Fermer

I. Thèmes divers 1

 

LA VIE ET L’ŒUVRE D’ADRIENNE VON SPEYR (1902-1967)

 

 

I

 

 

Thèmes divers 1

 

Plan

1. Dieu est autrement (1982)

2. L’Avent du Fils (1982)

3. Au souffle de l’Esprit (1983

4. Un chemin vers Dieu (1984)

5. Des traces de Dieu (1985)

6. La foi d’Adrienne von Speyr (1986)

7. Dieu dans le Journal d'Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar (2005)

8. Jeanne d’Arc dans l’œuvre d’Adrienne von Speyr (2022)

9. Saint Bernard dans l’œuvre d’Adrienne von Speyr (2022)

10. Prier 365 jours avec Adrienne von Speyr (2025)

 

*     *     *     *    *     *     *     *    *     *

 

1. DIEU EST AUTREMENT (1982) 

(Paru dans La Vie spirituelle, n° 649, mars-avril 1982, p. 237-239)

 

Adrienne von Speyr entre sans bruit dans l'édition en langue française; elle est morte sans tapage en 1967 dans sa Suisse natale; elle n'est pas la proie des mass media; elle est (peut-être) l'une des plus grandes mystiques de tous les temps.

Dieu est discret; il œuvre dans le silence. Et que fait-il dans le silence? Il se révèle d'une manière inouïe à l'une de nos contemporaines, docteur en médecine, que nous aurions pu rencontrer en Suisse ou en Bretagne durant certaines vacances. Il se révèle d'une manière inouïe à l'une de nos contemporaines et nous l'ignorons pendant des dizaines d'années. Il se révèle d'une manière inouïe à une fondatrice d'institut séculier et nous allions passer à côté d'elle sans la remarquer.

Dieu a tout dit, c'est entendu, dans sa Révélation, et le dernier des douze apôtres sait bien qu'après lui Dieu n'a plus rien à dire; la porte est close, il n'y a plus qu'à attendre qu'elle s'ouvre à nouveau à la fin des temps. Dieu a tout dit une fois pour toutes et cependant il ne cesse encore de parler aux hommes. A chaque époque Dieu se révèle à nouveau, non pour des révélations nouvelles, mais pour vivifier la foi de toujours. Quand Dieu nous a tout dit, les grandes personnes que nous sommes n'ont pas encore compris grand-chose, ni les exégètes, ni les théologiens. Dieu a plus d'imagination que nous.

Toute petite, Adrienne discutait avec ses professeurs de catéchisme et elle tenait pour assuré, dans sa petite tête, que Dieu était autrement. Dieu est autrement que ce que lui en disaient son catéchisme protestant et ses maîtres; elle le pressentait, elle n'était pas satisfaite de ce qu'on lui apprenait de Dieu. Dieu est autrement qu'on ne pense même quand on connaît bien son catéchisme, sa théologie ou sa Bible. Dieu est autrement qu'on se l'imagine; il survient toujours un peu ailleurs.

Dieu est toujours le même bien sûr, les sages le savent bien et aussi l'enfant du catéchisme et l'exégète. Mais Dieu est encore au-delà, plus vivant et plus vrai que ce qu'on a pu en découvrir jusqu'à présent. Dieu est autrement, infiniment plus proche de nous qu'on se l'imagine. Il ne faut rien imaginer d'ailleurs. Notre foi est la chose la plus réelle de tout le réel du monde.

Souvent il a fait Dieu dans la vie d'Adrienne, souvent aussi il a fait nuit. Elle a reçu le jour et elle a reçu la nuit comme une mission de Dieu : la nuit de la Passion pour être là où Dieu la voulait pour le salut de tous dans la communion des saints; le grand jour de Dieu, pour nous dire ce qu'elle a entrevu du monde infini du ciel.

A tous ceux qui vont jusqu'au bout du monde chercher des recettes de vie spirituelle, à tous ceux qui vont sur les pas de Jésus en Palestine pour essayer de s'approcher de lui, à tous ceux qui cherchent Dieu et à tous ceux qui doutent, il faudrait proposer un long stage chez Adrienne : aucun gourou n'arrive à la hauteur de ses chevilles.

Certains diront : non, merci, pas pour nous les mystiques! La Bible nous suffit et le credo de toujours et la foi de nos pères. D'autres, drapés dans le manteau du doute méthodique, de l'incroyance éclairée ou du jargon fin de siècle, clameront que la mystique, c'était bon au Moyen Age ou du temps de Thérèse d'Avila. Eh bien, tant pis, voici Adrienne von Speyr. Voici des dizaines de volumes (une soixantaine) contenant son message, des commentaires de l’Écriture bien souvent, sobres et objectifs, qui commencent là où s'arrête l'exégète. Avant de porter un jugement, qu'on ait l'honnêteté de les lire.

Qu'est-ce qu'un mystique, qu'est-ce qu'un prophète, sinon quelqu'un que Dieu envoie, jamais par hasard, à une certaine époque de l'histoire pour une mission précise. N'en déplaise à ceux à qui la mystique ne plaît pas : elle existe, toute proche de nous; elle fait partie du réel le plus réel et, tout compte fait, elle est la seule chose qui compte vraiment dans la vie des hommes. Tout chrétien le sait bien finalement : ne faut-il pas déjà avoir un certain sens mystique pour voir du pain et dire : "Mon Seigneur et mon Dieu"? Ne faut-il pas déjà avoir un certain sens mystique pour dire à Dieu ne fût-ce qu'un "Notre Père" et à la Vierge un "Je vous salue Marie"? Tel, autrefois, faisait de la prose sans le savoir.

Il serait malséant qu'une mystique, de son vivant, fasse étalage des révélations dont elle a pu bénéficier. Les livres d'Adrienne qui relatent en clair ses expériences mystiques ne sont pas encore dans le commerce. Mais dans tous les autres, les plus nombreux et les plus nourrissants - commentaires bibliques et méditations sur des thèmes de la foi -, transparaît la richesse de sa connaissance de Dieu, et c'est pour être utile au plus grand nombre qu'Adrienne les a dictés, sans y parler jamais d'elle-même. Ce ne sont pas des ratiocinations laborieuses; ce qu'elle dit coule de source, elle est naturel dans le surnaturel, les mots les plus simples introduisent au plus profond, peu d'auteurs ont comme elle le don d'initier aux mystères de Dieu.

Toute l'œuvre d' Adrienne, à peu de choses près, a été rédigée en allemand. Des quelques ouvrages traduits déjà en français (chez Lethielleux), le plus pénétrant jusqu'à présent est peut-être La Servante du Seigneur : méditations et intuitions sur Marie, qui nous entraînent dans le mystère de Dieu. C'est là qu'on sent le mieux affleurer une expérience qui n'est jamais dévoilée explicitement. Les Fragments autobiographiques sont le livre des racines d'Adrienne : si, un jour, beaucoup plus tard, elle a eu de Dieu des connaissances inouïes, il nous est fort utile de connaître ses commencements, toute sa jeunesse jusqu'à vingt-quatre ans. Certains y trouvent des longueurs; nous avons besoin de ces longueurs pour connaître quelqu'un. On y trouve surtout nombre de pages d'une merveilleuse fraîcheur. L'Expérience de la prière nous donne une idée de certains éléments essentiels de la spiritualité d'Adrienne. Il sera sans doute plus évident un jour que certaines de ces pages reflètent, traduites dans la langue de tous les jours, des expériences mystiques qui ne sont pas ici dévoilées pour elles-mêmes. Tout à la fin du livre cependant la confidence est presque claire : "Lors d'une vision, il arrive le plus souvent qu'on se retrouve soi-même après coup et qu'on sache ce qu'on a vu…" Parole de la croix et sacrement, qui met en relation les sept paroles du Christ en croix et les sept sacrements, risque de paraître bien hermétique à certains : il faut plus d'esprit de finesse que d'esprit mathématique pour y pénétrer. Il serait dommage de se laisser rebuter : il y a là des pages admirables.

Ce qu'il faudrait dire ici bien haut, c'est que ces quelques livres ne donnent encore qu'une idée bien pâle de l'œuvre et de la mission d'Adrienne. Pour se rendre mieux compte de leur portée - et à défaut d'avoir accès pour le moment à l'ensemble de l'œuvre -, il faudrait lire la centaine de pages que lui a consacrée Hans Urs von Balthasar dans Adrienne von Speyr et sa mission théologique (Apostolat des éditions). Ce témoignage brûlant peut suffire à tenir éveillée notre attention. Le propre de Dieu est de nous donner des signes qu'on n'attendait pas. Il est peut-être temps d'ouvrir l'oreille.

Patrick Catry

Tél. 03 21 12 28 53

 

*

2. L'AVENT DU FILS (1982)

 

Plan

 

1.Attente. 2. Disponibilité. 3. Angoisse. 4. L’attente du Fils. 5. Noël. 6. Première enfance. 7. Dignité de l’enfant. 8. L’enfant de douze ans

 

* * * * * * * * * * * * * * 

(France Catholique du 3 décembre 1982, p. 10-11, a publié la première partie de ce texte. Ci-dessous le texte intégral qui avait dû être abrégé pour l'édition)

 

Il y a quelques années, Le P. Hans Urs von Balthasar a signalé l'existence d'une douzaine de tomes de l'œuvre posthume d'Adrienne von Speyr (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, Paris, 1978, p. 90). Deux volumes de ces œuvres posthumes ont été publiés récemment par le P. Balthasar dans l'original allemand sous le titre général : La Parole et la mystique (Das Wort und die Mystik, Bd I. Subjektive Mystik, 296 p.; Bd II. Objektive Mystik, 576 p. - Johannes Verlag, Einsiedeln, Suisse, 1980). On s'en est peu soucié en France jusqu'à présent, semble-t-il. Les quelques pages d'Adrienne qui suivent donneront une certaine idée du contenu de ces volumes, une toute petite idée sans doute. Elles sont extraites d'un Traité sur l'Avent du Fils (Objektive Mystik, p. 119-166). Le P. Balthasar nous avertit dans sa préface que ces textes ne sont pas des méditations ordinaires sur la foi mais qu'ils sont le fruit de la connaissance expérimentale qu'Adrienne a eue des mystères de Dieu. Tout le passé de l'humanité, avec tous ses instants, est engrangé dans la mémoire de Dieu et Dieu est capable de le faire resurgir et de le mettre à la disposition de qui bon lui semble pour une mission. Certains trouveront peut-être que la lumière de ces pages est bien tamisée et qu'il n'est pas nécessaire de faire appel à une connaissance expérimentale des choses de Dieu pour énoncer des banalités. Il se peut aussi que le lecteur rencontre Dieu.

Patrick Catry

1. Attente

Dernièrement j'ai vu Marie à l'époque de sa grossesse; les termes de sa prière sont presque pauvres, mais elle a le maintien de la reine des cieux ainsi que la dignité de celle qui attend. Je comprenais l'incroyable dignité de la femme enceinte. Dieu fait irruption dans notre indignité pour nous apprendre à vivre en l'attendant et à retrouver ainsi une dignité. Parce que le Fils s'est abaissé jusqu'à devenir celui qui est attendu dans le sein de sa mère, l'humanité a reçu une qualité nouvelle qui se retrouve en toute attente dont Dieu s'est réservé l'accomplissement et qu'on peut appeler le fruit de la prière. Car Marie attend ce qui est déjà en elle; tous ceux qui espèrent chrétiennement attendent ce qui est déjà en eux : la Parole de Dieu qui se fait chair et qui s'accomplit selon sa propre promesse.

 

2. Disponibilité

Marie voit d'abord dans l'Esprit Saint une exigence; l'ange l'a représenté pour elle, désormais il sera sans cesse présent dans sa vie. Elle devra toujours être prête pour l'Esprit comme la femme doit l'être pour la venue de son mari. On n'en a jamais fini avec l'Esprit. Celui qui se confesse une fois se déclare prêt à se confesser toujours à nouveau. L'Esprit qui exige maintenant de Marie une disponibilité totale, ne cessera de se présenter encore à elle. Dans les nombreux contacts qui sont liés à la venue de l'Esprit, elle ne sait pas non plus exactement quand et comment il la couvre de son ombre. Mais elle comprend qu'il exige une disponibilité totale jusque dans les recoins les plus secrets de son corps. Elle doit s'offrir et elle doit de plus aimer le Père, le Fils et l'Esprit Saint sans restriction aucune. Elle veut aussi être entièrement docile. Là où pourrait se faire jour la tentation de résister ou de se fermer, elle voit de nouvelles occasions d'aimer. De même qu'une femme une fois fécondée ne peut échapper à la grossesse, Marie ne veut pas se soustraire à l'exigence qui se fait toujours plus grande. Elle reconnaît que l'exigence grandit au fait qu'elle ne comprend pas et au signe de la souffrance qui commence à se dessiner pour elle. Elle sait très bien qu'avec l'enfant la croix aussi grandit en elle et elle dit oui par avance à la croix. Son oui consiste avant tout à laisser l'œuvre de l'Esprit s'opérer en elle de plus en plus et sans limites : il apporte le Fils et la croix. Elle remet toujours tout au Père. Car c'est de sa part que l'ange est venu.

 

3. Angoisse

Marie sent pour la première fois l'enfant s'agiter en elle. Cette expérience est nouvelle pour elle, tout aussi neuve et aussi étrange que pour toute femme lors de sa première grossesse. Chez toute jeune mère, il y a cet étonnement: "Ah! C'est comme ça!" Pour Marie, la question peut se poser : "Est-ce qu'il y a une différence entre mon expérience et celle d'une autre femme? Est-ce vraiment Dieu qui vit en moi?" C'est comme une légère angoisse. Par les prophéties, elle sait qu'une femme juive va mettre au monde le Messie. N'importe quelle femme. Pourquoi elle justement? Est-ce qu'elle ne s'est pas tout simplement monté la tête? Il plane en Marie une certaine angoisse : est-ce que le normal, le physiologique qui se passe en elle est vraiment exactement ce que Dieu lui demande? N'y a-t-il pas mêlé quelque chose de trop personnel? Peut-être seulement que le Fils est trop homme? On peut difficilement décrire l'angoisse qui rôde autour de la Mère au sujet de cette limite inconcevable entre le divin et l'humain. Peut-être est-elle comparable de loin à l'inquiétude d'un fondateur d'Ordre qui craint d'avoir mis trop du sien dans son œuvre et pas assez de ce qui correspondait à sa mission divine. La crainte d'avoir souci de sa propre fécondité plutôt que de laisser grandir la semence de Dieu par son intermédiaire. Marie le sait: une naissance approche. Sera-t-elle à la hauteur de l'événement dans le sens de Dieu? Est-ce que pendant ces mois l'enfant ne sera pas devenu tellement son bien qu'il ne serait plus ce que Dieu attend d'elle?

 

4. L'attente du Fils

Le Fils attend sa naissance, il attend son existence humaine au milieu des hommes. Il attend en compagnie de sa mère. Et il participe à son angoisse. Il veut y avoir part parce qu'il ne veut éviter rien de ce qui est humain, sauf le péché. Il participe en même temps à l'attente du Père et de l'Esprit qui maintenant le regardent pour ainsi dire comme on regarde un homme. La joie du Père est comparable à celle d'un père humain puisqu'il voit la croissance du Fils dans le sein de sa mère. Et il y a en lui comme un étonnement que ce petit être soit son Fils qui doit racheter le monde entier. Et tandis que le Fils voit cette joie et cet étonnement, il participe en tant qu'être humain à l'angoisse de sa mère: "Pourvu qu'en tant qu'homme aussi j'arrive à répondre en tout à l'attente du Père!" Et puis il se passe aussi quelque chose de mystérieux : pendant que le Fils vit dans le sein de sa mère, il fait sienne sa parfaite pureté. Bien entendu, il possède en tant que Dieu toute vertu. Mais en tant qu'être humain, il y a pour lui comme pour tout enfant une dépendance. Il sait combien choisi et protégé est l'espace où il peut naître, mais il sait aussi que le temps de cette pureté est limité parce que, au-delà, l'autre monde, le monde pécheur, l'attend. Qu'il puisse avoir cette mère n'est pas pour lui que ménagement : le contraire l'atteindra par la suite d'autant plus inexorablement.

 

5. Noël

Instant de certitude : la naissance arrive. Pour Marie, c'est la fin de l'Avent et de l'angoisse; c'est le commencement de la joie. Comme si, pour elle, la fête de Noël était un peu avancée. Quand l'enfant est là, aucune angoisse ne se lit plus sur ses traits. Avant même qu'elle le voie, la présence de l'enfant est totale pour elle. Durant ces deux heures (environ) s'ouvre pour toute la chrétienté une possibilité de contemplation : on n'a pas besoin de voir pour faire l'expérience de la présence du Seigneur et de l'imminence de sa venue. L'enfant qui, durant l'Avent, s'est habitué à l'humanité, est humain aussi  au moment de sa naissance en ce qu'il vit totalement l'instant présent. Il partage aussi ceci avec sa mère. Durant ces derniers mois, elle avait totalement vécu de ce que l'enfant lui donnait; il remplissait sa méditation et la méditation remplissait sa vie. Et maintenant, quand l'enfant paraît, elle apprend à être comme il est lui-même, c'est-à-dire à goûter totalement l'instant présent sans aucune tristesse pour les difficultés qui attendent l'enfant. Sa mission est maintenant la joie pure; elle sent aussi que maintenant elle dépend de l'enfant de manière immédiate. - L'enfant remercie le Père pour la grâce de l'Incarnation. Il fait l'expérience en lui-même maintenant de ce qu'était le dessein du Père quand il créa l'homme. La mère et l'enfant n'ont besoin de rien d'autre pour leur joie que d'être ensemble en Dieu. Leur pauvreté souligne encore le don du Père. La mère est sans souci et sans trouble, elle a l'enfant et elle l'adore; l'amour est si grand qu'il éclipse tout. C'est une fête de l'amour. Ils sont comme deux amoureux dans une pauvre cabane et ils se font inventifs l'un pour l'autre pour compenser par l'amour tout ce dont ils doivent se passer.

 

6. Première enfance

Quand Marie, Joseph et l'enfant ont enfin une maison et que commence une vie plus calme, la mère peut se réjouir de son enfant et vaquer dans une joie tranquille à ses devoirs domestiques et maternels. De plus elle vit dans un mystère immense dont pour le moment elle est instruite avant tout dans la patience. Les événements extraordinaires sont du passé : annonciation et visite à Élisabeth, grossesse, départ pour Bethléem, naissance et mystère un peu effrayant avec les mages comme si tout était déjà public et connu du monde entier et comme si ça devait continuer désormais à coups de miracles. Et puis au contraire, la persécution, la fuite, le retour. - Et maintenant le quotidien gris et voilé où ne se produit plus aucun signe, et cependant tout ce qui a été demeure vrai et Marie sait garder dans son cœur le mystère dont elle sait qu'il grandit avec l'enfant. L'enfant grandit comme les autres enfants, ignoré, mais avec lui grandit et mûrit le mystère divin pour une moisson que Marie ne connaît pas. - Ce n'est pas qu'elle éprouve le besoin de montrer maintenant son enfant au monde entier ou de le voir faire des miracles, mais c'est pour elle cependant une affaire très sérieuse de voir l'enfant tellement ignoré après tous les signes et tous les messages qu'elle a reçus jour après jour et en même temps de soupçonner que l'œuvre du Père et de l'Esprit et aussi du Fils doit s'accomplir dans le secret et que son devoir de mère consiste à être là pour qu'elle puisse s'accomplir sans incident. - Elle doit apprendre à soumettre au secret toutes ses actions, tous ses sentiments, tous ses soins. Elle ne peut avoir aucun désir d'en apprendre davantage que ce que Dieu veut justement lui révéler; elle doit être prête à apprendre tout ce qu'il lui montre maintenant. Durant tout ce temps, le plus important pour Marie est sans doute ceci : laisser s'accomplir imperceptiblement, croître intérieurement dans la prière, être attentive dans l'amour pour combler et se laisser combler, même dans les petits événements du quotidien qui s'ouvrent sur le divin et s'y perdent. - Tous les soins dont elle entoure l'enfant et de même tous les besoins de l'enfant, toutes ses rencontres avec lui, font partie de son silence et de sa prière et en tout cas de ce qu'elle a à recevoir dans l'esprit. Car son esprit doit devenir capable par l'Esprit Saint d'être à la hauteur des questions que son enfant, comme tout enfant, va lui poser, afin que rien ne soit une entrave à sa mission divine, mais qu'au contraire celle-ci en soit favorisée humainement. Peut-être que l'essentiel des trente années contemplatives du Fils se passe, au cours des premières années d'enfance, dans le cœur de la mère.

 

7. Dignité de l'enfant

Le nouveau-né dans les bras de sa mère possède une dignité humaine illimitée et le droit d'être soigné et nourri. Quand sa mère le soigne, change ses langes et le nourrit, l'enfant reste lui-même en se laissant faire. Cela se fait avec naturel, cela fait partie de la dignité de l'enfant de recevoir ces soins. Quand, plus tard, il fait ses premiers pas et part à la conquête du monde qui l'entoure, cela se passe aussi avec dignité, dans une simplicité et une justesse de ton qui caractérisent toute son évolution. La même chose vaut pour ses premiers balbutiements, pour l'élargissement de son monde par la parole. C'est une dignité toute simple qui correspond à l'être de l'enfant et au dessein de Dieu. Chacun de ses progrès recèle un éclat de sa dignité. Il reçoit, il paie de retour, il est heureux, il ne se sent pas humilié par ce qui lui est encore réservé, mais chaque découverte le stimule. Il ne rumine pas des problèmes qui ne le  concernent pas, il se contente de ce qui se présente aujourd'hui bien qu'il pressente que demain se poseront de nouvelles questions. Il se plie volontiers à ce qu'on attend de lui. - Le Fils demandera aux croyants de rester devant le Père comme des enfants. Ils ne doivent pas sans cesse réfléchir à leur indignité, ni toujours la souligner, mais recevoir simplement et comme des enfants la conscience de leur condition d'enfants de Dieu et y demeurer. Ils doivent évoluer sans contrainte dans le monde de Dieu et ne pas dresser continuellement des barrières à leur prière, parler de leur indigence, de leur inclination au péché ou simplement y penser. S'ils gardent d'une certaine manière le sentiment d'être pécheurs et donc aussi d'être indignes, ils peuvent malgré tout recevoir avec action de grâce le don de la dignité d'enfants de Dieu. C'est la dignité qui prévaut. - Même l'impuissance de celui qui est suspendu à la croix et son cri d'abandon ne laissent percer à aucun moment la pensée qu'il puisse être indigne. Il meurt avec la dignité de celui qui appartient au Père, il souffre comme un homme qui apporte tout au Père comme un enfant sans faire le départ entre ce qui lui appartient et ce qu'il doit rendre, entre ce qu'il veut prendre sur lui et ce qu'il ne veut pas assumer; il remet au tout du Père le tout de son être. Et quand un chrétien prie, il implore avec la dignité du mendiant qui n'a rien et qui a besoin de beaucoup, avec la dignité d'un enfant à qui il n'est pas donné de pouvoir rendre ce qu'il doit recevoir.

 

8. L'enfant de douze ans

Marie cherche son Fils et elle le retrouve au bout de trois jours; mais tout désormais sera différent. Dans la recherche de la mère, dans l'attitude du Fils qui se laisse trouver, il y a quelque chose que nous devrions toujours faire et recevoir. Quelque chose du Fils nous échappe toujours, non parce que comme autrefois il serait resté volontairement en arrière, mais parce que nous ne pouvons pas marcher du même pas que lui. Nous devrions apprendre à le trouver toujours à nouveau là où il est. - Aujourd'hui plus que jamais, pour les chrétiens le Fils est perdu. Avant tout parce que nous nous contentons de l'image que nous nous sommes faite de lui et que nous estimons qu'il est inutile de chercher plus loin. Parce que la Mère est sans péché, elle le trouve exactement comme il veut se laisser trouver par elle. Pour elle, il est devenu maintenant un autre parce que cela fait partie de sa mission qu'il soit désormais différent. Pour nous, cela tient à notre péché que nous ne le laissions pas être autrement que nous nous le représentons. Nous l'oublions toujours entre temps et nous le cherchons à nouveau quand nous pensons avoir besoin de lui. Et parce qu'alors il est devenu autre, nous ne le reconnaissons pas.

 

*

 

3. AU SOUFFLE DE L'ESPRIT (1983) 

(Paru dans Tychique N° 42, mars 1983, p. 55-56)

 

Adrienne von Speyr est ce médecin suisse qui, à sa mort, en 1967, a laissé une œuvre spirituelle considérable dont la traduction française est en cours de publication (une dizaine de volumes parus en 1982 aux éditions Lethielleux, Paris).

Parmi les quelque soixante volumes que compte l'ensemble, aucun n'est consacré exclusivement à l'Esprit Saint, mais il n'en est aucun non plus sans doute où sa présence ne soit sensible.

On écrira un jour une pneumatologie tirée des écrits d'Adrienne von Speyr. Pour le moment, la première chose à faire est de la découvrir. L'œuvre n'a pas besoin de présentation, elle parle d'elle-même: on reconnaîtra vite si c'est l'Esprit qui l'inspire ou si elle n'est que métal qui résonne et cymbale retentissante.

Hans Urs von Balthasar évoque quelque part la plénitude inépuisable de la théologie et de la spiritualité d'Adrienne von Speyr. Que le lecteur aille voir lui-même si c'est vraiment vrai. Il serait absurde de souffrir de la soif à côté d'une source. Que même ceux qui sont rassasiés fassent le détour: il n'est pas sûr qu'ils ne se découvrent pas une soif nouvelle et qu'ils ne disent eux aussi au Seigneur: "Tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant!"

Pour une première vue d'ensemble sur la personne t l'œuvre d'Adrienne von Speyr, il faut se référer à la présentation de Hans Urs von Balthasar : Adrienne von Speyr et sa mission théologique (Paris, 1978).

Patrick Catry
 

Le texte traduit ci-dessous est tiré des Œuvres posthumes (Nachlassbände), t. XI, p. 24-27.

 

L'Esprit souffle où il veut : l'homme a souvent l'impression que cela se fait au hasard. L'homme est habitué non seulement à mesurer les choses de ce monde avec ses propres mesures, mais aussi à accueillir les choses de Dieu dans son expérience chrétienne conformément à l'attente qu'il s'en fait. Ce qui pourrait arriver en lui par la grâce de l'Esprit est d'emblée psychologiquement canalisé et réduit. Si le souffle de l'Esprit ne correspond pas à son attente, il dit qu'il ne comprend pas Dieu. C'est qu'il a cessé depuis longtemps déjà d'être avec lui.

Si toute une pastorale ou même toute une théologie peut-être est bâtie sur une telle attitude, la différence entre le Dieu qui est et celui que l'homme imagine ne fait que s'accroître, l'écart devient toujours plus tragique. Il ne s'agit pas seulement de la largeur, de la longueur et de la profondeur de la vérité; c'est sa nature même qui est changée. Le Dieu que finalement l'homme projette n'est plus qu'une image qu'il a inventée d'après sa propre nature. Dieu est devenu image et ressemblance de l'homme. Et alors, pour remettre les choses en ordre, l'Esprit doit souffler dans l'homme en train de mûrir avant même que ses propres possibilités soient parvenues à maturité et l'aient rendu incapable de Dieu. Ou bien l'Esprit doit l'atteindre de manière à faire s'écrouler sa construction.

Il n'est peut-être personne qui ait été conduit aussi manifestement par le souffle de l'Esprit qu'Ignace de Loyola : tout lui fut arraché, il a reconnu brusquement que son image de Dieu était fausse et que sa vie elle-même était en désordre. C'est dans son nouveau commencement qu'il fait l'expérience du souffle de l'Esprit.

Ce nouveau commencement qui consiste à prendre la décision de vivre selon les conseils évangéliques s'effectue dans le souffle de l'Esprit parce que le renoncement à se posséder soi-même totalement expose toujours l'homme au souffle de l'Esprit. La pauvreté est le renoncement à ce qui a été; la virginité est le renoncement à ce qui a été rêvé; l'obéissance est le renoncement toujours nouveau à tout et elle est de ce fait l'imploration du souffle constant de l'Esprit qui vide tellement l'âme qu'il n'y a plus de place en elle que pour la soumission à l'Esprit. C'est pourquoi l'obéissance résiste à toute systématisation. Dès qu'une espérance quelconque se rattache à l'obéissance, ce n'est plus de l'obéissance, ce n'en est plus que la parodie et la caricature.

En tant qu'être spirituel, l'homme possède une liberté qu'il est toujours enclin à faire jouer contre Dieu; c'est pourquoi son premier péché consistera à argumenter contre la pure obéissance et à se faire une image alors qu'il devrait être lui-même image. En se faisant homme, Dieu entrera dans l'image de l'homme pour lui montrer ce que c'est qu'être homme et image de Dieu. Tout ce que le Fils a fait et dit ici-bas, toute sa conduite et toute sa manière de penser, tout était déterminé par son obéissance et nous a été transmis pour que nous puissions l'imiter dans l'obéissance. Les saints qui accomplissent des miracles, les croyants qui demeurent dans une relation vivante au Dieu Trinité, tous ceux qui usent de la parole dans le sens du Seigneur, ne font rien d'autre que laisser l'obéissance devenir la réalité de leur vie; ils ne discutent pas intérieurement avec Dieu, ils reçoivent tout comme le Fils lui-même acceptait tout et comme il leur présente afin de le lui rendre.

Et ce que l'homme croyant rend au Seigneur va toujours au Père par le Fils. Le Seigneur se cache pour ainsi dire dans l'acte de l'existence chrétienne, qui n'est rien d'autre au fond que le retour de la créature au Père, le salut du monde, le fruit de la croix, la libération de l'Esprit.  Tout ce que le croyant rend au Père est inclus dans l'acte du Fils sur la croix, rendant l'Esprit au Père. Ce qu'il y a de plus mystérieux dans la condition d'Homme-Dieu du Fils, c'est qu'il accomplit toujours l'éternel dans le temps, c'est qu'il accomplit dans l'éphémère ce qui dure toujours, c'est qu'il accomplit dans une existence unique ce qui subsiste dans tous les temps, hier, aujourd'hui et demain, tant que dure le monde. C'est un mystère du souffle vivant de l'Esprit Saint en lui qui est obéissant jusqu'à la mort; et quand il rend ce souffle au Père, il prend aussi notre obéissance pour la rendre au Père dans l'Esprit Saint.

Celui qui, comme Ignace, s'offre à l'Esprit de Dieu le fait dans une certaine incertitude. L'Esprit garde toujours pour l'homme son caractère imprévisible et il présente cette caractéristique même pour l'homme qui s'est livré à lui. Cela vient de ce que l'Esprit procède éternellement du Père et du Fils; dès l'origine, il est celui qui s'adapte au dessein du Père et aux intentions du Fils bien qu'il soit Dieu et bien qu'en tant que Dieu il sache toujours ce qu'il fait. Il le sait mais il le fait en s'adaptant au Père et au Fils. Il agit en toute liberté mais de telle sorte qu'il y a toujours dans son projet un espace libre pour s'adapter aux autres personnes.

Quand nous nous offrons à Dieu, c'est la plupart du temps à partir d'un aujourd'hui que nous comprenons plus ou moins bien en vue d'un avenir qui nous est inaccessible. Nous demandons à Dieu qu'il achève et mène à bonne fin un plan qui peut être purement humain oui bien même un plan qui se situe au niveau de la foi, que nous voudrions mieux réaliser dans la forme que nous avons projetée. Mais nous devrions apprendre à nous offrir à Dieu de telle sorte que nous demeure imprévisible la manière dont notre offre sera reçue. Tant que nous faisons des plans, nous nous livrons inévitablement à des supputations, notre moi continue à avoir plus d'importance que l'Esprit. Notre mission est peut-être de fonder un Ordre, de construire une maison, de répondre à une vocation, le sacerdoce par exemple; mais le comment de la réalisation, c'est l'Esprit qui doit en décider en maître. Et bien que nous devions nécessairement nous aussi faire des plans à ce sujet, nos plans doivent être aussi malléables que le sont ceux de l'Esprit lui-même vis-à-vis des plans du Père et du Fils. Et pour un homme, c'est cela le plus difficile.

Mais parce que l'Esprit a introduit le Fils dans le oui de la Mère et que nous aussi nous sommes des nouveau-nés dans le Fils, parce que nous ne cessons de le recevoir dans l'eucharistie et que nous sommes renouvelés pour son Esprit dans la pénitence, nous recevons aussi par là la grâce de faire entrer notre esprit dans le dessein du Fils. Le malheur est seulement que nous faisons et projetons toujours des choses qui sont à la mesure de nos forces, en demandant sans doute que Dieu les bénisse, mais dans l'exécution de ce que nous avons entrepris nous oublions de rester à l'origine ou d'y retourner : au oui sans réserve de la Mère quand l'Esprit la couvrit, mais aussi à l'Esprit qui, soufflant où il veut, a conduit le Fils à la croix et Pierre où il ne voulait pas, le Seigneur là exactement où il voulait aller et Pierre exactement où il ne voulait pas aller. Entre cette volonté du Seigneur et ce non-vouloir de Pierre, il y a pour chaque croyant toutes les possibilités d'être conduit par l'Esprit.

 

*

 

4. Un chemin vers Dieu (1984)

 

Plan

 

Avant-propos. Introduction. 1. Marie. 2. L’accès à Dieu. 3. Les rencontres. 4. Le mystère de Dieu. 5. Le poids de l’éternel. 6. La vie de Dieu Trinité. 7. La mission du Fils. 8. Le Père. 9. Le Verbe s’est fait chair. 10. Le retour au Père. 11. Le Seigneur aujourd’hui. 12. La mission de l’Esprit. 13. L’emprise de l’Esprit. 14. Le témoignage de l’Esprit. 15. L’Église

 

Pour continuer la route avec AvS

 

* * * * * * * * * * * * * * * * * *

 

 

AVANT - PROPOS

 

Adrienne von Speyr est morte en 1967. Elle est sans doute l'une des plus grandes mystiques de tous les temps. Recevant à Rome en septembre 1985 les membres d’un colloque ayant pour objet la mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr, le pape Jean-Paul II évoquait devant eux  "l’action mystérieuse et impressionnante du Seigneur" dans cette vie. Nombreux sont aujourd'hui dans l’Église les signes de Dieu, il suffit pour s'en apercevoir de ne pas fermer les yeux volontairement. Tous les chrétiens ne sont pas sensibles aux mêmes signes, c'est pourquoi  Dieu les multiplie afin que chacun puisse être touché par les signes qui lui sont adaptés. Parmi tant de signes de Dieu, Adrienne von Speyr a surgi parmi nous "comme une sœur vivante et vivifiante" (Hans Urs von Balthasar).

Adrienne von Speyr est née en 1902 dans une famille protestante de la Suisse romande. Toute petite, elle est instruite mystérieusement par un ange des choses de la religion: comment on prie et comment on peut faire pénitence. A quinze ans, une vision de la Vierge Marie la remplit d'une joie intense et très douce, mais elle est toujours protestante et n'a aucune idée de se faire catholique. Elle sent cependant de manière confuse les lacunes de la religion qu'on lui enseigne.
Encore enfant, elle accompagne parfois à l'hôpital son père, qui est oculiste, et elle rend visite aux enfants malades. Son désir de venir en aide aux hommes éveille en elle le projet de devenir médecin: elle veut consacrer sa vie à Dieu et aux hommes. A seize ans, après la mort inopinée de son père, en plus du travail scolaire lui incombent tous les soins de la maison, sa mère ayant dû congédier la femme de ménage pour des raisons pécuniaires. Un jour, elle s'effondre : double tuberculose; puisqu'elle veut savoir la vérité, on la lui dit: avant le printemps suivant, elle aura cessé de vivre. Et cependant, en 1921, Adrienne peut rejoindre les siens à Bâle. Un travail acharné lui permet de passer son baccalauréat en allemand. Obligée de payer elle-même ses études de médecine, elle ira jusqu'à donner vingt heures de leçons particulières par semaine pour subvenir à ses besoins. En 1927, elle épouse un professeur d'histoire à l'Université, Emile Dürr, resté veuf avec deux petits garçons. Dans les années qui suivent, elle fait trois fausses couches, chaque fois par excès de fatigue dans l'exercice de sa profession. La mort subite de son mari conduit Adrienne au bord du désespoir. En 1936, elle épouse en secondes noces un élève de son premier mari, Werner Kaegi.

En 1931, le docteur Adrienne von Speyr ouvre un cabinet de consultations à Bâle : ce fut le terrain privilégié de son activité médicale et pastorale. Il lui arrivait de recevoir jusqu'à soixante et quatre-vingt patients en une journée. Les pauvres, qui étaient la majorité, étaient soignés gratuitement.

Ce n'est qu'en 1940 que, pour la première fois, Adrienne entre vraiment en contact avec un prêtre catholique, Hans Urs von Balthasar, alors aumônier d'étudiants. C'est la conversion. Adrienne reçoit le baptême dans l'Eglise catholique le jour de la Toussaint de cette même année. "Aussitôt après sa conversion, c'est une véritable cataracte de grâces mystiques qui commence à déferler" sur elle (Balthasar). Innombrables rencontres avec la foule des saints de tous les temps, de tous les âges et de tous les lieux : de Marie, la Mère du Seigneur, à Thérèse de Lisieux, d'Ignace de Loyola au Curé d'Ars. "Par ses visions, elle connaissait et aimait de nombreux saints même sans jamais avoir lu une ligne de leurs écrits" (Balthasar). Des guérisons soudaines et inexplicables sont constatées dans l'exercice de sa profession. En juillet 1942, elle reçoit les stigmates de la Passion et, depuis lors, chaque année, elle participe dans la souffrance et l'extase aux états d'âme de Jésus du vendredi saint au jour de la Résurrection en passant par la descente aux enfers le samedi saint. A partir de 1943, elle est "initiée" par le ciel à l'évangile de saint Jean, puis à nombre d'autres écrits bibliques, surtout du Nouveau Testament; les jours qui suivaient ces "initiations", elle les livrait au Père Balthasar. L'œuvre imprimée d'Adrienne von Speyr totalise aujourd'hui une soixantaine de volumes, quelque seize mille pages. Peu après sa conversion, Adrienne sut qu'elle aurait à fonder avec le Père Balthasar une nouvelle communauté: ce fut la lente naissance de l'institut séculier Saint-Jean dont elle avait vécu par elle-même à l'avance le programme : appartenance radicale à Dieu et engagement tout aussi radical pour les hommes dans la profession séculière. A partir de 1940, la maladie s'empare progressivement d'Adrienne : grave affection cardiaque qui la conduit plus d'une fois aux portes de la mort, diabète, cécité presque complète à partir de 1964. Elle dut renoncer peu à peu à l'exercice de la médecine. Commença alors pour elle, vers 1954, une vie recluse de silence, de prière, de souffrance. "A la prise en charge de la souffrance des hommes, de leurs péchés et de leur purgatoire, Adrienne n'a jamais elle-même posé une limite, mais elle a pour eux connu ensuite une mort qui s'est étendue sur des décennies et, du point de vue physique, fut terrifiante au-delà de toute expression" (Balthasar). Adrienne mourut le 17 septembre 1967, le jour de la fête  de sainte Hildegarde qu'elle avait grandement vénérée et qui avait été médecin comme elle. Sur sa pierre tombale fut gravé un symbole de la Trinité: le cœur de sa théologie et de son expérience.

Patrick Catry

 

INTRODUCTION

 

Les études sur Adrienne von Speyr sont encore bien rares. La présentation que voici voudrait introduire le lecteur au cœur de l'expérience et de la spiritualité d'Adrienne von Speyr, qui est le mystère de la Trinité. Chemin faisant, on rencontrera nécessairement les mystères chrétiens essentiels.

Le premier chapitre est consacré à Marie (1), la Mère de Jésus: ayant parcouru son chemin terrestre de manière exemplaire, elle est une introductrice privilégiée au mystère de Dieu, de notre vie d'homme et de notre vie dans la foi. Un chemin  est tracé qui relie tout être humain à la Vierge Marie. Elle nous invite essentiellement à la disponibilité. Elle a la grâce de nous rendre proche ce  qui nous semble lointain des mystères de Dieu.

Le seul moyen d'avoir accès à Dieu (2) est qu'il nous ouvre lui-même ses portes. Nous ne sommes pas de plain pied avec l'infini. Pour Dieu, le bonheur suprême est de se révéler; c'est lui qui décide du temps et de la manière de le faire. Tout vrai croyant fait l'expérience que sa relation à Dieu est une réalité vivante.

Ses rencontres (3) avec les hommes, Dieu les organise lui-même. Dieu ne parle à aucun homme de la même manière qu'à un autre, et chacun doit remercier Dieu de l'avoir placé sur le chemin qui est le sien. Rien de ce qui arrive dans le monde  ne peut surprendre Dieu. On ne peut aller à lui que dans la confiance, on ne peut l'appeler qu'en se mettant à sa disposition.

Aucune révélation n'amoindrit le mystère de Dieu (4). Le croyant doit faire l'effort de comprendre et il est cependant averti qu'il ne doit jamais oublier que Dieu est inconcevable. Dieu ne nous dissimule rien, mais l'éternité ne suffira pas à nous faire voir le tout de Dieu qui est vie éternelle sans cesse jaillissante.

La révélation biblique de Dieu a le poids de l'éternel (5).  Dieu n'a ni commencement ni fin. L'apparition du Fils sur la terre n'est elle-même qu'un début. Dieu a créé l'homme fini, mais il lui a mis dans le cœur le désir de l'infini.  Toute heure qui passe nous mûrit pour la vie éternelle; celle-ci n'est pas étrangère à notre vie, elle en est le constitutif essentiel.

La vie de Dieu Trinité (6): Père, Fils et Esprit, c'est le ciel. Chacune des trois personnes est libre dans l'amour et chacune veut toujours ce que veut l'autre. Quand il s'apprête pour ainsi dire à créer le monde, le Père ne le fait que dans un échange intime d'amour avec le Fils et l'Esprit. Et le Fils incarné ne verra jamais dans sa Passion son œuvre propre parce que, là aussi, il ne fait que la volonté du Père.

La mission du Fils (7) sur terre se décide dans le dialogue du Père et du Fils. Le Père se laisse influencer par le Fils, et quand le Père envoie le Fils dans le monde, il le confie à l'Esprit Saint. Chacune des personnes divines se met au service de cette nouvelle révélation de l'amour.

Il y a entre le Père (8) et le Fils un mystère d'amour auquel les hommes n'ont pas accès pas plus que les enfants ne participent à tout ce qui fait l'intimité des parents. Nous sommes associés à ce mystère mais sans le connaître vraiment : nous ne sommes pas encore mûrs pour le comprendre. Adrienne a cependant des mots neufs pour dire le Père.

Le Verbe s'est fait chair (9). Pour un Juif, il n'est pas pensable que Dieu, s'il a un Fils, l'ait autorisé à se faire homme. Il est vrai qu'il n'a pas été facile pour le Fils de sortir de l'éternité pour entrer dans notre temps éphémère. Mais il est sorti du Père pour montrer aux hommes comment l'aimer.

Le retour du Fils au Père (10) s'est fait par le chemin de la Passion. Librement, le Fils renonce aux douze légions d'anges qui auraient pu le sauver de la mort. Le Fils meurt de la mort même du méchant. Sur la croix, le Père est comme  voilé pour le Fils; par amour pour le Père, il renonce à sentir son amour, il assume le péché jusque là pour ramener les hommes au Père.

Le Seigneur aujourd'hui (11) est au ciel. La résurrection de Jésus d'entre les morts signifie l'absolution pour le monde entier. Le Père ressuscite le Fils, mais dans le but de nous ressusciter nous aussi.  Au ciel, le Fils se souvient toujours qu'il a  été homme sur terre. Aujourd'hui, il vient à notre rencontre dans l'eucharistie. Et la grande volonté du Père est que le Fils ressuscite tous les hommes au dernier jour.

La mission de l'Esprit (12) ne commence qu'après le départ du Seigneur. L'œuvre que l'Esprit a à opérer chez les hommes est aussi prodigieuse que l'œuvre de la création par le Père  et que l'œuvre de la rédemption par le Fils. Le Fils s'est fait homme pour témoigner du Père, l'Esprit agit dans l'Eglise pour témoigner du Fils. Par le Fils et l'Esprit, le monde est en mouvement vers l'éternel mouvement de Dieu.

L'emprise de l'Esprit (13) éveille chez l'homme un amour neuf pour le Seigneur. L'Esprit a des modes d'action que nous ne connaissons pas. Mais si nous voulons connaître Dieu, nous devons lui soumettre notre esprit. L'Esprit Saint gardera toujours pour l'homme son caractère imprévisible. Etre enfant de l'Esprit, c'est lui être ouvert, perméable, transparent.

Le témoignage de l'Esprit (14) est la consolation du croyant. C'est lui qui donne un sens divin et infini à tout ce qui est fini et semble dépourvu de sens dans la vie humaine. L'Esprit nous forme et nous transforme. Si on s'offre à lui, il nous emporte dans l'éternel, et il se sert comme d'un instrument de celui qui s'ouvre à lui pour toucher les autres.

L'Eglise (15) est là pour être le lieu où Dieu rend visibles les signes de son amour. Souvent elle voudra prendre des chemins qui ne sont pas ceux du Seigneur. L'apôtre, dans la mesure où il est saint, est le médiateur qui facilite aux autres leur chemin vers Dieu. Chacun peut se dire que l'Eglise lui est confiée, chacun a sa mission personnelle, mais à son rang. L'Eglise est faite de pécheurs, mais de pécheurs qui vivent dans l'amour trinitaire en communion avec tous les autres. Elle s'entraîne à retrouver le oui plénier de Marie, qui ne lui sera rendu totalement qu'à la fin des temps. 

1. Marie

 

"Marie ne vit pas qu'au ciel, elle continue tout autant à vivre dans l'Eglise" (La Servante du Seigneur, p. 169).

"Pour chaque individu, et pour tout groupe d'hommes, il y a un chemin précis visiblement tracé, qui va de la Mère à eux et d'eux à la Mère. Cela suppose toujours chez l'homme, il est vrai, une disponibilité à se donner, mais elle se trouve déjà incluse dans la grâce débordante de l'abandon de la Mère. C'est elle qui possède la plénitude de la fécondité et nous y participons par nos désirs timides, nos tentatives, nos débuts d'abandon" (Ibid., p. 193)

"A qui lui reste fidèle, elle gardera une fidélité à toute épreuve. Jamais son aide n'a manqué, jamais quelqu'un ne s'est perdu, qui ne se soit expressément et volontairement détourné d'elle. Il n'est pas dit que la Mère nous conduira toujours sur le chemin le plus facile et le plus agréable. Elle ne peut ni ne doit le faire, car elle doit  conduire les hommes au Fils qui a suivi le chemin de la croix et l'a emmenée avec lui sur ce chemin. Elle n'oppose aux desseins de son Fils aucune espèce de considérations. Elle ne veut pas donner l'impression d'avoir de meilleures intentions que lui sur les hommes. Elle sait à quel point il a raison en réclamant l'abnégation et l'ascèse. Elle-même a pratiqué l'une et l'autre à la perfection. Tout chemin que ménage la Mère est un chemin de renoncement, de pénitence intérieure et extérieure. Mais du fait qu'on la rencontre sur ce chemin, il perd tout caractère triste et inhumain. Elle nous rend doucement attentifs à la nécessité de la croix; elle nous initie aux mystères de la Passion de son Fils et nous montre combien tous, sans exception, sont des mystères d'amour" (Ibid., p. 194-195).

Un jour, Marie a dit oui au Fils pour tout ce qui la concernait; aujourd'hui, à son tour, le Fils dit son grand oui à sa Mère. Ce oui du Fils à sa Mère est divin et incommensurable, il a la mesure de tout l'infini du ciel. Tant qu'elle était sur la terre, Marie avait ses limites ; à partir de l'Assomption, elle reçoit le pouvoir de faire sans limites ce que veut le Fils. Elle ne connaît plus d'autres barrières que celles que nous opposons sur terre à son action. Seul notre non peut arrêter  son oui éternel. Marie a part à l'infinité de Dieu et Dieu permet à Marie d'agir dans l'Eglise d'aujourd'hui. Ses apparitions sont l'accomplissement d'une mission qu'elle a reçue de Dieu. Notre attitude de prière importe à Dieu, et elle a besoin d'être affermie. Le Fils veut nous former par sa Mère. Elle ne se montre pas pour le plaisir de se montrer, mais pour communiquer quelque chose.

Marie s'est mise à la disposition de Dieu comme personne avant elle ni après elle. Son oui à l'ange, à l'Esprit, à Dieu Trinité, au moment de l'Annonciation est le fondement essentiel de son existence. Elle veut être et rester celle qui a dit oui. Et son oui à Dieu est tout le contraire d'un abandon de soi dans le désespoir, il contient toute la plénitude de la foi, de l'amour et de l'espérance. Obéissance, chasteté et pauvreté ne sont pas un suicide de l'esprit humain, elles le font vivre dans une nouvelle grâce. A l'instant de l'Annonciation, Marie ne reçoit pas que le Fils, elle reçoit toute la Trinité.

Par son oui, Marie confie à Dieu la configuration de sa vie, et son oui est le modèle de la réponse parfaite à Dieu de toute l'humanité. Le oui de Marie est le berceau de toute la chrétienté. Tout chrétien dit son oui en l'appuyant sur le oui de la Mère, par lequel elle se met à la disposition de Dieu. Et Dieu a disposé d'elle. Il suffit à Marie de comprendre et de faire ce que la grâce, à chaque instant, lui montre et lui demande. Elle est complètement vidée d'elle-même et elle devient ainsi justement  un lieu pour tous.  Quelque chose de la grâce mariale passe à tous les chrétiens. Marie est celle qui apprend à chacun à prier le Fils. Personne ne vient au Fils sans y être conduit par le Père; personne ne vient à la Mère sans qu'elle indique son Fils. Elle-même, dans sa prière, ne pense pas un instant à apaiser sa soif de Dieu, mais exclusivement à le servir. Elle lance à Dieu sa prière comme une balle avec la confiance qu'il la saisira.

En face de Dieu, elle oublie toute prudence, parce que l'immensité des plans de Dieu s'ouvre à ses regards. En disant oui, elle n'a aucun souhait, aucune préférence, aucun désir dont il faudrait tenir compte. Elle ignore tout calcul, toute garantie, ne manifeste pas la moindre réserve. Elle ne sait qu'une chose : son rôle est celui de la servante qui prend tellement la dernière place qu'elle préfère toujours ce qui lui est offert, ne cherche jamais à provoquer elle-même quoi que ce soit, ne prépare ni ne dirige la volonté et les désirs de Dieu.  Plus jamais elle ne cherchera quelque chose pour elle-même, elle devient si indifférente à elle-même qu'elle veut uniquement ce qui lui est donné.  Son oui a été soumis à l'austérité d'un service effacé. Son oui à l'Annonciation ne sera jamais repris, même quand elle sera sans courage et que la prière lui sera difficile.

Parce qu'elle a dit oui, Marie a, dans toutes les circonstances, la grâce toujours neuve de comprendre. Son âme est toute simple. Ce n'est pas par elle-même qu'elle l'est, mais par la proximité de Dieu, qui lui permet de s'abandonner si totalement que l'incompréhensible est assumé par Dieu lui-même. Dieu lui est si proche qu'à toutes les questions, il apporte lui-même la réponse toute simple; il aplanit et résout tout ce qui paraît embrouillé. Et si le mystère demeure, jamais il ne reste d'énigme angoissante. Elle vit tellement en Dieu qu'elle sait toujours ce qu'il attend d'elle et que, pour elle, il n'est rien de plus simple que de faire la pure volonté de Dieu même s'il demande des choses difficiles et amères.

Son abandon à Dieu n'est pas passivité. Un mot de l'ange sur sa cousine Elisabeth la fait se mettre en route sans tarder. Son sens de l'obéissance lui fait  prendre les allusions de l'ange pour des ordres. Elle est heureuse de pouvoir servir Dieu de tout son corps; elle a des bras pour le porter, des seins pour l'allaiter, une voix pour parler avec lui, des yeux pour le voir, des oreilles pour l'entendre, une silhouette qu'il reconnaîtra comme étant celle de sa Mère. Le Fils aussi, un jour, sera heureux d'avoir un corps à mettre à la disposition du Père.

Quand son fils sera devenu adulte, elle sera toujours prête à accueillir du nouveau, ce que son fils lui inspirera à l'heure même qui lui conviendra à lui. Elle est prête à être mise par lui partout où il a besoin d'elle, même si, souvent, elle ne comprend pas ses desseins. D'une manière bien plus profonde que tout croyant, Marie a conscience du caractère mystérieux de Dieu, sans qu'elle y soit introduite elle-même plus que le Fils ne le veut. Elle a vu l'ange, mais elle sait une fois pour toutes qu'elle doit rester à sa place. Elle sait qu'à chaque instant elle doit rester disponible pour le Seigneur dans une attente virginale.

Marie sait comment on accueille les mystères de Dieu : dans la distance d'un profond respect, de l'adoration, de la révérence aimante. On ne peut pas se les approprier sans préparation comme on peut le faire pour l'histoire ou la science. Les mystères célestes ne sont perceptibles que dans une atmosphère de prière et de contemplation. C'est pourquoi les chrétiens ne trouvent le véritable accès au monde intérieur du Fils que dans le silence effacé du cœur de Marie. Les prières mariales: neuvaines, litanies, rosaire, sont précisément des prières qui appellent et créent le calme, la distance et le temps. Elles exercent toutes à la contemplation de la Mère qui conduit à celle du Fils.

Dans le christianisme, partout où la Mère apparaît, ce qui est abstrait et crée des distances est supprimé, tous les voiles tombent, et chaque âme est immédiatement touchée par le monde céleste. Marie, l'être le plus pur qui se puisse penser, ne communique rien de la vérité céleste sans la collaboration des sens. Ce qu'elle a vu, entendu et senti, ce qu'elle a éprouvé des mouvements de l'enfant en elle et sur son sein, continue de vivre dans ce qu'elle révèle de lui. Elle est femme et elle comprend les choses comme une femme. Elle a la grâce de nous rendre sensible et proche ce qui est lointain pour nous le faire comprendre.

Pour un enfant chrétien, ce que la prière a de concret commence dès qu'on lui présente une image de la Mère de Dieu. Une image de Marie, une statue, un cantique, ce sont les premières choses qu'un enfant parvient à saisir  du Seigneur et du monde céleste. Le Seigneur peut encore rester longtemps abstrait pour l'enfant, alors que sa Mère céleste est déjà pour lui si concrète. A elle, il peut se confier, lui remettre tout ce qu'il ne saisit pas. L'enfant ne sait pas pourquoi certaines choses qu'il aimerait faire sont défendues, mais il comprend déjà que cela ferait de la peine à sa Mère du ciel.

Quand la vie de Marie s'incline vers la vieillesse et la mort, c'est encore un mystère d'amour. La petite vie ordinaire qui fut celle de sa jeunesse reprend; et les années passées avec le Fils, de l'apparition de l'ange jusqu'à l'Ascension, ont l'air à présent d'un épisode prodigieux, extraordinaire, presque invraisemblable dans sa vie de femme si paisible. Elle a commencé dans l'humilité et l'obscurité, fut brusquement mise en lumière, puis elle rentre dans l'ombre et l'humilité. Tant qu'elle vit, elle n'est l'objet d'aucun culte dans l'Eglise, elle est écartée, presque oubliée. Elle reprend la tâche qu'elle avait avant la venue de son fils. Elle ressemble à sainte Bernadette ou à Lucie de Fatima qu'on met au couvent après les grandes apparitions. On n'entend plus parler d'elle. Quand elle sera morte et que sa vie aura été totalement sacrifiée, toute la lumière de son existence éclatera et commencera à briller irrésistiblement.

L'essentiel du péché originel, c'est le plaisir de pécher; le Seigneur a gardé sa Mère de ce plaisir. Elle ignore le côté séduisant du péché. Pour elle, le péché est quelque chose d'abstrait. Adam n'a pu empêcher Eve de connaître le plaisir de pécher.  De même qu'Adam a eu besoin d'Eve pour s'éloigner de Dieu, de même le Seigneur ne veut pas ouvrir le chemin de la grâce sans la femme. Le Fils choisit sa Mère. Et il prouve par là qu'une femme aussi pouvait correspondre totalement au Père. A deux, le Fils et la Mère, ils sont le germe de la nouvelle communauté; c'est à partir de cette cellule initiale que se répand la grâce sur la multitude des hommes. Pour cela fut nécessaire le chemin de la croix sur lequel le Fils a entraîné sa Mère et sur lequel il a porté en vérité les péchés de tous les hommes comme s'ils étaient les siens. Il lui fait partager son mystère de porter sur lui tous les hommes. Et le Seigneur invite tous les chrétiens à mettre leur vie au service de la rédemption du monde comme l'a fait sa Mère.

De même que l'Esprit a fait de Marie la Mère du Fils, de même c'est lui qui fait d'elle la Mère de tous les hommes. Pour la Mère et le Fils, c'est une grâce de pouvoir souffrir ensemble. Leur souffrance est féconde et la souffrance partagée une grâce. Marie ne fait pas qu'endurer la souffrance, elle l'embrasse de toute son âme, elle y coopère comme un cadeau que Dieu lui fait. Par sa souffrance elle amène au Fils les cœurs fermés : elle les ouvre parce que son propre cœur a été ouvert par le glaive.

Tant que Jésus était petit, toute la vie de Marie baignait dans la grâce. Pour Jésus devenu adulte, le plus pénible est qu'il doit faire partager à sa Mère (et à d'autres) les souffrances incluses dans sa mission.  Marie, à la croix, est dans l'obscurité. Alors que le Fils a perdu le contact avec le Père, elle-même ne voit plus le chemin de son Fils. La Mère et le Fils perdent à  la croix la vue d'ensemble de ce qui arrive.

Pour Marie, après l'Annonciation, le sommet fut la naissance; elle y était à la fois au comble de son activité et de sa passivité : elle enfantait l'Homme Dieu.  Pour le Fils, le sommet sera la croix : il y sera au comble de son activité et de sa passivité ; par l'effort suprême de la souffrance, il enfantera le monde nouveau et racheté. Et de même qu'il a participé à l'effort suprême de la Mère, dont il était le fruit, il ne manquera pas non plus de la faire participer à son suprême effort et à son fruit.

Il y a une présence cachée de Marie dans l'eucharistie. Le Fils n'a pu se faire homme sans Marie; le oui de Marie à l'Incarnation inclut son oui à toute nouvelle venue du Seigneur sur cette terre qui s'opère dans la transsubstantiation de chaque messe. Là où le Fils est véritablement présent, la Mère ne peut être absente. Si c'est vraiment la chair du Seigneur que le chrétien reçoit à l'autel, c'est aussi la chair  qui a été formée dans la Mère et pour laquelle elle a mis à la disposition de Dieu tout ce qu'elle avait.

 

2. L'accès à Dieu

 

" Comme Créateur, Dieu a le pouvoir de se faire comprendre de sa créature; il a donné à la créature la faculté de comprendre son langage et de pouvoir s'orienter d'après sa parole" (Le livre de l'obéissance, p. 33).

"Qui a éprouvé une fois ce que c'est de se trouver seul devant Dieu voudra sans cesse et aussi souvent que possible revivre cette expérience. Non pour accumuler ces expériences, mais parce que chaque rencontre avec Dieu implique  la nécessité d'une nouvelle rencontre. Dieu s'ouvre chaque fois comme un commencement qui ne cesse d'appeler la suite. Et chaque fois le chrétien comprend plus clairement qu'au fond, dans ces rencontres, il n'a qu'à être là, qu'à se tenir prêt – mais dépouillé de tout ce qui pourrait faire obstacle -, que Dieu assumera lui-même la responsabilité de la rencontre, que c'est lui qui l'organisera" (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 351-352).

Le seul moyen d'avoir accès à Dieu, c'est qu'il nous ouvre lui-même ses portes. Dieu ne nous devient accessible que s'il nous parle. Sinon nous n'avons pas d'accès à Dieu. Il est l'Incommensurable qui nous dépasse tellement que non seulement il nous est impossible de le concevoir mais que nous ne pouvons même pas être touchés par sa grandeur. Nous sommes des êtres vivant dans le fini, seul ce qui est fini peut nous interpeller. Rien en nous n'est ouvert de plain-pied sur l'infini. L'infini est ce que nous ne pouvons pas nous représenter, c'est pourquoi il ne nous dit rien. Il n'a aucune des propriétés que nous connaissons.

Et quand Dieu parle, nous pouvons répéter les mots qu'il dit, y réfléchir. Nous pouvons nous en servir devant les autres, et aussi les garder pour nous comme on garde ce qu'on a entendu. Mais Dieu seul comprend dans sa totalité la parole qu'il a dite.

Quand deux êtres qui s'aiment sont ensemble, celui qui parle a toujours le sentiment d'en dire trop peu; sa parole est trop courte. Par contre, celui qui écoute a l'impression non seulement que la parole  de l'autre dit tout, mais qu'elle ouvre des perspectives tout à fait neuves pour lui et qui vont au-delà des mots qu'il entend.

Dieu parle aux hommes, mais sa présence aux hommes est discrète. Dieu offre beaucoup de choses aux croyants sans les contraindre. Le Seigneur est discret dans ses avances; Dieu n'aurait eu à faire qu'un léger mouvement: Adam et Eve n'auraient pas mangé le fruit défendu. Il y a une discrétion de la présence de Dieu qui fait partie de la réalité de la création.  C'est pourquoi l'homme doit toujours se contenter de ce qu'il a reçu en partage pour son intelligence et pour sa foi.

Dieu ne peut pas nous communiquer d'un coup toute sa vérité. Mais ce qu'il communique est toujours l'expression de son amour. Qu'il se dévoile plus ou moins, Dieu agit toujours de la manière la plus avantageuse pour notre salut. Un peu comme dans les rapports entre époux: il n'est pas essentiel qu'ils soient plus ou moins déshabillés, plus ou moins habillés; l'amour n'est pas moindre en chaque circonstance. Tout instant conduit immédiatement vers la vie éternelle.

Toute révélation de Dieu a le caractère d'une invitation. Avant le péché, Adam sait que tout ce qui vient de Dieu est bon, il n'a pas besoin de réfléchir pour le savoir; c'est comme pour celui qui aime: tout cadeau qu'il reçoit de celui qu'il aime est celui qu'il préfère. Le péché établit une frontière entre Dieu et Adam. Le problème pour Dieu  désormais  est celui-ci: comment refaire de l'homme son confident ? Pour l'homme, le problème est celui de l'obéissance. Pourquoi l'obéissance? Pour que Dieu, peu à peu, occupe toute la place dans le croyant; cela ne va pas sans luttes. Le dernier mot de Dieu n'est pas la force, mais la bonté.

Dieu nous a faits pour le connaître. Il nous a appelés avant que nous le connaissions. Il nous a appelés de lui-même, l'initiative ne vient pas de nous. Nous devons voir qui il est; et, en le voyant, nous devons éprouver le désir de le connaître plus profondément. Le fait que Dieu se fasse connaître est une manière de nous appeler à nouer une relation authentique avec lui. Pour Dieu, le bonheur suprême est de se révéler. Et Dieu possède la plus totale liberté de partager, de la manière qui lui plaît et à l'heure qu'il choisit, des mystères, des secrets qu'il n'avait pas encore communiqués. Le goût de Dieu est un appel de Dieu.

On ne peut acquérir soi-même la foi. Elle est le don visible de la force vivante de Dieu. La foi que le Père donne aujourd'hui possède le même caractère concret et la même vérité que l'Incarnation du Fils. Elle prend possession de l'humain, mais pour le transformer. Elle lie et délivre en même temps, car elle sépare du péché. La foi est quelque chose de si concret qu'elle détermine tous les actes et toute la vie du croyant. Dieu veut que les siens soient gardés pour le salut; pas n'importe quel salut, mais celui du Père, du Fils et de l'Esprit, celui qui avait été promis dans l'ancienne Alliance et qui s'accomplit par le Fils; et ce salut n'atteindra sa pleine manifestation qu'au ciel, au dernier jour. On sait que Dieu existe, mais la révélation dernière sera beaucoup plus grande que notre plus haute espérance. Cette révélation ultime ne pourra se faire que lorsque nous serons définitivement des élus et que le péché ne pourra plus se saisir de nous. Par la foi nous sommes entraînés ici-bas à nous séparer du péché.

Le seul moyen d'avoir accès à Dieu est qu'il nous ouvre lui-même ses portes. Mais de même que le Seigneur se répand, le croyant  doit communiquer la vie répandue par le Seigneur et, de cette manière, il trouvera la certitude  qu'il croit lui-même de façon vivante. La foi se fortifie en se transmettant. Elle vit comme source d'une vie nouvelle.

Et la vie, c'est la joie. Si, à l'âge de vingt-cinq ans, quelqu'un soutient qu'il a toujours fait son devoir mais qu'il n'a jamais trouvé la moindre joie en Dieu, ce n'est certainement pas vrai.  Un vrai croyant ne fait jamais l'expérience de l'absence de consolation (sécheresse ou épreuve) sans avoir fait au préalable l'expérience de la consolation. La consolation doit toujours avoir précédé l'absence de consolation.

A l'âge de quinze ans, Adrienne, encore protestante, a une vision de la Vierge. Aucune parole ne fut prononcée. Et cependant, dès lors, elle sut que le discours sur Dieu des cours de religion qu'elle suivait n'était pas adéquat; il y était toujours question de Dieu dans une langue qui n'était pas celle de Dieu. Il ne suffit pas de répéter les mots de l'Ecriture pour lui être fidèle. Tout Adrienne von Speyr est là en germe: cette vision sans parole lui a donné une ouverture sur l'infini de Dieu.

 

3. Les rencontres

 

" Dieu a de l'homme une connaissance complète; aussi sa parole rencontre-t-elle exactement ce dont l'homme a besoin et est-elle toujours la réponse à la question qu'il formule ou qu'il garde en soi" (Expérience de la prière, p. 17).

" Le Fils est unique et nous venons immédiatement après lui, si nombreux que nous  nous croyons innombrables, et pourtant nous sommes les fils dénombrés par Dieu malgré notre multitude… Si le Père est la lumière et  l'amour son rayonnement, pour être atteints par son amour, il nous faut être innombrables" (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 157).

Dieu peut devenir une réalité pour nous au cours d'une retraite. Ce ne sera plus jamais du passé. Dieu gardera la direction. Le choix fait alors est que la volonté de Dieu sur nous se réalise.

