'est la fin. Jésus se lève, il étend les bras vers la lame et il dit au vent : "Arrête et tais-toi". Et il dit à l'eau : "Calme-toi, je le veux". Et alors l'énorme vague se dissout en écume qui retombe sans faire de dégâts. Un dernier rugissement et le lac est pacifié, et l'espérance revient dans le cœur des disciples.

Jésus savait que la bourrasque allait arriver. Mais les hommes sont les hommes et ils se croient capables de tout. Pour eux, Jésus était un rabbi qui n'y connaissait rien à leur métier de marin. Et quand ils montaient dans la barque, ils priaient Jésus de rester assis. Et ce soir-là, ça tombait bien, Jésus était fatigué. Les hommes n'ont pas besoin de Jésus pour leurs manœuvres. Et ils ne se rendent pas compte que Dieu ne demande qu'à les aider, que Dieu est penché sur leurs besoins en attendant qu'on l'appelle à l'aide. Et c'est dans la détresse que Pierre fait appel à Jésus, espérant qu'il pourrait faire quelque chose. Les hommes ont besoin de leur douleur pour se rappeler qu'ils ont un Père dans le ciel, comme le fils prodigue qui se rappelle qu'il a un père quand il a faim.

La sagesse chrétienne qui s'appuie sur la Parole de Dieu sait bien que nous valons plus que tous les oiseaux du ciel, que toute personne a une valeur absolue, que tout être humain est sacré dès l'instant de sa conception jusqu'à l'heure de sa mort. Et que se passe-t-il quand un être humain ne se sent pas aimé ? Il a besoin de se faire admirer. C'est ce que disait déjà le grand philosophe grec, Aristote : "Lorsqu'un être ne se sent pas aimé, il a besoin de se faire admirer". Et un homme de nos jours ajoute : "Chez beaucoup d'êtres humains, se cache un petit dictateur".

Dans la barque ce soir-là, les apôtres n'étaient pas fiers. Et Jésus ne jouait pas au dictateur, il dormait. Notre foi ne saura jamais assez que le Seigneur Jésus est toujours là auprès de son Église et auprès de chaque croyant et de tout être humain. Il est là présent quand deux ou trois sont réunis en son nom, quand cent personnes ou mille personnes sont réunies pour célébrer l'eucharistie. Il est là présent dans chaque sacrement ; quand quelqu'un baptise, c'est le Christ lui-même qui baptise. Il est là présent dans l’Église quand on lit les Écritures, il est là présent quand on célèbre l'eucharistie. Il est toujours là, même quand il semble dormir.

Une sainte de notre temps disait : "La première condition pour avoir Dieu avec nous, c'est de n'avoir pas de rancœur et de savoir pardonner. Et la deuxième nécessité, c'est de savoir reconnaître qu'en nous aussi il y a du mal et du péché. Il ne faut pas voir uniquement les fautes d'autrui". Mauriac écrivait dans l'une de ses lettres : "Notre insensibilité aux injures que nous infligeons n'a d'égal que notre sensibilité à celles que nous subissons".

Le Seigneur Jésus était là dans la barque et il dormait. On le réveille et il fait  un miracle. Alors les disciples se disent entre eux : "Qui donc est-il pour que même le vent et la mer lui obéissent ?".

Terminer avec un chrétien des premiers siècles : "L'esprit de l'homme ne peut penser convenablement ce qu'est Dieu. Il est plus grand que toute parole, il est indicible. Tout ce qui peut être pensé de lui est plus petit que lui. Nous pouvons, il est vrai, le ressentir quelque peu en silence, mais nous ne pouvons pas exprimer en mots ce qu'il est lui-même. Quoi que ce soit que tu dises de lui, tu ne dis jamais que quelque chose de lui, une manifestation de sa puissance, non ce qu'il est lui-même. Dieu est celui auquel il appartient de ne pouvoir être comparé à rien". (Avec Aristote, Vatican II, Novatien, AvS).

 

20 juin 2010 - 12e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 9, 18-24

Dans un premier temps, Jésus et ses disciples sont tout seuls. Il n'y a pas de foules autour d'eux comme souvent. "Jésus priait à l'écart", dit l'évangile. Il ne nous dit pas ce que font les disciples pendant ce temps-là. Est-ce qu'ils priaient comme Jésus ? On n'en sait rien. A un certain moment, Jésus arrête sa prière et il pose à ses disciples cette question bizarre : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ? Et vous, qu'en pensez-vous ? A votre avis, qui suis-je ?" Et saint Pierre répond pour tous comme souvent : "Pour nous, tu es le Messie de Dieu". On nous explique que les Juifs attendaient un Messie puissant qui allait chasser de Terre sainte tous les étrangers et surtout, bien sûr, les troupes romaines d'occupation.

Pour Pierre et les disciples, Jésus est le Messie de Dieu. Et quelle est la réaction de Jésus ? Il fait comprendre à ses disciples qu'ils ont vu juste : il est bien le Messie de Dieu. Mais il ajoute aussitôt : "N'en dites rien à personne pour le moment". Et tout de suite Jésus prend ses disciples à contre-pied, là où on ne l'attendait pas. Il se met à parler de lui à la troisième personne : Oui, je suis le Messie. Mais il faudra que le Messie souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les chefs du peuple, qu'il soit mis à mort. L'évangéliste saint Luc ne dit pas tout de suite la réaction des disciples. Et puis tout d'un coup on dirait que la foule est là. (C'est peut-être en une autre circonstance). "Jésus disait à la foule" : Pour marcher à ma suite, il faut faire comme moi, il faut que vous preniez votre croix chaque jour. C'est comme ça qu'on peut me suivre. Pas autrement. Il faut savoir se renoncer... La foi n'est pas un long fleuve tranquille.

La vie n'est pas toujours un long fleuve tranquille. Jésus est le Messie, un Messie très curieux, un Messie très étrange, un Messie qu'on n'imaginait pas comme ça... On ne peut pas imposer des limites à Dieu. Qui impose des limites à Dieu ne peut plus affirmer qu'il croit. Le Messie n'est pas comme les disciples l'imaginaient.

Un médecin de notre temps, femme très croyante et très proche de Dieu, disait ceci (il faut s'accrocher pour l'écouter) : "Et si c'était la volonté de Dieu que vous ayez une maladie mortelle, peut-être justement celle que vous avez redoutée toute votre vie, vous devriez la porter et y acquiescer, et cela ne serait pas du tout un acte héroïque, mais ce serait essayer, dans l'humilité, de montrer à Dieu que votre foi est pour vous quelque chose de sérieux et que, sur ce point au moins, vous avez compris quelque chose de son exigence". (Avec Adrienne von Speyr).

 

23 juin 2013 - 12e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 9,18-24

Depuis des siècles, en Israël, des hommes de Dieu, des prophètes, annonçaient que Dieu enverrait un jour à son peuple un envoyé extraordinaire, plus grand que tous les prophètes, les prêtres et les rois qu'on avait connus jusqu'alors, un homme béni de Dieu plus que tous les autres, le Messie. A l'époque de Jésus, le peuple juif attendait toujours cet envoyé extraordinaire de Dieu. On imaginait un homme protégé par Dieu, un roi respecté et puissant.

Quand Jésus pose la question à ses apôtres : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ?", la réponse est simple : les gens pensent que tu es un ami de Dieu, un homme de Dieu, un prophète, comme les grands prophètes des temps anciens, Élie par exemple, huit siècles avant le Christ. Cela, c'est ce que pensent les gens. Alors Jésus demande à ses apôtres ce qu'ils pensent eux-mêmes. Et là, c'est saint Pierre qui prend le premier la parole, comme souvent : "Pour nous, tu es le Messie de Dieu". Messie ou Christ, c'est la même chose. Messie est calqué sur le mot hébreu Messiah. Le mot grec Christos est la traduction du mot hébreu. Et en français Christos est devenu Christ. Le Messie, le Christ, c'est l'homme qui a été béni de Dieu par une onction spéciale.

On attendait un homme béni de Dieu, un envoyé spécial de Dieu, protégé par Dieu, qui serait aussi un roi respecté et puissant ; et voilà que Jésus se présente comme quelqu'un qui doit beaucoup souffrir, comme quelqu'un qui sera rejeté par les responsables religieux du peuple, comme quelqu'un qui sera mis à mort. Et quand Jésus sera vraiment mort, les apôtres n'y comprendront plus rien : est-ce que Jésus était vraiment le Messie ?

Le désarroi complet des apôtres a duré jusqu'au troisième jour, jusqu'au jour où Jésus leur a imposé sa présence vivante de Ressuscité. Mais ce fut dur à accepter cette présence vivante ! Ils croyaient voir un fantôme, nous disent les évangiles. Et Thomas, lui, n'y a pas cru du tout pendant huit jours, huit jours de désarroi en plus.

Saint Pierre vient de proclamer qu'il croit de toute son âme que Jésus est le Messie. Alors quand aussitôt après Jésus parle de sa Passion et de sa mort, Pierre prend Jésus à part et le sermonne : les messies n'ont rien à faire sur une croix. Pierre croit savoir mieux que Jésus ce que Jésus a à faire.

Tous les croyants sont comme des enfants. Saint Pierre était comme un enfant. C'était un homme mûr et il croyait savoir mieux que le Seigneur Jésus le chemin que Jésus devait prendre. La Mère de Jésus n'était pas comme ça. Quoi qu'elle fasse, elle laisse toujours une porte ouverte à Dieu. Saint Pierre croyait savoir et il ne savait pas.

Quand Jésus fait un bout de chemin avec les disciples d'Emmaüs, qui ne savent pas encore que Jésus est ressuscité, Jésus doit leur ouvrir l'intelligence ; et pour cela, il leur montre que sa Passion et sa résurrection étaient inscrites dans la Bible comme en filigrane, mais un filigrane ne devient lisible que lorsque nous le portons à la lumière.

Les responsables juifs, eux, avaient tout compris ; ils croyaient avoir tout compris. Ils attendaient un Messie, un libérateur, qui les délivrerait de l'occupation romaine ; et, paradoxalement, ils ont si bien compris qu'ils se sont servis des Romains pour sacrifier celui dont, finalement, ils ne comprenaient pas la mission.

Avoir la foi, c'est quoi ? C'est croire en Jésus mort et ressuscité. Souvent l’Église, comme saint Pierre, voudra prendre des chemins qui ne sont pas les chemins du Seigneur Jésus. Mais Jésus ne va pas l'abandonner sur ces chemins ; il se servira de ses erreurs pour l'ancrer plus profondément dans l'amour. Sans cesse des hommes entraîneront l’Église à la désobéissance par leur obstination à "savoir mieux" que Dieu ce qu'il doit faire.

Il y a un péché des croyants à prétendre savoir mieux que Jésus les chemins qui sont à prendre. Celui qui n'est pas croyant prétend, lui aussi, savoir mieux. Il prétend en avoir fini avec Dieu, et il ne fait que rafistoler de vieilles idoles : l'argent, la volupté, les honneurs, le moi ; enfin il se met à diviniser des riens.

Le Messie est arrivé comme personne ne l'attendait : ni les responsables juifs qui l'ont crucifié, ni saint Pierre qui n'imaginait pas un Messie finissant sur une croix. Dieu est imprévisible. Le christianisme est la foi en une action de Dieu inaccessible à toute attente humaine, une action de Dieu qui est toujours une action et du Père et du Fils et de l'Esprit Saint. (Avec Timothy Radcliffe, Hyacinthe-Marie Houard, Henri Fesquet, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).
 

19 juin 2016 - 12e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 9,18-24

Jésus pose une question à ses apôtres pour les faire réfléchir. Depuis un certain temps déjà, les apôtres vivent constamment avec Jésus, jour et nuit, ils voient tous ses miracles, ils entendent toutes ses prédications. Aujourd’hui Jésus leur pose la question : "Qu’est-ce que les gens disent de moi ?" La première chose qui a frappé chez Jésus, c’est qu’il faisait beaucoup de miracles. Et ensuite qu’il parlait des choses de Dieu beaucoup mieux que tous les chefs religieux des Juifs. Et donc les gens se disaient : Ce Jésus est un ami de Dieu, Dieu est avec lui, sinon il ne pourrait pas faire tous ces miracles. Un ami de Dieu, un prophète, comme les prophètes des temps anciens dont parlent les Écritures.

Jésus pose alors à ses apôtres une deuxième question : "Et pour vous, qui suis-je ?" Là, c’est saint Pierre qui répond pour tous : Pour nous, tu es le Messie de Dieu. – Depuis très longtemps des hommes de Dieu, des prophètes annonçaient que Dieu enverrait un jour à son peuple un envoyé exceptionnel, plus grand que tous les envoyés de Dieu jusqu’à présent, un envoyé de Dieu qui aurait reçu une bénédiction tout à fait particulière de Dieu pour son peuple, et ce grand envoyé, on l’avait appelé le Messie, le Christ, le Béni de Dieu par excellence.

Et voilà que Pierre et les apôtres ont pris conscience que Jésus devait être ce grand envoyé de Dieu, le Messie. Les écrits anciens voyaient le Messie comme quelqu’un de très glorieux. Un psaume dit de lui : « Il dominera de la mer à la mer, et du fleuve jusqu’au bout de la terre. des peuplades s’inclineront devant lui, ses ennemis lécheront la poussière. les rois de Tarsis et des îles feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront ». Saint Pierre répond donc à Jésus : Pour nous, tes apôtres, tu es le Messie de Dieu.

Et aussitôt Jésus leur dit de n’en parler à personne. Aussitôt aussi Jésus explique que le Messie qu’il est va beaucoup souffrir, qu’il sera rejeté par les chefs de son peuple, qu’il sera mis à mort et qu’il ressuscitera le troisième jour. Les apôtres sont stupéfaits, ils n’y comprennent pas grand-chose. Le Messie, ce n’est quand même pas ça ! Les apôtres ne savent pas encore tout de Jésus. Ils ont deviné que Jésus devait être le Messie, ils n’ont pas encore deviné que Jésus était Dieu et Fils de Dieu.

Il y a quelque temps (un certain temps), l’Institut Catholique de Paris avait envoyé à un certain nombre de chrétiens de France un questionnaire. Ces chrétiens étaient tous des hommes célèbres dans leur spécialité : écrivains, professeurs, journalistes, scientifiques, politiques, militaires, diplomates. Et la question essentielle qui leur était posée était celle-ci : "Vous êtes chrétien. Vous croyez en Jésus-Christ. Pourquoi ? Qui est Jésus-Christ pour vous". On avait suggéré à tous ces gens célèbres de répondre en trois pages. Certains n’ont pas répondu, certains ont écrit dix lignes, d’autre dix pages, ça fait une moyenne. On peut être célèbre et en pas être très discipliné.

Voici, entre autres, une partie de la réponse d’un homme politique de notre temps, peu importe son nom. Il écrivait ceci : "Un jour ou l’autre, la foi léguée par un milieu familial est confrontée aux épreuves de l’existence. Ces épreuves imposent alors une conversion intérieure, car on ne peut plus se contenter de croire par tradition familiale : il faut faire un acte libre à l’égard de Dieu, soit qu’on le rejette (et ce choix exige sans doute du courage), soit que le sentiment d’une existence débouchant sur le néant conduise à l’adhésion intime et personnelle au mystère. Ce dernier choix, je l’ai fait, par refus du désespoir et aussi parce qu’une conviction en forme d’évidence, ne laissant  place ni au doute ni à l’hésitation, s’est imposée à moi". Qui est Jésus-Christ pour vous ? C’était une belle profession de foi.

Jésus pose la question à ses apôtres : "Qui suis-je pour vous ?" La réponse des apôtres est juste : "Tu es le Messie". Mais la réponse n’est pas encore complète, elle est loin d’être complète… "Tu es le Messie"… Et aussitôt Jésus parle de souffrance. Ce que les saints nous disent, c’est que Dieu nous aime plus que nous ne pouvons l’imaginer. Et nous devrions l’aimer davantage que nous ne le faisons. La souffrance sur la croix est l’expression de l’amour qu’il y a en Dieu. Dieu a choisi cette expression pour montrer le mystère de son amour. Pour pouvoir se révéler, l’amour souffre. Toute chose, et pas seulement la souffrance, toute chose peut et doit mener à la connaissance de Dieu et à la communion avec lui.

Les prophéties de l’Ancien Testament se sont accomplies en Jésus. Ce qui est arrivé était bien dans le sens de ce qui était annoncé (Jésus est bien le Messie), mais en même temps c’était tout différent de ce qui était prévisible, c’était à la fois plus ordinaire et plus extraordinaire que ce qui était attendu. On attendait un roi de gloire et voici que c’était un enfant pauvre ; on attendait un roi de gloire, et voici que c’était Dieu même. Léon Bloy, notre presque contemporain, a ressenti très fort le destin de Dieu comme pauvreté, solitude, incompréhension et exclusion. Il a ressenti très fort Dieu comme évincé par l’homme de sa création et n’y rentrant que pour être crucifié.

Le paradoxe absolu de la passion et de la mort du Seigneur Jésus, c’est que dans l’horreur du trépas sous le poids écrasant du péché du monde et de la déréliction divine s’accomplit le rachat de l’absurdité de la souffrance. La vie du Seigneur Jésus atteint son sommet et obtient son efficacité la plus intense dans la Passion. C’est pourquoi la souffrance du chrétien est au moins aussi féconde pour le salut du monde que son action extérieure. (Avec Alexandre Schmemann, Jean Guitton, Léon Bloy, AvS, HuvB).

 

2 juillet 2017 - 13e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 10,37-42

Comme dimanche dernier, nous sommes dans le chapitre dixième de saint Matthieu : le discours apostolique, le discours de mission. Jésus ne ménage pas ses troupes. Il leur avait dit au début : "Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups". Et maintenant : "Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi". Autrement dit, il n'est pas possible de mettre sur un pied d'égalité nos relations familiales et la grâce, la grâce surnaturelle qui nous unit au Fils et au Père dans l'Esprit Saint. Dieu est Dieu, il est la source et la fin de toute l'aventure humaine.

Les efforts de l'homme pour comprendre Dieu, pour comprendre tout ce que contient la parole de Dieu, ne sont pas des efforts inutiles. Et pourtant à la fin, l'homme comprend plus profondément la parole de Dieu qui dit : "Mes desseins ne sont pas les vôtres". Aucune révélation n'amoindrit le mystère de Dieu. Aucune révélation de Dieu ne lui fait perdre sa totale liberté de se dévoiler comme il veut et de garder pour lui ce qu'il veut. Il y a la surprise de Lourdes, de Fatima, de Medjugorje, et toutes les autres surprises. Les croyants sont encouragés à faire l'effort de comprendre la parole de Dieu, mais non sans être avertis continuellement de ne jamais oublier que Dieu est inconcevable, qu'il est le Tout-Autre. Depuis le début de la création, il n'y a qu'un salut, et ce salut se trouve en Dieu Trinité (Père, Fils et Esprit Saint) qui le donne à ceux qui lui appartiennent.

"Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi". Tout au début de l'histoire du peuple de Dieu, Abraham l'avait déjà compris. Dieu exige de lui de renoncer à son fils unique et bien-aimé, porteur de toutes les promesses de Dieu pour sa descendance. C'est comme si tout était perdu. Et Abraham obéit à l'ordre de Dieu. Et Dieu va récompenser Abraham au-delà de ses attentes.

Est-ce un péché de ne pas aller à la messe le dimanche ? Dieu vous donne un rendez-vous chaque dimanche. Si vous ne vous dérangez pas pour y répondre, comment qualifier votre absence ? Êtes-vous sûr que vous pouvez négliger sans dommage cette invitation pressante ?... "Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi"...

Même celui qui se considère comme athée, comme incroyant, a néanmoins la foi au fond de lui. Car nous sommes programmés pour elle. L'homme est lié à son Créateur par son origine et, plus précisément, par l'origine de son esprit. "Tu nous a faits pour toi, mon Dieu, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en toi". La vie éternelle est présente aujourd'hui. Et le temps présent se remplit de vie éternelle pour nous permettre un jour de passer avec plus de souplesse sur d'autres voies de développement. Parce que de toute façon il n'y a pas d'autre issue. De toute façon, il faudra faire le passage. C'est-à-dire qu'il faut vivre de telle sorte que nous ne nous trouvions pas dans la posture d'un homme "décontenancé", qui n'aurait pas pris l'habitude de sentir, de penser et de vivre par l'Esprit Saint de Dieu.

Qu'est-ce que c'est "être sauvé ? Être sauvé, c'est communier à la vie de Dieu par la foi, par notre communion au Seigneur Jésus. Nous devons prier pour que Dieu nous aide à ne pas perdre le sentiment de sa grande présence, à ne pas nous morceler, à ne pas nous laisser engluer dans le marais des choses insignifiantes, mais à vivre toujours de telle manière que nous sentions la proximité du ciel. L'homme est une invention unique de Dieu, il est apostrophé par Dieu et convié par lui à lui répondre. L'homme est ouvert à tout, il est ouvert aussi à Dieu, parce qu'il est choisi. Et quand l'homme accepte de répondre à la parole que Dieu qui lui est adressée, il trouve là son être et son assise. L'homme n'est en sécurité que sur ce sommet ultime.

La sagesse indienne connaît quatre phases de la vie. La première est celle où l'on apprend. La deuxième est celle où l'on enseigne, où l'on sert les autres, mettant en pratique ce qu'on a appris. Dans la troisième, on va au bois, ce qui veut dire que la troisième phase est celle du silence, de la réflexion, de la retraite. Et puis il y a le quatrième temps : on apprend à mendier, c'est l’étape durant laquelle nous dépendons des autres. Il faut nous y préparer. (Avec Joseph-Marie Verlinde, Yeshayahou Leibowitz, Alexandre Men, Cardinal Martini, AvS, HUvB). Telle fut la dernière homélie de ce curé de campagne le 2 juillet 2017.

 

28 juin 2009 - 13e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 5, 21-43

Voilà un homme qui vient trouver Jésus parce que sa fille est vraiment très malade. Et Jésus suit cet homme malgré toute la foule qui l'entoure. Et cette foule, c'est vraiment une cohue. Ce qui fait qu'une femme, anonyme, arrive à toucher le vêtement de Jésus sans rien dire et sans se faire remarquer. Et aussitôt, c'est le miracle silencieux : cette femme sait qu'elle est guérie.

Plus d'une fois, quand Jésus a guéri quelqu'un, il lui recommande de n'en rien dire à personne. Ici, c'est le contraire qui se passe. Cette femme ne demande pas de publicité. Elle sait qu'elle est guérie, c'est l'essentiel. Et elle voudrait bien s'éclipser comme elle est venue, anonyme, dans la foule. Mais ce jour-là, c'est Jésus qui veut parler du miracle. Le miracle s'est produit comme à l'insu de Jésus. A son insu ou de son plein gré, c'est le moment de se poser la question. On ne lui a rien demandé explicitement, on a simplement touché son vêtement. Mais c'est la cohue autour de Jésus, et tout près de Jésus, et tout contre Jésus. Alors, il y a un tas de gens qui sont en contact avec son vêtement. Et Jésus demande : "Qui m'a touché?" Pour les apôtres, c'est une question qui n'a pas de sens : tout le monde frôle les vêtements de Jésus.

C'est vrai, il y a un tas de gens qui frôlent les vêtements de Jésus comme ça arrive dans les cohues. C'est vrai, mais il y en a une qui s'est approchée avec une intention particulière. Et Jésus a senti qu'une force était sortie de lui. Il y a en lui quelque chose qui a entendu la prière secrète de cette femme. Pourquoi Jésus veut-il que cette femme raconte ce qui lui est arrivé ? Pourquoi ? Jésus ne fait pas de grands discours ici avec cette femme, mais ce qu'il nous apprend avec force et sans paroles, c'est que la plus petite prière, même la prière la plus cachée et la plus secrète, Dieu l'entend. Cela ne veut pas dire que toute prière fervente qu'on fait sera exaucée dans le sens où nous l'entendons. Mais ce que Jésus nous dit, c'est que toute prière vraie, faite du fond du cœur, Dieu l'entend. Et Dieu y répond à sa manière : dans le sens de notre demande ou autrement, c'est son mystère à lui.

Puis Jésus va rendre la vie à la fille de douze ans, la fille de Jaïre. Jaïre n'avait pas demandé à Jésus de ressusciter sa fille, il lui avait demandé d'aller la guérir. Et Jésus lui montre ici qu'il peut faire plus que guérir. On ne sait pas ce qu'est devenu Jaïre, on ne sait pas ce qu'est devenue la femme anonyme qui a été guérie. En tout cas, pour eux deux, et pour beaucoup d'autres sans doute, le ciel s'est un peu ouvert ce jour-là. Dieu est capable de ces choses. Il tient vraiment toutes choses en sa main. Dieu est bon. Dieu, c'est la patrie définitive de l'homme et de la femme. Ce jour-là, cet homme et cette femme ont vraiment touché Dieu, ils l'ont touché avec toute leur foi. Dieu s'est laisser toucher par eux.

Comment est-ce possible que cette femme soit guérie ? Comment est-ce possible que cette fille de douze ans reprenne vie ? Une fois de plus, on constate le fait. Personne ne peut dire le comment. Le comment, le mystère, c'est ce qui est réservé à Dieu, ce que Dieu se réserve. "Car aucun homme, aussi sage soit-il, ne peut tout comprendre". La femme anonyme dans la foule fait un geste banal et il en sort un miracle. Ce geste banal déclenche en Jésus une force, déclenche la force de Dieu. L'une des leçons qu'on peut tirer de l'événement, c'est qu'il ne faut pas prononcer à la légère le nom de Dieu, il ne faut pas le prononcer en vain, même dans des expressions et des interjections devenues banales. Nous sommes invités au respect des choses sacrées et des paroles sacrées.

Ce que nous apprend la femme anonyme dans la foule, ce sont les trois éléments de la prière vraie. D'abord une attention forte à Jésus, à Dieu : un seul but pour la femme : toucher le vêtement de Jésus. Ensuite une parole, même une parole tout intérieure et toute secrète, un désir fort. Enfin : un temps réservé pour cette prière ; cette femme a dû quitter sa maison et sa famille et son ménage, et se faufiler dans la foule, et s'approcher de Jésus. Un temps pour Dieu.

Cette femme anonyme dans la foule était tout orientée vers Dieu. Personne dans la foule ne pouvait s'en douter. Elle était un pur désir. Et ce désir était connu de Dieu. Jésus n'a rien demandé à cette femme après sa guérison, ni avant; il aurait pu lui demander de faire de grandes neuvaines et de grands pèlerinages. Et il est sûr que cette femme aurait accepté n'importe quoi si c'était Jésus qui le lui demandait. Elle était prête à tout. Il arrive que le ciel demande de grandes prières et de grands pèlerinages. La prière, c'est cela aussi : cette femme était prête à se remettre entre les mains de Dieu ; elle a fait tout ce qui était en son pouvoir, et elle a franchi l'abîme. Et son désir et son soupir étaient eux-mêmes une réponse à une inspiration de l'Esprit Saint. (Avec Théodule Rey-Mermet, Jean-Yves Calvez, AvS, HuvB).

 

1er juillet 2012 - 13e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 5,21-43

Nous sommes au bord du lac de Tibériade, dans le Nord de la Palestine. Un chef de synagogue demande à Jésus d'aller guérir sa fille âgée de douze ans. Jésus fréquentait régulièrement les synagogues le jour du sabbat, et un certain nombre de chefs de synagogue lui étaient favorables. On demande à Jésus un service (si on peut dire), et aussitôt Jésus part avec ce chef de synagogue qui s'appelait Jaïre.

Il y avait beaucoup de monde autour de Jésus. La foule l'écrasait, dit l'évangile. Et dans cette foule, il y a cette femme qui supplie Jésus sans rien dire, qui touche seulement le bord du manteau de Jésus et elle est guérie. On dirait que Jésus guérit cette femme sans le vouloir. Mais il a senti qu'une force était sortie de lui. Il s'arrête et il cherche dans la foule : "Qui a touché mes vêtements ?" Et la femme qui a été guérie raconte ce qu'elle a fait avec tout son désir et toute sa foi. "Va en paix", lui dit Jésus.

Et c'est alors que des gens viennent dire à Jaïre : Ta fille est morte, ce n'est plus la peine de déranger Jésus, il est trop tard. Non, il n'est pas trop tard, dit Jésus à Jaïre ; aie confiance. Jésus arrive à la maison où tout le monde pleure. Jésus s'approche de la fille et il lui dit simplement : "Lève-toi !' Et la fille se lève comme si de rien n'était et Jésus dit à sa mère de lui donner à manger. L'évangéliste tourne la page. Et Jésus s'en va ailleurs.

Une femme est guérie parce qu'elle a touché le manteau de Jésus avec toute sa foi et tout son désir. Une fille de douze ans revient de la mort parce que son père a été chercher Jésus sur les routes. La prière vient de l'amour. La foi est un mystère qu'on peut utiliser à l'infini. Le chef de synagogue dont la fille était malade, la femme anonyme dans la foule savaient intuitivement qu'on pouvait tout demander à Jésus. Et ils ont osé. Ils ont osé parce que leur foi était pleine d'amour. Par l'amour, la foi devient une confiance, elle devient un mouvement vers quelqu'un, elle devient un don de soi.

Sainte Marguerite-Marie avait reçu des révélations de Jésus. Un jour, dans sa prière, elle a dit à Jésus : "Je ne suis pas digne de toutes ces révélations, tu n'aurais pas dû me choisir, je me sens si pauvre !" Et Jésus aurait répondu à Marguerite-Marie : "Si j'en avais trouvé une plus pauvre que toi, c'est elle que j'aurais choisie". Le chef de la synagogue, la femme dans la foule n'ont pas réfléchi à leur indignité. Ils ont fait et ils ont dit ce que leur inspirait leur foi amante. La dignité ou l'indignité, on n'a pas à s'en inquiéter. Va où te pousse le vent de l'Esprit.

Quand le cœur est troublé, Dieu ne parle pas. Pour calmer le cœur, il suffit d'avoir la foi aimante. Celui qui vit dans la foi aimante a le cœur calme, il peut entendre la voix de Dieu et la comprendre. C'est ce qu'ont fait les deux personnages de notre évangile d'aujourd'hui. C'est quoi l'amour ? C'est quand des hommes sont capables de se parler sans méfiance. Avec Dieu, c'est la même chose. Jaïre et la femme de l'évangile étaient sans méfiance. Ils ont osé, ils ont reçu.

Mais quand on n'est pas exaucé, qu'est-ce qu'il faut faire ? En toute vie, il y a la traversée, plus ou moins longue, de la région du désespoir. Alors la foi aimante, c'est une décision contre le désespoir, c'est un élan vers la vie plutôt que la résignation à la mort. Un philosophe de notre temps raconte ceci : Je connais une petite fille. A quatre ans, elle arrive chez vous. Au lieu de dire : "Bonjour", elle dit : "Je t'aime". Elle ne dit pas : "Je t'aime beaucoup", elle dit simplement : "Je t'aime"... Il y a quelques jours, cette petite Pauline de lumière me disait cette chose immense : "Je sens Dieu". Cela n'empêchera sans doute pas que cette petite Pauline de lumière connaîtra, elle aussi, un jour, la traversée plus ou moins longue de la région du désespoir, une région où elle fera tout ce qu'elle pourra pour toucher le manteau de Jésus.

Terminer avec Pascal et sa prière pour le bon usage des maladies : "Seigneur, je ne trouve rien en moi qui puisse vous agréer, rien sauf mes douleurs qui ont quelque ressemblance avec les vôtres. Entrez dans mon cœur et dans mon âme pour y porter mes souffrances, et pour continuer d'endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre Passion, afin qu'étant plein de vous, ce ne soit plus moi qui vive et souffre mais que ce soit vous qui viviez et souffriez en moi, ô mon Sauveur". (Avec Joseph Pieper, Guy Coq, Pascal, AvS).

 

28 juin 2015 - 13e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 5,21-43

A l'entrée d'une ville avec une synagogue Jésus est accueilli par une grande foule qui l'attendait. Tout le monde veut le voir, le toucher, l'entendre. C'est la cohue. Autour de Jésus, ses apôtres forment comme ils peuvent un certain cordon de sécurité devant derrière, à droite, à gauche. Tout d'un coup une grande voix dans la foule : "Laissez passer, laissez passer !" C'est une voix qu beaucoup reconnaissent, c'est le chef de la synagogue. Il arrive tant bien que mal auprès de Jésus : "Viens tout de suite, mon enfant est en train de mourir". Jésus : "Aie confiance, ta fille vivra". Allons-y".

On continue la marche comme on peut, le père marche à côté de Jésus, il pleure, Jésus le tient par la main. A un certain moment, Jésus se retourne brusquement, il scrute la foule : "Qui m'a touché ?" Personne ne répond, bien sûr. Jésus insiste : "Qui m'a touché ? Je répète : qui m'a touché pour obtenir un miracle ? J'ai senti un pouvoir miraculeux sortir de moi parce qu'un cœur le demandait avec foi. Quel est ce cœur ?"

Une femme d'environ quarante ans, qui voudrait bien s'éclipser, se jette aux pieds de Jésus : "C'est moi. J'étais malade. Ça fait douze ans que j'étais malade. Mon mari m'a abandonnée. Tout le monde me fuit. Personne n'a pu me guérir. Je suis vieille avant l'âge. Je n'ai plus de force. On m'a dit que tu es bon. Celui qui me l'a dit a été guéri par toi de la lèpre. Pardon : J'ai pensé que si je te touchais, je serai guérie. J'ai à peine effleuré ton vêtement et je suis guérie. Béni sois-tu ! Au moment où j'ai touché ton vêtement, mon mal s'est arrêté. Je suis redevenue comme toutes les femmes. Je ne serai plus évitée par tout le monde. Mon mari, mes enfants pourront rester avec moi, je pourrai les caresser. Merci bon Maître. Sois béni éternellement".

Jésus la regarde et lui sourit : "Va en paix. Sois guérie définitivement. Sois bonne et heureuse. Va en paix !" On peut demander aujourd'hui au Seigneur Jésus de bien vouloir nous faire le don de la même confiance que cette femme perdue dans la foule.

Aujourd'hui beaucoup de gens croient à tout et à n'importe quoi, pourvu que ce ne soit pas la foi chrétienne et Dieu et le Seigneur Jésus et l'évangile. On croit à la magie blanche et à la magie noire, on fait confiance aux paroles des voyantes et des cartomanciennes, on croit en la vertu des pierres et des couleurs, on croit aux influences telluriques et aux ondes négatives, on croit à l'astrologie et aux voyages astraux, on peut tout croire sauf au Dieu de Jésus Christ.

Et le système médiatique n'arrange pas les choses. Un grand historien français contemporain, un vrai croyant, dans l'un de ses livres qu'il a curieusement intitulé "Brève histoire de Dieu", livrait ses réflexions sur les médias. Il disait : "Le système médiatique est puissant mais sélectif, et les programmes sur lesquels il fonctionne ne lui permettent pas de traiter une information en profondeur quand elle se rapporte à l'essentiel. Je m'en suis jadis étonné. Inutilement. C'est un trait avec lequel il faut apprendre à vivre comme, l'âge venu, avec ses rhumatismes".

Aujourd'hui on peut tout croire sauf en Dieu et en l'incarnation du Fils de de Dieu. Le monde moderne se constitue comme une société sans Dieu, sans le Seigneur Jésus. En réalité cette société n'est pas sans Dieu parce que, si Jésus est Dieu, s'il est le Verbe créateur et rédempteur de toutes choses, il faut dire avec saint Jean que rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. Le monde moderne prétend se constituer sans Dieu et sans le Seigneur Jésus et sans rédempteur, c'est du moins son hypothèse de travail. Et pourtant ce monde sans Dieu, c'est exactement le monde où entre le Seigneur Jésus, entre autres par l'eucharistie. Mais il est vrai que la présence eucharistique de Jésus n'est pas très communicative. On peut dire que le Seigneur Jésus s'y présente sous une forme assez silencieuse. Et pourtant, dans ce silence, c'est la communion même.

L’évangile d'aujourd'hui nous rapporte deux miracles de Jésus. Il y a deux mille ans, Jésus en a fait bien d'autres, mais tout le monde n'a pas été convaincu pour autant. Aujourd'hui aussi il y a des miracles. Mais le miracle n'amène à la foi que ceux qui sont déjà sur le chemin de la foi. Pour ceux qui n'ont pas d'humilité, le miracle les porte à blasphémer. La foi n'est pas possible sans une certaine humilité. La vocation fondamentale de tout être humain est de vivre en communion avec Dieu, et mieux vaut le savoir, et le plus vite possible.

Le Seigneur Jésus a, pour l’humanité qu'il a sauvée, l'amour de l'époux pour son épouse. Le Seigneur Jésus a pour tout être humain la compassion qu'il avait pour cet homme qui pleurait la mort de sa fille de douze ans, la compassion qu'il avait pour cette femme perdue dans la foule et qui n'avait même rien osé lui demander. (Avec Pierre Chaunu, Fabrice Hadjadj, Jean-Noël Bezançon, AvS, HUvB).

 

27 juin 2010 - 13e dimanche du temps ordinaireAnnée C

Evangile selon saint Luc 9, 51-62

C'est un évangile assez morcelé qu'on a aujourd'hui : quatre petites scènes vite expédiées. D'abord Jacques et Jean qui voudraient faire tomber la foudre sur un village qui ne veut pas recevoir Jésus et ses disciples. On ne veut pas les recevoir pour passer la nuit, ils veulent se venger. Il est dit ailleurs dans l'Écriture qu'il faut laisser à Dieu la vengeance. Et Jésus nous invite à prier pour ceux qui ne nous font pas bon accueil, pour ceux qui nous font du mal.

Deuxième petite scène : un homme se présente à Jésus, il se déclare prêt à le suivre partout. Jésus n'est pas contre, mais en deux mots il lui dit ce qui l'attend : Tu veux me suivre ? Sache que je n'ai pas d'endroit où reposer la tête, je n'ai pas d'épaule où reposer ma tête. Et si tu veux me suivre, ce sera la même chose pour toi. Tu es prêt ?

Troisième petite scène : Jésus a l'initiative, il dit à quelqu'un : Viens avec moi. L'autre répond : Attends une minute. Je dois aller enterrer mon père. Et Jésus lui fait alors une réflexion étrange pour dire au fond que l'appel de Dieu est plus important que tout. Faut laisser tomber tout le reste.

Quatrième petite scène : quelqu'un se présente spontanément à Jésus pour devenir son disciple. Jésus passait peut-être devant la maison de cet homme. Et cet homme dit à Jésus : Attends une minute, que je dise adieu aux gens de ma maison. Et là aussi Jésus lui fait comprendre que Dieu est pressé, il demande tout, tout de suite.

Voilà donc cet évangile découpé en quatre petites scènes ; à chaque fois Jésus intervient d'une manière qu'on n'attendait pas : il réprimande Jacques et Jean, il n'a pas d'endroit où reposer la tête, "Ne t'occupe pas des morts", "Ne regarde pas en arrière". Ce sont des paroles pour nous. Il ne faut pas les prendre toutes au pied de la lettre.

Après sa faute, Adam est cherché par Dieu. Dieu lance son appel dans le jardin du paradis : "Adam, où es-tu ?" Il ne serait pas venu à l'esprit d'Adam d'entamer une conversation avec son Créateur après le péché qu'il a commis. Mais son Créateur se soucie de lui, son Créateur le cherche parce que son Créateur aime sa créature. Toute conversation avec Dieu, toute prière, est enveloppée dans l'amour de Dieu, elle est une suite de l'amour. Et les quatre petites scènes de l'évangile d'aujourd'hui, il faut les comprendre aussi comme enveloppées d'amour. - Il ne faut pas vouloir se venger en faisant tomber le feu du ciel sur le village ! - Jésus n'a pas d'endroit où reposer sa tête, mais il sait que le Père est toujours avec lui. Il dit : "Le Père m'aime et je fais toujours ce qui lui plaît". - "Laisse les morts enterrer leurs morts". Mais quand Lazare son ami, est mort, Jésus va le ressusciter pour quelques années de vie en plus sur cette terre, pour la joie de le revoir ici-bas, pour la joie de ses deux sœurs et la joie de ses connaissances et pour sa propre joie sans doute.

"La foi n'est pas coutume" : c'est le titre d'un livre récent où un prêtre essaie de dire sa foi, un prêtre qui a fait beaucoup de choses dans sa vie, qui a exercé un certain nombre de responsabilités. Et quelque part dans ce livre, il écrit ceci (on n'est pas obligé d'y adhérer absolument) : "L’Église n'a d'autre ambition que de servir l'humanité dans chaque homme pour qu'il garde, au milieu des sollicitations de l'instinct, la liberté de l'esprit". L’Église essaie de continuer à faire ce que faisait Jésus dans l'évangile d'aujourd'hui, Jésus qui appelait les hommes à un plus. L'homme a des réactions spontanées, instinctives, comme dans notre évangile, l'homme a des instincts. L’Église n'a d'autre ambition que d'aider l'homme à aller au-delà de ses réactions spontanées si elles ne sont pas dans le sens de Dieu.

Quatre petites scènes dans l'évangile d'aujourd'hui. Jésus nous y décrit ce que peut être une foi parfaite : c'est l'abandon de ses propres vues pour se mettre à la disposition de Dieu. Si quelqu'un y arrive, c'est la sainteté. Le saint, c'est celui qui a surmonté ses résistances à l'Esprit Saint qui lui est donné. (Avec Hyacinthe-Marie Houard, AvS, HuvB).

 

30 juin 2013 - 13e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 9,51-62

Deux parties dans cet évangile d'aujourd'hui. D'abord Jésus n'est pas accueilli dans un bourg de Samarie. Et puis trois hommes devant une vocation à suivre Jésus.

Pour aller de la Galilée à Jérusalem, le plus court, c'est de passer par la Samarie. Jésus envoie en avant quelques-uns de ses apôtres pour voir où ils pourront passer la nuit dans une petite ville parce que, en plus des apôtres, il y a aussi un groupe de femmes disciples qui accompagne Jésus.

Les émissaires de Jésus sont mal reçus dans la ville quand on apprend qu'ils vont en pèlerinage à Jérusalem. Et même ils doivent s'enfuir parce qu'on les chasse à coups de pierres comme des chiens. Quand Jésus arrive avec ses autres apôtres et le groupe des femmes, ils attendent la tombée de la nuit pour contourner la ville : il ne faut même pas qu'on les voit. C'est une femme de cette ville qui a proposé aux apôtres de leur servir de guide pour se rendre dans un village des environs où elle sait que Jésus et les siens seront bien reçus.

Et alors c'est tout en marchant que Jacques et Jean, les deux frères, disent à Jésus : "Maître, si toi, à cause de la perfection de ton amour, tu ne veux pas recourir au châtiment, veux-tu que nous le fassions ? Veux-tu que nous disions au feu du ciel de descendre et de consumer ces pécheurs ? Tu nous as dit que nous pouvions obtenir tout ce que nous demandons avec foi". Jésus, qui marchait un peu penché, comme s'il était fatigué, se redresse brusquement et foudroie du regard Jacques et Jean. Et il leur dit : "Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. Le Fils n'est pas venu pour perdre les âmes mais pour les sauver. Rappelez-vous la parabole de l'ivraie. Pour l'instant laissez pousser ensemble l'ivraie et le bon grain, car à vouloir les séparer maintenant vous risqueriez d'arracher le bon grain avec l'ivraie". Et on continue la route. Jacques et jean marchent maintenant la tête basse. Mais Jésus les prend par le coude, l'un à droite, l'autre à gauche, en continuant à marcher.

Finalement, Jacques et Jean seront exaucés. A la Pentecôte, le feu du ciel va bien tomber. Il ne va pas tomber sur les Samaritains pour les démolir, il va tomber sur Jacques et Jean et les autres apôtres pour chasser leur peur.

L'Esprit Saint va aussi leur donner une compréhension plus grande du Seigneur Jésus, il va leur donner l'intelligence de la plénitude de Dieu. Et, à ce moment-là, la Mère de Jésus sera aussi avec eux. Elle, elle sait depuis longtemps qu'elle doit être prête à toute venue de l'Esprit. Marie sait en même temps qu'elle ne peut plus échapper à l'exigence croissante de l'Esprit. Son oui à Dieu consiste à laisser l'Esprit Saint agir en elle. Et l'Esprit Saint lui a apporté Jésus et la croix. Elle remet toujours tout au Père, c'est le Père déjà qui lui a envoyé son ange.

Jacques et Jean croyaient bien faire en proposant à Jésus de faire descendre le feu du ciel sur cette bourgade qui ne voulait pas les recevoir. Jacques et Jean doivent apprendre l'obéissance. Ils sont tout prêts d'ailleurs à obéir, puisqu'ils demandent à Jésus la permission de faire descendre le feu du ciel sur cette bourgade. Mais quand Jacques et Jean ont reçu la réprimande de Jésus, ils continuent à marcher tête basse.

Mère Teresa aussi parle quelquefois de l'obéissance et elle n'y va pas par quatre chemins. Je vous la lis quand même : "L'obéissance est difficile, mais c'est de là que vient l'amour. Il y a tant de familles brisées parce qu'une femme n'obéit pas à son mari ou parce qu'un mari n'obéit pas à sa femme". Là, Mère Teresa respecte la parité : l'obéissance, il y en a pour tout le monde.

Et puis, dans l'évangile d'aujourd'hui, il est question de trois hommes en face de leur vocation à suivre Jésus. Jésus ne les berce pas d'illusions : "Le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer la tête. Laisse les morts enterrer leurs morts. Quand on a mis la main à la charrue, il ne faut plus regarder en arrière". Un prêtre de notre temps, directeur dans un séminaire diocésain, disait : "Le bonheur de vivre est un critère sûr de la vérité de l'appel".

"Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu". Pas seulement dans un bourg de Samarie. Le monde a été créé par lui et les siens ne l'ont pas reçu. Saint Paul nous dit aussi que c'est par Jésus Christ que tout existe et que c'est par lui que nous sommes (1 Co 8,6). Et tout aussi a été créé pour lui. Alors si le monde est ainsi suspendu à Dieu - Dieu qui est sa source et sa fin - n'est-il pas étonnant que Dieu ne soit pas reconnu ? N'est-il pas étrange que ce monde, qui est fait pour connaître son auteur, le méconnaisse ?

Il doit donc y avoir chez l'homme une profonde incapacité à répondre à l'appel. Et le Seigneur Jésus est venu justement pour nous montrer où sont les obstacles, par exemple dans l'évangile d'aujourd'hui, et aussi dans tout l'évangile, et dans tout le Nouveau Testament, et dans toute la révélation chrétienne. (Avec Fiches dominicales, Mère Teresa, Philippe Ferlay, AvS, HUvB).
 

26 juin 2016 - 13e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 9,51-62

Voilà un évangile avec quelques paroles rudes : d'abord des paroles de Jacques et Jean, puis des paroles de Jésus. On ne veut pas recevoir Jésus et les siens dans un village de Samarie ? Les apôtres Jacques et Jean se croient capables de faire descendre le feu du ciel sur ce village. C'est peut-être pour cela qu'on a appelé Jacques et Jean les fils du tonnerre. Des siècles et des siècles auparavant, il est arrivé à un prophète de faire descendre le feu du ciel sur les ennemis de Dieu. Quand Jacques et Jean proposent à Jésus d'en faire autant pour ce village de Samarie, Jésus leur fait la leçon : on n'est plus au temps des barbares. Laissez à Dieu le soin de s'occuper de ces gens. Et vous, priez plutôt pour eux.

Et puis après cette histoire de Jacques et Jean, l'évangéliste a retenu trois petites paroles de Jésus à trois interlocuteurs différents. - Il y a un homme qui se présente à Jésus pour être son disciple. Jésus lui répond au fond : Est-ce que tu sais bien à quoi tu t'exposes ? Tu veux me suivre partout ? Il faut que tu saches que je n'ai pas d'endroit où reposer la tête.  - Pour un autre homme, c'est Jésus qui prend l'initiative. Il lui dit : "Viens avec moi. Suis-moi". L'homme interpellé demande de pouvoir d'abord enterrer son père. Et la réponse de Jésus n'est sans doute pas à prendre au pied de la lettre : "Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu". C'est le style violent des orientaux : Si ta main te scandalise, coupe-la ; si ton œil te scandalise, arrache-le. Ton père est mort ? Laisse les morts enterrer les morts. - Et puis voilà un troisième homme qui veut se mettre à la suite de Jésus. "Mais laisse-moi d'abord faire mes adieux aux gens de ma famille". La réponse de Jésus est encore une fois assez verte : "Quand on a mis la main à la charrue, il ne faut plus regarder en arrière".

Tout croyant a reçu un appel de Dieu. On n'a jamais fini de comprendre la parole de Dieu. L'Esprit Saint se met à la disposition du croyant pour que le croyant garde vivant en lui l'appel qu'il a reçu de Dieu, pour que chaque jour il puisse percevoir en son cœur de manière renouvelée la parole qu'il a un jour entendue.

"Je suis venu évangéliser les pauvres", dit Jésus ailleurs.  Ce qui veut dire : j'ai la réponse à votre question fondamentale ; je vous montre le chemin de la vie, le chemin du bonheur ; je suis moi-même ce chemin. "Je suis venu évangéliser les pauvres". La pauvreté la plus profonde, c'est le dégoût de la vie, c'est de trouver que la vie est absurde. Cette pauvreté est aujourd'hui très répandue : Quel est le sens de la vie ? La vie n'a pas de sens !

Une femme de notre temps, une protestante, qui réfléchit beaucoup sur la foi chrétienne écrit quelque part : "La mort d'un proche nous introduit dans le royaume de l'intériorité où tout se met à nous parler". Cette femme avait perdu un fils dans des circonstances pénibles. - En face de la peine de cette croyante, il y a l'incroyant d'aujourd'hui qui écrit de son côté dans un livre qu'il a intitulé La joie et la mort : "Ma certitude est que les dieux, y compris le Dieu des trois religions du Livre (judaïsme, christianisme, islam), sont une invention des hommes".

Nous sommes lancés dans l'existence, nous sommes "embarqués" sans l'avoir voulu, dit le croyant. Dieu est notre source, il nous environne. Si Dieu est Dieu, ce n'est pas notre cerveau qui pourrait le saisir, le comprendre, l'englober. C'est l'inverse. Dieu seul parle bien de Dieu. Par sa Révélation, nous apprenons que, nous ayant lancés dans l'existence, il nous y rejoint par le Seigneur Jésus. "Dieu n'est pas venu supprimer la souffrance, disait Claudel, il n'est pas venu l'expliquer, il est venu la remplir de sa présence". L'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, disait : "Dieu s'est fait petit pour que l'homme devienne grand" (Tertullien).

La mort est la grande énigme de l'existence humaine. Tout ce qu'on avait construit durant de longues années, tout ce qui est beau dans l'existence humaine, semble s'envoler en fumée en l'espace d'un instant. Et voici qu'au cœur de al foi chrétienne, nous trouvons la croix, symbole d'une mort violente. Mais depuis toujours, la mort n'est justement pas au centre de l’Évangile. La foi commence par l'annonce d'une vie plus puissante que la mort : "Il est ressuscité !" C'est à la lumière de la résurrection que la mort prend sa place dans la prédication chrétienne. Contemplée dans cette lumière, la croix change de signe. Sans la confiance dans une vie au-delà de la mort, les humains restent paralysés par la peur, transis au bord d'un gouffre qu'ils n'osent pas regarder en face... Le chemin vers la vie passe inévitablement par un lâcher-prise afin d'aller avec Dieu vers l'inespéré qui se trouve en avant de nous... La croix du Christ et sa résurrection sont les deux faces d'un même amour, la face sombre et la face lumineuse d'une seule et même vie. (Avec Cardinal Ratzinger, Alfred Grosser, René Lecompte, Paul Claudel, Tertullien, Taizé, AvS).

 

3 juillet 2011 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 11,25-30

Nous retrouvons aujourd'hui l'évangile de saint Matthieu que nous lirons pendant les mois qui viennent jusqu'à la fin de l'année liturgique. Notre évangile commence par une prière de Jésus. Et cette prière de Jésus nous révèle quelque chose sur lui-même. En priant le Père à haute voix, Jésus nous révèle quelque chose de son mystère. Cette prière de Jésus nous révèle la conscience claire qu'il avait d'avoir des relations uniques avec le Père. Pour les disciples, sur le moment, ces paroles sont restées très mystérieuses. "Personne ne connaît le Fils si ce n'est le Père".

Les apôtres vivaient constamment avec Jésus depuis un certain temps. Comment peut-il dire que personne ne le connaît si ce n'est le Père, le Dieu invisible et tout-puissant ? L'évangile ne nous dit pas ici que les apôtres ont posé des questions à Jésus à ce sujet. Par exemple : "Qu'est-ce que tu veux dire par là ? On te connaît bien. On voit bien tous les miracles que tu fais. Comme tout le monde, on est sûr que tu es un prophète de Dieu, un ami de Dieu". Et dans quelque temps, saint Pierre dira même à Jésus que tous les apôtres pensent qu’il est le Messie.

Et Jésus ajoute aujourd'hui : "Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils". C'est-à-dire personne ne connaît Dieu en vérité, si ce n'est Jésus. Les adversaires de Jésus qui auraient entendu ces paroles auraient crié tout de suite : "Quelle prétention inouïe ! Toi qui n'es qu'un homme, tu te fais l'égal de Dieu !" Jésus ne dit pas directement qu'il est Dieu, mais c'est tout comme. Un jour les chefs juifs ont envoyé des gardes pour arrêter Jésus. Et les gardes sont revenus auprès de leurs chefs sans Jésus. Alors on leur a demandé pourquoi ils n'avaient pas arrêté Jésus. Et les gardes ont répondu : "Jamais un homme n'a parlé comme cet homme". Ils étaient subjugués.

Tout au long des âges, Dieu se révèle, il révèle ses mystères. Par lui-même l'homme ne peut pas connaître Dieu en vérité. Pour que l'homme connaisse Dieu en vérité, il faut que Dieu se révèle lui-même. Toute la vie de Jésus, toute sa mission, c'est de préparer toute l'humanité à recevoir les mystères de Dieu et, par ces mystères de Dieu, comprendre le mystère de l'existence humaine. Et le mystère de Dieu, c'est une vie éternelle, c'est l'infini, c'est sa bienveillance et sa libre volonté. "Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau". Approchez-vous de Dieu, vous tous qui peinez sous le fardeau. Par la foi, Dieu nous fait le don de sa vue spirituelle des choses.

Tout homme est capable de recevoir Dieu. Mais l'homme aussi est capable de dire non à Dieu. Encore une fois, Dieu ne s'impose pas à l'homme. La foi se situe dans le registre de la liberté. Aujourd'hui Jésus met d'un côté les sages et les savants qui se ferment à Dieu, et de l'autre les petits qui se laissent instruire par Dieu. Les sages et les savants : Jésus ne parle pas ici des scientifiques. Parce qu'on peut être scientifique et avoir un cœur de pauvre, un cœur de mendiant de Dieu qui se laisse instruire par Dieu. De même qu'à l'inverse on peut être démuni de biens matériels et avoir un cœur qui pense être sage en fermant sa porte à Dieu.

La foi, c'est un effort constant pour purifier les images fausses qu'on peut avoir de Dieu. La foi chrétienne ne peut pas se résumer à faire le bien, ni à organiser la charité dans la société. Sans doute est-ce bien et juste et indispensable de le faire, mais la foi chrétienne ne peut pas se résumer à faire le bien. Le Père Guy Gilbert, le prêtre des loubards, vous connaissez ? Le matin, il prie avec la prière des heures, il lit l’Écriture. Et il note une petite phrase de l'évangile. Et cette petite phrase, il l'emporte dans sa mémoire pour la journée, il la rumine toute la journée, "comme on mâche un chewing gum", dit-il. Et le soir, dans un temps de prière, il repense à tous les visages de ceux et celles qu'il a rencontrés dans sa journée. Le Père Guy Gilbert, on peut dire qu'il "organise" la charité. Mais ce n'est pas tout. Il vient de Dieu, il vient de sa prière du matin. Et il retourne à Dieu dans sa prière du soir. Et tout au long du jour, il mâche son chewing gum pour ne pas quitter Dieu.

Guy Gilbert raconte comment il est devenu prêtre. Il était enfant, il dit un jour à son père : je veux être prêtre. Son père ne répond pas, il pensait que sans doute cette lubie allait lui passer. A treize ans, Guy Gilbert est très turbulent, il se fait virer de son école et aucun autre établissement ne voulait de lui. Un soir, sur le trottoir de Rochefort-sur-mer, son père s'arrête de marcher, il regarde son fils et il lui dit : "Je t'inscris au petit séminaire. Voilà au moins une école qui ne va pas te refuser". Et c'est parti comme ça. Guy Gilbert a quatorze frères et sœurs.

Dans l'évangile d'aujourd'hui on découvre que Jésus avait conscience d'avoir une relation unique avec le Père, le Dieu tout-puissant et éternel. Jésus avait conscience aussi du sens universel de sa mission : la réconciliation du monde avec Dieu. "Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés". (Avec Enzo Bianchi, Guy Gilbert, AvS, HUvB).

 

6 juillet 2014 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 11,25-30

L'évangéliste nous a gardé cette prière de Jésus. Jésus prie tout haut en présence de ses disciples. Pour parler à Dieu, Jésus l'appelle "Père". Et il ajoute : "Seigneur du ciel et de la terre". Nous ne sommes pas loin du Notre Père qui es aux cieux..., Seigneur du ciel et de la terre. Et Jésus commence par remercier le Père.

Jésus est venu apporter au monde une révélation du Père. Et ce qu'il constate, c'est que les sages et les savants de Jérusalem lui tournent le dos et ne veulent pas l'entendre. Et l'histoire continue : aujourd'hui encore, ce ne sont pas nécessairement ceux qui tiennent le haut du pavé qui sont les plus proches de Dieu. Mais Dieu se révèle aussi aux sages et aux savants, aux scientifiques et aux philosophes ; et certains d'entre eux se font tout petits pour recevoir de Dieu quelque chose qui les dépasse toujours infiniment.

Et Jésus ajoute quelque chose qui est absolument inadmissible pour les sages et les savants de Jérusalem : Jésus ose prétendre être le seul à connaître le Père. "Personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler". Et ce n'est pas un fardeau de connaître le Père, le Dieu invisible. C'est au contraire une libération.

Un historien de notre temps, un sage et un savant, a découvert vraiment la foi à l'âge de vingt-deux ans, alors qu'il était étudiant en histoire. Il ne dit pas qu'il a dû se faire tout petit pour rencontrer Dieu en vérité. Mais devenu célèbre dans sa spécialité, il dit quand même ceci : "Nous sommes devant Dieu comme l'enfant qui offre un cadeau à sa mère, pour rien, par gratitude, pour lui dire merci". Et il ajoute : "Nos actes devant Dieu sont ceux de serviteurs inutiles... Nous sommes toujours des mendiants de sa surabondance".

Et lui, l'historien patenté, il a scruté l’histoire du monde, il a essayé de comprendre aussi les dessous de notre histoire d'aujourd'hui. Et il nous dit : "Pour Dieu comme pour nous, le monde et la vie humaine sont des aventures à haut risque. Et ce risque, Dieu le partage avec nous. Il n'est responsable ni du mal ni de la mort. Sa victoire est notre victoire".

Il y a des risques dans l'histoire de l'humanité. Et notre historien constate ici qu'entre 1964 et 1969 (ce n'est pas si vieux que ça !), en Europe et en Amérique, deux cents millions d'hommes ont perdu tout savoir sur ce qui donne son sens à la vie. "Ils ont vraiment quitté toute espérance ou plutôt l'espérance les a abandonnés... Qu'en quatre ans la moitié des vivants ait perdu un savoir millénaire sur la mort constitue un événement sans précédent et sans équivalent". Pour lui, l'historien croyant, c'est une évolution à rebrousse-poil. "Deux cents millions d'âmes ont basculé dans le vide et le malheur".

Et pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est là que l'historien croyant constate que de 1958 à 1965 le discours de l’Église s'est vidé à peu près totalement de toute référence à l'au-delà et à tout contenu théologique. En fait, tout ne s'est pas passé en quelques années seulement, ce n'est pas en quelques années seulement que les gens ont oublié Dieu. Lui-même, notre historien croyant, relève que Voltaire ne rejetait pas Dieu, mais qu'il a enragé toute sa vie contre les chrétiens qui ne sont pas à la hauteur de leur mission.

Notre évangile d'aujourd'hui éclaire notre histoire d'aujourd'hui. Devant Dieu, les hommes sont toujours des tout-petits. Des tout-petits que Dieu respecte infiniment, des tout-petits à qui Dieu propose la vie véritable, mais qui peuvent lui tourner le dos pour aller chercher leur plaisir ailleurs. En tournant le dos à Dieu, ils pensent écarter de leur dos un fardeau. Et en fait ils quittent toute espérance, comme le dit notre historien croyant.

Celui qui va porter le plus lourd fardeau, c'est le Fils de Dieu lui-même. Le Père (invisible) va laisser son Fils souffrir injustement pour nous le donner en exemple : on peut souffrir injustement. La souffrance est une absurdité... Le Christ n'a pas offert ses souffrances à son Père, il lui a offert ce qu'il devenait dans ces souffrances : un être entièrement donné, livré. Celui qui est sans péché se charge de toutes les conséquences du péché.

C'est une histoire belge racontée par un Anglais (inventée par lui ?). Faut-il baptiser les enfants à leur naissance ou leur laisser le choix pour le jour où ils pourront choisir librement ? C'est une famille belge : les parents n'ont pas pu se décider à apprendre à leur fils le flamand ou le français, et donc ils ne lui apprennent aucune langue pour qu'il puisse être libre de choisir quand il sera grand. Et que va-t-il se passer quand il sera grand ?

Par suite de la venue sur terre du Fils de Dieu, par suite de l'Incarnation, l'humanité tout entière pénètre dans le rayonnement de la lumière d'en-haut qui éclaire tout homme. Par le Seigneur Jésus, le règne de Dieu sur terre est en train d'arriver. A tous ceux qui acceptent son message, même aux égarés, il ouvre l'accès à Dieu comme à un Père aimant. (Avec Pierre Chaunu, Alexandre Men, Ambroise-Marie Carré, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

5 juillet 2009 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6, 1-6

"Jésus est parti pour son pays". Son "pays", c'est Nazareth, la ville ou le village où il a vécu toute son enfance et sa jeunesse. Tout le monde connaît Jésus à Nazareth. On le connaît depuis toujours. Il est charpentier.

Comme tout juif pieux et instruit, Jésus peut commenter l’Écriture lors de l'office du sabbat à la synagogue. C'est la première fois peut-être qu'il le fait après avoir été absent pendant un certain temps. Et les gens de Nazareth sont étonnés de la manière de parler de Jésus. Ils ne savaient pas que ce charpentier était capable de parler comme ça des choses de Dieu, de commenter comme ça l’Écriture. Où est-ce qu'il a appris tout ça ? D'où lui vient cette sagesse ?

Et puis on sait aussi que Jésus a fait des miracles dans la région. Il y en a qui pensent et qui disent que ça vient du diable. Jésus est étonné de leur manque de foi. Et Jésus en tire la leçon : "Un prophète n'est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison". Six siècles avant le Christ, le prophète Ézéchiel avait fait la même expérience. Et Dieu lui-même avait averti Ézéchiel que tout le monde ne lui ferait pas bon accueil, même s'il parlait aux gens de la part de Dieu. Il y en a qui écouteront et d'autres qui refuseront d'écouter.

Saint Paul a fait la même expérience : il est conscient de la force du message qu'il a reçu de Dieu, des révélations qu'il a reçues. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est prêt à l'entendre. Et le Seigneur Jésus fait comprendre à saint Paul que la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse.

Ézéchiel, Jésus, Paul : il y a une constante dans la révélation de Dieu : d'un côté, il y a la puissance de Dieu ; de l'autre, il y a la faiblesse des messagers, et même de Jésus. Même Jésus ne peut pas forcer les gens à croire. Il y a une puissance de Dieu et il y a une humilité de Dieu. En Dieu même il y a aussi puissance et humilité.

Saint Pierre, dans sa deuxième Lettre, commence par une salutation à l'adresse de ses destinataires et il leur dit : "Que la grâce et la paix vous viennent en abondance par la connaissance de Dieu et de Jésus, notre Seigneur". Saint Pierre n'a pas besoin ici de parler de l'Esprit Saint. C'est l'Esprit Saint qui inspire cette deuxième Lettre. Et de lui-même, l'Esprit Saint se tient comme en retrait pour diriger toute l'attention sur le Père et sur le Fils. On peut être rempli de l'Esprit Saint sans parler de l'Esprit. Saint Pierre s'efforce de transmettre ce que l'Esprit lui inspire. Là où l’Église remplit son ministère dans la prière et l'humilité, elle est unie à l'Esprit.

Parmi tous les gens qui écoutent le Seigneur Jésus à Nazareth, qui écoutent le prophète Ézéchiel, qui écoutent saint Paul, qui écoutent l’Église, il y a des gens dont l'Esprit Saint a ouvert le cœur et l'intelligence pour entendre et comprendre les paroles de Dieu, et il y a des gens dont le cœur et l'intelligence retent bouchés. Pourquoi ?

Qu'est-ce que c'est que la foi ? La foi, c'est laisser Dieu être Dieu. La foi, c'est se laisser entraîner dans le monde de Dieu, au-delà de ce monde-ci. La foi, c'est faire ce que faisait Jésus : être tourné constamment vers le Père invisible. Jésus a toujours conscience qu'il est venu au nom du Père ; Jésus ne compte pas sur lui-même mais sur cet Autre qui est invisible. Sa doctrine à lui, Jésus, n'est pas de lui, elle est du Père. Il attend tout du Père. Il ne vit que tourné vers le Père. "Père, entre tes mains, je remets mon esprit". Jésus nous montre ce que c'est que croire : vivre par un Autre, être par un Autre. Croire, c'est admettre qu'il y a en l'homme une dimension qui dépasse l'expérience quotidienne. Croire, c'est croire en quelqu'un qui est esprit, quelqu'un qu'on adore en esprit et vérité, au-delà de l'expérience ordinaire. Croire, c'est laisser Dieu être Dieu... Il y en a qui acceptent, il y en a qui refusent... Mais Dieu ne capitule pas devant l'homme qui ne veut pas le laisser être Dieu. Dieu ne capitule pas, il attend son heure.

Le christianisme, c'est d'abord un don de Dieu aux hommes. Et parce que Dieu n'est pas un donateur mesquin, c'est le don le plus merveilleux qu'on puisse imaginer : "Voici que je vous annonce une grande joie". La seule attitude critique valable de celui à qui on offre ce don, c'est l'attitude d'un cœur comblé qui s'empresse de dire merci. Le don de Dieu, c'est Dieu lui-même et, pour recevoir ce don, on doit se faire soi-même tout entier oui, merci et accueil. (Avec Fiches dominicales, Aimé Becker, Jean-Yves Calvez, AvS, HUvB).

 

8 juillet 2012 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6,1-6

Jésus est parti pour son pays, comme dit l'évangile. Son "pays", c'est Nazareth où il a vécu toute sa jeunesse jusqu'à trente ans environ. Comme tout bon Juif, Jésus va à la synagogue le jour du sabbat. A la synagogue, il y a des prières, il y a des lectures de l’Écriture et un commentaire de l’Écriture. Et il arrive qu'on demande à Jésus de prendre la parole. Puisqu'il l'a fait ailleurs dans d'autres synagogues, pourquoi ne le ferait-il pas dans sa ville de Nazareth ?

Le problème, c'est qu'on connaît trop bien Jésus. Il était charpentier, il était connu de tout le monde. Il avait appris le métier avec Joseph que tout le monde considérait comme son père. Vers l'âge de trente ans, Jésus avait quitté sa ville et son métier. Et il s'était mis à parcourir toute la contrée; quelques disciples le suivaient dans tous ses déplacements ; il donnait souvent des enseignements dans les synagogues et aussi en plein air, et les gens étaient frappés par son enseignement. Mais ils étaient encore beaucoup plus frappés par les miracles que Jésus opérait, un tas de guérisons. Et puis Jésus chassait les démons qui s'enfuyaient parfois en poussant de grands cris.

Alors à Nazareth, on se posait des questions. Comment se fait-il que ce charpentier puisse faire tous ces miracles ? Et puis ces enseignements qu'il donne dans les synagogues et qui étonnent les gens ! Où est-ce qu'il a appris tout ça ? Alors, comme toujours, il y en a qui sont pour et il y en a qui sont contre. Il y en a qui disent : il a perdu la tête. Et Jésus leur répond : Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie... Nul n'est prophète en son pays.

Le royaume de Dieu, la Parole de Dieu, la foi, c'est la plus petite de toutes les semences. On peut la négliger, la fouler aux pieds, s'en moquer, ne pas la remarquer. Pendant trente ans de sa vie à Nazareth, Jésus n'avait sans doute rien fait de remarquable. Il était charpentier et il ne faisait pas de bruit. La foi, c'est la plus petite de toutes les semences, mais elle est appelée à devenir un grand arbre. Plus d'une fois au cours de sa vie publique, Jésus repassera dans sa ville de Nazareth. Tout n'est pas perdu. C'est décevant pour lui, sans doute, qu'on l'y reçoive si mal. Mais il sait qu'aucun des hommes que le Père lui a donné ne doit se perdre. Et surtout il doit les ressusciter au dernier jour : c'est cela la grande volonté du Père.

Pourquoi vous êtes croyants, vous ? Et pas votre voisin ? Saint Paul n'était pas croyant. Et le Seigneur Jésus a été le chercher d'une manière fulgurante sur le chemin de Damas. Il est rare qu'une conversion se réalise comme ça. Et après cette conversion, saint Paul nous dit aujourd'hui qu'il a reçu du ciel beaucoup d'autres révélations. Et malgré cela, malgré toutes ses certitudes concernant la foi, saint Paul se sent tout petit et tout faible.

La foi chrétienne inclut normalement un processus continu d'approfondissement. Jésus, ce n'est pas saint Paul. Jésus n'est pas un homme qui aurait été saisi à l'improviste par le monde de Dieu, ou bien quelqu'un qui aurait acquis péniblement une illumination. Avec le recul du temps et après la résurrection der Jésus, nous savons qu'en lui, c'est la Source même de la vie qui est venue à notre rencontre. Mais à Nazareth, quand Jésus passait dans sa ville, c'était inimaginable. Et aujourd'hui, dans notre société, quels sont les obstacles à l'accueil de la lumière de Dieu ?

Un chrétien de notre temps, philosophe de profession, nous dit ceci : "Nous sommes très nombreux à avoir sombré dans l'illusion de connaître trop bien la Bonne Nouvelle". Et ce philosophe, qui a connu au cours de sa vie une période d'effacement de la foi, continue : "On n'a jamais fini de chercher Dieu. Et le croyant est soumis plus que tout autre à l'exigence de la recherche". Et en même temps il faut ajouter que la connaissance de Dieu, la connaissance du Seigneur Jésus comme Fils de Dieu, ne s'apprend pas par l'étude, ni par la recherche scientifique. Connaître vraiment le Seigneur Jésus est un don de Dieu, un don de la grâce qui échappe à toute raison humaine. C'est Dieu qui l'accorde et qui révèle qui est Jésus en vérité.

Ce n'est pas par nécessité ni par besoin que Dieu a créé le monde. Dieu voulait simplement que l'homme participe aussi à sa joie éternelle. Et alors Dieu se réjouit de chaque être humain qui se tourne vers lui. L'existence terrestre du Seigneur Jésus a pour but d'aider l'homme à aller jusqu'à Dieu. Et l’Église, dans ce qu'elle a de meilleur, essaie simplement de transmettre à l'humanité le trésor de Dieu qui lui a été confié (Avec Frère John, Guy Coq, Cardinal Schönborn, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

5 juillet 2015 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6,1-6

Dans ses déplacements de prédicateur itinérant, Jésus repasse un jour dans son pays, comme dit l'évangile ; son pays, c'est Nazareth, là où il a passé toute sa jeunesse. A Nazareth, on est au courant des miracles que Jésus opère un peu partout, et voilà que Jésus revient au pays. Le jour du sabbat, Jésus va à la synagogue comme tout bon Juif. Et là, on l'invite à faire la lecture de l’Écriture, puis à la commenter. Et tous les gens qui sont là sont frappés d'étonnement. On se pose des questions. D'où cela lui vient-il ?

On connaît bien Jésus. Les voisins sont toujours mieux informés qu'on ne le pense. On connaît bien la famille de Jésus et les biens dont ils disposent. Ce ne sont pas des riches. Et voilà que les gens de Nazareth sont frappés par la sagesse qui se dégage de l'enseignement de Jésus. Et ils se mettent à réfléchir. Jésus n'est que le fils du charpentier. Tout charpentier a bien sûr une certaine dose de sagesse. Mais il y a quand même un saut incroyable entre la sagesse du charpentier et ce que les gens viennent d'entendre. Les miracles dont on parle dans le pays et son enseignement ne correspondent pas à ce qu'on peut attendre d'un charpentier. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Et puis on connaît bien toute sa famille : sa mère, Marie, et tous ses cousins et cousines, que l'évangile, dans le langage du temps, appelle ses frères et ses sœurs. La mère de Jésus, on la connaît, elle est simple, elle est bonne, il n'y a rien de particulier à en dire. Elle vit comme n'importe quelle femme de Nazareth, elle a ce fils, il n'y a rien de plus à en dire, elle ne se fait pas remarquer, elle n'a jamais attiré les regards, elle vit dans la discrétion de la vie d’une juive ordinaire. Sous la croix de Jésus non plus, il n'y aura rien de spécial, elle fera partie des femmes qui pleurent, et elle s’éloignera de la croix en compagnie de Jean. Rien de bien frappant. Les gens de Nazareth sont scandalisés… Celui qui se scandalise (bêtement) se blesse lui-même volontairement, il refuse de reconnaître une vérité qui s’impose.

"Quand un journaliste me répète qu'en France les églises sont vides, je sais au moins qu'il ne va pas souvent à la messe, en tout cas qu'il n'y va jamais à Paris. Sinon il ne le dirait pas". Celui qui dit cela, c'est un philosophe contemporain, membre de l'Académie Française, pour qui la foi chrétienne est en quelque sorte une évidence. Alors quand on vient lui dire que les églises sont vides, il se moque gentiment : c'est que ce journaliste ne va pas souvent à la messe, du moins à Paris.

Et ce même professeur de philosophie continue sa réflexion (parce qu'un philosophe, bien sûr, ça réfléchit), il ajoute ceci : "Dans ma carrière intellectuelle et universitaire, on m'a parfois reproché d'être catholique (assez rarement d'ailleurs), mais au bout d'un certain temps les gens finissent par s'y faire... Il y a des catholiques qui font de la philosophie comme il y a des bouchers qui sont catholiques.  La question est de savoir si ce sont de bons bouchers, de bons menuisiers, de bons sapeurs-pompiers ou de bons philosophes. Je suppose que, si l'on m'a autorisé à faire une carrière qui ne fut pas ignominieuse, ce n'est pas parce que je faisais de la philosophie catholique, mais de la philosophie pas trop mauvaise, et de cela je tire une profonde satisfaction. Et il se trouve que par ailleurs j'essaie d'être catholique. Je dis que j'essaie, parce que je fais des efforts, je m'applique, j'espère progresser, mais lentement".

On a envie de lui dire : "Merci, Monsieur le Professeur, pour votre bon sens". "Les choses réjouissantes viennent du paradis, y compris les bons mots" : c'est un spirituel juif du XIXe siècle qui disait cela : "Les choses réjouissantes viennent du paradis, y compris les bons mots".

Je dis souvent que le premier devoir des chrétiens aujourd'hui, c'est de chercher à comprendre pourquoi ils croient et en quoi ils croient, sinon leur foi ne peut pas tenir debout, elle ne peut pas faire le poids. C'est en 1965, lors de la dernière session du concile Vatican II que les évêques ont publié un texte qui dit ceci et que vous connaissez peut-être par cœur : "Dans le genèse de l'athéisme, les croyants peuvent avoir une part qui n'est pas mince, dans la mesure où, par la négligence dans l'éducation de leur foi, par des présentations trompeuses de la doctrine et aussi par des défaillances dans leur vie religieuse, morale et sociale, on peut dire d'eux qu'ils voilent l'authentique visage de Dieu et de la religion, plus qu'ils ne le révèlent".

Chacun doit trouver sa voie dans la recherche de la vérité de Dieu. Chacun doit trouver par lui-même les fenêtres par où l'éclair de la grâce peut être aperçu ou faire irruption. (Avec Jean-Luc Marion, Martin Buber, Vatican II, AvS, HUvB).

 

4 juillet 2010 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 10, 1-12. 17-20

Nous connaissons les douze apôtres. Voilà maintenant qu'on nous parle de soixante-douze disciples que Jésus envoie en mission, en mission pour préparer le passage de Jésus dans un certain nombre de localités, de villages, de hameaux. Jésus a donc pu trouver soixante-douze hommes pour les envoyer en mission : c'est dire qu'il y avait du monde autour de lui. Et malgré cela il trouve que les ouvriers sont peu nombreux.

A ces soixante-douze disciples Jésus donne une consigne : celle d'aller droit à l'essentiel. "Dites aux gens qui veulent bien vous écouter : Le règne de Dieu est tout proche de vous. Jésus arrive. Que la paix de Dieu soit avec vous". Et Jésus ajoute pour les soixante-douze une consigne importante : si quelque part on ne vous reçoit pas, continuez votre chemin, allez plus loin, là où des gens vous attendent. Mais quand même vous pouvez dire aux gens qui ne veulent pas vous entendre, vous pouvez leur dire : "Le règne de Dieu est tout proche". Il est possible que ces gens d'abord fermés à votre message ouvrent ensuite quand même leur cœur. Pas tous, mais quelques-uns peut-être quand même. Vous avez semé quelque chose dans leur cœur.

C'est quoi le règne de Dieu ? C'est quoi le royaume de Dieu ? "Nous avons le devoir d'essayer de comprendre ce qu'est l'éternité parce que c'est à elle que nous sommes destinés". Nous sommes destinés à vivre en communion avec Dieu. Qu'est-ce que c'est que le règne de Dieu dont doivent parler les soixante-douze disciples ? Il n'y a pas de doctrine secrète de la foi, une doctrine secrète qui serait cachée derrière celle qui est enseignée ouvertement. Mais pourtant, dans cet enseignement, tout est rempli de mystères. Rien n'est caché, mais bien des choses ne se révèlent qu'à une foi vivante, qu'à une foi aimante. Tout ce qui concerne l'amour touche au mystère. Un amour parfaitement transparent à l'intelligence ne serait plus de l'amour. C'est encore plus vrai quand cet amour concerne Dieu. Qua savons-nous de Dieu ? La Bible lève un coin du voile. Mais il faut faire attention : nous risquons d'être surpris quand nous rencontrerons Dieu. Nous avons une certaine idée de Dieu. Mais nous ne possédons pas Dieu.

Jésus envoie soixante-douze hommes en mission. Ils ne seront pas bien reçus partout. Il y a une parabole où le roi envoie ses serviteurs pour appeler les gens aux noces de son fils. Tous les hommes sont invités aux noces, toute l'humanité est invitée à entrer dans le royaume de Dieu, à entrer en communion avec Dieu. Le roi qui lance son appel, c'est Dieu. Et il attend, dans la souffrance, la réponse libre de ses enfants, tous les hommes, toute l'humanité... C'est dans la souffrance que Dieu attend une réponse positive. Qu'est-ce que c'est que l'athéisme ? C'est la perte de la réalité d'un monde transcendant. L'athéisme, c'est un appauvrissement, quelque chose comme une mutilation de l'être. Il y a des gens qui sont aujourd'hui rebelles à la lumière de Dieu. Lucifer n'a voulu se fier qu'à ses propres lumières... dans une sorte de folie. Mais un universitaire de notre temps, croyant motivé, nous met en garde : Gardons-nous de maudire ou de railler... Ne sommes-nous pas des Lucifers intermittents?

Jésus avertit les soixante-douze qu'il les envoie au milieu des loups. Il y a en Dieu une angoisse : dans son désir de se donner, il a laissé à l'homme la liberté, la liberté de partir, de quitter la maison paternelle. Chaque fois que cette liberté ne revient pas à lui sous la forme d'un amour reconnaissant et réciproque, mais se change en éloignement et en ingratitude, son cœur saigne : le pécheur reviendra-t-il ? L'univers entier, avec tous ses grands courants de pensée, païens et judaïques, est la preuve des efforts toujours croissants de Dieu pour ramener à lui sa créature. Et lorsque toutes les tentatives ont échoué, le Père met son Fils en danger et l'envoie sans défense au milieu de ses vignerons homicides, il l'envoie au milieu des loups... Il accepte d'assister en silence à la mort de son Fils. (Avec Godfried Danneels, Paul Evdokimov, André Miquel, AvS, HUvB).

 

7 juillet 2013 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 10,1-12.17-20

Nous connaissons bien les douze apôtres de Jésus. Nous imaginons mal les foules qui gravitaient autour de lui. Et saint Luc nous apprend aujourd'hui que soixante-douze disciples sont envoyés par Jésus dans toutes les localités où lui-même devait passer. Et pour annoncer la venue prochaine de Jésus, que doivent dire les soixante-douze disciples ? Dans toute maison où ils entrent, ils doivent commencer par dire : "Paix à cette maison et à tous ceux qui habitent dans cette maison".

Et que doivent dire encore les disciples ? Ils doivent dire que Jésus va bientôt arriver chez eux : "Le royaume de Dieu est tout proche de vous". Le royaume, c'est Jésus lui-même. Et pour que les gens qui sont visités par les disciples sachent que les disciples ne disent pas des paroles en l'air, Jésus donne aux disciples le pouvoir de guérir les malades. Et on apprend aussi que les disciples sont stupéfaits de découvrir qu'ils ont même le pouvoir de chasser les esprits mauvais au nom de Jésus. Mais Jésus avertit quand même ses disciples qu'ils ne seront pas partout les bienvenus : "Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups".

L’Église est la patrie de tous les baptisés. Et tous les hommes sont appelés à être baptisés un jour. Celui qui est baptisé enfant ne découvrira que plus tard que l’Église est sa patrie et qu'il jouissait de ses biens et de sa prière avant même qu'il en soit conscient. Il en est de même pour tous ceux qui ne sont pas encore baptisés : l’Église les attend et elle les porte déjà dans sa prière : des milliards et des milliards.

Au regard de Dieu, il n'y a qu'une seule Alliance avec l'humanité. Une seule Alliance à différents stades. Il y a l'Alliance en marche vers le Christ : c'est tout l'Ancien Testament et toute l’humanité avant le Christ. Et puis il y a l'Alliance à partir du Christ. Avant le Christ et après le Christ, il s'agit essentiellement de la même chose : du besoin que l'homme a de Dieu, de la faim que l'homme a de Dieu, du désir que l'homme a de Dieu, même si l'homme ne le sait pas encore. Et la paix que Dieu apporte à l'humanité, c'est d'abord de lui faire savoir que Dieu s'est penché sur elle et qu'il désire établir avec chaque être humain une communion, une alliance éternelle. C'est ce que les soixante-douze disciples doivent annoncer aux gens : le royaume de Dieu est tout proche de vous, Dieu est tout proche de vous. Et de savoir que Dieu est tout proche de vous doit vous donner une certaine paix.

Ce n'est pas la faute de Dieu lorsque les hommes souffrent. (Et il y a beaucoup de manières de souffrir). Ce n'est pas la faute de Dieu lorsque les hommes souffrent. Beaucoup font cette erreur, et c'est la grande victoire du diable que de rejeter la faute sur Dieu. "Et pourquoi permet-il les injustices et les violences ?" Et on assaille Dieu de beaucoup d'autres questions. L'être humain ne veut pas reconnaître qu'une grande part du mal qui existe dans le monde est causé par lui, et il met la faute sur le dos de Dieu parce que l'être humain est aveugle.

Le P. Radcliffe, un Anglais, qui a été Maître général des dominicains pendant plusieurs années, raconte ceci : "La grande majorité de mes frères dominicains sont des gens avec lesquels il fait bon vivre. Et pourtant, quand j'étais prieur à Oxford, il y avait un vieux frère de plus de 80 ans qui était aussi insensible qu'un rhinocéros et il nous rendait fous. Deux jeunes frères décidèrent de l'adoucir par leur gentillesse et ils essayèrent tout pour le faire sortir de son égocentrisme, jusqu'à l'amener à préparer le thé pour la Société écossaise de danse ! Cette gentillesse commença peut-être à faire fondre la mer de glace qui était en lui. Un soir, j'allai le voir avant qu'il aille se coucher, pour savoir s'il avait besoin de quelque chose; et il me raconta comment ce matin-là il avait rencontré Dieu : alors qu'il était dans la chapelle, il avait goûté la beauté de Dieu pour la première fois ; quatre heures s'étaient écoulées en un instant ; il avait les yeux ouverts et il se savait aimé. Il commença dès lors à connaître le bonheur. Il me raconta qu'il était enfant unique et que jamais ses parents ne s'adressaient un mot l'un à l'autre, ils ne communiquaient que par son intermédiaire. Il avait été éduqué dans un foyer sans amour... Juste à temps, il a eu cette vision éclair de Dieu ; et nous avons eu la vision éclair de ce vieux frère comme son enfant.

C'est pourquoi, quand le moment est venu, les disciples de Jésus peuvent toujours dire : le royaume de Dieu est tout proche de vous, Dieu est tout proche de vous.

Il ne peut y avoir que deux temps dans l'histoire du salut : il y a le temps de la descente de Dieu dans le temps de la promesse et de l'incarnation jusqu'à la mort sur la croix. Et il y a le deuxième temps, le temps de la remontée, la remontée personnelle du Seigneur Jésus par sa Résurrection et son Ascension et, dans cette remontée, le Seigneur Jésus entraîne l’Église, son épouse ; il l'entraîne maintenant dans l'espérance et, un jour, plus tard, en réalité. (Avec Maria Vallejo-Nagera, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).
 

3 juillet 2016 - 14e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 10,1-12.17-20

"La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux". La conclusion spontanée qu'on pourrait en tirer serait sans doute : il faut travailler double. Jésus, lui, conclut : "Priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson". C'est en mendiant l'aide de Dieu que les disciples deviennent les coopérateurs de Dieu.

"La moisson est abondante". Les paroles de Jésus vont infiniment plus loin que ce que pouvait sans doute imaginer l'évangéliste : de la Chine à l'Amérique et au fin fond de l'Afrique noire. La moisson est abondante. Le prophète de notre première lecture voyait toutes les nations en marche vers Jérusalem, vers le Dieu vivant d'Israël. Tous les humains sont en marche vers Dieu : les sans-Dieu et tous les autres, les non-chrétiens et les anti-chrétiens. Qu'ils le sachent ou non, tous les humains sont en marche vers la plénitude de la révélation apportée par le Seigneur Jésus.

Saint Paul dit quelque part dans sa première lettre aux premiers chrétiens de Corinthe comment il est arrivé chez eux pour leur proposer la foi chrétienne ; il écrit : "Je me suis présenté à vous, faible, craintif et tout tremblant". Saint Paul doit dire cela aux Corinthiens : au cas où les Corinthiens auraient à assumer un ministère et qu'ils ressentent de la crainte, ils doivent savoir qu'il n'en a pas été autrement pour l'apôtre. L'homme est issu de Dieu et il doit retourner à Dieu. Et notre temps d'ici-bas nous est laissé pour consentir à la vie éternelle qui nous est offerte. Et le désir du croyant, c'est que le Seigneur Jésus vienne en tous les humains, que tous deviennent croyants. Mais on ne devient pas fils de Dieu sans le vouloir.

Il y a un certain nombre d'années, une Norvégienne qui s'était convertie à la foi chrétienne a écrit tout un livre pour raconter son histoire et sa vie. Elle y disait les difficultés de vivre la foi chrétienne dans un pays comme la Norvège où tout le monde se moque royalement du christianisme. Elle disait la difficulté d'être chrétienne en toutes circonstances, la difficulté de prier, la difficulté d'être à la fois mère de quatre enfants et de travailler à l'extérieur. "J'ai mis incroyablement longtemps à réaliser que j'avais besoin d'être nourrie de façon régulière et que ma conversation avec Dieu était le moment le plus important de ma vie quotidienne". Et avec tout cela elle avait une énorme conscience de sa responsabilité de chrétienne dans le monde.

D'une manière ou d'une autre, Dieu est perçu par beaucoup de gens comme une puissance étrangère, si elle existe, dont l'intervention devrait brimer la liberté humaine, et non comme le Maître intérieur capable de les guider vers le bien. L'humoriste anglais qui était passé de l'incroyance, ou d'une foi plus que tiède, à la foi vivante, posait la question : "Qu'est-ce que c'est qu'un chrétien ?" Et il répondait lui-même à sa question : "Le chrétien, c'est quelqu'un qui commet la grosse faute de goût de vivre comme si Dieu existait". Ce n'était pas en Norvège, c'était en Angleterre, il y a soixante-dix ans peut-être.

En 2005, le cardinal Ratzinger avait été invité à rédiger des méditations pour le chemin de croix du Colisée à Rome. Et là il confessait, entre autres choses, non pas toujours la foi chrétienne, mais le péché de l’Église et des chrétiens, le péché qui empêche les gens de l'extérieur de leur faire confiance quand ils essaient de parler de leur foi. Le cardinal disait : "Combien de fois la Parole de Dieu est-elle déformée et galvaudée ! Quel manque de foi dans de très nombreuses théories (soi-disant chrétiennes) combien de paroles creuses ! Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d'orgueil et d'auto-suffisance !" On est là loin de saint Paul qui était arrivé chez les païens de Corinthe craintif et tout tremblant.

A côté de cette sorte de confession de l’Église par la bouche du cardinal Ratzinger, on peut mettre une profession de foi d'un homme, un laïc, qui n'avait pas toujours été un pilier d’Église ni un modèle de vertu, et qui écrivait quand même après sa conversion : "L’Église est celle dont on voit tant les défauts qu'on finit par oublier qu'elle est indispensable, qu'elle fait vivre, malgré tout, ses enfants blasés ou ingrats". Et le même homme avait composé une courte prière qui disait ceci : "Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute et de l'incrédule qui voudrait croire..." Priez le Maître de la moisson... "Il n'y a pas un royaume des vivants et un royaume des morts, il n'y a que le royaume de Dieu ; vivants ou morts, nous sommes dedans".

Dieu offre sa grâce à tous les hommes. Tous les humains sont enveloppés par la grâce de Dieu, même celui qui dit non, même celui qui ne veut pas croire. Tout être humain reste marqué par cette grâce. (Avec Jacques Loew, J. Haaland, Rémi Brague, Chesterton, Cardinal Ratzinger, Huysmans, Georges Bernanos, AvS, HUvB).

 

10 juillet 2011 - 15e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 13,1-23

"Le semeur est sorti pour semer". Jésus est sorti d'auprès du Père pour semer dans l'humanité une Parole de Dieu comme jamais encore dans toute l'histoire d'Israël. Et cette parole de Dieu est semée dans l'humanité tous les jours jusqu'à aujourd'hui. Chez certains, cette Parole de Dieu trouve un cœur de pierre : elle ne peut pas grandir. Chez d'autres, cette Parole de Dieu grandit avec difficulté; mais elle grandit tout de même.

La semence de Dieu est bonne, mais on peut l'étouffer, parce que la semence de Dieu est fragile. La semence de Dieu est fragile apparemment, mais il y a en elle toute la force de Dieu. La semence de Dieu est fragile et forte comme l'amour. Dans l'amour, personne ne peut calculer d'avance les réactions de l'autre, personne ne possède d'avance les réactions de l'autre : l'autre est toujours un être personnel et libre. L'amour se construit sur tout ce qu'il y a d'imprévisible dans celui qui est aimé. L'amour doit s'ouvrir sans cesse, se donner, surprendre et subjuguer l'être aimé. Comment Dieu qui a parlé aux hommes, qui parle toujours aux hommes, peut-il les surprendre et les subjuguer ?

C'est un homme de Dieu de notre temps. Si quelqu'un venait lui dire qu'il voudrait consacrer sa vie à Dieu dans la vie monastique, il lui donnerait les conseils suivants : Trouve-toi un travail, relativement simple, au guichet d'une banque, par exemple. En travaillant, prie et acquiers la paix intérieure. Ne t'irrite jamais. Ne recherche pas ton bon droit. Accueille chacun, collègue ou client, comme un envoyé, et prie pour lui. Prends sur ton salaire de quoi payer ton logement et ta nourriture, les plus modestes possibles, et donne le reste aux pauvres, à des personnes pauvres et non à des fondations. Fréquente toujours la même église et efforce-toi d'apporter une aide concrète, non en donnant des conférences sur la vie spirituelle, non en enseignant, mais comme un "petit chiffon" (Saint Séraphim de Sarov). Sois constant dans ce service. Ne cherche pas à servir, ne te désole pas si tes talents ne sont pas exploités, apporte ton aide, fais ce qui est nécessaire et non ce que tu crois utile. Lis et instruis-toi autant que tu peux, sans te limiter à la littérature religieuse, embrasse plus largement. Si des amis, des proches t'invitent par amitié, vas-y, mais avec discernement, et sans rester plus d'une heure et demie ou deux, car plus longtemps l'atmosphère devient malsaine. Habille-toi comme tout le monde, sans aucun signe suggérant une quelconque vocation spirituelle. Sois toujours simple, limpide, joyeux. Ne donne pas de leçons. Fuis comme la peste les "débats spirituels" et tous ces bavardages sur des sujets religieux. Si tu agis ainsi, tout te sera à profit. Quand tu auras ainsi servi et travaillé pendant dix ans, pas moins, demande à Dieu si tu dois continuer à vivre ainsi ou si un changement s'impose, et attends la réponse : elle viendra et ses manifestations seront "paix et joie dans l'Esprit Saint".

Qu'est-ce que ça veut dire tous ces conseils ? Préparer le terrain, préparer la terre. Et au bout de tout ce travail, si une semence de Dieu tombe sur ce terrain, elle pourra grandir.

Les prophètes de Dieu, les hommes de Dieu - ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui - sont possédés par une présence qui les séduit, qui les habite et qui leur dicte leur comportement, leurs gestes et leurs paroles. Ils sont visités par Dieu. La semence de Dieu a germé dans leur cour et dans leur vie.

Vous vous souvenez du dialogue entre Jésus et Pilate. Les chefs juifs ont livré Jésus à Pilate, ils ont demandé à Pilate de condamner Jésus à mort. Pilate n'est pas du tout convaincu de la culpabilité de Jésus et son intention est de le relâcher. Mais les chefs juifs insistent, ils menacent Pilate de le dénoncer à l'empereur comme ne faisant pas correctement son travail de procurateur romain. Et qu'est-ce qu'il nous dit, Pilate ? "Vous ne voudriez tout de même pas que je brise ma carrière pour la vérité !". Pour Pilate, la réalité, c'est sa carrière et, pour sauver sa carrière, il ne faut pas avoir d'histoires. Pilate avait été touché par Jésus, Jésus qui lui avait dit à un certain moment de leur dialogue : "Quiconque est de la vérité écoute ma voix". Pilate avait haussé les épaules et il avait dit : "Qu'est-ce que c'est que la vérité ?" Et Pilate avait tourné le dos à la vérité, il avait fermé son cœur à une semence de Dieu.

L'eucharistie aussi est une semence de Dieu. Après sa résurrection, Jésus est apparu pendant quarante jours à ses disciples, toujours à l'improviste, toujours là où on ne l'attendait pas. La présence du Seigneur Jésus dans l'eucharistie est du même genre. Après la résurrection comme aujourd'hui dans l'eucharistie, il est le Ressuscité, il est celui qui vit dans l'éternité, mais il est aussi celui qui accompagne les siens dans le temps. La différence, c'est que pendant les quarante jours entre Pâques et l'Ascension l'accompagnement du Seigneur Jésus a lieu au grand jour; aujourd'hui, dans le temps de l’Église, son accompagnement se réalise dans le secret du pain et du vin consacrés. (Avec Alexandre Schmemann, André Chouraqui, Jean Daniélou, AvS, HUvB).

 

13 juillet 2014 - 15e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 13,1-23

"Voici que le semeur est sorti pour semer". Non seulement Jésus raconte cette parabole, mais il en donne lui-même l'explication. La semence, c'est la Parole de Dieu. Les endroits où elle tombe, ce sont les cœurs. Que chacun en fasse l'application à lui-même et comprenne. La semence, c'est la Parole de Dieu. Seul Dieu peut se révéler lui-même.

Il faut se surveiller : la lutte entre le bien et le mal est continuelle. Il faut se surveiller pour extirper les mauvaises plantes dès qu'elles sortent. Il y a des esprits qui ont remplacé la simple doctrine de Dieu par des doctrines humaines compliquées. Il y a d'autres esprits pour qui la loi, c'est leur jouissance et donc l'argent (s’ils en trouvent) et les plaisirs. Tous les jours il nous faut demander à Dieu de rester réceptifs à sa volonté et à sa voix. Qu'est-ce qu'il attend de nous (de moi) aujourd'hui ?

Le Seigneur Jésus invite tous les hommes à ne pas se contenter de ménager à Dieu une place dans leur vie, une petite place qui, à leur avis, lui revient, mais une place sans portée pratique dans l'immédiat, une place pour après la mort. Dieu et la mort, c'est quand même encore très loin...

Le Seigneur Jésus n'a pas cherché pour lui-même la facilité : son chemin, c'est un chemin de renoncement. Son plus énorme renoncement a été d'abord d'abandonner en quelque sorte sa divinité pour se faire homme. Et puis il y a eu toute sa vie quotidienne, souvent insignifiante. Et même quand les foules l'entouraient et qu'il opérait des miracles, son chemin était toujours un petit chemin. Judas, lui, en voyant tout ce que faisait Jésus, rêvait d'un chemin grandiose. Jésus ne veut pas que sa vie soit un feu d'artifice sans lendemain, quelque chose qui fascine mais ne pourrait nous sauver.

Ce que Jésus veut inculquer à ses disciples, c'est que ce sont les sacrifices qui donnent à l'amour chrétien sa valeur. Il y a le renoncement sans lequel il n'y a pas de vie humaine possible. C'est vrai pour les stars du ballon rond, c'est vrai pour chacun dans la vie quotidienne : le travail et les relations avec les autres.

Mais il y a aussi la souffrance qu'on ne choisit pas. Madeleine Delbrel disait : "Hors la foi, la souffrance reste un mystère". Pour le non croyant, la souffrance reste un mystère. Pour le croyant aussi la souffrance est une épreuve. La différence, c'est que pour le croyant, en creusant bien, en confiant son épreuve à Dieu, en suppliant Dieu, le croyant peut découvrir à sa souffrance un certain sens.

Dieu sème sa Parole, mais les soucis du monde et les séductions de la richesse étouffent la Parole, ce sont les mots de Jésus aujourd'hui. L'humanité se trouve en rupture d'amitié avec Dieu. Il y a en l'homme un désordre du désir. Et ce désordre du désir est la source du mensonge, de l'égoïsme, de la violence, de l'orgueil et de tous les dérapages qui conduisent à ces idoles que sont l'argent, le sexe et la drogue. Nous avons tous besoin de nous réconcilier avec Dieu, d'être reconduits à Dieu. Nous sommes en marche.

C'est un dialogue de Benoît XVI avec des prêtres italiens, dans le Tyrol italien, à propos de la communion de jeunes enfants dont on peut se demander dans quelle mesure eux-mêmes et leurs familles sont croyants. Faut-il leur refuser la communion ? Et Benoît XVI disait : "Quand j'étais plus jeune, j'étais plutôt intransigeant. Je disais : les sacrements sont les sacrements de la foi ; là où la foi n'existe pas, là où la pratique de la foi n'existe pas, le sacrement ne peut pas non plus être donné... Et puis moi aussi, avec le temps, j'ai fini par me rendre compte que nous devons plutôt suivre l'exemple du Seigneur qui était très accueillant même aux marginaux de l'Israël de son époque. Il était le Seigneur de la miséricorde, ouvert aux pécheurs ; il les accueillait et se laissait inviter à leur repas, les entraînant ainsi dans sa communion"... Là aussi, dans ces repas, le Seigneur Jésus semait la Parole de Dieu. Nous avons tous la vocation de dire des paroles qui construisent le royaume de Dieu.

Un évêque mexicain, de l'ordre de saint Dominique, faisait des prêches passionnés autant qu'interminables. Il remarqua un jour sur le premier banc un vieil homme presque endormi. Le prédicateur dit alors au petit-fils du vieillard : "S'il te plaît, réveille ton grand-père". A quoi le garçon répliqua : "C'est à vous de le réveiller, c'est vous qui l'avez endormi".

Le Seigneur Jésus est venu dans le monde pour semer la Parole de Dieu, la Parole du Père. Il a attribué plus d'importance à sa parole qu'à ses œuvres miraculeuses. Les miracles n'étaient là que pour confirmer sa parole. Sur la croix, il a vraiment pris la place des pécheurs. Il a pris sur lui tous les refus de l'homme, tous les "non" que l’homme oppose à Dieu et, à la place, il a offert à Dieu le oui de l'homme et du monde. On l'assassine et il se relève d'entre les morts pour remonter vers Dieu dans une nuée de gloire qui le cache à ses ennemis. (Avec Madeleine Delbrel, Bernard Sesboüé, Benoît XVI, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

12 juillet 2009 - 15e dimanche du temps ordinaire - B

Évangile selon saint Marc 6, 7-13

Pour la première fois, Jésus se sépare de ses disciples. Jusqu'à présent, ils ont toujours été avec lui. Ils ont entendu Jésus parler aux foules de Galilée. Ils ont vu comment il guérissait des malades et exorcisait des possédés. Maintenant Jésus va associer ses disciples à sa mission. Et il les envoie deux par deux. Ils ne doivent pas simplement dire ce que Jésus a dit et fait. Jésus leur donne un pouvoir sur les forces du mal. Les disciples ne doivent pas s'encombrer de choses inutiles. Ils ne doivent garder que l'essentiel : la Parole de Dieu.

Sept ou huit siècles avant le Christ, le prophète Amos avait aussi une Parole de Dieu pour les habitants de son pays. Mais ça ne plaisait pas à tout le monde. Alors il y a un prêtre de ce pays qui a dit à Amos : on t'a assez entendu, va faire le prophète ailleurs, mais ici, laisse-nous tranquilles. Amos était un vrai prophète de Dieu et il a répondu simplement ce qui s'était passé dans sa vie. "Je n'étais pas prophète du tout. Je gardais les vaches et je cultivais des figuiers. J'avais un bon métier. Mais Dieu m'a pris quand j'étais derrière mon troupeau. Il m'a dit : Je veux que désormais tu sois mon prophète; je veux que tu dises au peuple ce que je veux leur faire connaître. Je vais mettre mes paroles dans ta bouche". C'est aussi simple que ça. Aussi simple et aussi grandiose. Dieu est toujours capable de prendre un homme à son service ; un homme ou une femme.

Jean-Marie Vianney, le curé d'Ars, c'est le dernier de tous les curés de France ; il n'était pas très doué pour les études, pour apprendre du latin, et de la philosophie, et du dogme, et de la morale, et tout ça en latin. Mais lui aussi, Dieu a été le chercher derrière ses vaches. Et il en a fait une espèce de prophète. Il est resté dans sa paroisse, mais ce sont les gens qui ont couru vers lui pour entendre une parole de Dieu, et pour se faire guérir par lui, pour que leur âme soit guérie.

Saint Jacques nous dit dans sa Lettre : "Heureux l'homme qui supporte l'épreuve. Sa valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l'aiment" (Jc 1, 12). Que ce soit les apôtres ou Jean-Marie Vianney, Dieu demande à tous le don de soi à Dieu dans la foi, le don de soi à Dieu dans la vie quotidienne, le don de soi à Dieu dans la patience, dans la patience et dans l'épreuve. Patience pour soi, patience pour la communauté dans laquelle on vit, patience pour l’Église, l’Église qui n'est peut-être plus l’Église qui vient de naître des mains du Seigneur Jésus. Patience pour notre Église telle qu'elle est : divisée en tendances et en sectes, et pourtant avec sa prétention à avoir une valeur universelle absolue.

L’Église telle qu'elle est aujourd'hui ne correspond peut-être pas à ce qu'on aurait attendu d'elle. Le chrétien se situe entre la patience et l'impatience. On ne peut pas se reposer sur une patience qui nous serait donnée une fois pour toutes. On ne peut pas se reposer sur une foi qui nous serait donnée une fois pour toutes. On ne peut pas se reposer sur un amour qui nous serait donné une fois pour toutes.

Aujourd'hui dans l'évangile, Jésus envoie ses douze apôtres pour une première mission. Et ça a marché : ils ont chassé beaucoup de démons et ils ont guéri des malades et ils sont tout heureux. Et dans les douze apôtres, il y avait Judas, et ça marchait très bien. Les apôtres avaient la foi. Ils l'avaient reçue. Mais maintenant ils avaient encore et toujours à s'approprier personnellement cette foi, ils devaient apprendre, comme nous tous, à agir de telle sorte que cette foi imprègne lentement leur existence tout entière. Ils avaient encore un long chemin à faire dans la patience, et ce n'était pas gagné d'avance, ni pour Pierre, ni pour Judas.

C'est quoi la foi pour nous aujourd'hui ? C'est quoi la foi pour tous les hommes aujourd'hui ? C'est consentir personnellement à une invitation, c'est consentir à l'invitation à nous unir à Dieu, pour la vie et pour la mort, à nous unir à Dieu tel qu'il s'est révélé par Jésus Christ. Celui qui s'engage sur ce chemin s'y engage avec toute son existence, et alors toute son existence ne peut que s'en trouver transformée, mais progressivement.

Beaucoup de saints ont montré de manière convaincante qu'il est possible au chrétien d'exercer une profession et d'avoir des obligations mondaines sans relâcher sa vie de foi et la prière, mais au contraire en les renforçant. Il y a un certain temps, je rencontrais un homme qui habite assez loin d'ici. Il est maintenant jeune retraité, marié, des enfants, des petits-enfants. Je ne vais pas vous dire sa profession, mais il était toujours sur les routes. Et il me disait : "Je voudrais bien être toujours avec Dieu, mais je n'y arrive pas". C'est un homme qui prie beaucoup, qui est toujours à l'affût de lectures qui peuvent nourrir sa foi. Il rend des services aussi dans sa paroisse. "Je voudrais être toujours avec Dieu mais j'y arrive pas"... Cela arrivera bien un jour. Je ne dis pas quand. (Avec Antoine Vergote, AvS, HUvB).

 

15 juillet 2012 - 15e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6,7-13

750 ans avant le Christ, Amos était bouvier et il soignait les figuiers, et puis Dieu l'a appelé. Paul était pharisien, il était en route pour faire mettre en prison des chrétiens et les faire mettre à mort, et Dieu l'a appelé. Pierre et André, deux frères, Jacques et Jean, deux autres frères, étaient des pêcheurs du lac de Tibériade, et Jésus les a appelés. Pour quoi faire ?

Douze hommes faisaient partie de l'entourage le plus proche de Jésus, on les a appelés les douze apôtres. Pendant un certain temps, ils ont vécu avec Jésus, jour et nuit, et nuit et jour, ils ont entendu tout ce qu'il disait aux foules dans les synagogues et en plein air, ils ont vu tous les miracles opérés par Jésus. Et voilà qu'aujourd'hui, pour la première fois, Jésus les envoie deux par deux dans toute la région et il leur donne rendez-vous quelques jours plus tard, à Capharnaüm peut-être.

Jésus lui-même désigne quels apôtres devront partir ensemble, c'est lui qui désigne les couples. Et parmi eux, il y a Judas, bien sûr. Tout n'était pas mauvais en Judas. Et avant de les envoyer, Jésus leur dit d'une manière un peu solennelle qu'il leur donne le pouvoir de chasser les démons et d'opérer des guérisons tout comme lui. En voyant cela, les gens seront beaucoup plus attentifs à ce que les apôtres pourront donner comme enseignement.

Ils parleront de Jésus, bien sûr, de tout ce qu'il fait, et ils transmettront aussi comme ils pourront tout ce qu'ils ont retenu des enseignements de Jésus. Mais quand Jésus leur dit qu'il leur donne le pouvoir de chasser les démons et d'opérer des miracles, les apôtres sont effrayés, ils sont presque incrédules. Comment est-ce possible ?

Ils s'en vont deux par deux, et ils sont stupéfaits de constater qu'ils ont effectivement le pouvoir de chasser les démons et d'opérer des miracles. Et au bout de quelques jours, ils raconteront tout joyeux à Jésus et aux autres ce qui s'est passé dans cette première tournée missionnaire. Ce qui s'est passé, c'est que Jésus a mis ses douze apôtres de plain-pied avec le surnaturel. Il leur a fait toucher du doigt la puissance de Dieu dans leur vie. C'est important pour le jour où Jésus sera arrêté et mis à mort, pour le jour où Jésus ne sera plus là physiquement. Alors ils devront se souvenir.

Il faut interroger la mémoire de l’Église. La mémoire de l’Église, c'est le Nouveau Testament et tous ceux qui, au cours des âges, depuis deux mille ans, témoignent qu'ils ont rencontré Dieu. La recherche de Dieu, aujourd'hui comme hier, conduit à interroger ceux qui témoignent qu'ils l'ont rencontré, à interroger l'histoire qui affirme avoir gardé les traces de sa révélation. Et sa révélation, ce n'est pas uniquement du passé, Dieu ne cesse de se faire connaître tout au long des âges et aujourd'hui encore.

Tout un courant de l'athéisme d'aujourd'hui proclame l'émancipation de l'homme moderne devenu "adulte". Pour l'athéisme, la foi et la religion sont rejetées parce qu'elles correspondraient à un âge infantile de l'homme. La foi en Dieu correspondrait à un abaissement de l'homme. Mais qu'est-ce que c'est qu'un homme adulte ? Qu'est-ce que c'est que la maturité de l'esprit ? Opposer Dieu et l'homme, c'est partir d'une idée fausse et de Dieu et de l'homme.

Il est vrai que chaque fois qu'un croyant se croit autorisé à parler de Dieu ou en faveur de Dieu et qu'il le fait d'une manière basse et étriquée, il caricature Dieu, et cela pousse ceux qui l'entendent au blasphème et au rejet de la religion. L’Église porte le poids de l'histoire, le poids des infidélités et des péchés de ses membres des siècles passés et aussi de ceux d'aujourd'hui. Mais l’Église est aussi le fruit de la fidélité et de la sainteté de ses membres des siècles passés et aussi d'aujourd'hui. Le visage humain de l’Église est obscurci. Mais derrière les nuages brille le soleil.

De toutes parts retentit le cri : où pouvons-nous faire l'expérience de Dieu ? Il faut à l'homme un minimum d'expérience comme tremplin pour risquer le saut dans la foi. Le oui de Marie à Dieu a été précédé du salut de l'ange. Les douze apôtres ont été engagés et envoyés par un Maître qu'ils connaissaient. Saint Paul a subi à Damas l'emprise du Seigneur Jésus glorifié qui l'a désapproprié. Mais nous, qui allons-nous rencontrer ? Qui a pouvoir de nous engager et de nous envoyer en mission ? (Avec Joseph Moingt, Georges Cottier, AvS, HUvB).

 

12 juillet 2015 - 15e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6,7-13

Jésus envoie ses disciples deux par deux, comme des mendiants, mais comme des mendiants qui s'entraident mutuellement. Ils ne partent pas en voyage d'agrément. Ils partent pour participer à la mission du Seigneur Jésus. Et Jésus leur donne pouvoir sur les esprits impurs : tout ce qu'un chrétien reçoit comme un don de Dieu n'est jamais destiné à lui seul.

Les disciples doivent partir sans rien prendre pour la route : les envoyés ne doivent pas savoir d'un jour à l'autre comment ils vivront : ils doivent être pauvres. Pauvres, mais munis de la Bonne Nouvelle, pourvus de ce qu'ils doivent enseigner. Être pauvre ne veut pas  dire une vie de misère, mais plutôt ne rien garder pour soi. Le Seigneur Jésus sait que l'homme a des besoins corporels, mais il sait aussi que la pauvreté est nécessaire.

Les disciples vont deux par deux dans toutes les directions, mais il y a quand même pour eux des moments de repos. Le Seigneur Jésus veut qu'ils demeurent là où on les accueille. Ils doivent travailler et se dépenser, mais pas jusqu'à l'épuisement, ce qui les empêcherait de poursuivre leur tâche. Mais il y a des endroits où on ne les accueillera pas, c'est évident. Parce qu'on n'acceptera pas partout leur message. Si on ne les accueille pas, ils ne doivent pas faire des essais répétés, ils doivent repartir. Leur mission ne s'arrête pas si quelqu'un la refuse. Personne ne peut dire : je possède la vérité de Dieu, mais personne n'en veut. Il y a toujours quelqu'un qui la cherche, peut-être le cinquantième, peut-être le millième.

Les disciples partent dans toutes les directions. Mais leur chemin n'a qu'un but : Dieu. La mission elle-même vient de Dieu et elle va vers Dieu. Tout le sens de leur mission, c'est d'amener les hommes à Dieu. Nous pouvons tous demander dans notre prière qu'en tout ce que nous faisons se manifeste quelque chose de cette référence à Dieu. Et l'on peut être sûr que Dieu n'est pas là où n'est pas la charité. Ceux qui sont dans la charité trouvent Dieu sans même devoir faire de pénibles recherches.

Tous les croyants sont, d'une manière ou d'une autre des envoyés de Dieu. Ce qui empêche parfois les incroyants d'entendre notre message, c'est d'abord les jugements que nous avons sur eux. Ce qui empêche aussi parfois les incroyants d’entendre notre message, c'est que les croyants, les envoyés de Dieu, ne sont pas sans défauts. L’Église n'est pas sans défauts. Jésus n'a pas voulu fonder une secte de purs. Heureusement, ses douze apôtres étaient remplis de défauts : un traître sur douze, c'est une jolie proportion. Et puis le reniement de Pierre, le chef même des apôtres : ça peut être encourageant. Et puis des ambitions, même lors du dernier repas de Jésus avec les siens, lors de la dernière Cène : lequel d'entre nous est le plus grand ? Et enfin, quand Jésus est arrêté, que disent les évangiles des apôtres ? "Les laissant tous, ils s 'enfuirent".

Le Père Lagrange, un grand exégète du début du XXe siècle, dont on a mis en route le processus de canonisation, note dans son Journal spirituel : "Il faut aimer toutes les personnes, sans distinction, les amis et les ennemis, les sages et les sots : tous ont été arrosés du sang de Jésus-Christ". Mais le Père Lagrange est conscient de la difficulté d'être disciple et de témoigner de sa foi et d'amener les gens à Dieu. Toujours dans son Journal spirituel, il notait un jour : "Le grand défaut de Dieu pour nous, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, c'est qu'il est caché". Mais le Père Lagrange ajoute quelque chose : "Le grand défaut de Dieu pour nous, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, c'est qu'il est caché ; aussi a-t-il ménagé notre faiblesse en se révélant dans ses saints".

Jésus envoie ses disciples dans le monde pour annoncer à tous les hommes une Bonne Nouvelle. Et les disciples sont remplis de lacunes et de défauts. Que faire ? C'est le Père Lagrange encore qui  note dans son Journal spirituel : "Il me semble que l'honneur de notre Église exige quand même qu'elle poursuive le retranchement de tout ce qui est faux en elle"... "Nous naissons fragiles. Nous mourrons fragiles. Nous vivons avec nos fragilités" : c'est un autre chrétien de notre temps qui disait cela.

Nous vivons avec nos fragilités. Saint Paul avait conscience de ses fragilités et de la fragilité aussi du Dieu qu'il annonçait : "Nous prêchons un Messie crucifié". Qui peut s'intéresser à un condamné crucifié ? Et en même temps et malgré cela, ce n'est que par la vie, la passion et la résurrection du Seigneur Jésus qu'on peut affirmer que Dieu est en lui-même amour éternel et trinitaire. (Avec Jacques Marin, André Manaranche, Marie-Joseph Lagrange, AvS, HUvB).

 

11 juillet 2010 - 15e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 10, 25-37

La parabole du bon Samaritain, nous la connaissons bien. C'est l'une des perles de l'évangile selon saint Luc. Il y en aura d'autres dans les dimanches qui suivront. Tout le monde sait sans doute aujourd'hui que saint Luc a regroupé dans les chapitres 10 à 18 de son évangile un certain nombre de paraboles de Jésus qu'il est seul à rapporter. Les spécialistes des Écritures supposent que saint Luc a puisé ces matériaux dans un recueil ou dans des recueils partiels de paroles de Jésus que les autres évangélistes ne connaissaient pas.

Aujourd'hui donc le bon Samaritain. Par un exemple concret Jésus montre ce que c'est que l'amour du prochain. Tout commence par une bonne question posée à Jésus par un docteur de la Loi : "Que dois-je faire ?... Qui est mon prochain ?" Jésus raconte son histoire. Et à la fin il dit à son interlocuteur : "Ce que tu dois faire ? Sois un bon Samaritain quand l'occasion s'en présentera et tu auras la vie éternelle".

Il y a des rapports réciproques entre le croyant et Dieu. L'homme invite Dieu à entrer dans sa vie : Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? Et Dieu invite l'homme à collaborer avec lui : Sois un bon Samaritain quand l'occasion s'en présentera. Mais pour être un bon Samaritain à l'occasion, n'oublie pas de demander à l'avance l'aide de Dieu. Qu'est-ce que c'est qu'aimer comme le bon Samaritain ? "Aimer, c'est se mettre dans la dépendance de celui qui est aimé". C'est Péguy qui disait cela, il pensait aux amoureux : "Aimer, c'est se mettre dans la dépendance de celui qui est aimé". Mais c'est vrai aussi pour le Samaritain : il s'est mis dans la dépendance de l'homme blessé.

"Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?" Jésus nous enseigne le chemin de la vie éternelle par des actions dans le temps présent. Nos Pères dans la foi disaient : "Dieu s'est fait temporel pour que nous devenions éternels". Et les événements temporels ne disparaissent pas, ils demeurent dans la mémoire de Dieu, Dieu s'en souvient même si nous, nous les avons oubliés.

On peut n'être pas chrétien, on peut n'être pas très croyant, et être un bon Samaritain. Le non croyant aussi possède une conscience morale. La conscience morale parle au cœur du croyant comme au cœur du non croyant. La conscience morale ne s'impose pas, elle ne viole pas la liberté de l'homme, mais elle se fait entendre au cœur de l'homme. L'évangile nous dit : "Celui qui a des oreilles, qu'il entende"... La conscience morale vient d'en haut, elle vient de Dieu, et rien ne peut étouffer sa voix sauf le refus conscient de l'écouter.

"Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?" demande le docteur de la Loi. La foi est liée fondamentalement à la vie éternelle. A Rome, en 1967, de Gaulle aurait dit (je ne sais plus en quelle circonstance, on pourrait la retrouver dans la Documentation catholique) : "Nous allons, même quand nous mourons, vers la vie". - A propos d'une femme qui avait perdu un enfant, la petite Anastasie, une chrétienne d'aujourd'hui, une chrétienne orthodoxe, écrivait : "Seul l'amour compatissant peut guérir du sentiment de l'absurdité de la vie et donner à celle-ci un sens". Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? Jésus répond : "Fais comme ce Samaritain et tu auras la vie".

Celui qui lit ou entend la Parole de Dieu doit entendre ce qu'il plaît au Dieu unique de lui dire maintenant à lui, cet auditeur unique, doté par la grâce des oreilles de la foi. Il doit regarder en face la Parole de Dieu, la Parole qui est le Christ et qui s'adresse à lui non seulement dans l'évangile mais aussi par les paroles de l'Ancien Testament, par les paroles des apôtres et encore par les paroles ou les silences des blessés de la vie, ces blessés de la vie que nous sommes tous d'une manière ou d'une autre, un jour ou l'autre. (Avec saint Irénée, Paul Evdokimov, Godfried Danneels, Élisabeth Behr-Sigel, Péguy, Ambroise-Marie Carré, AvS, HUvB).

 

14 juillet 2013- 15e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 10,25-37

Saint Luc est le seul évangéliste à nous avoir gardé cette parabole du bon Samaritain. "Qu'est-ce que je dois faire pour avoir la vie éternelle ?" C'est un docteur de la Loi qui pose la question à Jésus. Jésus ne répond pas à la question, mais il dit à l'homme qui l'interrogeait : "Tu me poses une question, tu es docteur de la Loi, tu dois bien connaître la réponse, ce n'est pas la peine que je perde mon temps à t'expliquer ce que tu connais bien". Et de fait le docteur de la Loi va droit à l'essentiel, et l'essentiel, c'est d'aimer Dieu, et puis aussi d'aimer le prochain comme soi-même.