Dieu ne parle à aucun homme exactement de la même manière qu'à un autre. Chacun est unique, et chacun doit remercier Dieu de l'avoir créé tel qu'il est, de l'avoir conduit sur tel chemin particulier qui est son chemin à lui, de s'être adressé à lui de telle et telle manière. Chacun doit aimer être celui qu'il est depuis qu'il s'est tourné résolument vers Dieu.

Et cependant Dieu ne pense jamais à quelqu'un sans penser à tous les autres. Et le besoin qu'a  Dieu de nous prendre dans sa lumière signifie aussitôt communication en nous du même désir, de sorte que nous ne voulons pas aller dans la lumière sans les autres.

Il y en a qui vont au Seigneur par amour, d'autres parce qu'ils n'ont pas d'amour. Entre les deux extrêmes, il y a place pour toutes les nuances. Seul le Seigneur sait pourquoi quelqu'un s'approche de lui et à quoi aboutira la rencontre. L'homme n'est pas une créature abandonnée par Dieu dans l'existence; Dieu a contracté avec lui une alliance scellée définitivement en son Fils. Depuis les tout débuts de la création, il n'y a qu'un salut, et celui-ci se trouve en Dieu Trinité qui le donne à ceux qui lui appartiennent.

Dieu prend sur lui tous nos soucis si nous les lui confions, tout ce qui assombrit la journée d'hier et celle de demain. Si  Dieu porte et dirige toute notre vie, il est compréhensible qu'il ne mésestime pas nos soucis. Dieu se soucie beaucoup de nous, il se soucie donc aussi de nos petits soucis. Saint Pierre, dans sa première Epître (5, 7), exige de nous que nous nous livrions au Seigneur avec nos soucis; il a le droit et le devoir de le faire, car celui qui pense venir à bout lui-même de ses soucis crée un obstacle entre lui et Dieu; il se réserve un lieu où il ne permet pas à Dieu d'entrer. Le devoir de Pierre – et celui de l'Eglise – est d'aplanir le chemin des croyants vers Dieu et d'écarter tous les obstacles.

Rien de ce qui arrive dans le monde ne peut surprendre Dieu ni le mettre dans l'embarras. Dieu a eu souci de nous longtemps avant que nous ayons commencé d'exister. On n'a pas à se demander si le Seigneur est proche ou lointain parce que "là où je suis, là aussi sera mon serviteur" (Jn 12, 26). Et Dieu donne à l'homme non seulement de quoi se nourrir, mais aussi de quoi correspondre mieux chaque jour à la proximité de Dieu.

Dieu n'a pas créé l'homme pour lui faire peur, mais pour l'aimer. Dieu a aimé depuis toujours celui qu'il pensait créer. Une mère peut châtier son enfant dans une vraie colère sans renoncer un seul instant à son amour pour lui. Si, en chassant les vendeurs du temple, le Christ avait laissé libre cours à sa colère divine, il n'aurait pas seulement renversé les tables, dispersé la marchandise et frappé les hommes, il aurait aussi détruit le temple, car il sait fort bien qu'à peine il sera parti les hommes reviendront s'y installer pour faire leur commerce. Les vendeurs du temple, comme les autres hommes, étaient aimés du Seigneur. La juste place de l'homme dans la vie est prévue par Dieu. "Ceux qui se confient dans le Seigneur sont comme le mont Sion: ils ne vacillent pas" (Ps. 125). Quand un homme  ne se fie pas à Dieu, il ne peut pas être à la place que Dieu lui a assignée. Si un homme se trouve à la place où Dieu veut l'avoir, alors il est sûr d'une certitude que Dieu lui donne, qui n'est pas humainement concevable et qui inclut tous les dons que Dieu lui destine. Cette certitude est toujours plénitude et fécondité. Ce n'est pas une certitude tiède et rassasiée; il y a en elle le mouvement de la réponse, l'accomplissement de la volonté du Père, l'engagement sur le chemin préparé par Dieu.

Même quand l'homme ne voit pas ce que Dieu prévoit pour lui, il sait cependant, dans sa confiance, que la Providence s'occupe de tout, qu'il n'a qu'à faire confiance et que Dieu fera le reste. Il ne doit pas essayer d'aller à Dieu avec des mesures humaines; il ne peut le faire qu'avec la confiance.

Le chrétien est toujours en devenir même quand il ne remarque en lui-même aucun changement. L'homme est capable de comprendre ce que Dieu désire de lui. Les vues de Dieu ne sont pas si profondément voilées au croyant qu'il ne saurait pas ce qu'il a  à faire dans l'instant. La plupart du temps, il ne voit pas l'ensemble du plan de Dieu, ni où Dieu le conduit; mais s' il est obéissant, il voit ce que Dieu exige de lui maintenant. Le grand oui à Dieu inclut les innombrables petits oui de tous les jours.

Personne n'a le droit d'appeler Dieu sans se mettre lui-même à sa disposition. Et plus un homme est croyant, plus Dieu lui montre le chemin qu'il doit suivre. Dieu ne demande à personne une œuvre dont il n'est pas capable. Ne pas faire ce que Dieu demande, c'est commettre un péché. Et le péché serait la mort, la fin de la foi vivante. La foi n'est jamais sans mission, et la mission se manifeste dans une œuvre accomplie selon le dessein de Dieu.

Le Seigneur ne contraint pas, il propose; il dit : "Voilà ce qui est, voilà ce que tu dois faire, voilà ce que tu peux faire; à toi de tirer les conclusions. Tu es libre, et cependant tu dois ou tu peux faire plus".

Le croyant agit, il accomplit sa part de l'œuvre que Dieu lui a confiée. Et il laisse à Dieu la part qui lui revient. Le croyant voit les fruits mûrir; il n'en voit qu'une partie, il n'a pas besoin de tout savoir, il laisse à Dieu le soin de ce qu'il ne connaît pas.

Le croyant véritable sait qu'il n'est qu'un serviteur de Dieu qui, à chaque instant, doit mettre ce qu'il a de meilleur à la disposition de Dieu. Mais comme un semeur. Il n'a qu'un instant sa semence en main; ce qu'il fait n'est qu'une partie de l'ouvrage. Quand il a semé, il est comme un priant qui confie sa prière à l'Eglise, la dépose entre les mains de Dieu.

A qui le cherche vraiment, Dieu donne réponse. Il ne faut pas fermer la porte à l'imprévu de Dieu. Il y a des gens qui ne croient plus à une intervention décisive de la grâce et qui ne croient plus qu'une retraite peut changer une vie et faire rencontrer le Dieu vivant.

La vie du chrétien est service du Seigneur. Qu'il soit bien portant ou malade est chose secondaire par rapport à cet essentiel. La maladie est une parole puissante par laquelle le Seigneur jette l'homme à terre. Toute réflexion s'écroule parce que l'action du Seigneur est plus rapide que toute réflexion de l'homme. Par la maladie, la grâce de Dieu pénètre directement comme un choc dans une vie. La maladie, comme une catastrophe naturelle, peut atteindre tout le monde. Par elle, Dieu peut commencer à être glorifié et la maladie ouvrir sur la vie.

La maladie est une contrainte qui peut ouvrir sur Dieu. Qui s'engage dans la voie des conseils évangéliques connaît, lui aussi, une contrainte. Il est contraint de se jeter dans les bras de la grâce dès le début et de lui confier ses affaires. Qui choisit l'état de mariage comptera davantage sur ses propres forces et sur ses réserves.

Mais celui ou celle qui renonce volontairement au mariage pour  être à Dieu sait qu'il aura part aux mystères de Dieu dans une plus large mesure. Une mesure à laquelle il peut se préparer, mais qui dépend du libre vouloir de Dieu. Dieu fait part à chacun de ce qu'il veut, mais il laisse toujours aussi pressentir ce qu'il ne partage pas afin que le croyant sache toujours qu'il se trouve en présence d'un mystère où il ne peut entrer.

" Dieu a de l'homme une connaissance complète". A l'inverse, ce n'est qu'en Dieu que l'homme peut se connaître vraiment.

 

4. Le mystère de Dieu

 

"Le Seigneur opère le miracle (de Cana). Lui seul. Pour lui et sa puissance divine, le vin est déjà caché dans l'eau… Le Seigneur seul opère le miracle, mais non sans l'accompagnement de la foi, la foi de la Mère et des serviteurs, qu'il comble comme les urnes qui recueillent sa grâce… La foi n'est pas déçue; Dieu répond toujours à la foi qui demande, même s'il ne le fait pas comme l'attend  peut-être humainement le croyant. La foi elle-même ne s'attend à rien de fixe; elle n'attend que la réponse surabondante de la grâce. Ce que celle-ci sera reste toujours imprévisible" (La Servante du Seigneur, p. 120-121).

"Le Seigneur (Jésus) n'est pas venu pour réduire Dieu à la mesure humaine, mais pour dilater l'homme à la mesure de Dieu " (Jean. Discours d'adieu, t. I, p. 198).

"La tentative de l'homme de comprendre tout ce que contient la Parole de Dieu n'est pas un effort vain. Et pourtant à la fin il saisit plus profondément la parole du début : 'Mes desseins ne sont pas les vôtres' (Is 55, 8). Aucune révélation n'amoindrit le mystère de Dieu. Aucune ne lui fait perdre sa totale liberté de se dévoiler comme il veut et de garder pour lui ce qu'il veut. Les croyants sont encouragés à faire l'effort de comprendre la Parole, mais non sans être avertis continuellement de ne jamais oublier que Dieu est inconcevable, qu'il est le Tout-autre" (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 105).

Un être humain a tellement de facettes qu'il en est déjà incompréhensible et inaccessible; à plus forte raison la vie éternelle et infinie de Dieu est-elle absolument impénétrable. Certes Dieu veut nous révéler toute sa vie, mais nous ne pouvons la saisir tout d'un coup, ni expliquer tous les aspects de la vie éternelle. Pour beaucoup de choses, il nous faut d'abord être adaptés par Dieu. Dieu a décidé avec le Fils ce qu'il veut révéler à tous les hommes. Mais comme il ne veut pas que nous en restions à l'une ou l'autre vérité, il ne cesse de montrer d'autres aspects de sa vie qu'il ne fait pour ainsi dire que suggérer sans jamais les dévoiler ni les expliquer totalement. Dieu nous demande tout; et de son côté à lui correspond aussi un véritable tout. Il ne nous dissimule rien. Mais l'éternité ne suffira pas à nous faire voir ce tout parce que Dieu sera toujours plus grand que son éternité même

Dieu ne peut pas, pour le moment, déployer devant nous l’ensemble de ses plans, ni découvrir la totale intelligence de son être et du nôtre, ni toutes les relations existant entre le ciel et la terre. Dieu a des réserves. A cause de notre péché, nous ne pourrions pas faire le tour de sa totalité. Même à ceux que Dieu choisit spécialement pour prophétiser, pour parler en son nom, pour le connaître, il ne peut livrer le tout parce que, même s’il dévoile des vérités de son ciel, les hommes, tant qu’ils sont ici-bas, ne peuvent vivre pleinement de ces réalités.

Dieu n’est pas un être figé. Il est vie éternelle sans cesse jaillissante. Dieu est toujours le même, et cependant il n’est jamais le même. Il est si unique à tout instant que chaque fois qu’il se dévoile il est unique. Il est le contraire de ce à quoi on peut s’habituer.

Beaucoup craignent que dans l’éternité on ne s’ennuie ou qu’on se lasse de chanter sans cesse des cantiques. Mais le "chant" (ou ce que ce pourra être) sera simplement donné comme un cadeau en surplus en même temps que la joie.

Jésus apparaît à la foule portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. "Voici l’homme", déclare Pilate. Le Seigneur est présenté à la foule revêtu des insignes d’une royauté qu’il n’a pas réalisée. Si elle s’était réalisée sur terre, elle aurait été limitée par l’espace et le temps. S’il avait dominé une partie de la terre, il aurait acquis une certaine notoriété et, après une vie de bienfaisance, il aurait pu mourir en paix. Ce n’est pas ça la Rédemption. Le Seigneur a jeté la semence des commencements; seul un petit nombre a accueilli la nouvelle loi, et encore sous réserve. Quelques cœurs seulement ont reçu la marque brûlante du divin qui ne peut se réaliser sur cette terre. Lui, il veut ramener l’humanité entière à la vie éternelle du Père. Ce qui se passe en ce monde n’est que préparation. Si les hommes atteignaient dès ici-bas leur perfection, ils n’auraient plus rien à attendre, ils seraient enfermés en eux-mêmes. Il faut, au contraire, les dilater pour qu’ils entrent ouverts dans la mort. La vie tout entière de l’homme doit être un mouvement inlassable vers Dieu. C’est cela être chrétien: ne jamais rien fermer, mais s’ouvrir toujours plus à l’amour du Fils pour le Père. "Voici l’homme" : s’il avait été un roi terrestre, ce serait la manifestation de son échec total. Sa royauté à lui ouvre les hommes à l’infini de Dieu.

La foi doit rester ouverte sur Dieu au-delà de tout ce qu’elle a compris et ainsi recevoir toujours de nouveaux accroissements. Mais cette ouverture constante de la foi à ce qui la dépasse est troublée par le péché. Le sens de l’homme s’émousse s’il n’est pas nourri continuellement par le sens de Dieu. Ce que Dieu dit d’illimité, l’homme y met aussitôt ses limites; dans les paroles de Dieu, sa foi n’adhère qu’à ce qui lui semble adapté à sa nature finie. Il établit un certain rapport entre ce que Dieu "peut" dire et ce qu’il est capable de comprendre ; il enlève ainsi à la Parole de Dieu son infinité et à la foi son ouverture sur ce qu’elle ne connaît pas encore de Dieu.

Si nous n’avions pas péché, nous aurions gardé le sens de l’absolu. Que Dieu se promène dans le paradis quand il lui plaît, cela ne fait aucun problème pour Adam qui est toujours plein d’attente et en même temps sans attente. Adam est plein d’attente parce que l’homme sans péché est toujours heureux de rencontrer Dieu à nouveau et parce que en même temps il ne s’attribue pas le droit de recevoir une visite de Dieu du fait d’une rencontre antécédente. Adam est en même temps sans attente parce que tout ce qui est,  est bon pour lui. Entre deux visites de Dieu, il est occupé des choses qui appartiennent à la bonne création de Dieu, il est occupé de pensées qui ne lui rendent pas Dieu étranger. De la sorte, les allées et venues de Dieu occupent dans la vie d’Adam une place toute "naturelle".

Toute "naturelle" à certains égards, et tout à la fois au-delà des prises d'Adam. Nous ne pouvons pas nous représenter comment le Père, le Fils et l’Esprit se comportent vis-à-vis du monde. En tant que croyants, nous pouvons croire les mystères de Dieu et les accepter comme vrais. Mais Dieu peut, quand il veut, donner à l’homme une illumination, sans aucun intermédiaire, sur la manière dont Dieu se conduit avec les hommes et non seulement sur la manière dont l’homme doit vivre pour Dieu. Ce que Dieu est en soi dépasse tellement toute créature que celle-ci n’a aucune possibilité de le faire entrer dans des concepts et des mots limités. L’homme ne peut saisir et transmettre qu’indirectement quelque chose de la lumière que Dieu peut lui communiquer.

On peut fort bien résoudre toutes sortes de questions concernant l’Ecriture, l’Eglise ou la vie chrétienne, et conclure: voilà ce qu’il en est ! Mais derrière chacune de ces affirmations émerge incessamment cette autre question : comment cela est-il ? Justement parce que l’affirmation est claire, la place est libre pour la question du comment. La réponse à un problème permet à la nouvelle question de s’exprimer.

"Ne vous étonnez pas", dit Jésus (Jn 5,28). Soyez ouverts à ce que vous ne comprenez pas. Donnez-moi votre foi comme un enfant; prenez de ma main ce qui vient; prenez-le, quoi que ce soit;  prenez-le avec reconnaissance, non avec des questions; avec appétit, non avec méfiance; prêts à accueillir toute l’étendue des possibilités, sans peser. Celui qui s’étonne, critique, compare, celui-là s’occupe beaucoup plus de ce qu’il sait déjà, de ce qu’il possède, de ce qu’il a expérimenté, de ce qu’il est, de ce que son intelligence voit, de ce qu’il a reçu une fois pour toutes, plutôt que de ce que Dieu lui offre de manière toute nouvelle, tout élémentaire. Celui qui est ouvert à Dieu ne peut s’étonner de rien. Celui qui s’étonne montre qu’il est plus occupé de lui-même que de Dieu. Celui qui vit en Dieu sait fort bien que Dieu dépasse toujours toutes choses et surpasse toute attente, que toute comparaison avec ce qui a déjà été lui est retirée. S’étonner, c’est commencer à douter, à ne pas croire, parce que c’est commencer à vouloir avoir raison.

Le mal fait partie du mystère le plus impénétrable de Dieu. Dans les enfers, le Samedi saint, le Seigneur voit le péché à l’état nu, séparé des pécheurs. Cette séparation est le fruit de la croix. Le Fils ne voit plus le ciel, ni non plus à proprement parler le purgatoire. Le purgatoire est le résultat de son passage à travers les enfers. Le Fils regarde immédiatement le dernier mystère du Père qui créa le monde: que fut laissé au diable le pouvoir d’entraîner l’humanité dans l’erreur. Que le Père ait laissé le mal venir au jour appartient au mystère le plus impénétrable de Dieu. Mystère de la liberté! Dieu voulait des fils adultes. Le royaume de la liberté inclut la possibilité du péché. Mais les ténèbres de Dieu, elles aussi, sont un mystère d’amour.

Pour aimer l’invisible de Dieu, il nous faut d’abord aimer le visible qu’il nous a donné : le Seigneur et le prochain. Si nous aimons Dieu dans son invisibilité, nous lui laissons la possibilité de se révéler comme il lui plaît : dans la visibilité de notre prochain ou du Seigneur, comme dans sa pleine invisibilité. Et si nous aimons parfaitement son invisibilité, il va de soi que nous englobons dans le même amour toutes les formes de sa manifestation dans le monde. Si nous n’aimons pas le visible de Dieu qui est dans le prochain, nous nous privons de la possibilité d’aimer l’invisible de Dieu.

Dieu communique à chacun ce qu’il veut bien lui communiquer de lui. Mais il fait toujours aussi pressentir ce qu’il ne communique pas encore ; il fait allusion à ce qu’il ne donne pas encore en partage; il donne à entendre qu’au-delà de ce qu’on connaît, il est d’autres mystères auxquels on n’a pas encore accès. C’est vrai pour tout homme en face de Dieu, c’est vrai pour l’Eglise entière. Il est encore beaucoup de mystères où Dieu ne l’a pas fait entrer. Nous sommes toujours au seuil des mystères de Dieu.

 

5. Le poids de l'éternel

 

"La vie en Dieu est éternelle. Nous ne pouvons pas la comprendre, car elle est ce qui échappe essentiellement à toute compréhension … La vie éternelle est l'absolue et souveraine liberté qui défie toute détermination. Même si tout le reste en Dieu se laissait décrire, la vie éternelle serait indescriptible" (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 112-113).

"Dieu n'a ni commencement ni fin. Du centre de lui-même il pose l'acte de création d'où commence le monde et avec lui l'homme. Le temps qui s'écoule est une invention de Dieu, lui-même est dans l'éternité. Le temps est à la mesure de l'homme et de sa vie : le temps s'écoule de génération en génération jusqu'à ce que le Fils de Dieu s'attribue dans ce temps une durée de vie, trente-trois années d'existence humaine". (Ibid., p. 125).

"C'est donc une règle générale que nous devons toujours laisser mûrir le temps pour comprendre le dessein de Dieu. Cependant le grand achèvement du dessein de Dieu d'où descend la lumière sur toutes choses, c'est le Fils. Mais l'apparition du Fils sur la terre n'est elle-même qu'un début, une ouverture à partir de laquelle il nous est possible de pénétrer toujours plus avant dans la plénitude insondable des mystères de Dieu en cheminant et en cherchant avec le Fils" (Sur Eph 1, 10).

La création a la mesure de l'éternité de Dieu. La création est le produit de la divine responsabilité de Dieu, de son être infini, de son éternité. Même quand l'homme ne le sait pas, il est le produit de la Trinité sainte à laquelle il a part. Dieu ne fait rien sans que son œuvre ait un rapport avec sa propre durée infinie.

Dans son éternité,  Dieu dispose de l'avenir comme du présent. Présent et avenir sont pour lui la même chose parce que les deux se trouvent dans son dessein. Il n'y a pas pour lui d'avenir qui  ne soit pas présent parce que l'instant dépend totalement de la décision de Dieu et il est en son pouvoir.

Pour Dieu, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour (2 P 3,8). Le temps du Seigneur est un temps éternel dans lequel tout est incompréhensiblement simultané; les années les plus lointaines du passé ou de l'avenir se rencontrent dans l'instant présent. Et l'instant qui nous paraît sûr, que nous venons de vivre, que nous pouvons établir comme réel, se laisse ouvrir à un temps sans fin.

La vraie signification du temps est dans l'éternité. Le non-chrétien ne voit dans la vie chrétienne qu'une perte de temps; il a raison dans la mesure où il considère que le temps de ce monde est la durée principale et essentielle. Le chrétien, par contre, ne voit dans le temps présent qu'un prêt de l'éternité; l'essentiel est caché dans l'au-delà du temps.

Le temps du Seigneur, en sa vie terrestre, est emprunté à l'éternité du Père et, à part le moment de l'abandon sur la croix, il voit toujours le temps tourné vers l'éternité.

Qui vit de la foi, vit en Dieu. Il n'a pas besoin d'avoir l'angoisse que sa vie prendra fin en Dieu. Sa vie en Dieu est objective et définitive, tandis que l'amour humain ici-bas, même quand il se veut éternel, sait bien qu'au fond il ne l'est pas. Dieu a créé l'homme fini, mais il lui a mis dans le cœur le désir de l'infini. Il est possible pour l'homme de vivre toujours plus profondément en Dieu et de Dieu, mais cela ne peut que lui être donné. Il est impossible pour l'homme  de demeurer neutre en face de Dieu. S'il entend parler de Dieu, il est obligé de dire oui ou non.

Le grand danger du mariage est de surestimer la communauté conjugale. Le Je et le Tu semblent produire une sorte d'absolu, alors que le Je et le Tu ne sont en fait que l'union de deux finitudes  qui se limitent partout dans leur opposition. En réalité, le mariage chrétien veut rendre les époux participant à l'infini de Dieu au milieu de ce monde fini. Mais il faut reconnaître que la conscience de cette participation à l'infini de Dieu dans l'amour conjugal est beaucoup plus difficile à réaliser que dans la vie selon les conseils évangéliques.

Les saints ont implanté sur terre l'amour céleste; pour eux, ici-bas, le céleste était plus essentiel que le terrestre. Ils ont mené une existence prophétique en proclamant par leur amour le ciel sur la terre et l'éternité dans le temps. C'est pourquoi il serait faux de célébrer dans la relation conjugale terrestre la plus haute forme de l'amour. Le faire serait, pour l'Eglise, le signe qu'elle n'a plus une conscience vivante de son devoir d'être l'Epouse du Seigneur.

Suivre les conseils évangéliques, c'est donner au temps une autre valeur que sa valeur habituelle, c'est lui donner les marques de l'éternité. Pauvreté, chasteté, obéissance sont les armes que le Christ donne au chrétien pour dépasser le temps et le péché, c'est ce que le Seigneur a apporté dans le monde. C'est ce par quoi il a rendu crédible sa vie en tant qu'accomplissement de la volonté du Père. Il nous a montré par là que notre temps a reçu le sceau du temps immortel et l'expression de la volonté éternelle de la Trinité. Qui suit le Fils et sa Mère en suivant les conseils évangéliques introduit sa vie tâtonnante dans la vie déjà éternisée du Seigneur et de sa Mère. Il intègre sa vie dans une vie qui est déjà intégralement au ciel.

De chaque heure qui passe, les chrétiens peuvent faire une heure de Dieu. S'ils le font, ils vivent plus dans l'éternité que dans le temps. Le temps n'est plus alors un système clos; la frontière qui le sépare de l'éternité peut être franchie au milieu du temps d'ici-bas.

L'un des aspects les plus caractéristiques de la mystique, c'est la rencontre en elle de l'éternité et du temps, l'irruption du maintenant éternel, de l'éternel présent, dans les limites du temps qui passe. S'il est vrai que les visions sont comme des extraits, des tranches du monde céleste, s'il est vrai que les visions transmettent quelque chose du mystère de Dieu et que Dieu communique ce qu'il veut dans ces visions, on ne peut concevoir la mystique comme une suite de degrés, d'étapes, parce que les visites du monde éternel dans notre temps ne sont pas soumises aux lois de notre monde passager. Dieu est aussi peu cartésien que possible en ce qui concerne les visions qu'il accorde.

Nous n'avons pas encore vu Dieu, mais nous vivons de lui parce que lui nous voit, et nous vivons dans l'espérance de le voir un jour comme il nous voit. Tant que le Seigneur n'est pas venu (de sa deuxième venue qui sera glorieuse), nous vivons dans un état de pauvreté fondamentale, mais celle-ci porte déjà en elle des signes de la plénitude débordante qui vient.

Le riche a beaucoup plus de mal que le pauvre à voir l'autre monde, l'éternité. Il est difficilement ouvert à l'imprévisible de la grâce; de même que les Juifs de l'Ancien Testament, en possession de l'Alliance et de la Loi, se sont révélés trop riches pour accueillir l'Imprévisible. Le riche possède. Le riche comme le Juif doit être prêt à se laisser abaisser, à abandonner ses possessions au Seigneur. Ce n'est pas une faute d'être riche ou Juif tant qu'on n'a pas rencontré l'Evangile. Celui qui se donne à Dieu doit reconnaître les conséquences que cela entraîne pour lui et pour sa vie passée.

Nous avons le devoir d'essayer de comprendre ce qu'est l'éternité parce que c'est à elle que nous sommes destinés. Le rôle du Fils est d'être Parole du Père, et la mission du Fils est de ramener dans l'éternel le monde passager et transitoire. Et quand nous adorons la Parole, quand nous la contemplons dans l'adoration, quand nous en faisons notre vie dans la foi, nous sommes éduqués, instruits, élevés par elle; elle nous mûrit pour la vie éternelle.

L'unique caractéristique absolue des choses d'aujourd'hui est qu'elles sont dans le Christ (Eph 1, 10). Par rapport à cet essentiel, la distance entre le ciel et la terre est devenue secondaire. Les croyants sont devenus participants de la vie éternelle: celle-ci est le rocher sur lequel est fondée leur vie. Il n'y a pas de rupture entre la vie présente et la vie éternelle. Tout, ici-bas, est déjà de l'éternel.

Le Seigneur fait don de la vie éternelle. Il ne nous la promet pas pour plus tard, pour après le cours de la vie temporelle; il nous en fait le don au milieu de la vie temporelle comme éternité commencée. Il promet qu'il ne cessera pas de nous attirer à lui. Nous avons le droit de vivre dès maintenant pour Dieu; de toute façon, ce sera comme ça au jugement.

Ce serait le souhait du Seigneur que nous apprenions à vivre de la vie éternelle au milieu du temps, que nous ne ouvrions pas seulement au ciel en recevant les sacrements, mais que nous demeurions aussi entre temps dans l'état de celui qui les reçoit. En vivant parmi nous, le Seigneur nous a montré par sa vie quotidienne comment il est possible de ne jamais s'habituer. Il n'a rien renié de sa vie éternelle en raison de sa vie terrestre quotidienne, mais il a tout considéré comme une expression de la vie éternelle, en tout il a vu le Père, et il voudrait qu'à notre tour nous donnions à notre vie quotidienne la marque de l'éternité.

Celui qui a un jour vu Dieu ne peut plus détourner de lui son regard. Au fond nous ne désirons pas voir déjà Dieu parce que nous savons intimement que nous devrions auparavant en avoir fini avec notre péché. Nous ne pouvons pas aimer parfaitement ici-bas, et l'amour parfait demeure le présupposé de toute vision de Dieu. C'est pour cela que personne n'a jamais vu Dieu ici-bas.

Quand nous verrons Dieu, nous deviendrons ce pour quoi nous étions faits. Pour l'instant, il doit nous suffire de savoir que nous sommes ses enfants; ce qui arrivera plus tard, nous pouvons le lui laisser. Parce que nous ne pouvons à présent le voir tel qu'il est, nous ne pouvons pas non plus nous représenter ce que nous sommes. Mais nous n'avons pas besoin de nous en soucier. Dieu, au ciel, ne nous laissera pas dans l'ignorance de ce que nous aurons à être. Pour le moment, nous n'avons rien d'autre à faire que d'être toujours plus enfants de Dieu. Il nous faut lui laisser tout le reste en aveugles, comme des enfants. Notre tâche est claire: accueillir l'amour de Dieu de telle sorte que nous devenions ses enfants, et continuer à recevoir ce don de plus en plus.

Il nous faut comprendre notre vie comme une entrée dans l'éternité, non comme une réalité séparée d'elle, il nous faut faire du terrestre éphémère une porte de l'entrée en Dieu. Si on le fait, on bâtit immédiatement ses plans en Dieu, et on reconnaît que seule la volonté de Dieu est ce qui est constant dans notre vie.

Plus on dit oui à la vie éternelle, plus elle nous est donnée. Non comme quelque chose d'étranger à notre vie, mais comme quelque chose qui est dans le droit fil de notre vie terrestre. Et cependant la vie éternelle n'est pas purement et simplement le prolongement de la vie terrestre. Quand Dieu nous envoie son Fils, il ne souhaite pas que nous projetions notre vie présente dans la vie éternelle. Il ne souhaite pas non plus que notre vie terrestre soit terminée pour que nous prenions au sérieux la vie éternelle; il souhaite que nous commencions dès à présent à donner à sa vie éternelle plus de poids qu'à notre vie temporelle. L'homme a à s'adapter à la vie éternelle.

Il existe ici-bas une expérience de la vie éternelle, de l'au-delà, de la présence mystérieuse de Dieu; ce peut être dans une vision. Et puis tout disparaît pour ainsi dire. Ce n'est ni Dieu, ni la grâce, ni le saint qui se sont refusés ou retirés; la cause de cette limitation de l'expérience n'est pas dans l'éternel, mais dans la vie terrestre. Le ciel reste présent, qu'on le sente fort ou faiblement. Il demeure toujours possible au croyant de rencontrer Dieu sans expérience particulière, dans la simplicité de la foi. Dieu est là, et toute heure de la vie pourrait être une heure remplie de Dieu si l'homme le voulait.

Dieu dispose du temps. Il ne nous dit pas ce que sera demain. Il peut modifier au dernier instant ce que nous attendions avec le plus de certitude. Lui-même ne change pas ses desseins, mais nous les avons mal compris et nous avons attendu des choses qu'il ne voulait pas nous accorder. Nous ne devons pas voir l'ensemble du jour qui vient. Nous ne devons pas disposer nous-mêmes de notre temps et de notre vie. Nous devons nous livrer entre les mains de Dieu. Et c'est de cette manière que nous participons à la vie éternelle.

 

6. La vie de Dieu Trinité

 

" (Le soir de Pâques), le Fils dit: 'Recevez l’Esprit Saint'.  Lui même l’avait reçu de façon visible lors de son baptême, mais auparavant l’Esprit avait reçu le Fils pour le porter à sa Mère, au moment de la conception. En Dieu tout est don parfait, confiance, amour; chacune des trois personnes est ouverte aux autres. Et le Fils, qui s’est fait homme par dévouement et par amour, a fait connaître et a enseigné cette attitude divine; être en tout ouvert au Père, lui montrer tout ce qui se passe dans l’homme, non seulement pour que le Père le voie, mais pour qu’il y prenne part et partage ses sentiments. En raison de cette ouverture, le Père a pris part à la vie du Fils de telle manière que le Fils lui même a éprouvé cette participation et en a vécu. Le Père fait toujours écho au Fils et lui répond ; mais il lui répond de façon déterminante: 'Non pas ma volonté mais la tienne!' Dans cette détermination du Père, il y avait aussi l’ordre de la Passion"  (La confession, p. 63).

"Dans ce que le Père et le Fils possèdent , il n’y a rien qui soit exclusivement à l’un et non à l’autre. Ainsi en est il de ce qu’ils possèdent. En ce qu’ils sont, il y a des différences essentielles, pour autant que l’un est le Père, l’autre le Fils. C'est ce qu’ils sont de par leur nature et de manière irrévocable. Mais en ce qui concerne leurs biens, ils possèdent tous les deux tant la paternité que la filiation.  Ce mystère nous apparaît plus clairement dans le Fils que dans le Père. Le Fils possède aussi la paternité. Il possède, par rapport aux hommes, aussi bien les propriétés du Fils que celles du Père. Il se nomme Fils de l’homme, et il est cependant le Père des croyants qu’il appelle aussi ses petits enfants. De même vis-à-vis du Père, il possède, au moment de la séparation, des qualités paternelles : il se sépare de lui comme Fils, mais il emporte avec lui toute sa mission qui lui vient du Père et il l’administre, non en qualité de Fils subordonné, mais comme collaborateur indépendant et finalement comme responsable; parce qu’il accepte une mission, il devient en quelque sorte, le ‘préposé’ de celui qui l’a institué comme tel. Il doit exécuter ici-bas la mission du Père, entièrement pour le Père, parce que lui seul s’est fait homme, et non le Père.  Par suite de cet état de choses, le Père se charge du rôle du Fils : il laisse au Fils une liberté totale, il ne se mêle pas de ses affaires, ne surveille pas l’œuvre du Fils, comme on surveille les faits et gestes d’un mineur ; il le laisse agir comme un être pleinement responsable ; il ne s’érige pas en juge de l’œuvre rédemptrice du Fils. Il sait l’envergure de la tâche dont le Fils s’est chargé et que, pour l’accomplir vraiment, il faut qu’il la réalise précisément sans le Père, donc en étant séparé de lui.  Sachant cela et se retirant devant l’indépendance du Fils, il place le Fils au-dessus de lui. C’est ainsi qu’il assume le caractère filial" (Jean . Le discours d’adieu, t. II, p. 127-128).

Nous devrions toujours penser à la joie que chacune des trois personnes de la Trinité trouve en chacune des autres. Joie débordante, jaillissement perpétuel, joie qui ne cesse d’être neuve. Nous pouvons lire cette incessante nouveauté de l’être de Dieu dans la multiplicité des choses de ce monde créées par lui. Il n’a peut être créé les nuages que pour que nous ne pensions pas qu’il est lui-même éternellement rayon de soleil. Et chaque nuage à son tour est différent des autres ; au ciel il n’y a pas un ton uniforme. Et les nuages fécondent la terre : l’hiver comme neige, l’été comme orage ; la pluie également a ses particularités. C’est ainsi que la fécondité de Dieu est toujours neuve également.

Comment imaginer l’amour du Père pour le Fils ? Comment penser l’Esprit ? Il y a chez les hommes quelque chose de comparable . Non seulement le Père aime le Fils et l’Esprit séparément. Il aime aussi la relation d’amour du Fils et de l’Esprit ; et il en reçoit un fruit. Cette relation est importante pour le Père, elle l’enrichit, il l’aime et compte sur elle. Une mère qui a plusieurs enfants est enrichie à chaque naissance d’une relation nouvelle avec cet enfant, mais aussi par la relation du nouveau venu avec ses frères et sœurs. Dieu le Père trouve si infiniment parfaites sa relation avec le Fils et l’Esprit et leur relation réciproque que, pour en exprimer quelque chose, il a créé l’univers.

"En Dieu, tout est don parfait, confiance, amour" : il n’y a aucune humiliation pour le Fils si le Père le précède comme Père, et aucune humiliation pour l’Esprit de procéder du Père et du Fils. En Dieu, l’une des personnes peut recevoir la vérité d’une autre, bien que toujours aussi celle qui reçoit puisse partager avec celle qui donne: c’est une égale béatitude de donner ou d’échanger.

Au sein de la Trinité, chaque personne honore l’autre parce que chacune sait ce que c’est qu’être Dieu. Ce n’est pas seulement pour honorer le Père et l’Esprit, mais aussi par amour pour eux que le Fils s’est fait homme; ce faisant, c’est du sein de la Trinité qu’il a apporté à la nature humaine la loi de l’amour et qu’il en a vécu parfaitement le premier. Par son Incarnation, tous les hommes deviennent nos frères et, dans le commandement du Fils, nos frères bien-aimés. L’honneur qu’on manifeste à chacun et l’amour fraternel  proviennent de la vie trinitaire de Dieu.

Au sein de la Trinité, les personnes s’appellent mutuellement: "Seigneur, Seigneur!" (Mt 7,21). Les croyants sont invités à faire de même. Mais on ne peut tromper Dieu: il voit si celui qui l’appelle ainsi se donne et s’ouvre à lui dans son appel.

Le Père, le Fils et l’Esprit sont libres étant donné que, dans l’amour, ils font leur volonté qui consiste uniquement à faire toujours ce que veut l’autre. Car leur volonté trinitaire est toujours amour et on ne peut pas se la représenter en dehors de l’amour. Le Père, le Fils et l’Esprit sont dans la plus parfaite liberté parce qu’ils sont dans le plus parfait amour. On ne peut donc pas dire qu’ils sont dépendants les uns des autres. Pour s’exercer, la liberté humaine a besoin de se séparer des autres. Dans la liberté divine, à laquelle l’homme participe déjà un peu par la grâce, à laquelle il participera pleinement un jour s’il est fidèle, plus nous sommes proches l’un de l’autre, plus nous sommes libres. Entre humains, il y a une limite du privé qu’on ne peut transgresser, même dans l’amour. Vis-à-vis de Dieu, dans la grâce, il n’y a pas ces limites: notre liberté dans la grâce consiste en ce qu’il nous laisse nous approcher tellement de lui que nous pouvons avoir accès à la liberté qui le relie au Fils et à l’Esprit. Mais en Dieu la liberté ne fait qu’un avec l’amour, elle naît de la vérité de l’amour. La liberté pour l’homme est de pouvoir s’intégrer à la liberté de Dieu.

Dans la Trinité, aucune des trois personnes ne désire devenir l’autre. Le Père ne désire pas devenir le Fils, ni le Fils le Père. Dans l’amour humain, l’homme ne désire pas non plus devenir la femme pas plus que la femme ne désire devenir l’homme. Plus ils sont unis, plus l’autre est un toi et non un moi. Il peut arriver, dans l’union, un point où personne ne sait plus où l’un commence et où l’autre finit; mais justement dans cette unité, le toi ne ressort que mieux. Et chacun a, dans l’amour, le droit de disposer de cette union.

Il y a en Dieu un échange d’amour où chacune des trois personnes voudrait être redevable à l’autre de ce qu’elle a en elle de plus caché, de plus intime, et où elle sait aussi qu’elle lui en est redevable: chacune est ce qu’elle est par le don de l’autre en elle, et ce mystère de l’amour est si profond et tellement en son centre qu’il serait absolument impossible de tracer ici des limites. Au contraire: les personnes et leur amour vivent de ce que, depuis toujours et pour toute l’éternité, ces frontières n’existent pas. Le Fils incarné ne verra jamais dans sa Passion son œuvre propre, qui serait délimitée vis-à-vis du Père et de l’Esprit, parce que dans sa Passion il ne fait que la volonté du Père, exactement comme il en fut déjà lors de l’œuvre de l’Incarnation elle-même; ici aussi le Père accomplit sa volonté quand le Fils l’accomplit.

Quand le Père s’apprête pour ainsi dire à créer le monde, il ne le fait pas seulement en accord avec le Fils et l’Esprit, mais dans un échange intime d’amour avec eux. En se manifestant comme Créateur, il a le Fils auprès de lui, puisqu’il exécute toutes choses en vue du Fils; de même il a l’Esprit auprès de lui puisque l’Esprit plane au-dessus des eaux de l’abîme. La croix est un écho de la création du monde: le Père et l’Esprit assistent l’Homme-Dieu sur la croix. La création est orientée ver le Fils, la croix est orientée vers le Père.

Dieu n’a pas créé le monde au hasard. Il a pour ce monde un plan éternel. Toutes les choses y ont leur place dans l’Esprit. Le monde ne peut échapper à ce plan; ce plan est maintenu par l’Esprit; il est vie du Dieu Trinité vivant. Rien dans ce monde n’est  laissé au hasard puisque le monde vit dans le plan de Dieu.

L’Incarnation du Fils n’a apporté aucun changement dans la vie de Dieu Trinité. C’est le Père qui a créé mais, mystérieusement et d’une manière cachée, le Fils et l’Esprit y ont collaboré. L’acte par lequel le Fils s’est offert pour le salut du monde n’est que l’expression d’une attitude qui est constante chez lui. Il n’est pas vrai du tout que dans l’ancienne Alliance le Père seul agit. L’activité cachée du Fils pour les hommes et pour le peuple élu s’y exerce aussi. L’ancienne Alliance cependant est le temps de la promesse et elle est ouverte sur le Fils.

L’Ancien Testament pourtant vient du Père et il est donc important que les chrétiens le connaissent pour apprendre quelque chose de la réalité du corps du Christ par son ombre, pour approfondir leur foi au Christ. Toutes les paroles du Seigneur ont leur racine dans l’Ancien Testament. L’Esprit que le Fils révèle et qui montre le Père est le même qui parlait dans les prophètes pour indiquer la volonté du Père et annoncer la venue du Fils.

Quand, dans l’Ecriture, nous pensons avoir compris quelque chose et que cela ne débouche pas sur la Trinité de Dieu, nous pouvons être sûrs que nous ne l’avons pas saisie d’une manière vivante. Nous ne comprendrons peut-être jamais comment l’Écriture est vivante; notre état de péché nous empêche de voir à quel point elle est remplie de vie. A chaque verset de l’Ecriture, nous devrions prier le Seigneur: "Montre-nous le Père".

 

7. La mission du Fils

 

"C’est la volonté du Fils de devenir mission, et pour cela, il faut que le Père et l’Esprit l’envoient, donnent ainsi forme et contenu à sa mission. Le contenu, c’est que le Fils ramène le monde au Père par un acte non de violence, mais d’amour, et qu’il veut se sacrifier tout entier pour consommer cet acte d’amour… Le Père a choisi la forme "monde", c’était son idée, sa création. Le Fils l’assume pour la lui rapporter consommée" (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 132).

"En envoyant le Fils, le Père le confie pour le temps de sa mission plus que jamais à l'Esprit Saint. Il unit les missions du Fils et de l'Esprit, car il ne faut pas oublier que l'Esprit qui conduit le Fils est l'Esprit du Père, et qu'ainsi aucune sorte d'éloignement n'est possible entre le Père et le Fils… Le Père dépose son Fils dans les bras de l'Esprit comme une mère son enfant dans ceux d'une nourrice. L'Esprit est le premier christophore… Il appartient à la mission du Fils de se laisser porter par l'Esprit, à celle de l'Esprit de porter la mission du Fils. Le Père est constamment en train de les envoyer tous les deux; de lui nous ne savons rien de plus parce que personne ne l'a jamais vu. C'est dans le Fils et l'Esprit que nous voyons le Père" (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 133-134).

L’Incarnation se décide dans le dialogue du Père et du Fils. Le Père se laisse influencer par le Fils. Quand le Fils présente au Père le projet de la Rédemption, le Père l’accepte. Devenu homme, le Fils veut toujours connaître et faire davantage la volonté du Père. Il dispose de lui-même comme d’un instrument qu’il met entre les mains du Père. Il nous montre la voie de l’abandon au Père et il nous invite à en faire autant. En tant qu’homme également, il a de l’influence sur le Père pour que le Père permette l’œuvre de la croix.

Quand le Père permet et veut l’Incarnation, il montre que chacune des personnes divines se met au service de cette nouvelle révélation de l’amour. La Trinité est ouverte et expliquée pour nous. Cette sorte de "désintégration" de l’amour se trouve au service de notre intégration dans l’amour. Et notre prochain doit sentir que l’amour que nous avons pour lui découle de l'amour de Dieu, et Dieu doit savoir que, quand nous l’aimons, nous aimons aussi notre prochain.

Par amour pour nous, le Père a renoncé à son Fils au ciel. Il a assumé la séparation qui était incluse dans l’envoi du Fils dans le monde. Qui aime veut que celui qu’il aime fasse l’expérience de l’amour. C’est pourquoi Dieu, qui nous aime, veut que nous soyons accessibles à son amour et il fait tout pour que son amour nous soit sensible. Le Père envoie le Fils et en même temps il lui permet de venir. Notre vie dans l’amour n’est pensable que nourrie par la vie du Fils. Son amour nous touchera comme amour compréhensible. L’amour donne tout ce qu’il a. Et ce que le Fils a, c’est le Père . Et ainsi le Fils, en se laissant envoyer, nous apporte l’amour du Père.

Le Père permet au Fils de se donner au monde afin d' éveiller en chaque homme l’amour de Dieu. En donnant au Fils cette "permission", il renonce en quelque sorte au Fils et l’offre eucharistiquement. Derrière le sacrifice du Fils, il y a donc le don d’amour du Père qui est la source de l’Eucharistie. Au sein de la Trinité, ce que désire le Fils, c’est de se faire envoyer par le Père pour racheter le monde. Et le Père consent tellement au désir du Fils qu’il lui fait dépasser à l’infini les limites d’une vie humaine en inventant l’Eucharistie. Le Fils "réclame" la durée d’une vie humaine, et le Père lui donne la durée du monde. Par l’Eucharistie, la vie terrestre du Fils acquiert pour ainsi dire un mode d’existence divin qui échappe au temps.

Le Fils est toujours accompagné et conduit par l’Esprit. Visiblement, quand il a couvert la Mère de son ombre et qu’il est descendu sur lui au baptême ; visiblement aussi quand le Fils l’envoie à nouveau sur l’Eglise à la Pentecôte après l’avoir rendu au Père sur la croix. Ainsi l’Esprit participe intérieurement à tout ce qu’entreprend le Fils pour notre salut. Quand le Fils nous rachète par son sacrifice, par son sang et par sa descente aux enfers, afin de nous rendre aptes au royaume des cieux, il le fait conduit par l’Esprit Saint. Toute présence, toute action du Fils montre en même temps la présence et l’action de l’Esprit. On ne peut pas dire que l’Esprit continue ce que le Fils a commencé. Le commencement et la suite sont une unique action des deux. Il n’y a pas de grâce qui ne provienne tout à la fois du Père, du Fils et de l’Esprit, pas d’activité divine qui ne soit le fait des trois personnes ensemble, comme si chacune des trois personnes voulait éveiller en nous la capacité d’être ouverts et accessibles aux trois.

Un amour absolu unit le Père et l’Esprit au Fils. Dans cet amour, le Père et le Fils se tiennent à la disposition de l’Esprit pour qu’il rende possible qu’ils soient connus par le monde. Dans cet amour, le Père et l’Esprit se tiennent à la disposition du Fils pour qu’il ramène le monde à Dieu. Dans cet amour, l’Esprit et le Fils désirent du Père qu’il les envoie tous deux en une mission spéciale pour porter aux hommes l’amour réciproque des trois personnes comme l’expression la plus intime de l’amour du Père, et cela d’une manière si durable que l’homme demeure en Dieu comme Dieu demeure ne lui.

Le Père et le Fils s’obéissaient mutuellement parce que chacun accomplissait la volonté de l’autre. Quand le Fils fut envoyé par le Père dans le monde et devint l’un des nôtres, le Père a comme perdu son pouvoir sur le Fils, de même que nous, dès que nous avons dit une parole, nous perdons notre pouvoir sur elle. La Parole de Dieu se trouve maintenant dans le monde; parmi nous, elle dépend de nous, elle nous est livrée.

Est-ce que le Fils préfère sortir du Père ou retourner au Père ? On comprendrait mieux qu’il préfère retourner au Père. En fait, et c’est à peine compréhensible, il aime autant sortir du Père que retourner à lui. Parce que le seul critère de ses préférences, c’est le désir du Père sur lui. Infiniment plus que nous ne le pressentons, tout notre agir chrétien et toute notre passivité chrétienne proviennent de la Trinité. "Aime ton prochain comme toi-même"  est finalement fondé dans l’amour trinitaire; le Fils aime le Père de cette manière et , par cet amour qu’il a pour le Père, il s’aime lui-même.

Le Père ressemble à un homme riche qui voudrait tout donner à son Fils bien-aimé, mais son Fils lui a amené dans sa maison un tas de mendiants qu’il faut vêtir et nourrir. Et finalement le Père a permis au Fils d’amener chez lui tous ces pauvres qu’il a ramassés n’importe où. Et le Père doit donc maintenant partager ce qu’il voulait donner à son Fils. Le monde qu’il a créé a une ressemblance avec le Fils qu’il a engendré et le Fils est attaché au monde même quand celui-ci s’est détourné du Père. Les mendiants ont causé beaucoup de dommages dans la maison, et le Fils veut lui même tout remettre en état. La situation est très complexe et le Père doit en tenir compte.

Dans la Révélation, Dieu sort de son silence et de son origine, il se manifeste pour nous dans la parole. Mais il ne parle pas seulement de lui-même; qu’il soit compris et reçu par nous est l’œuvre de l’Esprit Saint qui est la source de toute union vivante. Toute la révélation de Dieu est donc trinitaire, et la Bonne Nouvelle ne parle de rien d’autre que de Dieu Trinité. D’un bout à l’autre de l’Evangile, l’unique contenu de la Parole de Dieu, c’est la Trinité, tout comme elle est l’unique contenu de la création.

Toute parole du Fils est trinitaire, même si cela ne se voit pas de prime abord: il dit la parole du Père et il parle dans l’Esprit Saint. Suivre le Seigneur selon les conseils évangéliques, c’est adopter une forme de vie trinitaire. Les trois conseils sont la forme de la vie du Fils; les suivre, c’est avoir part avec lui à la vie de Dieu.

Mais quiconque aussi vit dans la foi est constamment, quoi qu’il fasse (prière ou action concrète dans le monde), dans le courant de vie trinitaire. Tous nos chemins sont des chemins trinitaires. Prier, c’est toujours aussi avoir affaire à la Trinité tout entière. A cause de l’unité de l’être de Dieu, il est impossible qu’une personne divine reste jamais en retrait par rapport à une autre . Chacune des trois personnes participe tellement à toutes les œuvres de Dieu qu’il nous est permis de nous savoir toujours entourés du mystère des trois personnes. Et plus un être humain est pur, plus purement il fera l’expérience qu’il peut prier Dieu comme le plus proche des proches.

Quand un chrétien reçoit des grâces sans explication ou qu’il voit d’autres chrétiens en recevoir de semblables, il sait qu’elles viennent de Dieu Trinité, mais sans pouvoir préciser le côté du triangle trinitaire d’où elles viennent. Quand aucune explication n’est donnée, ce sont les trois personnes qui agissent; il faudrait une indication ou un signe pour qu’il sache qu’une des personnes s’est adressée à lui.

Chaque homme porte en lui un schéma de la vie trinitaire, sa manière propre de participer à ce mystère. Chez l’un, c’est la vie du Fils; chez l’autre, l’amour particulier pour le Père; chez un autre encore, la compréhension des dons du Saint Esprit. Mais toujours le particulier débouche dans le trinitaire qui inclut tout.

Marie est, pour tous les croyants, un modèle de la manière dont on peut parler avec le Père et le Fils dans l’Esprit Saint sans souligner les différences qui nous séparent de la vie de Dieu. Quand nous prions vraiment le Christ, nous prions dans l’espace de Dieu trine et un, et la réponse nous vient de Dieu Trinité tout entier. Cela nous incite à nous souvenir toujours dans notre prière de la présence trinitaire dans l’unité.

 

8. Le Père

 

" Le Père non plus ne s'est pas refusé au Fils, lorsque celui-ci lui a demandé la permission d'opérer la rédemption. Et le Père l'a livré à sa propre décision. Il aurait pu dire non. Il aurait pu trouver que le Fils en demandait trop. Mais il a, humainement parlant, renoncé à certains droits de sa paternité et de son amour pour le Fils, pour permettre au Fils l'ultime abandon. Et Dieu nous a créés à son image, et le Fils voudrait réveiller en nous cette image. Du fait que le Père n'a pas refusé, le Fils nous donne la possibilité de ne pas refuser …

Souvent les gens font des manières quand ils reçoivent un cadeau et disent: 'C'est trop!'. Ils montrent par là qu'ils mettent leur capacité d'évaluer au-dessus de l'amour qu'on leur a témoigné. Il peut arriver certes qu'objectivement un cadeau dépasse les possibilités de celui qui le donne. Mais s'il veut vraiment l'offrir par amour, alors la raison qui met des limites perd son droit de mesurer. Ainsi lorsque le Fils fait sa proposition, le Père ne dit pas: 'C'est trop! Il renonce pour ainsi dire à son droit de juger et contrôler, et abandonne toute la mesure au jugement du Fils…

Le Fils fera en quelque sorte défaut au Père, pendant son séjour sur la terre; et plus il lui manquera, plus le Père mesurera combien son amour pour le Fils et l'amour du Fils pour lui sont grands. Car le Père aussi a besoin du Fils et ne peut pas être sans lui. Peut-être le Père aurait-il eu d'autres propositions, d'autres idées au sujet de la rédemption, qui n'auraient pas rendu nécessaire la déréliction de la croix. Mais il ne les exprime pas, il s'en remet au Fils. Dans l'amour, le meilleur c'est toujours le désir de l'autre" (Jean. Naissance de l'Eglise, t. II, p. 126-127).

Au cours de sa vie terrestre, le Seigneur ne parle que rarement de la vision du Père qu'il a. Il essaie de rendre accessible aux autres sa béatitude. Il nous indique par là qu'il ne faut pas toujours essayer de saisir le Père. Il nous faut faire ce qui est à faire pour les autres et laisser au Père la possibilité de nous saisir.

Il y a chez le croyant une joie dans la distance qui le sépare de Dieu, une joie qui n'essaie pas de saisir quelque chose de plus de Dieu, qui n'essaie pas d'exiger, de désirer, mais qui se réjouit des choses telles qu'elles lui sont données.

Tout ce qui demeure invisible, le croyant sait que le Père le voit pour lui. Le Père aime le monde; il ne veut pour lui d'autre lieu que le monde lumineux du Fils.

L'homme ne sait jamais quand se passe l'essentiel. La femme ne sait pas quand elle conçoit. L'homme ne sait pas quand Dieu lui pardonne et quand il est comblé de grâce. Rien de ce qui est essentiel ne se laisse déterminer dans le temps. Et même quand le Père et le Fils livrent leurs mystères en se révélant, il y a cependant toujours encore entre eux des rencontres auxquelles les hommes n'ont pas accès. Le Père et le Fils gardent pour eux une dernière intimité dont les hommes ne voient pas l'éclair; tout au plus peuvent-ils déduire que quelque chose s'est passé quand ils entendent le grondement du tonnerre (cf. Jn 11,41).

Dans la mission du Seigneur, bien des choses sont incompréhensibles: le fait qu'il a pitié des hommes et qu'en même temps il exige pour ainsi dire trop d'eux, le fait qu'il veuille avoir des disciples et des successeurs, et bien d'autres choses encore dans sa vie, et surtout vers la fin de sa vie. Beaucoup de choses, dans cette fin, se jouent uniquement entre le Père et le Fils, et ne nous sont pas accessibles comme ce qui précède. Tout l'Evangile débouche sur cette fin inexplicable, sur cette apothéose de l'amour. Ce mystère d'amour entre le Père et le Fils, qui à ce moment domine tout, ressemble en quelle que sorte au mystère des parents. Bien que les enfants vivent dans l'espace de l'amour parental, ils n'en aperçoivent pas tout, ne participent pas à tout ce qui fait l'intimité des parents. Ils savent peut-être qu'il y a des choses auxquelles ils n'ont pas accès, bien que ces choses ne diminuent en rien l'amour des parents à leur égard. Car ils vivent dans cet amour mutuel des parents, et pas seulement dans l'amour distinct du père ou de la mère pour leur enfant. Nous aussi, nous vivons à la manière des enfants dans ce mystère entre le Père et le Fils, sans vraiment le connaître. Mais ce n'est pas parce qu'on  nous en prive que nous ne le connaissons pas; tout simplement nous ne sommes pas encore mûrs pour le comprendre. Plus tard, devenus adultes, les enfants devineront quelque chose des secrets de leurs parents; et nous aussi nous progressons dans la connaissance de Dieu.

Il y a connivence entre le Père et le Fils. Il ne faut pas penser que le Fils cherche à se faire des adeptes. C'est le Père qui attire les hommes au Fils. Quand on va au Fils, c'est en raison d'un désir que le Père a mis en nous. Le Fils reçoit tous les hommes que le Père lui donne parce que tous viennent du Père et sont un don du Père au Fils.

Nous avons à suivre le Fils. Et celui-ci nous renvoie au silence de la prière et de l'adoration. Il nous faut prier le Père de bien vouloir insérer notre existence dans celle de son Fils, notre existence présente dans son existence omniprésente, notre faible disponibilité dans la force de la sienne, notre obéissance actuelle de chrétiens dans son obéissance divino-humaine incessante, afin que nous ayons part dans la foi à son indicible mystère d'obéissance. Que Dieu modèle notre imitation selon son bon plaisir et selon ce qu'il a décidé pour nous. Que Dieu fasse de notre oui une imitation du oui parfait de son Fils.

Dans l'ancienne Alliance, il y avait comme un lieu précis en face du Père; dans la nouvelle, on ne se trouve plus en face du Père, mais entre le Père et le Fils. Un lieu dont on ne voit pas la fin, un lieu dont nous savons seulement qu'il est le lieu de l'amour du Fils pour le Père et du Père pour le Fils. La communion d'amour entre le Père et le Fils embrasse tout ce que Dieu nous donne et tout ce que nous devons lui donner pour que la vie et la mission du Fils soient accomplies. Le Fils nous a introduits dans le tourbillon de la communion divine ainsi que le Père le lui a permis. Ceci a pour conséquence que le Père ne sera plus jamais seul avec le Fils parce que nous faisons partie de leur communion. Leur intimité n'en est pas rompue; seulement nous y sommes invités dans la mesure où nous sommes nous-mêmes aimants et où nous laissons s'accomplir en nous l'amour du Fils et ses sentiments intimes. Si nous nous trouvons au milieu de l'amour du Père et du Fils, nous sommes en mesure d'y répondre.

Dieu est amour; l'amour constitue l'être du Père, du Fils et de l'Esprit. Non pas un être fermé sur lui-même, en opposition à nous, mais communication essentielle et insertion de tous les hommes en lui. Nous sommes introduits dans l'amour du Fils, et le Père ne peut faire autrement que de nous voir inclus dans le Fils, inclus dans son amour pour le Fils, comme des êtres aimés du Fils.

Le Père nous a fait don du Fils, et le Fils nous a fait don du Père. Quand des parents reçoivent un enfant, le père peut faire don de l'enfant à la mère et la mère peut faire don de l'enfant au père; mais cela seulement parce qu'ils se sont d'abord donnés l'un à l'autre et parce que par là ils se sont donné l'enfant l'un à l'autre.

C'est pourquoi nous avons un vrai pouvoir sur la volonté du Père. A condition que nous soyons vraiment dans le Fils et dans l'obéissance du Fils. Car dans la Trinité, chacun fait la volonté de l'autre; et en faisant la volonté de l'autre, il fait également la sienne. Celui qui, par le Fils, participe à cet amour détaché de soi qui existe en Dieu, peut décider Dieu parce qu'il est totalement déterminé par Dieu. Il vit dans la prière du Fils.

Quand le Fils accomplit sa mission sur terre, le Père veut comme se laisser étonner par le Fils. Le Fils incarné fait plus que ce que le Père demande, mais qu'il le fasse provient une fois encore d'un don du Père. L'obéissance dans la vie religieuse est une obéissance "inter pares": c'est une image de la vie trinitaire. Finalement le Père aussi est obéissant au Fils quand il le laisse aller à la croix.

Le Père veut ce que veut le Fils parce qu'il a accepté toute la volonté du Fils sur la croix et l'a reconnue comme sienne. Même si le Père n'avait pas l'usage de l'incroyable offre d'amour du Fils, il l'accepterait quand même par amour pour le Fils parce que c'est l'amour qui le lui offre. Et il ne ferait pas comme s'il ne pouvait pas s'en servir parce que entre le Père et le Fils, il n'y a aucun "comme si" et parce que le Père veut montrer au Fils qu'il ne voit pas en son offre une simple surabondance; il voit en elle l'expression de l'amour le plus authentique et le plus précieux.

Dans la Passion du Fils, c'est le Père qui doit faire la volonté du Fils; car, comme tout le reste, il a aussi remis la Passion entre les mains du Fils. Le Père accepte difficilement l'abaissement du Fils dans son Incarnation et dans sa Passion. Le Fils aurait pu atteindre le même résultat à moindres frais, il aurait pu témoigner autrement de son amour  pour ses disciples et obtenir du Père plus rapidement l'œuvre rédemptrice.

Le Père pourrait épargner la croix au Fils. Mais c'est comme si c'était lui qui disait maintenant au Fils: "Que ta volonté soit faite, non la mienne". Il y a une impuissance volontaire du Père devant la volonté du Fils. Quand le Fils prie, le Père et l'Esprit y participent; au Mont des oliviers, ils participent à la prière angoissée du Fils.

Le Père voit bien que sur la croix le Fils souffre beaucoup plus qu'il est nécessaire. Mais le Fils le veut ainsi parce qu'il est dans la lumière de l'amour du Père et dans la souffrance de l'obscurité du Père. C'est pourquoi, pour le Fils, il n'y a pas là d'excès. Il voit le "plus grand" du Père, qui le stimule à faire encore plus dans l'amour. Ainsi tout s'équilibre. Ce qui, aux yeux des autres, paraît superflu, est pour lui plutôt trop peu.

La plus grande douleur qu'on puisse infliger au Père, c'est de tuer son Fils. Mais, en mourant, le Fils lui témoigne un amour si grand qu'il surpasse même cette douleur. Là où l'outrage que le monde fait à Dieu parvient à son comble, là aussi l'amour du Fils pour le Père, et donc aussi sa glorification du Père, atteignent leur perfection. Là où le Père est atteint de la manière la plus sensible, le Fils lui enlève toute souffrance. Après que les hommes ont tué le Fils, le Père est devenu plus riche en amour; car sa  création lui est rendue par le plus grand amour du Fils.

A la croix, le Père est séparé du Fils, abandonné par le Fils. Quand le Fils est abandonné par le Père, personne ne doit penser que le Père ne soit pas aussi abandonné par le Fils. Car quand le Fils perd l'accès au Père, il est impossible que le Père possède encore l'accès au Fils. Le Père aussi est abandonné à la croix et séparé du Fils séparé. Il en est ainsi parce que l'amour est une unité et que, dans l'amour, il est impossible que l'un soit touché sans que l'autre le soit aussi.

Nous n'avons ni concept, ni mot pour la "souffrance" mystérieuse que notre péché cause à Dieu, si Dieu ne change pas, qu'il est toujours bienheureux et ne peut être blessé par sa créature. Et cependant il serait inconcevable que Dieu demeure insensible à la faute et au malheur de ses propres créatures, lui qui est l'amour éternel.

Et cependant le Père ne doit pas ménager le Fils, ni le Fils se laisser ménager par le Père. Le point culminant du service du Fils sera la croix. Le Fils est heureux parce qu'il sait que le Père ne le ménagera pas, ne le traitera pas comme un faible qu'il juge incapable de souffrir. Le Fils ira le plus loin possible et il rapportera ainsi au Père tout l'amour possible du monde.

La croix, c'est le drame pour le Fils; c'est le drame aussi pour le Père. Le Père aime son Fils. Il voit ce que le Fils souffre. Il a su depuis toujours que cette heure arriverait; quand enfin elle est là, il l'éprouve dans toute sa réalité. Il  ne peut pas se révéler au Fils parce que, s'il le faisait, il diminuerait sa propre confiance en son Fils. Il doit accorder à l'amour du Fils ce dernier témoignage, cette ultime épreuve, de le livrer à la séparation totale d'avec lui. C'est de cette manière que le Père partage la souffrance de la croix.  Ce renoncement de Dieu à se manifester est la source de toute souffrance chrétienne car, dans ce renoncement, se manifeste l'amour suprême du Père. C'est pourquoi, dans la vie chrétienne, à l'exemple du Père, il faut laisser au prochain le droit de souffrir malgré tout l'amour qu'on lui porte. Il n'est pas permis de lui épargner toute souffrance par amour. Si le Père intervenait dans la Passion du Fils, il mettrait des limites à son amour; sa compassion témoignerait d'une méfiance à l'égard de l'amour du Fils.

Puis vient la résurrection … La résurrection de Jésus est sans doute la plus mystérieuse des œuvres de Dieu, à la fois œuvre du Père et du Fils. Le Fils se laisse ressusciter par le Père, mais il est tellement lié à sa volonté qu'il s'éveille aussi lui-même dans le Père à cette résurrection. Et en le réveillant, le Père lui rend tout ce que le Fils avait déposé auprès de lui. Personne plus que le Père ne se réjouit de ce que le Fils soit ressuscité de la mort pour l'éternelle vie. Joie humaine de la rencontre. Au temps de la Passion, l'amour entre le Père et le Fils n'a subi aucun dommage, mais il ne pouvait plus être goûté en sa plénitude. A l'Ascension,  l'amour rayonne d'un éclat nouveau et divin. C'est la plus grande joie du revoir : Dieu est à nouveau en Dieu, le Fils dans le Père et dans l'Esprit. Les relations entre le Père et le Fils n'ont pas été troublées par la Passion. L'angoisse elle-même fut un acte d'amour, de renoncement, aussi grand qu'un renoncement peut l'être. Maintenant il n'est plus nécessaire de renoncer à rien. Tout est transparent, parfaitement. Il y a une fête de Dieu Trinité dans le ciel. La parabole du fils perdu n'est pas loin: il a porté le péché du monde, il a souffert la faim sur la croix. Il revient au Père avec le plus grand don que le Père pouvait attendre de lui. Son don ne fait qu'un avec son retour; en l'embrassant, lui, le Fils, le Père reçoit tout ce que le Fils lui rapporte. Les souvenirs que quelqu'un rapporte de voyage servent à compléter sa présence. Il apporte au Père avec lui le monde sauvé, au Créateur le monde recréé, le monde qui porte désormais la marque du Fils.

 

9. Le Verbe s'est fait chair

 

" Pour les Juifs, la plus haute valeur, c'est la crainte de Dieu, qui tient à distance. On peut se dire peut-être enfant de Dieu, mais se donner comme son fils ne peut être que blasphème. Tout en le regardant comme tout-puissant, ils tiennent Dieu en quelque sorte pour impuissant, parce qu'ils ne lui accordent pas la seule chose dont tout le monde est capable : avoir un fils.

Ainsi les déclarations du Seigneur sur lui-même ne peuvent être, à leurs yeux, interprétés que comme pur orgueil. Ils ne veulent rien savoir de la possibilité d'une unité humano-divine dans le Seigneur. Comme il parle en tant qu'homme, ils se croient autorisés à le juger d'un point de vue purement humain.

Le caractère divin de son être, qui transparaît dans son humanité, ne peut être pour eux que l'expression de sa présomption. Ils connaissent Dieu. Il a créé le monde. Il est ce qu'il y a de plus sublime. Si Dieu avait un Fils (ce qui est impossible), il serait plus impossible encore qu'il lui permît de s'abaisser jusqu'à la bassesse de la nature humaine. Il aurait dû, sans conteste, le lui interdire" (Jean. Naissance de l'Eglise, t. I, p. 90).

Pour les Juifs, seul un Dieu lointain peut être le vrai Dieu. Même pour le chrétien d'aujourd'hui il n'est pas facile de ne pas redevenir Juif de cette manière-là. Dans l'Ancien Testament, le Fils était encore caché derrière le Père. C'est la relation du Fils incarné au Père céleste qui révèle les relations des personnes dans le ciel. Dieu est ce qu'il y a de plus sublime. Mais la différence des personnes au sein de la Trinité ne signifie aucunement un moindre degré d'être.

En se faisant homme, le Fils a rempli toute l'espérance de l'ancienne Alliance. Il est venu pour  être le signe que Dieu peut vivre parmi nous comme nous-mêmes nous pouvons vivre avec lui dans l'éternité.

Il n'est pas facile pour le Fils de devenir homme. Ce qui lui rend la tâche plus facile, c'est qu'il comprend tout comme volonté du Père, qu'il voit tout de ce point de vue. En tant que Dieu, il n'a pas de vœu plus ardent que de devenir homme comme le Père l'attend de lui.

Le Fils de Dieu est sorti de l'éternité pour entrer dans notre temps éphémère. Mais pour le temps de son séjour sur la terre, il a déposé sa puissance auprès du Père. La quintessence de ce que le Fils doit annoncer, c'est lui-même, mais comment le dire? Et s'annonçant lui-même, il annonce aussi le Père et l'Esprit.

Le Fils devient homme avant tout pour effacer l'offense faite au Père et à l'Esprit. Devenu homme, il montrera au Père qu'un homme peut être bon, et il détournera du Père les traits du péché en les faisant se diriger sur lui quand il sera sur la croix.

Le Verbe se fait chair : il reçoit son corps comme une chose merveilleuse qui lui servira à gagner les hommes pour le ciel. La pensée ne lui vient pas que ce corps n'est pas adapté aux mesures de son esprit. Il offre au Père son corps et également son âme qu'il a reçue de lui. Mais pour le moment, c'est le corps qui lui fait, pour ainsi dire, le plus d'impression.

Avec son corps il expérimente aussi la sainteté du corps de sa Mère : un corps qui prie, une Mère qui prie, une Mère qui sans cesse aussi le porte au Père.  Son corps grandit aujourd'hui comme hier et demain, d'une manière à peine perceptible, selon les lois du devenir humain telles qu'elles furent établies par le Père. Il s'y adapte, il ne les fait pas éclater, il fait sien le temps des hommes. Il reçoit tout de la main du Père et fait jaillir sans cesse son étonnement en action de grâce.

Jésus n'a pas été un enfant prodige. Marie a dû certainement l'éduquer comme doit l'être tout enfant. Elle lui a appris à parler et à marcher, elle a dû laver ses langes. Il serait faux  de penser que, tout enfant, il a eu déjà pleine conscience de sa divinité et de sa mission. Ceci ne lui est advenu que lorsqu'il en a eu besoin, peut-être à douze ans dans le Temple, et puis sans doute toujours plus souvent quand il a eu dix-huit ou vingt ans. Il était éveillé autant qu'un homme peut l'être, mais sa jeunesse a consisté à être purement et simplement un enfant.

Le Fils s'est fait homme sans renier sa divinité. Mais il n'a pas cru devoir y rester attaché, il la déposa auprès du Père et il vécut résolument une vie d'homme sans se plaindre continuellement qu'au ciel c'était plus beau et plus confortable que sur terre.

Il y a des choses, dans la vie du Seigneur, que Dieu seul peut connaître, et celui qui a part à la mémoire de Dieu. Quand il rédigeait son évangile, Jean, lui aussi, ignorait beaucoup de choses qui lui ont été montrées après coup, au ciel, dans la vision de la mémoire de Dieu.

Si nous ne faisons pas attention, un danger nous guette: ne voir en Jésus que l'homme et considérer comme quelque chose d'abstrait et d'irréel sa connaissance du Père et son existence dans l'Esprit. Il importe donc de garder une contemplation trinitaire du Fils. Il est pour nous la lumière trinitaire. Pas plus que le prêtre ne perd son caractère de prêtre quand il n'exerce pas son ministère, le Christ ne peut se couper de la Trinité. A aucun moment on ne peut faire abstraction de la Trinité quand il s'agit du Fils.

Il est comme le fils d'un patron qui s'offre pour vivre avec les plus pauvres des ouvriers de son père, pour expérimenter si l'on peut vraiment vivre avec ce salaire, avec ces conditions de travail. Il laisse auprès de son père son héritage - si bien qu'à la croix il ne sait plus du tout s'il en possède encore un –, il renonce à sa divinité, il ne prend avec lui que ce que nous possédons par la grâce: la foi, l'amour, l'espérance; il vit dans les mêmes conditions que nous. Et il apporte la preuve qu'on peut vivre une vie chrétienne parfaite en ce monde avec toutes ses limites, ses obscurités, la mort. Il nous montre que, dans l'horizon fermé de cette existence, on peut mener une vie parfaitement ouverte à Dieu, une vie qui attend tout de Dieu seul. Il vit notre vie temporelle dans le Père. Par là, il est le plus parfait chrétien. Comme tel il a habité parmi nous.

Tout ce qui est en lui dans sa vie d'ici-bas, même le plus insignifiant du quotidien, a un rapport avec sa vie céleste, est une expression de la vie de Dieu. Le Fils a ouvert notre temps sur sa vision du Père. Il n'a pas utilisé un autre temps que le nôtre. Et cependant à aucun moment il ne perd le contact avec le Père. Toute heure qui sonne a sa signification d'éternité. Non dans le sens du "Memento mori", mais comme une invitation à avoir part dès maintenant à l'éternel. Le Fils est venu dans notre temps pour que nous vivions dans son temps à lui.

Le Fils a vécu chacun des instants de sa vie dans sa mission pour faire plaisir au Père et à nous, les hommes. A aucun instant de sa vie le Fils n'a cherché son intérêt. Le Fils seul réalise totalement l'exigence de saint Paul: "Que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d'autrui" (1 Co 10,24). De toute éternité, au ciel, le Fils a connu d'expérience que le Père et l'Esprit ne cherchent pas leur intérêt.

Tout repas et toute détente du Fils sont pour lui une part de son service et de sa gratitude; ils sont accompagnés de sa prière. Il prend soin du corps pour être à nouveau prêt à rencontrer Dieu. Quand le Fils ici-bas jouit des dons du Père et qu'il reçoit tout ce que le Père lui donne, c'est pour mieux accomplir sa volonté.

Quand le Fils est envoyé par le Père pour se faire homme parmi les hommes, il garde la vision du Père, qui est peut-être avant tout une connaissance. Quand il s'abandonne au Père dans le plaisir de l'adoration, il pense plus au Père qu'à lui-même. Mais le plaisir que prend le Père à l'hommage du Fils demeure pour le Fils l'inconnu, tout comme dans le mariage le mari ignore comment sa femme le reçoit et tout comme la femme ignore ce qui se passe dans le mari au moment de l'acte. Si tu me donnes de la joie sans en ressentir toi-même, la joie cesse bientôt pour moi. L'amour en Dieu n'est pas une aumône; l'amour ne peut être qu'une joie commune. L'amour comme aumône est une suite du péché; au paradis, il n'y a pas de pauvreté.

Le Fils est toujours en liaison avec le Père, il le voit. Par cette vision, il est fixé comme homme dans la zone du Père de sorte qu'il la saisit partout, mais que, bien plus encore, il est saisi par elle. Quand il prie, même dans le plus extrême abandon, même dans le cri de la mort, il sait qu'il se trouve dans la zone du Père, peu importe qu'il perçoive ou non la réponse du Père. Dans une amitié, la relation fondamentale peut être toujours la même, mais on peut la saisir de manière différente; il en est de même pour le Père et le Fils devenu homme.

Le Fils ne peut pas faire autrement qu'aimer le Père, il sort du Père pour nous montrer comment on l'aime. Le Fils nous  fait don de son attitude vis-à-vis du Père: spontanéité et confiance. Rien ne peut lui arriver qui le rende étranger au Père ou aux hommes. Les disciples courent toujours le danger de ne pas faire ce que le Père attend d'eux; le Fils ne connaît pas ce danger. Le Fils n'est que service du Père. Tout, pour lui, est conversation avec le Père.

La mission du Fils est de révéler le Père et sa propre relation au Père. Il est le seul qui comprenne la langue du Père et la langue des hommes. C'est pourquoi il pouvait faire comprendre aux hommes la langue du Père. Toutes les paroles du Fils sont des paroles du Père. Il parle le langage du Père comme les hommes parlent leur langue maternelle. Toute sa vie, il l'a si totalement remise entre les mains du Père qu'il ne voit pas la possibilité de dire et de faire autre chose que ce que dit et fait le Père.

"Nous demandons à Dieu de nous donner quelque chose de l'esprit filial du Fils de sorte que nous soyons de plus en plus convaincus de l'urgence de ses désirs; qu'il veuille bien faire grandir notre disponibilité et notre abandon pour que nous essayions d'accomplir tous ses désirs, non par nos propres forces, mais avec sa grâce" (Sur Mc, 12, 4-5a).

 

10. Le retour au Père

 

" Le Seigneur, pour lui-même, ne cherche jamais la facilité. Son chemin est autre: c'est le chemin de la Passion, du renoncement, du sacrifice qui lui coûte. C'est un chemin douloureux et en même temps insignifiant, un petit chemin. Non le chemin grandiose dont rêve Judas. Aussi le chemin des disciples doit-il être pareil à celui du Seigneur. Sans cesse ils doivent se laisser déranger et chasser de leurs enclos confortables et apprendre que ce sont les sacrifices qui confèrent à l'amour sa valeur. Si tout se passait selon le désir de Judas, le tout ne serait qu'un feu d'artifice. Il fascinerait, mais ne pourrait pas nous sauver.  Il ne pourrait pas durer. Seuls le combat, le sacrifice, le renoncement donnent au chemin chrétien son caractère d'amour" (Jean, Le discours d'adieu, t. I, p. 178-179).

Dès l'instant où le Fils est dans le monde, son chemin est un retour vers le Père. Ce chemin est rectiligne même quand il passe à travers l'abandon subjectif le plus extrême. Subir d'être abandonné de Dieu ne s'appelle pas, en langage chrétien, un éloignement de Dieu. Tout chemin dans l'Eglise est un chemin vers le Père et, par là, une entrée dans le Royaume de Dieu.

Si Jésus est notre chemin et notre vie, on ne peut certainement pas le connaître réellement si on ne participe pas un peu à ses souffrances. La paix rayonne du Seigneur, mais il porte aussi en lui l'angoisse que tous ne peuvent avoir part à sa paix, l'angoisse que tant de mal arrive, qu'il y ait tant de déformations dues au péché.

La croix, c'est la folie de Dieu. C'est ce qu'il y a de plus caché dans sa sagesse. Et ce mystère est si central pour saint Paul qu'il ne parle de rien d'autres en certaines de ses lettres.

Le Fils est descendu jusqu'à l'extrême faiblesse de la croix pour libérer le monde de la faiblesse du péché. En son extrême faiblesse, le Fils s'est senti abandonné par le Père et séparé du ciel. Il n'existe aucune œuvre dont la force soit comparable à l'œuvre de sa faiblesse sur la croix. Dans l'Eglise aussi, il plaît au Seigneur de voir dans ses membres les plus faibles ceux qui sont les plus nécessaires.

Le Seigneur pense à tout ce qu'il pourrait faire s'il n'était pas cloué en croix. Il pourrait ouvrir ses bras pour y recevoir les enfants, les embrasser, les bénir, leur donner confiance. Avec ses pieds, il pourrait aller partout annoncer ce qui concerne le Père. Il pourrait offrir son cœur et sa poitrine à beaucoup pour qu'ils y trouvent repos et réconfort comme Jean. Sa bouche et sa langue pourraient expliquer la parole du Père, son corps tout entier serait disponible pour accomplir toutes les missions du Père. Il vient à peine de commencer. La croix maintenant risque de tout anéantir. La pensée de laisser son œuvre inachevée l'effraie.

Il n'a pas réussi à conduire les hommes à Dieu, personne ne veut, l'Incarnation n'a pas de sens. Il se sait l'Elu de Dieu; c'est pourquoi quand les hommes le rejettent, il sait aussi, douloureusement, qu'ils rejettent Dieu. Il est venu pour glorifier le Père, et il expérimente maintenant que, par sa venue, le Père en lui est rejeté. Et cependant il sait combien il est précieux pour le Père:  il est l'Elu du Père qui a fait de lui une pierre vivante.

Le Dieu que le Seigneur apporte et celui que servent ceux qui condamnent Jésus sont totalement étrangers l'un à l'autre. Il y a tout un art de passer à côté de Dieu en pensant bien le servir. Les grands-prêtres exigent sa mort. Ce qu'ils ne comprennent pas doit disparaître. Je ne reconnais que les mesures de Dieu que je porte en moi. Si Dieu avait envoyé le Messie, je l'aurais aussitôt reconnu. Je connais si bien mon Dieu que je le reconnais en tous ses aspects. Si celui qui est là était le Fils de Dieu, je l'aurais sûrement reconnu comme tel: il aurait les caractéristiques que mon Dieu a en moi.

"Non pas ma volonté, mais la tienne". Toujours la volonté de Dieu dépasse celle de l'homme à l'infini, la volonté de l'homme ne pourra jamais comprendre pleinement la volonté de Dieu, il y a un écart infranchissable entre nature et surnature. Le Fils connaît l'angoisse pour que le chrétien ne s'effraie pas au cas où il trouverait qu'on lui en demande trop, au cas où il serait tenté de se décourager devant le manque apparent du sens de la foi chez les hommes et devant l'impuissance du christianisme.

A Gethsémani, le Fils a sa volonté. Il ne la dresse pas contre le Père. Il demeure responsable du salut et des apôtres qui dorment. Il suffirait qu'il exprime le désir de sauver le monde non de cette manière-là mais autrement. Il pourrait demander au Père quelque chose que le Père lui donnerait volontiers: douze légions d'anges et plus. Ce serait une autre forme d'obéissance, plus facile en tout cas. Mais le Seigneur ne pense pas à exprimer une demande de ce genre. Il est important que les apôtres connaissent la puissance du Fils auprès du Père et son libre renoncement à cette puissance.

La Passion du Fils est comme une nouvelle création par le Père. Le Fils arrive dans une nuit informe et il se laisse reformer par le Père. De sa nudité et de son absence de forme, le Père tirera vie et forme. Le Fils donne son corps et son être tout entier au Père qui peut en former ce qu'il veut, comme à partir d'une matière première.

Le Fils ne peut se représenter ce que sera la croix: cette  ignorance est assurément un accroissement de sa souffrance. Dans sa Passion, Jésus renonce à son omniscience. Le Fils ignore ce que sera la croix. C'est cela qui est décisif : la souffrance viendra au moment et au lieu  où le Père le voudra, de la manière dont le Père le voudra. "Ce qu'il veut, c'est cela que j'aime le plus". Dans cette attente, le Fils est totalement vigilant. Le Père a subi par le péché un mépris infini, le Fils doit préférer enlever du Père ce mépris et le prendre sur soi. Alors le Fils est prêt, il ne prend rien de lui-même pour lui-même, il s'offre en respectant le secret du Père, sans poser de questions.

Le Père crée la vie. Tout ce que Dieu a créé est bon. Le mal vient après, il est le contraire de la vie, il est la mort. Le Fils devient homme; il quitte le ciel mais reste Dieu tout en étant sur terre. Sa vie éternelle ne peut être touchée par le mal. Mais quand il subit la mort humaine, il s'introduit si profondément dans le mal qu'il souffre la mort même du méchant. Il finit comme peut finir l'homme le plus méchant qui soit, et cela par la force du mal sur terre. Il fait aussi l'expérience d'être abandonné de Dieu: sous ce rapport aussi,  il souffre la mort du méchant.

Sur la croix, le Seigneur pourrait retourner le mot de saint Paul, et dire: "Ce n'est plus moi qui vis, ce sont les pécheurs qui vivent en moi". Sur la croix, le Père est voilé pour le Fils. Quand le Père se voile, c'est un service qu'il rend au Fils. Le Père laisse le Fils souffrir injustement pour nous le donner en exemple: on peut souffrir injustement.

La croix est le signe de la plus haute bénédiction prononcée par le Fils sur le monde. Les Juifs exigent son sacrifice comme expiation pour ses péchés, et ils ne remarquent pas que l'expiation est pour eux. Quand le Fils est dans la nuit, il n'est plus du tout lumière pour ceux qui le condamnent, et lui-même ne voit plus du tout le sens de sa vie.

Sur la croix, Jésus ne voit plus que le péché. C'est ce qui le prive de la vision du Père. Il assume ce péché non comme un péché qui lui serait étranger mais comme le sien propre. Chargé de ce péché qui est comme le sien, il va vers le Père. Cet événement terrible finit auprès du Père. Au terme de son chemin, le Fils sera soudain glorifié par la gloire du Père quand il aura vaincu par sa mort le péché du monde.

Le Fils souffre de la soif: il a soif du Père qu'il a perdu. Etre privé d'un amour qu'on n'a pas connu n'est pas difficile; mais être séparé d'un amour dont on vivait depuis l'éternité, d'un amour qui fait toute la substance de son être propre, c'est mortel. Le Fils a perdu sa lumière, il est dans l'obscurité du péché, et le plus pénible, c'est que cela lui est tout à fait étranger; ce n'est pas comme nous. Cependant plus le Fils souffre, plus le Père participe intérieurement à son œuvre et à sa souffrance.

Ce qui est absolument inconcevable est qu'il ne voit plus le Père, que le Père utilise l'occasion de son abandon  par les hommes pour disparaître lui aussi. Dans la foi il y a une réponse à toute souffrance: ce que Dieu fait est ce qui peut arriver à l'homme de meilleur. De la souffrance surhumaine du Fils jaillit une étincelle sur tous les chrétiens qui l'accompagnent dans la nuit. La souffrance est toujours incompréhensible pour celui qui la traverse: il ne sait plus alors qu'elle est un don de Dieu et qu'elle signifie donc grâce et fécondité. Mais au moment de la souffrance, cette vue de l'intelligence fait défaut, comme le Père est absent à la croix.

Le Christ a souffert sur la croix jusqu'à la mort sans voir le fruit de sa Passion et même sans plus sentir la présence du Père, se croyant à tort abandonné de lui, dans une solitude qui n'a plus rien d'un échange, d'une réponse, d'une participation.

L'obéissance est une forme facile de l'amour aussi longtemps que l'amour est comblé et récompensé. Le Fils veut sauver le monde et le ramener au Père. Pour sauver le monde et montrer au Père son immense amour, il a besoin de la croix, il a besoin de la nuit. Par amour pour le Père, le Fils renonce à sentir son amour, il renonce à comprendre la privation. Il n'y a plus qu'une obéissance dure et aveugle. Ce n'est plus qu'un oui inaudible qui ne peut même plus s'appuyer sur le oui d'autrefois. Dans la nuit, le souvenir aussi s'est évanoui, comme si le Père devait rassembler le monde sauvé à partir du chaos.

Le Fils n'a pas voulu vivre sa croix tout seul; il y a invité sa Mère, Jean, Marie-Madeleine, d'autres femmes, de même qu'au Mont des oliviers, il a pris avec lui ses disciples. Le Fils considère qu'il peut faire partager aux autres sa mission. Il la laisse ouverte pour que les croyants puissent y puiser. Il est dur d'être homme et de souffrir; il est infiniment plus dur encore d'être Dieu et de souffrir comme homme. Tout chrétien peut offrir quelque chose au Seigneur  pour qu'il ne soit pas si seul.

 

11. Le Seigneur aujourd'hui

 

" Certes, après la résurrection il est au ciel, mais il est autant auprès de tout homme et en tout homme qui croit en lui et qui l’aime. Désormais on ne peut plus le localiser, il a la liberté de se trouver simultanément à plusieurs endroits. Il est au ciel et il est auprès de nous sur terre. Et puisque lui, l’incommensurable, est avec nous, créatures limitées, nous aussi nous sommes partout où le Seigneur se trouve, que nous le sachions ou non " (Jean. Le discours d’adieu, t. I, p. 106).

"La majeure partie de ce qui touche le Seigneur demeure toujours cachée. On montre certes l’hostie, lors de l’exposition, mais on la montre sous le signe du mystère caché… Montrée ou non, l’hostie sous ces deux possibilités débouche sur le mystère commun de sa vie et de la nôtre. Le Seigneur crée dans notre vie une place pour la sienne, qui est à la fois cachée et apparente; il fait de notre vie en même temps une vie cachée et montrée" (Jean. Le discours d’adieu, t. I, p. 167-168).

Après le long séjour intemporel du Fils dans les enfers, la résurrection, c’est comme si la main du Père se posait tout à coup sur son épaule; le Fils sent cette main et, dans la joie qu’il en éprouve, il ne perçoit pas qu’il est conduit par elle. Tout ce qui est arrivé auparavant est secondaire; seule importe la main du Père. Cette main est la lumière.

Tant que le Fils accomplit sa mission terrestre, il rend témoignage au sujet du Père et de l’Esprit. Dans la résurrection, il rend témoignage sur lui-même. Comme un artiste qui signe sa toile, comme un acteur qui, après la pièce, se présente devant le rideau. Le Fils peut le faire à la fin, quand il a abandonné tout ce qui lui appartenait: sa divinité dans la souffrance, l’Esprit qu’il a remis au Père, son humanité qui s’est détachée de lui dans la mort. En ressuscitant il montre que tout cela était l’œuvre de Dieu, que tout cela il l’a fait en tant que Dieu infini, qui est en même temps homme parfait. Dans la résurrection, le Père et l’Esprit ne sont pas seulement acteurs ; comme le Fils ils reçoivent aussi quelque chose: ils reçoivent dans leur sein le Dieu homme parfait, comme une communion. Le Fils introduit sa chair et son sang dans l’échange trinitaire. Parce que le Fils s’est dépouillé de tout et qu’à la fin il n’a plus rien, il peut donner son tout à tous: au monde comme à Dieu lui-même.

L’atmosphère des rencontres de Jésus ressuscité avec ses apôtres est incroyablement tendre; c’est tout le contraire d’une contrainte. Le Seigneur demande à Pierre : "M’aimes-tu?" Il ne lui demande pas : "Pourquoi m’as-tu trahi?" La résurrection de Jésus d’entre les morts signifie l’absolution pour le monde entier.

La résurrection du Fils est la révélation d’un mystère du Père, qu’il avait réservé depuis toujours pour la nature humaine et qu’il lui livre maintenant par le Fils. Le Père ressuscite le Fils mais dans le but de nous ressusciter nous aussi. De la sorte, le sens de l’existence humaine se laisse contempler à partir de la résurrection. Depuis que le Fils est ressuscité, le sort de l’humanité est scellé définitivement. L’homme ne peut plus se conduire comme un être purement terrestre, temporel, transitoire. Et si la puissance du pécheur s’arroge le droit de vouloir disposer de soi dans le temps, la résurrection du Fils l’avertit que la puissance de Dieu disposera de lui dans l’éternité et en a déjà disposé. Là où l’homme se heurte à sa limite inconditionnelle: la mort, là intervient la puissance inconditionnelle de Dieu. Par la résurrection, les limites de notre existence s’effacent. Elles s’effacent par la puissance de Dieu qui se révèle pleinement là où notre totale impuissance atteint, elle aussi, sa pleine manifestation. En raison de la liberté que Dieu nous a donnée, nous pouvons nous donner l’illusion de disposer de toute notre existence. En fait le Père dispose de nous en raison de la résurrection du Fils. L’homme de l’Ancien Testament demeurait dans l’incertitude sur ce que Dieu ferait de celui qui sombre dans la mort ; la résurrection du Fils a mis en branle un mouvement irréversible vers le Père, un mouvement qui nous condamne à la résurrection.

Le Seigneur ressuscité ne s’est pas évanoui dans un ciel inaccessible ; ayant cheminé sur la terre, il constitue toujours le pont efficace reliant le quotidien humain à Dieu. Il est près du Père comme il est près de nous. Au ciel, maintenant, le Fils sait toujours qu’il a été homme sur terre. Aucun des hommes que le Père a donnés au Fils ne doit se perdre. Avant tout il doit les ressusciter au dernier jour: c’est ça la grande volonté du Père.

La mission du Seigneur n’est pas achevée avec l’Ascension. D’une manière différente, que nous ne pouvons plus concevoir, il continue à participer à la vie et aux souffrances de son Église de sorte qu’on ne peut tracer une ligne de séparation entre la souffrance des croyants et la sienne. La béatitude dont le Seigneur jouit auprès du Père ne l’empêche nullement d’être sensible aux offenses du péché d’aujourd’hui comme il était sensible autrefois aux offenses de ses contemporains. C’est pourquoi le Seigneur fait partager aussi dans l’amour le mystère de sa souffrance à ceux qu’il veut.

La présence du Seigneur demeurera toujours dans l’Église. Elle ne finit pas avec la mort du Seigneur sur la croix. Il n’a pas utilisé son Incarnation pour éveiller en nous un désir impossible qui ne peut se réaliser sur terre ; il est venu pour rester au milieu de ceux qui croient en lui. Ils doivent le savoir: "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux". Cette parole a son origine dans le séjour de Jésus parmi ses disciples et elle sera valable pour tous les siècles. C’est pourquoi les disciples, qui l’ont au milieu d’eux, ne doivent se faire aucun souci. Il y a des soucis qu’on peut tranquillement mettre de côté quand on a la possibilité d’avoir une conversation avec le Seigneur. Cette conversation s’appelle la prière. La vie chrétienne n’est pas pensable sans le désir de la proximité du Seigneur.

Nous sommes une fois pour toutes dans la prière du Christ; non en nous y plaçant nous-mêmes, mais en raison de la plénitude de sa grâce. De sa part, il s’agit d’une invitation sans artifice, qui ne souffre aucune exception: c’est pour tous, en effet, qu’il est venu dans le monde; et tout homme, croyant ou non, s’il consultait l’Écriture, pourrait affirmer: je suis concerné.

Le Fils ne s’est pas donné seulement durant les trente années de sa vie terrestre; sa mort sur la croix fut la garantie qu’il demeurait continuellement parmi nous. Ce que le Fils était quand il vivait parmi nous, il le demeure. En mourant il a livré sa chair et son sang, et il a promis qu’il serait là quand deux ou trois seraient rassemblés en son nom si bien que nous le possédons ici-bas un peu comme le Père le possède au ciel. Chaque parole de l’Écriture sert à rendre son nom vivant, à expliquer sa vérité, son être, à montrer sa présence.

À l’une des novices de l’Institut Saint-Jean, Adrienne disait un jour: "Vous n’avez pas assez de foi. Il faut que vous croyiez plus fort au Christ. Il faut croire qu’il est si réel qu’il pourrait ouvrir la porte de cette pièce d’un instant à l’autre et entrer". Sans le dire, Adrienne parlait d’expérience. Le chrétien doit apprendre que l’absence du Seigneur est toujours aussi une présence. Le Seigneur est au centre de tout: toute rencontre véritable entre croyants n’est plus possible qu’en lui.

Le Seigneur sait que tout repose dans la paix du Père et que le pire qui puisse arriver à lui autrefois et aux siens aujourd’hui est encore un don de la paix du Père. Mais la paix du Seigneur est l’opposé de la paix du monde: elle prive de toute sécurité.

Le Fils connaît les hommes de trois manières : il les connaît par le Père auquel ils appartiennent depuis toujours; il les connaît par son séjour au milieu d’eux; et il les connaît par la croix qui lui a révélé leurs péchés d’une manière nouvelle parce qu’il les porte intérieurement et que leur rébellion contre sa pureté divine et humaine l’a plongé dans la plus profonde souffrance. Parce qu’il connaît bien les hommes et qu’il sait combien ils sont infidèles et inconstants, et que la plus petite chose peut les faire changer d’avis, il crée pour eux les sacrements. Les sacrements sont des événements instantanés, descendant du ciel comme des éclairs, comme à la verticale sur l’horizontale de la vie humaine, comme des avertissements et des rappels, mais aussi comme des signes indéniables d’une présence divine. Ainsi envoie-t-il du ciel l’Esprit Saint sur les croyants comme sacrement de la Pentecôte.

Il y a dans l’Incarnation une promesse de l’eucharistie, la promesse que Dieu demeure au milieu de nous, et l’Esprit est garant de cette promesse. Il y a dans l’eucharistie une confirmation de l’Incarnation. S’il n’y avait pas eu l’Incarnation, je ne serais pas devenu le frère du Christ, il manquerait à ma vie une qualité particulière. Si je recevais l’eucharistie sans croire à l’Incarnation, ma communion ne serait plus rencontre en moi de l’eucharistie et de l’Incarnation, elle serait sans fondement.

Le croyant ne peut communier que s’il croit à la parole du Seigneur: Ceci est mon corps. Il renonce à la comprendre avec sa raison naturelle. Le pur miracle s’introduit dans sa vie. En chaque eucharistie est annoncée la mort du Seigneur, son sens pour tous les hommes d’aujourd’hui. Chaque eucharistie les ramène à cet essentiel.

Quand nous recevons le corps du Seigneur, nous lui accordons un nouveau droit de disposer de notre vie. Par la vraie communion nous avons une plus grande participation aux choses que nous ne contrôlons pas nous-mêmes et dont nous ne disposons pas. Ce qui appartient au Seigneur prend plus de poids. Nous ne savons pas la forme que prendra la nouvelle grâce, quelle forme d’exigence elle prendra.

L’Église est une compagnie du Seigneur. Il ne veut pas une Église d’isolés: il fait célébrer son repas par une communauté. Il a choisi, pour se donner, la forme de l’eucharistie. En tant que nourriture, elle correspond en nous à un besoin physique; mais l’homme est aussi un être qui vit en compagnie et il aime prendre ses repas en société.

Il y a deux aspects dans l’eucharistie : une "descente" du Fils dans l’Église et un entraînement des croyants dans les mystères de l’être divin. L’Esprit Saint opère l’existence eucharistique du Fils dans l’Église comme au début il a opéré l’Incarnation dans le sein de Marie qui, en tant que Mère virginale, est devenue le modèle de l’Église à qui le Fils se donne de manière nuptiale dans le mystère eucharistique.

Puisque le Seigneur est Dieu, dans chacune de nos rencontres avec lui il y a plus que ce qu’on peut en saisir. Jamais nous ne pouvons considérer une rencontre avec lui comme terminée et close. On ne peut pas prétendre définir ce qu’est une communion. On est toujours dépassé par l’action, par la nature et par le mystère du Seigneur. Le mystère de la communion réside en lui, non en nous.

 

12. La mission de l’Esprit

 

"L’envoi du Saint Esprit dépend du départ du Seigneur. Bien que le Seigneur possède l’Esprit, les deux ne sont quand même pas présents simultanément. Le Seigneur doit partir afin de faire place à l’Esprit. Il est donc évident que l’Esprit ne vient pas spontanément, mais doit être envoyé. Il est la troisième personne en Dieu. Sa venue est donc une nouvelle étape de la révélation qui ne peut être inaugurée indépendamment de la révélation du Fils. Mais le Fils a accompli sa mission parmi les hommes. Il n’a pas outrepassé les limites de sa tâche terrestre déterminée. Maintenant qu’il s’en va, sa mission doit prendre des dimensions universelles. Il a défriché le champ. Il a simplement montré Dieu et son amour. À présent, c’est l’Esprit qui vient, l’Esprit qui a formé sa vie d’homme, mais s’est retiré ensuite pendant le séjour terrestre du Seigneur. Il vient pour faire connaître toute la plénitude, toute la richesse céleste du Fils et de sa révélation" (Jean. Le discours d’adieu, t. II, p. 104-105).

L’œuvre de transformation que l’Esprit a à opérer dans les hommes est aussi prodigieuse que l’œuvre de création du Père et que l’œuvre de rédemption du Fils. Le travail terrestre du Fils n’était pas pour Dieu quelque chose d’exceptionnel, un bref intermède dans son repos éternel. Il fut pour nous, les hommes, l’apparition compréhensible de l’éternelle activité de Dieu, il s’insère dans son travail éternel. Dieu aura encore beaucoup de travail jusqu’à ce que tous les hommes soient devenus croyants et que tous les croyants soient devenus des hommes spirituels.

L’Esprit scrute tout, jusqu’aux profondeurs de Dieu, mais il possède aussi une connaissance exacte de l’homme. Il connaît si bien Dieu qu’il trouve en lui non seulement une réponse totale à la question générale de l’humanité, mais aussi une réponse à chaque question particulière de chaque personne, ce qui rend évident que l’Esprit possède aussi une connaissance exacte de chaque personne.

Le Fils se trouve sous la protection de l’Esprit tout au long de sa vie. L’Esprit accompagne le Fils en toutes ses expériences divino-humaines et il le révèle. Il parle en toute parole qu’exprime le Fils, il opère en tout miracle du Fils. Il est tellement l’accompagnateur du Fils, y compris sur la croix, que celui-ci le rend explicitement entre les mains du Père pour expérimenter le plus total délaissement dans la mort. Au début de la Passion, de par entente entre le Père, le Fils et l’Esprit, le Fils abandonne la protection de l’Esprit, il le remet au Père pour pouvoir se livrer aux hommes.

L’Esprit est envoyé par le Fils d’auprès du Père parce que le Fils sait que l’Esprit est disposé à se laisser envoyer. L’amour du Fils s’exprime dans l’obéissance au Père, et la liberté de l’Esprit dans le fait qu’il se laisse envoyer. L’Esprit se met à la disposition du Père et du Fils.

Les apôtres doivent recevoir l’Esprit (le Seigneur ne leur demande pas leur avis !) et l’Esprit leur est encore plus mystérieux, plus inconnu que le Fils. Comme le Fils s’est fait homme pour témoigner du Père, ainsi l’Esprit agit dans l’Église pour témoigner du Fils. Tout ce qu’il touche, il l’entraîne vers le Fils, comme le Fils essayait de mettre en mouvement vers le Père tous ceux qu’il rencontrait.

Dans sa manière d’apparaître, l’Esprit est comme l’humilité de Dieu : il conduit au-delà de lui, vers le Père et vers le Fils ; il est flamme, langue, vent, colombe. De lui-même, l’Esprit se tait pour diriger toute l’attention sur le Père et sur le Fils. On peut être rempli de l’Esprit sans parler de l’Esprit. Là où l’Église remplit son ministère dans la prière et l’humilité, elle est unie à l’Esprit.

L’image du Père est devenue vivante pour nous avant tout par l’Ancien Testament et par les paroles du Fils. Quant au Fils, nous le voyons d’abord comme incarné, dans toutes les situations de sa vie terrestre et dans sa mort; partout et toujours il est l’homme-Dieu. Mais cette rencontre elle-même avec l’homme-Dieu nous est procurée par l’Esprit Saint; nous devons être animés par lui pour saisir quelque chose de ce que Dieu peut être comme homme et l’homme comme Dieu. Nous remarquons alors aussi combien nous avons besoin de lui pour deviner quelque chose du Père et finalement aussi pour que l’Esprit lui-même devienne pour nous une réalité. On ne parvient à lui que par lui.

Lors de l’Incarnation, l’Esprit est porteur de la semence du Père. Il l’est pour toujours dans le monde. Il est souvent comme une semence qui tombe d’abord dans un sol pierreux, qui ne peut pas lever, à laquelle on ne prête pas attention. Personne ne sait si en ce lieu, derrière cette parole ou cet acte n’est pas cachée une semence de Dieu. L’Esprit entraîne toujours avec lui le Père et le Fils.

Les œuvres de l’Esprit sont insondables, indescriptibles, on ne peut s’en faire une idée complète. Dans une communauté, dans une ville, etc., des milliers de vie se côtoient ; partout il y a une présence de l’Esprit dans tous les efforts qui se déploient à différents niveaux, et cependant on ne peut le saisir nulle part. Dans une ordonnance qui nous paraît un désordre, il conduit tout le monde vers le Seigneur. Tous ceux qui ont reçu en eux une semence de Dieu sont touchés par l’Esprit des manières les plus diverses, et ils sont en route vers l’amour trinitaire. Bien que nous soyons chair, malgré nos résistances, nous avons reçu l’Esprit qui nous conduit vers l’unité. Toutes les langues que nous ne comprenons pas nous sont compréhensibles dans l’Esprit. Nous ne comprenons rien tant que nous regardons l’autre comme un étranger; Dieu par contre voit en nous les frères de son Fils, par l’Esprit. Et par le Fils et l’Esprit, le monde est en mouvement vers l’éternel mouvement de Dieu. En mettant en relation sa vie trinitaire et le monde, Dieu a créé un mouvement perpétuel qui ne s’arrêtera plus jamais.

Il y a un souffle de l’Esprit qui demeure immuable tout au long de la Révélation. On le reconnaît toujours là où un homme quitte sa voie pour essayer de lui obéir. Ce qu’il fait est humainement incompréhensible, mais il sait qu’il s’agit d’une mission reçue de Dieu. Abraham quitte son pays et, en offrant son fils, il anticipe le geste de Dieu; Moïse cherche à entendre et à obéir, il conduit son peuple à travers le désert contre toute raison humaine; les prophètes disent des paroles qui contredisent le bon sens; les apôtres abandonnent leur métier et misent tout sur l’unique carte du Seigneur; une Jeanne d’Arc entend des voix et fait ce qu’aucune jeune fille ne ferait; une Bernadette, qui ne sait ni lire ni écrire, cesse de parler comme les autres enfants et ne dit que la seule chose qui est sa mission; le curé d’Ars, dans son confessionnal, entend même ce qu’on ne lui dit pas et il se risque à prendre position sur ce non-dit. Il s’agit toujours d’une obéissance qui dépasse la compréhension personnelle. Abraham obéit dans l’Esprit Saint; Bernadette rend témoignage dans l’Esprit Saint de ce qu’elle a vu. Tous, grâce à la conduite particulière de l’Esprit, ont la certitude de leur chemin et de leur conduite.

L’Esprit Saint est le même chez les prophètes et chez les apôtres. Il est indispensable pour comprendre la vie du Seigneur et l’enseignement de la nouvelle Alliance. Sans l’Esprit, l’homme reste étranger à la vérité à cause du péché et parce que l’Esprit Saint doit sans cesse être reçu. Toute la vie des apôtres - avec leurs petits conflits, leurs petites actions et leurs trop courtes vues -, le Seigneur la dilate: c’est sur leur "petite voie" qu’ils rencontrent l’Esprit du Fils et du Père tout autant que dans les événements extraordinaires et frappants. Dans la Parole de Dieu et l’Évangile, on ne doit pas voir essentiellement des commandements et des défenses, sinon on ne rencontrera jamais l’Esprit Saint qui est le centre de tout.

L’existence et l’action de l’Esprit de Dieu demeurent toujours un secret. Dieu révèle ce que ses serviteurs doivent comprendre pour accomplir leur service mais, même quand il se dévoile, Dieu demeure le meneur mystérieux qui fait croître mystérieusement ce que ses ouvriers ont planté et arrosé. L’apôtre sait quelque chose de toute parole qu’il annonce. Il n’agit pas comme un aveugle et sans rien comprendre. Ce qu’il a à faire, l’Esprit le lui montre, il en fait l’expérience dans l’Esprit. Mais son intelligence n’est aucunement à la hauteur de l’infini du mystère de Dieu.

L’homme ne peut pas dire : "J’ai l’Esprit". Il peut dire tout au plus : "L’Esprit m’a touché, j’essaie de croire". Parce que l’Esprit est éternel, son toucher laisse en l’homme des traces d’éternité. Mais le temps ne peut jamais dire qu’il possède l’éternité. Si un homme prétendait : "Je possède l’Esprit, je sais ce qu’il veut de moi et cela me suffit", il aurait transformé, dans ses pensées, l’Esprit vivant en une matière morte.

Dieu est infini. Et la part que Dieu donne à l’homme de son infinité, c’est la foi. Pour que l’homme comprenne quelque chose de cette part, l’Esprit lui dilate l’esprit et lui apporte la révélation du Père d’une manière qui lui soit compréhensible. L’être de Dieu et la foi de l’homme se rencontrent ainsi vraiment dans l’Esprit Saint.

Dieu nous donne de son Esprit. Non pas tout son Esprit. Si nous l’avions totalement, nous devrions connaître le Père comme l’Esprit le connaît: tout entier. Nous ne recevons pas l’Esprit une fois pour toutes; cela dépend de notre situation. On le reçoit différemment à chaque époque de sa vie. Dieu nous communique de son Esprit autant qu’il le juge juste. Il tient compte aussi de notre accueil. Rarement il donne à l’improviste sans tenir compte de notre réponse. La plupart du temps c’est comme s’il attendait notre réponse pour donner à nouveau. Jamais il ne cessera de nous donner l’Esprit si nous demeurons dans la disponibilité.

Au ciel, personne n’est saturé, personne n’est blasé. Au ciel, on attend encore une venue de l’Esprit. On l’attend et on l’a déjà. Parce que personne n’a jamais reçu l’Esprit à satiété, au ciel on l’attend encore. Même dans l’accomplissement, il y a encore un désir. L’arrivée dans la plénitude du ciel est un point de départ dans la vie céleste.

 

13. L’emprise de l’Esprit

 

"(Le Seigneur) nous a aimés, il a déposé sa grâce en nous, et en raison de cette grâce, il a découvert quelque chose en nous qu’il appelle par grâce notre réponse d’amour ; et ce quelque chose, il l’unit à son amour et ramène le tout au Père. Toutefois, ce quelque chose d’amour qu’il constate en nous ne vient pas de nous, c’est l’œuvre de l’Esprit Saint. C’est lui qui éveille le fin fond de notre âme et de nos impulsions pour en faire jaillir l’amour véritable. Grâce à sa présence et à son œuvre, quelque chose se réveille en nous qui nous était inconnu et qui, sans son œuvre, n’aurait jamais pu exister en nous. Cet éveil de l’amour en nous a une ressemblance lointaine avec la première impulsion d’amour chez les jeunes amoureux qui, dans leur innocence, ignoraient jusqu’ici tout de ces impulsions. Leur amour prend une autre teinte, une intensité différente. Un monde nouveau s’ouvre à eux dans l’amour. Ainsi la présence de l’Esprit Saint éveille-t-elle quelque chose d’entièrement neuf dans l’amour entre le Seigneur et les hommes. Il transforme le paysage spirituel tout entier. Par lui, l’amour mûrit et se vivifie ; par lui, le Seigneur et l’homme sont unis dans un amour actuel. Il agit comme un catalyseur: indéfinissable dans sa quantité et sa manière de susciter. On constate seulement que sans lui la réaction serait impossible, que, d’une façon imperceptible, il a opéré quelque chose de mystérieux: l’unité d’amour entre le Fils et l’homme, qui permet à ce dernier d’être là où le Seigneur se trouve" (Jean. Le discours d’adieu, t. I, p. 107).

L’Esprit a formé la vie du Fils; si nous le reconnaissons, il doit aussi devenir celui qui façonne notre vie. Confesser Jésus Christ, c’est accepter de dire oui à l’Esprit. L’Esprit sait où l’homme doit regarder pour être en Dieu et pour accomplir un nouveau pas vers Dieu en vérité. Ce savoir qui vient de l’Esprit n’exige aucun ravissement en Dieu: il est humain et il est en même temps influencé par Dieu. C’est un savoir qui se tient au point de rencontre de la nature et de la surnature et qui fait connaître à l’homme clairement comment il a à se conduire dans la grâce.

Le pécheur est comme un élève aux capacités très limitées, que le professeur doit à tout prix pousser jusqu’à l’examen; il doit s’adapter à ses connaissances, matière après matière, puisqu’on ne peut pas adapter l’examen. C’est tout l’effort de l’Esprit Saint dans l’œuvre du salut. Mais tout cela se fait avec un très grande tendresse, comme un professeur ne peut le faire chaque jour devant la stupidité et les insuffisances de son élève. L’Esprit nous a pris à son école et il a la patience de nous conduire jusqu’au Père.

La grande et fatale erreur de l’Église aujourd’hui est de croire qu’on peut enfermer et emprisonner l’Esprit. Tous les chrétiens sont un jour ou l’autre fécondés par l’Esprit Saint, mais il ne leur est pas permis de se refermer sur ce fruit. L’Esprit a des modes de fructification que nous ne connaissons pas. Ce qui est sûr, c’est que ses fruits mûrissent pour la vie éternelle, et c’est pourquoi ils ne sont pas finalement connaissables sur terre.

Personne ne connaît l’intime de Dieu sinon l’Esprit de Dieu (1 Co 2,11). D’où il suit que, si nous voulons connaître Dieu, nous devons soumettre notre esprit à celui de Dieu. Si l’Esprit assure la fonction de révéler le Père, nous avons à aller à sa rencontre en libérant notre esprit pour son message, de même que Marie elle-même s’est libérée de ses jugements et de ses préférences, de ses limites humaines pour que se réalise ce que l’Esprit lui montrait. Dans son oui, elle oublie tout ce qu’elle sait des plans des hommes, des lois du mariage, etc., pour s’ouvrir totalement aux possibilités de l’Esprit de Dieu. De même, convaincus que notre esprit ne peut scruter Dieu, nous devons, autant qu’il est possible, libérer notre esprit de ses limites propres pour qu’il soit libre de se laisser saisir par l’Esprit Saint.

Les dons de l’Esprit Saint éveillent le désir de le posséder pour pouvoir mieux lui correspondre. Les dons de l’Esprit éveillent le sens que Dieu est toujours plus grand, ce qui veut dire que, du côté de l’homme, ne peut correspondre qu’un mouvement continuel. On demeure sans cesse en marche vers Dieu. Et le mouvement vers le Seigneur est toujours prière, conversation avec lui, par quoi celui qui est en marche acquiert la certitude d’être sur la bonne voie.

Aspirer aux dons de l’Esprit, c’est être enfant de l’Esprit, lui être ouvert, perméable, transparent, dans toute sa vie et tout son être. Qui aspire aux dons de l’Esprit doit passer sa vie terrestre de telle manière qu’elle ne l’empêche pas d’acquérir une intelligence des choses du ciel dans la mesure où Dieu veut la lui communiquer. Cette obéissance de toute la vie est le présupposé essentiel de la réception du don de prophétie, et c’est pourquoi il est à rechercher avec ardeur. Désirer le don de prophétie, c’est tendre à une attitude de pur service, à un renoncement fondamental à soi-même et à toute installation.

L’Esprit souffle où il veut; l’homme a souvent l’impression que cela se fait au hasard. L’homme est habitué non seulement à mesurer les choses de ce monde avec ses propres mesures, mais aussi à accueillir les choses de Dieu dans son expérience chrétienne conformément à l’attente qu’il s’en fait. Ce qui pourrait arriver en lui par la grâce de l’Esprit est d’emblée psychologiquement canalisé et réduit. Si le souffle de l’Esprit ne correspond pas à son attente, il dit qu’il ne comprend pas Dieu. C’est qu’il a cessé depuis longtemps déjà d’être avec lui.

Le nouveau commencement qui consiste à prendre la décision de vivre selon les conseils évangéliques s’effectue dans le souffle de l’Esprit parce que renoncer à se posséder soi-même totalement expose toujours l’homme au souffle de l’Esprit. La pauvreté est le renoncement à ce qui a été; la virginité est le renoncement à ce qui a été rêvé; l’obéissance est le renoncement toujours nouveau à tout et elle est, de ce fait, l’imploration du souffle constant de l’Esprit qui vide tellement l’âme qu’il n’y a plus de place en elle que pour la soumission à l’Esprit. C’est pourquoi l’obéissance résiste à toute systématisation. Dès qu’une espérance quelconque autre que celle de vivre dans l’obéissance se rattache à l’obéissance, ce n’est plus de l’obéissance, ce n’en est plus que la parodie et la caricature.

Celui qui s’offre à l’Esprit de Dieu le fait dans une certaine incertitude. L’Esprit garde toujours pour l’homme son caractère imprévisible et il présente cette caractéristique même pour l’homme qui s’est livré à lui. Cela vient de ce que l’Esprit procède éternellement du Père et du Fils; dès l’origine, il est celui qui s’adapte au dessein du Père et aux intentions du Fils bien qu’il soit Dieu et bien qu’en tant que Dieu il sache toujours ce qu’il fait. Il le sait, mais en s’adaptant au Père et au Fils. Il agit en toute liberté mais de telle sorte qu’il y a toujours dans son projet un espace libre pour s’adapter aux autres personnes.

Nous devrions apprendre à nous offrir à Dieu de telle sorte que nous demeure imprévisible la manière dont notre offre sera reçue. Tant que nous faisons des plans, notre moi continue à avoir plus d’importance que l’Esprit. Notre mission est peut-être de fonder un Ordre, de construire une maison, de répondre à une vocation, le sacerdoce par exemple; mais le comment de la réalisation, c’est l’Esprit qui doit en décider en maître. Et bien que nous devions nécessairement nous aussi faire des plans à ce sujet, nos plans doivent être aussi malléables que le sont ceux de l’Esprit lui-même vis-à-vis des plans du Père et du Fils. Et pour un homme, c’est cela le plus difficile.

Le malheur est seulement que nous faisons et projetons toujours des choses qui sont à la mesure de nos forces, en demandant sans doute que Dieu les bénisse, mais dans l’exécution de ce que nous avons entrepris nous oublions de rester à l’origine ou d’y retourner: au oui sans réserve de Marie quand l’Esprit la couvrit, mais aussi à l’Esprit qui, soufflant où il veut, a conduit le Fils à la croix et Pierre où il ne voulait pas, le Seigneur là exactement où il voulait aller et Pierre là exactement où il ne voulait pas aller. Être rempli de l’Esprit signifie toujours renoncer à ses propres projets pour être amené par l’Esprit à obéir à Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit.

Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. L’Esprit pousse ; il pousse si fortement que celui qui est poussé lui est livré dans la foi de sorte qu’à partir de ce moment il ne peut plus être poussé par quelqu’un d’autre. De l’Esprit il apprend à oublier toujours plus ce qui lui est personnel et à vivre dans le divin. Il se tient comme un disciple, comme un mercenaire, au service de l’Esprit. L’Esprit pousse et souffle et accomplit tout ce qui s’appelle vie dans le croyant et il n’y a ni éloignement de Dieu ni action de l’homme qui ne soit inclus dans ce souffle. Même quand s’accroissent les difficultés et que la présence de l’Esprit est moins perceptible, Dieu demeure proche. Le fait d’être fils du Père fonde la poussée de l’Esprit. Solitude, doute, lassitude, fatigue, impuissance, souffrance: tout est inclus dans la poussée de l’Esprit, signes et marques que tout est en ordre sur le chemin.

Un enfant possède un trésor, une image par exemple que sa maîtresse lui a donnée et qu’il a cachée en lieu sûr. Puis il se laisse si bien convaincre par son frère qu’il en vient à perdre toute méfiance et à lui montrer son trésor. Ce dévoilement du trésor est une extrême concession. Mais le frère lui arrache l’image des mains et l’emporte avec des cris de triomphe. La comparaison avec l’œuvre de l’Esprit ne réside pas dans le sentiment d’avoir été abusé éprouvé par l’enfant, mais en ce que notre offre la plus extrême n’est jamais qu’un tout petit morceau de ce que l’Esprit projette pour nous et qu’il lui reste toujours à faire l’essentiel. Qu’il emporte quelque chose est une plus grande grâce que le simple fait qu’on lui permette de voir. Chaque fois que l’homme soupire: "Je ne comprends pas", l’Esprit pourrait lui répliquer : " Enfin tu l’as compris!"

"Toi, suis-moi". L’apôtre suit l’appel parce que l’Esprit l’a touché, l’a rendu attentif à la venue du Seigneur. L’appel est audible pour l’apôtre parce que la voix de l’Esprit a pris forme en lui. Si tu es ouvert à l’appel de Dieu, si tu es ouvert à l’Esprit, tu ne peux pas savoir la réponse que tu entendras. Il y a dans le choix de Dieu une espèce d’absence de choix. Je choisis Dieu, mais lui me choisit dans un choix qui n’est pas un choix à mes yeux. Je dis : "Ce que tu veux, Seigneur!" La réponse peut être toute différente de ce que j’attendais. Une chose est sûre, c’est que je ne me mets pas à la disposition de l’Esprit de Dieu sans être accepté. Si j’ai choisi de me soumettre au choix de Dieu, c’est lui désormais qui décide.

On peut ne pas recevoir l’Esprit dignement par manque de liberté. Pour le recevoir dignement, il faut renoncer à sa liberté. Si nous étions plus vivants dans la prière, nous pourrions recevoir infiniment plus, comprendre infiniment plus et être infiniment plus que nous ne sommes. En tant que mus par l’Esprit, nous serions des hommes libres. En général, ce n’est pas dans la manière de l’Esprit de s’imposer. Il ressemble à une mère qui a apporté quelque chose pour son enfant; pour une raison quelconque, l’enfant n’est pas en mesure de recevoir ce cadeau à ce moment-là; la mère dépose le cadeau dans une armoire, elle sait que le moment voulu viendra un jour. L’Esprit également, bien qu’il sache tout, espère que viendra l’heure où il pourra faire son don. Pour le moment nous préférons ne rien en savoir. Notre condition de pécheurs a la tendance effrayante à éliminer partout l’Esprit.

 

14. Le témoignage de l'Esprit

 

"(Les disciples) seront bientôt abandonnés et ne pourront maîtriser eux-mêmes cette solitude. Ils auront un besoin urgent de consolation, et la tentation sera grande de la chercher ailleurs que chez l’Esprit. Si le Seigneur ne leur avait pas décrit l’Esprit comme le consolateur, l’idée ne leur serait pas venue de chercher consolation auprès de l’Esprit. Cela leur aurait paru si étrange qu’ils auraient cherché cette consolation partout ailleurs plutôt qu’ici… C’est ainsi (que le Seigneur) leur fait connaître l’Esprit et les familiarise avec lui… Il le présente comme quelque chose qui est digne d’être aimé… À peu près comme si un professeur, sur le point de partir, présentait son successeur à ses élèves. Il prépare le cœur des élèves à l’accueil du nouveau maître, il crée une transition" (Jean. Le discours d’adieu, t. I, p. 192-193).

"Ce n’est pas pour rien que l’Esprit Saint est l’Esprit de la science, de la sagesse et de tous les dons intellectuels. Il sait transformer tous les besoins naturels et légitimes des hommes en besoins chrétiens. Il sait même faire jaillir de n’importe quelle situation humaine insoluble – par exemple un mariage stérile – une source nouvelle, quelque chose qui en Dieu trouve son sens et sa vitalité… Il procure à tout ce qui est fini et dépourvu de sens dans la vie humaine un sens infini et divin, il est le Paraclet, le consolateur. Là où humainement il n’y a plus d’espoir, il prend son départ. Et qu’est-ce qui serait plus désespérant que la tâche dont le Seigneur nous a chargés?… Le Paraclet est toujours là pour animer le rapport entre le Seigneur et nous, pour le rétablir où il semble rompu par le péché et l’inconstance, pour le rendre plus vivant encore là où il existe. Rien pour nous n’est jamais du passé; tout reste toujours un avenir vivant. Grâce à l’Esprit, il n’y a plus de pourquoi humain. L’existence obscure, le sort de la plupart des hommes, le renoncement continuel à maintes choses de la vie, l’absurdité de l’existence en général, l’incompréhensible répartition des biens et des destins, les réalités indéchiffrables, l’ennui de l’existence, les situations humaines sans issue, la désolation de vieillir, la découverte que cette vie ne sera jamais quelque chose d’achevé, l’impossibilité de vivre un autre destin que celui qui nous est imposé contre notre volonté, le temps qui passe irrévocablement, tout cela est résolu d’un coup par le Paraclet. Pourquoi sommes-nous laïcs et pas prêtres, prêtres et pas laïcs, chrétiens et pas païens, pourquoi celui-ci fait-il partie de l’Église et pas celui-là… : toutes ces énigmes sont résolues par l’Esprit Saint… La consolation de l’Esprit consiste dans le fait que dans cette existence unique tout peut être contenu, que cette étroite vie humaine peut être si riche que l’infinité de Dieu y trouve sa place. C’est cela la consolation, et elle suffit" (Jean. Le discours d’adieu, t. I, p. 154-155).

Le Seigneur envoie le Paraclet, non pas comme Esprit d’amour ou d’espérance (bien qu’il le soit aussi), de joie ou d’enthousiasme (bien qu’il le soit aussi), mais comme Esprit de vérité. Il nous montre par là que tout ce qui vient du Père est foncièrement vrai et générateur de vérité, et que cela transforme notre vie trompeuse et trompée en vraie vie. L’Esprit fait pénétrer dans le royaume de la vérité en pénétrant dans le petit univers subjectif de l’homme. L’Esprit mène du monde à Dieu. Et, dans le christianisme même, il fait toujours sortir du moi et de son monde clos, personnel, replié sur soi-même. L’Esprit est un Esprit d’inquiétude. Celui qui a reçu l’Esprit n’a plus la possibilité de prendre du repos. Et cependant il ne faut pas que l’inquiétude suscitée par l’Esprit dégénère en une recherche inquiète, pénible et pleine de problèmes. Il y a dans la vie chrétienne un moment de confiance où on ne cherche plus à savoir où on en est mais où on s’abandonne tout simplement. Une certaine hardiesse insouciante fait partie de l’existence chrétienne.

Il n’y a que deux possibilités si je suis chrétien: ou bien je fais ce que je veux (en accord avec l’Esprit ou contre lui), ou bien je fais ce que veut l’Esprit (en accord avec ce que je veux ou contre mon gré). Il n’y a pas de milieu ni de compromis possible. Si je suis ma volonté (avec la grâce de Dieu quand même), le jeu de l’Esprit est peut-être de me laisser faire tout d’abord. Mais cette volonté qui est la mienne, et cette entreprise qui est la mienne, peuvent être ensuite soumises par l’Esprit à l’épreuve.

Le vrai chemin, le chemin de l’Esprit Saint, est à certains égards toujours le plus difficile. Celui qui écarte systématiquement ce qui est plus dur pour choisir ce qui est plus facile s’est détourné intérieurement de l’Esprit. La meilleure manière d’aimer l’Esprit, c’est de lui obéir. Plus on lui obéit, plus on ressent son amour. Mais notre réponse à son amour n’a pas le droit de l’immobiliser sur son projet. On ne doit plus se permettre de se diriger soi-même, lui seul doit nous conduire. Comment l’Esprit va-t-il venir ? Pour mon honneur ou pour ma honte, pour m’élever ou m’humilier, ça n’a plus d’importance pour moi. Tout appartient à la joie de sa venue parce que tout appartient à sa venue. Et sa venue ne fait qu’un avec la venue du Père et du Fils, et sa joie est un aperçu de la joie de Dieu: joie de Dieu quand il a créé le monde et aussi les corps pour que nous puissions recevoir l’Esprit également dans notre corps.

Notre vie n’est qu’un souffle. Oui, mais qui s’offre au souffle de l’Esprit pour qu’il nous emporte dans l’éternel. Alors notre temps très bref demeure valable pour l’éternité, parce que l’Esprit nous fait demeurer dans la volonté du Père et dans la parole de vérité. Séparés de Dieu, nous sommes sans importance. En tant que chrétiens, nous sommes les frères du Fils.

Nous savons que sans l’Esprit nous ne pouvons pas prier. Si nous sommes vrais et si nous prions vraiment, il nous donne le contenu de la prière: parole et attitude en même temps. Il nous forme lui-même comme il a formé la personnalité du Fils lors de l’Incarnation. Et c’est lui qui, dans la prière, nous présente au Père et au Fils, qui transforme notre esprit pour qu’il reçoive les traits que le Fils veut lui donner afin que le Père reconnaisse en nous le Fils.

Plus un chrétien est saint, plus l’Esprit demeure purement en lui, plus il peut le voir, le décrire, le transmettre, tandis que le tiède fabrique un mélange confus d’Esprit et de moi.

Nous comprenons ce que Dieu le Père nous donne à comprendre par l’Esprit ; mais l’Esprit ne nous donne l’intelligence que si nous l’en prions. Sa grâce est accomplissement de quelque chose qui est déjà là et illumination d’un présent obscur. Quand nous prions l’Esprit, nous ne sommes pas contraints et cependant nous y sommes incités par l’Esprit. Il est comme un soufflet qui pousse nos flammes dans une certaine direction et il devient flamme lui-même.

Les mots de l’Esprit demeurent en nous sans écho si nous sommes prisonniers de la sagesse humaine. La sagesse de l’Esprit influe sur les envoyés de telle sorte qu’ils deviennent de plus en plus conscients de leur mission et qu’ils ne disent plus leur parole d’eux-mêmes mais par l’Esprit qui agit en eux. Par le ministère de l’Esprit ils sont introduits au ministère de la Parole, ils deviennent porteurs de la Parole. Leurs paroles sont maintenant adaptées à la sagesse de Dieu, elles en émanent, elles la portent. Celui qui a reçu l’Esprit pourra distinguer dans ce qu’il entend ce qui provient de la sagesse humaine et ce qui provient de la sagesse divine. Parler de la foi, c’est dire une parole dont Dieu finalement est le garant, une parole à laquelle l’Esprit donne sa plénitude.

Personne n’était capable de maîtriser le possédé de l’Évangile. Tous ceux qui avaient essayé étaient des gens d’une force ordinaire sans l’aide du Seigneur et de l’Esprit Saint. D’emblée ils étaient désavantagés. Il nous faut apprendre par là que, dans un monde où l’esprit impur exerce beaucoup de force, nous ne pouvons jamais pénétrer, en tant que chrétiens, sans les armes de Dieu. Ce n’est que par la force de l’Esprit Saint que nous pouvons agir en tant que chrétiens. Nous n’avons jamais le droit d’imaginer ou de prétendre que nous aurions pu obtenir quelque chose des autres par notre propre force de suggestion ou notre savoir-faire. Quand nous cherchons à exercer une influence sur quelqu’un et à lui montrer les chemins de Dieu, cela demeure une vérité immuable que notre propre force n’y peut rien. C’est le Seigneur qui agit et se sert de nous comme d’un instrument. C’est pour cela que nous sommes là. Notre action sur les autres, par la prière ou la conversation, est toujours une action du Seigneur qui veut bien nous laisser agir comme ses ministres.

L’Esprit prend toujours son point de départ là où personne ne l’attend; sans être agité lui-même, il agite tout. Rarement un sermon agira par les moyens que le prédicateur juge efficaces, rarement une éducation chrétienne réussira par ce que l’éducateur considère comme particulièrement réussi. L’Esprit garde ses secrets, sa grâce n’est pas transparente pour nous.

Quand un voyant (Bernadette, en l’occurrence) doit rendre témoignage de son expérience, il n’a pas à se faire de souci si on le méprise ou si on méconnaît son témoignage, car la vérité réside dans l’Esprit et demeure actuellement dans l’Esprit devant la face de Dieu.

L’Esprit Saint est en Marie. En tout ce qu’elle fait, l’Esprit en elle va vers l’Esprit. L’Esprit est avant tout un Esprit de prière. Et les autres peuvent reconnaître la présence de l’Esprit: Élisabeth la reconnaît en Marie, nous reconnaissons les missions des saints, beaucoup de pécheurs reconnaissent la mission du curé d’Ars, l’Esprit Saint est reconnu aux charismes. L’Esprit rend témoignage pour la constance de notre âme, pour l’éternité à laquelle nous appartenons. Il nous dit que nous sommes aimés et qu’il nous est permis de rester dans l’amour, et que l’amour est Dieu.

L’Esprit Saint établit le Christ dans une situation vraie vis-à-vis du Père. Le Fils devenu homme se meut dans l’Esprit Saint. Quand nous regardons des poissons évoluer dans l’eau, nous oublions finalement l’eau qui les entoure, nous ne voyons plus que les poissons et leurs évolutions. Mais l’eau est indispensable pour que ces formes et ces figures existent. Ainsi le Fils incarné existe et se meut dans l’Esprit Saint.

Les saints sont les récepteurs de l’Esprit. S’il n’y avait pas eu de péché, l’Esprit aurait été le don permanent du Père aux hommes. Le Père aurait gardé auprès de lui dans son Esprit sa création et tous les hommes qui en font partie. L’Esprit aurait été pour les hommes ce qui était saisissable en Dieu. Ils seraient restés comme Adam et Ève au paradis dans une perception continuelle de Dieu communiquée par l’Esprit. Aujourd’hui c’est ce qui distingue les saints; le signe distinctif de tous les hommes en général aurait été qu’ils soient des récepteurs de l’Esprit.

 

15. L’Église

 

"Celui qui demeure dans le Seigneur, malgré tous les arguments contraires et bien qu’il reconnaisse que dans l’Église beaucoup de choses pourraient être différentes et meilleures que ce qu’elles sont, celui qui demeure en lui comme un enfant de Dieu sait que c’est une grâce que de pouvoir y demeurer et qu’il serait prétentieux de vouloir tout juger et tout comprendre"  (Jean. Le discours d’adieu, t. II, p. 23).

Judas avec une troupe armée devant des apôtres désarmés: "C’est ici que se rencontrent le domaine spirituel et le domaine temporel: une Église pauvre au milieu de laquelle demeure le Seigneur, et des ennemis puissants auxquels il ne manque qu’une chose: la faiblesse du Seigneur" (Jean. Naissance de l’Église, t. I, p. 9).