Le docteur de la Loi aurait pu alors poser la question à Jésus : "Qu'est-ce que ça veut dire : aimer Dieu ?" Mais il pose l'autre question : "Qu'est-ce que ça veut dire : aimer son prochain ? Qui est mon prochain ?" Jésus aurait pu lui répondre : "Tu m'ennuies avec tes questions. Tu connais les réponses. Ce n'est pas la peine que je parle avec toi !" Jésus ne manifeste pas d'agacement, mais il raconte cette petite histoire du bon Samaritain.

Voilà un homme qui s'est fait attaquer par des voleurs. On lui prend tout ce qu'il peut avoir et on le laisse à moitié mort sur le chemin, parce que l'homme s'est débattu et il a bien fallu l'esquinter un peu pour qu'il ne bouge plus. Un bon Juif, un prêtre, qui avait terminé son service au temple passe, par là, il était encore tout parfumé par les odeurs de l'encens. Il aurait dû aussi avoir l'âme parfumée de bonté et d'amour puisqu'il sortait de la maison de Dieu. Il était pressé de rentrer chez lui, il voit bien le blessé, mais il ne s'arrête pas.

Et puis arrive un lévite. Lui, il ne vient pas du temple, il y va pour accomplir son service. Il ne faut surtout pas qu'il se contamine. En passant, il soulève un peu ses vêtements pour ne pas les souiller par le sang du blessé qui gémissait. Il se dépêche vers Jérusalem et vers le temple.

Arrive un troisième homme par le même chemin, il vient de Samarie. Il voit le sang, il voit le blessé, le soir tombe, il descend de sa monture, il s’approche du blessé, il commence par lui donner des forces, si l'on peut dire, en lui faisant boire une gorgée d'un vin généreux. Etc. Etc. Et qui est mon prochain ? Il ne faut pas être grand clerc pour le deviner...

Dieu ouvre ses chemins à ceux qui ont le cœur droit. A Calcutta, Mère Teresa ne se posait pas beaucoup de questions pour savoir où était son prochain. Il était là dans le ruisseau, il était là aux portes de la mort. Dieu donne à l'homme non seulement de quoi se nourrir, il lui donne aussi de pouvoir correspondre mieux chaque jour à la proximité de Dieu. Il y a toujours trop de travail dans l’Église, il y a toujours trop de blessés sur les chemins. Le Seigneur Jésus nous dit : faire ce qui est à faire là où nous sommes.

Pierre Goursat, le fondateur de la communauté de l’Emmanuel, qui était une espèce de saint, disait : "Il faut vous aimer les uns les autres : c'est facile à dire, c'est moins facile à faire". Un autre chrétien de notre temps disait à ses troupes : "Aimer, c'est toujours un risque ; aimer, c'est devenir vulnérable". C'est vrai pour le Samaritain qui s'arrête auprès du blessé sur le chemin. Il fait peut-être semblant d'être blessé, et dès que je me serai penché sur lui, ses copains voleurs vont me tomber dessus. C'est vrai pour le Samaritain, c'est vrai dans le couple : aimer, c'est devenir vulnérable.

Un autre chrétien de notre temps, qui est aussi philosophe et qui de plus est marié et a plusieurs enfants, raconte ceci : "Est-ce que tu m'aimes ?" Sa femme ne cesse de lui poser la question. Répondre une bonne fois : "Oui, je t'aime", ne suffit pas. Même les témoignages d'affection les plus distingués n’empêche pas sa femme de réitérer la question dès le lendemain. Le soi-disant viril s'en étonne, renâcle, rétorque aussi sec : "T'es bouchée? Je te l'ai déjà dit avant-hier !", et il juge la femme déraisonnable de lui imposer un tel radotage. La raison se trouve pourtant de son côté à elle. Elle devine, avec toute la poésie pour la défendre, que la reprise du "Je t'aime" tient non pas du radotage sénile, mais du plus jeune refrain... C'est que l'amour ne se voit jamais directement. Il n'est jamais assuré, démontré, rangé une fois pour toutes dans une case... L'amour doit devenir une vie... Il réclame une relation à l'autre toujours vivante, une attention mutuelle sans cesse renouvelée. Voilà ce que dit le philosophe. Pour une fois, c'est de la philosophie qu'on peut comprendre, ce qui n'est pas toujours le cas. Pour le Seigneur Jésus, la plus grande faute est d'être sans amour. (Avec Pierre Goursat, Fabrice Hadjadj, AvS).
 

10 juillet 2016 - 15e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 10,25-37

On voulait mettre Jésus à l'épreuve avec une question. Et le docteur de la Loi en pose même deux : d'abord : "Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?", et ensuite : "Qui est mon prochain ?" On peut remercier ce docteur de la Loi d'avoir posé à Jésus ses questions, elles nous ont valu cette parabole éternelle du bon Samaritain.

Qui est mon prochain ? C'est justement celui qui est là, celui qu'on rencontre par hasard ou par obligation. Mon prochain, c'est qui ? Le pape Benoît XVI répondait : "Celui qui a besoin de moi et que je peux aider". Notre prière chaque jour devrait aussi être celle-ci : "Mon Dieu, mets sur ma route aujourd'hui ceux à qui je peux rendre service humainement ou chrétiennement". Mais on peut ajouter : "Mets aussi sur ma route ceux qui peuvent me rendre service humainement ou chrétiennement", c'est-à-dire des gens qui peuvent m'aider dans ma marche vers toi.

L'homme qui est tombé aux mains des brigands, c'est aussi toute l'humanité blessée. C'est saint Irénée qui dit cela. Le Père tout-puissant et le Seigneur Jésus ont recueilli cet homme blessé et l'ont confié à un aubergiste, et cet aubergiste, c'est l'Esprit Saint. Jésus le dit ailleurs : "Je suis venu sauver ce qui était perdu".

La parabole du bon samaritain, c'est l'occasion de lire ou de relire Péguy (avec son style redondant) : "La charité, dit Dieu, ça ne m'étonne pas. Ce n'est pas étonnant. Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu'à moins d'avoir un cœur de pierre, comment n'auraient-elles point charité les une des autres. Comment n'auraient-ils point charité de leurs frères ? Comment ne se retireraient-ils point le pain de la bouche, le pain de chaque jour, pour le donner à de malheureux enfants qui passent. Et mon fils a eu d'eux une telle charité. Mon fils, leur frère. Une si grande charité. La charité va malheureusement de soi. La charité marche toute seule. Pour aimer son prochain, il n'y a qu'à se laisser aller, il n'y a qu'à regarder tant de détresse. Pour ne pas aimer son prochain, il faudrait se violenter, se torturer, se tourmenter, se contrarier. Se raidir, se faire mal. Se dénaturer, se prendre à l'envers, se mettre à l'envers. Se remonter. La charité est toute naturelle, toute jaillissante, toute simple, et toute bonne venante. C'est le premier mouvement du cœur. C'est le premier mouvement qui est bon. La charité est une mère et une sœur. Pour ne pas aimer son prochain, mon enfant, il faudrait se boucher les yeux et les oreilles. A tant de cris de détresse". (C'était Péguy, Charles Péguy, mort au front au début de la guerre 14-18).

La charité va de soi, dit Péguy, en mettant cette réflexion dans la bouche de Dieu. Le cardinal Lustiger avait un autre point de vue. Dans une homélie prononcée au cours d'une messe du Comité catholique Contre la Faim et pour le Développement (le CCFD), le cardinal Lustiger disait : "La moitié de l'humanité cherche à se faire maigrir, tandis que l'autre moitié a faim". C'est quoi le christianisme ? C'est une religion où le corps et les choses sensibles et les gestes humains ont leur place. Toujours l’Église combat contre le pur esprit.

Et qui est mon prochain ? Un Juif de notre temps, un homme marié, qui était fort croyant, disait : "Comme mon foyer est merveilleux ! J'y entre comme un suppliant et j'en sors comme un témoin ; j'y entre comme un étranger et j'en sors comme un proche parent". En face de cette belle profession de foi, on peut mettre celle d'un philosophe païen du IIe siècle qui écrivait : "Chaque fois que j'ai été parmi les hommes, je suis revenu moins homme". Charles Péguy faisait dire à Dieu que la charité allait de soi parmi les humains. Ce n'est pas l'avis de tout la monde. Une observatrice de notre temps, un peu philosophe sans doute, constate, elle, que l'humanisme actuel, qui n'a même pas le courage de se dire athée, engendre un genre inhumain. Et le monde sensible, auquel une propagande dite laïque veut assigner l'être humain comme seule résidence, devient irréversiblement un monde insensible, froid et cruel... Et qui est mon prochain ?

En chantant distraitement à l’Église : "Dieu est amour", on ne s'avise pas toujours combien cet énoncé, d'apparence banale, singularise le christianisme. C'est pourquoi il fait partie du trésor de l’Église de savoir que l'amour du prochain ne diminue pas chez les saints lorsqu'ils sont passés dans l'autre monde. Sainte Thérèse de Lisieux le disait déjà de son vivant : "Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre".

La plus grande charité qu'on puisse témoigner à quelqu'un, c'est de l'aider à s'approcher de Dieu. Mais qui peut prétendre le faire ou en être capable ? L'amour espère toujours en Dieu : il peut toujours déposer autrui entre les mains de Dieu, il peut aussi recevoir lui-même de Dieu des actes ou des paroles capables d'éveiller l'autre à la foi et collaborer ainsi à son ascension spirituelle. (Avec Benoît XVI, saint Irénée de Lyon, Charles Péguy, Abraham Heschel, Sénèque, Cardinal Lustiger, Jacqueline Kelen, Denis Tillinac, AvS, HUvB).

 

17 juillet 2011 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 13,24-43

Voilà donc trois paraboles de Jésus concernant le royaume des cieux, concernant la vie des croyants, la vie de l’Église. D'abord la parabole de l'ivraie dans le champ, le champ de Dieu. Dieu n'a semé que du bon grain dans son champ. Pourquoi y trouve-t-on aussi des mauvaises herbes ? Pourquoi y a-t-il du péché dans le monde ? Pourquoi y a-t-il du péché dans l’Église ?

Deuxième parabole : on sème une toute petite graine. Et cette toute petite graine va finir par devenir un grand arbre. Qu'est-ce que Jésus veut dire ?

Troisième parabole : on met un peu de levain dans beaucoup de farine. Mais le petit levain fait lever un gros pain. Le petit levain, c'est trois fois rien par rapport à la farine. Et c'est ce trois fois rien qui va faire lever toute la pâte.

Jésus invite les siens à la patience. Ce n'est pas en un jour que la petite graine devient un grand arbre. Et ce qui paraît tout petit au début va produire un résultat infiniment grand.

Et puis il y a du mal et du bien dans l’Église et dans le monde, il y a du bien et il y a du péché. On ne peut pas empêcher le péché d'exister, il est là. Dieu non plus ne l'empêche pas d'exister. Dieu a un dessein pour le monde. C'est parce qu'il y a du péché dans le monde que le Fils de Dieu a assumé le sacrifice de se séparer du Père. Dans cette séparation et dans les souffrances de l'incarnation, il y a un amour qui se révèle. C'est parce qu'il y a du péché dans le monde que le Fils de Dieu s'est séparé du Père pour entrer dans le monde. Il est venu pour purifier le champ du Père. Et ce qui n'a pas pu être purifié dans une existence terrestre devra être purifié dans l'au-delà. Le temps de purification dans l'au-delà, le temps du purgatoire, est aussi un acte d'amour du Fils de Dieu. Pendant ce temps de purification, il faudra que soit extirpé de nous tout ce qui ressemble à de la mauvaise graine, et alors seulement le Seigneur Jésus pourra nous présenter au Père dans son royaume.

Il y a du mal dans l’Église, il y a du péché dans l’Église. C'est inévitable. Le cardinal Newman ajoutait : Il y a du péché dans l’Église, mais on ne peut pas interpréter l'histoire de l’Église à partir des abus et des perversions de ses membres, comme si on écrivait l'histoire de l'Angleterre à partir de ses voleurs de grands chemins.

Il y a du mal et du péché dans le monde et dans l’Église. Le bon larron est devenu l'image de l'espérance, la certitude consolante que la miséricorde de Dieu peut nous rejoindre même au dernier instant, la certitude même que, après une vie d'erreurs, la prière qui implore la bonté n'est pas vaine.

Il y a du mal et du péché dans le monde. La grande faute de l'homme, ce n'est pas tant les péchés qu'il commet. La tentation est puissante et l'homme est bien faible. Non ! La grande faute de l'homme, c'est de pouvoir à tout instant retourner vers Dieu et de ne point le faire. C'est un spirituel juif du XIXe siècle qui disait cela. Et c'est le même qui posait la question : "A quoi pouvons-nous reconnaître qu'un péché nous a été remis ?" Il disait : "Le signe du pardon d'un péché, c'est le fait qu'on ne le commet plus".

Il y a du péché dans le monde, dans l’Église et en nous. La violence grossière, tout le monde la voit. Mais il y a aussi une violence subtile qui se déguise en amour, en amitié, en apostolat même : c'est une violence beaucoup moins sensible et beaucoup plus pernicieuse. Dieu est une puissance pure de toute domination : il ne faut pas arracher tout de suite l'ivraie. Par le Seigneur Jésus qui a été crucifié, le Créateur nous dit : "Je n'ai aucune puissance de domination". Dans l'humanité telle qu'elle est, dans nos rapports avec les autres, nous n'avons pas d'expériences complètement pures de toute domination. Si nous sommes un peu attentifs, nous nous apercevrons que nos relations, même les meilleures, sont contaminées, parasitées par l'esprit de domination qui sait très bien se déguiser. Même les hommes les plus saints, paraît-il, n'échappent pas, dans leurs relations avec les autres, à annexer un peu l'autre, à l'utiliser un peu. Aucun être humain n'a l'expérience pure de relations sans domination. Par le Seigneur Jésus crucifié, le Créateur nous dit : "Je n'ai aucune puissance de domination".

Le Seigneur Jésus est venu dans le monde. Il est venu vers tous les êtres égarés dans le labyrinthe du monde afin de les ramener au bercail. Mais il y a de l'ivraie dans le champ du monde. Et la démarche du Seigneur Jésus s'est heurtée et se heurte toujours de plein fouet aux volontés qui se dressent contre tout rattachement à la source créatrice. (Avec Newman, Benoît XVI, Martin Buber, Pierre Ganne, AvS, HUvB).

 

20 juillet 2014 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 13,24-43

Jésus a appris que Jean-Baptiste a été mis en prison. Il en est assez affligé. Il se trouve dans le petit jardin d'une maison où on l'avait accueilli et on lui demande de parler. Il n'a pas beaucoup envie de le faire, mais il va à l'ombre des arbres et il commence à parler.

C'est la belle période de l'année où, dans les champs, le blé devient épi... Le royaume de Dieu est semblable à un homme qui a semé du bon grain… L'ivraie, ce sont des vrilles fines et tenaces sur les tiges du blé... A la moisson, on va retirer l'ivraie, on va en faire des bottes à part, on va les brûler : cela va faire une fumure pour le sol...

Réfléchissez : que de fois l'Ennemi a semé de l'ivraie dans vos cœurs. Dieu vous donne sa Parole, et l'Ennemi veille pour qu'elle soit mêlée au poison de l'ivraie. S'il y a de l'ivraie dans votre âme, il faut la mettre à part pour la jeter, pour que vous ne soyez pas indignes de Dieu.

La bonne semence, ce sont les fils du royaume pour que Dieu les mette dans ses greniers. L'ivraie, ce sont les fils du diable qui sont répandus dans le champ de Dieu pour faire de la peine au Maître du monde et nuire aussi aux épis de Dieu. Le diable les a jetés exprès. Par ses fils, il veut corrompre les autres. A la fin du monde, il y aura un tri : la corruption n'entre pas dans le ciel de Dieu.

Dans le champ de Dieu, il peut y avoir des traîtres. Dieu cultive ses champs : chaque disciple est un champ. Dieu se fatigue pour les cultiver. Il voit leurs mauvaises tendances, mais il espère, il espère toujours. Mais les champs sont ouverts : tous peuvent y entrer. Toutes sortes de mauvaises herbes peuvent s'y introduire. Pourquoi ? Pourquoi toutes ces semences du diable ?

Parfois les disciples mauvais ne se rendent pas compte qu'ils sont mauvais. Le travail du diable est tellement subtil qu'ils ne le remarquent pas. Pourquoi ? Dieu lui-même ne se lasse pas de faire au-delà de ce qui est utile au triomphe de ses desseins, de sa volonté d'amour. La mal existe, le bien aussi existe. Et il y a dans l'homme le discernement et donc la liberté.

Qu'est-ce que c'est que le monde présent ? Il est juste là pour nous rendre mûrs pour le monde de Dieu où le Seigneur Jésus est entré en précurseur par sa mort et sa résurrection. Et après son retour auprès du Père, le Fils ne nous oublie pas, il s'occupe de nous, il se prépare sans cesse à nous accueillir. Et nous faisons ici-bas ce que lui-même faisait : il venait du Père et il allait vers le Père.

A la fin de la parabole, l'ivraie, on la jette au feu. Les anges de Dieu jetteront dans la fournaise ceux qui commettent le mal. Où est-il l'enfer ? L'enfer n'est pas autre chose que le lieu où Dieu est exclu. Et cet enfer, nous le connaissons vraiment, c'est notre monde d'aujourd'hui en rupture avec Dieu et bâti sur son refus.

Mais dans l'enfer du monde présent, qui est encore et toujours le champ de Dieu, il y a quand même encore et toujours des graines de Dieu. Saint Paul nous dit aujourd'hui : "Nous ne savons pas prier comme il faut". Il faut que l'Esprit de Dieu nous vienne en aide. Un chrétien des premiers temps de l’Église, l'un des premiers martyrs, saint Ignace, évêque d'Antioche, disait déjà : "Il y a en moi une eau vive qui murmure et me dit : Viens vers le Père"... Une eau vive qui est l'Esprit Saint au-dedans de nous si nous voulons bien le recevoir. Il y a du bon grain et de l'ivraie dans le champ de Dieu. Un chrétien de notre temps, qui était aussi philosophe, disait : "Il n'y a pas de source qui ne puisse être gâtée, pervertie".

L’Église, c'est l'organisme qui, en tout temps et en tout lieu, initie l'humanité au mystère de Dieu et du Seigneur Jésus Christ. Mais dans l’Église tout n'est pas parfait non plus. Il y a du bon grain et de l'ivraie. Et le diable est à l'affût partout pour semer de l'ivraie, pour semer de la zizanie, pour semer des mensonges dans la vérité, pour semer le doute.

Il y a du bon grain dans le monde, même en l’homme qui n'a pas encore découvert Dieu. "Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer, d'accomplir le bien et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité de son cœur : 'Fais ceci, évite cela'. Car c'est une loi inscrite au cœur de l'homme; sa dignité, c'est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera" (Vatican II).

Il y a du bon grain et de l'ivraie dans le champ de Dieu. Il y a l'impuissance de la croix et la toute-puissance de Dieu. Les chrétiens se trouvent toujours dans une situation plus précaire qu'ils ne le voudraient. Saint Paul s'est plaint plus d'une fois à Dieu de ses faiblesses. Et le Seigneur Jésus lui a répondu : "Ma grâce te suffit". Cela veut dire qu'en toute situation précaire, le chrétien a la garantie de recevoir de Dieu sa protection... Les richesses de Dieu ne sont là que pour ceux qui sont pauvres sincèrement et effectivement. (Avec Paul Evdokimov, Ignace d'Antioche, Paul Ricoeur, Gustave Martelet, Vatican II, AvS, HUvB).

 

19 juillet 2009 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6, 30-34

Dimanche dernier, Jésus avait envoyé ses disciples en mission pour la première fois. Les disciples sont maintenant de retour et ils rendent compte à Jésus de tout ce qu'ils ont fait. Alors Jésus les invite à souffler un peu avant de se remettre en chemin. Il y a une telle foule encore une fois qui se bouscule autour de Jésus qu'on n'a même pas le temps de manger. On est au bord du lac ; la solution : on monte dans une barque et on va dans un lieu désert. Mais quand on arrive au lieu désert, il y a déjà là un comité d'accueil parce que les gens ont fait à pied le tour du lac et ils sont arrivés au lieu désert avant Jésus et ses disciples.

Et en voyant toute cette foule de gens, Jésus eut pitié d'eux. Qu'est-ce que ces gens attendent de Jésus ? Aujourd'hui, il semble qu'ils n'attendent de Jésus qu'une seule chose : c'est que Jésus leur parle. Alors "Jésus se mit à les instruire longuement". C'est que tous ces gens devaient avoir une certaine faim des paroles de Jésus, de la Parole de Dieu.

Jésus ne s'appartient pas, Jésus ne s'impatiente pas devant tous ces gens qui sont encore une fois là. Jésus ne se plaint pas. "Un signe habituel de la richesse est d'être, ou de paraître, très occupé". Jésus n'éprouve pas le besoin de jouer la comédie de l'homme très occupé. Il est là pour tous ceux qui ont besoin de lui. Jésus n'est jamais pris au dépourvu par l'événement : il s'adapte. Il ne veut jamais faire autre chose que ce que le Père lui demande dans l'instant présent.

Nous aussi, nous sommes capables de faire à chaque instant ce que Dieu nous demande. On peut avoir des projets, mais il arrive aussi que ces projets soient bouleversés. Qu'est-ce que Dieu attend de nous alors ? Dieu est toujours disposé à nous donner de son Esprit. Il ne nous donne pas tout son Esprit. Il nous donne de son Esprit. Nous ne recevons pas l'Esprit Saint une fois pour toutes, mais cela dépend de notre situation et des circonstances. On reçoit l'Esprit Saint d'une manière différente à chaque époque de la vie. Dieu nous communique de son Esprit autant que cela lui semble juste. Mais il tient compte aussi de notre accueil. Rarement Dieu nous donne à l'improviste sans tenir compte de notre réponse. La plupart du temps, c'est comme si Dieu attendait notre réponse pour donner à nouveau. Et jamais il ne cessera de donner si nous restons disponibles.

Pourquoi y a-t-il tant de monde autour de Jésus ? On dirait que tous ces gens sont là surtout pour l'écouter. Pourquoi ? Comme disait un romancier philosophe de notre temps, un philosophe romancier : "L'homme est un être à qui quelque chose est arrivé". Qu'est-ce que ces gens attendaient de Jésus ? Ils attendaient peut-être surtout que Jésus leur explique ce qui leur était arrivé. "L'homme est un être à qui quelque chose est arrivé"... à qui un malheur est arrivé. Le mal, le malheur, est la chose la plus redoutable au monde. Le mal, c'est ce qu'on ne peut pas justifier, quelque chose qui est irrationnel, qui n'est pas raisonnable. Le mal, c'est ce qui n'a pas été prévu, ce qui n'a pas de sens. Dans le plan de la création de Dieu, le mal n'a pas sa place. Et pourtant le mal est là. Il vient de quelque part, il vient d'un inconnu, le démon peut-être. Le mal nous prend par surprise. Le mal, c'est l'adversaire. Le mal désoriente l'homme. Et il essaie d'orienter l'homme par surprise dans une direction qui n'est pas le destin divin auquel l'homme est appelé.

En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il eut pitié de tous ces gens, et il se mit à leur parler. Comment guérir du mal ? Jésus sait une chose et il le dit de temps en temps, c'est son credo : "Je ne suis pas seul; il y a moi et celui qui m'a envoyé", c'est-à-dire le Père invisible (Jn 8, 10). Et Jésus nous invite à faire comme lui : faire confiance au Père invisible, s'en remettre de tout à lui, au-delà même de la fin de la vie, au-delà de la mort... "Je ne suis pas seul ; il y a moi et celui qui m'a envoyé", le Père invisible. L'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps avait une toute petite prière qui disait à Dieu : "Que mon sommeil soit habité de ta présence".

Le philosophe sans Dieu tout à l'heure disait : "L'homme est un être à qui quelque chose est arrivé". Le philosophe croyant dit de son côté : "L'homme est pour lui-même une énigme qui a besoin de Dieu pour être résolue". C'est peut-être pour cette raison que les foules se pressaient autour de Jésus pour l'écouter. Parce que Jésus avait une manière de parler de Dieu qui répondait à toutes les énigmes du monde et de toutes les existences. (Avec JacquesGuillet, Jean-Paul Sartre, Adolphe Gesché, Jean-Yves Calvez, Grégoire de Nazianze, AvS, HUvB).

 

22 juillet 2012 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6,30-34

Dimanche dernier, les apôtres étaient envoyés en mission, deux par deux. Aujourd'hui, ils sont de retour. Mais autour de Jésus, c'est la cohue, c'est la bousculade. On a du mal à l'imaginer. La preuve que ça va mal, c'est qu'on n'a même pas le temps de manger. Alors Jésus veut emmener les apôtres dans un lieu tranquille, et pour cela on part en barque. Mais sur la rive, la foule observe bien la direction de la barque. Et quand Jésus et les apôtres mettent pied à terre, il y a là tout un comité d'accueil, aussi nombreux qu'au départ de la barque. Alors Jésus se laisse faire. Et qu'est-ce qu'il fait alors, Jésus ? "Il se mit à les instruire longuement". Et là, saint Marc nous laisse sur notre faim, il ne dit pas un mot de ce que Jésus a pu dire ce jour-là.

Jésus ne parle pas toujours. Communier, c'est recevoir Dieu. Celui qui communie est tant soit peu conscient qu'il reçoit Dieu, que Dieu s'est penché vers lui. Mais il n'est pas dit que Dieu va nécessairement lui dire ce jour-là une parole audible. Mais la communion, c'est un moment de communion avec Dieu. Les saints nous invitent à demander à Dieu de comprendre toujours mieux qu'il est vraiment présent au milieu de nous.

Le but de la catéchèse, le but du catéchisme, c'est de mettre en communion avec le Seigneur Jésus. Seul, le Seigneur Jésus peut nous conduire à l'amour du Père. C'est le Seigneur Jésus lui-même qui enseigne par la bouche du catéchiste ou de la catéchiste. Tout catéchiste devrait pouvoir dire ce que Jésus disait un jour :"Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé" (Jn 7,16).

Aujourd'hui Jésus part en barque avec ses apôtres pour fuir la foule et il retrouve la foule. Que veut-elle cette foule ? Elle veut à manger. Elle a faim de la parole de Jésus. Un jour Jésus dira : Je suis la Vérité et le Chemin. Je suis le Chemin pour aller à la Vérité. Et il ajoutera : Je suis la Vie, et je donne la Vie, car celui qui accueille la Vérité accueille la Vie.

Un homme de notre temps a écrit un petit livre auquel il a donné pour titre : "Lettre à mon gendre agnostique". Qu'est-ce qu'on peut dire à un gendre qui ne croit pas en Dieu, mais qui n'est pas non plus tout à fait fermé au monde de Dieu ?

Dans cette lettre qui est devenu un petit livre, le beau-père résume l'histoire des relations des hommes avec Dieu. D'abord Dieu aurait pu rester dans son éternité ; il a fait le choix de créer le monde. Ensuite, après la création, Dieu aurait pu laisser son œuvre suivre son cours selon les lois de la nature. Il a fait le choix d'entrer dans la création en faisant alliance avec son peuple. Et puis, après les différentes alliances avec son peuple, Dieu aurait pu laisser le monde suivre son chemin. Il a fait le choix de renoncer à une part de sa divinité en devenant homme vivant au milieu des hommes. Enfin, quand il est entré totalement dans la création, Dieu ne l'a pas fait en devenant un roi qui devait être servi, mais en devenant un serviteur rejeté de tous et qui est mort dans les tortures.

Jésus, évidemment, n'a pas pu dire tout cela aux foules au bord du lac. Sa vie n'était pas finie. Jésus nous apprend le silence et la parole. Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire. Je trouve cela chez un chrétien orthodoxe de notre temps, qui était évêque. Que faire auprès d'un mourant ? Il dit ceci : "Au chevet d'un mourant, ce qui aide le plus, mais demande un rude apprentissage, c'est la capacité de rester assis dans un repos complet, tout simplement d'être là".

Jésus, au bord du lac, parle longuement à la foule, et on ne sait pas ce qu'il a dit ce jour-là. Un beau-père envoie une lettre à son gendre agnostique. Que dit Jésus ? Que dit le beau-père ? Finalement ils disent ceci : Aucun homme ne devient libre pour lui-même et pour les autres s'il n'est illuminé, ensoleillé, irrigué, par l'amour. Si cela est vrai à un niveau purement humain, c'est encore beaucoup plus vrai de l'homme devant Dieu. L'homme doit être illuminé, ensoleillé, irrigué, par un amour venu d'en haut pour devenir vraiment lui-même. (Avec Cardinal Schönborn, André Nouis, Métropolite Antoine, AvS, HUvB).

 

19 juillet 2015 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 6,30-34

Les apôtres reviennent auprès de Jésus après une mission d'évangélisation. Jésus et les apôtres partent en barque pour aller dans un lieu calme et désert. Mais les foules qui suivaient Jésus ont compris la manœuvre, elles font le tour du lac à pied. Et quand Jésus et les apôtres arrivent à l'endroit qu'ils espéraient être désert, il est déjà plein de monde. Le projet de Jésus de faire reposer ses apôtres est contrecarré.

Le Seigneur Jésus agit comme tout croyant : il fait des projets et il essaie de les réaliser. Ici il fait abstraction de sa connaissance divine. Il a un projet, et ça ne marche pas. Le Seigneur Jésus nous montre par là que pour nous aussi, en nous laissant guider par notre raison humaine pour réaliser quelque chose dans la foi, nos projets peuvent être voués à l'échec. Finalement toute la Passion du Seigneur Jésus, par laquelle il va racheter le monde récalcitrant, apparaîtra comme son plus grand échec. Et c'est dans cet échec humain que va se réaliser tout le plan de Dieu.

Jésus et les apôtres arrivent en un endroit qu'ils espéraient bien être désert et il y a toute une foule qui les attend. Jésus est pris de compassion pour tous ces gens qui ont fait des kilomètres et des kilomètres pour le rencontrer. Il est rempli de compassion pour eux. Et cela le décide à changer son programme : il se met à les instruire longuement. L’évangéliste ne nous dit pas le contenu de l'enseignement de Jésus ce jour-là. Mais, par son enseignement, il leur a fait certainement comprendre qu'il est leur berger, qu'il est au milieu d'eux et qu'il ne va pas les abandonner. On peut demander aujourd'hui au Seigneur Jésus qu'il remplisse notre vie et qu'il en fasse quelque chose d'utile pour son Église, pour les autres et pour le monde.

Un Français, ancien vice-président de la Banque mondiale, a participé pendant un certain temps avec sa femme et tout un groupe de la communauté de l'Emmanuel, à des séances d'évangélisation dans les rues de Paris. Il a raconté ça il y a une vingtaine d'années : cinquante personnes, dont lui et sa femme, donnaient de petits enseignements pour aider les gens à placer leur travail dans le plan de Dieu. Ils essayaient de leur montrer que, dans une vie laïque, la prière peut pénétrer le travail ; pas seulement une prière avant et après : il peut y avoir communication avec Dieu au cours même du travail. L'évangélisation des rues : ce n'est pas la vocation de tout le monde. Mais cela se faisait et cela se fait encore sans doute.

Pourquoi les gens étaient avides de rencontrer Jésus ? Et de quoi Jésus leur parlait-il ? Il leur parlait de Dieu évidemment, et des choses de Dieu, et des chemins vers Dieu. Bernanos, dans l'un de ses romans, parle du saint de Lumbres. Il disait de ce saint qu'il donnait à pleines mains une paix dont il était vide lui-même. Autrement dit la paix de Dieu passait par lui, mais lui-même ne goûtait pas cette paix.

Depuis toujours, depuis les tout débuts de l'humanité, les hommes ont cherché Dieu à tâtons, ils ont cherché à imaginer des "puissances" qu'ils sentaient les dépasser. Les hommes ont imaginé un tas de choses, un tas de dieux, ils ont inventé un tas d'histoires sur les relations qu'il pouvait y avoir entre tous ces dieux. Dans la révélation biblique au contraire, à un certain moment de l'histoire, c'est Dieu qui a pris l'initiative de se tourner lui-même vers l'humanité, de se faire connaître lui-même aux hommes. Les hommes n'ont plus besoin de s'interroger sur les dieux en risquant de prendre leurs désirs pour la réalité. Dieu n'est plus impersonnel, lointain, inaccessible, il n'est plus quelque chose qui n'éveille que crainte et tremblement. Il se fait proche tout en demeurant inaccessible, transcendant, trois fois saint, au-delà de tout et en même temps miséricordieux.

Avec le Seigneur Jésus, cette proximité de Dieu et cette miséricorde atteignent leur sommet : le propre Fils de Dieu s'est rendu présent dans notre histoire et dans notre vie, il a porté notre souffrance, notre péché et même notre mort. Il a révélé par là aux hommes un salut qui est une libération de tout mal, un salut qui est résurrection et vie éternelle, un salut qui est une manière de participer à sa propre vie de Fils de Dieu.

Dieu a mille manières de s'approcher de nous. Il le fait entre autres par des apparitions de la Vierge Marie par exemple. A Guadalupe, au Mexique, au XVIe siècle, la Vierge Marie est apparue sous les traits d'une jeune fille aztèque. Alors les gens du pays l'ont perçue comme quelqu'un vraiment de chez eux. Et à travers Marie, ils sont arrivés à Dieu, alors que beaucoup des conquérants de l'Amérique étaient des voleurs et des assassins, en étant sans doute chrétiens de nom.

Jésus fut saisi de pitié pour cette foule de gens qui l'attendaient et il se mit à les instruire longuement. Mais Jésus n'a pas pu dire aux foules, de son vivant, qu'il était né d'une Vierge. Il n'a pas pu dire clairement qu'il était Fils de Dieu et Dieu. La plénitude divine de sa personne n'a été vraiment reconnue qu'après que lui-même aura été rejeté, et bien sûr surtout après sa résurrection d'entre les morts. (Avec Georges Bernanos, Joseph Doré, Gabriele Amorth, AvS, HUvB).

 

18 juillet 2010 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 10, 38-42

Jésus est reçu dans une maison pour un repas. Il y a deux femmes dans la maison. Marthe s'occupe de la cuisine, Marie tient compagnie à Jésus. A un certain moment, Marthe trouve que trop, c'est trop. Et elle va se plaindre à Jésus : c'est elle qui assume tout le travail et sa sœur ne fait rien pour l'aider.

Pourquoi saint Luc a-t-il jugé bon de garder cette petite anecdote de la vie de Jésus ? Sans doute pour les quelques mots que Jésus a répondus à Marthe et que nous connaissons tous pas coeur : "Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée". Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est comme si Jésus disait à Marthe : "Viens un peu t'asseoir avec nous. Tu en as fait assez à la cuisine". Marthe aussi a le droit (et le devoir) d'être un peu avec Jésus, elle aussi a le droit (et le devoir) de s'approcher de Dieu. Le Seigneur Jésus nous invite tous à laisser notre vie terrestre et nos occupations terrestres se laisser imbiber par sa vie éternelle.

Et c'est quoi sa vie éternelle ? C'est une vie de participation à tous les mystères de la Trinité. Pour le moment, le croyant ne peut s'en faire une idée exacte. Marthe ne comprenait pas que Marie puisse perdre son temps avec Jésus alors qu'elle-même avait tant à faire avec ses casseroles. Il y a des choses que Marthe ne comprenait pas. Il faudrait qu'elle comprenne qu'à la cuisine aussi elle peut être toute proche de Dieu, avec ses casseroles. Où est la volonté de Dieu pour elle ? "Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel". La volonté de Dieu doit être pour moi si grande que ma volonté (à moi) n'est plus que chuchotée. Peu importe où nous nous trouvons maintenant. Tout ce que Marthe fait à la cuisine, tout ce que nous faisons doit rester caché tant qu'il plaît à Dieu. Qu'est-ce que c'est que l'humilité ? L'humilité, c'est l'acte qui place en Dieu l'axe de l'être humain. L'humilité, c'est la victoire sur l'égocentrisme et l'amour-propre. L'humilité, c'est un acte de la liberté qui place son centre en Dieu. Tout le reste n'a pas grande importance : à la cuisine ou au salon avec Jésus.

On ne connaît pas la suite de l'histoire des deux sœurs. On ne sait pas ce qu'elles ont fait finalement toutes les deux. L'évangéliste n'en savait peut-être rien lui-même. Est-ce que Marthe s'est assise à côté de Marie et de Jésus ? Est-ce que Marie est allée à la cuisine ? Nos Pères dans la foi disaient : "Il n'est point de péché impardonnable hormis celui dont on ne se repent pas". Dieu ne menace personne. Et le pardon dont il inonde nos vies vient guérir notre âme. Comment un Dieu d'amour pourrait-il s'imposer par des menaces ? Dieu n'est pas un tyran. Marthe est allée trouver Jésus pour se plaindre de sa sœur. Frère Roger, de Taizé, évoque sa mère quelque part dans ses écrits. "Ma mère demeure pour moi un témoin de la bonté du cœur. Elle avait appris dès son enfance la bienveillance pour chacun. Dans sa famille, on se refusait à défigurer les autres par une parole qui ridiculise ou qui porte un jugement sévère".... "Cela ne te fait rien que ma sœur ne fasse rien ?"

L’Église était à peine fondée qu'elle a été profondément secouée par des dissensions, des disputes, des conflits. Saint Paul explique aux communautés et aux personnes concernées comment il faut vivre dans l’Église en communion avec le Seigneur Jésus. "En toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l'amour... Vous êtes tous appelés à une commune espérance, vous êtes tous devenus enfants de l'unique Dieu et Père". Il y aura toujours des Marthe et des Marie, et les deux sœurs sont des enfants de Dieu. (Avec Paul Evdokimov, Isaac de Ninive, Frère Roger, AvS, HUvB).

 

21 juillet 2013 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 10,38-42

Avec cet évangile, nous sommes sans doute dans la maison de Lazare et de ses deux sœurs, Marthe et Marie. Lazare est un homme riche, un gros propriétaire terrien. On savait que Jésus devait arriver avec ses apôtres, mais on ne savait pas trop quand. Lazare était absent quand Jésus est arrivé avec les siens. Aussitôt tout le monde s'affaire pour préparer un repas comme il faut. Marthe et Marie ont salué Jésus à son arrivée. Marthe est rentrée à la maison pour donner ses ordres à toutes les servantes. Marie, elle, est restée avec Jésus dans les jardins près d'une vasque. Et Jésus parle avec Marie, c'est Jésus surtout qui parle, mais saint Luc n'a pas gardé ce qu'il a dit alors, et sans doute ne le savait-il pas.

Marthe arrive tout essoufflée ; elle n’est pas de très bonne humeur, elle s’adresse à sa sœur : "Tu es encore ici ! Et moi je me fais tant de soucis. L'heure avance. Il y a tant à faire : les servantes sont au pain, les serviteurs s'occupent des viandes, moi je prépare les nappes, les tables et les boissons. Mais il y a encore les fruits à cueillir, et l'eau de menthe et de miel à préparer".

Marie écoute, elle regarde toujours Jésus. Marthe réclame l'aide de Jésus : "Maître, regarde comme je suis échauffée. Te paraît-il juste que je sois seule à faire les préparatifs ? Dis-lui donc de m'aider". Marthe est vraiment fâchée. Jésus la regarde avec un sourire moitié ironique, plutôt moqueur. Marthe s'en offense un peu. "Je parle sérieusement, Maître. Regarde-la qui ne fait rien pendant que je travaille". Jésus prend un air plus sérieux : "Ce n'est pas de l'oisiveté, Marthe, c'est de l'amour. Voudrais-tu lui disputer l'amour qu'elle a pour son Sauveur. Laisse-la à sa paix. Tu te préoccupes de trop de choses, Marthe. Pour elle, il n'y en a qu'une seule. Laisse tomber les choses inutiles". Et Marthe, mortifiée, baisse la tête et s'en va. Et Marie alors, pour excuser sa sœur : "Ma sœur t'aime beaucoup et elle se donne du mal pour te faire honneur".

Marie voulait toujours rester avec Jésus puisque Jésus était enfin arrivé dans sa maison. Jésus, lui, n'est que service du Père. Tout pour lui est conversation avec le Père même quand il parle avec Marie ou quand il parle aux foules. Jésus cherche sans cesse à scruter la volonté du Père. Il ne ferme rien, il est prêt à dire oui à cette volonté quelle que soit la forme qu'elle puisse prendre : avec les foules ou avec Marie. Il conduit toujours au Père.

"Les joies sont toutes du paradis, même une simple plaisanterie, pour peu qu'elle soit dite dans un esprit de joie vraie" : on trouve cette réflexion dans la tradition juive. Et cette même tradition ajoute : "On peut aussi servir Dieu par le sommeil".

"Dieu n'est pas solitude infinie, mais amour". C'est Benoît XVI qui disait cela. En compagnie de Jésus, Marie, la sœur de Marthe, recevait de l'amour et elle en donnait aussi. Jésus n'était pas que solitude infinie; Lazare aussi était pour lui un grand ami.

"Cordonnier ou ministre, agrégé ou désagrégé, on s'en fiche, pourvu qu'il y ait tendu entre deux esprits subjugués l'un par l'autre le prodigieux fil d'or de la compréhension mutuelle". Quand Jésus sera ressuscité, à qui se révèle-t-il ? Il ne se révèle qu'à ceux qui l'aiment. Et pour saint Jean, la première à qui Jésus ressuscité se révèle, c'est Marie de Magdala dont il avait chassé sept démons . Nous devons apprendre à déceler Dieu sur le visage du prochain.

Bernadette avait vu la Vierge Marie, mais elle grinçait des dents contre les sœurs de son couvent de Nevers. Elle disait : "Quand je serai morte, on dira : 'Elle a vu la sainte Vierge, c'est une sainte', et pendant ce temps-là je vais griller en purgatoire". Seulement Bernadette avait vu Marie sourire, et plus d'une fois. La tante de Bernadette, tante Basile, avait demandé le nom de l'Apparition. Bernadette lui répond : "Je le demande, mais elle se met à rire". Pour l'apparition du 4 mars (1858), le commissaire Jacomet a compté trente-six sourires de Bernadette (c'est dans son compte-rendu de commissaire de police). Et on demande à Bernadette : "Pourquoi souriais-tu ?" Réponse : "Je souriais parce que la Dame souriait".

Jésus en conversation avec Marie dans les jardins de la maison de Lazare... Qui est Jésus ? Un homme indubitablement vrai et authentique, avec la prétention de représenter Dieu. Et cela tout en étant différent de celui qu'il appelle le Père et qui l'a envoyé. (Avec Martin Buber, Benoît XVI, Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Olivier Clément, sainte Bernadette, AvS, HUvB).
 

17 juillet 2016 - 16e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 10,38-42

Jésus s'invite dans une famille amie. Marthe et Marie l'accueillent, chacune à sa manière. Si l'évangéliste a retenu cette petite scène, c'est sans doute à cause de la parole de Jésus à Marthe : "Tu t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée". Ceci dit, on ne sait toujours pas ce que Jésus a dit à Marie ce jour-là, on n'a pas entendu non plus les réponses de Marie, ni ses questions. C'est plus d'une fois comme ça dans les évangiles : on nous dit que Jésus parle longuement aux foules, mais à cet endroit-là l’évangéliste ne nous dit pas le contenu des paroles de Jésus.

Saint Paul nous donne une réponse dans la deuxième lecture d'aujourd'hui : le Christ est au milieu de vous, c'est un mystère sans prix. - Oui, mais encore ? Le Seigneur Jésus vient en notre assemblée, il vient en notre eucharistie. Il nous dit, comme dans l'Apocalypse : "Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix, s'il m'ouvre, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi". Saint Thomas More nous dit ce que c'est que recevoir le Seigneur Jésus : "Ayant reçu notre Seigneur dans l'eucharistie, l'ayant présent dans notre corps, n'allons pas le laisser tout seul pour nous occuper d'autre chose. Si nous lui réservons notre attente, il ne manquera pas de prononcer au-dedans de nous, sous forme d'inspiration, telle ou telle parole destinée à nous réconforter spirituellement".

Jésus a parlé avec Marie ce jour-là. On sait ce qu'il a dit à Marthe, on ne sait pas ce qu'il a dit à Marie. Mais ce qu'on sait, c'est que, pour Dieu, le bonheur suprême est de se révéler. Jésus était en conversation avec Marie. Si la prière est vraiment une conversation, je dois me présenter devant Dieu en le laissant parler comme un partenaire très célèbre qui daigne se faire comprendre de moi. Car  Dieu peut intervenir dans la vie des croyants pour les former, il est enclin à exprimer des choses compréhensibles de manière à ce que le croyant puisse les saisir et les assimiler.

L’Église est inscrite depuis vingt siècles dans la civilisation européenne. Elle doit sans cesse prouver que la voie chrétienne est un équilibre entre l'engagement vertical vers le Très-Haut et l'engagement horizontal pour la construction d'une humanité meilleure, dans la coopération  fraternelle avec tous les humains de bonne volonté. Au fond, l’Église a toujours à être à la fois Marthe et Marie : écouter la parole qui vient d'en haut et mettre la main à la pâte pour améliorer ce qui peut l'être.

Un jour, un certain nombre de disciples de Jésus lui ont tourné le dos. Jésus alors a posé la question à ses apôtres : "Et vous, vous voulez me quitter, vous aussi ?" Et Pierre avait répondu : "Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle". Pierre avait discerné en Jésus un être exceptionnel qui exprimait les profondeurs de Dieu. Il était convaincu que son message était celui-là même de Dieu. - Un jour des gardes ont été envoyés par les chefs juifs pour arrêter Jésus. Et les gardes étaient revenus bredouilles, et ils ont dit à leurs chefs : "Jamais homme n'a parlé comme cet homme".

Il est difficile de tenir Dieu pour mort. Exemple : cinq ans après la prise de la Bastille en 1789, et contre toute attente, la Révolution française a instauré le culte de l’Être suprême, comme si le vide créé par la mort de Dieu nécessitait d'être comblé, comme si la nature avait horreur du vide... Robespierre savait bien qu'il avait été trop loin dans la chasse aux sorcières. Alors il croit récupérer la société avec un culte de pacotille. Mais ça n'a pas duré longtemps. Et aujourd'hui, ils sont où les cultes de pacotille pour rassembler les foules et les faire vibrer ? Ils ne manquent pas.

Quand est bannie toute notion de sacré, il est impossible à l'homme d'établir une véritable hiérarchie des valeurs... Un monde sans sacré est un monde de chaos. "C'est pourquoi il convient de réaffirmer le sacré fondamental, celui de la vie" : c'est un chrétien d'origine asiatique qui nous dit cela. Et il ajoute : "Et du même coup il convient d'affirmer qu'est sacrée aussi la mort de chacun - la mort entendue une fois encore comme le fruit inaliénable de chaque destin. Nous avons failli oublier ce que les spécialistes de la préhistoire nous ont enseigné, à savoir que l'attention portée au devenir de chaque mort caractérise les débuts de l'hominisation. Nous avons failli n'admirer Antigone que pour son acte courageux contre la raison d’État, en oubliant que si elle consent au sacrifice, c'est pour proclamer qu'une sépulture décente pour chacun procède d'une loi divine. Elle rappelle à Créon, et à nous tous, que le soin au corps mort relève d'une transcendance qui s'impose à toutes les lois humaines".

Beaucoup de gens, à tous les niveaux de la société, ont une image de Dieu simpliste, non réfléchie. L’athéisme moderne en est la preuve, lui qui s'élève contre Dieu au nom de la science, du monde, de la liberté humaine. Toute l'intention de la révélation biblique de Dieu est d'éclairer le sens profond de l'être. Les penseurs chrétiens, les théologiens, prennent au sérieux tous les efforts des penseurs et des philosophes sans Dieu qui s'interrogent sur la signification du monde. Et c'est en s'appuyant sur la révélation biblique que les penseurs chrétiens s'efforcent de démonter les fausses interprétations de cette révélation et les idées simplistes qui ont cours sur Dieu, et qui rendent Dieu incroyable pour beaucoup. (Avec saint Thomas More, Guy Coq, Xavier Léon-Dufour, Emmanuel Jaffelin, François Cheng, AvS, HUvB).

 

24 juillet 2011 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 13,44-52

Trois petites paraboles aujourd'hui encore dans notre évangile. Il y a d'abord le trésor caché et la perle précieuse. Quand l'amoureux a découvert sa perle précieuse, il fait tout ce qu'il peut pour gagner ses bonnes grâces. Son amour, c'est son trésor, c'est sa perle précieuse. Quand les apôtres ont découvert Jésus, ils ont tout quitté pour le suivre.

La troisième parabole est d'un autre style. Ce sont les pêcheurs qui sont au travail. Quand ils remontent leurs filets, il y trouvent toutes sortes de choses, du bon et du mauvais. Comme dans le champ de dimanche dernier il y avait du bon grain et de l'ivraie. Il faut faire le tri. Et le tri, ce sont les anges qui vont le faire à la fin du monde, à la fin de notre vie.

Le royaume des cieux, c'est comme un trésor caché, c'est comme une perle précieuse. C'est quoi le royaume des cieux ? C'est Dieu et tout le mystère de Dieu. C'est le Fils de Dieu et tous ses mystères. C'est l'Esprit Saint.

Ces jours derniers, je lisais un livre intitulé : "Dictionnaire amoureux de la Bible". Il fait partie d'une collection que vous connaissez peut-être : "Dictionnaire amoureux". Trente-cinq volumes en sont déjà parus : "Dictionnaire amoureux du tour de France", "Dictionnaire amoureux du rugby", "Dictionnaire amoureux des chats", "Dictionnaire amoureux de la France", "Dictionnaire amoureux du catholicisme" (ce dernier, je l'ai lu d'un bout à l'autre : c'était bien la première fois que je lisais d'un bout à l'autre un dictionnaire). Et ces jours-ci donc je lisais le "Dictionnaire amoureux de la Bible". Vous connaissez sans doute son auteur : Didier Decoin. Didier Decoin,c'est un romancier, il est membre de l'Académie Goncourt ; et, à part ses romans, il a aussi écrit des essais et des ouvrages de spiritualité. Il ne cache pas sa foi chrétienne, lui qui est de l'Académie Goncourt.

Dans son "Dictionnaire de la Bible", à la lettre C, Didier Decoin consacre un article à Claudel, Paul Claudel. Vous connaissez Claudel, c'est l'un des grands écrivains français du XXe siècle, il fut aussi membre de l'Académie française. Mais sa profession de base, c'était d'être ambassadeur de France. Paul Claudel, à un certain moment de sa vie, dans sa jeunesse, était tout à fait sans Dieu. Et il a raconté lui-même comment il avait découvert le trésor caché et la perle précieuse. Voici ce qu'il écrit.

"Je vivais dans l'immoralité et, peu à peu, je tombai dans une espèce de désespoir. J'avais complètement oublié la religion et j'étais à son égard d'une ignorance sauvage. (Le soir du 25 décembre 1886, n'ayant rien de mieux à faire, il est allé à Notre-Dame de Paris pour les vêpres). Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du chœur, à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée n'ont pu ébranler ma foi ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, de l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable".

Paul Claudel a du mal à dire ce qu'il a découvert en un instant : l'éternelle enfance de Dieu. Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? L'existence de Dieu tout simplement. Et donc la foi, comme une évidence. Après cette découverte du trésor, tout n'a pas été forcément rose dans la vie de Claudel. Ce n'est pas possible. Tant que le Seigneur Jésus n'est pas venu (dans sa seconde venue qui sera glorieuse), nous vivons dans un état de pauvreté fondamentale : la pauvreté de la foi qui croit sans avoir vu. Mais cette pauvreté fondamentale porte déjà en elle des signes de la plénitude débordante qui vient. A Notre-Dame de Paris, un soir de Noël, Claudel avait connu un instant de plénitude débordante. Nous n'avons pas encore vu Dieu, mais nous vivons de lui parce que lui nous voit, et dans l'espérance de le voir un jour comme lui nous voit.

Paul Claudel a trouvé le trésor. Que va-t-il en faire ? L'homme, même croyant, ne doit pas se décharger sur Dieu de ce qu'il lui revient de faire. Il faut exploiter le trésor, le trésor appartient à tous. Mais en même temps la morale chrétienne part de ce principe : "Demeure auprès du Seigneur qui t'est donné". Nous n'avons pas grand-chose à dire à Dieu qu'il ne sache déjà. Mais nous avons besoin de l'écouter. Cela suppose d'avoir la patience de persévérer, de nous taire, de prendre du temps, pour simplement être là devant lui, la patience de se confronter chaque jour à l’Écriture pour essayer d'entendre ce que Dieu nous dit entre les lignes.

Terminer avec un acte de foi. Tous les êtres ont leur motif intrinsèque suprême dans le Christ. Toutes les personnes existent en vue du Christ. Pour les déchiffrer et les comprendre exactement, il n'y a pas d'autre possibilité que de les orienter vers ce centre où elles s'intègrent. (Avec Didier Decoin, Paul Claudel, Adolphe Gesché, Aimé Becker, Enzo Bianchi, AvS, HUvB).

 

27 juillet 2014 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 13,44-52

Un homme était allé par hasard dans un champ pour prendre du terreau. Et voilà qu'en creusant il trouve un filon de métal précieux. Vite, vite, il recouvre de terre sa découverte. Il rentre chez lui, il rassemble toutes ses richesses en argent et en objets de valeur ; il vend ses objets pour en faire aussi de l'argent et il va trouver le propriétaire du champ : "Ton champ me plaît, combien en veux-tu ?" - "Mais il n'est pas à vendre", dit l'autre. Alors l'homme offre une somme toujours plus forte, disproportionnée à la valeur du champ. Et il finit par décider le propriétaire, qui pense : "Cet homme est fou. Mais puisqu'il l'est, j'en profite. Je prends la somme qu'il m'offre. Et avec ça, je m'achète trois autres champs, et plus beaux". Et il vend, convaincu d'avoir fait une affaire en or. Mais c'est le contraire qui est vrai. C'est l'autre qui a fait une bonne affaire. Il se procure un vrai trésor, naturel, inépuisable. Il possède pour toujours ce trésor qui y est caché.

Vous avez compris, dit Jésus. Vous faites comme l'homme de la parabole. Vous quittez des richesses éphémères pour posséder le royaume des cieux. Vous les laissez aux imbéciles de ce monde ; vous acceptez qu'on se moque de vous. Et c'est vous qui faites la bonne affaire. Votre Père qui est dans les cieux vous donnera avec joie une place dans son royaume. Maintenant rentrez chez vous et demain, jour de sabbat, pensez à la parabole du trésor qui est le royaume des cieux.

Par sa vie dans notre monde et dans le temps présent, le Seigneur Jésus donne part à tous les hommes à sa vie au-delà du temps. Lui, en venant sur terre, il garde un pied dans l'éternité, si l'on peut dire. Plus un homme livre au Seigneur Jésus sa vie d'ici-bas, plus il est attiré dès cette terre dans la vie éternelle du Seigneur Jésus, plus il y est introduit.

Il nous est proposé, il nous est demandé d'ouvrir notre vie dans le temps à sa vie dans l'éternité. Pas seulement quand on ne pourra plus faire autrement que de lui livrer notre vie, mais tout de suite, maintenant. Pas seulement quand je n'aurai plus rien à lui offrir, mais maintenant. Il veut non seulement la fin de notre vie, mais aussi son début (son début ou son milieu). Je ne veux plus d'autre fin qui ne soit aussi la sienne. C'était la question de Dieu à Salomon : "Qu'est-ce que tu veux que je fasse pour toi ?" Et la réponse était : "Donne-moi un cœur attentif, un cœur qui écoute, un cœur qui veut ce que tu veux. Et montre-moi jour après jour ce que tu veux".

Il y a aujourd'hui ce qu'on appelle la crise des vocations. Il y a un manque de prêtres, des monastères se ferment et des petites congrégations sont obligées de se regrouper. Cela ne doit pas nous laisser croire que Dieu n'appelle plus. Il sème toujours autant ; seulement la terre des cœurs est plus dure ; ou bien elle est plus encombrée des broussailles et des soucis du monde, et les grains meurent souvent sans avoir germé. Il ne faut pas croire que Dieu n'appelle plus.

La parabole de l'enfant prodigue, du fils prodigue, est une explication du péché originel. Que dit le fils à son père ? : "Donne-moi ma part d'héritage, donne-moi la création, mais sans toi, pour que je l'utilise, pour que j'en bénéficie par moi-même et pour moi-même, loin de toi". Adam et Ève sont comme des enfants qui ont voulu faire les malins. L'homme s'est mis à idolâtrer son plaisir immédiat en déclarant que là était son bonheur ultime : il n'a pas besoin de Dieu pour faire son bonheur.

Le cœur de la Révélation biblique et chrétienne est aussi immuable que la volonté de Dieu, et la volonté de Dieu, qui est amour, est de nous conduire, à travers la mort vaincue, jusqu'à la vie éternelle. C'est quoi le salut ? Le salut, c'est une histoire qui vient de l'éternité, qui se fait dans le temps et nous entraîne vers l'éternité.

François Mauriac notait quelque part dans une correspondance qu'il y avait en lui une faim de Dieu qui survivait en lui à toutes les déceptions, à toutes les erreurs... Dans une autre lettre, il écrivait : "Rien ne me guérira de tout ramener à Dieu". Ailleurs encore il écrivait : "Je ne fais pas le malin devant Dieu". A des parents, en parlant des enfants jusqu'à dix ou onze ans, il disait : "Alors Dieu est visible dans leur regard". Mauriac parlait aussi de l’Église : "L’Église, elle maintient tant mal que bien, dans ce monde abominable, l'unique Espérance".

Il était question d'un trésor dans l'évangile. Le christianisme prétend que le message chrétien a quelque chose d'absolu. Et les vérités partielles qu'on peut trouver dans les autres religions appartiennent à la vérité totale qui est dans le Christ, dans le Seigneur Jésus. Et la Vérité totale élimine ce qui est partiel en soi. Le message chrétien a quelque chose d'absolu et d'indépassable. (Avec Matthieu Grimpret, Jean-Miguel Garrigues, Pierre Chaunu, Oscar Cullmann, François Mauriac, AvS, HUvB).

 

26 juillet 2009 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6, 1-15

Aujourd'hui c'est le miracle de la multiplication des pains. Il y a là cinq mille hommes qui ont suivi Jésus dans un endroit assez désert, loin des villes et des villages. Et Jésus pose la question à ses disciples : Où est-ce qu'on pourrait acheter du pain pour tous ces gens ? On pourrait penser que chacun n'a qu'à se débrouiller : on n'est quand même pas obligé de nourrir tous ces gens, ils n'avaient qu'à apporter leur pique-nique.

Il y a vraiment beaucoup de monde : où est-ce qu'on pourrait trouver du pain pour cinq mille hommes ? Jésus pose la question à ses disciples, mais l'évangéliste nous avertit que Jésus pose la question tout en sachant lui-même ce qui va se passer : "Il savait bien ce qu'il allait faire". Et l'évangéliste raconte le miracle très sobrement. Jésus prend les pains (il y avait quand même les cinq pains d’un jeune garçon, et deux poissons), il prie sur ces pains en rendant grâce à Dieu et il les distribue. Et il y en a pour tout le monde. Et il y a même des restes : douze corbeilles. Presque plus de pain au début qu'à la fin.

Les gens ne sont pas fous et le bouche-à-oreille fait tout de suite savoir à tout le monde qu'au départ il y avait cinq pains et que ça a suffi pour cinq mille hommes. Ce n'est pas possible : ces gens touchent du doigt une fois encore que Jésus a beaucoup de pouvoir sur Dieu pour faire une chose pareille : cinq pains pour cinq mille hommes. Et comment appeler un homme qui a un grand pouvoir sur Dieu ? Dans toute la tradition du peuple juif, on appelle cet homme un prophète.

Mais dans les Écritures saintes des juifs, les prophètes des temps anciens avaient annoncé de la part de Dieu qu'un jour viendrait un très grand prophète, plus grand que tous les autres. Et le Messie, on ne savait pas trop si ce serait un roi, un prêtre ou un prophète. Mais le soir de la multiplication des pains, les gens se posent la question : est-ce que Jésus ne serait pas ce grand prophète annoncé depuis longtemps ? Et Jésus devine ce soir-là que tous ces gens feraient vite de lui leur roi s'il se laissait faire. Alors Jésus va se cacher dans la montagne. On se demande comment il a fait pour ne pas être suivi.

Cinq pains, cinq mille hommes. L'un de nos Pères dans la foi disait : "Jésus nous entraîne dans une région d'abondance inépuisable". Aucune nourriture humaine ne pourra jamais combler la faim de l'homme. Le Seigneur Jésus nous invite tous à sa table, dès la vie présente et au-delà de la vie présente. La grâce, c'est le don de Dieu à l'homme. Et Dieu qui a créé l'homme connaît les besoins de l'homme mieux que l'homme lui-même. La grâce aussi est une nourriture de l'homme, elle pénètre à l'intérieur, et elle le remplit au plus profond. La grâce est ouverte à tous, il y en a pour tout le monde. Et le souhait de Dieu, c'est que tous se servent de ses trésors et en jouissent. On peut dire que l'ouverture des trésors de Dieu, c'est cela l'essentiel de la révélation de Dieu qui nous est venue par toute l'histoire du peuple d'Israël et finalement, en plénitude, par la venue du Seigneur Jésus.

Les cinq mille hommes qui avaient été nourris avec cinq pains avaient deviné que Jésus était un grand prophète. Mais Jésus était encore plus que cela : Jésus a révélé Dieu comme aucun prophète ne l'avait fait. Et les douze apôtres eux-mêmes n'ont compris que plus tard en vérité que si personne n'a jamais vu Dieu, lui, Jésus, qui est dans le sein du Père, qui est tout près de lui, lui, il nous l'a fait connaître (Jn 1, 18).

Et Jésus a quitté ce monde en confiant sa révélation à ses disciples; ... ses disciples qui sont devenus l’Église répandue dans le monde entier. Et c'est quoi l’Église concrètement ? Une croyante de notre temps, qui était philosophe, disait un peu légèrement et en même temps avec tendresse : "L’Église... un gros animal à prétention divine". Mais la même philosophe ajoutait qu'il y a toujours dans l’Église "un noyau incorruptible de vérité"".

Cinq pains et cinq mille hommes. Jésus fait travailler ses disciples. Au début, Jésus leur fait distribuer le pain et, à la fin, il leur demande de ramasser les morceaux. Les disciples, c'est l’Église déjà, ce gros animal qui porte un noyau incorruptible de vérité. L’Église n'existe et n'a de sens que par rapport au centre qui est le Seigneur Jésus, Jésus le grand prophète qui est aussi le Fils unique du Père. Nos Pères dans la foi comparaient le Seigneur Jésus au soleil qui illumine tout. Et la lune aussi nous donne parfois de sa lumière. Mais la lumière de la lune ne vient pas d'elle-même, la lumière de la lune vient du soleil. L’Église, c'est comme la lune : si elle nous donne un peu de lumière quand même, la lumière qu'elle nous donne vient du soleil, le Seigneur Jésus, le Fils unique du Père, le Seigneur Jésus qui est capable de nourrir cinq mille hommes avec cinq pains et qui est capable aussi de transformer les hosties de nos eucharisties en sa présence vivante que nous recevons dans la foi. (Avec Fiches dominicales, saint Augustin, Antoine Vergote, Simone Weil, Gustave Thibon, AvS, HUvB).

 

29 juillet 2012 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,1-15

A partir de ce dimanche et jusqu'à la fin du mois d'août, la lecture de l'évangile de saint Marc est interrompue et nous lisons tout le chapitre sixième de saint Jean qui est consacré en grande partie au discours de Jésus sur le pain de vie. Aujourd'hui, comme introduction à ce discours, c'est la multiplication des pains. Une grande foule a suivi Jésus. On est loin de toute ville et de tout village. Où est-ce qu'on pourrait acheter du pain pour tous ces gens ? C'est la question que Jésus pose à l'apôtre Philippe. Pour Philippe, le problème est ailleurs : ça coûterait une fortune de donner à manger à tout le monde.

L'apôtre André, qui est bien gentil, signale quand même qu'il y a un garçon qui a dans son sac cinq pains et deux poissons. Et il dit : Mais qu'est-ce qu'on peut faire avec ça ? Et Jésus bénit les pains et les poissons. Et il y en a pour tout le monde et il y a encore des restes.

Bien sûr, à deux mille ans de distance, on ne peut pas vérifier l'authenticité de ce miracle. Mais dans l'histoire de la sainteté chrétienne, on trouve des exemples de multiplications étonnantes de nourriture. Et dans ces cas-là, un certain nombre de témoins sont là pour attester qu'il s'est vraiment passé quelque chose d'invraisemblable, un miracle justement. Alors pourquoi il y a deux mille ans, le miracle de la multiplication des pains n'aurait pas pu avoir lieu ?

Les gens ne sont pas fous. Et que disent-ils après avoir mangé ? Ils disent de Jésus : c'est un homme de Dieu, c'est un ami de Dieu, un grand prophète. Si Dieu n'était pas avec lui, il ne pourrait pas faire tout ça. Au contact de Jésus, ils savent qu'ils ont rencontré Dieu. Mais ce jour-là, s'il y avait eu dans la foule des adversaires de Jésus, qu'est-ce qu'ils auraient dit ?

Quand quelqu'un a perdu ce qu'il avait de plus cher au monde, ce pour quoi il a toujours vécu, il y a en lui un vide infini. Et alors il crie vers Dieu. Il voudrait que Dieu le comble. Il se peut que de cette détresse réelle surgisse un chemin qui mène à Dieu, qu'une reconnaissance de Dieu devienne possible. Mais il se peut aussi que ce Dieu qui a été imploré dans la détresse ne soit qu'une compensation passagère, une compensation qu'on oublie dès qu'un autre objet terrestre vient remplir le vide qui s'était créé. On avait accueilli Dieu pour boucher un trou ; on n'avait pas reconnu Dieu en vérité.

Constamment dans l’Écriture se pose la question : comment cela peut-il se faire ? Nourrir cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons, ce n'est pas possible. Marie reçoit la visite de l'ange qui lui annonce une maternité invraisemblable : "Comment cela peut-il se faire ?", demande Marie. Constamment dans l’Écriture, et dans nos vies aussi sans doute, se pose la question : comment cela peut-il se faire ? Comment une conversion peut-elle se faire ?

Jésus a nourri cinq mille hommes avec cinq pains. On sait par cœur, avec l’Écriture, que l'homme ne vit pas seulement de pain. La Parole de Dieu aussi peut devenir un pain. Pierre Goursat, le fondateur de la communauté de l'Emmanuel, une espèce de saint de notre temps, conseillait, à qui voulait l'entendre, de mettre par écrit les paroles qui leur touchaient le cœur, pour les mémoriser. Et de fait, beaucoup de gens à qui Pierre Goursat donnait ce conseil avaient pris l'habitude d'avoir un "carnet de paroles". Et quand plusieurs se rencontrent, ils peuvent partager ces paroles qui les font vivre. Ils se la donnent les uns aux autres, et c'est ainsi qu'on se construit dans la foi sur la Parole de Dieu.

Dans la mémoire de l’Église, il y a les miracles de Jésus et toute sa vie, surtout ses trois dernières années qu'on connaît mieux. L’Église n'oublie pas les jours que le Fils de Dieu a passés sur la terre. L’Église n'oublie pas non plus tout ce que le ciel a donné à la terre comme visions et miracles au cours des siècles (à Lourdes pour ne donner qu'un exemple). Tout cela a été donné à l’Église pour rafraîchir en elle le souvenir qu'elle a des jours de Jésus sur cette terre et pour enflammer de nouveau ses désirs : "Où est ton trésor, là aussi est ton cœur". (Avec Pierre Goursat, AvS, HUvB).

 

26 juillet 2015 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,1-15

Tous les trois ans, quand nous lisons saint Marc, nous interrompons la lecture de cet évangile pendant cinq dimanches de suite et nous ouvrons l'évangile selon saint Jean pour en lire tout le chapitre sixième consacré au discours de Jésus sur le pain de vie. Pourquoi interrompre la lecture de saint Marc ? Parce que cet évangile est le plus court de nos quatre évangiles et qu'on n'y a pas assez de matière pour tous les dimanches verts. Nous voilà donc aujourd'hui dans l'évangile de saint Jean avec ce récit de la multiplication des pains, qu'on retrouve aussi dans les autres évangiles.

C'est une grande foule avec Jésus dans la montagne. Et Jésus pose la question à Philippe, l'un des apôtres : "Où est-ce qu'on va pouvoir acheter du pain pour tout ce monde ?" Le Seigneur Jésus connaît les besoins des hommes, c'est pourquoi il cherche du pain. Mais il ne veut assumer aucune responsabilité sans la partager avec ses disciples. Dieu ne veut rien accomplir sans la participation de l'homme. Il va faire un miracle, mais avec la participation de ses disciples. C'est pourquoi il pose la question à Philippe : "Où est-ce qu'on va acheter du pain pour tout ce monde ?"

Quand Dieu interpelle quelqu'un, il connaît la réponse qu'il recevra. Si la réponse est négative, il n'en éprouve aucune surprise, mais il la reçoit dans la souffrance. Dieu prend l'homme au sérieux et il lui abandonne la décision. Dieu ne contraint personne au salut, il ne peut que l'offrir. Chaque fois qu'il demande quelque chose, un service ou autre chose, c'est une offre de sa grâce. Si l'homme reste sourd à l'appel de Dieu, il laissera aussi échapper la grâce. Dieu traite l'homme en partenaire libre, mais il a l'espoir de ne pas être déçu. Si l'homme dit non, il ne sait pas ce qu'il refuse, il se ferme à la grâce de Dieu, il ne remarque pas le don de Dieu qui lui est offert. Et si l'homme dit oui à l'appel de Dieu, il sait encore moins ce qu'il fait, il ignore ce qui l'attend. Simplement il s'abandonne à Dieu et à tout ce que Dieu accomplira dans sa vie.

Jésus pose la question à Philippe : "Où est-ce qu'on va trouver à manger pour tout ce monde ?" Un homme de nos jours, bon chrétien assurément, pose un jour la question à un ami, prêtre de paroisse : "Tu ne penses quand même pas que Jésus a été enrhumé, qu'il a eu faim et qu'il a eu soif ! Il n’était quand même pas lié à ces misères de l'espèce humaine ! Et Marie non plus naturellement !" Réflexion du prêtre qui rapporte ces propos : "Pour cet homme, très chrétien, il n'était pas question que Dieu se souille avec notre humanité légèrement sale"... "Où est-ce qu'on va acheter du pain ?"

Il y a des gens qui voudraient défendre Dieu comme une valeur. Comme si Dieu avait besoin de nous pour que nous le défendions ! Certains catholiques, très croyants, donnent l'impression de penser que Dieu a beaucoup de chance qu'ils soient là pour le défendre. Parce que, s'il fallait laisser Dieu défendre sa cause tout seul, manifestement il n'y parviendrait pas, parce qu'il n'est pas très au courant du fonctionnement des médias, en tout cas, il ne sait pas communiquer correctement. Alors, pour l'aider, il faudrait faire des manifestations avec des banderoles et des slogans, il faudrait un défilé du 1er mai théologique...

En fait Dieu ne demande pas au croyant de chercher à le défendre comme une valeur. Le croyant sait plutôt que c'est lui qui est défendu par Dieu. "Le Seigneur est mon berger, mon Dieu et mon rocher". C'est le croyant qui est valorisé par Dieu. Dieu n'attend pas du croyant d'être valorisé par lui. Un croyant croit en Dieu plus qu'en lui-même. Dieu nous libère de la volonté de puissance : que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

"Où est-ce qu'on va trouver du pain pour tout le monde ?" Réponse d'un croyant d'aujourd'hui, qui est une invitation pour tout croyant : "Être pour chaque homme qu'on rencontre le signe de la tendresse de Dieu".

"Où est-ce qu'on va va trouver du pain pour tout le monde ?" Pour le savant et pour l'ignorant. Une philosophe de notre temps, qui était passée de l'athéisme à la foi en Dieu, essayait de dire qui était Dieu pour elle : "Je suis tout à fait sûre qu'il y a un Dieu, en ce sens que je suis sûre que mon amour n'est pas illusoire". Mais elle ajoute alors quelque chose qui peut paraître choquant au premier abord, mais il faut aller avec elle jusqu’au bout de sa pensée. Elle ajoute : "Je suis tout à fait sûre qu'il n'y a pas de Dieu, en ce sens que je suis tout à fait sûre que rien de réel ne ressemble à ce que je peux concevoir quand je prononce ce nom... Mais cela que je ne puis concevoir n'est pas une illusion". Elle aurait pu dire plus simplement, et en simplifiant, qu'elle croyait en Dieu comme à une évidence, mais elle pense aussi en même temps qu'on ne peut pas imaginer Dieu.

"Où est-ce qu'on va trouver du pain pour tant de monde ?" Prier, c'est aussi baisser les yeux devant Dieu, sans paroles, ou avec celles du P. de Foucauld : "Mon Père, je m'abandonne à toi". (Avec Bernard Peyrous, Jean-Luc Marion, Henri Boulad, Simone Weil, AvS, HUvB).

 

25 juillet 2010 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 11, 1-13

Saint Luc a regroupé dans cet évangile tout un enseignement de Jésus sur la prière. En trois parties : 1. Le Notre Père. 2. La petite histoire de l'ami importun. 3. L'efficacité de la prière.

Le Notre Père selon saint Luc est plus court que le Notre Père selon saint Matthieu. Les spécialistes des Écritures, les exégètes, estiment généralement que la version de saint Luc serait plus proche de ce que Jésus aurait vraiment dit. Pourquoi pas ? Peut-être ! Et pourquoi Jésus lui-même n'aurait-il pas donné plusieurs versions d'une prière au Père, à différents auditoires ?

Première différence entre saint Matthieu et saint Luc : saint Matthieu nous fait dire : "Notre Père", saint Luc nous fait dire : "Père" tout simplement. On ne va pas faire tout le détail des différences et des ressemblances entre saint Matthieu et saint Luc. On peut relever quand même ceci. Saint Matthieu nous fait dire : "Remets-nous nos dettes". Saint Luc nous fait dire : "Pardonne-nous nos péchés". Et dans le Notre Père que nous récitons aujourd'hui en français, nous disons : "Pardonne-nous nos offenses". Peu importe, cela revient au même vis-à-vis de Dieu : les dettes, les péchés, les offenses. En quelques phrases, Jésus nous décrit l'attitude du priant devant Dieu. C'est notre prière de base, le modèle de ce que doit être toute prière.

Puis Jésus raconte une petite histoire, une parabole, pour nous faire comprendre l'attitude de Dieu quand on lui adresse une prière. L'homme qu'on dérange en pleine nuit pour avoir trois pains commence par dire à son ami : "Laisse-moi tranquille, ce n'est pas le moment, reviens demain matin". Finalement, pour avoir la paix, il se lève et rend le service qu'on lui demandait. Conclusion de Jésus : le Père du ciel est bien meilleur que le meilleur des amis ou le meilleur des pères. Il est tout prêt à vous donner de bonnes choses, à vous donner son Esprit Saint. Mais il faut demander, et longtemps parfois. Et ce que Dieu va nous donner n'est pas nécessairement ce que l'homme estime être bon pour lui. L'homme par exemple demande quelque chose de terrestre et voilà que Dieu veut lui donner un peu de son Esprit Saint.

Mais pourquoi son Esprit Saint justement ? Pourquoi ? Parce que notre connaissance de Dieu n'est jamais terminée, parce que notre connaissance de Dieu est toujours en croissance. Et que c'est par le don de l'Esprit Saint que notre connaissance de Dieu se dilate et s'affermit. Une variante très ancienne des paroles du Notre Père dit ceci : "Que ton Esprit Saint vienne sur nous et nous purifie".

L'Esprit Saint est celui qui vient nous apprendre à prier vraiment. On trouve ça aussi dans les lettres de saint Paul. Le travail de l'Esprit Saint en nous est de nous ouvrir, un tant soit peu, au mystère du Dieu vivant. La prière nous est donnée pour que nous entrions en dialogue avec Dieu et pour que son mystère s'inscrive en nous. Un chrétien orthodoxe contemporain, qui était enseignant dans un séminaire orthodoxe aux États-unis, écrivait ceci : "Qu'est-ce que c'est que la prière ? C'est le souvenir de Dieu, c'est la perception de sa présence. C'est la joie née de cette présence. Toujours et partout".

Le premier mot de la prière que Jésus enseigne à ses apôtres est le mot "Père". Qu'est-ce que ça veut dire ? Le Père des cieux ne désespère jamais ni de l'humanité entière, ni d'aucun de ses enfants. Et l’Église, malgré toutes les tempêtes, existe pour témoigner du don de Dieu dans un monde qui continue à résister à Dieu, à se fermer au don de Dieu. Un évêque de derrière le rideau de fer autrefois, en Roumanie, en temps de persécution, exhortait les chrétiens à prier pour ceux qui ne savent pas prier, pour ceux qui ne veulent pas prier et spécialement pour ceux qui n'ont jamais prié.

Pourquoi Jésus apprend-il à ses disciples à prier le Père ? La grâce du Fils, c'est de nous emmener avec lui dans son mouvement de retour vers le Père. (Avec Mgr Dagens, Alexandre Schmemann, Paul Evdokimov, AvS, HUvB). 

 

28 juillet 2013 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 11,1-13

Plus d'une fois les apôtres ont demandé à Jésus comment il fallait faire pour prier. Et Jésus n'a pas répondu tout de suite. Il voulait leur donner un minimum de préparation. Il ne faut pas que la prière soit une simple formule. Elle doit être une vraie conversation avec le Père. Alors maintenant Jésus estime que ses disciples ont tout ce qu'il faut pour pouvoir connaître les paroles qu'il convient du dire à Dieu.

Jésus s'est levé pour dire la prière et ses apôtres l'ont imité, attentifs, émus. Le premier mot de la prière, c'est "Père". C'est ainsi que je veux que vous l'appeliez parce que vous êtes avec moi. Il fut un temps où l'homme devait se prosterner dans la crainte pour dire "Dieu". Celui qui ne croit pas en moi est encore dans cette crainte paralysante. Je veux vous conduire à Dieu non comme des esclaves, mais comme des fils sur le cœur de Dieu.

"Père" : dites cette parole et répétez-la. Chaque fois que vous la dites, le ciel rayonne de la joie de Dieu. Vous ne diriez que ce mot avec un amour véritable, vous feriez déjà une prière agréable à Dieu. Les premiers mots que les enfants disent à leurs parents, c'est : papa, maman. Vous êtes pour Dieu ses enfants tout petits. C'est Dieu qui a créé l'humanité dans un débordement d'amour.

Et puis : "Que ton règne vienne". Ce serait la joie sur la terre si ce règne venait : dans les cœurs, dans les familles, entre les citoyens d'un même pays, entre les nations. Et puis : "La volonté de Dieu". Au ciel où tout est sans défauts, la volonté de Dieu s'accomplit. Et vous, vous êtes des fils du ciel, sachez faire ce que l'on fait au ciel. "Donne-nous le pain dont nous avons besoin chaque jour". Quand vous serez au ciel, vous n'allez plus vous nourrir que de Dieu.

Vous êtes pour Dieu comme des enfants tout petits. Vous avez peur qu'il ne vous écoute pas ? Alors écoutez cette petite histoire de l'homme que son ami va réveiller en pleine nuit pour avoir du pain. Le Père du ciel, c'est l'ami parfait. Enfin : "Ne nous soumets pas à la tentation, délivre-nous du Malin". Fais que je reste tellement proche de toi que le Malin ne puisse me nuire. Priez le Père pour qu'il soutienne votre faiblesse face aux tentations du Malin.

Les saints nous disent : il est difficile d'avancer vers Dieu sans se laisser distraire, il est difficile de trouver Dieu partout, y compris dans notre prochain. Jésus enseigne le Notre Père. Qu'est-ce que ça veut dire ? Le chrétien doit apprendre à considérer cette vie qui est la sienne aujourd'hui dans la lumière de Dieu. Et où est-elle la lumière de Dieu ? Elle se trouve aussi dans la Parole que Dieu nous a donnée, dans l’Écriture. Dieu ne se donne que dans la mesure où on lui fait place, où l'on sent le besoin de lui, où on le demande, où on reconnaît sa bonté, où l'on est vide de soi-même.

Et si Dieu ne répond pas à nos demandes ? Que faire ? Ceux qui sont proches Dieu nous disent : "Accepter tout l'inévitable comme un don de Dieu". Ceux qui sont proches de Dieu prient comme ceci : "Je veux vouloir avec Dieu ce que Dieu veut de moi".

Je reviens à Bernadette de Lourdes et de Nevers (cf. dimanche dernier). Après la mort de Bernadette, sœur Marie Géraud a dû donner son témoignage sur l'enfance de Bernadette. Elle disait que Bernadette n'avait rien des allures d'une personne destinée à avoir des apparitions. Elle était plutôt dissipée, surtout espiègle. Et c'est pour cela qu'au début des apparitions sœur Géraud traitait Bernadette de menteuse.

En juillet 1858, le comte de Bruissard, qui était un esprit voltairien, raconte ceci : J'étais à Cauterets. Je ne croyais pas plus à ces apparitions qu'à l'existence de Dieu. J'étais un débauché et, ce qui est pire, un athée. Ayant lu dans un journal du pays que Bernadette avait eu, le 16 juillet, une apparition, je résolus de me rendre à Lourdes en curieux et de prendre la petite en flagrant délit de mensonge. Je me rends donc chez les Soubirous, et je trouve Bernadette sur le pas de la porte en train de raccommoder un bas noir. Sur ma demande, elle me raconta les apparitions avec une assurance et une simplicité qui me frappèrent. Et le comte pose la question à Bernadette : "Comment souriait-elle cette belle dame ?" - "Monsieur, il faudrait être du ciel pour refaire son sourire". - "Ne pourriez-vous pas le refaire pour moi ? Je suis un incrédule et je ne crois pas aux apparitions". - Bernadette : "Alors, monsieur, vous croyez que je suis une menteuse. Et elle ajoute doucement : Puisque vous êtes un pécheur, je vais vous refaire le sourire de la Vierge". - Et monsieur le comte de conclure : Depuis, j'ai perdu ma femme et mes deux filles, mais il me semble que je ne suis plus seul au monde. Je vis avec le sourire de la Vierge. - Cet homme était venu pour polémiquer et il est reparti réconcilié avec Dieu et avec lui-même.

Le christianisme veut et peut libérer l'homme de l'angoisse du péché, à condition que l'homme s'ouvre à la rédemption et à ses conditions. A la place de l'angoisse du péché ou du plaisir de pécher, le christianisme donne à l'homme l'accès à Dieu sans angoisse, dans la foi, l'espérance et la charité... Notre Père. (Avec Maurice Blondel, sainte Bernadette, Jean-Pierre Rey, AvS, HUvB).
 

24 juillet 2016 - 17e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 11,1-13

"Seigneur, apprends-nous à prier" : ce devrait toujours être le premier mot de notre prière. On n'a jamais fini d'apprendre à prier parce qu'on n'a jamais fini d'apprendre à connaître Dieu en vérité. - "Notre Père qui es aux cieux" : ce sont des paroles toutes simples. Le début d'une prière eucharistique dit ceci : "Père infiniment bon, toi vers qui montent nos louanges, nous te supplions par Jésus Christ notre Seigneur".  - "Notre Père qui es aux cieux", "Père infiniment bon". On pourrait s'arrêter là, ou ajouter simplement comme l'un de premiers moines au IVe ou Ve siècle : "Comme tu vois et comme tu sais, prends pitié". - "Notre Père qui es aux cieux" : pour les musulmans, c'est presque un blasphème d'appeler Dieu Père. (C'est le cardinal Barbarin qui dit cela).

Le modèle de toute prière, c'est aussi celle de Jésus au mont des oliviers : "Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ! Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse mais la tienne!" On peut tout demander à Dieu, mais en ajoutant toujours : "Si telle est ta volonté". Et aujourd'hui Jésus nous suggère ce qu'il faut demander dans notre prière : il faut demander l'Esprit Saint. Seulement l'Esprit saint souffle où il veut et quand il veut, c'est-à-dire comme le veut le Père.

On apprend à prier avec l’Église. Le premier mot de chacun des offices de la prière des heures pour les prêtres, pour les laïcs ou pour les moines, c'est toujours : "Dieu, viens à mon aide, Seigneur, à notre secours". Ce sont des paroles des psaumes. On apprend à prier avec les paroles de l’Écriture, avec le psaume par exemple qu'on a chaque dimanche après la première lecture. On écoute peut-être ce psaume d’une oreille distraite. Tout n'est pas toujours très facile dans les psaumes, tout n'est pas très parlant, mais il y a là aussi des paroles qu'on peut retenir plus facilement et faire nôtres tout au long du jour.

On peut aussi apprendre à prier avec les saints et les saintes de Dieu. Voici par exemple des extraits d'une prière d'une espèce de sainte de notre temps pour le commencement de la messe : "Seigneur, nous voici rassemblés dans ta maison... Fais-nous sentir ton Esprit au point qu'à genoux devant toi nous soyons disposés à accueillir tout ce que tu veux nous donner, prêts aussi à laisser derrière nous tout ce que tu rejettes. Et comme nous avons fermé la porte derrière nous en entrant dans ta demeure, fais-nous oublier tout ce qui n'appartient qu'à ce monde, tout ce qui risque d'éloigner de toi nos pensées, tout ce qui n'entre pas dans ton amour, et ne sait pas le servir. Tu vois comme nous sommes faibles et imparfaits, quelle peine nous a coûtée la décision de venir aujourd'hui vers toi, quelle importance nous donnons au moindre empêchement et combien nous sommes tentés de prendre d'autres chemins que les tiens. Enlève-nous, Seigneur, ce cœur mauvais. Donne-nous des pensées pures ; dans l'Esprit, fais-nous prendre conscience que nous sommes près de Toi... Bénis cette heure. Pas pour nous seuls, mais pour tous ceux qui se trouvent ici réunis. Pour le prêtre officiant, pour les prêtres du monde entier, ceux qui célèbrent aujourd'hui la messe et ceux qui en sont empêchés. Bénis cette heure pour tous les fidèles. Bénis cette heure pour tous ceux qui sont en route vers toi, pour ceux qui n'ont pas encore reçu le don de la foi, et ceux qui attendent, le cœur brûlant peut-être, de pouvoir enfin se présenter devant toi. Bénis cette heure dans nos pays, bénis-la dans les missions, bénis-la partout où il y a des hommes, bénis-la pour qu'elle soit féconde : que nous tous, détachés de nous-mêmes, nous nous tenions devant toi, ne voyant plus que toi... Bénis, ouvre, donne-nous d'aimer. Amen".

Voilà comment prient les saints. On peut en prendre de la graine. On peut tout demander à Dieu, et avec insistance, mais toujours en ajoutant : "Si telle est ta volonté. Un chrétien engagé de notre temps disait : "Un signe de maturité humaine est de pouvoir se réjouir de ce qu'on a au lieu de se lamenter de ce qu'on n'a pas". - A propos des prières qui ne sont pas exaucées dans le sens que nous voudrions, nous devrions toujours nous souvenir de saint Augustin : "Ce que tu désires, tu le sais bien ; mais ce qui t'est profitable, Dieu seul le sait".

Un Juif très pieux d'il y a quelques siècles disait en confidence à ses fils : "La bénédiction de ma vie, c'est que je n'ai jamais eu besoin d'une chose avant de la posséder". On peut intégrer aussi cette pensée dans notre prière. - Au cœur de la prière, il y a de l'amour. Sans amour, la prière est stérile. - Terminer avec Mère Teresa : "Si vous voulez mieux prier, priez davantage". (Avec Cardinal Barbarin, saint Augustin, Michel Evdokimov, Martin Buber, Mère Teresa, AvS).

 

31 juillet 2011 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 14,13-21

Aujourd'hui Jésus veut se rendre dans un lieu tranquille, à l'écart des foules. Et ce n'est pas possible, les foules le rattrapent. Et finalement Jésus se laisse faire. D'une manière ou d'une autre ces foules cherchent Dieu.

L'évangéliste ne précise pas aujourd'hui que Jésus a parlé à ces foules. Mais il guérit les malades. A la fin de la journée, les apôtres signalent à Jésus qu'il ferait bien de renvoyer tous ces gens dans les villages des alentours pour qu'ils s'achètent de quoi manger. Et on arrive alors à l'essentiel de l'évangile d'aujourd'hui quand Jésus dit à ses apôtres : "Donnez-leur vous-mêmes à manger". Évidemment c'est impossible : on n'a rien , on a deux fois rien. Et avec deux fois rien Jésus va donner à manger à plus de cinq mille personnes. Ils ne sont pas fous, les apôtres, et ils ont bien vu qu'avec cinq pains et deux poissons tout le monde a eu de quoi manger. Et même il y a encore des restes : douze pleins paniers. L'évangéliste n'ajoute pas de commentaire.

Le premier degré de la connaissance de Dieu, c'est toujours le sentiment qu'on n'est pas à la hauteur. Il est évident qu'on ne peut pas nourrir cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons. Dieu fait toujours monter ses exigences. Notre évangile nous dit que Jésus est saisi de pitié pour la foule qui l'a suivi. Et ensuite il demande l'impossible à ses apôtres : donnez-leur vous-mêmes à manger. Jésus ne fait pas de grands discours à ses apôtres : ils sont témoins simplement de quelque chose d'insolite, il éveille leur conscience au sentiment de la présence de Dieu. Cette histoire de toute une foule nourrie avec cinq pains et deux poissons, les apôtres s'en souviendront toute leur vie. Ils ont touché ce jour-là, une fois de plus, quelque chose du mystère de Jésus et du mystère de Dieu. Comment est-ce possible ?

Je vous parlais dimanche dernier de Didier Decoin, chrétien, romancier et membre de l'Académie Goncourt. Dans son "Dictionnaire amoureux de la Bible", il consacre un article au paradis. Qu'est-ce qu'on peut dire du paradis ? Qu'est-ce que la Bible dit du paradis ? Un humoriste presque contemporain, qui ne devait pas être très chrétien, imagine le paradis à sa manière. C'est quoi le paradis pour vous ? "Le paradis, ce serait pour moi une terrasse de café d'où l'on ne partirait jamais" (Alphonse Allais)... On se souhaite le paradis comme on peut...

Didier Decoin, qui est chrétien, pense à autre chose qu'à une terrasse de café. Il écrit ceci : "Comme tout le monde, je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi ressemble le paradis. Je sais seulement que c'est un lieu où nous serons avec Dieu, dans le plus immense et le plus intense bonheur qui se puisse être, et que ce bonheur ne finira jamais". Et il ajoute : "Une éternité au paradis, c'est donc une affaire sérieuse qui vaut qu'on s'en informe". C'est aussi impossible que cinq pains et deux poissons pour cinq mille hommes. Et pourtant ça s'est fait.

Je continue avec Didier Decoin. Un romancier de l'Académie Goncourt qui raconte ce qu'est pour lui la foi chrétienne, ça vaut le détour. "Que signifie : aller au ciel ? Pour commencer, il faut quitter la terre, c'est-à-dire mourir. Sans doute n'est-ce pas le plus difficile, tant et tant de gens l'ayant déjà réussi avant nous. Mais à quoi ressemblera l'après, c'est ce que nous sommes incapables d'appréhender. Jésus lui-même s'est montré pour le moins peu loquace : Ne soyez pas bouleversés... Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père... Quand je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous accueillerai près de moi, afin que là où je suis vous soyez vous aussi (Jn 14, 1...4). Et Didier Decoin commente : "Paroles rassurantes, infiniment : que peut-on rêver de mieux qu'une intimité éternelle et radieuse avec le Fils de Dieu ?" C'est toujours impossible évidemment comme cinq pains et deux poissons pour nourrir cinq mille hommes.

Le monde moderne, marqué par la science, recherche le sens de sa propre existence (ou ne la recherche pas). Il a besoin d'une vision du monde qui justifie sa propre existence et le travail des hommes. L'homme est une question pour lui-même. Le Fils unique de Dieu est venu dans le monde pour montrer à l'homme que ce qu'il recherche n'est pas contenu dans l'être naturel de l'homme. (Avec Alphonse Allais, Fabrice Hadjadj, Didier Decoin, AvS, HUvB).

 

3 août 2014 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 14,13-21

Nous ne sommes pas loin du lac de Galilée. Il y a une grande foule autour de Jésus. Le soir tombe. Les disciples suggèrent à Jésus de renvoyer tous ces gens pour qu’ils aillent trouver de quoi manger dans les villages des environs et ensuite passer la nuit à la belle étoile si ça leur chante. Réponse de Jésus : "Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger". – Oui, mais avec quoi ? On a en tout et pour tout dans nos provisions cinq pains et deux poissons. – "Apportez-les". L’enfant qui porte les pains arrive auprès de Jésus et d’autres enfants le suivent. – "Maintenant, apportez des paniers". Autant de paniers qu’il y a d’apôtres et quelques-uns en plus pour des gens de l’entourage de Jésus.

"Faites asseoir tout le monde, en rangs réguliers autant que possible". – Puis Jésus élève les pains avec les poissons par-dessus, il les offre, prie et bénit. Puis Jésus se met à rompre les pains et les poissons, et les répartit entre tous les paniers. – "Et maintenant prenez et donnez à satiété". Et on commence la distribution. Il ne fait plus très clair. Et puis ils donnent, ils donnent, ils donnent. La distribution est longue et abondante.

Tout doucement les apôtres reviennent vers Jésus, muets de stupeur. Quelqu’un de l’entourage de Jésus, qui a participé à la distribution, s’approche de Jésus, s’agenouille et baise la frange de son vêtement. – "Prenez votre part et donnez m’en un peu. Mangeons la nourriture de Dieu". – Quelqu’un de l’entourage de Jésus raconte : "Au début, j’y allais doucement, puis je me suis mis à donner, à donner, puis je suis revenu en arrière vers les premiers que j’avais mal servi pour une nouvelle distribution". L’apôtre Jean raconte à Jésus : "Moi aussi j’ai senti que le panier devenait plus lourd pendant que j’avançais et tout de suite j’ai donné abondamment car j’ai compris que tu avais fait un miracle".

Quelqu’un de l’entourage de Jésus garde une croûte entre ses doigts. On lui demande : "Qu’est-ce que tu vas en faire ?" – "Un souvenir". – L’apôtre Jean dit : "Moi, je la porterai à notre mère". "Levez-vous, dit Jésus. Faites le tour avec vos paniers, recueillez les restes. Et amenez ici les plus pauvres avec les paniers. Puis reprenez la barque. Je vous rejoindrai plus tard. Ici je vais faire distribuer les restes aux plus pauvres". Des pauvres, il y en a bien une trentaine. Lorsque tout le monde est parti, Jésus bénit les dormeurs, il gravit un monticule, s’installe sur un rocher et se met à prier.

Pourquoi ce miracle tout gratuit et non indispensable ? Pour faire comprendre à ses disciples, et à toute l’Église plus tard, le miracle de l’eucharistie. Ce n’est pas possible, et pourtant ça se fait. Les apôtres n’ont pas grand-chose dans les mains : ils sont pauvres. Mais ils font ce que Jésus leur demande : ils obéissent et ils remplissent la terre entière. Pauvreté et obéissance ne font qu’un. Toute la place est laissée libre en eux pour l’Esprit Saint. Et l’Esprit Saint réalise par eux ce qu’ils ne peuvent réaliser eux-mêmes.

L’Esprit de Dieu agit en beaucoup d’hommes de multiples manières. L’Église sait qu’elle est le peuple de Dieu en chemin, elle sait aussi qu’elle n’a pas la réponse à toutes les questions qui surgissent à un certain moment de l’histoire. Les chrétiens ne sont pas toujours les premiers à discerner ce qui doit être fait ou évité dans une situation historique donnée. L’Esprit de Dieu agit en beaucoup d’hommes de multiples manières. La tâche de l’Église, c’est d’accueillir ses impulsions.

L’important, c’est de prier l’Esprit Saint pour qu’il descende sur nous. "Quand on a l’Esprit Saint, on a tout" : c’est une sainte qui disait cela. La foi, Dieu peut la faire naître dans les cœurs les plus fermés. C’est Dieu qui a créé le langage. Comment serait-il incapable de parler de manière compréhensible ? Dieu est capable de vaincre l’incrédulité et l’indifférence. Dieu avertit au dehors, et il enseigne au dedans : c’est saint Augustin qui disait cela. Dieu avertit au dehors par ceux qui sont déjà croyants, et il enseigne au dedans par son Esprit Saint. On ne peut avoir accès à la vérité de Dieu que si cette vérité s’atteste elle-même en nous.

Mais le cœur de l’homme est souvent encrassé à un tel point que le contact avec la vérité s’en trouve obscurci. Pascal s’est demandé ce qu’est Dieu. Quand la vie est belle, on a envie de croire en lui. Quand elle ne l’est pas, on doute de son existence. Pascal s’est posé la question avant de parvenir à cette réponse : Dieu est un Dieu caché. Cela ne veut pas dire que Dieu joue à cache-cache avec l’humanité en faisant des cachotteries, mais qu’il vit dans le retrait, le silence, l’humilité. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas présent. Dieu emprunte des voies singulières afin que les hommes vivent libres sans devenir des esclaves qui seraient fascinés par la puissance divine ou terrorisés par elle.

Il y a une relation entre le miracle de la multiplication des pains et le miracle de toutes nos eucharisties. Mais, entre la multiplication des pains et l’eucharistie, il y a eu la mort du Seigneur Jésus sur la croix. Et au cours de la messe nous demandons à Dieu de bien vouloir nous intégrer dans le sacrifice du Christ et dans sa vie en considération de ce sacrifice du Christ qui lui est offert. (Avec Catéchisme pour adultes des évêques allemands, saint Augustin, Marcel Neusch, Bertrand Vergely, AvS, HUvB).

 

2 août 2009 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6, 24-35

Nous sommes dans l'évangile de saint Jean. Avec cinq pains et deux poissons, Jésus a nourri une foule importante. Jésus commence maintenant un grand discours sur le pain de vie. La foule a mangé du pain, elle a été rassasiée. Jésus va parler d'un autre pain : le pain de Dieu, le pain de vie.

Jésus commence par rappeler l'histoire de la manne : c'était notre première lecture tout à l'heure. Qu'est-ce que c'est que cette manne qui tombait pour ainsi dire du ciel dans le désert plus de mille ans avant le Christ ? Des spécialistes des Écritures nous signalent ici que ce qu'on a appelé la manne est dû à la sécrétion d'insectes vivant sur certains tamaris dans la région centrale du Sinaï. Et ce produit se récolte en mai-juin. Pour les Israélites qui mouraient de faim dans le désert, cette nourriture inespérée leur est apparue comme un don de Dieu. Et c'est vrai que ce que la nature produit est aussi un don de Dieu. Mais les Israélites ignoraient au départ qu'ils allaient trouver ce genre de nourriture dans le désert ; c’était une nourriture de misère quand même. C'est après coup, et longtemps après, qu'on va enjoliver les choses et qu'on va trouver à la manne un goût merveilleux, et tout et tout.

Dieu a pour ainsi dire fait pleuvoir la manne au désert. C'était mieux que rien. Jésus a nourri toute une foule avec deux fois rien : cinq pains et deux poissons. On peut dire aussi que cette foule a été nourrie avec du pain tombé du ciel, comme la manne autrefois semblait aussi tomber du ciel.

Alors Jésus passe à une autre dimension du pain. Il commence par dire que c'est vrai : c'est Dieu qui donne le pain : la manne au désert autrefois, ou cinq pains pour cinq mille hommes. Mais Dieu - le Père - veut encore donner aux hommes un autre pain. Il le donne déjà : le vrai pain de Dieu, c'est le Seigneur Jésus. "Le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde". Moi, je suis le vrai pain de la vie, dit Jésus. Je descends vraiment du ciel. Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim. Jésus apporte une nourriture éternelle, une nourriture spirituelle, une nourriture pour une vie éternelle, pour une vie spirituelle. "Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim", c'est-à-dire : "Celui qui croit en moi n'aura plus jamais faim" parce que je donne une nourriture spirituelle pour une vie éternelle. Jésus a comblé la faim terrestre des cinq mille hommes. Mais il est venu surtout pour combler les attentes les plus profondes des hommes, au-delà des nourritures terrestres.

Le royaume des cieux, c'est le royaume du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. C'est un royaume qui est ouvert au monde parce que Dieu a créé le monde dans le but unique que le monde ait part à la splendeur de son royaume. Il invite les hommes à vivre en communion avec lui, à partager avec lui sa vie éternelle. Jésus est le pain de Dieu qui est descendu dans le monde pour habituer les hommes à vivre avec Dieu.

Dans l'Apocalypse, il nous est dit que Dieu veut nous donner une manne cachée, et aussi un caillou blanc, un caillou qui porte gravé un nom nouveau que personne ne connaît sinon celui qui le reçoit (Ap 2, 17). Il y a toujours quelque chose de caché dans les paroles de Dieu. Il y a une manne cachée. On ne comprend pas tout, on n'en comprend que peu, parce que ces paroles ont un sens divin. Jésus parle de pain qui descend du ciel : c'est tout le mystère de Dieu qui descend du ciel pour nous ouvrir à l'infini de Dieu.

En Russie autrefois, il n'y a pas si longtemps, le but avoué du communisme était d'extirper totalement la dimension religieuse de l'homme. On voulait inculquer à l'homme qu'il était un être entièrement et purement social, sans aucune transcendance, puisque Dieu n'existe pas, Dieu est une illusion. Aujourd'hui, dans nos pays, il existe une autre manière d'extirper la dimension religieuse de l'homme : c'est la morale de la jouissance. La morale de la jouissance n'est pas d'aujourd'hui. Elle habite en tout homme, en tout lieu et en tout temps. Ce qui est nouveau peut-être, c'est de présenter la civilisation de la jouissance, la morale de la jouissance comme une morale de vie.

Jésus a passé toute sa vie de prédication - deux ou trois ans - à dire aux hommes la nécessité de croire en lui. Cela pourrait passer pour un manque de modestie, mais cet homme est en même temps tout à fait extraordinaire : il est imbibé de Dieu, il dit même qu'il est son Fils. "Celui qui croit au Fils a la vie éternelle. Celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie" (Jn 3, 36). "Je suis le pain de la vie. Qui vient à moi n'aura jamais faim" (Jn 6, 35). "Je suis la résurrection. Qui croit en moi, fût-il mort, vivra. Celui qui croit en moi ne mourra jamais" (Jn 11, 25-26). "Celui qui croit en moi, ce n'est pas en moi qu'il croit, mais en celui qui m'a envoyé" (Jn 12, 44).

L'athéisme n'est pas la réponse au problème de l'homme. Que ce soit l'athéisme de la Russie soviétique autrefois, que ce soit l'athéisme caché ou ouvert de la civilisation de la jouissance. L'athéisme n'est pas la réponse au problème de l'homme et de l'histoire. A longue échéance, l'athéisme, c'est la mort de l'homme, l'athéisme est rempli de non-sens. Seul celui qui connaît Dieu connaît l'homme. "Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim, je lui fais le don de la vie éternelle". (Avec Émile Rideau, Dominique Laplane, Jean-Yves Calvez, Parole orthodoxe, AvS, HUvB).

 

5 août 2012 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,24-35

Jésus nous parle aujourd'hui de la foi. C'est quoi la foi ? C'est travailler avec pour perspective la vie éternelle. C'est vivre toute sa vie avec pour perspective la vie éternelle. Et c'est quoi la vie éternelle ? La vie éternelle, c'est le Seigneur Jésus. La vie éternelle, c'est Dieu. C'est Dieu qui a envoyé le Seigneur Jésus comme un morceau de vie éternelle, comme le pain de la vie éternelle. Il est le pain de la vie, il est le pain de Dieu. Qui s'attache à lui, qui croit en lui, est en communion avec Dieu. Il y a un tas de choses dans la vie qui n'ont finalement de sens qu'en Dieu. Humainement parfois, ça n'a pas de sens. Il n'y a que dans la perspective de Dieu que tout a un sens.

Il y avait eu une tempête sur le lac, et les apôtres étaient dans leur barque, et ils pensaient bien qu'ils allaient couler, vu la force de la tempête et des vagues. Et Jésus était venu et il avait apaisé la tempête et il avait demandé à ses disciples : Pourquoi n'avez-vous pas encore la foi ?

Dieu est toujours plus grand que nous ne le pensons. Personne ne peut dire qu'il connaît exactement la grandeur de la puissance de Dieu. Il ne suffit pas de dire : Je sais que Dieu est tout-puissant. Parce que, qu'est-ce que ça veut dire : être tout-puissant ? Dieu est toujours celui qui est au-delà. Et notre foi doit s'adapter à cette démesure. Et notre foi est toujours appelée à se développer. Et il n'y a que Dieu qui peut la faire grandir. Et Dieu ne souhaite qu'une chose, c'est de se donner toujours davantage au croyant, c'est que le croyant grandisse toujours dans l'intelligence des choses de Dieu et qu'ainsi il grandisse dans la foi.

C'est quoi la vie avec Dieu ? C'est quoi la vie éternelle ? Un non croyant de notre temps essaie de se l'expliquer, il essaie de comprendre pourquoi le christianisme est si tentant pour lui, le non croyant. Lui, le non croyant, il trouve que c'est très beau, que c'est trop beau, il n'arrive pas à y croire. Il craindrait de se faire des illusions. Voici ce qu'il dit : Ce que le Christ nous promet, ce n'est pas la survie anonyme dans un cosmos impersonnel et aveugle. Ce qu'il nous garantit, c'est que, par la foi, nous allons pouvoir revivre et retrouver après la mort ceux que nous aimons. Et le non croyant ajoute, avec une certaine tristesse : "La promesse, bien évidemment, est grandiose, pourvu qu'on y croie, bien entendu. (Et lui, il n'y croit pas). A ce qu'il me semble, là est bien le cœur de la tentation chrétienne, le cœur du cœur de la séduction que le christianisme a exercé et exerce sur les esprits". Autrement dit, ce non croyant a peur d'y croire parce qu'il trouve que c'est trop beau pour être vrai.

C'est quoi la foi ? C'est quoi la vie éternelle ? C'est d'abord la vie présente. Que font et que disent les saints et les saintes de Dieu? Ce ne sont pas des optimistes qui fixent à leur frères et à leurs sœurs l'objectif du bonheur immédiat, de la transparence absolue, de l'idylle humanitaire. Les saints et les saintes de Dieu ne font qu'infuser un peu de courage et d'amour pour que les hommes en viennent humblement à servir leurs semblables.

C'est quoi la foi ? C'est quoi la révélation de Dieu qui nous est venue par les Écritures des Juifs et par le Seigneur Jésus ? La révélation ne nous a pas été faite pour amuser notre curiosité oiseuse, mais pour nous conduire au salut, c'est-à-dire à la communion avec Dieu. La Parole de Dieu est avant tout une invitation à la communion avec lui.

La foi en acte, c'est de marcher à la suite de Jésus. Jésus vient du ciel et il s'enfonce de plus en plus dans le monde des pécheurs. Et finalement, quand il meurt pour eux sur la croix, il prend sur lui leur expérience de l'éloignement de Dieu jusqu'à penser qu'il est même abandonné par Dieu. Saint Paul a vécu ce paradoxe comme beaucoup de saints et de saintes au cours de l'histoire : il sait d'une part que Dieu le console au milieu de toutes ses difficultés, et il sait en même temps que ses propres souffrances contribuent à la consolation et à la consolidation intérieure de l’Église (2 Co 1,4-7). (Avec Luc Ferry, Gérard Leclerc, Louis Bouyer, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

2 août 2015 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,24-35

Nous sommes au chapitre sixième de saint Jean : le grand discours de Jésus sur le pain de vie. Jésus vient de nourrir toute une foule au désert avec cinq pains et deux poissons. Cela rappelle le miracle de la manne, douze siècles auparavant. Et la foule veut encore entendre Jésus lui parler. De quoi parler ? De la nourriture justement. Je vous ai donné à manger, c'est bien. Vous n'êtes pas morts de faim dans la montagne.

Mais il y a autre chose que les nourritures terrestres. Vous travaillez tous les jours pour gagner votre pain et vous faites bien. Mais que vos pensées soient toujours orientées vers le but ultime de la vie. Vous mangez tous les jours parce que vous avez faim. De même vous devriez avoir faim de la vie éternelle. Tous les efforts que vous faites pour gagner votre pain doivent être faits pour ce que Dieu attend et exige de vous. Vous êtes en marche vers Dieu, c'est-à-dire vers la vie éternelle. Et le Père, le Dieu invisible, a confié au Fils le pouvoir de distribuer la vie éternelle.

Parce que l'homme vient de Dieu, il doit retourner à Dieu. Et comment faire pour retourner à Dieu ?  L’œuvre que Dieu vous demande, c'est de croire. Dieu éveille en l'homme la foi en son Fils. Et cette foi doit devenir si puissante que tout le reste de la vie en découle. Mais les interlocuteurs de Jésus veulent des signes toujours plus grands pour pouvoir croire. Ils veulent que leur foi s'appuie sur quelque chose de raisonnable. Et Jésus ne répond pas à la question comme on s'y attendait. Le vrai pain qui descend du ciel, c'est lui.

Pour celui qui a reçu le Seigneur Jésus dans l'eucharistie, le Seigneur Jésus demeure accessible en dehors de la réception visible de l'hostie. L'union avec le Seigneur Jésus ne se limite pas à la communion distribuée lors de la messe. La communion distribuée lors de la messe doit susciter la soif d'une communion continuelle. Celui qui a la foi demeure toujours croyant même quand il ne récite pas le credo, le Je crois en Dieu. De même celui qui communie peut rester en état de communion même quand il n'a plus en lui l’hostie sacramentelle.

Travailler pour la vie éternelle, dit Jésus. Le travail peut être une drogue qui fait oublier un instant la mort. Jésus nous invite à vivre comme des humains. Mère Teresa de Calcutta sortait les mourants des caniveaux pour leur donner une fin digne. Elle disait : "Ils ont vécu comme des bêtes, qu'ils meurent au moins comme des humains". C'est ce qu'essaie de faire Jésus en pressant les gens de croire : qu'ils ne vivent plus comme des bêtes, qu'ils voient un peu plus loin que le guidon de leur vélo.

Pourquoi transmettre la vie ? Le suicide est-il condamnable ?  Y a-t-il une autre vie et laquelle ? La science ne répondra jamais à ces questions. Jésus nous parle du sens de l'existence. "Mais le Christ ne parle pas fort, il faut un certain silence pour l'entendre". Ce sont des carmélites qui disaient cela il n'y a pas tellement longtemps à un récent Prix Goncourt. "Le Christ ne parle pas fort, il faut un certain silence pour l'entendre".

Et ce même Prix Goncourt réfléchit sur la foi comme les interlocuteurs de Jésus dans l'évangile d’aujourd’hui. "Avec la foi, dit-il, le problème, c'est qu'on n'y voit rien. Il y a bien les apparitions, mais que fonder sur des images aussi incertaines ? Avec leur naïveté, elles ressemblent trop à l'imagerie religieuse qui a cours au moment de l'événement, pour que celui-ci en soit vraiment un ; et elles ne concernent que celui a vu, seul, et qui raconte. L'apparition n'est pas un fait visible malgré son nom, c'est un récit. L’Église fait bien de s'en méfier comme de la peste, et de les contrôler avec des précautions de douanier avant de les accepter du bout des lèvres".... Du bout des lèvres peut-être, mais beaucoup de gens découvrent ou redécouvrent une foi vivante dans des sanctuaires construits sur les lieux des apparitions.

Est-ce que Jésus avait la foi ? Il en avait l'essentiel qui est l'attitude fondamentale en face de Dieu. La foi de Jésus, c'est sa fidélité totale envers son Père. C'est une préférence absolue donnée au Père, à sa personne, à sa volonté, à ses ordres, au détriment même de ses propres désirs. Pour le chrétien, avoir la foi, c'est se mettre entre les mains de Dieu en communion avec le Seigneur Jésus. (Avec Pierre Chaunu, Mère Teresa, Jean Guitton, Alexis Jenni, AvS, HUvB).

 

1er août 2010 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 12, 13-21

Qu'est-ce qu'il faut faire de ses biens, de ses richesses, si on en a ? Jésus ne le dit pas aujourd'hui. Mais il raconte une petite histoire, une petite parabole : la parabole du riche insensé, du riche sans cervelle. Que faut-il faire de ses biens, de ses richesses, si on en a ? Saint Paul aujourd'hui nous dit ce qu'il faut faire : "Cherchez les choses d'en haut, là où se trouve le Christ, il est assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en haut et non à celles de la terre...Votre vie, votre vraie vie est cachée en Dieu avec le Christ".

Au fond, dans cet évangile, Jésus nous parle de la foi. La foi, on peut la comparer à la conception de la Mère de Dieu. Marie a reçu en elle la semence de Dieu par l'Esprit Saint. Cette semence vit et veut vivre de la vie de Marie. Et Marie doit se consacrer, physiquement et spirituellement, à la vie qui se développe en elle. Marie, avec tout ce qu'elle est, se met à la disposition de cette vie. Et nous, de même, nous devons recevoir la foi et la laisser agir en nous, comme une vraie semence de Dieu, nous devons lui ouvrir tout l'espace qu'elle veut occuper.

Il y a en l'homme quelque chose d'éternel. C'est ce que Jésus nous dit aujourd'hui quand il parle de s'enrichir en vue de Dieu. Il y a en l'homme quelque chose d'éternel. "Il faut que chacun suive sa pente, pourvu que ce soit en remontant". La pente de l'homme va vers Dieu. Un grand converti de notre temps, écrivain et romancier disait : "Le paradis n'est pas autre chose que d'aimer Dieu, et il n'y a pas d'autre enfer que de n'être pas avec Dieu". Qu'on soit riche ou pauvre, peu importe d'une certaine manière. Ce qu'on peut souhaiter, c'est que tout le monde ait ce qu'il faut pour vivre d'une manière décente. Mais d'une manière ou d'une autre l'expérience d'une certaine pauvreté peut nous rapprocher de Dieu. Pas seulement un pauvreté de biens matériels. Cela peut être aussi le passage par une épreuve. L'expérience d'une certaine pauvreté peut nous ouvrir à Dieu, ou nous ouvrir un peu plus à Dieu. Un grand croyant de notre temps, un orthodoxe, disait : "Quand Dieu touche l'âme, il n'est besoin de rien". Mais il ajoutait : "On ne peut rien prouver..." Et il ajoutait encore : "Lumière et joie et paix ; que peut-on ajouter à ces mots ?" On peut ajouter une autre question : "Qui peut comprendre ces choses ?"

Un religieux de notre temps, qui a été toute sa vie un grand enseignant de la foi chrétienne, posait d'une certaine manière la même question : "Si l'on s'inquiète aujourd'hui, avec raison, de la pollution de l'air, de la mer et bientôt de la terre, si l'on prend conscience de l'urgence de ce problème, on devrait, si l'on était un peu lucide, s'inquiéter encore beaucoup plus profondément de la pollution du milieu culturel dans lequel les jeunes (et les moins jeunes) doivent développer leur esprit et leur cœur".

Jésus aujourd'hui nous parle de la foi vivante. Il y a les soucis de la vie présente et il y a aussi Dieu. Et Jésus nous dit à sa manière que la liberté de la personne humaine trouve sa plénitude dans la rencontre de la liberté personnelle de Dieu, Dieu qui a le souci de tous les humains. (Avec Alexandre Schmemann, Julien Green, AvS, HUvB). 

 

4 août 2013 - 18e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 12,13-21

Comme souvent la portion d'évangile que je viens de lire n'est qu'un bref résumé d'une scène qui a duré beaucoup plus longtemps. Il y a dans la foule un homme qui crie à l'adresse de Jésus : "Est-il permis à quelqu'un de retenir l'argent d'un autre ?" La réponse de Jésus est toute simple, c'est non, bien sûr. Alors l'homme continue : "Maître, viens avec moi. J'habite sur la route de Damas et ordonne à mon frère de partager avec moi l'héritage du père. Nous sommes jumeaux, nous n'avons ni frères, ni sœurs, et il a tout pris pour lui. J'ai quand même les mêmes droits que lui ! Jésus : "Certainement, ton frère n'agit pas bien. Tout ce que je peux faire, c'est de prier pour toi et davantage pour lui, pour qu'il se convertisse". L'homme n'est pas content, il est furieux : "Et que veux-tu que j'en fasse de tes paroles ? Menace de le frapper s'il ne me donne pas ce qui m'appartient. Tu peux le faire. Tu es capable de donner la santé, tu peux aussi donner la maladie". Jésus : "Homme, je ne suis pas venu pour frapper. Si tu as foi en mes paroles, tu trouveras la paix". - "Tes paroles, tes paroles, des histoires ! Je n'ai pas la naïveté d'y croire. Viens et commande". Jésus se redresse, il se fait sévère : "Homme, qui m'a établi juge et arbitre entre vous ? Personne. Si tu avais cru à mes paroles, en retournant chez toi, tu aurais trouvé ton frère déjà converti. Tu ne sais pas croire, tu n'auras pas le miracle. En fait, ton frère et toi, vous n'avez qu'un seul amour : l'argent; vous n'avez qu'une seule foi : l'argent. Reste donc avec ta foi. Adieu !" Et l'homme s'en va en maudissant.

C'est alors que Jésus raconte cette petite histoire de l'homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté, et il faisait beaucoup de projets. La nuit suivante, il quitte ce monde. Et Jésus conclut : Le vicieux n'est jamais heureux, pleinement heureux. Faites-vous un trésor en faisant le bien autour de vous, en faisant le bien tout simplement dans toute votre vie, et vous aurez un trésor dans le ciel, vous serez riches auprès de Dieu.

Les saints nous disent : "On ne peut connaître le péché que s'il n'a plus d'attrait pour nous". Vous vous souvenez de l'onction de Jésus à Béthanie. "Comme Jésus se trouvait à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux, alors qu'il était à table, une femme vint avec un flacon d'albâtre qui contenait un parfum d'un grand prix. Brisant le flacon, elle le lui versa sur la tête. Il y en eut qui s'indignèrent : A quoi bon ce gaspillage de parfum ?" Une vie aussi peut être livrée, répandue, gaspillée pour le Seigneur. Elle est offerte.

Un homme de notre temps (il y a plus de cent ans), un philosophe encore une fois qui réfléchissait beaucoup, un vrai croyant, écrivait ceci dans ses "Carnets intimes" qui ont été publiés longtemps après sa mort : "Dans la prière, il ne faut demander à Dieu que d'avoir de quoi lui donner". Cet homme était contemporain de Thérèse de Lisieux, mais il n'avait jamais entendu parler d'elle quand il écrivait ces quelques mots. Le même homme écrivait aussi : "On peut remercier Dieu pour une faveur obtenue, mais ce serait beau aussi, quand on n'a pas été exaucé, de prier comme ceci : Mon Dieu, ce que je vous ai demandé, vous me l'avez refusé ; mon Dieu, soyez remercié".

Aimer vraiment quelqu'un ne consiste pas seulement à lui donner gratuitement beaucoup de choses, c’est aussi accepter de recevoir quelque chose de lui. Et si Dieu nous aime, ce qu'on peut lui offrir lui fait plaisir. Il n'a besoin de rien, si on peut dire, mais ça lui fait plaisir de recevoir notre petit cadeau.

C'est quoi la foi ? Ce n'est ni l'or, ni l'argent. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus priait comme ceci : "Oh! Mon Dieu, je vous en supplie, répondez-moi quand je vous dis humblement : Qu'est-ce que la vérité ? Faites que je voie les choses telles qu'elles sont, que rien ne m’éblouisse". Il est vrai qu'il est difficile de prier avec détachement. Et pourtant le ciel nous invite à le faire comme dans cette prière qui aurait été inspirée : "Mon Dieu, voici ce malade devant toi. Il est venu te demander ce qu'il désire et qu'il considère comme le plus important pour lui. Mon Dieu, fais entrer dans son cœur ces paroles : L’important, c'est la santé de l'âme. Seigneur, qu'advienne pour lui ta volonté en tout. Si tu veux qu'il guérisse, que la santé lui soit donnée. Mais si ta volonté est différente, qu'il continue à porter sa croix. Je te prie aussi pour nous qui intercédons pour lui ; purifie nos cœurs pour nous rendre dignes de transmettre ta sainte miséricorde. Protège-le et allège sa peine, que soit faite en lui ta sainte volonté; qu'à travers lui soit révélé ton saint Nom, aide-le à porter sa croix avec courage".