Le Seigneur s’avance: Qui cherchez-vous ? "Quand il s’agit de vie et de mort le Seigneur s’avance, aujourd’hui comme alors. Il apparaît. Il n’a pas besoin de le faire au moyen de signes et de miracles. Il peut s’agir d’une présence invisible, et pourtant efficace, au cœur de l’Église. Jamais, dans le danger, il n’abandonne ses disciples; il est le premier à s’y exposer. Et chaque fois qu’on veut toucher à l’Église, on touche d’abord au Seigneur… Les disciples ne pourront jamais se vanter d’avoir été à ses côtés dans les moments décisifs. Ce sera toujours le Seigneur, tout seul, qui fera tout à leur place" (Jean. Naissance de l’Église, t. 1, p. 9-10).

Pierre vient de trancher l’oreille de Malchus : "(L’Église) voudra souvent prendre des chemins qui ne sont pas (ceux du Seigneur), mais il ne l’abandonnera pas sur ces chemins; il se servira de ses erreurs pour l’ancrer plus profondément dans l’amour. Grâce à cette expérience, Simon-Pierre sera plus riche en amour. Ainsi se vérifie le dicton: mieux vaut errer en aimant que de ne pas errer en n’aimant pas… Sans cesse des hommes entraîneront l’Église à la désobéissance par leur obstination à savoir mieux. À leurs yeux, les actes humains visibles ont plus de valeur que la prière… Malgré son intention de défendre le Seigneur, (Pierre) se bat en réalité contre celui-ci. Il le fait chaque fois qu’il échange les armes de l’Esprit contre celles du monde" (Jean. Naissance de l’Église, t. I, p. 20-21).

L’Église est là pour être le lieu où Dieu rend visibles les signes de son amour. Les dons que le Seigneur fait à l’Église et qui portent la marque de l’Esprit Saint ne veulent pas organiser une corporation terrestre, statique; ils veulent faire de l’Église un chemin vers Dieu qu’emprunteront ceux qui aspirent à lui et qui forment en même temps la communauté ecclésiale.

L’apôtre se trouve entre Dieu et les hommes en qualité de médiateur qui raccourcit et facilite le chemin entre eux et Dieu. Les saints rayonnent la grâce du Seigneur pour que les hommes en soient touchés. Dieu n’éclaire pas directement le monde, il se sert de la sainteté pour le faire. Et son don au monde est de sanctifier chaque saint. Ce que Dieu donne aux saints en fait de grâces, il en fait don au monde; il s’attend que les saints transmettent au monde ce qu’ils ont reçu et que le monde sera assez humble également pour recevoir des saints ce qu’il veut lui communiquer.

Le mystique, tout particulièrement, est donné par Dieu pour dilater la vie des chrétiens, pour leur accorder dès cette terre une participation au ciel sans qu’ils puissent jamais épuiser cette participation. Beaucoup de chrétiens cherchent à tailler les choses de la Révélation et de l’Église à leur propre mesure, à les rapetisser, à les rendre quotidiens et sans surprise, de manière à s’installer non seulement sur cette terre mais aussi dans l’au-delà, à se protéger contre tout imprévu. Le mystique s’élève là contre par-dessus tout. Les choses de Dieu doivent garder la mesure de Dieu.

L’Église ne sombre pas, mais elle souffre de beaucoup de pertes. La vie mystique est là pour y obvier avec une plénitude qui correspond à l’immensité des dons du Seigneur, avec une intelligence qui est toujours vivifiée à nouveau par l’Esprit Saint. L’Église a besoin de nouvelles sources de vie et, parce qu’elle existe pour les hommes, elle reçoit cette vie du ciel non seulement d’une manière invisible et incompréhensible mais aussi de telle manière que les croyants puissent voir quelque chose de son origine divine. Car les chrétiens eux-mêmes doivent être féconds, ils ont à s’offrir au Seigneur, à coopérer à ses miracles, ils devraient sentir que la force du Seigneur les soutient, que d’eux sortent des forces qui entrent aussi dans l’Église pour qu’elle puisse se montrer vivante conformément à la mission que le Seigneur lui a donnée.

Parce que le Seigneur a confié l’Église, son Épouse, aux hommes, et que les hommes demeurent pécheurs, il doit répandre dans cette Église une vie qui ne cesse de couler, une vie donc qui échappe aux concepts humains. La mystique chrétienne est un cadeau fait par le Christ à l’Église, un don qui échappe à toute mainmise, que Dieu attribue à ceux qu’il a élus pour cela, non pour clore quelque chose, mais pour ouvrir l’Église sur l’éternité. En fondant l’Église, le Fils crée une institution capable d’ouvrir à tout croyant d’une manière nouvelle un accès à l’éternelle vie. Lui-même tient en main cette institution d’une manière qui nous échappe, mais il ne la livre pas moins à des hommes. Même quand elle est pure, l’Église porte des traits humains, mais en même temps elle reflète quelque chose du visage du Christ. L’Esprit aussi se reflète dans l’Église et l’Église est capable de refléter l’Esprit. Adam était à l’image du Père; l’Église est à l’image de l’Esprit.

Les pécheurs connaissent leur propre honte, c’est pourquoi ils sont en mesure de dénoncer ce qu’il y a de plus honteux dans l’Église. Si j’inflige une blessure à un ami et qu’il porte un vêtement qui la cache, je puis lui dire où il est blessé et où il pourrait encore être blessé facilement. La même Église est composée de Marie et de Pierre qui renie: Pierre qui ne cesse au cours des siècles de nouer des compromis avec le monde. L’Église ne se prostitue pas elle-même, de son propre gré. Ce sont les pécheurs qui la prostituent, les pécheurs qu’elle doit tolérer en son sein.

Il est décisif qu’on entre dans l’Église avec humilité et non la tête haute, qu’on n’ait pas l’impression de rendre service à l’Église. C’est l’Église qui nous rend service en nous accueillant. L’Église ne connaît qu’une exigence pour les croyants, c’est qu’ils cherchent la proximité du Seigneur et la supportent; s’approcher pour toujours mieux percevoir sa parole, goûter sa présence vivante et sa manifestation dans l’Église. L’Église n’enchaîne pas la conscience des croyants à elle-même, elle les renvoie à Dieu avec toute leur liberté.

Aucune grâce n’est du domaine purement privé. Mais la source aussi de toute grâce est toujours commune: toute grâce demandée à un saint, les autres saints y collaborent ; il est en de même à plus forte raison pour toute grâce demandée à une personne de la Trinité. Aucune grâce dans le christianisme ne s’arrête à une personne isolée, toute grâce est ecclésiale, ouverte à tous d’une certaine manière. Les chrétiens sont proches des autres partout où ils se trouvent, à cause de Jésus Christ.

Cela n’aurait chrétiennement aucun sens que mon moi existe s’il n’était un moi-avec-le-monde-entier dans la communion de l’amour trinitaire. Toute pensée qui s’occupe de mon moi séparé est chrétiennement une pensée perdue. Nous sommes réellement avec tous quand nous sommes avec le Seigneur eucharistique en qui Dieu fait exister son être trinitaire dans le monde de manière à se prodiguer à tous. Nous vivons dans la communion des saints, dans l’Église, et chacun peut dire: l’Église m’est confiée. Il s’agit toujours que l’ensemble soit sauvé (avec nous).

Dès la première rencontre de Jésus et de Pierre, Pierre est appelé le rocher, il reçoit la charge de l’Église. Il ne le sait pas encore, pas plus que les premiers disciples qui l’accompagnent. Mais dès cet instant la charge de l’Église pèse sur lui. La charge de l’Église pèse sur chaque chrétien. Mais cette charge pèse particulièrement sur le rocher hiérarchique. Elle pèse cependant tout entière sur chaque chrétien parce que personne dans l’Église n’est superflu et que personne ne peut repousser sur les autres la charge de l’Église. Chacun a, dans l’Église, sa mission personnelle qui est la mission que le Seigneur lui impose. Toute mission du Seigneur est une mission d’amour. Le Seigneur lui-même n’a été envoyé que dans l’amour du Père et sa mission fut une mission dans l’amour. Dans l’Église il ne peut exister aucune séparation entre hiérarchie et amour.

Il y a une certaine analogie entre l’Église et son Seigneur, entre l’Épouse et son Époux. Elle doit être clouée à la croix. Elle doit faire l’expérience de la totale impuissance. Toute envie de critiquer le Seigneur qui la cloue ainsi solidement doit lui passer, ainsi que toute question qui demanderait pourquoi il doit en être ainsi. Elle est entièrement dépouillée. Ce n’est pas elle qui va dire au Seigneur ce qu’il y a en elle; c’est le Seigneur qui va lui montrer ce qu’il peut tirer d’elle. Ce n’est que dans la plus extrême humiliation qu’elle trouve le plein contact avec la terre où elle vit, quand elle marche nu-pieds sur le sol dur et pierreux. L’Église est systématiquement éprouvée par le Seigneur selon un plan qu’elle ne voit pas. L’humiliation est poussée jusqu’aux limites du doute. L’Église doit apprendre à nouveau le repentir.

L’Église ne doit pas vouloir savoir ce que le Seigneur accomplit en elle sauf dans la mesure où le Seigneur lui-même le veut. Elle doit se tenir dans l’obéissance du don de soi. Le Fils voudrait que tous apprennent à se livrer comme Marie le fait, que tous mettent leur volonté dans celle du Père et ne soient qu’un corps et qu’une âme. Et tous doivent déposer ce qui leur plaît, leurs propres jugements, leurs propres volontés dans le Seigneur et dans le Père et dans l’Esprit. Au jugement dernier, à la fin des temps, l’Église tout entière redeviendra Marie dans son oui.

Pour continuer la route avec Adrienne von Speyr : 

Œuvres d'Adrienne von Speyr en traduction française : Voir Bibliographie sur le même site internet

Introduction à l'œuvre d'Adrienne von Speyr :

Hans Urs von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, 3e édition, 1985.
Hans Urs von Balthasar, L'Institut Saint-Jean. Genèse et principes, 1986
La mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr, Actes du colloque romain, 1986.

 

 

5. DES TRACES DE DIEU (1985)

Plan

 

1. Ne laisser aucune trace. 2. Préludes. 3. Seize mille traces. 4. Dieu ou moi. 5. Le ciel ouvert. 6. Visions et foi. 7. L'au-delà. 8. La transparence des saints. 9. La nuit du Fils

 

* * * * * * * * * *


 (Le texte ci-dessous a été rédigé en vue du colloque de Rome sur Adrienne von Speyr en 1985. Il a été publié dans: Mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr. Actes du colloque romain 27-29 septembre 1985  édités par H.U. v. Balthasar, G. Chantraine, A. Scola. Ed. Lethielleux, Paris, p. 19-37. Pour les besoins de l’édition, il avait été légèrement abrégé. Ci-dessous le texte intégral)

Patrick Catry

1. Ne laisser aucune trace 

Si pour beaucoup la foi n’est pas facile, il est souvent encore bien plus difficile pour le croyant de parler dignement de Dieu. On connaît le plaidoyer passionné d’André Chouraqui en faveur d’une vraie théologie: « Dans un certain sens les athées ont raison de rejeter l’incroyable divinité que leur proposent des théologies captives des ghettos médiévaux, le langage incroyablement vieillot, inefficace, inadéquat d’hommes qui parlent d’un Dieu qu’ils ne connaissent visiblement pas »1. On pourrait simplement ajouter que toute époque a son langage scolastique et son hermétisme, et que la nôtre ne fait pas exception. Pour l’honneur de Dieu, surgit parfois dans l’histoire de Dieu avec les hommes une Adrienne von Speyr.

Marie-Antoinette de Geuser (1889-1918), plus connue sous le nom de Consummata, son nom de dévotion, avait dit un jour: « Je voudrais laisser derrière moi une longue traînée de feu sur la terre ». Réaction d’Adrienne: « Non, non, pas comme ça. Je voudrais ne rien laisser derrière moi, mais disparaître absolument…, ne laisser aucune trace visible. La pire chose qui puisse arriver à quelqu’un, c’est de devenir un saint. Je n’aimerais pas ça, ce serait un tel malentendu. les gens regarderaient de nouveau une statue au lieu de Dieu seul. Je voudrais seulement qu’à travers moi ils puissent découvrir un peu plus les traces de Dieu »2. Il faut évidemment situer cette déclaration d’Adrienne sur la sainteté dans l’ensemble de son œuvre. Ce qui nous intéresse ici, c’est de voir comment elle exprimait ce que pouvait être le sens de sa vie: qu’à travers elle on découvre un peu plus les traces de Dieu, elle-même ne laissant aucune trace visible.

 

2. Préludes 

Quelques extraits de l’autobiographie charismatique d’Adrienne donneront une certaine idée des traces de Dieu dans sa vie avant sa conversion. A quarante-cinq ans, dans l’extase, elle retrouve l’état de conscience qui était le sien à l’âge de huit ans; elle ne sait plus qu’elle a quarante-cinq ans, elle n’est plus que la petite fille avec ses pensées et son langage. Se déroule le dialogue suivant: – Sens-tu Dieu? – Qu’est-ce que ça veut dire: sentir? Savoir? Quelque chose comme: être caressée? – Oui. – Comment dire? Familier? Ce n’est pas tout à fait le mot juste. – Alors, comment? – Je suis sa petite sœur… Il voit tout… Il entend tout… Il est partout. Tu sais? Quand tu fais ta prière, ou quand tu manges, ou quand tu joues, tu sais toujours qu’il est là. Mais c’est très drôle, tu sais, parce que tu ne peux pas dire qu’il se cache. Ce n’est pas comme au jeu de cache-cache où quelqu’un va derrière un arbre et on sait qu’il est là. C’est tout à fait différent. – Comment? – Tu ne peux pas le dire, toi? Tu sais tant de choses. Pourquoi les gens ne disent jamais rien? Ils disent toujours « des paroles », mais jamais « des choses ». Qu’est-ce que vous attendez? – Peut-être que toi, tu le diras? – Je ne peux pas l’expliquer. Je ne peux pas répandre des fleurs… sur le chemin du Bon Dieu. Un jour j’ai reçu des violettes… C’était peut-être le premier bouquet que j’ai reçu. Avec les fleurs, j’ai fait un chemin pour le Bon Dieu dans la chambre de jeux. On m’a beaucoup grondé: peut-être que je n’avais pas assez secoué les violettes pour éviter de mettre de l’eau par terre. Mais je leur ai dit que c’était un chemin pour le Bon Dieu. J’avais pensé: s’il est là, il sera peut-être un peu content d’avoir ses pieds sur les fleurs. Mais il n’écrase pas les fleurs. Peut-être que ça lui fera un petit plaisir. Et j’en ai mis plus pour la table de Willy et d’Hélène que pour la mienne. Trois chemins qui partaient de la porte. – Pourquoi cela? – Pourquoi plus? Si le Bon Dieu aime bien marcher sur les fleurs, il ira surtout là où il y en a plus. – Alors tu ne veux pas qu’il vienne aussi à toi? – Mais si. On ne doit pas dire comme ça. Mais je voudrais le forcer un peu plus… à aller, tu comprends? – On peut donc le forcer? – Oh! Oui. Un peu, s’il aime les fleurs. Tu ne crois pas?3Le surnaturel authentique ne peut se greffer que sur un naturel authentique.

Toujours à quarante-cinq ans, Adrienne retrouve la conscience qu’elle avait à quinze ans: – Comment fais-tu ta prière du matin? – On ne la commence jamais. J’ai toujours l’impression qu’on la continue. Un peu comme si j’avais dormi avec des amies dans la même chambre et qu’elles se soient réveillées avant moi; elles ont commencé à parler ensemble de choses que je connais aussi. Je me réveille et je les entends parler; aussitôt je puis me mêler à la conversation: « Oui, je pense aussi comme ça… » Je suis tout de suite au courant. C’est à peu près la même chose pour la prière. On est en plein dedans. – Et que dis-tu? – J’écoute d’abord un petit peu… Vous savez, je crois tout à fait autrement que celles qui vont au catéchisme. – Où est la différence? – Je m’occupe presque toute la journée du Bon Dieu… Ou bien peut-être que c’est exagéré. Je ne sais pas comment je dois dire. Vous comprenez? Quand les autres vont au catéchisme, elles se disent: Qu’est-ce qu’on doit apprendre par cœur aujourd’hui dans l’histoire biblique? Et je me dis: Mon Dieu, j’espère apprendre quelque chose de toi4.

A vingt-deux ans, étudiante en médecine, Adrienne se casse une jambe. Séjour à l’hôpital. Visite de l’aumônier catholique. – Est-ce qu’il t’a plu? – Ouiii… Est-ce que je dois te dire quelque chose? Pour moi, un curé a une auréole. Et c’est la première fois que je vois un curé. En tout cas, je n’ai encore parlé à aucun. Il parle comme s’il venait d’avoir avalé un pot de vaseline. Il vient me rendre visite assidûment… Il parle souvent du Bon Dieu. Mais ça sent la vaseline.  « Notre Seigneur est si bon ». J’aurais voulu lui dire: « Aussi bon que la vaseline ». Je ne le hais pas. Il est terriblement bête et il se prend très au sérieux, mais c’est quand même un curé… Je voudrais entendre la voix de Dieu et je ne l’entends pas5. L’étudiante en médecine, avec sa liberté de langage, rejoint ici André Chouraqui. Le langage sur Dieu qu’elle entend n’est pas adéquat. Le sera-t-il jamais?

Vers vingt-cinq ans: « Maintenant je dis depuis près de vingt ans que le Bon Dieu est autrement. Est-ce que ce n’est pas énervant à la longue? Et puis je ne sais pas du tout qui sont ceux qui savent comment est le Bon Dieu »6. Prière d’Adrienne à la même époque: « Montre-moi, dans l’idée que je me fais de toi, ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ne te lasse pas de tout me montrer jusqu’à ce que je sois sûre que tu es le vrai Dieu et comment tu es le vrai Dieu… Ô je te prie, montre-moi comment tu es autrement »7. A vingt-six ans: « Je suis bien convaincue que Dieu est autrement que je le pense. Et je suis surtout convaincue qu’il est encore beaucoup plus différent de ce que les gens pensent »8.

Vers l’âge de trente ans, Adrienne s’est trouvée aux portes de la mort. Elle aurait bien voulu mourir: « Je pensais: si on pouvait mourir maintenant, on pourrait voir comment Dieu est autrement, et alors c’en serait fini de mes tourments… C’était tellement naturel pour moi de mourir. Quand j’étais malade, nous avions du temps l’un pour l’autre, le Bon Dieu et moi. Je ne sais pas si on doit appeler ça prière. Je veux dire que j’étais heureuse d’être avec lui »9. Enfin, quelques mois avant sa conversion: « Je ne crois pas que ce puisse être dangereux d’être livrée à Dieu »10. Il y a donc dans la vie d’Adrienne cette longue attente, un peu douloureuse, d’une révélation du vrai Dieu. Elle cherchait Dieu au-delà des mots usés et des routines. Un jour, pour elle, le ciel s’ouvrira et personne ne parlera de Dieu comme elle.

 

3. Seize mille traces 

Adrienne von Speyr, c’est aujourd’hui une soixantaine de volumes publiés, près de seize mille pages. C’est un monde. C’est aussi un monde rempli de Dieu. On n’en est encore qu’au stade de la découverte. Il n’y a rien à en dire si ce n’est: « Prenez et lisez, vous verrez bien si ces choses vous concernent », en supposant bien d’ailleurs in petto qu’aucun chrétien, ni même aucun incroyant ne sera un jour insensible, directement ou indirectement, au rayonnement de ces pages; tout essai d’analyse risque de laisser échapper l’essentiel (le sens de la proximité de Dieu), tout commentaire maladroit ne ferait qu’en ternir l’éclat. Mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr? Elle voudrait qu’à travers elle les gens puissent découvrir un peu plus les traces de Dieu. Pourquoi? Parce que Dieu a laissé en elle des traces. Elle aime commenter le passage des Actes des apôtres (7, 55-56) où il est dit qu’Etienne, sur le point de mourir, voit le ciel ouvert. Jamais elle ne parle d’elle-même quand elle commente ce texte, mais cent fois, mille fois, des milliers de fois pour elle le ciel s’est ouvert, il s’est imprimé en elle et elle transmet ce qu’elle a reçu11.

Il y a dans cette œuvre une telle puissance de révélation qu’on se demande comment les théologiens osent encore écrire quelque chose sans s’y référer. De ce vaste ensemble, il faut mettre à part les douze tomes des œuvres posthumes (plus de cinq mille pages) qui sont maintenant tous accessibles après avoir été plus ou moins longtemps tenus en réserve. On admire que l’Eglise ait accepté la publication de ces écrits qui renferment tant de ses mystères, et on se sent le devoir de remercier grandement le P. Hans Urs von Balthasar d’avoir accepté de livrer, entre autres, le Journal d’Adrienne, qui est aussi en partie le sien. Si l’ensemble des œuvres d’Adrienne von Speyr constitue l’un des sommets de la littérature théologique et spirituelle de tous les temps, le Journal (NB 8-10, et surtout 8-9) fait désormais partie du trésor le plus intime de l’Eglise12.

« Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l’évidence qu’il pourrait faire », nous dit Pascal13. On croyait « tout » savoir de Dieu et voilà que se révèlent quantité de choses inouïes, jamais entendues vraiment, et cependant totalement en harmonie avec ce qu’on savait. L’essentiel en est limpide même si nombre de détails demeurent encore obscurs. L’amour ne dit pas tout, il réserve des surprises, note Adrienne14. Les Juifs étaient comme des élèves à l’école, ils étudiaient la Loi et les prophètes. Et « voilà que le professeur les place devant quelque chose d’entièrement neuf, où les règles anciennes… ne sont plus valables… Ils sont transportés de l’école en pleine vie… Le temps passé à l’école ne leur a pas servi à mûrir pour la vie, ils n’ont pas… (réservé) dans leur âme de la place pour des exigences éventuellement tout autres du Dieu vivant. Chaque élève de Dieu doit réserver cette place »15. Pas seulement les Juifs d’autrefois.

 

4. Dieu ou moi 

Réserver de la place en soi pour Dieu! Si Adrienne von Speyr c’est seize mille pages imprimées, c’est aussi une pénitence digne d’un curé d’Ars ou des Pères du désert – une pénitence vraiment parfois un peu folle -, et une prière qui occupe une grande partie de ses nuits. La prière, on la comprend plus facilement peut-être, mais pourquoi tant de pénitence? Tout simplement parce que le ciel lui avait appris que la pénitence donne du poids à la prière et que, depuis la croix, toute souffrance offerte peut être transformée en bénédiction pour les autres par la mystérieuse alchimie du Seigneur. Mais Adrienne, la contemplative, est aussi un médecin qui pouvait recevoir jusqu’à soixante et quatre-vingt personnes (souvent sans honoraires) à sa consultation de l’après-midi. Comment faisait-elle?

Dieu ou moi: l’alternative est fondamentale. Personne n’a le droit d’appeler Dieu sans se mettre à sa disposition16; même chose certainement pour qui veut parler de lui. On ne se joue pas de Dieu comme d’une notion à laquelle on attache l’importance qu’on veut bien lui donner. Dieu est si vivant que le croyant n’a d’autre possibilité que de s’abandonner entièrement à son gouvernement, que de lui confier toute la responsabilité… Or cela veut dire s’en rapporter en tout à la parole de Dieu et ne plus être soi-même qu’un réponse à cette parole17. Mais le Seigneur sait qu’il faut du temps pour que quelqu’un en arrive à ne plus prendre ses décisions qu’en lui, à ne plus regarder que lui18. Il n’est pas facile pour Dieu… de vaincre la résistance persistante des pécheurs et leur manie de toujours vouloir avoir raison19. C’est pourquoi le petit renoncement humain peut rendre vrai le désir de l’homme d’être introduit dans la vérité de Dieu20. Est pur (pour recevoir le Seigneur) celui qui veut ce que Dieu veut21. La pensée ultime du chrétien est le service du Seigneur, celle des païens est leur propre moi, même si cela s’accompagne de beaucoup d’éthique et de religion22. Celui qui vit dans la lumière du Seigneur ne cherche qu’à s’effacer devant lui. Celui qui vit dans la nuit cherche à se rendre lui-même aussi important que possible… Le signe spécifique du chemin du Seigneur, c’est qu’on ne le choisit pas soi-même… Une personne pourrait avoir l’idée de garder la virginité, de mener une vie de pénitence et de fonder une œuvre ecclésiale. Mais si son idée n’était pas fondée sur un appel du Seigneur, tout ne se référerait qu’à sa propre personne et ne servirait qu’à sa propre gloire23. L’ordre du Seigneur ne doit pas se discuter même s’il paraît manquer de sens24.

Tout homme, un jour ou l’autre, doit s’abandonner à Dieu dans ce qui fait la substance des vœux de religion; tout homme les professe (sans le savoir) à sa naissance: on lui impose de naître, il naît nu et pauvre; à la mort, on ne lui demande pas s’il veut mourir, il quitte tous ses biens y compris la vie conjugale25. Pour avoir un total accès à Dieu, l’âme sera purifiée au-delà de la mort; plus elle se purifie alors, plus elle voit combien tout péché – le sien, celui des autres – a offensé Dieu. Elle serait prête à rester dans le feu jusqu’à la fin du monde si Dieu pouvait en être moins offensé. Tout le poids des choses passe de son moi à l’amour de Dieu, et par l’amour de Dieu à l’amour du prochain. Elle ne cherche plus à atteindre des  buts personnels, elle ne veut plus être qu’un instrument de l’amour. A l’instant où cette pensée la remplit, elle est sauvée… Le purgatoire, c’est le moi; le ciel, c’est les autres26. Dieu ou moi: alternative fondamentale. Sans doute est-ce parce qu’Adrienne a « choisi » Dieu d’une manière exceptionnelle que Dieu s’est révélé aussi à elle d’une manière exceptionnelle.

 

5. Le ciel ouvert 

Quand Étienne voit le ciel ouvert au moment de mourir, quand il voit le Fils à la droite du Père, il sait que le ciel est là pour lui. Dieu lui montre le ciel pour l’y introduire… Cela rend à Etienne la mort plus douce. Il entre dans ce qu’il voit et qui correspond à ce que sa foi lui faisait espérer… Etienne plonge son regard dans le ciel ouvert et il voit ce qui est infiniment sublime; son exclamation en témoigne: « Je vois le ciel ouvert et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu ». Il ne prête pas attention au fait qu’un événement se produit pour lui, qu’il fait une expérience… Il ne dit rien sur lui-même ni sur son expérience. Il voit le Tout-Autre, le Nouveau. Par là, il montre à la mystique son chemin: ne pas parler de soi-même mais parler de la nouveauté de Dieu qui lui est donnée et qu’elle a le devoir de transmettre. Etienne doit montrer que le ciel est infiniment grand et infiniment ouvert afin que les chrétiens n’aient pas la tentation de se le représenter selon leurs propres mesures, rempli de leurs banalités derrière lesquelles disparaîtraient l’infinité et l’éternité de Dieu… L’exclamation sortie des lèvres d’Etienne s’adresse aux croyants comme aux incroyants. Les incroyants, qui le lapident, sont d’une certaine manière réduits à l’impuissance. Ils se rendent compte qu’ils n’ont pas de prise sur celui qu’ils lapident; le monde d’Etienne leur échappe… Les croyants, eux, qui entendent Etienne, savent que le monde que voit Etienne dans sa vision est vrai, bien qu’eux-mêmes, qui ne sont pas destinés au martyre, ne le voient pas. La parole d’Etienne peut les atteindre de telle sorte que tout d’un coup ils comprennent combien ils sont indignes de voir le ciel ouvert; ils peuvent comprendre tout d’un coup que leur foi a besoin d’être beaucoup affermie et qu’elle devrait prendre connaissance de choses beaucoup plus grandes que ce qu’ils connaissent jusqu’à présent. Leur foi en est dilatée27.

Adrienne a vu le ciel ouvert: qui osera lui en faire grief? Elle avait des visions, des extases, elle a dialogué avec d’innombrables habitants du ciel. Pour certains aujourd’hui, cela ne fera pas très sérieux. « Au mot de résurrection des morts, les uns se moquaient, d’autres déclarèrent: Nous t’entendrons là-dessus une autre fois’ »(Ac 17, 32). Il y a de faux mystiques, c’est entendu, et même chez les vrais il y a des choses ambiguës: personne n’en sait plus et n’en dit plus qu’Adrienne à ce sujet. Elle avait des extases? Dieu n’en donne pas à tout le monde et surtout pas à qui voudrait bien en avoir. Refuser a priori l’existence de visions authentiques, c’est avoir la vue un peu courte.

On ne devrait pas faire une si grande différence entre les chrétiens ordinaires et ceux qui ont des dons mystiques, nous dit Adrienne. Peu importe au fond de voir ou de ne pas voir. A peu de choses près, les mêmes règles valent pour les croyants ordinaires et pour les mystiques: même usage de la prière, même idée de la pénitence, etc. Et Dieu n’est pas plus loin de moi dans la prière que dans la vision à condition que je prie vraiment28. Entre ceux qui ont des visions et ceux qui n’en ont pas, il ne doit pas y avoir de distance. Ils sont un dans le même service du Seigneur29. Peu importe qui voit. Tous les croyants ont part à la vision des voyants30. (Toute l’Eglise a vu Marie avec les yeux de Bernadette). Celui qui ne voit pas profite presque autant qu’Adrienne de ses visions31.

 

6. Visions et foi 

Lire Adrienne, c’est participer de temps à autre à la grâce qui fut la sienne de voir les cieux ouverts; avec toutes ses visions, elle nous montre admirablement comment vivre sans visions dans le monde de Dieu.

Quand un mystique reçoit une vision, son attente est comblée, bien qu’avant cela il ignorât le plus souvent qu’il l’attendait (Paul sur le chemin de Damas, Bernadette à Lourdes, Adrienne à quinze ans lors de sa première vision de la Vierge). Si le mystique attendait quelque chose, c’était dans le sens d’une disposition à obéir au cas où Dieu voudrait bien remplir son attente32. Qui prie par amour, ne priera jamais avec calcul; jamais il ne priera pour obtenir une expérience mystique; il prie parce qu’il aime Dieu, parce qu’il voudrait faire la volonté de Dieu et être auprès de lui33. Les prêtres et les religieuses seraient capables d’avoir des enfants comme tout le monde; s’ils n’en ont pas, c’est qu’ils ont renoncé à cette fonction; de même tous les croyants possèdent les sens qui leur permettraient de voir les choses de l’au-delà, mais leur fécondité reste entre les mains du Seigneur. Lui seul décide de leur utilisation34.

Il arrive constamment à des chrétiens au cours des âges « d’apercevoir un coin du ciel; des hommes auxquels la contemplation est donnée doivent témoigner qu’elle existe, qu’aimer ne consiste pas seulement à espérer en l’avenir, qu’ici-bas déjà on peut, par un don de Dieu, faire l’expérience d’un mouvement sans fin de Dieu vers l’homme et d’un mouvement en sens inverse de l’homme vers Dieu »35. La vision de Damas est décisive pour la conversion de saint Paul, mais c’est un cas infiniment rare qu’une vision donne accès à la foi. Le plus souvent, la vision n’a pas pour but d’engendrer la foi de celui qui en bénéficie, ni de l’augmenter, elle sert à enrichir le trésor de la foi de l’Eglise36. L’ordinaire fait autant partie de l’Eglise que les extrêmes; et tout ce qui est extrême, qui existe et doit exister, doit posséder quelque chose de l’humilité du milieu37.

Le croyant est comme un aveugle qui se promène au soleil. Il sait que le paysage est là, merveilleux, il n’a pas de raison de douter de ce qu’on lui dit, il sent les rayons du soleil. Bien qu’il ne voie rien, il croit38. La foi inclut une certitude qui participe de la vision39. Il y a des choses qu’on ne peut comprendre que dans la vision; tant qu’on ne les voit pas, elles restent des concepts vides. Ce n’est que par la vision que le concept participe à la vie. La théologie est souvent comme un enseignement de géographie. La vision rend possible le voyage dans les pays qu’on avait appris par cœur. On voit ce que cela voulait dire40. Le croyant sait mieux alors que Dieu le voit, qu’il vit devant le visage de Dieu, il bâtit sa foi sur cette certitude; il peut s’approcher de Dieu, l’adorer, le prier. Et Dieu se révèle à tout croyant de la manière qui lui plaît41.

Au tombeau de Jésus, Jean voit par terre les bandelettes. En voyant ces choses qui ne sont presque rien, il découvre aussitôt l’amour vivant du Seigneur. Il n’y a que dans l’amour que cette vision est possible. Celui qui aime ne peut pas communiquer sa vision à celui qui n’aime pas, parce que celui qui n’aime pas est aveugle. Et celui qui n’a pas l’amour de Jean ne pourra pas croire que Jean a découvert que l’amour était vivant en voyant les bandelettes là par terre. Celui qui n’aime pas donnerait cent explications du phénomène. Il aurait besoin du moins de longues preuves pour exclure les autres possibilités. Celui qui n’aime pas perd beaucoup de temps42.

 

7. L’au-delà 

Peu après Pâques 1948, Adrienne vit tellement dans l’au-delà qu’elle se demande si le monde d’ici-bas est encore réel43. Pour elle, un tout petit coin du voile s’est levé; d’innombrables fois elle s’est trouvée comme de plain-pied avec le monde d’en haut. Elle est sans aucun doute l’une des plus grandes voyantes de l’histoire, mais la plupart des gens qui la fréquentaient ignoraient les rencontres mystiques dont son existence était pleine44.

Adrienne parle de l’au-delà comme un reporter qui en revient. On ne peut voir Dieu sans mourir? Les mots font pâle figure pour décrire la manière dont elle donnai sa vie pour Dieu. Il faudrait tout lire. En tout cas pour elle, il n’est pas permis d’avoir séjourné au ciel et de revenir ensuite sur la terre comme si on n’y avait jamais été45 . Il n’y a pas de distance entre le ciel et la terre. Le ciel commence toujours là où je suis et où se trouve Marie avec son enfant46. Nous faisons beaucoup trop de distinctions entre ciel et terre. « Je me demande si nous ne vivons pas à proprement parler plus là haut qu’ici »47. Celui qui sur terre vit dans la grâce vit à vrai dire au ciel, seulement il ne le sait pas; il pourrait le savoir. C’est un voile ténu. Souvent quand Adrienne parle avec des gens qu’elle voit entourés d’anges ou de saints, elle a du mal à se représenter que deux mondes différents se compénétrent ici. Elle doit faire un effort sur elle-même pour ne pas se trahir et aussi pour s’imaginer que les gens ne voient pas ces anges et ces saints48. Elle se trouve parfois tellement dans l’au-delà qu’elle en éprouve une certaine angoisse. Le ciel alors lui explique que son angoisse provient en partie de ce qu’elle pense que ce qu’elle vit et expérimente, c’est trop beau pour être vrai. Une espèce de vertige la saisit. Est-il vraiment croyable que le monde de Dieu soit si proche, qu’on l’y introduise si fort? Comment intégrer sa vie de tous les jours dans cet autre monde qui se fait si envahissant?49.

La Révélation lui est redonnée en sa fraîcheur native par les acteurs du drame: le Seigneur, Marie, les apôtres, les saints. Ce sont pour une large part les saints du ciel qui ont initié Adrienne aux mystères de l’au-delà. Cela ne s’est pas fait suivant le plan d’un exposé magistral bien charpenté, cela s’est fait avec la profusion et le désordre apparent propres à la vie. Dieu n’est rien moins que cartésien. Les saints de l’Église sont des intermédiaires par qui nous pouvons contempler la pure lumière (la trop pure lumière) de Dieu. C’est à lui qu’ils conduisent essentiellement. Ils sont des auberges sur la route. Non le terme50. Voilà quelqu’un qui nous dit avoir rencontré Origène, Jean-Baptiste, Thérèse d’Avila, Bernard de Clairvaux, Alphonse de Liguori, cent autres de l’au-delà. Et tous ces personnages lui ont fait comprendre quelque chose du monde de Dieu ou lui ont parlé. On dira: c’est incroyable. Peut-être! Mais si c’est croyable, ça nous intéresse fort, et ça intéresse toute l’Eglise, et donc le monde entier.

 

8. La transparence des saints 

Dans le monde de Dieu, le temps et les distances n’existent plus, bien qu’ils gardent toute leur importance. Tout est un en Dieu. Nous sommes les contemporains de Marie et d’Abraham, de Jeanne d’Arc et de Grégoire le Grand. Marie ne vit pas qu’au ciel, elle continue tout autant à vivre dans l’Eglise51. Dans le ciel, il y a des choses qui étonnent Adrienne, les discussions entre les saints par exemple: ils ne sont pas toujours d’accord entre eux. Elle assiste en extase à une discussion entre saint Paul et saint Ignace. Elle en est gênée: est-ce qu’ils ne pourraient pas se disputer ailleurs qu’en sa présence? Réponse d’Ignace: c’est pour qu’elle apprenne quelque chose 52.

Le ciel entier se met en frais pour nous donner une leçon magistrale de théologie appliquée. Les habitants du ciel révèlent comment ils prient et comment ils ont prié, autrement dit, comment ils sont et comment ils étaient devant Dieu; le cas échéant, ils révèlent aussi ce qui n’était pas juste dans leur attitude. Il leur arrivait de vouloir trop en faire ou pas assez; il leur arrivait de ne pas se livrer totalement à Dieu, ou bien ils se sont donné trop d’importance, ou bien ils n’ont pas correspondu pleinement à ce que Dieu attendait d’eux; malgré la sainteté qu’on leur reconnaît à juste titre, ils se sont refusés peu ou prou. A cet égard, l’œuvre d’Adrienne est un décapage impitoyable de la notion de sainteté. Et de ce grand nettoyage, c’est le ciel lui-même qui prend l’initiative pour rendre au fond la sainteté plus crédible. Tout ce qui est fausse monnaie, même chez les saints dûment canonisés et vénérés, est dénoncé sans indulgence. Personne d’ailleurs n’a à faire le glorieux. On sait bien que chacun aura son tour et le plus sûr c’est de prendre soi-même les devants sans attendre. Dans la cathédrale de l’Eglise, il y a la façade des saints; l’œuvre inspirée d’Adrienne von Speyr en est un ravalement en règle. Justement parce qu’au ciel plus personne ne se glorifie indûment, les saints ne redoutent plus de manifester leurs faiblesses. D’apparences, ils n’ont plus besoin. Au ciel, tous sont transparents les uns vis-à-vis des autres. Cette évaluation critique des saints et des mystiques est unique dans l’histoire de l’Eglise; elle pourrait paraître des plus impertinentes si elle ne venait du ciel lui-même. On n’a jamais entendu ces choses et elles sont cependant infiniment bienfaisantes. En se dévoilant sans se ménager, les saints indiquent à leurs compagnons de la terre les impasses où ils se sont engagés et qu’ils voudraient leur faire éviter. Le ciel s’est montré à Adrienne avec une audace rare. Les saints se confessent en quelque sorte devant l’Eglise entière. Certains chrétiens supporteront péniblement ces aveux. Et cependant cette humilité du ciel est éminemment apte à apprendre à tout chrétien et à tout homme à être lui-même un peu plus vrai devant Dieu. Personne ne doit sortir de la lecture de ces pages comme il y est entré; mais pour chacun le changement opéré sera autre.

Les saints ont eu leurs imperfections, c’est entendu. Mais si, personnellement, je n’aime pas telle sainte alors que tu l’estimes beaucoup, je n’ai pas le droit de la critiquer devant toi, je puis tout au plus t’aider à dépasser un certain stade dans tes relations avec elle53. La sainteté est quelque chose de paisible. Il ne faut pas « forcer » les saints. Tous ne peuvent pas être grands. Il faut laisser aux saints la discrétion qui leur est propre… Il ne faut pas risquer de déformer l’image de la sainteté. Parmi les saints, il y a aussi de petits formats54. Il ne faut pas vouloir mettre partout plus de perfection qu’il y en a. L’Eglise doit savoir souffrir des imperfections des saints: c’est mieux ainsi pour les croyants55.

Deux exemples. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus: Il lui est demandé si elle est prête à donner tout ce que Dieu pourrait exiger d’elle. Elle commence par répondre timidement: « Oui, je voudrais du moins essayer ». Est-ce qu’elle pourrait tenir bon devant des exigences plus grandes? – « Je l’espère, oui. Dieu voit tout en moi. Tout ce que j’ai lui appartient, il peut le prendre ». Quand vient l’exigence la plus difficile: « Il me connaît à fond. Je suis trop petite pour lui; mais s’il me dit ce qu’il veut encore de moi et comment je puis le lui donner, alors il doit tout avoir ». A l’instant où Thérèse reconnaît que quelque chose est vraiment une exigence de Dieu, le contenu de ce quelque chose lui importe peu.

Une autre sainte : elle affirme d’abord avec insistance qu’elle a tout donné à Dieu. Quand les difficultés grandissent: « Dieu saura sans doute où sont les limites. – Des limites? Connaissez-vous des limites dans le don de soi? – Dieu connaît peut-être des limites à ses exigences. – Et s’il n’en connaissait pas? – Alors on verra. – Ne pourrait-on pas dire oui d’avance? Je crois que ce que j’ai dit est juste ». – Là où la dernière honte est demandée, là où est demandé quelque chose de tout à fait inattendu: « Non, non, non ». Elle ne peut pas être humiliée de cette façon. Elle a le sentiment absolu qu’elle sait ce que veut dire « tout » dans le don de soi-même. Elle ne voit pas les limites qu’humainement elle met encore là56.

 

9. La nuit du Fils 

Aucun chrétien ne peut vivre que de la lumière de Pâques et de la Pentecôte. L’épreuve et la nuit font partie intégrante du parcours chrétien. La nuit, c’est quand on ne voit plus les traces de Dieu, quand on ne sait plus que le Seigneur est là, que la nuit a un sens et qu’il y aura encore un jour de la lumière57. Thérèse de l’Enfant Jésus connaît une nuit d’angoisse: elle pense qu’elle s’est trompée; plus grand-chose n’a de sens, elle aurait mieux fait de ne pas demander au pape d’entrer si tôt au carmel; maintenant tout a été de travers: elle supporte le poids de sa désobéissance et la colère de Dieu. Et puis elle voit que c’est une tentation58.

Adrienne transmet à son lecteur le sens de la présence de Dieu et, en même temps, elle revient sans cesse sur la nuit du Fils: dans les ténèbres de la Passion, le Seigneur ne comprend plus le sens du commandement du Père59. Le Fils n’argumente pas: « Il serait sûrement mieux d’œuvrer encore quelques années ici-bas; j’ai à peine commencé, il y aurait encore tant de chances à gagner pour le Père et pour son royaume ». Tout ce que le Fils pourrait encore faire pour le Père, il le donne à la seule obéissance. Cela fait partie plus essentiellement de la croix que toutes les souffrances physiques60. Les enfants jouent tranquillement quand ils savent que leur mère est dans la pièce à côté. Le Fils a toujours su, en tant que Dieu, que le Père était là, comme tout près, on pouvait à tout instant lever les yeux vers lui et le voir. Sur la croix, cette conscience n’existe plus, le Père est voilé. Et maintenant le Fils doit lutter intérieurement contre la possibilité divine d’aller au-delà et de s’assurer. Et cette possibilité est si bien maîtrisée qu’il n’y a plus là que l’homme crucifié61. Dans la manière dont le Fils use de sa vision du Père réside une grande part de son ascèse. Son ascèse n’est pas d’abord dans ses jeûnes et dans ses veilles, dans les coups qu’il reçoit sur son visage, mais dans le fait qu’il se trouve près de la source et qu’il n’y puise pas. Librement, à cause de nous, il renonce à jouir du Père62. Le Seigneur n’est devenu pleinement lumière pour le monde que dans la nuit totale de la croix63. Le Fils a fait ici-bas l’expérience qu’on ne peut vivre sans consolateur. Etre privé du consolateur est à ses yeux  l’épreuve suprême qu’il devra supporter, quelque chose d’absolument inhumain. Mourir dans la foi est facile, mais mourir dans la déréliction est atroce64.

De même que la résurrection du Seigneur ne s’est produite qu’après le grand abîme de sa mort et de sa descente aux enfers, de même son apparition actuelle aux sens spiritualisés des chrétiens se produit comme une résurrection après une petite mort personnelle… Ce qui est essentiel, c’est que cette nuit est toujours la nuit du Seigneur et non une nuit qui appartient à l’homme65.

Cent fois, mille fois, Adrienne explique le sens de la nuit et de la prière désolée. Ce fut l’expérience de Marie, de Jésus, de l’Esprit. C’est la voie de tous les chrétiens. C’est la contribution que le Seigneur nous propose d’apporter à son œuvre. On peut s’offrir à lui spontanément. Mais une fois qu’on s’est offert vraiment, Dieu peut prendre lui-même la décision de nous imposer telle épreuve ou telle nuit66. L’Eglise d’aujourd’hui est trop vite d’accord pour que le Seigneur prenne tout sur lui seul. François Xavier prenait la discipline à la place de ses pénitents. Tout chrétien doit prendre sur soi dans la pénitence une part de la souffrance et de l’humiliation du Seigneur67. Dieu nous demande toujours ce qu’on est capable de lui offrir, même dans la plus grande impuissance68. Même si on a le caractère le plus égal qui soit, Dieu peut nous envoyer des tristesses (pour qu’on ait quelque chose à lui offrir). L’incroyant pensera que ces hauts et ces bas sont quelque chose de purement naturel. Leur véritable origine lui reste cachée69. Mais s’il est facile de savoir que le Seigneur est en toute lumière, il est souvent bien difficile de savoir qu’il se trouve aussi en toute obscurité70. Il y a la nuit des pécheurs, de ceux qui ont rejeté la lumière, mais il y a aussi, pour ceux que le Seigneur a choisis, une nuit de la foi: après avoir connu la lumière, ils pensent l’avoir tout à fait perdue, et cependant ils sont dans la main du Père qui leur donne part à la nuit du Fils, expiatrice du péché du monde71. Toute souffrance humaine peut être intégrée dans la Passion du Seigneur. Quelle que soit la souffrance qu’un homme peut endurer, quelle que soit le douleur qui l’accable, le Seigneur est prêt à tout assumer dans sa Passion et à en faire profiter d’autres72. La nuit de l’âme peut être ce qu’il y a de plus fécond dans une vie chrétienne, ce serait appauvrir une vie que de lui retirer la nuit73.

*

En lisant Adrienne von Speyr, on se demande parfois pourquoi Dieu a réservé tant de lumières à notre temps. Bien sûr, en un certain sens, rien n’est neuf chez elle, puisque le mysticisme, ainsi que l’a noté Bergson, n’a « jamais fait autre chose que repasser sur la lettre du dogme pour le retracer… en caractères de feu »74. Et cependant, c’est comme si pour la première fois on nous expliquait les mystères de Dieu. Il faudra des dizaines d’années à l’Eglise et aux théologiens pour en assimiler l’essentiel. Pourquoi tant de lumières aujourd’hui? Mais faut-il toujours poser des questions à Dieu sur sa conduite? Il fait partie de l’obéissance de l’Eglise, nous dit Adrienne, qu’elle commence par ne pas reconnaître le Seigneur et qu’elle le reconnaisse après. Il fait partie aussi de l’obéissance de ne pas poser de questions. Les disciples, dans le simple fait d’être avec le Seigneur au bord du lac après la résurrection, sans poser de questions, sont remplis d’une grande paix75.

*

Notes 

1. André CHOURAQUI, Ce que je crois, Paris, 1979, p. 333.

2. NB 8, p. 383, n° 839; traduction: Bulletin Amitié A.v.S., n° 11, oct. 1978, p. 10. Sauf indication contraire, toutes les références sont aux œuvres d'Adrienne; les œuvres posthumes (Nachlassbände) = NB.

3. NB 6, p. 210-211.

4. NB 6, p. 214-215.

5. NB 7, p. 126-129.

6. NB 7, p. 136.

7. NB 7, p. 141.

8. NB 7, p. 249.

9. NB 7, p. 279-280.

10. NB 1/2, p. 258.

11. Voir par exemple H.U. von Balthasar, Unser Auftrag, Johannes Verlag, 1984, la troisième partie.

12. Unser Auftrag, en sa première partie, en donne un bref aperçu.

13. Pensées, éd. L. BRUNSCHVICG, VIII, 556.

14. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 58 (sur Jn 18,36).

15. Jean. Discours d'adieu, II, p. 69 (sur Jn 15,22).

16. Bergpredigt, p. 274 (sur Mt 7,21).

17. Geheimnis des Todes, p. 38-39.

18. Bergpredigt, p. 93 (sur Mt 5,25).

19. NB 11, p. 303.

20. Johannes. Streitreden, p. 216 (sur Jn 8,26).

21. Bergpredigt, p. 262 (sur Mt 7,15).

22. Kinder des Lichtes, p. 162 (sur Ep 4,20).

23. Jean. Discours d'adieu, II, p. 46-47 (sur Jn 15,16).

24. Johannes. Streitreden, p. 448-449 (sur Jn 11,39).

25. NB 11, p. 346-347.

26. NB 3, p. 97 (Vendredi saint 1945).

27. NB 5, p. 36-37.

28. NB 1/2, p. 228.

29. NB 9, p. 445, n° 1975.

30. NB 9, p. 408, n° 1915.

31. NB 8, p. 238, n° 450.

32. NB 5, p. 23.

33. NB 6, p. 63-64.

34. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 226 (sur Jn 20,19).

35. L'expérience de la prière, p. 33.

36. NB 6, p. 190.

37. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 131-132 (sur Jn 19,25).

38. Ibid., p. 61 (sur Jn 18,36).

39. Jean. Discours d'adieu, II, p. 134 (sur Jn 16,16).

40. NB 4, p. 289.

41. NB 5, p. 48.

42. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 182 (sur Jn 20,5).

43. NB 9, p. 445, n° 1974.

44. H.U. von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, Paris, 1978, p. 7-82.

45. Apokalypse, p. 373 (sur Ap 11,14).

46. NB 9, p. 260, n° 1668.

47. NB 8, p. 394, n° 877.

48. NB 8, p. 302, n° 609.

49. NB 9, p. 246, n° 1645.

50. Johannes. Das Wort wird Fleisch, p. 258-259 (sur Jn 3,14-15).

51. La Servante du Seigneur, p. 169.

52. NB 9, p. 120, n° 1394.

53. NB 9, p. 180, n° 1549.

54. NB 10, p. 84, n° 2131.

55. NB 4, p. 454-455.

56. NB 1/2.

57. NB 9, p. 305, n° 1736.

58. NB 9, p. 112, n° 1372.

59. Jean. Discours d'adieu, II, p. 42 (sur Jn 15,14).

60. NB 11, p. 290.

61. NB 3, p. 283.

62. NB 6, p. 200.

63. Johannes. Streitreden, p. 283-285 (sur Jn 9,5).

64. Jean. Discours d'adieu, I, p. 151-152 (sur Jn 14,16).

65. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 222-223 (sur Jn 20,19).

66. NB 9, p. 472-482, n° 2011-2020.

67. NB 9, p. 437-438, n° 1958.

68. NB 9, p. 381-382, n° 1869.

69. NB 9, p. 373, n° 1851.

70. NB 8, p. 487 (7.2.1944).

71. Johannes. Streitreden, p. 393-398 (sur Jn 11,10).

72. Jean. Discours d'adieu, II, p. 198 (sur Jn 17,2).

73. Kinder des Lichtes, p. 153 (sur Ep 1,18).

74. H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, 48e édition. Paris, 1946, p. 251.

75. NB 1/2, p. 48.

 

 

 

La foi d’Adrienne von Speyr (1986)

 

(Édition 2024)

 

Plan : Avant-propos 1. La foi - 2. La prière - 3. La mission 

 

Avant-propos

                  

                  Plan : Repères biographiques – L'oeuvre -– Le présent document

                          

                            Repères biographiques 

Adrienne von Speyr est née en 1902… comme Marthe Robin. L’une et l’autre ont reçu les stigmates de la Passion du Seigneur. Adrienne est morte en 1967 à la suite d’une très longue et douloureuse maladie, un cancer généralisé ; Marthe a quitté ce monde en 1981 après avoir été clouée sur son lit de paralysée durant des dizaines d’années. A la mort de Marthe, une soixantaine de foyers de charité étaient répandus dans le monde entier ; Adrienne laissait derrière elle un Institut séculier, qu’elle avait fondé avec le Père Hans Urs von Balthasar, et une œuvre écrite, ou plutôt dictée, de quelque soixante volumes.

Née à La Chaux-de-Fonds dans le Jura suisse, Adrienne avait une sœur aînée et deux frères cadets. Sa langue maternelle était le français, mais elle dut se mettre à l’allemand quand sa famille s’établit à Bâle.

Élevée dans la tradition protestante, Adrienne est, très jeune, prise par Dieu, attentive à lui et à tout ce qui vient de lui. Elle veut lui donner tout ce qu’elle peut, tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle a. Très vite aussi, elle veut mettre sa vie au service des autres, et elle ne voit pas de meilleur moyen pour le faire que de devenir médecin, son père était oculiste. Mais comment se donner totalement à Dieu quand on est une jeune protestante ? Un essai chez les diaconesses de Saint-Loup lui montre que là n’est pas sa voie. Se marier ? Elle sent que ce n’est pas cela non plus qui lui convient tout à fait, mais elle ne voit pas d’autre solution, et elle se marie, un peu par pitié, avec un homme encore jeune, professeur d’Histoire à l’Université de Bâle, resté veuf avec deux petits garçons. Quand son mari meurt à la suite d’un accident, elle se trouve au bord du désespoir. Quelques années plus tard, elle se remarie avec un autre professeur d’Université, en élevant toujours les enfants de son premier mari.

Tout en menant une vie familiale et professionnelle, Adrienne continue sa recherche intense de Dieu. En 1940, elle rencontre Hans Urs von Balthasar alors aumônier d’étudiants à Bâle. Pour la première fois, elle découvre avec lui ce qu’est vraiment le catholicisme : ce qu’elle recherchait depuis toujours sans le savoir ; elle se convertit.

Les vingt-sept dernières années de sa vie sont marquées par une profusion de charismes extraordinaires, de pénitence aussi, de prière, de nuits, de lumières et de souffrances offertes1.

 

                   L’œuvre 

Les œuvres d’Adrienne von Speyr peuvent se répartir en trois catégories : 1. Les commentaires de l’Écriture : vingt-quatre volumes dans l’édition allemande. L’œuvre majeure d’Adrienne est sans aucun doute son commentaire de l’Évangile de saint Jean : deux mille pages. Les commentaires de l’Apocalypse et de l’évangile de saint Marc comptent de leur côté respectivement plus de huit cents et plus de sept cents pages. Adrienne a commenté également, entre autres textes, des lettres de saint Paul, les épîtres catholiques, quelques passages de l’Ancien Testament. 2. Vingt-quatre volumes consacrés à des sujets divers de théologie et de spiritualité : le Dieu infini, la face du Père, l’homme devant Dieu, la prière, Marie, la confession, le mystère de la mort, etc. 3. Douze tomes d’œuvres posthumes qui n’ont été livrés intégralement au public qu’en 1985 à l’occasion d’un symposium qui s’est tenu à Rome et qui avait pour thème la mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr2. Ces œuvres posthumes constituent la partie proprement mystique de l’ensemble : son confesseur y a classé d’innombrables notes prises par lui au long des années.

Que ceux qui se méfient des manifestations surnaturelles insolites se rassurent : sur les quelque soixante volumes de l’œuvre, quarante-huit ne sont que sobres commentaires scripturaires, exposés théologiques et spirituels. Malgré cette sobriété, la prose se fait par endroits lumineuse : on est frappé par la beauté, le jaillissement, la profondeur des pensées exprimées, mais rien ne laisse supposer que telle ou telle page a été dictée dans l’extase. Quant aux douze tomes des œuvres posthumes, qui révèlent plus d’une chose hors du commun, elles contiennent encore beaucoup plus d’éléments qui concernent la foi de tous les baptisés, ainsi que le présent ouvrage essaie de le montrer.

Que ceux qui s’intéressent à la vie merveilleuse d’Adrienne von Speyr, qui croient Dieu capable de susciter et de conduire des Marthe Robin et tant d’autres dans son Église par des voies qui les dépassent eux-mêmes mais qui trouvent en ces exemples illustres matière à enrichissement de leur foi, qui reçoivent de ces expériences un stimulant pour leur vie chrétienne la plus quotidienne, qui découvrent chez ces privilégiés de la grâce des horizons nouveaux sur le Dieu vivant et sa révélation, que tous ceux-là prennent patience en fréquentant les œuvres d’Adrienne von Speyr déjà disponibles en traduction française3.

Il faut, dit-on, devant une vie et une œuvre où le surnaturel se fait très voyant, où le merveilleux abonde, opérer un discernement. La première chose à faire pour dis – cerner, c’est de cerner le problème, et le « problème », dans le cas d’Adrienne von Speyr, c’est près de seize mille pages : ce n’est pas l’affaire de quelques jours, ni d’un petit sondage, ni d’une vague impression au hasard d’une lecture. La deuxième chose à faire, si l’on est honnête, c’est d’être prêt à se laisser juger (discerner) soi-même par cette lecture ; sinon on est à côté de la question. Adrienne nous en avertit elle-même en quelque sorte à propos des révélations de l’Apocalypse : son auteur affirme qu’il a vraiment vu et entendu les choses dont il parle. Les croyants n’ont pas la possibilité d’examiner immédiatement l’authenticité des dires de l’apôtre, commente Adrienne, mais ils ont deux moyens indirects de le faire et ils doivent les utiliser tous deux en même temps : ils doivent voir si la vie de Jean a réellement part à la vie du Seigneur, si elle correspond à l’Évangile, et ils ont de plus à se regarder eux-mêmes pour examiner s’ils sont en état de saisir les choses qui sont au Seigneur. Sont-ils dans les conditions voulues pour recevoir ces révélations ? Et s’il y a désaccord entre eux et l’apôtre, la question est de savoir si ce qui les sépare de lui ne provient de leur inaptitude ou de leur éloignement. Jean n’a pas le droit de modifier sa mission. Il peut tout au plus, pour autant que cela fait partie de sa tâche, répéter ou expliquer ce qu’il a dit. Il ne peut rien retrancher de sa mission. C’est à eux de réaliser, pour eux-mêmes, l’unité qui existe entre ce qui est au Seigneur et ce qui est à l’apôtre4.

 

                 Le présent document

De l’œuvre d’Adrienne von Speyr, on pourrait dire ce que saint Grégoire le Grand disait de l’Écriture : c’est un fleuve immense, aux grandes profondeurs et aux rives basses, où l’éléphant peut nager et l’agneau barboter ; il y a en a pour les simples comme pour les savants : les simples peuvent s’édifier, les savants s’exercer.

L’œuvre d’Adrienne von Speyr, c’est également une immense forêt, semblable aux œuvres de certains Pères de l’Eglise, composées de commentaires de l’Écriture qui s’étendent à l’infini. Pour ceux qui en ont le loisir et le goût, rien ne remplace le contact direct avec les sentiers de la forêt. La vie ne se résume pas. « Rien de beau ne se peut résumer » (Valéry). C’est pourquoi le présent document n’est à peu près qu’une seule citation ; quelques réflexions jalonnent seules la marche.

Mieux vaut ne pas parler d’Adrienne von Speyr pour le moment, ni vouloir parler à sa place ; il faut la laisser parler d’abord, être attentif à son langage ; elle a des mots neufs pour dire Dieu : les changer, c’est la trahir. Son langage n’est peut-être pas toujours simple, et cependant foisonnent chez elles les lieux où il est simple comme celui de Thérèse de Lisieux. Elle a horreur des théories compliquées de la vie spirituelle, même de celles élaborées par des auteurs de renom.

Ce qui est proposé ici sur la foi, la prière et la mission, ce ne sont que quelques brindilles cueillies dans la forêt et quelques aspects seulement de ce qu’Adrienne a dit sur ces sujets. Mais ils sont tous trois très proches de l’un ou l’autre des onze thèmes fondamentaux de l’œuvre d’Adrienne von Speyr dégagés par Hans Urs von Balthasar : l’obéissance, le caractère incarné des réalités spirituelles, la confession, l’enfance, la théologie de la mystique, les visions, la prière, les nombres et les saints, les « passions », la descente du Christ aux enfers, la Trinité5.

 

Notes de l'Avant-Propos  

1. Il existe en français deux présentations de la vie et de l'œuvre d'Adrienne von Speyr dues à H.U. von Balthasar : Adrienne von Speyr et sa mission théologique; et L'Institut Saint-Jean. Genèse et principes.

2. L'édition française des Actes de ce symposium est parue en 1986 sous le titre La mission ecclésiale d'Adrienne von Speyr.

3. Voir la liste en fin de volume.

4. Apokalypse, p. 795-796 (sur Ap 22,8).

5. Das Allerheiligenbuch, I, p. 11-24.

 

 

1. La foi

 

        Plan : Introduction - L'accès - La transmission de la foi - Notes
 

                    Introduction

Adrienne von Speyr n’a laissé aucun ouvrage consacré spécialement à la foi. Mais dans tous ses écrits il n’est question que de cela parce qu’il n’y est question que de Dieu et de l’homme devant Dieu. Elle ne pouvait pas commenter l’Écriture comme elle l’a fait sans rencontrer la foi à chaque instant. Seulement elle ne se contente pas de répéter l’Écriture ; jamais elle n’aligne des citations pour prouver quelque chose. Chaque texte de l’Écriture qui se présente, elle le laisse retentir en elle, sans le dire, et elle exprime ce qu’elle en a entendu : beaucoup plus, en général, qu’il ne semblait contenir de prime abord. Parce qu’elle connaît bien – de l’intérieur – les choses de Dieu, elle perçoit beaucoup de choses dans les paroles les plus simples et elle simplifie les paroles les plus embrouillées. L’Écriture est parfois bien obscure, et les Pères ne se sont pas fait faute de le souligner. Dans ses commentaires suivis de l’Écriture, jamais Adrienne ne se plaint de l’obscurité de ce qu’elle a à commenter. Il y a là sans doute un véritable tour de force de la grâce1.

 

                       L’accès

La foi, c’est une histoire. Dans l’ancienne Alliance, Dieu a renoué des liens avec les hommes, et d’abord par la foi. La foi est comme un coin de la grâce originelle enfoncée dans la vie du pécheur. Dans le paradis, qui était le lieu de Dieu en ce monde, l’homme ne pouvait pas se cacher de Dieu. Dans notre monde actuel, le croyant ne peut pas non plus se cacher de Dieu parce qu’il sait par la foi qu’il vit devant sa face, que Dieu le regarde. Il pourrait tout au plus essayer de se cacher en reniant sa foi, en la perdant, en s’imaginant qu’il est pour Dieu un inconnu. Le vrai croyant, lui, bâtit sa vie de foi dans la conscience que Dieu le voit. Il lui est permis de se présenter devant Dieu, de l’adorer, de le prier. Et Dieu se révèle à chaque croyant de la manière qui lui semble bonne2.

Sans la foi en Dieu et sans l’amour pour le Fils, la vie terrestre est dépourvue de sens ; le terrestre s’empare de toutes nos pensées de sorte que la vie éternelle demeure pour nous totalement incompréhensible. Sans Dieu, la vie humaine commence dans la solitude, s’ouvre au monde et se termine dans la mort ; elle vient de la terre et s’enfonce à nouveau dans la terre. C’est une courbe qui monte et qui retombe ensuite inexorablement. C’est pourquoi cette vie n’a pas de sens. La vie en Dieu monte avec la vie terrestre ; mais quand elle a atteint son point culminant, elle s’ouvre sur l’infini et ne retombe plus sur la terre. Le croyant ne va pas à sa perte, il aura la vie éternelle dans laquelle nous verrons Dieu3.

Nous faisons partie du plan de Dieu, et c’est comme si nous ne devions plus nous occuper de notre propre indignité, nous sommes des élus4. La foi unifie le chrétien en l’intégrant dans le dessein de Dieu, et l’homme ne trouve son unité que dans le don toujours renouvelé de lui-même à Dieu qui est toujours nouveau à chaque instant5. Pour le chrétien, le commencement et la fin de sa vie « sont dans la main de Dieu et, dans l’entre-deux, cette main ne cesse de le tenir… Il n’existe pour le chrétien rien d’absolument inutile. Dieu lui donne tout dans l’intention qu’il s’en serve »6. Avoir la foi, c’est participer à la manière de voir de Dieu. Le curé d’Ars, qui vivait dans la vérité de Dieu, disait nettement la vérité aux gens qui venaient se confesser à lui ; souvent cela ne correspondait pas du tout à ce que le pénitent avait prévu. Il les faisait « participer à la manière de voir de Dieu » et, ce faisant, sans qu’ils le sachent, il leur apprenait à voir juste7. Pour le chrétien qui s’est livré au Seigneur dans la confession, voir juste, c’est savoir qu’il est un homme libéré « accompagnant le Seigneur et accompagné par lui » ; il sait qu’il n’a plus de raison « de se plaindre de la monotonie de sa vie ou de son manque de sens », qu’il n’a plus de raison non plus « de se laisser aller à la mélancolie et à la mauvaise humeur »8.

La foi nous fait entrer dans la sphère de la vérité de Dieu ; elle nous établit donc dans une certaine distance vis-à-vis de nous-mêmes. La mort aussi reçoit de Dieu sa vérité : le Fils est la vérité de la mort parce qu’il l’a endurée à l’intérieur de la plénitude de la vérité divine. Entrer dans la foi, c’est toujours aussi entrer dans la prière ; ce que nous disons dans la prière, il faut le laisser devenir vérité en nous de manière à ce que « notre foi soit la vérité de notre vie et non point une réserve pour les temps de nécessité »9.

Tout en l’homme et dans le monde a un sens pour Dieu. Dieu a fait don à l’homme de la sexualité comme pour lui faire pressentir ce qu’est la communion eucharistique et ce que c’est que recevoir Dieu en soi. Les rapports de l’homme et de la femme devraient leur apprendre le sens des relations avec Dieu ; l’homme et la femme devraient apprendre à désirer Dieu avec au moins autant d’ardeur qu’ils se désirent l’un l’autre10.

Le corps et ses passions sont donnés pour que l’esprit apprenne d’eux ce qu’est le désir spirituel et l’amour de Dieu11. Dans le monde de la foi, qui est le monde de Dieu, tout croyant trouve sa pâture, chacun trouve la nourriture qui lui convient, il n’y a aucun danger qu’il en manque jamais, sa vie sera toujours riche, pleine, essentielle. Il est impossible que la nourriture le déçoive. Ce qui ne veut pas dire qu’il obtiendra tout selon ses souhaits, ni qu’il est entré dans un pays de cocagne et qu’il pourra cueillir les bénédictions de Dieu pour son bien-être. La nourriture du Seigneur est une nourriture objective ; subjectivement, elle peut souvent donner l’impression de manque et de faim. Mais ce manque et cette faim sont eux aussi plénitude dans le Seigneur12.

La foi est accessible à tous par la grâce du Seigneur. Personne ne peut dire que les circonstances extérieures ne lui auraient pas permis de croire13. Mais le seul moyen d’avoir accès à Dieu, c’est que lui-même nous donne d’avoir accès à lui. Avoir la foi, c’est être sauvé… par Dieu. Être sauvé, c’est trouver la juste voie d’accès à lui. Réduits à nos propres moyens, nous ne serions jamais sauvés, nous ne trouverions jamais l’authentique voie d’accès à Dieu. Sans le don de Dieu, on pourrait tout au plus se faire soi-même une certaine idée de ce qu’il est et de ses dons, mais cela resterait théorique et dépourvu de vie. C’est la grâce qui nous fait goûter ces choses14.

Pour recevoir Dieu, il faut lui faire de la place, lui faire de la place pour tout ce qu’il peut être et tout ce qu’il peut apporter avec lui. Pour le recevoir, il faut être prêt à tout, c’est-à-dire à tout ce qu’on ne sait pas d’avance. Si on engage le petit doigt, on devrait peut-être bien aussi donner la main; et tout le reste. Pour recevoir Dieu, il faut essayer de ne pas se refuser, il faut une confiance aveugle. Si quelqu’un offre à son ami qui est dans le besoin l’argent qu’il a sur lui, il ne serait pas vraiment un ami s’il pensait intérieurement : « J’espère qu’il ne m’en prendra pas trop ». Il devrait au contraire regretter de n’avoir pas plus à lui offrir. Si Dieu prend réellement tout à quelqu’un, c’est sûrement qu’il a besoin de tout… Recevoir Dieu, c’est s’offrir à lui, même si notre don ne consiste qu’à présenter nos ténèbres à sa lumière. Qui accueille la lumière de Dieu doit être prêt à se laisser illuminer toujours davantage par elle, à correspondre toujours mieux aux dons comme aux exigences de l’amour de Dieu. De s’ouvrir à la lumière de Dieu permet à l’homme de lui exprimer son désir d’être pris par lui toujours plus à fond15.

Un oui humain n’est jamais un oui total. Beaucoup de recherche de soi peut se cacher dans ce oui. On peut accueillir le Seigneur pour des motifs très égoïstes. Par exemple, pour s’assurer une bonne petite place dans l’au-delà. Mais dès que le Seigneur prend notre oui au sérieux, dès qu’il vient vraiment, il chasse tout ce qui n’est pas conciliable avec lui. De sorte que nous pouvons très bien au début accueillir le Seigneur avec un cœur partagé, mais quand le Seigneur vient, il est capable de transformer notre demi-oui en un oui total. Ce n’est pas une raison pour nous reposer dans notre tiédeur, mais cette pensée peut consoler chacun de nous au sujet des autres. Le Seigneur achèvera en eux ce qu’ils n’ont pas commencé d’une manière tout à fait excellente. Il y faut parfois du temps16.

La perfection, c’est-à-dire la conformité aux vues de Dieu, consiste uniquement à se donner à Dieu dans la foi et dans l’amour. Pour être capable de croire, pour ne pouvoir chercher que Dieu seul, il faut se donner à ce que Dieu est, s’en remettre à lui, lui céder la place, s’abandonner à lui17.

« Quel signe nous donnes-tu » pour t’arroger le droit de chasser les marchands du temple ? Quel signe nous donnes-tu pour que nous croyions en toi ? Jésus propose un miracle à ses interlocuteurs : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours ». Mais, pour le moment, ils ne veulent pas en entendre parler parce qu’ils n’ont pas la foi. Car une foi qui ne compte que sur une vision n’est pas la foi. La foi n’est jamais le résultat d’un calcul. Sans doute la foi peut-elle naître à la vue d’un miracle, mais personne n’a le droit de faire dépendre sa foi d’un signe de ce genre. Si la grâce est et demeure invisible, on ne peut jamais exiger qu’elle devienne visible. Il nous faut être content de ce que Dieu nous donne. En tout cas, que la grâce soit visible ou non, Dieu demande toujours la foi18.

La présence du Seigneur aux croyants est discrète, il leur offre beaucoup de choses sans les contraindre. Il aurait suffi à Dieu d’un tout petit geste : Adam et Ève n’auraient pas mangé la pomme. Il y a dans la présence de Dieu une discrétion qui fait partie de la réalité de la création ; c’est pourquoi, de son côté, l’homme doit toujours se sentir heureux de ce qu’il a reçu pour son intelligence et pour sa foi19.

« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à la place des clous et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ». Thomas aurait mieux fait de ne pas mettre de conditions. Les autres disciples ont vu le Seigneur et Thomas doit participer à leur joie. Ils essaient de l’y associer, mais Thomas exige des preuves et des preuves sensibles. Il incarne le sceptique. Et cependant, malgré son incrédulité, il est vraiment à la recherche de la foi. Il voudrait être subjugué par l’évidence. Il ne dit pas qu’il ne croira pas, mais il veut vérifier pour croire, vérifier par tous les moyens à sa disposition. Il vit dans un état de doute dont il pense pouvoir se débarrasser par une démarche méthodique. Il se peut que sur ce chemin pénible, tout à coup la foi rayonnante lui soit rendue comme une récompense de ses efforts. Et cependant il manque à Thomas l’amour sans réserve du prochain. S’il aimait vraiment ses frères, il les croirait sur parole. Les autres ont pu voir les plaies du Seigneur sans l’avoir demandé. C’est le Seigneur qui a voulu qu’ils voient. Thomas, lui, exige ; il réclame d’être introduit dans l’intimité du Seigneur, il va trop loin. Il est faux de vouloir soi-même tout apprendre et tout éprouver. C’est une indiscrétion de la part de l’apôtre que de vouloir avancer pour ainsi dire la main à l’intérieur du mystère divin. Il veut disposer lui-même de sa foi, il ne laisse pas le Seigneur en disposer20.

Et cependant le Seigneur accomplit des miracles. « Il voit que (le) miracle est capable de faire naître la foi et de la maintenir en éveil… Le but des miracles, c’est de détacher les hommes du péché et de les amener à la foi21. Mais Dieu ne veut pas que ses signes, ses miracles ou ses grâces soulèvent l’enthousiasme de la communauté. De celle-ci, il ne veut que la foi et une foi qui inclut avant tout l’aveu de sa propre impuissance. Tout au long de l’histoire de l’Eglise, il y aura des charismes. Ils seront authentiques si celui qui est rempli des dons de Dieu est un signe de Dieu, comme un lieu de grâce et de force où les hommes trouvent la guérison de leur corps ou le courage de continuer leur chemin dans la foi et l’amour22.

Mieux que personne, Marie « sait comment accueillir les mystères de Dieu. Ce n’est que dans la distance d’un profond respect, de l’adoration, de la révérence aimante… qu’il est possible de voir les choses de Dieu ». On ne peut pas se les approprier sans préparation comme on le fait de l’histoire ou de la science ; « l’air des mystères célestes leur est tellement inhérent qu’ils ne sont perceptibles que dans une atmosphère de silence, de prière et de contemplation… C’est pourquoi les chrétiens ne trouvent le véritable accès au monde intérieur du Fils que dans ce silence effacé du cœur de Marie »23.

Il faut du temps pour nouer une amitié, il faut du temps pour entrer dans les vues de Dieu. Rien de ce qui est vraiment humain ne se laisse bousculer. Dans l’amour, l’homme ne se précipite pas simplement sur la femme pour la prendre, on ne conclut pas une amitié en une minute. Le Seigneur a toujours besoin de temps ; même quand il convertit quelqu’un soudainement, même quand il l’appelle tout à coup, il le prépare intérieurement à cet événement et il le prépare ensuite à ce qui va venir après24.

 

                           La transmission de la foi 

La chose la meilleure qu’un homme puisse attendre d’un autre homme ici-bas est qu’il le conduise à Dieu25. La chose la plus haute qu’on puisse offrir à quelqu’un, c’est de lui transmettre la foi26.

Hippolyte de Rome (+ 235) aime Dieu avec passion, il voudrait le servir, il s’offre à lui, il veut faire tout ce que Dieu veut et il voudrait apporter Dieu au monde. Il voudrait opérer lui-même parmi les hommes comme une communion afin que tout homme qui entre en contact avec lui perçoive quelque chose du Seigneur27. « Tu es un homme, un pécheur comme moi, mais ta foi brûlante fait de ton moi une porte ouverte sur Dieu… Tu commets peut-être des fautes, tu n’es pas ‘saint’, mais parce que tu brûles, tes fautes ne me troublent guère ; tu peux me montrer le chemin de l’amour… Le chrétien idéal est celui qui, dans la grâce, est prêt à prendre tout chemin que le Seigneur lui indique. Dans ce oui parfait, il ne livre pas seulement son moi, il abandonne aussi la conscience de son insuffisance. Il sait : tout seul, je n’en sortirai pas. J’ai besoin de soutien28.

« Êtes-vous chrétien ? Que donnez-vous aux hommes que vous aimez le plus ? Le Seigneur, n’est-ce pas ? De lui, vous n’avez sans doute qu’une vague idée. Vous leur donnez votre vague idée. Et vous savez cependant que le cadeau que vous faites est beaucoup plus grand que vous ne pouvez le deviner. Il peut avoir pour vous et pour les autres des répercussions telles que vous n’avez aucune idée de ce que vous avez donné en vérité. Je connais quelqu’un qui une fois peut-être a fait quelque chose comme ça… C’est une affaire tout à fait folle »… Quand on partage le Seigneur avec quelqu’un, on en reçoit toujours une part soi-même. Si je vous offre un gâteau, il est vraisemblable que vous allez le partager avec moi. Bien sûr je ne vous offre pas le gâteau dans l’intention de le manger moi-même. Mais enfin, c’est logique que j’en reçoive une part. Tout comme j’espérais bien que vous accepteriez le gâteau. Et il y aura une joie commune parce qu’on le mangera ensemble29.

Entre deux êtres qui s’aiment, bien des choses demeurent mystérieuses et cachées. S’ils se comprennent l’un l’autre, il y a comme une adaptation réciproque sur un arrière-fond d’incompris. La plus grande part de leur âme demeure justement tournée vers Dieu dans l’amour, et la relation d’une âme à Dieu n’est pas totalement accessible à autrui30.

La transmission de la foi n’est pas la transmission d’une pensée personnelle. Quand on voit vivre un homme qui a des convictions humaines, on peut être impressionné par la force d’âme qui émane de lui ; quand on voit vivre un croyant par contre, on peut être frappé au contraire par la disproportion qui existe entre la force de sa foi et le peu d’apparence de son moi… Pour transmettre la foi, on doit se détourner totalement de soi et conduire à Dieu31. Par ses propres forces, on ne peut pas amener quelqu’un à croire au Seigneur tel qu’il est, on ne peut l’amener qu’à une fausse image du Seigneur. Entre le désir de convertir quelqu’un au Seigneur et le désir de le convertir à soi, le passage est souvent imperceptible32.

Quand un chrétien cherche à amener quelqu’un à la foi, il lui montre les vérités de la foi. Si ce chrétien est un mystique, il ne racontera pas à l’autre ses visions pensant ainsi l’amener plus rapidement à la foi. Le disciple peut deviner que son maître possède des expériences de prière dont il peut avoir à peine le pressentiment tant qu’il ne sait pas encore prier lui-même et tant qu’il n’a pas reçu les mêmes grâces. Le maître lui transmettra les vérités de foi communes non sans les relier à son expérience personnelle de la foi ; il ne lui transmettra pas la doctrine comme quelque chose d’abstrait, d’appris dans les livres ; il la lui transmettra comme émanant de son expérience de foi, comme fondée sur des réalités concrètes et précises, dans le cadre de l’enseignement de l’Eglise. C’est ainsi qu’a agi le Fils : la vérité qu’il nous apporte est intimement liée à ce qu’il sait d’expérience comme Homme-Dieu ainsi qu’aux mots et aux idées qu’il utilise pour nous les communiquer. Il ne dit pas : Regardez le Père comme je le regarde. Il trouve dans l’Esprit Saint un langage humain de paraboles et d’expressions susceptibles d’agir sur l’esprit humain33.

On peut bien se douter ici que l’expérience personnelle d’Adrienne n’est pas loin. Personne, au fond, n’est plus qualifié que le mystique pour transmettre la foi, et cependant le mystique est souvent peu considéré de son vivant. Vianney n’est qu’un prêtre parmi les autres dans l’Eglise ; beaucoup le vénèrent mais, officiellement, l’Eglise ne fait rien pour lui, on le tolère plutôt. C’est que l’Eglise a une vie propre qui, même quand elle semble éteinte, est incomparablement plus forte que l’expérience mystique d’un individu34.

 

                L’œuvre de la foi    

                            

                               Plan : Les lis des champs - L'ouverture à la grâce - Les jours ordinaires

                            

 

Dieu s’adapte à tout homme ; quiconque prie, reçoit ; qui cherche, trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Dieu est prêt à recevoir les hommes tels qu’ils sont. Dans un premier temps, ils peuvent rester eux-mêmes ; puis Dieu, qui les reçoit, les formera. Dieu tient compte de la personnalité de chacun, Dieu est libre et assez puissant pour le faire et transformer ensuite les êtres selon sa volonté. Sa vérité, son enseignement, son Église ont de l’espace pour les intellectuels comme pour les simples, pour ceux qui sont accablés comme pour ceux dont la vie est facile. Bien que Dieu soit un, sa volonté d’adaptation est infiniment variée. Les disciples n’ont pas besoin de se risquer à faire rien de surhumain pour être reçus par Dieu ; ils doivent se présenter à lui avec le sentiment qu’ils font par là la chose la plus naturelle du monde. Ils ne doivent pas penser que, pour être de bons chrétiens, ils doivent tout mettre à l’envers, qu’ils doivent se transformer de fond en comble pour se rendre peu à peu dignes de Dieu. Dieu s’occupera lui-même de la dignité. Il leur suffit de venir. Ils doivent rester simples, mais ils doivent aussi savoir que, dans la simplicité, toutes les voies sont ouvertes35.

 

 

                 Les lis des champs 

Les lis des champs ne peinent ni ne filent, et ils sont plus magnifiques que Salomon. Leur beauté croît chaque jour. Ils prennent tout ce qui leur est offert. Ils sont des témoins de la gloire de Dieu. Et ils en témoignent en étant simplement ce qu’ils doivent être : des lis magnifiques qui n’ont pas besoin de se faire du souci pour leur croissance. De même les disciples doivent être ce qu’on attend d’eux et tout leur travail doit consister à demeurer dans cet état. Et comme ils sont hommes et qu’ils ont à lutter contre beaucoup de tentations, ce travail suffira à remplir leur vie. Comme les lis, nous devons recevoir ce qui nous est donné et notre travail consiste à continuer à recevoir. Le Seigneur sait que c’est lui qui nous apporte toute la gloire du Père et quand il nous invite à participer avec lui à la glorification du Père, c’est pour nous conduire à la gloire qu’il a en vue pour nous. Nous devons devenir des lis dans le royaume de Dieu. Dieu se réjouit de ses lis, et le Fils s’en réjouit avec lui ; et cette joie de Dieu suffit aux lis. Notre joie véritable et unique doit être la joie que Dieu trouve en nous : il doit nous suffire d’être tels que Dieu nous veut. Notre travail consiste à croître comme les lis, comme Dieu en a décidé. Certes nous devons travailler. Mais notre travail consiste à faire la volonté de Dieu et, ce faisant, nous sommes tels que Dieu nous veut. Les lis des champs ne durent qu’un instant : le Père se sert de ces lis pour permettre au Fils de donner un enseignement à ses disciples. Les lis passent parce qu’il n’était pas dans l’intention de Dieu de les faire durer, le Fils veut montrer à ses disciples que la vie qu’eux-mêmes reçoivent de Dieu est beaucoup plus grande, intemporelle, éternelle36.

Pour le Seigneur, tous les croyants sont des petits parce que la foi inclut un renoncement à toute fausse maturité. Le faux adulte s’imagine être en possession d’une maturité qui lui permettrait de mener sa vie selon son bon plaisir. Le croyant, par contre, sait qu’il doit essayer de marcher sur le chemin que le Seigneur lui indique sans chercher à être plus malin que lui. La fausse maturité se vante d’une fausse liberté qui ne veut pas de Dieu ; la liberté que Dieu nous donne est la liberté du Fils de l’homme qui consiste à faire la volonté du Père. A l’intérieur de cette volonté, nous sommes parfaitement libres. Dès que notre foi, notre amour, notre espérance appartiennent totalement au Seigneur, nous sommes des petits qui reconnaissent quelqu’un de plus grand qu’eux. Et plus nous voyons la grandeur du Seigneur, plus nous voyons que nous sommes des petits. Nous sommes des enfants de Dieu comme l’enfant que le Seigneur a pris dans ses bras et qu’il a placé au milieu de ses disciples37.

Les enfants ne savent pas tout. On ne sait jamais tout à fait à quoi on s’expose en s’engageant dans le mariage ou dans l’état religieux, en se faisant baptiser ou en se convertissant. Il en est ainsi de toute obéissance38. Nous ne connaissons pas l’heure de Dieu. Le Seigneur nous commande la vigilance. Veiller demande une ascèse. Dans la veille, on lutte contre le sommeil afin d’avoir du temps pour le Seigneur et on renonce aussi à une part de son bien-être. Veiller, c’est être prêt à entendre la voix du Seigneur, et la meilleure ascèse est de prendre sur soi ce dont le Seigneur nous a chargés. Veiller, c’est en toutes choses – dans le travail, dans la détente, avant tout dans nos paroles – être tels que notre conversation avec le Seigneur ne s’interrompe pas39.

A douze ans, Jésus n’a rien expliqué d’avance à ses parents. L’obéissance au Père était pour lui trop immédiate. « De toute façon ils n’auraient pas compris » et « ils ne doivent pas encore comprendre. Bien qu’ils soient ses parents, qu’ils aient les devoirs et les droits des parents, il faut pourtant qu’à ce moment précis ils soient traités comme des chrétiens ordinaires. Nul chrétien n’échappera à ce choc entre l’Etre-toujours-plus-grand de Dieu et l’obéissance aveugle de l’homme qu’il implique et exige. Les parents du Christ doivent eux-mêmes dès à présent rencontrer dans leur fils la présence cachée des mystères insondables de Dieu »40.

Qui a une foi pleine ne fait plus obstacle aux desseins de Dieu sur lui41. Le vent et la tempête obéissent à la voix du Seigneur. Ils obéissent aveuglément. « Je ne dis pas que toute obéissance doive être aveugle ou que l’obéissance aveugle est la meilleure. La meilleure obéissance est celle qu’on nous demande présentement. Le Seigneur nous éduque de telle sorte qu’il puisse exiger subitement de nous quelque chose que nous ne comprenons pas. Et si cela nous semble trop dur, pensons à la tempête et à la mer ; il y a une chose dont on peut être sûr : c’est sa voix qui nous demande cela42.

Dans le contrat avec Dieu, il n’y a pas de clauses de réserves. Et si, intérieurement, on en mettait, le Seigneur se chargera de nous faire sentir et savoir que tout contrat avec lui débouche sur l’infini et qu’il est fatal que nous ayons à perdre pied à un moment ou à un autre, que nous ayons l’impression qu’on nous en demande trop. Avec le temps, nous comprendrons qu’il est raisonnablement impossible d’imposer au Seigneur des conditions, de limiter la durée de notre service, de mesurer le don de nous-mêmes. Le Seigneur veut tout : le don tout entier de nous-mêmes et notre temps tout entier43.

Le Seigneur nous invite à la vie éternelle. Mais cette invitation nous place devant un choix. Il y a la porte étroite et la voie spacieuse. Sur la voie spacieuse, on emmène avec soi toutes les possibilités de la vie et on choisit de les garder toutes : Dieu et Mammon, le bien et le mal ; mais cela ne mène nulle part : le but poursuivi ne cesse de reculer, le temps lui-même se fait pesant et stagnant. Sur la voie étroite, on ne risque pas de ne pas trouver la porte, et la porte c’est le Seigneur. Mais la porte et la voie qui conduisent à la vie sont si étroites, si peu spectaculaires, qu’il faut chercher pour les trouver. Le Seigneur se trouve à l’entrée de la porte et c’est lui qui l’ouvre. Qui ne cherche pas passera devant sans la remarquer. Tout le but du chemin est de conduire au ciel ; il n’a d’autre issue que la vie éternelle qui est la vie du Père, du Fils et de l’Esprit. Le Père, le Fils et l’Esprit sont si comblants qu’ils sont toute la vie et il n’y a en eux aucune place pour autre chose que la vie éternelle. Alors je ne désire plus la vie éternelle pour moi, je voudrais seulement que se réalise le désir de la vie éternelle que Dieu m’a donné. Non pas en moi ni par moi, mais selon le dessein et la volonté de Dieu. Sur la voie étroite, on ne devrait plus avoir de place pour des réflexions sur soi-même. Qui aime l’amour de Dieu et la vie éternelle de Dieu et voit là sa mission marche en toute sécurité44.

Quand Lazare sort vivant du tombeau à la voix du Seigneur, il fait ce que nous faisons tous quand nous obéissons : il laisse la force de la Parole de Dieu être plus forte que lui-même ; dans cette force, il sort du tombeau45.

Il n’y a pas de ruptures dans la surnature. Le plan de Dieu se déroule dans l’espace de la durée éternelle. En comparaison, les projets de l’homme sont toujours à court terme : ils sont toujours limités aux possibilités humaines et menacés par ce que l’homme appelle les coups du destin. Le croyant, lui aussi, dresse des plans, mais il ajoute la clause : s’il plaît à Dieu ; il élabore des projets, mais il inscrit ceux-ci dans le cadre du plan de Dieu, il se laisse mettre par Dieu où Dieu le veut pour faire ce que Dieu exige de lui. Il sait que ce qu’il fait n’est pas un début ; le début est en Dieu ; le croyant s’inscrit dans une tradition ; ce qu’il entreprend, n’importe lequel de ses frères pourrait, en soi, le poursuivre. Sa vie s’écoule comme une prière : il en laisse à Dieu la conformation, ce qui ne veut pas dire qu’il renonce à penser et à prévoir. Le croyant qui s’est mis à la suite du Fils ne connaît pas plus que lui l’heure de Dieu ; cela inclut pour lui de renoncer à diriger lui-même les événements de chaque jour, mais cela le fait participer à la vie éternelle de Dieu. Il y a des discontinuités dans la réalisation des projets d’une génération à l’autre. Qui entre dans les projets de Dieu est assuré de la continuité. Le Dieu éternel ne bouleverse pas ses projets, et aucune main humaine ne peut détruire les relations qu’il entretient avec le monde. Ce qui pour le non-croyant est accident est inclus en Dieu dans sa providence, et l’homme n’a pas la possibilité de la contraindre à modifier son cours. La nature est sans cesse exposée à des ruptures, il n’y a pas de ruptures dans la surnature46.

Le saint est celui qui se laisse faire par Dieu lui-même. Tout son travail et toute son humilité consistent à ne pas opposer de résistance à l’œuvre du Seigneur en lui, à lui permettre de lui donner ce qui lui semble bon. C’est ainsi qu’il imite l’Eglise céleste parée pour son Epoux ; la sainteté consiste à se parer éternellement pour Dieu Trinité de même que la vie du Fils a été une preuve incessamment renouvelée de son amour du Père, une certaine manière de se parer pour le Père. La sainteté vient toujours de Dieu et retourne à lui. Elle est la voie que le Fils a tracée d’avance du Père au Père. En la donnant à ses élus, le Fils donne ce qui lui est le plus propre, ce qui a marqué sa vie terrestre : une attente de Dieu donnée par Dieu47.

Si j’ai vraiment confiance en quelqu’un, il ne peut jamais me prendre en défaut. J’ai avec lui une sorte d’intimité qui n’est pas fixée par moi mais par lui, parce que j’ai confiance. Il peut venir et s’en aller, il sait qu’il est toujours attendu et qu’à aucune minute je ne fais jamais rien dont il serait exclu. Naturellement dans ma profession ou ailleurs je peux faire des choses qu’il ne comprend pas. Mais ça n’a pas d’importance. Il ne peut pas me surprendre. Et comme ça, je sais : il me prend comme je suis. Il m’impose peut-être certaines exigences pour m’introduire moi aussi dans la confiance, pour pouvoir accomplir un devoir qu’il a à mon égard. Il se peut que j’aie commencé quelque chose parce que je ne savais pas qu’il allait venir maintenant, et je dois terminer ce que j’ai commencé : il doit attendre un instant. Et cependant mon âme est prête à le recevoir. Ce n’était que des motifs extérieurs qui me demandaient de terminer mon travail. Il est évident pour lui qu’il est le bienvenu quand même. Et s’il veut aussi ma confiance, il me donnera également quelque chose de son intimité, il apprendra à être ouvert avec moi. Si c’est un homme et moi une femme, il sera peut-être plus difficile pour lui que pour moi d’être totalement ouvert. Il se peut qu’il soit plus dérangé par ma présence inattendue que moi par la sienne. Et maintenant si l’autre c’est le Seigneur et que je suis croyant, je dois d’abord apprendre à marcher sous son regard et à n’être jamais dérangé par lui, c’est-à-dire que je dois toujours être prêt à faire ce qu’il veut. Le Seigneur répond à cette attitude en donnant son intimité. Et celle-ci est infiniment plus variée que celle d’un être humain. Il peut donner à quelqu’un sa croix, son angoisse, sa nuit. Afin qu’on soit toujours avec lui. Et afin que notre disponibilité à certaines choses nous conduise à la disponibilité à toutes choses. Vous comprenez ?48.

Cependant ma liberté est si grande qu’elle est capable de réduire à néant la volonté de Dieu49. Tout péché est une non-réponse à un appel. Le jugement (dernier) nous permettra de nous voir avec les yeux de Dieu, de voir toutes nos lacunes, tout le vide qu’il y a en nous, toutes les fois où nous n’avons pas répondu à un appel de la grâce. Le jugement, c’est le péché à la lumière de l’objectivité de Dieu : l’homme devra comparer ce qu’il a fait avec ce qu’il aurait dû faire. Le jugement sera de voir ce qui manque, la grâce refusée. Dans la confession, on ne voit jamais toute la portée de son péché. Au jugement dernier, Dieu ne peut épargner à personne de voir ce qu’il n’a pas vu autrefois50. Tout refus de la grâce est une espèce de suicide, parce que la vie c’est l’acceptation joyeuse de toutes les grâces que Dieu offre par lui-même, par le Christ, par l’Eglise51.

Est péché tout ce qui ne se fait pas en direction de Dieu, tout ce qui dans ma vie ne peut pas être mis en relation avec la volonté de Dieu. Par exemple, si je vais en vacances, c’est dans le but de pouvoir mieux travailler ensuite pour Dieu. Je ne vais pas en vacances simplement pour jouir de vacances, pour prendre pour moi-même une détente dont j’ai peut-être besoin : avec cette attitude, je serais déjà d’une certaine manière dans le péché. Des vacances peuvent être extérieurement semblables : les unes seront chrétiennes, les autres seront des vacances de péché ; d’un côté je cherche Dieu, de l’autre je me cherche moi-même52.

Si nous n’avions pas péché, nous aurions gardé le sens de l’absolu53. On parle trop légèrement de « petits péchés » ; peut-être nous vantons-nous de ne pas en avoir commis de grands. Et nous ne réfléchissons pas au poids inimaginablement lourd pour le Seigneur de tous les péchés véniels du monde. C’est pourquoi il faudrait se garder de dire qu’on n’a commis aucun péché grave54.

Si on est tiède, Satan également est tiède ; mais si on commence à s’intéresser à Dieu, le diable aussi se réveille et commence à s’occuper de nous. « Le tiède est plus près de Satan que celui qui s’est éveillé. Pour le tiède, le diable n’a pas besoin de s’agiter. Il a le temps d’attendre, il est sûr de sa propriété… La plus grande efficacité du diable se déploie là où l’on ne croit pas en lui, chez les tièdes et les blasés. Celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas non plus au diable ; et ainsi toute lutte s’avère inutile55.

Ce sont là des réflexions que l’on trouve dans toute la littérature spirituelle. Adrienne note aussi, dans son commentaire de l’Epître aux Ephésiens, que des saints ont été sensibles, jusqu’à en être mal à l’aise, à la puanteur du diable, du péché56. Il faudrait parcourir les trois tomes du Journal d’Adrienne pour voir plus précisément ce qu’elle en a subi et ce qu’elle en savait.

 

                         L’ouverture à la grâce 

« Les esprits impurs se prosternaient devant lui et s’écriaient : Tu es le Fils de Dieu. Mais il les menaçaient pour qu’ils ne le fassent pas connaître ». Les esprits impurs ne peuvent pas se taire. Ce n’est pas qu’ils entendent louer le Seigneur : ils veulent manifester leur intelligence. Une connaissance purement théorique de Dieu ne conduit jamais à la reconnaissance du Dieu vivant et de son Fils vivant qu’il a envoyé dans le monde. Le Dieu ainsi conçu serait un faux Dieu, une ombre, un cadre vide ; et le Seigneur ne veut rien avoir à faire avec tout cela57.

Pour entrer dans la foi de l’Eglise, il faut se laisser juger par elle. Il faut s’abandonner au Seigneur, non jouer avec lui d’une manière purement théorique. Une foi purement intellectuelle ne suffit pas ; pour atteindre le Seigneur, la foi doit avoir l’amour, elle doit se soumettre à l’amour58. L’obéissance est l’essence et le cœur de la foi59.

« Nous avons prophétisé en ton nom, nous avons chassé des démons en ton nom, nous avons opéré en ton nom quantités de miracles ». Ils ont utilisé le nom du Seigneur pour satisfaire leur désir de renommée ; leur parole n’était que mensonge. Ils se sont approprié ce qui appartient au Seigneur (il n’est pas de miracle, en effet, qui n’ait une origine divine) ; ils ont voulu réduire le Seigneur à n’être qu’une fonction d’eux-mêmes60.

Heureux, par contre, les cœurs purs : ceux qui ont reçu de Dieu la pureté du cœur. Ceux qui ont le cœur pur sont ceux qui ouvrent toujours totalement leur cœur à Dieu pour qu’il voie tout ce qui s’y passe. Dieu voit tout, bien sûr, même ce que l’homme voudrait lui cacher. Mais quand un homme offre son cœur à Dieu, quand il lui montre tout ce qu’il est, il sait que Dieu purifie le cœur qu’il lui tend et que, par là, tout souci de lui-même lui est enlevé. Personne ne reçoit de Dieu un cœur pur pour le garder pour lui-même : il n’est donné par Dieu que pour s’en servir. C’est le Fils de Dieu qui donne à nos cœurs la pureté, et il nous fait don de ce qu’il a lui-même : la vision du Père. Le Fils, qui a le cœur pur, voit sans cesse le Père et, à ceux qui ont le cœur pur, il donne l’assurance qu’eux aussi verront le Père. Le Fils ne veut pas garder jalousement pour lui-même sa vision du Père, il veut nous la communiquer. Il sait que la vision du Père, qui durera toute l’éternité, est ce qu’il peut nous communiquer de plus grand. Et la pureté du cœur qu’il exige de nous est une toute petite chose comparée au don parfait de la vision de Dieu61. « La purification a lieu quand une personne s’abandonne à ce que le Seigneur exige d’elle, même si elle-même ne le comprend pas »62.

Il est impossible de chercher et de reconnaître le Seigneur si on se sent parfait et pleinement satisfait de soi. « Le premier degré de la reconnaissance de Dieu est toujours le sentiment de sa propre insuffisance. Mais celui qui s’avoue pécheur est aussitôt reconnu par le Seigneur et se trouve ainsi habilité à le reconnaître ». L’humiliation demandée est d’ailleurs facilitée par le fait que le Seigneur s’est humilié bien davantage63. « Celui qui penserait ou dirait qu’entre Dieu et lui tout est en ordre, celui-là ne saurait ni ce qu’est Dieu ni ce qu’est l’homme »64.

Là où commence l’amour vrai, le toi entre dans la conscience du moi ; celui-ci s’ouvre et se donne pour que le toi se développe. C’est ce que le moi souhaite. Le moi est même reconnaissant qu’on lui enlève quelque chose si cela peut être essentiel pour le toi. Le moi estime qu’il n’y a pour lui-même rien d’essentiel ; tout ce qu’il a n’a justement de valeur que si cela peut être pris par le toi ; le moi sait alors que le toi devient en lui plus vivant. Il en résulte bien sûr pour le moi une certaine diminution de la conscience de soi. Car ce qu’il reçoit du toi ne lui appartient pas non plus, c’est quelque chose qui est commun aux deux mais qui appartient d’abord au toi. En sa vérité notre être est échange : don et accueil réciproques. Aucune espèce d’équation ne doit être établie entre les deux : c’est un courant qui ne supporte pas qu’on lui impose des limites. Tout échange d’amour qui veut être chrétien doit s’immerger dans l’échange personnel de la Trinité de Dieu : l’échange y est osmose. L’amour créé est invité à participer à l’amour trinitaire, non pas en devenant Dieu, mais en accueillant ce que Dieu veut nous communiquer de lui-même. L’égoïsme peut se glisser également dans nos relations avec Dieu, tout comme dans le mariage. On peut conclure une espèce de pacte avec Dieu dans la prière : je lui fais un peu plaisir et il me rendra service, il me protégera et finalement il m’aidera à gagner le ciel. Mais le ciel de Dieu est un échange d’amour et aucun égoïste ne peut y entrer. Il doit d’abord avoir mis son centre en dehors de lui-même. Plus effacée sera la conscience de soi centrée sur soi, plus le chrétien sera réellement en Dieu65.

Le chrétien ne doit pas avoir les yeux fixés sur lui-même et sur ses impuissances ; la foi doit l’ouvrir sur Dieu et ses possibilités. « Dieu ne cesse de transformer le monde de l’homme, … ce monde possède une plénitude et une diversité incroyables, … jamais deux printemps ne se ressemblent ». Mais l’homme, « par son manque de foi et d’amour, par son indolence morose vis-à-vis de la vie et de ses richesses, peut nuire gravement à soi et à son entourage, alors qu’il aurait la possibilité de l’ennoblir profondément ainsi que lui-même, par sa coopération et par son travail »66.

Chaque jour Dieu fait du nouveau, même dans la vie apparemment la plus monotone : il suffit d’ouvrir les yeux… de la foi. Illusion ? Toujours la foi implique un « moment de renoncement à soi-même pour laisser la place à Dieu ». Personne ne parvient à la foi par la seule discussion, bien que la foi puisse très bien se défendre par la raison. « Mais le christianisme est plus riche que toute raison, si riche qu’il ne peut être cerné par aucun argument ». Qui ne connaît que la raison n’a pas de place en lui pour le Seigneur et pour la foi67.

La Mère du Seigneur, elle, ne cherche jamais quelque chose pour elle-même, quelque chose qu’elle pourrait avoir en propre ; elle est « si indifférente à elle-même qu’elle veut uniquement ce qui lui est donné… Qu’il me soit fait selon ta parole… Dieu exauce son renoncement à elle-même en le prenant au sérieux »68. En disant oui à Dieu, en laissant Dieu agir en elle, en lui cédant la place, Marie « embrasse dans la foi la fécondité infinie que Dieu lui a réservée quand il a décidé l’incarnation de la grâce dans le Fils »69. Si quelqu’un a réellement la foi, s’il vit vraiment dans la proximité du Seigneur, s’il a été touché par la grâce, il devine, il sait, il sent certaines choses ; il s’est ouvert à la grâce comme à une puissance qui, dans l’âme, est plus forte que le moi. La grâce veut être reçue comme ayant dans l’âme tous les droits, elle les revendique tous parce que c’est l’âme tout entière qu’elle veut conduire à Dieu70. Celui qui, devant Dieu, fait des réserves ne connaît rien de la foi, de l’amour et de l’espérance71.

« Ce qui distingue la foi chrétienne d’un autre enrichissement de connaissance et de savoir, c’est qu’elle est vivante et se développe jusqu’à ce qu’elle soit devenue la chose primordiale dans l’homme et que l’homme lui-même soit devenu secondaire ». La personnalité ne disparaît pas pour autant, bien au contraire : elle est libérée d’elle-même « afin de vivre pour l’amour »72.

Il est vrai que, quand on passe de l’incroyance à la foi ou d’une foi tiède à une foi totale qui devient le centre de toute la vie, on passe par une phase d’aliénation. Mais quand la vie sera devenue une vie de foi, « quand l’Esprit du Seigneur aura tout pénétré », alors seulement « on pourra fêter une résurrection dans le Seigneur ». L’existence aura trouvé un sens nouveau. Elle se trouvera insérée dans le mystère de la dépendance totale du Fils par rapport au Père, « dans la possession infinie du Père qui est l’expropriation infinie du Fils et son dépouillement total… La foi chrétienne se tient au milieu entre le Père et le Fils et donc au point le plus vif de Dieu et de sa brûlante prodigalité »73.

Quand un homme, devenu chrétien, commence à aimer le Seigneur, il se trouve soudainement placé devant un amour tout autre que l’amour humain, toujours si menacé : un amour constant, un amour qui ne passe pas, un amour que le Seigneur ne reniera jamais. L’angoisse de pouvoir être un jour repoussé est exclue; s’il peut être question un jour d’infidélité, il ne pourra jamais s’agir que de la sienne… L’homme donc s’expose à cet amour éternel, il se laisse aimer afin d’apprendre lui-même à aimer. Si son amour à lui est inventif, s’il cherche à grandir, à donner de meilleures preuves de son existence, il sait qu’aucun amour n’est plus inventif que celui du Seigneur, que son amour à lui ne peut jamais être plus fécond que lorsqu’il vit de la fécondité du Seigneur, que pour pouvoir donner lui-même il doit commencer par recevoir. Et si, au début de son amour, il se heurte à des limites, il lui faut reconnaître, quand il les rencontre, que ce n’est pas le Seigneur qui les impose : elles n’existent qu’à cause de l’imperfection de son amour pour le Seigneur, parce qu’il a craint d’être pris par le vertige de l’infini74.

Il ne faut pas s’occuper trop longtemps de ses propres fautes, sinon on manquera de temps pour regarder vers Dieu. Le psalmiste demande pardon à Dieu pour des fautes qu’il ne voit pas parfaitement et il confie à Dieu la connaissance exacte de son péché. S’il était accablé par son indignité, il ne pourrait plus louer la gloire de Dieu75.

Dieu peut nous donner un jour une vision claire et amère de nos péchés et de tout ce qui nous empêche d’être vraiment à lui. Mais il ne faut pas traîner constamment ces choses avec nous comme objets de contemplation : elles sont sur le seuil de la contemplation ; après cela, il ne s’agit plus que de Dieu. Au ciel, l’humilité passera par une transformation. Ici-bas l’humilité consiste à reconnaître toujours mieux que nous ne sommes rien et que Dieu est tout. L’humilité céleste ignore le premier aspect de l’humilité terrestre ; au ciel, nous ne reconnaîtrons qu’une chose : que Dieu est tout. Nous n’aurons plus besoin de comparer avec nous. Et il est possible, dès ici-bas, d’accomplir plus ou moins ce passage76.

Si, ici-bas, on dit à un saint qu’il est saint, il ne le croira pas ; ou bien, s’il le croit, cela portera préjudice à sa sainteté. Au ciel, par contre, le saint peut, sans dommage, être conscient de sa sainteté parce que la sainteté qui, ici-bas, était déjà service, le devient au ciel d’une autre manière. Au ciel on doit être conscient de sa sainteté pour être en mesure de l’utiliser pleinement pour le service. Ce qui est impossible sur terre est nécessaire au ciel. Au ciel, il n’y a plus de danger que la conscience de la sainteté soit un préjudice. Non seulement le saint doit y accepter ce don particulier de Dieu, il doit aussi être en mesure de le remercier. Et pour cela, il doit en être conscient. Il n’y a pas pour autant nivellement de la sainteté comme si la conscience d’être un saint était allégée par la pensée que tous sont également saints. Il y a encore des distinctions et des particularités au ciel, mais elles sont manifestes pour tous et elles servent à tous. Ici-bas la mesure de conscience de soi doit être moindre : juste ce qu’il faut pour accomplir sa mission et se donner plus totalement à Dieu77.

 

                           Les jours ordinaires 

A l’instant où la foi se fait jour en moi, ma première réponse à la foi est d’adorer, de remercier, de désirer me donner moi-même à cette foi. Tout de suite il y a un don de tout ce que j’ai, même si je n’ai pas une claire conscience de ce que je possède. Ce premier acte de ma foi essaie pour ainsi dire de faire sourire Dieu. Dans l’amour humain, on sait à peu près comment faire plaisir à celui qu’on aime: avec tel ou tel cadeau, on connaît ses goûts, et la plupart du temps on tombe juste. Mais quand je commence à croire, je ne sais pas ce que Dieu voudrait; dans la gaucherie de ma foi naissante, qui est aussi le début de mon amour pour lui, je lui offre tout ce que je possède: ma prière, mes aptitudes, moi-même. La foi inclut donc toutes les œuvres. Le don de l’amour qui est fait à l’homme avec la foi aimante est la possibilité en lui de réjouir Dieu78.

Tout comme les ‘œuvres’, l’obéissance est « l’expression et la preuve la plus humaine de l’amour. L’amour veut obéir, il ne voudrait faire que la volonté du bien-aimé, sans être pris lui-même en considération. Et cela nullement par ‘abnégation’, par ‘sanctification de soi’, par ‘mortification’ ou par un autre entraînement ascétique, mais par la simple nécessité de l’amour lui-même. Dans toute sa faiblesse, mais entièrement résolu, il s’offre: ‘Fais de moi ce que tu veux!’ Ainsi est l’amour, prêt à tout, disposé à suivre à travers tout, que cela plaise ou non. Il n’a en tête que l’honneur et la gloire du bien-aimé. Il n’a pas d’égards pour lui-même. Il ne pense pas à ce qu’il abandonne et à quoi il renonce, il ne considère pas les difficultés de son entreprise ni ce que les autres font ou disent. Il va son chemin dans la force de l’amour qu’il a reçu… Et il ne demande pas davantage s’il est capable ou non. Au pire des cas, il succombe dans l’accomplissement de sa mission. Qu’importe?79.

« Personne ne peut dire qu’il a étudié la science chrétienne et qu’elle l’a laissé froid. Si c’était le cas, la cause en serait qu’au cours de son étude, il s’est raidi contre la substance des commandements, qu’il y a eu résistance consciente. Cette résistance est la seule chose qui pourrait nous empêcher de comprendre les commandements du seigneur et d’être saisi par eux »80. Adrienne n’y va pas par quatre chemins: la puissance de la révélation de Dieu est telle qu’il faut se fermer volontairement les yeux à un moment ou à un autre pour ne pas y adhérer. La foi et les commandements, c’est tout un; la foi et les œuvres, c’est tout un; on peut refuser la foi simplement parce qu’on voit trop bien qu’elle est intimement liée à des commandements, à des œuvres dont on ne veut pas.

Le Fils a traduit dans l’acte de sa vie la volonté du Père; il ne s’en est jamais séparé. La Passion est le sommet de son œuvre parce qu’il n’y est plus qu’instrument; il ne se contente plus de faire, il se laisse faire: que ta volonté soit faite. La ‘foi’ du Fils devient tout à fait aveugle, il fait confiance au Père aveuglément. Alors même qu’il pense qu’il ne pourra plus porter le poids de la Passion, le Fils continue à le porter parce qu’il est devenu le pur porteur de la volonté divine. Auparavant il y avait comme deux volontés qui se corroboraient réciproquement: chacune des deux faisait la volonté de l’autre. Maintenant la volonté du Fils est que seule la volonté du Père se fasse. Toute la volonté du Fils est comme absorbée par la seule volonté du Père. Tel est le ‘service’ du Fils. C’est ainsi que son œuvre triomphe parce que, quand le Fils n’agit plus, le Père accomplit en lui toute sa volonté et il opère tout ce qu’il veut81.

La foi est impossible sans les œuvres. Dès que je crois, je sais que ce n’est plus moi, c’est Dieu en moi, c’est-à-dire que je dois me tenir à sa disposition. Saisi en même temps par la distance énorme qui me sépare de lui, il n’y a plus qu’une chose que je cherche, espère et souhaite: faire ce qu’il exige de moi. Peu importe pour l’instant ce qu’est cette exigence; que ce soit ce que j’aime, ce que j’ai toujours fait, ce que je fais à contrecœur, ce que j’estime impossible: le Seigneur est en mesure de tout me donner ou de tout m’enlever et de m’enlever même d’y comprendre quelque chose. Le point central de la foi est celui où nous rendons à Dieu ce qui nous est propre comme le Fils l’a fait totalement sur la croix. Cette ‘indifférence’, je ne puis l’atteindre par la seule réflexion, elle fait partie du don de l’amour et n’est compréhensible que dans l’amour. A cet instant, l’impossible est tellement devenu possible qu’en dépit de tous les combats, il n’y a plus de combat. Je me déclare vaincu82.

Le christianisme est une confession qui exige la foi et donc « l’abandon à un infini qu’on ne peut embrasser du regard ». Il y aura toujours des hommes qui, au dernier moment, refuseront la foi parce qu’ils veulent continuer à diriger leur vie eux-mêmes. Ils redoutent au fond l’amour vivant qui est au cœur du christianisme. « Ils ressemblent à ces femmes qui, tant qu’elles sont dans leur âge de fécondité, ne peuvent se décider à se marier. Se donner, oui peut-être elles le feraient, mais les conséquences, c’est-à-dire l’enfant, elles n’en veulent pas »83.

Toute religion a ses malfaçons. Même après avoir cru un jour vraiment en Dieu, l’homme est toujours capable de se fabriquer un autre Dieu: le Dieu de son caprice, de son auto-adoration. « Même dans l’Église, on peut arriver au point qu’intérieurement toute la vie religieuse d’un chrétien soit étouffée, écrasée, vidée par l’absence totale d’engagement, et que cette absence de vie soit comblée par des lois fausses ou de sa propre invention »84. Dieu mesure les vertus (et les mérites) de chacun à une aune connue de lui seul85.

Comment avoir une relation juste à Dieu? Il y a une manière de réduire le Seigneur à notre format humain, même dans notre méditation et dans notre prière. Il n’est pas facile de mettre en relation quotidien et Trinité. Et cependant le Christ lui-même a vécu dans une ouverture continuelle au Père et à l’Esprit, et il nous a invités à l’imiter. La solution consiste à renoncer vraiment à soi-même sans trop réfléchir à tout ce que nous faisons et sans nous regarder pour ainsi dire dans la glace (soi-disant pour le Seigneur). Le Christ et sa mère acceptent les humiliations pour ce qu’elles sont. Ils les reçoivent dans l’obéissance comme elles doivent être vécues. Sans les minimiser ni les majorer, ni avec enthousiasme, ni l’âme en tumulte. Ils laissent aux choses de la vie de tous les jours le sens que Dieu leur donne. Ce n’est qu’ainsi que le quotidien peut être vécu en Dieu, que dans les petites choses peut-être on peut faire l’expérience de Dieu Trinité tel qu’il est et non tel que je me le représente. Il se peut fort bien que nombre d’éléments de la vie de tous les jours doivent être accueillis simplement, tels qu’ils se présentent, sans pieuses déformations visant à les mettre à tout prix, d’une manière artificielle, en relation avec le Seigneur. « Seul ce qui est abordé d’une manière humainement vraie peut aussi procurer une relation vraie à Dieu. Ce n’est pas facile »86. Et cependant le jour ordinaire le plus gris se trouve au centre de l’Eglise et doit y être vécu87.

« Le Seigneur, lui aussi, a vu venir le quotidien avec sa petitesse ». Il ne l’a pas mis de côté, « il l’a accueilli afin de pouvoir – à cette minute même – le reprendre comme sien »88. Quand le Fils monte au ciel le jour de l’Ascension, les disciples le voient disparaître dans la nuée; c’est comme une apparition naturelle. Mais ils comprennent ce qu’elle signifie: le ciel de l’éternité, le retour au Père, la vie dans la vie éternelle de Dieu. Eux-mêmes restent sur terre et tout ce qu’ils savent demeure incomplet. Mais il y a une chose qu’ils ont reconnue: c’est l’attitude du ciel vis-à-vis de la terre, la générosité du Père qui a donné son Fils au monde par amour. Et l’espérance nouvelle qui leur a été donnée porte désormais toute choses: c’est elle qui rend leur foi et leur amour dignes d’être vécus chrétiennement; aucun de leurs actes de foi ou d’amour ne peut plus désormais reposer sur lui-même, mais par l’espérance il lui est possible d’être totalement ouvert à Dieu. Il en est de même pour toute œuvre, pour tout acte de la vie chrétienne: ils font partie de la vision éternelle, ils sont assumés par elle, ils préparent le chemin vers elle89.

Tout acte, mais aussi toute parole du chrétien a quelque chose à voir avec le Seigneur. Dieu est tellement en nous qu’il veut donner au mot humain le plus simple la force de sa propre parole90. La présence en nous du Seigneur eucharistique crée entre lui et nous une transparence réciproque. Toutes nos paroles, « qu’elles soient dites à voix basse ou à voix haute, ou même uniquement pensées, ne se rapportent plus uniquement à nous », elles s’adressent aussi à lui91. Même nos paroles les plus profanes ne sont plus neutres: elles ont un rapport au Seigneur. Si le Fils est la Parole du Père, l’unique Parole que le Père lui-même a dite, alors, nous chrétiens, nous devons dire chacune des paroles que nous prononçons de telle manière qu’elle puisse retourner dans la vérité de l’unique Parole. Nous ne comprendrons pas le sens plein de chaque parole, mais nous devrions essayer de le faire. En entendant notre parole, Dieu peut lui donner le complément dont elle a besoin pour qu’elle reçoive le sens de la vérité éternelle. En acclamant Jésus: ‘Salut, roi des juifs!’, les soldats ne pensaient pas si bien dire92.

A l’existence insensée du possédé de Gérasa, Adrienne oppose l’existence du chrétien, dans laquelle il n’y aurait de place que pour ce qui est parfaitement sensé: elle consisterait à s’occuper sans cesse du Seigneur. « C’est la grâce que nous lui demandons ». Dans les périodes où nous prions beaucoup, nous prions en quelque sorte aussi durant le sommeil. Si, le soir, nous nous endormons en pensant au Seigneur ou à sa Mère, le matin nous nous réveillons le plus souvent en pensant encore à eux. Cela nous montre que notre sommeil aussi était dans la main de Dieu, que nous pouvons nous reposer tranquillement parce que Dieu veille sur nous, parce que, dans la pause de la détente et du sommeil, il nous donne de commencer le jour qui vient avec un nouvel amour pour lui. Nous devrions être tellement pris par les pensées chrétiennes et par l’amour du Seigneur que toutes nos journées se déroulent dans cette lumière93.

 

            Nuit et lumière

                      Plan : La lumière - La nuit                 

 

                                    La lumière 

Dieu exige de l’homme la foi; et celle-ci ne peut être limitée intérieurement par la nature humaine; de soi, elle est surnaturelle et l’homme naturel l’atteint et la possède d’une manière surnaturelle. Malgré sa nature, et peut-être justement à cause de sa nature avec laquelle elle doit lutter depuis le péché originel, l’homme est en mesure, par la grâce, de rester ouvert à la grâce; en croyant, en aimant, en priant, il est capable de mener une authentique vie surnaturelle. La foi, qui est fondée sur son état d’enfant de Dieu, le rend capable de faire l’expérience de Dieu, de comprendre sa parole dans la prière, de percevoir ses exigences divines même quand il ne peut encore les expliquer en détail, et d’adapter son moi créé tout entier à l’obéissance surnaturelle. La foi crée en l’homme des espaces nouveaux, plus que naturels, pour rencontrer Dieu. C’est pourquoi on pourrait dire qu’il est ‘naturel’ pour l’homme de percevoir le surnaturel, parce qu’il est également ‘naturel’ que Dieu, quand il impose à l’homme des exigences surnaturelles, lui donne aussi un champ de conscience où celui-ci peut le rencontrer et lui répondre d’une manière digne de l’homme. D’où les consolations dans la prière, la certitude d’être entendu de Dieu, un certain sentiment de la présence de Dieu avec qui parle l’orant. Ce sont là des preuves surnaturelles de l’existence de Dieu, des preuves qu’on peut lui parler et qu’il peut nous répondre94.

Maintes personnes ont un jour entendu ou vu quelque chose de Dieu, mais il n’y a pas eu de suite. Il y avait peut-être là quelque chose d’important. Mais le bénéficiaire ne s’est pas mis suffisamment à la disposition de Dieu. Comprendre quelque chose de Dieu oblige au don de soi-même. Si on perçoit quelque chose sans se donner pleinement, il n’y a pas de fécondité. Bien sûr il y a aussi de fausses compréhensions. Mais il y a ce que Dieu fait de toute manière, que nous écoutions ou non: Dieu parle, l’Esprit parle; mais si celui à qui Dieu s’adresse se ferme, il n’entendra rien… Beaucoup plus de personnes pourraient l’entendre si seulement elles le voulaient. C’est un préjugé de penser que très peu de personnes seulement pourraient l’entendre95.

Le Père, le Fils et l’Esprit nous communiquent la lumière trinitaire de Dieu. Chaque jour et à chaque instant, nous pouvons être illuminés par sa plénitude. Il y a là tant de lumière que même la vie terrestre la plus longue ne suffit pas pour la recevoir tout entière. Cette lumière continue son chemin dans la vie éternelle, dans la vie de la Trinité, dans la vie à laquelle nous sommes invités au ciel; et, dans la vie éternelle, elle ne cesse de rayonner. Mais notre péché affaiblit notre capacité de recevoir la lumière. Ou bien on ne la voit plus ou bien on la voit autrement qu’elle est ou bien on la voit, mais on ferme les yeux le plus vite possible pour ne pas être obligé de la voir parce qu’elle est incompatible avec notre péché. En nous créant, Dieu le Père nous a donné des yeux, il nous a donné la foi qui est un sens pour le percevoir. Le péché a transformé l’œil spirituel de l’homme; le péché a précipité l’homme dans les ténèbres et quand il reçoit maintenant à nouveau la grâce de la foi, il doit lutter pour demeurer dans la lumière. Infatigablement la grâce ne cesse de révéler le Père, le Fils et l’Esprit. La lumière a le pouvoir de nous rendre présente à tout instant l’absolue actualité de Dieu, de nous la faire entrer pour ainsi dire dans la tête, d’en faire autre chose qu’un simple souvenir ou une proposition purement théorique. Il suffit de se mettre en contact avec la lumière divine par la prière, la lecture de l’Ecriture ou toute autre trace de Dieu dans le monde pour être aussitôt atteint d’une manière directe par la lumière de la vérité. Et l’on sait inexorablement alors qu’il faut accorder toute son existence à cette lumière96.

Nous ne pouvons pas nous représenter comment Dieu le Père, le Fils et l’Esprit se comportent d’eux-mêmes à l’égard du monde. En tant que croyants, il nous est possible de croire aux mystères de Dieu et de les tenir pour vrais. Mais si Dieu le veut, il peut accorder à un homme une lumière tout à fait subite sur ces mystères: comment Dieu se conduit vis-à-vis de l’homme et non seulement comment l’homme vit pour Dieu. Ce que Dieu est en lui-même est, pour la créature, si extraordinaire qu’elle n’a pas la possibilité de l’enfermer dans des concepts et des mots limités. Ce n’est que d’une manière indirecte qu’elle peut recevoir et transmettre quelque chose de la lumière que Dieu veut bien lui communiquer97.

La foi permet au croyant de voir ce que le non-croyant ou quelqu’un de moins croyant ne verrait pas. Jean voit la Ville sainte, la nouvelle Jérusalem, descendre du ciel d’auprès de Dieu. Elle descend maintenant d’auprès de Dieu: elle est sainte par Dieu, par l’Esprit de sainteté de Dieu qui est un Esprit un et trine. Pour voir cela, Jean doit avoir été rempli lui-même de cet Esprit de sainteté de Dieu jusqu’à correspondre à l’objet qu’il voit. Celui qui verrait le même objet sans le même Esprit n’aurait pas ressenti comme lui la sainteté de la Ville venant de Dieu98.

Pour celui qui est sans péché, tout le contenu de sa foi devient concret et proche; il s’y trouve introduit, bien qu’en même temps tout devienne inconcevablement grand. Par contre plus le péché de l’homme est bas, plus il empêche la vision spirituelle: tout devient abstrait et lointain99.

La foi d’Abraham était si solide qu’elle possédait la force d’un savoir. Il possédait la certitude que sa foi contenait Dieu, il s’est laissé conduire par elle comme par Dieu lui-même. Il n’a ni hésité ni douté. Et quand il s’est mis en route pour offrir son fils, ce n’est pas en lui-même qu’il a trouvé la force, mais dans sa foi, en Dieu. La grandeur du sacrifice qu’on lui demandait était pour lui la garantie que c’était Dieu qui le voulait. Ce qu’il a à faire au nom de Dieu, justement parce qu’il croit, il le fait sans vouloir mettre de réserves. Ce qu’il veut par-dessus tout, c’est accomplir la volonté de Dieu: peu importe l’œuvre précise qui lui sera demandée. Il sait ce qu’il souffre, mais il sait encore beaucoup plus ce que Dieu attend de lui. Il n’opère pas de calculs entre ce qu’il perd et la volonté de Dieu, il offre purement et simplement ce qu’il doit offrir avec une virilité qui est totalement portée par sa foi100.

Abraham comprend sans comprendre. Comme Marie, il a dit oui d’avance. Parce que Marie a dit oui d’avance à Dieu, toute sa vie reçoit un sens. Son oui, qui l’accompagne à chaque instant de son existence, « éclaire chaque tournant de sa vie, confère à chaque situation son sens plénier et (lui) donne… dans toutes les circonstances la grâce toujours neuve de comprendre101.

Le Seigneur apparaît aux disciples le soir de Pâques, toutes portes étant closes. Celui qui dit dans la foi: ‘Seigneur, reste avec nous’ se trouve dans la grâce de l’expérience des apôtres. Le plus petit acte d’adoration véritable fait toucher Dieu. Toutes les possibilités de la foi, depuis l’absence totale de vision jusqu’à la vision parfaite, se déploient à partir de cette salle aux portes closes. Qu’on soit voyant ou non est secondaire par rapport à la réalité primordiale qui est celle-ci: dans la foi, Dieu se tient à notre disposition, il vient à nous, il se manifeste à nous, que nous le voyions ou non. Et cependant « une vie chrétienne peut très bien se dérouler entièrement dans la foi aveugle ». Tout entraînement à essayer d’expérimenter l’au-delà est faux, tout désir déjà même de l’expérimenter: il dépend uniquement de la grâce du Seigneur de l’accorder102.

Tout ce que nous faisons ici-bas, nous le faisons devant la cour des saints. Il est possible de réaliser soudainement que tous sont là. Cette expérience peut être variée: elle peut être claire vision que le ciel est présent, elle peut aussi consister simplement à le savoir. Mais pour celui qui un jour a vu, ce savoir a une autre nuance que pour celui qui vit dans la foi nue103. On sait que, pour Adrienne, ce ne fut pas toujours de la foi nue et qu’elle a parfois réellement vécu au milieu de la ‘cour céleste’.

Elle affirme aussi, à propos des trois disciples privilégiés témoins de la transfiguration, qu’il est difficile de devoir continuer à vivre quand on a fait une haute expérience et qu’on doit vivre sans elle. Après la Transfiguration, les disciples restent avec leur Maître. Il est pour eux le même qu’avant, mais ils ont de plus en eux le souvenir de ce qui s’est passé sur la montagne. Ils savent que, s’ils ne comprennent pas mieux le Seigneur, cela dépend d’eux avant tout: ils ne sont pas en mesure de le voir constamment comme le Fils du Père. Un instant, dans la grâce, ils ont pu le voir ainsi, une grâce tout à fait spéciale. Et cependant, maintenant que la grâce de la vision est passée, on ne peut pas dire que toute la grâce soit passée. Ils continuent à vivre dans la grâce, une grâce plus quotidienne, plus petite à leurs yeux, mais une grâce quand même qui leur permet de se souvenir toujours de la grandeur de la grâce dont ils ont fait l’expérience. Que les disciples puissent continuer à vivre avec le Seigneur donne à leur vie quotidienne un autre visage: ce qu’il y a de divin en elle est maintenant pour eux beaucoup plus réel. Ils sont les premiers chrétiens auxquels a été donnée une certaine connaissance du ciel; ils ont vécu quelque chose de semblable à ce qu’ont expérimenté les prophètes. Ils n’ont pas le droit de compter que l’événement se reproduira. Ils doivent au contraire apprendre à être obéissants, à vivre toujours dans l’amour. Ils n’ont pas le droit non plus de se sentir désormais prophètes ou saints. Le Seigneur n’explique pas à ses disciples ce qui s’est passé. Ils doivent s’en tirer tout seuls dans la prière. Dieu leur a fait faire un saut pour lequel ils n’ont pas reçu d’explication. La seule chose qui leur fut dite, c’est l’interdiction d’en parler. Il y a là quelque chose qui se reproduit dans l’Eglise. Il n’est aucune grâce pour laquelle on n’ait quelque chose à payer: un prix imposé par le Seigneur, non par soi-même. Quelle joie ce serait pour les disciples de pouvoir utiliser leur vision dans leur apostolat! Et c’est justement cela qu’ils ne doivent pas faire104.

On ne comprend une œuvre de Dieu que lorsqu’elle est achevée. Il faut laisser mûrir le temps pour comprendre son dessein105.

 

                             La nuit 

Nous sommes et nous demeurons pour Dieu des êtres non nécessaires. Mais le fait même que nous soyons superflus est pour nous le moyen d’entrer dans la compréhension de sa surabondance. Quand nous nous oublions nous-mêmes, nous rencontrons sa grâce et, dans la grâce, le problème du moi n’existe plus, pas plus que le problème de saisir Dieu. Dieu ne veut pas que nous cherchions à le détailler et à le saisir comme on le fait d’un objet terrestre. Il ne nous montre de lui que ce qui nous comble, nous unifie, nous clarifie: sa grâce. Et aussi longtemps que l’homme est content de ce que Dieu lui donne de sa vie, il vit en Dieu et de Dieu, et tout est dans l’ordre. Il est alors comme celui qui aime: il est heureux si, chaque jour, celle qu’il aime lui fait don d’une heure et, après cela, il ne demande pas ce qu’elle peut bien faire aux autres heures. Ce n’est que lorsque l’homme commence à calculer et à soupeser ce que Dieu lui donne, quand il cherche à saisir et à dépasser la vie qu’il a en Dieu pour atteindre le secret de la vie éternelle, c’est alors qu’il s’éloigne, malheureux, de la vie106.

Jamais le Seigneur ne nous donne part au ciel sans la croix, mais jamais non plus il ne nous donne part à sa souffrance sans la béatitude, dès ici-bas107. Il n’est pas de nuit de Dieu sans lumière, avant ou après, avant et après. On ne peut pas être disciple sans que la croix fasse quelque part son apparition. On ne suit pas le Seigneur dans une gaieté intérieure et extérieure qui aurait déjà derrière elle tout combat, tout doute et toute fatigue108.

Il n’est pas dit que la Mère du Seigneur « nous conduira toujours sur le chemin le plus facile et le plus agréable. Elle ne peut ni ne doit le faire, car elle doit conduire les hommes au Fils qui a suivi le chemin de la croix et l’a emmenée, elle, avec lui sur ce chemin… Elle ne veut pas donner l’impression d’avoir de meilleures intentions que lui sur les hommes. Elle sait à quel point il a raison en réclamant l’abnégation et l’ascèse. Elle-même a pratiqué l’une et l’autre à la perfection. Tout chemin que ménage la Mère est un chemin de renoncement, de pénitence intérieure et extérieure. Mais du fait qu’on la rencontre sur ce chemin, il perd tout caractère triste et inhumain. Elle nous rend doucement attentifs à la nécessité de la croix, elle nous initie aux mystères de la Passion de son Fils et nous montre combien tous, sans exception, sont des mystères d’amour… Elle nous fait sentir sur le chemin le plus difficile que même l’obscurité est cachée dans l’amour du Fils et pleine de sens »109.

Toute la vie chrétienne a le caractère d’une fête, y compris la croix, et toute la vie chrétienne a un caractère de renoncement, y compris la fête. Cela n’empêche pas que l’Eglise fasse se succéder dans la liturgie les temps de fête et les temps de pénitence110.

Chacun pense volontiers que la croix qu’il porte est plus lourde que celle de son voisin, et il serait tout prêt à faire l’échange. La croix, c’est ce par quoi le Seigneur nous saisit pour nous garder près de lui. C’est justement cette croix qui nous permet de rencontrer le Seigneur. Sommes-nous prêts à dire au Seigneur, aujourd’hui et demain, de faire ce qu’il veut de notre souffrance? Qu’il nous la change, qu’il nous la rende plus lourde ou qu’il nous l’enlève: que ce soit uniquement selon ses désirs et non selon les nôtres. « Demandons au Seigneur qu’en tout ce qui est pénible il nous impose la mesure qui lui semble bonne, la mesure qui lui semble nécessaire et utile et que nous n’avons pas besoin de connaître parfaitement »111.

« On n’atteint pas la croix par l’entendement mais uniquement en renonçant à comprendre… La philosophie et la théologie peuvent bien, d’une manière ou d’une autre, être saisies de la démesure de Dieu, mais seul celui qui croit de façon vivante est véritablement entraîné dans la nuit du Dieu toujours-plus-grand »112.

Marie, la première, a dû apprendre à ne pas comprendre. Ce fut, par exemple, quand le Fils lui a dit: « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être aux affaires de mon Père? ». « L’obéissance au Père est aussi pour la Mère une nouvelle initiation aux mystères de la vie chrétienne ». Elle doit apprendre le mystère de la distance de Dieu. Elle se faisait du souci pour son enfant qu’elle croyait perdu; elle a connu l’angoisse et on lui dit que ce n’est rien, que c’est normal. « Le mystère de cette distance, de sa réalité et de sa nécessité, n’est pas institué ici au temple pour la Mère seule, mais pour toute la chrétienté. C’est un privilège de la Mère de pouvoir la première en faire l’apprentissage ». Mais elle est aussi la première à en souffrir. Un espace infini s’ouvre ici. Le Fils lui-même provoque cette non-compréhension. Il n’explique rien, « il n’indique que la direction, il souligne la distance. La Mère doit en tirer un enseignement réellement nouveau: apprendre à ne pas comprendre… C’est le début de quelque chose qui n’aura pas de fin, … un acte d’ouverture à Dieu tout nouveau », non pas un néant vide, un trou noir, « mais l’occasion d’ouvrir son âme plus largement à Dieu et donc l’occasion d’une fécondité nouvelle »113.