Si Dieu est vraiment mort pour nous, cela affecte concrètement l'existence de tout ce qui est créé. Mais si nous sommes morts avec le Christ, cela ne signifie justement pas que nous sommes entraînés avec lui dans l'abîme, car il est mort pour tous afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. La descente d'un seul dans l'abîme devient l'ascension de tous hors de ce même abîme. (Avec Maurice Blondel, Thérèse de Lisieux, Nicolas Auboyneau, AvS, HUvB).
 

31 juillet 2016 - 18e dimanche du temps ordinaire  - Année C

Évangile selon saint Luc 12,13-21

Tout commence aujourd'hui par une question qu'on pose à Jésus pour un héritage. Réponse de Jésus : C'est pas mon problème. Comme quoi les questions d'héritage et les problèmes qu'ils posent parfois ne sont pas d'aujourd'hui.

Et puis Jésus élargit les perspectives en racontant cette petite histoire de l'homme qui avait dû agrandir ses greniers pour y loger toutes ses récoltes. Et puis quand tout est fini et qu'il peut envisager une bonne retraite, c'est la catastrophe : il doit rendre son âme à Dieu la nuit même. Conclusion de Jésus : Pensez à vous enrichir en vue de Dieu. Heureux ceux qui ont un cœur de pauvre, le royaume des cieux est à eux.

Par hasard notre deuxième lecture d'aujourd'hui rejoint notre évangile. C'est saint Paul qui nous dit, comme il le disait aux premiers chrétiens de la ville de Colosses : "Recherchez les réalités d'en haut, non pas celles de la terre". Ce que Jésus ne pouvait pas encore dire tant qu'il était sur cette terre, saint Paul et les autres apôtres ont pu le dire après la résurrection du Seigneur Jésus. C'est quoi le royaume des cieux dont parle l’Évangile ? C'est quoi les réalités d'en haut dont parle saint Paul ? C'est d'être toujours avec le Christ qui est assis à la droite de Dieu, le Christ qui est dans le sein du Père, le Christ qui est Dieu au même titre que le Père.

Les penseurs sans Dieu de tous les temps avouent leur ignorance et leur effroi devant l'obscurité impénétrable de la vie d'outre-tombe. La mort est la fin de toutes choses, disent-ils. Pour nous, chrétiens, la mort, c'est le commencement de la vraie vie, celle qui nous attend, à condition qu'ici-bas nous ayons déjà commencé à la vivre. C'est la résurrection du Seigneur Jésus qui nous révèle notre immortalité. Tous nos penseurs sans Dieu, qui ne croient pas en la résurrection du Seigneur Jésus vivifiant, ne peuvent imaginer la mort que comme un échec définitif et irrémédiable.

L'homme de l'évangile d'aujourd'hui avait ses greniers tout pleins, mais il n'y avait plus en lui d'espace libre pour Dieu. Il faut qu'il y ait du vide en nous pour que Dieu puisse le remplir de sa présence, le remplir avec ce qui lui appartient. La prière est faite pour créer en nous un espace pour Dieu. Et de même toute mort, spirituelle ou corporelle, tout renoncement, reçoit son sens de la résurrection de Seigneur Jésus en nous. Toute mort est comme une fin pour que le Seigneur Jésus puisse commencer.

Il n'existe pas un seul jour où la voix de notre conscience ne nous place devant un choix : le choix de faire le bien ou le mal, le choix d'accepter la vérité de Dieu ou de la rejeter. Cette liberté, cette possibilité de choix nous jugera. Jésus se trouvait en jugement devant Pilate. Pilate était conscient que Jésus n'avait rien fait de mal, et il aurait voulu le relâcher. Finalement il ne l'a pas fait, il ne l'a pas relâché parce qu'il avait peur de la foule et qu'il était plus facile de complaire à cette foule en condamnant un innocent que de prendre le risque d'une agitation, d'une émeute, d'une dénonciation à Rome. Librement, Pilate choisit le mal. Il y eut un instant où tout dépendait de lui et il le savait, mais il agit contre sa conscience, contre la vérité...  Il était libre. La mention de Pilate dans le Symbole des apôtres est pour chacun de nous, depuis deux mille ans, comme un rappel de notre liberté... La liberté de remplir ses greniers ou de s'occuper des choses de Dieu au moins de temps en temps.

Celui qui ne connaît pas Dieu, celui qui ne connaît pas la révélation biblique de Dieu, ne désobéit pas à Dieu s'il fait du spiritisme, mais cela ne le protège absolument pas de ses conséquences nuisibles. Ce n'est jamais pour un bien qu'on appelle le diable, même si on ne sait pas qu'on appelle le diable. C'est l'ancien exorciste du diocèse de Rome qui dit cela. Autrement dit, on peut se jeter dans la gueule du loup sans le savoir. Et le même exorciste italien disait que douze millions d'Italiens fréquentent sorciers, voyants, cartomanciennes, médiums, etc. S'ils ont un jour des problèmes insurmontables, on ne devra pas s'en étonner. Douze millions d'Italiens ! Et en France ce n'est certainement pas mieux, à commencer par notre région. Jésus parle de s'enrichir en vue de Dieu. Il y en a qui s'enrichissent avec le diable, ils contaminent aussi tous ceux qui ont recours à leurs services.

"Chassez le religieux, il revient au galop". Et pour beaucoup aujourd'hui, ce religieux, c'est l'occulte : les voyantes, les médiums, les cartomanciennes, c'est-à-dire le monde du diable. "Chassez le religieux, il revient au galop". Conclusion d'un de nos contemporains : "C'est un drame de notre modernité que d'ignorer ce fait qui crève pourtant les yeux si l'on sait écouter".

Terminer avec Marthe Robin qui proposait ceci à des chrétiens : "Se fixer chaque jour un quart d'heure d’Écriture sainte : les évangiles ou les Actes des apôtres, par exemple... Et là, chercher ce qui vous attire le plus. Il ne s'agit pas d'en lire beaucoup mais de goûter ce que vous lisez". (Avec Théodore Papanicolaou, Alexandre Schmemann, Gabriele Amorth, Marion Muller-Colard, Marthe Robin, AvS).

 

7 août 2011 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 14,22-33

Jésus et Pierre qui marchent sur les eaux. Ce miracle sur la mer est une manifestation de la présence de Dieu ; humainement, ce n'est pas possible. Comme il n'est pas possible de nourrir cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons. Et quand les disciples se rendent compte que c'était bien Jésus qui marchait sur la mer et que ce n'était pas un fantôme, quand Pierre lui-même s'était mis à marcher sur la mer, leur réaction est unanime, ils se prosternent devant Jésus : "Vraiment, tu es le Fils de Dieu". En marchant sur les eaux, Jésus a donné à ses disciples un signe de plus de son mystère et du mystère de Dieu.

Huit siècles avant le Christ, Dieu avait donné au prophète Élie un autre signe de sa présence et de son mystère. (C'était notre première lecture). Dieu n'était pas dans l'ouragan, Dieu n'était pas dans le tremblement de terre, Dieu n'était pas dans le feu. C'est dans la brise légère que le prophète Élie avait reconnu le passage de Dieu.

Il y a de tout dans la Bible. L’Écriture n'est pas la propriété des spécialistes; c'est un jardin public où tous les chrétiens ont le droit de se promener. Les spécialistes des Écritures et les historiens décortiquent le texte de l’Écriture. Il n'est pas sûr du tout que cela les rapproche toujours de Dieu. C'est un rabbin juif très croyant qui disait à propos des spécialistes des Écritures et des archéologues de la Palestine : "Ce n'est pas parce qu'on n'a pas retrouvé la selle du chameau d'Abraham, que cela veut dire qu'Abraham n'avait pas de chameau ni de selle". Abraham, mille huit cents ans avant le Christ. Dans cet immense océan qu'est la Bible, Dieu a donné à l'intelligence humaine la matière d'un travail interminable.

La Bible, en son fond, attire notre regard vers les profondeurs de l'infini. Dieu est un grand mystère. Mais ce mystère n'est pas destiné à demeurer opaque. "Je veux savoir tout ce qu'il est possible de savoir. Je désire Dieu d'un grand désir et je crois que Dieu, le Dieu vivant et vrai, nous rend capables d'approcher de sa connaissance, aussi par le travail de l'intelligence". Ces quelques mots, ces quelques lignes, sont une espèce de profession de foi d'un homme qui a enseigné la christologie pendant quelques dizaines d'années à l'Institut Catholique de Paris. Et puis un beau jour, contre toute attente, on lui a demandé, avec insistance, de quitter son métier de professeur, pour devenir évêque de Strasbourg : Mg Joseph Doré. "Je veux savoir tout ce qu'il est possible de savoir. Je désire Dieu d'un grand désir et je crois que Dieu, le Dieu vivant et vrai, nous rend capables d'approcher de sa connaissance, aussi par le travail de l'intelligence".

On trouve dans la vie de certains saints que Dieu ne se révèle très fort à eux qu'après une très longue recherche de lui. Et il arrive alors que dès qu'ils se réveillent, la première pensée des saints et des saintes, c'est Dieu, sans effort. D'habitude ils volent pour ainsi dire à la rencontre de Dieu.

Les apôtres voient Jésus marcher sur la mer. Ils sont stupéfaits. Mais ils ne pouvaient pas soupçonner encore la portée de l'événement auquel ils venaient d'assister, ni le secret dernier de la personne de Jésus. Que Jésus soit le Fils de Dieu, et Dieu lui-même, ils n'ont pu le deviner vraiment qu'après la résurrection. C'est la résurrection de Jésus qui leur a révélé qu'il était le Fils unique de Dieu. C'est une révélation que le monde ne pouvait pas soupçonner. Un universitaire de notre temps dit à sa manière sa profession de foi : "C'est un fait indéniable et historique que, si les disciples, désemparés, effondrés par la tragédie du calvaire, ont été métamorphosés soudain en apôtres passionnés, c'est qu'ils avaient en eux la conviction absolue, frénétique, d'avoir revu vivant, revu de leurs yeux, leur Maître assassiné. Des imposteurs ? Les 'témoins qui se font tuer' ne peuvent pas être des imposteurs. On ne meurt pas, on ne se fait pas tuer pour soutenir un mensonge. La marche de Jésus sur les eaux, c'est une étape vers la certitude que Jésus a pu aussi marcher sur les eaux de la mort sans être englouti par l'abîme.

Un philosophe très croyant disait : "Le succès n'est pas un nom de Dieu". Il faut situer la fine pointe du christianisme dans le fait que la fécondité chrétienne atteint son sommet dans l'échec aux yeux du monde, dans la faillite de la croix. Le plus grand succès de Jésus, c'est l'inutilité de la croix. C'est le mystère du grain de blé semé en terre. (Avec Paul Claudel, Rabbin Ken Spiro, Marie-Joseph Lagrange, Mgr Doré, Jacques Guillet, Henri Guillemin, AvS, HUvB).

 

10 août 2014 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 14,22-33

Après la multiplication des pains, Jésus a renvoyé ses disciples : qu'ils prennent la barque et rentrent à Capharnaüm. Jésus les rejoindra plus tard. C'est vers la fin de la nuit, les apôtres sont sur le lac, mais ils ont bien du mal à avancer parce que le vent est fort et contraire. Il fait encore à moitié nuit, à moitié jour, quand les apôtres voient Jésus marcher sur le lac ; ils poussent un cri d'effroi, ils croient voir un fantôme. Aussitôt Jésus leur crie : "C'est moi, n'ayez pas peur".

Comme toujours, c'est Pierre qui est le premier à réagir : "Si c'est bien toi, dis-moi d'aller à ta rencontre en marchant comme toi sur les eaux". Et Jésus lui dit simplement : "Viens !", comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Pierre fait un saut par dessus bord et il va vers Jésus. Mais à cinquante mètres de la barque peut-être et à cinquante mètres de Jésus, il se met à avoir peur, il est comme quelqu'un qui se trouve sur des sables mouvants et il s'enfonce peu à peu, les chevilles puis les genoux. Il s'agite, et plus il s'agite, plus il s'enfonce. Jésus s'est arrêté, il ne dit rien. Et Pierre s'enfonce ; enfin il se décide à regarder Jésus et il crie : "Seigneur, sauve-moi". Jésus se précipite vers l'apôtre, il lui tend la main en disant : "Homme de peur de foi ! Pourquoi as-tu douté de moi ? Pourquoi as-tu voulu agir seul ?" Pierre s'est agrippé à la main de Jésus, il ne répond pas. Jésus tient fermement Pierre par le poignet, ils arrivent à la barque et ils y montent tous les deux. Et Jésus commande : "Allez jusqu'à la rive. Lui, il est tout trempé". Et il regarde Pierre en souriant, Pierre qui est tout humilié. Les apôtres se prosternent devant Jésus : "Vraiment, tu es le Fils de Dieu !"

Pierre demande à Jésus l'autorisation d'aller vers lui sur les eaux. Au début, tout va bien, puis ça se gâte. Chaque pas de nos vies devrait se faire le regard fixé sur Jésus, sur Dieu. Il n'y a aucun instant où Dieu n'aurait pas une volonté nous concernant. Et la prière de tous les jours est là aussi pour ça : est-ce que nous marchons toujours dans le sens de Dieu ?

Dieu répond à toute vraie demande. Il faudrait toujours commencer par demander à Dieu ce qu'on doit lui demander. Sinon notre appel reste creux et vide. La prière vraie est celle qui est toujours prête à recevoir de Dieu ce que Dieu veut lui donner.

Nous sommes en Inde. Il y a un petit dialogue entre le voyageur et le berger. Le voyageur : Quel temps allons-nous avoir aujourd'hui ? Le berger : la sorte de temps que j'aime bien. Le voyageur : Comment savez-vous que ce sera la sorte de temps que vous aimez bien ? Le berger : je me suis rendu compte, Monsieur, que je ne peux pas toujours obtenir ce que j'aime ; alors j'ai appris à aimer ce qui m'est donné. C'est pourquoi je suis parfaitement sûr que nous allons avoir la sorte de temps que j'aime bien. Le Père de Foucauld priait comme ceci : "J'accepte tout, pourvu que cela vienne de toi, Seigneur".

L'homme est incapable de gérer son existence. Tant d'imprévus sont possibles. Est-ce qu'il va s'ouvrir à Dieu ? Est-ce qu'il va se laisser interpeller ? L'homme ne peut pas considérer sa mort seulement comme un événement incompréhensible, la mort est au cœur de son existence humaine. Est-ce que l'homme va s'ouvrir à Dieu ? Esr-ce qu'il va se laisser interpeller ?

On demande à un chrétien célèbre de notre temps s’il a peur de la mort. L’homme interrogé a répondu : "Pas maintenant, mais reviens me voir quinze jours avant ma mort... Pour le moment, j'ai plutôt peur des humiliations".

"Avez-vous peur de la mort ?" Nous sommes dans la civilisation du loisir. Qui peut encore penser à des questions pareilles ? Qui ne manque de rien ne pense pas à Dieu. Dieu ? Mais pour quoi faire ? On abandonne le Christ et l’Église, non par haine, mais par abandon. Celui qui est repu est oublieux. Il s'occupe de son confort. Et l'installation du confort prend du temps. Ce n'est même jamais fini. Jésus avertissait les siens : "Comme il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux !" Un trésor chasse l'autre. Que faire de Dieu si on est riche, si on est repu ? Les fêtes profanes qui s'étalent partout, surtout en été, sont souvent le symptôme d'un vide de l'âme, d'une vide existentiel.

Terminer avec Georges Bernanos : "Le péché n'a aucune profondeur ; il nous fait vivre à la surface de nous-mêmes; nous ne rentrerons en nous que pour mourir, et c'est là qu'Il nous attend, que Dieu nous attend". (Avec Anand Nayak, Charles de Foucauld, Karl Rahner, Thierry-Dominique Humbrecht, Georges Bernanos, AvS).

 

9 août 2009 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6, 41-51

Nous sommes toujours dans le discours de Jésus sur le pain de vie qu'on trouve au chapitre sixième de saint Jean. Il y a comme trois nourritures qui descendent du ciel : la manne dans le désert au temps de Moïse, douze siècles avant le Christ ; ensuite il y a les cinq pains qui nourrissent cinq mille hommes : il a bien fallu que le ciel donne un coup de pouce pour nourrir cinq mille hommes avec cinq pains ; enfin Jésus ajoute que lui-même est aussi descendu du ciel, comme la manne dans le désert et comme les cinq pains qui suffisent à nourrir cinq mille hommes.

Jésus lui-même est un miracle de Dieu. Mais quand il dit qu'il est descendu du ciel, les responsables juifs haussent les épaules : personne n'a vu Jésus descendre du ciel. Jésus, on le connaît bien, on connaît son père et sa mère. Qu'est-ce qu'il vient nous raconter là qu'il est descendu du ciel ? Cette réflexion des responsables juifs, elle est toujours, aujourd'hui encore, la réflexion de tous les gens qui ne peuvent pas croire en Jésus descendu du ciel et remonté au ciel, Jésus Fils de Marie bien sûr, mais aussi Fils unique du Père, né du Père avant tous les siècles.

Que peut bien répondre Jésus à ceux qui ne croient pas qu'il est descendu du ciel ? On ne peut pas y croire puisqu'il a un père e tune mère qu'on connaît bien. Comment Jésus peut-il répondre à une objection pareille ? C'est vrai, personne ne l'a vu descendre du ciel, comme plus tard personne ne le verra en train de sortir du tombeau pour ressusciter d'entre les morts. Comment répond Jésus à cette interrogation des responsables juifs et des incroyants de tous les temps ? Comment peut-on croire que Jésus dit la vérité quand il affirme qu'il est descendu du ciel ?

Il y a des choses qui se passent dans l'invisible. Personne ne peut venir à Jésus, personne ne peut croire qu'il est venu d'en haut si le Père invisible ne l'attire à Jésus par son Esprit Saint. Et Jésus s'en réfère alors une pensée qu'on trouve dans les prophètes de l'Ancien Testament : "Ils seront tous instruits par Dieu lui-même". Pour reconnaître que Jésus est vraiment descendu du ciel, pour admettre que Jésus est descendu du ciel, il faut que le ciel nous ouvre les yeux, le cœur et l'intelligence.

Mais quel avantage y a-t-il à croire que Jésus est descendu du ciel ? Quel intérêt ? L'intérêt ? C'est que celui qui croit en lui a la vie éternelle. L'intérêt ? C'est que celui qui croit en lui, il vivra éternellement. Ailleurs, dans l'évangile de saint Jean toujours, il est dit que Celui qui vient du ciel témoigne de ce qu'il a vu et entendu, mais que son témoignage, personne ne l'accueille (Jn 3, 32). Pourquoi ? Parce que, pour le monde, Dieu apparaît comme la mort, comme la limite de la vie des hommes. Le monde vit si peu dans l'Esprit Saint de Dieu qu'il nie tout ce qui est Esprit, qu'il refuse tout ce qui est Esprit, qu'il dit inexistant tout ce qui est Esprit.

La différence entre la foi et ce que saint Jean appelle le monde, c'est que, dans la pensée du monde, tout va vers la mort, tandis que, dans l'Esprit de Dieu, tout va vers la vie, justement parce que Jésus est descendu du ciel pour emmener tous les humains avec lui en haut, vers le Père, invisible et infini. Comment faire pour être instruit par Dieu lui-même ? La grâce n'est pas quelque chose qu'on prend. Il s'agit de se laisser prendre par la grâce. La vérité de Dieu, la vérité du Seigneur Jésus, ce n'est pas nous qui pouvons la prendre de force. Ce que Dieu veut nous donner est à la mesure de son immensité; ce que nous recevons n'est toujours qu'à la mesure de nos petites mains, si l'on peut dire.

Jésus n'a pas convaincu tout le monde : "Les juifs récriminaient contre lui". Si on annonce à d’autres une vérité dont on est convaincu, on ne doit le faire que dans un amour divin du prochain. Non pas pour avoir raison, mais pour être avec lui. Il s'agit moins de donner une leçon que d'accueillir un frère. Sinon, s'il n'y a pas cet élan de communion, notre parole provient de quelque chose d'impur, elle a quelque chose de démoniaque. Il peut y avoir quelque chose de démoniaque dans le croyant qui voudrait imposer sa foi à tout le monde, comme il y a quelque chose de démoniaque dans celui qui se ferme absolument à Dieu. Mais le démoniaque ne s'aperçoit pas tout de suite nécessairement. A travers l'indifférence religieuse, le diable retire Dieu du champ des désirs et des préoccupations de l'homme. Et voilà, le tour est joué : le diable a donné aux hommes des jouets pour qu'ils oublient Dieu.

Deux mots pour finir. 1. Dieu s'est révélé au peuple juif, on ne sait pas pourquoi. Et les prophètes d'Israël s'en étonnaient déjà : "Ce n'est pas parce que vous étiez un grand peuple que Dieu vous a choisis. Au contraire, vous étiez petits, insignifiants". 2. Dieu et nous. Non seulement nous tendons de la terre au ciel, mais, en tant que chrétiens, aimants et croyants, nous sommes essentiellement déjà auprès de Dieu. (Avec Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

12 août 2012 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,41-51

Les adversaires de Jésus, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui, ne peuvent pas admettre que Jésus est descendu du ciel, comme il le dit et comme il le prétend. Pour les adversaires de Jésus, Jésus n'a rien de particulier. C'est un homme comme tout le monde. On connaît son père et sa mère. Pourquoi vient-il nous raconter maintenant qu'il est descendu du ciel ? Vraiment, il a perdu la tête.

La vie de Jésus, on peut la résumer en trois temps : il a vécu trente ans de vie cachée, trois ans de vie active et trois jours de souffrance. Trente ans de vie cachée : c'est le fils de Joseph et il exerce le métier de son père, il est charpentier. Les historiens d'aujourd'hui, qu'ils soient croyants ou non, admettent tous (à peu près) qu'il y a deux mille ans, en Palestine, il y a eu un homme qui s'appelait Jésus ou Christ : il y a des traces de lui dans l'histoire. On ne peut pas le nier.

Ce qu'a fait ce Jésus, c'est une autre affaire. Et parmi les historiens d'aujourd'hui, il y en a qui considèrent que Jésus n'est qu'un homme comme tout le monde, qu'il a été condamné à mort par Pilate et qu'il est mort sur une croix. Un point, c'est tout. Cela n'a pas plus d'importance que ça. Et parmi les historiens d'aujourd'hui, il y en a aussi qui pensent et qui croient que Jésus, c'est plus que ça. Eux aussi connaissent le père et la mère de Jésus mais, ce qui change tout, ils admettent comme vrai ce qu’aujourd’hui, dans l’évangile, Jésus dit à ses adversaires : "Je suis descendu du ciel". Alors, aujourd'hui comme hier, il y en qui croient et il y en a qui ne croient pas que Jésus est vraiment descendu du ciel. Pourquoi ? Jésus nous le dit aujourd'hui : "Personne ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire vers moi".

Toute la foi chrétienne, on pourrait la résumer comme ceci avec un théologien orthodoxe de notre temps : Tout homme a été créé ami de Dieu et appelé à cette amitié divine qui consiste dans la connaissance de Dieu, la communion avec lui, le partage de la même vie. Les adversaires de Jésus, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils proposent à la place ?

En 1942, Albert Camus commence un livre qui l'a rendu célèbre par une phrase qui est restée proverbiale : "Il n'y a qu'un problème philosophique sérieux, c'est le suicide". Et Albert Camus ajoutait : "Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie". On peut supposer qu'Albert Camus se considérait comme un philosophe, un philosophe sans Dieu. Un homme de notre temps, historien de la philosophie, estime que Camus n'est pas un philosophe, c'est un écrivain. Et cet historien de la philosophie, qui est chrétien, proteste contre ces propos de Camus. Et il affirme : "Je prétends, quant à moi, que la vraie question est de savoir si la vie vaut la peine d'être donnée".

Si l'on ne croit pas en Dieu, l'être humain est le résultat d'une évolution purement matérielle. Et donc, à la fin de sa vie, l'être humain va disparaître définitivement de la scène du monde. Il n'y a pas d'au-delà de la mort. L'horizon de l'individu, c'est sa mort. Il y en a qui croient en Dieu et il y en a qui n'y croient pas. Pourquoi ? Jésus nous le dit aujourd'hui : "Personne ne peut venir à moi, personne ne peut croire, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire vers moi, et moi, je le ressusciterai au dernier jour". Mais on peut toujours refuser de se laisser attirer par Dieu. Dieu nous a fait libres.

Un homme de notre temps, exorciste du diocèse de Rome, nous dit ceci : "L'orgueil est la plus grande tentation du démon. Les plus grands péchés sont des péchés d'orgueil. Ils sont à l'origine de tous les autres. Même si le péché le plus fréquent, non pas le plus grave, mais le plus fréquent, c'est celui de l'impureté". Jésus nous dit : Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Je vous donne la Vérité par tout ce que j'enseigne. Je vous aplanis le chemin par mon sacrifice, je vous le trace, je vous l'indique. Mais la Vie, je vous la donne par ma mort.

Le cœur de la foi chrétienne, c'est la résurrection du Seigneur Jésus, et la promesse qu'il a faite de ressusciter tous les hommes à sa suite. Par la résurrection, le christianisme prétend fournir la seule solution complète et satisfaisante du problème de l'existence humaine. Albert Camus voyait bien que la question primordiale de la philosophie était de savoir si la vie valait ou ne valait pas la peine d'être vécue. Pour le philosophe chrétien, la vraie question était de savoir si la vie valait la peine d'être donnée. Le christianisme fournit la seule réponse satisfaisante à ces questions : Jésus nous promet de nous ressusciter au dernier jour. (Avec Alexandre Schmemann, Rémi Brague, Michel Schooyans, Gabriele Amorth, AvS, HUvB).

 

9 août 2015 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,41-51

Jésus a deux sortes d'interlocuteurs : ceux qui le reconnaissent comme venant vraiment de Dieu, et ceux qui ne peuvent admettre qu'il vient de Dieu. Jésus vient de leur dire qu'il est descendu du ciel : c'est aberrant ! On connaît bien son origine terrestre : son père et sa mère. Qu'est-ce qu'il vient nous raconter qu'il descend du ciel ? Jésus n'explique pas son origine, mais il réaffirme qu'il a reçu du Père sa mission.

Et il ajoute que personne ne peut croire en lui, personne ne peut venir à lui, si le Père lui-même ne l'attire. Ils ne doivent pas croire que c'est Jésus qui cherche à gagner des adeptes. C'est le Père qui s'en occupe. C'est le Père qui attire les hommes vers son Fils. Celui qui va au Fils n'y parvient qu'en raison d'un désir que le Père a mis en lui. Personne ne peut arriver au Fils, personne ne peut trouver le Fils, sinon celui qui cherche le Père. Et tout le travail des hommes consiste à ne pas refuser de se laisser attirer.

Et Jésus alors se réfère à l’Écriture que ses interlocuteurs connaissent bien. "Il est écrit dans les prophètes que tous les hommes seront instruits par Dieu lui-même". Tous seront instruits par Dieu. L'enseignement de Dieu est à la disposition de tous. Dieu ne fait pas de distinction entre les Juifs et les autres. L'enseignement de Dieu est ouvert à tous. Quiconque a entendu le Père, quiconque a éprouvé d'une manière ou d'une autre le désir de Dieu, en certaine circonstance, celui-là vient au Fils.

Il est souvent intéressant de voir comment des Juifs croyants d'aujourd'hui essaient de dire leur foi. Ils ne vont pas jusqu'au Christ, bien sûr, mais le terreau de leur foi est le même que le nôtre, il est le même que celui de Jésus qui cite les Écritures. Voici donc un Juif de notre temps qui essaie de dire l'essentiel de sa foi : Que Dieu aime les hommes, qu'il soit leur Père, d'autres génies antiques l'avaient pressenti. Mais que les hommes soient invités à aimer Dieu, voilà qui bouleverse la structure religieuse du monde. D'Adam à Noé, de Noé aux patriarches, des patriarches au Sinaï, Dieu a été inlassablement en quête des hommes. (C'est Dieu qui cherche l'homme). Dieu a un projet qu'il veut réaliser avec la participation des hommes. Il appelle les hommes à coopérer avec lui. Jusqu'ici, les hommes s'étaient trompés sur le sens du monde : ils avaient cru que le monde leur appartenait. Or le monde appartient à Dieu. Dieu seul est l'autorité suprême. Ce que la Loi de Dieu demande, ce n'est pas que le monde s'anéantisse devant Dieu, mais qu'il se transforme pour l'accueillir. Dieu et les hommes ne sont pas isolés. Le chemin tracé par la Loi vise à rompre ce qui sépare Dieu de l'homme, pour que Dieu et les hommes participent à une cité commune. Et là nous sommes au seuil de l’Évangile, de l'apparition en ce monde du Fils bien-aimé du Père. Voilà donc pour un Juif croyant d'aujourd'hui.

On n'a jamais fait le tour de Dieu ; de Dieu, on ne voit jamais le fond ; de Dieu, on ne connaît jamais rien d'autre que le désir de le connaître. De Dieu, on ne connaît que le désir de chercher et de trouver la volonté de Dieu dans l'orientation de sa vie. Dieu est insaisissable. Je ne le possède pas. Je vis quelque chose, et puis il y a un cheminement, une traversée du désert, et je crois. Je vis dans la foi qui s'enracine dans une expérience du passé et qui est ouverte à une expérience nouvelle. Il y a le cheminement et il y a le désert. Il y a l’expérience et l'absence d'expérience : et les deux font partie de l'expérience, font partie de la foi.

"Je suis le pain de la vie" nous dit Jésus aujourd'hui. Et dans le Notre Père, nous disons : "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour". On peut le comprendre au sens propre ou au sens spirituel. Le pain en effet, c'est le Seigneur Jésus, et ce pain appartient à tous, il est nôtre. De même que nous disons : Notre Père, parce qu'il est le Père de tous ceux qui, dans la foi, le reconnaissent comme Père, de même nous parlons de notre pain, parce que le Christ est le pain de ceux qui touchent son Corps pour communier. C'est saint Cyprien qui disait cela au IIIe siècle, il était évêque de Carthage dans l'Afrique du Nord actuelle.

Et saint Cyprien continuait : "Ce pain, nous demandons qu'il nous soit donné chaque jour afin que nous, qui sommes dans le Christ et recevons chaque jour l’eucharistie en nourriture du salut, nous n'ayons pas à nous abstenir de la communion au pain céleste en raison de quelque péché grave".

L'union eucharistique avec le Seigneur Jésus n'a pas pour but de fonder une fraternité. L'union eucharistique est d'abord communion avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint, comme saint Paul le souhaite à la fin d'une de ses lettres : "La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec  vous tous". (Avec André Neher, Alexis Jenni, Gérard Siegwalt, saint Cyprien, AvS, HUvB).

 

8 août 2010 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 12, 32-48

Jésus nous parle de la vigilance. "Soyez comme des gens qui attendent leur maître pour lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera à la porte". Tôt ou tard, le Seigneur Jésus reviendra pour nous prendre avec lui dans son royaume. Il reviendra pour chacun de nous, au soir de notre vie. Ce sera quand le soir de notre vie ? On ne sait pas. Mais ce qui est sûr, c'est que le soir viendra. C'est peut-être aujourd'hui, c'est peut-être dans cinquante ans pour certains d'entre nous. On ne sait pas. Il y a des gens qui ne savent pas que le Seigneur Jésus va venir. Ils pensent qu'à la mort il n'y a plus rien, ils pensent qu'à la mort ils vont sombrer dans le néant. C'est quoi le néant ?

Chaque communion eucharistique est pour nous un essai de recevoir en nous le Seigneur Jésus, un essai de nous approcher de lui, de prendre ce qu'il nous donne et donner ce qu'il veut nous prendre. Avant chaque communion, on peut entendre cette parole de l'évangile d'aujourd'hui : "Soyez comme des gens qui attendent leur maître et qui sont prêts à lui ouvrir la porte quand il viendra". Ce que Jésus nous dit aujourd'hui, comme toujours dans l'évangile, c'est que la vraie signification du temps se trouve dans l'éternité, c'est-à-dire dans le monde invisible de Dieu. L'essentiel est aujourd'hui caché dans l'au-delà du temps présent.

La foi, c'est la possibilité de se tenir droit devant Dieu, de marcher devant lui librement, dans la paix, l'humilité, la joie. C'est à cela que Jésus nous appelle...On dit que Dieu est amour. C'est quoi l'amour ? L'amour, c'est ce qui fait exister l'autre. Et Dieu veut que nous existions devant lui, que nous marchions devant lui, librement, dans la paix, l'humilité, la joie. La foi, c'est de savoir que tout ce qui nous arrive d'essentiel vient de Dieu.

Jésus ne promet pas le paradis sur terre. Le tentateur, lui, promet le paradis sur terre. En fait le diable ne récompense pas. Il fait miroiter aux yeux des hommes monts et merveilles, et beaucoup de gens se laissent tromper par lui. Le diable promet monts et merveilles, mais jamais il n'a honoré ses promesses. Le tentateur promet le paradis sur terre, mais le paradis qu'il promet peut se transformer en enfer dès cette terre. Jésus ne promet pas le paradis sur terre. Il nous dit que lui, Jésus, viendra un jour, la nuit peut-être ; mais que ce soit de jour ou de nuit, il nous demande d'être prêts à lui ouvrir la porte. Que faire en attendant ?

Un homme de notre temps, membre de l'Académie française et romancier à ses heures, qui ne sait plus trop où il en est de la foi chrétienne de son enfance, peut nous donner son avis sur ce que nous avons à faire en attendant. Il écrit ceci : "Quand je vois ces miséreux dans la rue aujourd'hui... ou ces vieilles femmes chassées de leur appartement... et les vieux, la solitude des vieux, chez eux ou dans la maisons de retraite... L'horreur n'est pas seulement à l'autre bout du monde; elle est là, en bas de chez nous... Vous dire cela ne change sans doute pas grand-chose à ma pratique concrète de la solidarité, mais je me dis souvent que je pourrais être à la place de chacun d'entre eux. Je ne peux m'empêcher d'éprouver un certain sentiment de fraternité. Cela traduit bien la marque dans nos consciences d'une imprégnation chrétienne profonde. Ainsi le christianisme a-t-il apporté à l'homme un éveil de la sensibilité, de la compassion à l'égard d'autrui qu'il n'avait sans doute pas au départ. Car la bête humaine, au fond, est d'abord préoccupée par la satisfaction de ses intérêts propres, elle se moque du reste. Il a fallu des siècles, toute la force de la lumière chrétienne en particulier, pour que l'humanité dépasse cet esprit du chacun pour soi, afin de s'élever au souci de l'autre". Voilà la leçon de morale que nous donne cet académicien qui se présente lui-même, avec un certain sourire, comme libertin et chrétien.

Ouvrir sa porte au Seigneur Jésus quand il viendra, de jour ou de nuit, comme un voleur ou comme un ami. Lui ouvrir sa porte demain, et aujourd'hui ouvrir son cœur. Notre libertin et chrétien a bien retenu la leçon. Peut-être ne sait-il plus que lui aussi doit être prêt à ouvrir sa porte quand le Seigneur Jésus viendra, mais il a bien retenu la première partie du programme : ce qu'il faut faire en attendant.

Et je termine avec le même académicien, avec une espèce de belle profession de foi. Il écrit ceci : "Un athée est tout à fait respectable, un croyant n'est pas forcément un idiot retardataire". Et il ajoute : "Il y a un obscurantisme laïcard qui existe aussi, l'obscurantisme n'est pas nécessairement le privilège exclusif d'une certaine forme de religion". (Avec Alexandre Schmemann, Alexandre Men, Jean-Marie Rouart, AvS).

 

11 août 2013 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 12,32-48

Tenez-vous prêts comme celui qui va partir en voyage ou comme celui qui attend son maître. Vous êtes les serviteurs de Dieu. A toute heure il peut vous appeler, ou bien venir là où vous êtes. Soyez donc toujours prêts à partir ou à le recevoir, avec à la main une lampe allumée. Dieu est rapide dans sa venue. Soyez donc prêts à lui ouvrir la porte quand il arrivera, ou prêts à partir s'il vous appelle. S'il vous trouve en train de veiller, il prendra la tenue de service, vous fera asseoir à table et il vous servira.

Alors Pierre pose la question : Ce que tu dis là, est-ce pour nous, les apôtres, ou bien pour tout le monde ? Réponse de Jésus : Vous, les apôtres, vous êtes comme des intendants que le maître a mis à la tête de ses serviteurs. Vous devez donc être prêts deux fois : d'abord comme tous les croyants, et aussi comme intendants.

Mais l'intendant peut se dire : Le maître est loin, il m'a écrit que son retour sera retardé ; alors il se met à manger et à boire jusqu'à s'enivrer et à donner des ordres d'ivrogne ; les serviteurs refusent d'exécuter ses ordres d'ivrogne pour ne pas faire de tort à leur maître, et lui, l'intendant, il se met à battre serviteurs et servantes. Et il est tout content : il goûte enfin ce que c'est que d'être le maître et d'être craint par tout le monde. Et voilà que le vrai maître revient finalement plus tôt que prévu, il surprend son intendant la main dans la bourse. L'intendant sera châtié et d'autant plus que le maître l'avait davantage aimé et instruit.

"Restez en tenue de service". Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire adapter notre vie à celui qui est notre Maître. S'adapter suppose un certain renoncement. Mais on est content de suivre Celui qui nous a appelés à son service. Les petites décisions de la vie de tous les jours font partie de ce service, tout le travail devient service. Et le plus grand service qu'on peut offrir à quelqu'un, c'est de lui transmettre la foi.

"Restez en tenue de service" : Dieu donne à chaque être humain sa voie personnelle et le service personnel qu'il a à rendre. Dieu donne aussi à chacun sa voie personnelle d'accès à Dieu Trinité. L'un recevra la voie de l'amour de Dieu en général, l'autre un amour particulier pour l'une des personnes de la Trinité, un troisième l'amour pour la Mère de Dieu ou pour un saint ou une sainte qui sera pour lui comme un accès vivant auprès de Dieu. Chaque voie est toute personnelle, mais toutes conduisent à Dieu Trinité.

Si on a la chance d'avoir des enfants, avec toutes les joies qu'ils donnent, on est exposé aux déboires qu'ils risquent de nous apporter quand ils sont malades, quand ils rencontrent des échecs, quand ils se retournent contre leurs parents. Le plus grand bonheur est d'être aimé par quelqu'un et d'avoir la chance de l'aimer en retour. Mais il y a aussi des gens qui ont le sentiment de ne compter pour personne. Il y a mille chemins vers Dieu, mille manières de porter la tenue de service et la lampe allumée. Et souvent on ne choisit pas soi-même.

Il y a mille manières aussi de voir les choses. Chesterton, qui était Anglais, chrétien et humoriste, notait que les hommes ont tendance à mettre l'accent sur ce qui est négatif, comme si l’exception était plus significative que la règle. Et Chesterton donne un exemple : Pourquoi imprime-t-on dans le journal : "Hier, un maçon est tombé d'un échafaudage et s'est tué" ? Pourquoi ne pas dire plutôt : "Hier, en Grande Bretagne, 43.284 maçons ne sont pas tombés d'un échafaudage". Étant donné la fragilité des échafaudages, la loi de la pesanteur, le fait que les maçons peuvent être distraits ou pas tout à fait à jeun, c'est tout de même un fait plus remarquable de voir 43.284 maçons ne pas tomber que d'en voir tomber un seul !

Et le même humoriste, disait aussi : "Quand on ne croit plus en Dieu, ce n'est pas pour croire en rien, c'est pour croire à n'importe quoi".

La foi chrétienne ne peut se concevoir autrement que comme ce qui nous introduit dans l'attitude la plus profonde du Seigneur Jésus. Et quelle cette attitude ? C'est une fidélité au Père donnée une fois pour toutes et qui est renouvelée à chaque instant du temps. C'est une préférence inconditionnelle du Père, de son amour, de sa volonté, de son commandement. C'est une persévérance inébranlable dans cette volonté, quoi qu'il arrive. Par-dessus tout, c'est la disponibilité entre les mains du Père, le refus de vouloir connaître l'heure à l'avance : "C'est à l'heure où vous n'y penserez pas qu'il viendra". (Avec Jacqueline de Romilly, Mgr Léonard, Chesterton, AvS, HUvB).
 

7 août 2016 - 19e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 12,32-48

L'évangile d'aujourd'hui nous rappelle celui de dimanche dernier : l'homme qui ne pensait qu'à agrandir ses greniers pour y stocker toutes ses récoltes et qui ne pensait pas un instant que Dieu pouvait le rappeler à lui à toute heure du jour et de la nuit. "Le Bon Dieu : on y pensera plus tard, quand on aura le temps". Mais notre homme n'a pas eu le temps d'y penser, le Bon Dieu est venu le cueillir sans préavis.

Et notre évangile d'aujourd'hui continue dans le même sens : la venue du Seigneur Jésus est certaine, mais personne n'en connaît le moment. Il faut rester vigilant, il faut savoir que tout peut arriver, même l'imprévu. Il ne faut pas faire l'autruche, il faut garder les yeux grand ouverts, rester en tenue de travail, rester en tenue de voyage, toujours prêt à partir si on nous appelle.

"Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur". Il y a de petits trésors et de grands trésors. Il y a le petit trésor de vivre heureux sans souci majeur, de vivre heureux chez soi, dans son travail, dans ses occupations et avec les autres. Mais même à ce niveau-là, tout le monde n'a pas de trésor, tout le monde ne connaît pas le plaisir de la détente. Il y a des gens dont la vie est parfois affreusement compliquée, des gens qui sont toujours au bout du rouleau, qui se demandent comment ils pourront aller jusqu'au bout du mois ; il y a des gens dont la vie est remplie de conflits incessants, des gens qui vivent toujours dans l'angoisse du jour qui vient, dans l'angoisse de la solitude ou de la longue maladie. Des gens qui n'ont qu'une prière : "Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, à notre secours".

Dieu a laissé à chaque être humain le soin de gérer sa vie, comme l'intendant de la parabole, qui doit gérer les biens de son maître. Le croyant accomplit sa part de l’œuvre que Dieu lui a confiée. Et il laisse à Dieu la part qui lui revient. Le croyant voit les fruits de son travail, il voit les fruits mûrir, il n'en voit qu'une partie, il n'a pas besoin de tout savoir, il laisse à Dieu le soin de ce qu'il ne connaît pas.

Dieu veut nous accueillir lourds de tous ceux que nous portons... Un mari au chômage, un enfant qui se drogue, l'attente angoissée d'un résultat médical, mais aussi les émotions d'une affection partagée. Tous ceux que nous portons (les personnes et les soucis) ne sont pas des distractions dans la prière, à mettre entre parenthèses. Dieu veut nous accueillir lourds de tous ceux que nous portons, de tout ce que nous portons.

Je vous parlais il y a quelque temps d'une Norvégienne qui, à l'âge adulte, s'était convertie à une foi vivante. Et dans le livre qu'elle a écrit pour raconter un peu son parcours, elle évoque la difficulté de vivre en chrétien : "Vu le style de vie païen commun à notre époque, nous avons une lourde tâche. C'est pourquoi les laïcs doivent avoir une âme encore plus contemplative face aux énormes distractions et tentations. Comment vivre la chasteté quand on trouve le sexe partout, dans tout et sous toutes les formes ? Comment être détaché de l'argent quand le matérialisme règne ? Comment aimer en se donnant aux autres quand l'égoïsme est considéré au départ comme naturel et acceptable ?" Et notre Norvégienne ajoute en souriant que, dans le village de son enfance, Jésus avait sa place dans les salons comme les géraniums sur le rebord de la fenêtre.

Il faut rester en tenue de service, dit notre évangile. Que faut-il faire pour plaire à Dieu ? Saint Augustin a une réponse étonnante. Il dit : "Celui qui plaît à Dieu, c'est celui à qui Dieu plaît". Question à se poser : Est-ce que Dieu me plaît ? Mais saint Augustin ajoute: "Ne croyez pas que ce soit là chose facile que de régler son cœur sur la volonté de Dieu. Autant Dieu dépasse l'homme, autant la volonté de Dieu dépasse celle de l'homme". Un autre Père de l’Église vient à la rescousse (saint Césaire d'Arles) : "Soyez-en bien persuadés : l'âme qui ne se nourrit pas de façon assidue de la parole de Dieu ressemble au corps qui laisse passer de nombreux jours sans manger". (Saint Césaire - mort en 542 - était évêque d'Arles et il osait dire ça à ses "paroissiens").

L'ennemi de Dieu et des hommes ne cesse de dire à l'homme : "Dieu est dangereux, ne le laisse pas entrer vraiment dans ta vie". Avec le psaume, nous disons : "Lève-toi, Seigneur, défends ta cause, n'oublie pas le cri de ceux qui te cherchent". (Avec Jean-Noël Bezançon, J. Haaland, saint Augustin, saint Césaire d'Arles, AvS, HUvB).

 

14 août 2011 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 15,21-28

Jésus et ses disciples se trouvent dans la région de Tyr et de Sidon, c'est-à-dire sur la côte méditerranéenne. Et voilà qu'une femme de cette région, pas une juive, une païenne, supplie Jésus de guérir sa fille, sa fille qui est tourmentée par un démon. On ne sait pas de quoi il s'agit exactement. Toujours est-il que, dans un premier temps, Jésus fait la sourde oreille. Cela nous étonne de sa part. Il répond à ses disciples et à cette femme qu'il n'est venu que pour Israël, pas pour les païens. Mais la femme ne se laisse pas démonter par cet argument. Elle ne fait pas appel à la bonté de Jésus, à son bon cœur. C'est vrai qu'elle n'est pas juive, mais elle se contenterait bien des miettes. Et Jésus se laisse faire : "Femme, ta foi est grande. Que tout se fasse pour toi comme tu le veux". Jésus ne lui donne pas des miettes, il lui donne tout ce qu'elle désirait : la guérison de sa fille.

La Cananéenne d'aujourd'hui nous apprend à prier. Dans la prière, on peut se rattacher à tout ; on peut se rattacher à une joie ou à une souffrance qu'on a éprouvée. On peut apprendre à mieux connaître Dieu de ces deux manières : par la joie ou par la souffrance. On ne sait pas ce qu'est devenue la Cananéenne, mais on lui a fait une place d'honneur dans l'évangile. Jésus lui a dit : "Femme, ta foi est grande". Chaque fois qu'on demande à Dieu quelque chose, cela inclut qu'on est prêt à correspondre à ce que Dieu attend de nous. - Que dois-je faire maintenant ? - Ce que Dieu veut. - Et que veut-il ? - Il le montrera. - Qu'est-ce qui a de l'importance ? - La volonté de Dieu, et elle n'est pas abstraite. Je ne sais pas ce que Dieu a en vue. Mais il voudrait que vous vous prépariez à rester fidèle aujourd'hui et à faire ce qu'il veut. Que voulait Dieu de la Cananéenne ? Il voulait qu'elle insiste auprès de Jésus et qu'elle ne se laisse pas rebuter par un premier refus.

Dans le paradis de Dieu, les juifs et les païens vont se retrouver tous ensemble. Jésus nous dit que la porte du paradis est étroite (Lc 13,24). Et pourquoi est-elle étroite ? Et pourquoi il est difficile d'y entrer ? S'il est difficile d'entrer au paradis, ce n'est pas parce qu'il est trop fermé, c'est parce qu'il est trop ouvert. Le problème, c'est que la femme vertueuse sera confrontée à la possibilité de vivre éternellement avec la prostituée repentie. La difficulté, c'est que le monsieur bien propre va devoir vivre avec le pouilleux d'autrefois. La difficulté, c'est que le supporter de l’O. M va devoir vivre avec le supporter du PSG, la victime avec son assassin, le chrétien avec l'athée qui le persécute, le bon juif avec la Cananéenne. Le paradis, nous voudrions qu'il soit un club privé, et c'est l'auberge qui accueille le tout-venant. Nous voudrions un mariage sélect, et voilà des noces ouvertes à tous les déchets des places et des rues, aux pauvres, aux estropiés, aux aveugles et aux boiteux (Lc 14,21).

L’Éternel veut bien nous sauver jusqu'au tout dernier instant si nous nous ouvrons à lui tout d'un coup. Mais il ne veut pas nous emporter au ciel sans que nous ayons le temps de faire quelque chose en retour. Il y a des gens qui pensent qu'après la mort il n'y a plus rien, que tout finit au néant : le corps se dissout en particules élémentaires. Et ces non-croyants estiment que ceux qui croient à une vie après la mort sont dans l'illusion : les croyants imaginent une vie bienheureuse, ils inventent une vie bienheureuse à cause de la peur. Mais il est possible de retourner la politesse aux non-croyants : pourquoi ce néant ne serait-il pas inventé par la peur qu’ils ont de devoir se présenter devant Celui qui nous scrute et nous connaît, et sans qui nous ne sommes rien ?

D'autres se demandent ce qu'on pourra bien faire éternellement dans ce ciel. Un grand croyant de notre temps, protestant et théologien de renom, disait un jour : "Je ne suis pas sûr que les anges, lorsqu'ils sont en train de glorifier Dieu, jouent de la musique de Bach ; je suis certain, en revanche, que lorsqu'ils sont entre eux, ils jouent du Mozart, et que Dieu aime alors tout particulièrement les entendre". Et puisqu'on est dans la musique et pas loin des petits chiens de l'évangile, il faut ajouter ceci : saint Vincent de Paul disait que Dieu aime mille fois mieux entendre l'aboiement d'un chien que la voix de celui qui chante par vanité.

Qu'est-ce qu'on va faire éternellement dans le ciel ? Saint Irénée de Lyon, il y a très longtemps, disait : "Dans le royaume futur, Dieu aura toujours quelque chose à enseigner, et l'homme aura toujours quelque chose à apprendre de lui".

Pour déterminer la pratique d'un chrétien, il n'est pas tout à fait juste de se borner à observer s'il va à l'église tous les dimanches. D'une part, c'est un minimum en ce qui concerne les commandements de l’Église. Mais d'autre part, ce n'est même pas l'essentiel parce que l'essentiel, c'est la charité chrétienne vécue. Et là on n'a jamais fini. Ce qu’on peut souhaiter, c’est que tous, un jour, nous puissions entendre Jésus nous dire comme à la Cananéenne: "Ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux". (Avec Fabrice Hadjadj, Karl Barth, saint Vincent de Paul, saint Irénée, AvS, HUvB).

 

17 août 2014 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 15,21-28

Comme souvent, comme toujours, le récit de l’Évangile d'aujourd'hui est un bref résumé d'une histoire beaucoup plus longue. On est en janvier-février. Jésus a passé la nuit avec ses apôtres dans une maison amie. Le matin, Jésus est pressé de partir, il voudrait arriver avant le soir au pied de la montagne d'Aczib ; ce soir, commence le sabbat.

Toute la maison vient faire ses adieux à Jésus et il y a aussi une femme qui est arrivée d'un village au-delà de la frontière. Et elle se met à crier : "Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David. Ma petite fille est tourmentée par un démon. Je souffre beaucoup à cause de cela, on me méprise comme si ma fille était responsable de ce qu'elle fait. Aie pitié, Seigneur, toi qui peux tout". Jésus s'en va rapidement, sourd à tout appel.

Les gens de la maison disent à la femme : "Résigne-toi, il ne veut pas t'écouter. Il l'a dit : c'est pour ceux de la maison d'Israël qu'il est venu". La femme se lève : "Non ! je le prierai tant qu'il m'écoutera". Et elle se met à suivre Jésus et les apôtres en continuant à crier. Dans le village, les gens se mettent sur le pas de leur porte en entendant les cris de la femme, et ils se mettent à suivre Jésus et les apôtres pour voir comment ça va finir.

Les apôtres se regardent, ils ne comprennent pas. Pourquoi agit-il ainsi ? Il ne l'a jamais fait. Il a déjà guéri des païens. Pourquoi pas elle ? Il y a un apôtre qui se retourne, c'est Thaddée, et il dit à la femme : "Tais-toi et va-t-en !" La femme ne se laisse pas impressionner et elle continue de supplier. Alors les apôtres se disent : Allons dire au Maître qu'il la chasse, lui, puisqu'il ne veut pas l'écouter. "Cela ne peut pas durer", dit saint Matthieu. André murmure : "La pauvre !"

Il faut presque courir pour rattraper Jésus. "Maître, renvoie cette femme, elle nous fait remarquer par tout le monde. Il y a de plus en plus de gens qui la suivent. Dis-lui qu'elle s'en aille. Dis-le lui avec sévérité". Jésus s'arrête et se retourne. La femme prend ça pour un signe de grâce, elle élève encore la voix. "Tais-toi, femme, lui dit Jésus. Retourne chez toi. Je l'ai déjà dit : Je suis venu pour les brebis d'Israël. Toi, tu n'es pas d'Israël".

Mais la femme s'est jetée aux pieds de Jésus et elle lui tient les chevilles. Et elle gémit : "Seigneur, viens à mon secours, tu le peux. Commande au démon, tu es le Maître de tout, tout t'est soumis, je le crois. Sers-toi de ton pouvoir pour ma fille". Jésus : "Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens". La femme : "Moi, je crois en toi. En croyant, au lieu d'être un chien de la rue, je suis devenue un chien de la maison. Donne-moi au moins les miettes". Jésus : "Femme, ta foi est grande. Dès ce moment, le démon est sorti de ta fille. Va en paix". Et la femme s'éloigne en courant. L'apôtre Jacques, le fils de Zébédée, pose la question à Jésus : "Pourquoi l'as-tu fait attendre ?" Jésus sourit et ne répond pas.

Cette femme était croyante. Et le croyant est comme un orgue avec un certain nombre de registres : la flûte, le bourdon, la trompette et tout le reste. Le croyant est comme un orgue avec un certain nombre de registres. Et c'est l'affaire de Dieu de se servir tantôt d'un registre, tantôt d'un autre pour en tirer la mélodie et l'harmonie qu'il désire. Il peut sembler que certains registres ne servent jamais, comme s'ils étaient complètement oubliés, et voici que soudain ils sont mis pleinement à contribution. Il nous est demandé à tous de nous prêter de bon cœur à être l'objet du jeu parfait de Dieu, comme la Cananéenne d'aujourd'hui.

Le Père Radcliffe, alors qu'il était Maître général des dominicains, visitait un jour en Angleterre un monastère de dominicaines qui étaient toutes déjà bien avancées en âge, et il paraissait évident que ce monastère touchait à sa fin. L'une des moniales s'adresse au compagnon du Père Radcliffe et lui dit : "Mon Père, certainement notre cher Seigneur ne va pas laisser mourir ce monastère !" A quoi le compagnon du P. Radcliffe avait répondu : "Il a bien laissé mourir son Fils".

Le plan de Dieu est tout d'une pièce, il est centré sur la personne du Seigneur Jésus. La fin dernière de l'homme, il n'y en a qu'une, le Seigneur Jésus nous en a tracé le chemin : c'est la béatitude qui provient de la vision de Dieu. Nous avons été créés en vue du Christ, nous avons été créés pour cette vision. Il n'y a pas d'autre chemin, il n'y a pas d'autre scénario. La lumière de l’Évangile est une révélation du Dieu de Jésus-Christ. Mais la lumière de l’Évangile révèle aussi l'humanité à elle-même, elle lui révèle sa destinée, pour quoi elle est faite, quel est le but vers lequel elle se dirige.

Le coup de génie du christianisme, ce qui le distingue de toutes les autres religions, c'est l'Incarnation : Dieu s'est fait homme, l'homme Jésus est Dieu. A travers tous les schismes et toutes les hérésies, l’Église n'a jamais cessé de s'attacher à ce point essentiel : Jésus est Dieu et il est homme. Dieu ne peut pas être connu, mais Jésus peut être aimé. L'impossible savoir s'est changé en amour.

L'amour s'apprend de Dieu. Dieu nous apparaît comme ne tenant pas à lui-même, puisqu'il sort de lui-même pour s'enfoncer dans notre humanité. Et c'est cela qui nous permet de le recevoir et de le comprendre tel qu'il est en lui-même, comme celui qui ne cherche pas à se préserver lui-même, comme celui qui ne cesse de se donner. Le Fils de Dieu est devenu homme pour montrer l'amour de Dieu pour cet enfant qu'est le monde. (Avec Timothy Radcliffe, André Manaranche, Guy Coq, Jean d'Ormesson, AvS, HUvB).

 

16 août 2009 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6, 51-58

Cet évangile que je viens de lire, c'est la dernière partie du grand discours de Jésus sur le pain de vie, au chapitre sixième de saint Jean. Auparavant Jésus s'est présenté lui-même comme le pain descendu du ciel. Et les juifs se disaient : "Mais non, il n'est pas descendu du ciel, puisqu'on connaît son père et sa mère". Maintenant Jésus ajoute quelque chose qui est encore plus incompréhensible : "Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement". "Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle". "Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui". Si tout cela était une évidence pour tous les baptisés de nos pays, les églises seraient combles chaque dimanche. "Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger?"

L'un de nos Pères dans la foi (saint Augustin, évêque en Afrique du Nord, mort en 430) disait à ses fidèles dans l'un de ses sermons : "Si vous qui êtes chrétiens, vous vous éloignez du corps du Seigneur, vous risquez de mourir de faim. En effet Jésus a dit : Qui ne mange pas ma chair et ne boit pas mon sang n'a pas la vie en lui. Si donc vous vous éloignez et si vous ne mangez pas le corps du Maître, vous risquez la mort. Mais si vous le recevez indignement, vous risquez de manger votre propre condamnation. N'escomptez pas avoir la vie si vous vivez mal. Alors priez et mangez. Alors il vous remplira quand vous agirez bien et quand vous vivrez bien. Que votre conscience fasse attention".

Cette finale du discours de Jésus sur le pain de vie, c'est le sommet de ce discours. Ces paroles de Jésus restent pour nous un profond mystère. Par l'eucharistie nous sommes introduits au cœur du mystère de Dieu qui se donne. Jésus veut que notre corps et notre esprit et notre cœur soient imprégnés de sa présence. Jésus veut ensemencer nos vies de sa divinité. Ces paroles de Jésus sur sa chair qu'il faut manger pour être en communion avec lui sont toujours pour nous un profond mystère. Mais pour les auditeurs de Jésus - ses disciples aussi bien que ses adversaires - ces paroles étaient encore bien plus incompréhensibles que pour nous. Ces paroles ont commencé à s'éclairer un peu après la résurrection de Jésus, et donc aussi après sa mort sur la croix, et donc aussi après le dernier repas de Jésus, la dernière Cène, quand Jésus dit sur le pain : "Prenez et mangez, ceci est mon corps. Vous ferez cela en mémoire de moi".

Parce que Dieu est le créateur de l'homme, parce qu'il est tellement proche de l'homme et qu'il le connaît si bien, Dieu sait exactement comment le prendre, comment se faire écouter par lui, quelle est la parole qui le fera réagir. Jésus veut nous donner du pain. Un jour, c'est lui qui a demandé à boire à une femme de Samarie qui avait eu jusque alors une vie conjugale assez mouvementée. Jésus lui a demandé : "Donne-moi à boire, s'il te plaît". Jésus lui demande ce qu'elle peut donner : un peu d'amour. Il y a quelque chose de semblable dans l'eucharistie. Nous recevons le corps du Christ et, comme à la Samaritaine, Jésus nous dit à nous aussi : "Donne-moi à boire, s'il te plaît". Il nous demande ce qu'on peut lui donner : un peu d'amour. Pourquoi la communion eucharistique ? On communie pour "être avec".

Il y a une prière du curé d'Ars, saint Jean-Marie Vianney, qu'on verrait très bien comme une prière après la communion. Le curé d'Ars, c'est loin, c'est le XIXe siècle, mais on peut en prendre de la graine et dire les choses à notre manière si ça nous fait plaisir. Voici cette prière : "Je t'aime, ô mon Dieu, et mon unique désir est de t'aimer jusqu'au dernier souffle de ma vie. Je t'aime, ô Dieu infiniment aimable, et je préférerais mourir en t'aimant que vivre sans t'aimer. Je t'aime, Seigneur, et la seule grâce que je demande est celle de t'aimer pour l'éternité. Mon Dieu, si ma langue ne peut te dire à chaque instant que je t'aime, je veux que mon cœur te le répète aussi souvent que je respire". (Avec Fiches dominicales, saint Augustin, Fabrice Hadjadj, saint Jean-Marie Vianney, AvS).

 

19 août 2012 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,51-58

Cet évangile que je viens de lire, c'est la conclusion du discours de Jésus sur le pain de la vie. Recevoir le Seigneur Jésus comme le pain qui donne la vie, c'est d'abord reconnaître en lui l'envoyé du Père, non pas simplement un envoyé comme il y en eut souvent dans le passé, un prophète, mais plus qu'un prophète, le grand envoyé de Dieu que le peuple croyant attendait depuis longtemps, le Messie. Jésus est bien un prophète, il est le prophète par excellence. Il nous dit aujourd'hui ce qu'aucun prophète n'a jamais pu dire, n'a jamais osé dire : "C'est le Père qui m'a envoyé. Le Père est vivant et moi je vis par le Père". Aucun prophète n'a jamais dit cela, n'a jamais osé dire cela. Recevoir le Seigneur Jésus comme le pain qui donne la vie, c'est d'abord reconnaître en lui l'envoyé du Père, le plus grand de tous les prophètes, le Messie et, finalement, le Fils unique qui seul connaît le Père et qui, seul, peut le faire connaître en vérité.

Et quand les premiers chrétiens ont relu notre évangile d'aujourd'hui où il est question de "manger la chair" et de "boire le sang", ils ont associé ces paroles aux paroles de Jésus lors de son dernier repas : "Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est mon sang"... "Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui". Si bien que lorsque nous communions, nous pouvons penser et dire avec saint Paul : ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. Plus exactement il faudrait dire : Je ne suis plus seul en moi, il y a moi et il y a un Autre, le Seigneur Jésus. Et pour qu'il y ait vraiment communion de cœur et d'esprit avec cet Autre, il faut sans cesse lui demander de prendre les commandes de notre vie : qu'il inspire nos pensées (il en est capable), qu'il inspire nos paroles (il en est capable), qu'il inspire nos actes et nos décisions (il en est capable). Quand nous communions, il y a moi et un Autre. Un Autre à qui nous ne cessons de dire : "Que jamais je ne sois séparé de toi".

Comment est-ce possible ? C'est l'Esprit saint qui éveille en nous le sens de Dieu et le désir de Dieu et le désir de rester en communion avec lui. Et ce désir de Dieu trouve son expression dans notre recherche sérieuse de Dieu. Nous cherchons Dieu : le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Mais ici il faut toujours se souvenir de saint Thomas d'Aquin qui disait : "En cette vie, nous ne savons pas qui est Dieu, et donc nous lui sommes unis comme à un inconnu". C'est le moment de se souvenir aussi d'une parole d'un de nos contemporains qui avait découvert Dieu à l'âge adulte et qui alors s'était fait baptiser ; il disait : "Si je dis que je ne connais pas Dieu, je suis un menteur. Si je dis que je connais Dieu, je suis aussi un menteur. Je ne peux pas parler, je ne peux pas me taire". A sa manière, notre contemporain rejoignait saint Thomas d'Aquin : "En cette vie, nous ne savons pas qui est Dieu, et donc nous lui sommes unis comme à un inconnu".

Dieu nous a aimés pour nous donner la vie. Et Dieu nous a appelés à la vie pour nous faire communier à lui. Comment le savoir ? L'espérance, c'est attendre Dieu de Dieu. Comment le croire ? Personne ne peut dire : "Je crois" sans ajouter aussitôt : "Viens en aide à mon incrédulité". Comment le savoir ? Le simple désir de Dieu est déjà le commencement de la foi. Nous venons de fêter l'Assomption au ciel de la Vierge Marie. Les saints nous disent d'elle qu'elle ne fut jamais privée du souvenir de Dieu, de son voisinage, de son amour, de sa lumière, de sa sagesse. C'est une invitation pour nous à vivre aussi en communion avec Marie pour que nous recevions quelque chose de sa grâce.

La messe, c'est le service sacré de la prière de l’Église devant Dieu. Dans ce service sacré, l’Église, les croyants ont les yeux fixés sur Dieu. L'acte principal de ce service sacré, c'est l'ouverture à la Parole de Dieu et sa réception. Une double réception. On reçoit d'abord le Verbe comme Parole et on le reçoit ensuite comme chair. Et la réception du Verbe comme Parole, dans l'intelligence, est la condition préalable pour recevoir le Verbe comme chair, dans le cœur. (Avec Jean-Yves Leloup, Antoine Bloom, Fénelon, Frère Roger, AvS, HUvB).

 

16 août 2015 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,51-58

Le Seigneur Jésus donne deux fois sa chair. Il la donne une première fois, et une fois pour toutes, à la fin de sa vie terrestre. Et ensuite il continue de le faire d'innombrables fois, morceau par morceau, en donnant son corps dans l'hostie afin de procurer à chacun la vie éternelle. Les Juifs n'y comprennent rien, c'est normal : "Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ?" Et nous-mêmes, nous n'y comprenons rien non plus, mais nous essayons de faire, dans la foi, ce que le Seigneur Jésus nous demande de faire.

Il y a la vie animale, extérieure. Ce que le Seigneur Jésus veut transmettre, c'est une vie dans la foi, dans l'amour et l'espérance. Et cette vie veut dire un mouvement vers le Père. Lui, le Seigneur Jésus, il est toujours en mouvement vers le Père. Et cette vie qu'il veut nous donner est plus importante que tout le reste. Tout le reste doit se faire en fonction de cette vie nouvelle qu'il nous offre. Cette vie qu'il nous donne doit développer le désir croissant de nous conformer à son enseignement, le désir d'aller vers le Père, le désir de cette nourriture qu'il nous propose. Il voudrait que nous considérions cette nourriture comme l'unique réalité dont nous avons besoin.

"Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui". Il nous offre une place dans sa propre vie. Pas uniquement pour nous aider quand nous sommes dans le besoin, pas uniquement pour se tenir à notre disposition en cas d’urgence, mais aussi pour se servir de nous lorsque c'est lui qui en éprouve le besoin et le désir. Si le Seigneur Jésus s'engage vis-à-vis de nous, nous aussi, nous devons nous engager vis-à-vis de lui. Il compte sur la réciprocité de l’amour; il voudrait pouvoir disposer de nous quand il en a besoin, et il a besoin de nous dans les autres. Il se donne aux autres par notre intermédiaire.

Nous habitons en lui et lui en nous, dans toutes les situations possibles, dans la vie quotidienne, dans les moments faciles et dans l'angoisse, la peur et l'abandon. On le remarque peut-être plus dans les moments difficiles. Parce que, quand tout va bien, nous sommes souvent moins conscients de notre relation à Dieu.

Dieu a créé l'homme, pourquoi ? Par amour. Et parce qu'il aime les hommes, il veut leur donner le plus grand bien possible. Et quel est le plus grand bien qu'il peut leur offrir ?  C'est lui-même. Dieu a ainsi destiné l'homme à participer à ce qui fait sa vie intime, dans la Trinité. Ce qui fait que la recherche de Dieu est inscrite dans la nature même de l'homme.

Le nouveau paganisme (celui de notre société), c'est un retour à toutes sortes d'habitudes païennes que l'on s'efforce de montrer comme normales : l'avortement, l'euthanasie, l'homosexualité, les jeux du cirque à gogo. Le néo-paganisme veut faire de toute la morale chrétienne une violence intolérable. Le néo-paganisme situe le bonheur dans l'assouvissement illimité des désirs, et donc dans la suppression de tous les interdits.

Ceux qui disent ne plus croire en rien ne sont pas en réalité des gens qui ne croient plus en rien : ce sont des gens qui croient en n'importe quoi. Les croyances que certains prétendent disparues se déploient au marché noir. C'est le règne de la plus parfaite fantaisie : et fleurissent les consultations des voyantes, des cartomanciennes, des rebouteux, des médiums, des magnétiseurs et des marabouts. Et quand on aura tout essayé et qu'on sera dans une impasse insupportable, peut-être qu'alors on retrouvera le chemin de Dieu, à moins qu'on aille jusqu'au bout de l'impasse : le suicide, qui est comme chacun sait, le plus grand succès du diable. La foi en Dieu est rationnelle, c'est l'athéisme qui ne l'est pas. Mais il y a aussi des tristesses profondes, des désarrois profonds, qui sont les prémices d'une résurrection. Le Dieu vivant agit aussi dans les tourments de l'âme humaine.

Un vieux philosophe de l'Antiquité, d'avant le christianisme, disait déjà : "Celui qui ne s'interroge pas sur lui-même ne vit pas une vie humaine". C'est quoi s'interroger sur soi-même ?  Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Quel est le feu qui brûle notre cœur ? Qui sont les autres pour nous ? 

Depuis Adam, depuis la création du monde, et plus justement encore depuis le Christ, le monde est fait pour la lumière de la grâce, toute la nature est orientée vers la surnature, qu'elle le veuille ou non, qu'elle le sache ou non. Tout ce qu'il y a de religieux dans l'humanité, sans le savoir ou en le sachant, est en marche vers la lumière de la grâce de la rédemption apportée par le Seigneur Jésus. (Avec Pasqua, Chantal Delsol, Nicolas Dieterlé, Marie-Christine Ceruti-Cendrier, Olivier Clément, Platon, Enzo Bianchi, AvS, HUvB).

 

18 août 2013 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 12,49-53

Qu'est-ce qu’il veut dire, cet évangile ? Jésus qui dit : "Je ne suis pas venu apporter la paix mais la division". Saint Matthieu fait dire à Jésus : "Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive".... Le glaive tranchant pour couper les lianes qui retiennent dans la boue, et pour permettre l'essor vers Dieu. "Je suis venu pour séparer les membres d'une même famille..." Car je suis celui qui règne et qui a tous les droits sur ses sujets. Je suis pour tous père, mère, époux, frère, ami, et je vous aime comme tel. Et comme tel aussi je dois être aimé. Toutes les créatures sont à moi parce que je les ai créées avec le Père. C'est moi qui les sauve et j'ai le droit de les posséder. En vérité les ennemis de l'homme sont les hommes, en plus des démons. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Celui qui ne prend pas sa croix tous les jours n'est pas digne de moi. C'est quoi la croix ? Ce sont toutes les épreuves qui peuvent arriver : les maladies, les souffrances, les luttes, les contradictions, les contraintes, tout ce qui est pénible. Celui qui aura perdu la vie de la terre par amour pour moi, la retrouvera éternelle et bienheureuse.

Vers la fin du livre de l'Apocalypse, l'ange dit au voyant : "Ne tiens pas secrètes les paroles prophétiques de ce livre, car le temps est proche. Que le pécheur pèche encore"... Que le pécheur pèche encore ! C'est un peu comme une menace comme quand on dit à un enfant qui fait le méchant : "Continue un peu !" Et on va chercher le martinet. Cela peut faire réfléchir davantage que si on lui disait : "Arrête ! Convertis-toi !" Ce qu'un homme est en vérité, c'est le regard de Dieu sur lui qui en décide. Et grâce au Fils, c'est un regard d'amour et non de justice.

Dans la vie, il y a des étapes qui n'ont de sens que si on s'ouvre à Dieu. Si la mort n'est pas acceptée, si elle n'est pas transfigurée par la foi, la vieillesse n'a pas de sens. C'est le propos de l'homme qui dirait un peu crûment : "Je me tuerai quand je ne pourrai plus faire l'amour". Seul un abandon confiant à Dieu peut donner au grand âge sa force de bénédiction.

C'est quoi l'amour ? Jésus nous dit aujourd'hui que ce n'est pas si facile que ça. Dieu a créé l'homme par amour et pour l'amour. Le besoin d'aimer et d'être aimé véritablement est inscrit très profondément dans la nature humaine, sinon Dieu serait incohérent et donc ne serait pas Dieu. Par conséquent l'homme ne peut trouver son vrai bonheur que dans l'amour vrai, que dans le don. Toute autre vie ne peut que décevoir. Et le général d’aviation qui produit ces belles pensées continue : "Ce n'est pas pour cela que je suis un homme aimable et compréhensif avec tous. Mais j'ai conscience que je ne puis jamais être vraiment satisfait de moi".

Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père. Il y a les intégristes et les progressistes. Il y a beaucoup de demeures et, en attendant, les locataires se disputent sur le palier... Le pécheur tend la main au saint, le saint donne la main au pécheur. Et tous, ensemble, l'un par l'autre, l'un tirant l'autre, ils remontent jusqu'à Jésus... (Voir Péguy). On avance dans les choses de Dieu à mesure qu'on se dépouille de son amour de soi, de sa volonté à soi, de son intérêt à soi (Saint Ignace). C'est quoi un disciple de Jésus ? C'est un pauvre qui aime les hommes (Saint Syméon le Nouveau Théologien).

Oui, mais ! C'est comme dans l'évangile d'aujourd'hui. Il y a la paix et la division. Partout où des hommes se trouvent réunis, il est fatal que, tout en s'aidant, ils se fassent souffrir mutuellement. Toutes les formes de la malice humaine se rencontrent : celles qui se connaissent et celle qui s'ignorent. Aujourd'hui c'est comme ça. Mais curieusement, au ciel, même ceux qui nous ont fait du mal, même ceux que nous n'avons pas pu aimer ici-bas, même eux, dans le ciel, offriront à nos regards quelque chose d'aimable, parce qu'ils auront été purifiés de ce qu'il y avait en eux de haïssable. Tous, nous porterons les stigmates de nos blessures et de nos combats terrestres, comme le Christ ressuscité portait les stigmates de ses plaies de Crucifié.

"Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive et la division". Le Fils de Dieu se manifeste là où personne ne l'attendait et il projette sa lumière sur l'obscurité de l'homme.(Avec Olivier Clément, Gilbert Cesbron, Charles Péguy, Henri de Lubac, Michel Rondet, AvS, HUvB).
 

14 août 2016 - 20e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 12,49-53

Voilà un évangile qu'il n'est pas facile d'accueillir. Qu'est-ce qu'il veut dire ? Le Christ est venu apporter le feu sur la terre. Quel feu ? Un feu qui détruit ou le feu de l'Esprit Saint ? On voudrait bien croire que c'est le feu de l'Esprit Saint. Mais tout le contexte fait penser à un feu qui détruit et qui dévore tout ce qu'il peut toucher. Jésus parle d'un baptême qu'il doit recevoir. Mais il a déjà été baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain. Alors c'est quoi ce baptême qu'il désire beaucoup ? C'est le baptême de sang, c'est sa Passion et sa mort sur la croix.

Et puis Jésus ajoute qu'il est venu apporter la division. Pourquoi ne dit-il pas ici qu'il est venu apporter l'amour ? Pourquoi ? La personne de Jésus va se révéler comme une source de division au sein des familles et partout dans le monde, à commencer par son propre peuple, le peuple d'Israël. Il y a ceux qui croient en lui et il y a ceux qui le rejettent ou l'ignorent, soupçonnant en lui la grande illusion ou le grand Malfaisant.

Le prophète Jérémie, dans notre première lecture, six siècles avant le Christ, doit lui aussi subir une Passion, une persécution de la part des croyants de son peuple. Et c'est un étranger, un Éthiopien, un Africain donc, qui ne partage sans doute pas la foi d'Israël, c'est lui qui va plaider auprès du roi la cause de Jérémie et le faire sortir de sa citerne et de la boue. L’Africain dit au roi : "Ce qu'ils ont fait au prophète Jérémie, c'est mal".

Autrement dit, Jésus n'a pas promis une pluie de roses à tous ceux qui croiraient en lui. Il est venu pour semer la division, et d'abord dans son propre peuple dont les principaux représentants vont le rejeter et le condamner. Mais beaucoup d'autres croyants de son peuple vont le reconnaître comme un véritable envoyé de Dieu, et même comme le Messie, et finalement comme le Fils de Dieu et Dieu. On est averti qu'il y aura toujours des gens qui seront pour Jésus et des gens opposés à Jésus. Et parfois les deux camps vont se faire la guerre. pas toujours une guerre à coups de fusil, mais une guerre de persécution sournoise, à coups de lois par exemple.

Conclusion de la Lettre aux Hébreux qu'on a entendue tout à l'heure : Garder les yeux fixés sur Jésus quoi qu'il arrive ; il a subi l'humiliation de la croix (c'est joliment dit pour dire les tortures de la crucifixion), il a subi l'humiliation de la croix, et maintenant il est assis à la droite de Dieu, à la droite du Père, c’est-à-dire qu'il a le même rang que lui, la même dignité, le même pouvoir que le Père et il règne avec lui.

La Lettre aux Hébreux nous dit de garder les yeux fixés sur Jésus. Un saint de notre Église donnait ce conseil : "Tu ne dois regarder que Dieu. Jamais toi-même". Une sainte de notre temps disait : "Quand on s'approche de Dieu, et plus on s'approche de lui, plus on se voit petit, laid, insignifiant. Mais plus on s'approche des autres créatures, et également des saints, plus on se sent fondamentalement égaux. Cela ne me fait aucune impression de me trouver à table à côté d'un ministre ou d'une reine. Je pense à part moi que c'est la reine d'Angleterre et que je suis Madame le Professeur une telle".

Tout n'est pas parfait dans le monde des croyants, tout n'est pas parfait dans l’Église. Et ses adversaires ont beau jeu de lui rappeler de temps en temps tel ou tel épisode de son histoire. A quoi le cardinal anglais Newman répondait : "On ne peut pas interpréter l'histoire de l’Église à partir des abus et des perversions de ses membres, comme si on écrivait l'histoire de l'Angleterre à partir de ses voleurs de grands chemins".

"Je suis venu apporter la division", dit Jésus. On peut le constater encore tous les jours. Et ce n'est pas d'aujourd'hui. Vers l'an 200, à Rome, dans les milieux païens, qui étaient majoritaires, on disait : "Gaïus ? Un type bien. Dommage qu'il soit chrétien !" Le problème avec  les chrétiens en ce temps-là c'est que c'était des gens comme tout le monde, mais qui osaient ne pas prier comme tout le monde. Et l'un des Pères de l’Église, à cette époque-là, disait : "On nous prend pour des nuls, pour des rigolos". Ce qui scandalisait les païens dans la religion chrétienne, c'était sa prétention à être la seule. Pour les Romains de l'Antiquité, pour des gens qui avaient des quantités de dieux depuis si longtemps, qu'est-ce qu'il pouvait y avoir de tentant dans la religion de Christus, dans la religion du Christ ?

Jésus est venu apporter la division, nous dit notre évangile. Mais le dernier mot sur Dieu dans la révélation apportée par Jésus, c'est Jean l'apôtre qui le dit dans l'une de ses lettres : "Dieu est amour". Devenir croyant, c'est être introduit peu à peu par la grâce dans la manière d'agir de Dieu, c'est peu à peu aimer avec Dieu. Et c'est ainsi seulement que se réalise une connaissance chrétienne de Dieu et de Jésus, car celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu parce que Dieu est amour (1 Jn4,8). (Avec Newman, Lucien Jerphagnon, Tertullien, AvS, HUvB).

 

21 août 2011 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 16,13-20

Jésus pose à ses disciples une question étonnante : "Qu'est-ce que les gens pensent de moi ?" La réponse est simple : pour les gens, Jésus est un homme de Dieu, un prophète, comme les grands prophètes des temps anciens, Élie ou Jérémie par exemple. Et pourquoi les gens pensent-ils que Jésus est un prophète ? Les gens voyaient tous les miracles que Jésus faisait. Et ils se disaient : il ne pourrait pas faire tout ça si Dieu n'était pas avec lui. Donc Jésus est un homme de Dieu, un ami de Dieu, un prophète.

Jésus avait posé la question à ses disciples : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ?" En posant cette première question, Jésus pensait déjà à la seconde question qu'il allait poser à ses disciples : "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?" Il y a un disciple qui n'a pas besoin de réfléchir longtemps, il est toujours le premier à se jeter à l'eau, c'est saint Pierre. Et qu'est-ce qu'il dit, saint Pierre ? "Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant". Et comment Jésus réagit-il à cette réponse de saint Pierre ? Il dit à Pierre que cette réponse lui a été inspirée par Dieu. "Ce n'est pas de toi-même que tu as pu dire cela, c'est mon Père qui est dans les cieux qui t'a inspiré cette réponse".

Qu'est-ce que les gens aujourd'hui disent de Jésus ? Et puis, pour nous-mêmes, qui est Jésus-Christ ? Pourquoi Jésus faisait-il des miracles ? Pour donner aux gens des raisons de croire. Pourquoi y a-t-il des miracles aujourd'hui encore, à Lourdes ou ailleurs ? La réponse est la même, à peu près : pour donner aux gens, pour donner aux croyants des raisons de croire. Mais aujourd'hui il y a des gens qui ne veulent pas croire aux miracles. Est-ce qu'il faut s'en étonner ? Jésus nous dit comme à saint Pierre : pour reconnaître un miracle, pour reconnaître en Jésus un envoyé de Dieu, il faut s'ouvrir à Dieu. "Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas, ce n'est pas la chair et le sang qui t'on révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux !"

Un jeune de dix-sept ans pense sérieusement à devenir médecin. Un jour il en parle au médecin de la famille en lui disant son admiration pour le métier qu'il faisait et l'utilité que ce métier lui semblait avoir. Et le médecin lui avait dit : "Oh, tu sais, quand ça marche, je rabiboche les gens ; mais je ne leur donne pas des raisons de vivre". Le garçon a réfléchi là-dessus. Et au lieu de commencer des études de médecine, il est entré au séminaire. Pourquoi ? Peut-être pour avoir l'occasion de donner à des gens des raisons de vivre. Des raisons de vivre... et donc des raisons de croire. Le garçon est devenu évêque : Mgr Joseph Doré qui a été évêque de Strasbourg pendant un certain nombre d'années.

Tout au long des âges, et de nos jours encore, des gens ont été inspirés par Dieu, comme Pierre l'a été, pour répondre à Jésus qu'ils voyaient en lui le Messie. Plus d'une fois au cours des âges, des amis de Dieu ont reçu le don de voir l'intérieur des cœurs. Et parfois ces amis de Dieu étaient accablés de voir ce qu'ils voyaient. L'un de ces amis de Dieu, qui était une amie d'ailleurs et non un ami, était sur le point de demander à Dieu de ne plus voir de telles choses. Puis elle a réfléchi et elle s'est mise à prier avec un Notre Père pour bien commencer. Et quand elle est arrivée aux mots : "Que ta volonté soit faite", elle a compris qu'elle devait renoncer à résister.

Le credo de saint Pierre aujourd'hui, c'est de dire à Jésus : "Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant", c'est-à-dire "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". Tout chrétien qui prend sa foi au sérieux doit faire cette expérience de foi en profondeur : quel que soit l'événement qui survient dans notre vie ou dans le monde, cet événement a sa signification dans sa référence ultime au Messie, au Christ, le Fils de Dieu. Cela ne se démontre pas, cela ne se révèle que dans le jeu de la foi. Cela n'apparaît pas nécessairement au regard humain. "Pierre, c'est mon Père qui t'a révélé cela".

Quel intérêt y a-t-il à croire que Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant ? Quel serait l'intérêt réel d'un Dieu qui n'aurait pas pouvoir sur la mort de ceux qui ont cru en lui et qui croient en lui ? Et à l'inverse, qui peut faire traverser la mort sinon précisément l’Être éternel que les hommes nomment Dieu ?

A l’époque où Jésus posait sa question et où Pierre lui donnait sa réponse, Jésus a parlé du Père des cieux qui avait inspiré la réponse de Pierre. Aujourd'hui, après la Pentecôte, on dirait plutôt que c'est l'Esprit Saint de Dieu qui pénètre l'intelligence étroite de l'homme pour encourager l'homme de l'intérieur et le rendre capable d'oser croire et d'oser aimer d'un amour chrétien. (Avec Mgr Doré, Pierre Ganne, AvS, HUvB).

 

24 août 2014 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 16,13-20

Il y a deux mois, en la fête de saint Pierre et saint Paul, nous avons déjà lu cet évangile de la profession de foi de Pierre. Saint Pierre a fait, un autre jour, une autre profession de foi. François Mauriac nous en parle dans une lettre qu'il adresse à l'un de ses petit-fils à l'occasion de sa première communion. François Mauriac, était romancier, il fut aussi journaliste et chroniqueur dans la deuxième partie de sa vie, il fut longtemps membre de l'Académie française, il était en relation avec tout le monde de la culture de son temps, en relation aussi à l'occasion avec des hommes politiques : de Gaulle, Pompidou, Mitterrand.

Cette lettre à son petit-fils est datée de l'Ascension 1944, le 18 mai, quelques semaines avant le débarquement en Normandie. "Cher petit Philippe. Je regrette beaucoup de n'avoir pas assisté à la messe de ta première communion. Je suis sûr qu'elle a été très belle, et que tu t'en souviendras toute ta vie. Moi qui suis déjà un vieux monsieur (il a soixante ans), je me souviens de la mienne ; ce jour, passé depuis tant et tant d'années, demeure en moi, non pas comme le plus beau jour de ma vie (cette expression ne signifie pas grand-chose), mais comme le jour où, pour la première fois, il s'est passé quelque chose d'important dans ma vie.

Avant ce jour-là, la religion pour moi, comme pour tous les petits garçons, c'était le catéchisme, une leçon qu'il fallait apprendre par cœur sans trop essayer de comprendre ce que ça veut dire. A partir de ce jour-là, la religion est devenue... quelqu'un. Oui, quelqu'un qui entrait dans ma vie - quelqu'un de vivant. Tu sais bien comment il s'appelle : c'est ce Jésus invisible, présent, anéanti dans la petite hostie.

Tu te rappelles cette scène de l'évangile, lorsque le Seigneur, après avoir multiplié les pains et les poissons, prononça quelques paroles qui parurent absurdes aux Juifs qui l'écoutaient : "Je suis le Pain de vie. Celui qui mangera ma chair et qui boira mon sang aura la vie éternelle... Car ma chair est vraiment une nourriture..." (tu te rappelles la suite). Saint Jean, qui rapporte ces paroles, ajoute que les Juifs murmuraient entre eux : "Cette parole est dure, et qui pourrait l'écouter ?" et que beaucoup qui jusqu'alors avaient cru en Jésus, s'éloignèrent de lui et qu'il demeura seul avec les douze.

Alors, se tournant vers eux, il leur demanda : "Et vous aussi, vous voulez me quitter ?" Mon petit Philippe, cette question si triste et si tendre, Jésus la pose à chaque petit garçon le jour de sa communion solennelle. Il sait bien d'avance que beaucoup ne seront pas fidèles, que, dès le lendemain, ils l'abandonneront. Il n'y a pas que Judas qui ait trahi le Fils de l'homme par un baiser : pour beaucoup d'enfants, leur communion solennelle est le signal de l'abandon...

Pour moi, je me souviens de ce jour de mai, où j'avais onze ans, comme d'un pacte secret, d'une promesse de fidélité à cet Ami invisible - et à travers toute une longue vie pleine de misères et de péchés - il y a eu cela tout de même, cette main que je n'ai pas lâchée, ce visage, cette figure adorée, et je sais qu'elle sera la dernière (tout invisible qu'elle soit) que contempleront mes yeux près de se fermer pour toujours.

"Et vous aussi, vous voulez me quitter ?..." Tu te rappelles la réponse de saint Pierre : "A qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle..." Tu grandiras, mon petit Philippe. Tu entendras bien des paroles, tu liras beaucoup de livres, tu verras des gens instruits, savants, de grands esprits... Ils t'apporteront beaucoup de lumières sur des points particuliers - mais c'est de la Lumière que nous avons besoin, c'est-à-dire de savoir pourquoi nous sommes au monde. "Je suis la lumière venue en ce monde...", a dit le Seigneur. Le tout est de savoir si ta vie a une direction, un but, un sens...

A mesure que tu grandiras, tu découvriras bien des choses, dans la religion, qui te déplairont, t'éloigneront... Mais rappelle-toi alors ce que je te dis : ces choses-là viennent des hommes. Il ne faut pas renoncer à Jésus à cause des faiblesses ou des crimes de ceux qui se réclament de lui. Quand tu seras grand, tu comprendras que c'est notre grande misère et notre honte, à nous catholiques, d'avoir compromis Jésus, de l'avoir défiguré.

Relis dans l'évangile le sermon sur la montagne et, en particulier, ce passage qu'on appelle "les Béatitudes"... Tu verras que Jésus est le premier qui ait parlé aux hommes non seulement de pureté mais de justice. "Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés..." Aussi, bien loin de te détourner des pauvres, des ouvriers, Jésus te demande d'être avec eux, pour eux ; il te supplie, quoi qu'il arrive, d'être de leur côté... "Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice..." Jésus est du côté des persécutés, non des persécuteurs - des exploités non des exploiteurs.

Plus tard tu comprendras l'affreux malentendu qui fait que la religion semble être "pour les riches", alors que le Seigneur a aimé, a chéri d'abord les pauvres... Mais, au fond, nous sommes tous pauvres à ses yeux, tous démunis, désarmés, avec nos mauvais penchants, notre faiblesse, notre lâcheté. Ce qu'il nous demande, ce qu'il te demande, à toi, Philippe, comme à chacun de nous, c'est, à travers tout, de lui rester fidèle - oui, fidèle, malgré tout et contre tout. Si tu restes fidèle, beaucoup le resteront ou le redeviendront à cause de toi. On ne se sauve pas tout seul. Un cœur qui aime le Christ est contagieux : de ta fidélité, tu ne peux savoir tout ce qui jaillira de grâce sur la terre et dans le ciel.

Mais, quand tu ne seras plus un petit garçon, cette fidélité sera tôt ou tard soumise à l'épreuve des épreuves ; oui, tôt ou tard, une voix - faite de mille voix - te criera : "Tout cela n'est qu'illusion - ce sont des légendes, des contes à dormir debout..." Ce jour-là, je voudrais, si je suis encore de ce monde et si tu sens ta foi vaciller, que tu te rappelles cette lettre - et qu'avant de t'éloigner, tu consentes à venir me parler de Lui. Qu'il te garde, mon petit Philippe, toi et ta chère maman et ton papa. Prie-le pour nous tous, toi qui es si près de son cœur aujourd'hui. Ton vieil ami. François Mauriac".

Tout cela pour notre évangile d'aujourd'hui où Jésus pose la question à ses apôtres : "Pour vous, qui suis-je ?" François Mauriac, c'était il y a soixante-dix ans. Faut-il changer un mot à cette lettre ? Un chrétien ne peut être touché par la foi qu'en son centre, au plus intime de son cœur. C'est dans la fidélité que la foi devient peu à peu certitude de ce qui ne se voit pas.

Un auteur orthodoxe contemporain, un laïc qui était professeur d'histoire, baptisé à l'âge de trente ans, disait : "Le christianisme, ce n'est pas tout savoir. C'est peut-être ne rien savoir, mais avoir quand même confiance".

La vie de Jésus et toutes ses paroles, c'est l'Esprit Saint qui les éclaire et nous donne de comprendre qu'elles sont valables pour tous les temps, à chaque instant. Ce n'est pas une nouvelle révélation, mais c'est l'Esprit Saint qui dévoile toute la profondeur de la révélation qui a été accomplie ; et c'est lui qui donne ainsi à cette révélation une dimension toute nouvelle pour le monde, il fait comprendre sa parfaite actualité à chaque instant de l'histoire. (Avec François Mauriac, Cardinal Poupard, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

23 août 2009 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6, 60-69

L'évangile d'aujourd'hui se termine pas la profession de foi de saint Pierre qui dit à Jésus : "Nous croyons que tu es le Saint de Dieu, le Messie". La lecture liturgique se termine bien, et c'est sans doute volontairement qu'elle omet les deux petits versets qui suivent dans le texte intégral de l'évangile, deux petits versets qui disent ceci : "Jésus répondit à Pierre et aux disciples fidèles : N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze? Et l'un d'entre vous est un démon". Et l'évangéliste commente : "Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote; c'est lui en effet qui devait le livrer, lui, l'un des douze".

On ne devrait jamais s'étonner que quelqu'un, que beaucoup aient du mal à croire à toute la Révélation qui nous est venue par le peuple juif - tout l'Ancien Testament - et finalement par le Seigneur Jésus. Que Jésus dise de lui-même qu'il est descendu du ciel, qu'il vient du ciel, alors qu'on connaît son père et sa mère : il ne faut pas nous raconter d'histoires ! Jésus est un homme comme un autre. Et Jésus n'a pas opéré tout de suite sous leurs yeux un grand prodige pour les convaincre, comme le diable un jour le lui avait suggéré : Jette-toi en bas du haut du temple devant toute une foule, alors au moins on pourra te croire.

La Révélation de Dieu aurait pu se faire comme ça. Mais Dieu n'a pas choisi cette voie. Les évangiles synoptiques - Matthieu, Marc, Luc - nous ont gardé une prière de Jésus qui nous dit la manière de procéder de Dieu. Jésus prie le Père : "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, tel a été ton bon plaisir. Tout m'a été remis par mon Père, et personne ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler". Et dans l'évangile d'aujourd'hui Jésus ajoute que personne ne le connaît, lui, Jésus, en vérité, que par un don de Dieu, par le don de l'Esprit Saint. C'était vrai du temps de Jésus, c'est toujours vrai aujourd'hui. Comment peut-on admettre que Jésus est Dieu, qu'il y a en lui toute la puissance de Dieu ? Saint Pierre ne savait pas encore tout ça, il ne connaissait pas encore tout le mystère de Jésus. Mais il était déjà convaincu qu'il pouvait faire confiance à Jésus, même quand Jésus disait des paroles étonnantes et qu'on ne pouvait pas contrôler.

Pour saint Pierre, Jésus est le Saint de Dieu, le Messie de Dieu. Il vient vraiment de Dieu. Par où et comment ? Pierre n'a pas besoin de le savoir pour le moment, il n'a pas besoin de tout savoir. Mais il sait que Jésus vient de Dieu. Pour saint Pierre et les disciples qui restent fidèles à Jésus, il s'agit d'un choix de vie, c'est ce qui donne du sens à leur vie. Saint Pierre dit à Jésus qu'il croit de toutes ses forces qu'il est le Saint de Dieu. Qu'est-ce que c'est qu'un saint, aujourd'hui comme hier ? Nous sommes appelés à être saints, tous les baptisés sont sanctifiés par Dieu, ils sont saints et ils sont appelés à vivre comme des gens qui sont consacrés à Dieu. Le saint, c'est celui qui, sérieusement, n'est tendu que vers un seul but : Dieu. Le saint, c'est celui qui, en tout ce qu'il fait, cherche Dieu et s'efforce de se tenir devant lui. Il sait que par ses propres forces il ne peut rien ; c'est pourquoi il voudrait tout faire par la force de Dieu, et il ne demande, de la force de Dieu, ni plus ni moins que ce que Dieu veut lui donner. Son désir de vivre uniquement de la force de Dieu ne le conduit pas à revendiquer cette force plus qu'il ne faut et de manière indiscrète. Il a l'humilité de ne vouloir demander que ce que Dieu veut lui donner. Il cherche à comprendre Dieu autant que ce que Dieu veut lui montrer.

Il y a ceux qui croient en Jésus et en Dieu, et il y a ceux qui n'y croient pas. L'humanité ne pouvait pas faire l'économie de la tentation de l'athéisme. La tentation de l'athéisme est inscrite, d'une certaine manière, dans la vocation de l'homme à la liberté. La tentation de l'athéisme, on peut dire que c'est la tentation par excellence de l'humanité adulte. C'est la tentation absolue qui pose la question de Dieu. Ou bien Dieu existe, et l'homme n'est plus libre fondamentalement. Ou bien l'homme existe, c'est-à-dire qu'il est capable de se faire lui-même, et alors Dieu n'existe pas, on n'a pas besoin de Dieu. Cet athéisme devient facilement alors un anti-théisme, un athéisme militant.

L'évangile d'aujourd'hui nous le montre une fois de plus : Dieu respecte la liberté humaine qu'il a créée ; Dieu ne fait qu'offrir, il n'impose pas. Mais Dieu va quand même atteindre ses fins malgré le mauvais vouloir de l'homme. Dieu est capable de répandre son Esprit Saint dans le cœur des hommes, pour les délivrer de leur obstination à rester dans l'esclavage et la nuit, et les amener à la liberté du consentement et de la foi. (Avec Bernard Sesboüé, AvS, HUvB).

 

26 août 2012 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,60-69

Cet évangile se termine par la belle profession de foi de saint Pierre : "Nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu, le Messie". Notre évangile se termine sur cette note très positive. Mais il omet les deux petits versets qui suivent dans le texte intégral de l'évangile, deux petits versets qui évoquent la figure de Judas. Jésus répond à la belle profession de foi de Pierre : "C'est moi qui vous ai choisis comme apôtres. Et pourtant l'un de vous est un diable". Et l'évangéliste saint Jean commente cette réponse de Jésus : "Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; c'est lui en effet qui devait le livrer, lui, l'un des Douze".

Notre évangile nous rapporte donc la réaction des auditeurs de Jésus à son discours sur le pain de vie. Jésus nous dit qu'il est descendu du ciel, alors qu'on connaît son père et sa mère. Faut pas exagérer ! Les Juifs attendaient un Messie qui les délivrerait de l'oppression des Romains. Dès que Jésus se met à enseigner et à faire des miracles, les foules commencent à le suivre, évidemment. Quand il nourrit une foule en multipliant les pains, tout de suite on veut le faire roi. Alors Jésus explique à mots couverts qu'il n'est pas là pour établir un royaume politique, mais pour ouvrir les hommes à Dieu. "C'est l'esprit qui fait vivre, la chair n'est capable de rien". Si c'est ça, ça n'intéresse plus les gens. "On retourne à nos affaires".

C'est alors que Jésus pose la question aux Douze : "Voulez-vous partir, vous aussi ?" Et saint Pierre répond pour tous, comme d'habitude : "A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle". Les choses de Dieu, on ne peut les connaître que par le don de l'Esprit de Dieu.

Une sainte de notre temps assiste à une conférence. Il lui est donné de voir les âmes de ceux qui assistaient à cette conférence. Il y en avait qui étaient totalement unies à Dieu. La plupart étaient indifférentes. Parmi les personnes présentes, il y en avait une à qui il aurait suffi qu’elle dise un oui imperceptible pour qu'elle s'approprie la grâce. D'autres en étaient à cent lieues. Le oui de l'homme est toujours exigé... après le discours de Jésus sur le pain de vie comme aujourd'hui...

Un homme de notre temps, un Français qui a été prix Nobel de littérature, avait eu une mère très croyante et un père qui venait d'une famille sans Dieu. Ce père était mort au début de la guerre de 1914-1918 ; le futur prix Nobel avait donc été élevé par sa mère dans les meilleures traditions religieuses de l'époque et envoyé à Paris comme pensionnaire dans un collège des plus catholiques : Stanislas. Sa mère était morte quand le garçon avait douze ans et il avait ensuite été élevée par des tantes très croyantes elles aussi, les sœurs de sa mère. Le garçon avait quitté Stanislas. Un dimanche matin, tante Louise est venue le réveiller : "La messe, Claude !" Et le garçon avait répondu : "C'est fini. Tu ne crois pas que j'ai eu suffisamment de messes à Stanislas ?" L'athéisme de la famille paternelle l'emportait sur les pratiques religieuses de la famille maternelle. Et plus tard, le garçon devenu écrivain, expliquera qu'il s'est "détaché de la religion comme d'un fastidieux et contraignant fardeau, sans aucune angoisse ni crise de conscience".

"Sans aucune angoisse ni crise de conscience", c'est du moins ce qu'il dit en restant fidèle jusqu'à la fin de sa vie à sa profession de foi d'athéisme. A une certaine époque de sa vie, il était fatigué, malade, il se disait : "Je ne suis pas croyant !". Et il essayait de se raisonner : "C'est comme ça, faut pas en faire un drame".

Un sainte de notre temps nous dit ceci : "Satan insinue : Dieu n'existe pas. Moi, j'existe". Pourquoi l'athéisme et pourquoi la sécularisation ? On peut y voir un appel de Dieu à approfondir la foi, à approfondir notre relation à Dieu, à apprendre à saisir sa présence. Et dans l’Église, chacun a quelque chose à apprendre des autres. Qu'est-ce qui est arrivé à l'adolescent de tout à l'heure qui ne voulait plus entendre parler de se lever pour aller à la messe ? Et pourquoi est-il resté toute sa vie dans sa profession de foi d'athéisme ?

La victoire sur le diable est l'affaire propre de Dieu et donc, on ne peut le combattre qu'avec les armes de Dieu. Et l'homme est autorisé à se servir des armes de Dieu que le Seigneur Jésus a employées quand il a été tenté par le diable. "En face de Dieu, il n'y a aucune illusion possible de se croire en sécurité". (Avec Claude Simon, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

23 août 2015 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Jean 6,60-69

Comme dimanche dernier, c'est la même consigne de Jésus aux siens : "Mangez ma chair", c'est-à-dire : "Aimez-moi". Qui peut l'écouter ? Même ses disciples ne comprennent plus. Il a essayé de les ouvrir à Dieu. Ils ont pu se faire une petite idée de Dieu. Mais ils ont constaté que plus on apprend à le connaître, plus il devient incompréhensible. Et Jésus ajoute encore une question qui les dépasse complètement : voir comment il va retourner au ciel. En fait ce n'est pas nouveau dans son enseignement : il a dit qu'il était le pain vivant descendu du ciel, qu'il était venu du Père et qu'il retournait au Père. Et il suggère maintenant de rendre visible à leurs yeux ce retour au Père. En fait son retour au Père, c'est quelque chose qui leur échappe complètement.

L'homme est composé de chair et d'esprit. La chair est porteuse de l'esprit. Et l'esprit est supérieur à la chair. Et l'esprit doit rester ouvert à ce qui est plus grand, rester ouvert à l'incompréhensible, rester ouvert à Dieu. Dès le début, l'homme sait qu'il ne comprendra jamais Dieu. Mais son désir de saisir et de comprendre Dieu demeure. Les contemporains de Jésus peuvent voir son côté humain, mais pas son côté divin. Mais par le côté humain de Jésus, les hommes peuvent pressentir quelque chose du mystère de Dieu et s'en approcher.

Parmi tous ceux qui sont à l'écoute de Jésus, il y en a qui ne peuvent pas croire. Dans les disciples, il y a tous les niveaux de foi, jusqu'à l'incroyance, jusqu'au refus de se donner. Il existe tous les degrés entre l'amour et l'absence d'amour. Ceux qui croient véritablement sont ceux qui sont prêts à croire même l'incompréhensible, l'inconcevable. Jésus sait cela depuis le commencement. Mais il garde l'espoir de les sauver tous. Il veut être pour tous le chemin qui mène au Père.

Ce qui distingue le peuple juif de tous les autres, c'est son monothéisme farouche et exclusif : il n'y a qu'un seul Dieu. Ce monothéisme et le peuple juif sont nés d'un appel du vrai Dieu. Et ce monothéisme est ennemi de toute représentation. Le premier commandement qui distingue Israël de toutes les nations qui l'entourent, c'est qu'il n'a pas le droit de sculpter des images de Dieu, de sculpter aucune figure de Dieu, de fabriquer des idoles. On peut comprendre que c'était frustrant parce que tous les peuples alentour d'Israël le faisaient. Pour nous, chrétiens, le Seigneur Jésus est l'image visible du Dieu invisible, il est celui qui nous permet de nous figurer Dieu sans idolâtrie.

Jusqu'au XVIIIe siècle, on évaluait l'âge de l'humanité à quelques milliers d'années. A cette époque-là, on ne pouvait pas se rendre compte que Dieu a mis des centaines de millénaires avant de se révéler. Pour nous, chrétiens, l'histoire universelle est une histoire sacrée. Et l'histoire est utile pour le croyant. Tout est historique, y compris la Bible et Jésus.

Pourquoi une religion fondée il y a deux mille ans continue-t-elle à mobiliser les hommes d'aujourd'hui ? Le patrimoine religieux de l'humanité a commencé à se constituer quand nos lointains ancêtres - il y a environ 90.000 ans - ont voulu donner une sépulture à leurs morts, ce que ne feront jamais les animaux. L'homme alors a commencé à penser à un au-delà de la mort.

Un Juif très croyant de notre temps disait : "Notre devoir n'est pas de renoncer à la vie (et à l’histoire), mais de les rapprocher de Dieu". Un autre de nos contemporains, qui faisait partie de la société du spectacle, et qui était très croyant lui aussi, disait : "Il faut que certains puissent comprendre qu'on peut croire en Dieu et être intelligent". Mauriac écrivait à un correspondant : "De même que vous n’étudiez pas le socialisme dans un ouvrier sans culture, mais chez Jaurès ou chez Marx, c'est dans les saints qu'il faut apprendre à connaître le christianisme".

Mais pas uniquement dans les saints. Il est toujours intéressant d'aller voir chez les scientifiques d’aujourd’hui qui sont chrétiens, chez des grands professeurs et des philosophes qui sont chrétiens ; comment ils essaient d'exprimer leur foi tout en étant scientifiques, philosophes ou professeurs d'Université. Ce sont eux qui peuvent le mieux répondre aux incroyants d'hier et d'aujourd'hui, comme par exemple à cet incroyant d'il y a quelques siècles qui disait : "L’Écriture contient un ensemble de fables adaptés à la crédulité du peuple, mais le sage, le savant, le philosophe, sait qu'il ne doit pas y chercher un discours de vérité".

Au cœur de la révélation de Dieu, il y a une parole prophétique. Et que dit le prophète ? Il dit : "Voilà ce que Dieu vient de me dire"... Il n'a pas entendu Dieu lui parler en hébreu. Mais au-dedans de lui-même, il a compris et vu quelque chose qui ne venait pas de lui. Dans l'évangile d’aujourd’hui, il y a des disciples de Jésus qui se disent : "Ce qu'il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l'écouter". Dès les premiers temps du christianisme, les docteurs de la foi chrétienne disaient : "Si tu comprends, ce n'est pas Dieu que tu as trouvé". Dieu ne peut être ramené à aucune formule : si tu comprends, ce n'est pas Dieu. (Avec Gaston. Fessard, Antoine Vergote, Jean Delumeau, Abraham Heschel, Michel Serrault, François Mauriac, Joseph Moingt, AvS, HUvB).

 

22 août 2010 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 13, 22-30

Tout commence par une question qu'on pose à Jésus : "N'y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? Et quelle est la réponse Jésus ? Il ne répond ni oui, ni non. Un homme pose à Jésus une question théorique : combien de gens seront-ils sauvés ? Et Jésus répond pour tous ses auditeurs : "Le nombre des élus ? Cela ne vous regarde pas. C'est le secret de Dieu. Mais vous, ce que vous avez à faire, c'est de tout faire pour que Dieu puisse vous accueillir dans sa maison". Et puis il y a deux chose auxquelles il faut faire attention : la porte est étroite, faut pas être trop gros pour y entrer. Qu'est-ce que ça veut dire ? Et puis la porte ne sera pas toujours ouverte. Il y a un moment où elle sera fermée. Il sera trop tard. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Et puis il y a des gens qui pensaient que pour eux-mêmes il n'y aurait pas de problème pour entrer dans la maison de Dieu : ils ont fait tout bien, à leur avis : "On te connaît bien, nous avons mangé et bu en ta présence. Tu as enseigné sur nos places". Qu'est-ce qu'il faut de plus ? Et le maître de maison leur dira : "Je ne sais pas d'où vous êtes. Allez-vous en". Il n'est pas toujours simple, le Bon Dieu ! Ce que nous pouvons faire de bien ne nous donne aucun droit sur Dieu. L'amour de Dieu pour l'homme ne peut rien faire là où l'homme est occupé de lui-même et où il pense avoir des droits.

La veille de sa Passion, à un certain moment dans son discours d'adieu, Jésus dit à ses disciples : "Je vous laisse ma paix.... Que votre cœur ne se trouble pas... Je vous donne ma paix". Jésus pressent bien à ce moment-là que sa fin approche, il sait bien qu'on lui en veut à mort. Mais il sait aussi que tout repose dans la paix du Père, et que le pire qui puisse lui arriver, à lui et aux siens, est encore un don de la paix du Père. Et c'est une paix curieuse, c'est une paix qui prive de toute sécurité.

Un universitaire de notre temps, qui avait connu une grosse épreuve dans sa vie de famille, a écrit un jour un petit livre qu'il a intitulé : "Croire ou rêver". Et là, dans ce petit livre, il dit un peu pourquoi il croit et en quoi il croit et en qui il croit malgré tout. Et il parle aussi de sa manière de prier ; il dit dans sa prière : "Il y a des moments où je n'ai même plus la force de te prier, où je n'ai même plus envie de te prier. Je n'aspire plus qu'au silence, m'en remettre à toi, Seigneur, me remettre à toi". Ce chrétien pensait ne plus pouvoir prier dans son malheur (il avait perdu un enfant), et en même temps il faisait la plus belle prière : "M'en remettre à toi, Seigneur, me remettre à toi".

Vous connaissez aussi cette vieille histoire : c'était un homme tout simple qui était révolté par la croix qu'il portait. Alors un ange le conduit vers gros tas de de croix de différentes tailles, et l'ange propose à notre homme d'en choisir une à sa mesure. L'homme choisit la plus légère, bien sûr, et il s'aperçoit que c'était justement la sienne ! C'est une belle histoire inventée par je ne sais qui.

Ce que l’Écriture nous dit souvent, c'est qu'on ne connaît pas tous les plans de Dieu, toutes les pensées de Dieu. On ne se connaît pas non plus soi-même, et on ne sait pas non plus comment Dieu nous voit. Une très vieille prière d'un de nos Pères dans la foi disait ceci : "Seigneur et Maître de ma vie, donne-moi de voir mes péchés et de ne pas juger mon frère".

Terminer avec la Vierge Marie dont nous venons de fêter l'Assomption au ciel auprès de son Fils. Pour Marie, la porte de la maison n'a pas été fermée. Elle était grande ouverte, au contraire. Marie s'était remise totalement à Dieu, même et surtout quand elle avait vu son Fils mourir sous ses yeux. Elle nous montre par là que ceux qui se remettent de tout à Dieu sont aussi par lui complètement pris en charge. (Avec André Miquel, Paul Evdokimov, saint Ephrem, AvS, HUvB). 

 

25 août 2013 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 13,22-30

Quelqu'un dans la foule pose la question à Jésus : "Est-ce le petit nombre qui sera sauvé ?" Aujourd’hui un autre poserait la question : "Est-ce qu'on ira tous au paradis ?" Quelle est la réponse de Jésus ? Ne cherchez pas à prendre la place de Dieu. Dieu ne désire qu'une chose, c'est que tous soient sauvés. Si les hommes se conduisaient avec respect vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis des autres et vis-à-vis d'eux-mêmes, ils iraient tous au paradis.

Mais les hommes n'agissent pas comme ça. Ils se conduisent comme des sots. Ils prennent ce qui est clinquant pour de l'or véritable. Soyez généreux dans votre recherche du bien. Cela vous coûte ? C'est en cela que réside le mérite. Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite. L'autre porte est large et attirante, c'est une séduction du diable pour vous dévoyer. La porte du ciel est étroite et basse. Il faut être souple pour y passer, beaucoup chercheront à y entrer sans réussir. L'attrait pour eux de tout ce qui est matériel les rend obèses ; la croûte du péché les rend tout raides, l’orgueil les rend incapables de se plier.

Plus je les regarde, plus ils m'apparaissent comme rassasiés d'une nourriture impure. Plus je les scrute, plus je vois qu'ils ne sont pas de ma famille. Ils sont les fils et les sujets de l'Autre, du diable. Ils ont pour père Satan, pour nourrice l'orgueil ; pour trésor, ils ont le péché ; les vices sont leurs pierres précieuses. Et on verra alors que beaucoup qui paraissaient tout petits dans l'armée de la terre seront les premiers dans la population du royaume de Dieu. Tous sont appelés à la table du royaume. Mais il y en a combien qui recherchent la vraie gloire ?

Même si l'homme ne veut pas entendre la parole de Dieu, cela ne change rien au fait que le fond de son être se trouve impliqué dans un dialogue avec Dieu, qu'il le veuille ou non. Dans l'évangile de Jean, à un certain moment, Jésus dit à ses disciples : "Vous êtes purs, mais pas tous". Qu'est-ce que ça veut dire : être pur ? La purification a lieu quand quelqu'un s'abandonne à ce que Dieu exige de lui, même s'il ne comprend pas.

Dans plusieurs de ses livres, un ancien exorciste du diocèse de Rome raconte son expérience. Par exemple, il y a des gens qui tirent les cartes pour connaître l'avenir. C'est-à-dire qu'ils désirent avoir accès à des choses occultes. Par elles-mêmes, les cartes n'ont aucun pouvoir. Et donc même si on n'invoque pas le démon explicitement, le démon est toujours là. Et c'est une faute grave que de s'abandonner au démon plutôt que de s'abandonner à Dieu dans la foi et la prière.

Le même exorciste connaissait une catholique pratiquante qui tirait les cartes, soi-disant pour aider les gens, même pas dans un but lucratif, et sans rien de malsain apparemment. Et elle ne savait pas qu'en faisant cela elle ouvrait la porte au démon. Ce qui intéresse Satan, ce n'est pas de faire de nous des possédés, c'est de nous éloigner de Dieu et de nous jeter dans le péché. Si quelqu'un vit dans la grâce de Dieu, s'il a une vie de prière, un maléfice aura beaucoup de mal à l'atteindre.

Jésus nous parle aujourd'hui de porte étroite. La joie est un des meilleurs signes que nous marchons sur la bonne route (chrétienne). Et la joie est toujours le meilleur moyen d’évangéliser. Le curé d'Ars, saint Jean-Marie Vianney, fait figure de prêtre austère, bien sûr. Mais il savait aussi plaisanter. Quand on lui annonça qu'il avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur, il demanda si ça rapportait quelque chose. L'honorable maire, monsieur des Garets, lui répondit que seuls les militaires touchaient une rente. Alors, répliqua, le curé d'Ars, dites à l'Empereur qu'il garde sa croix, puisque les pauvres n'auront rien à y gagner. Et non seulement les pauvres du curé d'Ars n'y auraient rien gagné, mais on demandait 12 francs au curé pour les frais de la médaille, et le curé ne voulait pas les débourser : "Je préfère les donner aux pauvres". Le curé d'Ars a quand même reçu sa médaille parce que son vicaire, l'Abbé Tocanier, s'est chargé de régler la note à l'insu de son curé.

Un autre jour, le curé d'Ars badinait avec des confrères, les curés des environs. Et il disait : "Que les vues de la Providence sont incompréhensibles ! Je suis chanoine par la très grande bonté de Monseigneur. Je suis chevalier de la Légion d'honneur par une méprise de l'Empereur. Et autrefois j'étais berger de trois brebis et d'un âne par la volonté de mon père".

La porte est étroite. Il faut de la souplesse pour y entrer. C'est pourquoi Jésus recommande ailleurs à ses disciples de devenir comme des enfants. "Celui qui n'accueille pas le royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas". Ce que le Seigneur Jésus voit dans l'enfant, c’est qu'il est ouvert à la volonté du Père, ouvert aussi au royaume de Dieu qui est tout proche. (Avec Gabriele Amorth, Philippe Ferlay, saint Jean-Marie Vianney, AvS, HUvB).
 

21 août 2016 - 21e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 13,22-30

Avec cet évangile nous retrouvons la même problématique que les dimanches précédents : se tenir prêt, être vigilant, parce que, quand le maître de la maison aura fermé la porte, il sera trop tard. Autrement dit, c'est maintenant, tout de suite, qu'il faut répondre aux appels de Dieu dans notre vie. Avec Isaac le syrien, au VIIe siècle, nous pouvons dire : "Seigneur Jésus Christ, donne-moi le repentir pour que, de toute mon âme, je parte à ta recherche, car sans toi je serai privé de tout bien. Ô Dieu bon, donne-moi ta grâce".

Et puis pour entrer chez Dieu, la porte est étroite, c'est-à-dire qu'il y a des conditions pour y entrer. Ce n'est pas : "Tout va bien, faut pas s'inquiéter, on ira tous au paradis. Pour le moment, tout sauf Dieu". On se dit chrétien, mais comme on me le disait il n'y a pas longtemps : "Je n'éprouve pas le besoin d'aller à la messe le dimanche... Mais je suis chrétienne, bien sûr !" Autrement dit elle n'éprouvait pas le besoin de chercher Dieu, de rencontrer Dieu de cette manière unique de le faire qu'est l'eucharistie, de nourrir sa foi par la parole de Dieu et par le pain qui est le Corps du Christ. Mais qui peut le comprendre ?

Pour dire la vie auprès de Dieu au-delà de la vie présente, le Seigneur Jésus utilise le symbole du festin, du banquet, du repas, auxquels les élus auront part : Dieu va recevoir chez lui les élus, dans sa maison, à sa table, dans son intimité. Pour y entrer, la porte est étroite : il y a les commandements à garder et les deux premiers contiennent tous les autres : aimer Dieu et le prochain ; tout le reste dépend de ces deux-là. Mais aimer Dieu : qu'est-ce que ça veut dire ? Et puis aimer les autres, qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a tellement de manières de se faire illusion et pour l'amour de Dieu et pour l'amour des autres, il y a tellement de manières de se donner bonne conscience. Dieu seul connaît les reins et les cœurs, et sans cesse il faut lui demander de nous ouvrir les yeux. Avec le psaume, nous lui disons : "Tu me connais, Seigneur au plus profond de moi. A l'heure du repos comme au temps de l'action, tu lis dans la pensée. Quand je suis sur les routes ou quand je m'endors, je suis transparent devant toi. Tu m'enveloppes de toutes parts : merveilleux savoir, profonde connaissance, je ne puis les atteindre. Regarde- moi, lis dans mon cœur, vérifie mon chemin, guide-moi dans la fidélité".

La porte est étroite, mais la figure du bon larron est devenue l'image de l'espérance, la certitude consolante que la miséricorde de Dieu peut nous rejoindre au dernier instant, la certitude que, même après une vie d'erreurs, la prière qui implore la bonté n'est pas vaine. La porte est étroite et saint Paul peut écrire : "Je sais me priver comme je sais être à l'aise. En tout temps et de toutes manières, je me suis initié à la satiété comme à la faim, à l'abondance comme au dénuement" (Ph 4,12). Autrement dit la grâce de Dieu demeure grâce là aussi où elle impose épreuve et privation.

Un spirituel juif du XIXe siècle disait : "La grande faute de l'homme, ce n'est pas tant les péchés qu'il commet... La tentation est puissante et l'homme est bien faible. Non ! La grande faute de l'homme, c'est de pouvoir à tout instant retourner vers Dieu et de ne point le faire". Et c'est le même spirituel juif qui posait la question : "A quoi pouvons-nous reconnaître qu'un péché nous a été remis ? Le signe du pardon d'un péché, c'est le fait qu'on ne le commet plus". Cela donne à réfléchir.

La violence grossière est claire, mais la violence subtile, celle qui se déguise en amour, en amitié, en apostolat, est beaucoup moins sensible et beaucoup plus pernicieuse : elle se pare de la vertu et elle est remplie de mensonge. Dieu, lui, est une puissance qui est pure de toute domination. Par le Christ crucifié, le Créateur nous dit : "Je n'ai aucune puissance de domination".

Dans l'humanité telle qu'elle est, nous n'avons pas, dans nos rapports avec les autres, des expériences complètement pures de toute domination. Nos relations, même les meilleures, peuvent être contaminées, parasitées, par l'esprit de domination, qui sait très bien se déguiser. Même les hommes les plus saints n'arrivent pas, dans leurs relations avec les autres, à ne pas annexer un peu l'autre, à ne pas l'utiliser un peu. Autrement dit, la porte est étroite. L'homme voit selon l'apparence, Dieu regarde le cœur. Qui n'est pas humble humilie... On peut rêver avec le philosophe chrétien contemporain qui disait : "Être enfin les uns avec les autres sans hypocrisie, dans une vérité et une amitié profonde... qui supposerait que tous les masques tombent et que nous soyons spirituellement mis à nu".

Qu'est-ce que c'est que le purgatoire ? C'est là aussi que la porte est étroite. C'est là que le pécheur (c'est-à-dire chacun de nous) sera forcé de se condamner lui-même dans la lumière de Dieu. Saint Pierre a éprouvé quelque chose de cela quand il s'est écrié un jour : "Éloigne-toi de moi, Seigneur, je suis un pécheur" (Lc 5,8). L'enfant prodigue l'a éprouvé quand il  a dit à son père : "Père, je ne mérite pas d'être appelé ton fils" (Lc 15,22). (Avec Benoît XVI, Martin Buber, Pierre Ganne, Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

28 août 2011 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 16,21-27

Pour les apôtres, Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant. C'est pour cela qu'ils se sont mis à suivre Jésus, ou qu'ils continuent à le suivre, à vivre en sa compagnie, jour et nuit. Pour les disciples, suivre le Messie, cela ne peut être que gratifiant. Sans doute la vie avec Jésus n'est pas toujours facile. C'est une vie toujours un peu improvisée. Ce n'est pas la richesse. Et des hommes comme saint Matthieu, des hommes sans doute aussi comme Judas, avaient l'habitude d'une vie plus confortable.