La foi ne peut dominer son objet, elle doit se laisser conduire par Dieu114. Lors de la tempête sur le lac, Jésus demande à ses disciples: « Pourquoi avez-vous si peur? » On a peur quand on ne voit pas tout. Si nous savons que le Seigneur, lui, possède la vue d’ensemble de notre vie, de notre foi, de notre action, nous n’avons plus peur. Nous savons que nous n’avons à demander à personne des renseignements sur les prochaines minutes, sur les prochains jours, les prochaines semaines, les prochaines années: le Seigneur voit tout cela. Il nous donne la foi. Nous n’avons pas besoin d’avoir peur. Crainte et foi ne vont jamais ensemble115.

Les chemins de la grâce du Seigneur demeurent impénétrables. On ne peut jamais déduire une grâce d’une autre grâce. Les chemins de la grâce du Seigneur se moquent de tout système116. Il nous faut apprendre que l’absence du Seigneur est toujours aussi une présence117.

Pierre, qui ne voulait pas se laisser laver les pieds, doit finalement se laisser faire par le Seigneur. Le Seigneur n’explique pas, il affirme au contraire que, pour l’instant, Pierre ne peut comprendre. Pierre doit s’abandonner là où il ne comprend pas. « Il doit se contenter de savoir que le Seigneur le veut ainsi ». Ce sera toujours comme ça dans l’Eglise. « Ce que le Seigneur donne à entendre dépasse toujours ce que l’homme attend, et il faut que celui-ci se laisse dépasser… Il doit tout accepter, se plier, se laisser faire, en se mettant seulement à la disposition du Seigneur ». Il doit se confier au Seigneur « comme un objet ». « Il faut qu’il le fasse avec la ferme conviction que toutes les exigences du Seigneur sont justes, mais que rien en nous ne peut expliquer sa manière d’agir avant qu’il n’estime venu le moment de comprendre. Quand viendra le moment?… Lui seul peut en décider; il peut arriver ici-bas, mais tout aussi bien dans l’au-delà seulement… Bien des choses, dans le destin des individus, resteront toujours obscures et ne s’expliqueront que dans l’au-delà ». Quelqu’un a rencontré le Seigneur, c’est clair. « Mais ce qui résultera de cette rencontre n’est pas clair du tout et ne se dévoilera que par étapes »118.

Il faut s’en remettre à Dieu du sens des choses que l’on a faites ou que l’on doit faire, même si on ne voit plus rien. Il faut accepter de ne pas avoir une vue d’ensemble des choses119. Les sacrements participent à la nuit de la croix: on ne voit pas. Recevoir un sacrement, c’est chaque fois accueillir ce que Dieu donne dans le secret, et la volonté de Dieu n’a pas sa mesure dans le bien-être et le contentement que l’homme peut éprouver120. De lui-même, l’homme ne peut arriver qu’au vide du tombeau le matin de Pâques. Pour aller du tombeau vide au Seigneur vivant, il doit être conduit. C’est Dieu qui décidera de la manière dont on sera conduit. L’homme peut souhaiter pour lui-même que sa foi devienne vivante au tombeau vide, il ne peut souhaiter que cela se fasse par une vision d’anges121.

Il ne faut pas toujours demander des comptes au Seigneur. On ne peut pas toujours voir où on va, où il nous mène. Si on désire quelque chose de toi, donne-le; si on veut t’emprunter, ne fuis pas, sans toujours savoir si on va te rendre, ni ce qui va se passer. Ce que nous savons; c’est que tout ce qui est nôtre ne nous appartient plus mais appartient au Seigneur122.

Celui qui, un jour, a fait l’expérience de la grâce du Seigneur ne devrait pas au fond toujours demander pour lui de nouvelles grâces; ayant reçu une fois la grâce, il doit savoir qu’il se trouve maintenant engagé avec le Seigneur dans une relation dans laquelle il doit laisser au Seigneur seul le soin de lui accorder quelque chose. Dieu doit distribuer ses grâces comme il le veut. Et si Dieu m’a un jour tiré d’une difficulté, cela ne veut pas dire qu’il est obligé de me tirer de toutes les difficultés qui viendront encore. La grâce est gratuite123.

Dieu exige toujours des choses de notre foi. Et on ne sait pas pourquoi et on ne sait pas ce qu’il en fait. C’est mis en dépôt auprès de lui. C’est ça l’œuvre de la foi. C’est comme un peintre qui a un ami qu’il aime beaucoup; il peint pour son ami et il lui offre ses tableaux. Puis son ami lui demande un jour son meilleur pinceau, sans lui dire pourquoi. Il le lui donne en pensant peut-être que c’est une plaisanterie, mais le pinceau ne revient pas et il ne sait pas du tout ce que son ami en a fait. Puis son ami lui demande peut-être d’autres objets, des objets importants, qui semblent indispensables. C’est comme ça avec notre foi: on lui demande toujours quelque chose; quelque chose de nous, quelque chose de nos forces, de notre nature est mis en dépôt auprès du Seigneur124.

Et cependant « la foi n’est pas déçue ». Dieu nous demande quelque chose et nous aussi, nous lui adressons nos requêtes. « Dieu répond toujours à la foi qui demande, même s’il ne le fait pas comme l’attend peut-être humainement le croyant. La foi elle-même ne s’attend à rien de fixe; elle n’attend que la réponse surabondante de la grâce. Ce que celle-ci sera reste toujours imprévisible. La foi n’entend donc pas, dans la réponse de Dieu, ce qu’elle aimerait entendre; la réponse est à la question ce que le vin est à l’eau (aux noces de Cana) »125.

Le Seigneur « sait que tout repose dans la paix du Père » et que le pire qui puisse lui arriver à lui ainsi qu’aux siens « est encore un don de la paix du Père ». La paix du Seigneur est l’opposé de la paix du monde: elle consiste « dans le fait que toute sécurité lui est ôtée…Ils sont livrés à l’incommensurable où toute garantie est supprimée… Nous voudrions toujours posséder une paix pareille à celle du monde, une paix qui protège contre les agressions ». Mais la paix du Seigneur est dangereuse parce que incontrôlable. « Personne ne sait dans quelle aventure la paix du Seigneur va l’entraîner… Le Seigneur n’est pas venu pour réduire Dieu à la mesure humaine, mais pour dilater l’homme à la mesure de Dieu ». Il faut que les disciples se souviennent que leur chemin, qui débouchera sur les ténèbres, « n’est autre que la paix du Seigneur, cette paix qui leur a été promise en même temps que l’Esprit Saint »126.

Il se peut très bien qu’on ait à souffrir jusqu’à la fin, qu’on doive mourir dans l’obscurité et la souffrance, et qu’il ne soit nullement question pour nous de voir les cieux ouverts comme le diacre Etienne sur le point de mourir. « Ça n’a aucune importance, car on s’en remet à Dieu pour la manière dont il veut rencontrer le mourant. Le sens de la foi n’est pas que j’aie une mort facile, mais que j’entre dans la mort comme un vivant, de la manière dont le Seigneur me l’accordera. Peut-être dans l’obscurité, la souffrance et l’angoisse et sans plus rien voir. Mais peut-être aussi dans une dernière communication de la Bonne Nouvelle: Je vois le ciel ouvert127. On sait maintenant, par le ‘Journal’ d’Adrienne et par tout ce qu’a écrit Hans Urs von Balthasar, que la fin d’Adrienne fut très longue, douloureuse et enveloppée de ténèbres, ce qui ne l’empêcha pas de dire tout à fait à la fin: « Que c’est beau de mourir! »128.

 

            L’éternel

                     Plan : Un commencement - Le passage  - L'au-delà
 

                                Un commencement 

« L’heure vient et elle est déjà là, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront, vivront ». Toute grâce est un commencement. A l’instant où le Seigneur fait son apparition dans le monde, tout ce qui va venir est déjà là. Dans l’hostie l’heure vient, mais elle est déjà là; la transsubstantiation vient, mais celui qui vient est déjà là. Dans la foi, tout ce qui est promis est déjà présent. Car le Seigneur, qui était au commencement auprès de Dieu, fait de tout ce qui commence et commencera quelque chose qui recevra sa plénitude. Ce qui, pour nous, est un essai de commencement, le Seigneur en voit l’achèvement. En tout mouvement que nous faisons, en toute respiration, en chaque pas de l’homme, le Seigneur voit un mouvement vers lui et vers le Père. Et toute grâce qu’il nous manifeste est un début et l’ouverture à une grâce plus grande qu’il ne nous est pas nécessaire de comprendre, mais à laquelle nous devons rester ouverts; la grâce reçue est en nous le germe d’une grâce nouvelle à recevoir. La communion d’aujourd’hui ne fait que laisser deviner ce que sera celle de demain129.

Toute lumière sur les choses de la foi, que le Seigneur donne à quelqu’un, toute vision qu’il peut accorder, n’est jamais quelque chose en quoi on pourrait se reposer ou séjourner; c’est toujours le point de départ d’un mouvement infini. Ce qui arrive dans la grâce, c’est un feu qui brûle: il suffit d’une allumette pour l’allumer; si on l’alimente, il peut brûler à l’infini parce que telle est la nature du feu. Un feu terrestre, on peut l’éteindre; le feu divin, qui brûle dans la foi, on ne peut pas l’éteindre parce qu’il contient la vie éternelle. Il est vrai qu’on peut apparemment étouffer la vie, on peut extérieurement bloquer une œuvre de foi ou la détruire, un poste de mission peut mourir, un croyant peut être tué ou emprisonné, mais cela ne touche pas la vie éternelle qui vit dans la foi. Ce qui vit et brûle dans le Seigneur est vie éternelle et feu éternel qui continuent à brûler dans le Seigneur d’une manière vivante. Personne n’est en mesure de dire où ce feu continue à se propager souterrainement. Quand l’œuvre de la foi est détruite extérieurement, le feu de cette foi est toujours à la disposition du Seigneur et il peut l’utiliser et le placer là où il le juge bon. Le sang des martyrs est fécond, d’une manière visible ou invisible; il en est de même pour l’obéissance. Mais l’homme n’est pas autorisé à abandonner, pour cette œuvre invisible, l’œuvre extérieure à laquelle il est attelé130.

Les perspectives chrétiennes se déploient à l’infini; elles ne sont jamais épuisées. Au fil des siècles, beaucoup de point de doctrine ont été formulées avec plus de clarté et de précision; mais, devant Dieu, nous nous trouvons toujours au commencement. Au-delà de tout énoncé, aussi clair soit-il, au-delà de tout concept bien circonscrit, demeurent toujours cachés des concepts plus vastes et plus grands. Les énoncés conceptuels concernant Dieu ne sont aucunement clos sur eux-mêmes: ils ne font jamais que conduire à une foi grandissante qui, au fur et à mesure qu’elle grandit, comprend toujours mieux qu’elle se trouve au commencement131.

« Pourquoi n’avez-vous pas encore la foi? », demande le Seigneur à ses disciples après avoir apaisé la tempête sur le lac. Le Seigneur est plus grand que nous ne le pensons et, à chaque instant, il peut nous donner de nouvelles preuves de sa puissance. Personne ne peut dire qu’il connaît exactement la grandeur de la puissance du Seigneur; si quelqu’un prétendait la connaître, il ne ferait que manifester l’étendue de sa propre impuissance. Il ne suffit pas non plus de dire: Je sais que Dieu est tout-puissant. Que veut dire en effet la toute-puissance? Mais si nous savons que la toute-puissance de Dieu qui est à son service est beaucoup plus grande que tout ce que nous pouvons nous représenter sous le nom de toute-puissance, nous savons que Dieu est celui qui est toujours plus grand, et que notre foi doit s’adapter à cette démesure. Personne n’a la possibilité de dire: Aujourd’hui je crois tant et tant, demain je croirai un peu plus, dans un an beaucoup plus, et dans cinq ans plus encore; ce serait revendiquer le droit d’avoir une vue d’ensemble de sa foi et cela, personne n’est capable de l’avoir. Il nous faut remettre au Seigneur la vue d’ensemble. Mais le Seigneur fait croître la foi comme il l’entend en donnant lui-même au croyant une intelligence des choses de la foi qui provient de la vue d’ensemble qu’il a. L’intelligence des choses de Dieu et la foi en lui grandissent l’une par l’autre parce que le Seigneur ne cesse de se donner toujours davantage au croyant132.

La foi est toujours ouverte à quelque chose qui est au-delà d’elle-même. La foi n’a pas son centre en elle-même mais en Dieu133. Elle doit rester ouverte sur Dieu au-delà de tout ce qu’elle a compris pour recevoir toujours de nouveaux développements. « Aux heures où Dieu se promène dans le paradis, Adam est libre de vivre avec lui et de toujours apprendre quelque chose de nouveau de lui ». L’homme était capable d’entendre la parole du Père et d’y mêler la sienne sans affaiblir la parole de Dieu. Dieu continuait toujours à parler et l’homme était capable de répéter ce qu’il avait dit, et sa foi était toujours capable de s’élargir. Le sens de l’homme s’émousse s’il n’est pas continuellement nourri par le sens de Dieu. Ce que Dieu dit d’illimité, l’homme lui impose aussitôt ses limites. « Sa foi ne croit plus que ce qui, dans la parole de Dieu, lui semble adapté à sa nature humaine. Il établit un certain rapport entre ce que Dieu peut dire et ce que lui peut comprendre. De la sorte, il a enlevé à la parole de Dieu son infinité et à la foi son ouverture »134.

« Ne vous étonnez pas », dit le Seigneur: « Soyez ouverts à ce que vous ne comprenez pas, donnez-moi votre foi comme des enfants, prenez de ma main ce qui vient, prenez ce qui vient, peu importe ce que c’est, prenez-le avec reconnaissance non avec des questions, avec appétit non avec méfiance, soyez prêts à toutes les possibilités, sans les soupeser. Celui qui s’étonne, critique, compare, celui-là s’occupe beaucoup plus de ce qu’il sait déjà, de ce qu’il possède, de ce qu’il a expérimenté, de ce qu’il est, de ce qu’il considère avec son intelligence comme donné une fois pour toutes, plutôt que de ce que Dieu lui offre d’une manière toute nouvelle et essentielle. Celui qui est ouvert à Dieu ne peut s’étonner de rien. Celui qui s’étonne montre qu’il est occupé de lui-même au lieu d’être occupé de Dieu. Celui qui vit en Dieu sait si fort que Dieu dépasse toujours toutes choses et surpasse toute attente qu’on ne peut comparer ce qu’il fait avec ce qui a été. S’étonner, c’est commencer à douter et à ne pas croire, parce que c’est commencer à vouloir avoir raison »135.

Rien de tel pour s’ouvrir à l’infini de Dieu, selon Adrienne, que de fréquenter l’Apocalypse de saint Jean. Elle-même en a ‘composé’ un volumineux commentaire; il n’est pas sûr qu’il existe au monde exégèse plus autorisée de ce livre scellé. Si l’Evangile de Jean décrit la vérité de Dieu dans son apparition parmi les hommes en donnant de nombreux aperçus sur la vérité divine, l’Apocalypse par contre décrit une vérité de Dieu qui est située sur un autre plan auquel Jean n’a accès que par le ravissement. L’Apocalypse est impossible sans l’Evangile. On pourrait vivre au besoin sans l’Apocalypse parce que l’Evangile de Jean le contient déjà de manière inclusive, on ne pourrait se passer de l’Evangile. On peut vivre dans la foi pure, mais personne ne peut vivre que de visions. Cependant l’Apocalypse est une explication de l’Evangile qui fait éclater l’humain dans l’incompréhensible de Dieu, il est l’indispensable complément de l’Evangile pour nous ouvrir à l’infini de Dieu. L’Apocalypse, avec son tourbillon de visions imprévisibles, nous place devant l’immensité de la vérité de Dieu face à toute vérité terrestre. C’est l’expérience que devait faire le disciple bien-aimé pour la transmettre à l’Eglise136.

 

                                Le passage 

Toute la vie du chrétien devrait être vécue de telle manière que la mort devienne un don du mourant à Dieu… Quand le Fils souffre à en mourir, plus il souffre, plus grand est le don qu’il peut offrir au Père avec son corps… Je ne puis pas mourir en tant que chrétien sans que le Seigneur meure avec moi, sans qu’il m’assiste de l’Esprit Saint137.

L’homme porte en lui le sceau de la Trinité. Il ne peut donc se comprendre lui-même que dans et par la Trinité, que s’il situe son être et son origine dans l’origine éternelle de Dieu, que s’il ne met plus son centre en lui-même mais dans le Fils de Dieu, que s’il se laisse consumer au feu de l’amour de l’Esprit Saint. Et chaque fois que la vie de Dieu semble se rétrécir et se limiter, lors de l’Incarnation ou lors de la mort du Fils, c’est toujours pour dépasser toutes les évidences humaines. La vie de Dieu est toujours imprévisible, toujours différente de ce qu’on avait imaginé. Il en est de même pour la fin de l’homme: la limite humaine et la mort de l’homme deviennent des lieux par excellence de l’apparition de la vie éternelle parce que l’éminence infinie de l’origine divine s’y manifeste de manière irrécusable. La destinée de l’homme livrée à elle-même est sans issue, pur malheur, écoulement vers le néant. Mais quand la Trinité se penche vers l’homme, ce qui était le malheur de l’homme devient pour lui la pure béatitude de la connaissance et de l’amour de Dieu qui est pour nous désormais toujours plus grand138.

Le Fils est le chemin qui nous mène vers le Père, mais vient le moment où « l’homme venant du Fils se présente devant le Père, le moment où le Fils nous remet au Père, nus et dépouillés. C’est un moment dangereux, car à cet instant même, nous quittons l’abri du Fils, nous ne sommes plus couverts par lui. Et en ce moment où le Fils nous offre au Père, où il se retire pour nous présenter au Père, le Père nous verra tels que nous sommes… Le Fils ne se tient plus devant nous, mais derrière nous… Le geste par lequel le Fils nous offre au Père est le même geste que celui d’une mère qui présente son enfant. Ce geste, il l’a appris de sa mère. Il nous porte comme sa mère l’a porté… De nous, il désire en ce moment d’abandon que nous soyons pareils à lui dans les bras de sa mère: rien qu’un enfant et confiance absolue. Que nous ne soyons que ce que nous sommes: des enfants de Dieu qui, par la grâce du Fils, retournent chez le Père, sans aucune angoisse, ni devant cette reddition, ni devant la mort, ni devant l’amour. Tout ce que l’on ferait encore dans l’angoisse et le souci de notre salut ne ferait que nous détourner du Seigneur… La seule chose qu’il exige de nous est de nous laisser remettre par lui au Père »139.

 

                                L’au-delà 

Par sa vie dans le temps, le Seigneur donne part à tous les hommes à sa vie au-delà du temps, parce que sa propre vie dans le temps est empruntée à l’éternité, est incluse et emportée dans sa vie de l’éternité. Il est l’Alpha et l’Omega. Lui qui a séjourné parmi nous était là avant et il sera là éternellement. Sa vie embrasse toute l’éternité. Durant le temps où il a vécu sur la terre, le Fils n’a pas quitté son éternité, et il n’a pas fait que la garder, il a façonné aussi notre vie éternelle selon un dessein qui existait depuis l’éternité et qui aura de l’effet pour l’éternité. Dans sa vie éternelle, il a pris un espace de temps de vie humaine, mais sans séparer celle-ci de sa vie éternelle. Inversement, il a concrétisé pour nous le temps de toute sa vie éternelle dans le temps de sa vie humaine. Par la force de sa vie terrestre, il a rendu toutes nos vies terrestres capables de la vie éternelle, et il a montré par là à chacun d’entre nous que la vie temporelle, dans sa temporalité, participe déjà à la vie éternelle au-delà du temps. Quand un homme commence à croire, il livre tout son être aux mains du Seigneur, et le Seigneur s’en charge: il ne se charge pas seulement du souci de la vie temporelle qui lui reste, il se charge aussi de sa vie éternelle future. Le croyant livre pour ainsi dire au Seigneur sa vie éternelle pour recevoir à la place la vie éternelle du Seigneur et en vivre. Mais celle-ci n’est pas une vie temporelle prolongée et améliorée, le croyant participe à l’authentique éternité, à la vie éternelle de Dieu dans la Trinité. Et plus il abandonne au Seigneur dans la foi sa vie temporelle et éternelle, plus il est introduit dès ici-bas dans la vie éternelle du Seigneur. Ceci est proprement le don que le Seigneur nous fait quand il vit notre vie temporelle et qu’il la vit avec son éternité… Le Seigneur doit être pour nous l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin. Peu importe ce qui adviendra de moi. Peu importe la fin qu’il me donnera puisque je n’ai plus de fin qui ne soit aussi la sienne140.

Une vie temporelle qui est vécue dans la foi et l’amour devient comme une fonction de la vie éternelle: dès le temps présent, elle se laisse envahir toujours plus par la vie éternelle. Mais il peut se faire aussi qu’une vie temporelle, après avoir été un certain temps à la rencontre de la vie éternelle, se replie sur elle-même et évite le contact avec la vie éternelle. Même ceux qui refusent la vie éternelle et s’en détournent devront prendre contact avec elle dans le jugement, parce que le jugement se passe dans la vie éternelle et, de la sorte, tous entrent en contact avec la vie éternelle au moins dans le jugement141.

Le ciel n’est pas une chose bizarre comme il pourrait sembler depuis la terre, quand par exemple on réfléchit au fait qu’on verra Dieu. Pour Jean non plus il n’était pas facile de vivre sur terre avec le Seigneur, il semblait parfois que le Fils et le Père oubliaient que le disciple n’était qu’un homme. La vie en Dieu paraît souvent ici-bas nous en demander trop. Au ciel, on ne ressentira plus la vie au ciel comme une exigence trop grande. Une fois pour toutes, Dieu aura élevé ses créatures dans le monde de sa plénitude. Dieu demeure dans l’éternité celui qui est toujours plus grand encore que ce qu’on en a compris et découvert; les créatures reçoivent le don de ne cesser de s’étonner de ce qu’il est. Elles le savent pour toujours et cependant chaque seconde de l’éternité est imperturbablement fraîche et neuve. Cette fraîcheur toujours nouvelle des sentiments fait partie essentiellement de la plénitude. Sur terre, il nous faut souvent perdre ce qu’on aime pour lui trouver une nouvelle valeur. Au ciel, il n’y a pas d’accoutumance et aucune séparation ne sera nécessaire pour donner du sel à la vie142.

La foi est une entrée dans la vie éternelle. Celui qui ‘hait’ sa vie ici-bas la donne tout entière à Dieu pour qu’il en fasse ce qu’il veut. Lui, qui est la vie éternelle, nous remplira. Qui livre sa vie d’ici-bas et la garde pour la vie éternelle retrouvera dans la vie de l’au-delà sa vie d’ici-bas, car la vie du Seigneur ici-bas continue également dans sa vie éternelle. Celui qui meurt alors qu’il vit déjà de la vie éternelle parce qu’il a donné à Dieu sa vie d’ici-bas, va dans l’éternité comme quelqu’un qui vient de l’éternité et, de la sorte, sa vie éternelle dans l’au-delà ne pourra pas être sans relation avec sa vie éternelle d’ici-bas. Il continuera là-haut à aimer ceux d’ici-bas et à vivre pour eux depuis le ciel. L’ici-bas et l’au-delà sont un dans le Seigneur qui inclut en lui toute la vie éternelle143.

Nous avons le devoir d’essayer de comprendre ce qu’est l’éternité de Dieu parce que c’est à elle que nous sommes destinés quand nous quitterons notre temps éphémère144. Pour comprendre le temps de l’éternité, nous sommes comme des enfants. Le petit enfant n’a pas une idée précise de ce qui le sépare de Noël; alors sa mère lui explique quand ce sera: « Demain, et puis encore demain, et beaucoup de demains, et puis tout à coup c’est Noël »145.

Dans la vie éternelle, ce ne sera pas l’homme qui construira sa vision de Dieu en rassemblant toutes les expériences de Dieu qu’il a faites dans le temps; ce sera Dieu qui nous fera le don de l’expérience de lui-même, de la possession de sa vie éternelle, de la vue de son infinité, selon sa mesure à lui et son bon vouloir146.

Nous sommes des pécheurs; nous avons besoin, dans la mort, d’une purification, d’une transformation douloureuse. Mais nous sommes entourés à droite et à gauche: d’un côté par le Fils qui, dans sa mission, a trouvé pour nous une place, de l’autre par sa Mère qui va vers le Père avec le oui qu’elle a dit pour toute l’humanité. De la sorte, toute contemplation du Seigneur et de sa Mère est une invitation à la vie éternelle. Non pas une invitation à aller dans un ciel qui nous serait étranger, mais une invitation à aller dans la demeure de Dieu qui, dans la foi, est notre patrie. Tout oui dit au Fils par un homme est déposé là. Le oui de Marie a frayé une large voie vers le ciel, une voie si large qu’aucun croyant ne peut la manquer, que tout le monde peut la suivre pour arriver au Fils et échanger son temps éphémère contre le temps éternel de Dieu Trinité147.

Dieu essuiera toute larme dans le ciel. Mais y aura-t-il encore dans le ciel des larmes que Dieu devra essuyer? Les élus pourront connaître un début de larmes pour que Dieu puisse les essuyer, pour que Dieu puisse montrer qu’il enlève toute douleur dès qu’elle se fait jour, qu’il console tout de suite, et pour que les élus ne pensent pas, dans leur vie éternelle, que la douleur leur est épargnée pour le moment, mais qu’il pourrait se produire un jour des événements qu’ils auraient à redouter. En essuyant toute larme, Dieu montre qu’il demeure le consolateur éternel, que rien ne peut plus les atteindre qu’il ne soit prêt à assumer aussitôt. Il crée de la sorte pour eux une nouvelle relation, une nouvelle dépendance, une nouvelle manière d’être enfant. Ici-bas aussi il y a des souffrances dont l’homme ne voudrait pas être privé parce qu’elles sont une occasion pour l’amour de se manifester, et ces souffrances demeurent dans son souvenir comme les preuves les plus indubitables de l’amour: qui se laisse consoler ne joue pas à celui qui se suffit en tout et, pour celui qu’on aime, c’est une grande joie de pouvoir faire quelque chose, ne serait-ce que d’essuyer des larmes. Au ciel, cela ne va pas jusqu’à la souffrance, mais jusqu’au point où l’on sait que l’amour de Dieu est tout prêt à essuyer les larmes. La seule tristesse qui pourrait nous atteindre au ciel, ce serait que Dieu ne soit pas assez glorifié, mais ce n’est pas possible parce que la louange des hommes est incluse désormais dans celle du Fils, qui est parfaite. Au ciel, on ne pourrait se plaindre que d’une chose: c’est que quelqu’un se détourne de Dieu; mais cela non plus n’existe pas parce que Dieu tourne tout vers lui, recueille tout en lui et remplit tout148.

Il existe encore au ciel de l’humilité: elle consiste pour ainsi dire à ne jamais se défendre des grâces que Dieu veut nous accorder. Elle est à la fois conscience de l’écart absolu qui existe entre Dieu et la créature – qui s’exprime ici-bas dans le « Je ne suis pas digne » – et totale adhésion à tout ce que Dieu donne et communique149.

Au ciel, on verra Dieu, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de mystères. La différence est que ce seront désormais des mystères célestes et non plus des obscurités terrestres. Si Dieu demeure alors encore celui qui est toujours plus grand dans ses mystères éternels, il remplit cependant à chaque fois ce que les élus désirent expérimenter de son mystère, mais le souhait part de lui et c’est lui qui l’inspire. Par contre, les bonnes questions que nous avons posées sur terre recevront toutes leurs réponses au ciel; vue du ciel, la terre deviendra transparente. Ce qui, ici-bas, a causé de l’inquiétude, ce qui dans les questions de la terre n’était pas totalement conforme à Dieu, deviendra transparent jusqu’en son tréfonds150.

 

Notes de la 1ère partie

 

1. On trouvera par ailleurs des textes choisis d'Adrienne von Speyr sur la foi dans H.U. von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 235-242; 279-281.

2. Das Wort und die Mystik, I, p. 48. - Toutes les citations renvoient aux œuvres d'Adrienne von Speyr sauf indication contraire.

3. Jean. Le Verbe se fait chair, II, p. 69 (sur Jn 3,16).

4. Achtzehn Psalmen, p. 82 (sur Ps 47,2-5).

5. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 41-49 (sur Jn 1,4).

6. L'expérience de la prière, p. 52.

7. La confession, p. 207.

8. Ibid., p. 224.

9. L'expérience de la prière, p. 27.

10. Erde und Himmel, II, n° 1742.

11. Ibid., III, n° 2098.

12. Jean. Controverses, II, p. 51 (sur Jn 10,9).

13. Apokalypse, p. 644 (sur Ap 19,18).

14. L'Epître aux Ephésiens, p. 71 (sur Ep 2,8).

15. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 110 (sur Jn 1,10-11).

16. Ibid., p. 117-118 (sur Jn 1,12).

17. Ibid., II, p. 187-188 (sur Jn 5,44).

18. Ibid., p. 46 (sur Jn 2,19).

19. Erde und Himmel, II, n° 1990.

20. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 253-258 (sur Jn 20,25).

21. La confession, p. 73.

22. Jean. Controverses, II, p. 8-11 (sur Jn 9,3).

23. La Servante du Seigneur, p. 93-94.

24. Apokalypse, p. 605 (sur Ap 18,23).

25. Ignatiana, p. 342.

26. Jean. Controverses, II, p. 60-62 (sur Jn 10,17).

27. Allerheiligenbuch, I, p. 266.

28. Kreuz und Hölle, II, p. 333.

29. Ibid., p. 203-204.

30. Apokalypse, p. 525-526 (sur Ap 16,15).

31. Jean. Controverses, II, p. 30-31 (sur Jn 9,25).

32. Apokalypse, p. 645 (sur Jn Ap 19,20).

33. Le Dieu sans frontière, p. 64-65.

34. Das Wort und die Mystik, I, p. 53.

35. Le sermon sur la montagne, p. 214-215 (sur Mt 7,8).

36. Ibid., p. 187-190 (sur Mt 6,28-30).

37. Markus, p. 434 (sur Mc 9,42).

38. L'Epître aux Ephésiens, p. 40-42 (sur Ep 1,12).

39. Markus, p. 602 (sur Mc 13,33).

40. La Servante du Seigneur, p. 107.

41. Le sermon sur la montagne, p. 189-190 (sur Mt 6,30).

42. Markus, p.212 (sur Mc 4,39).

43. Jean. Controverses, II, p. 199-204 (sur Jn 12,26).

44. Le sermon sur la montagne, p. 222-226 (sur Mt 7,13-14).

45. Jean. Controverses, II, p. 156-160 (sur Jn 11,44).

46. Le Dieu sans frontière, p. 25-28.

47. Apokalypse, p. 698-699 (sur Ap 21,2).

48. Kreuz und Hölle, II, p. 448

49. Ibid., p. 153.

50. Apokalypse, p. 676-677 (sur Ap 20,12).

51. Ibid., p. 683 (sur Ap 20,13).

52. Kreuz und Hölle, I, p. 144.

53. Ibid., p. 261.

54. Apokalypse, p. 773-774 (sur Ap 21,27).

55. Jean. Discours d'adieu, I, p. 207 (sur Jn 14,30).

56. L'Epître aux Ephésiens, p. 60-63 (sur Ep 2,1-2).

57. Markus, p. 124-125 (sur Mc 3,11-12).

58. Apokalypse, p. 634 (sur Ap 19,11).

59. Die katholischen Briefe, I, p. 387 (sur 1 P 4,17).

60. Le sermon sur la montagne, p. 242-244 (sur Mt 7,22).

61. Ibid., p. 20-23 (sur Mt 5,8).

62. Jean. Discours d'adieu, II, p. 15 (sur Jn 15,3).

63. Ibid., I, p. 41 (sur Jn 13,13).

64. Ibid., II, p. 226 (sur Jn 17,8).

65. Das Wort und die Mystik, I, p. 171-172.

66. La confession, p. 153.

67. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 104-105 (sur Jn 19,15).

68. La Servante du Seigneur, p. 81.

69. Ibid., p. 75.

70. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 54-55 (sur Jn 18,34).

71. Theologie der Geschlechter, p. 245.

72. Jean. Discours d'adieu, II, p. 217 (sur Jn 17,6).

73. Ibid., p. 221-222 (sur Jn 17,7).

74. Les portes de la vie éternelle, p. 42-44.

75. Achtzehn Psalmen, p. 38 (sur Ps 19,13).

76. Apokalypse, p. 786 (sur Ap 22,5).

77. Ibid., p. 723 (sur Ap 21,10-11a).

78. Die katholischen Briefe, I, p. 123-124 (sur Jc 2,17).

79. Jean. Discours d'adieu, II, p. 266-267 (sur Jn 17,18).

80. Ibid., I, p. 174 (sur Jn 14,21).

81. Die katholischen Briefe, I. p. 126-127 (sur Jc 2,18).

82. Ibid., p. 132-133 (sur Jc 2,20).

83. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 119 (sur Jn 19,19).

84. Jean. Discours d'adieu, II, p. 88 (sur Jn 16,2).

85. Apokalypse, p. 617 (sur Ap 19,5).

86. Das Wort und die Mystik, II, p. 116-117.

87. Kreuz und Hölle, II, p. 397.

88. L'expérience de la prière, p. 116.

89. Les portes de la vie éternelle, p. 105-106.

90. Le sermon sur la montagne, p. 96-98 (sur Mt 5,37).

91. Parole de la croix et sacrement, p. 70.

92. Markus, p. 697 (sur Mc 15,16-18).

93. Ibid., p. 222 (sur Mc 5,5-7a).

94. Das Wort und die Mystik, I, p. 203-204.

95. Ibid., p. 242.

96. Le sermon sur la montagne, p. 168-171.

97. Das Wort und die Mystik, I, p. 41.

98. Apokalypse, p. 697-698 (sur Ap 21,2).

99. Ignatiana, p. 341.

100. Die katholischen Briefe, I, p. 144 (sur Jc 2,23).

101. La Servante du Seigneur, p. 9.

102. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 225-226 (sur Jn 20,19).

103. Das Wort und die Mystik, I, p. 28.

104. Markus, p. 394-395 (sur Mc 9,9).

105. L'Epître aux Ephésiens, p. 35-38 (sur Ep 1,10).

106. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 44-45 (sur Jn 1,4).

107. Apokalypse, p. 793-794 (sur Ap 22,7).

108. Markus, p. 378-379 (sur Mc 8,34-35).

109. La Servante du Seigneur, p. 194-195.

110. Markus, p. 94 (sur Mc 2,19-20).

111. Ibid., p. 223-224 (sur Mc 5,5-7a).

112. La Servante du Seigneur, p. 109-110.

113. Ibid., p. 108-109.

114. Jean. Controverses, I, p. 37-39 (sur Jn 6,30).

115. Markus, p. 212-213 (sur Mc 4,40).

116. Jean. Controverses, I, p. 29-30 (sur Jn 6,25).

117. Ibid., p. 28 (sur Jn 6,22).

118. Jean. Discours d'adieu, I, p. 28-29 (sur Jn 13,7).

119. Erde und Himmel, II, n° 1403.

120. Le sermon sur la montagne, p. 239-242 (sur Mt 7,21).

121. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 205 (sur Jn 20,14).

122. Le sermon sur la montagne, p. 109-110 (sur Mt 5,42).

123. Apokalypse, p. 824 (sur Ap 22,17).

124. Ibid., p. 806-807 sur Ap 22,12).

125. La Servante du Seigneur, p. 121.

126. Jean. Discours d'adieu, I, p. 197-198 (sur Jn 14,27).

127. Das Wort und die Mystik, II, p. 284.

128. H.U. von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 35-37.

129. Jean. Le Verbe se fait chair, II, p. 146-147 (sur Jn 5,25).

130. Ibid.

131. Markus, p. 24 (sur Mc 1,7-8).

132. Ibid. p. 213 (sur Mc 4,40).

133. Jean. Le Verbe se fait chair, II, p. 188-189 (sur Jn 5,46-47).

134. Das Wort und die Mystik, I, p. 42-43.

135. Jean. Le Verbe se fait chair, II, p. 156 (sur Jn 5,28).

136. Apokalypse, p. 24 et 36 (sur Ap 1,1).

137. Kreuz und Hölle, I, p. 181-183.

138. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 29-32 (sur Jn 1,2).

139. Jean. Discours d'adieu, I, p. 122-123 (sur Jn 14,6).

140. Apokalypse p. 807-810 (sur Ap 22,13).

141. Ibid., p. 683 (sur Ap 20,13).

142. Ibid., p. 693-694 (sur Ap 21,1).

143. Jean. Controverses, II, p. 195-199 (sur Jn 12,25).

144. Le Dieu sans frontières, p. 29-30.

145. Apokalypse, p. 650 (sur Ap 20,2).

146. Les portes de la vie éternelle, p. 105.

147. Ibid., p. 124-126.

148. Apokalypse, p. 704-705 (sur Ap 21,4).

149. Ibid., p. 719-720 (sur Ap 21,9).

150. Ibid., p. 696-697 (sur Ap 21,1).


 

2. La prière

                Plan : Introduction - Le partenaire de la prière - Concrètement - Toute prière est une          

               communion - Dépouillement et plénitude - Notes         
 

                         Introduction

Dans sa présentation de la vie et de l'œuvre d'Adrienne von Speyr, Hans Urs von Balthasar note que "la mission d'Adrienne pour l’Église d'aujourd'hui est essentiellement une nouvelle vivification de la prière"1. Cette affirmation peut étonner de prime abord: Adrienne n'a laissé que deux ouvrages consacrés explicitement à la prière2; et puis ne serait-ce pas trop restreindre ses horizons que de limiter son influence à une vivification de la prière? Cependant, ainsi que le note H.U. von Balthasar, le frêle esquif de la prière "nous porte, au-delà de tous les concepts" sur l'océan infini de Dieu3. La prière n'est pas une petite activité marginale et surérogatoire; elle est au cœur de la vie du chrétien, et le chrétien vaut ce que vaut sa prière. Et si, par malheur, la prière n'avait plus grand sens pour lui, il aurait en fait perdu l'essentiel de son identité; il aurait perdu le frêle esquif qui pouvait le mettre en contact avec Dieu. Prier, c'est entrer dans le monde de Dieu. Vivifier cette relation essentielle, Adrienne le fait implicitement tout au long de ses œuvres en initiant au Dieu vivant. Si elle réussit à montrer à quelqu'un l'existence vitale de l'au-delà, elle déclenche par le fait même le réflexe de la prière authentique. Mais il vaut la peine de recueillir certaines de ses réflexions explicites sur la prière éparpillées dans un certain nombre de ses œuvres.

 

              Le partenaire de la prière  

                       Plan : L'initiative de Dieu - L'amour ne se fait pas remarquer - Dieu se laisse                                          influencer - Toute prière est trinitaire

 

                        L'initiative de Dieu 

"Savez-vous ce qu'est la prière? Laisser parler Dieu"4. Cette affirmation, qui pourrait n'être qu'un mot dans l'air, est le fondement de tout pour Adrienne, et elle s'en explique longuement. Pour prier, il faut entrer dans sa chambre et fermer la porte. Le plus important dans la prière, c'est d'abord que Dieu puisse nous y atteindre. Dans la prière, la parole de Dieu a la priorité sur la parole de l'homme. Il faut du silence pour percevoir la voix de Dieu5.

Après la chute, Dieu a appelé l'homme coupable et lui a parlé. L'invraisemblable est arrivé: bien que l'homme se fût détourné de lui, l’Éternel a lié conversation avec l'éphémère. Cette conversation est l'origine de la prière. Celui qui prie a constamment la possibilité de parler à Dieu de sorte que la finitude humaine participe à l'infini de Dieu et qu'elle reçoit une réponse provenant de l'éternité. Dieu est encore allé plus loin. Le Fils devenu homme a invité les croyants à le suivre et à vivre dans son intimité. Tant qu'il vit sur terre, les apôtres partagent sa vie tandis que lui, qui communique sa vie à ses apôtres, continue à vivre dans le Père. Le Fils est donc médiateur. Pour le disciple, suivre le Fils, ce n'est pas seulement vivre à côté de lui, c'est vivre dans la vie du Fils, c'est être avec le Fils dans le monde de la vie du Père. Le Fils, dans sa vie terrestre, est le point de contact entre le fini et l'infini, et il donne à ses disciples de participer parfaitement à la vie du Père. Les disciples y vivent par la parole du Fils; ils apprennent immédiatement de lui ce qu'il veut leur dire, mais aussi ce qu'est le mystère de Dieu Trinité6.

La prière "n'est pas seulement une parole adressée à Dieu, elle est en même temps, et bien plus encore, une écoute de sa parole, une disponibilité à faire ce qu'il dit. La prière n'est pas un monologue, c'est un dialogue, elle n'est pas seulement l'expression des besoins de l'homme et de ses opinions, mais la disposition ouverte à tout ce que Dieu dit et à tout ce dont il a besoin"7. Car Dieu aussi a des besoins.

"Celui qui prie reçoit la parole (de Dieu) comme un mystère qu'il doit conserver dans son cœur, mais aussi comme une invitation pressante à agir en chrétien et comme un élargissement de sa manière de voir"8.

L'homme arrive à la prière avec des idées d'homme, il devrait en repartir avec les idées de Dieu. L'homme qui se met à prier s'attend à trouver Dieu comme partenaire de la conversation. S'il a suffisamment de révérence envers lui, il cherche à lui laisser tout l'espace qu'il veut occuper au lieu de lui présenter ses propres idées. Le chrétien ne peut s'empêcher d'arriver à la prière avec certaines espérances précises. Il se présente devant Dieu et, par sa foi, Dieu a pour lui un visage; il est souvent à peine conscient qu'un croyant n'est justement pas capable de préciser ce visage. Dans sa rencontre avec Dieu, il s'attend à de l'inattendu, mais de l'inattendu qui soit une réponse à son attente. Il devrait comprendre qu'il lui faut abandonner toute forme d'attente de ce genre9.

En toute prière, on doit rester totalement ouvert, souple, malléable, car Dieu peut la conduire tout autrement qu'on ne le pensait. On voulait prier pour telle communauté ou telle région, et tout à coup il n'y a plus là qu'une seule personne pour qui on doit prier maintenant, qu'on la connaisse ou non. Ou bien, au contraire, on voulait prier pour quelqu'un et on doit prier pour un groupe, pour la communauté dont cette personne fait partie10.

Il faut toujours demander à Dieu le vrai sens de la prière. Dieu accorde tout ce qu'on lui demande dans son Esprit. Dieu veut qu'on le prie dans l'Esprit de son Fils, et le Fils demande et reçoit ce que le Père veut lui donner. Mais si, en commençant la prière, on n'a que le désir de chercher son propre avantage, Dieu ne peut pas correspondre à cette prière et celui qui prie aura le sentiment de ne pas être exaucé par Dieu. Ce n'est pas que Dieu exige et présuppose une transformation totale et peut-être impossible de l'homme; mais il donne le vrai sens de la prière si on le lui demande. Celui qui prie doit se laisser conduire. Et alors tout grandit en même temps: l'intelligence, la foi, le don de soi, la prière et ce qu'on reçoit. Et même si au début de la prière on a dit un oui total, ce oui grandit encore parce que Dieu grandit en lui11.

Plus profonde est la prière, plus on se met à la disposition de Dieu pour être façonné par lui. Et ce travail de Dieu peut consister à laisser quelqu'un assis. Une seule chose est sûre, c'est qu'il accomplit sa volonté12.

On ne sait peut-être pas très bien où commence la prière quand on se met à écouter Dieu. En fait, la prière est déjà commencée quand on se met à l'écoute. "Lorsque Dieu parle, il n'est presque pas nécessaire que l'homme réplique parce que Dieu dit si parfaitement toute chose que les plus longs énoncés ne pourraient le dire mieux. Or Dieu a de l'homme une connaissance complète; aussi sa parole rencontre-t-elle exactement ce dont il a besoin et est-elle toujours la réponse à la question qu'il formule ou qu'il garde en soi"13.

Nous ne pouvons pas avoir une vue d'ensemble de notre foi ou de notre mission, mais lui sait. Les païens croient que c'est la puissance de leurs paroles qui les fera entendre de Dieu. Le chrétien sait que le pouvoir de les entendre se trouve en Dieu. Toute notre vie est saisie par Dieu qui nous a créés, qui nous connaît, qui sait toujours ce dont nous avons besoin. Il le sait avant que nous le lui demandions. Il nous faut apprendre à faire confiance à Dieu en tout. Quand on a vu cela, on peut être tout à fait indifférent à tout ce qui nous concerne. Nous devons entreprendre dans la foi ce que nous devons faire pour répondre à notre mission même si nous ne voyons pas où cela nous mène, parce que Dieu sait ce dont nous avons besoin et que lui a une vue d'ensemble. L'indifférence, c'est de renoncer à son propre savoir parce qu'on sait que le savoir de Dieu est meilleur. L'indifférence est facile quand on croit, c'est-à-dire quand on sait que le Père sait mieux que nous. L'indifférence n'est difficile que lorsqu'on est convaincu qu'au fond on sait mieux que lui. Et cependant nous devons prier, et prier sans nous lasser. En priant, nous entrons dans la manière de penser de Dieu, nous faisons nôtres ses désirs. Tout ce qui nous concerne, nous devons le prendre avec nous dans la prière et le soumettre de la sorte une fois de plus à sa volonté. Nous pouvons prier aussi pour demander des choses terrestres dans la mesure où elles ont un rapport avec la volonté de Dieu. On peut prier pour le prochain, y compris pour les besoins que nous lui connaissons, mais en laissant toujours une ouverture sur ses besoins inconnus afin que Dieu nous exauce du point de vue qui est le sien et qui domine toutes les situations14.

"Quand nous prions, il faut nous rappeler que Dieu sait ce dont nous avons besoin, s'il s'agit d'une prière de demande, et comment nous aimerions l'adorer, s'il s'agit d'une prière d'adoration. Cette connaissance ne doit pas rester purement théorique, elle doit nous servir de stimulant et nous aider à nous présenter nus devant Dieu, à prier dans une ouverture totale qui ne fait aucune réserve et qui, là où il y en aurait, cherche à les dévoiler devant Dieu"15.

En toute prière, on attend d'une manière ou d'une autre "la suite des ordres de Dieu", comme les apôtres au cénacle avant la Pentecôte16.

C'est ce que doit apprendre Joseph à cause de la charge qu'il a de la Mère et de l'Enfant. Il doit leur donner des consignes, mais "au fond, il lui est demandé d'avoir plus de discernement qu'il ne peut humainement en posséder; la prière est le lieu où il acquiert un discernement toujours plus grand". Lui, l'homme simple et ignorant, s'est vu confier la Mère et l'Enfant. "Il doit dans la prière apprendre à écouter… Il doit intensifier sa prière personnelle à Dieu afin d'apprendre lui-même ce qu'on attend de lui… Aussi sa prière est-elle à la fois humble et vigilante; l'humilité lui apprend à toujours voir petit ce qui est petit et à ne pas résister à ce qui est grand. En priant ainsi, il apprend à s'ouvrir entièrement à Dieu…"17

"Le premier lieu où un novice peut s'exercer à l'obéissance, c'est la prière. Il prie pour essayer d'être obéissant à Dieu. Dans cette prière, il se tait afin que Dieu puisse parler. Il se tient silencieux pour entendre, il cherche ce qu'il trouvera certainement, l'amour de Dieu". Il cherche l'amour par obéissance, et personne ne peut lui apprendre l'amour que Dieu lui-même18.

Or l'amour ne s'interrompt jamais. "Quand, après avoir prié un certain temps, on cesse sa prière, il peut se faire qu'on mette un point là où le Bon Dieu n'a pas encore terminé… Et Dieu est alors comme celui qui, d'une pièce voisine, crie soudain quelque chose ou qui, simplement, patiente jusqu'à la prochaine pause pour continuer la conversation. Et l'on voit que ce qu'on fait entre temps se trouvait déjà fortement sous l'influence de ce que Dieu avait encore à nous dire"19.

"Et si l'homme qui a un jour prié essayait de renoncer à la prière et de l'oublier tout à fait, il devrait savoir que, comme il a retrouvé Adam, Dieu pourra le retrouver, lui, après chacune de ses dérobades". Celui qui ne prie plus touche cependant Dieu à nouveau rien qu'en pensant à lui. "Adam sait bien que Dieu se promène encore dans le paradis. Qui, un jour, a conversé avec Dieu en reste marqué pour toujours; il n'est point de défection qui puisse faire oublier Dieu"20. L'homme n'a pas le choix: il ne peut décider que Dieu n'existe plus. Il peut tout au plus s'imaginer qu'il est en son pouvoir de le faire.

La prière a trois niveaux. Il y a la prière visible: tu me vois prier. Au-dessous de cette prière visible, il y a ce que tu ne vois pas: ma méditation peut-être qui est encore contrôlable dans une certaine mesure. Finalement, ce qui est tout à fait intime: le contact immédiat avec le Seigneur, la prière dans laquelle au fond tout est offert pour un contact immédiat, même si on ne réalise pas bien ce qui se passe alors. Ce que le Seigneur touche d'une manière immédiate ne peut pas être manipulé. Mais réellement je ne veux plus pécher, je lui livre une surface toujours plus grande de moi-même21.

Ton Père voit dans le secret: c'est la récompense de celui qui s'est mis à l'écart pour prier. Quand il a congédié le monde qui l'entourait, l'orant est comme nu devant Dieu. Il n'a pas de secret pour lui, il est là ouvert et Dieu voit tout. Et il laisse Dieu faire dans le secret tout ce qu'il veut. Il se laisse approfondir et dilater par Dieu parce que ce qui est caché en Dieu est beaucoup plus grand et plus puissant que son propre secret. En se séparant du monde, il permet pour ainsi dire à Dieu de faire davantage qu'il n'aurait pu le faire sans cette séparation. Et à vrai dire c'est la récompense de l'orant qu'il puisse exister entre Dieu et lui une telle intimité22. Pour parler des relations de l'homme avec Dieu, on ne peut se dispenser des comparaisons de l'amour humain. Ce qu'il y a de plus profond dans l'humain sera toujours le meilleur symbole de ce qui se passe dans les relations entre l'homme et Dieu.

Toute prière faite de mots humains part de la finitude humaine pour être accueillie par l'infini du Père. Et ce n'est pas le nombre des prières qui établit le total des rencontres de Dieu avec l'âme; Dieu donne à chaque prière un effet en profondeur, il transporte l'orant tout entier dans l'atmosphère de l'infini même si l'orant ne croit pas qu'il prie23.

Engagé déjà dans l'éternité de Dieu par sa prière, l'orant véritable ne considère pas sa dernière heure comme une borne frontière. Il vit dans l'espérance de pouvoir continuer à accompagner fidèlement l'éternité de Dieu, il espère tellement être à sa disposition pour la recevoir que sa dernière heure n'a pas besoin d'être tellement remarquée; sa prière ne sera pas interrompue par elle et Dieu non plus n'aura pour ainsi dire pas besoin d'interrompre ce qu'il fait déjà; la vie de l'orant entrera presque sans qu'il s'en rende compte dans l'éternité à laquelle il participait déjà dans sa prière silencieuse24.

L'apôtre Jean se penchant sur la poitrine de Jésus pour lui demander: "Seigneur, qui est-ce?" est un symbole de la prière véritable. "La vraie prière, dans l'Eglise, est ce geste de se pencher amoureusement vers le Seigneur. Le catholique ne prie ni debout ni assis, mais penché vers le Seigneur. Il peut le faire parce qu'il repose déjà sur la poitrine de Jésus. Ce geste de l'apôtre est un pur mystère de tendresse. Il se fait un nid dans le cœur du Seigneur. Il ose s'approcher du Seigneur, se pencher vers lui, parce qu'il possède la véritable humilité, une humilité qui ne s'écarte pas du Seigneur, mais entre en lui. Une humilité qui se détourne de sa propre personne et se perd totalement dans le Seigneur. Se trouver à genoux devant le Seigneur, perdu dans le mystère de son amour, est quelque chose de si radieux, de si éblouissant qu'il est impossible de s'imaginer un plus grand bonheur". Jean se fait plus petit pour être plus près du Seigneur. "Il ne se penche pas parce qu'il est un pécheur misérable, mais parce que le Seigneur est si grand et si bon. Il ne se penche pas pour s'humilier, mais pour que Dieu soit plus grand. Il possède cet amour qui ne réfléchit pas, qui ne calcule pas, mais sent tout simplement la gloire du bien-aimé… Il vit immédiatement et naïvement dans l'amour". Mais l'amour ne connaît pas d'exclusivités. "Tous sont invités à prendre part à ses mystères"25.

Maintenant que le Seigneur est ressuscité d'entre les morts, il continue à se manifester pour que les croyants soient en mesure de le prier convenablement. "Car le Seigneur apparaît aussi sans qu'on le voie. Toute prière chrétienne implique une apparition du seigneur, toute parole chrétienne prononcée dans la prière est entendue par lui et aura une réponse. Dans la prière, le ciel est ouvert; et que la foi le perçoive visiblement ou invisiblement, qu'elle rencontre le Seigneur à tel ou tel de gré de visibilité, elle s'en remet au Seigneur qui apparaît"26.

"Dans tout entretien qu'on a avec lui, c'est le Seigneur qui le premier prend la parole"27; c'est lui aussi qui, finalement, aura toujours le dernier mot, et ce n'est pas triste.

Celui qui parle à Dieu ne parle pas dans le vide, il a vraiment un partenaire. Aussi longtemps que la foi n'est qu'une sorte de devoir inculqué, il y a après la prière la satisfaction du devoir accompli. Mais dès que Dieu a vraiment touché un croyant et que celui-ci a fait l'expérience que, dans la prière, il a vraiment à faire à Dieu, que Dieu s'adresse à lui personnellement, tout change. Dieu s'adresse à lui personnellement, cela peut vouloir dire qu'il sait que Dieu exige quelque chose de lui, ou bien qu'il comprend que Dieu se laisse appeler et qu'il vient à l'aide quand on a besoin de lui, ou bien que Dieu possède des mystères remplis de joie qu'il veut communiquer28.

 

                     L'amour ne se fait pas remarquer 

Qui a vraiment rencontré le Dieu vivant a désappris, dans l'objectivité de Dieu, à souhaiter quelque chose pour lui-même; ou bien s'il désire quelque chose pour lui-même, sa demande est étroitement liée à sa mission. Il s'oublie lui-même, il laisse faire Dieu29.

Mais comment s'y prendre pour laisser faire Dieu, pour lui laisser la place? "Il n'y a qu'un moyen, très simple": nous devons donner la main à la Vierge. Alors le centre est libre pour le Seigneur. "Dès qu'on commence à prier: donner la main à la Mère afin que le Seigneur soit le centre de la prière. Vous comprenez? Surtout ne plus penser à soi. C'est la meilleure manière de faire". On est si souvent distrait: pendant l'action de grâce à la messe, pendant la méditation. On y introduit trop ses propres plans. Naturellement pendant la médiation on peut jeter un coup d'œil sur les heures qui vont suivre et y réfléchir du point de vue de l'Evangile. Mais pas trop, sinon le centre n'est plus libre pour le Seigneur. Après la messe, ne faire que rendre grâce. Nous sommes tellement habitués à savoir que le Seigneur est le centre de la messe que nous oublions que nous devons le connaître d'une manière toujours nouvelle30.

Il ne faut même pas que le regret de ses péchés occupe trop de place. "Celui qui s'est confessé ne doit plus regarder ses péchés passés que dans la lumière qui vient de (Dieu). Comme la Samaritaine que le Seigneur a délivrée de ses péchés: elle sait bien qu'elle était une pécheresse, mais elle vit tout entière dans la grâce nouvelle". La vie de foi doit être marquée davantage par la volonté du Seigneur lui-même que par la personnalité de chaque croyant. "S'il n'en était pas ainsi, si nous étions livrés à nous-mêmes, notre prière se concentrerait vite sur nos propres intérêts ou ressemblerait à un catalogue interminable de désirs. Mais si nous prions Dieu comme il veut, la réflexion sur nous-mêmes diminue et finit par disparaître"31.

C'est pour quoi la position du corps dans la prière a aussi son importance. Il faut choisir la position du corps qui permet de s'oublier soi-même le plus facilement. Si la position est inconfortable, elle centre la prière sur soi plutôt que sur Dieu. Ce n'est pas la position du corps en tant que telle qui est importante, c'est l'humilité, c'est-à-dire l'oubli de soi qui ne se met pas soi-même en travers de la route pour aller à Dieu32.

Le but du Fils est que l'homme, lui aussi, aspire au Père. "La soif et le désir que le Fils éveille en lui ne pourront jamais cesser d'être soif et désir parce que leur objet et leur but sont Dieu seul. Car c'est à lui que les chrétiens aspirent. Ils n'aspirent pas avant tout à leur sainteté, à leur béatitude ou à un autre état personnel, à un degré de prière ou de perfection. Dieu seul est leur but. Qui voudrait aspirer à autre chose qu'à Dieu aspirerait finalement à sa propre personne. Celui par contre qui aspire à Dieu aspire le moins possible à lui-même… Jamais le Fils n'a aspiré à sa sainteté personnelle; sa sainteté, c'était de faire en tout la volonté du Père. Rechercher sa sainteté personnelle signifierait encore établir des limites et des mesures"33.

La meilleure manière de s'occuper de soi selon Dieu, c'est de ne plus s'occuper de soi et d'en laisser le soin à Dieu. Le Fils nous enseigne que, durant la prière, nous devons "laisser derrière nous tout ce qui nous entoure et nous préoccupe dans le monde… Si nous nous rendions auprès de Dieu avec nos préoccupations de tous les jours, nous ne serions jamais réellement libres pour un vrai entretien avec lui, toute l'inquiétude de nos soucis et de nos travaux pénétrerait avec nous dans le silence de Dieu et nous empêcherait d'écouter et de recevoir dans le recueillement… Et même si ce n'est pas facile de se tenir devant Dieu entièrement dépouillé de ses propres préoccupations, cela reste néanmoins la condition indispensable pour obtenir ses dons les plus précieux. Ce n'est pas que Dieu se désintéresse de nos affaires terrestres. Mais il faudrait que nous ayons encore plus d'intérêt pour les siennes"34.

Le disciple (Jean) ne se met jamais en avant, même dans la prière. "Il ne demande pas à tout instant à son ami quel service il pourrait lui rendre ou quels sont ses désirs… Par ces questions indiscrètes, il mettrait en lumière plutôt son propre amour, au lieu de penser à celui qu'il aime". Ce n'est pas la même chose de prier simplement pour adorer le Seigneur ou pour lui rappeler qu'on est encore là et qu'on attend ses faveurs. L'amour véritable se tient prêt pour le moment où l'on aura besoin de lui. L'amour ne se fait jamais remarquer lui-même35.

Il peut y avoir tant d'égoïsme plus ou moins inconscient jusque dans la prière! "Quand l'homme et la femme se donnent l'un à l'autre en pensant à tout autre chose, ils sont incapables de s'unir vraiment dans l'amour. Il en est de même pour l'amour entre l'homme et Dieu. Bien des choses dans les prières et les exercices de pénitence du chrétien sont égoïstes, mesquines, détournées de Dieu: tout cela entrave leur fécondité". Demander au Père quelque chose au nom du Fils, c'est la condition pour être exaucé. "Demander au nom du Seigneur, c'est demander avec son accord… Mais quand savons-nous exactement ce que le Fils veut et désire? Nous ne pouvons le préciser que très rarement. Il n'y a donc qu'un seul moyen: nous plier à sa volonté, demander au Père ce qu'il désire, même si les détails nous restent inconnus"36.

Tout au long de sa vie, l'homme profère trois paroles distinctes. Deux de ces paroles sont pures parce qu'elles sont dites en Dieu et avec Dieu: la première est le premier balbutiement de l'enfant, avant l'éveil de l'égoïsme; c'est de l'amour immédiat; la deuxième parole de l'homme qui est pure, c'est sa dernière, quand il renonce à son égoïsme et à son mensonge, et qu'il retourne à Dieu: c'est à nouveau une parole dite en Dieu, c'est un retour au premier mot balbutiant de l'enfant, c'est à nouveau de l'amour immédiat. Ces deux paroles sont dites dans la faiblesse, quand l'homme n'oppose aucune résistance à l'amour de Dieu. L'enfant qui balbutie ne s'est pas encore découvert lui-même, le mourant s'est oublié à nouveau. Entre l'enfant et le mourant, il y a ce qu'on appelle 'notre vie': l'homme s'éloigne de Dieu pour mener sa propre existence, il ne dit plus ses paroles en Dieu, il essaie de dire ses propres paroles comme s'il s'était créé lui-même. Nous nous chassons nous-mêmes du paradis, nous nous exilons nous-mêmes de notre vie avec Dieu. Le paradis, ce n'est pas l'inconscience de l'enfant en tant que telle, et la conscience de soi ne signifie pas non plus nécessairement l'éloignement de Dieu. Le paradis, c'est la vie en Dieu, et même l'esprit conscient de lui-même en est capable. Mais seulement par le Christ37.

 

                             Dieu se laisse influencer 

Dans la prière il se passe toujours plus de choses que ce que l'orant peut attendre. "Si ce qu'il attendait en vertu de sa volonté et de sa prière particulières ne se réalise pas, alors il se passe autre chose à la place, quelque chose de meilleur et de plus riche. On ne peut pas dire que le Père décide de tout, tout seul, et que chaque volonté doit plier devant la sienne, que toute prière n'a pour but que de rendre l'homme conforme à la volonté de Dieu. Il est tout aussi vrai que le Père lui-même, dans sa volonté souveraine et définitive, veut se laisser déterminer par le Fils et, dans le Fils, par les hommes et par leurs demandes. La solution de cette énigme ne peut être trouvée que dans l'amour… De la part du Père, c'est un acte d'amour que de nous permettre de le déterminer par l'amour, et c'est un acte d'amour de la part du Fils que de nous permettre de nous servir de son nom dans la prière pour déterminer le Père"38.

Toute prière va à Dieu. Et il peut arriver qu'un croyant qui a prié avec tiédeur se voie tout à coup rempli au-delà de toute attente. Peut-être priait-il sans grande conviction pour obtenir quelque chose, uniquement parce que quelqu'un lui avait indiqué ce moyen. Et maintenant il n'arrive pas à s'imaginer comment ses paroles ont pu avoir une influence sur Dieu39.

C'est incroyable, mais c'est ce que le croyant fait tous les jours par sa prière: il se croit capable d'attirer l'attention de Dieu. Cependant quand on s'approche du Seigneur avec une prière ou une suggestion, ce n'est pas avec le sentiment que le Seigneur n'aurait pas remarqué ce qui nous manque ou qu'il a oublié que nous sommes dans le besoin ou dans la gêne; mais, malgré son omniscience, nous attirons son attention sur des choses qui nous tiennent à cœur dans l'espoir que quelque chose d'essentiel et d'utile pour nous-mêmes ou pour d'autres résultera de cette conversation40.

L'homme s'oublie lui-même dans la prière, et sa situation, et son péché, et ses soucis. Quand il prie, il est en conversation avec Dieu Trinité dans la vie éternelle. La prière a une portée qui demeure cachée à celui qui prie. Ce qu'il sait, c'est qu'il participe à quelque chose de mystérieux, que sa foi l'invite à la prière et lui en montre le chemin41.

Toute prière est mystérieuse parce qu'elle va au-delà d'elle-même. Elle sous-entend toujours aussi, si elle est juste: "Je te demande ceci ou cela au cas où c'est ta volonté, au cas où tu le juges bon". On peut avoir la meilleure bonne volonté du monde et désirer beaucoup de choses qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes: cela ne suffit pas pour qu'elles soient dans la volonté de Dieu et dans les plans de son royaume. La fécondité de la prière est soumise à Dieu42. Et cependant toute prière vraie a une influence sur lui.

Quand je prie, je parle avec Dieu; il entend mes paroles dans le sens de la foi, c'est-à-dire avec une dimension que j'ignore. Et cela non seulement parce que Dieu traduit la prière dans le sens et dans la langue de son éternité, mais aussi parce que je prie en communion avec d'innombrables croyants qui sont capables de mieux prier que moi, qui ont des relations plus intimes avec Dieu et qui ont pour ainsi dire habitué Dieu à entendre des prières de plénitude. Pour ces deux raisons, les paroles de ma prière ne sont pas nécessairement identiques à ce que Dieu entend. D'autre part, je sais par la foi que mes paroles arrivent jusqu'à Dieu; il les entend et y répond dans le silence selon qu'il le juge bon. Et si ma prière avait un but précis, telle personne par exemple, mon désir est maintenant entre les mains de Dieu. Je m'attends donc que Dieu fasse quelque chose; il va de soi pour moi que celui que j'ai recommandé à Dieu éprouvera d'une manière ou d'une autre les effets de ma prière43.

Dieu 'arrondit' nos prières pour les entendre dans son sens à lui, il leur ajoute ce qui leur manque44. Le Seigneur, de son côté, 'arrondit' lui aussi toutes les prières que nous lui adressons pour les présenter au Père. Que le ciel 'arrondisse' les prières de la terre est une idée qu'on retrouve littéralement chez l'apôtre et mystique qu'était le Père Lamy, curé de La Courneuve. Rapprochement de hasard ou influence du Père Lamy sur Adrienne? Rien n'indique jusqu'à présent qu'Adrienne von Speyr ait connu le livre du Comte Paul Biver où se trouve cette note: "La Sainte Vierge offre nos prières à Dieu. Elle les embellit… La prière, même faite sans grande attention est toujours une prière, et notre sainte Mère parachève ce qui manque. C'est un peu comme les saints que nous invoquons. Prenons un exemple. Si nous demandons à l'un dix francs et qu'il ne soit capable de nous en donner que sept, cinq ou trois, cela n'importe pas: il a recours à la très sainte Vierge qui arrondit le chiffre, et il nous donne les dix francs"45.

Dieu nous a donné des pouvoirs et d'abord le pouvoir de devenir ses enfants. Par là, il nous a donné pouvoir sur lui: le pouvoir d'exiger de lui, de nous présenter devant lui avec la liberté des enfants et d'exiger l'héritage. Désormais toutes les portes sont ouvertes. Il y a des choses que, dès à présent, il est en notre pouvoir d'exiger catégoriquement de Dieu. Nous pouvons exiger que, de nous qui sommes pécheurs, il fasse ses enfants. Nous pouvons exiger qu'il nous donne son Esprit. Nous pouvons exiger de pouvoir accomplir sa volonté. Nous pouvons exiger de vivre en son Fils. Nous pouvons exiger que tout contribue à notre bien. Nous pouvons exiger la vie éternelle. Naturellement nous ne pouvons pas exiger de Dieu des choses qui demeurent toujours en sa liberté: qu'il nous appelle au sacerdoce, qu'il nous donne tel ou tel charisme. Mais nous pouvons exiger son amour, et dans cet amour il ne peut rien nous refuser46.

Dans sa jeunesse, Jean-Marie Vianney a fait une expérience de prière. Un jour, il dit un Notre Père comme s'il avait pensé: je vais vite prier encore un petit peu. Et tout à coup il remarque que la prière est devenue vivante en lui. Elle est devenue comme une clef qui lui ouvre toutes les richesses de Dieu. Comme si Dieu lui avait donné, par la prière, la possibilité d'avoir accès à ses trésors. Celui qui a accès aux trésors de Dieu comprend qu'il peut oser les choses les plus folles. Vianney comprend tout à coup qu'il a accès à tout le pays de la grâce. En priant, il peut tout emporter. Et il s'enhardit jusqu'à voir, avec la grâce, dans le cœur des pécheurs. Il reçoit aussi la certitude de pouvoir le faire. "Dieu peut tout": pour la plupart des chrétiens, c'est un mot vide de sens. Ils n'ont pas le courage d'entrer dans ce tout. Dieu se réjouit qu'on le dépouille. Comme Thomas More se réjouit quand sa fille va le 'taper'47.

Dieu est reconnaissant pour toute prière, même médiocre. Dieu est reconnaissant pour tout sacrement reçu par les chrétiens même quand ils ne se donnent pas beaucoup de mal pour être à la hauteur. Et Dieu exprime sa reconnaissance en insufflant dans les sacrements tant de sa force vivante48.

 

                       Toute prière est trinitaire 

A cause de l'unité de l'être de Dieu, il est impossible qu'une personne divine demeure jamais en retrait par rapport à une autre. Chacune des trois personnes participe si également à toutes les œuvres de Dieu qu'il nous est permis de nous savoir toujours entourés du mystère des trois personnes. Tout croyant ordinaire comme chaque saint participe à tout le mystère qui fut offert à la Mère du Seigneur. Et plus un être humain est pur, plus purement il fera l'expérience qu'il peut prier Dieu comme le plus proche des proches, si proche à vrai dire qu'il ne perçoit plus de différence entre le Père, le Fils et l'Esprit, bien qu'il connaisse la Trinité et bien qu'il comprenne la Trinité de la grâce qu'il expérimente et reçoit49.

Ce que l'orant vise n'est rien d'autre que l'échange de l'amour trinitaire; cet amour est une telle plénitude que cela ne le dérange pas que le monde y entre avec ses orants pour y participer50.

Parce que le Fils s'est fait homme, on pourrait croire qu'il vaut mieux s'adresser surtout à lui dans la prière comme si l'expérience qu'il a de notre monde le rendait plus capable de nous comprendre. Et quand vient la fête de l'Esprit, il nous semble un peu pénible de devoir nous occuper de lui à présent, de lui confier notre prière. Mais dès qu'on prie l'Esprit Saint, on remarque que la difficulté qu'on redoutait n'existe pas. Seulement la prière est différente parce qu'on sait maintenant qu'on est environné de l'Esprit. En s'approchant de lui, on se sent comme entouré de ses soins et caché en lui. Il sait d'avance ce que nous avons à dire dans la prière, pourquoi nous le prions et, parce qu'il sait tout, il rend la prière facile. Mais la prière à l'Esprit Saint a une particularité: plus que d'habitude, on pressent la grandeur et l'infinité de Dieu… Nous avons le droit d'attendre avec certitude de recevoir de lui davantage que ce que nous avons demandé, un peu comme si une langue étrangère nous devenait compréhensible ou que s'ouvre devant nous un domaine qui nous était jusqu'alors inconnu51.

Personne n'a le droit de prier sans s'appuyer sur la prière du Seigneur; personne ne peut croire sans vouloir croire à la vision que le Fils a du Père. Le Fils voit le Père et il répand continuellement ce qu'il voit sous une forme adaptée à la foi de ceux qui le suivent. Il voit la plénitude; le temps qu'il passe sur terre est rempli d'éternité. Et cette plénitude est si infinie que tout croyant peut y avoir part52.

Une fois pour toutes nous sommes dans la prière du Fils, "non en nous y plaçant, mais en raison de la plénitude de sa grâce… De sa part, il s'agit d'une invitation sans artifice, dans laquelle il ne cache aucune exception: c'est pour tous, en effet, qu'il est venu dans le monde, et tout homme, croyant ou non, pourrait, s'il consultait l'Ecriture, affirmer: je suis concerné…Une eucharistie qui ne serait pas participation au dialogue du Père et du Fils dans l'Esprit n'en serait pas une"53.

Revêtu de notre nature, le Fils a été en mesure de parler au Père dans la vérité. "En nous découvrant son chemin sur la terre comme un chemin de prière, il nous invite à sa suite. Nous aussi, nous pouvons et nous devons prier"54.

S'occuper du Seigneur, c'est déjà entrer dans la prière. "La prière, dans toute sa pureté, serait la participation à l'échange du Seigneur avec son Père dans l'Esprit Saint… Tout prière bien faite nous rapproche de l'attitude du Seigneur et nous en transmet quelque chose… Toute prière chrétienne est en fin de compte une insertion dans cette volonté du Père que le Fils accomplit. Comme le Fils, dans chacune de ses actions, fait entièrement la volonté de son Père, de même chacune de nos prières chrétiennes a une part totale à la volonté du Père"55.

Nous savons que le mystère insondable qui unit le Fils au Père et le Père au Fils est un mystère d'obéissance aimante. Ce mystère indicible est pour le Fils le centre de tout. "C'est pourquoi, nous qui avons à suivre le Seigneur, il nous faut, dans le silence de la prière et de l'adoration, auquel le Seigneur lui-même nous renvoie, prier le Père de vouloir bien insérer notre… existence actuelle dans l'existence omniprésente (de son Fils), notre obéissance de chrétien dans son obéissance divino-humaine incessante, afin que nous ayons part dans la foi à son indicible mystère d'obéissance… Dieu veuille faire de notre oui une imitation du oui parfait de son Fils"56.

Adrienne von Speyr a commenté plusieurs fois le Notre Père; une fois au moins elle a commenté, dans l'extase, le Notre Père de Jésus en croix. En voici de larges extraits: Le Fils ne saurait plus que le Père est au ciel si Marie et Jean ne se trouvaient au pied de la croix. Il sait leur présence, il perçoit en eux sa propre parole et il saisit par là la vérité du Père. Que ton nom soit sanctifié. Cette sainteté du Père est pour lui à présent comme une notion humaine qui n'est plus à remplir de sa sainteté divine. En tant qu'homme, il a pour ainsi dire à chercher ce qui est saint. Pour lui, Dieu Trinité était toujours saint; mais il a comme perdu sa place de deuxième personne. Il sait bien qu'il ne faut pas prononcer le nom du Père sans ceux du Fils et de l'Esprit. En langage humain: il est comme quelqu'un qui est conscient d'avoir une mission reçue de Dieu et qui cependant envie tous ceux qui ont une mission, comme si lui n'en avait pas. Comme un enfant riche qui s'amuse avec le jouet d'une enfant pauvre et qui oublie qu'il a chez lui beaucoup de jouets beaucoup plus beaux. Que ton règne vienne. C'est un cri de détresse du haut de la croix. Sans savoir que le règne vient justement parce que lui s'en va; au contraire, il dit ces mots dans la dernière aliénation de l'angoisse. Comme si le royaume des cieux devait tomber d'en haut sur la croix, parce qu'il ne voit pas que la croix s'élève vers le ciel et y ouvre une brèche, qu'elle en brise les portes avec violence, qu'elle établit le passage de la vie présente à la vie éternelle. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Ici, il n'est plus que les autres. Lui-même ne peut plus avoir besoin du pain de chaque jour. Mais il ne peut omettre cette demande parce que les autres ont encore besoin de pain. Et cependant cette demande signifie à présent: donne-nous le corps de ton Fils. D'un bond: le corpus Domini est le vrai pain; ils doivent le recevoir. Lui-même n'en a pas besoin non plus parce qu'il est lui-même ce pain; il livre son corps dans le pain afin que le pain quotidien des chrétiens devienne eucharistique. Pardonne-nous nos offenses. Il porte toutes les offenses. Si le Père veut à présent pardonner à quelqu'un, il doit pardonner au Fils, l'innocent, qui est pardonné de toute façon puisqu'il n'a rien fait, mais qui doit recevoir le pardon parce qu'il porte tout. Affaire tout à fait subtile. Et le Fils doit se tenir pour coupable parce que la faute des autres a en lui un espace libre… Comme nous pardonnons aussi. Il pardonne à tous, il a déjà pardonné avant même qu'on lui ait fait quelque chose, de sorte qu'il pardonne à tous alors qu'il porte encore le poids des fautes de tous. Comme celui que tous ont couvert d'opprobres… C'est comme s'il devait pardonner afin que le Père puisse pardonner; c'est comme s'il devait pardonner afin que les autres puissent pardonner. Cela lui coûte de la peine de pardonner parce que, à présent, tout ce qu'il doit faire lui-même lui coûte de la peine parce qu'on dispose totalement de lui. Il est difficile d'être actif dans la Passion. C'est pourquoi les paroles sur la croix ont tellement plus de poids que toutes les autres paroles; elles sont comme une avalanche, elles grandissent en se répandant, de Marie et de Jean jusqu'à nous, et on voit que toute leur force se trouvait déjà à l'origine. Cela nous crée une obligation énorme. Et le plus touchant est peut-être la manière dont le Fils prie maintenant: Ne nous soumets pas à la tentation. Il a vaincu la tentation. Mais son expérience est maintenant passée. Dans son impuissance, il est celui qui ne décide plus de ce qu'il est capable et de ce qu'il est incapable de faire. Il fait partie en quelque sorte de la foule énorme de ceux qui sont fatigués de résister à la tentation. Il est l'homme fatigué qui souffre, qui supplie d'être délivré du mal. Plus faible à vrai dire qu'au mont des oliviers. Et ce n'est que maintenant qu'arrive la dernière demande: Que ta volonté soit faite. Il résume tout en ce entre de sa prière. Le Père ne doit pas penser que, sur la croix, il a encore quelque désir, un désir autre que le désir unique d'accomplir la volonté du Père sur la croix terrestre comme il l'accomplit au ciel57.

 

                Concrètement

                  Plan : Le temps de la prière - Les manières de prier - Le contenu de la prière

                             

                            Le temps de la prière  

Le bon moment pour Dieu, c'est toujours le moment présent58. La prière ne doit jamais être abandonnée pour se livrer uniquement à l'action. On peut se détourner de la vie essentielle, qui est intérieure, par un excès d'activités. On peut s'éloigner de ce centre sans guère le remarquer, sans voir non plus la part d'amour-propre qui s'est glissée dans cet activisme et qui refuse d'accepter tout blâme venant de l'Eglise. Il peut être permis, exceptionnellement, de prendre sur soi par amour une double charge de travail. Mais pas continuellement, car celui qui n'écoute plus ce que Dieu veut n'entend plus que ce qu'il veut lui-même et il ne fait donc plus que ce qui l'intéresse. Chaque parole prononcée ici-bas par le Fils faisait partie d'une prière au Père. Pour lui, il n'y avait aucune action qui ne fût en totale liaison avec le Père. Et toujours il a laissé le Père éprouver son action, bien qu'à cause de l'unité en lui de l'homme et de Dieu, il n'y eût pas le moindre danger qu'il s'éloignât du Père59.

Toute mission active demeure en tant que telle incomplète. Il est impossible de tout faire. Non seulement pour que l'action puisse être 'arrondie' (complétée) par la souffrance. La contemplation aussi la parachève (l'arrondit): le temps qu'on doit nécessairement soustraire à l'action. Beaucoup de ce qui pourrait être fait doit demeurer non fait pour l'amour de la prière, même chez un curé fort occupé60.

En tout ce que fait Marie, la prière a une telle place qu'on comprend, quand on l'a vue, la certitude qui peut être la sienne et en même temps sa candeur. Ce qu'elle pense et réalise va de soi pour elle parce que c'est enraciné dans la prière et que cela y demeure enraciné. Ce qu'elle pense et fait mûrit dans la prière comme un fruit au soleil, comme un pain au four. Aucune espèce d'impatience61.

Il n'est pas permis que la prière soit une fuite. Parce que tout le monde vous tape sur les nerfs, on se réfugierait dans la prière. En soi, cela pourrait être juste si l'on est prêt à se laisser déranger à nouveau pour les exigences de la mission. Est fausse la prière qui chercherait à fuir la mission62.

"Celui qui prie devrait aussi, en dehors de la prière explicite, pouvoir vivre de la prière. La prière devrait englober et exprimer tout ce qui, au long de la vie, est vrai, tout ce qui passe. Elle devrait témoigner que nous avons établi notre demeure en Dieu… Il y a aussi une sorte d'évolution d'une prière à l'autre, parce que le croyant ne connaît pas d'arrêt dans sa vie, pas plus que le Fils qui, parti du Père et retourné vers le Père, ne s'est jamais arrêté dans son cheminement". Celui qui prie se trouve à la suite du Fils; il est entraîné dans son passage au Père, mouvement qui inclut toujours celui qui vient du Père63.

La persévérance dans la prière provient de l'amour. "Il se peut que de devoir prier quotidiennement les heures de l'office dans un monastère me dégoûte un jour terriblement. Toujours les mêmes psaumes et les voix stridentes de mes sœurs… Mais je devrais justement penser que, derrière tout cela, il y a le Seigneur". Une mère qui prépare tous les jours une bouillie compliquée pour son enfant et qui, tous les jours, doit laver une quantité de langes ne sera jamais dégoûtée parce qu'elle le fait pour son enfant. Elle ne va pas un jour tout envoyer promener pour aller faire un tour. Elle est tout heureuse d'avoir un enfant. "Et si on comprend bien le Seigneur et son amour, on ne se laissera pas énerver". Ce qui me déplaît n'a pas d'importance, comparé à la santé de l'enfant et à son bien-être64.

C'est un peu comme pour la prière durant la maladie. Tant qu'on est en bonne santé, il y a harmonie entre la prière et le travail; dès que la pensée est libre, elle retrouve la prière sans avoir à renouer des fils qui auraient été rompus. Mais quand on est malade et affaibli, il arrive que les pauses entre les prières proprement dites se fassent plus longues. Mais il se peut aussi qu'on découvre que dans l'entre-temps on avait quelque chose d'autre à faire, peut-être simplement souffrir et se sentir faible, faire l'expérience de son impuissance, et on découvre que cela aussi était une mission. On est faible et on sait que tout est bien comme Dieu le veut65.

"Souvent je suis assise à mon bureau et je tricote; tandis que les mains sont occupées, l'esprit est libre; une prière lui est donnée qu'il n'a pas cherchée. Parce qu'on était au fond dans un endroit tranquille". L'âme se sait habitée, et cela s'exprime en prière. Quand on a avec quelqu'un une conversation qui est interrompue pour une raison ou pour une autre et qu'on la reprend plus tard, dans l'entre-temps on reste ouvert à cette conversation. On n'a pas besoin de réfléchir à ce qui a été dit ni à penser à la suite, on demeure simplement en état de poursuivre la conversation, on se tient à sa disposition. Peu importe si entre temps je travaille, lis ou réfléchis à autre chose. Je reste prête à poursuivre la conversation et cela ne demande aucun effort. Même chose pour la prière (pour les visions, dit Adrienne)66.

 

                         Les manières de prier 

"A supposer que je n'aie pas commis de péché et que je veuille quand même me confesser, je vous dis: J'ai du mal à trouver de quoi m'accuser, comment dois-je faire? Vous me répondrez: Vous n'avez certainement pas prié comme vous le deviez. Je ne pourrai que vous répondre: Certainement pas! Et si, pendant des années, je faisais tous mes efforts pour faire mieux, je devrais toujours redire: Certainement pas"67.

"L'homme prie. Il bredouille quelques paroles. Peut-être sait-il exactement ce qu'il veut et l'exprime-t-il de manière abrupte et vigoureuse. Peut-être se sent-il si petit et indigne devant la majesté de Dieu qu'il ne sait pas dire ce qui remplit son cœur, qu'il a recours aux prières composées par l'Eglise, en balbutie une ou la récite de toute son énergie. Peut-être prie-t-il par devoir et se sent-il par après libéré d'une obligation. Peut-être prie-t-il comme on fait un beau travail, avec la crainte de changer quoi que ce soit aux paroles, avec le sentiment qu'il doit maintenir ses demandes invariablement toute sa vie durant. Peut-être s'est-il mis plusieurs fois à prier et n'en est pas plus avancé, saisi qu'il est finalement par son indignité et son incapacité, à tel point qu'il ne prononce rien d'autres que des oraisons jaculatoires ou un soupir: Tu vois comment je suis, tu sais bien ce dont j'ai besoin… Ou bien est-il frappé d'une telle grâce, rempli d'une telle joie qu'il bredouille son merci et s'offre comme il peut. Toutes ces formes de prières et bien d'autres encore forment ensemble une image bigarrée: pour chacun, la prière est différente; pour chacun, celle d'aujourd'hui est différente de celle d'hier, elle est un paysage changeant…"68.

De même qu'on peut se jeter dans de la bonne musique, on peut se jeter dans la prière. Sans effort, comme on plonge dans l'eau. L'authentique musicien est simplement au service de la musique. Il ne se concentre pas sur sa propre imperfection: "Si seulement j'avais des doigts moins gauches, si je m'étais davantage exercé jadis!" Sans réfléchir sur ce qui est parfait et sur ce qui est imparfait, il démarre, il improvise aussi, sans narcissisme. Je joue du Schubert, je ne me joue pas moi-même. Et ce que j'ai, je le mets dans Schubert. Je ne cherche pas à vous en faire accroire. Dans la prière, on ne s'ouvre pas artificiellement pour l'amour de soi. Cela ne servirait qu'à se rétrécir. Ne pas être malheureux parce qu'on n'a pas eu de conditions favorables au départ69.

L'homme a, comme la mer, ses marées, son flux et son reflux, il connaît comme la nature, l'alternance des saisons, la joie et la désolation, la croix et l'aube pascale. Beaucoup de choses dans la nature ressemblent à la prière. La nature n'a rien de monotone; le temps est un événement perpétuel que Dieu a donné au monde, et le temps se reflète dans toute recherche de Dieu, "dans tout effort de se rapprocher de lui par la prière. La création a, pour celui qui prie, un sens plus profond: il y voit tout ce que Dieu a préparé en vue de l'homme. Et il peut découvrir dans la nature et sa temporalité des occasions de prier qui sont toujours nouvelles, si bien que s'ouvrent à lui, tout à coup, des choses dont il n'avait pas jusqu'ici perçu le sens pour la prière. Et cela lui permet de poursuivre, consolé, ses prières parce que Dieu met à l'intérieur des formules - si monotones qu'elles puissent paraître - richesse et diversité"70.

La prière n'est jamais ennuyeuse, ose écrire Adrienne! Même répétée indéfiniment, elle ne devient jamais ennuyeuse "parce qu'elle est un entretien avec Dieu qui ne peut jamais ennuyer et dont la parole est toujours nouvelle, même quand elle paraît exactement la même". Un orant ne perd jamais son temps parce que prier, c'est se tenir devant Dieu71.

Ce qui importe, "c'est que notre prière soit vraie… Et si la douleur nous touche, ne l'abandonnons pas à Dieu dans le vague, remettons-la lui dans une prière vraie. Quand on souffre, il y a très bien moyen de s'arranger pour que ce soit 'supportable', et l'on diminue Dieu. Nous devrions assumer la souffrance comme Dieu la donne ou la permet. Alors la douce volonté du Seigneur viendra également à bout de notre nature rebelle"72.

"Quand nous parvenons à prier vraiment, que les paroles prononcées dans la prière deviennent vérité, nous sommes immanquablement entraînés dans la contemplation. Le plus souvent nous savons à peine ce que nous prions ou bien nous ne le savons que d'une manière imprécise; nous remplissons un devoir, nous passons, en priant, d'une chose à une autre, ou nous nous trouvons dans le besoin et nous sommes reconnaissants de pouvoir le dire à quelqu'un. La prière qui est vraiment prière n'est pas loin de la contemplation. Car lorsque nous prions en vérité, nous sommes davantage en Dieu qu'en nous-mêmes, et nous participons davantage à la prière du ciel qu'à celle de la terre"73.

Prier vraiment, ça change vraiment quelque chose. "Il peut se faire qu'un homme prie avec le sentiment d'être écrasé par le poids de la vie quotidienne, d'être enfoncé sous un énorme chaos de choses… Or, il doit savoir que Dieu est l'ennemi du chaos, bien plus, qu'il fait de tout ce chaos un monde ordonné, un cosmos créateur. Celui qui, en finissant sa prière, serait aussi accablé et troublé qu'en la commençant, n'aurait pas vraiment prié…A-t-il vraiment prié? Alors, lui qui montait la garde devant son domaine s'est effacé devant Dieu, et Dieu a pu immédiatement s'attaquer à son chaos"74.

Pour prier vraiment, il n'est pas nécessaire de dire beaucoup de paroles, ni d'agiter beaucoup de pensées. La méditation peut s'occuper des mystères de la Trinité, des choses du ciel et de la vie éternelle. Souvent ça commence par une parole du Seigneur. Parfois la méditation suit un certain cours d'un point à un autre, d'autres fois on est pris simplement par un mystère. Parfois on retient pour le lendemain matin tel sujet de méditation et ça va très bien. D'autres fois, "quand je veux commencer, j'ai oublié ce que j'avais prévu et j'y suis ramenée directement". Parfois aussi c'est un autre sujet qui se présente et la méditation se déroule sans points de méditation. "Le plus souvent on est au ciel; être au ciel, c'est être ensemble, et on n'a pas besoin de se parler beaucoup. On peut participer tout simplement"75.

Quand on a toujours prié avec les prières qu'on connaît depuis son enfance et avec les prières de l'Eglise, le passage à une prière sans paroles peut avoir quelque chose d'un peu angoissant. Si on nous dit: "Ouvrez-vous totalement à Dieu, faites silence pour qu'il puisse vous parler", on peut se demander: "Y a-t-il vraiment un chemin ici? Peut-on connaître Dieu de cette manière? Est-ce qu'on ne va pas simplement se rencontrer soi-même et se fourvoyer?" Un peu le doute des mages quand ils suivaient l'étoile: n'est-ce pas une étoile tout ordinaire? Et cependant elle les a menés à l'Enfant76.

Il y a en l'homme des paroles qui ne sont pas prononcées mais qui existent quand même. Tout ce qui est vivant et spirituel s'appuie sur une parole même si elle n'est pas dite. L'homme ne s'éveille à lui-même que par la parole. C'est pourquoi le silence aussi est fondé sur la parole, il est une partie de la parole. Dans une conversation entre deux êtres qui s'aiment, beaucoup demeure inexprimé, mais cet inexprimé demeure entre eux comme une parole essentielle. Toute parole qui est dite en Dieu, que ce soit une parole de Dieu ou une parole de l'homme, est et demeure dite; elle est dite d'une manière si essentielle qu'elle peut n'être pas proférée extérieurement. Cela ne veut pas dire que le dialogue est superflu parce que, de toute façon, Dieu sait tout d'avance. Au contraire, le dialogue est si profond, si essentiel, que le simple fait d'être ensemble vaut déjà tout un discours. La parole consciente, formulée, sentie est superflue. Se regarder l'un l'autre est déjà un dialogue. Pour celui qui croit en Dieu et l'aime, voir une quelconque manifestation de Dieu dans le monde - par exemple deux êtres qui s'aiment, quelque chose de beau ou quelque chose de douloureux, quelque chose qui révèle l'amour de Dieu dans la création - est immédiatement un dialogue. La vraie contemplation est le contraire du quiétisme, elle est toujours un feu vivant, une éclosion de vie…, une parole vivante de Dieu qui brûle dans la substance de l'homme comme un feu caché. Quand Dieu a parlé une fois, quand une âme l'a entendu, le silence n'est plus jamais un silence vide, il n'est plus jamais non plus un écho simplement de la parole, il est une forme de réponse, un accueil de la parole, un accueil vivant, actif. Dans le silence, l'âme devient le sein de la parole. Ce silence est présupposé par toute conversation et lui seul permet de poursuivre le dialogue. Par le silence, l'homme qui a entendu est devenu autre. Même s'il n'a pas pleinement compris la parole, elle continue à vivre et à agir en lui… Une même prédication entendue par mille personnes sera reçue par chacune dans le silence d'une manière tout à fait particulière et unique77.

Il y a une obligation de grandir dans la prière. Comment le faire comprendre aux gens? "C'est comme pour une langue étrangère. On apprend à l'élève mot pour mot. La langue de Dieu et des saints. Et tout à coup ils se mettent à parler cette langue couramment. Mais ce n'est possible que si on leur a enseigné très clairement les premières notions. Dans une relation toi-moi. Alors l'élève entend aussi comment le maître parle la langue avec les autres, il écoute et il acquiert la pratique. Le maître peut être Dieu lui-même ou la Mère de Dieu ou un prêtre. Il n'est pas absolument nécessaire que ce soit un homme. Dieu peut ouvrir le ciel à un enfant"78.

Enfin pour Adrienne, il n'y a pas de prière vraie sans pénitence. "La prière doit être appuyée par la pénitence. Une vie sans pénitence est une vie dans la tiédeur. Une prière sans pénitence n'est pas une vraie prière… Beaucoup diront: un tel est malade, il ne peut pas faire pénitence. Ou bien: un tel a trop à faire, il est dispensé de pénitence. C'est faux. Pas d'exercice de pénitence les jours de fête, sinon aucun jour sans exercice de pénitence. Personne ne peut assurer que le malade a fait suffisamment pénitence ou que celui qui est fort occupé a fait suffisamment pénitence, ou bien que tel autre qui semble tout faire correctement agisse vraiment comme il faut. La tendance à l'orgueil n'est vraiment vaincue que par l'exercice de pénitence. Même si j'ai beaucoup de travail, je n'ai pas le droit d'oublier les exercices de pénitence"79. 

 

                 Le contenu de la prière 

Pour Adrienne, tout est matière à prière. Elle ne s'occupe guère des distractions. Toutes les personnes, toutes les situations qui se présentent à notre mémoire nous sont comme envoyées par le ciel pour qu'on leur apporte l'aide de notre prière (et de notre pénitence)80.

On peut se raccrocher à tout dans la prière. A une joie ou à une souffrance qu'on a éprouvée et par laquelle on a appris à mieux connaître Dieu; ou bien à une histoire qu'on nous a racontée. Ou bien à l'une ou l'autre chose de la création. Et on peut se laisser mener plus loin par tout. Un beau paysage: beauté et clarté surtout. Un plan que j'ai: le plan de Dieu sur nous ou sur le monde81.

On dit toujours dans la prière: "Que ta volonté soit faite", mais on ne fait pas très attention à ce qu'on dit parce qu'il est très difficile de se représenter la volonté du Père. Souvent on souhaite quelque chose pour soi-même et on trouve qu'on ne devrait pas importuner Dieu avec cela… Souvent les petits riens sont lourds à supporter, mais ils sont si petits qu'on ne voudrait pas en faire l'objet d'une prière particulière, on garde en quelque sorte sa 'dignité' devant Dieu, et ce n'est sans doute pas juste. On devrait comprendre qu'il faut emporter avec soi les petits riens dans la prière et les laisser là s'ouvrir à quelque chose de plus grand. Mais ça ne se fait pas toujours parce que les petits riens nous troublent et nous empêchent en quelque sorte d'y voir clair82.

Et cependant chacun de nos problèmes, tout ce qui nous trouble doit devenir une question que nous posons au Seigneur dans la prière parce que seul le Seigneur peut y répondre… Il serait bon que tout ce que nous possédons, notre corps, notre âme et notre esprit, que toutes les questions de notre vie, nous les présentions au Seigneur: rien que cela nous le ferait déjà rencontrer83.

Le Journal d'Adrienne, au 8 juin 1941, note que le 'Suscipe' de saint Ignace est depuis longtemps sa prière préférée84. On trouve d'ailleurs d'innombrables témoignages de cette assertion dans l'ensemble des œuvres posthumes. Voici cette prière du 'Suscipe' qu'on trouve dans les Exercices (n°234) de saint Ignace: "Seigneur, prends et reçois ma liberté, ma mémoire, mon intelligence, ma volonté, tout ce que j'ai et possède. Tu me l'as donné: à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi, fais-en ce que tu veux. Donne-moi ton amour et ta grâce: cela me suffit". Raymond Peyret a noté de son côté l'influence de ce texte sur la prière de Marthe Robin85.

Mais y a-t-il mieux que le Notre Père ou le Je vous salue Marie? "Le Notre Père est un don du Seigneur pour tous les jours". On ne peut pas l'épuiser. Il est toujours capable de nous tenir éveillés dans notre foi. Dans la plus simple prière, Dieu peut tout à coup faire le don d'une lumière toute nouvelle, faire découvrir une autre profondeur. Et on ne pourra plus jamais redire cette prière sans penser à la lumière reçue un jour86.

"Quand je commence à prier… un Notre Père par exemple, je me tourne vers le Dieu que je connais et je lui dis les mots que je sais… Je suis à genoux dans cette pièce, les mains jointes, j'ai telle journée derrière moi; quelle qu'elle ait été, je puis l'introduire dans ma prière. Tout le jour j'ai été un enfant de Dieu, tantôt plus, tantôt moins, et je prie maintenant avec les mots que le Fils nous a donnés. Aucun Notre Père cependant ne ressemble à un autre. Dieu m'attire tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, il ma saisit tantôt à la surface, tantôt au plus profond. C'est Dieu lui-même qui donne à toute rencontre avec lui la forme qu'il veut lui donner"87.

Tout chrétien a la possibilité de vivifier toujours à nouveau ses prières les plus simples comme le Notre Père. Il peut réfléchir au sens de chaque mot et de chaque phrase, il peut en rapprocher des vérités qu'il connaît par ailleurs et, par des lectures et des conversations, en ruminant aussi ce qu'il a entendu dans les prédications, il peut toujours trouver une nouvelle matière pour sa prière. Souvent il recevra de Dieu lui-même des lumières et des consolations qui influeront sur toutes ses prières88.

De même pour le Je vous salue Marie. Répété tous les jours d'innombrables fois, il n'est jamais usé. Les mystères qu'il évoque se font plus proches, plus dignes d'être aimés; il nous apprend à deviner la plénitude de Dieu, son amour surtout. Marie et son enfant baignent dans l'amour; on sent combien cet amour rayonne d'eux. Cet amour ne repousse pas; au contraire, il attire, il fait participer à ce qu'il est. Ce qu'il y a de surnaturel dans la Mère et l'enfant fait que la prière de salutation devient une salutation du ciel. Si elle n'était pas cela, on serait dégoûté depuis longtemps de cette prière. C'est comme si la prière ouvrait le ciel. La grâce peut prendre toutes sortes de formes: la grâce d'avoir la foi, celle de connaître la grâce de Marie, de pouvoir la prier, de savoir qu'elle m'entend. Mais la grâce est toujours plus grande que ce qu'on peut en détailler. Elle déborde le temps. La grâce, c'est peut-être d'avoir maintenant le courage de supporter ces souffrances; mais celles-ci, comme la grâce, sont elles-mêmes fécondes et engendrent autre chose. Si la grâce est si grande et si débordante, c'est qu'elle provient constamment de l'échange du Père, du Fils et de l'Esprit. La grâce est comme une voie lactée qui coule du ciel sur la terre et réunit le monde à Dieu. L'orant est sur terre, Dieu est au ciel, et la grâce c'est la distance sans cesse franchie. Elle va, elle souffle, elle se répand89.

Si tout est objet de prière, tout aussi est objet d'action de grâce. L'action de grâce est un devoir. On n'a pas le droit de remercier pour certaines choses et pas pour d'autres. La reconnaissance est une forme de l'amour, elle n'exclut donc rien. Elle nous rend si proches de Dieu que, par elle, nous recevons de lui un nouvel amour qui rend possible notre vie chrétienne90.

Adrienne von Speyr a commenté jour après jour l'Evangile selon saint Marc pour les premiers membres de l'Institut Saint-Jean. Un certain nombre des 353 exposés de ce commentaire se terminent par une invitation à la prière, qui s'inspire du texte de l'Evangile. Parcourir toutes ces invitations à la prière serait une manière très concrète d'entrer dans la prière d'Adrienne. En voici quelques échantillons:

"Nous demandons au Seigneur de bien vouloir nous donner la grâce de croître vers lui à l'occasion de toute critique, qu'elle soit justifiée ou non"91.

"Nous terminons par une prière à la Mère de Dieu. Nous la remercions d'avoir pris sur elle pour nous tant de souffrances… Nous lui demandons de bien vouloir nous accompagner aux heures où nous ne comprenons plus notre voie de chrétien. Avec elle nous louons le Seigneur qui a fait en elle de grandes choses"92.

"Concluons en demandant au Seigneur de ne pas nous laisser devenir chemin (où tombe le grain du semeur) et de ne pas permettre à Satan de voler la parole qui est en nous; qu'il nous apprenne aussi à supporter que, de ce que nous semons en son nom, beaucoup se perde"93.

"Terminons en demandant au Seigneur qu'en tout ce qui est difficile il nous impose la mesure qu'il juge à propos, selon que cela lui semble nécessaire et que cela peut être utile, d'une manière que nous n'avons pas besoin de comprendre"94.

"Terminons en demandant à Dieu qu'il ne permette jamais que nous allions à sa rencontre avec notre propre volonté, mais qu'il veuille bien, en chacune de nos prières, nous montrer sa volonté, de sorte qu'en toutes nos demandes nous n'attendions de lui que ce qui correspond à son désir"95.

"Terminons en demandant au Seigneur que, par le pouvoir qu'il a sur la vie et sur la mort, il fasse de notre mort comme de notre vie, pour nous-mêmes et pour tous ceux qui ont affaire à nous, une révélation de sa grâce96.

 

              Toute prière est une communion

              Plan : Les saints et la prière - Rencontre de toute l'Eglise             
 

                        Les saints et la prière 

Nous demandons aux saints de soutenir nos requêtes auprès de Dieu parce que nous avons confiance qu'ils savent mieux que nous la bonne manière de présenter à Dieu notre prière97.

Quand on se met à prier Dieu, il arrive qu'on commence par inviter les saints, les anges et la Mère de Dieu à être présents et qu'on leur demande de permettre qu'on ait part à leur prière… Tous ceux que nous invoquons au ciel sont occupés à prier98. Ce dont on peut être sûr, c'est que, si on les appelle, ils nous sont présents invisiblement et ils nous aident.

En recommandant aux anges et aux saints notre prière, on voudrait qu'ils nous aident à trouver les mots justes pour nous adresser à Dieu Trinité, on voudrait qu'ils nous les suggèrent; on voudrait aussi qu'ils s'approprient notre prière telle qu'elle est avec son contenu et ses désirs, qu'ils fassent leurs nos besoins, qu'ils habillent nos prières de leurs paroles, qu'ils les transmettent à Dieu comme s'il s'agissait de ce qui leur est le plus personnel. Ce faisant, il arrive que notre prière se transforme, que ce qui nous semble important se déplace: on se 'convertit' au point de vue des saints et du ciel, et cela nous conduit à préférer leurs désirs aux nôtres parce que leur avis nous semble finalement beaucoup plus plausible que le nôtre. On comprend que, dans la prière des saints, des ponts se construisent et des possibilités s'ouvrent auxquels nous ne pensions pas99.

Invoquer un saint, c'est pour ainsi dire le relier de nouveau à la terre; c'est comme si ma prière le plaçait en un lieu nouveau: maintenant il est comme à genoux à côté de moi, il prie avec moi selon l'habitude qu'il avait autrefois ici-bas, mais maintenant il prie en même temps au ciel; pour lui il n'y a pas de distance. En priant avec moi, il ne perd rien de son activité au ciel, mais celle-ci acquiert, par notre prière commune, une nuance nouvelle qui provient en quelque sorte de ma prière. Dans une prière qui se fait ainsi dans la communion des saints, des liens se tissent en tous sens: de moi vers le saint que je prie, de moi à Dieu, du saint à moi et du saint à Dieu, de Dieu à moi et de Dieu au saint. Quand un saint prie à côté de moi et avec moi, il examine pour ainsi dire en même temps ma prière, il examine mon désir, il le prend en lui après l'avoir examiné et purifié, il le transmet à Dieu, puis Dieu le lui rend et il me transmet en quelque sorte le résultat. Mais tout cela se déroule sans que le saint soit une sorte de station intermédiaire (au ciel) entre Dieu et moi. On pense: il est là-haut en présence de la majesté de Dieu, je suis ici-bas dans une obscurité épaisse. Mais la prière dans la communion des saints ne me permet pas seulement de lever les yeux vers le ciel, elle ne fait pas que me rapprocher un tant soit peu du ciel pour me donner une nouvelle confiance dans mes difficultés, elle rapproche le ciel de moi100.

L'Eglise sait que ses membres qui meurent ne l'oublieront pas quand ils seront dans la vision de Dieu, ils lui rendront son amour, ils la soutiendront. Finalement on ne sait pas si l'Eglise pourrait subsister si tous les saints - ceux qui vivent encore ici-bas, ceux qui ne sont pas encore nés et tous ceux qui iront au ciel un jour ou l'autre - ne lui offraient pas leur aide active pour préparer les hommes à la vision de Dieu. L'éternité étant un éternel présent, Dieu peut mettre à la disposition de l'Eglise l'avenir aussi bien que le passé. Pas plus que je suis en mesure de dire que la prière que je fais maintenant aura un effet au Canada dans cinq minutes, on ne sait quel amour du ciel apporte maintenant son aide à l'Eglise. Tous ceux qui aident, quelle que soit l'époque où ils vivent, ont part d'une manière ou d'une autre à ce qui se passe en cet instant présent. L'événement temporel est inséré dans l'éternel et, dans son omniscience, Dieu est en mesure de laisser agir toutes les causes qu'il veut101.

Souvent on n'a aucune idée de l'aide apportée à toute prière par la communion des saints, par l'Eglise, par tous les orants dispersés sur la terre, et également par le ciel tout entier qui, à sa manière, porte plus loin les prières de la terre. La Mère de Dieu les entend et les transmet, les saints aussi s'y emploient d'une manière qui correspond à ce que fut leur mission terrestre, seulement ils ont maintenant plus de liberté; les anges aussi le font en vertu de leur nature d'anges parce qu'ils ont mission d'aider les hommes102.

Marie surtout nous apprend à prier. Elle est "celle qui apprend à chacun à prier le Fils"103. Elle-même "lance sa prière à Dieu comme une balle, avec la confiance qu'il la saisira"104.

Chaque fois qu'on s'occupe de la Mère, on s'approche du Fils. Elle nous invite à prier avec elle et à sa manière à elle. Et on peut inviter d'autres personnes à prier ensemble; on peut en inviter toujours davantage, des personnes et des communautés, et finalement le monde entier. Cela met Marie en joie105. "Ce qui caractérise la prière mariale, c'est d'inclure le monde dans sa prière sans vouloir tracer une limite quelconque entre soi et le monde"106.

Dans la prière comme dans toutes les autres circonstances de la vie, les rapports de Marie avec son Fils sont complexes. Le Fils demeure Dieu malgré l'abaissement de son Incarnation, et Marie demeure totalement partie intégrante de l'humanité malgré la grâce qui l'a rachetée par avance. Dans les échanges avec son Fils, non seulement elle donne et elle reçoit, mais elle se trouve placée devant son mystère: il est engendré par le Père et il voit le Père. Quand Marie prie avec son enfant, elle utilise les mots qu'il connaît, elle demande des choses qui lui semblent nécessaires, elle prie comme le fait une bonne croyante; mais elle sait que le Fils, qui entend ses paroles, les reprend et les présente à Dieu d'une manière qui la dépasse. Non seulement parce que le Père et l'Esprit Saint la reçoivent du Fils, mais parce que la prière du Fils lui-même, la manière qu'il a de parler au Père, lui demeurent inaccessibles: cela fait partie du mystère trinitaire107.

Dieu a besoin de Marie: il veut qu'elle soit la mère du Seigneur. Elle est si proche du Fils qu'elle le nourrit de son sang, elle si proche de l'ange à qui elle a confié son oui qu'elle comprend et porte tout ce qui est saisissable du mystère céleste; par son service, elle répond à ce mystère sans se détacher de lui, sans se mettre en opposition avec lui. Les mots qu'elle dit à son enfant sont adressés au Fils de Dieu qui est la deuxième personne de la Trinité; ils ont donc une relation directe à la Trinité. Elle ne se tient pas comme sur le seuil pour parler au centre incompréhensible de Dieu, elle qui n'est que créature; elle parle du lieu où elle est, et toute la Trinité l'entoure et l'entend là où elle est; il ne peut y avoir là aucun désordre parce qu'elle a la foi et que la foi lui permet de dire avec justesse ce qu'elle a à dire… En tant que médiatrice de la grâce, elle nous montre comment nous devons prier, comment nous pouvons parler au Fils, à l'Esprit et au Père sans souligner la distance qui nous sépare d'eux: cela ne ferait que nous éloigner de Dieu. Nous comprenons que, si nous sommes vrais et simples en priant le Seigneur, toute la Trinité 'arrondit' notre prière (lui donne ses justes dimensions, la complète), et la réponse nous vient de l'unité de Dieu, de la plénitude de l'amour trinitaire. Cela nous incite, quand nous prions, à ne pas perdre de vue cette plénitude divine108.

 

                    Rencontre de toute l’Église 

La prière a toujours un aspect horizontal: elle inclut implicitement le monde entier et ses effets s'étendent au monde entier109.

Il peut y avoir dans la prière une sorte de rencontre anonyme avec toute l'Eglise. Celui qui prie chrétiennement sait qu'il n'est jamais seul, quel que soit le lieu où il prie. D'autres hommes aussi sont en prière et il existe quelque part un accès à toute prière. En priant, on entre dans le monde de la prière de tous les croyants, de l'Eglise dans son ensemble… L'orant isolé peut avoir l'impression d'être un ouvrier qui apporte une petite pierre à une construction extraordinairement grande. Et il est là pour apporter cette contribution même si sa pierre lui semble ridiculement petite comparée à l'ensemble de l'édifice. Et quand, dans la prière, il voit d'autres ouvriers avec leur charge sur les épaules, quand il voit sur leurs visages leur peine et leur labeur, quand il voit leurs mains usées par le travail, il peut aussi connaître dans la prière quelque chose de leur attitude de prière… Il peut arriver aussi qu'on soit trop faible pour prier avec vigueur, trop fatigué pour demander quelque chose, trop épuisé pour trouver les mots justes, et qu'on rencontre alors un grand orant à qui on peut confier sa propre prière; il la prend avec lui; ce qu'il en fait, c'est son affaire. Ou bien Dieu permet qu'on porte soi-même la prière d'autres personnes. Il se peut qu'on ne sache pas de quoi il s'agit exactement, mais on sait qu'en ce moment on porte quelque chose110.

Dans la prière, les chrétiens ne devraient pas se cacher les uns des autres. La prière de l'Eglise devrait toujours se dérouler de telle sorte que tous ceux prient soient sans voile en esprit les uns devant les autres. Mais quand cela arrive-t-il? Nous sommes dix femmes qui allons ensemble à l'église; nous disons ensemble le même rosaire, nous disons les mêmes mots et nous sommes très attentives à prier chacune pour soi sans que les autres aient accès ou part à notre prière… Quand nous entrons dans une église, nous devrions commencer par prier pour ceux qui sont là, puis nous immerger dans la prière commune, essayer de faire monter vers Dieu une prière commune… Seule une âme nue peut être féconde111.

Toute prière, finalement, dans l'Eglise inclut l'Eglise entière et a un effet dans toute l'Eglise. Personne n'est en mesure de sortir de la communion de l'Eglise pour prier, et personne n'en a le droit, personne ne peut prier que pour soi. Chacun doit savoir qu'en priant il est porté par la prière de tous les autres. Que ce soit une prière officielle de l'Eglise ou que ce soit une prière personnelle qu'il exprime, qu'il prie par devoir ou pour la seule joie de prier, avec ou sans sentiment: tout est recueilli et déjà porté par avance au Seigneur par la prière de tous les croyants. Quand on prie avec l'Eglise, il se produit dans le Seigneur comme une rencontre de notre prière avec la prière de l'Eglise. Si on prie hors de l'Eglise, l'Eglise certes prie pour nous, mais nous ne prions pas pour l'Eglise. Il manque à notre prière une force essentielle qui provient de l'union des deux dans le Seigneur112.

"La nuit, avant que les chiens se mettent à aboyer sans fin, il est des moments de silence parfait que les bruits de la nuit, le bruissement des feuilles par exemple, ne font que souligner. On est seul, mais on sait qu'au même moment on prie en beaucoup de lieux du monde, en de nombreux monastères on se lève la nuit pour aller au chœur, ou bien une mère quelque part implore pour son enfant, ou bien un jeune lutte dans la prière pour sa vocation, ou bien il rend grâce pour la vocation qu'il a reçue. Toutes prières du silence. Et c'est un bonheur infini que d'avoir le droit de prendre part à cette prière du monde, de ne pas devoir penser pour le moment à son manque de densité, ni non plus à tous ceux qui ne prient pas. On participe à une prière qui existe… et c'est merveilleux d'être admis à prier avec tous les autres dans le silence de la nuit"113.

La prière, une fête? "Les chrétiens célèbrent des fêtes: dans l'enceinte de l'église, chez eux dans l'esprit de l'Eglise, partout ils rencontrent des jours de fête. Et ils invitent aussi le Seigneur à participer à leur fête, comme les gens de Cana. C'est pour eux un miracle suffisant que le miracle par excellence, le Dieu incarné, veuille être parmi eux. Partout où il demeure, il transforme le quotidien en la réalité pleine d'espérance d'une obéissance croyante, un amour tiède en amour débordant… L'obéissance exige que nous célébrions les fêtes de Dieu. Et que nous les célébrions comme des fêtes joyeuses et débordantes, que nous nous accordions à leur contenu… Nous n'avons pas besoin de regarder en arrière, pleins d'inquiétude, sur nos médiocrités, il ne nous faut pas fêter comme des pécheurs moroses, nous pouvons participer dans l'obéissance à la prodigalité de la joie divine… Le Saint Esprit est l'organisateur de la fête, … il souffle dans l’Église à travers les siècles, afin que… nous soyons joyeux avec Dieu. Il n'est pas permis de se soucier d'hier ou de demain"114.

La prière, une fête? Il y a l'autre aspect de la réalité. Il y a aussi toutes les fausses prières, celles qui veulent imposer à Dieu leurs mesures, il y a tous ceux qui semblent prier alors que peu le font vraiment. "De même que le Seigneur a souffert pour tous, de même ceux qui prient en vérité souffrent pour tous ceux qui prient faussement. Le poids de plomb des fausses prières est accroché à la rare prière authentique"115.

On prie peut-être avec le désir qu'un tel et un tel prient mieux… et c'est une pensée d'orgueil. On pensait que la prière des autres était tiède, et on doit apprendre à ne plus prier pour que ces gens prient mieux, mais pour obtenir de prier soi-même avec leur simplicité et leur force116.

Et cependant on peut vraiment faire don à Dieu de sa prière pour qu'il l'utilise comme il lui semble bon. Mais quand un chrétien a fait don à Dieu et à son trésor de prière de quelque chose pour qu'il en fasse un libre usage, il serait inconvenant qu'il veuille reprendre son don. Supposons qu'il ait beaucoup prié et médité, et qu'il en ait remis le fruit à Dieu; puis vient pour lui un temps de détresse et d'obscurité: il a besoin d'aide. Il ne peut pas alors dire à Dieu: donne-moi maintenant ce que j'ai mis en dépôt auprès de toi. Ce serait sordide. Car son intention était bien de laisser à Dieu la libre disposition de ce qui lui appartenait117.

Il y a toujours communication en Dieu entre ceux qui prient. "Si une personne qui en aime une autre confie sa prière au Seigneur, le Seigneur l'utilise en faveur de l'œuvre de la personne aimée, même si l'autre ne l'a pas demandé expressément. En cueillant notre fruit, le Seigneur tient compte de ce que nous aimons d'un amour chrétien. Il ne se désintéresse pas du cercle personnel de celui qui prie"118.

La première, Marie "montre comment, quand il est chrétien, l'amour humain ne s'accomplit jamais qu'en Dieu". "Tant que le Fils vivait à Nazareth, elle avait le ciel à la maison, parce que le Fils est à la fois au ciel et sur terre". Quand il la quitte pour sa vie publique, Marie l'accompagne à distance. Ne le suivre qu'en pensée serait stérile, "mais l'accompagner en Dieu de ses pensées, l'accompagner de ses prières, voilà qui a un sens fécond et qui rétablit une proximité"119.

Celui qui prie a le pouvoir de rapprocher les siens de Dieu, de recommander pour la vie éternelle dès leur vie présente ceux qui lui sont confiés de telle sorte qu'il se produit un déplacement, que quelque chose de la vie terrestre s'insère dans la vie éternelle, soit mis sous protection divine. Les intéressés n'ont pas besoin de le savoir pour le moment, le fruit n'en existera pas moins120.

Le Fils a passé toute sa vie terrestre dans une prière au Père. Quand on se trouve en compagnie d'autres personnes, on devrait toujours faire naître une situation de prière même quand on sait que l'autre ne prie pas ou qu'il ne connaît qu'une prière de demande purement égoïste. Il faudrait qu'on garde la prière vivante au cœur de l'action; même si, sur le moment, on ne peut utiliser ni les pensées ni les mots de la prière, tout devrait cependant se trouver pris entre les parenthèses de la prière. Dans toute relation toi-moi, on devrait persévérer dans une prière telle que l'autre trouve suffisamment d'air pour y respirer. Si notre interlocuteur est catholique et qu'on lui dise: "J'y penserai", l'autre saura qu'on promet de prendre la chose dans la prière; cela crée une atmosphère commune. Il se souviendra de la conversation comme de quelque chose dont la prière n'était pas absente. Si mon interlocuteur n'est pas catholique, c'est plus difficile; on doit faire beaucoup pour lui, … je dois offrir à Dieu de prendre dans ma prière ce qui est nécessaire pour qu'il intervienne. Et Dieu peut me prendre au mot: "Tu ne te souviens plus de monsieur Dupont, il y a longtemps... ?" Et de l'imprévu peut se produire: ma foi peut devenir plus difficile, la consolation m'être enlevée, toute recherche de Dieu, toute prière peuvent devenir une vraie souffrance121.

L'éternité relie tous les temps entre eux si bien qu'en raison d'une prière d'aujourd'hui Dieu peut corriger quelque chose qui s'est passé il y a des milliers d'années122.

L'Eglise prie pour les mourants. En priant pour eux, elle veut les préparer à voir Dieu. Ceux qui prient pour les mourants ne voient pas Dieu mais, par la foi, ils savent que la vision existe. La prière contient une connaissance de la vision. En soi, il peut paraître étrange que des non-voyants préparent les autres à la vision. Mais il fait partie de la plus ancienne tradition de l'Eglise que certains de ses membres, dès ici-bas, commencent à voir et qu'il revient à l'Eglise de 'gérer' leur vision: ce sont la plupart du temps des ministres et des confesseurs sans visions qui ont à diriger les voyants. Personne ne sait quand un mourant commence à voir Dieu. Mais l'Eglise sait qu'elle a à l'y préparer. Il n'y a là chez elle aucune jalousie, aucun désir de voir avec le mourant; il n'y a là que l'amour le plus simple qui fait qu'une mère partage à ses enfants le pain qu'elle-même ne veut pas manger, dont elle prendra peut-être elle-même quelque chose quand ses enfants seront rassasiés123.

Dans le cas extrême de la préparation à la mort comme dans tout le reste de la vie, "ce qu'un être humain peut donner de plus profond à son prochain, c'est sa prière; ce qu'il lui donne alors est si profond qu'il est incapable de le lui montrer". C'est un don sans intermédiaire à l'intimité de l'autre de quelque chose qui provient de ce qu'il y a de plus secret en lui124.

 

              Dépouillement et plénitude

            Plan : Plénitude - Dépouillement - Toute vraie prière es exaucée


                     Plénitude 

"Il y a des moments où l'on prie sans effort, où des pensées du monde l'on revient facilement à la prière, où l'on s'endort en priant parce que, entre les conversations qu'on a avec les hommes, la prière s'établit d'elle-même comme l'air ambiant. Sans que l'on fasse quoi que ce soit pour qu'il en soit ainsi… Elle est là, tout simplement. Il suffit de se trouver là où elle est. La prière est comme un livre ouvert dont on reprend la lecture après une interruption; point n'est besoin de signet, il n'y faut aucun effort. Pas plus qu'on ne remarque comment l'air remplit à nouveau la place qu'occupait un visiteur, un instant plus tôt, on ne réfléchit au geste que l'on fait pour reprendre la prière"125.

Quand on prie, on sait que la plus grande part de la prière est un don de Dieu. Même quand on prie quelque chose d'aussi connu que le Notre Père, même quand on est convaincu d'avoir pris soi-même la décision de prier et de se recueillir dans sa chambre pour accueillir en soi les pensées et les désirs du Fils: on reconnaît pourtant tout de suite que tout nous est donné. Toute parole que l'on dit dans la prière signifie beaucoup plus qu'on ne le saura jamais, elle a une plénitude qu'on ne pourra jamais lui donner nous-mêmes: Dieu doit l'entendre d'une manière divine et ce n'est qu'ainsi qu'elle devient une parole qui arrive jusqu'à lui. Et cette transformation de notre prière pour qu'elle atteigne Dieu est un pur don126.

Toute vraie prière connaît des moments où le croyant se sent transporté d'une manière ou d'une autre dans un monde qui n'est pas le sien: certaines limites - de ses capacités, de sa compréhension, de ses sentiments, de ses attentes - s'évanouissent pour faire place à quelque chose qu'il ne connaît pas mais dont il est sûr, dans la foi, que cela appartient à Dieu. Ces instants peuvent lui être donnés pour lui apporter consolation et courage, pour lui inspirer confiance, ou simplement peut-être pour l'accompagner dans sa foi et lui faire acquérir une certitude sur son chemin127.

Souvent le Seigneur se communique à celui qui prie en lui donnant de sentir sa présence. Cette expérience n'est pas accompagnée de phénomènes extraordinaires, mais elle donne une certitude. Nous sommes consolés. Nous savons que le Seigneur est là. Il n'est nulle part aussi présent que là où l'on cherche à s'approcher de lui. Et c'est ce qu'on essaie de faire dans la méditation. Nous devons savoir de manière neuve que, dans la méditation, le Seigneur est présent parmi nous avec toute sa gloire. Si nous en sommes pénétrés de toute la force de notre foi, il ne peut se faire que sa présence au milieu de nous ne nous accompagne pas tout le jour, et cela de telle sorte qu'il met tout en œuvre pour nous enrichir et rendre féconde notre vie. La fécondité de la vie consacrée tient à ce que le Seigneur nous communique sans cesse quelque chose de sa propre fécondité, non pour que nous accumulions des trésors pour nous, mais pour que nous puisions dans ses trésors afin de les distribuer avec lui128.

Il arrive parfois qu'on prie en quelque sorte d'une manière normale et 'habituelle' sans inclination particulière, mais aussi sans aucun 'dégoût', et tout à coup on est saisi par la présence de Dieu, on est totalement happé. Dieu fait connaître sa voix, son secret et sa présence, et c'est comme s'il priait parfaitement en nous si bien qu'on s'abandonne très volontiers à cette manière de dépouillement de soi. Et quand Dieu révèle ainsi son secret - peut-être était-ce le Fils qui nous a introduit dans sa prière au Père -, on est ensuite doucement relâché pour que maintenant on prie soi-même de la manière que Dieu vient de nous donner. Avec un feu nouveau, avec une présence autre que celle qu'on avait au début. Avant, c'était ce qui était 'habituel', à présent c'est une sorte de contrainte intérieure de l'amour: c'est comme si on ne pouvait pas faire autrement. On donnerait tout pour pouvoir continuer éternellement cette prière nouvelle. C'est comme si c'était notre prière, et cependant ce n'est pas la nôtre, c'est le dernier cadeau qu'on commence tout juste à utiliser, qu'on espérait depuis toujours et dont on se réjouissait à l'avance et qui maintenant est enfin arrivé totalement129.

La prière de l'Eglise et de chacun de ses membres est comme une musique céleste que le ciel entend… Ce qui est frappant, c'est que vraiment, en cet instant même, tant de gens prient et prient tout à fait simplement dans la joie; en présence du rayonnement de Dieu, ils ont oublié leur propre sort, leurs propres soucis, leurs responsabilités, ils n'ont plus d'importance à leurs propres yeux. Pour eux, ce n'est pas comme une ascèse consciente qui les rendrait étrangers à leur propre vie afin d'être libres pour les autres; non: parce qu'ils se donnent totalement, ils en oublient tout l'humain comme quelque chose de sans importance, et c'est ce qui est beau et qui sonne juste. On fait parfois soi-même l'expérience de quelque chose de semblable dans la prière. On se propose de prier, on s'y met, et tout à coup on n'est plus seul: on se trouve à l'unisson de la mélodie de la prière de tous130.

Il y a infiniment à apprendre du Livre de tous les saints, qu'il faudrait plutôt appeler le Livre de la prière de tous les saints: il fait partie des œuvres posthumes d'Adrienne. Voici, presque au hasard, comment, dans ce volume, sont caractérisés trois saints et leur prière:

Saint Benoît Joseph Labre (+ 1783): "Pour lui, la prière est aussi naturelle et aussi simple que le sommeil ou le manger pour un homme en bonne santé". Thomas a Kempis (+ 1471): "Prier est pour lui plus important que de manger ou de dormir". Saint Alphonse de Liguori (+ 1787): "Il est difficile de dire quand il commence et quand il cesse de prier…"131

Celui qui un jour a prié et s'est trouvé du fait même dans la vérité, porte en lui un germe de vérité qui est indestructible, une lumière qui, si petite et oubliée qu'elle soit, est inextinguible. "La prière appartient à la vérité"132.

 

                     Dépouillement 

Tout ce qui, dans la prière, nous paraît négatif "fait aussi partie de la plénitude", note H.U. von Balthasar133.

On peut, dans la prière, faire l'expérience d'une proximité, d'une présence, d'une aide de Dieu ou de la Mère du Seigneur par exemple. Mais on peut nous demander de renoncer, dans la méditation d'aujourd'hui, à l'aspect sensible de cette proximité et de prier sans consolation134.

Que nous puissions prier est un don de la grâce de Dieu; sans cette grâce, nous serions comme Judas. A la dernière Cène, Jean a du mal à prier: la menace de la Passion imminente, la présence du traître le font entrer dans une sorte de nuit de la prière. Même quand personne ne nous empêche de prier, nous sommes souvent à nous-mêmes un obstacle suffisant. Ce n'est pas que Jean ne veuille pas prier, mais la trahison de Judas, son péché, la menace qu'il fait peser rendent Jean incapable de prier et d'aller à Dieu sans problèmes comme autrefois et d'être avec le Père en s'entretenant avec le Fils. Pour le moment, cette conversation est pour lui muette. Il y a ici une approche possible de la nuit mystique. Souvent, sans faute de notre part ni de la part de quelqu'un d'autre, l'ombre de la croix… nous empêche totalement de prendre part à la conversation divine135.

"Il y avait autrefois un mort merveilleux qui s'appelait la prière, il avait quelque chose d'une source limpide, il était plein de dialogue et d'amour; la vie humaine y trouvait son sens, la prière éclairait tout ce qu'elle touchait. Il semblait se propager et il faisait pousser la vie et l'amour comme des fleurs bien soignées. Mais à présent le Toi est - je ne dis pas absent car cela inclurait la pensée d'un retour possible - inconcevablement vide et inexistant"136.

Pour le chrétien qui accueille l'absence de consolation dans un pur abandon à Dieu, elle sera féconde. Il y a dans l'absence de consolation un certain niveau de la rencontre avec Dieu… Qui rencontre Dieu vraiment même dans l'absence de consolation, celui-là s'est donné à Dieu pour de bon. Un chrétien par contre qui ne s'engage pas tout à fait ne fera jamais l'expérience de l'absence totale de consolation dans la prière137.

Pour le curé d'Ars, le fil conducteur de sa vie, c'est le prochain, tous ceux qui se présentent à son confessionnal. Lui, le pasteur sans consolation, va consoler le pécheur désolé. Et le moyen qui lui permet de consoler le pécheur, c'est l'absence de consolation pour lui-même. La consolation, c'est ce qu'il y a pour lui de plus inaccessible: lui-même ne la trouve pas en Dieu et il ignore aussi la consolation qu'il doit donner. Très souvent quand il se rend à son confessionnal, il ne voit rien devant lui. Il ne sait qu'une chose: il y aura encore une fois quelqu'un qui sera là. C'est sa manière à lui de manquer de consolation. Souvent il se passe ceci: il voit qu'il a consolé quelqu'un, que la consolation s'est répandue dans les autres; mais une fois qu'il a vu cela, sa propre consolation ne va pas plus loin. Il n'a pas le droit de se consoler de la consolation qu'il a donnée. Il ressemble à un pêcheur de perles qui ne cesse de plonger; chaque fois qu'il a trouvé une perle, il doit aussitôt la donner et replonger dans un danger plus grand pour en trouver une autre. Et cela pour un patron qui lui est étranger. Et plus le curé d'Ars connaît quelque chose de la consolation - et il est obligé, pour les autres, d'en savoir quelque chose - plus ce qu'il en sait lui paraît irréel.

Si l'on connaît cet état, on doit avant tout y rester. Le grand danger, dans l'absence authentique de consolation, c'est la fuite. Fuite d'un état imposé par Dieu pour un autre que je choisirais moi-même. Le curé d'Ars le sait très bien: s'il n'était pas tout à fait honnête, s'il s'accrochait à l'état de consolation de ses pénitents, il leur ferait franchement tort. Il ne serait plus dans l'espèce d'impuissance que Dieu lui demande. Car l'absence de consolation donne à celui qui prie l'impression qu'il n'en peut plus. Cela le contraint à ne plus compter sur lui-même… On entre souvent dans la prière comme dans une salle où se trouvent exposés différents tableaux et l'on se demande: quel tableau vais-je contempler aujourd'hui? Mais parfois, dans la salle, il n'y a aucun tableau; alors c'est la salle elle-même qu'il faut contempler. On doit devenir soi-même un pur espace pour Dieu, se faire réceptif pour toute impression venant de lui. Aussi désarmé que possible.

Ceci n'est valable, naturellement, que pour une absence de consolation imposée par Dieu. Le discernement des esprits est ici indispensable. Celui qui se montre impossible avec les autres et ne trouve pas ensuite la paix dans la prière, on ne peut pas dire que l'absence de consolation qui est la sienne lui soit imposée par Dieu. Il n'y a de véritable absence de consolation que lorsqu'on porte les fruits que Dieu attend de nous malgré notre état subjectif138.

"Quand je sais que le Seigneur veut ma nuit, il ne m'est pas difficile de la supporter. Je suis capable de dire oui à ma privation actuelle en considération d'une plénitude ultérieure. La petite Thérèse décrit toujours la nuit comme si elle savait que le Seigneur a décidé cette épreuve; il se peut qu'elle le fasse pour ne pas inquiéter les autres". La nuit proprement dite, c'est celle où l'on ne sait plus que le Seigneur en dispose139.

Si l'on rencontrait un saint sans le savoir, on se dirait peut-être: c'est un homme heureux (la joie fait certainement partie de la sainteté), c'est un homme sans problèmes, et l'on trouverait que la rencontre est agréable, sans plus. Et puis il y a le saint avec sa mission et sa prière; on ne peut jamais le prendre trop au sérieux dans sa prière: c'est là qu'il vit ses heures les plus belles mais aussi les plus difficiles. Les plus belles, quand il lui est permis de faire l'expérience des choses de Dieu et du ciel; les plus dures, quand Dieu lui fait subir des exercices crucifiants ou quand il lui fait voir des choses qui dépassent totalement l'être humain qu'il est… Ce n'est pas nécessairement la nuit obscure, ce peut être n'importe quel 'travail d'éducation' que Dieu entreprend sur son saint, et ça peut faire terriblement mal. Non pas surtout parce que Dieu corrige une faute, mais parce que Dieu permet que son saint participe à quelque chose qui reste totalement indéfinissable140.