Et quand les disciples sont bien convaincus que Jésus est vraiment le Messie de Dieu, Jésus commence à leur parler de tout autre chose : il leur annonce qu'il va être mis à mort par les chefs juifs. Et comment Jésus sait-il qu'il va être mis à mort ? Jésus n'explique pas ce qu'il dit. Mais il y a parfois des communications secrètes entre Dieu et les hommes de Dieu, les prophètes. Pourquoi pas aussi entre Dieu, le Père invisible, et le Messie ? Et donc Jésus sait qu'un jour il sera mis à mort par les chefs juifs, lui, le Messie. Et Jésus veut que ses disciples soient mis au courant longtemps avant les événements.

Mais pour les disciples, c'est impensable, c'est incroyable que le Messie disparaisse comme ça. Et saint Pierre, comme toujours, se fait l'interprète de tous : "Non, ce n'est pas possible. Cela ne t'arrivera pas". Puisque Jésus est le Messie ; puisqu'il montre une puissance étonnante dans tous les miracles qu'il accomplit, c'est que tout va bien finir et par une apothéose. Et tout le monde s'inclinera devant lui, y compris les chefs juifs. Et Pierre dit à Jésus : il n'est pas question que tu sois mis à mort. Et que répond Jésus à Pierre ? "Tu n'y comprends rien. Les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes". Tous les apôtres sont là devant un mur. Ils ne comprennent rien du tout à cette annonce de Jésus. Ce n'était pas dans leur programme. Et Jésus en rajoute encore : tous ceux qui veulent le suivre devront porter une croix.

On peut penser ici à sainte Thérèse d'Avila qui se plaignait un jour à Jésus des croix qu'elle devait porter. Et Jésus lui avait dit : "C'est comme ça que je traite mes amis !" Et vous vous souvenez de la réponse de sainte Thérèse : "Ce n'est pas étonnant que vous en ayez si peu".

Saint Paul, aujourd'hui, dans la deuxième lecture, nous invite à nous offrir à Dieu. Comment faire pour s'offrir à Dieu ? Une sainte de notre temps disait ceci : "Il se peut que j'aie à souffrir jusqu'à la fin et que je doive mourir dans l'obscurité de la souffrance et qu'il ne soit nullement question de voir les cieux ouverts comme le diacre Étienne selon les Actes des apôtres. Cela n'a aucune importance, car la manière dont Dieu veut rencontrer le mourant est laissée à Dieu. Ce n'est pas le sens de la foi que j'aie une mort facile, mais que j'aille vers la mort que le Seigneur m'accordera. Peut-être dans l'obscurité, la souffrance, l'angoisse et sans plus rien voir. Mais peut-être aussi dans une dernière communication de la Bonne Nouvelle : Je vois les cieux ouverts".

Saint Pierre ne pouvait pas comprendre, à ce moment-là, que Jésus pourrait être mis à mort par les chefs de son peuple. Saint Pierre vivait encore avec tout l'acquis de l'Ancien Testament, l'Ancien Testament qui connaissait le vrai Dieu, mais l'Ancien Testament ignorait encore le mystère du Dieu crucifié et ressuscité.

Une grande croyante de notre temps, qui était consacrée à Dieu et qui a connu une existence difficile, nous dit comment elle comprend la vie : "Que tout dans notre vie soit référé au Père, non seulement intelligence, réflexion, liberté et volonté, mais aussi passions et actions de toutes sortes, force et faiblesse, lumière et obscurités, anxiétés et paix, certitudes et doutes, tout ce qui travaille notre nature, tout ce qui l'abat et la soulève, tout ce qui l'enrichit et tout ce qui la purifie, ce qui la comble et ce qui la vide, jusqu'à notre fragilité, nos chutes, tous les combats intérieurs entre nature et grâce, tous ceux aussi de notre seule nature, et le malaise de l'âme… Que tout dans notre vie soit référé au Père ". Voilà donc pour cette grande croyante qui exprimait à sa manière le mystère du renoncement que Jésus annonçait à ses disciples.

Julien Green, dans son Journal, raconte un de ses rêves. Quelqu'un entrait dans sa chambre et se tenait à la porte. C'était un homme tout enveloppé de lumière qui lui apportait un message. Il disait : "Si je suis mort, c'est afin que vous ne soyez pas seul quand vous mourrez à votre tour. Je serai là avec vous".

Aujourd'hui Jésus annonce à ses disciples sa Passion et sa mort. Que nous disent les saints de tout cela ? Ils nous disent que Dieu ne pouvait trouver dans la création aucun meilleur langage que la Passion pour se communiquer lui-même. La Passion du Christ aussi est véritablement une parole proférée par Dieu. (Avec sainte Thérèse d'Avila, Paul Evdokimov, Marie de la Trinité, Julien Green, AvS, HUvB).

 

31 août 2014 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 16,21-27

Saint Pierre vient de faire sa grande profession de foi : "Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant". Peu de temps après, au cours d'une longue marche, Jésus et ses disciples prennent un repas frugal auprès d'un ruisseau sur le coup de midi. Et Jésus se met à parler longuement à ses disciples : "Le Fils de l'homme sera livré aux mains des hommes parce qu'il est le Fils de Dieu, mais aussi parce qu'il est le Rédempteur des hommes. Et il n'y a pas de rédemption sans souffrance. Ma souffrance atteindra le corps, la chair et le sang pour réparer les péchés de la chair et du sang.

Mais ma souffrance sera aussi morale pour réparer les péchés de l'âme et des passions. Elle sera spirituelle pour réparer les fautes de l'esprit. A l'heure fixée, je serai arrêté à Jérusalem et, après avoir beaucoup souffert de la part des anciens et des grands-prêtres, des scribes et des pharisiens, je serai condamné à une mort infamante. Et Dieu laissera faire parce qu'il doit en être ainsi. Et dans une mer d'angoisse que partageront ma mère et quelques autres personnes, je mourrai sur le gibet. Trois jours après, je ressusciterai. Mais auparavant, je devrai souffrir toutes sortes d'opprobres et avoir le cœur transpercé par le mensonge et la haine".

Les apôtres élèvent un chœur de cris scandalisés par de telles perspectives. Et c'est alors que Pierre, scandalisé lui aussi, prend Jésus par le bras, l'amène un peu à l'écart. Pierre croit que c'est de son devoir de remettre Jésus dans le droit chemin, de le ramener à la raison. Il lui dit doucement à l'oreille : "Seigneur, ne dis pas cela. Ce n'est pas bien. Tu ne vois pas comment ils sont tous scandalisés ? Tu vas tomber dans leur estime. Pour aucune raison tu ne dois permettre cela. Mais de toute façon une pareille chose ne t'arrivera jamais... Tu dois monter toujours dans l'estime des hommes si tu veux t'affirmer et tu dois terminer peut-être par un dernier miracle comme celui de réduire en cendres tes ennemis. Mais ne jamais t'avilir et te rendre pareil à un malfaiteur que l'on punit".

Saint Pierre ressemble à un maître qui corrige un élève ou à un père affligé qui fait des reproches pleins d'amour angoissé à un fils qui a dit une sottise. Jésus s'était un peu penché pour écouter le murmure de Pierre. Et tout d'un coup il se redresse, sévère, et il crie fort pour que tous l'entendent et que la leçon serve à tous : "Va-t-en loin de moi ; en ce moment, tu es pour moi un Satan qui me conseille de manquer à l'obéissance envers mon Père ! C'est pour cela que je suis venu, non pour les honneurs. Toi, en me conseillant l'orgueil, la désobéissance, la dureté sans charité, tu tentes de m'amener au mal. Va-t-en ! Tu es pour moi un scandale. Tu ne comprends pas que la grandeur réside non dans les honneurs mais dans le sacrifice. Tu es un sot, tu ne comprends pas ce qui est grandeur pour Dieu et tu juges et tu parles avec ce qui est de l'homme".

Le pauvre Pierre est anéanti sous les reproches. Il s'écarte un peu et il se met à pleurer. Et Jésus le laisse pleurer. Plus tard, Jésus ajoutera : "C'est à Pierre que j'ai adressé le reproche, mais il était pour vous tous parce que les mêmes pensées étaient dans la plupart de vos cœurs... Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie... La Vie, je vous la donne par ma mort. Ainsi quiconque veut venir à ma suite doit être prêt à se renoncer, à renoncer à son vieux moi avec ses passions, ses tendances, ses habitudes, et me suivre avec son nouveau lui-même. Que chacun prenne sa croix, comme moi je la prendrai".

Jésus parle de sa mort. Pierre lui dit que ça ne doit pas arriver. Et Jésus ne répond pas à Pierre comme Pierre l'espérait. Un chrétien ne doit jamais s'étonner si Dieu répond à sa prière d'une manière toute différente de ce qu'il attendait. Il peut se faire que la difficulté qu'on aurait bien voulu voir disparaître doive demeurer en place. Et ainsi le croyant peut avoir tout simplement placé son appel dans le silence de Dieu ; et dans la foi, il doit considérer ce silence comme la réponse de Dieu.

La foi sait que Dieu ne peut pas ne pas avoir entendu et qu'il a reçu dans son silence l'appel de celui qui le priait, et que finalement tout est très bien comme ça. Quand un croyant est amené par Dieu à comprendre son silence, la foi de ce croyant s'en trouve dilatée, il est entré un peu plus dans la compréhension du mystère de Dieu.

Le Père Alexandre Men, qui vivait dans la Russie sans Dieu de l'époque communiste, disait : "Bien des gens pensent que si le Créateur manifestait sa force à tous les athées, à tous les méchants et à tous les blasphémateurs en jetant sur eux ses foudres, il les convertirait..., les rendrait raisonnables. En réalité, il n'en est rien. L'expérience montre que l'homme accueille la foi ou la rejette intérieurement, et les miracles n'y sont pour rien. Beaucoup de gens ont vu des choses extraordinaires, mais leur cœur n'a pas été touché, tandis que d'autres, qui n'ont rien vu, ont cru et sont appelés bienheureux : Heureux ceux qui croient sans avoir vu".

Il y a les croyants et il y a tous ceux qui se disent non croyants. En fait il n'y a pas un seul homme qui n'ait une relation mystérieuse avec Dieu. Il n'y a pas un seul homme qui n'ait une aspiration à la bonté, un tressaillement devant la beauté, un pressentiment du mystère devant l'amour et devant la mort. Nous sommes tous en marche vers Dieu, qu'on le sache ou non aujourd'hui, mais mieux vaut le savoir, et le plus vite possible, parce qu'on sait alors aussi que Dieu nous accompagne sur ce chemin.

Pour le moment, dans le monde d'aujourd'hui, la situation de beaucoup d'hommes est celle d'orphelins. Beaucoup d'hommes vivent sans Dieu. Ils n'ont pas de racines en dehors de l'espace et du temps. Ils se sentent perdus dans un univers illimité, ils descendent du singe et ils vont vers le néant. Madeleine Delbrel disait : "Nous n'avons le droit de parler à Dieu aux autres que si nous apprenons aussi à parler à Dieu au nom des autres, et peut-être d'abord au nom de ceux et celles qui se sont résignés à son absence ou à son silence".

L'Esprit Saint de Dieu est à l’œuvre en tout chrétien qui croit, espère et aime de manière vivante. Et alors, par l'Esprit Saint, la vie avec Dieu est pénétrée et éclairée pour une certaine expérience de la présence de Dieu dans sa vie et dans le monde. (Avec Alexandre Men, Olivier Clément, Madeleine Delbrel, AvS, HUvB).

 

30 août 2009 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 7, 1...23

Nous retrouvons aujourd'hui l'évangile de saint Marc après avoir lu cinq dimanches de suite le chapitre 6e de saint Jean sur le pain de vie. Des pharisiens et des scribes viennent de Jérusalem pour enquêter sur Jésus, voir ce qu'il fait et entendre ce qu'il dit. On a entendu parler de Jésus à Jérusalem. Est-ce que c'est sérieux ? Est-ce que ça vient bien de Dieu ?

Première chose que les gens de Jérusalem remarquent, c'est que les disciples de Jésus ne se lavent pas les mains avant le repas ou au retour du marché. Pour les gens de l'époque, ce n'est pas une question d'hygiène, ils n'ont aucune idée qu'il faudrait éliminer des microbes avant de se mettre à table. Pour les juifs, bien pratiquants, on se lave les mains quand on a été en contact avec des païens ; on a pu se souiller au contact des mécréants, alors il faut se laver.

Les enquêteurs de Jérusalem posent la question à Jésus : Pourquoi tolères-tu que tes disciples ne respectent pas les règles des anciens ? Et la réponse de Jésus n'est pas très complaisante ; il commence par appeler ses interlocuteurs des hypocrites. Ce n'est pas très agréable à entendre quand on est venu pour donner des leçons aux autres. "Hypocrites" : c'est dangereux de dire ça à des gens qui ont beaucoup de pouvoir.

Qu'est-ce qui est important dans la loi de Dieu ? On n'a pas lu le texte intégral de ce chapitre 7e de saint Marc. La lecture liturgique d'aujourd'hui a omis, entre autres choses, un petit commentaire de Jésus sur le quatrième commandement : "Honore ton père et ta mère". C'est-à-dire, entre autres choses, "viens en aide à tes parents quand ils prennent de l'âge et qu'ils ont besoin d'être aidés". Mais dans une règle qui avait été ajoutée par la tradition juive, il était dit qu'on pouvait se dispenser de venir en aide à ses parents âgés si on promettait d'offrir quelque chose au temple. Alors Jésus contre-attaque : "Honore ton père et ta mère", ça, c'est un vrai commandement de Dieu. Mais vous, les hypocrites, vous vous arrangez pour vous dispenser de rendre service à vos parents dans le besoin sous le beau prétexte de servir Dieu et le temple. Rendre service à ses parents dans le besoin, c'est bien plus important que de se laver la mains avant de manger. Tous les préceptes n'ont pas la même importance. Et certains sont tout à fait secondaires.

Saint Jacques, dans sa Lettre qu'on a entendue tout à l'heure dans la deuxième lecture, avait bien retenu la leçon. C'est quoi pratiquer la religion ? Pratiquer la religion, dit-il, c'est venir en aide aux orphelins et aux veuves dans leur malheur... Et Jésus ajoute encore dans l'évangile : ce qui est mauvais, c'est ce qui sort du cœur de l'homme, toutes les pensées mauvaises qui sortent du cœur de l'homme : vols, meurtres, adultères, méchancetés, débauches, calomnies, orgueil. C'est tout ça qui rend l'homme impur, ce n'est pas parce qu'on a rencontré des païens et des mécréants qu'on est impur.

Le contact entre le croyant et l'incroyant est de tous les temps. Un chrétien peut ressentir une tension entre sa vie de croyant - sa vie de prière - et sa vie professionnelle au milieu de gens totalement incroyants. Et la nécessité d'être un honnête chrétien dans ce milieu l'oblige à une prière plus intense. Pour vivre et agir en chrétien dans ce milieu, il doit constamment se nourrir de la force de la prière. Il faut se retirer dans sa chambre pour prier, dit Jésus. Et là, dans le calme de sa chambre, le croyant est tout à fait à l'aise. Mais tout change quand il entre en conversation avec son milieu, un milieu où il ne trouve peut-être aucune trace de la grâce. Et alors il a besoin d'une double force pour porter là aussi les fruits de sa prière et les richesses de sa foi. La vie du Seigneur Jésus aussi a été un combat. Quel combat ? Il vient révéler au monde l'ouverture infinie du Père et il fait face aux logiques du monde qui refusent cette ouverture. La foi chrétienne au milieu du monde est aussi un combat. Mais la foi chrétienne porte en elle la capacité de comprendre le monde, les autres et soi-même dans la lumière de Dieu.

En 1943, un jésuite, le Père Yves de Montcheuil, qui a été fusillé par les Allemands parce qu'il avait été pris dans le Vercors où il était aumônier du maquis (le Père de Montcheuil était aussi professeur à l'Institut Catholique de Paris), réfléchissait déjà à son époque sur la situation du chrétien dans un monde incroyant et il disait : "Il est à désirer que tout chrétien devienne un jour un chrétien adulte". Qu'est-ce que ça veut dire ? On n'a jamais fini de devenir chrétien. Cela veut dire aussi : regarder en face l'histoire et la situation de l’Église dans leur état actuel. Regarder aussi le monde qui nous entoure, un monde aussi qui est en crise. Une crise d'adolescence peut-être, qui rejette tout le passé, qui veut se construire lui-même... ou se déconstruire parce qu'il n'a plus de repères. Il ne suffit pas de rejeter le passé pour être libre.

L'évangile d'aujourd'hui parle de se laver, de se purifier. Pour chaque homme, il y aura un jour un lieu de purification inexorable, c'est le purgatoire. A ce moment-là, l'homme se trouve mis à nu devant Dieu avec l’œuvre de sa vie. Un aveu n'est même pas nécessaire : tout est là devant Dieu à découvert. Et ce coup d’œil sur sa vie permettra alors de mesurer la distance entre ce qui a été et ce qui aurait dû être. Et alors l'homme reconnaîtra que Dieu l'a vu depuis toujours sans aucun masque. Mais l'homme aussi saura à ce moment-là que ce n'est pas un regard qui condamne. (Avec Mgr Dagens, Bernard Sesboüé, Yves de Montcheuil, AvS, HUvB).

 

2 septembre 2012 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 7,1-8.14-15.21-23

Pendant tout le mois d'août, nous avons lu le discours de Jésus sur le pain de vie. Nous retrouvons aujourd'hui l'évangile de saint Marc, qui est l'évangile de l'année. Aujourd'hui Jésus est agressé par des pharisiens et des scribes venus de Jérusalem. Jésus faisait des miracles, beaucoup de gens s'empressaient autour de lui pour écouter sa parole. Très vite les autorités juives de Jérusalem, les pharisiens et les scribes, se sont sentis mal à l'aise. Qu'est-ce que c'est que cet enseignement ? Ce Jésus n'est pas des nôtres, il n'est pas sorti de nos écoles, ni du personnel du temple. Alors qu'est-ce que c'est ? Et très vite, il y a eu de l'animosité contre Jésus. Il n'est pas des nôtres. Et puis il ameute les foules. On ne sait pas trop ce qui s'est passé dans le cœur des autorités juives. Est-ce que c'était une peur sincère ? La peur que Jésus détourne les gens de la voie droite ? A quel moment il y a eu de la jalousie qui s'est glissée dans le cœur des chefs juifs ? ... La jalousie qui admet difficilement le succès de Jésus auprès des foules.

Alors aujourd'hui des pharisiens et des scribes observent que les disciples de Jésus prennent leur repas sans s'être lavé les mains. Alors ils attaquent Jésus sur ce point : pourquoi permets-tu que tes disciples ne suivent pas les prescriptions des anciens ? C'est un détail. Pour avoir la paix, Jésus aurait pu dire à ses disciples : "Si ça peut faire plaisir aux pharisiens, lavez-vous les mains avant de prendre votre repas. On ne va pas faire la guerre pour ça". Mais pas du tout. Jésus contre-attaque sans ménagement : "Vous êtes des hypocrites", dit-il à ses adversaires. "Vous attachez beaucoup d'importance à des détails, mais vous négligez des choses bien plus essentielles sous prétexte de religion. Par exemple, vous dites : je consacre mes biens pour le service de Dieu, et donc je ne peux pas aider mon père et ma mère qui auraient grand besoin de mon aide. Ce qui souille l'homme, c'est tout le mal qui est dans son cœur et qui produit toutes sortes de choses mauvaises. C'est le cœur qu'il faut surveiller, ce sont les pensées qu'il faut surveiller. Si le cœur est dans l'amour, tout ira bien selon Dieu".

Une sainte de notre temps dit un jour à son confesseur : "J'ai souvent peur pour vous : vous pourriez omettre quelque chose d'essentiel, n'être pas ouvert à la volonté de Dieu". C'est exactement ce que dit l'évangile d'aujourd'hui, ce que Jésus nous dit aujourd'hui : J'ai souvent peur pour vous. Vous pourriez omettre quelque chose d'essentiel, n'être pas ouvert à la volonté de Dieu.

Mais où est la volonté de Dieu ? C'est la même sainte qui évoque une mère avec son enfant mort. La mère se révoltait, elle ne voulait pas rendre son enfant à Dieu. Elle en avait quatre autres, mais celui-ci était le plus cher... Marie a une relation particulière avec les mères qui ont perdu un enfant. C'est elle qui donne les enfants au Seigneur et réconcilie les mères. Ces sacrifices des mères peuvent être une bénédiction pour la mère elle-même, pour les familles, pour les enfants à venir qui sont offerts plus sincèrement à Dieu par les mères. Souvent aussi le sacrifice d'une mère se trouve à l'arrière-plan de la vocation des enfants au sacerdoce ou à la vie religieuse ou à tout autre engagement particulier à la suite du Christ.

Dans tout l'évangile, Jésus veut éveiller les hommes à la foi vivante, à une relation vraie avec Dieu. La foi, c'est l'acte de marcher avec Dieu la main dans la main, à marcher sous son regard.

Faut-il se laver ou non les mains avant le repas ? Aujourd'hui, c'est une question d'hygiène. Au temps de Jésus, c'était une question de pratique religieuse. Il est vrai que la foi ne va pas sans rigueur morale. Le croyant ne se croit pas autorisé à faire n'importe quoi. Le croyant ne se croit pas autorisé à faire tout ce que la loi civile permet. Pour le croyant, ce n'est pas parce que la loi civile permet quelque chose que c'est juste et bon devant Dieu. Le croyant ne se croit pas autorisé à faire quelque chose parce que tout le monde le fait, parce que nos contemporains considèrent comme normal de faire ceci ou cela.

Faut-il ou non se laver les mains avant les repas ? Les dix commandements de Dieu disent l'essentiel. Faut-il en rajouter ? Un grand chrétien de notre temps disait : L’Église doit veiller à ne pas placer sur les épaules des êtres humains un fardeau trop lourd à porter.

Terminer avec le personnage d'un roman de Soljenitsyne. Il évoque une femme "incomprise, abandonnée même par son mari, ayant enterré ses six enfants, mais non pas son naturel sociable... Ridicule, travaillant stupidement gratis pour les autres, elle n'avait pas accumulé d'avoir pour ses vieux jours. Une chèvre blanc sale, un chat banal, un ficus... Et nous tous qui vivions à côté d'elle, nous n'avions pas compris qu'elle était ce juste dont parle le proverbe et sans lequel il n'est village qui tienne. Ni ville. Ni notre pays entier"... C'est la communion des saints. (Avec Joseph Moingt, Alexandre Soljenitsyne, AvS).

 

30 août 2015 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 7,1-8.14-15.21-23

Après avoir lu, cinq dimanches de suite, le chapitre sixième de saint Jean sur le pain de vie, nous retrouvons aujourd'hui l'évangile de saint Marc. Des Juifs zélés et bons pratiquants reprochent à Jésus de permettre à ses disciples de ne pas observer certaines coutumes de leur religion : ici concrètement prendre un repas sans s'être lavé les main. La question reviendra en force dans la communauté chrétienne primitive, après le départ de Jésus. Les païens, les non-Juifs, qui veulent devenir chrétiens, faut-il les obliger à pratiquer toutes les coutumes religieuses des Juifs ? Et la réponse finalement sera négative : non, il n'est pas nécessaire de se plier à toutes les coutumes juives pour devenir chrétien.

Aujourd'hui dans l'évangile, Jésus ne va pas encore si loin, mais il donne un principe : le culte, c'est bien, mais un culte sans amour ne vaut rien, il ne faut pas se baser sur des règles qu'on se donne à soi-même. Il faut toujours revenir au centre, et le centre, c'est le commandement de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain. Il ne faut jamais que les fameuses règles des Juifs deviennent des buts en soi, sinon ces règles éloignent de Dieu. Se laver les mains avant les repas, pourquoi pas ? Mais l'important, c'est de voir les racines du mal que chacun porte dans le cœur et les combattre. Les vrais péchés sortent du cœur de l'homme, c'est cela qu'il faut regarder.

On ne peut pas empêcher notre cerveau de travailler, il est fait pour ça. Et donc il y a toujours des pensées qui surgissent. Il n'est pas nécessaire d'y voir toujours des tentations du diable. Des pensées peuvent surgir un moment comme de simples tentations : si l'homme leur résiste dans son cœur, elles ne séparent pas l'homme de Dieu. On peut toujours demander à Dieu de bien vouloir éteindre, par sa grâce, ce qui couve en nous de pécheur.

Ce qui nous fatigue le plus, c'est souvent le péché des autres. Fénelon conseillait de supporter patiemment et paisiblement l'imperfection d'autrui sans la flatter. Quant au combat qui se passe en nous-mêmes avec nos pensées, il disait que "mourir à soi-même est le fond du christianisme". Et alors, ajoutait-il, "Dieu s'arrange pour que le croyant vive en lui dans une paix et une liberté d'esprit infinie". Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout. Obéir à la loi de Dieu, respecter les dix commandements, ce n'est qu'une réponse d'amour à celui qui nous a aimés le premier et qui nous appelle à vivre en communion avec lui. Pour être en communion avec Dieu, il faut vivre selon ses principes, selon sa manière d'être. Et les dix commandements sont de l'amour.

Un grand pécheur s'était confessé au curé d'Ars, saint Jean-Marie Vianney, et il avait reçu l'absolution pour toutes les fautes de sa vie. Cet homme était prêt, en compensation de ses égarements passés, à faire n'importe quoi. Et le curé d'Ars ne lui avait donné à faire qu'une petite  pénitence. Alors ce pécheur pardonné s'étonne. Et le curé d'Ars lui répond : "Soyez sans crainte. Je ferai ce qui manque". Autrement dit, il y a une communion des saints. Et ce que l'un ne fait pas, Dieu permet parfois qu'un autre le fasse à sa place.

Il y a dans l'Ancien Testament et dans les pratiques religieuses des Juifs à l'époque de Jésus beaucoup de prescriptions que les chrétiens n'ont pas reprises. Mais les dix commandements nous viennent bien de l'Ancien Testament et du monde juif. Dans l'Ancien Testament, il y a aussi tous les passages lumineux qu'il ne faut pas oublier, comme par exemple celui-ci qu'on trouve dans le Siracide : "Vous qui craignez le Seigneur, aimez-le, et vos cœurs seront remplis de lumière". Et le même Siracide dit aussi : "Ne multiplie pas tes paroles dans la prière".

L’évangile nous parle aujourd'hui des pensés qui surgissent dans notre cœur. On ne doit pas s'en étonner. Le Père Radcliffe disait : "Nous devons nous accepter tels que nous sommes, ce qui est l'humilité vraie". Mais ce qui est insupportable, ce ne sont pas nos pensées, c'est toujours les autres qui sont insupportables. Un homme de notre temps, qui n'était pas tellement croyant, disait quand même : "La charité consiste  moins à vouloir du bien aux hommes qu'à les trouver tous magnifiques et à ne pas se rassasier de les voir". Pour quelqu'un qui n'était pas très croyant, c'était bien vu, et il ne devait pas toujours être loin de Dieu. 

L’évangile d'aujourd'hui nous parle des pratiques rituelles des Juifs et de ce que Jésus en pense. A l'arrière-plan, il y a les commandements de Dieu. Pourquoi des commandements justement ? Personne n'est capable d'obéir intérieurement sans être persuadé qu'il existe une communion réciproque entre lui et celui qui commande. Si cette persuasion existe, l'obéissance sera confiante. Les commandements de Dieu sont là pour que nous puissions vivre en communion avec Dieu. (Avec Fénelon, saint Jean-Marie Vianney, Timothy Radcliffe, Alain, Romano Guardini, AvS).

 

29 août 2010 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 14, 1...14

Un pharisien a invité Jésus à sa table. Jésus n'était pas le seul invité d'ailleurs. Il y avait du monde au repas du pharisien. Et Jésus remarque que les premiers arrivés prennent les premières places, ils n'attendent pas qu'on leur dise où ils doivent se mettre. Alors Jésus tient un petit discours pour dire à tous les invités que ce n'est pas comme ça qu'il faut faire. Quand tu vas à des noces, mets-toi plutôt à la dernière place, et alors ce sera un honneur pour toi si le maître de maison vient te dire d'avancer plus haut.

On peut bien se douter que Jésus n'indique pas seulement une manière habile de se conduire en société. Il veut nous parler surtout de nos relations avec Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire : vouloir se mettre à la première place, jouer des coudes pour arriver à la première place ? Ce n'est pas bien vu chez les hommes, et chez Dieu ce n'est pas bien vu non plus. Notre évangile d'aujourd'hui n'emploie pas le terme "humilité". Mais c'est bien de cela qu'il s'agit.

Le Père Varillon autrefois a pu écrire tout un livre sur l'humilité de Dieu. Comment est-ce possible ? Mais le Père Varillon n'est pas le seul à essayer de parler de l'humilité de Dieu. Un de nos contemporains - dont je vous ai déjà parlé récemment, il était doyen d'un séminaire orthodoxe aux États-Unis - ce contemporain note quelque part dans son Journal de 800 pages : "L'humilité est divine, et celui qui nous la montre comme divine, c'est le Christ. La gloire et la grandeur de Dieu sont dans son humilité". Et pourquoi écrit-il cela ? Un autre de nos contemporains répond à la question : Dieu est le seul roi au monde à qui on ne demande pas audience : la prière, la question, le repentir ont valeur immédiate d'accueil... Dieu est le seul roi au monde à qui on ne demande pas audience. On peut toujours s'adresser à lui, en tout lieu et en tout temps.

Ceux que Dieu aime, ce sont les saints et les pécheurs. Mais il serait ridicule de prétendre que la grâce rend tous les hommes égaux devant Dieu, les pécheurs et les justes, ceux qui obéissent à la loi de Dieu et ceux qui s'en moquent. Il y a bien des premières et des dernières places, mais ce n'est pas l'homme qui a la possibilité de choisir la place où il doit se trouver. L'humilité de Dieu, c'est quoi ? Le Christ est le seul roi de l'histoire qui fonde son royaume sur son propre sang et non sur celui de ses adversaires ou de ses partisans. Le Christ a choisi pour lui la dernière place sur la croix.

Dans le royaume de Dieu, il ne nous est pas permis de choisir nous-mêmes notre place. On n'entre pas chez Dieu les mains dans les poches, on n'entre pas les mains dans les poches au festin de l'Agneau de Dieu immolé. Il y a un temps pour se préparer à entrer dans le royaume de Dieu, pour s'approcher du festin de Dieu. Ce temps et ce lieu, c'est notre vie présente. C'est aussi, au-delà de la mort, ce qu'on appelle le purgatoire. Le cardinal Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI, écrivait, il y a très longtemps déjà : "Le purgatoire, s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer". Pourquoi ? Qui oserait penser par lui-même qu'il peut se présenter devant Dieu directement ? Marthe Robin disait dans son style à elle : "On n'entre pas au ciel dans un fauteuil". Le purgatoire, cela veut dire que Dieu peut nous purifier de telle manière que nous pouvons finalement être auprès de lui dans la plénitude de la vie. Nous, chrétiens, nous prions pour nos défunts. Nous avons conscience de pouvoir encore faire quelque chose pour eux s'ils sont encore dans une situation de purification où nos prières peuvent les aider.

Les invités du pharisien choisissaient les première places. Pascal disait : "La plus grande bassesse de l'homme, c'est la recherche de la gloire". Le Seigneur Jésus, lui, a accepté de porter les péchés de tous les hommes, à la dernière place, il a accepté d'être abandonné à la place de tous. Et le oui de sa Mère, le oui de Marie devant la mort de son Fils, est une communion à sa torture, à sa disparition dans la nuit. (Avec François Varillon, Alexandre Schmemann, André Miquel, Joseph Ratzinger, Marthe Robin, Pascal, AvS, HUvB).

 

1er septembre 2013 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 14,1.7-14

Jésus a été invité dans la maison d'un pharisien pour y prendre un repas un jour de sabbat. Il y a là aussi beaucoup d'autres pharisiens qui sont venus pour discuter avec Jésus. Un homme arrive, qui n'était pas attendu, et il demande à Jésus de le guérir. Et c'est justement un jour de sabbat. Jésus connaît bien ce qui se passe dans le cœur des pharisiens et des légistes qui sont là. Et il leur pose la question brûlante : Est-ce qu'il est permis de guérir quelqu'un le jour du sabbat ? Personne ne répond, bien sûr. On n'a pas envie de prendre une leçon en public. Alors Jésus guérit le malade qui s'en va tout joyeux. La lecture liturgique d'aujourd'hui n'a pas retenu cette guérison du malade dans la maison du pharisien.

Et on arrive alors au petit discours de Jésus sur le choix des places : Quand quelqu'un t'invite à un repas de noces, ne te précipite pas à la première place. Dieu t'invite au repas de noces de son royaume. Sois modeste. N'imagine pas que tu as droit à la première place. Dieu seul sonde les reins et les cœurs. Et c'est lui qui dira à chacun le rang qu'il doit prendre. Et si c'est toi qui invites à un grand repas, invite plutôt des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles. Dieu te le rendra dans son royaume.

Jésus accepte de se faire inviter dans un milieu de pharisiens. Il sait bien que c'est un lieu rempli de traquenards. Mais il y va quand même. Pour lui, il ne peut pas y avoir de barrière définitive. Même quand on le contredit et qu'on l'accuse de faire et de dire des choses contraires à la Loi de Moïse, il a toujours la possibilité de laisser tomber sa grâce dans un coin caché de l'être, où plus tard elle pourra germer. Dieu peut nous atteindre par toutes sortes de chemins, par tout ce qui est dans le monde, pour nous conduire à l'éternité de son Royaume.

Si on t'invite à un repas, ne va pas d’emblée d'installer à la première place. Heureux celui qui a un cœur de pauvre. Il ne s'appuie pas sur sa richesse, même s'il n'est pas démuni, il s'appuie sur Dieu. Celui qui vit dans la foi s'en remet complètement à Dieu pour toute sa vie.

Jésus à un banquet de pharisiens ! Qu'est-ce qu'il va faire là ? Il sait qu'il est impossible de chasser tout à fait le mal hors du monde mais, en chaque homme, on peut le réduire. Jésus sème sa grâce même dans ce banquet de pharisiens.

Il n'est pas nécessaire d'accuser toujours les pharisiens d'autrefois de tous les maux. Le cardinal Lustiger ne craignait pas de dire les maux dont souffre l’Église aujourd’hui. Il disait : "L’Église est le témoin de l'univers réconcilié par Dieu". (Que c'est beau, un monde réconcilié !). Et voilà que le cardinal ajoute : "L’Église est composée d'hommes qui se haïssent et que Dieu met dans l'amour ; l’Église est composée d'homme avides de possession et que Dieu rassemble dans la béatitude des pauvres ; l’Église est composée d'hommes violents que Dieu réconcilie dans la béatitude des pacifiques ; l’Église est composée d'hommes injustes que Dieu restaure dans sa sainteté ; l'Eglise est composée d'hommes divisés que Dieu réunit dans la concorde". Et c'est sur cette Église que saint Paul invoque grâce, miséricorde et paix de par Dieu le Père et le Christ, Jésus, notre Seigneur (2 Tim 1,2). La grâce, c'est le commencement de tout ; la grâce, c'est l'Esprit Saint qui est dispensé par Jésus et par le Père.

"Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place". Va à la place qu'on t'indique. Même au repas de noces, il faut savoir obéir. Un homme marié ou une femme mariée a autant d'occasions d'obéir qu'un novice dans son monastère. C'est un homme marié qui raconte ça. Par exemple, votre femme vous dit de prendre votre imperméable pour sortir ; vous pensez qu'il va faire beau et qu'il va vous encombrer ; mais si elle insiste, vous le prenez ; n'allez pas la contredire et faites ce qu'elle vous dit.

Et puis autre chose. Un collègue de travail vous demande un service, vous pouvez le lui rendre, mais ça ne vous dit pas grand-chose ; faites-le quand même, abandonnez votre volonté propre. Vous trouverez ainsi mille occasions de renoncer à votre moi pour laisser le Christ vivre en vous.

On parle toujours des pharisiens comme de repoussoirs. Mais que se passe-t-il aujourd'hui dans l’Église ? C'est un homme de notre temps qui dit cela, marié et père de famille, devenu chrétien à l'âge adulte : "Le péché du chrétien est pire, toutes choses égales par ailleurs, que celui du non-chrétien, parce qu'il souille le visage de l’Église, parce qu'il obscurcit la présence de Dieu dans le monde".

"Quand tu es invité à des noces, ne va pas d'emblée te mettre à la première place". Dieu seul sait où il doit nous placer. Le saint, c'est l'homme qui est vrai dans sa foi, dans son espérance et dans son amour. (Avec Cardinal Lustiger, Olivier Clément, Cardinal Martini, Placide Deseille, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).
 

28 août 2016 - 22e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 14,1.7-14

Encore une fois une question de repas dans l'évangile d'aujourd'hui. Ce n'est pas le festin du royaume de Dieu, c'est un repas de presque tous les jours (un repas de sabbat quand même) où Jésus est invité, et pas par n'importe qui, mais par un chef des pharisiens. Jésus observe ce qui se passe et il en tire deux leçons. Quand on va à des noces aujourd'hui (ou autrefois du moins), la place de chacun était bien indiquée, on n'avait pas à choisir ; quand quelqu'un nous invite à sa table, il indique  en général à chacun la place qu'il doit prendre.

La réflexion de Jésus sur la dernière place à prendre spontanément si on est invité, on peut penser qu'elle concerne surtout le festin du royaume de Dieu : quand Dieu t'invitera à sa table, ne va pas prétendre t’installer au premier rang, ne va pas te croire "arrivé" devant Dieu. Ni plus tard, ni maintenant. Devant Dieu, mieux vaut se tenir au dernier rang. Peut-être même pas au dernier rang, peut-être ne penser à aucun rang. Devant Dieu, le rang, ce n'est pas nous qui en décidons. Il nous est seulement demandé explicitement de ne pas juger les autres : c'est déjà assez difficile comme ça. Pas la peine d'essayer de se classer aux yeux de Dieu, c'est impossible, c'est inutile, c'est déplacé, c'est perdre son temps, c'est hors de propos. On est devant Dieu comme on est : ni plus, ni moins. On doit simplement lui demander sans cesse ce qu'il attend de nous aujourd'hui et maintenant. On peut s'en tenir aux premiers mots de notre première lecture d'aujourd'hui ; le sage de l'Ancien Testament nous conseillait déjà : "Accomplis toutes choses dans l'humilité", devant Dieu et devant les hommes.

Et puis, deuxième partie de l'évangile d'aujourd'hui : "Heureux ceux qui donnent sans espoir de retour". Tu seras heureux justement parce que les hommes n'ont rien à te rendre. Donner de ce qu'on a, donner de son temps à qui semble en avoir besoin. Et on sait bien que le temps perdu ne se rattrape jamais. On pourrait faire tant de choses avec ce temps si précieux et voilà qu'il faut en perdre avec un importun qui vient nous sucer notre temps. Il ne va pas nous le rendre ce temps perdu ! Et puis il y a aussi tous ceux qui voudraient bien donner de leur temps, mais personne ne vient leur en demander. c'est une autre forme de pauvreté et d'invitation à l'humilité. J'ai du temps à revendre et personne n'en veut. C'est peut-être aussi que je n'ai pas la bonne manière de proposer mon temps ou bien qu'on n'a pas besoin de mes services : c'est aussi une forme de pauvreté qu'on peut au moins offrir à Dieu pour qu'il la transforme par son alchimie en bienfaits pour les autres.

Chaque fois que nous communions, chaque fois que nous recevons en nous le Seigneur Jésus, nous lui accordons un nouveau droit de disposer de notre vie. Et nous ne savons pas d'avance la forme que prendra cette nouvelle grâce, quelle forme d'exigence elle peut prendre. Chaque communion devrait nous rendre un peu plus malléables entre les mains de Dieu.

Saint Vincent de Paul disait aux Filles de la charité : "Dites-vous bien, mes filles, que le pauvre ne vous pardonnera jamais le pain que vous lui donnez". En disant cela, saint Vincent de Paul voulait leur faire comprendre qu'il y a des cas d'extrême misère où la charité elle-même n'est qu'un petit commencement de justice pour lequel nulle reconnaissance n'est due : "Dites-vous bien, mes filles, que le pauvre ne vous pardonnera jamais le pain que vous lui donnez". On est tout près de l'évangile : "Quand tu donnes à des gens qui sont dans le besoin, heureux es-tu parce qu'ils n'ont rien à te rendre".

Un jeune de dix-sept ans pense sérieusement à devenir médecin. Un jour il en parle au médecin de la famille, il lui dit son admiration pour la profession qu'il faisait et l'utilité que cette profession lui semblait avoir. Et le médecin lui avait dit : "Oh, tu sais, quand ça marche, je rabiboche les gens ; mais je ne leur donne pas des raisons de vivre". Le garçon a médité là-dessus. Et au lieu de commencer des études de médecine, il est entré au séminaire. Pourquoi ? Peut-être pour avoir l'occasion de donner aux gens des raisons de vivre. Mais il peut arriver à tout croyant d'avoir l'occasion de donner à d'autres des raisons de vivre, ou des raisons de croire davantage et, à ceux qui ne croient pas, du respect pour les croyants et pour la foi.

Un philosophe chrétien de nos contemporains écrivait dans son journal personnel : "Ce qu'il y a de meilleur en toi, tu ne le sais pas, et il est meilleur parce que tu ne le sais pas". Un dominicain du XXe siècle, qui était vraiment un homme de Dieu, écrivait, dans son journal spirituel : "L'humble de cœur désire être aux yeux des hommes ce qu'il est aux yeux de Dieu". Mais le problème justement, c'est qu'on ne sait pas ce qu'on est aux yeux de Dieu. Ce qu'on est aux yeux de Dieu ? Le Seigneur Jésus nous a pris en lui sur la croix avec nos péchés, et il nous prend sans cesse en lui dans l'eucharistie. (Avec saint Vincent de Paul, André Frossard, Mgr Doré, Maurice Blondel, Marie-Joseph Lagrange, AvS, HUvB).

 

4 septembre 2011 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 18,15-20

Ce n'est pas un évangile très facile que nous avons aujourd'hui. Faut-il l'entendre au pied de la lettre ? "Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute". Vous avez déjà essayé de suivre cette consigne ? Et si vous avez suivi cette consigne, quel a été le résultat ?

Il y a le cercle de la famille, les relations parents - enfants. Et dans ce cercle, il est évident que les parents ont un rôle de conseillers vis-à-vis de leurs enfants, surtout lorsqu'ils sont encore en bas âge. Mais même là, ce n'est pas toujours facile. Dans le cadre de l'école ou du collège ou du lycée, les enseignants aussi ont un rôle de conseillers à jouer. Et là non plus, ce n'est pas toujours facile. La tentation parfois est celle de la démission. Et d'autre part la conscience peut pousser à faire quelque chose : on ne peut pas ne rien dire, on ne peut pas laisser tout faire. Voilà donc le cercle de la famille et le cercle des établissements d'enseignement. Et au-delà, entre adultes, qu'est-ce qui est possible ?

Dans l’Église non plus, ce n'est pas toujours facile, ni pour le pape, ni pour les évêques, ni sans doute pour les curés. Vive la liberté des enfants de Dieu, bien sûr, mais on ne peut pas dire ni faire n'importe quoi dans la maison de Dieu, dans l’Église. Dans toute l’Écriture, on voit que Dieu se comporte souvent comme un père humain qui, lui aussi, est amené de temps en temps à dire à son fils : tu feras ceci ou cela, je ne veux pas que tu te comportes comme ceci ou comme cela. Il a le droit de lui parler de cette manière : il ne veut pas que son fils gâche sa vie ou la perde.

Nous avons tous besoin les uns des autres. Le principe suprême est énoncé par saint Paul dans la deuxième lecture d'aujourd'hui : "L'amour ne fait rien de mal au prochain". Dieu a créé les humains pour aimer et être aimés. Il y a des actes qui détruisent les relations entre les hommes, il y a des actes qui peuvent tuer l'amour. Si on estime qu'on peut faire quelque chose pour éviter ces actes, peut-on s'abstenir ?

Il faut souvent demander à Dieu qu'il nous éclaire et qu'il nous donne sa force. Qu'il nous éclaire d'abord sur nous-mêmes, parce qu'on peut être très porté à vouloir corriger les autres alors qu'on a soi-même une poutre dans son œil. "L'amour ne fait rien de mal au prochain", dit saint Paul. Et l'évangile nous dit : "Prenez garde, restez éveillés" (Mc 13,33). Où est la volonté de Dieu dans tout cela ? Prendre sur soi la tâche dont Dieu nous a chargé. Comment faire ? Dans le travail, dans la détente, et avant tout dans nos paroles, parler et être de telle sorte que notre conversation avec Dieu ne soit pas interrompue. "Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux".

Nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes, nous sommes traversés par des forces contradictoires. Je ne choisis pas toujours le bien ou le mal comme la couleur de ma cravate (si je porte une cravate). Je suis traversé par des pulsions contradictoires. Le bien et le mal se mélangent en moi. Je suis obscur à moi-même. Et j'aurais l'audace d'aller dire à quelqu'un qu'il marche de travers ?

La première fois que je fais quelque chose de mal selon ma conscience (par exemple voler, mentir, trahir un proche), la première fois, je me sens coupable. La deuxième fois, je commence à me chercher des excuses. Et la troisième fois, je justifie mon comportement en disant que, dans ce cas, le mal n'est pas un mal... Et j'aurais l'audace d'aller dire à quelqu'un qu'il marche de travers ?

C'est un saint du Moyen Age qui disait : "Les théologiens sont souvent comme les sacristains qui finissent par passer devant l'autel sans fléchir le genou". On pourrait dire la même chose de nous tous qui fréquentons les églises. Ce n'est pas parce que nous fréquentons les églises que tout est en ordre. Saint Joseph aussi a dû recevoir les leçons de Marie. C'est un saint de notre temps qui dit cela à sa manière. Il dit de saint Joseph : "Il avait le niveau pour vivre avec la Vierge Marie. Il s'est laissé transformer pour vivre avec elle".

Heureux les pauvres, nous dit Jésus dans l'évangile. Heureux ceux qui ont une âme de pauvre. Le pauvre n'est pas enclin à donner des leçons. Les pauvres ne se glorifient pas devant Dieu (ni devant les hommes), les pauvres ne prétendent pas avoir des droits devant lui, ni avoir le droit de donner des leçons aux autres, ils ne revendiquent pas d'être rétribués en fonction de leurs actes. Ils aiment, tout en recevant simplement ce que Dieu leur donne. Thérèse de Lisieux disait qu'elle paraîtrait devant Dieu les mains vides. Les pauvres arrivent devant Dieu les mains vides. Les mains s'ouvrent et donnent, prêtes à s'abandonner à la bonté de Dieu qui donne.

"Si ton frère a commis un péché, va lui parler..." Notre frère a valeur éternelle pour Dieu, ce frère pour qui le Christ est mort. "L'amour ne fait rien de mal au prochain". (Avec Jean Civelli, Fr. Douilly, André Nouis, Père Lamy, Benoît XVI, AvS, HUvB).

 

7 septembre 2014 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 18,15-20

"Si ton frère a commis un péché..." Quel péché ? On suppose une faute grave et publique qui peut jeter le discrédit sur les croyants. "Va lui parler seul à seu l". Il ne faut pas lui faire d'affront. Il faut que ça se passe discrètement, en tête-à-tête. Est-ce que le cas se présente souvent dans l’Église aujourd'hui ? Comme les choses se passent discrètement en principe, on n'en sait pas grand-chose. C'est normal. Mais quand même l'avertissement est là dans l'évangile.

Puis il est question de prier ensemble."Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux, et je prierai avec eux, et le Père ne refusera rien à ceux qui prient avec moi... Faites-vous un cœur pur pour que je puisse être avec vous, et puis priez... Mais priez pour demander quelque chose de juste.

Dieu ne pense jamais à quelqu'un sans penser à tous les autres. Et celui qui s'est éloigné de Dieu, cela ne veut pas dire que Dieu le rejette pour toujours. Parce que l'amour de Dieu pour l'homme est toujours plus grand que le refus de l'homme. Le Seigneur Jésus invite toujours, il ne connaît pas de refus éternel, il ne connaît pas de "non" éternel.

Il y a aussi des tièdes autour de Jésus et dans l’Église et dans les paroisses : il ne faut pas trop leur en demander. C'est déjà beau qu'ils n'aient pas renié. Ils n'ont pas l'étoffe pour faire des fanatiques ou des saints. Qu'est-ce que c'est être tiède ? C'est peut-être en rester à une connaissance superficielle de Dieu, sans chercher à aller plus loin. Et être tiède durant des années et des années, c'est sans doute beaucoup plus grave que de commettre un jour un gros péché et de s'en repentir aussitôt. On n'a pas le droit d'en rester à une connaissance superficielle de Dieu.

On n'a pas le droit, mais le milieu où l'on vit ne permet peut-être pas d'en faire davantage. Le Père Daniélou - qui fut aumônier d'étudiants à Paris, professeur de patrologie à l'Institut Catholique et qui a été choisi comme cardinal vers la fin de sa carrière, qui fut membre aussi de l'Académie Française - dans l'un de ses livres, prenait la défense de chrétiens qui ne vivent que d'une foi fondamentale. Il écrivait : "Je défends de toute ma force ces chrétiens qui restent fidèles à célébrer ces instants fondamentaux de la vie que sont la naissance, le mariage, la mort, et qui sentiraient comme insupportable le fait que leurs enfants ne reçoivent pas la bénédiction de l’Église au moment de leur mariage, ou soient enterrés civilement sans la bénédiction du prêtre. Ils le savent par un instinct secret du cœur".

Et le Père Daniélou ajoutait : "Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas s'efforcer que ces chrétiens à la foi fondamentale ne deviennent pas des chrétiens à la foi plus évoluée et plus éclairée, mais je dis que c'est, pour moi, fondamental qu'ils ne peuvent accepter l'absence du sacré dans ces moments essentiels de l'existence. On ne peut pas méconnaître la valeur immense de cette fidélité à ce lien fondamental avec Dieu dans les moments essentiels de l'existence. On dira : c'est un catholicisme sociologique, ce sont des superstitions, des déformations. Je conteste à qui que ce soit le droit de mépriser cette religion... Et j'avoue qu'une église de généraux ne m'intéresse pas".

Il y a des gens qui n'en finissent pas de ressasser les déformations du christianisme et ses caricatures. Alors on peut dire que le christianisme lui-même est un inconnu. Et il est inconnu tant qu'on ne s'est pas rendu compte que c'est une religion mystique, c'est-à-dire une religion qui ne peut pas en rester à la surface. "Des milliers de gens sont assoiffés de mystique en marge de notre société... qui en a perdu le sens... La mystique est aussi nécessaire à l'homme que la science et même peut-être plus". C'est Olivier Clément qui écrit cela, lui qui s'est converti au christianisme à l'âge de trente ans et après avoir cherché partout ailleurs ce qui pouvait assouvir sa soif d'infini. Ailleurs le même Olivier Clément disait : "Faire attention à la lumière de Dieu pour qu'elle pénètre peu à peu notre existence... S'ouvrir à la grâce".

Dieu est devenu homme pour que l'homme participe à la vie de Dieu. Mais qui est Dieu ? Les scientifiques nous disent que l'univers est âgé d'une quinzaine de milliards d'années et que sa taille tourne autour de cinquante milliards d'années-lumière : des dimensions que notre imagination est incapable d'appréhender. Notre terre n'est qu'une planète ordinaire tournant autour d'une étoile quelconque au sein d'une galaxie d'un univers qui en compte plusieurs centaines de milliards. Et nous, petite crotte de mouche perdue dans les fins fonds d'une banlieue de cet univers, nous oserions dire quelque chose sur le Créateur de cette immensité ?... Dieu est devenu homme pour que l'homme participe à la vie de Dieu...

Le miracle de la Pentecôte annonce la volonté de l'Esprit de Dieu de se rendre universellement compréhensible dans la plus grande diversité des langues du monde et des intelligences du monde. L'Esprit de Dieu a cette volonté et il a aussi le pouvoir de se rendre compréhensible par toutes les intelligences et dans tous les peuples. (Avec Jean Daniélou, Olivier Clément, André Nouis, AvS, HUvB).

 

6 septembre 2009 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 7, 31-37

Jésus est parti - avec ses disciples sans doute - sur la côte méditerranéenne, du côté de Tyr et de Sidon. C'est un territoire païen. Il n'y a pas de juifs, ou du moins pas beaucoup. Mais dans ce pays-là aussi on sait que Jésus guérit des malades. C'est un juif, mais peu importe pour les païens, peu importe du moment qu'il guérit. Et donc on amène à Jésus un sourd-muet. Et qu'est-ce qu'on demande à Jésus ? On lui demande simplement de poser la main sur ce handicapé. C'est un geste qu'on retrouve aujourd'hui encore lors du baptême chrétien. A un certain moment, il est prévu que le prêtre, au nom du Seigneur Jésus, pose la main sur la tête de celui ou de celle qui doit être baptisé.

L'évangile ne nous dit pas que Jésus a posé la main sur la tête du sourd-muet ce jour-là. Jésus commence par emmener le sourd-muet à l'écart, loin de la foule. C'est donc que même dans ces territoires païens il y avait foule autour de Jésus. Il n'y a que l'évangéliste saint Marc qui raconte aussi concrètement ce qui s'est passé alors : Jésus met ses doigts dans les oreilles du sourd, Jésus met sur la langue du muet un peu de sa propre salive, Jésus lève les yeux au ciel dans une prière muette, Jésus donne un ordre curieux et merveilleux, Jésus dit au sourd-muet : "Ouvre-toi". Et aussitôt le sourd-muet se met à parler et il entend.

Et il entend Jésus lui dire : "Ne parle à personne de ce qui s'est passé". Et Jésus dit la même chose aux gens qui l'entourent : ne pas parler. Mais le sourd-muet guéri ne l'entend pas de cette oreille et il ne garde pas sa langue toute neuve dans sa poche. Si Dieu est là, il faut quand même le dire. S'il y a miracle, il faut quand même en parler. Pour que beaucoup d'autres aussi puissent croire. Il n'est pas possible de se taire quand on a été témoin d'une chose pareille. Et les gens disaient de Jésus : "Tout ce qu'il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les -muets".

Dieu offre sa grâce à tout homme. Et il le fait souvent par son Église. Il a enlevé à son Église la possibilité de se cacher, de se taire. Vous possédez la lumière du monde, vous êtes la lumière du monde et vous avez la mission de répandre la lumière. L’Église est comme une ville en haut d'une montagne : elle est exposée à tous les regards, elle y est exposée pour le meilleur et pour le pire. Faut-il parler ? Faut-il se taire ? Le pape Benoît XVI disait un jour : " Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de se taire et de ne laisser parler que l'amour". Le chrétien sait que Dieu se rend présent dans les moments où rien d'autre n'est fait si ce n'est aimer.

Madeleine Delbrel, qui était assistante sociale dans la banlieue rouge parisienne après la guerre 1939-1945, savait ce que c'était que de vivre dans un monde sans Dieu. Elle disait : "Apprendre à vivre de Dieu et par Dieu au milieu de ceux qui refusent Dieu". Ses amis communistes auraient voulu qu'elle devienne communiste. Elle y a réfléchi pendant un certain temps, mais elle a vu que ce n'était pas compatible avec la foi chrétienne. Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire; mais c'est toujours un temps pour aimer. C'est ce que faisait Madeleine Delbrel.

Il y a les chrétiens qui vont à la messe le dimanche... et tous les autres. "Qui peut douter que Dieu agisse au-delà de nos groupes d'habitués ?" C'est Monseigneur Dagens qui dit cela dans l'une des nombreuses conférences qu'il a données en France et à l'étranger - Mgr Dagens qui est évêque d'Angoulême et membre aussi de l'Académie française. Mais je n'ai pas donné le texte entier de Mgr Dagens. Le voici maintenant : "Qui peut douter que Dieu agisse au-delà de nos groupes d'habitués, parfois trop habitués?" Qu'est-ce qu'il veut dire, Mgr Dagens ? Nous avons tous entendu un jour ou l'autre la réflexion de gens qui ne fréquentent pas les églises. Qu'est-ce qu'ils disent ces gens ? "Quand on voit comment se conduisent dans la vie de tous les jours les gens qui vont à la messe le dimanche, on n'a pas envie de leur ressembler, ils sont pires que les autres". Alors on peut toujours demander à Dieu qu'il nous ouvre les yeux, les yeux du cœur, pour que nous puissions voir ce qui peut scandaliser les autres dans notre vie de bons croyants et de bons pratiquants de la messe du dimanche. Le déficit est toujours du côté de l'amour désintéressé.

Être chrétien, ce n'est pas nécessairement facile. Un chrétien ne peut pas imiter le Seigneur Jésus, qui est unique, il doit néanmoins le suivre. Et on peut se souvenir aussi de ce mot du romancier Georges Bernanos, qui était un chrétien motivé, qui savait très bien aussi ce que c'était qu'être chrétien dans un monde sans Dieu, il écrivait : "Il n'est aucune victoire surnaturelle qui ne se paie de souffrances particulières, avant ou après". (Avec Mgr Dagens, Georges Bernanos, AvS, HUvB).

 

9 septembre 2012 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 7,31-37

Jésus guérit un sourd-muet. Jésus a deux manières (au moins) d'opérer un miracle. Un jour, on lui amène un aveugle. Jésus lui pose la question : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?" Réponse de l'aveugle : "Que j'y voie !" Réponse de Jésus : "Je le veux. Sois guéri !" D'un seul mot, par sa propre autorité, Jésus rend la vue à un aveugle. Aujourd'hui, pour le sourd-muet, Jésus procède autrement. Pourquoi ? L'évangéliste ne le dit pas. Jésus emmène le sourd-muet à l'écart de la foule. Tout le monde n'a pas besoin de tout voir, ni de tout savoir. Jésus met son doigt dans les oreilles du sourd. Jésus prend de sa salive et la met en contact avec la langue du muet. Il lève les yeux au ciel, dans un élan secret vers son Père. Et il dit au sourd-muet : "Effata !" C'est un mot de la langue de Jésus, l'araméen. "Effata!", c'est-à-dire : "Ouvre-toi!" Et aussitôt l'homme entend, et alors il peut enfin parler correctement.

Curieusement, Jésus invite tous les gens qui sont là à ne rien dire à personne. Et évidemment, les gens font tout le contraire de ce que Jésus demande : ils proclament partout le prodige qui vient de se produire. Et pourquoi devraient-ils se taire ? Et pourquoi Jésus leur demande-t-il de ne rien dire ?

Ce que les saints nous disent, c'est qu'auprès de Dieu, il y a toujours des choses qu'on ne comprend pas. Dieu, c'est la démesure. Il faut se laisser faire par lui (et par les autres parfois). Il faut se laisser faire par lui. Il prend les choses en main, il ne faut pas s'y opposer. Il nous dit : "Si quelqu'un veut te mener devant le juge pour prendre ta tunique, laisse aussi ton manteau" (Mt 5,40). C'est-à-dire si Dieu veut te prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau. Laisse-toi faire par lui (et parfois aussi par les autres).

Durant le temps de sa vie terrestre, le Seigneur Jésus a mis entre parenthèses sa toute-puissance. Il a laissé sa toute-puissance entre les mains du Père. Et il n'en fait usage que si le Père le veut bien. Il a toujours sa toute-puissance de Dieu, mais il a renoncé à en faire usage, sauf si le Père le veut, sauf si le Père le permet. C'est pour cela qu'avant de se servir de sa toute-puissance pour guérir le sourd-muet, il lève les yeux vers le ciel, vers le Père invisible.

Le Seigneur Jésus est le Dieu que les chrétiens prient tous les jours. Ce Dieu a gémi dans un berceau, il a grandi dans un milieu modeste. Adolescent et jeune adulte, il a travaillé de ses mains. Durant tout le temps de son incarnation, il a mis sa toute-puissance entre parenthèses. Mais il l'utilise de temps en temps, selon la volonté du Père. Pour vivre parmi les hommes, la deuxième personne de la Trinité a interrompu son existence auprès de Dieu. Mais sa communion avec Dieu n'a pas cessé pour autant. Il dit : "Le Père est en moi, et moi, je suis dans le Père" (Jn 10,38).

L'un des buts de la mission de Jésus a été de révéler à l'humanité que Dieu n'est pas une solitude éternelle, mais qu'il est une communion éternelle. Et Dieu a créé l'homme à son image : l'homme est un être de communion, communion avec les autres humains et communion avec Dieu, communion dès ici-bas. Et le mystère de l'humanité, le mystère de l'homme, c'est qu'il s'accomplit par la communion avec Dieu et avec son prochain, une communion dans l'amour.

L'Ancien Testament, l'ancienne Alliance, qu'on ferait mieux peut-être, avec plus de raison, d'appeler l'Alliance temporelle, cette Alliance ancienne contient en elle la promesse d'être un jour éternelle. Le Seigneur Jésus n'est rien d'autre (si l'on peut dire) que le sommet de l'histoire de Dieu avec sa création. (Avec Jean Delumeau, Xavier Léon-Dufour, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

6 septembre 2015 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 7,31-37

Jésus et les siens font une longue marche qui doit les conduire de la côte méditerranéenne au lac de Galilée. On est dans le nord de la  Palestine. Jésus et les apôtres arrivent dans un village au crépuscule. Ils s'arrêtent à la première maison. La maîtresse de maison, qui ne les connaît pas, leur fait bon accueil : "D'où venez-vous ? Où allez-vous ? Et pourquoi ? C'est presque le soir. Arrêtez-vous dans ma maison. Ce n'est pas une maison de riches, mais c'est une maison de gens honnêtes. Quand mes fils reviendront avec les brebis, je pourrai vous donner du lait. Et mon homme vous accueillera volontiers. Il y a des disciples de Jésus de Galilée qui nous ont enseigné la miséricorde. On dit qu'il a fait beaucoup de miracles. Mais ici, il n'est jamais venu, peut-être parce que nous sommes à la limite de la Palestine. Mais pour la Pâque, nous voulons tous aller en Judée pour voir ce Jésus si c'est possible. Parce que nous avons des malades. Ses disciples en ont guéri quelques-uns, mais pas tous. Entre autres, il y a un jeune homme qu'ils n'ont pas guéri : c'est le fils d'un frère de la femme de mon beau-frère". Jésus : "Qu'est-ce qu'il a ?" La femme : "Il ne parle pas, il n'entend pas. Il est né comme ça. Mais il est bon, comme s'il n'était pas possédé. On dit que, pour lui, il fallait Jésus de Nazareth, parce qu'il doit y avoir quelque chose qui lui manque".

Arrivent alors le maître de maison avec les enfants. La maîtresse donne des ordres pour le repas et pour qu’on prépare des lits dans les chambres du haut. Jésus : "Ne te fatigue pas. Nous serons bien n'importe où. Est-ce que je pourrais voir le jeune homme dont tu me parlais ?" La femme : "Oui, mais ! Tu es peut-être le Nazaréen ?" - "C'est moi". La femme s'écroule aux pieds de Jésus. Elle appelle tous les siens : "Le Messie est chez nous". Jésus : "Sois bonne, n'en parle à personne. Va plutôt chercher le sourd-muet". Et vite on va chercher le jeune sourd-muet ; il arrive avec ses parents et au moins la moitié du village.

Jésus le prend par la main, il l'attire tout près de lui, il lui touche les oreilles et les lèvres. Puis il lève les yeux vers le ciel et il crie à haute voix : "Ouvre-vous !" Le jeune homme regarde Jésus un moment. Et le visage du sourd-muet, qui était apathique, se met à sourire. Il porte les mains à ses oreilles, il les presse, il les écarte, il se convainc qu'il entend vraiment et il ouvre la bouche en disant : "Maman ! J'entends !"

Pour la petite foule qui est là, c'est l'enthousiasme. Mais on se demande aussi : "Comment peut-il savoir parler puisqu'il n'a jamais entendu une parole ?" C'est un miracle dans le miracle. Il lui a délié la langue, il lui a ouvert les oreilles et, en même temps, il lui a appris à parler. "Vive Jésus de Nazareth. Hosanna au Saint de Dieu, au Messie !" Et Jésus leur dit : "Retournez chez vous. Soyez bons et honnêtes. Croyez à la parole de l’Évangile... Ma paix soit avec vous".

Le Seigneur Jésus voit en tout homme quelqu'un à sauver. Et tous les autres points de vue lui sont subordonnés. Jésus opère des miracles. Aujourd'hui l’Église observe toujours une attitude réservée envers les miracles, comme envers les apparitions. Parce le miracle fondamental, c'est la crucifixion de Jésus. Et une lumière intérieure nous dit que la crucifixion de Jésus est déjà la résurrection.

Nous vivons une période où certains croient que Dieu est un danger pour l'homme, entre autres parce que Dieu est une illusion. Comment faire et que dire pour montrer au contraire que Dieu est une chance pour l'homme ? Nous sommes invités à le faire du mieux que nous le pouvons, en balbutiant. Dieu est crédible, il nous révèle véritablement ce que nous sommes appelés à être. Dieu est digne de foi. Celui qui ne croit pas fait un acte de foi à l'envers. Mais c'est une croyance qui s'arrête à notre court horizon.

Est-il possible de fonder sa vie sur Dieu ? Qu'est-ce qui rend la foi possible et désirable d'un point de vue humain ? Dieu nous propose un chemin de vie et de vérité, est-ce crédible ? Est-ce qu'on peut s'engager là en toute confiance ? C'est pourquoi il est important et nécessaire de chercher à comprendre ce que l'on croit. C'est pourquoi aussi il faut que la foi traverse l'épreuve de la pensée incroyante qui tient souvent que Dieu est impensable et la foi inintelligible. Est-ce que la foi est capable de nous conduire vers une vie authentiquement humaine ? Une foi qui déshumanise devient une foi essentiellement impossible. La foi authentique au contraire s'accorde avec les aspirations humaines les plus profondes;

La créature que Dieu appelle à l'existence est par elle-même caduque, elle porte donc en elle la nostalgie de la source l'être, de Dieu. Cette nostalgie de Dieu est un attachement amoureux à Dieu, elle est prière, adoration, action de grâce et demande. La créature est capable de se retourner personnellement, dans l'amour, vers son origine qui est aussi son but final. (Avec Dimitri Doudko, Adolphe Gesché, P. Vadeboncœur, Joseph Moingt, AvS, HUvB).

 

5 septembre 2010 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 14, 25-33

Qui peut être disciple du Christ ? "De grandes foules faisaient route avec Jésus". Qui peut être disciple du Christ ? Tous sont appelés. Règle de base : renoncer à sa famille et à son métier, porter la croix. Où va-t-on ? Faut réfléchir, dit Jésus... Faut réfléchir avant de bâtir sa maison. "De grandes foules faisaient route avec Jésus". Jésus devait être bien conscient de la difficulté de ce qu'il demandait. Renoncer à sa famille et à son métier : Jésus ne demande pas à tout le monde d'entrer dans les ordres comme on dit. Tout le monde, quel que soit son état de vie peut se faire disciple du Christ. Pour tout le monde viendra le jour de quitter sa famille et tout ce qu'on aime ici-bas pour entrer tout à fait dans le royaume du Christ. Si ce n'est pas maintenant, ce sera à l'heure de notre mort, comme nous le disons dans le Je vous salue Marie.

Il y a dans la vie un moment où il faut choisir. Ce n'est pas un jeu de hasard. Si on est croyant, il faut choisir devant Dieu, dans la prière. Qu'est-ce que Dieu me demande, ici et maintenant ? Le mariage ? La sacerdoce ? L'état religieux ? Il faut regarder du côté de Dieu. Où Dieu veut-il que je sois ? Ce que Dieu veut pour tout le monde, c'est que chacun soit avec le Seigneur Jésus partout où il va. Avec une sainte de notre temps nous pouvons prier Dieu qu'il nous ouvre les yeux, pour qu'en tout ce qu'il nous indique, même le plus insignifiant, nous le voyions, lui, et que nous nous donnions à lui de telle sorte que chaque jour nous devenions plus capables de faire sa volonté et de connaître, par son Fils, toute la puissance de Dieu Trinité.

Frère Roger, de Taizé, avait au cœur la certitude que le Christ a laissé une mission à son Église, la certitude que Dieu ne cesse de s'intéresser à tout homme... A tout instant, Dieu peut faire irruption dans nos vies comme dans la vie de l’Église si nous faisons nôtres les paroles du psalmiste : "Aujourd'hui ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur". Et que dit cette voix du Seigneur ? Elle nous dit : "Dieu nous a aimés le premier et il a déposé au plus profond de nous un désir d'éternité..., le désir de nous entretenir avec lui comme un ami parle avec son ami"... Parler avec Dieu comme un ami parle avec son ami : l’Écriture nous dit que c'est ce que faisait Moïse : "Il parlait avec Dieu face à face, comme un ami parle avec son ami".

Alors pourquoi Jésus parle-t-il de porter une croix pour marcher derrière lui ? Saint Paul en donne une raison quand il dit : "Ce qui manque aux détresses du Christ (ce qui manque à la croix du Christ), je l'achève dans ma chair en faveur de son corps qui est l’Église" (Col 1, 24). Qu'est-ce qu'il veut dire, saint Paul ? Il n'y a rien à ajouter à la Passion du Christ (à la croix du Christ), mais il faut acheminer la grâce qu'elle contient jusqu'au cœur des hommes... Pour saint Paul, pour l’Église, c'est un ministère de compassion que de porter la croix à la suite du Christ.

Jésus parle de croix à porter, mais où est la joie dans tout ça ? Est-ce qu'il y a une joie seulement ? La joie, c'est le fruit indubitable de notre perception de la présence de Dieu. Si l'on sait que Dieu existe, on ne peut pas ne pas se réjouir. Ce n'est qu'en référence à la joie que la crainte de Dieu, le repentir, l'humilité, la croix sont justes, authentiques et féconds.

De grandes foules suivaient Jésus. Jésus se retourne et leur tient un petit discours plutôt rafraîchissant. Dieu n'est jamais plus proche de nous que dans l'humilité, que dans la pauvreté qui s'abandonne à lui, que dans le refus de toute tentative pour s'emparer de lui et se l'annexer. (Avec Marcel Domergue, Frère Roger, Alexandre Schmemann, Joseph-Marie Verlinde, AvS, HUvB). 

 

8 septembre 2013 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 14,25-33

Père et mère, femme et mari, enfants, frères et sœurs : aimez-les en Dieu et pour Dieu. C'est-à-dire ne les faites jamais passer après Dieu. Occupez-vous à les amener à Dieu vérité. C'est ainsi que vous pourrez concilier les deux amours : l’amour de Dieu et l'amour de vos proches.

Et puis votre vie : vous devez aussi savoir y renoncer, c'est-à-dire savoir renoncer à certains plaisirs pour donner plus d'attention à la vie de l'esprit, c'est-à-dire finalement à votre vie de relation avec Dieu. Par exemple, pour aller à la messe le dimanche, on renonce à certaines choses. Il y a un tas de choses agréables qu'on pourrait faire le dimanche matin à 11 heures ! Aimer, c'est aussi donner de son temps.

Et puis dans notre évangile d'aujourd'hui il arrive que des disciples de rabbins s'approchent de Jésus pour lui dire qu'ils voudraient devenir ses disciples à lui, Jésus : "Nous sommes venus parce que nous voulons nous unir à tes disciples". Alors Jésus leur dit : Réfléchissez bien ! Avant de commencer une nouvelle vie, commencez par vous asseoir. Faites comme l'homme qui veut bâtir une tour, faites comme le roi qui veut faire la guerre : est-ce qu'ils ont de quoi aller jusqu'au bout de leur projet avec quelque chance de succès ? Vous voulez devenir mes disciples ! Suivre Jésus, c'est aller contre l'entraînement du monde, c'est aller contre Satan. Et donc être prêt à porter la croix.

Toute la vie humaine du Seigneur Jésus n'a qu'un sens : nous familiariser avec le ciel, nous faire voir et nous donner le monde de Dieu selon notre mesure humaine et selon notre compréhension humaine.

Deux fois, le Seigneur Jésus a quitté sa vie pour se mettre à notre service dans l'amour. D'abord en quittant le ciel, en quittant le Père, pour devenir homme. (On ne comprendra jamais l'abaissement et l'appauvrissement que cela représente). Et le Seigneur Jésus a quitté une deuxième fois sa vie quand il a quitté sa vie terrestre par la mort. En se dépouillant ainsi deux fois, il a montré ce dont l'amour était capable. Il a aussi montré que l'amour était réduit à un mot sans contenu s'il ne peut aller jusqu'à donner sa vie, ou du moins quelque chose de sa vie, pour se réaliser.

Tout chrétien est marqué du signe de la croix, tout chrétien porte la croix, mais il porte aussi la puissance de l'Esprit Saint. Les paroles de l'évangile d'aujourd'hui placent l'axe de l'être humain en Dieu. Quand saint Paul dit que, pour lui, vivre c'est le Christ, il veut dire que le Christ est l'horizon permanent de son existence. Saint Paul revient sans cesse par la pensée à l'événement capital qui a transformé sa vie sur la route de Damas.

Voilà une femme médecin dont la profession est de soigner les psychismes malades, elle s'en trouve épuisée. Et le Père Carré, dominicain, qui fut aussi membre de l'Académie française, disait à cette femme : "Donner de la lumière aux autres en acceptant que peu vous en soit laissé". Et le Père Carré ajoute : "C'est l'expérience de beaucoup de saints tout au long des âges : ils ont répandu de la lumière autour d’eux, mais eux-mêmes en étaient comme privés". Tout près de nous (si on peut dire), ce fut l'expérience de Mère Teresa.

Jésus parle de porter la croix. C'est quoi porter la croix ? Il se peut que je doive sacrifier mes priorités personnelles à celles de ma communauté. Dans la famille, c'est la même chose. Dans l’Église, c'est la même chose.

Je vous cite un homme qui est presque de notre temps, dans l'un de ses romans. Cet homme est plus ou moins philosophe et très peu chrétien, mais il aurait pu le devenir. Et voici ce qu'il fait dire à l'un des personnages de son roman : "Moi, moi, moi, voilà le refrain de ma chère vie et qui s'entendait dans tout ce que je disais. Je n'ai jamais pu parler qu'en me vantant, surtout si je le faisais avec cette fracassante discrétion dont j'avais le secret... Quand je m'occupais d'autrui, je montais d'un degré dans l'amour que je me portais". Et l'auteur, tout à fait chrétien, lui, qui cite cette belle page sur le "moi, moi,moi", commente comme ceci : "C'est admirable d’humour noir... Je ne voudrais pas me vanter, je vous dis cela entre nous, ce n'est pas que je sois meilleur qu'un autre mais quand même... Moi, moi, moi, c'est cela le péché".

L'image la plus répandue par le christianisme est celle d'un supplicié cloué à une croix : Dieu n'est pas celui qui tue, mais celui que la haine a tué.

Au pied de la croix se tenait la Mère de Jésus. On n'entend pas un mot de Marie, elle nous montre le chemin : rester ouvert à Dieu jusqu'au tréfonds de soi-même. (Avec Paul Evdokimov, Jacques Guillet, Ambroise-Marie Carré, Timothy Radcliffe, Albert Camus, François Varillon, Jean-Claude Barreau, AvS, HUvB).
 

4 septembre 2016 - 23e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 14,25-33

Voilà des paroles dures de Jésus. Et on les trouve justement dans cet évangile de saint Luc qui est l'évangéliste de la miséricorde : c’est lui qui nous a gardé la parabole de la brebis perdue que le berger ramène sur ses épaules, et aussi la parabole du fils prodigue qui, après son escapade, est accueilli à bras ouverts par son père. Ce que ces paroles dures de Jésus dans l'évangile d'aujourd'hui veulent nous dire, c'est qu'il n'y a pas de grâce à bon marché, comme le disait le théologien allemand, Dietrich Bonhoeffer, tué par les nazis vers la fin de la guerre 39-45 parce qu'il s'était opposé au régime d'Hitler.

La grâce à bon marché, c'est la prédication du pardon sans repentance, c'est le baptême sans vie chrétienne sérieuse, c'est l'absolution sans confession personnelle. La grâce à bon marché, c'est la grâce sans la croix. La grâce qui coûte, c'est le trésor caché dans le champ ; à cause de ce trésor, l'homme s'en va vendre tout ce qu'il a. La grâce qui coûte, c'est l’Évangile qu'on n'a jamais fini de scruter et d'intégrer dans notre vie. Cette grâce coûte parce qu'elle condamne le péché. Elle est grâce parce qu'elle pardonne au pécheur. La grâce coûte cher parce qu'elle a coûté cher à Dieu, parce qu'elle a coûté à Dieu la vie de son Fils. Ce qui a coûté cher à Dieu ne peut pas être bon marché pour nous.

L'une des sentences les plus célèbres de la Règle de saint Benoît, qui est en usage dans tous les monastères bénédictins du monde, dit ceci : "Ne rien préférer à l'amour du Christ". Ce n'est pas réservé à ceux qui deviennent religieux ou religieuses ou moines. Notre évangile nous dit que c'est valable pour tous ceux qui veulent devenir et rester chrétiens : "Ne rien préférer à l'amour du Christ". Mais qu'est-ce que ça veut dire concrètement pour nous ?

Cela veut dire, par exemple, qu'il n'est pas permis de mettre en question la volonté de Dieu quand elle a été reconnue. Cela veut dire, par exemple, accepter à l'avance la mort que Dieu nous accordera, accepter à l'avance que c'est Dieu qui décide la manière dont il veut rencontrer le mourant. "Ne rien préférer à l'amour du Christ", c'est dire par exemple dans sa prière, comme uns sainte de notre temps : "Bénis, Seigneur, tous ceux que j'aime, et bénis aussi ceux que je ne peux pas supporter".

"Ne rien préférer à l'amour du Christ", c'est, quand on vit à plusieurs, oublier d'avoir un goût et laisser les choses à la place que les autres leur donnent. Si nous nous habituons à livrer ainsi notre volonté à ces choses minuscules, on ne trouvera pas plus difficile de faire la volonté de notre chef de service, de notre mari, de notre épouse ou de nos parents. Et nous espérons bien que la mort même sera facile. Elle ne sera pas une grande chose, mais une suite de petites souffrances ordinaires consenties l'une après l'autre.

La femme qui attend un bébé sait très bien que sa grossesse est un renoncement à beaucoup de choses, que l'éducation des son enfant sera parfois ressentie comme une petite mort. Et si nous sommes croyants, nous savons que cette mort partielle est un passage vers la vie du Christ, un triomphe sur l'égoïsme sous toutes ses formes, quelque chose comme une résurrection.

Pour ne rien préférer à l'amour du Christ, encore faut-il être croyant. Il y a des gens qui pensent que tout finit au néant. Pour eux, après la mort, il n'y a plus rien : le corps se dissout en particules élémentaires. Ceux qui imaginent une vie bienheureuse après la mort l'inventeraient à cause de la peur qu'ils ont de sombrer dans le néant. Mais il est possible de leur retourner la politesse, nous dit le philosophe chrétien contemporain : pourquoi ce néant qu'ils envisagent ne serait-il pas inventé par la peur qu'ils ont devant une autre mort plus exigeante, la peur de devoir se présenter devant Celui qui me scrute et me connaît et sans qui je ne suis rien ?

"Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple", nous dit Jésus aujourd'hui. Et le philosophe chrétien commente avec un sourire : "La porte du paradis est étroite. Si d'y entrer est difficile, c'est parce qu'il est non pas trop fermé, mais trop ouvert : la vertueuse y est confrontée à la possibilité de vivre éternellement avec la femme de petite vertu mais repentie, le propre sur lui devra vivre éternellement avec le pouilleux, le supporter de Marseille avec celui du PSG, le chrétien avec l'athée qui le persécute. Nous voudrions un club privé et voici l'auberge qui accueille le tout-venant. Nous voudrions un mariage sélect, et voici des noces ouvertes à tous les déchets des places et des rues, pauvres, estropiés, aveugles et boiteux (Lc 14,21).

Le philosophe païen des temps anciens ne connaissait pas encore la parole du Seigneur Jésus sur la croix à porter, mais il savait déjà qu'en toute vie humaine il y a des croix. Il disait : "Si tu te maries, tu le regretteras, et si tu ne te maries pas, tu le regretteras aussi". Et l'historien contemporain qui rapporte ce mot de Socrate commente : "Vu du célibat, le mariage peut sembler un paradis. Le prêtre, s'il écoute ses fidèles, sait qu'il peut être aussi un enfer".

Dans le plan du salut de Dieu, c'est le Fils, le Seigneur Jésus, qui aura à souffrir pour que ce monde, même coupable, puisse finalement être estimé comme très bon. C'est lui, le Seigneur Jésus, qui aura à en porter le poids comme un géant Atlas spirituel. Alors il ne suffit pas de supposer que le Fils acquiesce à la proposition du Père de mourir sur la croix, il faut admettre que c'est lui, le Fils, qui à l'origine s'offre au Père pour sauver de cette manière l’œuvre de la création. Et cette proposition du Fils atteint le cœur du Père, humainement parlant, plus profondément même que le péché du monde ne pourra jamais l'atteindre ; cette proposition du Fils de mourir sur la croix ouvre en Dieu une blessure d'amour dès avant la création. (Avec Dietrich Bonhoeffer, Madeleine Delbrel, François Varillon, Fabrice Hadjadj, Socrate, Alain Besançon, AvS, HUvB).

 

11 septembre 2011 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 18,21-35

C'est encore une fois saint Pierre qu'on entend parler aujourd'hui. "Combien de fois dois-je pardonner ?" Vous avez déjà eu l'occasion de pardonner ? Y a-t-il quelqu'un qui n'a jamais eu l'occasion de pardonner ? En famille, dans le couple, au travail, et même aussi dans la détente ? Chaque fois qu'on est en contact avec les autres, il est impossible qu'on ne se blesse pas mutuellement d'une manière ou d'une autre, un peu ou beaucoup, gentiment d'une certaine manière ou brutalement, d'une manière courtoise apparemment ou d'une manière sournoise, en étant conscient de ce qu’on a fait ou non. Et le pardon, comment peut-on le donner ? Parfois avec des paroles, parfois aussi sans paroles ; on ne garde pas rancune, mais l'expérience nous invite à la prudence avec tel ou tel.

Jésus n'a pas été faire du porte à porte chez tous les chefs religieux de son peuple avec lesquels des mots durs avaient été échangés. Sur la croix, il a porté le péché de tous, y compris les nôtres. Dans le pardon aussi, il y a quelque chose comme ça. Pardonner, c'est porter aussi d'une certaine manière le péché de l'autre. Mais on peut aussi offenser les autres sans s'en rendre compte, surtout quand les autres ne réagissent pas. Il est parfois très difficile de pardonner. Et on entend alors des réflexions comme celles-ci : "Je pardonne, mais je n'oublie pas". Cela peut se comprendre comme quelque chose de normal. Une blessure est une blessure. Même si l'on pardonne, la blessure est toujours là. Et si la plaie se referme un jour, il y aura toujours la cicatrice. Tout le monde pourrait raconter des histoires de blessures reçues... et sans doute aussi de pardon. C'est curieux que Jésus ait mis dans le Notre Père cette demande : "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés". C'était sans doute important pour lui... et pour nous. Jésus nous dit ailleurs une bonne manière de faire pour pardonner : c'est de prier pour ceux qui nous ont offensés. Et comment prier pour eux? Que Dieu les bénisse. Qu'il leur fasse du bien à sa manière. On n'a pas besoin de savoir comment.

Il y a quelque temps, je lisais le livre d'un consultant en politique. Son travail consistait à rédiger les discours d'un député européen. Et notre consultant devait rédiger un discours sur les urnes funéraires. "Vaste programme !" Avec ce programme, notre consultant a trouvé l'occasion de faire tout un livre et aussi de trouver un éditeur. Et on ne sait pas par quel hasard notre consultant a trouvé le moyen d'insérer la petite phrase d'un garçon qui s'adresse à son papa en train de se doucher. Sablier en main, le garçon tambourine à la porte de la salle de bain en disant bien fort : "Papa, la maîtresse a dit que tu gaspillais mon eau en te douchant plus de trois minutes". Voilà donc le papa avec sur les bras deux pardons à accorder : et à son petit garçon et à la maîtresse. Comment va-t-il se débrouiller ?

Dans sa lettre à son gendre agnostique, un protestant contemporain essaie de lui expliquer toutes les raisons qu'il y a de croire à la révélation chrétienne qui nous vient du Seigneur Jésus. Et quelque part, dans ce petit livre, le beau-père en question donne un petit conseil à son gendre. Voici ce qu'il dit : "Le matin, avant d'aller au travail, tu prends quinze minutes pour lire un texte et déposer ta journée - ton travail, tes rendez-vous, tes rencontres - dans la prière, et confier à la grâce de Dieu ceux que tu aimes. Le soir, avant de t'endormir, tu relis ta journée, tu rends grâce pour ce qu'elle a eu de beau, tu demandes pardon pour ce qui a été raté et tu remets ce qui te fait souci". Voilà donc ce que le beau-père conseille à son gendre agnostique. Entre autres choses aussi : demander pardon... à Dieu, bien sûr. Il est partout le besoin de pardon. Même pour le gendre agnostique, c'est utile. Le beau-père disait : au début de la journée confier à la grâce de Dieu ceux que tu aimes. A la fin de la journée, il pourrait dire : recommander à Dieu tous ceux qui t'ont blessé et tous ceux que tu as blessés. Pourquoi ? Parce qu'il est évident que celui que je recommande à Dieu ressentira d'une manière ou d'une autre les effets de la prière.

Ces histoires de pardon à donner et à recevoir nous invitent à la modestie ; on devrait essayer de vivre une vie de chrétien dans une attitude confession. Pourquoi ? C'est le cardinal Lustiger qui disait cela. "Parce que nous ne sommes jamais sûrs que la parole que nous partageons quand nous voulons accueillir la Parole du Christ, ce n'est pas nous qui l'inventons... Nous ne sommes jamais sûrs, quand nous nous rassemblons pour célébrer l'eucharistie, que ce n'est pas notre seule ferveur que nous célébrons. Nous ne sommes jamais sûrs que, prétendant vivre la fraternité, nous n'avons pas exclu quelqu'un. Nous ne sommes jamais sûrs que, lorsque nous donnons la paix, ce n'est pas une paix qui est déjà une guerre pour un autre".

Revenir à un petit mot de notre première lecture d'aujourd'hui, deux cents ans avant le Christ peut-être : "Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers le prochain, pense à l'alliance du Très-Haut, et oublie l'erreur de ton prochain". (Avec Franck Damour, André Nouis, Cardinal Lustiger, AvS).

 

13 septembre 2009 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 8, 27-35

On peut distinguer trois parties dans cet évangile. 1. Qui suis-je ? demande Jésus. Le Messie. 2. Jésus explique que le Messie devra beaucoup souffrir. 3. Tous ceux qui suivent Jésus doivent aussi porter la croix.

Les apôtres accompagnent Jésus depuis deux ans peut-être. Ils ont vu et entendu beaucoup de choses. Que pensez-vous de tout cela ? Que disent les gens de tout cela ? Et vous-mêmes qu'en pensez-vous ? A votre avis, qui suis-je ? Qui est Jésus ? Un homme de Dieu, c'est sûr. Un prophète, et un grand. Et saint Pierre va plus loin, au nom de tous les autres sans doute : "Tu es plus qu'un prophète, tu es le Messie". C'est quoi le Messie ? C'est un envoyé spécial de Dieu, que Dieu a promis depuis longtemps d'envoyer à son peuple. Un envoyé spécial chargé d'une mission spéciale. Plus grand que tous les prophètes anciens, un roi aussi, un prêtre peut-être. Et depuis des siècles, on attendait ce Messie. Et en Israël, toutes les femmes qui attendaient un enfant se disaient : c'est peut-être le Messie que je porte.

Qui suis-je à vos yeux ? demande Jésus. Pierre répond pour tous : "Tu es le Messie". Jésus ne dit pas ici à Pierre qu'il a vu juste, mais il lui dit de ne le dire à personne pour le moment. Mais aussitôt Jésus prend les siens à rebrousse-poil. Tout le monde avait en tête que le Messie, ce serait quelqu'un de glorieux, marchant sans doute de victoire en victoire, pour la cause de Dieu, bien sûr. Mais Jésus annonce juste le contraire : le Messie devra beaucoup souffrir et, pour finir, il sera mis à mort. Jésus a beau dire que le Messie va aussi ressusciter, les apôtres ne retiennent qu'une chose : c'est le sort terrible qui attend le Messie d’après Jésus. Pour les apôtres, à ce moment-là ; ressusciter, ça n'a pas de sens, ça ne veut rien dire.

Alors saint Pierre se croit obligé de remettre Jésus sur les bons rails : le Messie, ce n'est pas ça du tout. Le Messie, c'est quelqu'un de glorieux, qui va à la conquête du monde au nom de Dieu. Et nous, nous serons avec toi, glorieux, à la conquête du monde. C'est évident. Et c'est à ce moment-là que saint Pierre va se faire traiter de Satan par Jésus : "Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes, celles du diable". Jésus est vulnérable, on peut l'atteindre, on peut le blesser à mort. Mais il est plus que jamais lui-même quand il est prisonnier et agonisant. Jamais il n'est autant ouvert au monde entier que le jour où il meurt, rejeté par tous.

Saint Pierre veut remettre Jésus sur le droit chemin, et il se fait traiter de Satan. Il y a tout un art de passer à côté de Dieu tout en pensant bien le servir. Ceux qui condamnent Jésus à mort pensaient bien, eux aussi, servir la cause de Dieu. Mais le Dieu que le Seigneur Jésus apporte au monde est tout différent. Les grands-prêtres exigent la mort de Jésus. Ce qu'ils ne comprennent pas doit disparaître. "Je ne reconnais que les mesures du Dieu que je porte en moi. Si Dieu avait envoyé le Messie, je l'aurais reconnu aussitôt. Je connais si bien mon Dieu que je le reconnais en toutes ses formes. Si celui qui est là était le Fils de Dieu, je l'aurais sûrement reconnu comme tel". La tentation ne nous invite pas directement au mal, ce serait trop grossier. C'est vrai pour saint Pierre qui veut remettre Jésus dans le droit chemin, c'est vrai pour les grands-prêtres qui condamnent Jésus à mort, c'est vrai aussi pour nous peut-être un jour ou l'autre.

Pour Jésus donc, le Messie devra souffrir. Et Jésus ajoute que tous ceux qui le suivent devront aussi porter un peu de sa croix. Dans notre monde blessé, s'offrir implique de s'ouvrir et s'ouvrir implique de souffrir, c'est-à-dire de porter sa croix. Mais le sens de la Passion de Jésus n'est pas la souffrance pour elle-même. Celui qu'on appelle le bon larron, le bandit converti sur une croix in extremis, on ne lui promet pas la souffrance éternelle, on lui promet le paradis, pour ne pas dire la résurrection.

Un membre de l'Académie française (encore un), qui ne sait plus très bien où il en est de la foi chrétienne de son enfance, a écrit un livre en dialogue avec un journaliste, et il l'a intitulé : "Libertin et chrétien". Et il est curieux de voir que ce libertin, qui n'est plus très chrétien, réfléchit au rôle de la foi chrétienne face à la souffrance du monde. Il dit ceci : "Qu'on le veuille ou non, la souffrance fait partie de la condition humaine. Et le christianisme est venu justement lui donner un sens... L’Église existe pour aider la communauté humaine à traverser cette vallée de larmes qui est trop souvent, hélas, le lot de notre vie : douleur de la naissance, angoisse existentielle, crainte de la mort. Nous souffrons d'abord pour nous-mêmes. Mais on peut souffrir aussi quand on voit le mal : J'ai mal chez les autres".

Jésus parle du Messie qui doit souffrir. Pierre ne peut pas comprendre. Dieu ne lui demande pas son avis. Et nous, nous acceptons tranquillement, et peut-être sans amour, que Jésus porte nos péchés. C'est pourquoi Dieu ne demande pas aux pécheurs leur accord au sujet de l'événement du calvaire. (Avec Jacques Guillet, Fabrice Hadjadj, Jean-Marie Rouart, AvS, HUvB).

 

16 septembre 2012 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 8,27-35

Il y a un certain nombre d'années, l'Institut Catholique de Paris avait envoyé à un certain nombre de chrétiens de France un questionnaire. Ces chrétiens étaient tous des hommes connus, célèbres dans leur spécialité : écrivains, professeurs, journalistes, scientifiques, politiques, médecins, militaires, diplomates... Et la question essentielle qui leur était posée était celle-ci : "Vous êtes chrétien. Vous croyez en Jésus-Christ. Pourquoi ? Qui est Jésus-Christ pour vous ?" On avait suggéré à tous ces gens célèbres de répondre en trois pages. Certains n'ont pas répondu, certains ont écrit dix lignes, d'autres dix pages. Cela fait une moyenne. Je raconte souvent cela lors de la célébration d'un baptême. Et j'ajoute : Qui est Jésus-Christ pour vous ? C'est une bonne question à poser un jour de baptême. Vous pourriez tous venir à tout de rôle ici au micro pour répondre à la question. Je suis chrétien ou je ne suis pas croyant. Si je suis chrétien, je crois en Jésus-Christ. Pourquoi ? Qui est Jésus-Christ pour moi ? Et après cela, on pourrait en discuter jusqu'à minuit.

Jésus pose donc un jour la question à ses disciples : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ?" Là, la réponse est facile. Jésus faisait beaucoup de miracles. Et les gens disaient : ce Jésus est un homme de Dieu, un ami de Dieu, sinon il ne pourrait pas faire tous ces miracles. Un homme de Dieu, un ami de Dieu, donc un prophète dans la tradition du peuple juif, dans le langage du peuple juif. Un prophète comme les grands prophètes des temps anciens, le prophète Élie par exemple qui lui aussi faisait des miracles. Arrive alors la question plus personnelle de Jésus à ses disciples : "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?" C'est saint Pierre qui prend la parole pour tous, comme souvent : "Nous, nous croyons que tu es le Messie".

C'est quoi le Messie ? Depuis des siècles, des hommes de Dieu, des prophètes, annonçaient de la part de Dieu la venue d'un super-envoyé de Dieu, un homme béni de Dieu plus que tous les autres, le Messie. Ce serait un roi, un prêtre ou un prophète, on ne savait pas trop. Mais à l'époque de Jésus, on imaginait le Messie comme un roi très puissant, qui referait du peuple élu un royaume indépendant, donc un roi qui chasserait de la Palestine avec ses troupes les occupants romains, ces païens abominables.

Pierre répond à Jésus : "Pour nous, tes disciples, tu es le Messie". Et Jésus répond aussitôt à tous : "N'en dites rien à personne". Et alors Jésus explique ce qui va lui arriver : il va être arrêté, il va souffrir, on va le tuer. Et puis il va ressusciter. Mais qu'est-ce que ça veut dire : ressusciter ? Ce n'est pas comme ça le Messie pour les disciples. Ils n'y comprennent rien. Et puis "ressusciter" : qu'est-ce que ça veut dire ?

Les évangiles sont nés de la conviction que Dieu a ressuscité Jésus d'entre les morts, et que Jésus vit dans son Église à travers tous les temps. Pour les évangélistes, le Jésus d'avant Pâques n'acquiert sa vraie stature, ses vraies dimensions, qu'en étant relu à la lumière du Christ d'après Pâques. C'est toujours le même Jésus, mais dans sa condition plénière de Ressuscité. La véritable réalité de Jésus est désormais sa condition de Seigneur ressuscité... Pour vous qui suis-je ? Le Seigneur ressuscité.

Jésus ressuscité n'est pas apparu à tout le monde. Surtout pas à ceux qui l'ont livré à la mort. Jésus ressuscité ne s'est manifesté comme vivant après sa mort qu'à ses disciples qui étaient ouverts à la foi. Dieu ne se manifeste pas à ceux qui nient le miracle.

Et pourquoi le Messie devait-il être rejeté par les chefs religieux du peuple élu ? Et pourquoi devait-il souffrir et être mis à mort ? Jésus ne dit pas maintenant le pourquoi. Mais les croyants juifs de tous les temps peuvent déjà le deviner un peu, même s'ils ne sont pas encore convertis au Seigneur Jésus, Messie et Fils de Dieu et Dieu. Il y a quelques siècles, un rabbi, un juif donc, avait été cloué pendant sept ans sur son lit de malade. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Les juifs eux-mêmes avaient découvert la réponse : il avait pris sur lui de souffrir pour expier les fautes d'Israël. C'est la communion des saints, encore une fois. C'est la réponse à la question : pourquoi fallait-il que le Messie souffre pour entrer dans la gloire ?

Essayer de se représenter ce que fut l'événement de Pâques pour les apôtres... Jésus vient d'être mis au tombeau. On vient d'enterrer quelqu'un que nous connaissions bien : cercueil et cimetière et tombe. On rentre chez soi, un peu abasourdi par ce qui est arrivé. Le surlendemain, l'enterré est au milieu de nous, il nous salue comme s'il revenait d'un voyage. Nous ne savons pas s'il faut rire ou pleurer. Cela paraît tellement impossible. Et puis il montre ses mains et ses pieds et son côté, comme on montrerait des souvenirs de voyage pour bien prouver qu'il a bien été là-bas, qu'il a réellement été au pays de l'ombre et de la mort, du froid et de la prison sans espoir dont on ne revient pas... C'est de là-bas qu'il revient. Il montre ses plaies comme des ouvertures sur ce qui fut... Le troisième jour, le sens du monde ressuscite. Jésus est le premier-né d'entre les morts, l'homme renaît de Dieu, nouveau et éternel. Au-delà de la mort, il commence sa vie immortelle. (Avec Mgr Léonard, Martin Buber, HUvB).

 

13 septembre 2015 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 8,27-35

Comme dimanche dernier, nous sommes dans le Nord de la Palestine, dans la région de Césarée de Philippe, après la guérison par Jésus du sourd-muet. Et Jésus pose à ses apôtres cette question insolite : Qu'est-ce que les gens disent de moi ? Vous, mes apôtres, vous connaissez les gens mieux que moi, vous êtes plus proches d'eux, ils n'ont pas peur de vous comme ils peuvent avoir peur de moi. Pour les gens, qui suis-je ?

Alors, là, c'est Barthélemy qui répond, Barthélemy qui est l'un  des plus âgés des apôtres : certains t'appellent prophète, d'autres t'appellent seulement rabbi, d'autres disent que tu est fou et possédé, un pauvre homme que Satan agite ou que bouleverse la folie. D'autres pensent que tu es l'un des grands prophètes des temps anciens qui serait revenu, Jérémie par exemple ou Élie, ou même Jean-Baptiste qui se disait le précurseur du Messie.

Pourquoi cette question de Jésus : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ?" Il veut faire réfléchir ses apôtres. Voilà ce que disent les gens. "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?" Alors, là, c'est Pierre qui répond pour tout le monde, Pierre qui s'agenouille devant Jésus : "Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant". Et Jésus se penche pour relever Pierre : "Dès la première heure que tu m'as vu, tu as cru et jamais ta foi n'a été ébranlée. C'est pour cela que je t'ai appelé Céphas, Céphas la pierre, et c'est pour cela que je bâtirai sur toi mon Église".

Et Jésus et les apôtres reprennent la route vers Césarée de Philippe. Jésus continue à parler aux siens : "Pierre a dit la vérité, beaucoup ont déjà l'intuition que je suis le Messie, mais pour le moment n'en parlez à personne. Laissez Dieu parler dans les cœurs comme il parle dans le vôtre". C'est ensuite la douche froide : Jésus annonce clairement sa Passion et sa mort. Pour les apôtres, ce n'est pas possible. Le Messie, c'est quelqu'un de fort, de glorieux, de conquérant, ce n'est pas possible qu'il soit vaincu.

Les apôtres sont enchantés d'avoir été choisis par Jésus pour l'accompagner, ils voient un  tas de miracles, ils voient toutes les foules qui viennent écouter Jésus. Ils sont sûrs que Jésus vient vraiment de Dieu, c'est l'enthousiasme. Et puis voilà que Jésus leur assène cette douche froide : on va le faire souffrir et on va le tuer. Ce n'est pas possible ! Il est toujours difficile de devoir continuer à vivre après avoir fait une haute expérience et de vivre sans elle. Tous les miracles de Jésus font apparaître sur son visage quelque chose de divin. Et voilà que Jésus leur annonce que ça va mal se terminer. Jésus ajoute bien un mot sur la résurrection, mais les apôtres ne retiennent que la mort. Les apôtres avaient la tête dans le ciel, et le Seigneur Jésus leur remet les pieds sur la terre. Ils avaient la tête pleine de projets et ils devront apprendre à ajuster leurs projets aux projets de Dieu sur Jésus, sur eux-mêmes et sur le monde.

Une femme de notre temps, une espèce de sainte, qui travaillait dans le social avec des sans-Dieu, ne voyait pas de miracles tous les jours, elle n'en voyait peut-être jamais, mais elle avait les pieds sur la terre et la tête dans le ciel. Elle écrivait : "Le chrétien est paisible parce qu'il attend de Dieu avec une confiance 'increvable' ce pour quoi il travaille de toutes ses forces et que ses forces ne peuvent réaliser. C'est à Dieu qu'il demande que sa volonté soit faite, c'est de Dieu qu'il attend que son règne arrive. La prière est pour lui l'énergie de l'action". Les apôtres rêvaient toujours d'un Messie triomphant, et Jésus leur prédit que ça ne va pas se passer comme ça, de succès en succès, de gloire en gloire. Le propre du vrai chef, c'est d'être exigeant autant pour lui que pour les autres. Jésus sera le premier à passer par le feu.

L'originalité du christianisme parmi toutes les religions du monde et parmi tous les athéismes du monde, c'est que Dieu se donne à voir dans la mort de Jésus, Dieu se donne à voir dans cet homme Jésus qui meurt sur une croix : c'est quelque chose d'unique et ça a quelque chose de provocateur. Le mystère de Dieu qui se fait homme est au cœur de la foi chrétienne. L'incarnation de Dieu est un renoncement inouï. Et on aurait pu imaginer ce Dieu devenu homme allant de succès en succès et de gloire en gloire. Et ça ne s'est pas passé comme ça : ce n'était pas le projet de Dieu. Et comment Marie, la Mère de Jésus, a vécu tous ces événements ? En tout cas, aujourd'hui, Marie est l'espérance de ceux qui n'ont pas d'espérance.

Pourquoi Jésus est-il mort sur une croix ? On ne va jamais comprendre, même si on sait bien que Jésus a racheté tous les hommes par son sacrifice. Mais en même temps les hommes ne bénéficient pas de la rédemption contre leur gré. La décision de croire est un acte personnel qui doit être constamment renouvelé. Tout être humain est responsable de son oui ou de son non. Il lui est possible de s’endurcir dans sa liberté jusqu'à suivre sans s'arrêter le chemin qu'il a choisi et qui le sépare de Dieu sans esprit de retour. Nous ne sommes pas sauvés contre notre volonté. Nous ressemblons à des noyés ou à des asphyxiés, mais on demande notre avis avant de nous faire reprendre vie. Nous sommes rachetés comme on sauve des êtres vivants qui acquiescent d'une manière consciente à leur salut. (Avec Madeleine Delbrel, François Varillon, Édouard Pousset, Olivier Clément, AvS, HUvB).

 

12 septembre 2010 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 15, 1-32

Les publicains et les pécheurs aimaient bien aller écouter Jésus. Ce n'était pas du goût des bien-pensants : les bien-pensants, c'est-à-dire en ce temps-là les pharisiens et les scribes. Alors Jésus leur raconte des petites histoires : il y en a trois aujourd'hui, je n'en ai lu que les deux premières parce que la troisième histoire, la parabole du fils prodigue et pardonné, nous l'avons déjà lue cette année, le quatrième dimanche de carême.

La première parabole d'aujourd'hui, c'est le berger qui passe beaucoup de temps pour aller chercher une seule brebis qui est perdue : une sur cent. La deuxième parabole, c'est la femme qui a perdu une grosse pièce d'argent (on n'avait sans doute pas encore inventé les billets de banque à cette époque-là) , donc la femme qui a perdu sa grosse pièce d'argent remue toute sa maison pour la retrouver : une sur dix qu’elle avait perdue. Quant au père de la troisième parabole, il n'avait perdu qu'un fils sur deux, si on peut dire.

Et Jésus conclut toutes ses histoires en disant qu'il y a beaucoup de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit. Pourquoi ? Parce que tant qu'un homme ne s'est pas converti, il est comme mort. "Mon fils était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et on l'a retrouvé". Le père reçoit son fils ingrat sans lui faire de reproches. Mais le fils ingrat va quand même lui dire les paroles du psaume qui a été lu tout à l'heure : "Pitié pour moi dans ton amour. Selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi de ma faute, purifie-moi de mon offense".

Le père de la parabole n'est que douceur et pardon pour son fils ingrat. Mais l’Écriture sait aussi nous parler de la colère de Dieu. Dimanche dernier, Jésus nous parlait de porter la croix pour être son disciple. Il faut tout retenir dans la Bible : et le pardon du père dans la parabole du fils ingrat, et la colère de Dieu qui veut châtier son peuple comme dans notre première lecture aujourd'hui.

C'est quoi la colère de Dieu ? C'est comme la colère d'une mère. La colère d'une mère est aussi au service de son amour. Du matin au soir, Dieu ne fait rien d'autre que pardonner : des choses grandes, moyennes et petites, toujours et partout. Mais il est évident qu'il y a quelque chose de douloureux dans le fait de pardonner. La preuve, c’est qu’il y a des gens qui ne peuvent pas le faire. Le secret de celui qui pardonne vraiment, c'est justement qu'il ne le montre pas à celui qui reçoit le pardon.

Le chrétien devrait mourir sans crainte. Mourir en claquant des dents, c'est en quelque sorte se replier sur soi-même, ce n'est pas chrétien. Le christianisme est espérance. On a tous le droit de mourir dans l'espérance... d'être bien reçu par Dieu. Même s'il n'y a pas beaucoup de bien dans le pécheur, Dieu reconnaît au moins en lui l'espérance. Et on doit laisser à Dieu le soin de nous purifier. Espérance et humilité sont très proches l'une de l'autre. Nous croyons que le Christ est présent en quiconque cherche la vérité. La philosophe Simone Weil disait : "Même si quelqu'un courait le plus vite possible pour s'éloigner du Christ, s'il va vers ce qu'il croit être vrai, c'est en fait dans les bras du Christ qu'il se jette".

Jésus avait toujours des problèmes avec les scribes et les pharisiens, les bien-pensants de l'époque. Le père du cardinal Danneels était instituteur dans un village de Flandre occidentale, en Belgique. Et plus d'une fois il a eu des histoires avec le curé. Par exemple, le père du futur cardinal n'avait pas voulu que son fils soit enfant de chœur parce que le garçon aurait dû se lever trop tôt pour aller servir la messe du curé. Et le curé s'était vengé à sa manière sur le petit garçon qui allait au catéchisme du curé. Alors le père du petit garçon avait dit à son fils : "Écoute, fiston, l’Église, elle durera plus longtemps que les curés". C'est par le cardinal Danneels qu'on a connu l'histoire. Jésus nous met en garde contre les bien-pensants... les bien-pensants que nous sommes tous sans doute à nos heures. Et Jésus nous raconte des petites histoires pour essayer de nous faire comprendre que Dieu est plus grand que notre cœur et qu'il connaît tout.

Toute la Loi de Dieu, tout l'évangile, ce sont des poteaux indicateurs sur le chemin de la liberté. Et l'essentiel, ce n'est pas le rapport que j'ai avec Dieu, c'est le rapport que Dieu a avec moi. Le rapport que j'ai avec Dieu : je peux me faire bien des illusions. Le rapport de Dieu avec moi : il est plus grand que notre cœur et il connaît tout. (Avec Simone Weil, Cardinal Danneels, AvS, HUvB).

 

15 septembre 2013 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 15,1-32

Jésus s'adresse aux pharisiens et aux scribes de son temps, c'est-à-dire aux bons pratiquants. Et ces bons pratiquants ne comprennent pas, ils murmurent entre eux à propos de Jésus : cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux. Peut-on vraiment croire qu'il vient de Dieu ?

Jésus est au courant de ces murmures. On n'a pas manqué de le lui faire savoir. Alors, un beau jour, Jésus raconte ces trois petites histoires, ces trois paraboles : l'homme qui a perdu une brebis, la femme qui a perdu une grosse pièce d'argent, et puis cet homme qui a perdu son fils. Et tout est bien qui finit bien : la brebis perdue est retrouvée, tout comme la pièce d'argent. Et le fils perdu revient de lui-même à la maison. La conclusion de Jésus, c'est qu'il y a de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion. Il y a de la joie dans le ciel, ou bien il y a de la joie pour les anges de Dieu. C'est la même chose : c'est-à-dire qu'il y a de la joie pour Dieu quand un pécheur s e convertit.

Où sont les pécheurs ? Ce n'est pas nous, bien sûr, ce sont les autres. On ne peut jamais séparer une parole de l’Écriture de toutes les autres. Sinon on peut faire dire à l’Écriture n'importe quoi, et finalement s'éloigner vraiment de Dieu. Où sont les pécheurs ? Ce n'est pas nous, ce sont les autres, bien sûr. Mais il y a un autre texte de l’Écriture qui dit ceci : "Si je dis que je suis sans péché, je suis un menteur"... Et Dieu n'aime pas les menteurs.

Une sainte de notre temps a eu un jour une vision. Et elle a compris ceci : le problème pour certains, c'est qu'ils veulent entrer au ciel sans passer par le purgatoire ; ils trouvent qu'ils n'en ont pas besoin, ils ont fait suffisamment de bonnes œuvres ici-bas, etc. Et la sainte voyait ces choses et elle souffrait pour aider ces personnes à faire le pas qui pourra les libérer.

On peut vouloir faire beaucoup de choses pour Dieu. Mais qu'est-ce que Dieu attend de nous en vérité ? Celui qui a une foi pleine ne fait plus obstacle aux desseins de Dieu sur lui. Abraham est un ami de Dieu. Pourquoi ? Parce qu'il a répondu à un appel de Dieu avec toute son obéissance.

Tout l'effort de Jésus pour éduquer ses apôtres a été de leur communiquer une certaine attitude vis-à-vis de Dieu, un certain esprit. Par exemple : si tu fais l'aumône, fais-le dans le secret, ton Père le verra. Quand tu pries, fais-le dans le secret, ton Père l'entendra.

Et comment prier ? Jésus nous le dit ailleurs : "Si vous qui êtes mauvais vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient". Ce que Jésus promet, c'est l’Esprit Saint et pas autre chose, autre chose que nous pourrions demander. Mais il faut accepter aussi qu'il le donne en son temps, qui n'est pas le nôtre; à sa façon, qui n'est pas non plus la nôtre. Il communique son Esprit selon une pédagogie qui nous échappe et qu'il faut apprendre à découvrir.

Dans l’évangile d'aujourd'hui, Jésus est aux prises avec les pensées des bien-pensants. Saint Bernard est mort en 1153. Il a été jusqu'à sa mort l'Abbé du monastère de Clairvaux qu'il avait fondé. L'un des moines de son monastère est un jour devenu pape : c'est le pape Eugène III. Un jour saint Bernard a envoyé une lettre à son ancien novice devenu pape. Une lettre à faire frémir. (Mais on est au Moyen Age, et saint Bernard écrivait en latin). Saint Bernard écrivait donc ceci au pape Eugène III : "Considère avant tout la sainte Église romaine à la tête de laquelle Dieu t'a placé; elle est la mère des autres Églises, non leur tyran ; et toi-même, tu ne dois pas être un tyran vis-à-vis des évêques, mais l'un d'eux, le frère de ceux qui aiment Dieu, l'égal de ceux qui le craignent. Tu penses que tu es le Souverain Pontife. Souviens-toi que tu es poussière. Est-ce que tu es né avec la tiare ? Non, tu es sorti tout nu du sein de ta mère. Tu es né pour le travail, non pour la gloire". C'est charmant comme vous voyez... Jésus aux prises avec les pensées des bien-pensants !

Et voici un penseur de notre temps, un chrétien penseur : "Rien ne blesse plus profondément la conscience des hommes de bonne volonté que la malhonnêteté chez ceux qui représentent l’Église. On a beau dire : les chrétiens ne sont pas meilleurs que les autres, et ils ont le devoir de ne pas le prétendre ; n'empêche : ils pervertissent la foi quand ils déçoivent l'attente, et celle-ci porte sur la qualité humaine. Car finalement on attend plus de ceux qui se réclament du Christ. Et l'on a raison".

Il y a de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit. Le sens de la venue du Seigneur Jésus dans le monde, c'est de racheter le monde, c'est-à-dire de lui ouvrir le chemin vers le Père. (Avec Jacques Loew, Mercedes Gomez-Ferrer, saint Bernard, Guy Coq, AvS, HUvB).
 

11 septembre 2016 - 24e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 15,1-32

Saint Luc nous offre aujourd'hui les trois paraboles de la miséricorde. Il y a deux sortes d'auditeurs de Jésus : d'un côté il y a les pécheurs connus comme tels par tout le monde, et de l'autre les bien-pensants symbolisés par les pharisiens et les scribes. Saint Luc nous dit que face à Dieu tous ont besoin de la miséricorde que Dieu leur offre. Il y a de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit. Dieu n'est pas indifférent au mal et au bien. Il ne se désintéresse pas du sens que nous donnons à notre vie. Tout croyant peut et doit toujours faire siennes les paroles de saint Paul : "Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, et moi, le premier, je suis pécheur".

Tout croyant peut aussi reprendre la prière de saint Isaac le syrien au VIIe siècle : "Seigneur Jésus Christ notre Dieu, je n'ai pas un cœur qui se met en peine pour partir à ta recherche. Mon esprit est enténébré par les choses de la vie. Mon cœur est froid sous les épreuves. Mais toi, Seigneur Jésus Christ mon Dieu, donne-moi le repentir total. Je t'ai abandonné, ne m'abandonne pas. Je suis sorti loin de toi, sors à ma recherche. Conduis-moi dans ton pâturage et compte-moi parmi tes brebis".

Plus un homme est croyant, plus Dieu lui montre le chemin qu'il doit suivre. Dieu ne demande à personne une œuvre dont il n'est pas capable. Ne pas faire ce que Dieu demande, c'est commettre un péché. Et le péché, c'est la fin de la foi vivante. La foi n'est jamais sans mission, et la mission se manifeste dans une œuvre accomplie selon le dessein de Dieu.

Mais voilà, le bien et le mal existent. Nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes, nous sommes traversés par des forces contradictoires. Je ne choisis pas le bien et le mal comme la couleur de ma cravate (si je porte une cravate), je suis traversé par des pulsions contradictoires, le bien et le mal se mélangent en moi. Je suis obscur à moi-même. Lorsque je fais quelque chose de mal selon ma conscience (par exemple voler, mentir, trahir un proche), la première fois je me sens coupable, la deuxième fois je commence à me chercher des excuses, et la troisième fois je justifie mon comportement en disant que, dans ce cas, le mal n'est pas le mal.

Et voilà, le bien et le mal existent. Et voilà alors le conseil d'un sage pour la journée : le matin, avant d'aller au travail, tu prends quinze minutes pour lire un texte et déposer ta journée dans la prière (ta journée, c'est-à-dire ton travail, tes rendez-vous, tes rencontres) et confier à la grâce de Dieu ceux que tu aimes. Le soir, avant de t'endormir, tu relis ta journée, tu rends grâce pour ce qu'elle a eu de beau, tu demandes pardon pour ce qui a été raté, et tu remets à Dieu ce qui te fait souci.

Et voilà, le mal et le bien existent. Nous ne sommes jamais sûrs que la parole que nous partageons quand nous voulons accueillir la parole du Christ, ce n'est pas nous qui l'inventons. Nous ne sommes pas sûrs, quand nous nous rassemblons pour célébrer l'eucharistie, que ce n'est pas notre seule ferveur que nous célébrons. Nous ne sommes jamais sûrs qu'en prétendant vivre la fraternité nous n'avons pas exclu quelqu'un. Nous ne sommes jamais sûrs, lorsque nous donnons la paix, que ce n'est pas une paix qui est déjà une guerre pour un autre.

Il y a du bien et du mal dans le monde. Dans les médias - radio, TV, internet, périodiques - il y a des "déchets toxiques spirituels". C'est Benoît XVI qui disait cela. Et les déchets sont à notre porte et dans nos maisons. Et les déchets toxiques, ça contamine, et d'une manière insidieuse. On ne sent pas toujours tout de suite qu'on a avalé un poison, qu'on a avalé le mal.

Il y a du bien et du mal dans le monde. Depuis toujours, depuis le temps des apôtres jusqu'à nos jours ou, plus précisément jusqu'à la fin des temps, le visage de l’Église est constamment terni par les péchés et les compromissions de ses membres. L’Église est humiliée et abaissée par les péchés de ses membres. Le Père Radcliffe, qui a été pendant quelques années maître général des dominicains, écrivait un jour avec son humour anglais : "Aujourd'hui en Occident lorsque les ministres de la religion baptisent des bébés, il leur est permis de se demander si ceux-ci remettront jamais les pieds dans une église avant leurs funérailles".

Les trois paraboles de la miséricorde veulent dire à leur manière la volonté de Dieu d'accueillir tous les hommes dans sa communion. La foi, ce n'est pas seulement croire ceci et cela, et tous les articles du credo ; croire, c'est se décider chaque jour à répondre aux exigences de Dieu dans notre vie ; c'est se décider chaque jour à essayer d'aimer parce que celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, parce que Dieu est amour, et l'amour seul est digne de foi. (Avec Isaac le syrien, André Nouis, Cardinal Lustiger, Benoît XVI, Boris Bobrinskoy, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

18 septembre 2011 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 20,1-16

Il y a quelque chose de provocant dans cette parabole d'aujourd'hui. Les uns ont travaillé toute la journée. D'autres n'ont travaillé qu'une heure. Finalement tout le monde touche le même salaire. C'est scandaleux !

Il y a d'autres paraboles qui sont du même genre scandaleux. C'est la parabole du fils prodigue. Il quitte sa maison avec son magot, il va mener une vie de débauche. Et quand le magot est épuisé, il retourne chez son père qui l'accueille à bras ouverts. On comprend la fureur du frère aîné : son père a perdu la tête pour recevoir ainsi en fanfare ce frère dégénéré et polisson. C'est scandaleux !

Et puis il y a la parabole de celui qu'on appelle le bon Samaritain. En fait pour les bons juifs, les Samaritains sont des mécréants qui se sont fourvoyés loin du vrai Dieu. Alors donner comme modèle de charité chrétienne ce mécréant de Samaritain, ce n'est pas raisonnable, c'est scandaleux ! Et du plus montrer que les dignes représentants de la vraie religion - le prêtre et le diacre - sont tout à fait à côté de la question pour l'amour du prochain, ce n'est pas supportable.

Et Jésus nous dit : Voilà comment est Dieu. Qu'on ait travaillé une heure ou dix heures, c'est le même salaire pour tous. Qu'on soit considéré comme un mauvais croyant, comme un non croyant, mais qu'on ait au cœur le sens de l'amour désintéressé pour celui qui est dans le besoin, voilà celui qui plaît à Dieu plutôt que le prêtre ou le diacre. Et si quelqu'un a fait des bêtises dans sa vie, de grosses bêtises, son père ne lui ferme pas la porte. Il fait même une grande fête pour son retour, une fête plus grande qu'il n'en a jamais faite pour son fils fidèle.

Bien sûr Jésus n'invite pas à vivre dans la débauche, il n'invite pas à ne pas travailler, il n'invite pas à vivre dans l'incroyance. Mais il ne cesse de nous dire : Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout. Le bon moment pour Dieu, c'est toujours le moment présent : le moment d'être le bon Samaritain, le moment de mettre un terme à sa vie de péché, le moment de se mettre à travailler pour Dieu dans sa vigne. A la fin de sa vie, le non croyant s'attend seulement à une chute dans le vide. Et il sera tout étonné d'être rattrapé par Dieu. Saint Paul qui nous dit que la figure de ce monde passe (1 Co 7,31). Et il sous-entend : Dieu seul demeure. C'est pourquoi dès aujourd'hui le croyant demande toujours à Dieu que le monde entier soit rempli de sa lumière et de sa connaissance, et il demande toujours aussi à Dieu que les croyants deviennent plus croyants, plus lucides dans leur foi, plus accordés aux vues de Dieu.

Je vous parlais dimanche dernier d'un petit livre intitulé : "Lettre à mon gendre agnostique". Qu'est-ce qu'on peut dire à son gendre non croyant quand on est soi-même croyant ? Par exemple ceci : Dans l’Église, pour certains, la foi est comme une évidence alors que pour d'autres elle est toujours un combat, un doute surmonté. Pourquoi ? La seule chose que j'ai à faire est de cultiver le don de la foi... Si la foi est un don, je dois surtout m'abstenir de juger celui qui n'a pas reçu le même don que moi. La seule chose que j'ai à faire face à mon frère est de le confier à la grâce de Dieu. Et là, le beau-père, qui est un protestant, cite saint Augustin... Saint Augustin qui vivait il y a très longtemps : "Si tu es attiré (par Dieu), suis ton attrait. Si tu n'es pas attiré, demande à l'être. Mais ne demande pas pourquoi ton voisin ne l'est pas". Après tout, si mon frère ne croit pas en Dieu, ce n'est pas qu'il est moins bon que moi, mais que je ne suis pas assez contagieux dans ma façon de vivre l’Évangile.

Alors est-ce que tout est rose pour le croyant ? Jésus ne dit pas cela. Quand Dieu a choisi quelqu'un, il permet souvent - il permet parfois - que la vie présente devienne difficile. Pourquoi ? Pour qu'il s'ouvre à l'invisible, comme ce fut le cas pour de nombreux saints sinon pour tous... S'ouvrir à l'invisible, s'ouvrir à ce qui nous dépasse. Toute l’Écriture nous révèle ce combat incessant entre Dieu qui appelle et l'homme qui résiste.

Nous vivons dans une société où les penseurs qui ont pignon sur rue, ou les gens qui sont les vedettes de la TV pour enseigner ce qu'il faut penser, inculquent dans le monde la pensée que Dieu est mort : il n'existe pas, et c'est une bonne nouvelle pour l'homme. Il faut se débarrasser de cette aliénation, c'est alors que l'homme se trouvera vraiment délivré. L'homme est son propre soleil, Dieu n'était qu'une projection illusoire. Seul un humanisme conséquent assurera le salut de l'homme... Et à soixante-dix ans, le philosophe sans Dieu (Gilles Deleuze) se suicide en se jetant par la fenêtre. En proclamant la mort de Dieu comme un succès, comme une délivrance, ces penseurs conduisent tout droit à la mort de l'homme.

Avec tout cela, le croyant doit balayer devant sa propre porte. Et construire la logique et la défense de sa foi. Et que nous dit la foi ? Que l'homme n'est jamais plus libre que lorsqu'il se laisse conduire par l'Esprit Saint de Dieu. (Avec André Nouis, saint Augustin, Jacques Loew, Adolphe Gesché, AvS, HUvB).

 

21 septembre 2014 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 20,1-16

Il y en a qui ont travaillé toute la journée, il y en a qui n'ont travaillé qu'une heure. Et le salaire est le même pour tous. Ce n'est pas très raisonnable, ce n'est pas admissible, évidemment. Du moins dans le monde présent. Et ici Jésus parle du royaume des cieux.

Les Juifs sont le peuple élu : ils sont croyants depuis toujours, si on peut dire. Et puis voilà maintenant que des païens, qui n'ont jamais été soumis à toutes les prescriptions de la loi de Moïse, voilà que ces païens, sans se donner beaucoup de mal, vont entrer aussi dans le royaume de Dieu. Et puis il y a aussi tous ces pécheurs qui seront accueillis les bras ouverts. Dieu va introduire dans son royaume les appelés de la première heure, mais aussi les tard-venus : les pécheurs et les païens.

L'évangile n'a pas consigné la réaction des auditeurs de Jésus : simplement, le royaume de Dieu, c'est comme ça. Cela ressemble un peu à la parabole de l'enfant prodigue. Le fils aîné n'a jamais cessé de travailler dans les champs de son père, et quand le fils cadet revient après avoir dépensé une fortune dans une vie de débauche, son père l'accueille les bras ouverts et lui fait la fête comme si c'était le héros du jour. Ce n'est pas raisonnable.

Et Jésus nous dit : c'est comme ça ! Le royaume de Dieu, c'est comme ça ! Mais il y a aussi dans l'évangile une autre parole de Jésus qui sera prononcée au jugement dernier à l'adresse de certains : "Allez-vous en, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et tous ses anges". On n'entre pas non plus dans le royaume de Dieu, habillé comme un malpropre.

Notre première lecture nous introduisait à cet évangile des ouvriers envoyés à la vigne. Le prophète Isaïe nous faisait connaître cette parole de Dieu : "Mes pensées ne sont pas vos pensée et mes chemins ne sont pas vos chemins"... Dieu est plus grand que nos pensées, nos calculs et nos chemins.

Marie, la Mère de Jésus, n'a pas toujours tout compris non plus des chemins de Dieu. Mais le premier miracle chrétien fut le oui de Marie. Elle a dit oui à Dieu quand Dieu l'a appelée pour un service inouï dont elle ne percevait certainement pas toute la portée : devenir la Mère de Dieu. Elle a dit oui à Dieu, cela ne veut pas dire qu'elle allait entrer dans un pays de cocagne où elle pourrait cueillir la grâce de Dieu, en veux-tu en voilà. La grâce, elle va bien l'accueillir, mais en assistant, impuissante, à l'agonie et aux tortures de son Fils sur la croix.

Dieu est amoureux de sa créature, mais sa créature n'est pas amoureuse de lui. "Je me passe très bien de Dieu, dit le bourgeois. Quelle sera sa stupeur quand il verra que Dieu ne pouvait se passer de lui!" C'est Léon Bloy qui disait cela. Le bourgeois, c'est l'homme de la onzième heure peut-être. De quelle heure nous sommes les ouvriers, nous ne le savons pas. On peut être humble au fond du cœur, mais arrogant, désinvolte ou fanfaron, cassant, impudent ou méprisant dans sa manière d'être en société ou en compagnie.

Un vieux sage chrétien de notre temps racontait ceci, de ce qu'il croyait voir dans son village (c'était "autrefois", il y a très longtemps) : "Le village ne manquait pas alors de punaises de sacristie, d'araignées de confessionnal, de grenouilles de bénitier, qui étaient, par leur virulence cancanière, les gardiennes des bonnes mœurs". Évidemment le vieux sage, qui exprimait cette sentence, était au-dessus de tout ça, si on peut dire. Mais il pratiquait aussi l'humour sur lui-même. Il disait : "Tous, ici-bas, nous sommes des pauvres…"

Une sainte de notre temps disait : "Ceux qui sont bons ne critiquent pas. Jamais. Ils comprennent". Ouvriers de la première heure ou de la dernière, cela ne nous regarde pas. Le Tout-Puissant en nous emmène pas tout de suite, de lui-même, au sommet. Et il estime que notre faiblesse (immense) est capable quand même d'atteindre le sommet. Ouvriers de la première et de la dernière heure, tous les charismes et toutes les vocations s'emboîtent les uns dans les autres dans un seul but : témoigner de la gloire de Dieu et de la propager".

Quelle différence entre la justice et la charité ? C'est une parole de rabbin : "La charité consiste à donner à l'autre ce qui nous appartient de droit. La justice consiste à donner à l'autre ce qui lui revient de droit". La charité dépend d'un élan du cœur vers autrui ; la justice implique une réflexion sur ce qui appartient à autrui.

Les ouvriers envoyés à la vigne : il y a les travailleurs du matin et les travailleurs du soir. Et le salaire est le même. Nous ne pouvons pas prescrire à Dieu la manière dont il doit agir. (Avec Léon Bloy, Patrick Kéchichian, Gustave Thibon, Philippe Haddad, Gérard Siegwalt, AvS).

 

20 septembre 2009 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 9, 30-37

Dans l'évangile de dimanche dernier, Jésus avait averti ses disciples que le Messie qu'il était devrait beaucoup souffrir et finalement être tué. Les apôtres ne comprenaient pas. C'était au chapitre 8e de saint Marc. Aujourd'hui, au chapitre 9e, Jésus annonce une deuxième fois à ses disciples qu'il devra subir la mort. Et la réaction des disciples est la même que la première fois : c'est l'incompréhension totale.

Les disciples ont toujours en tête un Messie glorieux. La preuve, c'est qu'ils discutent entre eux pour savoir qui était le plus grand parmi eux ; et puis aussi, ensuite, lesquels d'entre eux auraient les meilleures places dans le royaume à venir. Jésus pose à ses disciples la question embarrassante : "De quoi discutiez-vous en chemin ?" Même saint Pierre se tait cette fois-là, lui qui est toujours le premier à parler. Jésus fait asseoir tout le monde. Il ne donne pas à ses disciples une longue leçon de morale. Il prend un enfant par la main, le place tout près de lui, il l'embrasse et il dit à tous ceux qui sont là : "En vérité, je vous le dis, si vous ne redevenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux... Le plus grand dans le royaume des cieux, c'est celui qui se fait petit comme cet enfant". Saint Marc ne dit pas tout cela, il faut chercher les compléments dans saint Luc et dans saint Matthieu.

Dans mon royaume, dit Jésus, le plus grand, le premier, doit être le serviteur de tous. C'est valable pour les douze apôtres, c'est valable pour la suite des siècles, c'est valable pour tout croyant. Le Seigneur Jésus n'est pas venu nous faire le don d'une vie et le don d'une foi qui ne comporteraient rien de difficile et de douloureux. Ce ne serait pas une vie à la suite du Seigneur Jésus. Pourquoi c'est comme ça ? Saint Paul nous le dit quelque part : Personne ne doit pouvoir se glorifier devant Dieu. Pourquoi c'est comme ça ? Parce que Dieu, l'infiniment grand s'est rendu infiniment petit. Le christianisme, c'est la religion d'un Dieu qui s'est fait enfant. Aucune religion n'a jamais osé dire cela. Si le christianisme a osé le dire, c'est parce que ça s'est fait.

Les apôtres discutent entre eux pour savoir qui est le plus grand. Pour leur expliquer les choses, Jésus prend un enfant par la main. Il se saisit de tout ce qui fait notre vie humaine pour nous ouvrir au mystère de Dieu. Dieu se révèle à nous non comme un dominateur absolu, mais comme un enfant, comme un don. Saint Jean nous dit cela à sa manière : "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que tout être humain qui croit en lui ne soit pas perdu, mais qu'il ait la vie éternelle" (Jn 3, 16). Jésus ne présente pas non plus un Dieu grand-père, un peu gaga, qui laisserait tout faire à ses petits-enfants. On ne peut pas réduire non plus le message de Jésus à une espèce d'idéal altruiste. Le message de l'évangile est simple. Mais il n'est pas facile, il est engageant, exigeant, compromettant peut-être parfois.

Lundi dernier, 14 septembre, on a célébré dans toute l’Église la fête de la croix glorieuse. On n'a jamais assez conscience que la croix du Seigneur Jésus n'est pas signe de mort et de défaite ; la croix du Seigneur Jésus est signe de mort vaincue, elle est signe de vie donnée, elle est signe d'amour désarmé et fidèle. Dieu a été jusqu'à mourir pour nous, pour moi. Et il est ressuscité, bien sûr.

Dans un discours au Sénat le 11 septembre 2007, dans le cadre des Journées juridiques du patrimoine, Mgr Dagens a évoqué le souvenir d'un petit événement qui s'était passé dans sa cathédrale d'Angoulême le 18 septembre 2001, une semaine après les attentats de New York. Mgr Dagens présidait une messe pour ce qu'il appelait "cet acte horrible de terrorisme". La cathédrale était remplie, toutes les autorités publiques aussi étaient là. Et voilà qu'à la fin de la messe, Mgr Dagens voit s'avancer, du fond de la cathédrale, un homme qu'il reconnaît assez vite, un membre de la communauté musulmane. Et voilà les mots de Mgr Dagens : "Il vint dans le chœur et il me dit à voix basse : J'ai un message pour vous. Quel message ? Il me répondit : Nous demandons pardon pour ces gens-là". C'est beau!

Il n'existe pas, entre l'homme et Dieu un équilibre obtenu une fois pour toutes. Sans cesse l'être humain doit se laisser surprendre, désarmer, vaincre, par Dieu. Et plus l'être humain comprend que l'amour de Dieu est sans mesure, plus aussi il découvrira que les exigences de Dieu dans sa vie sont grandes. Et Dieu tient l'être humain par la main pour lui ménager des degrés vers lui et l'habituer à vivre dans le monde divin. Les apôtres qui discutaient du plus grand étaient en route, et nous aussi sans doute qui discutions d'autre chose. (Avec Philippe Maxence, Mgr Dagens, AvS, HUvB).

 

23 septembre 2012 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 9,30-37

"De quoi discutiez-vous en chemin ?" Personne ne répond, même pas saint Pierre qui est toujours le premier à parler. Même pas saint Jean, le disciple bien-aimé. "De quoi discutiez-vous en chemin ?" Jésus pose la question, mais on se doute bien qu'il connaît la réponse. De quoi ont-ils discuté ?... Ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. Alors Jésus va leur dire qui est le plus grand. Il va nous dire qui est le plus grand. C'est tout simple pour lui. Le plus grand, c'est celui qui se fait le serviteur des autres. Le plus grand dans le royaume de Dieu, bien sûr ; le plus grand aux yeux de Dieu.

Dans le royaume de Dieu, il faut se laisser conduire par l'Esprit de vérité. C'est l'Esprit Saint qui nous fait entrer dans le royaume de la vérité. Ce n'est pas l'esprit du monde. C'est l'Esprit Saint qui nous fait entrer dans le royaume de la vérité. Et dans ce royaume, il y a un élément de confiance où on ne cherche plus à savoir où on en est. On s'abandonne tout simplement... Comme le petit enfant justement. Et on ne sait pas où cela nous mènera. Jésus, lui, sait où il va, il le dit aujourd'hui : il va être livré aux mains des hommes, ils le tueront. Et puis la résurrection. Mais c'est si loin, la résurrection.

Jésus prend un enfant par la main et le met au milieu du groupe de ses disciples. C'est quoi un enfant ? Mgr Joseph Doré, qui a été longtemps professeur de théologie à l'Institut Catholique de Paris et qui est devenu ensuite évêque de Strasbourg, a raconté son enfance dans un livre-interview. Il raconte son enfance, sa famille, ses parents. Et que dit-il de ses parents ? Ses parents l'ont "armé de cette fondamentale sécurité que procure la certitude d'être aimé". Quand c'est comme ça, il n'est pas nécessaire de se demander qui est le plus grand.

Mais ce n'est pas toujours si simple d'être un enfant. Et puis on ne reste pas toujours enfant. Je reviens à l'un de nos contemporains qui avait écrit une lettre à son gendre agnostique, une lettre qui n'était pas tellement secrète et personnelle puisqu'elle a été publiée. C'est quoi l'enfant ? "Il y a un moment dans la vie d'une personne où elle est dieu : c'est dans le ventre de sa mère. L'enfant est alors dans une situation très confortable. Il est nourri en permanence, son habitacle est protégé et il jouit d'un système de régulation automatique de la température. Dans le cocon matriciel, l'enfant est dieu. Lorsque vient l'heure de la naissance, il est expulsé de son abri douillet pour entrer dans un monde inhospitalier. Il fait l'expérience du chaud et du froid, de la faim et de la solitude ; alors il pleure, il crie, il proteste. Il trouve que c'était mieux avant et il le fait savoir. Heureusement, de temps en temps, il est pris dans les bras de sa mère qui le serre contre son sein et il retrouve l'odeur et les sensations qu'il appréciait tant. Son désir est de prolonger indéfiniment ces moments, mais voilà qu'un autre s'interpose entre l'enfant et la mère. Le père lui apprend que la mère n'est pas sa propriété et qu'il est appelé à vivre sa propre histoire. L'enfant découvre le manque, il doit apprendre que le monde ne lui appartient pas, qu'il n'est pas le maître de son entourage, qu'il ne possède pas les gens et les choses"...

Jésus pose la question à ses disciples : "De quoi discutiez-vous en chemin ?" Et Jésus ne les accable pas de reproches. Parfois une parole de louange, d'encouragement vaut mieux que mille reproches. Et Jésus prend un enfant par la main et le place au milieu de ses disciples. Qui est le plus grand ? Au sommet de toutes les vertus, il y a l'amour et la bonté. Mais tous les saints et les saintes de Dieu ne cessent de nous dire que la vie chrétienne est une lutte spirituelle permanente contre les passions égoïstes, une lutte permanente avec le culte du moi au-dessus de tous, pour cultiver à la place l'amour pur et humble, altruiste et sacrificiel, cultiver la compassion et la bonté.

Qui est le plus grand ? Notre évangile nous montre une fois encore l'étonnante souveraineté avec laquelle Jésus domine la situation, quels que soient les hommes qu'il rencontre. Aujourd'hui sa connaissance des cœurs et son regard pénétrant se manifestent de façon inquiétante. Les apôtres s'attendaient à tout mais pas à la question de Jésus : "De quoi discutiez-vous en chemin ?" Il y a toujours un contraste entre ce que les hommes attendent de Jésus et le chemin que Jésus leur propose. "Celui qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé". (Avec Mgr Doré, André Nouis, Patriarche Daniel, AvS, HuvB).

 

20 septembre 2015 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 9,30-37

Les disciples sont allés en ville. Et à leur retour, Jésus leur demande de quoi ils ont discuté. Il le sait, bien sûr, mais il ne craint pas de leur poser la question. Il sait aussi que la réponse leur sera pénible. "De quoi avez-vous parlé en chemin ?" Personne ne parle, c'est le grand silence. La question de Jésus est superflue d'une certaine manière puisqu'il sait bien de quoi ils ont parlé. Mais la question est quand même nécessaire parce que les disciples doivent justement se rendre compte de ce qui ne va pas. Il y aura quelque chose de ce genre qui va se passer quand on nous demandera compte de notre vie : Qu'est-ce que tu as fait de ta vie ?

Les apôtres ne se vantent que rarement, mais là ils ne sont pas fiers. Le Seigneur Jésus nous interroge toujours quand nous commettons une faute, il nous pose la question, car il est important pour nous de nous ouvrir. Les disciples se taisent parce qu'ils ont honte, parce qu'ils savent bien que leur attitude ne correspond pas à ce que le Seigneur Jésus attend d'eux. Qui est le plus grand ? On se connaît soi-même avec ses vertus et ses fautes, on connaît aussi les fautes des autres et leurs qualités. Et on se compare. Les apôtres ne peuvent pas concevoir qu'ils sont tous égaux. Ils ont soif de hiérarchie. Qui est le plus grand ? C'est une question qu'on ne doit pas poser dans la communauté du Seigneur Jésus.

La première chose qu'il demande, c'est une réponse qui vient du cœur, et cette réponse ne peut se faire que dans l'humilité. Et l'amour ne mesure pas, l'humilité non plus. Les saints nous disent : Dieu s'éloigne de l'homme qui n'aime pas (comme il s'éloigne de celui qui veut faire le malin devant lui). On n'entre pas au ciel si on a de la haine, comme on n'y entre pas si on pense qu'on tous les droits d'y entrer. Ce qui est requis dans nos rapports avec Dieu, comme dans nos rapports avec les autres, c'est la vérité, la transparence, l'ouverture.

Un homme de notre temps a beaucoup réfléchi sur les conditions pour qu'une vie communautaire soit heureuse. Voici ce qu'il dit : "La communion est au centre du mystère de notre humanité. Être en communion, c'est accueillir la présence de l'autre et demeurer en l'autre. La communion est une relation réciproque de confiance qui donne une sécurité, qui implique aussi une vulnérabilité. La communion est une relation vivante qui nécessite que chacun lutte en lui-même contre des puissances de peur et d'égoïsme, contre les besoins tenaces de posséder et de contrôler. En nous ouvrant aux autres, nous perdons un certain contrôle de notre propre vie. La communion des cœurs est une réalité à la fois belle et dangereuse. Elle est belle parce qu'elle constitue une forme de libération qui apporte une joie nouvelle, parce que nous ne sommes plus seuls : nous nous sentons proches même si nous sommes physiquement loin l'un de l'autre. Mais la communion est dangereuse parce que, en faisant tomber les murs intérieurs qui nous protégeaient, elle nous rend plus vulnérables aux blessures et aux rejets possibles".

Les apôtres se taisaient parce qu'en route ils s'étaient demandé qui était le plus grand. Dans un couple non plus la question ne doit pas se poser : elle tuerait l'amour.

On posait la question à un homme de notre temps, qui avait toute une vie derrière lui, une espèce de sage chrétien : le pardon, qu'en pensez-vous ? Et cet homme avait répondu : "Là, je ne suis pas très doué. Le pardon des offenses, c'est peut-être la partie du Notre Père que j'ai le plus de mal à réciter. Je ne suis pas très enclin à pardonner, mais j'essaie". La ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme. Il y a dans l'homme une fragilité. Et l'homme ne peut pas se délivrer entièrement du mal.

Qu'est-ce que c'est que la miséricorde ? L’Éternel, Dieu, va chercher sa brebis perdue. Il sait que sa créature est une sorte de clown qui se prend chaque fois les pieds dans le tapis. Mais chaque fois aussi, comme avec le clown, ses échecs sont la possibilité d'une grâce.

De quoi parliez-vous en chemin ? Un sage des temps anciens disait ceci : "Dieu nous a donné deux sacs : un par devant pour les fautes d'autrui, et un par derrière pour les nôtres". Le cœur aimant de Dieu s'est montré dans la croix du Christ. Tous les pécheurs étaient devant Dieu comme des ennemis. Et alors le Père et le Fils ont pour ainsi dire tenu conseil ensemble sur la manière de leur venir en aide. Et aujourd'hui le Fils devenu homme se tient au milieu des ennemis de Dieu et c'est comme s'il disait au Père : si tu veux les atteindre pour les punir, tu dois m'atteindre d'abord. Je les couvre comme la poule couvre ses poussins parce qu'ils sont à présent comme une partie de moi-même. Je me sacrifie pour le monde dans le mystère de l'expiation à la place des pécheurs. Les apôtres se posaient la question : Lequel d'entre nous est le plus grand ? Le cœur aimant de Dieu s'est montré dans la croix du Christ. (Avec Cardinal Martini, Lucien Jerphagnon, Alexandre Soljenitsyne, Fabrice Hadjadj, AvS, HuvB).

 

19 septembre 2010 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 16, 1-13

Avec cette histoire de l'intendant malhonnête, on peut bien penser que Jésus n'a pas l'intention de nous enseigner comment tricher avec notre employeur. La dernière phrase résume tout : "Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent". Mais notre évangile d'aujourd'hui n'a pas retenu les deux petits versets qui suivent, deux petits versets qui valent leur pesant d'or et qui disent que les pharisiens, qui étaient amis de l'argent, entendaient tout cela et ils se moquaient de Jésus. Alors Jésus leur lance à la figure quelques mots pas très agréables à entendre : "Vous, les pharisiens, vous êtes de ceux qui veulent se faire passer pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs. Ce qui est élevé pour les hommes est objet de dégoût pour Dieu".

Il n'est pas facile notre évangile d'aujourd'hui. Comment se situer en chrétien face à l'argent ? Il n'y a pas de réponse unique, ni de réponse simpliste. Jésus nous donne un principe : on ne peut pas servir Dieu et l'argent. Et puis aussi : Dieu connaît vos cœurs. Et puis on peut aussi se souvenir du verset de l'Alléluia qui a été lu tout à l'heure : "Jésus s'est fait pauvre afin de nous enrichir par sa pauvreté". Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que jamais on ne pourra se faire une idée de ce que Dieu le Fils a laissé au ciel en devenant homme, à quel point il s'est abaissé, ce à quoi il a renoncé pour venir dans le monde. Saint Paul qui résume cette pauvreté de Jésus en disant qu'il s'est pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté.

"Vous ne pouvez pas servir Dieu et l'argent", nous dit Jésus. Il y a beaucoup de manières de choisir l'argent et d'oublier Dieu. L'homme est toujours appelé à choisir entre deux voies : suivre Dieu ou bien avancer sans Dieu, c'est-à-dire marcher contre lui. "Vous ne pouvez pas servir Dieu et l'argent", nous dit Jésus. Il faut choisir entre Dieu et notre plaisir. Et il y a beaucoup de manières de choisir son plaisir et ses plaisirs, et d'oublier Dieu ou de mettre Dieu au second rang dans nos priorités.

Un chrétien de notre temps, qui était philosophe à ses heures sans être professeur de philosophie, essayait de dire sa foi en termes peut-être accessibles à des non-croyants quand il écrivait : "L'être noble (l'homme qui essaie de faire le bien ?)... est celui qui choisit de s'immoler plutôt que de se satisfaire, celui qui garde une certaine naïveté au milieu des malins, celui que la souffrance rend tendre et que le bonheur fait prier". Il y a des gens qui ne se mettent à prier que dans le malheur ; notre philosophe, lui, pense que le bonheur inspire au chrétien de prier.

"Jésus s'est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté". La foi en Dieu qui s'est fait homme nous enseigne qu'il n'y a de vie humaine véritablement digne de ce nom que là où le service d'autrui est pratiqué et reconnu comme une valeur fondatrice pour la société. Saint Jean disait : "Nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères" (1 Jn 3, 14). Les croyants n'ont pas le monopole de ces valeurs. Il n'est pas besoin de la foi chrétienne pour s'engager au service de ses frères en ce monde. Les croyants se réjouissent de n'être pas seuls à servir et à aimer le monde... le monde que Dieu a créé et veut sauver.

"Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent", nous dit Jésus. Comment faire ? Peut-être d'abord et avant tout me contenter de ce que j’ai et que je dois utiliser dans le sens de la volonté de Dieu. Et où est la volonté de Dieu ? Lui, il a voulu devenir pauvre pour nous enrichir. Nous enrichir de quoi ? En Jésus, "Dieu s'est rendu visible à nos yeux pour nous apprendre à nous laisser entraîner par lui à aimer ce qui demeure invisible". (Avec Alexandre Schmemann, Gustave Thibon, Mgr Dagens, AvS, HuvB).

  

 22 septembre 2013 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année C  

Évangile selon saint Luc 16,1-13

Voilà un homme qui riche qui avait un gérant. A tort ou à raison, on accuse le gérant, peut-être parce que certains enviaient sa bonne situation. Alors l'homme riche appelle son gérant : On m'a dit telle et telle chose de toi. Pourquoi as-tu agi ainsi ? Rends compte de ta gestion. Reviens demain avec toutes les écritures pour que je les examine moi-même. Le gérant réfléchit : je vais m'assurer des amis qui me recevront par reconnaissance quand je ne serai plus gérant. Il dit au premier débiteur : Tu dois combien ? Cent barils d'huile. Il y a trois ans, cet homme avait absolument besoin d'argent et il a donc emprunté la valeur de trente barils d'huile à condition qu'il donne à l'homme riche ce que rapportera en trois ans les trente barils. Et voilà : ils m'ont rapporté la valeur de cent barils et je dois les donner. Alors le gérant : Mais c'est un usurier. Lui, il est riche; toi, tu as à peine de quoi manger. Lui, il a peu de famille ; toi, tu as une famille nombreuse. Écris que ça t'a rapporté cinquante barils, et n'y pense plus. Je jurerai que c'est vrai et tu en profiteras. - Mais tu ne vas pas me trahir ? Et s'il vient à savoir ? Le gérant : Penses-tu ! Je suis le gérant et ce que je jure est sacré. Fais comme je te dis et sois heureux. - L'homme écrivit cinquante barils et il signa. Puis il dit au gérant : Sois béni, mon ami et mon sauveur ! Comment t'en récompenser ? - Mais pas du tout. Mais si à cause de toi je devais souffrir et être chassé, est-ce que tu l’accueillerais par reconnaissance ? - Mais bien sûr, tu peux compter sur moi. - Et puis même scénario avec l'homme qui devait cent sacs de blé parce que cet homme avait dû emprunter suite à une sécheresse de trois ans. A la fin l'homme est si content qu'il dit au gérant : Souviens-toi, ma maison est pour toi une maison amie. Etc. Etc. Et le gérant va retrouver son maître avec tous les comptes. Mais le maître, de son côté, avait filé son gérant. Alors il lui dit : Je sais ce que tu as fait. Ta manière d'agir n'est pas bonne et je ne l'approuve pas. Mais tu es un homme habile.

Alors Jésus commente : Moi aussi je vous dis : la fraude n'est pas belle et, pour elle, je ne louerai jamais personne. Mais je vous exhorte à être aussi malins que les enfants du siècle. Utilisez les richesses terrestres pour les faire servir de monnaie pour entrer dans le royaume de la lumière. Faites du bien avec les moyens dont vous disposez, restituez ce que vous avez pris indûment, détachez-vous de l'amour maladif pour la richesse. Les riches aussi peuvent se sauver tout en étant riches. Les pauvres, eux, se sauvent plus facilement parce qu'ils se contentent plus facilement de ce qu'ils ont.

Il y a un moment dans la vie de Jésus où il a été infiniment pauvre, c'est quand il a dit : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Mais quand le Fils est abandonné par le Père, il ne faut pas penser que le Père ne soit pas abandonné lui aussi. Car si le Fils ne peut plus atteindre le Père, il est impossible que le Père puisse encore atteindre le Fils. Le Père aussi est abandonné à la croix et séparé de son Fils. Il en est ainsi parce que, dans l'amour, il y a de l'unité ; et donc, dans l'amour, il est impossible que l'un soit frappé sans que l'autre le soit aussi... "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"

Notre Enlise est l’Église des saints, disait Bernanos. Et il ajoutait : "Pour être saint, quel évêque ne donnerait son anneau, sa mitre et sa crosse ? Quel cardinal sa pourpre ? Quel pontife sa robe blanche, ses camériers, ses suisses et tout son temporel ?... La sainteté est une aventure, elle est la même la seule aventure... Nul d'entre nous n'aura jamais assez de théologie pour devenir seulement chanoine. Mais nous en avons assez pour devenir des saints". Mais c'est quoi être saint ? Quand il y a dix pas à faire vers un autre, neuf en sont seulement la moitié...

C'est quoi être saint ? C'est un homme de notre temps qui dit cela, un peu philosophe sans avoir jamais été vraiment professeur de philosophie : "On parle toujours de pécheurs endurcis. Mais les gens endurcis dans la vertu valent-ils beaucoup mieux ? Toute dureté nous rend imperméables au divin".

Jésus nous raconte aujourd'hui cette histoire du gérant malhonnête. Comment faire nos comptes avec Dieu ? Péguy disait : "Laissons donc à Dieu le soin de faire la comptabilité de nos vies, c'est encore nous qui y gagnerons".

Le Seigneur Jésus vient de Dieu et il va à Dieu... Il va à Dieu en entraînant l'homme dans l'intimité de Dieu... Il vient à nous à la crèche pour manifester la familiarité, la proximité dont Dieu seul a le secret. Dieu est plus petit que tout, il est plus grand que tout... Humilité et majesté.

Tout le credo de l’Église primitive s'est cristallisé autour de l'interprétation de la fin effrayante de Jésus sur la croix : elle s'est produite pour nous. Saint Paul dit même : pour chacun de nous, pour moi. "Ma vie présente, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi". (AvecBarbey d'Aurevilly, Gustave Thibon, Georges Bernanos, Péguy, Albert Chapelle, AvS, HuvB).
 

18 septembre 2016 - 25e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 16,1-13

Dans cet évangile, Jésus donne d'abord comme exemple un "magouilleur" financier qui arrive à s'en sortir par d'habiles manœuvres du mauvais pas où il était engagé. Jésus nous montre un filou et il souhaite que les enfants de Dieu soient habiles comme lui dans les choses de Dieu, dans les choses de la foi, dans leur chemin vers Dieu, pour voir ce qui est bien, ce qui est bon, ce qui est juste, ce qui plaît à Dieu. Et Jésus conclut : "Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'argent". Qu'est-ce que ça veut dire ? Comment faire ?

Il y a ceux qui n'ont même pas le SMIC pour vivre. Il y a ceux qui cherchent du travail pour gagner leur vie et n'en trouvent pas, il y a ceux qui pourraient travailler mais préfèrent vivre sans rien faire, aux crochets de la société, il y a ceux qui gagnent deux fois le SMIC ou cinq fois et dix fois et beaucoup plus. Saint Paul disait déjà : "Celui qui ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus".

Dans l'une des lectures de saint Augustin qu'on a eue cette semaine à l'office des matines - une homélie de saint Augustin aux chrétiens d'Hippone -, il leur disait déjà ceci : "Trop d'abondance peut nous conduire à oublier Dieu. Alors Dieu peut nous envoyer des épreuves pour nous réveiller. Tu instruis ton fils, tu voudrais qu'il recueille intégralement ce que tu possèdes, mais ce que tu lui donneras, il faudra bien qu'il le laisse un jour comme tu le laisseras toi-même. L'héritage que Dieu veut nous donner, c'est lui-même afin que nous le possédions et que nous soyons possédés par lui éternellement".

Ce que fait un chrétien dans sa vie quotidienne, et ce qui semble appartenir totalement à sa vie terrestre, il le fait pourtant toujours aussi dans la foi, c'est-à-dire avec la conscience que Dieu voit  ce qu'il fait et que c'est la somme de ses actes qui fait une existence chrétienne. Mais la question que beaucoup se posent est de savoir si Dieu existe encore. Avons-nous encore besoin de croire que Dieu existe ? Ce qu'on a cru certain autrefois, est-ce encore vrai ? A quoi nous sert-il de croire qu'il existe un Dieu ?

Dans l’Église, la foi est pour certains comme une évidence, alors que pour d'autres elle est toujours un combat, un doute surmonté, pourquoi ? La seule chose que j'ai à faire, c'est de cultiver le don de la foi. Si la foi est un don, je dois surtout m'abstenir de juger celui qui n'a pas reçu le même don que moi. La seule chose que j'ai à faire, face à mon frère est de le confier à la grâce de Dieu. Saint Augustin - encore lui - disait déjà, il y a très longtemps : "Si tu es attiré (c'est-à-dire si tu es attiré par Dieu), suis ton attrait ; si tu n'es pas attiré, demande à l'être, mais ne demande pas pourquoi ton voisin ne l'est pas". Après tout, si mon frère ne croit pas en Dieu, ce n'est pas qu'il est moins bon que moi, mais que je ne suis pas assez contagieux dans ma façon de vivre l’Évangile.

Depuis deux siècles en Occident, on a eu tellement tendance à réduire le christianisme à une morale qu'il est devenu ennuyeux. Un philosophe chrétien de notre temps disait dans le même sens : "Nous payons à notre époque les lourdes erreurs et négligences d'un passé très peu lointain (avant tout au XIXe siècle) en matière de théologie", c'est-à-dire dans la manière de dire la foi. Et le même homme continuait : "Il y a le monde de Dieu et le monde contre Dieu ; l'ange des ténèbres est à l’œuvre aussi chez les intellectuels, le prince de ce monde travaille aussi dans l’Église. Le monde, c'est le domaine de l'homme, de Dieu et du diable".

L'homme est libre parce que Dieu l'a voulu libre. Le christianisme est la seule religion monothéiste qui ait appris au fil du temps à ne pas haïr les apostats. La différence entre le christianisme et les autres religions n'est pas que les chrétiens n'aient pas par le passé conduit des guerres terribles au nom de la foi - les chrétiens n'ont pas ce triste monopole-, la différence est qu'ils s'en repentent.

Le premier devoir des chrétiens aujourd'hui, c'est de chercher à comprendre pourquoi ils croient et en quoi ils croient, sinon leur foi ne peut pas tenir debout. Ce que les chrétiens d'aujourd'hui ne doivent cesser de viser, c'est une intelligence aimante des mystères de Dieu et du monde. Et cette intelligence doit puiser au grand courant de la révélation de Dieu gardée dans les Écritures et interprétée tout au long des siècles par la tradition des saints, des mystiques et des penseurs chrétiens qui ne cessent d'essayer de dire la foi pour leur époque en termes compréhensibles pour leurs contemporains. Le croyant ne peut pas dire ni rendre visible tout ce qu'il est. Mais tout croyant est appelé à semer des semences de vie divine : charité, joie, paix. (Avec saint Augustin, Philippe Capelle, André Nouis, J. Alison, Jacques Maritain, Chantal Delsol, Olivier de Berranger, AvS, HuvB).

 

25 septembre 2011 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 21,28-32

Jésus est en discussion avec les chefs juifs. Nous approchons de la fin de la vie de Jésus. Toute une foule a fait à Jésus une entrée triomphale à Jérusalem. Ensuite Jésus s'est permis de chasser les vendeurs du temple. Et puis il y a tous ces miracles qu'on raconte partout. Seulement Jésus ne fait pas partie du cercle des responsables religieux de son peuple. Pourquoi toute cette agitation autour de lui ? De quel droit se permet-il de faire tout ce qu'il fait ? De quel droit accepte-t-il que les foules lui fassent une ovation ?

Jésus répond d'abord aux chefs juifs par une question : D'après vous, Jean-Baptiste, est-ce que c'était un envoyé de Dieu ou non ? Pour les foules, il était évident que Jean-Baptiste était un homme de Dieu, un prophète. Mais les chefs religieux des juifs répondent à Jésus : Nous en savons pas s'il venait de Dieu. Ils disent qu'ils ne savent pas alors qu'ils sont bien persuadés que Jean-Baptiste était un homme de Dieu. Alors pourquoi disent-ils à Jésus qu'ils ne savent pas ?

Jésus n'insiste pas, mais il leur propose cette petite histoire des deux fils. Le premier dit : Oui, oui, je vais faire ce que tu me demandes. Et il ne fait rien. Le deuxième fils commence par dire non, puis il fait ce qu'on lui a demandé. Les chefs juifs devraient savoir d'où vient Jésus. Ils se doutent bien que Jésus vient de Dieu. Mais Jésus ne fait pas partie des pouvoirs établis. Et puis il a un enseignement très particulier qui contredit sur plus d'une point l'enseignement religieux en vigueur. Parmi les chefs religieux des juifs, il y en a qui reconnaissent en Jésus un homme de Dieu. Pour reconnaître en Jésus un homme de Dieu, il faut une certaine droiture du cœur. A un certain moment, on peut douter : on a l'impression que la vérité est là. Mais on peut se rétracter pour des raisons qui ne sont toutes très claires. Il peut y avoir un blocage. Pourquoi ? La vérité est là, mais on ne fait pas le pas qui va jusqu'à la reconnaître. Alors Jésus n'y va pas de main morte avec les chefs religieux de son peuple : les pécheurs publics - publicains et prostituées - arriveront avant vous dans le royaume de Dieu. Là le divorce est consommé. C'est comme une déclaration d'incompatibilité d'humeur, une déclaration de guerre. Si le cœur n'est pas droit, il se ferme à Dieu.

Et l'histoire continue jusqu'à aujourd'hui. On s'ouvre à Dieu ou on se ferme à lui. On trouve toujours de bonnes raisons pour se fermer à Dieu. Mais il y a toujours aussi assez de bonnes raisons pour s'ouvrir à lui et devenir croyant ou un peu plus croyant.

Dieu garde toujours la liberté de révéler de lui-même ce qu'il veut et de garder pour lui ce qu'il veut. Aucune révélation de Dieu n'appauvrit le mystère de Dieu. Les croyants sont invités bien sûr à se dépenser pour comprendre la révélation de Dieu, et cependant ils sont avertis doucement de ne pas oublier que Dieu est incompréhensible et qu'il est toujours au-delà de ce qu'on a pu deviner de lui. Les chefs religieux des juifs avaient pour ainsi dire conscience qu'ils savaient tout de Dieu et des chemins vers Dieu. Et ce que Jésus pouvait dire, cela ne pouvait être qu'une erreur.

Un pasteur protestant de notre temps, devenu catholique, puis prêtre catholique, a raconté récemment comment s'est fait ce passage dans sa vie. Son père était instituteur ; c'était un catholique peu pratiquant, mais très croyant : c'est du moins comme ça que le voyait son fils. Et cet instituteur, catholique mais peu pratiquant, était aussi franc-maçon. Il a fait néanmoins baptiser ses trois enfants et les a envoyés au catéchisme. La mère du futur pasteur protestant qui est devenu prêtre catholique était danseuse étoile au théâtre du Châtelet. Elle était athée - sans Dieu. Son propre père était mort en disant : "A bas la calotte!"

Et le jeune garçon qui allait au catéchisme catholique, vers l'âge de quatorze ans, après une colonie de vacances en Alsace, s'est inscrit de lui-même au catéchisme luthérien. Son père n'y a pas vu d'inconvénient. Le garçon est devenu pasteur luthérien et aussi franc-maçon tout comme son père. Quand il a songé à devenir catholique, il a senti qu'il devait quitter la maçonnerie, bien sûr. Le livre où il raconte un peu son histoire, il l'a intitulé : "De Luther à Benoît XVI". C'est toujours instructif de relire notre foi avec les yeux des convertis.

Je termine avec deux petites réflexions qu'on trouve dans ce livre. La première, c'est sur le mariage. Il écrit ceci : "Il y a une ascèse dans le mariage comme il y a une ascèse dans les vœux de religion. C'est aussi difficile de tenir le célibat et la chasteté que de tenir la fidélité jusqu'à la mort". Quels sont vos commentaires sur cette déclaration ? Et puis cette autre réflexion sur la vie du croyant : "On n'en sait jamais assez en matière de religion. Jusqu'au dernier soupir, il faut chercher à en savoir plus". Comme me disait un jour un Italien qui ne maîtrisait pas encore tout à fait le français : "Nous avons du travail sur la planche !" (Avec Michel Viot, AvS).

 

28 septembre 2014 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 21,28-32

Nous sommes tous capables de changer d'avis. Pour le meilleur et pour le pire. On commence par dire : "Oui, oui, pas de problème", et on ne fait rien. On commence par dire : "Non, je ne veux pas", et pour finir on le fait quand même.Le péché impardonnable, c'est celui de l'homme qui ne veut pas être pardonné.

Sainte Catherine de Sienne a entendu Dieu qui lui disait : "Le plus grave des péchés, c'est de douter de ma miséricorde. C'est pourquoi le désespoir de Judas m'a attristé plus moi-même et il a été plus pénible à mon Fils que sa trahison... Comme si les hommes avaient le droit de croire que leur péché est plus grand que ma miséricorde".

On peut penser aussi qu'on n'a pas besoin de la miséricorde de Dieu, on fait tout bien, on n'a rien à se reprocher. C'est le danger des interlocuteurs de Jésus : les chefs des prêtres et les anciens. C'est le danger des hommes religieux de tous les temps : ils n'ont pas besoin de la miséricorde de Dieu... ou si peu ! Les prostituées, elles, savent au moins qu'elles ne sont pas "dans les clous". Et elles peuvent savoir qu'elles ont besoin de pardon.

Nous sommes tous en marche vers Dieu, nous sommes tous en marche vers la croix et, comme disait une sainte de notre temps, nous devons recueillir avec reconnaissance toutes les parcelles de croix que Dieu nous donne. Marie, la Mère de Jésus, a une relation particulière et unique au péché et au pécheur. Parce que c'est au péché et au pécheur qu'elle est redevable de son Fils. Et c'est pourquoi elle aime les pécheurs, d'une certaine manière aussi, en tant que pécheurs.

Seul celui qui est dans la vérité connaît le Père. Celui qui ne reconnaît pas son péché ne peut pas être dans la vérité, il ne peut donc pas connaître Dieu. Seul le Fils, Jésus, n'a pas besoin de reconnaître de péché parce qu'il n'a jamais rien caché au Père. Il n'y a jamais eu en lui d'opposition entre sa connaissance de Dieu et sa vie.

Jésus nous parle aujourd'hui du repentir. L'un se repent d'avoir fait le mal, l'autre regrette d'avoir fait le bon choix. Les scribes et les pharisiens n'ont pas besoin de se repentir. Ils font tout bien. Le diable : ce qui est navrant avec le diable, c'est qu'il ne se fatigue pas. Et que les chemins de l'enfer son pavés de bonnes intentions.

Il y a une parole féroce de saint Vincent de Paul, on peut supposer qu'il l'a dite devant des prêtres. Il disait : "L’Église n'a pas de pires ennemis que les prêtres". Cela rejoint l'évangile, malheureusement : les pires ennemis de Jésus, ce sont les spécialistes de la religion : les prêtres, les scribes et les anciens. Un homme de quatre-vingt-dix ans, pasteur protestant, disait à son fils : "Je ne suis pas encore au bout de mon baptême. Dieu devra travailler en moi par-delà la mort".

Quand je me place devant Dieu comme pécheur, je place ma faute dans la lumière de Dieu..., dans la lumière d'un Dieu qui, certes, est juge, mais dont le jugement est porté par l'amour. Et mon aveu est déjà le fruit d'une grâce donné à l'avance. Ce n'est pas la tentation qui fait que nous sommes pécheurs. C'est quand nous succombons à la tentation que nous sommes pécheurs... La tentation est inévitable. Pourquoi inévitable ? Parce que là où Dieu construit une église, à côté Satan construit une chapelle.

Le Dieu qui culpabilise, le Dieu qui abat, le Dieu qui casse, qui opprime, qui aliène, ce n'est pas ce Dieu que Jésus voit. Jésus voit le Père et, de même que le Père ressuscite, appelle à la vie, lui aussi Jésus appelle à la vie : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu ; ça n'a pas dû plaire à tout le monde d'entendre ça.

Le pape Jean-Paul II a osé autrefois demander pardon publiquement pour les péchés des hommes d’Église. Il reconnaissait par là que l’Église a aussi son histoire propre avec beaucoup d'apports qui ne viennent pas de Dieu. Une espèce de saint de notre temps notait dans son journal personnel : "Je sais que l'orgueil et la vanité sont le poison des hommes d’Église". Et une sainte de notre temps complétait le tableau quand elle disait : "L'orgueil est une impureté de l'esprit, le manque de charité est une impureté du cœur".

Il y a une communion des saints et il y a une communion des pécheurs. La communion des saints, Léon Bloy l'exprime comme ceci : "Tel mouvement de la grâce qui me sauve d'un péril grave a pu être déterminé par tel acte d'amour accompli ce matin ou il y a cinq-cents ans par un homme très obscur de qui l'âme correspondait mystérieusement à la mienne et qui reçoit ainsi son salaire". (Avec sainte Catherine de Sienne, Pierre Chaunu, saint Vincent de Paul, Gérard Siegwalt, Cardinal Danneels, Léon Bloy, AvS).

 

27 septembre 2009 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 9, 38...48

Notre évangile d'aujourd'hui met d'abord en scène l'apôtre Jean, le frère de Jacques. Jacques et Jean, au début tout au moins de leur vie de disciples de Jésus, n'étaient pas des modèles de tolérance. Jésus lui-même, selon l'évangile de Marc, leur avait donné le surnom de "fils du tonnerre", ce n'était pas sans raison.

L'apôtre Jean intervient ici auprès de Jésus. Jean n'est pas content parce qu'un homme qui ne fait pas partie des disciples de Jésus a chassé des démons au nom de Jésus. Il n'a pas le droit de faire ça, pense saint Jean, il n'est pas des nôtres. Jésus n'a pas réfléchi longtemps pour donner une réponse à saint Jean. Il n'a pas demandé qu'on lui amène le coupable présumé qui avait chassé des démons sans être de ses disciples attitrés. Jésus énonce un principe général : si quelqu'un fait des miracles ou chasse des démons, il ne peut pas être un ennemi de Dieu et de Jésus.

Saint Jean était scandalisé parce qu'il avait vu quelqu'un qui n'était pas des disciples chasser des démons au nom de Jésus. Jésus saisit l'occasion de parler du scandale. On peut scandaliser les autres et, dans ce cas, on est responsable de ce qu'on fait, des dégâts que l'on cause. Mais on peut aussi porter en soi, si on peut dire, des causes de scandale. Alors là, Jésus trouve des formules percutantes qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre, au premier degré : si ta main t'entraîne au péché (si ta main vole), coupe-la ; si ton pied t'entraîne au péché (s'il va dans des endroits où il ne doit pas aller), coupe-le ; si ton œil t'entraîne au péché (pour regarder ce qu'il ne doit pas voir), arrache-le.

Si quelqu'un fait un miracle ou chasse les démons, Dieu n'est pas loin. Là où il y a de l'amour, Dieu n'est pas loin. Et donc le vrai prophète devrait se réjouir chaque fois qu'il voit de la charité en action. Dans l’Église et dans le monde, il y a beaucoup de manières de faire le bien. Et personne n'a le droit de revendiquer pour soi la grâce de Dieu. Beaucoup d'incroyants qui font le bien peuvent être très proches de Dieu sans le savoir. Ils le sauront un jour. Pour le moment, ils ont les œuvres, sans la foi. Mais les croyants, eux, n'ont pas le droit d'être sans les œuvres. La foi véritable est impossible sans les œuvres. Quelles œuvres ? Celles que Dieu attend de moi, tout ce qu'il veut de moi, que ça me plaise ou non, que ce soit ce que j'ai toujours fait ou quelque chose que je ne comprends pas aujourd'hui. La foi, c'est donner à Dieu tout ce qu'on a. La foi, c'est avoir les yeux fixés sur Dieu, non sur soi-même, et sur tout ce qui peut nous sembler impossible aujourd'hui et que Dieu nous demande.

Beaucoup d'incroyants peuvent faire le bien autour d'eux et être très proches de Dieu sans le savoir. Le christianisme n'est pas un système qui s'imposerait de l'extérieur. C'est un appel adressé à la conscience et à la liberté de chaque être humain. Il y a des gens qui ne sont pas croyants, qui ne sont plus croyants, et qui peuvent être très proches de Dieu. Mais ce serait beaucoup mieux pour eux qu'ils puissent donner à Dieu son vrai nom.

L'évangélisation, c'est cela : aider tous les humains à s'approcher de Dieu et à lui donner son vrai nom. Et l'évangélisation, ça concerne tous les croyants. Ce n'est pas nous qui l'avons inventée. C'est Dieu qui veut travailler à travers les croyants, à travers nous. Le Seigneur Jésus veut passer par nous pour se dire au monde. Et toute forme de catéchèse est une participation au travail de Dieu. Mais nous tous qui sommes déjà croyants, nous avons besoin nous-mêmes d'apprendre, nous devons toujours nous-mêmes être en état d'initiation au mystère de Dieu. L’Église, c'est ça : un lieu d'initiation au mystère de Dieu.

Une femme voilée avait participé à un débat télévisé. Réflexion d'un journaliste : "Dès qu'il y a un livre révélé, il y a de l'obscurantisme". Réaction de Mgr Dagens : "Quelle idiotie et quelle ignorance!". Mgr Dagens ne fait pas de complexe. On peut être incroyant et dire des sottises concernant les choses de la religion. On peut être incroyant, faire beaucoup de bien autour de soi et être proche de Dieu. Il est croyant, Mgr Dagens. Dans le même style, il ajoute encore : "Au milieu de tout ce qui handicape et parfois paralyse l’Église, sommes-nous prêts à reconnaître que Dieu travaille ?"

Dans l'évangile d'aujourd'hui, saint Jean proteste parce que des gens chassent les démons sans être les disciples tout proches de Jésus. Saint Jean était dans l'état d'initiation au mystère de Dieu. Ce jour-là, Jésus ouvre un peu ses horizons. Dieu est plus grand que le petit horizon de Jean à ce moment-là. On ne peut jamais prévoir comment l'Éternel va se présenter dans notre vie temporelle. On ne peut jamais prévoir ce qu'on va mieux comprendre aujourd'hui de son mystère et ce qui va encore rester dans une demie obscurité. (Avec Fiches dominicales, Mgr Dagens, AvS, HUvB).

 

30 septembre 2012 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 9,38-43.45.47-48

C'est un évangile un peu composite qui nous est proposé aujourd'hui. Il y a quelqu'un qui chasse des démons sans faire partie du groupe des disciples proches de Jésus. Puis il est question de la récompense de celui qui donnera un verre d'eau à un disciple de Jésus. Et enfin il est question du scandale.

Et là, curieusement, il est question de deux sortes de scandales : le scandale qui peut faire tomber quelqu'un d'autre, et puis cette sorte particulière de scandale qui consiste à se faire un croche-pied à soi-même : si ton pied t'entraîne au péché, c'est-à-dire il y a des lieux où il vaut mieux ne pas aller pour ne pas se livrer à la tentation ; si ton œil t'entraîne au péché, c'est-à-dire il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas regarder parce que finalement ça éloigne de Dieu ; si ta main t'entraîne au péché, c'est-à-dire fais attention à ce que tu fais. On pourrait ajouter : si ta langue t'entraîne au péché. Comment ? Parce que la langue peut faire beaucoup de mal.

Voilà donc un évangile assez composite : un homme qui chasse des démons sans faire partie du groupe des disciples proches de Jésus : l'apôtre Jean en est scandalisé. Et Jésus ajoute un petit commentaire sur le scandale. Vers la fin de sa vie, quand l'apôtre Jean écrira ses lettres à différentes communautés chrétiennes, il ne sera plus homme à se scandaliser pour si peu. Il dira : Voyez de quel grand amour le Père nous a aimés : il a fait de nous ses enfants. Et s'il y a des gens qui ne nous reconnaissent pas, c'est qu'ils n'ont pas encore eu la grâce de découvrir Dieu. Nous devons toujours rester enfants de Dieu et cependant nous devons toujours grandir vers le Père, mais sans l'ambition de devenir jamais adultes et de rattraper le Père.

Nos pensées sur la toute-puissance de Dieu sont souvent trop courtes. Il y a un homme qui chasse des démons et qui n'est pas dans notre groupe de disciples : la belle affaire ! Comme si Dieu ne pouvait pas toucher le cœur des hommes avant même qu'ils ne reconnaissent l’Église. Dieu a toujours le pouvoir de pénétrer dans notre vie, de nous transformer pour qu'il puisse nous prendre à son service ; il a toujours le pouvoir de donner à nos actes le pouvoir de témoigner de lui ; Dieu a toujours le pouvoir de former nos pensées pour qu'elles soient telles qu'il veut les avoir dans sa toute-puissance.

Dieu peut s'introduire dans chacun des domaines de notre vie comme il peut s'introduire aussi dans les personnes et les choses que nous atteignons, comme aussi dans les personnes et les choses que nous n'atteignons pas, et dans tous les temps et dans tous les espaces ; si bien que Dieu peut, quand il le veut, faire de tout le créé une partie constitutive de son royaume.

Il y a un homme qui chasse des démons au nom de Jésus sans être de notre groupe : s'il le fait, c'est que Dieu est avec lui. Saint Paul dira plus tard : "N'éteignez pas l'Esprit". Le miracle ne peut être accordé là où il n'y a pas de foi ni de désir de l'obtenir.

Israël autrefois, les disciples autour de Jésus, l’Église aujourd'hui, tous ont une vocation particulière : ils sont un peuple saint, consacré à Dieu, séparé en quelque sorte de ceux qui ne sont pas encore croyants, mais justement ils sont séparés et consacrés à Dieu pour accomplir une mission pour tous les autres peuples, pour le monde entier. En dehors du message chrétien, l'humanité n'a pas d'espérance. Nous disons dans la prière : "Notre Père qui es aux cieux". Le Père veut donner ce qui est utile pour tous ses enfants, il le veut. Il est aux cieux, et donc il peut le donner, il le peut.

C'est ici qu'on peut se souvenir de l'un des enseignements de Vatican II, il y a cinquante ans : "Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, c'est-à-dire divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal", de devenir enfant de Dieu et héritier de son royaume. (Avec Benoît XVI, Jean Becker, Oscar Cullman, Vatican II, AvS).

 

27 septembre 2015 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 9,38-43.45.47-48

Jésus peut chasser les démons et il a donné aussi à ses disciples le pouvoir de le faire. Et voilà qu'un étranger, qui ne suit pas Jésus, qui n'a donc reçu de lui aucune autorisation expresse, se permet aussi de chasser les esprits mauvais. Jean et les autres apôtres l'ont regardé faire et ils sont impressionnés, et ils ont voulu l'en empêcher : cet étranger n'est pas du groupe des disciples; et les disciples ne supportent pas la concurrence, ils ont voulu empêcher cet étranger de chasser des esprits mauvais.

Jean, le disciple bien-aimé, n'a pas encore tout compris : l'amour justement devrait l'ouvrir à toute l'ampleur des intentions de Jésus. Nous pouvons demander ici à Dieu de comprendre toujours plus profondément quelles sont ses intentions pour nous et pour ceux qui sont loin de nous. Les disciples sont convaincus d'avoir fait quelque chose d'intelligent en empêchant cet étranger de chasser des esprits mauvais. Et que leur dit Jésus ? "Ne les empêchez pas".

Les disciples ne comprennent pas que c'est l'Esprit de Dieu qui opère les miracles. Jésus ne blâme pas ses disciples, il se contente de leur montrer son point de vue opposé : celui qui a la force d'opérer un miracle par l'Esprit Saint ne peut pas, aussitôt après, mal parler du Fils. Celui qui chasse les démons a en lui l'Esprit Saint. C'est l'Esprit Saint qui donne la force du miracle... "Qui n'est pas contre nous est pour nous"... Celui qui n'est pas contre le Seigneur Jésus est pour lui, c'est-à-dire celui qui ne  tolère en son cœur aucune désobéissance, celui qui n'a en lui rien qui fasse résistance au Seigneur Jésus. Nous pouvons demander au Seigneur Jésus de bien vouloir nous montrer précisément où se trouve en nous ce qui serait contre lui. Et dans ce qui est en nous contre lui, il peut y avoir aussi l'impatience envers tous ceux qui agissent dans son Esprit, quelle que soit la façon dont ils se situent par rapport à nous.

Les apôtres croyaient bien faire en empêchant quelqu'un de chasser des esprits mauvais. "Si tu attends pour parler de Dieu d'avoir trouvé des paroles dignes de lui, tu n'en parleras jamais". Le découragement est une forme d'orgueil. On n'imagine pas la Vierge Marie découragée. Mais comment parler de la foi ? Un cardinal théologien de la fin du XXe siècle disait : "Les membres de l’Église doivent témoigner de leur foi par une meilleure pratique de la justice et de la charité... Si l'homme est fait pour Dieu, notre devoir de charité fraternelle, sinon le plus urgent, du moins le plus spécifique et le plus grave, est de lui faire connaître ce Dieu pour qui il est fait".

Le problème pour les incroyants, c'est souvent qu'ils se croient obligés, pour ainsi dire, de lutter contre ce qu'ils estiment être l'obscurantisme de la religion. Comment faire alors pour ne pas donner l'impression qu'il y a de l'obscurantisme dans la religion ? Pascal nous avertissait déjà, il y a bien longtemps : "La vérité sans la charité n'est pas Dieu mais son idole qui ne mérite pas d'être adorée". Mais l'autre tentation du chrétien d'aujourd'hui, c'est de vouloir témoigner de sa foi en s'immergeant dans le social, et d'oublier Dieu finalement. Mère Teresa de Calcutta tenait les deux bouts de la chaîne : la vérité et la charité, Dieu et les pauvres. Mère Teresa a fondé la congrégation des "Missionnaires de la charité". Et quand on a voulu célébrer l'anniversaire des vingt-cinq ans de la fondation de cet institut, qu'est-ce que Mère Teresa a voulu pour ces fêtes ? Ces fêtes ont été consacrées exclusivement à la prière.

Que faire devant les incroyants ? Un philosophe incroyant, devenu chrétien convaincu, raconte ceci avec un certain humour : "Pour tout vous dire, en tant que chrétien, je ne peux considérer les athées et les agnostiques que comme des envoyés de Dieu. Primo, ce sont des créatures et c'est la Providence aimante du Créateur qui les met sur mon chemin. Secundo, leur ingratitude (vis-à-vis de Dieu) contient un éloge inconscient, ils manifestent que Dieu est assez puissant et généreux pour créer non des pantins béni-oui-oui, mais des personnes capables de le refuser. Tertio enfin, par leur opposition, par la dureté de meule de leur tête, ils me donnent d'aiguiser ma pensée, d'approfondir ma foi, de m'arracher à une adhésion religieuse de confort".

Terminer avec une espèce de saint de notre temps qui rejoignait Mère Teresa : "Qui peut dire si, en notre temps, ce n'est pas précisément une intense mise en valeur de la prière qui serait plus nécessaire que tout ?" (Avec Paul Clavier, François Varillon, Henri de Lubac, Adolphe Gesché, Pascal, Mère Teresa, Fabrice Hadjadj, AvS, HUvB).

 

26 septembre 2010 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 16, 19-31

L'évangéliste saint Luc est le seul à nous avoir gardé cette petite histoire du mauvais riche et du pauvre Lazare. Jésus nous raconte cette histoire et il nous laisse le soin d'en tirer les conséquences. Voilà donc un riche et un pauvre. L'homme riche est simplement riche et il jouit de son bien-être sans se poser de question. L'homme pauvre est simplement pauvre et il aimerait bien manger quelque chose qui tombe de la table du riche. Et puis changement de décor : le riche et le pauvre meurent. Qu'est-ce qui va se passer ? Le pauvre devient riche : les anges l'emmènent à la table d'Abraham dans le ciel. Le riche, lui, on le met simplement en terre. Et là, il souffre terriblement. Et il voudrait bien qu'on épargne à ses frères de venir partager son triste sort : il n'y a qu'à envoyer Lazare pour les avertir (Yaqua). Réponse du ciel à l'ancien riche devenu pauvre : ça ne servirait à rien d'envoyer Lazare à tes frères. Tes frères ont toutes les saintes Écritures, toute la Bible, pour savoir ce qu'ils doivent faire pour faire la volonté de Dieu. S'ils ne veulent pas comprendre, on ne peut rien faire pour eux. Saint Jean nous dit quelque part, en parlant de Jésus, qu'il est venu chez lui et que les siens ne l'ont pas reçu.

Être né et vivre dans un pays riche est une chance. Il y a tous les pays pauvres à notre porte qui voudraient bien se nourrir des miettes de notre abondance. Et même dans les pays riches, tous ceux qui y vivent n'ont pas les mêmes chances. Que faire et comment faire ? Saint Paul le disait tout à l'heure à son disciple Timothée et il nous le dit à nous aussi : "Toi, l'homme de Dieu, cherche à être juste et religieux".

Une sainte de notre temps a un jour vu toute sa vie comme une grande chaîne de trahisons envers Dieu. Elle avait l'impression que constamment elle s'était refusée à Dieu tout en l'assurant de son amour ; constamment elle a dormi ; c'était une tiédeur bien pire qu'un péché déclaré. Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire qu'un péché qui peut paraître petit aux yeux des hommes est souvent infiniment grand aux yeux de Dieu. C'est notre parabole d'aujourd'hui. Le riche de la parabole ne savait pas. Mais il aurait dû savoir, il aurait pu savoir...

Il aurait pu savoir... Tout être humain a une conscience. Et c'est quoi la conscience ? La conscience ? C'est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où la voix de Dieu se fait entendre. Ce sont les évêques du concile Vatican II qui ont dit cela. Notre évangile d'aujourd'hui nous dit : personne ne pourra dire : je ne savais pas.

Un chrétien de notre temps, prêtre orthodoxe et professeur dans un séminaire aux États-Unis, écrivait dans son journal : "Le péché essentiel, l'obstacle majeur sur le chemin qui mène à Dieu, c'est l'endurcissement du cœur". C'est peut-être ça le péché du riche de la parabole d'aujourd'hui : un cœur dur.

Question : "Vous voulez connaître le meilleur moyen de vous mettre entre les mains de Satan ?" Réponse du ciel : "C'est très facile. Il vous suffit de faire comme tout le monde". Les gens se mettent inconsciemment entre les mains de Satan... Inconsciemment : le riche de la parabole était inconscient. Mais le ciel lui a fait comprendre... durement... qu'il était responsable de son inconscience. L'homme est un curieux paradoxe. Il s'aime lui-même et il redoute ce qui le fait souffrir. Et pourtant il est capable d'amour, de don de soi et donc de courage.

Une foi chrétienne sans la pratique qui correspond à cette foi est une foi morte. Et la première œuvre de la foi consiste à ne pas résister à Dieu, à lui faire confiance totalement et à se livrer à l'action de Dieu. (Avec Fiches dominicales, Olivier Clément, Alexandre Schmemann, Philppe Ferlay, AvS, HuvB).

 

29 septembre 2013 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 16,19-31

Cette parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, seul l'évangéliste saint Luc nous l'a conservée. C'est un petit trésor. L'homme riche - on ne connaît pas son nom - était grand dans sa richesse. Lazare, lui, était grand dans sa misère. Mais sous la croûte de la misère humaine du mendiant était caché un trésor plus grand que sa misère et plus grand aussi que la richesse du mauvais riche. Son trésor, c'est qu'il avait toujours été fidèle à la Loi de Dieu. Mais il était pauvre et il se tenait à la porte du riche pour demander l'obole et ne pas mourir de faim. Et quand le riche s'apercevait de sa présence, il le faisait chasser parce que cet individu était un spectacle qui n’était pas du tout convenable pour tous ses invités qui étaient très convenables.

Et un beau jour, Lazare est mort. Personne ne s'en est aperçu, personne ne le pleura. Au contraire, le riche fut tout content de ne plus voir à sa porte cet homme déguenillé qui lui faisait honte. Mais les anges, eux, avaient recueilli l'âme de Lazare et ils l'avaient transportée en grande liesse au ciel, dans la compagnie d'Abraham.

Il se passe quelque temps. Et voilà que l'homme riche aussi meurt. Toute la ville se presse devant sa maison avec des paroles de louange pour ce juste, pour ce grand bienfaiteur qui était mort. Et malgré ses funérailles grandioses, le riche fut enseveli au fin fond du séjour des morts. Et alors, là, dans cette horrible prison, il voit là-haut dans le ciel Abraham et, auprès de lui, le pauvre Lazare, tout lumineux et tout bienheureux, tout beau dans la lumière de Dieu et riche de son amour.

Alors le riche supplie Abraham de lui envoyer Lazare, parce qu'il ne peut pas espérer qu'Abraham se dérange lui-même. Mais qu'au moins Lazare vienne lui mettre sur la langue au moins une goutte d'eau, car il souffre terriblement dans la fournaise où il se trouve. Pour Abraham, pas question de mettre une goutte d'eau sur la langue du riche : il a seulement ce qu'il mérite. Le riche comprend alors ce que c'est que de n'être pas aimé. "Mon âme a vu Dieu un instant, et j'ai su ce que c'était que l'amour".

Et alors il supplie Abraham d'envoyer Lazare dire à ses frères, qui sont encore sur terre, que c'est quelque chose d’atroce de se trouver là où il se trouve après la mort. Abraham ne veut rien entendre : Tes frères ont les Écritures, ils ont tout ce qu'il faut pour savoir ce qui plaît à Dieu. Il est inutile que Lazare aille les trouver pour essayer de les convertir, ça ne servirait à rien. Conclusion de l'histoire : mieux vaut être Lazare que le mauvais riche.

Dieu nous demandera toujours plus que ce que nous pourrons lui donner et, cependant, à aucun moment, il ne nous en demandera trop. Dans le ciel aussi il y a une communion. Non seulement nous verrons le Seigneur Jésus, mais nous serons aussi en communion avec le Père dans l'Esprit Saint, et avec Marie et Abraham et Padre Pio et Mère Teresa et tous les autres.

La vie du pauvre Lazare ici-bas n'était pas simple. Dans la vie de foi, tout n'est pas toujours simple non plus. Il n'y a pas de conquête définitive ; des temps obscurs peuvent revenir et aussi des tentations. Kierkegaard, le philosophe danois, relit la parabole du pharisien et du publicain. Et il imagine la suite de l'histoire. Le publicain ayant entendu la parabole de la bouche de Jésus monte de nouveau au temple le lendemain et il prie comme ceci : "Mon Dieu, je te rends grâce de ne pas être comme ce pharisien..."

La vie du pauvre Lazare ici-bas n'était pas simple. Mais Dieu entre aussi en nous par nos blessures. Dieu parle à chacun une langue absolument unique. La vie dans la foi n'est pas toujours simple non plus. Mère Teresa a vécu sa vie de foi pendant très longtemps dans les ténèbres. Elle se demandait parfois où était Dieu. C'était comme s'il était absent. Et c'est grâce à un de ses confesseurs que Mère Teresa a compris que ses ténèbres étaient le côté spirituel de son œuvre, une participation à la souffrance rédemptrice du Christ. Mère Teresa a vécu longtemps dans la nuit de la foi, elle appelait ça le "tunnel". Et elle avait compris qu'elle pouvait offrir sa souffrance pour ses pauvres, elle avait compris que sa souffrance offerte, Dieu pouvait la transformer en bénédiction pour les autres.

Le mauvais riche et le pauvre Lazare et les cinq frères du riche. L'une des caractéristiques les plus essentielles de l'amour, c'est le respect de la liberté de l'être aimé. Librement, l'être humain peut refuser d'aimer. Dieu ne force pas sa créature à vivre une relation harmonieuse avec lui, à vivre en communion avec lui, quitte à souffrir profondément des mauvais choix qu'elle effectuerait dans l'exercice de sa liberté. C'est saint Paul encore : "Ma vie présente, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi".

Le mauvais riche, le pauvre Lazare et les cinq frères du riche. Dieu respecte la liberté de l'être humain. Dieu veut attirer tous les hommes à lui. Ce qui est beau ne prétend jamais forcer des résistances. Ce qui est beau captive gracieusement des libertés qui se laissent convaincre. (Avec Mercedes Gomez-Ferrer, Kierkegaard, Jean de Menasce, Mère Teresa, Frère Emmanuel, AvS, HUvB).

 

25 septembre 2016 - 26e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 16,19-31

Cette parabole de l'homme riche et du pauvre Lazare est l'un des petits trésors de l'évangile de saint Luc. Le riche à la panse bien garnie n'a pas de nom ; le pauvre, lui, on sait comment il s'appelle. Dieu voit les pauvres accablés par leur misère, et les riches captifs de leur richesse. A leur disparition le même jour, à leur mort, renversement de la situation : Lazare trouve place au festin d'Abraham, le riche se retrouve les mains vides, comme dit le Magnificat, c'est le malheur absolu, il est damné et ça risque de durer longtemps.

Mais ce mauvais riche ne semble pas finalement si mauvais que ça : dans le dénuement qu'il connaît après sa mort, il se fait beaucoup de soucis pour ses frères, bons vivants comme lui autrefois, il voudrait qu'on les avertisse du revers de la médaille. Mais on n'écoute pas la prière de l'ancien riche : les cinq frères ont tout ce qu'il faut pour trouver leur juste chemin vers Dieu. S'ils ne le font pas, arrivera ce qui arrivera. Envoyer aux cinq frères un messager exceptionnel ? C'est inutile, répond Abraham. Même un miracle ne produit pas la conversion automatiquement. Les Écritures et la tradition de l’Église suffisent pour trouver la voie du salut.

Mère Teresa élargit les horizons sur la pauvreté. C'est quoi la pauvreté ? Elle nous dit : "Vous qui habitez en Occident, vous connaissez la pauvreté spirituelle, et c'est pour cela que vos pauvres sont parmi les plus pauvres. Parmi les riches, il y a souvent des personnes spirituellement très pauvres. Je trouve qu'il est facile de nourrir un affamé ou de fournir un lit à un sans-abri, mais consoler, effacer l'amertume, la colère et l'isolement qui viennent de l'indigence spirituelle, cela demande beaucoup de temps".

L'apôtre Jean, le disciple bien-aimé, est conscient de ses privilèges : il a eu le privilège de vivre avec le Seigneur Jésus. Ce fut le grand privilège de sa vie. Et il y voit aussitôt une obligation, l'obligation d'y faire participer tout le monde, de faire parvenir à tous les autres le don de Dieu. Il écrit au début de sa première lettre : "Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons afin que vous soyez en communion avec nous, nous vous annonçons cette Vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous est apparue, nous l'avons entendue, nous l'avons vue de nos yeux, nos mains l'ont touchée. Et notre communion aujourd'hui est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ". Jean veut montrer aux destinataires de sa lettre - à nous - combien est naturelle la relation avec le Seigneur Jésus.

Mais l'Ancien Testament déjà nous révèle sans cesse qu'il y a un combat incessant entre notre Dieu qui appelle et l'homme qui résiste.  Dieu est mort, disent les philosophes sans Dieu. Dieu est mort, il n'existe pas. Il faut se débarrasser de cette aliénation, c'est alors que l'homme se trouvera vraiment délivré. L'homme est son propre soleil.  Dieu n'était qu'une projection illusoire. Seul un humanisme conséquent assurera le salut de l'homme. Et que se passe-t-il alors ? A soixante-dix ans, le philosophe sans Dieu (je ne vais pas vous dire son nom) se suicide en se jetant par la fenêtre. En proclamant la mort de Dieu comme un succès, nos penseurs athées conduisent tout droit à la mort de l'homme. Devant tout cela, le croyant doit nettoyer devant sa propre maison, balayer devant sa porte, c'est-à-dire construire la logique et la défense de sa foi.

L’Église n'est pas un club qui organise des voyages en première classe pour après la mort. L’Église existe en tant que force de vie pour que le monde vive. Le temps de la domination de la société par l’Église est passé. Et il faudrait aussi que pour tous les chrétiens soit passé le temps de la nostalgie par rapport au pouvoir de l’Église sur la société. L’Église n'a pas vocation à diriger une société plurielle. Mais l’Église existe en tant que force de vie pour que le monde vive. L'Esprit Saint souffle où il veut, c'est-à-dire qu'il souffle où il peut, c'est-à-dire là où on l'accueille. Tout être humain a une dimension spirituelle. L'homme de notre siècle ne bat pas en retraite devant le religieux, seulement ses dieux à lui ne sont pas le Dieu de la Bible. Ses dieux à lui, c'est l'occultisme, l'économie, la finance, toutes les addictions qu'on peut imaginer et qui sont à notre porte et dans nos maisons.

Il y a dans l'humanité comme un cycle infernal de naissance et de mort. Et le but de l'incarnation du Seigneur Jésus, c'est justement de briser le cercle démoniaque de la naissance et de la mort. Et comment ? En vertu de la résurrection. (Avec Mère Teresa, Jacques Loew, Adolphe Gesché, Olivier Clément, Lytta Basset, Guy Coq, René Rémond, AvS, HUvB).

 

2 octobre 2011 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 21,33-43

Comme dimanche dernier, Jésus s'adresse aux chefs des prêtres et aux pharisiens, les chefs des prêtres et les pharisiens qui ne peuvent pas sentir Jésus. Jésus essaie de leur faire comprendre qu'il y a en eux quelque chose de faux. Dimanche dernier, Jésus concluait en leur disant : les prostituées seront avant vous dans le royaume de Dieu. Quelle horreur ! Aujourd'hui Jésus explique aux chefs des prêtres et aux pharisiens qu'is sont comme de mauvais vignerons, des vignerons indignes. Le propriétaire de la vigne, c'est Dieu ; la vigne, c'est le peuple de Dieu, Israël; les serviteurs de Dieu, ce sont les prophètes; le fils, c'est Jésus, tué hors des murs de Jérusalem ; les mauvais vignerons, ce sont les chefs des prêtres et les pharisiens. L'autre peuple à qui Dieu va confier sa vigne, ce sont les païens et les juifs fidèles. L'évangéliste saint Matthieu conclut son récit comme ceci : "En entendant ces paroles, les chefs des prêtres et les pharisiens comprirent bien que Jésus les visait. Mais tout en cherchant à l'arrêter, ils eurent peur des foules, car elles tenaient Jésus pour un prophète", un homme de Dieu.

Les chefs des prêtres et les pharisiens repoussent Jésus, renient Jésus. Quelque temps après, l'apôtre saint Pierre en fera autant. Quand Jésus aura été arrêté, saint Pierre essaiera encore quand même de le suivre jusque dans la cour du grand-prêtre devant qui Jésus passe en jugement. Et là, dans la cour, plusieurs vont reconnaître Pierre : "N'es-tu pas, toi aussi, l'un de ses disciples ?...Ne t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? A nouveau Pierre le nia et au même moment un coq chanta". Avant d'avoir rencontré Jésus, la vie de Pierre était simple et limpide. Puis il avait suivi Jésus avec enthousiasme : tous ces miracles et cette parole et toutes ces foules ! Pierre était sûr de Jésus. Et voilà que maintenant saint Pierre n'y voit plus rien. Tant que Jésus était libre, saint Pierre pouvait le regarder avec admiration, et quelque chose de la gloire de Jésus rayonnait sur lui, le disciple. Il se sentait soulevé. Maintenant Jésus est lié. Toute sa gloire est retombée et il n'a plus rien pour en imposer à saint Pierre. Et Pierre en vient à penser que sa foi était une erreur... Saint Pierre est un symbole de celui qui est laissé à sa propre faiblesse, un symbole de l’Église si le Seigneur Jésus ne vient pas sans cesse la rechercher.

Saint Pierre renie Jésus comme les chefs des prêtres et les pharisiens. Mais la suite de l'histoire sera toute différente pour saint Pierre et pour les autres. Le démon tire habilement profit de toute faiblesse. Quelles faiblesses ? Jalousies, passions, frustrations personnelles, soif de pouvoir, égoïsme. Le démon fait son gîte dans le cœur de l'orgueilleux. Quand le coq a chanté, les chefs des prêtres et les pharisiens n'ont pas bronché. Saint Pierre, lui, s'est enfui en pleurant. Les chefs des prêtres et les pharisiens étaient les plus religieux d'entre les hommes. Pourquoi n'ont-ils pas pu reconnaître en Jésus le Messie ?

L'histoire ne cesse de recommencer. C'est un homme de notre temps qui remarque ceci : La France est passée du statut de fille aînée de l’Église à celui de plus mauvais élève des pays catholiques vis-à-vis de Rome... Ce n'est pas surprenant : quand on a été au faîte, il arrive qu'on tombe plus bas que les autres. La parabole d'aujourd'hui qui visait les chefs des prêtres et les pharisiens concerne aujourd'hui l’Église et chaque croyant. Il est inutile de rêver d’une pureté impossible. Comme toute société humaine, l’Église regorge d'impuretés et de pharisaïsmes. Jésus disait : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. L’Église fait toujours trop belle la part de César, la part du monde en ce qu'il a de moins bon. Et ce qu'elle appelle Dieu n'est que trop souvent un masque ou un mot. Mais quand même l’Église permet de rendre à Dieu un peu de ce qui est à Dieu. En dehors d'elle, tout va à César, et au monde sans Dieu, et au monde contre Dieu.

L'Esprit Saint est un acteur invisible, mais un acteur suprême. Car il agit au fond des cœurs, en respectant pleinement leur liberté. La foi de saint Pierre avait besoin d'être purifiée et surélevée, la foi des chefs des prêtres et des pharisiens avait besoin aussi d'être purifiée. La foi de l’Église a toujours besoin d'être purifiée et surélevée. Et il faut sans doute une certaine défaite extérieure du monde chrétien, son appauvrissement et son rejet, pour que notre foi se purifie de tout orgueil, de toute attente d'une victoire perceptible.

Dieu est amour. Il est aussi la magnificence absolue. Mais il veut nous rendre humbles parce que lui-même n'est pas seulement la magnificence absolue, mais tout autant l'humilité absolue. (Avec Gilles Jeanguenin, Michel Viot, Gustave Thibon, René Coste, Alexandre Schmemann, AvS, HUvB).

 

5 octobre 2014 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 21,33-43

Nous sommes à Jérusalem dans le temple. Jésus enseigne dans une cour du temple comme font les rabbis. Dans la petite foule qui entoure Jésus, il y a des Juifs influents, des pharisiens et des scribes, qui sont à l'affût comme toujours pour prendre Jésus en défaut. Et c'est justement pour eux que Jésus raconte cette petite histoire des vignerons homicides. Et en racontant cette petite histoire, il décrit au fond les différentes étapes de l'histoire sainte : Dieu s'est choisi un petit peuple, il lui a donné une terre ; au cours des âges, il lui envoie des prophètes qui sont mal reçus et parfois malmenés par le peuple; finalement il lui envoie son propre Fils, il est tué en dehors des murs de la ville.

Jésus alors pose la question : "Quand le maître de la vigne viendra, que va-t-il faire à ces vignerons ?" Et Jésus insiste, parce que personne ne répond. Il insiste : "Parlez donc, vous, les rabbis d'Israël !" Les rabbis sont bien obligés de répondre : il punira les scélérats en les faisant périr d'une manière atroce et il donnera sa vigne à d'autres fermiers pour qu'ils la cultivent honnêtement et lui donnent le revenu de al terre qu'il leur a confiée. Et Jésus conclut : "Vous avez bien parlé. Je vous le dis : le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit". Et alors, par un acte vraiment héroïque, les pharisiens et les scribes qui sont là ne réagissent pas.

Cette parabole est aussi un résumé de l'histoire du monde. Il y a toujours des hommes qui refusent Dieu, qui refusent d'écouter les envoyés de Dieu. La Bible alors décrit la colère de Dieu, et puis sa compassion infinie. Devant la sainteté de Dieu, le mal doit se transformer ou disparaître. Le problème des hommes de tous les temps est de s'ouvrir à Dieu ou de se fermer à Dieu. Et pour s'ouvrir à Dieu, il y a toujours un certain renoncement à disposer de soi comme on le veut.

Le royaume de Dieu est constamment ouvert, le royaume de la prière est constamment ouvert au croyant. Et si la relation avec Dieu vient à se rompre, c'est l'homme qui en est responsable et non pas Dieu. L'homme peut refuser la prière, il peut refuser d'être en communion avec Dieu, comme il peut refuser la nourriture. Mais un corps qui n'est pas nourri va droit à la mort, de même l'âme sans la prière, sans une relation vivante avec Dieu, va droit à la mort, parce que la prière est le pain de Dieu. Cette nourriture est toujours offerte. Jamais Dieu ne ferme la porte à celui qui frappe. Mais celui qui a une maison paternelle et qui n'y va jamais, ne peut pas prétendre qu'il est orphelin. Dieu est là à tout moment pour accueillir son enfant.

Mais où trouver une parole qui fait vivre ? Chaque croyant, chaque homme, doit la rechercher lui-même. Il y a, aujourd'hui comme hier, des paroles sur la foi qui sonnent faux, qui sont trop légères ou trop étriquées pour durer, pour être vraiment la vérité qui fait vivre. Comment discerner l'essentiel de ce qui est caduc ou secondaire ? Très souvent aujourd'hui l'incroyance provient d'une ignorance de l'histoire. Il y a des paroles d'aujourd'hui qui sont creuses, mais il y en a qui ont été dites il y a quinze siècles et qui peuvent avoir gardé une valeur insurpassable.

La foi, c'est comme la prière. La prière la plus fervente aura toujours l'aspect d'un combat, le combat de Jacob avec l'ange. Et dans son combat, Jacob finit par dire à l'ange : "Je ne te lâcherai pas que tu ne m'aies béni" (Gen 32,27).

Un Juif très croyant de notre temps disait : "Le peuple juif est devenu tellement sensible qu'il est comme une huître ; dès qu'on le touche, il se ferme". Et il ajoutait : "Il faut que l'huître n'ait plus peur de rester ouverte afin qu'elle puisse gober tout ce qui lui parvient". C'est la même chose pour beaucoup d'hommes aujourd'hui : dès qu'il est sérieusement question de Dieu, ils se ferment. Il faudrait qu'ils n'aient plus peur...

Un homme de notre temps, qui a été malmené dans sa foi à l'époque de mai 1968 et qui a par la suite retrouvé une foi vivante qu'il cherche à partager aujourd’hui par tous les moyens qu'il peut, écrit ceci : "Dieu, s'il existe (et je crois qu'il existe), a dû mettre dans le cœur de l'homme, sa créature, un immense désir de le rejoindre, un désir de sa présence divine, grâce auquel l'homme peut répondre à l'amour dont Dieu l'aime. Et ce désir de Dieu en tout homme, les aléas de la vie font bien souvent qu'il est enfoui, hors d'atteinte chez beaucoup d'entre nous".

Et je continue avec le même homme, qui est un philosophe patenté mais capable de s'exprimer en termes simples. Il nous livre une sorte de profession de foi : "La certitude que chaque créature est pour elle-même aimée de Dieu, que quoi qu'elle fasse maintenant Dieu ne l'abandonnera jamais et espère jusqu'au bout sa réconciliation avec l'Amour infini qu'il est, cela m'entraîne à une conversion de mon regard sur chaque être, cela m'encourage à découvrir sa face de lumière, celle qui regarde Dieu. Quelle que soit sa vie, quels que soient ses actes mauvais, ses passions mortifères, son pacte avec la part néfaste du monde, il y a toujours dans un être humain une face de lumière...

La figure grimaçante, laide, alliée à l'horreur, n'occupe pas tout son être. Il y a toujours une face qui regarde Dieu, une part intacte de son être, accessible à la bonté de Dieu. Il y a toujours, n'en doutez pas, une face de bonté, et c'est par là que la Lumière peut arracher la totalité de l'être à la nuit, pourvu que l'être humain dise : Non, je ne veux pas être définitivement réprouvé...

C'est peut-être cette face de lumière qu'il nous faut sans relâche chercher en tout être humain. Je ne dis pas maintenant que je suis capable de regarder chaque être humain comme Dieu le voit. Je n'y arrive pas, mais cet appel de l'amour travaille ma vie". (Avec Adalbert-Gautier Hamman, André Manaranche, André Chouraqui, Guy Coq, AvS).

 

4 octobre 2009 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10, 2-16

Les adversaires de Jésus viennent le mettre à épreuve, ils viennent lui poser une colle, autrement dit une question qui est destinée à mettre Jésus dans l'embarras. Les adversaires de Jésus s'appuient sur les coutumes de leur époque. On trouvait alors tout à fait normal qu'un mari puisse renvoyer sa femme, à peu près sous n'importe quel prétexte. Il suffisait d'y mettre les formes en donnant à la femme un billet de répudiation. Tous les pharisiens partageaient cet avis. Les femmes avaient peut-être un autre avis, mais on ne le leur demandait pas.

Comme souvent, comme toujours, Jésus répond à une question par une autre question. Que dit la Bible ? Les pharisiens aussi s'appuyaient sur la Bible, sur une parole de Moïse. Mais on ne doit jamais isoler une parole de la Bible de toutes les autres paroles de la Bible, sinon on peut faire dire à la Bible n'importe quoi et son contraire. Quand Dieu a créé l'homme et la femme, dit Jésus, il en a fait un couple inséparable. Renvoyer sa femme n'est pas conforme au projet de Dieu. La femme n'est pas un objet qui peut passer de l'un à l'autre. Elle est un être humain à égalité de droits et de devoirs avec son mari. "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas". Ce que Dieu a uni, Dieu lui-même le bénira et le soutiendra. Ce que Dieu veut, il est sans doute capable de l'accomplir.

Nous ne savons jamais le tout d'un être, même du plus aimé. Surtout le premier jour. Il y a un mystère au cœur de tout amour comme de tout rapport humain. La rencontre de l'autre, c'est toujours comme un rendez-vous dans la nuit. Ce que nous apprenons de la foi chrétienne, c'est qu'en Dieu, entre le Père et le Fils, il y a des relations d'obéissance réciproque : chacun accomplit la volonté de l'autre. Quand Jésus était parmi nous, il disait qu'il faisait toujours la volonté du Père. Et au ciel, avant l'incarnation, le Père aurait peut-être préféré que le Fils n'aille pas sur la terre. Le monde aurait pu être racheté autrement, à moindres frais. Et le Père s'est comme incliné devant la volonté du Fils de devenir homme parmi les hommes, avec tout ce qui s'ensuit, et la Passion et la mort, il a voulu partager en tout notre expérience de terrestres. Ce n'était pas nécessaire, ce n'est pas le Père qui l'a voulu. C'est plutôt le Fils. Entre le Père et le Fils, il y a des relations d'obéissance réciproque. L'obéissance réciproque aussi, c'est de l'amour. Et s'il n'y a pas ça dans le couple, à l'image de Dieu, est-ce que ça peut marcher ?

Un garçon de 8-9 ans parle avec son évêque, Mgr Dagens ; il lui dit que ses parents sont divorcés. Mgr Dagens : "Je lui demande si je peux prier pour sa maman". Le garçon répond fermement : Oui. Et l'évêque ajoute : "Est-ce que je peux prier aussi pour ton papa?" Avec une force inouïe, il a répondu : Non. Alors l'évêque a insisté et le garçon a dit : "Il faudrait qu'il change, qu'il change beaucoup".

Toujours Mgr Dagens. Une fille de 8-9 ans vient de recevoir le sacrement du pardon. Elle demande au prêtre : "Mes parents sont divorcés. Tu pourrais me dire pourquoi ?" Et puis, autre question : " Je voudrais savoir si mes parents m'aimaient quand ils m'ont faite".

Qu'est-ce que c'est qu'aimer? Réponse d'un homme qui se présente comme libertin et chrétien et dont je vous ai déjà parlé il y a quelque temps. Qu'est-ce que c'est qu'aimer ? Il disait : "C'est vouloir être heureux". On peut penser que ça n'a rien à voir avec l'amour : c'est de l'égoïsme pur et simple : "Aimer, c'est vouloir être heureux". Il suffirait d'un petit mot en plus pour approcher de la vérité : "Aimer, c'est vouloir être heureux ensemble", et devant Dieu et devant les hommes, et essayer de répandre autour de nous comme nous le pouvons le bonheur qui nous habite. "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas". Il faut ajouter ceci, c'est que le christianisme de rigueur n'est pas incompatible avec le christianisme du cœur qui prend en compte les situations les plus concrètes.

"Dieu est amour". Qu'est-ce que ça veut dire? Ce qui est aimé apparaît toujours comme merveilleux. La gloire de Dieu, c'est sa beauté. La gloire d'une femme, c'est sa beauté. La gloire d'un enfant... Le Verbe s'est fait chair pour révéler la gloire de Dieu (Jn 1n 14), pour révéler sa beauté qui nous subjuguera. La beauté de Dieu, c'est qu'il est la grâce de l'amour. L'homme ne peut rien exiger ni attendre. L'adoration, c'est la distance. (Avec Fiches dominicales, René Habachi, Mgr Dagens, Jean-Marie Rouart, AvS, HUvB).

 

7 octobre 2012 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,2-16

Un évangile en deux parties : une question des pharisiens sur le divorce, et puis Jésus et les petits enfants. La première partie de cet évangile, on la retrouve dans les textes de l’Écriture prévus pour la célébration d'un mariage. Et la deuxième partie sur Jésus et les enfants, on la retrouve dans les textes de l’Écriture prévus pour la célébration d'un baptême.

Les pharisiens trouvaient normal qu'un homme puisse répudier sa femme puisque c'était prévu dans la Loi de Moïse. Et que répond Jésus à la question des pharisiens ? Il leur dit, il nous dit, qu'on ne doit jamais utiliser une phrase de l’Écriture de manière isolée pour justifier une attitude. Il faut toujours regarder l'ensemble des Écritures.

Dieu est amour. Ce n'est pas une petite affaire. Dieu a donc créé l'être humain pour créer de l'amour. Et pour qu'il y ait de l'amour, Dieu a créé l'être humain homme et femme. C'est l'amour qui unit l'homme et la femme parce que Dieu lui-même est amour. En Dieu, l'amour est éternel. Il devrait en être de même entre un homme et une femme. "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas". Le Seigneur Jésus prend la défense de celui ou de celle qui peut être brimé(e) dans l'union.

Si par malheur il y a rupture, très souvent de grandes souffrances ont précédé et suivi la rupture. Et un certain nombre de personnes laissées seules, hommes ou femmes, ont trouvé un nouveau départ dans un amour dignement vécu. Si leur situation est dans une impasse canonique, ils sont néanmoins encouragés à vivre dans la foi, l'espérance et l'amour ce qu'ils ne peuvent vivre sacramentellement. Les pharisiens reprochaient à Jésus d'être l'ami des pécheurs et des prostituées. Aujourd'hui les pharisiens lui reprocheraient d'être l'ami des divorcés remariés.

Un homme de notre temps, philosophe à sa manière, chrétien convaincu, marié et père de famille, dit ceci dans l'une de ses nombreuses conférences : "Je crois que l'idéal du mariage, la fidélité conjugale, c'est quelque fois aussi difficile, aussi éprouvant, sinon plus, que la fidélité aux vœux monastiques". Et dans une autre conférence, le même philosophe complète le tableau : "Ce n'est pas rien que de se marier : vous vous engagez à vivre toute votre vie auprès d'un être que vous ne connaissez pas". Alors là, les amoureux du premier jour seraient enclins à penser qu'il a tort, ce philosophe. Mais le philosophe prend soin d'ajouter : "Car la passion, n'est-ce pas, ne nous apprend pas grand-chose sur un être".

Et que nous disent les saints et les saintes de Dieu qui ont vécu dans le mariage ? Ils nous disent ceci : "Là où régnait l'harmonie des époux dans les années du milieu de la vie, elle demeurera présente durant la vieillesse. Mais peut-être que l'un des deux a quelque peu changé par la maladie ou par une capacité d'adaptation diminuée. Ou bien on doit lutter contre de nouvelles difficultés. Les misères de la vieillesse peuvent être dures à supporter... Durant toute sa vie, on a offert à Dieu dans la prière de toujours supporter ce qu'il voudrait envoyer, et maintenant, à la fin, on est encore pris au sérieux. Peut-être que la prière de disponibilité était devenue une habitude, mais Dieu, dans toute vie, demeure plein d'inventions infiniment variées. Et rien ne délivre autant de l'ennui que l'obéissance et la soumission à l'égard de la Providence".

Il y a deux parties dans notre évangile d'aujourd'hui : la deuxième, c'est Jésus et les petits enfants. Un philosophe de notre temps - encore un -, très croyant, est entouré de six enfants en bas âge. Alors il philosophe sur les enfants. Et voici ses réflexions : "L'enfant aimé perçoit toutes ses jouissances dans la source d'un dévouement et d'une clémence... Le biberon préparé pour lui, en même temps qu'une boisson agréable, est un geste de dévotion. La couche changée pour lui, en même temps qu'un acte d'hygiène, est un enlacement gratuit... La purée de carottes est un plat de caresses. Le goût du chocolat ne se sépare pas de la saveur d'un baiser". On pourra toujours dire : "Ce n'est pas un philosophe, c'est un poète, il rêve". Oui, mais il y a de beaux rêves.

Terminer avec sainte Thérèse de Lisieux, la "petite" Thérèse. Elle écrit ceci : "Que notre Seigneur a bien fait de nous prévenir qu'il y a plusieurs demeures dans la maison du Père. Sans cela, il nous l'aurait dit... Si toutes les âmes appelées à la perfection avaient dû, pour entrer au ciel, pratiquer toutes les pénitences des Pères du désert, il nous l'aurait dit, et nous les aurions pratiquées de grand cœur. Mais il nous annonce qu'il y a plusieurs demeures dans sa maison. S'il y a celle des grandes âmes, celles des Pères du désert et des martyrs de la pénitence, il doit y avoir aussi celle des petits enfants". (Avec Gustave Thibon, Fabrice Hadjadj, sainte Thérèse de Lisieux, AvS).

 

4 octobre 2015 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,2-16

C'est l'évangile de la famille aujourd’hui. On interroge Jésus sur le couple, et puis il y a la scène avec les enfants. Les pharisiens posent une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve, ils  lui tendent un piège. Comment va-t-il s'en sortir ? Peut-il aller contre le grand Moïse ? "Est-il permis à un  mari de répudier sa femme ?" Quelque part dans les écrits attribués à Moïse; c'est permis. Que va dire Jésus ? Jésus renvoie au début du livre de la Genèse, le premier des cinq livres de la loi de Moïse, qui raconte de manière imagée la création par Dieu du premier couple humain.

Toute l'histoire de l'humanité est l'histoire du besoin d'aimer et d'être aimé. Pour les sages d'Israël, pour l'Ancien Testament, c'est Dieu qui a inventé l'amour humain. C'est ce qu'il y a de plus beau au monde, c'est le plus beau cadeau que Dieu pouvait offrir à l'homme et à la femme, mais de la part de Dieu c'était aussi terriblement risqué. Que vont vont faire l'homme et la femme de ce cadeau ? Mais Dieu leur fait confiance, il a laissé à l'homme et à la femme le soin et la liberté de gérer ce cadeau qu'il leur a fait.

Un homme de notre temps, qui est marié et qu'on interrogeait sur sa foi chrétienne et sur l'idée qu’il se faisait de Dieu, avait répondu un jour : "Qui est Dieu ? C'est celui qui a eu l'idée géniale d'inventer les sexes". Mais le même homme avait aussi ajouté un peu plus loin dans l'interview : "Ma femme est exquise, c'est vrai ; mais elle est parfois aussi de mauvaise humeur... Et nos enfants aussi sont exquis, mais ils sont parfais tout aussi calmes que les supporters de Marseille un soir de grand match et de bagarres". Dieu a fait un cadeau merveilleux à l'humanité en lui offrant l'amour, mais Dieu ne donne jamais du tout cuit. Il fait un cadeau, mais il demande aux humains d'en faire un bon usage, de ne pas faire n'importe quoi, sinon ce magnifique cadeau peut devenir un enfer.

C'est une femme mariée de notre temps qui parle de sa foi chrétienne d'épouse et de mère. Elle en a écrit tout  un livre. Et quelque part elle dit ceci : "Celui qui dit oui à l'amour sans se préparer à souffrir, sans se dire qu'il commence une ascension merveilleuse, mais périlleuse, et qu'il devra se dépouiller de bien des choses au cours de sa montée s'il veut arriver au sommet, celui-là court à l'échec".

Un rabbin  de notre temps, un Juif donc, qui connaît bien l'Ancien Testament, avait lui aussi écrit un livre qu'il avait dédicacé à sa femme Joëlle, et cette dédicace disait : "Ce livre est dédié à celle qui est l'exigence et l'espérance de toute ma vie". C'est beau : elle est l'espérance de toute sa vie ! C'est lucide aussi : elle est l'exigence de toute sa vie ! Un philosophe français de notre temps donnait sa définition de l'amour. C'est quoi l'amour ? "C'est le respect absolu de l'autre". Et vous, que diriez-vous ? Quelle est votre expérience ?

On revient à la question posée à Jésus par les pharisiens. Jésus reconnaît que Moïse a permis de renvoyer sa femme. Mais, dit Jésus, la raison en était la dureté du cœur des hommes. Et cette dureté, Jésus la transpose aussitôt dans le cœur des pharisiens : Moïse a permis cela en raison de votre dureté de cœur. Les pharisiens ont le cœur dur, c'est-à-dire sans amour. Les pharisiens voulaient avoir un avis général concernant tous les hommes et Jésus leur donne à connaître quelque chose qui les concerne personnellement.

Deux personnes peuvent se marier sur un coup de foudre, mais s'ils demandent le sacrement de mariage ils incluent l'accord de Dieu comme germe de leur union. En cas de nécessité, l’Église reconnaît une séparation extérieure, mais sans redonner pour autant aux partenaires la liberté d'une nouvelle union. Désirer délier ce que Dieu a uni est une tentation. L'homme est libre de choisir la femme qu'il veut, la femme est libre de choisir l'homme qu'elle veut, mais dès que ce choix est scellé dans le sacrement, le mariage est indissoluble.

Terminer avec un homme de notre temps, un certain sage qui avait toute une vie derrière lui. En quelques mots, il la résume : "J'ai eu la chance d'être engagé dans un mariage que nous qualifions d'éternel, où nous nous aidons mutuellement à découvrir qui nous sommes et ce qu'est le monde. La lecture, chez nous, est perpétuelle (il est professeur à l'Université), nous en discutons à chaque instant. Nous essayons simplement d'être nous, sans plus. J'allais dire : ce n'est pas sorcier.  Encore faut-il le vouloir, comme on veut quelque chose de beau. S'aimer soi-même, aimer l'autre comme soi-même, encore faut-il d'abord s'aimer soi-même. Alors quand on s'aime à deux, c'est infiniment mieux".

 

3 octobre 2010 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 17, 5-10

Les apôtres qui disent à Jésus : "Augmente en nous la foi !" Curieuse demande : "Augmente en nous la foi !". Pourquoi tout d'un coup les apôtres demandent ça à Jésus ? Mais c'est une belle prière pour nous aussi : demander à Dieu qu'il augmente en nous la foi.

Et puis dans notre évangile d'aujourd'hui il y a cette réflexion sur les serviteurs. Nous sommes pour Dieu comme des serviteurs. Les apôtres sont pour Dieu comme des serviteurs. Et quand les apôtres auront fait tout leur travail, ils n'auront fait que leur devoir. Ailleurs dans l'évangile, quand un ouvrier a bien travaillé, Dieu lui dit : "C'est bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître". Ailleurs encore dans l'évangile, quand le maître arrive en pleine nuit et qu'il trouve ses serviteurs en train de veiller, je vous le déclare, dit Jésus, il prendra la tenue de service, les fera mettre à table et passera pour les servir.

Aujourd'hui, Jésus parle d'autre chose : quand vous aurez fait pour Dieu tout ce que vous devez faire, dites-vous bien que vous êtes simplement des serviteurs de Dieu. Qu'il vous invite ensuite à sa table et qu'il fasse le service pour vous, ce n'était pas prévu dans le contrat... c'est gratuit.

"Augmente en nous la foi", disent les apôtres à Jésus. C'est une bonne prière et les apôtres ont bien raison de faire cette prière. Beaucoup de gens, aujourd'hui encore, aujourd'hui surtout peut-être, devant le silence de Dieu, sont convaincus que Dieu n'existe pas. "Augmente en nous la foi". Beaucoup de gens sont scandalisés par la manière dont Dieu gère le monde, dont Dieu gère son Église. Que fait Dieu dans tout ça ? Où est-il Dieu dans tout ça ? Existe-t-il seulement ? Et le mal et la souffrance et la mort ? Si Dieu existe, pourquoi tout ça ? Peut-on croire que Dieu est amour devant tout ça ? Et quand je le prie, pourquoi je ne reçois pas de réponse ? Et quand je frappe à sa porte, pourquoi ne m'ouvre-t-il pas ? Les apôtres demandent à Jésus : "Augmente en nous la foi".

Saint Pierre a bien retenu la leçon de Jésus. Il écrit dans sa première lettre : "Jetez en Dieu tous vos soucis, car il prend soin de vous". Dieu prend sur lui tous nos soucis si nous les lui confions ; si nous lui confions tout ce qui assombrit notre passé et notre avenir, si nous lui confions ce qui est lié au péché et aussi ce qui n'est pas en rapport avec le péché. Si Dieu porte et dirige toute notre vie, on peut comprendre qu'il ne mésestime pas nos soucis. Dieu se soucie beaucoup de nous, il se soucie donc aussi de nos soucis. Alors saint Pierre a le droit et le devoir d'exiger de nous de nous livrer à Dieu et de livrer à Dieu nos soucis... Parce que celui qui pense venir à bout lui-même de ses soucis crée un obstacle entre lui et Dieu; c'est comme s'il connaissait un lieu où il ne permet pas à Dieu d'entrer.

"Augmente en nous la foi". Un autre jour, les apôtres ont demandé à Jésus de leur apprendre à prier. On pourrait lui demander aussi : "Augmente en nous la prière". L'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, disait : "Rien ne demande plus d'effort que de prier". Rien ne demande plus d'effort que de croire en Dieu. Jean-Paul II disait un jour : "Beaucoup d'hommes aujourd'hui vivent comme si Dieu n'existait pas ou bien ils se contentent d'une vague religiosité". La foi chrétienne n'est pas "peut-être bien que oui", "peut-être bien que non", "on ne sait jamais". Ou bien elle est la foi au Dieu vivant : Père, Fils et Esprit Saint, ou bien elle n'est rien du tout. Si elle n'est rien, inutile de prier et de jouer la comédie, inutile de se faire baptiser, inutile d'aller à la messe le dimanche, etc. Si la foi chrétienne est quelque chose, elle est tout. Elle est toute la vie. Elle est à chaque instant un appel de Dieu, elle est à chaque instant rencontre de Dieu, elle est à chaque instant prière, de la manière la plus naturelle qui soit : Dieu est là. Dieu a infiniment plus d'imagination que nous. Nous sommes dans le creux de sa main. Toute l'humanité est dans le creux de sa main. Et l'homme a toujours la liberté de choisir la vie, la vie éternelle à laquelle Dieu le prédestine.

C'est sans aucun doute un fait historique que Jésus a appelé des disciples. Il les a invités à le suivre dans sa propre vie d'une manière toute personnelle. Et de cette manière, il leur a montré comment on parvient à une véritable relation avec Dieu. "Augmente en nous la foi". (Avec Carlo Caretto, Jean-Paul II, Pierre Chaunu, Agathon, AvS, HUvB).

 

6 octobre 2013 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 17,5-10

Le Seigneur Jésus se retrouve seul avec les douze apôtres pour de longues marches. Et on parle tout en marchant. Aujourd'hui on entend deux bribes de paroles. D'abord une demande des apôtres : "Augmente en nous la foi". Et Jésus n'augmente pas la foi des apôtres. Il leur dit simplement que si leur foi était plus grande, ils pourraient faire des choses étonnantes.

Et puis on parle de choses et d'autres tout en marchant. Parmi les apôtres, avant qu'ils se mettent à suivre Jésus sur les routes, il y en a qui avaient eu un ou des serviteurs dans leur maison ou pour leur travail. Et Jésus se mêle à la conversation sur les serviteurs. Si le maître a le devoir d'être humain avec son propre serviteur, le serviteur a aussi le devoir de faire correctement son travail, de coopérer au bien de celui qui l'habille et le nourrit. C'est un peu donnant donnant. Vous aussi, vous les douze, vous êtes des serviteurs, les serviteurs de Dieu. Faites simplement et correctement votre travail. Puis après cela, dites seulement : nous n'avons fait que notre devoir.

Pour les saints qui sont dans le ciel auprès de Dieu, c'est la même chose. L'intercession des saints du ciel continue dans la même ligne que leur mission d'ici-bas. Le saint, c'est toujours un intermédiaire entre Dieu et le chrétien. Le saint ne peut pas et ne veut pas garder quelque chose pour lui. Il est celui qui mène à Dieu. La prière qu'on adresse au saint, à Marie ou à saint Antoine, débouche sur la prière immédiate à Dieu. Que nous disent les saints ? Ils disent comme les apôtres : nous sommes de simples serviteurs.

Et quelle peut être notre prière à nous aujourd'hui ? C'est de demander à Dieu qu'il veuille bien nous permettre d'accomplir notre tâche dans l'obéissance. On ne va pas nécessairement faire de grands miracles ; mais que, dans notre tâche, Dieu fortifie notre foi.

Jésus nous apprend à dire : nous sommes de simples serviteurs. Un exégète de notre temps, qui avait le talent d’expliquer lumineusement les Écritures, remarquait un jour qu'un signe habituel de la richesse aujourd'hui était d'être, ou de paraître, très occupé. Jésus nous apprend à dire : nous n'avons fait que notre devoir, ni plus, ni moins.

Pourquoi vouloir paraître très occupé ? C'est un frère très chrétien et un peu psychologue qui nous le dit brièvement : "Percevoir derrière de nombreux comportements a priori négatifs autant de blessures à guérir, autant d'appels à être davantage compris, reconnus et aimés"... "Nous sommes de simples serviteurs", pas la peine d'en rajouter.

Et le même s'explique un peu plus longuement. Il écrit ceci : "Ne jamais sous-estimer la présence et la force du désir d'être aimé, même chez la personne qui le dissimulerait en permanence derrière des attitudes de façade... Réaliser toujours davantage à quel point le cœur humain a constamment besoin d'être rassuré sur l'amour qui lui est porté ; donc apprendre à ne plus négliger les paroles d'amour qui peuvent être prononcées. Deux questions à se poser chaque jour : 1. Quelle est la parole ou le geste qui contribuera le plus à faire grandir sa confiance d'être sincèrement aimé ? 2. Quelle est la parole ou quel est le geste qui contribuera le plus à faire grandir sa capacité d'aimer et la mienne ?"

Avec l’évangile d'aujourd'hui, on se rappelle aussi cette scène ou les apôtres se disputent entre eux pour savoir lequel d'entre eux était le plus grand. Et le même frère que je viens de vous citer, chrétien et psychologue, nous dit ceci : "La véritable grandeur d'un être se situe dans la qualité de son amour. L'être humain grandit et s'épanouit vraiment lorsque ses diverses prisons intérieures ne l'empêchent plus de mener des relations interpersonnelles aussi harmonieuses que possible"... Quoi de plus étranger à la logique de l'amour que l'attitude consistant à maintenir une distance hautaine à l'égard de l'être aimé?"

La plupart des hommes ne peuvent pas faire leur travail autrement qu'en étant un petit rouage de la gigantesque machine du monde et du travail. Et dans cette machine, chaque rouage déficient peut être remplacé par un autre qui fonctionnera avec la même régularité. Et pourtant tout serviteur est un homme unique en son genre, et l'amour qu'il a dans le cœur est irremplaçable. (Avec Jacques Guillet, Frère Emmanuel, AvS, HUvB).
 

2 octobre 2016 - 27e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 17,5-10

"Seigneur, augmente en nous la foi". – "Puisque Dieu peut donner la foi, ne cessons jamais de la lui demander".  C’est saint Thomas More qui disait cela. Et il ajoutait : "Accorde-moi, Seigneur mon Dieu, une intelligence qui te connaisse, un empressement qui te cherche, une persévérance qui t’attend avec confiance". La foi peut transporter des montagnes, nous dit l’évangile d’aujourd’hui. Mais saint Paul nous dit de son côté que la foi ne suffit pas. "Quand j’aurais la foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien".

C’est quoi la foi ? La foi comporte toujours un renoncement à soi-même pour que Dieu ait la place. Personne n’arrive à la foi par la seule discussion, bien que la foi puise très bien se défendre selon la raison. La foi chrétienne est plus riche que toute raison. Mais encore une fois pour accueillir la foi, il faut offrir à Dieu un espace en nous-mêmes. Le royaume des cieux, c’est le royaume du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. C’est un royaume ouvert sur le monde. Parce que Dieu a créé le monde dans le but unique que le monde ait part à la splendeur de son royaume. Dieu invite les hommes à y entrer, à jouir de sa vision et à partager avec lui sa vie éternelle.

Un pasteur luthérien, donc un protestant, qui était aussi franc-maçon, est devenu catholique ; puis il est devenu prêtre ; il a raconté son histoire dans un petit livre auquel il donné pour titre : "De Luther à Benoît XVI". Il est donc passé de la foi protestante à la foi catholique, de la foi des francs-maçons aussi, si on peut dire, à la foi catholique. Et quelque part dans ce livre il écrit ceci : "On n’en sait jamais assez en matière de religion. Jusqu’au dernier soupir, il faut chercher à en savoir plus".

Ce pasteur protestant et franc-maçon devenu prêtre catholique était le fils d’un instituteur socialiste et franc-maçon de la Grande Loge de France. Sa mère était danseuse étoile au théâtre du Châtelet à Paris. Son père est mort en disant : "A bas la calotte". Et le fils de cet instituteur de la République s’est inscrit un jour de lui-même au catéchisme protestant, il est devenu pasteur, puis franc-maçon comme son père, et enfin catholique et prêtre. On peut retenir la conclusion qu’il en tire : "On n’en sait jamais assez en matière de religion. Jusqu’au dernier soupir, il faut chercher à en savoir plus"… Et toujours aussi ajouter la prière des apôtres : "Seigneur, augmente en nous la foi".

Et ce pasteur protestant devenu prêtre porte un jugement curieux sur la foi catholique en France. Il dit ceci : "La France est passé de statut de fille aînée de l’Église à celui de plus mauvais élève des pays catholiques vis-à-vis de Rome… Ce n’est pas surprenant : quand on a été au sommet, il arrive qu’on tombe plus bas que les autres""Seigneur, augmente en nous la foi".

Beaucoup de gens aujourd’hui, qui n’ont jamais été croyants ou qui se sont détournés de la foi chrétienne, ont cédé à la tentation de se faire Dieu eux-mêmes. C’est ce qu’un chrétien de nos jours appelle "la tentation de l’homme-Dieu". De fait l’homme existe bel et bien. Mais il n’y a pas que l’homme, et l’homme n’a pas tout inventé. Il n’a pas inventé Dieu parce que Dieu ne s’invente pas. Il y a de l’Autre, avec un grand A, il y a du Tout-Autre. C’est quoi l’homme d’aujourd’hui pour notre auteur ? "L’homme d’aujourd’hui, c’est l’homme insatiable, toujours frustré, jamais heureux, jamais content".

"Seigneur, augmente en nous la foi". C’est quoi la foi ? La foi, c’est dire avec le psaume : "C’est dans ta lumière, Seigneur, que nous verrons la lumière". C’est-à-dire c’est dans l’illumination de l’Esprit Saint que nous verrons la vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde. C’est saint Basile qui disait cela, un Père de l’Église au IVe siècle, un Grec. "C’est dans l’illumination de l’Esprit Saint que nous verrons la vraie lumière".

Aucun homme n’est un lieu neutre par rapport au Christ, lui qui connaît les cœurs et les raisonnements des hommes. Que nous, nous l’ignorions ne change rien à l’affaire ; il n’existe pas de non-lieu où l’on puisse se dérober au Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible… La vie est un drame qui se joue sous le regard de Dieu et qui a pour objet l’élucidation de ce grand problème qu’est l’existence. "Seigneur, augmente en nous la foi". (Avec saint Thomas More, Michel Viot, Bertrand Vergely, saint Basile, Jean-Luc Marion, AvS).

 

9 octobre 2011 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 22,1-14

Le royaume de Dieu, c'est comme un roi qui célèbre les noces de son fils. Le roi, c'est Dieu. Le festin de noces, c'est la joie de l'union entre Dieu et l'humanité. Les premiers invités à la noce, c'est le peuple juif. Les serviteurs envoyés par le roi pour appeler les invités, ce sont les prophètes. Les invités du tout-venant, ce sont les pécheurs et les païens. L'incendie de la ville, c'est la destruction de Jérusalem.

Cette parabole du festin de noces, Jésus la raconte encore une fois aux chefs des prêtres et aux pharisiens. Le peuple juif, avec ses prêtres et ses pharisiens, a été le premier appelé par Dieu. Quand Jésus est venu comme l'envoyé suprême de Dieu, les chefs religieux n'en ont pas voulu. Alors les pécheurs publics et les prostituées seront les premiers au festin des noces du royaume. Les mauvais et les bons entrent dans la salle du festin. Mais l'épisode du vêtement de noces indique quand même que le royaume de Dieu n'est pas sans exigence. Dieu sonde les reins et les cœurs, non seulement les reins et les cœurs des juifs, mais aussi les reins et les cœurs des pécheurs, publics ou pas publics. Tous les hommes sont toujours invités au festin des noces organisé par Dieu. Tous les hommes sont toujours invités à vivre en communion avec Dieu. Pas seulement les juifs, mais tous les hommes. Et quelle est la réponse des hommes d'aujourd'hui à cette invitation de Dieu ?

Celui qui refuse l'invitation de Dieu est comme un aveugle. A vrai dire, celui qui refuse l'invitation de Dieu n'est pas tout à fait aveugle. Il sait bien, tout au fond, qu'il y a quelque chose de bon et de juste et de vital dans cette invitation, mais il fait comme s'il ne savait pas. Et au jugement de Dieu, un jour, l'homme devra comparer ce qu'il a fait avec ce qu'il aurait dû faire. Le jugement, ce sera de voir ce qui manque, ce sera de voir la grâce qu'on a refusée. On ne voit jamais toute la portée de son refus, de son péché. Au jugement dernier, Dieu ne peut épargner à personne de voir ce qu'il n'a pas vu autrefois : son péché, son refus de la lumière. On trouve ça dans l'Apocalypse de saint Jean : "Et je vis les morts, les grands et les petits, debout devant le trône et des livres furent ouverts. Le livre de vie aussi fut ouvert et les morts furent jugés selon leurs œuvres, d'après ce qui était écrit dans les livres" (Ap 20,12).

Beaucoup de gens ont une idée simpliste de Dieu. Et toute l’Écriture, toute la révélation biblique de Dieu, nous donne à penser que ce n'est pas si simple que ça. Voilà un homme de notre temps, un écrivain connu et reconnu. On se demande parfois s'il est croyant ou non croyant. Un jour qu'il était interviewé à la TV, il a annoncé la couleur : "Je suis agnostique, ce qui veut dire que je ne sais pas. Il y a des gens qui savent que Dieu existe et il y a des gens qui savent que Dieu n'existe pas. Moi, comme la majorité des gens, je ne sais pas. Je constate que Dieu, qui a régné durant des millénaires, a passé un mauvais quart d'heure depuis le XIXe siècle et jusqu'à aujourd'hui encore. Je trouve que l'athéisme est magnifique. J'admire les femmes et les hommes qui ne croient pas en Dieu et qui font le bien, car tout de même les chrétiens, les musulmans, les juifs attendent une récompense dans l'autre monde. Les athées qui ne croient en rien et qui font du bien, je pense que ce sont ceux-là qu'on devrait d'abord faire asseoir à la droite de Dieu auquel ils ne croient pas".

Cet écrivain nous donne à réfléchir. Et ses propos sont assez proches de certaines des paraboles de Jésus. Un chrétien de notre temps a commenté, d'une manière un peu dure, mais peut-être avec lucidité, cette sorte de profession de foi de notre écrivain agnostique. Ce chrétien disait : "Faire le bien et être ouvert à la possibilité d'un Dieu vaut mieux qu'asséner sa foi sans charité et se comporter comme un malpropre". C'est dur, mais c'est tout proche aussi des paraboles de Jésus.

Seul Dieu offre à l'homme de pouvoir acquérir une vie éternelle. Pour l'homme, c'est le seul espoir qu'il peut avoir que sa vie va vers une plénitude, un achèvement... Non pas directement, parce que la transformation à travers la mort reste imposée à l'homme. Mais, dans sa foi en Dieu, l'homme ose espérer son achèvement. Et le Seigneur Jésus pousse de toutes ses forces vers la conclusion espérée et voulue par Dieu. Le Seigneur Jésus nous a montré le chemin. Lui, l'envoyé du Père du ciel, il sert le Père en lui obéissant de la manière la plus profonde. Il nous dévoile ainsi l'attitude juste de l'homme devant Dieu : le service jusqu'à l'oubli de soi. (Avec Jean Civelli, Jean d'Ormesson, Olivier Le Gendre, AvS, HUvB).

 

12 octobre 2014 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 22,1-14

"Le royaume des cieux est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils". C'est quoi le royaume des cieux ? C'est que Dieu invite toute l'humanité à partager sa vie dans la joie. Et il est beaucoup plus facile à un pauvre qu'à un riche d'accepter cette invitation de Dieu. Les pauvres gardent plus facilement dans leur cœur les perles de la parole de Dieu. Ces perles sont leur unique trésor.

Tout le monde est invité à la noce. Tout le monde a reçu une invitation. Mais la date du banquet n'avait pas été indiquée. Au jour fixé, le roi envoie ses serviteurs pour appeler les invités à la noce. Et les serviteurs du roi insistent : Ne refuse pas cela au roi ; si tu refuses, il pourrait t'arriver des malheurs.

Parmi les invités, il y en a qui ont le sang chaud, et comme les envoyés du roi insistent trop à leur goût, il y en a qui tuent les serviteurs du roi pour les faire taire. Le roi, bien sûr, envoie ses troupes pour châtier ceux qui avaient tué ses serviteurs. Le soir des noces, à l'heure fixée, le roi ne voit personne. Et il se dit : Il ne faut pas que mon fils reste sans personne en cette soirée de ses noces. "Allez donc sur les places et amenez ici tous les passants. Que la salle soit remplie de gens pour qu'ils fassent honneur à mon fils". Le roi voulait que la salle du banquet soit pleine d'un public joyeux. Et à tous ceux qui arrivaient, on donnait des vêtements convenables si besoin était.

Et le roi entre dans la salle pour saluer tout le monde. Et tout de suite il remarque quelqu'un qui n'avait pas les vêtements de noces. "Comment se fait-il que tu sois entré ici sans les vêtements de noces ?" L'homme ne sait que répondre, il n'avait pas d'excuses. "Qu'on le jette dehors dans la nuit et dans la boue. Là il sera dans les larmes et les grincements de dents pour l'offense qu'il m'a faite en entrant ici comme un malpropre".

Dieu n'est pas susceptible, il ne se vexe pas de nos refus. Mais il s'attriste de nous voir courir à notre malheur. Est-ce que l'homme fait son bonheur en se débarrassant de Dieu ? Il y a un train de la joie qui passe. Beaucoup sont trop occupés pour y entrer : ils vaquent à leurs affaires et à leurs propres plaisirs. Les prostituées et les publicains entreront plus facilement dans la salle du festin. Comment savoir si nous avons vraiment le vêtement de noces ? Comment savoir si vraiment on veut y aller à ces noces ?

Si la foi de l'homme est faible, il verra surtout en Dieu un appui, et il lui soumettra ses problèmes, les petits et les grands. Peut-être trouvera-t-il difficile de devoir laisser à Dieu le premier plan, d'admettre que Dieu comprenne mieux les choses que lui. Mais plus la foi de l'homme se fait forte, plus il est ancré dans la confiance et l'amour, plus il comprend qu'il est au service de Dieu et que tous ses besoins, tous ses désirs sont en dépendance de la volonté de Dieu, plus il comprend que le monde est destiné par Dieu à un achèvement glorieux, au-delà de la vie présente qui se terminera nécessairement un jour.

Le chemin vers Dieu, il n'y en a qu'un, c'est la prière. Il y a des gens, il y a des jeunes, qui disent : je m'ennuie à la messe. Si on va à la messe, c'est pour prier. Si on ne prie pas, on s'ennuie, évidemment. On attend la fin. La prière, c'est une inclination aimante du cœur vers Dieu. Et dans la prière nous apportons évidemment à Dieu tous nos soucis, comme le fait l'enfant vis-à-vis de ses parents.

Dans la prière, nous confions aussi à Dieu beaucoup de personnes. Dieu aime ces personnes autant et même infiniment plus que nous n'en sommes capables. Mais l'essentiel de la prière, c'est d'entrer en relation avec Dieu. Et en même temps nous avons besoin de l'aide de Dieu pour être capables de parler avec lui. Cette aide, Dieu nous la donne par son Esprit Saint. C'est le vêtement convenable qu'on nous offre à l'entrée de la salle des noces, à l'entrée dans l’Église.

La prière, l'Esprit Saint, font partie des plus grands cadeaux que Dieu fait aux hommes. Mais il faut inclure aussi dans notre prière la possibilité que nos vœux concrets ne soient pas exaucés. Notre prière alors n'est pas perdue, mais Dieu lui donne un autre exaucement, un exaucement à un niveau supérieur. Nous devons prier en toute occasion afin de rester constamment en communion avec Dieu. Et même les prières qui ne sont pas exaucées sont voulues par Dieu.

Un journaliste allemand demandait un jour au pape Benoît XVI comment il priait. Et Benoît XVI lui avait répondu : "Naturellement, je prie toujours, d'abord et avant tout, notre Seigneur : lui et moi, nous sommes, pourrait-on dire, de vieilles connaissances. Mais j'invoque aussi les saints. Je suis ami avec Augustin, avec Bonaventure, avec Thomas d'Aquin. On peut donc dire à ces saints : Aidez-moi !"

La vie d'un saint ou d'une sainte nous permet de voir concrètement ce que peut être ici-bas une vie en communion avec Dieu. Par la vie des saints et des saintes, Dieu veut communiquer à l’Église et à toute l'humanité une certaine ouverture sur son mystère. L'Esprit Saint de Dieu s'est emparé de ces personnes afin de démontrer quelque chose aux chrétiens et de leur ouvrir une nouvelle perspective sur l’Évangile et toute la Révélation. C'est pourquoi il est important de s'intéresser aux saints et aux saintes de Dieu. Chacun doit trouver ceux ou celles qui lui parleront davantage au cœur et à l'intelligence. (Avec Mgr Le Gall, Antoine Vergote, Oscar Cullmann, Benoît XVI, AvS, HUvB).

 

11 octobre 2009 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10, 17-30

Voilà un homme qui accourt vers Jésus, un homme d'un certain âge. Et il pose une bonne question à Jésus : Qu'est-ce qu'il faut faire pour avoir la vie éternelle ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour plaire à Dieu ? Et la réponse est toute simple, c'est celle du catéchisme : Tu connais les commandements ? Essentiellement commencer par ne faire de tort à personne et puis honorer son père et sa mère. Et l'homme qui a posé la question à Jésus est tout heureux, il a tout bon. Il fait tout ça depuis le berceau. Et Jésus aussi est tout heureux d'avoir devant lui un homme fidèle. Et puis nous aussi, nous sommes tout heureux, nous avons tout compris.

La suite, c'est plus difficile. Pourquoi Jésus ajoute alors quelque chose qui n'est pas dans le programme, dans le programme des commandements ? Jésus estime beaucoup l'homme qu'il a en face de lui, et alors il lui dit : Tu as tout fait bien jusqu'à présent. Mais il y a une chose qui te manque : Vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi. Et l'homme s'en va tout triste. Tout mais pas ça ! Est-ce qu'il faut vraiment vendre tous ses biens pour entrer dans le royaume de Dieu ? Jésus avait devant lui un homme bien disposé. S'il est bien disposé, il est peut-être disposé aussi à mettre toute sa vie au service de Dieu. "Viens et suis-moi". Pour le moment, c'est trop pour cet homme. Il est dans la force de l'âge, il est riche et en bonne santé. Il fait tout bien, Jésus lui-même le lui a dit.

Quand Dieu envoie la maladie à quelqu'un, il intervient dans sa vie personnelle, il rappelle à ce malade qu'il est créé et mortel. Et quand le malade doit renoncer à ses activités, il ne peut pas ne pas penser au royaume de Dieu ou à la vie éternelle, c'est la même chose. Dieu ne demande pas si on veut bien être malade. Mais quand on est malade, c'est le temps du renoncement. L'homme riche d'aujourd'hui n'était pas pressé de renoncer à tous ses biens, volontairement. Un jour, comme tout le monde, il faudra bien qu'il renonce à tous ses biens.

En présence de cet homme bien disposé, Jésus voyait sans doute plus loin que la fidélité aux commandements de Dieu : ne faire de tort à personne, et faire plutôt du bien. Jésus voyait sans doute plus loin. Toute impureté de l'âme fait obstacle à la foi. La foi de cet homme bien disposé pourrait grandir encore. Il faudrait qu'il y mette le paquet, le paquet de tous ses biens. Cela lui permettrait de s'approcher encore plus de Dieu; il serait plus léger pour marcher vers lui.

La vie de tout croyant est normalement marquée par un certain vide. Nous sommes incomplets comme est incomplet celui qui attend le retour de la personne aimée, qui tend l'oreille pour entendre le bruit des pas sur le gravier, ou le bruit de la clef dans la serrure. Celui qui serait totalement comblé, celui dont le bonheur et l'épanouissement seraient complets n'aurait pas de place pour Dieu. Les saints ne sont pas pleins d'eux-mêmes. Pour s'approcher de Dieu, il faut être vide, il faut être pauvre d'une certaine manière.

Et curieusement, il y a beaucoup de gens aujourd'hui - et autrefois aussi sans doute - dont la vie est vide et, parce que leur vie est vide, elle est remplie de désespoir. Et peut-être que le vide le plus cuisant est de ne pas maîtriser le sens de sa propre vie. Nous devons tous découvrir notre propre pauvreté. Nous sommes tous, à notre manière, des mendiants, des mendiants qui reçoivent des dons et qui en donnent. On peut renoncer à toute forme de pouvoir qui diminue autrui. On peut renoncer à une richesse stérile qui ne porte aucun fruit. On peut donner son temps à ceux qui ont besoin... d'une oreille.

Dans la Bible, la première réaction des hommes et des femmes que Dieu appelle est souvent de dire : "S'il te plaît, Seigneur, laisse-moi tranquille. Je n'ai pas envie de parler avec toi". Ou bien : "Je n'en suis pas digne". Ou bien : "Je ne peux pas. Essaie quelqu'un d'autre". Et pourtant, finalement, ils répondent et Dieu leur donne de la force en leur disant qu'il sera toujours avec eux.

Et voilà quelqu'un qui n'a pas fait comme l'homme riche de l'évangile d'aujourd'hui. Voilà quelqu'un qui a laissé tout ce qu'il faisait dans la vie et qui s'est consacré à Dieu. Et tout n'est pas rose, et tout n'est pas facile quand on suit le chemin de Dieu. Et Dieu lui pose la question : Es-tu devenu prêtre ou es-tu entré dans la vie religieuse, ou es-tu devenu chrétien pour que je réalise tes désirs, ou bien pour que tu t'efforces de réaliser les miens ? (Avec Fiches dominicales, Timothy Radcliffe, AvS, HUvB).

 

14 octobre 2012 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,17-30

Que faire pour avoir la vie éternelle ? C'est tout simple, tout le monde connaît ça. Pas de meurtre, pas d'adultère, pas de vol, pas de faux témoignage : en un mot, ne faire de tort à personne. Et puis : Honore ton père et ta mère. C'est tout simple, mais c'est quand même un vaste programme : ne faire de tort à personne, et même lui faire du bien sans doute à l'occasion.

Si tu fais tout cela, nous dit Jésus, tes relations avec Dieu ont des chances d'être bonnes, elle sont des chances d'être authentiques. Saint Jean nous le redit à sa manière dans sa première Lettre : "Si vous entendez le message et si vous le gardez, vous demeurerez dans le Fils et dans le Père" (1 Jn 2,24). Si vous gardez en vous la parole que vous avez entendue, au début cette parole vous paraîtra peut-être étrangère, mais si vous la gardez, elle pourra devenir l'essentiel de votre vie.

Le Seigneur Jésus ne porte pas son disciple. Il l'invite à le suivre. C'est comme un guide de haute montagne. Il ne porte pas celui qui fait la randonnée avec lui ; par exemple, il ne le porte pas en certains endroits difficiles. Il lui donne la main, mais il faut que l'autre y mette du sien. Si l'autre ne saute pas lui-même, il ne passera pas au-dessus des crevasses. Le disciple suit en faisant ce qu'il peut. Et le disciple avance réellement parce que le guide avance. Celui qui est guidé ne peut jamais se vanter d'avoir vaincu la montagne. Il a été conduit jusqu'au sommet. Il ne peut pas se mettre au même rang que son guide.

Puisque le Seigneur Jésus nous a invités à faire avec lui une randonnée en haute montagne, il sait ce qu'il a derrière la tête. Nous n'avons pas besoin de poser la question : "En serons-nous capables ? Est-ce que le chemin est dur ?" Le guide dit ce qui est nécessaire, il ne dit pas à l'avance tout le détail. Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? Tu sais l'essentiel. En route. On y va.

Un homme s'approche de Jésus pour lui poser une question. C'est Dieu déjà qui le pousse du dedans pour s'approcher de Jésus. Dieu ne s'impose pas du dehors, il invite du dedans. Mais quand Jésus invite notre homme à abandonner tout ce qu'il a pour le suivre, c'est trop. L'homme s'en va tout triste. C'est trop pour le moment.

Un jeune était scandalisé par des pratiques de dévotion qu'il jugeait ridicules. Il en avait parlé à un vieux capucin. Et le vieux capucin lui avait répondu dans sa barbe : "Tu sais, le catholicisme est un râtelier où il y a du foin à la hauteur de tous les museaux !" Qu'est-ce qu'il voulait dire, le capucin avec son râtelier de foin à la hauteur de tous les museaux ? Ce qu'il voulait dire, c'est qu'il y a quelque chose de divin dans une religion qui est capable de combler une vieille paysanne comme elle est capable de combler des professeurs d'Université et des prix Nobel et tant d'autres.

Qu'est-ce que je dois faire pour avoir la vie éternelle ? Ce que je dois faire ? "Apprendre à vivre en étant content de Dieu, c'est-à-dire en pardonnant à Dieu de nous avoir faits tels que nous sommes, de nous avoir mis là où nous sommes". C'est un cardinal italien qui disait cela, il vient de mourir ; et avant d'être évêque puis cardinal, il était spécialiste des Écritures, professeur à l'Institut Biblique de Rome... "Apprendre à vivre en étant content de Dieu, c'est-à-dire en pardonnant à Dieu de nous avoir faits tels que nous sommes, de nous avoir mis là où nous sommes !"

Qu'est-ce que je dois faire pour avoir la vie éternelle ? La foi chrétienne, c'est infiniment plus qu'une morale, c'est infiniment plus qu'une culture de certaines valeurs. On peut être sans Dieu et apprécier aussi la culture de certaines valeurs. Mais comme disait avec humour un chrétien cultivé de notre temps : "Si le Christ n'est venu que pour nous apporter des valeurs, ce n'était pas la peine qu'il se dérange". Le Seigneur Jésus est venu apporter à l'humanité une révélation inouïe, une révélation qui porte sur l'infini, une révélation qui est inépuisable pour notre pensée et pour notre cœur, une révélation qui sera creusée et explicitée à l'infini au cours des âges.

Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? Jésus ne pouvait pas tout dire à cet homme qui lui posait la question. L'image du Crucifié, l'image de la Passion, nous montre l'obscurité de Dieu et incite le pécheur à la conversion. Et les chrétiens ne cessent de contempler ce point où Dieu se voile. L’Église n'est composée que de pécheurs qui se rassemblent pour célébrer en commun le repas commémoratif de la Passion. Le mystère des noces du Christ avec l’Église requiert la contemplation inlassable de la Tête couverte de sang et de blessures. (Avec Gustave Thibon, Cardinal Martini, AvS, HUvB).

 

11 octobre 2015 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,17-30

Jésus et les siens sont une route près de Jéricho. Arrive une riche caravane avec des chameaux et des chevaux. La caravane s'arrête, un jeune homme fait agenouiller son chameau, il glisse en bas de la selle pour aller vers Jésus tandis qu'un serviteur accourt pour tenir la bête par la bride. Le jeune homme se prosterne devant Jésus et il se présente : "Je suis un tel, fils de véritables Israélites, disciple de Gamaliel jusqu'à la mort de mon père qui m'a mis à la tête de son commerce. Je t'ai entendu plus d'une fois, je connais tes actions, j'aspire à une vie meilleure pour avoir cette vie éternelle dans ton royaume dont tu parles toujours. Dis-moi, bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?" Jésus : "Pourquoi m'appelles-tu bon ?" Le jeune homme : "Tu es le Fils de Dieu, bon comme ton Père. Dis-moi ce que je dois faire ?"

Jésus : "Observer les commandements". Le jeune homme : "Lesquels ? Les anciens ou les tiens ?" Jésus : "Dans les anciens, les miens se trouvent déjà ; les miens ne changent pas les anciens. Ils font toujours adorer d'un amour vrai l'unique vrai Dieu, ne pas tuer, etc. En agissant ainsi, tu auras la vie éternelle". Le jeune homme : "Maître, toutes ces choses, je les ai observées depuis mon enfance". Jésus le regarde d'un  œil affectueux et il demande doucement : "Et cela ne te paraît pas encore suffisant ?" Le jeune homme : "Non, Maître. C'est une si grande chose le royaume de Dieu, en nous et dans l'autre vie. C'est un don infini de Dieu qui se donne à nous. Je sens que tout est si peu de chose par rapport à l'infiniment Parfait qui se donne. Je crois qu'on doit l'obtenir avec des choses plus grandes que celles qui sont commandées". Jésus : "Tu parles bien. Pour être parfait, il te manque encore une chose. Si tu veux être parfait comme le veut notre Père des cieux, va, vends ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras dans le ciel un trésor qui te fera aimer du Père. Puis viens et suis-moi". Le jeune homme s'attriste et devient pensif, puis il se relève en disant : "Je me rappellerai ton conseil". Et il s'éloigne tout triste. Judas a un petit sourire ironique et il murmure :"Je ne suis pas le seul à aimer l’argent.

L'Évangile nous parle du temps pour décrire l'éternité, le monde de Dieu.  La Lettre aux Hébreux nous disait que Dieu nous connaît tous jusqu'au plus profond de l'âme. Nous devrions aimer cette connaissance que Dieu a de nous : Dieu est plus grand que notre cœur. Dans la prière, on peut se rattacher à tout pour apprendre à mieux connaître Dieu, on peut se rattacher à une joie ou à une souffrance qu'on a éprouvée et par laquelle on apprend à mieux connaître Dieu.

Il n'y a pas de rencontre si Dieu ne vient pas. Et pour que cette rencontre avec Dieu soit réelle, il faut que l'âme se reconnaisse comme étant essentiellement une faculté d'accueil, d'accueil d'un Autre, qui est infini, d'un Autre qui est infiniment plus grand que nous, qui est transcendant, qui nous dépasse infiniment y compris notre profondeur la plus profonde. Dieu est au-delà, non pas au-delà de l'espace ou dans les nuages - ce qui serait infantile -, mais dans l'intériorité elle-même de l'âme il est au-delà. Le fond de soi,  c'est encore soi, ce n'est pas Dieu. Il faut toujours attendre que l'Autre, qui est infiniment grand, révèle son mystère et donne son amour comme l'Ami à son ami. L'infiniment grand n'est pas à la mesure de nos propres forces.

C'est la question du jeune homme riche : "Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?" Dans la tradition juive, l'étude de la révélation de Dieu est le plus haut commandement. La révélation de Dieu est consignée dans l’Écriture, mais l'étude de cette révélation comprend aussi l'étude de toutes les interprétations qui en ont été données au cours des âges. Et là, on peut dire que c'est un commandement que la plupart des chrétiens ignorent. "Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle, pour savoir que Dieu, c'est vraiment l'essentiel de la vie ?" Il faut interroger les Écritures, mais interroger aussi ceux qui les ont interrogées avant nous, c'est-à-dire interroger toute la tradition.

La parole de Dieu demande un travail sur soi pour devenir signifiante, c'est-à-dire pour qu'elle nous parle vraiment. Aujourd'hui, comme hier d'ailleurs, les gens sont sont sollicités par un tas de choses qui paraissent urgentes,  impératives, qui sont immédiatement gratifiantes, qui procurent un certain bonheur immédiat, comme la richesse, le bien-être, le pouvoir, la détente, les jeux. Si on se laisse prendre totalement par ces appels de la richesse, du bien-être et du pouvoir, la parole de Dieu n'a plus guère d'intérêt. La parole de Dieu ne peut pas éclairer ceux qui veulent ignorer le travail sur soi qu'elle demande pour devenir signifiante, pour devenir quelque chose qui nous parle et apparaître comme ce qui est le plus important de la vie. "Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?"

De tout temps, les hommes ont cherché à comprendre le sens de leur vie. Depuis toujours ils cherchent ce sens à tâtons. Dans les temps anciens, cette recherche du sens de la vie se faisait toujours dans une ambiance religieuse reconnue par tout le monde. C'est dans cette intense recherche de la vérité qu'il faut situer toutes les religions du monde. Et puis en un point du monde, à une date donnée, la divinité (à laquelle tout le monde croyait sans la connaître), a commencé d'elle-même à soulever un coin du voile, c'est toute l'histoire de la révélation progressive de Dieu dans le peuple élu depuis Abraham ; et le sommet de cette révélation est atteint dans le Seigneur Jésus Christ, il y a deux mille ans. Et depuis lors, la connaissance de la Vérité révélée se répand dans le monde, avec des hauts et des bas, des flux et des reflux, des accueils et des refus. (Avec François Varillon, Catherine Chalier, AvS, HUvB).

 

10 octobre 2010 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 17, 11-19

Voilà dix lépreux qui appellent au secours de loin : "Jésus, aie pitié de nous". C'est une bonne prière pour nous aussi, une bonne prière en toute circonstance, même si on n'est pas lépreux. "Jésus, aie pitié de nous". Jésus ne guérit pas tout de suite ces dix hommes. Il leur propose une démarche de foi : "Allez voir les prêtres". Ces dix hommes ne demandent pas d'explication : ils se mettent en chemin, et voilà qu'ils se retrouvent guéris. Et sur les dix, il n'y en a qu'un qui pense à retourner auprès de Jésus pour le remercier et remercier Dieu.

Vous avez peut-être entendu parler de ce musulman qui s'est converti à la foi chrétienne il n'y a pas très longtemps. Il a raconté ce qui lui est arrivé dans un livre qui a été publié cette année et qui est intitulé : "Le prix à payer". C'était au temps de Saddam Hussein en Irak. Le père de ce musulman converti était un grand propriétaire terrien de Bagdad, un chef de tribu : Al Sayyid al Moussaoui. Le futur chrétien n'a pas de souci à se faire : il est destiné à prendre la succession de son père à la direction de ses affaires, bien qu'il ne soit pas l'aîné des dix garçons de la famille.

Au mois de mai 1987, il fait un rêve qu'il ne comprend pas. Il se trouve au bord d'un ruisseau, pas très large, à peine un mètre. Sur l'autre rive, un personnage d'une quarantaine d'années, plutôt grand, vêtu à l'orientale. Et notre homme se sent irrésistiblement poussé vers cet étranger au-delà du ruisseau. Il a envie de passer de l'autre côté pour le rencontrer. Il commence alors à enjamber le ruisseau et il se retrouve comme suspendu dans les airs pendant quelques minutes. L'homme d'en face lui tend la main pour lui permettre de franchir le ruisseau. A ce moment-là notre musulman peut observer le visage de l'homme : il est frappé par sa beauté. L'homme d'en face a alors posé sur lui un regard d'une douceur infinie et il lui a dit une seule parole, fort énigmatique : "Pour franchir le ruisseau, il faut que tu manges le pain de vie".

Tout commence comme ça pour la conversion de ce musulman : ça commence par un rêve. C'est une longue histoire et la conversion ne s'est pas faite en un jour. Quand sa famille a découvert ses tendances chrétiennes, la réaction a été violente : prison, tortures et même tentative d'assassinat. Finalement il a réussi à s'enfuir en Jordanie, et de là en France, avec sa femme et ses deux enfants. Et c'est en Jordanie que les quatre ont été baptisés par un évêque. Ils sont arrivés en France sans connaître un mot de français. Ils vivent en France depuis 2001, sous un faux nom bien sûr parce qu'ils pourraient être inquiétés même en France.

L'homme qui attendait le musulman de l'autre côté du ruisseau, c'était le Christ, bien sûr. Et le pain de vie qu'il devait manger pour le rejoindre, c'était l'eucharistie, évidemment. Sa conversion lui a coûté très cher : il a tout perdu. Mais il ne pouvait pas résister d'une certaine manière à l'appel de l'homme au-delà du ruisseau. Pourquoi cette conversion au milieu de millions d'autres musulmans ? Et puis la manière dont Dieu s'y prend pour appeler ce musulman à la foi chrétienne : par un rêve, tout simplement. Et un rêve fort énigmatique sur le coup. Dieu a beaucoup de manières de toucher les cœurs.

Dans notre évangile d'aujourd'hui, Jésus envoie les dix lépreux loin de lui : "Allez vous montrer aux prêtres". Ici il appelle le musulman à le rejoindre de l'autre côté du ruisseau. Et le merci du musulman à Jésus, c'est qu'il a tout perdu pour le rejoindre. C'était plus fort que lui d'une certaine manière. Le titre de son livre : "Le prix à payer". Le nom de l'auteur, un nom d'emprunt : Joseph Fadelle.

Jésus dit quelque part dans l'évangile : "Étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie". Joseph Fadelle a entendu un appel de Dieu dans son rêve. Et il a cherché longtemps la porte d'entrée, justement parce que la porte est petite et elle reste inaperçue pour beaucoup. C'est la voie qui mène à Dieu. Tout le but de la voie, c'est de conduire au ciel. La voie n'a pas d'autre issue que la vie éternelle, qui est en même temps la vie du Père et du Fils et de l'Esprit Saint. Pour acquérir cette vie, notre riche musulman a tout perdu. Pour lui, cet homme au-delà du ruisseau, c'était plus important que tout. Il y a en tout homme une soif spirituelle. Le Christ est venu sur terre pour offrir à tous une communion avec Dieu. Il faut chercher le Christ là où il est. Et le Christ aussi cherche les hommes là où ils sont. Il peut aussi aller les chercher par un rêve. Cet homme au-delà du ruisseau, le musulman ne connaissait pas son nom. Il aurait simplement pu dire de lui ce qu'un de nos Pères dans la foi disait de Dieu : "Il est celui qu'aime mon âme".

Notre musulman converti à la foi chrétienne a été touché par Dieu, le Dieu de Jésus-Christ. Et tous ceux qui sont touchés par Dieu, c'est-à-dire tous les chrétiens, Dieu leur donne aussi une mission. La mission de notre musulman, c'est peut-être simplement et d'abord d'écrire ce livre pour dire à tout le monde la grâce que Dieu lui a faite. L'essentiel de l'attitude de toute mission, c'est d'être disponible à tout ce que Dieu veut, c'est de se remettre soi-même entre les mains de Dieu pour que Dieu en dispose. Et Dieu en dispose toujours au profit du monde. (Avec Joseph Fadelle, Alexandre Schmemann, Frère Roger, Saint Grégoire de Nysse, AvS, HUvB).

 

13 octobre 2013 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 17,11-19

Jésus guérit dix lépreux. On lit cet évangile presque sans faire attention. Ce n'est pas un lépreux qui est guéri, c'est dix lépreux, dix d'un coup. Et Jésus les guérit à distance. C'est en s'éloignant de Jésus qu'ils sont guéris. Ils doivent aller voir les prêtres pour que les prêtres constatent leur guérison. Sur les dix, un seul revient voir Jésus pour lui dire merci. Et Jésus pose la question : Où sont les neuf autres ?

Les lépreux, c'est comme s'ils étaient morts. Il leur était interdit d'entrer dans les villes et les villages. Ils vivaient comme des bêtes dans la montagne et dans des grottes. Jésus leur rend la vie, il leur permet de retrouver une vie normale. Et voilà qu'un seul pense à remercier Jésus.

Ces dix hommes n’avaient pas choisi d'être lépreux : ça leur était tombé dessus comme ça, sans préavis. Il y a beaucoup de choses qu'on ne choisit pas dans la vie. Ce n'est pas Jeanne d'Arc qui a choisi sa voie. C'est le ciel qui l'a appelée à remplir une mission impossible. Et elle l'a fait. C’est l'Esprit Saint qui indique à chacun son chemin.

Les dix lépreux se trouvaient par hasard sur le chemin de Jésus. Ce qu'on sait aujourd'hui, c'est que nous sommes tous sur le chemin de Jésus. Dieu veut dire à chacun quelque chose de particulier. En toute prière aussi Dieu nous dit quelque chose, en toute prière authentique. Que ce soit un Notre Père ou un Je vous salue Marie ou une prière qu'on invente : à l'arrière-plan, il y a la voix de Dieu.

Voilà un homme qui prie. Il bredouille quelques paroles. Peut-être sait-il exactement ce qu'il veut et il l'exprime avec vigueur. Peut-être qu'il a recours aux prières composées par l’Église : il les balbutie ou bien il les prie avec toute son énergie. Peut-être prie-t-il par devoir et, après cela, il se sent comme libéré d'une obligation. Peut-être prie-t-il comme il fait un beau travail, avec la crainte de changer quoi que ce soit aux paroles, avec le sentiment qu'il doit maintenir ses demandes invariablement toute sa vie durant. Peut-être qu'il est convaincu de son indignité et qu'il ne prononce rien d'autre que de courtes prières comme des soupirs : "Mon Dieu, tu vois bien comment je suis ; tu sais bien ce dont j'ai besoin". Ou bien il peut être frappé par la grâce, si rempli de joie qu'il bredouille simplement son merci et qu'il s'offre comme il peut : "Mon Dieu, qu'est-ce que je peux faire pour te faire plaisir ? Qu'est-ce que tu attends de moi aujourd'hui ?"

C'est saint Thomas d'Aquin qui disait, comme beaucoup d'autres avant lui et après lui : "L'Esprit Saint de Dieu instruit l'homme de l'intérieur et il incline la volonté à faire le bien". L’Évangile, comme l'Esprit Saint, s'adresse au plus profond de l'homme, et son message peut être reconnu par tous. Mais on peut aussi fermer l'oreille de son cœur à la voix de Dieu. Dieu ne veut pas forcer les portes qu'on garde soigneusement fermées. La foi ne peut pas être engendrée par raison nécessaire.

Chaque personne humaine est unique et non réitérable. Chaque personne demeure aussi un mystère. Et ce mystère s’éclaire quand on sait que cette personne n'existe que dans sa dépendance à l’égard de Dieu. Le secret dernier de la personne humaine, c'est le secret de Dieu qui est lui-même une personne.

C'est une histoire juive. Les Juifs qui savent rire d'eux-mêmes après s'être moqué des autres. Dieu propose ses dix commandements à plusieurs peuples. Tous refusèrent des préceptes aussi contraignants. Les Belges, à cause du deuxième commandement : Tu ne jureras pas. Les Français à cause du sixième commandement : Tu ne commettras pas d’adultère. Les Italiens à cause du huitième : Tu ne voleras pas. Et lorsque Dieu arriva chez les Juifs, les Juifs étaient méfiants, ils demandèrent : Combien ça coûte ? Dieu répond : C'est gratuit. Alors, disent les Juifs, on prend les dix.

La prière est un dialogue avec Dieu. Et comme dans tout dialogue entre personnes humaines, il y a des règles élémentaires à respecter : 1. Se livrer et poser des questions, mais sans indiscrétion. 2. Instaurer une distance respectueuse, mais sans rester étranger l'un à l'autre. 3. Pouvoir attendre, sans impatience. 4. Et enfin créer une atmosphère de confiance. (Avec saint Thomas d'Aquin, Bernard Sesboüé, Marie-Joseph Le Guillou, Pascal Ide, AvS, HUvB).
 

9 octobre 2016 - 28e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 17,11-19

La foi des dix lépreux est admirable. Jésus leur dit : "Allez vous montrer aux prêtres"; ils ne protestent pas, ils ne demandent pas à Jésus de les guérir tout de suite devant lui. Ils font simplement ce que Jésus leur demande de faire : aller voir les prêtres. Ils sont où les prêtres ? Tout près ou très loin ? Dans le village voisin ou à Jérusalem dans le temple ?  L'évangile ne le dit pas. Toujours est-il que les lépreux se mettent en route et, chemin faisant, ils s'aperçoivent qu'ils sont guéris. Dix lépreux sont guéris, ce n'est pas une petite affaire. Et un seul revient sur ses pas pour remercier Jésus. Un seul, et il n'est même pas Juif, c'est un Samaritain, quelqu'un qui était considéré par les vrais Juifs comme un mauvais croyant, un mécréant. Et c'est lui tout seul qui vient remercier Jésus. Et les neuf autres, où sont-ils ? Ils ont empoché la guérison et ils disparaissent sans laisser de trace.

Il n'y a rien de répréhensible à demander à être guéri, à demander avec insistance. Mais il n'est sans doute pas permis de se montrer ingrat, de ne pas savoir dire merci, quand on a été exaucé. C'est saint Bernard qui dit cela, et il ajoute : "C'est peut-être même par clémence que Dieu semble refuser aux ingrats ce qu'ils demandent, parce que leur manque de reconnaissance pourrait leur attirer un blâme plus sévère. C'est, pour Dieu, un acte de miséricorde que de refuser la miséricorde". Et saint Bernard conclut : "Heureux celui qui, pour chaque don de la grâce, revient vers Celui en qui se trouvent toutes les grâces. En montrant notre reconnaissance pour les dons reçus, nous préparons en nous un espace pour la grâce".

Régulièrement des gens passent à l'abbaye - ils viennent de près ou de loin - pour demander du secours parce qu'ils ont des "embêtements" avec le diable. Mais avant de venir à l'abbaye - ou d'aller trouver un prêtre -, on est allé consulter des voyantes et des cartomanciennes et des médiums et des guérisseurs et des magnétiseurs et des "désenvoûteurs". Et on ignore toujours qu'en allant consulter ces personnes, on risque fort d'augmenter seulement ses ennuis et ses douleurs. Alors que faire ? On commence toujours par essayer de voir s'il y a vraiment du diable dans l'affaire ou si on peut expliquer les choses rationnellement. Et si on peut penser qu'il y a du diable dans ce qui arrive, je dis toujours que, dans ce cas, ce n'est pas le médecin, ni les pompiers, ni les gendarmes qui pourront y faire quelque chose. Il n'y a que Dieu qui peut y faire quelque chose. Pourquoi ?

Parce que les démons (Satan, Lucifer, le diable) - ils sont des centaines, des milliers, des millions, des milliards , on ne sait pas - sont beaucoup plus forts que nous, ils sont beaucoup plus intelligents que nous, ils savent beaucoup plus de choses que nous. Nous ne sommes pas de taille à lutter contre eux. On ne parle pas avec le diable, on ne lutte pas contre le diable, on est perdu d'avance. Il n'y a qu'une chose à faire : se mettre entre les mains de Dieu, entre les bras de Dieu. Le diable, c'est une créature de Dieu, tout comme nous. Il est tout petit devant Dieu. Le diable, c'est un ange, donc une créature invisible, mais un ange qui s'est révolté contre Dieu. Il a de la haine pour Dieu et pour tout ce que Dieu fait, il a de la haine pour tous les humains et il ne pense qu'à faire le mal et à faire du mal. Devant le diable, nous sommes tout petits. Alors il n'y a qu'une chose à faire devant le diable, se mettre entre les mains de Dieu.

Et comment faire pour se mettre entre les mains de Dieu ? C'est la prière confiante, c'est demander à Dieu de nous protéger de toutes les attaques. Le problème, c'est que beaucoup ne commencent à se souvenir de Dieu que lorsqu'ils ont des soucis, pour ne pas dire autre chose. Alors je dis souvent : vous demandez à Dieu de vous protéger, vous demandez à Dieu une faveur, mais la moindre des politesses serait peut-être aussi de demander à Dieu ce qu'il attend de vous. Vous demandez à Dieu une grâce, une faveur, vous lui demandez son aide. Mais vous, qu'est-ce que vous pouvez faire pour faire plaisir à Dieu. Qu'est-ce que Dieu attend de vous ? Il faut le lui demander. Et le lui demander tous les jours. Et si, par la grâce de Dieu, les ennuis que vous connaissez disparaissent - instantanément ou petit à petit - n'oubliez pas de faire comme le Samaritain de notre évangile, n'oubliez pas non plus de demander encore et toujours à Dieu ce qu'il attend de vous maintenant, et demain et après-demain.  Ce que Dieu demande à tout être humain, c'est de s'abandonner à lui. Et bien  sûr cela ne dispense pas l'homme de semer du grain dans son champ et de pétrir le pain, de faire ce qu'il est raisonnable de faire. Mais vis-à-vis de Dieu, ce qu'il y de plus raisonnable à faire, c'est de s'abandonner à l'Incommensurable, c'est de s'abandonner à Celui qui nous dépasse infiniment.

Mardi dernier, c'était la fête de saint François d'Assise. Vous l'avez peut-être prié ce jour-là. Et je termine avec une très belle prière du matin que saint François nous a laissée : "Seigneur, dans le silence de ce jour naissant, je viens te demander la paix, la sagesse, la force. Je veux regarder aujourd'hui le monde avec des yeux tout remplis d'amour, être patient, compréhensif, doux et sage, voir au-delà des apparences tes enfants comme tu les vois toi-même, et ainsi, ne voir que le bien en chacun. Ferme mes oreilles à toute calomnie, garde ma langue de toute malveillance, que seules les pensées qui bénissent demeurent en mon esprit, que je sois si bienveillant et si joyeux que tous ceux qui m'approchent sentent ta présence. Revêts-moi de ta beauté, Seigneur, et qu'au long du jour je te révèle". (Avec saint Bernard, saint François d'Assise, AvS).

 

16 octobre 2011 - 29e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 22,15-21

Quand les autorités juives de Jérusalem amenèrent Jésus au procurateur romain Ponce Pilate, ils utilisèrent contre Jésus l'accusation suivante : "Nous avons trouvé cet homme mettant le trouble dans notre nation : il empêche de payer le tribut à César" (Lc 23,2). L'évangile d'aujourd'hui nous montre que c'était une fausse accusation. Les pharisiens veulent tendre un piège à Jésus, justement pour pouvoir le dénoncer aux autorités romaines. Les pharisiens envoient donc à Jésus une délégation de leurs disciples, donc des personnes qui représentent le pouvoir religieux. Mais ces représentants du pouvoir religieux sont accompagnés de partisans du roi Hérode, donc de personnes qui représentent le pouvoir politique.

Le filet du piège est bien tendu. "Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur ?" Que Jésus réponde oui ou non, on aura de quoi l'accuser et donc de le condamner, soit au nom de l'empereur, soit au nom de la religion. La réponse de Jésus ne s'embarrasse pas de gentillesse feinte, il leur dit : "Hypocrites, pourquoi me tendez-vous un piège ?" Les Romains occupent la Palestine. Ils ont leur monnaie que tout le monde utilise, et aussi leurs impôts. Pour le moment, c'est comme ça. Alors rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Faut-il payer l'impôt ? Jésus ne répond ni oui ni non. Il dit : à chacun son dû. Le service de César ne contredit pas le service de Dieu, et le service de Dieu ne contredit pas celui de César. Dieu règne sur César lui-même et il règne sur les consciences de tous. Et après la réponse de Jésus, l'évangéliste conclut la scène (ce n'était pas dans la lecture liturgique de l'évangile) : "A ces mots, ils furent tout surpris et, le laissant, ils s'en allèrent".

Les apôtres ont tout quitté pour habiter le pays de la foi qui est source de vie. Même dans les pays étrangers, les chrétiens possèdent la foi qui est source de vie. Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! C'est peut-être plus facile de rendre à César ce qui est à César : les impôts sont les impôts. Mais rendre à Dieu ce qui est à Dieu ! On peut se tromper très largement. Ce sont les saints qui nous le disent sans prendre de gants : "La bigoterie mesquine que l'on rencontre si souvent dans l’Église et qui fait de la foi quelque chose de bien gentil et de sentimental et la rend ridicule aux yeux des autres a toujours sa source dans la tentation de ramener le divin aux dimensions de l'humain. L'homme ne se tient plus devant la face de son Dieu, mais devant une image que sa raison a fabriquée selon ses propres mesures. Certains éléments de cette image sont vrais et authentiques, mais il les a réduits jusqu'à ce qu'il puisse les comprendre; il a peut-être même imprimé à la foi le caractère de ses fautes, de ses angoisses, de ses incapacités". Nous avons toute une vie pour avancer dans la compréhension du mystère de Dieu, de la prière, de la Révélation, des sacrements.

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu... Comment faire ? Un rabbin de notre temps, très croyant, nous dit ceci : "Avant de transmettre à l'enfant les règles religieuses, c'est-à-dire ce qui fait le lien entre l'homme et Dieu, les éducateurs (parents et maîtres) doivent lui transmettre les vertus et le bon comportement en société : apprendre à dire merci, tenir la porte pour une autre personne, respecter les cheveux blancs ; en un mot, ce que l'on nomme la politesse constitue un préalable à la prière ou à d'autres conduites pieuses. Sans ce préalable, la relation au divin risquerait d'être faussé".

Rendre à César ce qui est à César, rendre au prochain ce qui est au prochain, c'est un chemin pour rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Et c'est le même rabbin qui dit encore : "L'homme n'est jamais vertueux une fois pour toutes. Il est toujours en mouvement de perfectionnement. On est toujours en marche vers la sainteté". Voilà pour le rabbin.

On peut ajouter : notre Église n'est pas un rassemblement de purs, c'est une communauté de pécheurs. Et puis quand on parle de foi et d'espérance chrétiennes, il n'y a pas de quoi pavoiser non plus : aucune preuve de type scientifique n'est là pour les étayer. Juste une humble certitude intérieure. Nous sommes les fragiles témoins d'une foi fragile... Rendre à Dieu (tout-puissant) ce qui est à Dieu.

Où pouvons-nous faire l'expérience de Dieu ? Il faut à l'homme un minimum d'expérience comme tremplin pour oser le saut dans la foi. Le oui de Marie a été précédé du salut de l'ange. Les douze ont été engagés et envoyés par un Maître qu'ils connaissaient. Paul a subi à Damas l'emprise du Christ glorifié qui l'a désapproprié. Mais nous, qui allons-nous rencontrer ? Qui a pouvoir de nous engager et de nous envoyer en mission ? (Avec Philippe Haddad, Olivier Le Gendre, AvS, HUvB).

 

19 octobre 2014 - 29e dimanche du temps ordinaire -- Année A

Évangile selon saint Matthieu 22,15-21

Les gens qui viennent trouver Jésus dans l'enceinte du temple savent bien ce qu'il faut faire, ils savent bien qu'il faut payer l'impôt à l'empereur, ils le font eux-mêmes. Ils ne demandent pas un conseil, ils viennent pour piéger Jésus. Jésus ne se laisse pas enfermer dans le piège qu'on lui tend. Il s'en dégage par une formule percutante : "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu". Le pouvoir de Dieu ne se situe pas au même niveau que celui de César. Et César, lui aussi, comme tous les citoyens, aura des comptes à rendre à Dieu. Les puissants aussi sont dans la main de Dieu.

Qu'est-ce qui est arrivé aux adversaires de Jésus qu'ils viennent lui tendre un piège : faut-il payer l'impôt à l'empereur ? C'est quoi le pécheur ? C'est quelqu'un qui ne voit pas correctement la vérité parce que sa vue est obscurcie par le péché. Et le Seigneur Jésus est venu dans le monde pour porter le péché des pécheurs. Il arrive souvent que les croyants portent aussi avec le Seigneur Jésus le péché des pécheurs. Le péché des autres est toujours lourd à porter. Notre propre péché, on ne se rend pas toujours compte à quel point il peut être lourd à porter par les autres.

Il y a quelque chose qui n'était pas clair chez les gens qui étaient venus poser leur question à Jésus au sujet de l'impôt à payer à César. Est-ce qu'ils étaient transparents à Dieu ? Peut-être le croyaient-ils. Mais on peut se faire illusion. Dieu nous parle, y compris dans notre conscience, il faut seulement que nous trouvions le lieu où nous arrivons à entendre sa voix. C'est notre attitude tout entière qui attestera que nous avons bien entendu.

Le Seigneur Jésus, tant qu'il vivait ici-bas au milieu des hommes, se demandait constamment comment il pourrait efficacement rendre accessible aux hommes le mystère de l'amour de Dieu Trinité pour les hommes. Avec ses interlocuteurs d'aujourd'hui, l'affaire a été vite réglée : rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. Mais comment être sûr qu'on rend vraiment à Dieu ce qui est à Dieu ?

Mère Teresa donnait un jour un conseil à ses sœurs pour le temps du carême. Elle disait : "Pendant le carême, libérez votre esprit de tout ce qui n'est pas Jésus... Si vous avez du mal à prier, répétez : Jésus, viens dans mon cœur. Prie en moi, avec moi, de façon que je puisse apprendre comment tu pries". Mère Teresa montrait par là qu'on peut prier en répétant seulement quelques mots. Dieu n'a pas besoin de longs discours.

Frère Roger, de Taizé, raconte ceci : "Il arrive que des jeunes demandent : Quel est le plus beau dans votre vie ? Sans hésiter, je réponds : La prière commune d'abord et, dans cette prière, les longs temps de silence. Et que faire pendant ces longs temps de silence ? Répéter peut-être simplement quelques mots. Par exemple : "Comme tu vois et comme tu sais, prends pitié".

Plus d'une fois dans la Bible, il est dit qu'il ne faut pas mettre Dieu à l'épreuve. Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire qu'on ne doit pas poser de condition à Dieu. On ne doit pas lui demander qu'il nous donne un signe, et qu'on lui obéira s'il nous donne ce signe. On n'obéit pas à Dieu sous condition. On ne peut jamais exiger de Dieu des preuves pour commencer à croire en lui.

Vers la fin de sa vie, Olivier Clément était en partie paralysé. Olivier Clément était devenu chrétien à l'âge de trente ans. Il était agrégé d'histoire et par la suite il a acquis une immense connaissance des écrits chrétiens de tous les temps. Il a publié beaucoup de choses où il essayait de dire, avec toute sa culture, en quoi il croyait et pourquoi il croyait au Dieu de Jésus-Christ. Et donc, vers la fin de sa vie, Olivier Clément, en partie paralysé, racontait ceci à l'un de ses intimes : "Autrefois, quand je voulais écrire, je prenais un stylo et j'écrivais. Aujourd'hui, je veux écrire et je ne peux pas le faire, ma main ne bouge pas. Je veux quelque chose, je dois crier pour que quelqu'un m'entende, et puis j'attends que quelqu'un vienne quand cela lui est possible. Je dois apprendre à attendre. Attendre, simplement, comme on attend Dieu lui-même. C'est ainsi que j'ai découvert une dimension de l'espérance : la patience d'attendre. Tout mon temps se déroule autour de l'attente. J'attends Dieu, voilà ce que je fais de mieux en tant que malade et vieux... Je ne peux rien faire, mais je peux écouter et attendre. Mon trésor, c'est Dieu. Dieu dans sa vie intime. Mais de cela on ne doit pas parler. C'est trop profond".

Quand Olivier Clément était encore en pleine activité de professeur d'histoire et de témoin de la foi chrétienne dans le monde, il posait la question : "Quel est le rôle du chrétien ?" Et sa réponse était : "Le rôle du chrétien, c'est de porter l'humanité". Devenu vieux, comme il disait, et paralysé, on peut penser qu'alors aussi il portait l'humanité.

Saint Grégoire le grand disait : "Dans l’Église (et finalement dans toute l'humanité), nous nous portons tous les uns les autres. J'en porte d'autres et d'autres me portent. Et finalement, il n'y en a qu'un qui porte tout, c'est le Seigneur Jésus". (Avec Fiches dominicales, Mère Teresa, Frère Roger, Olivier Clément, saint Grégoire le grand, AvS).

 

18 octobre 2009 - 29e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10, 35-45

Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, intriguent pour avoir les meilleures places dans le royaume à venir, parce que les disciples imaginent toujours un royaume terrestre, le royaume messianique qui, pour les disciples, à ce moment-là, était nécessairement un royaume terrestre. Jacques et Jean voudraient bien être aux places d'honneur dans le royaume.

La réponse de Jésus à cette demande est assez énigmatique, du moins pour les disciples, à ce moment-là. "Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ?" Pour les disciples, pas de problème : boire une coupe, boire un coup, ce n'est pas gênant. Au contraire. "Pouvez-vous recevoir le baptême dans le quel je vais être plongé ?" Un baptême, pour les disciples, ce n'est pas méchant non plus. Il n'y a pas de problème. Et alors Jésus annonce aux deux qu'ils vont bien boire la coupe, qu'ils vont bien être baptisés comme Jésus. Ce n'est qu'après Pâques que les disciples comprendront ces paroles. La coupe, c'est la Passion de Jésus. Le baptême, c'est la Passion de Jésus. Jacques sera décapité par le roi Hérode Antipas (Ac 12, 2) : il boira la coupe du martyre. Quant à Jean, il subira l'exil à Patmos, selon la tradition.

Et puis Jésus propose à tous ceux qui le suivent, à ses disciples de tous les temps, d'assumer la fonction de serviteurs. Lui, Jésus, il a servi ; jusqu'à donner sa vie en rançon pour la multitude. Quelques siècles avant le Christ, les poèmes du Serviteur souffrant affirmaient déjà, d'une manière mystérieuse, la valeur rédemptrice de la souffrance du Serviteur de Dieu (c'était notre première lecture tout à l'heure) : "Parce que mon Serviteur, le juste, a connu la souffrance, il justifiera des multitudes, il se chargera de leurs péchés, il portera leurs péchés à leur place". Comment est-il possible qu'un homme broyé par la souffrance plaise à Dieu et puisse être utile aux autres ? Comment expliquer que la souffrance puisse avoir un sens, que le sacrifice puisse avoir une valeur, que l'offrande de la souffrance puisse être féconde ? La plus grande souffrance du Seigneur Jésus a été la souffrance de se sentir comme délaissé par le Père. C'est le prix qu'il doit payer pour le péché des hommes.

Chaque fois que Jésus s'est présenté à ses disciples de manière inattendue, ses disciples ont connu l'angoisse. Les disciples imaginent une bonne place dans le royaume, et Jésus leur parle d'être serviteurs, de se mettre au service de tous. C'est le monde à l'envers. C'est angoissant. C'est peu à peu que les disciples comprendront les choses après la Passion et la résurrection de Jésus. Ils comprendront alors que le Seigneur Jésus, le Fils, avait renoncé à posséder la gloire. Il a déposé cette gloire auprès du Père et il s'est intégré à l'humanité pécheresse. Il s'est si bien intégré à l'humanité pécheresse qu'il s'est rangé du côté des hommes qui étaient devenus étrangers à Dieu.

Jésus n'est pas venu pour distribuer les bonnes places dans son royaume. Il est venu prendre la dernière place ; on l'accuse injustement et on le tue dans les tortures de la crucifixion. Jésus n'est pas venu pour promouvoir des valeurs, il n'est pas venu pour mettre les gens en valeur, il n'est pas venu pour mettre Jacques et Jean en valeur. Dieu est parmi nous comme quelqu'un que l'on rejette. Jésus, les hommes l'ont rejeté ; les chefs du peuples l'ont rejeté. Et aujourd'hui encore beaucoup le rejettent. La Passion n'est pas finie.

Le vendredi saint, Jésus se trouve face à la mort. Sa vie a tout l'air d'être un échec et une défaite. Il était venu prêcher le royaume de l'amour de Dieu et, au bout du compte, il meurt sur une croix. Quelle justification donner à sa vie? C'est l'impasse. Alors il offre l'échec de sa vie à celui qu'il appelait son Père. La plus grande des prières, c'est la croix où Jésus a tout remis entre les mains de Dieu.

Le christianisme commence par un tombeau vide, c'est-à-dire par la mort vaincue, par la promesse d'une vie plus forte que la mort. Comment est-ce possible ? Il y a des miracles à Lourdes et ailleurs dans le monde. Et aujourd'hui encore. Comment est-ce possible ? Comme disait Chesterton, l'humoriste anglais, "ce qu'il y a de plus incroyable dans un miracle, c'est qu'il arrive".

A la fin de l'évangile d'aujourd'hui, Jésus affirme : "Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude". C'est l'un des passages de l'évangile où l'on voit que Jésus a eu conscience du sens universel de sa mission, sa mission qui était de réconcilier le monde avec Dieu. (Fiches dominicales, Vincent Holzer, Timothy Radcliffe, Michel Serres, AvS, HUvB).

 

21 octobre 2012 - 29e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,35-45

Les apôtres Jacques et Jean demandent à Jésus les premières places dans son royaume. A ce moment-là, tous les apôtres imaginaient encore qu'un jour Jésus serait un roi terrestre, un roi Messie tout-puissant. Et ingénument Jacques et Jean demandent les premières places dans ce royaume terrestre. Alors là, il y a un petit problème. D'après l'évangile de saint Marc que je viens de lire, ce sont les apôtres eux-mêmes qui demandé à Jésus les bonnes places. Mais d'après l'évangile de saint Matthieu, c'est la mère de Jacques et Jean qui a demandé à Jésus de réserver les meilleures places à ses fils. Saint Luc, lui, n'en parle pas. Alors qu'est-ce qui correspond à ce qui s'est vraiment passé ? Est-ce la mère de Jacques et Jean qui a parlé à Jésus ? Ou bien est-ce que ce sont les apôtres eux-mêmes qui sont intervenus ? Qu'est-ce qui est le plus vraisemblable ? Et pourquoi les deux évangiles ne disent pas la même chose ? Et pour quoi saint Luc ne parle pas de ce petit épisode ?

Les deux disciples souhaitent avoir de bonnes places. Alors Jésus parle de sa mort. Il va passer par un baptême. Pour le baptême, à cette époque-là, on était plongé totalement dans l'eau, y compris la tête. Jésus va bien recevoir un baptême, mais un baptême de sang, il va être plongé dans la mort par la main des pécheurs. Le Fils de l'homme n'est pas venu pour avoir ici-bas un royaume terrestre. Il est venu pour servir. Et son plus grand service, ce sera de donner sa vie en rançon pour la multitude. Et c'est en donnant sa vie qu'il ouvrira à toute l'humanité les portes du royaume du Père. Jésus ne refuse pas à Jacques et à Jean les bonnes places dans son royaume. Les bonnes places, c'est qu'ils auront à souffrir et peut-être aussi à mourir, comme Jésus, pour ouvrir à tous les hommes les portes du royaume du Père.

Jacques et Jean ont été touchés par la grâce de Dieu. Et Jésus les entraîne plus loin, plus loin que ce que les apôtres imaginaient. Dieu nous entraîne toujours plus loin dans notre vie. Jacques et Jean ne pouvaient pas comprendre vraiment ce que Jésus accomplirait sur la croix.

Nous aussi, sans doute, nous désirons les bonnes places dans le royaume. Et que nous disent les saints et les saintes de Dieu ? Ils nous disent : "Si un chrétien s'habituait à voir l'amour de Dieu en tout ce qu'il expérimente, même là où il ne comprend pas, même là où cela paraît absurde, il pourrait demeurer dans la joie, même dans les plus dures épreuves". (C'est vite dit !)

Jacques et Jean demandent les bonnes places. Jésus leur parle de boire le calice et d'être baptisé. Les deux disciples n'y comprennent rien. Ils comprendront plus tard. Et qu'est-ce qu'ils comprendront ? Ils comprendront que par la venue en ce monde du Seigneur Jésus, par sa mort sur la croix et par sa résurrection, la mort est devenue une porte ouvrant sur l'éternité.

Un saint de l’Église russe devait un jour célébrer un office pour un défunt. Il a commencé comme ceci : "Frères et sœurs, pleurons, parce que celui que nous aimions est parti". Et il a ajouté : "Mais pleurons comme des croyants avec toute notre foi"... A la mort de Lazare, Jésus aussi a pleuré. Les larmes aussi sont un don de Dieu. Il ne faut jamais les empêcher de couler.

Jeudi dernier, c'était la fête de saint Luc, le patron des médecins. Je termine donc avec une prière adressée d’abord à saint Luc, puis à Dieu ; elle nous vient de Marie Noël. Comme vous verrez, cette prière peut tous nous concerner un jour.

"Saint Luc, patron des médecins, priez pour ceux qui sont chargés de la croix des autres, assistez-les dans leur tâche difficile de sauveurs.

Sauveur de tous, ô Dieu, donnez au médecin la lumière. Éclairez-le dans l'obscurité de la souffrance d'autrui pour qu'obligé de pénétrer dans le secret des corps et des âmes, il ne se trompe pas de route, et ne blesse rien en passant.

Donnez au médecin l'amour pour que, chargé de sa propre peine et sans consolation peut-être pour lui-même, il trouve toujours en lui une douceur et une force pour le désespéré qui l'attend.

Donnez au médecin la fidélité dans la miséricorde pour qu'il n'oublie pas, pour qu'il n'abandonne jamais le moindre des misérables qui à lui se fie.

Donnez-lui la grâce, ô mon Dieu, pour qu'en son plus mauvais moment, dans son incertitude, dans sa faiblesse d'homme, son trouble, il reste toujours assez sage, toujours assez bon, toujours assez pur, digne de la douleur sacrée dont la foi s'est donnée à lui.

Donnez-lui la grâce et la force, ô mon Dieu, pour que la misère de tous ne vienne pas à trop l'accabler, pour que la détresse qu'il porte ne lui ôte pas sa joie, pour que la blessure qu'il panse ne lui fasse aucun mal". (Avec Antoine Bloom, Théophane le reclus, Marie Noël, AvS).

 

18 octobre 2015 - 29e dimanche du temps ordinaire -Année B

Évangile selon saint Marc 10,35-45

C'est au cours d'une longue marche de Jésus avec ses disciples. Jacques et Jean sont restés un peu en arrière avec leur mère. A un certain moment, ceux qui sont en avant se sont arrêtés pour les attendre et certains en profitent pour casser la croûte. Quand arrivent les retardataires, la mère de Jacques et Jean s'arrête devant Jésus. Il est visible qu'elle désire lui demander quelque chose. Alors Jésus lui vient en aide et lui demande : "Qu'est-ce que tu veux ?" La mère de Jacques et Jean : "Accorde-moi une grâce avant que tu t'en ailles comme tu le dis". - "Et laquelle ?" - "Celle d'ordonner que mes deux fils qui ont tout quitté pour toi siègent l'un à ta droite et l'autre à ta gauche quand tu seras dans ton royaume".

Jésus regarde la femme, puis les deux apôtres, et il dit à Jacques et Jean : "C'est vous qui avez suggéré cette pensée à votre mère. Le centuple que vous aurez, vous ne l'aurez pas dans un royaume de la terre. Je vous dis que vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire peut-être le calice que moi, je vais boire ?"  Jacques et Jean : "Nous le pouvons". - "Comment pouvez-vous le dire si vous n'avez pas compris quelle sera l'amertume de mon calice ? Vous êtes comme des enfants qui ne connaissent pas la portée de ce qu'ils demandent. Mais puisque vous êtes des esprits justes et que vous m'aimez, certainement vous boirez à mon calice. Quant à siéger à ma droite et à ma gauche, c'est le Père qui en décide".

Les autres apôtres, qui ont tout entendu ne sont pas contents. Il y a Pierre qui dit à Jean : "Je ne te reconnais plus". Philippe pose la question : "Est-ce par hasard pour les honneurs que nous avons suivi notre Maître ?" Simon le zélote, qui est plus âgé, essaie de calmer un peu le jeu : "Nous pouvons tous nous tromper".

Jésus alors intervient : "Et vous qui faites ces reproches à Jacques et Jean, vous ne voyez pas que vous péchez, vous aussi ? Laissez tranquilles vos deux frères. Mon reproche suffit. Ils sont assez humiliés comme ça. En vérité, aucun d'entre vous n'est encore parfait. Vous ne devez pas imiter les gens du monde. Vous ne devez pas avoir la prétention de dominer les hommes, ni vos compagnons. Au contraire, celui qui veut devenir le plus grand, qu'il se fasse le serviteur de tous. Est-ce que je suis venu pour dominer et opprimer ? Est-ce que je suis venu pour être servi ? Non, je suis venu pour servir. Maintenant allez, soyez en paix entre vous, comme je le suis avec vous".

Ici-bas, tout se construit avec effort.L'homme est capable de comprendre ce que Dieu désire de lui. Bien sûr, la plupart du temps, on ne voit pas l'ensemble du plan de Dieu sur notre vie, on ne voit pas où Dieu nous conduit. Mais on peut savoir ce que Dieu exige de nous maintenant. On n'a pas le droit d'aller consulter des voyantes et des cartomanciennes et des médiums et des devins, pour essayer de voir dans les cartes de Dieu. Et si on le fait quand même, on risque fort d'entrer en contact avec le diable ; et si ensuite on a des ennuis de toutes sortes, il ne faudra pas s'en étonner. Le diable ne demande pas mieux qu'on l'appelle, et il répond toujours présent. Mais ce n'est jamais pour nous faire du bien. Et beaucoup de gens ont beaucoup de mal ensuite à se libérer de cette présence maléfique. On ne joue pas avec le diable. Celui qui joue avec le diable est toujours perdant. Pour une seule séance de spiritisme, des effets désagréables peuvent se constater pendant des années.

Jacques et Jean voulaient préparer leur avenir. Jésus leur dit de laisser cela aux mains de Dieu. La Bible contient ce que Dieu désire que nous sachions. Il nous faut percevoir la présence de Dieu dans les mots de la Bible. Être croyant, c'est comme être suspendu entre ciel et terre. On n'a pas besoin de tout savoir à l'avance. Dieu offre sa grâce à qui la cherche, il ne contraint personne.

Le curé d'Ars disait : "Laissez une paroisse vingt sans prêtre, on y adorera les bêtes". Et que se passe-t-il aujourd'hui ? Bien des communes n'ont plus de curés résidents, mais les animaux de compagnie intéressent souvent davantage que la prière personnelle ou la présence à la messe le dimanche. A l'audimat, "Téléfoot" l'emporte chaque semaine haut la main sur "Le jour du Seigneur". Léon Bloy disait : "Celui qui ne prie pas le Seigneur prie le diable". Et Bernanos ajoutait : "Nous ne serons jamais assez forts pour mettre le diable dans notre poche".

Peut-on alors aider les gens à s'ouvrir à la lumière de Dieu ? Comment faire pour ouvrir l’humanité enfermée dans sa solitude à l'amour révélé par le Seigneur Jésus ? Comment travailler au bonheur de croire ? Comment faire pour que le croire soit un bonheur, pour que les gens découvrent par eux-mêmes que croire est un bonheur ?

Il est beau de se prosterner devant Dieu comme le font les musulmans à la mosquée : c'est l’expression d'un don total de la personne, on est tout petit devant Dieu. Dans nos assemblées chrétiennes de prière, au centre, il y a l'écoute de la parole de Dieu. Dieu parle et il a mille manières de le faire, dans l'assemblée et en dehors de l'assemblée. Dieu parle, et l'homme accueille cette parole dans l'obéissance et en cherchant dans son cœur comment il devra répondre à cette parole. (Avec Abraham Heschel, Clément d'Alexandrie, Matthieu Rougé, Léon Bloy, Georges Bernanos, AvS, HUvB).

 

17 octobre 2010 - 29e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 18, 1-8

Cette parabole du juge sans conscience et de la veuve insistante, on ne la trouve une fois encore que dans l'évangile de saint Luc. Un juge qui se moque du monde et surtout de ceux qui n'ont pas de pouvoir. Et puis une femme qui est consciente de son bon droit et qui réclame à cor et à cri qu'on lui accorde ce à quoi elle a droit. Et Jésus nous raconte cette petite histoire pour nous montrer qu'il faut savoir insister auprès de Dieu. Ce n'est pas la première fois que saint Luc rapporte une parabole de Jésus qui nous enseigne à insister dans la prière : il y a quelque temps, c'était l'histoire de l'homme qui va réveiller son ami en pleine nuit pour qu'il lui prête trois pains.

Est-ce que Dieu nous entend ? Est-ce que Dieu nous écoute ? Peut-être que ceux qui se plaignent le plus de l'absence de Dieu sont des gens qui sont beaucoup plus absents que lui. Ils ne sont pas présents à Dieu habituellement. Et tout d'un coup, quand ça leur convient, ils voudraient que Dieu se mette à leur service, et tout de suite, s'il vous plaît.

La première lecture, tout à l'heure, nous apprenait avec Moïse que, dans la prière, il ne faut pas baisser les bras. Ailleurs dans l’Écriture, il nous est dit qu'il faut espérer contre toute espérance, c'est-à-dire au-delà de ce qu'il est raisonnable d'espérer. La prière, c'est tout un chemin avec Dieu, c'est tout un chemin pour apprendre à connaître Dieu, pour apprendre à connaître les manières d'agir de Dieu. Si on ne fait pas ce chemin avec Dieu, on ne peut pas savoir.

Saint Paul, tout à l'heure, dans la deuxième lecture, rappelait à son disciple qu'il ne devait pas oublier de fréquenter les Écritures parce que, disait-il, tous les passages de l’Écriture sont inspirés par Dieu. Il y a quelque temps, je rencontrais un chrétien motivé, alors que sa femme n'est pas croyante. Il me disait qu'en deux mois il avait lu toute la Bible. Ce n'est pas un conseil que je donnerais facilement de lire toute la Bible, sauf à se faire accompagner, par un groupe de chercheurs de Dieu par exemple. Et puis récemment j'ai rencontré un autre homme qui avait été baptisé mais qui n'avait pas été catéchisé ; il n'allait pas à la messe le dimanche, il n'avait jamais communié. Et lui aussi il avait lu toute la Bible, et aussi le Coran, et aussi la Torah des Juifs. Pourquoi ? Pour savoir, pour pouvoir comparer. Il a quatre enfants : tous ont été baptisés et catéchisés ou le seront. Lui aussi, c'est un chercheur de Dieu, lui aussi est appelé par Dieu. Dans notre vie, l'appel de Dieu est aussi important que la prière. Et dans chaque prière nous devrions vraiment réentendre les mots de Jésus : "Toi, suis-moi".

Combien de fois des gens peuvent se dire : "Je prie le Bon Dieu et il ne m'exauce pas !" Mais il y a combien de gens qui peuvent dire comme sainte Thérèse de Lisieux vers la fin de sa courte vie : "Je n'ai jamais rien refusé à Dieu". Il faut de l'audace pour oser dire une chose pareille : "Je n'ai jamais rien refusé à Dieu". Sainte Thérèse pouvait sans doute le dire sans mentir. Mais elle savait certainement aussi que Dieu n’accorde pas toujours tout de suite ce qu'on lui demande.

Nous sommes baptisés, nous sommes déjà les disciples de Jésus. Mais nous sommes tous en chemin pour devenir davantage disciples et tout à fait chrétiens. La messe, les offices de l’Église sont des écoles de la foi, des écoles de la prière. On apprend à prier avec l’Église ; avec l’Église on apprend à prier comme on croit. Au Moyen Age, la ville de Constantinople fut un jour assiégée par les Slaves. Des chrétiens étaient rassemblés dans une église ; un homme du nom d'André eut une vision de la Mère de Dieu qui recouvrait la ville de son voile et priait pour Constantinople. Celui qui avait eu cette vision raconte qu'il avait vu la Mère de Dieu pleurant sur le monde. "La Mère de Dieu priait à genoux ; Notre-Dame, la reine de l'univers pleurait sur le monde". Marie aussi nous apprend à prier en toutes circonstances.

Des gens se plaignent : "Je prie Dieu et il ne m'exauce pas". Dieu veut pour nous le meilleur. Mais ce qui pour chacun en particulier est le meilleur, personne ne peut le dire. Pour le savoir, il n'y a pas d'autre règle que de s'abandonner à la volonté personnelle et insondable de Dieu. (Avec sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, Christoph Schönborn, Grégory Woimbée, Alexandre Schmemann, Henri Suso, AvS, HUvB).

 

20 octobre 2013 - 29e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 18,1-8

Voilà un juge qui a obtenu sa charge de juge grâce à une parenté puissante. Il est toujours prêt à donner raison aux riches et aux puissants, ou bien à l'égard de ceux qui l'achètent au moyen de grands cadeaux. Il se riait des plaintes des pauvres. Et voilà qu'arrive une veuve chargée d'enfants. Elle devait recevoir une forte somme d'un homme puissant pour des travaux exécutés par son défunt mari. Mais l'homme puissant ne voulait rien entendre. C'est alors qu'elle a recours au juge. Mais justement le juge était un ami de l'homme puissant et l'homme puissant a dit au juge : "Si tu me donnes raison, le tiers de la somme est pour toi". Alors, bien sûr, le juge est sourd aux paroles de la veuve. Mais la femme revient à la charge deux fois, trois fois, dix fois et plus, le matin et à midi et le soir. Et elle suivait le juge sur la route en criant : Rends-moi justice. Mes enfants ont faim et froid. Je n'ai pas d'argent pour acheter de la farine et des vêtements. Fais-moi justice si tu ne veux pas souffrir un jour ce que nous souffrons. La veuve et l’orphelin sons sacrés pour Dieu et malheur à qui les piétine. La faim et le froid dont nous souffrons, tu les trouveras dans l'autre vie si tu ne me rends pas justice.

Toute la ville fut au courant de l'affaire et on commençait à se moquer du juge. Il fit alors appeler l'homme riche qui devait de l'argent à la veuve et il lui dit : "Je ne supporte plus d'être harcelé à cause de toi". Et le riche dut débourser la somme conformément à la justice. Conclusion de Jésus : il faut savoir prier sans se lasser. Et aussi se confier à Dieu en disant : "Pourtant que soit fait ce que ta sagesse voit pour nous de plus utile".

On ne peut aller à Dieu qu'avec confiance. On ne sait pas ce que Dieu prévoit pour nous. Mais la foi nous fait savoir que la Providence s'occupe de tout. Nous sommes invités à faire confiance et Dieu fera le reste.

Question qu'on peut se poser : Pourquoi le Fils de Dieu n'a pas choisi comme mère une pécheresse plutôt que de choisir Marie ? Il aurait pu convertir la pécheresse. Le Fils de Dieu se donne beau jeu en choisissant Marie. Il se prépare un nid que tout le monde voudrait bien avoir... Mais, à l'horizon de la vie du Seigneur Jésus, il y a sa Passion et la croix. Et pour lui il sera beaucoup plus difficile d'entraîner sa Mère dans sa Passion, elle, la sans péché, pour souffrir la croix avec lui, pour l'inclure dans l’œuvre de la rédemption, pour en faire la corédemptrice.

Il faut toujours prier sans se décourager, nous dit le Seigneur Jésus. Il y a la prière de demande, mais il y a aussi d'autres prières, comme la prière du juif le matin. Quand il se réveille, il dit à Dieu : "Merci de m'avoir rendu la vie et d'ouvrir une fois de plus mon cœur à ta sagesse et à ta connaissance".

Il y a des gens qui se croient victimes de maléfices, qui sont victimes de maléfices, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui prient le diable pour qu'il fasse du mal à telle ou telle personne. C'est pas si rare que ça. Le pape Benoît XVI disait un jour : "On ne peut pas prier contre autrui". On ne peut jamais demander à Dieu de faire du mal. Et les gens qui font du mal, nous sommes invités à les confier à Dieu pour qu'ils se détournent du mal et se rapprochent de Dieu dans la confiance. Mais pourquoi des gens veulent-ils le mal ? Nous sommes invités à discerner derrière le mal une soif d'aimer et d'être aimé qui aurait été blessée.

Les gens qui autrefois allaient à l'église se divisaient en plusieurs catégories. 1. Certains y allaient pour rendre un culte à une divinité dont ils voulaient se concilier les faveurs. 2. D'autres allaient à l'église pour partager et célébrer leur foi qui était vive. 3. D'autres y allaient parce que leurs parents y allaient et qu'il était normal de faire comme ses parents. 4. Un certain nombre de gens y allaient parce que c'était le signe de l'appartenance à une certaine classe. 5. D'autres enfin y allaient parce qu'ils n'imaginaient même pas de ne pas y aller. - Tous ces gens, autrefois, ont rempli les églises. Aujourd'hui il n'y a plus qu'une seule catégorie qui va encore à l'église : ce sont les gens qui y vont pour partager et célébrer une foi qui est vivante. Tous les autres sont partis, et ça fait beaucoup. Il faut donc se rendre compte que l'âge doré d'autrefois n'était pas si doré que ça. Jésus pose la question à la fin de l'évangile d'aujourd'hui : "Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?"

Quelles images de Dieu et de l’Église du Christ les chrétiens offrent au monde ? Si ces images de Dieu et de l’Église sont grotesques, personne ne doit s'étonner de l'athéisme et de l'hostilité à l’Église. Depuis longtemps, depuis nos Pères dans la foi aux premiers siècles de l’Église, on sait que la vie est une inlassable traversée du désert. Et on sait en même temps qu'il y a une multitude de chemins qui mènent à la rencontre de Dieu. Les chemins de l'incroyance sont aussi des chemins, mais ce sont des chemins sans issue. Tous les humains sont en marche vers Dieu. Et mieux vaut le savoir, et le plus vite possible. (Avec Benoît XVI, Élie Wiesel, Frère Emmanuel, Olivier Le Gendre, AvS, HUvB).
 

16 octobre 2016 - 29e dimanche du temps ordinaire  - Année C

Évangile selon saint Luc 18,1-8

"Il faut toujours prier sans se décourager".  Nos prières sont lancées dans l'invisible. On ne sait pas ce qu'elles deviennent, mais ce qui est sûr, c'est qu'elles sont accueillies par Dieu, Dieu les entend. "Il faut toujours prier et ne pas perdre cœur". Pourquoi Dieu n'intervient-il pas tout de suite quand il voit ses enfants dans la misère ou submergés par les forces du mal ? Jésus nous dit : Dieu n'est pas sourd, il ne dort pas.

"On en voit qui se perdent dans la prière comme le poisson dans l'eau parce qu'ils sont tout au Bon Dieu". C'est le curé d'Ars qui disait cela dans son petit catéchisme sur la prière. "On en voit qui se perdent dans la prière comme le poisson dans l'eau parce qu'ils sont tout au Bon Dieu... Tandis que nous, que de fois nous venons à l’Église sans savoir ce que nous venons y faire et ce que nous voulons demander ! Et pourtant quand on va chez quelqu'un, on sait bien pourquoi on y va ! Il y en a qui ont l'air de dire au Bon Dieu : 'Je m'en vas vous dire deux mots pour me débarrasser de vous'. Je pense souvent que, lorsque nous venons adorer notre Seigneur, nous obtiendrions tout ce que nous voudrions si nous le lui demandions avec une foi bien vive et un cour pur".

"Il faut toujours prier sans se décourager". On demande des choses à Dieu, et Dieu, de son côté, qu'est-ce qu'il nous demande ? Comment faire pour accorder notre volonté à la sienne dans la certitude qu'il nous aime et veut notre bien ? On ne peut pas être disciple sans que la croix n'apparaisse pas quelque part. On ne suit pas le Seigneur Jésus en évitant tout combat, toute fatigue et tout doute. "Il faut toujours prier sans se lasser". Et notre prière est rarement exaucée tout de suite comme nous le voudrions. Pourquoi ce retard de Dieu, si on peut dire ? Dieu ne veut pas faire des humains des enfants gâtés qui exigent tout, tout de suite, avec insolence. Comme le disent les saints : Dieu veut ouvrir l'âme pour que l'âme puisse faire sortir son péché, son égoïsme, son moi. Pour que Dieu puisse venir chez nous, pour que nous puissions croire en lui, un effacement indispensable du moi est requis pour pouvoir faire place à autrui et pouvoir s'attacher à Dieu. L'homme se définit lui-même, si on peut dire, comme cherchant le maximum du confort en échange d'une dépense minimum d'énergie. L'homme cherche toujours à jouer à l'enfant gâté. Et Dieu, c'est évident, n'entre pas dans ce jeu.

Les disciples de Jésus les plus proches, les apôtres, avaient tout misé sur Jésus, ils étaient convaincus que Jésus était le Messie, ce grand envoyé de Dieu promis par Dieu à son peuple depuis très longtemps. Et voilà que jésus est mis à mort par les chefs mêmes de son peuple. Les apôtres se demandaient bien où était Dieu dans tout ça. Et voilà que trois jours après sa mort, Jésus leur apparaît plus ou moins brièvement, mais toujours à l'improviste, et on ne peut pas le retenir, c'est lui qui mène le jeu de ses présences et de ses absences. Et puis au bout de quarante jours, le Seigneur Jésus avertit ses apôtres que c'est fini, il ne va plus leur apparaître en chair et en os si on peut dire. Ils doivent attendre la venue de l'Esprit Saint. Mais qu'est-ce que c'est que cet Esprit Saint ? Et l'Esprit Saint viendra bien dix jours après l'Ascension de Jésus, et il viendra comme personne n'avait pu l'imaginer : comme une force intérieure se manifestant sous la forme d'un vent violent et de langues de feu. Pour recevoir l'Esprit Saint, les apôtres ont dû être sevrés de la présence visible et tangible du Seigneur Jésus. Ce n'est pas tout, tout de suite. Toute la Bible nous parle d'une rencontre avec Dieu, mais c'est une rencontre curieuse : Dieu toujours se révèle et se cache.

Le contentement qu'on peut éprouver dans la prière n'est pas le critère de l'authenticité de notre prière. Ce qui compte, c'est plutôt la fidélité. La prière, c'est ne pas se décourager, c'est être là, quoi qu'il arrive, chaque jour. Dans le livre du prophète Isaïe, on trouve cette brève prière : "Mon âme, la nuit te désire". Et de fait, la prière se fait souvent dans la nuit. Nous sommes tous traversés à des degrés divers par la croyance et l'incroyance. Il y a un incroyant qui sommeille en nous. Et à certaines heures, l'incroyant rencontre en lui le croyant. Les hommes, ici, sont tous de très proches parents.

Le paganisme, l'incroyance, est une religion facile, incomparablement plus simple que le christianisme ; mais c'est lui au fond, le paganisme, qui est l'opium du peuple capable d'endormir les hommes en les berçant d'une douce espérance. Et le christianisme se rapproche du paganisme lorsqu'il se berce dans un lit douillet pour se réchauffer, quand il crie : "Bienheureux celui qui croit, il sera au chaud". En fait il n'en est rien, Dieu est un feu dévorant, non un poêle qui chauffe, un feu dévorant qui nous appelle là où souffle un vent glacial.

"Il faut toujours prier sans se décourager". Comme Marie, avec Marie souvent, au pied de la croix. Les hommes ont crucifié Jésus sans se douter que c'était à Dieu qu'ils l'offraient. Ils estimaient, avec une conscience pure, qu'ils sacrifiaient un homme pour s'épargner les foudres des Romains ou les foudres de Dieu, parce que ce Jésus pervertissait l'idée qu'ils se faisaient de la religion. Mais on peut aussi offrir Jésus en bien. C'est ce que faisait Marie au pied de la croix : elle accepte ce qu'il y a de plus terrible pour elle, elle partage la disposition d'offrande de son Fils, mais dans la nuit. "Il faut toujours prier sans se décourager". (Avec saint Jean-Marie Vianney, Colette Kessler, Abraham Heschel, André Manaranche, Guy Bédouelle, Adolphe Gesché, Alexandre Men, AvS, HUvB).

 

23 octobre 2011 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 22,34-40

Voilà un évangile tout simple : on sait tout ça par cœur. On demande à Jésus : quel est le grand commandement ? Et Jésus répond qu'il n'y a pas qu'un seul grand commandement, il y en a deux : aimer Dieu et aimer son prochain. Et comment aimer Dieu ? "De tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit". Et comment aimer son prochain ? "Comme toi-même".

Qu'est-ce que ça veut dire : aimer ? Aimer,ça ne va pas de soi. L'amour demande des efforts. Comment aimer Dieu qu'on ne voit pas ? Comment aimer Dieu de tout son cœur ? Depuis longtemps nos Pères dans la foi disent : "Dieu n'écoute pas la voix mais le cœur". Dieu ne regarde pas les paroles, mais le cœur de celui qui prie. Comment aimer Dieu ? En se mettant à l'école de Dieu. Face à l’Écriture sainte, à la Bible, chaque lecteur, comme Moïse, se retrouve à l'école de Dieu.

C'est quoi l'amour de Dieu ? Parole de rabbin : "L'amour de Dieu n'a de valeur que s'il pacifie les relations humaines". Prier Dieu de tout son cœur ! Parole de rabbin encore : "Une prière sans ferveur est comme un corps sans âme". Pour un homme, il est incroyablement simple d'aimer vraiment, mais en même temps incroyablement difficile. Qu'est-ce que ça veut dire : aimer, aimer son prochain ? La patience, c'est le visage quotidien de la charité. C'est pourquoi l'art d'aimer se transforme souvent en art de souffrir.

A quelles conditions peut-on aimer ? C'est l'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, qui disait : "Plus nous sommes exempts de l'enflure de l'orgueil, plus nous sommes pleins d'amour" (saint Augustin). Et c'est le même qui disait aussi : "Là où est la charité, là est la paix ; et puis là où est l'humilité, là est la charité". L'humilité, c'est de l'amour.

Aimer son prochain comme soi-même ! Et qui est mon prochain ? Sa femme ou son enfant ? Son père ou son frère ? Tel homme précis ? Le premier qu'on rencontre le matin, ou le suivant dans la rue, ou le dernier le soir ? Et qui est mon prochain?

Et c'est quoi l'amour de Dieu ? La mère enveloppe l'enfant dans sa prière, dans sa propre intimité avec Dieu. Elle nourrit son enfant de la nourriture divine qu'elle reçoit. Elle met l'enfant au contact direct du mystère de l'amour. L'enfant apprend à prier à l'intérieur de la prière de sa mère. Dans les entrailles spirituelles de sa mère, l'enfant touche l'Amour dont elle vit. La mère est médiatrice d'amour. L'enfant ne la voit pas comme une image de Dieu ; il ne lui viendrait pas à l'idée de la prendre pour Dieu. Il perçoit qu'elle est toute relative à quelqu'un d'autre qu'elle aime. Elle est celle en qui l'enfant reçoit l'amour de celui que sa mère appelle Dieu, ou Jésus. Elle est médiatrice, et d'autant mieux qu'elle est en communion avec son mari.

Aucun homme ne devient vraiment libre, pour lui-même et pour les autres, s'il n'est illuminé, ensoleillé, irrigué par l'amour. Si cela est vrai à un niveau purement humain, c'est encore beaucoup plus vrai de l'homme devant Dieu, l'homme qui est appelé à une communion d'amour avec lui. L'homme doit être illuminé, ensoleillé, irrigué par l'amour d'en haut pour devenir vraiment lui-même. (Avec Benoît XVI, Paul VI, saint Augustin, Philippe Haddad, Nicole Echivard, AvS, HUvB).

 

26 octobre 2014 - 30e dimanche du temps ordoneire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 22,34-40

Nous sommes dans l'une des cours du temple. Il y a une petite discussion entre les pharisiens : lequel d'entre eux va aller poser sa question à Jésus. Il y en a un qui se propose, mais les autres lui disent : "Non, pas toi, on sait bien que tu es du parti du rabbi, mais en secret".- C'est Uri qui devrait y aller. - "Non, pas Uri : il est trop rude quand il parle. Cela va exciter la foule". - "J'y vais"... "Maître, quel est le plus grand commandement ?" La réponse de Jésus, on vient de l'entendre : Aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même.

Et le pharisien félicite Jésus : "Tu as répondu avec sagesse et vérité. Aimer Dieu et le prochain comme soi-même, ça a plus de valeur que tous les holocaustes". Et le scribe ajoute rapidement et à voix basse à l'adresse de Jésus : "Mais quel est l'holocauste le plus parfait ?" Et Jésus lui répond en se penchant vers le scribe : "L'holocauste parfait, c'est d'aimer comme nous-mêmes ceux qui nous persécutent. Je te le dis : celui qui sait aimer ses ennemis atteint la perfection et possède Dieu".

Quand le scribe en question retourne au milieu des autres pharisiens, on lui demande : "Mais qu'est-ce que tu lui as demandé à voix basse ? Est-ce que par hasard tu serais aussi séduit par lui ?" - L'autre : "J'ai entendu l'Esprit de Dieu parler par ses lèvres". - "Tu es un sot ! Tu crois peut-être qu'il est le Messie ?" - "Je le crois". - Mais comment vois-tu en lui le Messie ?" - "Comment, je ne sais pas. Je sais que je sens que c'est lui". - "Espèce de fou !" Ils lui tournent le dos et ils s'en vont, fâchés.

Le Seigneur Jésus s'est donné pour but de rapprocher les hommes du Père. Pourquoi ? Parce que Dieu lui-même a besoin d'amour. Qui aime Dieu sera aimé à son tour : aimé des hommes et aimé de Dieu. En fait, on sait bien que pour le Seigneur Jésus, ça ne s'est pas passé comme ça.

Pour aimer Dieu, il faut être ouvert à Dieu. Mais l'homme est porteur de péchés; et le principal péché de l'homme, c'est peut-être de fermer une de ses fenêtres sur Dieu, une, puis deux, puis trois, puis toutes les fenêtres. Et l'homme se retrouve totalement dans l'obscurité. Il est emprisonné dans son péché et il choisit librement d'y persévérer. Adam avait fermé ses fenêtres à Dieu, il s'était éloigné de Dieu, il s'était caché de lui. Mais Dieu a retrouvé Adam après son péché ; et il pourra toujours retrouver l'homme après chacune de ses dérobades. Celui qui ne prie plus touche à nouveau Dieu rien qu'en pensant à lui. Et rien ne peut faire qu'on oublie Dieu totalement.

C'est bien d'évangéliser les autres. Mais l’Église doit s'évangéliser elle-même. C'est Jean-Paul II qui disait cela. Et Jean-Paul II continuait : "L’Église est immergée dans le monde (tous les chrétiens sont immergés dans le monde), elle est toujours tentée par les idoles (tous les chrétiens sont toujours tentés par les idoles. Quelles idoles ?) L’Église a toujours besoin d'être évangélisée si elle veut conserver élan et force pour annoncer le mystère de Jésus-Christ" (Tout cela, c'est Jean-Paul II).

Aimer Dieu, aimer le prochain : c'est vite dit, c'est un monde. Un homme de notre temps, marié, dix enfants dont deux adoptés, disait en 1990 à Chantilly lors d'un colloque : "Misez toujours sur l'amour, vous serez toujours gagnants, même si vous vous sentirez parfois floués pendant tout un temps".

Aimer son prochain, on comprend peut-être ce que ça veut dire. Mais aimer Dieu ! Dieu n'est pas celui qui se met en avant pour écraser le monde et l'homme par sa toute-puissance. Au contraire, il est celui qui s'efface pour que le monde et l'homme puissent vivre, respirer, et aller librement vers leur accomplissement. Il est beau de voir quelqu'un se mettre en retrait, s'effacer, être discret. Une telle attitude est belle parce qu'elle est vitale. Elle permet à tous de respirer. On vit mal quand personne ne sait se mettre en retrait, s'effacer, être discret. Rien ne respire, on étouffe. Et Dieu s'efface pour nous laisser respirer.

Aimer Dieu, aimer son prochain. C'est vite dit, mais qu'est-ce que ça veut dire ? Une espèce de philosophe de notre temps disait : "Le plus grand bonheur qui soit en cette vie réside dans le fait d'avoir aimé et d'avoir été aimé". Mais notre philosophe ajoutait : "Reste toutefois une question : Qu'est-ce que c'est que l'amour ? Qu'est-ce que c'est qu'aimer ?" Ce qui fait la communauté, c'est le don de soi et l'accueil de l'autre.

L'homme est-il fait pour un simple idéal humain de solidarité ? Rendre service à l'humanité, faire du social, et puis c'est tout ? Toutes les philosophies, tous les systèmes de pensée et d'explication du monde le pensent. Le propre de la révélation chrétienne, c'est qu'elle interprète l'homme non en fonction de l'homme, mais en fonction de l'espace qui lui a été préparé par l'amour de Dieu : l'homme est jugé par l'amour, orienté vers l'amour, rendu capable d'amour.

L'homme, s'il est livré à lui-même, s'il a un horizon purement humain, s'il a un idéal simplement humain, est aliéné de lui-même. Le Seigneur Jésus est venu révéler à l'homme ses profondeurs vers lesquelles l'homme se met en marche par la foi, l'espérance, l'amour, l'obéissance à Dieu, la prière, l'élévation de tout son être vers Dieu. En Dieu il y a un espace d'amour entre le Père et le Fils. Et le Fils est venu appeler les hommes à rejoindre cet espace éternel. (Avec Élie Wiesel, Jean-Paul II, René Lejeune, Bertrand Vergely, AvS, HUvB).

 

25 octobre 2009 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10, 46-52

Qu'est-ce qu'on peut faire quand on est aveugle? On est assis au bord de la route et on mendie. Cela se passait à Jéricho. C'est loin de Nazareth : cent kilomètres à vol d'oiseau. Et pourtant l'aveugle avait entendu parler de Jésus de Nazareth. L'aveugle est là au bord de la route, comme tous les jours, et il tend la main. Jésus, avec ses disciples et une foule nombreuse, passe par là. Qu'est-ce que c'est ? Quand l'aveugle apprend que Jésus passe par là, il se met à crier de toutes ses forces pour appeler Jésus. Ce n'est pas convenable de crier comme ça. "Mais tais-toi donc !"

Jésus a entendu le cri de l'aveugle. Il s'arrête. "Faites-le venir". Le dialogue entre Jésus et l'aveugle est bref. - Que veux-tu que je fasse pour toi? - Que je voie! - Va, ta foi t'a sauvé... Et tout de suite, l'homme voit. Qu'est-ce qui a déclenché ce miracle de Jésus ? La prière de cet homme. Et quelle était sa prière ? "Jésus, aie pitié de moi". C'est sans doute une bonne prière, puisque Jésus l'a entendue et qu'il a opéré un miracle pour faire comprendre qu'il l'avait bien entendue. "Jésus, aie pitié de moi". C'est une prière qu'on peut utiliser en toute circonstance.

Quand les apôtres ont un jour demandé à Jésus comment il fallait prier, il leur a dit comment prier le Père : "Notre Père qui es aux cieux". Jésus ne pouvait pas dire à ses disciples à ce moment-là qu'ils pouvaient s'adresser à Jésus lui-même comme à Dieu. L'aveugle, lui, a compris que Jésus était un homme de Dieu. Et il lui a simplement dit : "Aie pitié de moi" : il le disait à un homme de Dieu. Maintenant nous pouvons toujours dire les mots de l'aveugle, mais nous savons que Jésus est Dieu, l'égal du Père : "Seigneur Jésus, aie pitié de moi".

L'aveugle a reçu une grâce énorme. Qu'est-ce qu'il doit faire ? Il s'est mis à suivre Jésus. Quelques kilomètres peut-être, ou plus longtemps, ou bien il est retourné chez lui, on ne sait pas. Mais il avait le cœur en fête, on ne peut pas imaginer. Et il ne s'est pas privé de dire à tous ceux qu'il rencontrait ce que Jésus avait fait pour lui. Quand on reçoit une grâce de Dieu, ce n'est jamais pour soi tout seul. Mais il faut demander aussi à Dieu qu'il nous fasse comprendre ce que nous devons en faire. Jésus aurait pu demander n'importe quoi à cet homme. Et cet homme l'aurait fait. Il savait qu'il était entre les mains de Dieu. Il n'avait pas besoin de tout comprendre. Mais il savait qu'il pouvait faire confiance à ce Jésus.

Un jour, Jésus a crié dans sa prière : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Et Dieu n'a pas répondu, il n'a pas répondu tout de suite. La réponse de Dieu, ce fut la résurrection de Jésus. La résurrection de Jésus, c'est le signe éclatant par lequel Dieu confirme qu'il était bien depuis toujours du côté de Jésus. La résurrection de Jésus, c'est le signe éclatant qui exauce la prière de Jésus. La résurrection de Jésus, c'est la signature de la vérité de la vie de Jésus depuis son origine. Elle confirme que Jésus était bien celui qu'il prétendait être.

L'aveugle sur le chemin portait sa croix. Je n'ai pas à rechercher la croix, chacun de nous peut le dire. Mais quand je regarde ma vie avec réalisme - chacun de nous peut le dire - je vois qu'elle est marquée d'innombrables croix. Elles m'ouvrent à Dieu... Elles peuvent m'ouvrir à Dieu... Dieu qui se trouve précisément là où il paraît être le plus éloigné du monde : dans la croix, l'abandon, l'échec, l'effondrement.

L'aveugle avait tout compris de Jésus, si on peut dire : "Aie pitié de moi". Mais il y a dans la foi chrétienne une incessante recherche de savoir qui a été ce Jésus, ce qu'il est pour nous aujourd'hui, ce qu'il a enseigné, comment il a vécu et enfin comment il a compris Dieu et proclamé Dieu. Les apôtres n'ont cessé de réfléchir sur tout ce qu'ils avaient vécu avec Jésus. Ils ont réfléchi sur le fait si difficilement compréhensible de la mort violente de Jésus sur la croix, sur le fait ensuite de sa résurrection. Ils ont vu dans tous ces événements la clé d'une nouvelle compréhension de la vie et la clé d'une nouvelle image de Dieu, d'une nouvelle idée de Dieu.

L'aveugle sur le chemin, les apôtres dans l'entourage de Jésus ont fait une certaine expérience du divin. Il n'y a pas de religion sans expérience. Quand quelqu'un étudie la Parole de Dieu, c'est comme si la présence de Dieu demeurait sur lui. Quand quelqu'un dit les mots de la prière, il est uni à Dieu.

L'aveugle au bord du chemin : Dieu a prévu pour l'homme tout bien. Et l'homme doit recevoir ce bien quand Dieu le lui donne. On ne peut pas anticiper. L'aveugle sur le chemin nous apprend la patience. L'aveugle apprend à attendre l'heure de Jésus. L'aveugle nous apprend avec Jésus à attendre ce qui vient du Père. La perfection du Fils, la perfection de Jésus, c'est son obéissance, c'est qu'il n'anticipe pas l'heure du Père. (Avec Bernard Sesboüé, Anselm Grün, Moshé Idel, AvS, HUvB).

 

28 octobre 2012 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,46-52

Nous sommes aujourd'hui ce mendiant de Jéricho, cet aveugle au bord de la route. Et Jésus passe sur notre route. Et il nous pose la question : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?" Puisque nous sommes des enfants de Dieu, nous pouvons demander à Dieu de nous conduire comme des enfants de Dieu. C'est saint Paul qui nous dit cela : Nous ne savons pas prier comme il faut. Alors l'Esprit Saint vient en aide à notre faiblesse (Ro 8,26)... pour que nous sachions ce qu'il nous faut demander à Dieu. Et peut-être que la première chose à demander à Dieu, c'est son Esprit Saint. Qu'il nous remplisse de sa présence. Qu'il nous donne de savoir que nous sommes de Dieu (1 Jn 5,19).

Il y avait cet aveugle au bord de la route, qui criait vers Jésus. Et on lui disait de se taire. Et au contraire, Jésus l'appelle à lui. Mais l'aveugle ne peut pas aller tout seul vers Jésus. Si un ordre de Dieu s'adresse à toi et concerne une autre personne, cela t'oblige chaque fois à faire un bout de chemin avec celui qui t'est confié. Il faut le prendre là où tu peux le prendre pour le conduire là où il ne peut pas aller tout seul. Tu es l'instrument de Dieu pour conduire cet homme à Dieu, tu dois être son compagnon.

L'aveugle au bord de la route crie vers Jésus. Les hommes, parfois, ont besoin de la douleur pour se rappeler qu'ils ont un Père. Comme le fils prodigue se rappela qu'il avait un père quand il eut faim.

L'aveugle était au bord de la route et Jésus passait par là. Nous sommes dans la maison de Dieu. Le Seigneur Jésus habite en ce lieu, il est présent dans le tabernacle sous la forme sacramentelle de l'hostie consacrée. Une lumière signale sa présence, divine. En nous approchant, comme l'aveugle, nous sommes sûrs qu'il nous aime, qu'il entend nos pensées et nos prières. Son amour infini nous attend. Et Marie, sa Mère, qui est aussi la nôtre, au moindre appel de notre part, viendra vers nous et, dans sa tendresse, nous comblera bien au-delà de nos attentes. Le Seigneur Jésus et sa Mère sont vivants dans la gloire du ciel et ils nous attendent un jour pour une éternité de bonheur.

L'aveugle au bord du chemin crie vers Jésus. Le plus grand des péchés, c'est l'oubli de Dieu. Si Dieu existe, il peut nécessairement communiquer avec nous. Il le veut, il l'a fait et il continue de le faire. Dieu a un pouvoir absolument souverain sur tout ce qui existe. Dieu est vraiment libre et il est absolument responsable aussi de la liberté de l'homme, même quand cette liberté de l'homme se tourne vers le mal. Dieu assume la responsabilité de tout. Et c'est parce qu'il est responsable de tout que Dieu a le pouvoir de tout sauver. Et Dieu a montré comment il est responsable de tout par le Seigneur Jésus. Le Seigneur Jésus qui a assumé totalement les risques de notre liberté humaine, y compris le mal et le péché et le refus de Dieu.

L'aveugle au bord du chemin est un homme qui souffrait. Il criait sa souffrance et on lui dit de se taire. "A celui qui souffre, les consolations d'un consolateur joyeux ne sont pas d'un grand prix". Jésus avait le pouvoir de guérir la souffrance de l'aveugle. Il a donné la vue à l'aveugle. Mais Jésus n'a pas rendu la vue à tous les aveugles du monde. La tradition mystique des juifs nous décrit Dieu comme souffrant des souffrances des hommes. Dieu ne guérit pas tous les aveugles qui prient. Il ne faut pas prier simplement pour faire son devoir, mais pour s'ouvrir à Dieu.

"Dieu est amour" : c'est le dernier mot de la Révélation. Mais en face du monde tel qu'il est, n'est-ce pas une déclaration risible, presque blasphématoire ? Aucune religion n'a jamais risqué une telle assertion. Dieu peut être l'Absolu, le Nirvana, le Bien suprême ou tout ce qu'on veut, mais qui voudrait lui attribuer de l'amour pour ce monde raté dont il est finalement responsable ? Pour soutenir l'assertion que Dieu est amour, il faudrait une preuve formidable. Et il n'y en a qu'une seule : c'est la croix telle que l’Église l'a toujours vue, telle que Marie et avec elle tous les croyants l'ont comprise. Le grand cri dans la nuit obscure : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?", le cœur fendu jusqu'au centre d'où s'écoule le Fleuve de vie, ce n'est pas seulement le cri et le cœur d'un pauvre homme, ce cœur ouvert n'est pas seulement celui de Jésus, c'est aussi celui du Père. (Avec Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Isabelle Prêtre, Michel Salamolard, Paul Claudel, Colette Kessler, Patriarche Daniel, AvS, HUvB).

 

25 octobre 2015 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 10,46b-52

Jésus est sur la route avec les siens au petit matin. Il quitte Jéricho pour aller vers Béthanie. Chemin faisant, il a déjà opéré beaucoup de miracles. Et là, sur la route, au sortir de Jéricho, il y a un aveugle qui mendie comme tous les jours. Il entend qu'il y a du monde qui passe et quand il apprend que c'est Jésus qui passe, il se met à crier : "Jésus, fils de David, aie pitié de moi !" Les gens qui entourent Jésus veulent faire taire l'aveugle : "Tais-toi! le Maître n'a pas le temps de s'arrêter. Il a encore beaucoup de chemin à faire pour être sur les collines avant la grande chaleur".

Mais l'aveugle continue à crier : "Jésus, Seigneur, fils de David, aie pitié de moi !" Jésus s'arrête et il dit : "Faites venir celui qui crie". On va chercher l'aveugle : "Allez ! Viens, il a pitié de toi". Et on amène l'aveugle à travers la foule. Jésus lui demande : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?" - "Que je voie, Maître. Fais, Seigneur, que mes yeux s'ouvrent". Jésus met sa main sur le visage de l'aveugle et il dit : "Qu'il te soit fait comme tu le demandes. Va ! Ta foi t'a sauvé !" Jésus enlève alors sa main  et un  cri sort de la bouche de l'aveugle : "Je vois ! Béni soit celui qui l'a envoyé. Gloire à Dieu". Et il se jette par terre pour baiser les pieds de Jésus.

Et l'aveugle dit à Jésus : "Je ne te quitte pas. Je vais envoyer quelqu'un pour prévenir mes parents. Ce sera toujours de la joie. Mais ne me sépare pas de toi, non ! Tu m'as donné la vue, je te consacre ma vie. Aie pitié du désir du dernier de tes serviteurs". Jésus lui dit : "Viens et suis-moi". Et Jésus reprend sa marche au milieu des hosannas de la foule et Bartimée crie avec les autres. Et il dit : "J'étais au bord de la route pour avoir du pain, et j'ai trouvé le Seigneur. J'étais pauvre et maintenant je suis le ministre du Roi saint. Gloire au Seigneur et à son messie".

Et nous aussi, nous sommes au bord de la route aujourd'hui. Et le Seigneur Jésus nous demande à nous aussi : "Que veux-tu que je fasse pour toi ?" On bien le droit de lui dire ce que nous désirons... pour nous et pour les autres. Mais lui, Dieu, qu'est-ce qu'il désire que nous désirions de lui ?

Dans le prophète Isaïe, il est dit quelque part que Dieu a en quelque sorte rendu son peuple aveugle : "Le Seigneur a versé sur vous une espèce de torpeur : il a fermé vos yeux et il a voilé vos têtes. Vous n'y voyez plus rien. C'est comme si on donnait à quelqu'un livre bien fermé et qu'on lui dise : "Lis-moi ça". Et l'autre répond : "Je ne peux pas lire, le livre est fermé". Ou bien, on donne le livre ouvert à quelqu'un qui ne sait pas lire et il répond : "Je ne sais pas lire".

Toute la révélation de Dieu est comme un livre fermé. On peut, on doit toujours demander à Dieu qu'il nous ouvre les yeux, qu'il nous ouvre son livre, et qu'il nous donne aussi d'être capable de lire, capable de comprendre. Qu'en lisant sa révélation, nous nous approchions de lui, que nous prenions ce qu'il nous donne, et que nous lui donnions ce qu'il veut nous prendre.

La connaissance de Dieu, c'est l'amitié avec le Seigneur Jésus dans l'Esprit Saint. La prière, c'est une conversation avec Dieu. On pense souvent que prier, c'est demander. Mais prier, c'est aussi écouter Dieu. C'est pourquoi chaque dimanche, à la messe, nous lisons trois passages de l’Écriture. Et dans la prière officielle de l’Église, à l'office de matines, nous lisons chaque jour toute une page de l’Écriture, mais aussi toute une page d'un Père de l’Église ou d'un saint ou d'une sainte : chacun nous parle de Dieu à sa manière pour nous toucher le cœur et nous ouvrir à Dieu.

On n'a jamais fini de rechercher et de découvrir la richesse de notre foi chrétienne. Les Juifs pensent toujours la même chose dans leur recherche du Dieu vivant. Ils disent : la parole de Dieu se fait entendre selon les capacités de chaque personne. L'étude de la parole de Dieu est portée par un élan d'amour pour Celui qui parle dans l’Écriture, par la conscience de se trouver devant son propre Créateur. On ne peut donc pas progresser dans sa connaissance et dans sa sagesse sans aimer et sans le vénérer comme le Tout-Puisant.

Le signe que quelqu'un lit comme il faut la parole de Dieu,  c'est que cette lecture contribue à faire grandir sa prière. Il faut chercher la présence de Dieu dans sa parole. La Bible est vide de sens pour celui qui, a priori, n'a pas l'intention  de servir Dieu. Mais ce qu'on peut savoir aussi, c'est que dans toutes les nations de la terre, dans toutes les religions et même dans tous les athéismes, il y a comme des "étincelles saintes" qu'on peut découvrir aussi durant notre voyage ici-bas.

L'aveugle demandait à Jésus de lui ouvrir les yeux. Et Jésus l'a fait. Nous aussi, nous devons demander sans cesse au Seigneur Jésus de nous ouvrir les yeux sur le monde infini de Dieu. La Vierge Marie, dans sa vie avec Jésus, n'a pas toujours compris ce qui lui arrivait : ni ce qui s'est passé quand Jésus avait douze ans et qu'il avait disparu pendant trois jours, ni sur la croix, bien sûr, où Jésus semblait bien avoir disparu pour toujours. Marie peut nous aider à accepter de ne pas comprendre et à dire oui quand même. Le Fils lui-même sur la croix ne comprend pas pourquoi le Père l'a abandonné. Saint Augustin avait tout compris, si on peut dire, quand il écrivait: "Si tu comprends, ce n'est pas Dieu". (Avec Origène, Catherine Chalier, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

24 octobre 2010 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 18,9-14

Cette parabole du pharisien et du publicain, l'évangéliste saint Luc est le seul à nous l'avoir conservée. Jésus nous raconte cette parabole pour nous dire comment nous devons nous tenir devant Dieu pour le prier. Jésus met en scène deux hommes et il décrit leur attitude de prière. Le pharisien remercie Dieu de la grâce qu'il a reçue d'être un homme juste : il fait tout bien. Quant au publicain, il dit simplement : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis". Conclusion de Jésus : des deux hommes, c'est le second qui est le plus proche de Dieu, c'est celui qui dit : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis".

Pourquoi Jésus raconte-t-il cette petite histoire ? Saint Luc nous le dit au début de son récit : Jésus raconte cette parabole "pour certains hommes qui étaient convaincus d'être des justes devant Dieu et qui méprisaient tous les autres". Jésus ne reproche pas au pharisien de faire tout bien. Mais il y a une chose dont le pharisien ne se rend pas compte, c'est que tout n'est pas bien en lui. Ce qui n'est pas bien , c'est qu'il méprise les autres ; ce qui n'est pas bien, qu'il se compare. Le publicain n'est pas parfait et il en est bien conscient. Il dit à Dieu : "Aie pitié du pécheur que je suis". Et il ajoute sans doute :"Montre-moi le chemin que je dois prendre et aide-moi à faire le bien". Le pharisien juge les autres, il les méprise. Dieu, lui, "n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui" (Jn 3,17). Et saint Paul écrit dans l'une de ses lettres : "Ayez assez d'humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes". (Phil 2,2).

Le publicain a ses tentations, le pharisien aussi a ses tentations. Si l'homme est tiède, Satan également est tiède. Mais si l'homme commence à s'intéresser à Dieu, alors le diable aussi s'éveille et commence à s'intéresser à cet homme. Le tiède est plus près de Satan que celui qui est fervent. Pour le tiède, Satan n'a pas besoin de s'agiter. Pour l'homme fervent, il s'y prend autrement, il s'y prend par l'orgueil et le manque d'amour. On ne sait jamais la portée et la profondeur de son péché. Le pharisien croyait faire tout bien, et il portait un masque. Le masque de la vertu. "Rien ne fausse tant la communion que de porter des masques". La communion avec les hommes ou la communion avec Dieu. Le publicain était peut-être rempli de péchés, mais il y avait au moins quelque chose qui était bon en lui, il demandait pardon à Dieu : "Aie pitié de moi, pécheur". Le christianisme est repentir. Le repentir, c'est la nostalgie... non pas la nostalgie de la bonne conduite, mais la nostalgie de Dieu. C'est la prière du psaume : "Ne m'éloigne pas de ta face, ne me retire pas ton Esprit Saint" (Ps 50,13).

Il y a un certain temps, un médecin qui était devenu prêtre, dans un livre qu'il a intitulé : "Conversation sur l'au-delà", raconte ceci. Un jour, un camarade lui a dit qu'il avait été complètement dépressif à une certaine époque de sa vie. Il s'était mis à se droguer et il allait voir des prostituées. Il voulait se détruire. Un soir, il avait décidé d'aller voir une prostituée et de se suicider aussitôt après. Il a donc été voir la prostituée, il l'a payée, puis il a discuté avec elle ; il n'a pas pu s'empêcher de lui dire ce qu'il allait faire après. Il a dit : "Bon! Maintenant au revoir, on ne se reverra plus. J'ai vu l'endroit où je vais me jeter sous le train, c'est le 23 H 58". Alors cette femme a ouvert les volets, elle lui a montré le ciel et elle lui a dit : "Mais tu es complètement fou ! Qui c'est qui a créé tout ça ? Je te le demande : qui a créé tout ça ? Et toi, tout ce que tu trouves à faire, c'est de te supprimer ! Mais alors la vie, c'est quoi ?"... A 23 H 58, notre homme n'était pas sous le train. Et cette prostituée, quand elle sera au jugement de Dieu, Dieu va lui dire : "Tes péchés, tes nombreux péchés te sont remis car tu as montré beaucoup d'amour". Et alors elle, elle va pleurer son péché, sans honte et sans humiliation.

Nos rapports avec Dieu et les rapports de Dieu avec nous sont infiniment plus subtils que ce que les hommes imaginent. Les possibilités de Dieu sont infiniment plus subtiles que ce qu'imaginent les sans-Dieu et le pharisien et beaucoup d'autres, et nous-mêmes. Tout au long de l'histoire, l’Église reste une Église de pécheurs. Et les saints et les saintes de Dieu sont les premiers à se reconnaître pécheurs. C'est pourquoi chaque jour l’Église doit dire et redire : "Pardonne-nous nos offenses", chaque jour, tant que dure le temps d'ici-bas. Jamais l’Église n'est parfaitement à la hauteur des tâches que Dieu lui confie. (Avec Frère Roger, Alexandre Schmemann, Bernard Bastian, AvS, HUvB).

 

27 octobre 2013 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 18,9-14

Pour introduire cette parabole du pharisien et du publicain, Jésus fait remarquer que la plupart des hommes se jugent parfaits. Et comme un homme sur mille est vraiment humble, l'homme qui se juge parfait remarque chez les autres des péchés par centaines. Et c'est là que commence la parabole. Un jour, deux hommes étaient à Jérusalem pour affaires. Et en bons israélites qu'ils étaient, ils montèrent au temple pour prier. Le premier, le pharisien, était venu à Jérusalem pour percevoir les revenus de certains de ses magasins. Et il escroquait ses tenanciers, sinon il les mettait à la porte. Le deuxième homme, le publicain, qui travaillait aux impôts, était venu pour verser les impôts qu'il avait perçus. Il venait aussi pour demander pitié au nom d'une veuve qui ne pouvait pas payer la taxe de sa barque.

Et voilà les deux hommes au temple. A l'entrée du temple, il y a un tronc pour que les fidèles y mettent leur obole. Le pharisien, avec de grands gestes, y met une partie de l'argent qu'il avait escroqué à ses malheureux tenanciers. Le publicain, lui, en met beaucoup moins parce qu'il avait payé de sa bourse ce qui était exigé de la veuve; cette veuve avait huit enfants dont seul l'aîné était en âge de manœuvrer une barque pour aller pêcher. Mais comme le garçon n'était pas encore très costaud, il ne pouvait pas aller au large pour avoir une bonne pêche, il restait donc près du rivage et donc sa pêche était assez maigre.

Les deux hommes, le pharisien et le publicain, après avoir mis de l'argent dans le tronc, vont ensuite faire leurs prières. Le pharisien, tout en avant, le publicain, tout au fond, tout courbé, tout accablé devant la grandeur de Dieu. Et il disait dans sa prière : Seigneur, je ne suis pas digne de me tenir en ce lieu. Mais tu es juste et tu me le permets quand même car tu sais que l'homme est pécheur et que s'il ne revient pas à toi il est comme un démon. Je voudrais t'honorer jour et nuit et pendant des heures, mais je suis esclave de mon travail, et ce travail m'humilie parce que je suis obligé d'exiger les impôts même des gens qui sont malheureux, mais je dois rendre des comptes à mes supérieurs parce que c'est mon pain. Mon Dieu, fais que je sache accommoder mes devoirs envers mes supérieurs avec la charité envers mes pauvres frères. Garde ta charité toujours présente dans mon cœur pour que moi, le misérable, je sache avoir pitié de ceux qui me sont soumis, comme tu as pitié de moi, pécheur. Je n'ai pas mis grand-chose dans le trésor du temple, mais j'ai pensé que prendre l'argent destiné au temple pour soulager huit cœurs malheureux était une chose meilleure que de le verser au trésor. si je me suis trompé, fais-le moi comprendre, Seigneur.

Voilà la parabole, et Jésus conclut : Je vous le dis : le pharisien est sorti du temple avec un nouveau péché alors que la bénédiction de Dieu a accompagné le publicain, car il avait été humble et miséricordieux. Celui qui s'élève sera tôt ou tard humilié, si ce n'est pas ici-bas, ce sera dans l'autre vie.

Par cette parabole, Jésus nous donne une certaine idée de Dieu. Dans la prière, le plus simple est toujours le meilleur. Une sainte de notre temps disait : "Ce n’est pas contraire au respect si une mère, comme il est d'usage dans certaines régions, allaite son enfant à l'église, car Marie aussi allaité son Fils durant la prière". Mais il y a aussi des contrées où les mamans préfèrent nourrir leur bébé à la sacristie. Et ça ne les empêche pas de prier avec leur enfant.

"Seigneur, apprends-nous à prier". Cela veut dire : comment être en contact avec Dieu ? Jésus ne répond pas vraiment, il ne donne pas de méthode, mais il enseigne à ses disciples le "Notre Père". La prière n'est pas quelque chose de difficile, et la Vierge Marie peut nous aider beaucoup. Encore une fois, dans la prière, le plus simple est toujours le meilleur.

Il y a de l'amour dans la prière, et l'amour ne s'impose pas. Le plus grand obstacle à la prière, c'est la paresse. Et parmi les facteurs de paresse les plus fréquents aujourd'hui dans le monde, c'est l'ordinateur, c'est internet, c'est la TV ainsi que le besoin de faire toutes sortes de choses.

Jésus nous montre en prière le pharisien et le publicain. Une sainte qui était presque de notre temps disait : "En enfer, il y a toutes les vertus, sauf l'humilité ; au ciel, il y a tous les vices, sauf l'orgueil". C'est une façon de parler bien sûr, parce que au ciel, le vice n'a pas sa place.

Qu'est-ce que c'est que prier ? Prier, c'est savoir que rien n'arrive par hasard. Celui qui vit en Dieu ignore le hasard. "Seigneur, apprends-nous à prier". Jésus ne donne pas de méthode. Mais Marie, sa Mère, aurait dit un jour : "Prenez une parole de la Bible et allez dans la montagne toute la journée. Et gardez cette parole". Dieu n'est pas un distributeur automatique de grâces sensibles. Dieu se livre à nous quand il le veut. C'est quoi prier ? Ce n'est pas attendre, c'est se savoir attendu... Dieu nous attend.

Il y a un rapport entre la prière et le purgatoire. Le purgatoire, c'est un lieu ou un temps où on est soumis à une thérapie jusqu'au moment où on peut s'ouvrir tout à fait à Dieu. Alors bien sûr, ça dépasse notre imagination de croire que quelqu'un qui s'est détourné de Dieu, quelqu'un donc qui, à notre sens, est entièrement mauvais peut être encore sauvé par le Dieu bon et miséricordieux. Qu'est-ce que c'est que la prière ? C'est un temps où on s'ouvre à Dieu ; comme le purgatoire est la thérapie qui nous permettra de nous ouvrir totalement à Dieu et à ses pensées et à son amour.

Prier, c'est entrer en contact avec Dieu ; et là je vous cite un cardinal de la fin du Moyen Age, cité par un cardinal de notre temps : "La sagesse éternelle (Dieu) peut être goûtée dans tout ce qui peut être goûté. Elle-même est la beauté dans tout ce qui est beau... Celui qui voit une femme belle rend gloire à Dieu lorsqu'il admire en elle un lointain reflet de la beauté infinie". (Avec Mariam de Bethléem, Robert Scholtus, Cardinal Martini, Nicolas de Cuse, AvS).
 

23 octobre 2016 - 30e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 18,9-14

Le pharisien n'était ni voleur, ni injuste, ni adultère. Il ne négligeait pas non plus la pénitence : il jeûnait deux fois la semaine. Il donnait à qui en avait besoin le dixième de toutes ses recettes. Mais il n'était pas vide de lui-même, il n'avait pas un cœur de pauvre, il était fier de toutes  ses vertus. Il ne se souciait pas de savoir ce qui lui manquait. Il n'était pas plein, il était enflé. Et il a quitté le temple en étant tout vide pour avoir simulé la plénitude. Le publicain, lui, il sait qu'il est un pécheur, il est arrivé au temple comme un vase vide, et Dieu l'a rempli de sa grâce. Le pharisien n'attend rien de Dieu. Et Dieu ne peut rien faire pour lui. De plus, il méprise les autres. Le publicain, lui, attend tout de Dieu parce qu'il sait qu'il est pécheur. Alors Dieu peut tout pour lui.

Nous sommes tous des tout-petits devant Dieu. Personne n'a à faire le malin devant lui. Et le plus gros malin, c'est celui qui a décidé dans son cœur et dans sa tête que Dieu n'existait pas, que la religion et tout ça, c'est bon pour les enfants. Lui aussi, il se croit riche, il se croit intelligent en niant Dieu. Mais pour lui aussi viendra le temps de la détresse. Il est demandé à tout homme d'aménager dans sa vie un espace sacré. Un jour, Jésus s'est mis en colère contre les marchands du temple. Le marchand du temple aujourd'hui, c'est celui qui refuse d'aménager dans sa vie un espace sacré. Il y a un appel de Dieu dans chaque vie. Et cet appel de Dieu apprend à chacun le chemin qu'il a tracé pour lui. C'est un chemin qui conduit vers Dieu. Tous les chemins mènent à Dieu, mais il existe autant de chemins qu'il y a d'humains. Et chacun doit marcher sur son chemin, aller de l'avant sur la route qui lui est indiquée. Rien ne peut le dispenser de ce devoir. Personne ne peut se disculper en disant que, pour lui, le chemin ne commencera que plus tard. Tous doivent marcher, tout de suite et constamment, avec le Fils vers le Père.

Le pharisien et le publicain. Le pharisien se regardait beaucoup lui-même dans sa prière : "Mon Dieu, je ne suis pas comme les autres, qui sont pécheurs". Le poète chrétien nous  dit : "La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit, elle n'a pas souci d'elle-même, elle ne cherche pas si on la voit". Un chrétien de notre temps, qui était écrivain et critique littéraire, qui est mort il y a plus de trente ans, a écrit un livre qu'il a intitulé : "Histoire de Dieu dans ma vie". Est-ce qu'il regarde Dieu ou bien est-ce qu'il contemple son nombril ? Toujours est-il que c'est une bonne question qu'il nous pose : quelle est l'histoire de Dieu dans ma vie ? Quelle a été l'histoire de mes relations avec Dieu jusqu'à présent ? Comment ça s'est passé ? Toujours bien ? Avec des relations continues ? Ou bien il y a eu des éclipses ? Et des retrouvailles ? Et aujourd'hui ? Est-ce vague, mes relations avec Dieu ? Ou bien est-ce que c'est quelque chose d'important dans ma vie, quelque chose d'important pour comprendre ma vie, et la vie de mes proches, et la vie du monde entier ?

Le pharisien et le publicain : les deux sommeillent sans doute en nous, ou bien l'un des deux est plus vivant que l'autre. Nous communions lors de l'eucharistie. Mais la communion eucharistique n'a pas un effet magique sur ceux qui la reçoivent. Elle ne porte ses fruits qu'à deux conditions : d'abord qu'elle soit précédée d'une conversion sincère et ensuite si elle est accompagnée d'une adhésion fidèle et permanente au Seigneur Jésus qu'on a reçu. C'est comme une très grande amitié : on le reçoit chez soi, et même en soi ; on ne comprendra jamais tout à fait l'Infini qui vient en nous comme un ami des plus intimes. C'est tout au long de sa vie qu'on apprend à communier : un peu mieux ou un peu moins mal.

"Si le christianisme est chose révélée, l'occupation capitale du chrétien n'est-elle pas l'étude de cette révélation même ?" C'est un incroyant de la fin du XIXe siècle qui disait cela, un incroyant qui était devenu un homme célèbre en France et tout à fait anti-chrétien, alors qu'il avait eu une enfance chrétienne dans sa Bretagne natale, qu'il était entré au séminaire, y avait reçu toute sa formation de base, et qui avait largué toute sa religion pour se consacrer à une carrière profane. Mais il était toujours capable de voir juste quand il disait : "Si le christianisme est chose révélée, l'occupation capitale du chrétien, n'est-elle pas l'étude de cette révélation même ?"

Voltaire annonçait avec aplomb que, cinquante ans après lui, on ne trouverait plus la Bible que chez les bouquinistes. Et curieusement, cette annonce de Voltaire était faite dans une maison de la rue du Bac à Paris où s'installa l'Alliance Biblique Universelle d'où partit, au XXe siècle, ce livre des saintes Écritures par milliers d'exemplaires sur toute la planète.

Le pharisien et le publicain nous donnent deux exemples de prière. Saint Augustin disait (il y a très longtemps) : "Dans la prière, parler abondamment est une chose, aimer longuement en est une autre".  Pour le croyant, sa vie se fonde sur une mort qui a été offerte pour lui en substitution. Quelqu'un a offert sa vie pour lui : pour sa vie vie physique, pour sa vie spirituelle, pour sa vie devant Dieu, pour le sens dernier de son existence. Le Fils de Dieu semble être le seul à posséder le pouvoir de mourir pour les autres, c'est-à-dire pour les pécheurs, comme dit saint Paul, les pécheurs dont nous sommes tous. Et pour le chrétien, le don de sa vie est une réponse simplement correcte, un acte de reconnaissance qui va de soi. Et quand le chrétien meurt, il meurt avec quelqu'un qui est déjà mort pour lui et avant lui. (Avec Angelus Silesius, Stanislas Fumet, Cyrille Argenti, Ernest Renan, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

30 octobre 2011 - 31e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 23,1-12

On peut distinguer deux parties dans l'évangile d'aujourd'hui. Dans la première partie Jésus critique sans ménagement les manières de faire des scribes et des pharisiens. La seconde partie s'adresse aux seuls disciples et aux responsables des communautés chrétiennes.

Et quelles sont les consignes pour les disciples ? Vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. Vous n'avez qu'un seul maître, le Christ. Que vous soyez le premier ou le dernier dans la communauté, vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. Et même celui qui est le premier doit faire comme s'il était le dernier. "Le plus grand parmi vous sera votre serviteur". Les disciples de Jésus ne doivent pas se conduire comme les scribes et les pharisiens d'autrefois : ils agissaient toujours pour être remarqués des hommes, ils aimaient les places d'honneur et les premiers rangs dans les synagogues et ailleurs.

L'évangile nous initie aux mystères du ciel. La mission de Jésus est de ramener le monde, le monde passager et transitoire, dans l'éternel. Qu'est-ce qui ne va pas dans l'attitude des scribes et des pharisiens, ceux d'autrefois et ceux de tous les temps ? Ce qui ne va pas, c'est qu'ils sont centrés sur eux-mêmes alors que leur mission serait d'ouvrir le monde à Dieu. Pour les scribes et les pharisiens de tous les temps, le centre du monde, c'est leur propre personne, ce n'est pas Dieu. On peut relire tout l'évangile pour voir comment Jésus essaie constamment de détourner l'homme de lui-même et de l'ouvrir à Dieu.

Dans la perspective juive, l'idée d'un Dieu faible n'a pas de sens. L'idée que Dieu puisse devenir un homme, ça ne peut être que de l'idolâtrie. Les scribes et les pharisiens de tous les temps sont les purs et les durs d'un Dieu tout-puissant et sans miséricorde pour tous les déviants. Et pourtant les scribes et les pharisiens du temps de Jésus avaient dans l'Ancien Testament tout ce qu'il fallait pour s'ouvrir à Dieu et s'oublier un peu eux-mêmes. Ainsi le prophète Jérémie : "Que le sage ne tire pas fierté de sa sagesse. Que le vaillant ne tire pas fierté de sa vaillance. Que le riche ne tire pas fierté de sa richesse" (Jr 9,22).

Ici la place de la Vierge Marie dans l’Église nous apprend quelque chose. Ici-bas, elle n'a jamais cherché à être remarquée par les hommes, elle n'a pas recherché les places d'honneur dans les banquets ni les salutations sur les places publiques. La Vierge Marie n'a pas reçu de mission particulière comme les apôtres, elle n'a pas reçu le sacerdoce ministériel. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire, entre autres choses, que la non-admission des femmes à l'ordination sacerdotale ne peut pas signifier qu'elles auraient une dignité moindre, ni qu'elles seraient l'objet d'une discrimination (Cf. Jean-Paul II).

Les scribes et les pharisiens aiment les places d'honneur. Le diable se propose comme un modèle à nos désirs. Le diable est plus facile à imiter que le Seigneur Jésus. Parce que le diable nous conseille de nous abandonner à tous nos penchants, au mépris de la morale et de nos interdits. Le diable applaudit l'idée que les interdits ne servent à rien et que leur transgression ne comporte aucun danger. La route où le diable veut toujours nous lancer est large et facile. Le passe-temps favori du diable est de semer parmi ses sujets de l'orgueil, de la volonté de puissance, du désordre, de la violence, le malheur. La fascination du pouvoir cause des ravages. Dans le domaine de la religion, elle peut détourner durablement de la nécessité de la pauvreté du cœur.

Dieu lui-même a voulu devenir pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté. Il nous invite à nous contenter de ce qui nous est attribué sans nous appartenir et à l'utiliser dans le sens de la volonté de Dieu. Et la volonté de Dieu peut être un jour de nous laisser dépouiller. (Avec Luc Ferry, Jean-Paul II, René Girard, Ambroise-Marie Carré, AvS, HUvB).

 

4 novembre 2012 - 31e dimanche du temps ordinaire – Année B

Évangile selon saint Marc 12,28-34

Quel est le premier de tous les commandements ? La réponse de Jésus est simple : aimer Dieu et aimer son prochain. Tout le reste découle de là. Mais Jésus précise comment il faut aimer son prochain : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Alors là, ça se complique. Aimer son prochain comme soi-même, ce n'est pas une petite affaire. S'aimer soi-même, ce n'est pas difficile. Jésus n'est pas contre le fait de s'aimer soi-même, il le dit ici. Mais aimer son prochain comme soi-même : là, le programme n'est pas petit. Jusqu'où peut-on aller ? Jusqu'où doit-on aller ? Jésus ne dit pas le détail ; il dit : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Ce n'est pas une petite affaire.

Et puis le premier commandement d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force. Est-ce que Jésus nous demande l'impossible ? Comment peut-on aimer quelqu'un qu'on ne voit pas ? Et de plus l'aimer de tout son cœur et de toute sa force et de tout son esprit ! Les saints et les saintes de Dieu nous disent ici avec toute l’Église : Aimer Dieu, c'est se mettre tout entier à la disposition de Dieu. Mettre à la disposition de Dieu tout ce dont il peut avoir besoin en nous... Tout mettre à la disposition de Dieu, même ce que nous ne connaissons pas en nous et dont Dieu voudrait se servir.

Jamais l'homme ne peut se considérer comme un être qui est à l'abandon. Il est quelqu'un qui doit aimer Dieu parce que Dieu l'a aimé. Qu'est-ce que ça veut dire : aimer Dieu ? L'amour de Dieu est toujours un amour obéissant. Qu'est-ce que Dieu attend de moi aujourd'hui ? Qu'est-ce que je peux faire pour lui faire plaisir ?

Saint Augustin, mort en 430, est l'un des plus grands des Pères de l’Église. Parmi tous les livres qu'il a écrits, il y en a un qu'il a intitulé : "Confessions". Certains des paroissiens du dimanche dans cette chapelle ont lu ce livre. Et quand saint Augustin écrit ses "Confessions", ce n'est pas pour se raconter. Dès les premières lignes de son livre, il dit son but. Et son but, c'est de louer Dieu, de chanter ce Dieu qui était à l'affût de son âme depuis toujours. Pendant quinze ans, saint Augustin avait erré loin de Dieu. Et un beau jour, il a fini par se rendre à Dieu. Le livre des "Confessions", c'est une "lettre ouverte à Dieu". Augustin veut chanter ce Dieu qui était à l'affût de son âme depuis toujours. Ce Dieu auquel il a fini par se rendre au terme de quinze années d'errance.

Le livre des "Confessions" n'est quand même pas un livre facile. Saint Augustin est fasciné par la beauté de Dieu et il essaie de faire partager la joie de sa découverte. Il voudrait tirer vers le haut l'idée souvent pesante que les gens se font de Dieu... Il voudrait tirer vers plus de transcendance l'idée souvent pesante que les gens se font de Dieu.

Aujourd'hui, que se passe-t-il ? Il arrive que l'adolescent, parvenu à l'âge de s'émanciper du milieu familial, "perd" la foi sans s'en apercevoir, à moins que son premier acte de liberté ne soit de s'en débarrasser, parce qu'elle n'était pas vraiment devenue sienne. C'est souvent ce qui se passe aujourd'hui. Sans le savoir, les jeunes d'aujourd'hui, tout comme les moins jeunes, sont sous l'emprise des pensées des philosophes sans Dieu des siècles passés et des philosophes d'aujourd'hui. Et que disent ces philosophes ? Ils disent : C'est l'ignorance qui explique la croyance aux dieux. Ce qui chasse les dieux, c'est la connaissance des forces naturelles. Que disent-ils encore ces philosophes sans Dieu ? Ils disent : Nous autres, esprits spirituels de ce temps, c'est dans l'athéisme absolu, loyal, que nous respirons à l'aise. Nous nous interdisons le mensonge de la foi en Dieu... La foi est un mensonge, une de ces illusions que forge la raison pour rendre la vie supportable.

Saint Augustin avait vécu quinze ans dans l'errance, loin de Dieu. Lui aussi était philosophe. Et un jour il s'est retourné vers Dieu. Et désormais il croit en un Dieu qui appelle tous les hommes à se rassembler entre eux et, au terme, à se rassembler en lui-même, dans sa vie éternelle. Comment saint Augustin a redécouvert Dieu ? Comment des hommes d'aujourd'hui redécouvrent Dieu ? Certains redécouvrent Dieu parce qu'ils ont découvert qu'il y a des théories qui en arrivent à avilir ou à détruire l'homme sous le prétexte de le libérer des fantasmes de la religion.

Par libre amour, le Seigneur Jésus s'est mis dans les liens de l'obéissance, du destin et de la mort pour briser de l'intérieur leur puissance tyrannique… En devenant homme, le Fils de Dieu a élevé l'homme à la connaissance de lui-même, à la conscience du sens de son existence. Le pardon de Dieu sur toute notre vie est toujours en même temps appel, embauche, mission, don d'une dignité personnelle et unique devant Dieu... Il n'y a qu'en Dieu que l'homme est dans sa vérité. (Avec Lucien Jerphagnon, Joseph Moingt, Georges Cottier, AvS, HUvB).

 

31 octobre 2010 - 31e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 19,1-10

Zachée est un homme malhonnête. C'est comme ça qu'il est devenu riche. Et ça ne le gêne pas plus que ça d'être malhonnête. Puis un beau jour il apprend que Jésus arrive dans sa ville. Et comme tout le monde parle de ce Jésus, il voudrait bien voir à quoi il ressemble. Simple curiosité ! Zachée voudrait bien voir Jésus. Et il n'imaginait pas que Jésus pourrait faire attention à lui. Mais en passant devant le sycomore de Zachée, Jésus s'arrête et il regarde Zachée, il l'interpelle : "Descends vite! Aujourd'hui il faut que j'aille demeurer chez toi". Zachée aurait pu la trouver mauvaise. Mais tout au contraire, on nous dit qu'il reçut Jésus avec joie. Et aussitôt, devant tout le monde, Zachée déclare qu'il va rembourser tous ceux qu'il a escroqués et, en plus, qu'il va donner aux pauvres la moitié de ses biens. Zachée voulait simplement voir Jésus. Et Jésus a été le dénicher dans son arbre. Ce n'était pas prévu. Jésus a regardé Zachée, il lui a dit un mot et Zachée a été retourné en un instant.

Il y a un petit passage de l'évangile de saint Jean qu'on ne lit jamais le dimanche et qui rapporte une autre rencontre de Jésus. C'était tout au début de la vie publique de Jésus. Jésus avait déjà appelé quelques disciples. Parmi eux, il y avait Philippe. Et voici ce que raconte l'évangéliste. Philippe rencontre un certain Nathanaël et, dans sa joie d'avoir rencontré Jésus, Philippe dit à Nathanaël qu'il vient de rencontrer le Messie, Jésus, qui est originaire de Nazareth. Nathanaël est tout à fait sceptique : "De Nazareth ? Qu'est-ce qui peut sortir de bon de Nazareth ?" Alors Philippe insiste : "Viens voir". Dès que Jésus aperçoit Nathanaël, il dit : "Voilà un vrai Israélite sans détour". Alors Nathanaël réplique : "Mais d'où me connais-tu ?" Et Jésus reprend : "Avant que Philippe t'appelle, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu". On ne sait pas ce qui s'est passé sous le figuier. Mais ça touche très fort Nathanaël que Jésus lui parle de ça. Comment Jésus connaît-il ce qui s'est passé sous le figuier ? Et aussitôt Nathanaël, lui aussi, est vaincu et conquis. Il dit à Jésus : "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël".

Quelque chose d'essentiel s'est produit pour Nathanaël comme pour Zachée. Dieu est entré pour de bon dans leur vie. Zachée ne s'attendait pas du tout à cela, Nathanaël non plus. Dieu a été les chercher. La foi vient toujours d'abord de Dieu. Parce qu'il nous aime le premier, il met la foi en nous. Et en même temps, pour recevoir la foi, il faut déjà croire et aimer. On ne peut pas croire si on n'aime pas. Il y avait en Zachée quelque chose qui était tout prêt à croire. Et dès qu'il croit vraiment, il ouvre son cœur aux autres. Il va réparer tout ce qu'il a fait de travers. La foi ne peut pas naître sans amour, et sans amour la foi ne peut pas être vivante. Ce qu'on peut dire aussi, c'est que, sans le savoir, l'amour peut être une pierre d'attente, parce que dans l'amour il y a toujours un germe de connaissance et de foi même si on ne sait pas encore ce que contient ce germe. L'amour peut devenir un chemin qui conduit à la foi.

Zachée et Jésus. Nathanaël et Jésus. Non seulement Dieu existe, mais il a toujours la liberté de venir à nous, de se révéler comme une présence personnelle et de nous introduire dans sa communion. La foi, c'est toujours un miracle. C'est dans notre monde de télévision, d'internet, de loisirs, de voyages interplanétaires, c'est dans ce monde à la fois athée et croyant, dans ce monde paradisiaque et infernal, mais dans ce monde toujours aimé par Dieu que l'homme est appelé au miracle de la foi... et à témoigner parmi les hommes. Zachée a été surpris par Dieu tout comme Nathanaël. La transmission de la foi repose toujours sur une expérience spirituelle. On ne devient jamais disciple du Christ d'une manière automatique. Qu'est-ce que ça veut dire que Dieu est amour ? C'est dire qu'il est en mouvement vers nous pour que nous l'accueillions.

Le monde entier, avec toute sa solidité, vogue comme un frêle esquif sur la profondeur insondable (de Dieu), l'amour inexplorable (du Père). (Avec Mgr Dagens, Michel Evdokimov, François Varillon, AvS, HUvB).

 

3 novembre 2013 - 31e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 19,1-10

Zachée est à son bureau de percepteur d'impôts sur une petite place à l'entrée de la ville. Il entend de loin l'arrivée de Jésus parce qu'il y a autour de Jésus toute une foule qui fait du bruit. Alors le percepteur grimpe difficilement dans un arbre et il se met à califourchon sur une branche. Il est là comme à la fenêtre et il regarde. La foule arrive sur la place. Jésus lève les yeux et il sourit au spectateur perché sur son arbre : "Zachée, descends vite ; aujourd'hui, il faut que j'aille demeurer chez toi". Zachée est stupéfait, il se laisse glisser de son arbre comme un sac. Il ferme ses registres et sa caisse. En attendant, Jésus caresse des enfants.

Et puis Zachée emmène Jésus jusqu'à une belle maison entourée d'un vaste jardin au centre de la petite ville. Pendant que le repas se prépare, Jésus s'occupe des malades et des bien portants qui l'ont suivi. Zachée se donne bien du mal pour organiser le repas. Il voudrait parler un peu avec Jésus, mais ce n'est pas possible avec toute la foule qui est là. Finalement Jésus lui-même congédie tous ces gens et il leur donne rendez-vous au coucher du soleil. Le jardin se vide et on sert le repas dans une salle qui donne sur le jardin.

Zachée est célibataire, il n'y a que des serviteurs autour de lui. Après le repas, les disciples s'éparpillent dans le jardin pour se reposer un peu à l'ombre des arbres. Jésus, lui, se repose dans la salle du repas. Zachée arrive alors avec un coffre pesant qu'il met sur la table. Il dit à Jésus quelques mots aimables : tout le bien que les gens disent de lui. "Puis on m'a dit que tu es bon et que tu ne repousses pas les pécheurs. Moi, je suis un pécheur. On m'a dit aussi que tu guéris les malades. Moi, j'ai le cœur malade, parce que j'ai fraudé, j'ai pratiqué l'usure, j'ai été vicieux, voleur, dur envers les pauvres. Mais maintenant je suis guéri parce que tu m'as parlé. Tu t'es approché de moi et le démon de la richesse et de la sensualité s'est enfui. A partir d'aujourd'hui, je suis tien, si tu ne me refuses pas ; et pour te montrer que je ne mens pas, je me dépouille des richesses que j’ai mal acquises. Je te donne la moitié de mon avoir, et l'autre moitié servira à restituer au quadruple tout ce que j'ai pris frauduleusement. Et après cela, si tu le permets, je te suivrai". Et Jésus lui dit : "Viens. Je suis venu pour sauver et appeler à la lumière. Je suis venu pour donner la vie à ceux dont l'esprit était mort. Viens, Zachée".

Dieu nous parle. Nous devons seulement trouver le lieu où nous pouvons entendre sa voix. Et pour cela, il faut parfois grimper dans un arbre. Zachée était au milieu de tous ses sous, et il s'est laissé envahir par la vie éternelle. Il n'a pas fermé sa porte ni son cœur à Jésus qui s'invitait chez lui. Zachée désormais n'a plus qu'un but : la vie avec Jésus et la vie éternelle avec lui. Zachée s'est offert tout entier à Jésus.

Le Seigneur Jésus est venu dans le monde pour racheter le monde. Et racheter le monde, cela veut dire le pardon des péchés. Jésus est venu pour rendre les hommes au Père tels que le Père veut les avoir : propres et nets de tout péché. Et cette pureté, le Seigneur Jésus est le seul à pouvoir l'opérer, il le fait en y mettant le prix : le prix de sa vie et de son sang répandu.

Zachée, le percepteur et le pécheur, a rencontré la tendresse de Dieu. Un prêtre de notre temps disait dans l'une des retraites qu'il prêchait : "Il faut qu'aucun de nos frères ne se plaigne de n'avoir pas rencontré en nous la tendresse de Dieu". A l'opposé, il y a tous les non- croyants et les mal-croyants qui accusent les chrétiens : "Il se dit chrétien, mais il n'y a pas d'amour en lui, il n'y a pas le respect des autres".

"Vous êtes mariés, vous avez des enfants... (c'est un cardinal de notre temps qui dit cela), il vous arrive de faire quelque chose pour un des êtres que vous aimez, sans enthousiasme peut-être, à cause de la fatigue ou de l'usure. Mais cependant par amour. L'amour, souvent, consiste à agir parce qu'on veut aimer. C'est un signe de l'amour véritable. Il en est de même dans notre relation à Dieu : se tenir, par amour, à la décision qu'on a prise de redire des formules fixes, c'est une vraie prière. Et la prière des lèvres est faite pour entraîner, une fois ou chaque fois, la prière du cœur".

Terminer avec la prière d'un homme de notre temps, un homme d'affaires, un homme marié, un vrai croyant : "Seigneur, donne-moi de voir les choses à faire sans oublier les personnes à aimer, et de voir les personnes à aimer sans oublier les choses à faire. Donne-moi de voir les vrais besoins des autres. C'est si difficile de ne pas vouloir à la place des autres, de ne pas répondre à la place des autres, de ne pas décider à la place des autres. C'est si difficile, Seigneur, de ne pas prendre ses désirs pour les désirs des autres et de comprendre les désirs des autres quand ils sont différents des nôtres. Seigneur, donne-moi de voir ce que tu attends de moi parmi les autres. Enracine au plus profond de moi cette certitude : on ne fait pas le bonheur des autres sans eux. Seigneur, apprends-moi à faire les choses en aimant les personnes. Apprends-moi à aimer les personnes pour ne trouver ma joie qu'en faisant quelque chose pour elles, et pour qu'un jour elles sachent que toi seul, Seigneur, tu es l'amour". (Avec Maurice Zundel, Cardinal Lustiger, Norbert Ségard, AvS).

 

30 octobre 2016 - 31e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 19,1-10

Le bon berger court après sa brebis égarée. Pourquoi Jésus veut-il passer par Jéricho ? Parce qu'il y a là un homme appelé Zachée qui est considéré comme un pécheur public. Jésus veut aller voir s'il peut le sauver. Il fait comme un père qui a perdu son enfant. Il l'appelle : "Zachée ! Descends ! Je veux aller chez toi aujourd'hui". Zachée : un adulte qui grimpe aux arbres : il restait donc un peu d'enfance chez Zachée. Zachée est riche. Il est catalogué comme pécheur professionnel. Et quand Jésus l'interpelle, il est tout heureux. Lui, le riche, il va rattraper le temps perdu : il va donner aux pauvres la moitié de ses biens et réparer ses exactions. Jésus est venu sauver ce qui semblait perdu.

Aucun péché d'aucune sorte ne peut effacer un seul de ses enfants de la mémoire de Dieu, de son cœur. Dieu se souvient toujours. Il n'oublie aucun de ceux qu'il a créés. Il est un père qui est toujours prêts à donner son pardon. Il ferme les yeux sur nos péchés et il nous appelle à nous convertir. Zachée ne dit rien, mais il cherche à voir Jésus. L'essentiel de la prière, c'est le désir. Zachée était de petite taille, la foule l'empêchait de voir Jésus. C'est quoi cette foule qui empêche de voir Jésus ? Les Pères de l’Église disaient : cette foule qui empêche de voir Jésus tel qu'il est, c'est le tumulte de nos affaires, les petites et les grandes, qui nous accaparent. Comment peut-on admettre que Dieu aime ceux qui font le mal ? Il est venu chercher ce qui était perdu, c'est-à-dire nous tous.

Toute page de l’Écriture a une ouverture sur l'infini.  Le Seigneur Jésus est le Fils unique de Dieu, le Père invisible. Le Fils est unique et nous venons immédiatement après lui ; nous sommes si nombreux que nous nous croyons innombrables, et pourtant nous sommes les fils dénombrés par Dieu malgré notre multitude. Le peuple juif est un peuple particulier, choisi par Dieu. Et il reçoit une mission qui concerne toute l'humanité. Ce n'est pas un  privilège, c'est une responsabilité. C'est la même chose pour tous ceux qui aujourd'hui ont déjà reçu la grâce de reconnaître le Dieu vivant.

Une question que beaucoup se posent aujourd'hui - des jeunes et des moins jeunes -, c'est de savoir s'il ne serait pas possible d'adhérer au Christ sans passer par l’Église. Pour beaucoup, l’Église apparaît comme un obstacle à la foi. Ils voudraient bien aimer le Christ et son Évangile, mais sans ce qu'ils appellent "le système", c'est-à-dire toutes les institutions : pontificales, diocésaines, juridiques, morales, sacramentelles, qui pèsent sur les épaules de beaucoup comme un carcan ou une chape de plomb. Ils rêvent d'être Zachée dans son arbre et se faire interpeller directement par Jésus. Beaucoup de Juifs n'avaient pas besoin de grimper sur un arbre pour voir Jésus. Il y a des Juifs qui discutaient souvent avec Jésus, et ils se sont fermés à sa personne et à son message.

Le centre du credo, le centre de la foi chrétienne, c'est que le Fils de Dieu s'est fait homme, c'est que Dieu se soit abaissé de cette manière-là. Ça a fait hurler les Juifs : Dieu ne peut pas s'abaisser de cette manière-là ! Et les païens ont hurlé comme les Juifs : un Dieu qui meurt sur une croix ! Ils sont fous, ces chrétiens. La révélation biblique de Dieu, c'est une très longue histoire. Dieu ne dit pas tout, tout de suite. La révélation biblique de Dieu, c'est un processus extrêmement long. Douze siècles avant le Christ, c'est Moïse et une Loi qui présente des aspects encore bien barbares. Avec Jésus, le climat est tout autre. C'est Dieu lui-même qui accorde à l'homme de vivre son rapport avec lui autrement que sous le régime de la crainte, autrement que comme une dépendance. C'est Dieu lui-même qui fait passer l'homme de sa condition d'esclave à celui d'ami, si l'homme le veut, si l'esclave accepte. "Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître ; je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître". Il faut attendre l'évangile de saint Jean pour entendre ces paroles de Jésus. Et quand Jésus s'invite dans la maison de Zachée sans crier gare, n'est-ce pas déjà une manière de le traiter en ami?

Vous connaissez le nom de Chesterton, cet Anglais du XXe siècle, rempli d'humour bien sûr, qui, au cours de sa vie, était passé d'une foi bien tiède à une foi vivante et éclairée, qu'il s'efforçait de partager entre autres par ses écrits : il était écrivain et journaliste. Un des contemporains de Chesterton, qui était écrivain, lui aussi, disait de lui : "Chesterton est tellement joyeux qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'il a trouvé Dieu". Et ce "divin Chesterton" comme le dit le titre d'un livre qui lui a été consacré récemment, ce divin Chesterton disait par exemple : "Ce qu'il y a de plus extraordinaire avec les miracles, c'est qu'ils se produisent".

Chacun des actes du Seigneur Jésus au cours de sa vie terrestre contient quelque chose d'éternel. "Zachée, descends vite de ton arbre, il faut que j'aille demeurer chez toi!" Au cours de cette eucharistie, avant de communier, il est juste et bon d'entendre ces paroles qui nous sont adressées aujourd'hui : "Pierre, Paul, Jacques, descends vite de ton arbre, il faut que j'aille demeurer chez toi aujourd'hui". (Avec Geneviève Comeau, François Varillon, Rémi Brague, André Manaranche, Kafka, Chesterton, AvS, HUvB).

 

6 novembre 2011 - 32e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 25,1-13

Cette parabole des dix jeunes filles qui attendent dans la nuit l'arrivée de l'époux est claire comme le jour. La morale de l'histoire est résumée dans la dernière ligne : "Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l'heure"... "Tenez-vous prêts car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que le Fils de l'homme viendra".

Le psaume d'aujourd'hui nous apprend à prier à toute heure du jour et de la nuit : "Mon Dieu, je te cherche dès l'aube. Mon âme a soif de toi... Toute ma vie, je veux te bénir... Dans la nuit aussi je me souviens de toi, et je reste des heures à te parler".

Dieu agit sur celui qui le regarde. Si on n'est pas chrétien, on organise sa vie comme on peut. Mais cette vie se heurte à la mort. Pour ceux qui ne sont pas chrétiens, la mort, c'est la limite de la vie, de leur sagesse, de leur puissance. C'est ce que saint Paul expliquait aux Corinthiens. Et il ajoutait qu'au contraire ceux qui sont dans la foi possèdent et la vie et la mort. Ils peuvent vivre et mourir dans la même foi. Et la mort n'est plus l'interruption de leur existence, leur mort, c'est la re-création de leur vie en Dieu. Leur mort est le don de Dieu au même titre que leur vie terrestre. La lumière de la foi répand sur toute chose la vérité de Dieu.

Les historiens sont d'accord pour dire que Jésus de Nazareth a vécu au début de notre ère, qu'il a rassemblé quelques disciples autour de lui, qu'il a parlé aux foules et qu'il est mort crucifié à Jérusalem, abandonné de tous. Point final ! Au moment où Jésus meurt, son histoire ne mérite pas une ligne dans une encyclopédie de l'histoire de l'humanité. La grande singularité de Jésus de Nazareth par rapport aux autres fondateurs de religion est qu'au moment de sa mort le bilan de sa vie ressemble à un échec assourdissant.

Les historiens n'ont jamais pu constater que le Nazaréen était ressuscité, parce que personne ne sait au juste ce qui s'est passé. Mais ce que les historiens doivent enregistrer comme un fait établi, indéniable, comme une certitude exempte du moindre doute, c'est que les disciples de Jésus ont cru, comme on croit à une vérité d'évidence, avoir revu vivant celui qui venait d'expirer.

Quand saint Paul évoque la résurrection, il écrit que Jésus a été vu par Pierre, par les douze, par cinq cents frères, par Jacques et enfin par lui-même. Saint Paul ne décrit pas la résurrection, il raconte comment des hommes ont été bouleversés par la rencontre du Ressuscité. Et saint Paul ajoute : "La plupart sont encore vivants"; sous-entendu : vous pouvez les interroger.

André Malraux, qui n'était pas croyant, disait : "Toute civilisation est hantée, visiblement ou invisiblement, par ce qu'elle pense de la mort". L'ultime certitude sur laquelle nous, chrétiens, nous fondons notre existence nous est donnée par la foi, par l'humble fait de croire avec l’Église de tous les siècles, guidée par l'Esprit Saint.

Dans le Notre Père, nous disons à la fin : "Délivre-nous du mal". Le mal dont nous demandons la délivrance est avant tout, et le plus profondément, la perte de la foi. L'incapacité de croire en Dieu et de vivre dans la foi est pour Jésus le plus grand de tous les maux. C'est Benoît XVI qui disait cela.

Beaucoup de gens aujourd'hui vivent sans Dieu. Nous vivons dans un monde sans Dieu mais avec des psychologues. On a fait l'inventaire des besoins et des causes de souffrance du psychisme humain : besoin de signification et de sens, besoin de sécurité, d'expressions, d'émotions, d'animations, d'événements et de cérémonies, besoin de fêtes, souffrance de la solitude, de la monotonie, de l'ennui, difficultés d'affronter les situations extrêmes. Les psychologues ont pensé à tout. Et notre époque néglige, avec légèreté, de reconnaître à quel point la vie chrétienne répond à ces exigences de notre nature. On se contente le plus souvent de substituts, de remèdes d'une étonnante insuffisance. Derrière la fragilité actuelle des personnes, il faudrait peut-être quand même discerner le vide poignant causé par l'oubli de Dieu.

La résurrection de Jésus est la promesse d'une vie avec lui par-delà la mort, c'est le cœur de la foi chrétienne. C'est par là que le christianisme prétend pouvoir fournir la seule solution complète, la seule solution satisfaisante du problème et des problèmes de l'homme d'hier, d'aujourd'hui et de demain. (Avec André Nouis, André Malraux, Benoît XVI, Isabelle Mourral, AvS, HUvB).

 

8 novembre 2009 - 32e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 12, 38-44

Deux petites scènes dans cet évangile d'aujourd'hui. Jésus est là avec ses disciples sur l'esplanade du temple, à Jérusalem. Et il regarde ce qui se passe autour de lui. Il y a des scribes, c'est-à-dire des spécialistes des Écritures. Ils sont fiers de leur savoir, ce sont des gens importants dans la société juive de l'époque, et cela se remarque peut-être à leur manière de s'habiller, il y a peut-être une sorte d'uniforme des scribes, comme les évêques et les cardinaux et les prêtres et les chanoines ont, ou avaient, leurs vêtements distinctifs. Les scribes, on les trouve partout dans l'évangile comme des adversaires de Jésus. Jésus n'est pas tendre pour eux : ils disent et ne font pas. Et quand Jésus sera sur la croix, les scribes vont encore aller le narguer, se moquer de lui.

Et puis deuxième scène de notre évangile d'aujourd'hui : les fidèles qui mettent leurs offrandes dans le tronc du temple. Les riches y mettent beaucoup, les pauvres y mettent moins. Jésus ne blâme pas les riches d'y mettre beaucoup. Il n'a rien à dire à ce sujet. Ce que Jésus tient à faire remarquer à ses disciples, ce sont les deux petites pièces de la veuve, les quatre sous de la veuve. Les scribes ont belle apparence, les riches aussi. Les quatre sous de la veuve, que voulez-vous qu'on en fasse ? Ce n'est pas avec ça qu'on peut construire un temple ou l'entretenir.

Jésus rappelle ici à ses disciples - et à nous-mêmes - à sa manière, quelque chose qu'on retrouve plus d'une fois dans l'Écriture : les hommes voient l'extérieur, Dieu regarde le cœur. On ne peut pas jeter de la poudre aux yeux de Dieu : ça ne prend pas. On ne peut pas jouer la comédie avec lui. Les riches ont raison de donner beaucoup. Mais Jésus dit ailleurs : "Quand vous aurez fait tout ce que vous devez faire, dites : nous sommes de simples serviteurs". Serviteurs : pas plus et pas moins. Serviteurs de Dieu et des hommes.

Les scribes, les spécialistes des Écritures, ont une très belle mission, la mission d'approfondir la Parole de Dieu. La veuve a une très belle mission : celle de mettre quatre sous dans le tronc. Chacun a sa mission. C'est Dieu qui en décide. Les uns, il veut qu'ils soient une lumière pour le monde. Les autres, il veut qu'ils soient une lampe dans une chambre de leur maison. On ne s'attribue pas sa mission à soi-même. Mais quand Dieu allume une lampe, c'est pour s'en servir. Ce qui peut empêcher d'accomplir la mission que Dieu nous donne, c'est de faire la sourde oreille, c'est de lui désobéir. Dieu invite tous les hommes à rester à sa disposition.

Tous les saints et les saintes de Dieu éclairent la maison de Dieu, éclairent l’Église à travers tous les temps. Les saints et les saintes de Dieu sont des lumières pour le monde mais, de leur vivant, ils peuvent être plongés par Dieu dans l'humilité. Ils n'ont pas de droits sur eux-mêmes. Ils n'ont plus le droit d'avoir des préférences personnelles. Ils doivent toujours adopter les préférences de Dieu. Dieu les prend avec leurs limites et leurs fautes. Personne ne peut attendre de se sentir parfait pour faire quelque chose pour Dieu, pour accomplir sa mission.

Saint Jean-Marie Vianney, curé d'Ars au XIXe siècle, ne se prenait pas pour une lumière. Et il a été une lumière pour beaucoup de gens. Marthe Robin, au XXe siècle, ne se prenait pas pour une lumière, elle qui a vécu pendant cinquante ans dans une chambre maintenue dans l'obscurité parce que ses yeux ne supportait pas la lumière ; et beaucoup de gens ont été chercher la lumière de Dieu dans cette chambre obscure. Thérèse de Lisieux n'était pas une lumière, cachée qu'elle était au fin fond de son carmel. Mais aujourd'hui encore elle éclaire toute l’Église. Jésus lui-même, qui est le Messie et la lumière du monde, a été, durant sa vie, un messie caché. Il interdisait souvent aux gens qu'il avait guéris de parler de leur guérison de peur qu'on projette sur lui des fantasmes de toute-puissance d'un messie glorieux.

Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI, était professeur de théologie, une sorte de scribe, spécialiste des Écritures et des choses de Dieu. Je ne sais pas s'il circulait en longue robe sur l'esplanade du temple, mais il écrivait ceci : "Certitude que je n'ai jamais totalement en main la vérité sur Dieu, que devant elle je suis toujours comme un apprenti et que, marchant vers elle, je suis toujours un pèlerin dont le chemin ne prendra jamais fin".

Je termine avec Newman, au XIXe siècle. Newman est un anglican qui est devenu catholique ; il a été ensuite été choisi comme cardinal par le pape de l'époque, et le pape Jean-Paul II l'a déclaré "vénérable", c'est-à-dire que Newman pourrait bien un jour être canonisé, c'est-à-dire reconnu comme saint par l’Église. Newman a écrit une très belle prière, Newman qui était aussi un scribe dans l’Église, ce qui prouve que tous les scribes ne sont pas mauvais : "Conduis-moi, douce lumière. Dans l'obscurité qui m'environne, conduis-moi. La nuit est noire et je suis loin de la maison. Montre-moi le chemin, éclaire mes pas. Je ne demande pas à voir au loin, un seul pas est assez pour moi. Je n'ai pas toujours été comme ça, et je ne te demandais pas de me conduire. J'aimais choisir et voir mon chemin. Mais maintenant, conduis-moi". (Avec Noël Quesson, Joseph Ratzinger, Newman, AvS).

 

11 novembre 2012 - 32e dimanche du temps ordinaire – Année B

Évangile selon saint Marc 12,38-44

Jésus est dans le temple et dans les alentours du temple à l'occasion de sa dernière Pâque terrestre. Jésus n'est pas toujours occupé à faire de grands discours. Aujourd'hui il est assis quelque part dans l'enceinte du temple et il regarde les gens qui vont et viennent. Ses disciples ne sont pas loin. Et il leur fait part de ses réflexions sur tous ces gens qu'il voit passer.

L'évangéliste aujourd'hui a retenu deux sortes de personnages : les scribes et la veuve. Les scribes, ce sont les spécialistes des Écritures, donc des gens très respectés, puisque spécialistes de la Parole de Dieu ; des gens qui savent. Et Jésus les voit passer avec leurs grands uniformes. Et que dit-il alors à ses disciples ? Il leur dit : Méfiez-vous de ces gens. Surtout ne faites pas comme eux quand je serai parti. Ces gens savent tout, mais ils ne font pas. Pour eux, les honneurs dont on les entoure sont fort importants. Mais Dieu les a en horreur, dit Jésus. Par contre la pauvre veuve, qui met deux sous dans le tronc, est plus proche de Dieu que tous ces gens qui font belle figure dans la société religieuse.

Saint Paul, qui avait été un pharisien dur et pur, qui connaissait, lui aussi, toutes les Écritures sur le bout des ongles, saint Paul écrira aux premiers chrétiens de la ville de Philippes, en Grèce : "Ne faites rien par gloriole, mais plutôt considérez les autres comme supérieurs à vous" (Ph 2,3). Qu'est-ce que ça veut dire ? Considérer les autres comme supérieurs à soi, c'est un fruit de l'amour, un fruit aussi de la foi et de l'espérance. Dans l'espérance, chacun espère que l'autre se trouve plus près de Dieu que lui-même, chacun espère que l'autre est plus disposé que lui à offrir à Dieu sa vie et tout ce qu'il possède.

Les scribes en grande tenue et la veuve sans apparence passent devant Jésus... Le manque d'intériorité appelle toujours un besoin impérieux d'être reconnu à l'extérieur. La veuve n'avait pas besoin de ça pour être heureuse.

Aujourd'hui l’Église n'est plus en position de dominer la société ; elle devient crédible quand elle affirme qu'elle n'en a pas le désir. Cela n'empêche pas l’Église d'avoir le droit de parler. Être opposé à l'avortement ou au mariage des homosexuels ne veut pas dire accabler les gens dans la détresse ou des gens qui ont une autre manière de voir. Cela implique de réfléchir à la manière d'éclairer l'opinion et d'aider ceux qui ont besoin d'être aidés.

Il n'y a pas que des choses édifiantes dans la Bible. Il y a de tout dans la Bible. Et justement l'authenticité spirituelle de la Bible, on peut la voir dans le fait qu'il n'y a en elle aucune mièvrerie, aucun romantisme fallacieux. Dans la Bible, il y a du lyrisme, des cris d'amour, de passion ; il y a des choses abominables qui sont racontées, des choses honteuses, des hauts faits ; il y a des héros et des saints, des saints qui sont parfois des pécheurs et des héros. Il y a des gens qui se convertissent et d'autres qui ne se convertissent pas. Il y a le monde entier, il y a toutes les passions humaines. Tout cela est assumé par la Parole de Dieu. On peut comprendre qu'à une certaine époque dans l’Église cela faisait un peu peur d'ouvrir la Bible.

Les scribes en grand apparat passaient devant Jésus et aussi la pauvre veuve. Un dominicain, qui est mort maintenant, et qui avait été président d'une Université catholique, avait été interviewé par un journaliste. Et à un certain moment, cet ancien président d'Université dit ceci : "Je crois que la chose la plus ridicule du monde est sans doute la vanité. La vanité ? Je me prends pour le centre du monde, au moins pendant une petite seconde, et je le fais voir".

Il y a quelque temps, j'avais ouvert par hasard un recueil de lettres de Madame de Sévigné. Elle écrit à un cousin. Et Madame de Sévigné lui dit qu'elle a beaucoup d'estime pour son épouse. Pourquoi ? "Parce qu'elle ne se presse jamais de faire voir qu'elle a plus d'esprit que les autres". C'est une parole qui ne serait pas déplacée dans l’Évangile : "Elle ne se presse jamais de faire voir qu'elle a plus d'esprit que les autres". L'hypocrisie est un péché que Jésus dénonce avec la plus grande sévérité.

Tout l'extérieur de l’Église : les sacrements, les évêques et tout le reste, sont des moyens. Leur but, qui seul doit rayonner au dehors, c'est l'amour. C'est à lui qu'on doit reconnaître l’Église. C'est à lui qu'on doit reconnaître en elle la présence de l'Esprit Saint. C'est l'Esprit qui engendre la foi, l'espérance et la charité. Et l'histoire véritable de l’Église, son histoire authentique, c'est l'histoire de la foi, de l'espérance et de la charité. Et cette histoire, on ne peut pas la voir en sa totalité. On n'en voit que la moitié. L'autre moitié, qui est beaucoup plus importante, demeure cachée dans les âmes. Une seule prière inconnue, une seule souffrance cachée unie à celle du Christ, peut avoir ouvert de vastes champs d'efficacité visible. C'est l'Esprit Saint qui crée la véritable histoire de l’Église parce qu'il est son Seigneur. (Avec Shenouda III, Guy Coq, Cardinal Vingt-Trois, Guy Bédouelle, Madame de Sévigné, Denis Biju-Duval, AvS, HUvB).

 

8 novembre 2015 - 32e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 12,38-44

Mère Teresa de Calcutta raconte ceci : "Un jour, je descendais la rue, quand un mendiant vint vers moi et me dit : 'Mère Teresa, tout le monde te fait des cadeaux ; moi aussi, je veux te donner quelque chose. Aujourd'hui, je n'ai reçu que 29 centimes, et je veux te les donner'. Mère Teresa ajoute : Je réfléchis un moment : si je prends ces 29 centimes (qui ne valent pratiquement rien), il risque de ne pas avoir à manger ce soir, et si je ne les prends pas, je lui ferai de la peine. Alors j'ai tendu les mains et j'ai pris l'argent... C'était un énorme sacrifice pour lui. Mais c'était merveilleux aussi, car ces piécettes auxquelles il renonçait devenaient une fortune, puisqu'elles étaient données avec tant d'amour".

Nous sommes en plein dans l'évangile d’aujourd’hui. Jésus est adossé à une colonne dans l'une des cours du temple à Jérusalem. Tout près de Jésus, il y a cinq marches. Arrive un petit vieux qui tombe presque en s'empêtrant dans son vêtement, Jésus allonge le bras, le soutient et ne le laisse que lorsqu'il le voit en sécurité. Le petit vieux lève son visage ridé, regarde son sauveur et murmure une parole de bénédiction.

Puis Jésus revient à sa colonne. Il s'en détache une fois encore pour relever un enfant qui a glissé de la main de sa mère qui est tombé à plat ventre, juste devant Jésus. Jésus le relève, lui donne une caresse, le console. La mère, toute confuse, remercie. Jésus lui sourit et lui rend son enfant.

Puis voilà que passe une pauvre femme, vêtue de marron foncé, qui monte les marches et va vers le mur où se trouvent les troncs du temple. Beaucoup de gens y vont, mais Jésus ne semble pas s'en occuper. Il suit du regard la pauvre femme, elle allonge la main et jette quelque chose dans le tronc. Et quand la femme repasse près de lui, Jésus lui dit : "Paix à toi, femme !" Elle relève la tête avec un regard interrogateur. Et Jésus répète : "Paix à toi ! Va, car le très-Haut te bénit". La femme reste bouche bée qu'on lui fasse tant d'honneur, elle murmure un salut et s'en va.

Puis Jésus dit à ceux qui l'entourent : "Elle est heureuse dans son malheur. Elle est heureuse maintenant parce que la bénédiction de Dieu l'accompagne. Écoutez tous. Vous avez vu cette femme, elle n'a donné que deux piécettes, et pourtant elle a donné davantage que tous ceux qui ont versé aujourd'hui leur obole au trésor du temple. J'ai vu des riches qui mettaient des sommes importantes dans ces troncs avec la satisfaction visible de devoir accompli. Mais je dis que personne n'a donné plus qu'elle. Aujourd'hui elle n'a plus de réserves. Il faudra qu'elle travaille pour obtenir un salaire et avoir de quoi manger. Elle est seule, elle n'a plus de parents, ni de mari, ni d'enfants. Je vous le dis, cette pauvre femme est bénie de Dieu plus que tous les autres puisque, dans sa pauvreté, elle a tout donné à Dieu.

La foi, c'est de rendre à Dieu tout ce qu'on a. La foi, c'est de donner à Dieu tout ce qu'il veut, que ça me plaise ou non : ce que j'ai toujours fait, ou quelque chose que je ne comprends pas. La foi, c'est de rendre à Dieu tout ce qu'on a, comme le Seigneur Jésus l'a fait sur la croix. La foi, c'est accepter d'être vaincu par Dieu. La croix du Seigneur Jésus, c'est la foi nue d'un homme réduit à l’impuissance et capable de dire dans cette nuit : "Père, je remets ma vie entre tes mains".

La pauvre femme de l'évangile d'aujourd'hui n'avait pas beaucoup d'allure et, deux mille ans après, on s'en souvient encore. Un homme de notre temps, un chrétien sans doute un peu philosophe, observe ceci : "Certaines personnes sont insupportables de suffisance. Elles sont pleines d'elles-mêmes. Cela traduit une grande faiblesse, un grand désarroi. Moins on s'estime, plus on se surestime. Moins on est, plus on cherche à paraître. Moins on a un vrai moi, plus on se donne un faux moi. D'où la comédie du monde..."

Une femme de notre temps, croyante et psychologue, pour ne pas dire psychanalyste, livre ses réflexions sur l'évangile. Et voici ce qu'elle remarque : "Dès que l'occasion s'en présente, l’Évangile ne cesse de stigmatiser les vertueux bien-pensants. Pourquoi ? Parce que la vertu, si exaltée et grandiloquente qu'elle soit, peut contenir de la fausseté". Bernadette a vu dix-huit fois la Vierge Marie, ça ne lui a pas monté la tête. La femme aux deux piécettes disparaît sans laisser d'adresse. Le sacrifice est l'acte le plus naturel de l'homme. L'être humain est fait pour le sacrifice parce qu'il trouve sa vie dans l'amour et que l'amour est sacrifice.

Terminer avec Thérèse de Lisieux : "Je pourrais être tentée de m'inquiéter d'une sottise que j'aurais dite ou faite. Alors je rentre en moi-même et je me dis : Hélas ! J'en suis donc encore au premier point comme autrefois ! Mais je me dis cela avec une grande paix, sans tristesse. C'est si doux de se sentir faible et petit". (Avec Mère Teresa, André Sève, Bertrand Vergely, Françoise Dolto, Alexandre Schmemann, Thérèse de Lisieux, AvS).

 

7 novembre 2010 - 32e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 20,27-38

Jésus est en discussion avec des sadducéens. Ce qui distingue les sadducéens des pharisiens, c'est que les sadducéens - qui sont de bons juifs tout comme les pharisiens - ne croient pas à la résurrection. C'est pourquoi ils veulent montrer à Jésus qu'il est ridicule de croire qu'il y a une résurrection après la mort. Voilà une femme qui a eu sept maris durant la vie présente. Qu'est-ce qui va se passer à la résurrection ? De qui sera-t-elle l'épouse ? La réponse de Jésus est assez mystérieuse. On ne peut pas imaginer ce qu'est la vie après la mort. Il y a une chose qui est claire pour Jésus, c'est que les morts doivent ressusciter. Dieu est le Dieu des vivants.

Pour Jésus, pour notre foi chrétienne, la vie éternelle, la vie au-delà du temps présent, a plus d'importance que la vie temporelle. Une vie temporelle qui est vécue dans la foi et l'amour est déjà comme une fonction de la vie éternelle ; une vie temporelle vécue dans la foi et l'amour est déjà envahie par la vie éternelle. Mais il peut se faire aussi qu'une vie temporelle, qui a été pendant un certain temps à la rencontre de la vie éternelle, à un certain moment, se replie sur elle-même et évite le contact avec la vie éternelle. Mais même ceux qui ont refusé la vie éternelle ici-bas et s'en sont détournés devront, dans le jugement, prendre contact avec elle, parce que le jugement se passe dans la vie éternelle. Si bien que tout le monde entre en contact avec la vie éternelle, au moins dans le jugement. La mort, c'est le dépouillement suprême, la mort, c'est le grand acte d'abandon où l'on quitte ce monde pour se retrouver sur le seuil de l'éternité. C'est le moment de la grande rencontre avec le Christ, l'heure du jugement particulier en présence du Christ miséricordieux.

Qu'est-ce que Jésus est venu nous dire ? Entre autres choses, il est venu révéler aux hommes qu'ils ont besoin de Dieu plus que de toute autre chose. Il est venu révéler que l'essentiel du péché, au contraire, c'est la rupture avec Dieu, la rupture avec l'authentique béatitude. Le péché essentiel, le péché "originel" si l'on peut dire, c'est que l'homme a cessé d'avoir faim de Dieu et de Dieu seul. Les sadducéens ne croyaient pas à la résurrection. Il est vrai que la résurrection n'est pas une évidence. La foi chrétienne non plus n'est pas une évidence. Mais si l'on cherche, il y a assez de raisons pour estimer que la foi est raisonnable. Et en même temps la foi demeure suffisamment mystérieuse pour qu'elle reste toujours un acte libre. La foi est toujours en quelque sorte au-delà de la raison. Il existe suffisamment de raisons pour que la foi soit convaincante, mais toutes ces raisons ne nous contraignent pas à croire. Dieu désire être aimé librement par des créatures libres. Il ne veut pas contraindre l'homme à croire en lui. Il n'est pas juste de vouloir contraindre quelqu'un à nous aimer ; d'ailleurs c'est impossible. Et donc notre existence présente doit commencer dans le clair-obscur de la foi. Dans l’Église et dans le monde il y a assez de lumière pour que la foi soit possible et raisonnable, mais il y a aussi assez d'obscurité pour que la foi demeure une option libre et au-delà de la raison.

Vers la fin de sa vie, le Père de Lubac a été nommé cardinal par le pape Jean-Paul II pour le remercier de tout ce qu'il avait fait comme théologien au service de l’Église alors qu'à une certaine époque de sa vie, dans les années 1950, le Père de Lubac avait été soupçonné par Rome même de déviations dans la foi authentique et, pour cela, écarté de l'enseignement de la théologie, mis au placard. L'un des livres du Père de Lubac, il l'a intitulé : "Sur les chemins de Dieu". Et là, quelque part, il écrit ceci : "C'est l'effet d'une clairvoyance encore aveugle que de repousser Dieu à cause des déformations humaines ou de rejeter la religion pour l'abus qu'en font les hommes. Comment les objets les plus hauts, les choses les plus saintes, ne seraient-ils pas les lieux privilégiés des pires abus ?La religion doit incessamment se purifier elle-même. Au reste, sous une forme ou sous une autre, l'homme en revient toujours à l'adoration. En même temps que son devoir essentiel, celle-ci est le besoin le plus profond de son être. Il ne peut pas l'extirper, mais seulement la corrompre. Dieu est le pôle qui ne cesse d'attirer l'homme et ceux mêmes qui croient le nier, malgré qu'ils en aient, lui rendent encore témoignage". (Avec Alexandre Schmemann, Mgr Léonard, Henri de Lubac, AvS).

 

10 novembre 2013 - 32e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 20,27-38

On est à Jérusalem. On veut mettre Jésus dans l'embarras avec une question piège. Aujourd'hui, ce sont des sadducéens qui vont trouver Jésus avec leur question. Les sadducéens, au contraire des pharisiens, n'ont pas suivi l'évolution de la foi juive qui s'est ouverte à l'espérance en la résurrection. Voilà donc des sadducéens qui s'approchent de Jésus avec beaucoup de courbettes et un petit discours flatteur : "Maître, le désir nous est venu d'avoir nous aussi un rayon de ta lumière..."

Et ils se mettent à raconter cette belle histoire des sept frères qui ont eu la même femme, à tour de rôle, parce qu'ils sont tous morts l'un après l'autre sans avoir jamais d'enfant. Et pour finir, voilà la question : "A la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l'épouse puisque les sept l'ont eu pour femme ?"

Jésus va tout de suite au fond du problème : il tire de l’Écriture, vénérée par les sadducéens, une preuve qu'il y a une vie par-delà la mort. Quand Moïse a rencontré Dieu lors de l'épisode du buisson ardent, Dieu a dit à Moïse : "Je suis le Dieu d'Abraham..." Il n'a pas dit : "J'ai été le Dieu d'Abraham". Il a dit : "Je suis (aujourd'hui) le Dieu d'Abraham", pour faire comprendre qu'Abraham, Isaac et Jacob existent aujourd'hui. Immortels. Dieu n'est pas le Dieu des morts.

Les sadducéens s'approchent de Jésus avec une question insidieuse : ils veulent mettre Jésus dans l'embarras. Nous aussi, nous devons nous approcher du Seigneur Jésus avec toutes nos questions, avec nos problèmes, avec tout ce qui nous trouble. Ce sont des questions que nous posons au Seigneur Jésus. Il est le seul qui peut y répondre. On a le droit de lui présenter tous nos soucis : c'est déjà une manière de le rencontrer.

Le sens de la prière est que nous nous tenions devant le Père, le Fils et l'Esprit Saint, et que, par eux, nous cherchions à devenir ce pour quoi Dieu nous a créés, c'est-à-dire pour nous introduire dans le dialogue éternel entre le Père, le Fils et l'Esprit Saint.

Nos crucifix, il y en a partout. Mais il faut bien se dire que ce symbole de notre foi ne représente qu'un aspect de la vérité à laquelle nous croyons. Le crucifix représente la mort de Jésus au moment où elle a eu lieu. Seulement le Crucifié est aujourd'hui ressuscité. Sa mort appartient au passé. La mort du Christ en croix n'est qu'un moment limité de sa vie. Celui qui est mort sur la croix n'est pas un homme ordinaire, c'est Dieu devenu homme, le roi du monde, avec sa dimension d'éternité.

Comment comprendre la résurrection, et d'abord celle du Seigneur Jésus ? La résurrection du Christ est un miracle en ce sens qu'elle est la première apparition de quelque chose de nouveau : c'est un phénomène inhabituel, du jamais vu, qui étonne et stupéfie.

Il y a trois seuils stupéfiants qui ont été franchis au cours des âges. Première chose stupéfiante : Comment se fait-il qu'un jour un organisme vivant est sorti d'une nature inanimée ? (Apparition de la vie). - Deuxième chose stupéfiante : c'est l'apparition d'un être raisonnable au-dessus du règne de ce qui n'est pas doué de raison. (Apparition de l'homme). - Et enfin l'apparition d'un homme entièrement spirituel, le Christ ressuscité, le premier des humains à n'être plus soumis à la mort. (Apparition du Ressuscité). - Pour le croyant, pour la raison croyante, il y a là comme une chaîne d'événements majeurs, de seuils majeurs, dans l'évolution vers plus d'humanité, vers plus de raison, vers Dieu.

On peut avoir l'intuition de la justesse de la foi chrétienne et en même temps être navré de l'étroitesse des images qui l'ont traduite et la traduisent dans notre société, chez les hommes d'aujourd'hui. On peut être navré de tout ce qu'il y a de négatif dans la tête des gens au sujet de la foi chrétienne parce qu'ils la connaissent mal, parce qu'ils la connaissent de travers, parce qu'elle a pour eux quelque chose de limité, d'infantile, de grotesque... Comme les sadducéens de notre évangile qui trouvaient absurde la possibilité d'une vie par-delà la mort.

Le corps spirituel du Christ n’est rien d'autre que le corps terrestre du Seigneur Jésus, tel qu'il a été mis au tombeau, mais vivifié par le feu et le souffle de l'Esprit. "La divinité n'a pas abandonné l'adorable corps du Christ lors de sa mort vivifiante (saint Grégoire Palamas).

L'homme laissé à lui-même avec toutes ses pensées, tous ses systèmes, toutes ses philosophies, n'aurait jamais pu concevoir l'idée d'une résurrection d'entre les morts. La Parole de Dieu est descendue verticalement jusque dans le vide de la mort sans espoir. Elle s'est emparée de la mort, l'a enserrée, lui a arraché son aiguillon. L'homme de la nouvelle Alliance a, dans le Christ, la mort du péché derrière lui, et la véritable vie vient vers lui comme son avenir. (Avec Michel Quesnel, Vladimir Soloviev, Luigi Giussiani, Olivier Clément, Grégoire Palamas, AvS, HUvB).
 

6 novembre 2016 - 32e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 20,27-38

Les sadducéens ne croient pas à la résurrection et ils veulent en montrer le ridicule. Ils cherchent à piéger Jésus avec un cas fumeux. Jésus ne se laisse pas piéger. Il part d'une conviction centrale : Dieu n'est pas le Dieu des morts mais des vivants. Ceux qui sont morts ne sont pas tombé dans le néant, ils sont vivants pour Dieu. Dieu est le Dieu des vivants. Il arrache l'homme à la mort pour le faire vivre par-delà la mort. Pour ceux qui doutent de la résurrection, Jésus veut élever leurs pensées et leurs cœurs jusqu'au Dieu vivant et à son mystère. Jésus n'explique pas la résurrection, il la proclame. Comprendre le comment de la résurrection est totalement impossible. Jésus annonce un monde où la mort n'existera plus. Chaque assemblée est une assemblée de futurs ressuscités.

Aucun des disciples de Jésus ne pensait revoir Jésus vivant après sa mort sur la croix. Pour les disciples, leur aventure avec Jésus, c'était terminé une fois pour toutes. Et quand il s'est manifesté à ses disciples le troisième jour après sa mort, il ne leur a pas expliqué comme la résurrection s'était passée, il leur a imposé sa présence vivante. Et il leur a imposé sa présence vivante sans rien faire d'extraordinaire. Marie-Madeleine le prend d'abord pour un simple jardinier, les disciples d'Emmaüs le prennent pour le plus ignare des habitants de Jérusalem, les apôtres pour une sorte de pêcheur à la retraite sur les bords du lac de Tibériade. Il a franchi la mort, il est remonté des enfers et, avec une pudeur inexplicable, il tient à se manifester comme un passant. Il était là au milieu d'eux. Et il s'en va de la même manière, sans tambours, ni trompettes. Jésus est le Vivant. Il vit dans un monde nouveau, tout autre que notre monde. Le mystère de la résurrection de Jésus, c'est tout entier un mystère de l'au-delà, entre le Père et le Fils. Et Dieu a offert à ses créatures la possibilité merveilleuse de demeurer sur terre en étant déjà citoyens du ciel, de vivre en dehors de Dieu et pourtant en lui.

La résurrection du Christ est l'objet de la foi. Saint Paul disait : "Si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide, vide aussi  notre foi" (1 Co 15,14). Avant sa conversion, saint Paul luttait de toutes ses forces contre les Juifs devenus chrétiens ; pour lui, c'était une aberration de croire en ce Jésus que les chefs juifs avaient eu mille fois raison de condamner à mort. Et l'invraisemblable était arrivé pour Paul : ce Jésus qu'il croyait mort et bien mort une fois pour toutes, s'est mis en travers de sa route sur le chemin de Damas, en chair et en os si on peut dire. Après cette révélation, a priori tout à fait impossible et impensable, il n'était  plus question pour Paul de refuser la résurrection de Jésus. Et il peut proclamer alors que si le Christ n'est pas ressuscité, le christianisme n'annonce plus le salut, la foi est vidée de son contenu, elle laisse l'homme dans sa misère. Parce que l'objet propre de la foi, c'est que Dieu a modifié radicalement la condition humaine par la résurrection du Seigneur Jésus.

La résurrection  est quelque chose de profondément mystérieux, tout comme la vie humaine et la naissance sont profondément mystérieuses. Ressusciter, c'est entrer dans la vie incorruptible, une vie où il n'y a plus de mort. La résurrection du Seigneur Jésus est la première résurrection. Le Christ est le premier en qui Dieu, le Père invisible, a opéré la résurrection. Adam est le premier des morts. Il n'est pas la cause de la mort des autres. Mais il est le premier en qui a été inauguré la race des morts. De même le Christ, avec son humanité, inaugure la race des hommes qui seront ressuscités par la puissance de l'Esprit. La résurrection, c'est le passage à une vie incorruptible, à une existence transfigurée.

Mais pour entendre la foi chrétienne et le mystère central de la résurrection, comme disait un grand professeur d'histoire de notre temps, il ne faut pas mettre de coton dans ses oreilles. Et le même homme notait un jour dans ses carnets personnels qui n'ont été publiés qu'après sa mort : "L'essentiel de notre position chrétienne, c'est la Révélation ; l'homme n'est pas seul, Dieu est venu vers lui. C'est révélé, ça ne vient pas de nous". Cet historien savait ce que c'était que vivre dans un monde universitaire sans Dieu et il écrivait encore : "Il est oiseux de discuter sur le problème de Dieu. Si tu as vu flamboyer le Buisson ardent, tu te déchausses, bouleversé". C'est ce qui est arrivé à saint Paul. Le même universitaire écrivait encore : "Le mal, c'est le refus de donner à Dieu" (le refus de se donner à Dieu). Le même encore, en vacances dans les Alpes avec sa famille (il a trente-huit ans), notait pour lui-même : "Dès que tu as un moment, que tu n'aies pas de plus grande joie que de te recueillir en présence de Dieu. Vivre en Dieu, pour Dieu, par Dieu".

L'esprit humain, les philosophes réfléchissent sur les raisons et les causes de notre monde concret. Mais ce monde concret n'a jamais été un monde purement naturel. C'est un monde créé par Dieu et en vue d'un but unique, qui est surnaturel : une vie en communion totale avec Dieu ou, si l'on veut, une vie dans la contemplation de Dieu. Et le monde tel que nous le connaissons, le monde qui s'est détaché de Dieu par le péché, n'est pas devenu un monde purement naturel, il reste toujours inséré dans le surnaturel, il reste toujours en marche vers la plénitude de Dieu. (Avec Fabrice Hadjadj, Jean Daniélou, Henri-Irénée Marrou, AvS, HUvB).

 

13 novembre 2011 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 25,14-30

En trois dimanches de suite : dimanche dernier, aujourd'hui et dimanche prochain, nous lisons tout le chapitre 25e de l'évangile de saint Matthieu. Après cela, au chapitre 26e, c'est le début du récit de la Passion de Jésus. Dimanche dernier, parabole des dix vierges, la conclusion était : "Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure". Dimanche prochain, ce sera une évocation du jugement dernier : Dieu va demander des comptes à tous les hommes. Et aujourd'hui, avec la parabole des talents, c'est la même chose : Dieu demande des comptes.

Dieu confie à trois hommes des talents. Il y en a deux qui font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont reçu. Ils sont félicités. Le troisième n'a rien fait sous prétexte qu'il était plus petit que les autres et parce qu'il se prenait pour un bon à rien. Ce dernier, Jésus ne le félicite pas, au contraire.

Comme nous le disent les saints et les saintes de Dieu : tout homme a une mission. Quelle mission ? Dieu ne dit pas tout, Dieu nous a fait intelligents. Et avec notre intelligence et la grâce de Dieu, nous avons tout ce qu'il faut pour savoir ce que Dieu nous demande. Et en même temps il faut constamment lui demander ce que nous avons à faire dans les petits choix de notre vie comme dans les grands choix. Même ce qui est le plus insignifiant dans notre vie quotidienne a un rapport avec le dessein de Dieu, avec ce que Dieu attend de nous.

Il y a des moments où on peut se sentir porté par la grâce, et d'autres moments où on se demande si Dieu est encore avec nous ; Mère Teresa de Calcutta a connu ces moments de solitude pendant des années et des années. Sur la croix, le Seigneur Jésus a vécu cette solitude. Il ne ressent plus la présence du Père ; il renonce pour lui-même à la grâce de la présence du Père pour nous faire plus pleinement le don de sa grâce et de son expérience et de sa certitude.

L’Église est née de la souffrance du Fils de Dieu, quand il s'est détaché de la grâce sensible du Père : "Pourquoi m'as-tu abandonné?... Entre tes mains je remets mon Esprit". Quand un chrétien confie sa souffrance à Dieu, Dieu l'accepte pour l’Église. Dieu peut transformer une souffrance offerte en grâce pour les autres. C'est l'art de Dieu d'utiliser les restes, même quand on n'a plus qu'un dixième de talent.

Tout homme a une mission, tout homme a un talent ou cinq talents. Quelle était la mission de Jésus ? Quels étaient les talents qu'il devait faire fructifier ? Lui, qui est Dieu fait homme, comment a-t-il fait pour vivre trente années sans révéler explicitement l'amour infini du Père qui brûlait en lui ? Lui qui avait une soif infinie d'annoncer à tous l'amour qui sauve. Comment a-t-il pu se taire pendant tant d'années et mener tout simplement sa vie d'homme au milieu des hommes de façon aussi discrète et cachée ? Pourquoi ce long silence de Jésus ? Il nous le dit parfois : son heure n'était pas encore venue. Même chose pour la longue histoire d'Israël, le peuple juif, préparé pour être le berceau du Très-Haut. Pourquoi le Messie est-il venu si tard ? Il est venu à l'heure de Dieu.

Tout homme a une mission, tout homme a au moins un talent. Que faut-il en faire ? Et où est mon talent ? En schématisant, on peut dire avec le philosophe qu'il y a trois états dans le monde chrétien : le mariage, la vie religieuse et la vie dissolue. En continuant avec le philosophe, qui n'y va pas par quatre chemins, on peut se risquer à dire que les époux ont besoin des moines, et que les moines ont besoin des prostituées... pas dans leur cellule évidemment, mais pour leur cœur. En regardant les moines, les époux se rappellent que leur union n'est pas tout et qu'elle n'est profonde que de s'ouvrir à ce qui la dépasse. En regardant les prostituées, les moines se rappellent que, sans la grâce, il seraient bien pires et que, parmi ces misérables, il en est qui aiment mieux qu'eux à leur insu, et qui couvent les repentirs les plus profonds. En vérité, dit Jésus aux pharisiens de tous les temps, les publicains et les prostituées vous devancent dans le royaume de Dieu. Autrement dit, il y a des talents bien cachés et qu'on ne découvrira que plus tard.

Tout homme a son talent ou ses talents. Mais il y a aussi en tout homme une complicité latente avec le mal, avec le péché. Et cela dès le premier instant de l'existence. Tous homme a ses talents ou son talent. Mais nous avons tous ce problème de trouver la volonté de Dieu : ce n'est pas donné d'avance. Un scientifique chrétien de notre temps nous pose la question : "Un homme, n'est-il pas d'abord une personne capable d'aimer, et donc d'éprouver de la compassion pour le prochain dans la douleur ?" Notre scientifique nous découvre ici au moins un talent.

Les saints et les saintes de Dieu nous suggèrent : consentir à être conduit par Dieu, au-delà de tout ce qu'on peut projeter soi-même, au-delà de tout ce qu'on peut désirer, et de tout ce qu'on peut savoir de ses propres forces. Sur un ordre de Jésus, Pierre marche sur les eaux et Lazare, encore enveloppé du linceul, se redresse et se met à marcher. (Avec S. Clément, Fabrice Hadjadj, Xavier Le Pichon, AvS, HuvB).

 

16 novembre 2014 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année A

Évangile selon saint Matthieu 25,14-30

Cet homme riche qui va partir pour un long voyage, c'est le Seigneur Jésus, bien sûr. Et à son retour, il va demander des comptes à ses serviteurs, c'est-à-dire à nous. A chacun de ses serviteurs, l'homme riche a confié ses talents : à chacun selon ses capacités. Le premier reçoit cinq talents d'argent, le deuxième deux talents d'argent, et le troisième un seul talent, mais un talent d'or.

L'homme qui a reçu le talent d'or a peur de ne pas savoir y faire, il a peur des voleurs, et peut-être surtout il est paresseux. Il creuse quand même un grand trou dans la terre et il cache le trésor de son maître. Les années passent, l'homme riche revient et il demande des comptes. Les deux premiers sont tout fiers et ils montrent leurs comptes à leur patron pour qu'il voie comment ils se sont bien débrouillés.

Arrive le dernier qui avait toute la confiance de son maître. Et il tient tout un petit discours à son maître : "Tu sais que je suis prudent, c'est pourquoi tu m'as confié la plus grande valeur. Mais je sais que tu es exigeant et que tu ne supportes pas de pertes pour ton argent. Alors moi, craignant de diminuer ton trésor, je l'ai pris et je l'ai caché. Je ne me suis fié à personne, même pas à moi-même. Maintenant je l'ai déterré et je te le rends. Voici ton talent d'or. La réponse de l'homme riche, on la connaît : qu'on expulse de ma propriété ce serviteur inutile et qu'il s'en aille pleurer et se ronger le cœur où il veut. Conclusion de Jésus : les surprises de Dieu sont infinies. Vous verrez des païens, des non-croyants et des peu-croyants arriver à la vie éternelle. Et vous verrez des Israélites, durs et purs, perdre le ciel et la vie éternelle.

Le Fils de Dieu, le Seigneur Jésus, avait entre les mains un trésor : sa divinité. De lui-même, il change sa condition divine pour prendre la condition d'esclave. Il le fait de lui-même, il choisit lui-même ce chemin. Lui, qui est Dieu, il a la certitude que son amour pour le Père est assez grand pour supporter même cela. Il échange sa liberté divine contre la condition de l'homme. Il échange sa vie dans la béatitude contre la mort sur la croix.

Et le Père répond à cet abaissement en l'acceptant, il le prend tout à fait au sérieux. Le Fils avait entre les mains le trésor de sa divinité, le talent de sa divinité. Volontairement, il l'a sacrifié. Et le Père lui a rendu ce talent en le ressuscitant d'entre les morts et en le faisant s'asseoir à sa droite. Mais le talent a porté un fruit infini : le Fils entraîne avec lui auprès du Père tous les hommes qu'il a rachetés par sa souffrance et par sa mort.

En tout chrétien, il y a un mystique. On ne peut pas réduire la foi chrétienne à l'action et aux œuvres. Si le chrétien ne donne pas une place importante à la prière et à l'approfondissement de sa foi, la dimension mystique de sa personne ne peut pas se développer. Son talent ne peut pas se développer. Il va mourir de soif. Tout chrétien a besoin de contact avec le surnaturel.

C'est quoi le surnaturel ? On posait un jour la question au Père Radcliffe, un Anglais, qui a été pendant quelques années Maître général des dominicains : "Comment priez-vous ? Comment dialoguez-vous avec Dieu ?" (Bonne question !) Et le P. Radcliffe avait répondu : "Dans la tradition dominicaine, la prière est souvent conçue comme un acte d'amitié. Comme il n'y a pas de technique de l'amitié, nous n'avons pas vraiment de technique de prière. Je dois avouer que je ne suis pas très fort pour la prière. Je suis très facilement distrait. Souvent je vais à la chapelle, juste pour m’asseoir et rester avec Dieu, en silence.

Mais, souvent, j'ai la tête et le cœur trop pris pour cela. Je suis préoccupé par mes problèmes, mes dossiers, trop soucieux de moi-même... Si on prend le temps nécessaire, vient le moment du silence où nous sommes avec Dieu. Prier, ce n'est pas penser à Dieu... Lorsque nous sommes avec nos amis, nous ne pensons pas à eux, nous sommes avec eux. Prier, c'est être avec Dieu... Quelquefois, je prends un verset de l’Écriture. Je le lis, je le médite, je le laisse cheminer en moi. Je le répète... En ce moment, c'est cette ligne du psaume 143 : Fais-moi connaître ton amour au matin". Voilà comment le P. Radcliffe faisait fructifier son talent. Madeleine Delbrel, elle, disait : "Les distractions deviennent prière quand on pense à elles avec Dieu". (C'est une bonne recette !)

En lisant un auteur juif contemporain, très croyant, je trouve ceci : "L'homme moderne n'a jamais été plus fermé à la prière... Le corps se promène sur la lune, l'âme rampe sur le sol. Jadis, c'était l'inverse". Et le même auteur contemporain sort quelques trésors de la sagesse juive de tous les temps : "Dieu, parfois, paraît si loin de l'homme. Pourquoi ? C'est le rôle du père d'apprendre à marcher à son fils. Pour cela, il avance ou recule de quelques pas, quitte à ce que l'enfant trébuche et tombe".

Et puis encore : "Imaginez deux enfants qui jouent à cache-cache ; l'un se cache, mais l'autre ne le cherche pas. Dieu se cache et l'homme ne cherche pas : imaginez sa peine". Et puis encore : "L'enfant qui dort, la mère qui le caresse, le vieillard qui écoute les bruits des arbres : de chacun Dieu est proche, en chacun Dieu est présent".

Terminer avec la même sagesse juive qui dit aussi : "Souvenez-vous que le bon orateur s'arrête avant la fin, avant d'avoir tout dit". (Avec Raymond Halter, Timothy Radcliffe, Madeleine Delbrel, Élie Wiesel, AvS).

 

15 novembre 2009 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 13, 24-32

Voilà un évangile qui est bien mystérieux pour nous. Dans le texte intégral de l'évangile, juste avant ce passage que je viens de lire, il est question de la grande tribulation de Jérusalem, des épreuves, au fond, qui vont secouer l’Église, qui secouent l’Église. Et notre évangile d'aujourd'hui nous dit maintenant que ces épreuves ne vont pas durer éternellement. Le Fils de l'homme viendra y mettre un terme. Quand ? Cela, on ne le sait pas. Quand le Fils de l'homme reviendra-t-il ? Jésus ne répond pas à la question. Et même Jésus affirme que lui-même ignore la réponse. "Quant au jour et à l'heure, personne ne les connaît. Pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père".

Et notre évangile d'aujourd'hui s'arrête là. Mais aussitôt après, Jésus tire la conclusion de ce qu'il vient de dire : Personne ne sait quand le Fils de l'homme viendra pour mettre fin à la grande épreuve, alors soyez sur vos gardes. Le Fils de l’homme peut arriver à toute heure du jour et de la nuit. Donc, soyez toujours prêts à l'accueillir quand il viendra. On ne doit pas voir une menace dans ces paroles de Jésus. Tout l'évangile nous invite plutôt à une confiance aimante vis-à-vis de la volonté du Père. Des crises et des détresses, il y en aura toujours : crises et détresses du monde, crises et détresses de nos vies. Elles aussi arrivent parfois sans crier gare. Nous sommes des voyageurs, des pèlerins.

Avec cet évangile, nous terminons la lecture de saint Marc que nous avons commencée il y a un an à peu près. Saint Marc tourne nos regards vers l'achèvement de l'histoire avec le retour en gloire du Christ qui rassemblera toute l'humanité définitivement sauvée du mal... l'achèvement de l'histoire et l'achèvement aussi de notre propre vie. Quel que soit le travail que nous faisons, nous pouvons le faire pour Dieu. Quelles que soient nos occupations - pas seulement le travail - nous pouvons les faire pour Dieu. Et nous pouvons être sûrs que Dieu reçoit ce que nous faisons quand nous le dirigeons vers lui. Tout travail dirigé vers Dieu a un sens d'éternité, toute occupation dirigée vers Dieu a un sens d'éternité.

Dans la vie de Jésus avec ses disciples, à un moment un peu critique, beaucoup de disciples de Jésus se retirèrent, ils cessèrent de le suivre. Alors Jésus avait posé la question aux douze, les douze apôtres, ses disciples les plus proches : "Voulez-vous partir vous aussi ?" Et saint Pierre avait répondu : "A qui irions-nous ?" Pour saint Pierre, sa patrie, c'est Jésus. Pour saint Pierre, Jésus est l'unique qui peut conduire à Dieu. "Tu as les paroles de la vie éternelle". Dans les paroles de Jésus, Pierre pressent la vie éternelle. Il ne comprend pas tout, saint Pierre, mais il y a une chose qu'il sait, c'est que ce que dit Jésus lui fait pressentir la vie éternelle.

Notre destinée, la destinée de tous les hommes, c'est de se frayer un chemin vers notre destination, et notre destination, c'est la vie avec Dieu, notre bonheur. Un académicien de notre temps, dont je vous ai déjà parlé - un académicien qui se définit lui-même comme libertin et chrétien - malgré sa vie peu morale, a gardé une très haute idée de la foi chrétienne. Et il jette un regard sur le monde, sur la société d'aujourd'hui, ei voici ce qu'il dit : "La culture mondialiste axée sur l'argent, le sexe et la surconsommation... comment ce magma culturel uniquement tourné vers la consommation peut-il satisfaire l'attente spirituelle des peuples ?" Lui, l'académicien libertin, est plongé lui-même jusqu'au cou dans ce monde mais, en même temps, il sait toujours qu'il y a autre chose.

Un autre académicien, très chrétien sans doute, lui, Mgr Dagens, jette aussi un regard sur notre monde d'aujourd'hui et notre société et, dans son analyse, il rejoint un peu le libertin, son collègue de l'Académie. Mgr Dagens qui dit ceci : "Il y a probablement plus de gens qui cherchent Dieu et qui le prient secrètement que ne le disent les sondages et les statistiques"... Autrement dit, ils peuvent être libertins et ne pas fréquenter les églises, mais il y en a qui cherchent Dieu et le prient dans le secret.

Quand Dieu s'est révélé, il s'est fait connaître comme Dieu pour le bonheur des hommes. Nous sommes en route. Je dois comprendre que chacune de mes décisions a une structure pascale, c'est-à-dire qu'elle comporte un passage par la mort pour aller vers la vie. C'est vrai pour tout le monde et c'est vrai aussi pour les enfants. Pour eux, ce sera la décision de partager leur chocolat de quatre heures avec un camarade qui n'en a pas. Notre vie est un tissu de décisions. Toute décision devrait être un passage qui nous fait quitter l'esclavage de l'égoïsme pour nous faire passer à l'amour.

Le monde entier, avec toute sa solidité (apparente), et toutes ses sécurités, vogue comme un bateau sur une mer sans fond, sur la profondeur insondable, sur l'amour inexplorable du Père. (Avec Fiches dominicales, Timothy Radcliffe, Jean-Marie Rouart, Antoine Vergote, François Varillon, AvS, HUvB).

 

18 novembre 2012 - 33e dimanche du temps ordinaire – Année B

Évangile selon saint Marc 13, 24-32

L'heure de la Passion approche. Cette Passion n'aura rien de glorieux. Pour tous les amis de Jésus, ce sera le désastre complet et irrémédiable. Et voilà qu'avant ces jours sombres Jésus annonce à ses disciples qu'il reviendra un jour avec grande puissance et grande gloire. Il rassemblera alors les élus des quatre coins du monde. L'évangéliste ne nous dit pas la réaction des disciples à ces paroles de Jésus. Mais il y en a une qu'on peut peut-être deviner : "C'est pour quand ta venue glorieuse ?" Et Jésus répond sans même qu'on ait eu besoin de lui poser la question : "Quant au jour et à l'heure, personne ne les connaît". Même pas les anges dans le ciel, même pas Jésus, mais seulement le Père.

La Passion, ce sera le désastre complet. Jésus promet ici que ce ne sera pas la fin de tout. Mais pour Jésus aussi, la Passion, ce sera l'heure des ténèbres. Et il ne peut pas épargner à ses disciples de passer eux aussi un jour à travers des heures de ténèbres. Dieu éprouve constamment tous ceux qui participent à son œuvre. Dieu ne demande pas à ceux qu'il appelle qu'ils connaissent tous les plans divins. Il leur demande d'être prêts à laisser Dieu disposer d'eux, il leur demande d'être prêts à reconnaître qu'il sait ce qu'il veut accomplir. Le jour et l'heure, personne ne les connaît, si ce n'est le Père. C'est valable pour tous les disciples de Jésus.

Les psaumes de l'Ancien Testament annonçaient un Messie glorieux. "Pourquoi ces nations en tumulte, ce vain grondement des peuples ? Les rois de la terre se lèvent. Les princes conspirent contre Dieu et contre son Messie... Mais celui qui siège dans les cieux s'en amuse. Le Seigneur les tourne en dérision. Puis dans sa colère il leur parle, dans sa fureur il les frappe d'épouvante. Il m'a dit (c'est le Messie qui parle) : Tu es mon fils, moi aujourd'hui je t'ai engendré. Je te donne les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre. Tu les briseras avec un sceptre de fer, tu les fracasseras comme des vases de potier". Voilà le Messie glorieux annoncé par les psaumes. Le Père a tout donné au Fils. Le Fils peut faire ce qu'il veut des nations : il peut les briser avec un sceptre de fer. Mais en fait, c'est lui qui se laissera briser ; dans sa Passion et dans sa mort, son origine divine sera bien cachée, il accomplira le service d'esclave dans la souffrance.

Alors aujourd'hui Jésus promet aux siens qu'il viendra bien un jour dans la gloire, mais à l'heure du Père, que personne ne connaît. Nous ne devons pas essayer d'imposer à Dieu notre volonté. Nous sommes invités à faire sa volonté avec joie et patience.

Saint Paul, au temps où il n'était pas encore chrétien, avait vu les chrétiens vénérer comme Dieu l'homme pendu à la croix. Pour le juif zélé qu’il était, Jésus ne pouvait pas être le Messie, il n’était pas ressuscité comme le prétendait ses partisans, il fallait tout faire pour exterminer ces partisans de Jésus. Mais une fois que saint Paul a été converti, avec toutes les connaissances bibliques qu'il avait, il a compris que la crucifixion de Jésus était le produit de l'humanité pécheresse. Dans la foi, saint Paul a compris également qu'à travers cette horreur Dieu a en fait opéré le dépassement du péché et la sanctification de l'humanité. Saint Paul avait cherché à comprendre la volonté de Dieu concernant le fait scandaleux de la crucifixion de Jésus. Et il a compris que cette crucifixion avait un rapport étroit avec le péché de l'humanité. Pour les évangélistes, la mort de Jésus elle-même (avec aussi sa résurrection) est l'événement choisi par le Père pour révéler en plénitude qui est le Fils.

On peut dire que le Seigneur Jésus est le prisme de Dieu. Le prisme décompose la lumière du soleil, la lumière blanche, en un certain nombre de couleurs. On ne peut pas regarder le soleil en face. Il faut que sa lumière éblouissante soit décomposée par le prisme. De même le Seigneur Jésus est celui qui décompose ce qu'est Dieu dans son éblouissement invisible. Et le Seigneur Jésus le fait par ses actes humains, par ses paroles humaines, par ses gestes, par ses réflexions humaines, et finalement par sa mort atroce. "Qui me voit, voit le Père" (Jn 14,9). (Avec Alexandre Men, Antoine Vergote, Évode Beauchamp, François Varillon, AvS).

 

15 novembre 2015 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année B

Évangile selon saint Marc 13,24-32

Il y a dans notre monde une tentative toujours renaissante de calculer, d'essayer de deviner le jour de la fin des temps. L'essentiel de notre évangile d'aujourd'hui, c'est cette parole du Seigneur Jésus qui nous assure que personne n'en sait rien. "Veillez donc, car vous ne savez pas à quelle heure viendra votre Seigneur. Veillez et priez. Que votre cœur ne soit pas fermé aux choses du ciel par le soin excessif des choses de la terre. Rappelez-vous que vous devez tous mourir. Tous les hommes, dès leur naissance, sont voués à la mort. Ne dites pas : Plus tard je me repentirai". Quel que soit le travail que fournit l'homme, il peut le faire pour Dieu. Tout travail peut avoir un sens d'éternité. On peut donc être avec Dieu partout où l'on va.

"Chaque siècle est semblable aux autres, mais à ceux qui le vivent, il paraît pire que toutes les époques qui l'ont précédé". C'est la cardinal Newman qui disait cela au XIXe siècle déjà. Et il ajoutait : "La cause du Christ est toujours agonisante, comme si ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'elle échoue définitivement un jour ou l'autre".

L'évangile d'aujourd'hui nous invite à ne pas spéculer sur le jour de la fin du monde, ni sur le jour de notre propre fin. Dans la tradition juive, on trouve cette prescription : "Tu n'es pas obligé d'achever la tâche - tu n'auras peut-être pas le temps d'aller jusqu'au bout -, mais tu n'as pas le droit de l'abandonner". Dieu n'a pas parlé aux hommes pour leur révéler le jour et l'heure de la fin, mais pour leur ouvrir son être propre. Le contenu essentiel du message révélé, ce qui est offert aux humains, c'est une participation à la vie de Dieu. Et du fait que le message nous est parvenu, nous avons déjà part à la vie de Dieu. Si Dieu a vraiment parlé, il est bon de croire. Et en croyant, non seulement on reçoit une connaissance du divin, mais on a part à sa vie même.

"Puisque l'être humain est quelqu'un et pas seulement quelque chose, l'explication dernière de ce qui lui arrive doit se trouver auprès de quelqu'un et pas seulement de quelque chose", ça ne peut pas être simplement le fruit du hasard ou de la nature. Tout ce qui est vraiment humain porte l'empreinte de Dieu, la trace de Dieu. Saint Irénée de Lyon, aux IIe-IIIe siècles, disait : "Le centre de l'art de Dieu, c’est l'homme pour lequel a été créé l'univers entier". Et le concile Vatican II complétait en disant : "La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu".

Tout à l'heure Newman évoquait toutes les époques qui se plaignaient du malheur des temps et les gens qui voyaient la cause du Christ toujours agonisante. Pour le pape Benoît XVI, ce ne sont pas les persécutions extérieures qui sont les plus terribles pour l’Église, mais bien celles qui viennent de l'intérieur, de son propre péché, de l'infidélité de ses membres. Pour l’Église, c'est le temps de L'humiliation.

C'est le temps aussi où Soljenitsyne, le croyant russe, prie comme ceci : "Lorsque mon esprit défaille, lorsque les plus intelligents ne voient rien au-delà du soir et ne savent plus ce qu'ils devront faire le lendemain, alors, Seigneur, tu m'envoies ta lumineuse certitude : Tu existes et Toi-même prendras soin que tous les chemins du bien ne soient pas barrés". (Avec Newman, Joseph Pieper, Étienne Gilson, saint Irénée, Benoît XVI, Alexandre Soljenitsyne, AvS).

 

14 novembre 2010 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année C

Evangile selon saint Luc 21,5-19

Cet évangile fait partie de ces paroles de Jésus qui sont difficiles à entendre. Pour certains spécialistes des Écritures, cet évangile traiterait de la ruine de Jérusalem. Tout commence d'ailleurs par des réflexions des disciples sur la beauté du temple : "Maître, regarde ces pierres et ces constructions !" Et pour toute réponse, Jésus leur dit que tout cela sera un jour détruit. Les disciples sont curieux : ils voudraient bien savoir quand. Et saint Marc nous précise qu'il y avait là quatre disciples avec Jésus : Pierre, Jacques, Jean et André, et que Jésus était assis au mont des oliviers, en face du temple. "Quel sera le signe que la destruction du temple et de Jérusalem sera sur le point d'arriver ?" C'est alors que Jésus parle de guerres, de famines, de tremblements de terre, de persécutions. Et malgré tout cela, Jésus invite les siens à la confiance : "Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C'est par votre persévérance que vous obtiendrez le vie".

Les historiens nous disent ce qui est arrivé à Jérusalem de l'an 66 à l'an 70. En l'an 66, le procurateur romain Florus fait crucifier des juifs à Jérusalem. Aussitôt c'est le soulèvement. Les Romains sont chassés de Jérusalem. Les Romains reviennent en force, toujours en l'an 66, mais ils doivent se retirer, avec de lourdes pertes comme on dit. En l'an 67, ils reviennent avec soixante mille hommes. Mais ce n'est qu'en l'an 70 qu'ils se rendent maîtres de Jérusalem. Ils incendient alors le temple, et les habitants sont tués, vendus ou condamnés aux travaux forcés. Et les chrétiens dans tout ça ? Ils suivent le sort des juifs. S'ils ne se sont pas fait tuer, ils s'enfuient de Jérusalem, puis ils y reviennent en partie du moins. Et depuis deux milles ans, il y a eu des chrétiens qui ont été persécutés par tous les régimes en place dans tous les pays du monde.

"Pas un cheveu de votre tête ne se perdra", dit Jésus. C'est une manière de parler, c'est une manière de dire que Dieu sait, que Dieu accompagne les chrétiens persécutés, que la Passion du Christ continue pour son Corps qui est l’Église. La foi, c'est savoir que le réel est habité par la présence de Dieu, c'est savoir que le quotidien est habité par la présence de Dieu : les jours heureux et les jours sans. Il y a des gens dont le malheur est si grand qu'ils regrettent d'exister. Envers et contre tout, la mission du chrétien, c'est de remplir l'univers de joie et d'espérance grâce au don de l'Esprit Saint qu'il a reçu. Il y a des gens dont le malheur est si grand qu'ils regrettent d'exister. Mais il y a aussi des chrétiens dont le malheur est très grand et qui y trouvent une occasion de plus de se blottir dans les bras de Dieu. Ces chrétiens savent ce que c'est que la croix glorieuse. C'est la croix illuminée par la résurrection du Christ.

Le christianisme ne promet pas à l'homme une libération de la souffrance. Jésus dit quelque part : "Dans le monde, vous aurez à souffrir". Mais lui-même, Jésus, durant sa vie publique, a toujours soulagé les gens qui souffraient. En faisant cela et en nous recommandant de le faire, il ne dit jamais qu'il est venu libérer le monde de la souffrance, ni la supprimer. Le Christ sait ce qui l'attend, il monte à Jérusalem, il va vers la souffrance, il l'accepte librement. Pourquoi en est-il ainsi ? Jésus assume. Et il rend féconde la faute suprême qu'est le meurtre du Fils de Dieu.

Il y a un millier d'années, à Bagdad, on demandait à un musulman, le rabbi "a" comment acquérir la vertu de patience. Et rabbi "a" avait répondu : "Arrêtez de vous plaindre". La raison d'être du christianisme est avant tout de montrer que la vie a un sens. Notre vie est orientée vers un sens ultime. Et en dépit de toute l'absurdité et de toute la souffrance que nous pouvons connaître, le sens a le dernier mot. Et quel est ce sens ? "Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu".

Les chrétiens ne peuvent jamais s'établir définitivement dans la joie parfaite de Pâques comme s'ils ne devaient pas se trouver toujours aussi en route vers la croix. Certes les chrétiens sont des pécheurs qui se réjouissent d'être bientôt rachetés de leurs péchés, mais ce sont aussi des gens qui aiment et qui ont devant les yeux le prix qu’a payé pour cette rédemption celui qu'ils aiment. (Avec Marie-Christine Bernard, Mgr Léonard, Alexandre Schmemann, Joseph-Marie Verlinde, Timothy Radcliffe, AvS, HuvB).

 

17 novembre 2013 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 21,5-19

Nous approchons de la fin de l'année liturgique. Jésus nous parle de la destruction du temple de Jérusalem. Il était si beau le temple ! On avait mis quarante-six ans pour le construire. C'était grandiose. Et voilà que Jésus annonce que tout cela va être détruit. Et puis à l'horizon, il y a aussi la fin des temps : des tremblements de terre, des tsunamis, des bombes atomiques, des attentats et tout le reste.

Depuis toujours et encore de nos jours, il y a des gens qui se croient bien informés et qui annoncent la fin du monde pour un jour précis qu'ils prétendent connaître, et tout cela pour effrayer les gens. Que nous dit Jésus ? Le royaume de Dieu, il est en vous. Le royaume de Dieu est partout où des hommes croient en moi. "Mettez-vous dans la tête que vous n'avez pas à vous soucier pour votre défense... Je vous donnerai une sagesse à laquelle personne ne pourra résister... Pas un cheveu de notre tête ne sera perdu". Dieu est le maître du monde. Le Seigneur Jésus nous invite à lui faire confiance et à témoigner de notre foi.

Il y a des tremblements de terre dans le monde, mais il y en a aussi dans chacune de nos vies, un jour ou l'autre. Chacun a toujours la possibilité de faire exactement le pas que Dieu attend de lui, qu'il y ait tremblement de terre ou non. Et quand on fait ce pas, il ne faut plus s'en occuper, il faut le confier à Dieu. Saint Paul dit quelque part que tout a été créé par le Fils (de Dieu) et pour lui. Et alors - c'est inclus dans ce qu'il vient de dire - nous n'avons plus besoin de nous faire de souci, de nous plaindre du non-sens de l'existence, de perdre courage : de chaque circonstance, de chaque chose, de chaque relation, nous pouvons supposer qu'elle a été créée pour lui, le Fils (de Dieu). Tout possède en lui son sens dernier. Rien n'existe qui aurait son sens en dehors de lui.

Dans l'évangile d'aujourd'hui, il est question de rendre témoignage, de partager sa foi. Mais peut-on communiquer sa foi ? Jésus nous avertit aussi : "Vous serez haïs à cause de mon nom". Jésus nous invite à ne pas nous tromper sur notre condition de disciples. On ne vend pas le royaume de Dieu comme on vend des petits pains ! Le but n'est pas le même. Il ne s'agit pas de déclencher chez les gens une impulsion d'achat... Il s'agit de se faire serviteur de l’Évangile. Il faut que les cœurs se mettent à aimer, à croire, à reconnaître ce qu'ils ne connaissent pas. La communication, c'est Dieu lui-même qui l'opère. Il l'opère dans le messager de la Bonne Nouvelle comme en celui qui la reçoit, pour faire apparaître la vérité. Quelle vérité ? La vérité de la vie des hommes, avec leurs faiblesses et aussi leurs grandeurs cachées, et la vérité de l'amour de Dieu pour eux tous.

Dieu ne nous demande pas de tout comprendre tout de suite. Marie au temple quand Jésus a douze ans. Jésus a été introuvable pendant trois jours. Et quand on retrouve Jésus, que dit-il à ses parents ? Pourquoi me cherchiez-vous ?... Et sur le coup, Marie et Joseph n'ont pas compris. Même pour les croyants, même pour ceux qui sont tout à fait ouverts à Dieu, les paroles de Dieu, les événements, ne sont pas toujours compréhensibles tout de suite. Si on veut absolument tout comprendre tout de suite, on barre la route à Dieu.

Il y a dans la foi chrétienne un combat et une joie. C'est la même chose pour la prière. C'est saint Nicolas de Flüe (le patron de la Suisse) qui disait : "Dieu sait faire que la prière ait tellement de goût qu'on y aille comme à la danse, mais Dieu sait faire aussi que la prière ait si peu de goût qu'on y aille comme au combat".

La route d'Emmaüs est éternelle. Les deux disciples quittaient Jérusalem : ils n'avaient plus rien à y faire, Jésus était mort et il n'y avait plus d'avenir pour eux avec lui. Et ils marchaient sur la route avec leurs sombres pensées : Pourquoi devait-il souffrir et mourir ? Pourquoi le royaume ne se manifeste-t-il pas ? Et le Seigneur Jésus leur répond : Pourquoi votre espérance enfantine s'est-elle brisée comme un jouet fragile ? Et chaque jour elle se brise à nouveau parce que vous ne pouvez pas vous empêcher d'en recoller les morceaux tant bien que mal. C'est moi-même qui ruine votre espérance en un royaume imminent, et les trônes à droite et à gauche, et une Eglise triomphante régnant sur tous les peuples, du Levant au Couchant. C'est moi-même qui ruine votre espérance enfantine pour un royaume imminent. Mon royaume n'est pas de ce monde. Vos cheveux sont tous comptés. C'est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie. (Avec Cardinal Lustiger, Cardinal Ratzinger, saint Nicolas de Flüe, AvS, HuvB).
 

13 novembre 2016 - 33e dimanche du temps ordinaire - Année C

Évangile selon saint Luc 21,5-19

Jésus avertit ses disciples que les temps à venir seront durs pour les croyants. "Vous serez détestés de tous à cause de mon nom". Les disciples sont prévenus : ils seront persécutés comme leur Maître l'a été. Le monde présent reste un lieu d'affrontements, de destructions et de catastrophes. Les chrétiens seront en butte à la contradiction ou à la haine. Jésus ne promet pas la facilité. Mais il promet d'être là dans les épreuves. Il mettra sur les lèvres de ses témoins sa sagesse et sa parole. Qu'ils se montrent persévérants et mènent à bien leur mission. La protection de Dieu ne supprime pas les souffrances qu'il faut traverser. Persévérer, c'est tenir bon dans la foi. Il y aura toujours des gens qui se laisseront séduire par les faux paradis, par des paradis illusoires et provisoires.

Dieu accepte les chrétiens tels qu'ils sont, il se contente de ce qu'ils apportent et, malgré tout, il fait d'eux des outils valables. Ceux qui s'opposent à Dieu, nous sommes invités à voir en eux des hommes qui sont empêchés d'aimer Dieu. C'est pourquoi il nous est demandé de les aimer aussi. En soi, ceux qui s'opposent à Dieu auraient droit aussi à l'aimer, mais ils sont privés d'exercer ce droit à cause  du péché. Notre frère, qu'il soit pécheur ou saint, est notre frère du fait qu'il a le droit de tendre vers Dieu. Le Seigneur Jésus exige du chrétien qu'il prie pour le pécheur, comme il l'a fait lui-même sur la croix. Dans sa prière sur la croix, le Seigneur Jésus inclut toute prière future qui se fera à la vue du péché du frère.

On n'entre pas chez Dieu les mains dans les poches, en sifflotant, comme si on avait tous les droits. Tous les humains sont en marche vers Dieu, même s'ils ne le savent pas aujourd'hui, même s'ils ne veulent pas le savoir ou s'ils font comme s'ils ignoraient qu'ils sont en marche vers Dieu. Au-delà de la mort, le but du purgatoire est d'ouvrir l'intelligence et de montrer le péché en l'expiant. Et le péché, ce n'est pas seulement le fait d'avoir péché, c'est aussi le fait de minimiser le péché et de ne pas s'être préparé à en faire pénitence. Ce qui nous est demandé dans le purgatoire, ce sera de nous montrer disponibles à nous laisser montrer notre propre péché par le Seigneur Jésus, et de devenir ainsi capables de comprendre le mystère de la croix.

La souffrance de Dieu, le Père, est un grand mystère. Et pourtant il est important d'éliminer de notre esprit l'idée selon laquelle le Père, à cause de la perfection de sa nature, surplomberait la souffrance des hommes sans en être lui-même affecté et meurtri. Beaucoup d'hommes éprouvent à l'égard de Dieu une espèce de rage en imaginant qu'il est revêtu d'une cuirasse qu'aucune douleur ne traverse. C'est comme si une femme disait : "Je sais bien que mes enfants sont malheureux, mais moi,  je suis tellement heureuse dans les bras de mon mari que leur souffrance ne m'atteint pas". Le bonheur de cette femme serait un bonheur monstrueux. Et si tel était le bonheur de Dieu, ne serait-ce pas pour lui un malheur, le malheur absolu, le malheur d'être Dieu ?

Quand Jésus est avec les foules, il n'est pas dans sa maison, car les foules se trouvent hors de cette maison. Et l’œuvre de l'amour du Seigneur Jésus pour les hommes, c'est qu'il abandonne sa maison, la maison du Père, pour se rendre auprès de ceux qui ne peuvent pas venir à lui. Ce qui est curieux aussi dans le comportement de Jésus, c'est que la première à savoir qu'il est ressuscité, c'est la pécheresse, pas une petite pécheresse, mais une grande pécheresse : le Seigneur Jésus avait dû chasser d'elle sept démons ; autrement dit, elle était bien chargée. Est-ce bien raisonnable de charger cette femme de raconter à une troupe de lourdauds que Jésus est ressuscité ? Celle qui était pervertie doit se changer en apôtre. Jésus lui dit : "Va dire à mes frères que je suis ressuscité".  Un homme fort - le Christ - capable de porter dix hommes sur ses épaules, rencontre un petit enfant et il lui dit : "Aide-moi", car il a choisi de ne pas porter tout seul. Notre prière pourrait être tous les jours : "Seigneur, rends-moi digne d'être porteur de ta vérité".

Le temps de l’Église, notre temps, entre la croix et la seconde venue du Seigneur Jésus, sa venue en gloire, est le temps de l'ouverture. Dans le Christ, Dieu a agi une fois pour toutes, c'est-à-dire pour tous les temps et tous les lieux, avant lui et après lui, non comme sauveur d'un petit groupe ou d'un peuple particulier, mais pour tous les hommes. Dans le temps de l’Église, le nôtre, le Créateur du monde met à exécution son dessein originel qui est de ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ, comme l'unique Dieu sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité par l'unique Médiateur, le Seigneur Jésus, qui s'est livré en rançon pour tous. (Avec François Varillon, Jacques Maritain, Origène, Fabrice Hadjadj, Henri-Irénée Marrou, AvS, HuvB).

 

20 novembre 2011- 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année A

Évangile selon saint Matthieu 25,31-46

En cette fête du Christ, roi de l'univers, l'évangile nous présente le Seigneur Jésus comme juge de toutes les nations, donc aussi de toutes les nations qui n'ont pas connu Jésus ici-bas pour quelque raison que ce soit. Parmi les païens qui n'ont pas connu ou reconnu la révélation biblique de Dieu, certains vont hériter du royaume des cieux, d’autres non. La différence entre les uns et les autres ne sera pas fondée sur leur attitude à l'égard de Dieu, mais sur leur attitude à l'égard du prochain.

L'au-delà est toujours pour nous infiniment mystérieux. Dans la première Lettre de saint Pierre, on trouve cette affirmation étonnante et unique dans tout le Nouveau Testament qu'après sa résurrection Jésus est allé prêcher même aux esprits en prison (1 P 3,19). Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire sans doute que le Père donne au Seigneur Jésus l'occasion de rencontrer ceux qui n'ont pas eu l'occasion de le rencontrer sur terre. Le Père les donne à son Fils. Et le Fils donne à ces personnes ce qu'il avait donné aux hommes sur terre : la grâce d'être emmené vers le Père. Tout croyant, quelle que soit sa mission, est en compagnie du Fils sur le chemin du retour vers le Père. Et celui qui n'est pas encore croyant aujourd'hui est aussi sur le chemin du retour vers le Père. Mais il ne le sait pas.

Le roi de l'univers va juger tous les hommes sur l'amour. C'est quoi l'amour ? Une définition parmi d'autres, qui nous vient d'un philosophe non croyant de notre temps : "L'amour gratuit, dit-il, c'est savoir se diminuer un peu pour laisser être les autres".

C'est quoi l'amour ? C'est aussi quand un homme et une femme décident de marcher ensemble dans la vie. Et là, le même philosophe non croyant se pose des questions. Il est marié, il a connu sans doute le grand amour. Et voilà la question qu'il se pose : "La logique de l'amour fait que la question du deuil de l'être aimé devient la question fondamentale, la pierre d'achoppement de nos sociétés laïques". Nos sociétés laïques, c'est-à-dire, pour lui, des sociétés qui ne croient pas en Dieu. Pour notre philosophe, dans ces sociétés laïques, on sait ce que c'est que la morale : on ne fait pas n'importe quoi dans la société, il y a tout un code de bonne conduite. Mais justement il poursuit sa réflexion sur le deuil de l'être aimé. Devant le deuil de l'être aimé, la morale n'apporte aucune aide. "Pour affronter le deuil d'un enfant, pour affronterle deuil d'un amour (le divorce aussi), la morale, le respect des droits de l'homme ne servent absolument à rien. D'où la quête de spiritualité qui anime fondamentalement nos contemporains". Qu'est-ce que c'est que cette spiritualité dont il parle ? Pour nous chrétiens, cela ne peut être que la foi en Dieu. Mais le philosophe n'arrive pas à croire en Dieu. C'est le même qui disait que la foi en la résurrection, la foi en une vie par-delà la mort, c'est trop beau pour être vrai ; c'est tellement ce que tout le monde désire qu'on n'ose pas y croire, qu'on craint de se faire des illusions en y croyant.

Dieu a créé les hommes libres. Libres aussi de ne pas croire en lui, libres de faire le mal plutôt que le bien. Mais la liberté de l'homme, aussi capable de mal qu'on voudra, demeure enveloppée par l'amour de Dieu. C'est mystérieux, mais le mal lui aussi sera vaincu, un jour ou l'autre, par l'amour.

L’Église, ici-bas, se trouve dans une situation insolite. (C'est une réflexion qui nous vient du fond des âges chrétiens). Beaucoup d'hommes, qui font partie des membres visibles de l’Église, ne vivent pas de l'Esprit qui est en elle. Et beaucoup d'autres, qui n'appartiennent pas visiblement à l’Église sont sans doute des membres vivants du Christ. C'est pourquoi la première demande du Notre Père nous fait prier comme ceci : "Que ton Nom soit sanctifié". C'est-à-dire : "Que toi, Dieu, notre Père, tu sois pleinement révélé et que tu sois connu comme Dieu par tous les hommes".

Nous célébrons la fête du Christ, roi de l'univers. Le soir de Pâques, deux disciples de Jésus sont en marche vers Emmaüs. Ils espéraient beaucoup de Jésus, comme roi de l'univers justement. La route d'Emmaüs est éternelle. Les deux disciples ont l'esprit rempli de mornes pensées. Ils se creusent la tête en vain : pourquoi devait-il souffrir et mourir ? Pourquoi le royaume ne s'est-il pas manifesté ? Et voilà que Jésus les rejoint sur la route sans se faire reconnaître. Et il leur pose des questions. "Pourquoi votre espérance s'est-elle brisée comme un jouet fragile ? Et elle recommence à se briser chaque jour parce que vous ne pouvez pas vous empêcher d'en recoller les morceaux tant bien que mal chaque jour. C'est moi-même qui ruine votre espérance en un royaume imminent avec des trônes à droite et à gauche pour les plus méritants ou les plus entreprenants, une Enlise triomphante, régnant sur les peuples du levant au couchant. Vous rêvez toujours de repos et de sécurité dans le royaume de ce monde... Mon royaume n'est pas de ce monde". (Avec Luc Ferry, Jean-Yves Calvez, François Varillon, Antoine Vergote, AvS, HuvB).

 

23 novembre 2014 - 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année A

Évangile selon saint Matthieu 25,31-46

Cette grande scène du jugement, saint Jean de la croix la résumait en un mot : "Nous serons jugés sur l'amour". Tous les hommes sont concernés : ceux qui croient au Christ comme les autres, les pratiquants de la messe du dimanche et les autres. Le juge de la fin des temps ne s'intéresse qu'au comportement humain ou inhumain de ceux qui paraissent devant lui.

Pour ceux qui semblaient loin du Christ, ce sera une heureuse surprise de découvrir combien ils étaient proches de lui. Et d'autre part, il y a cette parole du Juge suprême : "Allez-vous en maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le démon et pour ses anges". Le Juge suprême, on le sait par ailleurs, est doux et humble de cœur.

Au ciel, l'Esprit d'amour souffle partout : on ne peut pas s'y soustraire. Au ciel, tous les habitants sont porteurs d'amour. Celui qui entre au ciel, la première chose qu'il comprendra de Dieu, c'est qu'il y a partout de l'amour. Nous sommes loin de connaître tous les mystères de Dieu. Il y a des choses que Dieu nous prépare mais qui ne nous sont pas accessibles pour le moment ; pour le moment, il exige de nous la foi, et il veut révéler son mystère à notre foi.

Ce n'est qu'en nous livrant à lui dans la foi que nous apprendrons les projets qu'il a pour nous, ce qu'il a l'intention de nous donner. Mais dans la foi, nous pouvons comprendre déjà que le mystère de Dieu est un mystère d'amour ; il y a l'amour de Dieu pour l'homme et il y a l'amour du Fils pour le Père ; et l'amour du Fils pour le Père et pour nous se révèle sur la croix. Une psychanalyste de notre temps disait : "Si nous arrivons à aimer, n'est-ce pas parce que quelqu'un, homme, femme ou enfant ou un mot ou une fleur a pu résister à notre puissance increvable de défiance, de haine et de peur".

Au jugement, il y aura ceux qui se croyaient loin de Dieu, ceux qui ignoraient tout de Dieu... ou presque, et qui seront tout surpris qu'on leur fasse si bon accueil. C'est que rien n'est caché aux yeux de Dieu et même nos secrets sont auprès de lui. "Mieux vaut se taire et être que parler sans être". C'est saint Ignace d'Antioche qui disait cela : il figure parmi les premiers martyrs de l’Église.

Dans une déclaration d'amour d'un poète de notre temps, le bien-aimé dit à sa bien-aimée : "On ne peut me connaître mieux que tu me connais". C'est une belle expression de l'amour humain. Mais on peut aussi adresser à Dieu ces quelques mots : "On ne peut mieux me connaître que tu me connais".

En présence de la parabole du jugement, seule une confiance absolue peut submerger toute angoisse. On le redit souvent avec le psaume : "Tu me connais, Seigneur, au plus profond de moi. Au temps du repos comme au temps de l'action, tu lis dans ma pensée. Quand je suis sur les routes ou bien quand je m'endors, je suis transparent devant toi. Je cherche encore mes mots, tu m'as déjà compris, tu m'enveloppes de toutes parts... Regarde-moi, lis dans mon cœur, mesure-moi, Seigneur avec mon inquiétude, vérifie mon chemin, guide-moi dans la fidélité".

Pour le moment, il y ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas. Un rabbin s'adresse à l'un de ses disciples : "Sais-tu où Dieu habite ?" L'homme interpellé reste muet. "Je vais te dire où Dieu habite : il habite là où on le laisse entrer". Aujourd'hui, tout le monde sait tout, évidemment. On ne peut pas se permettre de ne pas tout savoir. Et donc aussi, on sait tout de Dieu. Et pour beaucoup, c'est évident, Dieu n'existe pas. On sait tout, évidemment. Et c'est là que la sagesse chrétienne comme la sagesse juive peut dire : "L'orgueil du savoir est pire que l'ignorance".

Il se peut que beaucoup se sont sentis un jour ou l'autre étouffés par Dieu, ou par ceux qui étaient censés représenter Dieu. Et c'est là aussi que la sagesse juive comme la sagesse chrétienne nous dit : "Pour que l'âme vive, il faut la libérer ; trop de contraintes risquent de l'étouffer".

Il y a en tout être humain une immense nostalgie du sacré et du merveilleux, une immense nostalgie de Dieu. C'est par l'idée de bonheur que Dieu parle à l'homme. Dieu parle aussi à l'homme par la beauté : Dieu n'a pas fait sans raison la splendeur du monde. "Quand j'élève mon esprit, mon corps tombe à genoux", disait le poète.

En relisant la parabole du jugement dernier, on peut relire aussi l'une des sentences les plus fortes de tous les textes de Vatican II : "Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal". (Avec Fiches dominicales, Julia Kristeva, Ignace d'Antioche, Éluard, Ambroise-Marie Carré, Élie Wiesel, saint Augustin, Maurice Blondel, Vatican II, AvS).

 

22 novembre 2009 - 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année B

Évangile selon saint Jean 18, 33-37

Pilate interroge Jésus sur sa royauté. Pilate, c'est le haut fonctionnaire romain. Il ne peut pas tolérer un pouvoir politique, un roi, qui échapperait à Rome. Alors Pilate pose à Jésus la question directe : "Es-tu le roi des juifs ?" Jésus ne refuse pas le titre de roi. Mais il précise tout de suite comment il est roi. Il n'a pas conquis le pouvoir par la force des armes, il ne cherche pas à se défendre en s'appuyant sur ses partisans. "Ma royauté n'est pas de ce monde", dit-il. Elle vient d'ailleurs. C'est bien mystérieux tout ça pour Pilate. "Alors, tu es roi ? Oui ou non ?" Et Jésus lui dit alors qu'il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Pilate n'est pas beaucoup plus avancé. "Qu'est-ce que c'est que la vérité ?"

Qu'est-ce que c'est que cette vérité que le Seigneur Jésus est venu apporter au monde ? Il est venu apporter la vérité de Dieu. Pour comprendre la vérité, il faut être accordé intérieurement à la vérité. Si la vérité que le Seigneur Jésus est venu apporter dans le monde, c'est Dieu lui-même, il faut être accordé intérieurement à Dieu pour la recevoir, pour la comprendre. Il n'y a pas besoin de discours pour ça. Par exemple, celui qui croit au vrai Dieu sait que sa prière est toujours exaucée d'une manière ou d'une autre. Celui qui croit au vrai Dieu sait que sa prière atteint Dieu, et on ne sait pas comment.

A l'âge de douze ans, Jésus était allé en pèlerinage à Jérusalem avec ses parents. Et sur le chemin du retour, un beau soir, on ne retrouve plus Jésus dans la petite caravane qui remonte vers le nord. Finalement, au bout de trois jours, les parents de Jésus le retrouvent dans le temple, comme si c'était tout naturel pour lui qu'il soit dans le temple. Et sa mère lui pose quand même la question : "Pourquoi n'as-tu rien dit ? Cela fait trois jours qu'on te cherche". Et Jésus répond : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ?" Ne saviez-vous pas que ma royauté n'est pas de ce monde ? Ne saviez-vous pas que mon vrai Père, c'est Dieu. Marie doit apprendre, dans la souffrance, la distance qui sépare les hommes de Dieu. Marie ne comprend pas. Et Jésus provoque cette non-compréhension en y mettant le doigt par sa question : "Ne saviez-vous pas...?" Et non, elle ne sait pas. Jésus ne donne pas d'explication, il indique la direction, il souligne la distance. Marie doit en tirer un enseignement, elle doit apprendre à ne pas comprendre.

C'est la même chose dans le dialogue de Jésus et de Pilate. Pilate ne peut pas comprendre. "Qu'est-ce que c'est que la vérité ?" Il y a Pilate, il y a Marie, et il y a nous, et il y a tous les humains d'aujourd'hui. Toute vie humaine doit apprendre ce dépouillement radical qui consiste à se remettre dans les mains de Dieu. C'est vrai dans le mariage, c'est vrai pour ceux qui se consacrent à Dieu.

Jésus se trouvait devant Pilate comme un accusé. Il n'a pas menacé Pilate des foudres du ciel s'il ne le relâchait pas. Dans le passé, beaucoup de gens allaient à l'église par peur d'être punis par Dieu s'ils n'y allaient pas. Cette menace ne risque pas beaucoup au XXIe siècle de remplir les églises. Qui pourrait croire que notre Dieu est un Dieu d'amour s'il faut une menace de damnation pour nous forcer à venir l'adorer ? Jésus n'a pas contraint Pilate à croire en lui. Jésus a exprimé devant Pilate ce qu'il croyait. Il a annoncé la vérité; il n'a pas essayé de contraindre Pilate. Annoncer la foi, dire sa foi, ce n'est pas donner la foi. Nous sommes responsables de parler ou bien de nous taire, nous ne sommes pas responsables de l'efficacité de nos paroles. La foi, c'est Dieu qui la donne (si l'homme veut bien la recevoir). Annoncer la foi, dire sa foi, c'est tout simplement d'abord être un informateur. Mais l'informateur de l'Évangile devrait toujours être quelqu'un qui, sur d'autres plans que l'Évangile, est reconnu pour véridique, quelqu'un en qui on peut avoir confiance.

Tout au long de l'histoire, l’Église reste une Enlise de pécheurs, et les saints et les saintes de l’Église sont les premiers à se reconnaître pécheurs. C'est pourquoi, c'est une nécessité pour l’Église, pour chacun de nous, de redire tous les jours : "Pardonne-nous nos offenses". Jamais l’Église, jamais les chrétiens ne sont parfaitement à la hauteur de leur mission. Dieu nous a donné deux sacs à porter : un par devant pour voir les fautes des autres et un par derrière pour ne pas voir les nôtres. (Avec Fiches dominicales, Louis Bouyer, Timothy Radcliffe, Madeleine Delbrel, AvS, HuvB).

 

25 novembre 2012 - 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année B

Évangile selon saint Jean 18,33-37

Nous terminons l'année liturgique avec cet évangile de saint Jean où Jésus s'explique sur sa royauté. On présente Jésus à Pilate, le procurateur romain. On présente Jésus comme un homme dangereux pour le pouvoir romain. Pilate n'avait jamais rencontré Jésus. Mais il le connaissait très bien. Ses Renseignements Généraux faisaient bien leur travail pour renseigner les autorités romaines. Et la conclusion était que Jésus n'était pas un homme dangereux pour les Romains.

Mais il fallait bien que Pilate interroge Jésus : "Les chefs juifs qui t'ont arrêté me disent que tu veux te faire roi. Est-ce que c'est vrai ?" Et que répond Jésus : "Oui, c'est vrai, je suis roi, mais mon royaume n'est pas de ce monde". - "Alors, où est-ce qu'il est ton royaume ?" - "Tout homme qui vit dans la vérité écoute ma voix. Tout homme qui vit dans la vérité fait partie de mon royaume". - Et Pilate bredouille : "Qu'est-ce que c'est que la vérité ?"

François Mitterrand, président de la République, est en déplacement officiel à Limoges. Il a un petit creux dans son horaire bien minuté. Il avait un quart d'heure de libre entre onze heures moins le quart et onze heures. Et il avait fait demander à Jean Guitton d'aller le voir pendant ce quart d'heure. Voici le dialogue entre les deux hommes. Mitterrand à Jean Guitton : "Cher Maître, vous êtes le plus grand des philosophes chrétiens, alors expliquez-moi pourquoi vous croyez. Vous avez cinq minutes pour me répondre". Guitton : "Monsieur le Président, il n'y a que deux réponses possibles à votre question : ou l'absurde ou le mystère. Et vous êtes trop intelligent pour croire que c'est absurde. Donc c'est le mystère". Et voilà, on n'en sait pas plus du dialogue de jour-là entre Mitterrand et Jean Guitton. Mitterrand posait la question : Pourquoi vous êtes croyant ? Pilate se posait la question : Qu'est-ce que la vérité ?

Le non croyant qui souffre cherchera quelqu'un qui peut compatir à sa souffrance. La souffrance du croyant, il la confiera d'abord à Dieu et il la déposera dans le mystère de la souffrance du Fils, le Seigneur Jésus. Et en faisant cela, le croyant ne s'arrête pas au corps de Jésus, à ses souffrances, à ses plaies, il pense à l'union d'amour qui existe entre le Père et le Fils.

"Qu'est-ce que la vérité ?", se demande Pilate. L'Esprit Saint est le même chez les prophètes de l'Ancien Testament et chez les apôtres et chez les chrétiens de tous les temps. L'Esprit Saint est indispensable pour comprendre quelque chose à la vie du Seigneur Jésus et à son enseignement. Sans l'Esprit Saint, l'homme reste étranger à la vérité, à cause du péché. Et l'Esprit Saint, on ne doit jamais cesser de le recevoir. "Mon royaume n'est pas de ce monde", dit Jésus.

Un chrétien de notre temps, une espèce de saint, priait comme ceci : "Je te prie pour tous ces êtres qui souffrent et ne savent pas pourquoi ils souffrent". Autrement dit : "Je te prie pour tous ceux qui ne connaissent pas encore ton royaume". Mais comment faire pour connaître ce royaume ? Et comment faire pour faire connaître ce royaume à Pilate et à tous les autres ? Comme ceci d'abord peut-être : "Être les uns pour les autres comme des signes vivants de la lumière de Dieu". Qu'est-ce que c'est que l’Église? Elle devrait être un lieu où l'on peut aller à la rencontre du Dieu vivant. Et qui est Dieu ? Quelqu'un qui nous dépasse infiniment et qui, en même temps, s'ouvre à nous, se révèle et se livre.

Pourquoi vous êtes croyants ? Parce que nous avons reçu grâce après grâce. Nous avons reçu une grâce définitive après une grâce préparatoire. La grâce préparatoire, c'est tout l'Ancien Testament. La grâce et la vérité nous sont venues par le Seigneur Jésus. L'Ancien Testament, ce n'était pas encore la grâce en sa plénitude. La plénitude, c'est quand le Père se dévoile intégralement dans le Fils devenu pleinement homme. Et le Fils est devenu pleinement homme pour être l'interprète du Père invisible. Et cette plénitude que le Fils nous a apportée, elle ne peut être reçue par l'homme que grâce à l'Esprit Saint. - "Où est-ce qu'il est ton royaume ?"... "Où est-ce qu'elle est la vérité ?"... Pourquoi êtes-vous croyants ? (Avec Cardinal Poupard, Pierre Goursat, Mgr Dagens, AvS, HuvB).

 

22 novembre 2015 - 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année B

Évangile selon saint Jean 18,33b-37

Jésus est en jugement devant Pilate, Pilate qui a pouvoir de vie et de mort. A un certain moment, Pilate pose la question : Es-u le roi des Juifs ? Jésus ne répond ni oui ni non. Il dit : Ma royauté n'est pas de ce monde. Le Seigneur Jésus possède donc un royaume. C'est le royaume de son Père, le royaume de l’amour. Celui qui ne croit pas, celui qui n'aime pas, est totalement fermé à ce royaume. C'est un royaume dans le Père, un royaume sans frontières, parce que le Père est infini, et son royaume aussi est infini. Et le Fils, lui, le connaît. Et tous ceux qui ont l'amour peuvent en trouver le chemin, parce que c'est le royaume de l'amour.

Ce royaume n'est pas de ce monde, il est en Dieu, au ciel, dans l'éternité. Mais c'est le royaume du Fils, parce que le Fils y amène le monde qui a été racheté par lui. Aucun pécheur ne peut entrer dans le royaume. Seuls y entreront ceux qui aiment. Le Père a créé le monde, mais le monde s'est détourné de lui par le péché. Alors le Fils est venu pour rendre le monde au Père, le lui rendre comme un monde nouveau, un monde d'amour. En se livrant lui-même au monde, il a rempli tous les humains de son amour pour le Père, et il les ramène tous ensemble dans la maison du Père. Celui qui vit dans l'amour vit dans le royaume du Seigneur Jésus, même s'il est encore sur la terre.

La foi chrétienne reconnaît en Jésus le Fils du Dieu vivant, qui est en même temps le Serviteur souffrant. Et en contemplant le Crucifié qui porte tous les péchés du monde, le croyant découvre son frère en tout homme. Même en celui qui est le plus avili, le plus méprisé, même en celui qui est en contradiction avec les règles du droit et de la société, le croyant reconnaît une personne aimée de Dieu, notre Père, et portée par le Seigneur Jésus dans sa Passion.

Le contraire du royaume du Seigneur Jésus, c'est l'enfer, c'est le lieu où l'on se place soi-même si on rejette l'amour. On s'exclut soi-même du salut si on juge autrui et si on refuse de pardonner du fond du cœur à tous ceux qui nous ont fait du mal.

Pour le moment nous ne sommes pas encore dans le royaume, du moins pas tout à fait, pas définitivement. Nous sommes dans l’Église, et la frontière de l’Église passe en chacun de ceux qui se disent ses membres. Elle prend en elle ce qui est pur et saint, et laisse dehors ce qui est péché et souillure. Seuls sont totalement dans l’Église et dans le royaume les nouveaux baptisés et, au terme, les âmes totalement saintes qui sont toutes mangées par la lumière. Saint Jean dit de ces âmes qu'elles ne peuvent plus pécher parce que la semence de Dieu demeure en elles et qu'elles sont nées de Dieu (1 Jn 3,9-10).

C'est quoi le Royaume ?  C'est la vie éternelle, c'est une vie pour toujours en la compagnie de Dieu. Et à quoi servent les sacrements du Christ ? Par ces sacrements,; notre vie commence à participer à sa vie éternelle. La grâce de l’Église, c'est de maintenir vivante la mémoire de cet événement historique qu'est la révélation divine qui nous est venue par le Seigneur Jésus. Mais une société qui n'obéit plus à Dieu devient esclave des idoles qu'elle s'invente.  L'athéisme est une position dogmatique, c'est une espèce de foi à l'envers, qui affirme que Dieu n'existe pas, que toute vérité commence par là, et que la vie humaine est d'autant plus heureuse qu'elle a pu en faire son deuil. Le bonheur est alors à envisager sur la terre, aucun espoir n'est à attendre d'une autre monde, ni d'un autre royaume.

Pour notre foi chrétienne, c'est Dieu qui donne l'existence à tous les êtres vivants. Et donc ils portent en eux la nostalgie de la source de leur être, la nostalgie de Dieu. Cette nostalgie, c'est un attachement amoureux à Dieu, c'est-à-dire qu'elle est prière, adoration, merci et demande. L'être humain créé par Dieu est toujours capable de se retourner personnellement dans l'amour vers son origine qui est aussi son but final. (Avec Cardinal Lustiger, Michel Laroche, Cardinal Journet, Mgr Beau, Patriarche Daniel, Karl Rahner, Thierry-Dominique Humbrecht, AvS, HUvB).

 

21 novembre 2010 - 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers- - Année C

Evangile selon saint Luc 23,35-43

Nous célébrons aujourd'hui la fête du Christ, roi de l'univers. Notre évangile nous présente Jésus comme un roi nu, qui trône sur une croix, entre deux malfaiteurs. Au-dessus de sa tête, un écriteau ironique : "Voilà le roi des juifs". Et à ce moment-là, tous ceux qui ouvrent la bouche, c'est pour se moquer de lui. Tous, sauf un. Un bandit, qui est bien conscient d'être un bandit. Un bandit qui ne se révolte pas contre ceux qui l'ont attaché à la croix. Un bandit qui reconnaît recevoir la juste récompense de ses crimes. Et ce bandit parle à Jésus. Il lui demande qu'il se souvienne de lui quand il viendra avec son royaume. Réponse de Jésus : "Aujourd'hui même tu seras avec moi dans le paradis". Jésus en croix, raillé et outragé, et puis le bon larron : c'est l'une des plus belles pages de l'évangile.

Comment cet homme cloué là a-t-il pu prétendre qu'il était roi ? Le bon larron, comme on l'appelle, illuminé par la grâce de l'Esprit Saint, comprend que vraiment Jésus est roi, malgré toutes les apparences contraires. Entrer dans le royaume de Jésus, c'est passer des ténèbres à la lumière, c'est recevoir son pardon. Entrer dans le royaume de Jésus, ce n'est pas réservé à une élite. Le premier invité du royaume, c'est un bandit. Un bandit qui s'est fait tout petit pour demander une place dans le royaume.

Le Seigneur Jésus invite sans cesse son Église à participer à la croix, à son humiliation. Ce n'est que par des humiliations que l’Église peut arriver à aimer vraiment le Seigneur Jésus. Le Fils est venu dans le monde pour révéler le Père, et l’Église est là pour révéler le Fils. Pour pouvoir demeurer vivant parmi nous, le Seigneur Jésus a fondé l’Église. Et alors l’Église, malgré toutes ses défaillances, l’Église est un reflet de l'éternité. Jésus lui a donné le pouvoir de dire à chaque bandit qui se présente que lui aussi, il est invité à la table du royaume. Le Christ ne cesse de remettre les péchés comme on remet un dette pour qu'elle ne pèse plus. Et parce qu'elle ne pèse plus, elle ne compte plus.

La religion, c'est l'opium du peuple. C'est Karl Marx qui disait cela au XIXe siècle. La religion, ça endort le peuple, ça l'empêche de poser les vraies questions. Aujourd'hui, c'est plutôt l'athéisme qui est l'opium du peuple. C'est un évêque d'aujourd'hui qui retourne l'accusation. Aujourd'hui, c'est l'athéisme qui est l'opium du peuple. Comment et pourquoi ? Parce que l'athéisme endort l'esprit et tue l'interrogation. Quelle interrogation ? Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas rien ? Tu existes et tu vas mourir. Pourquoi ? Le bon larron savait pourquoi il allait mourir.

Une espèce de philosophe de notre temps a noté ce que les paysans sceptiques disaient autrefois de leurs curés : "Les curés, ils aiment bien le Bon Dieu, mais ils ne sont pas pressés d'aller le voir". Le Bon Dieu, il fait comme nous ; il fait du feu avec le bois qu'il a. C'est une vraie philosophe de notre temps qui disait cela à sa manière quand elle disait : "Dieu n'est pas difficile sur le choix des instruments et il pratique la récupération des déchets".

Au-dessus de la tête de Jésus en croix, les Romains avaient fixé une inscription : "Voilà le roi des juifs" ; ils ont de quoi être fiers... Le mystère de la croix est la plus haute manifestation de Dieu Trinité. La fine pointe du christianisme se trouve dans le fait que la fécondité chrétienne atteint son sommet dans la faillite de la croix, quand le Fils s'abandonne dans la nuit de l'esprit à la volonté incompréhensible du Père. (Avec Fiches dominicales, Marie-Christine Bernard, Mgr Léonard, Gustave Thibon, Simone Weil, AvS, HUvB). 

 

24 novembre 2013 – 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année C

Évangile selon saint Luc 23,35-43

On vient de crucifier Jésus, et il y a là un tas de gens qui sont venus pour regarder comment on peut mourir cloué sur une croix. Il y a là des gens qui souffrent avec Jésus, sa Mère au premier rang, et d’autres femmes aussi et saint Jean. Il y a là des gens qui savourent leur victoire sur Jésus, leur grand ennemi ; ils se réjouissent de son supplice jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il y a là ceux qui se moquent de Jésus à pleine voix : les soldats, plus bêtes que méchants, à la fois méchants et bêtes. Et il y a les deux malfaiteurs qui entourent Jésus sur leur propre croix.

Celui qu’on appelle le bon larron adresse à Jésus une prière qui vient du fond du cœur, du fond de sa souffrance : "Souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume… Pour moi, il est juste que je souffre. Mais donne-moi miséricorde et paix au-delà de la vie. De mes péchés, je me repens devant toi, Fils du Très-Haut. Je crois que tu viens de Dieu, je crois en ton pouvoir. Je crois en ta miséricorde. Pardonne-moi". Et c’est alors qu’on entend ces paroles de Jésus : "Je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis".

Celui qu’on appelle le bon larron a accompli son purgatoire sur la croix. Ce fut infiniment pénible. Mais tout d’un coup il a compris tout ce qu’il y avait eu comme refus durant sa vie. Il a compris que souvent Dieu était proche de lui et qu’il aurait suffi d’un pas. Mais ce pas, il ne l’avait pas fait. Il était resté dans son refus. Il s’était toujours échappé. Il voulait toujours être le plus fort. "Ce qui était toujours le plus fort, c’était mon moi et non Dieu et sa grâce. La valeur absolue, c’était moi". Et voilà que sur la croix, qui est son purgatoire, le larron comprend toutes les possibilités de vie qu’il a perdues. Le purgatoire, c’est comme une confession approfondie. Et dans cette confession, le confesseur, c’est le Seigneur Jésus : il met au jour tous les péchés oubliés, les uns après les autres, et toujours plus profondément. Et le mot de la fin, c’est le paradis : "Tu seras avec moi pour toujours".

Prier, c’est communiquer avec Dieu. Sur la croix, celui qu’on appelle le bon larron a vraiment communiqué avec Dieu. C’était vrai. Le plus important, c’est d’être en présence de Dieu. Prier, c’est dire à Dieu qu’on croit en lui, en lui qui est vivant et qui est le maître de notre vie… Le larron est resté sur sa croix pendant une heure et plus à côté de Jésus et sous le regard de Dieu. On peut aussi prier pendant une heure devant quelqu’un que nous ne voyons pas, avec la certitude qu’il est là. Jésus nous attend dans la prière, comme un ami attend son ami.

Le bonheur finalement ne se trouve pas dans la possession d’un bien particulier, il se trouve dans la découverte du sens de l’existence et dans la communion avec le Dieu infini. Le larron a dû attendre la croix pour en faire la découverte. Si on regarde bien, la terre est pleine de ciel et c’est par des actions humaines qu’on atteint Dieu.

Sur la croix, le deuxième larron, celui qui insultait encore Jésus, restait encore fermé à Dieu. Pourquoi ? Un athée de notre temps nous dit clairement ses pensées : "Dieu ? Je suis pour, comme la plupart des gens ; je veux dire que je préférerais qu’il existe ; mais ce n’est pas une raison suffisante pour y croire. Et il se trouve en l’occurrence que je n’y crois pas. Pourquoi ? Je n’ai pas de preuves… Mais j’ai un certain nombre de raisons ou d’arguments qui me paraissent plus forts que ceux allant en sens contraire. Disons que je suis un athée non dogmatique : je ne prétends pas savoir que Dieu n’existe pas ; je crois qu’il n’existe pas". Même sur la croix, en présence du Seigneur Jésus, l’un des larrons refuse Dieu, et l’autre s’est ouvert à Dieu. Dieu peut tout, sauf contraindre quelqu’un à l’aimer.

C’est quoi la foi ? C’est consentir à être conduit par Dieu… Dieu que nous pouvons aimer parce que Dieu nous aimés. (Avec Emilien Tardif, Jean Daniélou, Michel Quesnel, André Comte-Sponville, AvS, HUvB).
 

20 novembre 2016 - 34e dimanche. Fête du Christ, Roi de l'univers - Année C

Évangile selon saint Luc 23,35-43

Le Seigneur Jésus est le roi de l'univers, le roi de tous les humains, de toutes les races et de tous les temps, avant lui, après lui, jusqu'à la fin du monde. Depuis les premiers humains jusqu'à aujourd'hui, les historiens évoquent le chiffre de soixante-dix milliards d'humains, avec une certaine marge d'erreur, certains disent cinquante milliards, d'autres cent milliards. L'historien Pierre Chaunu, chrétien convaincu, évoquait pour sa part le chiffre de soixante-dix milliards, et il ajoutait : "Dieu, c'est la démesure !" Pour les croyants, Dieu a une relation personnelle unique avec chaque être humain. Soixante-dix milliards : Dieu, c'est la démesure, comme les milliards de galaxies avec leurs milliards d'étoiles, comme les milliards de connexions de notre cerveau.

Quand Jésus meurt sur la croix, les Romains, pour se moquer de lui et des Juifs, lui collent par dérision l'étiquette : "Roi des Juifs". Sous-entendu : "Il est beau, votre roi, vous pouvez être fiers, voilà ce qu'on en fait de votre roi, nous, les Romains". Quand Jésus meurt sur la croix, ce n'est pas la gloire pour ses disciples, c'est la plus totale déconfiture. Ils n'y comprennent plus rien, ils se sentent floués. On se demande comment celui qu'on appelle le bon larron a pu imaginer que ce Jésus cloué à côté de lui sur une croix pouvait avoir un avenir et même un avenir de roi : "Souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume".

Par le sang de sa croix, par ses souffrances endurées, le Seigneur Jésus nous ouvre son royaume, il ouvre son royaume à tous les hommes. Et les hommes n'en veulent pas de ce royaume, beaucoup d'hommes n'en veulent pas. Qu'est-ce qu'ils veulent alors les hommes ? Pour savoir le prix de ce royaume, et son intérêt, et sa saveur, il faudra peut-être que beaucoup, ou même tous, fassent l'expérience du bon larron cloué sur sa croix, l'expérience de la plus extrême désolation, et alors découvrir que, malgré tout, Jésus est un Sauveur, qu'il sauve les existences de ceux pour qui plus rien n'a de sens par suite d'une grande détresse. Que chacun de nous puisse entendre un jour, à lui adressée, cette parole de Jésus au bon larron : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis". Si le bon larron avait été plus malin, il n'aurait pas attendu la dernière heure pour se mettre à la suite de Jésus, pour se faire son disciple, pour lui demander ce qu'il devait faire de sa vie pour vivre vraiment en disciple et en croyant, il n'aurait pas attendu la dernière heure pour comprendre que la vie, la vraie, l'inusable, consiste à être avec le Seigneur Jésus, et que là où est le Christ, là est le royaume.

Dans l'Apocalypse, Dieu a montré à Jean, le voyant, le ciel ouvert ; après cela, le ciel lui sera à nouveau fermé. Alors Jean reçoit l'ordre d'écrire ce qu'il vient de voir afin que, plus tard, il n'ait pas la tentation de croire que ce qu'il a vu est irréel. Et aussi parce que cette vision du ciel qui lui a été donnée, n'est pas destinée qu'à lui seul, elle est destinée également aux autres disciples, aux croyants qui vivent avec lui sur la terre et à ceux qui viendront après lui. Jean reçoit quelque chose dans une situation particulière, mais il a à la transmettre à tous les croyants. Ce que Jean a vu n'est pas sans rapports avec la vie des autres croyants. Qu'est-ce qu'il a vu, Jean ? Il a vu le royaume et, au centre, Jésus.

On veut comprendre la foi, on veut savoir, on veut juger par soi-même. Mais si on se contente de ses propres lumières et des souvenirs plus ou moins vagues qu'on garde du catéchisme de son enfance, on ne peut pas aller bien loin. Il est indispensable de recourir aux lumières de la tradition de l’Église et, au cœur de cette tradition vivante, il y a bien sûr le Nouveau Testament. Et le Nouveau Testament lui-même est enraciné dans la foi du peuple d'Israël, ce peuple qui avait la certitude singulière de vénérer le seul et unique vrai Dieu. Et ce Dieu est une personne qui se lie personnellement à l'homme dans un pacte qui est orienté vers un accomplissement. Et ce Dieu change ainsi le cours de l'histoire sans toutefois bouleverser le monde qu'il a créé. Et ce pacte conclu par Dieu avec Israël est orienté vers un accomplissement : ce sera le Seigneur Jésus et ses trente-trois ans sur terre, et la croix et la résurrection et le royaume définitif. Le Sauveur du monde est venu, caché sous une forme d'esclave, il est venu, caché sur la croix. Et il a même fait plus : dans le pain et le vin de l'eucharistie, il est encore plus caché.

Dieu est aussi caché dans nos vies. La mort ne concerne pas seulement la mort physique, la fin de la vie corporelle. La mort implique aussi toutes les "morts", au pluriel, qui jalonnent notre existence : ce sont les deuils, les échecs, les pertes et les renoncements, ce sont aussi les humiliations. Dans nos vies, chaque deuil que nous intégrons peut devenir source de vie.

L'enfer existe, le Seigneur Jésus y est allé après sa mort sur la croix. L'enfer existe, de même qu'existent toutes les manières de s'éloigner de Dieu que connaissent les pécheurs, toutes les manières de continuer à crucifier le Christ que connaissent les pécheurs. C'est le drame qui se déroule dans l'histoire. Alors est-ce que l'enfer est plus que plein ou est-il vide ? Au-delà de la mort, le Seigneur Jésus est allé en enfer. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et il est demandé aux croyants d'espérer pour tous, c'est-à-dire finalement d'espérer que l'enfer est vide et que tous les hommes, juifs et païens, chrétiens et fidèles des autres religions, croyants et non croyants, petits pécheurs et pécheurs aux crimes abominables, que tous soient accueillis à la fin  dans le royaume, c'est-à-dire dans les bras de Dieu. Par quels moyens de Dieu cela serait-il possible, c'est le grand mystère. Il nous est demandé en tout cas d'espérer pour tous et d'abord pour nous-mêmes. (Avec Pierre Chaunu, Ambroise-Marie Carré, Antoine Vergote, Henri-Irénée Marrou, AvS, HUvB).

 

 

SANCTORAL

 

2 février 2014 - Fête de la Présentation du Seigneur - Année A

Évangile selon saint Luc 2,22-40

Quelque temps après la naissance de Jésus, ses parents vont le présenter à Dieu dans le Temple, le consacrer à Dieu, comme cela se passe encore dans le baptême aujourd’hui : on présente l'enfant à Dieu pour le confier à sa garde aimante. Quand Jésus est présenté à Dieu dans le Temple, il ne dit rien, bien sûr. Ses parents non plus ne disent rien, du moins l'évangéliste n'a rapporté aucune de leurs paroles ce jour-là. On ne voit pas non plus le personnel du Temple. Les deux qu'on entend et qu'on voit, c'est Syméon et Anne.

Syméon et Anne étaient remplis de prière et d'Esprit Saint. Et l'Esprit Saint avait révélé à Syméon qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Messie. Mais comment reconnaître le Messie au milieu de tous les bébés qu'on amenait au temple pour les consacrer à Dieu ? C'est poussé par l’Esprit Saint que Syméon alla au Temple juste au moment où Jésus arrivait porté par ses parents. Et Anne, qui avait quatre-vingt-quatre ans, était, elle aussi, toute remplie de l'Esprit de Dieu. Depuis qu’elle avait perdu son mari, elle vivait pour Dieu, jour et nuit. Et l'Esprit Saint lui avait fait deviner dans l'enfant ordinaire qui arrivait au Temple le Messie de Dieu.

Syméon dit quelques mots aux parents de l'enfant. Et il dit à la Mère de Jésus une parole dure à entendre : "Ton cœur sera transpercé par une épée". Trente ans plus tard, c'est le côté de Jésus qui sera percé par la lance d'un soldat. Mais Marie, qui sera là au pied de la croix, recevra le coup dans son propre cœur.

Les saints nous disent que Dieu peut révéler comme en un éclair le secret des autres. Il n'y a pas eu de phénomènes extraordinaires quand Jésus a été présenté au Temple par ses parents. Pour Syméon et Anne, ils étaient totalement accordés à la volonté de Dieu. Ils n'avaient pas besoin de l'extraordinaire pour croire à l'amour de Dieu. Et dans cette scène des plus quotidiennes au Temple, d'un enfant dans les bras de ses parents, ils ont vu la présence d'une grâce inouïe. En vivant constamment dans la présence de Dieu, Syméon et Anne savaient que Dieu n'a pas créé l'homme pour lui faire peur, mais pour l'aimer. Depuis toujours Dieu a aimé celui qu'il pensait créer.

Dans l'évangile d'aujourd'hui, on n'entend que Syméon et Anne. Ils vivaient l'un et l'autre dans la grâce de Dieu, dans la foi ; et être bénéficiaire de la foi ne va pas sans la responsabilité d'en parler, quand le moment est venu. Mais pourquoi faut-il que justement ce jour-là, quand on présente Jésus au Temple, pourquoi faut-il que justement ce jour-là Syméon parle à Marie d'une épée qui va lui transpercer le cœur ?

Pourquoi Dieu a-t-il créé un monde où il y a de la souffrance et de la mort pour tous ? Pourquoi ? Dieu n'a jamais eu l'idée de faire surgir un monde où il y aurait de la souffrance et de la mort sans décider en même temps de prendre sur lui cette souffrance et cette mort, pour que nous puissions nous-mêmes les accueillir et les porter en nous. Dieu n'a jamais voulu pour nous une existence avec de la souffrance et de la mort sans les vouloir d'abord pour lui. Il a donc décidé d'assumer lui-même ce qu'il ne pouvait nous éviter s'il voulait nous créer. L'amour, c'est une affaire de partage et de communion, et Dieu a été jusqu'au bout de l’amour. Dieu n'a pu accepter de devenir le Créateur s'il n'avait décidé en même temps de se faire créature pour supporter de l'intérieur le poids d'une œuvre dont il est lui-même le seul Auteur. Dieu qui ignore toute mort est entré dans l'univers de la mort pour y détruire lui-même la mort qui nous détruit.

Syméon est tout heureux de voir le Messie avant de mourir. Mais l'Esprit Saint le pousse aussi à dire à Marie cette parole lourde de menace : "Ton cœur sera transpercé par une épée". Syméon se sent poussé à dire à Marie une parole qui lui vient de Dieu. Dieu ne demande à personne le droit de nous parler et encore moins le droit d'agir et d'exister.

Devant Dieu, il y a quatre sortes d'hommes. 1. Certains ont reçu une éducation résolument antireligieuse. 2. D'autres, en fait d'éducation religieuse, n'ont rien reçu du tout. 3. Ensuite il y a un certain nombres d'hommes qui, ayant d'abord reçu une éducation religieuse, ne peuvent trouver dans les souvenirs qu'ils en ont gardés rien qui les incline à penser un peu sérieusement à Dieu. 4. Enfin il y a les croyants. En fait aujourd'hui tout conspire sur cette terre pour pousser les hommes à oublier Dieu. Alors approfondir sa relation avec Dieu, ce n'est pas une option, ce n'est pas une affaire de tempérament, c’est un progrès offert à tous et nécessaire à chacun.

Marie et Joseph au Temple avec Jésus pour la première fois. Syméon et Anne au temple en même temps qu'eux ce jour-là par le pur hasard de Dieu. L'être intime de Dieu n'est pas pour nous une réalité étrangère. Dieu est notre vrai lieu, le lieu de notre authenticité. Mais le domaine intime de Dieu ne nous est jamais proposé malgré nous. Quand nous nous mettons en route vers lui, c'est toujours par la force d'un appel qui nous est adressé et qui nous touche.(Avec Serrou-Noël, Gustave Martelet, Étienne Gilson, Thierry-Dominique Humbrecht, AvS, HUvB).

 

24 juin 2012 - Nativité de saint Jean-Baptiste - Année B

Évangile selon saint Luc 1,57-66.80

Nous fêtons aujourd'hui la naissance de saint Jean-Baptiste. Habituellement nous célébrons la fête des saints le jour de leur naissance au ciel, le jour de leur mort. Mais trois fois dans l'année nous célébrons aussi des naissances comme des grandes fêtes : la naissance de Jésus, bien sûr, à Noël, le 25 décembre, la naissance de Marie sa mère, le 8 septembre, et aujourd'hui la fête de la naissance de saint Jean-Baptiste. On célèbre aussi dans l’Église le jour de la naissance au ciel de saint Jean-Baptiste, le jour de sa mort, le 29 du mois d'août; on l'appelle la fête du martyre de saint Jean-Baptiste.

L'évangile d'aujourd'hui nous raconte ce qui s'est passé aux alentours de la naissance de Jean-Baptiste, et surtout ce qui s'est passé huit jours après sa naissance quand il a été question de lui donner un nom. Curieusement, on a l'impression que les jeux étaient faits d'avance : pour les proches de la famille, l'enfant devait porter le nom de son père, il devait donc s'appeler Zacharie. C'est alors qu’Élisabeth, la mère de l'enfant, déclare que ce n'est pas du tout ça. Il ne va pas s'appeler comme son père, il s'appellera Jean. Alors la parenté, qui est très importante, pense que la mère de l'enfant se trompe. Cet enfant doit s'appeler Zacharie comme son père, c'est évident. Alors on interroge le père pour qu'il confirme le nom de Zacharie. Mais le problème justement, c'est que Zacharie ne peut pas parler, il est muet et il est sourd également. Alors Zacharie se fait donner de quoi écrire, et il écrit : "Son nom est Jean". Tout le monde est fort étonné que ses parents donnent à l'enfant le nom de Jean, mais ils sont encore bien plus étonnés quand tout d'un coup Zacharie retrouve l'usage de la parole.

Et pourquoi Zacharie retrouve sa voix à ce moment-là ? Neuf mois auparavant, un ange de Dieu avait annoncé à Zacharie que sa femme aurait bientôt un fils. Zacharie et sa femme n'avaient pas d'enfant, et ils croyaient bien, tous les deux, qu'il était trop tard maintenant, vu leur âge, pour qu'un enfant puisse encore naître dans leur foyer. Alors Zacharie avait en quelque sorte répondu à l'ange : Non, ce n'est pas possible, ce n'est plus possible. Et l'ange avait répondu à Zacharie : Puisque tu ne veux pas me croire, tu seras muet jusqu'au jour de la naissance de l'enfant. Et dès cet instant-là, Zacharie était devenu muet. Il n'a retrouvé l'usage de la parole qu'après avoir écrit sur une tablette le nom qu'il voulait donner à l'enfant : "Son nom est Jean". Aussitôt Zacharie avait retrouvé l’usage de la parole.

Qu'est-ce que cela veut dire ? L'ange de Dieu annonce à Zacharie ce qui va se passer dans sa vie : il va avoir un fils. Et Zacharie proteste : ce n'est plus possible. L'ange de Dieu donne à Zacharie une mission, une tâche. Zacharie proteste : ce n'est pas possible. Que nous disent les saints ? "Ne pas revendiquer d'autre place que celle qui nous a été départie par l'amour". On n'a pas besoin de tout comprendre tout de suite. Dieu nous dit en quelque sorte : Fais ce que je te dis, tu comprendras plus tard. Pourquoi aller à la messe ? C'est un temps de notre vie à la lumière de la présence de Dieu. Le monde, c'est le lieu permanent d'une communion entre Dieu et l'homme. Pourquoi aller à la messe ? Fais ce que je te dis, tu comprendras plus tard.

Voici la prière d'un saint de notre temps : "Seigneur Jésus, tu étais toujours en moi, et je ne le savais pas. Tu étais là, et je ne te cherchais pas. Quand je t'ai découvert, je brûlais que tu sois le tout de ma vie. Un feu m'embrasait. Mais très souvent je t'ai oublié à nouveau. Et toi, tu continuais à m'aimer".

Un chrétien responsable de notre temps posait parfois la question à ses assistants :"Est-ce que tu pries ? Et quand je dis cela, je ne veux pas dire : Est-ce que tu dis des prières ? Je veux dire : Est-ce que tu passes du temps avec Dieu ? Est-ce que tu prends du temps de repos avec Dieu ? Est-ce que tu es en communion avec Dieu ? Est-ce que de temps en temps tu te tiens main dans la main avec Dieu ? Est-ce que tu es heureux avec lui ?"

La plus grande partie de la vie des saints est grisaille quotidienne. L'ange de Dieu était venu dire à Zacharie qu'il y avait une lumière de Dieu qui allait tomber sur ce quotidien. Un quotidien long, caché, apparemment insignifiant. Il y a toutes les petites et minuscules occupations du ménage : laver, cuisiner, coudre, nettoyer la maison, vivre avec des voisins par toujours amicaux, vivre en couple. La plus grande partie de la vie des saints est grisaille quotidienne. Et voilà que sur tout ce quotidien il tombe une lumière. (Avec Patriarche Daniel, Frère Roger, AvS, HUvB).

 

29 juin 2014 - Fête de saint Pierre et saint Paul - Année A

Évangile selon saint Matthieu 16, 13-19

L'évangile d'aujourd'hui, on lui donne parfois pour titre : La profession de foi de Pierre. Nous sommes dans la région de la ville de Césarée de Philippe, dans le nord de la Galilée. Jésus porte à ses disciples les plus proches cette question singulière : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ?"

Les apôtres sont plus proches des habitants et des auditeurs de Jésus que Jésus lui-même. Et donc Jésus leur pose la question : "Qu'est-ce que les gens disent de moi ?" Ou bien Jésus voulait simplement faire parler ses disciples avant de les entraîner plus loin. Ce que les gens disent de toi ? Certains t'appellent un prophète, d'autres pensent que tu es fou et possédé : un pauvre homme que Satan agite ou que bouleverse la folie... "Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?" Saint Pierre ne se fait pas prier pour répondre : "Tu es le Messie !".

Et le Messie, ça ne peut être qu'un roi glorieux et très puissant. Les apôtres avaient appris ça dans les psaumes : "Il gouvernera ton peuple avec justice, il fera droit aux malheureux... Il dominera de la mer à la mer, et du fleuve jusqu'au bout de la terre. des peuples s'inclineront devant lui, ses ennemis lécheront la poussière. les rois de Tarsis et des îles apporteront des présents... Tous les rois se prosterneront devant lui". Voilà le Messie qu'on attendait. Et voilà ce que les disciples attendent de Jésus : tous les miracles que Jésus opérait étaient bien le signe qu'il était ce Messie tout-puissant.

Alors quand Pierre a fait sa profession de foi : "Pour nous, tu es le Messie", Jésus ajoute d'abord à l'adresse de Pierre : "Tu n'as pas pu trouver la réponse toi-même, c'est Dieu qui t'a inspiré cette réponse, c'est mon Père". Et Jésus ajoutera à l'adresse de tous ses disciples : "Pour l'instant, ne dites à personne que je suis le Messie. Laissez Dieu parler dans les cœurs comme il a parlé dans le vôtre". Et c'est alors que Jésus va déclarer solennellement à Pierre : "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église... Et elle ne sera jamais détruite".

L’Église est impensable sans péchés et sans apostasies, comme elle est impensable sans les saints et les saintes de Dieu. L’Église est sans cesse secouée comme un panier à salade. Elle a toujours à faire avec les deux extrêmes : le bien parfait et le mal parfait, et aussi avec toutes les nuances qui se trouvent entre le bien parfait et le mal parfait.

La présence du Seigneur Jésus demeurera toujours dans l’Église. La mort de Jésus sur la croix n'a pas été la fin de l’Église. Il n'est pas venu du Père pour éveiller en nous un désir impossible qui ne peut se réaliser ici-bas. Il est venu pour rester au milieu de ceux qui croient en lui. Ils doivent le savoir : "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux".

L’Église ? Pour quoi faire ? L’Église, il faut qu'elle soit toujours plus ouverte au monde pour se donner à lui, c'est-à-dire pour lui communiquer l'Esprit de Dieu qui lui a été donné et qui vit en elle. L'histoire du monde, c'est l'histoire de la pénétration progressive de l'humanité par le Christ. Et l’Église n'est que l'instrument de cette pénétration; ceux qui sont déjà chrétiens ne sont que les instruments de cette pénétration.

"L'étendue de l'ambition de l’Église de Jésus-Christ, une ambition qui a été assignée à l’Église par Jésus-Christ lui-même, c'est les extrémités de la terre et la fin de tous les temps". C'est Madeleine Delbrel qui disait cela, Madeleine Delbrel qui sera sans doute un jour canonisée.

Aujourd'hui dans l'évangile, Jésus affirme à Pierre qu'il sera le fondement de son Église : "Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église". Et quelque temps après, Pierre va renier Jésus. Qu'aurions-nous fait à sa place ? Newman disait : "Bien qu'il y ait dans l’Église beaucoup de personnes saintes, et que la sainteté soit toujours la vraie vie, il y aura toujours aussi dans l’Église un grand nombre de personnes dont la vie sera un scandale et un déshonneur, non une défense de la foi chrétienne".

Terminer avec Madeleine Delbrel encore : "L’Église, il faut s'acharner à la rendre aimable. Il faudrait s'acharner à éviter tout ce qui en elle, sans nécessité, rend son amour indéchiffrable. Il y a mensonge par omission à ne pas témoigner que notre joie d'enfant de Dieu, c'est d'elle, la Mère, que nous la tenons. Il y a une reconnaissance de famille qui doit transparaître dans nos vies... L’Église, il faut s'acharner à la rendre aimante... Dans nos vies, l’Église doit être bonne, dans nos vies le Christ Église doit aimer à l'aise, dans le sens même de son amour, dans les règles de son amour, dans les exigences de son amour. (Avec Henri de Lubac, Madeleine Delbrel, Newman, AvS).

 

15 août 2009 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1, 39-56

L’Écriture ne parle pas de l'entrée au ciel de la Vierge Marie, de son Assomption dans le ciel. Pour célébrer l'entrée au ciel de la Vierge Marie, la liturgie a retenu cet évangile de la visite de Marie à sa cousine Élisabeth. Marie porte en elle le Fils de Dieu, le Fils du Père éternel. Même pour Marie, à ce moment-là, les choses ne sont peut-être pas aussi claires. Elle porte en elle l'enfant du miracle, le pur don de Dieu. Mais que deviendra cet enfant ?

Toujours est-il qu'en entrant chez Élisabeth, sa cousine, elle apporte une lumière, la lumière de Dieu. Et Jean-Baptiste, qui est encore dans le sein de sa mère, réagit à cette lumière. Et par contrecoup, sa mère elle-même comprend quelque chose du mystère. Sa cousine, Marie, est remplie de Dieu.

Personne n'a vu Marie monter au ciel, de même que personne n'a vu Jésus sortir vivant du tombeau. Sur la croix, Jésus a pu dire à l'un des deux brigands, à l'un des deux malfaiteurs, crucifié à côté de lui : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis". Alors il est évident pour la foi des chrétiens, pour la foi de l’Église, depuis longtemps, depuis toujours, que Marie a été reçue tout de suite au paradis au terme de sa vie terrestre. Elle a été emportée au ciel, prise au ciel, assumée au ciel. Et là, dans le ciel, elle fait toujours, par la grâce de Dieu, ce qu'elle a fait dans sa rencontre avec sa cousine Élisabeth : elle porte Dieu, elle apporte Dieu à tous ceux qu'elle rencontre, elle apporte Dieu à tous ceux qui vont à sa rencontre : sur les chemins des pèlerinages, tout comme dans les maisons et sur les lits des hôpitaux.

Pour les défunts, en général, on sait qu'ils sont en route, on ne sait pas s'ils sont déjà arrivés, on ne sait pas s'ils ont encore des efforts à faire ou s'ils peuvent déjà se reposer. C'est pourquoi on prie pour eux. Et on ne sait pas quand on peut commencer à leur demander de prier pour nous parce qu'ils sont déjà arrivés. Pour Marie, c'est différent, on sait qu'elle est arrivée. Et tout de suite avec elle, on peut lui demander qu'elle nous apporte la lumière qu'elle possède, la lumière dans laquelle elle baigne, la lumière de Dieu, comme elle avait apporté la lumière de Dieu dans la maison d’Élisabeth. Pourquoi la lumière de Dieu ? Parce que la lumière de Dieu résout tous nos problèmes. Ou bien nos problèmes sont dissous, sont dissipés, ils n'existent plus. Ou bien on comprend comment il faut les traiter. Dans la foi, évidemment, dans la lumière de Dieu justement.

L'Apocalypse tout à l'heure, notre première lecture, nous parlait du combat des forces du mal contre Dieu ; les forces du mal qui étaient symbolisées par un énorme dragon rouge feu, une bête gigantesque et terrifiante, l'adversaire de Dieu, Satan aux mille têtes, aux mille tentacules. Et ce dragon en veut à l'enfant de la femme, à l'enfant de la Vierge Marie, au Seigneur Jésus. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort pense que, d'une certaine manière, le démon craint davantage Marie que Dieu lui-même. C'est curieux qu'ils dise ça, Grignion de Montfort. Pourquoi dit-il cela ? Il explique : le démon craint davantage Marie que Dieu lui-même parce qu'il est plus humiliant pour lui d'être écrasé par une jeune fille que par le Tout-puissant lui-même.

La prière officielle de l’Église a toujours quelque chose de marial, d'une manière ouverte ou d'une manière cachée, d'une manière consciente ou inconsciente. L'essentiel de la vie de Marie, c'est son oui à Dieu. Et comment s'est-elle préparée à dire oui à Dieu? Elle ne s'y est pas préparée autrement que par la prière. Et si Marie a toujours la mission de nous apporter la lumière, la lumière de Dieu, c'est pour nous aider à prononcer notre propre oui à Dieu. Nous ne pouvons pas dire vraiment ce oui à Dieu par nos propres forces ; c'est pourquoi nous devons rester attachés à elle, avec reconnaissance, elle qui a pu dire à Dieu un oui parfait.

Terminer en vous redisant ces quelques mots de saint Bernard : "Marie, en la suivant, on ne dévie pas ; en la priant, on ne désespère pas ; en pensant à elle, on ne se trompe pas. Si elle te tient par la main, tu ne tomberas pas ; si elle te guide, tu ne connaîtras pas la fatigue ; si elle est avec toi, tu es sûr d'arriver au but". (Avec saint Louis-Marie Grignion de Montfort, saint Bernard, AvS, HUvB).

 

15 août 2010 - Assomption de la Vierge Marie

Evangile selon saint Luc 1, 39-56

Les Écritures ne nous disent rien de la fin de la vie de Marie. Les Écritures nous parlent de la résurrection de Jésus, mais elles ne nous disent même pas si Jésus est apparu à sa Mère. Marie est avec le groupe des disciples dans les jours qui précèdent la Pentecôte : "Tous, d'un même cœur, ils étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie, la Mère de Jésus". C'est ce que nous disent les Actes des apôtres. Après cela, le Nouveau Testament est muet sur la fin de la vie de Marie.

Mais très vite, au cours de l'Histoire, les chrétiens ont su que Marie partageait le sort du Seigneur Jésus et qu'elle se trouvait en Dieu avec son Fils. La fête du 15 août est une autre manière de fêter la résurrection de Jésus. La fête de l'Assomption nous redit à sa manière que le Seigneur Jésus, le premier ressuscité d'entre les morts, invite tous les humains à le rejoindre auprès du Père, là où lui-même est entré en précurseur et où sa Mère aussi l'a rejoint.

Dans la foi chrétienne, il y a beaucoup de choses qu'on ne peut pas prouver. On ne peut pas prouver la résurrection de Jésus, on ne peut pas prouver l'Assomption de la Vierge Marie, on ne peut pas prouver la présence du Seigneur Jésus dans l'hostie quand nous communions. Le croyant ne peut communier que s'il croit à la parole du Seigneur Jésus : "Ceci est mon corps". Le croyant renonce à comprendre avec sa raison naturelle. Le pur miracle s'introduit dans sa vie.

Après la Pentecôte, les Écritures ne parlent plus de Marie. Quelle était la foi de Marie pendant toutes les années qui ont suivi la mort de Jésus ? Quelle était la place de Marie au milieu des chrétiens durant toutes ces années ? La joie secrète ne fait jamais de bruit. Marie était remplie de cette joie secrète. La beauté secrète ne fait jamais montre d'elle-même. L'humilité ne fait jamais sa propre réclame. Marie était là simplement avec les disciples. Et elle prie avec eux, bien sûr. De Marie, pendant toutes ces années, on peut dire ce qu'un de nos contemporains disait d'une espèce de sainte qu'il avait rencontrée : "Pleine de bonté, de modestie, d'authenticité. Avec elle, on se sent bien et tout est facile. Elle rayonne : humilité, amour, ouverture, ce qui est extrêmement reposant". C'est ce que nous faisons quand nous égrenons des "Je vous salue Marie".

Marie devait faire deviner le sens du mystère ; elle devait rayonner aussi une confiance simple et lumineuse. Dans la prière à Marie, dans toutes les formes du culte marial, on ne doit pas voir seulement la recherche simplette d'une protection. Il faut plutôt y reconnaître la contemplation émerveillée de quelqu'un qui a été transfiguré par sa disponibilité totale à Dieu. Le royaume de Dieu n'est pas de ce monde, mais c'est déjà quelque chose que de ne pas oublier que ce royaume existe ailleurs et d'en porter le secret dans son âme. Et Marie, justement, peut nous faire deviner que ce royaume de Dieu est tout proche de nous.

Terminer avec Marie : Avec Marie, ne refuser aucun des chemins que Dieu nous ouvre pour accéder au secret de son amour éternel. (Avec Alexandre Schmemann, Jean Duquesne, AvS, HUvB).

 

15 août 2011 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1,39-56

Pour célébrer l'Assomption au ciel de la Vierge Marie, l’Église n'a rien trouvé de mieux comme évangile que ce récit de la rencontre de Marie avec sa cousine Élisabeth. Ce récit se termine par le cantique de Marie, le Magnificat, un cantique qu'on voit très bien aussi sur les lèvres de Marie le jour où elle est entrée dans le ciel de Dieu. Le Seigneur Jésus est le premier ressuscité d'entre les morts. Comme son Fils Jésus, Marie a connu la mort. En la fête de l'Assomption, nous célébrons sa résurrection, le jour où elle a retrouvé son Fils dans la gloire de Dieu. Marie est entrée dans la gloire de Dieu : c'est pour nous comme une promesse, la promesse que toute l'humanité est destinée à la vie éternelle.

Le temps de la nuit aide à chercher Dieu de manière simple. On peut prier Dieu, on peut le faire aussi en compagnie de Marie avec des Je vous salue Marie qui n'en finissent pas. On peut toujours implorer la venue de la grâce. On peut toujours essayer de se livrer à elle sans vouloir entrer de force dans quoi que ce soit que Dieu ne veut pas donner lui-même. On se réjouit seulement d'être avec Dieu et avec Marie. Marie nous invite toujours à nous ouvrir à Dieu afin qu'on puisse entendre l'Esprit.

Et voici une parole de l'Esprit qui nous vient d'un rabbin juif du XVIIIe siècle. Ce rabbin disait un jour à un pénitent : "Voici ta pénitence. Quel que soit le mot d'une prière que tu prononceras, à dater d'aujourd'hui et jusqu'à ta mort, jamais tu ne le prononceras du bout des lèvres mais toujours du plus profond du cœur". On pourrait essayer de dire comme ça, du plus profond du cœur, au moins un Je vous salue Marie.

Et je continue avec une prière juive du soir, quand on se met au lit. Une prière qui dit ceci : "Couche-nous, Seigneur notre Père". Et le commentateur ajoute : "Lorsque l'homme pense à Dieu comme à son père, alors il se sent comme un petit enfant sur qui vient se pencher son père quand il se met au lit, veillant sur lui, le bordant dans sa couche et gardant son sommeil". Et si on s'endort avec un je vous salue Marie, on peut penser, on peut croire, que c'est Marie qui vient nous border et nous garder dans notre sommeil.

Notre évangile d'aujourd'hui ne nous décrit pas Marie dans le ciel. Il nous parle de Marie qui vient d'être enceinte et qui a fait cent kilomètres peut-être, à pied ou à dos d'âne, pour aller rendre visite à sa cousine Élisabeth qui attend elle aussi un bébé, un bébé qui sera Jean-Baptiste. Pour Élisabeth comme pour Marie, l'enfant qui s'annonce est l'enfant du miracle. Et le miracle est encore bien plus grand pour Marie. Et que se passe-t-il dans le cœur et dans la pensée des deux femmes ? Comme toutes les femmes qui attendent un enfant, elles savent très bien que leur grossesse est comme une mort, c'est un renoncement à beaucoup de choses. Elles savent que l'éducation de leur enfant sera comme une mort. Mais elles savent aussi que cette mort partielle est un passage vers la vie, c'est un triomphe de l'égoïsme, c'est une résurrection. C'est pourquoi Marie peut remercier pour le passé, pour le présent et pour l'avenir. Et elle nous invite toujours à faire comme elle : "Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur. Il s'est penché sur son humble servante. Il a fait pour moi des merveilles".

Dans le Je vous salue Marie, on n'oublie jamais non plus de prier Marie pour l'heure de notre mort. Il y a la grande mort finale, mais il y a aussi toutes les petites morts quotidiennes, les petites morts que l'obéissance nous impose, comme dit Madeleine Delbrel. Madeleine Delbrel qui était assistante sociale dans la banlieue rouge parisienne et qui vivait avec plusieurs autres femmes comme consacrées à Dieu au milieu du monde. Madeleine Delbrel sera peut-être un jour reconnue par l’Église comme une sainte authentique. C'est quoi les petites morts quotidiennes dont elle parle ? "C'est l'obéissance, c'est, lorsqu'on vit à plusieurs, d'oublier d'avoir un goût et de laisser les choses à la place que les autres leur donnent... Quand nous sommes accoutumés à livrer ainsi notre volonté au gré de minuscules choses, nous ne trouvons pas difficile, quand l'occasion s'en présente, de faire la volonté de notre chef de service, de notre mari, de notre femme ou de nos parents. Et nous espérons bien que la mort même sera facile. Elle ne sera pas une grande chose, mais une suite de petites souffrances ordinaires, l'une après l'autre consenties".

Il y a quelque chose de marial dans ces réflexions de l'assistante sociale devenue très chrétienne, alors qu'à l'âge de dix-sept ans elle avait rédigé en bonne et due forme une déclaration d'athéisme parfait. Elle avait ensuite été rattrapée par la grâce.

Nous célébrons la fête de l'Assomption au ciel de la Vierge Marie. Marie est le lien entre le ciel et la terre. La foi aussi constitue un lien entre le ciel et la terre. En vivant dans la foi, nous possédons la maîtrise sur notre mort, en ce sens que la mort n'est plus une rupture, mais la refonte de notre existence en Dieu. Même l'éternité, qui est le temps de Dieu, appartient au croyant. Et son temps terrestre ne saurait tomber en dehors de ce temps éternel. Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous, pécheurs, maintenant à et à l'heure de notre mort. (Avec Martin Buber, François Varillon, Madeleine Delbrel, AvS, HUvB)

 

15 août 2012 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1,39-56

Les évangiles ne décrivent pas la résurrection de Jésus ni sa rencontre avec le Père invisible par-delà les trois jours au tombeau. Les évangiles ne décrivent pas l'assomption au ciel de la Vierge Marie, comment elle y a été accueillie par son Fils Jésus dans la Trinité. Marie s'est mise en route rapidement vers la montagne de Dieu quand Dieu l'a appelée auprès de lui. Et quand elle est arrivée dans le ciel de Dieu, tout le monde lui a dit : "Tu es bénie entre toutes les femmes". Tu es bénie plus que toutes les femmes. Quel bonheur que la Mère du Seigneur soit venue jusqu'à nous ! Et Marie de répondre : Oui, c'est vrai, le Seigneur a fait pour nous des merveilles. Il s'est penché vers nous et il nous élève jusqu'à lui.

Si on vit dans la foi, on est constamment dans le courant de la vie de Dieu. Quoi qu'on fasse, que ce soit prière ou activité concrète là où nous sommes, nous sommes dans le courant de la vie de Dieu, nous sommes enveloppés du vêtement de la grâce. Et la grâce exige toujours l'obéissance. Pourquoi ? Si on demandait au Seigneur Jésus qui il est , il répondrait : Je suis plus. Et si on lui demandait : Que veux-tu de moi ? La réponse serait : Je veux plus. Pourquoi ? Il veut nous faire comprendre qu'il veut toujours nous donner plus que ce que nous pouvons déjà saisir aujourd'hui.

Dans la rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth, l'évangile d'aujourd'hui nous dit qu'à l'instant de la rencontre Élisabeth fut remplie de l'Esprit Saint. Marie, alors, n'était pas moins comblée. Personne n'a été , autant qu'elle, remplie de l'Esprit Saint. C'est l'Esprit Saint qui lui avait apporté la semence du Père invisible, porteuse du Seigneur Jésus. Et pour nous, pour l’Église, c'est l'Esprit Saint aussi qui nous fait, pour ainsi dire, sympathiser avec Dieu. Ce qui nous relie et nous unit en quelque sorte à Dieu, c'est l'Esprit.

Ce qu’on peut souhaiter c’est qu’il y ait partout des lieux de paix, d'amour et de communion, où chacun puisse être accueilli dans sa faiblesse, sa fragilité, sa vulnérabilité. S'il existe un lieu comme ça, c'est bien là où Marie est entrée la première et où elle nous attend tous, avec nos faiblesses, nos fragilités et nos vulnérabilités. Marie ici-bas, comme là où elle est aujourd'hui, c'est le contraire de la volonté de puissance, de la vanité, de la superficialité.

Qu'est-ce que ça veut dire : aimer Dieu, aimer Marie ? Quand tu t'adresses à Dieu, quand tu t'adresses à Marie, parce que tu as besoin de lui, parce que tu as besoin d'elle, n'imagine pas que tu l'aimes. Tu peux dire de Dieu que tu l'aimes quand tu n'as pas besoin de lui demander quelque chose, mais qu'il existe simplement comme un être précieux, joie et beauté... Tu peux dire de Marie que tu l'aimes quand tu n'as pas besoin de lui demander quelque chose, mais qu'elle existe simplement comme un être précieux, joie et beauté. La prière, c'est aussi quand on n'a rien à demander à Dieu ou à Marie, c'est quand on peut lui dire : je ne vais rien te demander, je me remets en toute confiance entre tes mains et je voudrais faire ce que tu me demandes. Être uni comme ça à Dieu, à Marie, dans une véritable communion.

Le Seigneur Jésus, le Fils, est le chemin qui mène au Père. Il est comme le parfum du Père dans le monde. On peut dire la même chose de la Vierge Marie : elle est le parfum de Dieu dans le monde. (Avec Louis Bouyer, saint Augustin, Antoine Bloom, AvS, HUvB).

 

15 août 2013 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1,39-56

Aucun texte du Nouveau Testament ne raconte l'Assomption au ciel de la Vierge Marie. Alors pour célébrer la naissance au ciel de la Mère de Dieu, l’Église a retenu la rencontre joyeuse d’Élisabeth et de Marie sa cousine. Les deux femmes attendent un enfant et, pour les deux, c'est l'enfant du miracle. Mais pour Marie, le miracle est infiniment plus grand. Quand Élisabeth et Marie se rencontrent, l'enfant que porte Élisabeth bondit de joie en elle. Il y a là un passage de Dieu. Pour la première fois, Marie n'est plus toute seule avec son grand secret. Par sa cousine Élisabeth, elle sait un peu plus clairement que ce qui se passe en elle, c'est l’œuvre de Dieu. Et Dieu permet qu’Élisabeth soit pour Marie une messagère de Dieu. Les deux femmes s'embrassent dans la joie et elles remercient Dieu ensemble.

Dieu a demandé à Marie si elle acceptait de lui rendre un service, pas un petit service. Et Marie a dit oui. Et elle savait que cela ferait plaisir à Dieu qu'elle dise oui. Mais maintenant qu'elle est embauchée, ce n'est plus elle qui va organiser son service. Le but n'est pas d'abord qu'elle trouve son plaisir ; son plaisir, c'est de servir Dieu, comme Dieu le veut. Élisabeth était stérile, Marie s'était sans doute donnée à Dieu totalement. Une vie stérile est impensable dans la foi. Chacun a sa mission propre, et toujours une mission qui peut combler sa vie.

L'évangile de saint Jean se termine comme ceci : "Il y a encore bien d'autres choses que Jésus a faites. Si on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu'on en écrirait". D'une certaine manière, Lourdes était déjà dans l'évangile, et aussi l'Assomption au ciel de la Vierge Marie. Pour beaucoup il est plus facile de s'approcher de Marie que de Dieu. Mais là où est Marie, son Fils aussi est déjà là, et elle nous le montre. Personne ne vient au Fils sans y être attiré par le Père, et personne ne vient à Marie sans qu'elle lui montre le Fils.

Beaucoup d'entre vous se souviennent sans doute de ce qu'on raconte de Jean-Paul Sartre. Sartre était prisonnier en Allemagne durant la guerre 39-45. Et pour ses camarades de captivité au stalag XII D à Trêves, il avait composé une pièce de théâtre qui a été mise en scène à Noël 1940 par les prisonniers ; et dans cette pièce de théâtre, il y a ces quelques mots : "Marie l'a porté neuf mois et lui donnera le sein, et son lait deviendra le sang de Dieu". De la part d'un incroyant, c'est admirable. Et cela nous donne à penser ce que peut être chaque communion eucharistique. "Le lait de Marie devient le sang de Dieu" et, dans l'eucharistie, le pain de Dieu devient la chair de l'homme.

Un philosophe de notre temps, qui se dit incroyant, mais qui a beaucoup de respect et d'admiration pour les évangiles, écrivait un jour : "Les évangiles, c'est un sillon de lumière". C'est vrai. Notre foi chrétienne est un trésor de lumière. Mais c'est curieux, la lumière. Elle peut prendre bien des formes. L'un de nos Pères dans la foi, il y a très longtemps, faisait dire à Jésus : "Je suis venu pour enseigner l'humilité. Celui qui vient à moi se fait humble, parce qu'il ne fait pas sa volonté mais celle de Dieu" (saint Augustin). Et un autre philosophe, qui était presque de notre temps, mais qui était très croyant, lui, écrivait ceci : "On est humble devant qui l'on aime... L'humilité est fille de l'amour ; l'amour ne demande rien pour soi".

Et le même croyant nous dit ceci, qui va dans le même sens : "Il faut aider le Sauveur à pénétrer dans le petit coin du monde où il nous a appelé". Et le même continue dans la même veine : "Mon Dieu, ayez pitié de moi et donnez-moi non pas ce que j'aime, mais donne-moi d'aimer ce que vous me donnez". Et puis encore : "Faites que je ne cherche pas à deviner ce que vous nous cachez, et que je comprenne docilement ce que vous commandez... Il n'y a d'absolument bon que ce que Dieu veut pour nous". Et cela se termine par un acte de foi qui pourrait être aussi celui de Marie : "Me confier dans la richesse de votre invisible présence... On sait toujours que vous êtes là".

L'espérance profane, qui exclut Dieu, est essentiellement limitée : dans le concret, elle se brise sans cesse à la mort. L'objet propre de l'espérance chrétienne, c'est le dépassement de la frontière de la mort. C'est ce mystère de lumière que nous célébrons en cette fête de l'Assomption au ciel de la Vierge Marie. (Avec Jean-Paul Sartre, André Comte-Sponville, Maurice Blondel, AvS, HUvB).

 

15 août 2014 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1,39-56

En cette fête de l'Assomption, le Seigneur Jésus accueille Marie dans sa maison. Aujourd'hui la Mère de Dieu est élevée dans la gloire du ciel. Le corps qui avait porté le Fils de Dieu et mis au monde l'auteur de la vie a été préservé de la dégradation du tombeau. Alors dans l'évangile qui vient d'être lu, Marie remercie Dieu de tout ce qu'il a fait pour elle : "Il s'est penché sur son humble servante. Et désormais tous les âges me diront bienheureuse". Entre Marie et Dieu, il y a la barrière de l'abîme. Cette jeune Israélite d'un bourg perdu est désormais la mère du genre humain : Mère de Dieu et mère des hommes.

Dans la rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth, il y a un passage de Dieu, il y a une présence de l'Esprit. Tout de suite Élisabeth et Marie savent qu'elles sont sur la même longueur d'ondes. Elles peuvent s'épancher en toute paix. Elles n'ont pas besoin de se vanter. Elles se considèrent comme des instruments à la disposition de Dieu avec tous les dons que Dieu leur a faits. Pour elles, il est évident que Dieu peut avoir en elles toute la place. L'important, c'est que la volonté de Dieu s'accomplisse et qu'elles lui offrent dans leur vie la place qui lui convient. Élisabeth et Marie ne sont quand même pas sur le même plan. Élisabeth sera la mère de Jean-Baptiste, le précurseur du Messie, Marie sera la Mère du Fils de Dieu.

On peut toujours prier Marie. Et il est parfois plus facile de prier Marie que de prier Dieu. Péguy n'allait pas à la messe le dimanche, mais il faisait des pèlerinages au sanctuaire de la Vierge. Comme ici, dans notre région, on va prier Marie à la grotte de Clairmarais, mais on ne va pas à la messe le dimanche. En réalité, Marie ne dispense pas d'aller à la messe le dimanche, elle ne dispense pas du précepte, mais elle permet d'attendre l'heure désirée où notre âme aura atteint le niveau de ce précepte. Marie est comme une présence de Dieu dans les lieux qui sont hors de sa maison, elle est partout où se trouve un élément de bonne volonté. Il n'y a qu'en enfer qu'elle ne loge pas.

Il y a quelque chose de singulier dans la conduite de saint Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites. Dans le récit de sa vie, il est écrit ceci : "Il avait décidé, après son ordination, de rester un an sans dire la messe, se préparant et priant la Madone de bien vouloir la mettre avec son Fils". En fait saint Ignace attendit un an et demi et il célébra la messe la première fois le jour de Noël 1583 à Rome en la basilique de Sainte Marie Majeure.

Heureux les cœurs purs, disait Jésus. Rien, dans un cœur pur, ne s'oppose au passage des rayons : non seulement le cœur pur voit Dieu, mais on voit Dieu à travers lui. En s'approchant de Marie, même à la grotte de Clairmarais, on s'approche de Dieu. Et souvent on va à la grotte de Clairmarais parce qu'on ne sait plus à qui se confier. Et c'est Marie qui nous dit : Celui qui ne peut plus assumer sa souffrance, qu'il l'offre à Dieu... pour qu'il la transforme en bénédiction pour les autres, nos tout proches et pour le monde entier, comme le Seigneur l'a fait lui-même. Alors, même si la souffrance est toujours là, elle est transformée.

Dans les litanies de la Vierge, on appelle Marie le refuge des pécheurs. Qu'est-ce que ça veut dire ? Meilleur on est, et plus on a pitié pour les coupables. Marie, refuge des pécheurs, n'a pas d'indulgence pour la faute elle-même, mais elle a de la compassion pour les faibles qui n'ont pas su résister à la faute. Marie, elle, a toujours fait la volonté du Père. En ce sens elle a été disciple du Christ. Et il est plus important pour Marie d'avoir été disciple du Christ que d'avoir été sa Mère. Marie est bienheureuse parce qu'elle a entendu la parole de Dieu et qu'elle l'a gardée. C'est saint Augustin qui disait cela.

Il est très peu question de Marie dans le Nouveau Testament. Le cœur du Nouveau Testament, c'est le Seigneur Jésus et sa résurrection. Même dans la communauté chrétienne primitive, dans les Actes des apôtres, on ne parle guère de Marie. Pour elle aussi se vérifie le fait que rien n'a jamais été fécond dans l’Église qui ne soit passé de l'obscurité d'une longue solitude à la lumière de la communauté. (Avec Jean Guitton, saint Ignace de Loyola, Gilbert Cesbron, saint Augustin, AvS, HUvB).

 

15 août 2015 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1,39-56

Les évangiles ne parlent pas de la mort de Marie, ni de son Assomption dans le ciel. Alors quel évangile choisir pour cette fête ? Depuis longtemps l’Église a choisi l'évangile qui raconte la visite de Marie à sa cousine Élisabeth, alors que Marie est enceinte de Jésus et Élisabeth enceinte de Jean-Baptiste.Il y a beaucoup de joie dans cette rencontre de Marie et d’Élisabeth, et aussi un signe du ciel. Élisabeth fut remplie de l'Esprit Saint et elle dit à Marie : "Quand j'ai entendu tes paroles de salutation, l'enfant que je porte a tressailli de joie au-dedans de moi". Et c'est alors que Marie chante à Dieu tout son merci : "Tu as fait pour moi des merveilles, saint est ton nom". C'est le merci de Marie à Dieu le jour aussi où elle entre dans le ciel.

Dans le grand discours d'adieu de Jésus à ses disciples la veille de sa mort, Jésus veut les consoler et les rendre forts pour les heures qui viennent, et il leur dit : "Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, un autre Défenseur, pour qu'il soit toujours avec vous". Depuis ce temps-là, le ciel nous a donné quelqu'un d'autre pour nous accompagner dans les temps de détresse, c'est la Mère de Jésus. Le Seigneur Jésus, qui sait bien que sa Passion approche, sait bien aussi que l'homme ne peut vivre sans consolation, surtout devant l'épreuve et devant la mort. Alors il parle à ses apôtres de l'Esprit Saint qui sera leur Consolateur. Depuis lors, il a donné aussi sa Mère comme consolatrice de toute l'humanité, en particulier à l'heure de la mort.

Il y a des pauvres matériellement, mais il y a aussi des pauvres spirituels, c'est-à-dire tous ceux qui sont loin de Dieu par l'ignorance ou par le péché, des pauvres donc qui ne savent pas qu'ils peuvent avoir auprès d'eux un consolateur comme l'Esprit Saint ou une consolatrice comme Marie, surtout dans l'épreuve et à l'heure de la mort. Il y a du mal et de la souffrance dans le monde. François Mauriac disait un peu violemment, sous forme de boutade : "Si vous voyez quelqu'un qui vous explique pourquoi le mal existe, amenez-le moi, que je l'étrangle".

Le mal et la souffrance existent pour le croyant comme pour le non croyant. Que faire et que dire ? Une femme de notre temps, qui était très proche de Dieu, disait simplement : "Croire fermement qu'une intelligence mène l'univers, que l'univers a u but, un sens, une destinée, se savoir de toute certitude aimé, aimé éternellement, avoir toujours une porte ouverte sur l'infini : comment peut-on vivre sans cela, à moins de n'être pas un homme dans le sens plein du terme ?" Il y a du mal et de la souffrance dans le monde, il y a la mort. Mais Dieu n'est pas souffrance, il est joie. On n'adore pas les souffrances du Christ, on les considère, on les surmonte, c'est lui qui les porte ; et il ouvre à la joie au-delà des souffrances.

Et quand nous arriverons dans l'au-delà, nous allons retrouver tous ceux que nous avons aimés. Alors, grande question : à quel âge et avec quelle tête ? A deux ans ou à quatre-vingts ans ? Ce que nous allons retrouver, c'est le visage de l'amour, la voix qu'on a aimée, l’œil ou le sourire qu'on a aimés. Peu importe l'âge, on va retrouver la personne aimée avec le visage de l'amour. Et la Vierge Marie, quel sera son visage ?

On parle parfois du cœur immaculé de Marie, on invoque son cœur immaculé. C'est quoi un cœur pur ? Le cœur pur, c'est celui qui se tient devant Dieu dans sa simplicité comme un miroir ou comme un tableau où Dieu peut écrire ses propres paroles. Que la Vierge Marie nous donne un cœur de ce genre, maintenant et à l'heure de notre mort. (Avec Jean Daniélou, François Mauriac, Camille C., Alexis Jenni, Luc Ferry, AvS, HUvB).
 

15 août 2016 - Assomption de la Vierge Marie

Évangile selon saint Luc 1,39-56

Comme les évangiles ne disent rien de la fin de la vie de Marie, pour célébrer son Assomption l’Église nous fait lire aujourd'hui le récit de la rencontre de Marie et de sa cousine Élisabeth. Et dans ce récit, ce qui nous intéresse surtout aujourd'hui, c'est le chant d'action de grâce de Marie, le Magnificat, où Marie remercie Dieu de ce qu'il a fait pour elle, elle le remercie du cadeau invraisemblable que Dieu lui a fait : elle est enceinte de Jésus d'une manière miraculeuse. Et en ce jour de l'Assomption, le Seigneur Jésus accueille sa Mère dans son ciel.

Marie a mis Jésus au monde, mais elle sait que Dieu donne les enfants pour les reprendre auprès de lui. A peine son Fils est-il né que son retour au Père commençait. Elle a enfanté de son corps un Enfant qui va au-devant de la mort, et elle le suit dans son destin. Son Fils a choisi de son plein gré une vie éphémère et une mort douloureuse, et elle ne connaît pas d'autre volonté que la sienne. Elle meurt parce que le Fils est mort. Elle ne supporterait pas de le voir mourir et de ne pouvoir le suivre dans la mort.

Après la mort de Jésus, la petite vie ordinaire qui fut celle de sa jeunesse reprend, et les années passées avec le Fils, depuis l'apparition de l'ange jusqu'à l'Ascension, ont l'air à présent d'un épisode prodigieux presque invraisemblable dans sa vie de femme si paisible. Elle a commencé dans l'humilité et l'obscurité ; elle fut brusquement mise en lumière, puis elle rentre dans l'ombre et l'humilité. Tant qu'elle vit, Marie n'est l'objet d'aucun culte dans l’Église, elle est écartée, presque oubliée. Elle reprend la tâche qu'elle avait avant la venue de Jésus. Elle ressemble à Bernadette de Lourdes ou à Lucie de Fatima qu'on met au couvent après les apparitions. On n'entend plus parler d'elle.

Quand elle sera morte et que sa vie aura été totalement sacrifiée, toute la lumière de son existence commencera à briller irrésistiblement. Dieu l'a fait entrer dans la vie terrestre, elle revient à lui avec la même pureté que lorsqu'elle l'a quitté. Dieu l'a créée parfaite dans son Immaculée Conception, et c'est parfaite qu'elle retourne dans ses bras. Comme elle avait reçu son Fils dans la vie humaine, il la reçoit à présent dans sa propre vie divine et éternelle.

Tant qu'elle était sur la terre, elle avait ses limites et devait en tenir compte comme tout être humain. A partir de l'Assomption, elle reçoit le pouvoir de faire sans limites ce que veut son Fils. Elle ne connaît pas d'autres barrières que celles que nous opposons sur terre à son action. Seul notre refus, notre non, peut arrêter son oui éternel. Ce que son Fils vit à Pâques, Marie le vit à son entrée dans le ciel : elle saisit tout à coup le sens de toute sa vie terrestre, elle voit combien elle a été associée à l’œuvre universelle de la rédemption. Son Fils lui montre à quel point chaque instant de sa vie a été fécond, à quel point elle a vécu et œuvré pour l’Église et pour tous. Elle comprend ce que signifie être la Mère de Dieu. Elle contemple l'abîme du Père, et elle voit l'Esprit Saint qui autrefois l'a couverte de son ombre et ne l'a plus quittée depuis. Elle comprend combien Dieu a compté sur elle. Il l'avait choisie pour être reine ; il ne lui reste plus qu'à être éternellement sa servante.

Marie a conçu Jésus et l'a mis au monde. Il en est de même pour tout enfant : même conçu par les humains et sous leur responsabilité, un enfant, pour l'essentiel, leur échappe, il vient d'ailleurs. On nous répète aujourd'hui qu'un enfant ne peut être heureux que s'il est désiré. Mais le plus important au contraire, c'est qu'un enfant, dès qu'il existe, est désirable pour la simple raison qu'il est une personne digne d'être aimée. Chacun de nous, aussi petit soit-il, est grand devant l’Éternel. Dieu établit avec chaque être humain une relation cordiale et unique.

La femme dont parle l'Apocalypse est la Mère du Fils de Dieu, mais elle est aussi la Mère des autres enfants qu'elle enfante, c'est-à-dire les fidèles, c'est-à-dire l’Église. Et en ce sens, Marie est la première. Mais dans un autre sens, elle est à l'intérieur de l’Église, elle est un membre de l’Église, elle n'est pas en dehors de l’Église. Elle en est le cœur ou le cou ou autre chose. Mais il y a les deux à la fois : elle est la Mère des chrétiens, elles est la Mère de l’Église, et elle est un membre de l’Église. Le symbole de ce qu'elle est, c'est l'immense manteau dont Marie enveloppe tous les chrétiens, et finalement un jour tous les humains. (Avec Mgr Léonard, Père Sophrony, Paul VI, AvS).

 

14 septembre 2014 - La croix glorieuse - Année A

Évangile selon saint Jean 3,13-17

Cet évangile est tiré de la rencontre entre Jésus et le pharisien Nicodème. Jésus lui explique longuement les secrets de Dieu. Il peut le faire parce qu'il vient de Dieu. Et il est le seul à pouvoir le faire. Il est descendu du ciel, entre autres, pour révéler les secrets de Dieu. Mais s'il est descendu du ciel, c'est aussi, et surtout peut-être, pour monter sur le bois de la croix. Et de là, il a été élevé par Dieu. Il a été élevé sur le bois de la croix et Dieu l'a élevé dans le ciel pour que tout homme qui croit en lui obtienne la vie éternelle.

La croix, ce n'est que par la foi qu'elle peut être comprise comme sagesse de Dieu. Pour les responsables juifs qui ont fait crucifier Jésus, c'est la victoire ; Jésus est perdu définitivement. On est enfin débarrassé de lui. Cette défaite de Jésus est plus féconde que la plus grande fécondité du monde, elle apporte au monde l'immense bénédiction de Dieu ; la croix est l'expression d'un amour avec lequel aucun amour humain ne peut rivaliser.

Quelques années après la mort de Jésus, saint Paul saura qu'il est possible de partager la croix du Seigneur Jésus pour les autres. Saint Paul est le premier peut-être qui connaisse cette forme de coopération. Dans sa lettre aux Éphésiens, il dit ceci : "Je vous en prie, ne vous laissez pas abattre par les épreuves que j'endure pour vous, elles sont votre gloire".

La croix, c'est le drame infini, c'est la mise à mort de Dieu. La croix, ce sont les bras étendus du Christ Roi, l'emblème de son martyre et un geste d'embrassement. Que dire ? Fléchir les genoux et s'abandonner avec confiance à l'invisible. Israël rêvait d'un Messie triomphant. Il n'a donc pas pu reconnaître son Dieu couronné d'épines et de crachats.

Toute la Bible et l'Apocalypse savent bien que le monde est rude, que le péché est affreux, que l'injustice, la cruauté, l'oppression, les forces démoniaques sont grandes. Mais la Bible et l'Apocalypse savent aussi que, tôt ou tard, l'Esprit de Dieu finit toujours par l'emporter. La lumière est victorieuse. L'Agneau - immolé depuis la fondation du monde - est vainqueur.

Nous fêtons la croix glorieuse. A première vue, la croix n'est pas glorieuse : le Dieu créateur propose son amour sans l'imposer. La création est comme une abdication de Dieu, elle est le sacrifice qu'il fait de lui-même. Dieu a créé le monde par amour et il s'interdit désormais d'y intervenir en retenant sa puissance, en ne venant même pas tout de suite au secours des hommes malheureux ou pécheurs.

Peut-on comprendre que la croix est glorieuse ? Dans l'Ancien Testament, le dernier mot des prophètes a été l'annonce incroyable du serviteur de Dieu humilié, qu'on trouve dans Isaïe. C'est lui donc, ce Serviteur humilié, un homme de notre humanité que Dieu tient en réserve pour remporter la victoire définitive sur les forces du mal, y compris sur ce dernier ennemi : la mort, la mort qui est l'ennemie de Dieu comme de l'homme.

Saint Paul nous dit que le Christ s'est vidé de sa divinité pour devenir homme (Ph 2,7) et se faire serviteur, dans une obéissance au Père qui va jusqu'à la mort pour sauver les hommes. Sur la croix, la dernière parole de Jésus sera : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" C'est le moment où Jésus se vide complètement de sa divinité. Depuis que Jésus a inventé la croix pour y mourir et, de là, être ressuscité par le Père, l'amour sans la croix n'existe pas.

Sans la lumière de la Révélation, l'homme reste incompréhensible et même contradictoire. La croix et la résurrection représentent l'amour et la gloire de Dieu : l'amour qui est abandonné et qui verse son sang. La croix et la résurrection sont la clef de énigme de l'existence humaine. (Avec Patrick Kéchichian, Madeleine Delbrel, Alexandre Men, Chantal Delsol, Simone Weil, Louis Bouyer, Maria Simma, AvS, HUvB).

 

1er novembre 2009 - Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 5, 1-12

Qu'est-ce que ça veut dire cet évangile ? Jésus nous invite à un bonheur. Neuf fois dans cet évangile, on trouve le mot "heureux". Un bonheur. Quel bonheur ? Le bonheur de réussir sa vie sous la conduite de Dieu. Le bonheur de vivre sa vie sous le regard de Dieu. Neuf fois, Jésus emploie le mot "heureux". Ce sont les béatitudes selon Jésus. Des béatitudes qui sont difficiles à comprendre.

Heureux les pauvres : non pas parce qu'ils sont pauvres, mais parce que leur cri a été entendu par Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire " être pauvre" ? Il y a une pauvreté matérielle : on n'a vraiment rien dans les poches. Mais il y a aussi des pauvretés spirituelles qui peuvent être tout aussi pénibles : un célibat qui n'a pas été choisi, une solitude, une détresse, un désespoir. Heureux les pauvres ! Pourquoi ? Seul Jésus peut prononcer de telles paroles. Dans l'une des paraboles de Jésus, le roi fait entrer les plus pauvres dans la salle du festin : les humiliés, les solitaires, les estropiés de la vie, tous ceux qu'on va chercher au coin des rues. Pourquoi tous ceux-là justement ?

Le malheur - la pauvreté - n'est pas un préalable nécessaire pour connaître la vraie béatitude, le vrai bonheur selon Jésus. Il y a un désir fondamental de bonheur qui habite le cœur de tous les hommes, un désir tenace. Jésus veut nous dire où se trouve le vrai bonheur selon le cœur de Dieu. Et il nous dit que le vrai bonheur n'est pas facile, il n'est pas facile à gagner si l'on peut dire. Jésus veut nous dire que notre appétit de bonheur a besoin d'être évangélisé.

"Heureux les pauvres, le royaume des cieux est à eux". C'est quoi le royaume des cieux ? C'est Jésus lui-même, c'est Dieu. Le pauvre, c'est Jésus devant sa mort. Il pressent qu'elle arrive. Et alors il dit à ses disciples : "Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit"... Comme un mourant qui sourit dans le froid de la mort pour consoler ceux qui l'entourent, ainsi le Seigneur Jésus, dans sa solitude, console le Père et tous les hommes : "Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit".

C'est quoi la pauvreté ? C'est ne plus avoir de temps pour soi depuis que le Seigneur Jésus vit en nous. Dès que le Seigneur Jésus vit en nous, nous n'avons plus de temps pour nous... Toute notre vie est utilisée, toute notre vie devrait être utilisée pour Dieu. Chaque minute de notre vie est appelée à coopérer à l’œuvre de Dieu. Tous les jours, nous devrions demander à Dieu ce qu'il attend de nous aujourd'hui. Quels sont ses plans pour nous aujourd'hui ? Et qu'il nous les montre tout au long de la journée. Être pauvre pour Dieu, c'est cela aussi : lui demander qu'il dirige vraiment notre vie. Il faut bien qu'on organise sa vie, il faut bien qu'on ait des projets. Mais il se peut que Dieu va nous demander autre chose aujourd'hui même... La grâce de Dieu peut faire de chacun de nous une source de grâces pour les autres. Dieu nous appelle sans cesse à exister pour lui. Dieu nous inspire de l'aimer. Notre vie a une destination éternelle. C'est pour cela que la pauvreté est importante selon Jésus : il veut nous ouvrir à Dieu, nous ouvrir plus.

Nous avons le droit d'être joyeux, et nous ne devons pas avoir honte d'être tristes aussi... parfois. La joie chrétienne est capable d'intégrer aussi le chagrin. Pourquoi ? Parce que ce que vit le chrétien, c'est l'histoire de Jésus : une histoire qui va du baptême à la résurrection en embrassant aussi le vendredi saint... le vendredi saint comme un moment essentiel du voyage.

C'est quoi la pauvreté selon Jésus ? L'une de nos contemporaines, qui était philosophe, disait ceci : "Ne souhaiter la disparition d'aucune de nos misères, mais la grâce qui les transfigure". C'est une autre manière de dire la pauvreté devant Dieu.

C'est quoi être pauvre devant Dieu ? "Les pécheurs veulent toujours ce qui leur manque. Et les âmes pleines de l'amour de Dieu ne veulent rien que ce qu'elles ont". C'est un ancien archevêque de Cambrai qui disait cela, il y a très longtemps, Fénelon. C'est la sagesse de l'évangile de Jésus, c'est la philosophie de Jésus. Mais Fénelon ajoutait ceci : "C'est avoir Dieu que de l'attendre". On peut se sentir pauvre de Dieu parce qu'il semble très lointain. Et Fénelon nous dit ici, avec la longue tradition du christianisme : "C'est avoir Dieu que de l'attendre". Tous les habitants du ciel que nous fêtons aujourd'hui n'attendent plus Dieu, ils le possèdent, ils sont possédés par lui. (Avec Fiches dominicales, Jean Daniélou, Benoît XVI, Timothy Radcliffe, Jean-Louis Souletié, Simone Weil, Fénelon, AvS).

 

1er novembre 2010 - Toussaint

Evangile selon saint Matthieu  5,1-12

Cet évangile des béatitudes, c'est le début du premier des cinq grands discours de Jésus qu'on trouve dans l'évangile de saint Matthieu. Jésus appelle tous les hommes à un bonheur. Neuf fois, Jésus nous dit ceux qui sont heureux... Heureux en vérité... Heureux en dépit peut-être des apparences contraires aujourd'hui. Nous fêtons aujourd'hui la fête de tous les saints et bienheureux qui sont déjà auprès de Dieu. Et demain, c'est un grand jour de prière pour tous nos défunts. Mais le plus souvent, c'est aujourd'hui même, le jour de la Toussaint, qu'on se rend dans les cimetières pour se recueillir sur les tombes de nos parents ou de nos amis, nous recueillir et aussi prier pour eux. Les liens d'affection que nous avons eus avec nos défunts ne sont pas coupés définitivement. Nous les retrouvons dans la prière. Et s'ils sont déjà vraiment dans la grande paix de Dieu, nous pouvons leur demander de prier pour nous... pour nous qui sommes encore en chemin.

La fête de la Toussaint et son lendemain, le jour des défunts, nous remettent en face du mystère de notre vie humaine. Quel est le sens de notre existence ? Le sens de notre existence ? C'est notre foi chrétienne qui nous donne ce sens, c'est notre foi chrétienne qui nous donne une vision totale de Dieu, de l'homme et du monde. Et l’Église ici a pour mission d'empêcher que les affaires de ce monde deviennent des idoles et des buts en soi. Un humoriste anglais, fort croyant (Chesterton), disait déjà, il y a un certain temps : "Depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, on ne peut pas dire qu'ils ne croient plus en rien, au contraire, ils croient en tout... et en n'importe quoi. Ils croient au spiritisme, aux horoscopes, aux voyantes, aux magnétiseurs et à tout ce qu'on voudra".

Beaucoup de gens vivent dans le monde comme s'il n'y avait pas de Dieu. Autrefois, encore maintenant peut-être en certains lieux, autrefois l'athéisme du communisme était agressif : il attaquait directement l’Église et la religion. Maintenant, dans notre monde d'aujourd'hui, l'athéisme est rampant, il se fait bien moins remarquer, mais il est d'autant plus accrocheur... Un athéisme rampant dans lequel nous vivons... Et nous, nous croyons en Dieu envers et contre tout.

Saint Augustin, l'un de nos Pères dans la foi, l'un des plus grands par le volume de ses écrits sur les mystères de Dieu, on raconte de lui une petite histoire, inventée après coup, une légende. Il se promenait sur une plage et il voit un enfant qui joue à verser de l'eau de la mer dans un trou qu'il avait creusé dans le sable. Alors saint Augustin demande à l'enfant : "Qu'est-ce que tu fais ?" L'enfant : "Je vide la mer dans ce trou". Augustin : 'Tu n'y arriveras jamais. C'est impossible". L'enfant : "J'arriverai à verser toute la mer dans ce trou avant que toi, tu aies compris le mystère de Dieu, le mystère de la sainte Trinité". L'enfant, c'était un ange, bien sûr. Saint Augustin a mis vingt ans pour écrire un ouvrage sur la Trinité, la Trinité qui est le mystère central de notre foi chrétienne ; et ce n'est que par Jésus que l'humanité a eu la possibilité d'accéder à ce mystère. Notre évangile d'aujourd'hui parle du bonheur auquel l'homme est appelé. De quel bonheur s'agit-il ? Jésus nous dit qu'il y a une joie qui ne peut surgir que du contact entre l'homme et Dieu, une joie qui ne peut surgir que de la libération des limites de l'existence terrestre.

Au cours de l'eucharistie nous évoquons toujours tous ceux qui nous ont précédés : les saints et les saintes de Dieu reconnus comme tels par l’Église, et aussi tous nos défunts. Nos défunts sont présents à la messe au même titre que les vivants ici-bas. Et nous prions pour les défunts parce que rien n'est jamais vraiment joué... Rien n'est vraiment joué avant le jugement dernier. Même après la mort, quelqu'un qui a disparu au regard des siens est encore en devenir. Et il n'y a pas que la prière qui peut être utile aux défunts. Il y a aussi le pardon : quand quelqu'un accorde un pardon à un défunt qui l'a fait souffrir, ce pardon, c'est de l'amour qui contribue à la libération des âmes du purgatoire.

L'origine d'une nouvelle vie est aussi secrète que la résurrection du Seigneur Jésus. La venue d'un enfant au monde est aussi secrète que la résurrection du Seigneur Jésus et aussi secrète que la vie au-delà de la vie présente. (Avec Alexandre Schmemann, Chesterton, Joseph Ratzinger, Michel Quesnel, Michel Deneken, Bernard Bastian, AvS, HUvB).

 

1er novembre 2011 - Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12

Le royaume que le Seigneur Jésus veut instaurer, c'est un royaume où tous les hommes sont appelés au bonheur. Tous les hommes sont invités. En fêtant tous les saints, nous célébrons ceux et celles qui sont heureux et bienheureux parce que Dieu les a reçus auprès de lui, et nous sommes tous appelés à suivre le même chemin.

Le Seigneur Jésus est la lumière du monde. Celui qui le suit ne marche pas dans les ténèbres. Il y a dans le Seigneur Jésus une lumière qui conduit à la vie. Même nos nuits, même notre péché, tout est en marche vers la lumière.

Heureux les cœurs purs ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Avoir la foi, c'est avoir le cœur pur. Heureux les cœurs purs : heureux ceux qui ont reçu de Dieu la pureté du cœur. Ceux qui ont le cœur pur sont ceux qui ouvrent toujours totalement leur cœur à Dieu, de sorte que Dieu voit en eux tout ce qui s'y passe. Dieu voit tout, bien sûr, même ce que l'homme voudrait lui cacher. Mais quand un homme offre son cœur à Dieu, quand il lui montre tout ce qu'il est, alors il sait que Dieu purifie le cœur qu'il lui tend et que, dans cette pureté, tout souci pour lui-même lui est enlevé.

Personne ne reçoit de Dieu un cœur pur pour le garder pour lui-même. Le Seigneur Jésus nous a montré ce que c'est que de vivre en homme au cœur pur. Il ne veut pas garder pour lui-même sa connaissance du Père, il veut la communiquer. La connaissance du Père, qui va durer toute l'éternité, c'est ce qu'il peut nous communiquer de plus grand. Avoir la foi, c'est avoir le cœur pur. Mais la foi, c'est toujours un mélange de lumière et d'obscurité. Croire, c'est être fidèle, dans les ténèbres, à ce qu'on a vu dans la lumière.

Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus avait découvert ces mots de l’Écriture : "Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi" (Prov. 9). Aussitôt elle se dit : pas de doute, c'est à moi que cela s'adresse. "Alors, dit-elle, je suis venue". Autre question qui se pose alors à Thérèse : "Qu'est-ce que Dieu va maintenant faire de moi ?" Et elle tombe sur ces versets du prophète Isaïe : "Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein, je vous balancerai sur mes genoux" (Is 66). Réaction de Thérèse : "Mon Dieu,vous avez dépassé mon attente, et moi, je veux chanter vos miséricordes". Ce qu'on appelle la petite voie de Thérèse, c'est la voie de la foi pure, une voie d'abandon total entre les mains de Dieu.

Mais qui est Dieu ? Les saints et les saintes de Dieu nous le disent : "Tout ce que nous pouvons penser de Dieu ou comprendre ou nous figurer, n'est pas Dieu. Car si les hommes pouvaient le saisir et le concevoir avec leurs facultés, Dieu serait moins que l'homme et nous aurions vite fini de l'aimer".

Et voilà quelqu'un, un philosophe de notre temps, qui se dit agnostique : il n'est ni pour ni contre, il ne sait pas, dit-il. Mais il est plutôt contre puisqu'il ne franchit pas le pas de la foi. Pourquoi ? Il l'explique lui-même : "Le christianisme, c'est trop beau pour être vrai. C'est tellement ce qu'on a envie d'entendre, que cela ne peut être que controuvé. On ne veut pas mourir, on veut retrouver les gens qu'on aime. Et, comme par miracle, il y a un type qui arrive et qui nous promet tout cela". Notre philosophe non croyant dit très bien ici ce que c'est que la fête de tous les saints.

Et voilà qu'on pose au philosophe la question de savoir s'il regrette de ne pas avoir la foi. Et sa réponse, il l'a déjà donnée : ça lui semble trop beau pour être vrai. Alors voici ce qu'il dit : "Ce qui me semble regrettable, ce n'est pas de ne pas avoir la foi, c'est plutôt que la 'Bonne Nouvelle' n'en soit pas une, que tout simplement elle ne soit pas vraie, en tout cas pas crédible à mes yeux. Avoir la foi ou non n'a aucun intérêt si la 'Bonne Nouvelle' n'en est pas une. Il a peur de se tromper, de se faire des illusions, et il ajoute : Je crois que la lucidité est supérieure à tout et qu'il vaut mieux préférer une mauvaise nouvelle vraie à une bonne nouvelle fausse". C'est trop beau pour être vrai, il a peur de se tromper !

Terminer avec un autre philosophe, devenu chrétien, lui. C'était il y a très longtemps, au IIe siècle. Celui qui allait devenir saint Justin et qui allait mourir martyr a cherché longuement la vérité dans la philosophie et les différentes écoles de la tradition philosophique grecque. Un jour, sur une plage, il rencontre un mystérieux vieillard qui lui donne ce conseil : "Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut comprendre si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre". Justin est devenu chrétien et, à Rome, il a ouvert une école où il initiait ses élèves à la nouvelle religion, qu'il considérait comme la véritable philosophie. C'est le pape Benoît XVI qui raconte cette histoire de saint Justin dans l'un de ses livres qui a été intitulé : "La sainteté ne passe pas". (Avec André Nouis, sainte Thérèse de Lisieux, Louis Bouyer, Hadewijch, Luc Ferry, saint Justin, Benoît XVI, AvS).

 

1er novembre 2012 – Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 4,1-12

Ces paroles de Jésus sur les béatitudes sont l'introduction au premier grand discours de Jésus selon saint Matthieu : le sermon sur la montagne. Au cœur de ce discours, il y a le royaume des cieux, le royaume de Dieu, c'est-à-dire Dieu lui-même. La mission du Seigneur Jésus est de dire à tous les hommes qu'ils sont attendus auprès de Dieu. Vous êtes faits pour ça, nous dit-il.

Même saint Pierre est fait pour ça après son reniement. Jésus n'a pas demandé à saint Pierre : Pourquoi m'as-tu renié ? Jésus lui a posé la question : "Pierre, m'aimes-tu ?" Et Zachée, le publicain, un homme qui était riche parce qu'il avait trompé et volé bien des gens dans son métier de collecteur d'impôts, Zachée, qu'est-ce que Jésus lui dit ? Il lui dit : "Zachée, descends vite de ton arbre, il me faut aujourd'hui demeurer dans ta maison !" Et le bandit, cloué sur une croix à côté de la croix de Jésus, qu'est-ce que Jésus lui a dit ? "Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis !" Mais ce bandit avait quand même dit à Jésus : Aie pitié de moi.

La foule de tous ceux que le voyant de l'Apocalypse a vus à l'avance dans le ciel, c'est la foule de tous ceux qui, un jour ou l'autre, ont eu le cœur illuminé par la lumière de Dieu. Nous sommes tous destinés à avoir un jour un visage lumineux. Dieu ne nous demande pas l'impossible : il nous demande seulement que nous l'invitions chez nous.

Quand un homme demande le pardon de Dieu et que Dieu lui accorde son pardon, l'homme est séparé de son péché, le lien est coupé entre lui et son péché, et le péché peut aller en enfer, c'est l'écorce qui reste, c'est comme un ballon qui se dégonfle, il n'a plus d'apparence, il est devenu insignifiant et nul. L'homme ne le traîne plus derrière lui. Le Seigneur Jésus, qui a souffert, assume ce péché.

La manière dont Dieu conduit les êtres humains nous échappe totalement : il y a Pierre, l'apôtre tout feu tout flamme, qui renie Jésus, il y a Zachée, le voleur patenté, que Jésus va dénicher dans son arbre, il y a le bandit sur la croix que Jésus cueille comme un fruit mûr. La manière dont Dieu conduit les humains nous échappe totalement.

Dieu a mis dans le cœur de l'homme, sa créature, un immense désir de le rejoindre, un désir de la présence divine... Et ce désir de Dieu est présent en tout homme ; mais les aléas de la vie, toutes les circonstances de la vie, font bien souvent que ce désir est enfoui, hors d'atteinte, en beaucoup d'hommes.

En quittant ce monde, Jésus pouvait constater qu'il n'avait touché que bien peu de monde dans la petite Palestine. Et il était venu pour le monde entier. C'est pourquoi, très vite, il avait confié à quelques hommes le soin de continuer sa mission. Ces quelques hommes sont devenus une Enlise aux dimensions du monde. L’Église donc n'existe pas pour elle-même, elle existe uniquement en vue de la communion entre Dieu et l'humanité.

Le Seigneur Jésus n'a pas apporté une religion de plus dans le monde, il est venu apporter Dieu. Jésus n'appelle pas à une religion nouvelle, il appelle à la vie. "Je crois en Dieu". Cela veut dire : Je lui fais confiance pour me conduire à la "vie éternelle", qui est le dernier mot du credo, et je m'engage à suivre ses enseignements et ses préceptes pour atteindre ce but.

Un homme de notre temps, historien des idées de tous les temps, qui connaît très bien les Écritures et toute la foi des chrétiens, mais qui est demeuré profondément sans Dieu, racontait ceci vers la fin de sa vie : " On n'apprend jamais trop tôt que les corbillards ne sont pas faits seulement pour les gens d'à côté ; que de n'avoir mal nulle part est une aubaine à savourer ; que les tartines tombent normalement du côté du beurre". Et notre philosophe ajoute : "Ce dernier point pose quand même un problème au-delà de la physique. Un Juif de mes amis me disait s'en être ouvert à son rabbin. Ayant médité un instant, ce dernier répondit : Mon fils, es-tu sûr de tartiner le beurre du bon côté ?" Notre philosophe se disait tout à fait incroyant bien que connaissant admirablement toute la foi chrétienne. Il réfléchissait à la mort et alors il disait ceci : "La mort est certaine, l'heure incertaine. Mourrai-je dans mon lit ? A pied ? A cheval ? A la tête de mes troupes ? Allez le savoir ! Qui sait si vous n'allez pas vous étrangler cet après-midi en mangeant des fraises". Et il concluait en bon philosophe : "On ne meurt qu'une fois, mais c'est la bonne !"

Dieu se penche avec un amour personnel infini sur sa créature qui est comme un tout-petit, un nouveau-né. Et Dieu lui insuffle de l'amour pour susciter sa réponse, comme le fait une mère qui, par la force personnelle de son cœur et ses appels incessants et ses sourires incessants, éveille l'amour de son enfant et suscite un jour sa réponse. (Avec Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Guy Coq, Frère John, Joseph Moingt, Lucien Jerphagnon, AvS, HUvB).

 

1er novembre 2013 - Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12

Jésus nous parle de gens qui sont heureux. Nous célébrons aujourd'hui la fête de tous les saints du ciel : par définition, ils sont bienheureux. Et Jésus nous indique le chemin. Le chemin, c'est lui. Et le terme du chemin, c'est le ciel, et le ciel, c'est Dieu. Il y a une sainte de notre temps qui disait : "J'ai trouvé mon ciel sur la terre, car le ciel, c'est Dieu, et Dieu est en moi". C'est vite dit. Parce que même si on est croyant, ce n'est pas le ciel tous les jours. Et Jésus, lui, est passé par une mort atroce sur la croix : ce n'était pas le paradis.

Le christianisme n'est pas une possibilité pour surhommes, mais la possibilité, dans la vie la plus quotidienne du monde, de mener une vie tournée vers Dieu et qui témoigne de lui : pour les apôtres, la Pentecôte, c'est l'instant où ils reçoivent l'Esprit et ils en sont ivres. Ils sont ivres de Dieu. Ils parlent de Dieu dans les langues les plus impossibles et ils se font comprendre. Ils parlent de Dieu d'une manière si naturelle qu'elle est adaptée à tous ceux qui veulent bien entendre. Chacun peut se sentir interpellé. Chacun peut comprendre et collaborer.

Le Seigneur Jésus nous parle d'être heureux. Il veut que nous vivions dans la joie. Il veut sans doute aussi que nous passions par la souffrance et par des épreuves, mais le sens fondamental de la foi chrétienne, c'est la joie. Il faudrait que les chrétiens ressemblent à des balles qu'on peut presser et enfoncer, mais qui reprennent toujours d'elles-mêmes leur forme sphérique. L'état fondamental qui se reconstitue sans cesse, ce doit être la joie... Dans le mariage et dans l'amitié, dans les relations humaines et dans l’Église. Une joie qui respecte la joie des autres et parfois aussi leur tristesse.

Nous fêtons aujourd'hui tous les saints du ciel. Et dans la foulée, aujourd'hui et demain, nous prions particulièrement pour tous nos défunts. S'ils ne sont pas encore arrivés dans la pleine lumière de Dieu, que Dieu les aide à s'ouvrir à lui le plus vite possible. Et s'ils sont déjà dans la paix de Dieu, qu'ils prient pour tous ceux qui sont encore en chemin ici-bas, avec des hauts et des bas, des bonheurs et des malheurs.

Il fait partie de notre foi qu'après la mort il y a un passage quasi obligé par le purgatoire. Qu'est-ce que ça veut dire le purgatoire ? Cela veut dire ceci : Même si tu es un homme qui a causé beaucoup de malheurs, qui a produit beaucoup d'enfers, il existe encore après la mort un endroit où tu peux être guéri, où tu peux revenir sur tes pas, où tu as encore une chance. En fait, il s'agit de la prolongation d'une chance et, en ce sens, le purgatoire, c'est une idée optimiste.

Et l'enfer alors ? Dieu a-t-il encore une idée lorsque nous avons gâché toutes nos possibilités en cette vie ? L'enfer existe, mais personne ne sait si quelqu'un s'y trouve. Et pourtant nous devons compter avec lui. Dans la prédication du Seigneur Jésus, l'enfer est un avertissement qui nous incite à vivre de telle manière que nous n'y entrions jamais. Le message de Jésus est celui-ci : il veut nous préserver de l'enfer et nous en libérer. Nous devons regarder l'enfer afin de ne pas y entrer. L'enfer est un avertissement, une menace, une réalité. Un cardinal de notre temps ajoutait alors : "Nul ne m'empêchera de croire que, finalement, l'amour de Dieu est plus fort". Et le même cardinal donnait ce conseil : "Pensez au principe simple des scouts : chaque jour une bonne action".

Et voici une femme de notre temps dont on aurait pu penser qu'elle partait tout droit en enfer. Voici ce qu'elle raconte : "Bien qu'ayant été baptisée - pour faire plaisir à la famille -, j'étais sans religion (mes parents étaient communistes et athées), j'étais sans culture (hormis ma passion pour la poésie et la littérature), j’étais sans rien (appartenant à une famille pauvre et isolée). Et un jour, Dieu a été la chercher. Elle essaie d'expliquer comment dans l'un de ses livres. Et alors elle peut dire : "Comment en sommes-nous arrivés à vivre en un temps où il est plus interdit de dire : 'J'aime Dieu', que de raconter ses turpitudes ?" Et elle, avant sa conversion, elle adorait raconter des turpitudes dans ses livres : ça se vend bien. Mais voilà : elle sait maintenant que la grâce absolue de ce monde est qu'au sein de ce monde la conscience de Dieu et celle de l'homme puissent communiquer en tout amour. Et elle dit encore : "Dieu nous appelle à le rejoindre. Je viens de Dieu pour me diriger vers lui". Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu, nous dit Jésus.

Terminer avec Thérèse de Lisieux : "On me dit que j'aurai peur de la mort ; cela se peut bien. Si l'on savait combien je suis peu assurée de moi-même ! Je ne m'appuie jamais sur mes propres pensées; je sais trop combien je suis faible, mais je peux jouir du sentiment que le Bon Dieu me donne maintenant. Il sera toujours temps de souffrir du contraire". (Avec Élisabeth de la Trinité, Cardinal Martini, Alina Reyes, Thérèse de Lisieux, AvS).

 

1er novembre 2014 – Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12

Les béatitudes sont les béatitudes de l’amour. Bienheureux si je suis pauvre, car alors le royaume des cieux est à moi. Le riche, qui vit pour son or et son argent, ne vit au fond que pour des idoles. Son esprit est en ruines. Il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes fortunes pour ne vivre que pour l’argent. Quelqu’un aussi peut être riche matériellement et avoir un cœur de pauvre. Avec son or et son argent, il peut faire de l’amour. Celui qui a un cœur de pauvre échappe à la fièvre de l’or et de l’argent.

La richesse, cela peut être aussi les liens de parenté, le mariage, les amitiés, les richesses intellectuelles, les charges publiques. Si on jouit de ces biens, que peut-on faire pour les partager ? Que peut-on en faire pour servir Dieu ? Il faut le lui demander. Jésus nous invite à être libres pour conquérir le Dieu saint qui est la richesse suprême. Conquérir Dieu, c’est posséder le royaume des cieux.

Heureux les doux, nous dit Jésus. La douceur, c’est de l’amour. La douceur, c’est un mélange d’amour et d’humilité. – Heureux les miséricordieux. Qui peut dire : je n’ai pas besoin de miséricorde ? Personne. Nous avons tous besoin de pardon. Miséricordieux aussi pour ceux qui ont mauvais caractère : le mauvais caractère fait souffrir celui qui le possède, mais il fait souffrir aussi ceux qui vivent avec lui.

Heureux les cœurs purs. Les saints nous disent : "Ne dites pas : moi, je suis pur, je ne descends pas au milieu des pécheurs. Je ne veux pas entendre parler des misères d’autrui". Heureux le cœur pur, heureux celui qui peut dire à Dieu : "Je suis avec toi et tu es en moi. Je te possède et je te connais. Montre-moi toujours mon chemin".

Heureux l’artisan de paix. Le pacifique répand la paix, même quand il se tait. Il porte la paix comme une lampe porte sa lumière. Les saints nous disent : "Faites que Dieu et les hommes puissent vous appeler pacifiques".- Heureux ceux qui ont un cœur de pauvre. Le Seigneur Jésus n’a pas voulu fonder son royaume à lui, mais le royaume de Dieu Trinité. "De toutes les nations, faites des disciples. Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit".

Au ciel, la volonté des croyants ne sera plus opposée à la volonté de Dieu. La volonté de Dieu sera tellement devenue la volonté des croyants que la volonté de Dieu et la leur ne feront plus qu’une. Dieu peut alors laisser tomber tout ce qui ressemblait jusqu’alors à un commandement, tout ce qui ressemblait plus à une loi qu’à de l’amour, tout ce qui était loi avec le but d’empêcher les pécheurs de tomber. Dieu leur ouvrira le ciel tout entier, ils ne trébucheront plus avec leur propre moi et leurs propres désirs terrestres. Ils deviendront de parfaits enfants de Dieu.

Être enfant de Dieu réellement, c’est être en communion avec Dieu. Question qui se pose : y a-t-il des péchés qui empêchent de communier ? Communier, c’est dire au Seigneur Jésus : "Je t’aime". Pécher gravement, c’est lui dire : "Je ne t’aime pas, je ne t’aime plus, je ne veux pas de toi, tu es le dernier de mes soucis". Il vaut mieux souffrir de ne pas pouvoir communier plutôt que de communier sans se convertir. Celui qui regrette son péché connaît déjà une communion spirituelle. Il y a des communions spirituelles qui rapprochent davantage de Dieu que des communions du bout des lèvres… L’Église, c’est une communauté de pécheurs qui se repentent.

Vous connaissez Jeanne d’Arc. C’est fou ce qui lui est arrivé. Cette mission impossible que le ciel lui confie. Elle a dix-neuf ans. Et pour finir, elle meurt sur un bûcher comme une grande pécheresse, et plus tard l’Église en fait une sainte. Lors du procès de Jeanne d’Arc, ses accusateurs lui posaient des traquenards pour la faire condamner comme hérétique. Vous vous souvenez de cette question qu’on lui a posée : "Est-ce que Dieu aime les Anglais ?" C’était une question-piège du genre de celles que les pharisiens posaient à Jésus. "Est-ce que Dieu aime les Anglais ?" Vous connaissez la réponse de Jeanne. – "Est-ce que Dieu aime les Anglais," – "Oui, mais dans leur pays".

C’est quoi la religion, c’est quoi la foi ? La religion, la foi, c’est l’amour, la pensée et le désir d’aller là où se trouve celui en qui nous croyons, que nous aimons et désirons. Une femme âgée de notre temps disait à un prêtre ami, un jésuite : "Je ne prépare plus ma mort, mais ma résurrection".

L’unique lieu où s’éclaire quelque peu l’obscurité de l’avenir décisif de l’humanité, c’est la résurrection du Crucifié. Pendant quarante jours, entre Pâques et l’Ascension, le Ressuscité s’offre au toucher de ses apôtres et il se retire, il s’évade, dans l’insaisissable. Il manifeste une maîtrise extraordinaire sur son corps puisqu’il se démultiplie en quelque sorte dans l’eucharistie. Les quarante jours entre Pâques et l’Ascension nous montrent que rien de ce qui nous est familier ne se perd en Dieu ou n’y est devenu étranger. Durant les quarante jours, le ciel manifeste qu’il est en train de descendre sur la terre et qu’il y reste jusqu’à la fin des temps. (Avec Alain Bandelier, Patriarche Daniel, Michel Rondet, AvS, HUvB).

 

1er novembre 2015 - Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12a

Aux premières lignes de cet évangile, il est dit que Jésus gravit la montagne et qu'une grande foule le suivait. De fait aujourd'hui Jésus a gravi la montagne de Dieu, il est dans le monde infini et invisible du Père. Et de fait une grande foule l'a déjà suivi : c'est la foule de tous les humains qui ont vécu depuis les origines de l'humanité et qui ont été jugés dignes d'entrer dans ce royaume. Nous sommes tous en marche vers ce royaume, avec beaucoup de doutes peut-être parfois, avec beaucoup d'incertitudes. Et la révélation de Dieu est justement là pour éclairer notre chemin. Et l'un des premiers devoirs des chrétiens, comme le premier devoir de tous les humains, c'est de chercher à comprendre ce que Dieu nous a dit et dont l'essentiel se trouve dans le dépôt de l’Écriture sainte.

En ce jour de Toussaint, on peut se souvenir d'une remarque de saint Thomas d'Aquin, l'un des plus grands théologiens de l’Église, qui disait : "Les saints et les saintes de Dieu sont une interprétation particulièrement autorisée de l’Écriture, parce qu'ils ont été animés par le même Esprit qui a inspiré cette Écriture".

Que nous dit Bernadette, par exemple, Bernadette, la voyante de Lourdes, à qui il a été donné de voir dix-huit fois la Vierge Marie en l'an 1858 ? Bernadette, c'est une fille innocente de quatorze ans qui reçoit tout d'un coup une mission. Sur le coup, elle n'y comprend rien, elle ne sait même pas ce que c'est qu'une mission. Et voilà maintenant que l'incompréhensible est là : elle a vu Marie. Et sans le savoir, elle obéit à ce que la vision lui demande. Ce qu'elle a vu était tout simple et elle le raconte aussi simplement. Bien sûr elle ressent de la méfiance autour d'elle, mais ça ne la touche pas plus que ça, et elle pense que, d'une certaine manière, "c'est la vie".

Et voilà : sa mission est accomplie, elle  a dit ce qu'elle devait dire et on la fait entrer dans un couvent. Pourquoi ne devrait-elle pas y entrer ? Elle est tellement comme une enfant que ce n'est pas un problème pour elle. Au fond, elle ne voit pas que sa vie au couvent est une conséquence de sa mission. Et au couvent, elle supporte tout, elle ne se pose pas de questions, elle a toujours obéi et "on" le supporte simplement. C'est en supportant qu'elle devient sainte. C'est comme si elle avait reçu par avance tout le don de la grâce, et maintenant, après coup, c'est comme si elle devait faire encore ce qui la rend "digne" d'avoir reçu l'apparition.

Avant d'avoir vu Marie, la prière de Bernadette était la prière d'une fille toute simple. Depuis l'apparition, elle sait à qui elle s'adresse. Elle est comme une fille pauvre qui fait des ourlets pour les mouchoirs d'une riche dame. Si une fois elle a vu la dame, elle sait ensuite pour qui elle fait le travail. Elle ne peut pas imaginer pourquoi la dame a besoin de tant de mouchoirs. Mais elle sait maintenant qui les reçoit, et on lui a dit que la dame en a besoin. Bernadette continue à dire ses "Je vous salue Marie" à la dame qu'elle a vue. Elle lui dit combien elle l'a trouvée belle et aussi qu'elle souffrirait volontiers pour elle. Pour Bernadette, tout est simple, c'est la grâce, c'est la sainteté.

L'Esprit Saint se cache, l'Esprit Saint n'est pas devenu homme comme le Fils. L'Esprit Saint est au cœur de l'être humain pour que l'être humain agisse sous l'impulsion de l'Esprit. Et c'est ainsi que l'être humain devient vraiment lui-même et qu'il mûrit pour Dieu. Bernadette, sans le savoir, suivait au fond le conseil de l'Ecclésiaste, dans l'Ancien Testament, ce conseil qui disait : "Fais sérieusement ce que tu fais et n'y attache aucune importance". Bernadette a vu Marie, elle a vu le royaume de Dieu. Le royaume de Dieu, c'est la maison du Père, du Père de tous les hommes.

Dans les textes publiés par le concile Vatican II, on trouve ceci : "Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd'hui, troublent profondément le cœur humain : qu'est-ce que l'homme ? Quel est le sens et le but de la vie ? Pourquoi la souffrance ? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? Qu'est-ce que la mort, le jugement, la rétribution après la mort ?" Pour nous, chrétiens, la foi chrétienne est une histoire qui donne son sens à l'histoire et à chacune de nos vies. L'histoire, c'est une histoire sainte, c'est la création, le livre de la Genèse, les prophètes, le Nouveau Testament, et tous les saints et les saintes de l’Église.

Nous célébrons aujourd'hui la fête de tous les saints et demain, deux novembre, c'est le jour où l’Église prie particulièrement pour tous les défunts. En fait l’habitude est prise depuis longtemps de prier surtout pour nos défunts le jour de la Toussaint, qui est chômé, le deux novembre ne tombant pas nécessairement un jour férié.

Dieu exige de chacun des comptes personnels sur l'utilisation de son temps. Toute l'humanité se trouve devant le tribunal de Dieu. Personne ne peut opérer son salut qu'en coopérant au salut de tous. Il ne suffit pas de travailler purement et simplement au bien-être du monde. Chacun a aussi le devoir de se réformer soi-même. (Avec Vatican II, Pierre Chaunu, Joseph Moingt, Jacques Ellul, Cyrille Argenti, AvS, HUvB).
 

1er novembre 2016 - Toussaint

Évangile selon saint Matthieu 5,1-12a

Dieu invite tous les humains à entrer un jour dans son royaume. Tous les saints qui s'y trouvent aujourd'hui et tous les humains qui y seront un jour sont des pécheurs pardonnés. En chaque eucharistie, juste avant la communion, une béatitude autre que celles que je viens de lire, nous est annoncée sans qu'on y fasse toujours beaucoup attention : "Heureux les invités au repas du Seigneur".

La lumière du ciel rayonne sur nous par le Seigneur Jésus, le premier-né de toutes les créatures, le premier-né d'entre les morts. C'est lui qui nous apprend le chemin de la vie, un chemin qui est caché aux yeux des sages et des puissants. La Toussaint n'est pas un jour de deuil, c'est la fête de l'humanité transfigurée. Dieu veut nous faire participer à sa vie. Et toute la révélation biblique est destinée à ouvrir nos cœurs à ce don de Dieu.

Mais comment savoir que Dieu est bonheur pour tous les humains ? Comment savoir que Dieu sera notre béatitude ? Comment en être sûr ? C'est en marchant pas à pas sur le chemin de Dieu qu'on peut le découvrir, en faisant à chaque pas le bien plutôt que le mal. Faire le bien ne va pas de soi parmi les humains. Que de fois on entend cette réflexion : "Pourquoi y a-t-il de gens si méchants ? Pourquoi sont-ils si méchants ?"

Pour les saints vénérés par l’Église et reconnus officiellement comme saints, tout n'a pas été nécessairement rose dans leur vie. Et pas seulement ça. Il y a eu aussi chez eux des insuffisances et même des fautes. Mais chez tous ceux qui sont saints, il y a la volonté de se donner à Dieu, même si beaucoup ne savaient pas toujours exactement comment devait se réaliser ce don d'eux-mêmes. Le plus important, c'est leur relation à Dieu dans la prière. La prière est un échange : qu'est-ce que Dieu attend de celui qui prie ?

Saint Augustin (encore lui !) avait tout compris sans doute quand, après beaucoup de conversions personnelles dans sa propre vie, il priait comme ceci : "Tu nous as faits pour toi, mon Dieu, et notre cœur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en toi". La foi chrétienne n'est pas quelque chose de statique mais quelque chose où doit grandir la connaissance de Dieu. Toute la vie terrestre du Seigneur Jésus était un mouvement vers le Père. Être chrétien, devenir chrétien un peu plus, c'est entrer dans ce mouvement vers le Père.

C'est quoi l'amour ? C'est quoi l'amour de Dieu ? Saint Pacôme disait : "L'amour de Dieu consiste à prendre de la peine les uns pour les autres". Et la perfection, c'est la crainte de blesser l'amour, si peu que ce soit (saint Jean Cassien). Le problème, c'est de devoir aimer des pécheurs. Madeleine Delbrel a bien expliqué notre situation, elle qui sera peut-être un jour reconnue officiellement comme sainte par l’Église. Madeleine Delbrel qui écrivait : "Tant que nous serons sur la terre, quand nous aimerons notre prochain, nous aimerons des gens qui sont pécheurs. Tant qu'un chrétien sera sur la terre, il sera un pécheur qui aime un autre pécheur, car il n'y a pas d'hommes qui ne soient pas des pécheurs. Et alors tant qu'un chrétien sera sur la terre, il ne pourra pas aimer son frère d'un amour qui ne soit pas un amour de rédemption, c'est-à-dire d'un amour souvent un peu douloureux, un amour dans le sacrifice, dans la souffrance, à la suite de la rédemption opérée par le Seigneur Jésus".

Et les monastères n'échappent pas à cette loi générale de l'humanité. Un homme de notre temps, observateur de l'humanité et des monastères, écrivait un jour : "Les monastères sont des micro-sociétés avec leur part incontournable d'humanité partagée et son lot de difficultés individuelles et collectives". Autrement dit, mariés, ou pas mariés, jeunes ou vieux, monastère ou pas monastère, nous sommes tous en marche, tous pécheurs parmi des pécheurs, tous appelés à vivre en communion avec Dieu et les uns avec les autres.

Le Seigneur Jésus, c'est Dieu qui s'est fait homme pour que l'homme, par  grâce, puisse vivre d'une vie plus forte que la mort. Seul l'homme sait qu'il va mourir et il ressent la mort comme contre nature. Si la mort, pour lui, n'est pas "naturelle", c'est qu'il n'est pas totalement prisonnier d'elle, c'est qu'il pressent un autre état, une vie plus forte que la mort. "Comment faire pour que les hommes aient faim de Dieu ?" C'est plus ou moins le titre que donnait à l'un de ses chapitres l'un de nos contemporains qui était poète. "Comment faire pour que les hommes aient faim de Dieu ?"

Qu'on le veuille ou non, nous vivons dans la communion des saints et des pécheurs. La communion eucharistique aussi devrait être une communion des saints. Communier, c'est recevoir en soi celui qui a porté tous les péchés du monde. Communier dans l'eucharistie, ce devrait toujours aussi s'offrir à porter avec le Christ le fardeau de nos frères. Ce geste intérieur d'offrande de soi est riche de sens et il portera du fruit même si on ne saura jamais ni comment, ni au profit de qui cela se fait, mais nous sommes tous invités à entrer simplement, avec l'offrande du Fils, dans la Parole miséricordieuse du Père. (Avec saint Augustin, saint Pacôme, Madeleine Delbrel, Gérard Fomerand, Olivier Clément, Pierre Emmanuel, AvS, HUvB).

 

2 novembre 2014 - Commémoration des défunts

Évangile selon saint Luc 12,35-38.40

Pour les incroyants purs et durs, la vie humaine est un pur effet du hasard, elle s'achève à la mort et dans l'oubli. Pour l'auteur du livre de la Sagesse (notre première lecture), il faut aller au-delà des apparences. La vie des justes est dans la main de Dieu. La vie présente débouche sur une vie avec Dieu, dans la lumière et dans la paix.

Et l'évangile nous invite à nous préparer à cette grande rencontre : "Soyez comme des gens qui attendent leur maître. Veillez, restez en tenue de service. C'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra. Et s'il vous trouve debout et occupés à veiller, c'est lui alors qui prendra la tenue de service et vous fera passer à table dans la maison du Père".

"La vie des justes est dans la main de Dieu". C'est une parole d'abandon. Nous ne savons pas comment ça va se passer, nous ne savons pas ce qui va nous arriver. La vie des justes s'abandonne entre les mains de Dieu. Le Seigneur Jésus nous a montré le chemin quand, sur la croix, il a dit au Père : "Entre tes mains, je remets mon esprit".

Charles de Foucauld a fait sienne cette prière : "Mon Père, je m'abandonne à toi, fais de moi ce qu'il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je te remercie. Je suis prêt à tout, pourvu que ta volonté se fasse en moi, en toutes tes créatures, je ne désire rien d'autre, mon Dieu. Je remets mon âme entre tes mains".

"Amassez-vous des trésors dans le ciel, là où il n'y a pas de voleurs" (Mt 6,20) : c'est une parole de Jésus dans le sermon sur la montagne. Dans le ciel, il n'y a rien de périssable, il n'y a ni mites, ni rouille, ni voleurs. Le Seigneur Jésus ne dit pas que les voleurs ne vont pas au ciel, il dit seulement qu'ils n'y volent pas. Supposons qu'un voleur arrive au ciel, parce qu'au fond c'est un brave type, il n'y volera plus. Parce qu'il se trouve au ciel où Dieu habite et, au ciel, l'homme se conformera à Dieu. Et parce que Dieu est là, il n'est plus possible au ciel de voler.

Un vieux monsieur, une espèce philosophe, raconte ceci dans l'un de ses livres (c'est une vieille histoire). Il parle d'un certain Abbé Mugnier qui était célèbre à Paris en son temps. Il recevait beaucoup de dames du monde. Un jour l'une de ces dames dit à l'Abbé Mugnier : "Je suis passée devant un miroir et je me suis trouvée jolie. Est-ce un péché grave ?" Et l'Abbé Mugnier lui avait répondu : "Non, madame, ce n'est pas un péché grave, c'est une erreur". L'histoire ne dit pas si la dame en est morte sur le coup.

La difficulté avec la vie par-delà la mort, c'est qu'on ne peut pas bien se la représenter. Qu'il y ait une résurrection de la chair veut dire que l'homme sera sauvé dans tout ce qui fait qu'il est lui-même. La résurrection de la chair affirme qu'il y a à la fois une continuité et une discontinuité entre notre état présent et notre état futur. Le corps ressuscité sera libéré de toutes les contraintes naturelles qui le rendent périssable. On ne peut pas se représenter un corps ressuscité parce que ce corps échappe radicalement au monde de nos représentations terrestres.

Mais nous pouvons quand même nous servir des apparitions du Seigneur Jésus pour en saisir quelque chose. Après sa résurrection, Jésus s'est fait reconnaître à ses disciples qui n'étaient pas encore ressuscités. Les disciples reconnaissent Jésus : ça, c'est la continuité. Mais Jésus est maintenant libre des contraintes de l'espace et du temps : il arrive tout d'un coup dans la maison aux portes fermées. Jésus manifeste une puissance seigneuriale : c'est la discontinuité. C'est bien lui, mais il est tout autre.

Depuis la résurrection du Christ et par elle, nous savons que la mort n'est pas une impasse, mais une porte sur le royaume. Ici-bas une vie d'homme peut toujours recommencer, si lourde de péché soit-elle : un homme peut toujours abandonner sa vie au Christ pour que le Christ la lui rende libre et intacte. Et cette œuvre du Christ est valable pour l'ensemble de l'humanité, au-delà des limites visibles de l’Église.

Hier, nous fêtions tous les saints, aujourd'hui nous prions pour tous nos défunts. S'ils sont déjà auprès de Dieu, qu'ils prient pour nous. S'ils ont encore besoin de purification, que Dieu les aide à ouvrir leur cœur et à reconnaître tout ce qui n'a pas été juste dans leur vie. Hier, jour de la Toussaint, nous fêtions surtout la sainteté apparente. La sainteté apparente est rare. La sainteté cachée échappe à l'investigation.

Saint Maxime le confesseur, au VIIe siècle, disait : "Celui qui se trouve initié au mystère de la résurrection apprend la fin pour laquelle, au commencement, Dieu a créé toutes choses"... Toute la foi, tout la foi chrétienne, c'est une foi en la résurrection. (Avec Charles de Foucauld, Gustave Thibon, Bernard Sesboüé, Vladimir Lossky, Maxime le confesseur, AvS, HUvB).

 

9 novembre 2014 - Dédicace de la basilique du Latran

Évangile selon saint Jean 2,13-22

Jésus se comporte ici comme un Juif rigoureux qui ne tolère pas le marché des bestiaux à proximité du sanctuaire. Les Pères de l’Église disaient : le temple de Dieu, c'est vous ; il ne faut pas que ce temple serve d'habitation aux passions terrestres et aux instincts des animaux sans raison : les bœufs, le brebis et les colombes.

Le bœuf, qui sert à la culture des champs, est le symbole des passions de la terre. La brebis - "le plus stupide des animaux", disait Origène - est la figure des mouvements contraires à la raison. La colombe est l'image des âmes légères et inconstantes. Les pièces d'argent sont la figure de ceux qui portent l'apparence de la vertu. Le Seigneur Jésus chasse tout ça par sa doctrine et il interdit que la maison de son Père soit plus longtemps une place publique. Il voudrait que soient éliminés du cœur de l'homme les passions de la terre, les mouvements contraires à la raison, la légèreté et l'inconstance, l'apparence de la vertu. Le temple de Dieu, c'est vous, disaient les Pères.

Quel que soit le travail qu'on ait à faire pour Dieu, l'important est que ce travail soit fait en vérité et dans l'amour. Que ce soit l'apostolat extérieur ou le service des autres, qu'on soit cloué sur un lit de malade ou qu'on soit debout, il y a toujours quelque chose à faire pour Dieu. Et tout travail recevra sa récompense. Et chaque fois qu'un chrétien accomplit la mission que Dieu attend de lui, il devient libre pour une autre mission, qui sera plus grande peut-être, ou apparemment plus petite.

Aucun chrétien n'est jamais sans mission. L'une des missions confiée à tous, c'est de prier pour les défunts. La Bible en parle et, en chaque messe aussi, nous prions pour les défunts. Cela veut dire que les défunts ne sont pas tous au ciel. On peut quelque chose pour les autres : c'est la communion des saints. Les défunts ne sont pas tous tout de suite au ciel : la plupart du temps, une purification est nécessaire. Le défunt doit se laisser faire par le feu de l'Esprit... Se laisser faire par le feu de l'Esprit pour s'ajuster au mystère de Dieu.

Et si on persiste à ne pas vouloir se laisser faire par le feu de l'Esprit, si on refuse de s'adapter au mystère de Dieu, que se passe-t-il ? Jésus parle de l'enfer. C'est une hypothèse tragique. L'enfer est un risque qui est lié à la liberté de l'homme : à son pouvoir de dire non à Dieu quoi qu'il arrive. En face de l'enfer possible, notre foi chrétienne nous invite toujours à espérer pour tous. Et finalement, au sujet de l'enfer, la foi chrétienne reconnaît son ignorance. Il arrive à l’Église de canoniser un croyant ou une croyante, d'affirmer que tel ou telle est auprès de Dieu. Jamais l’Église ne se croit autorisée à déclarer qu'un tel ou une telle est en enfer.

A l'opposé de l'enfer, il y a le ciel, la béatitude éternelle. Comme chacun sait, l'éternité, c'est long, surtout vers la fin. On a du mal à imaginer la vie dans l'au-delà. Il y a des saints qui en savent plus que nous à ce sujet. Ce qu'on peut en retenir, c'est que la béatitude éternelle n'est pas immobilité, on n'y est pas figé dans une vision, on n'y est pas fixé dans une contemplation. La béatitude éternelle, il faut plutôt la concevoir comme un approfondissement constant de la connaissance d'un Dieu infini. Saint Augustin (il y a très longtemps) traçait déjà une route dans ce sens pour l'homme durant sa vie terrestre. Il disait : "Dieu est infini afin que, une fois qu'on l'a trouvé, on le cherche encore".

Beaucoup de non-croyants estiment plus ou moins que les hommes de foi sont enfermés et qu'ils ont renoncé à leur liberté ; et que la position normale, naturelle, rationnelle, est de ne pas croire. Et ces non-croyants ne voient pas qu'avec leur refus de croire au Dieu vivant et vrai, ils s'enferment eux-mêmes avec leur pensée dans un monde sans issue, qui se termine dans le néant de la mort. Et que se passe-t-il quand on n'a plus d'espérance ? On se grise d'illusions.

Le premier mot de l'évangile de saint Marc est pour dire que Jésus est le Messie et qu'il est le Fils de Dieu. Ou bien Jésus est le Messie et le Fils de Dieu, ou bien il n'est rien du tout. Ou bien on comprend que Jésus est le Messie et le Fils de Dieu ou bien on ne le comprend absolument pas. Qu'est-ce que cela veut dire que Jésus est le Fils de Dieu ? Cela veut dire que l'amour trinitaire éternel a fait irruption dans le monde d'une manière incompréhensible. Le Seigneur Jésus est venu apporter dans le monde une image toute nouvelle de Dieu et aussi une image toute nouvelle de l'homme. Et les humains, les croyants, ont toute leur vie pour essayer de prendre conscience de l'énormité de ce à quoi ils croient. (Avec Origène, Alain Bandelier, Bernard Sesboüé, Rémi Brague, saint Augustin, Jacques Arènes, Jacqueline Kelen, AvS, HUvB).

 
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22/04/2022