Au ciel, il n'y aura plus de prière sèche, mais on gardera le sens de ce qu'est la prière sèche sur la terre et on aura le devoir de rendre plus douce la prière sèche des croyants, on aura le devoir d'intervenir là où, du fait d'une prière de pure sécheresse, il y a risque qu'il n'y ait plus de prière du tout. Au ciel, on a l'intelligence de tout ce qu'on a vécu autrefois sur la terre. Et c'est justement parce qu'au ciel on ne ressent plus la sécheresse qu'on est d'autant plus sensible à ce qu'elle soit ressentie sur la terre. Plus on reçoit d'amour au ciel, plus on comprend ceux qui, sur terre, ne reçoivent plus d'amour sensible141

La prière peut être 'abstraite' pour celui qui prie, elle ne l'est pas pour Dieu. L'orant doit espérer, avec le temps, être introduit plus avant dans le mystère. Il sait que Dieu sait tout. Mais il se peut que Dieu garde son mystère absolument inaccessible à l'orant. Celui-ci doit alors persévérer comme dans l'abstrait; tout se joue dans un acte où l'orant se donne à Dieu et où Dieu le reçoit. Dieu laisse dans l'obscurité la manière dont il fera usage de cette prière. Mais ce qui, pour l'homme, est abstrait est concret en Dieu et, si Dieu le veut, cet abstrait peut devenir concret également pour l'orant. Et ce n'est pas parce que l'orant participe à un mystère permanent qu'il lui est permis de vivre dans une sphère 'sublime' qui n'a rien à voir avec la vie de tous les jours. Même si la prière et la pénitence du Carmel concernent un péché du monde dont il n'est pas donné à l'orant ou à l'orante de voir le caractère concret, la prière du Carmel ne peut pas devenir une rêverie qui plane et que Dieu ne peut pas utiliser concrètement. Pas plus qu'il n'est permis à la carmélite de rencontrer ses sœurs en rêve. Plus elle a part au mystère de Dieu, plus sa conduite doit être lucide, plus les menues tâches de sa vie quotidienne doivent être adaptées à leur but, plus elle doit avoir l'oreille fine pour écouter ses sœurs. Qui soutiendrait qu'il est tellement pris dans les rets de la contemplation qu'il n'a plus d'yeux pour le monde qui l'entoure donnerait un triste témoignage sur la qualité de sa prière. La grande Thérèse interrompait son extase pour préparer le repas142

 

                Toute prière vraie est exaucée 

"Celui qui croit dans le vrai Dieu sait que sa prière est toujours exaucée de quelque manière"143. Aucune vraie prière n'est jamais perdue. Toute prière atteint un but connu de Dieu et de la personne atteinte par la prière, le plus souvent à l'insu de celui qui prie144.

"Si deux personnes ont une confiance réciproque totale, elles peuvent exiger l'une de l'autre ce qu'elles veulent, même des choses que l'autre ne comprend pas tout de suite. Tout sera accordé à celui qui demande, puisqu'il est sûr que tout lui vient dans l'amour. Ainsi celui qui est en confiance avec Dieu peut-il lui demander tout ce qu'il veut; Dieu le lui donnera parce que cet homme a confiance en lui, se fie à lui, et parce que Dieu sait que de son côté il peut tout obtenir de cet homme. C'est dans cette relation confiante que consiste la joie parfaite, qui est une joie en Dieu"145.

A celui qui désire quelque chose dans son Esprit, Dieu accorde tout ce qu'il demande. Il le donne toujours, mais avec une extension gracieuse, ainsi qu'il a décidé de le faire dans son vouloir divin, à sa manière à lui, qui ne correspond peut-être pas à la manière de l'orant. Mais si celui-ci est humble et qu'il désire sérieusement la volonté du Père, il sait que c'est dans l'amour du Fils qu'il reçoit ce que le Père lui accorde146.

C'est une obligation pour chacun de frapper à la porte de Dieu (Mt 7,7). Mais celui qui frappe ne sait pas ce qu'il y a derrière la porte. Il peut y avoir une distance énorme entre ce qu'on attendait et la réponse de Dieu. On ne sait jamais si on va nous répondre, comment et quand et où on va nous répondre. Il faut s'en remettre totalement à Dieu, mais on est tenu de frapper à la porte147.

"Quand, entre nous, nous nous disons oui ou non, nous savons ce que nous voulons dire. Mais quand c'est à la Parole de Dieu que nous disons oui ou non, Dieu sait ce qu'il entend et notre parole s'inscrit dans son éternité"148.

Notre parole est enregistrée, mais comment? Dieu exauce toujours la prière, mais parfois ailleurs qu'on s'y attendait. Pour le croyant, seuls importent la volonté de Dieu et son accomplissement. "Dieu aimerait que nous apprenions à croire de telle sorte que nous découvrions ses charismes en toutes choses, que nous comprenions aussi son quotidien comme une grâce inouïe et que nous n'ayons pas besoin de l'extraordinaire pour croire à son amour"149

L'exaucement de notre prière par le Seigneur est-il autre que ce que nous attendions? Il voit mieux, plus loin, plus profond que nous. Il va à l'essentiel. Le paralysé demande la guérison, et le Seigneur lui dit d'abord: "Tes péchés te sont remis". Souvent dans l'Evangile, le Seigneur semble être à côté de la question. Ce qui se passe, c'est que la question n'était pas adaptée à la réponse que le Seigneur voulait donner150.

En toute prière, l'homme doit abandonner à Dieu ce que sera la réponse à sa prière. Même quand Dieu nous répond dans le sens espéré, même quand il nous envoie l'aide ou la délivrance désirées, personne ne peut mesurer ni expliquer l'étendue du cheminement invisible de la prière jusqu'à son exaucement. C'est pour quoi un chrétien ne s'étonne pas si la réponse à sa prière est toute différente de ce qu'il attendait. Il peut se faire que la difficulté qu'on voulait voir disparaître doive demeurer en place. Il se peut qu'à l'appel du croyant Dieu réponde par le silence; il faut alors que, dans la foi, le croyant comprenne que ce silence est une réponse. La foi qui sait qu'elle se trouve devant le silence de Dieu y consent. Elle sait que Dieu ne peut pas ne pas avoir entendu et qu'il a reçu dans son silence la parole de l'orant. Si le croyant le sait réellement, il a progressé par rapport à ce qu'il était au début de sa prière: il ne pense plus que Dieu devrait l'aider dans cette circonstance précise, il est convaincu que tout est très bien comme ça. Quand un homme a été amené par Dieu à entrer dans l'intelligence de son silence, sa foi s'en trouve dilatée, la participation de Dieu à cette foi est approfondie151.

Dans la prière, nous posons pour ainsi dire des questions au Seigneur et nous attendons d'une manière ou d'une autre une réponse qui n'a pas besoin d'être sensible et personnelle: toute paix et toute joie que nous ressentons dans une prière pure, mais toute peine aussi, font partie de la réponse du Seigneur152.

Que Dieu accueille la prière est toujours une pure grâce. Dieu est essentiellement libre et il dispose d'une profusion de possibilités. Supposons que je prie pour avoir de la pluie et toi pour avoir du beau temps, et que Dieu envoie du beau temps: il se peut que ma prière pour la pluie ait été jointe à ta prière à toi pour le beau temps153.

Toute prière vraie est exaucée, non la prière égoïste. Il y a des demandes au Père que le Fils soutient, mais il en est qu'il n'appuie pas. "Il n'appuiera aucune demande égoïste… Il n'appuiera pas la demande de ces pécheurs qui, détournés de Dieu, se souviennent, il est vrai, de la possibilité de la prière, mais l'exercent en dehors de la foi et de l'amour, comme une formule magique"154.

Il y a des prières qui ne sont pas exaucées tout de suite. A Cana, Marie a commencé par essuyer une espèce de refus. Mais le vin de la fin des noces est meilleur que celui du début. Il en est de même quand nous demandons quelque chose à Dieu; il nous accordera finalement plus que ce que nous avons désiré. A Cana, c'est du vin meilleur, plus tard ce sera une surabondance de pains ou une pêche merveilleuse155.

Toute croissance est lente et appartient à Dieu. Il y a des moments où le blé pousse pour ainsi dire à vue d'œil et d'autres moments où il semble que rien ne se passe. Ils faut laisser mûrir les choses en Dieu. Ceux qui sont consacrés à Dieu ne doivent pas s'impatienter s'ils ne voient pas le fruit de leur prière, pas plus qu'une mère qui porte un enfant sous son cœur n'a à se ronger d'impatience. Il y a des temps où le blé verdit, des temps où il mûrit et des temps où l'on ne voit rien. Le plus important est de ne pas oublier que toute croissance est un don de Dieu156.

La prière peut être quelque chose que le mystique (ou tout chrétien) offre à Dieu dans l'obscurité la plus complète, et Dieu peut transformer cette prière en résurrection à l'insu de celui qui prie. Un Jean de la croix peut prier dans la nuit noire avec le sentiment d'être totalement abandonné de Dieu, et sa prière mourante peut se transformer en un instant en jaillissement de vie pour l'Eglise et pour l'éternité: le fruit peut naître d'une semence qui semblait tout à fait stérile157.

Ce que Dieu aime le plus donner, c'est du divin. Aucune prière ne réjouit davantage le Père que la demande d'une grâce filiale, de pouvoir de quelque manière marcher sur les traces du Fils, parce que alors le Père est en état de donner ce qu'il donne le plus volontiers: l'Esprit158.

Prier, c'est converser avec le Seigneur, avec Dieu Trinité et son amour, c'est laisser couler en soi sa lumière, se laisser ouvrir à sa grâce, ne plus vouloir être que ce qu'il attend de nous. Peu importe la forme de cette prière: prière vocale ou prière contemplative, prière avec des mots connus empruntés à l'Evangile ou à la liturgie, prière avec des mots qui se présentent à l'instant à notre esprit ou contemplation sans paroles. La prière est aussi un exercice ascétique dans la mesure où nous n'y introduisons pas tout ce qui fait notre vie mais où nous laissons la place à ce qui est au Seigneur et à ce qui l'intéresse159.

Il est tout à fait légitime de prier à des intentions particulières, aussi bien dans la prière collective que dans la prière individuelle. "Ce droit est celui du prêtre à l'autel, non moins que celui de la simple petite vieille agenouillée près du dernier pilier". Mais Dieu a aussi des intentions et il est normal qu'il en ait. "On peut faire dire une messe à une intention personnelle, mais on peut aussi la mettre à la disposition du Seigneur, à l'intention de son choix". Entre Dieu et l'homme existe la possibilité de se faire réciproquement des cadeaux: c'est une œuvre de l'amour. Un chrétien, finalement, pourrait dire à Dieu: "Même si je viens avec mes désirs précis, fais-en ce que tu voudras"160.

"Jamais l'homme ne dispose de toute la vérité, toujours il en reste une partie auprès de Dieu". En tout ce que nous faisons et décidons (en toutes nos prières), nous devrions toujours ajouter, au moins mentalement: "A condition que Dieu n'en dispose pas autrement"161.

 

Notes de la 2e partie

 

1. H.U. von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 58.

2. L'expérience de la prière et Le monde de la prière. Textes choisis d'A.v.S. sur la prière dans l'ouvrage cité ci-dessus à la note 1, p. 291-299.

3. H.U.v.B., Ibid. p. 58.

4. Kreuz und Hölle, II, p. 350.

5. Le sermon sur la montagne, p. 135 (sur Mt 6,6).

6. Le Dieu sans frontière, p. 23-25.

7. La confession, p. 191.

8. L'expérience de la prière, p. 9.

9. Das Wort und die Mystik, I, p. 45.

10. Ibid., p. 182.

11. Die katholischen Briefe, I, p. 187-188 (sur Jc 4,3).

12. Theologie der Geschlechter, p. 112.

13. L'expérience de la prière, p. 16-17.

14. Le sermon sur la montagne, p. 142-143 (sur Mt 6,8).

15. La confession, p. 191.

16. La Servante du Seigneur, p. 155.

17. L'expérience de la prière, p. 70-71.

18. Le livre de l'obéissance, p. 108.

19. L'expérience de la prière, p. 123.

20. Ibid., p. 63.

21. Erde und Himmel, II, n° 1830.

22. Le sermon sur la montagne, p. 139-140 (sur Mt 6,6).

23. Le Dieu sans frontière, p. 24-25.

24. Ibid., p. 92.

25. Jean. Discours d'adieu, I, p. 66-67 (sur Jn 13,25).

26. Jean. Naissance de l'Eglise, II, p. 91 (sur Jn 21,14).

27. Ibid., p. 92 (sur Jn 21,15).

28. Das Wort und die Mystik, II, p. 574.

29. Ibid., p. 574-575.

30. Erde und Himmel, II, n° 1400.

31. La confession, p. 220.

32. Apokalypse, p. 282-283 (sur Ap 7,11).

33. Jean. Naissance de l'Eglise, II, p. 77 (sur Jn 21,12a).

34. Jean. Discours d'adieu, II, p. 193-194 (sur Jn 17,1).

35. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 183 (sur Jn 20,5).

36. Jean. Discours d'adieu, II, p. 53 (sur Jn 15,16).

37. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 36-37 (sur Jn 1,3).

38. Jean. Discours d'adieu, II, p. 169 (sur Jn 16,24).

39. Das Wort und die Mystik, II, p. 46.

40. Markus, p. 576 (sur Mc 13,1-2).

41. Les portes de la vie éternelle, p. 125-126.

42. Markus, p. 197 (sur Mc 4,28).

43. Das Wort und die Mystik, I, p. 209.

44. Achtzehn Psalmen, p. 97 (sur Ps 84,10).

45. Comte Paul Biver, Apôtre et mystique. Le Père Lamy, Paris, 1934, p. 138.

46. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 119-120 (sur Jn 1,12).

47 Allerheiligenbuch, II, p. 88.

48. Erde und Himmel, III, n° 2244.

49. Das Wort und die Mystik, I, p. 175-176.

50. Le Dieu sans frontière, p. 91.

51. Das Wort und die Mystik, I, p. 166-167; Erde und Himmel, III, n° 2304.

52. Das Wort und die Mystik, I, p. 67.

53. L'expérience de la prière, p. 14.

54. Ibid., p. 23.

55. La confession, p. 189-191.

56. Le livre de l'obéissance, p. 87.

57. Kreuz und Hölle, I, p. 158-159.

58. Ibid., p. 386.

59. Apokalypse, p. 149-150 (sur Ap 2,15).

60. Erde und Himmel, II, n° 1933.

61. Ibid., III, n° 2270.

62. Ibid., n° 2127.

63. La confession, p. 191-192.

64. Erde und Himmel, III, n° 2118.

65. Ibid., n° 2178.

66. Das Wort und die Mystik, I, p. 249.

67. Theologie der Geschlechter, p. 94.

68. L'expérience de la prière, p. 53.

69. Erde une Himmel, III, n° 2094.

70. L'expérience de la prière, p. 38-39.

71. Le livre de l'obéissance, p. 128.

72. L'expérience de la prière, p. 27.

73. Ibid., p. 26.

74. Ibid., p. 17.

75. Erde und Himmel, III, n° 2073.

76. Ibid., n° 2090.

77. Jean. Le Verbe se fait chair, I, p. 34-36 (sur Jn 1,3).

78. Erde und Himmel, II, n° 1945.

79. Ibid., n° 1350.

80. Ibid., III, n° 2280.

81. Ibid., n° 2058.

82. Ibid., n° 2305.

83. Markus, p. 401-402 (sur Mc 9,17-18a).

84. Erde und Himmel, I, n° 94.

85. Raymond Peyret, Prends ma vie, Seigneur. La longue messe de Marthe Robin, 2e édition, Valence, 1985, p. 50-51.

86. Das Wort und die Mystik, I, p. 29-30.

87. Ibid., p. 251-252.

88. Ibid., p. 29.

89. Ibid., II, p. 60-61.

90. Kolosserbrief, p. 105 (sur Col 3,17).

91. Markus, p. 107 (sur Mc 3,2-3).

92. Ibid., p. 158-159 (sur Mc 3,31-32a).

93. Ibid., p. 180-181 (sur Mc 4,15).

94. Ibid., p. 224 (sur Mc 5,5-7a).

95. Ibid., p. 358 (sur Mc 8,10-13).

96. Ibid., p. 414 (sur Mc 9,27).

97. L'Epître aux Ephésiens, p. 40-42 (sur Ep 1,12).

98. Erde und Himmel, III, n° 2051.

99. Ibid., n° 2226.

100. Allerheiligenbuch, II, p. 21-22.

101. Das Wort und die Mystik, I, p. 181.

102. Ibid., II, p. 46.

103. La Servante du Seigneur, p. 178.

104. L'expérience de la prière, p. 82.

105. Erde und Himmel, III, n° 2138.

106. L'expérience de la prière, p. 77.

107. Das Wort und die Mystik, I, p. 21.

108. Ibid., p. 175; Erde und Himmel, III, n° 2318.

109. Jean. Controverses, II, p. 14 (sur Jn 9,4).

110. Das Wort und die Mystik, I, p. 178-179.

111. Theologie der Geschlechter, p. 122-123.

112. Apokalypse, p. 749-750 (Sur Ap 21,17).

113. Erde und Himmel, III, n° 2228.

114. Le livre de l'obéissance, p. 153-154.

115. Kreuz und Hölle, II, p. 349.

116. Erde und Himmel, III, n° 2180.

117. Das Wort und die Mystik, II, p. 47.

118. Jean. Discours d'adieu, II, p. 50-51 (sur Jn 15,16).

119. La Servante du Seigneur, p. 114-115.

120. Kolosserbrief, p. 129 (sur Col 4,13).

121. Allerheiligenbuch, II, p. 261-262.

122. Ibid., p. 170.

123. Das Wort und die Mystik, I, p. 180-181.

124. Die katholischen Briefe, I, p. 139 (sur Jc 2,22).

125. L'expérience de la prière, p. 124.

126. Das Wort und die Mystik, II, p. 287.

127. Ibid., I, p. 38.

128. Markus, p. 598 (sur Mc 13,24-27).

129. Erde und Himmel, III, n° 2308.

130. Ibid., n° 2282.

131. Allerheiligenbuch, I, p. 201; 109-110; 197.

132. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 72 (sur Jn 18,38).

133. Préface de H.U. v. Balthasar au livre d'A. von Speyr: L'expérience de la prière, p. 5.

134. Ignatiana, p. 364.

135. Das Wort und die Mystik, I, p. 88-89.

136. Kreuz und Hölle, I, p. 335.

137. Das Wort und die Mystik, I, p. 281; Erde und Himmel, II, n° 2010.

138. Das Wort und die Mystik, I, p. 287-288; Erde und Himmel, II, n° 2014.

139. Erde und Himmel, II, n° 1736.

140. Allerheiligenbuch, II, p. 22.

141. Apokalypse, p. 571 (sur Ap 21,17).

142. Erde und Himmel, III, n° 2221.

143. Elie, p. 59.

144. Das Wort und die Mystik, I, p. 209-210.

145. Jean. Discours d'adieu, II, p. 171 (sur Jn 16,24).

146. Die katholischen Briefe, I, p. 187 (sur Jc 4,3).

147. Allerheiligenbuch, II, p. 180-181.

148. L'expérience de la prière, p. 21.

149. Jean. Controverses, II, p. 8-11 (sur Jn 9,3).

150. Markus, p. 72 (sur Mc 2,5).

151. Le Dieu sans frontière, p. 93-95.

152. Markus, p. 622 (sur Mc 14,12-13).

153. Erde und Himmel, III, n° 2088.

154. Jean. Discours d'adieu, II, p. 177 (sur Jn 16,26).

155. Jean. Le Verbe se fait chair, II, p. 36-37 (sur Jn 2,1-12).

156. Markus, p. 197 (sur Mc 4,28).

157. Das Wort und die Mystik, I, p. 19-20.

158. La mission des prophètes, p. 49-50.

159. Markus, p. 603 (sur Mc 13,33).

160. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 265 (sur Jn 20,26).

161. Ibid., p. 218 (sur Jn 20,19).


 

3. La mission 

             Plan : Tout homme a une mission - On ne choisit pas soi-même -

                        L'accueil de la mission - Les imprévus de la mission - Notes

 

                         Tout homme a une mission 

La mission est omniprésente dans les écrits d'Adrienne von Speyr1. Tout homme, pour Dieu, a une mission, il n'y a pas d'exception. En accomplissant sur la croix l'œuvre de la rédemption, le Seigneur s'est acquis le droit de donner à tout croyant une mission particulière. Celle-ci peut sembler extrêmement simple ou au contraire très compliquée: elle demeure toujours une exigence. Mais il n'est possible à personne d'assurer qu'il a accompli tout ce qu'il devait faire. Personne non plus ne peut soutenir qu'il n'a jamais entendu l'exigence du Seigneur, car le Seigneur parle de telle manière que quiconque le veut est en mesure de l'entendre. Sa voix, ce peut être la plus légère inquiétude ou l'exigence la plus claire, on peut l'entendre dans la nuit et au fond de l'abîme, elle peut emporter au ciel et on peut entendre distinctement les paroles qu'elle prononce, on peut l'entendre quand on lit l'Ecriture ou quand on suit une prédication, on peut l'entendre dans l'exhortation du confesseur ou au plus profond du cœur: c'est toujours la voix du Seigneur et personne ne peut dire qu'il ne l'a pas entendue. Mais même quand on l'a bien entendue, il y a en toute parole plus que ce qu'on en a compris; il y a donc en toute parole l'exigence qu'on continue à écouter2.

Tout homme a une mission, personne n'en est exempt dans l’Église; "chaque chrétien est envoyé auprès de ceux que l'Eglise doit attirer au Seigneur". Tout homme a une mission: et le prêtre qui parle, et le laïc par sa vie, et le mendiant qui demande un verre d'eau. "Tous, ils nous sensibilisent à l'amour, aussi différentes que soient leurs missions. Chacun est un moyen par lequel le Seigneur nous attire à lui, et il nous attire à lui afin de nous envoyer vers d'autres". Il faut reconnaître cette mission même quand l'envoyé n'en est pas conscient. Le prêtre qui nous exhorte la connaît tandis que le mendiant qui nous sollicite l'ignore. "Et cependant tous deux pareillement sont des envoyés du Seigneur"3.

Quiconque s'approche du Seigneur reçoit une mission, et il arrive aussi qu'on s'approche de lui pour accomplir sa mission. Pendant que Jésus était à table dans la maison de Simon le lépreux, une femme vint avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux (Mc 14,3). Le Seigneur ne verrouille pas ses portes. Cette femme a un but précis. Sait-elle qu'elle est une envoyée? A peine sans doute. C'est le cas de beaucoup de ceux qui cherchent le Seigneur et le rencontrent. Quelque chose les pousse; ils veulent faire quelque chose et ils ne devinent pas à l'avance qu'ils vont recevoir dans cette rencontre quelque chose qui est le sens de leur vie. Et la femme brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête. La femme brise le flacon, elle offre quelque chose de précieux; le flacon ne servira qu'une fois. Nous brisons notre flacon quand nous offrons notre vie au Seigneur. Cela peut se faire de beaucoup de manières. Offrir est toujours un renoncement: on renonce non seulement au parfum mais aussi au flacon, c'est-à-dire à notre vie avec la forme qu'on lui avait donnée soi-même. Pour pouvoir donner au Seigneur le contenu de notre vie, il nous faut renoncer également à la forme de vie qu'on avait choisie, répandre sa vie et attendre du Seigneur lui-même une forme nouvelle4.

L'homme doit avoir conscience qu'il est un élu et se laisser guider par cette certitude. Il a le devoir de penser que Dieu a pour lui des projets bien précis et qu'il a à se mettre à leur disposition. L'accueil de cette mission objective et sa mise en œuvre dans sa vie sont le résultat d'une action de l'Esprit Saint. Par celui-ci, l'homme est rendu capable de mieux saisir tout ce qu'il y a d'objectif dans les projets de Dieu et donc d'être prêt pour une vie éternelle qui ne porte pas seulement le visage de ses propres désirs et de ses espérances, mais qui correspond à l'être même de Dieu tel qu'il est en son éternité. D'être travaillé par l'Esprit n'enlève pas à l'homme sa personnalité: il ne devient pas un instrument anonyme et mort qui ne pourrait correspondre à ce qu'on attend de lui qu'en s'éteignant lui-même. Au contraire, l'action de l'Esprit réalise la libération de la personnalité telle que Dieu la projetait, et elle s'ouvre alors à l'Esprit d'une manière unique pour atteindre sa destinée éternelle5.

Dieu veut sauver tous les hommes; ce n'est pas lui qui efface leur nom du livre de vie de l'Agneau. Les noms de tous les hommes sont inscrits dans ce livre comme avec une encre invisible; et c'est comme si les hommes devaient apporter quelque chose pour que leur nom devienne visible. L'homme doit faire au moins un mouvement vers Dieu, se donner à sa volonté, sinon le nom est tenu en réserve. L'homme peut aussi n'accomplir que la moitié de ce qu'il doit faire, ne faire qu'une partie de ce qui lui est demandé: c'est pourquoi les noms inscrits dans le livre de vie sont plus ou moins lisibles. Il ne servirait à rien de faire le bien si le Seigneur n'avait inscrit notre nom dans le livre de vie, car l'action du Seigneur est toujours première, la nôtre n'est jamais qu'une réponse à la sienne. Il nous attend. Il n'attend pas contre l'homme, mais avec lui. L'homme devrait répondre par sa vie au Seigneur et au livre de vie… Une fois qu'un nom est devenu lisible dans le livre de vie, ce n'est pas fait une fois pour toutes. Cela demeure vivant. Si quelqu'un se détournait du Seigneur, son nom aussitôt disparaîtrait à nouveau6.

Tout le monde est capable d'entendre le Seigneur: pour cela il suffit d'être prêt à se mettre à son service. Celui qui a le sens du Seigneur sait qu'il est capable d'entendre et qu'il doit écouter réellement. Écouter signifie croire, et croire veut dire porter du fruit. Tous ceux que le Seigneur est venu sauver ont à être féconds, chacun reçoit une mission particulière adaptée à ses dons et à son caractère7.

Bien sûr, "humainement parlant, personne n'est indispensable même si, du point de vue du Seigneur, on est irremplaçable. Humainement parlant, d'autres pourraient accomplir notre tâche aussi bien, voire mieux que nous, parce qu'ils ont des dispositions, des aptitudes, des expériences aussi bonnes ou meilleures que les nôtres. Du point de vue du Seigneur par contre, chacun est irremplaçable parce que chacun est indispensable à la plénitude de la gloire de Dieu… Etre disciple veut dire avoir mis à la disposition du Fils vie et amour, tout ce qu'on possède… Est disciple celui dont le Fils dispose…"8

A toutes les pages de l’Écriture, Adrienne discerne une mission personnelle reçue par des hommes. Elle nous habitue à comprendre que personne n'aura la droit de dire un jour qu'on ne lui a rien demandé, que le Seigneur ne lui a pas fait signe. Chacun reçoit du Seigneur un signe et même plus d'un, une mission et même plus d'une, mais rien n'est plus facile que de faire l'homme qui n'a rien vu, qui n'a rien entendu, qui ne savait pas qu'on s'adressait à lui. Et cependant on ne se détourne pas de Dieu sans en être conscient parce que Dieu qui appelle donne aussi à celui qu'il appelle la possibilité de l'entendre. Personne ne pourra dire qu'il était sourd, que ce n'est pas de sa faute s'il n'a rien entendu. Toute homme a une mission même celui qui récuse l'existence d'un être qui pourrait exiger de lui quelque chose. Tout homme a une mission, qu'il le veuille ou non. Toute mission est grande: elle mène l'homme à la rencontre de Dieu. Adrienne a l'art de faire pressentir quelque chose de la proximité de Dieu, mais elle ne s'arrête pas à ce que l'homme peut éprouver ou sentir, elle conduit toujours le moi jusqu'à Dieu lui-même, et Dieu - c'est curieux - a toujours quelque chose à nous demander, il a toujours de nouveaux projets pour nous, il sollicite notre collaboration comme s'il en avait vraiment besoin, là où nous sommes… ou bien ailleurs.

 

                  On ne choisit pas soi-même 

Personne ne peut se laisser convertir pour se contenter d'aimer personnellement le Seigneur: il doit accepter la mission que le Seigneur veut lui donner. Le Seigneur n'accepte pas qu'un croyant s'offre à lui sans que, d'une manière ou d'une autre, l'amour du prochain soit inclus dans son offrande9.

Quand l'apôtre André a découvert qui était Jésus, il s'est empressé de le dire à son frère Simon: 'Nous avons trouvé le Messie!' "Toute grâce du Seigneur doit être aussitôt transmise à d'autres", commente Adrienne10.

Le Seigneur ne fait aucun don à un croyant, qui lui serait réservé à lui seul; tout don du Seigneur est toujours destiné finalement à l'Eglise11. Et l'Eglise elle-même a la mission de répandre la lumière: "Vous êtes la lumière du monde". Elle est la ville perchée sur la montagne, exposée à tous les regards; le Seigneur a enlevé à son Église la possibilité de se cacher. Tous ceux qui cherchent la foi souhaitent voir la ville pour s'orienter d'après elle; ils veulent apprendre d'elle à connaître la foi pour arriver au Seigneur12.

Depuis la croix, le Seigneur ne fait plus rien sans nous. Autrefois le Seigneur était sur terre, maintenant il est au ciel. Mais cela n'empêche pas que tout se passe aujourd'hui d'une manière aussi concrète qu'autrefois. Le Seigneur se met en route, touche, bénit, interroge, guérit. Mais pour cela il a besoin de nous. Et nous pouvons le remercier de ce qu'il se serve de nos prières, non certes pour remplacer sa substance, mais pour la compléter cependant d'une certaine manière parce qu'il veut se servir de nous13. Le Seigneur ne veut pas accomplir son œuvre de rédemption sans la coopération de l'homme même si cette coopération semble très secondaire. Mais quiconque a une mission, aussi ridiculement petite qu'elle puisse paraître, l'a à l'intérieur de la mission du Seigneur14.

La mission de chacun est unique; elle est donnée par le Seigneur, on ne la choisit pas soi-même, on ne peut pas la remplacer par autre chose. Elle est quelque chose de définitif; qui l'a rejetée ne peut plus la retrouver. Abandonner la mission qu'on a reçue serait faire preuve d'orgueil: ce serait vouloir montrer à Dieu qu'on est plus haut que lui15.

Il n'est aucun instant où Dieu n'ait à notre endroit une volonté. Il n'y a pas à choisir entre plusieurs volontés de Dieu, il n'y en a qu'une16. Il appartient au serviteur de tenir son regard fixé sur le Seigneur, parce que tel est son service. Il ne peut pas connaître l'heure de Dieu, mais il sait qu'elle viendra17.

Même quand on est engagé totalement dans la mission qu'on a reçue, les événements se déroulent parfois d'une tout autre manière qu'on se l'était imaginé. C'est que Dieu garde la haute main sur la mission en tout son déroulement. On aurait voulu faire un tas de choses pour Dieu, et Dieu nous demande de consentir à l'impuissance qu'il nous impose, à l'impossibilité de faire quelque chose pour lui. Adrienne, empêchée par la maladie, regrette un peu intérieurement que cela lui interdise d'écrire d'autres livres et de faire d'autres choses. Et le ciel lui fait comprendre, par une petite mise en scène humoristique, qu'il est stupide d'avoir ces regrets: l'offrande de cette impuissance est plus importante que de pouvoir faire quelque chose. C'est toujours comme ça d'ailleurs: tout le monde veut avoir une autre mission que celle qu'il a; dans la prière, tout doit retrouver sa juste place. Le Seigneur porte toute la croix mais, par grâce, il peut donner aussi à certains membres de l'Eglise d'en porter quelque chose; celui qui est chargé d'une partie de la croix semble alors handicapé dans son action, mais le Seigneur reçoit par là une liberté qu'il n'avait pas auparavant d'aller dans le monde à la rencontre des hommes. Le tout fait partie du mystère de la croix18.

Pour chacun, la mission la meilleure est celle qu'il a reçue du Seigneur; de ce point de vue, peu importe celle des autres19. Un musicien aveugle célébrera par-dessus tout la merveille des sons et de l'ouïe. Un sourd capable de peindre merveilleusement célébrera les couleurs et les formes: quelles merveilles Dieu n'a-t-il pas créées pour l'œil! Celui qui veut être ouvert au monde de Dieu doit se garder d'une telle spécialisation. Ce que Dieu donne et la manière dont il le donne, c'est chaque fois ce qu'il y a de meilleur20.

Il ne faut pas revendiquer d'autre place que celle qui nous a été départie par l'amour21. Si Dieu a prévu de faire de moi une servante, je ne dois pas souhaiter être reine: ce serait lui désobéir. La seule chose importante est d'être là où Dieu veut qu'on soit22.

Tous ceux qui vivent vraiment dans la grâce se trouvent vis-à-vis du Seigneur dans la situation de l'épouse devant son mari, et ils ont part à la grâce de la Mère de Dieu. L'un peut faire l'expérience de cette grâce de manière mystique, l'autre non; si les missions sont différentes, la grâce est essentiellement la même. Dieu ne donnera pas les mêmes grâces à la femme qui travaille en usine et à la religieuse qui vit dans un monastère. Et cependant la mission de l'une n'a pas un caractère moins nuptial que celle de l'autre23.

Il est des missions sans équivoque, il en est d'autres où l'appelé est conduit par des chemins qui le déconcertent. "Les uns, dès l'instant où ils ont promis à Dieu l'obéissance, passent toute leur vie sans problèmes en accomplissant leur mission, ils sont conduits d'une tâche à l'autre et ils n'ont aucune question à se poser. Tandis que d'autres qui, au début, paraissaient tout aussi tranquilles et instruits de leur chemin, sont poussés par l'obéissance dans les plus effrayantes aventures de la foi pour parvenir exactement à l'endroit qu'ils voulaient à tout prix éviter, où toute vue est bouchée. Néanmoins, les deux voies restent une réponse à Dieu"24.

Tous les serviteurs de Dieu doivent le louer, les petits et les grands. Leur louange sera très différente ainsi que leur service, mais leur foi aura les mêmes dimensions. Tous doivent collaborer à l'œuvre commune; chacun reçoit la mission qui lui convient et, s'il l'accomplit parfaitement, peu importe qu'elle soit petite ou grande: elle répond parfaitement à l'attente de Dieu25.

Il y a la mission du prêtre, il y a celle du laïc, il y a une hiérarchie dans l'Eglise comme en Dieu lui-même. "Le Père est le principe; le Fils, consubstantiel au Père, vient de lui". Mais cette hiérarchie céleste n'est pas un principe de valeur. Le Père est placé avant le Fils, cela n'inclut pas une gradation en Dieu. De même dans l'Eglise le sacerdoce précède le laïcat sans que cela implique une hiérarchie des valeurs26.

Il y a des chrétiens qui vivent dans le monde et d'autres qui vivent dans un monastère. "Toute vie chrétienne a sa clôture et son ouverture au monde: la contemplation et l'action…" Le laïc chrétien "n'est pas séparé de ses frères qui sont au couvent; il sait que les deux états portent leurs fardeaux réciproquement et que la prière fait l'unité entre eux… Dans la vie religieuse, on n'est pas séparé du monde… Où que l'on se trouve comme chrétien, on est dans le monde et on essaie de servir dans ce monde le Seigneur et ses frères… La vie au couvent n'est ni plus précieuse ni plus facile que la vie au dehors; les tentations sont autres, peut-être plus graves, car au couvent, toute chose apparemment minime a beaucoup de poids. L'état de vie que doit choisir le chrétien n'est pas affaire de goût ni d'évaluation de ses forces, il dépend uniquement de l'appel du Seigneur qui détermine le choix"27.

Les vagues de la mer vont et viennent, personne ne peut les saisir, elles sont imprévisibles. Si on essaie de suivre des yeux une vague qui se retire, on doit très vite y renoncer. La mer est l'image de l'infini, de l'éternel, la vague est comme l'instant qui vient, qui passe et qui est cependant toujours là à nouveau et exige quelque chose. La mission provient de Dieu infini, imprégnée d'éternité, et elle se décompose en décisions et en réponses rapides à chaque instant. Sur le rivage, on a l'impression d'être saisi par un événement éternel et quand l'angoisse nous saisit d'avoir manqué une vague, d'avoir négligé de prendre une décision, on retrouve la paix parce que de nouvelles vagues ne cessent d'arriver, de nouvelles réponses sont exigées, si rapidement que la nouvelle vague est déjà là avant que la dernière soit étalée sur le sable et se soit retirée. La petite vague est comme l'action, la vaste mer est comme la contemplation. Les deux forment une unité qui réside en Dieu, mais elle ne cesse d'être montrée à l'homme dans la vague. L'homme doit agir, mais il ne peut le faire que dans la contemplation, il ne peut prendre ses petites décisions que dans le cadre du grand dessein de Dieu, et cela lui donne l'impression d'être à l'abri dans le Seigneur, comme la vague en se retirant se cache de nouveau dans la mer, l'eau dans l'eau, sans qu'elle ait à garder sa forme personnelle. Toujours recommence le mouvement: chaque vague a ses contours propres, et chacune les perd à nouveau en se perdant dans le tout. Elle demeure présente dans l'omniprésence, incluse dans la grande liberté des eaux d'où elle est sortie et d'où elle a été envoyée28. Et cependant ailleurs Adrienne parle aussi du caractère inexorable de la grâce. Il est des appels qui ne retentissent qu'une fois. Qui a rencontré le Seigneur d'une manière indubitable n'a plus le droit de le quitter, car il est fort possible que la première rencontre soit aussi la dernière et que l'appel ne retentira pas une deuxième fois29. Il s'agit ici de l'appel qui engage toute la vie. Ailleurs Adrienne affirme encore que l'appel à renoncer à soi-même retentit plus d'une fois dans la vie, mais que, si l'on ne répond pas la première fois, l'appel se fait toujours plus faible. A un moment ou l'autre de la jeunesse, la voix du Seigneur se fait entendre très clairement, mais la plupart n'y prêtent pas attention à cause du bruit de leurs soucis et de leurs affaires30.

Il y a le grand appel et il y a tous les petits appels qui font partie de la trame de la vie. Il n'y a pas de hasard dans le monde de Dieu. Quand Jésus entre dans une synagogue et qu'il y trouve un homme à la main desséchée, ce n'est pas un hasard. Cet homme est là pour que Jésus puisse manifester sa mission et pour que cet homme reçoive la sienne. Ce qui paraît accidentel est prévu en Dieu. Le Père sait pourquoi le Fils et ce malade doivent se rencontrer, et non seulement il sait pourquoi, il sait aussi où et quand. Le lieu de la synagogue n'est pas fortuit. Dans la vie du Seigneur, dans notre propre vie, dans la vie de ceux qui nous sont confiés, nous ne cessons de reconnaître avec certitude que tout est organisé par Dieu... Et quand quelque chose nous paraît être du pur hasard, nous devons, en tant que chrétiens, voir plus profond et reconnaître là précisément un appel caché, une tâche secrète31.

Jésus et ses disciples sont dans les champs au milieu des moissons: il n'y a là rien que de très banal. Et les disciples cueillent des épis: ce geste n'est pas sans rapport avec la mission du Seigneur. Le Seigneur est toujours au centre de sa mission, et ses disciples lui obéissent, et voici qu'ils cueillent des épis le jour du sabbat. C'est une situation typiquement chrétienne. Le Seigneur n'est pas par hasard au milieu des moissons et ses disciples n'agissent pas en vain. Ce sera pour les pharisiens l'occasion d'une question, et l'occasion pour Jésus d'annoncer quelque chose d'essentiel sur le Père et sur le sens de la loi32.

Il appartient au croyant de discerner les signes de Dieu. Marie se rend en hâte dans le haut pays pour rendre visite à sa cousine Élisabeth. Marie se met en route "parce qu'elle se tient vis-à-vis de Dieu dans le rapport propre au vœu d'obéissance". Les paroles de l'ange étaient assez allusives. "C'est à Marie qu'il revient, par son sens de l'obéissance… de donner une réalité à ces allusions et de prendre les moindres signes comme des ordres"33.

"Si nous mettons un mors dans la bouche des chevaux pour qu'ils nous obéissent, nous menons aussi leur corps tout entier". Le plus important avec les chevaux, c'est de leur mettre le mors dans la bouche. Une fois cela fait, on les mène où on veut. L'homme qui croit en Dieu et le connaît doit apprendre cette obéissance. Pour le croyant, la Parole de Dieu est comme le mors dans la bouche: c'est elle qui le dirige et lui permet d'accomplir le service que le Seigneur lui demande34.

Toute mission enchaîne le chrétien au Seigneur. Moi, Paul, le prisonnier du Christ Jésus: "Celui qui se donne totalement au Seigneur vit avec lui comme s'il était enchaîné par lui… Vivre dans la volonté du Seigneur exige un abandon de tous les instants. C'est pourquoi il est naturel que Paul se considère comme prisonnier du Christ par sa mission". Mais l'enchaînement est en quelque sorte réciproque: Paul est enchaîné au Christ, mais le Christ l'est à Paul. "Bien sûr le Seigneur est libre de faire ce qu'il veut. Mais si Paul est enchaîné au Seigneur, s'il ne le lâche plus, le Seigneur finit par paraître enchaîné également à Paul… Si Paul se trouve réellement en prison au moment où il écrit, le Seigneur la partage aussi avec lui35.

La mission de tout être est indélébile. "C'est une des qualités de l'Esprit, qu'une fois établi, il demeure à jamais". C'est par lui que Marie est devenue la Mère du Seigneur; elle reste Mère pour l'éternité; de même "chaque chrétien reste à jamais ce qu'il est par l'Esprit. La marque que l'Esprit imprime dans un individu est indélébile. Il est inconcevable qu'un être humain, par exemple Jeanne d'Arc ou la petite Thérèse, ayant eu une tâche déterminée sur terre et ayant accompli une mission dans l'Esprit, ne possède plus cette mission au ciel… Toute fonction particulière sur terre sera poursuivie au ciel et, à partir du ciel, continuée sur terre. Le Saint Esprit marque si profondément les missions et les orientations particulières de l'apostolat, que ce qu'il fait d'un homme demeure à jamais"36.

On ne choisit pas soi-même sa voie ni ce qu'on va offrir de soi-même au Seigneur. La sainteté pour l'homme ne consiste pas à tout donner, elle consiste en ce que le Seigneur prend tout. Il se peut que l'homme n'offre tout qu'en paroles et il ne songe jamais qu'à quelque chose de limité. Malgré toute sa volonté de ne rien retenir pour lui, ce qu'il offre correspond toujours à une mesure humaine. Mais le Seigneur entend l'offre qui lui est faite telle qu'elle aurait dû être faite. Et quand le Seigneur prend tout, avec le sens que lui-même donne au mot tout, il se peut que l'homme pousse un cri et déplore qu'on lui prenne tant, mais la grâce de la sainteté consiste justement dans le fait que le Seigneur prenne l'offre au sérieux37.

On n'a jamais fini de s'adapter aux vues de Dieu. C'est pourquoi le chrétien doit toujours prier pour demander à Dieu si ce qu'il fait est juste. "Quand Dieu montre positivement ce qu'il faut faire, le croyant doit certainement aussi demander la grâce de se comporter comme Dieu le désire, afin de ne pas se contenter à bon compte, de ne pas ériger ses propres constructions à la place où Dieu a commencé à bâtir. Mais la prière dans le vide est différente, plus difficile, parce qu'il peut faire partie du dessein de Dieu que l'orant - même s'il est à sa juste place - soit totalement plongé dans l'obscurité et ne devine pas s'il fait bien. Alors il faut interroger incessamment; l'appel peut devenir un cri de détresse", l'angoisse peut pénétrer toute la prière38.

De toute façon Dieu a déjà choisi. Nous, nous n'avons pas à choisir; nous n'avons qu'à regarder où Dieu nous veut. Dieu a choisi depuis toujours. Le Fils est parfaitement adapté au Père, d'une part parce que le Père ne cesse de l'engendrer et d'autre part parce qu'il est Dieu et qu'il écarte donc tout ce qui n'est pas la volonté du Père; de lui-même, il ne veut que ce qui correspond à cette volonté. Quand il devient homme et ressemble tout à fait à une créature du Père, le Fils ne cesse d'être dans la volonté du Père malgré tout ce qui le sépare alors de lui. Nous aussi, nous sommes depuis toujours des élus de Dieu, nous sommes destinés à une place précise et nous devons veiller à nous y rendre. Evidemment nous avons la liberté de nous détourner de Dieu. Mais ne devons-nous pas dire aussi que nous avons la liberté de nous tourner vers Dieu? Et également que nous avons la liberté de 'choisir' ce qui est la volonté de Dieu pour nous? "Il me semble qu'on devrait se contenter de dire: Dieu nous donne la grâce de voir ce qu'il a choisi pour nous"39.

Je n'ai pas à choisir ce qui me convient le mieux, mais ce sur quoi tombe la plus claire lumière de la Trinité. Je ne dois pas me demander où mes vertus brilleront avec le plus d'éclat. Ce ne sont pas mes propres desseins qui doivent déterminer mon choix, c'est Dieu qui doit avoir le rôle déterminant. Évidemment il serait bien confortable d'agir toujours en toute certitude et d'avoir une vue d'ensemble du projet de Dieu sur notre vie. Marie, elle, s'est offerte à Dieu dans le plus complet abandon. Vouloir tout savoir d'avance, serait renier la destinée de Marie. Quand elle a conçu le Fils par l'Esprit Saint, elle s'est mise tout entière dans la lumière de la Trinité40, Elle a confié à Dieu la configuration de sa vie. "Elle ne connaît qu'une résolution et elle l'exécute sans détour, sans arrêt, sans retour en arrière: faire parfaitement en tout la volonté de Dieu"41.

Quand Dieu appelle: "Toi, suis-moi", c'est un appel qui demande une réponse immédiate: "Suis-moi dès le premier instant sans conditions". Dieu n'aime pas qu'on s'approche de lui par étapes. Au oui de Marie répond l'Esprit Saint qui prend totalement possession d'elle, en un instant, sans tenir compte des lois humaines. Les fruits viendront en leur temps selon les besoins de Dieu, non selon les besoins de Marie. Marie suit une voie unique que Dieu a prévue pour elle42.

Jamais le mystique n'obéit à une mission qu'il aurait inventée lui-même, il n'obéit toujours qu'à une mission qui vient de Dieu. Il vit dans sa mission comme un nomade, il ne sait pas à quel moment il lui faudra démonter les tentes et aller ailleurs. Mais ce qu'il sait avec certitude, c'est que Dieu tient sa mission en main, que c'est lui qui la dirige et la règle43. Il est bien évident que cette conduite du mystique peut éclairer la conduite et la conscience de tout chrétien. A chacun Dieu dit: "Voilà le projet que j'ai pour toi"; sous-entendu: "Tu ne peux pas imaginer meilleur choix, j'ai plus d'imagination que toi, fais-moi confiance".

Se livrer à la vérité de Dieu, c'est se laisser introduire dans quelque chose qui nous dépasse. Si on est avisé, on entrera dans le projet de Dieu, on y collaborera. L'insensé veut agir par lui-même: il ne sait pas ce que c'est que de se tenir disponible pour Dieu. L'insensé, lui aussi, veut bâtir une maison tout comme le fait celui qui est avisé: il voit bien que Dieu désire une maison. Longtemps sa maison peut faire illusion: elle ressemble en tout à la maison de l'homme avisé. La différence entre les deux maisons est cachée. L'une est bâtie sur le roc, l'autre sur le sable; l'une est centrée sur Dieu, l'autre sur le moi44.

La même chose est valable pour celui dont la mission est d'aider les autres à voir clair dans leur vie et à discerner le projet de Dieu sur eux. "Si je te contrains à accepter ma foi sans que tu y adhères intérieurement, je mérite de perdre ma foi… Si je te lie, je mérite d'être lié moi-même… Si je t'invente moi-même une mission qui correspond à mes désirs, à ma volonté, à mon jugement, je mérite de perdre la mienne". Car si j'ai le devoir de te conduire, c'est certainement à ce que Dieu veut pour toi non à ce que moi je désire. Et si par malheur je t'entraînais à suivre mes désirs, je t'aurais construit une prison, je t'aurais privé de ta liberté devant Dieu, mais je serai puni là où j'aurai péché45.

Depuis toujours l'Esprit se tient à la disposition de Dieu pour être envoyé auprès des hommes afin de les éduquer pour Dieu. Toutes les missions des hommes ont ceci de commun qu'elles sont orientées vers le Fils. Dans l'ancienne Alliance, elles convergent vers le Fils; dans la nouvelle Alliance, elles partent du Fils et retournent à lui. Les missions sont variées: quelque chose de cette variété se remarque dans l'expérience de Jacob. Il lui faut faire l'expérience du surnaturel et apprendre à s'y adapter. En tout ce qui lui arrive, la première chose qu'il a à faire est d'être obéissant. Dans son rêve il doit voir ce que Dieu lui montre; dans son combat avec l'ange il doit faire l'expérience de ce que signifie lutter avec la présence de Dieu. Son mensonge lui-même est quelque chose qui le dépasse personnellement. Si Dieu le laissait tomber, Jacob ne comprendrait plus rien à ce qu'il a fait. Mais Dieu le tient comme il tient ses envoyés: au-delà de ce qu'ils comprennent, il ouvre de nouveaux horizons. Les possibilités de Dieu sont inépuisables et l'homme est comme une balle entre ses mains46.

 

                    L'accueil de la mission 

L'homme a toujours la possibilité de répondre oui ou non, selon son bon plaisir, à l'offre que Dieu lui fait d'une mission47.

En fait, quand on a entendu la voix du Seigneur, la seule réponse valable est de lui dire: Viens! C'est court et net, mais cela inclut notre disponibilité à accueillir totalement sa venue. Si on l'invite comme hôte, on ne lui pose aucune condition alors que lui, en tant qu'invité, peut en mettre beaucoup. Et le Seigneur en pose une. Celui qui a entendu doit dire: Viens! Il doit se joindre à l'appel de l'Esprit et de l'Epouse dans l'Apocalypse. Pour chacun cet appel inclut l'obéissance jusqu'au dernier "Viens!" qu'il prononcera, jusqu'au dernier "Comme tu veux". Viens toujours plus loin, prends possession de tout ce que tu veux en moi. Celui qui dit: "Viens!", sait que le Seigneur qui l'entend dispose à la fois du temps et de l'éternité, et donc que la venue du Seigneur a quelque chose d'éternel. Le Seigneur est venu un jour dans le monde, mais nous savons aussi que, lorsqu'il était témoin de la création du Père, il était déjà en train de venir; sa venue s'étend sur des milliers d'années et, en entrant visiblement dans notre vie temporelle, il a introduit notre vie dans sa vie éternelle. De la sorte il sera toute l'éternité celui qui vient. Le croyant renonce à sa sphère propre, il renonce à disposer de lui-même afin de se tenir prêt pour la venue du Seigneur48.

Quand on a reçu de Dieu une mission (et qui n'en a pas reçu?), il n'est pas permis de la lui rendre en invoquant un motif quelconque. Quand on a reçu de Dieu une mission, il est clair qu'il veut qu'on la mène à son terme; il y compte49.

Quand Marie dit oui, elle renonce à elle-même pour laisser Dieu agir en elle. "Car la coopération aux œuvres de la grâce est toujours le fruit d'un renoncement… Et Dieu n'attend que le consentement de l'homme pour lui montrer ce dont un homme est capable quand Dieu est avec lui. Personne n'a autant que Marie renoncé à tout ce qui lui était propre pour laisser gouverner Dieu seul; aussi à personne Dieu n'a-t-il donné un plus grand pouvoir de coopération qu'à elle"50.

Dieu donne à l'homme non seulement ce qui est nécessaire à sa vie, il lui donne aussi de correspondre mieux chaque jour à la proximité de Dieu51. C'est une grâce pour l'homme de pouvoir faire ce que Dieu désire52, car c'est entrer dans le mystère de sa fécondité. Tout renoncement à soi-même pour consentir à Dieu est fécond. De par nous-mêmes, nous, les créatures, nous ne pouvons être ni vrais, ni vivants, ni féconds. "Seul peut être fécond celui dont la relation à Dieu, à la vie éternelle, est vraie"53.

Quand un jeune décide de se consacrer totalement à Dieu, il se tient dans une disponibilité totale à tout ce que Dieu se propose de faire avec lui dans l’Église. Il se laisse éprouver et enseigner, il se laisse former comme de la cire dans la main de l’Église, il connaît la fécondité de l’Épouse et de l'Epoux54.

"Chaque fois qu'il s'est passé quelque chose de grand et d'heureux (dans la vie d'un chrétien), ce fut toujours un fruit et un rayonnement de l'obéissance. Il n'y a que le non et le refus qui soient stériles. C'est cela qui écarte la lumière qui aurait éclairé et réchauffé. Chaque oui, par contre, même le plus hésitant, fait entrer une lumière et germer une semence, aujourd'hui ou peut-être bien plus tard, ici ou tout ailleurs"55.

Il y a des saints dont le chemin est très abrupt; il en est d'autres dont le chemin monte doucement ou par intermittence. Mais quand quelqu'un s'est donné à Dieu et qu'il a compris ce que Dieu veut de lui, il n'est pas pour lui de ligne plus droite pour aller à Dieu que le chemin qui est le sien. Sans doute, pour ne pas l'effaroucher, Dieu peut avancer très doucement et s'adapter à ses états d'âme. Mais tout dépend de Dieu et Dieu peut aussi agir tout autrement. Paul est atteint par une lumière qui l'aveugle, il est renversé par terre, il entend la voix et il demande ce qu'il doit faire. Il n'y a pas pour lui de chemin à parcourir par étapes, il n'y a pas de signes avant-coureurs. De même pour les trois disciples au Thabor: ils voient tout à coup devant eux une image de la réalité céleste; le Seigneur ne les a pas introduits par degrés pour qu'ils puissent bien se rendre compte de tout l'événement56.

"Voyez les bateaux: si grands soient-ils et si rudes soient les vents qui les poussent, le pilote les mène là où il veut avec un tout petit gouvernail" (Jc 3,4). Le gouvernail, pour Adrienne, c'est le oui à Dieu. Il y a une disproportion apparente entre la masse du bateau et la petitesse du gouvernail. Et cependant le petit gouvernail suffit à assurer la direction du navire. Le point où l'homme décide de ses projets est minusculement petit par rapport à ce qui est brassé par lui, mais cela suffit. Saint Jacques montre par là combien il faut peu de choses pour faire la volonté de Dieu, pour ne pas tomber dans le péché, pour exécuter les plans de Dieu: il suffit de toucher au bon endroit. Les vents signifient tout ce qui s'oppose à l'obéissance à Dieu; le bateau symbolise la vie humaine. Les vents et le bateau peuvent être soumis par le don de soi à Dieu, par le oui qu'on lui dit et par la fidélité au oui. Le petit oui donne au pilote - à Dieu - de mener là où le veut l'énorme masse du bateau, la vie humaine tout entière. Dieu est en mesure de nous gouverner si nous lui disons oui. Le oui, le gouvernail, ne se dirige pas lui-même, il est constamment dirigé. Il accompagne tout le cours de la vie, il a à être constamment à la disposition de la main du pilote. C'est un oui pour un voyage, ce n'est pas un oui pour rester sur place; il doit toujours rester souple dans la main de Dieu, pour tourner et rester disponible au service du plan immuable du pilote en changeant lui-même de position. Le gouvernail du oui est en l'homme le point le plus caché et le plus saint par lequel il est en contact immédiat avec Dieu, par lequel Dieu l'a immédiatement en main, c'est le point où il s'abandonne aux mains du Seigneur, non avec un vague fatalisme, mais dans une obéissance pleine de respect. Il arrive aussi à l'occasion, quand les vents sont favorables par exemple, que le bateau semble maintenir le cap même quand le gouvernail n'est plus tout à fait en bon état. Mais le périple de la foi ne peut jamais se faire dans l'à-peu-près. De petites déviations au début ont par la suite des effets dévastateurs. Il faudrait ne jamais cesser de s'entraîner de manière consciente au oui central, il faudrait constamment voir si ce oui continue d'être juste, voir si on en est encore capable. Chaque jour aussi dans la prière, on devrait examiner brièvement son oui57.

Les plus petites choses font, elles aussi, partie de la mission: elles sont incluses dans le oui global qui a été donné. Il est de longues périodes où il n'y a qu'une chose à faire: persévérer et accomplir de petits riens qui sont cependant inscrits aussi dans la mission. Cela requiert parfois qu'on y engage toutes ses forces nerveuses et cela peut sembler le plus difficile de tout ce que le Seigneur nous demande. On a l'impression de devoir mourir sous des piqûres d'abeilles et on pense qu'on ne pourra pas les supporter plus longtemps58.

Quand Marie donne à l'ange son consentement, elle prononce son oui avec tout son corps et toute son âme; elle ne distingue pas ce qu'elle donne ni ce que Dieu lui prendra. Le don qu'elle fait d'elle-même est sans limites. Elle ne se demande pas si elle va se réserver quelque chose, elle ne calcule pas la somme de ce qu'elle perd. Son oui n'est que oui. Dieu est libre de disposer d'elle totalement. A l'annonce de l'ange, elle a donné une réponse digne de Dieu: "Qu'il me soit fait selon ta parole". Une parole aussi grande que Dieu la veut. Elle livre aussitôt son esprit tout entier. En la couvrant de son ombre, l'Esprit Saint revendique aussi son corps. Le don de Marie est reçu: l'Esprit s'empare d'elle59.

La mission ne s'arrête jamais. Si on ne reçoit pas les disciples en un lieu donné, qu'ils aillent plus loin. Aucun apôtre ne peut dire: "Je possède une vérité qui appartient au Seigneur, mais personne n'en veut". Il y a toujours quelqu'un qui la cherche: peut-être le cinquantième, peut-être le centième, peut-être le millième. En poursuivant son chemin, la mission cherche celui qui veut recevoir la Bonne Nouvelle et son messager60.

Dès que le Seigneur commence à vivre en nous, nous n'avons plus de temps pour nous. Toute notre vie est utilisée par le Seigneur. Il ne suffit pas de laisser le Seigneur agir en nous et de voir comment il vit en nous. Chaque minute de notre vie est appelée à la coopération la plus vive, la plus intense61.

Qui a reçu une mission du Seigneur ne peut plus disposer de soi. Il doit désormais se laisser mener où le Seigneur le veut. L'extension de la mission dépend totalement du Seigneur: lumière du monde ou lampe dans une chambre. Il n'y a que la désobéissance qui peut empêcher quelqu'un de remplir sa mission. Ce que le Seigneur commence porte la marque se son sérieux absolu. Dieu invite donc les hommes à demeurer à sa disposition; il ne se joue pas des hommes, mais il les prie également de ne pas jouer avec sa grâce. La mission reçue est éternelle, elle dure tant que dure l'Eglise. Les envoyés sont la lumière du monde, mais il arrive qu'ils sont plongés dans l'humilité par le Seigneur. Ils n'ont plus de droits sur eux-mêmes. Ils ne peuvent plus avoir de préférence personnelle qui ne serait pas la préférence de Dieu. Dieu les prend tels qu'ils sont, avec leurs fautes mêmes, et c'est aussi pour eux une cause d'humiliation. Personne ne peut attendre de se sentir parfait pour accomplir sa mission même s'il a l'impression d'être une fausse lumière6.

Le chrétien ne peut prendre ses distances vis-à-vis d'aucune des circonstances de sa vie; chacune d'elles doit le révéler comme chrétien. Ce qu'il dit ou fait doit faire savoir qu'il est conscient que Dieu est présent. Le Seigneur habite dans les croyants et ils annoncent sa présence par toute leur existence. Celle-ci appartient entièrement au service qu'ils ont voué si bien que celui-ci n'est pas limité à certaines heures tandis qu'ils en garderaient d'autres pour eux. Ils sont simplement là au nom du Seigneur63. Paul prie pour que ses chrétiens n'aient plus un seul coin en eux qui ne soit rempli de la volonté de Dieu64.

Ils doivent en cela imiter le Seigneur qui, au cours de sa vie terrestre, ne se reposait jamais de sa mission. Bien sûr le Seigneur connaît la faim et le besoin de se reposer, il aime se retrouver chez des amis ou chez d'autres personnes, mais jamais il ne cesse de se donner aux hommes et de leur révéler le Père. D'un point de vue purement humain, ce serait peut-être un bien pour le Seigneur de se détacher pour un temps de son ministère et d'être quelqu'un dans la foule tout simplement. Mais cela lui est impossible. Il est toujours en mission même quand l'ambiance est détendue, et ceux qui l'entourent se réjouissent de ce qu'il leur fait don de sa présence à table. Son attitude doit inspirer notre propre conduite dans la détente, les repas, les conversations. Nous ne devons jamais oublier qu'il est avec nous non moins réellement qu'à Béthanie autrefois ou au cours d'autres repas65.

Quelle que soit la mission à laquelle on est appelé, la première chose que Dieu nous demande c'est une obéissance absolue. C'est vrai de celui que Dieu a choisi pour le faire entrer dans la connaissance mystique, c'est vrai pour tout autre appel. L'obéissance que le Seigneur attend n'est pas celle qui se bornerait à suivre anxieusement de petites prescriptions, il attend une obéissance qui embrasse vraiment toute l'existence. L'obéissance doit être souple: l'homme doit s'adapter à Dieu, se montrer prêt pour toutes les formes d'existence que Dieu peut exiger de lui, auxquelles il ne s'attend pas et qui peuvent sortir de ses habitudes. Saint Nicolas de Flue doit tout quitter afin de se tenir prêt dans la solitude pour la rencontre mystique telle que Dieu la veut pour lui. D'autres vivront des rencontres semblables dans leur vie de tous les jours sans que les autres s'en rendent compte. C'est Dieu qui décide du mode de la rencontre66.

Dieu demande une obéissance intelligente. Quand il confie des missions aux siens, il s'attend qu'ils les mettent en œuvre selon leur intelligence et leur originalité67. "L'obéissant n'est jamais un instrument mort, il est un esprit vivant. Et l'obéissance n'est jamais un principe mécanique, mais un principe organique… Dans la parabole évangélique, les fidèles serviteurs exercent par obéissance leur esprit et leur force d'invention pour augmenter les talents de leur maître, et l'éloge qu'il leur adresse montre qu'il voulait savoir leur service compris justement de cette manière"68.

L'obéissance vraie est une obéissance confiante. Même quand l'homme ne voit pas ce que Dieu prévoit pour lui, il sait cependant que la Providence s'occupe de tout, qu'il n'a qu'à faire confiance et que le Seigneur fera le reste. Il n'essaiera pas d'aller à Dieu avec des mesures humaines; il ne le peut qu'avec la confiance. Si un homme ne se fie pas à Dieu, il lui est impossible d'être à la place que Dieu lui a assignée. S'il se trouve à la place où Dieu veut qu'il soit, alors il est sûr, sûr d'une certitude que Dieu lui donne et qui n'est pas humainement concevable. Ce n'est pas une certitude tiède et rassasiée, c'est une certitude qui porte en elle le mouvement de la réponse, qui accomplit la volonté du Père et s'engage sur le chemin préparé par Dieu69. Il sait dans la foi que, si Dieu lui a confié une mission, il sera capable de la remplir70.

L'obéissance est chose simple. L'exemple de Marie nous le montre plus clairement que tout discours. "L'âme de la Mère est toute simple… Ce n'est pas par elle-même que son âme est si simple, elle l'est par la proximité de Dieu qui lui permet de s'abandonner si totalement que tout le multiple et l'incompréhensible est assumé par Dieu lui-même. Dieu lui est si proche qu'à toutes les questions il apporte lui-même la réponse toute simple; il aplanit et résout tout ce qui paraît embrouillé, il modèle toutes les situations de sa vie de manière si simple et plénière que, s'il demeure bien un mystère, jamais il ne reste d'énigme angoissante. Elle vit tellement en Dieu qu'elle sait toujours ce qu'il attend d'elle et que, pour elle, il n'est rien de plus simple que de faire la pure volonté de Dieu, même s'il demande des choses difficiles et amères… Il y a beaucoup de questions dans la vie de Marie, mais elle ne s'y arrête pas. Elle ne se creuse pas la tête sur ce qui dépasse son entendement. Pour elle, aucun problème ne peut devenir essentiel car, comme tel, tout problème est une limite et Marie est pure disponibilité et ouverture à tout ce qui doit la trouver prête et ouverte. Ainsi dépasse-t-elle la multiplicité des choses incompréhensibles pour vivre dans l'infinie simplicité de l'accomplissement de la volonté divine"71.

Il y a en Marie des mystères qu'elle possède "sans les connaître ou du moins sans les pénétrer elle-même; pour sa tâche il ne lui est pas nécessaire de tout saisir… Sa tâche est de laisser le mystère s'opérer. Son oui libre l'a mise à la disposition de Dieu et, en conséquence, Dieu a disposé d'elle. Que désormais elle persévère simplement, qu'elle soit celle qui laisse faire, c'est là une œuvre assumée par la grâce…Il lui suffit de comprendre et de faire ce que la grâce à chaque instant lui montre et lui demande… Quelque chose de cette grâce mariale passe à tous les chrétiens: s'ils ont véritablement dit oui, le Seigneur se porte garant de leur vie ultérieure"72.

Dans les relations quotidiennes de Marie avec le Fils devenu adulte, elle reçoit de lui quelque chose de nouveau. Elle est devenue prête à être mise par lui partout où il a besoin d'elle, même si souvent elle ne comprend pas ses desseins, même si elle ne se trouve pas placée là où elle s'y serait attendue (Qui sont ma mère et mes frères?). Sa manière d'entrer dans les vues du Fils a le caractère fondamental de l'obéissance, une obéissance qui est en même temps un échange, mais un échange rempli de mystère, et Marie n'est pas introduite dans le mystère. On pourrait aussi bien dire qu'elle est introduite dans le mystère de l'absence d'échange. D'une manière bien plus profonde que tout autre croyant Marie a conscience du caractère mystérieux de Dieu et du monde de Dieu sans qu'elle y soit introduite elle-même plus que le Fils ne le veut. Certes elle a vu l'ange et ses horizons en ont été dilatés à l'infini, mais par cette dilatation même de ses horizons, elle sait définitivement qu'elle a à rester à sa place, elle sait qu'il ne lui revient pas de tout savoir à l'avance, mais qu'à chaque instant elle doit rester disponible pour le Seigneur dans une attente virginale73.

"En face de Dieu, (Marie) oublie toute prudence parce que l'immensité des plans divins s'ouvre devant ses yeux. Non seulement elle veut ce que Dieu veut, mais elle lui confie encore son oui pour qu'il en dispose, le façonne et le transforme. En disant oui, elle n'a aucun souhait, aucune préférence, aucun désir dont il faudrait tenir compte. Elle ne passe pas de contrat avec Dieu; elle souhaite seulement être acceptée dans la grâce, comme elle a été désirée dans la grâce… Si c'est Dieu qui se penche vers elle, sa réponse ne peut être qu'abandon dans une obéissance aveugle. Elle ignore tout calcul, toute garantie, ne manifeste pas la moindre réserve; elle ne sait qu'une chose: son rôle est celui de la servante qui, humblement, prend tellement la dernière place qu'elle préfère toujours ce qui lui est offert, ne cherche jamais à provoquer elle-même quoi que ce soit, ne prépare ni ne dirige la volonté et les désirs de Dieu"74.

L'obéissance à Dieu est l'acte de l'amour. Il ne met pas de limites, il ne pose pas de questions75. "Ce que Dieu veut, on le fait volontiers". Sur le coup, ça peut être très désagréable, mais après coup c'est cependant ce qu'on fait de préférence. "Supposons que j'aie une tumeur qui me fait mal; le médecin me dit qu'il doit la couper sans m'endormir; sur le coup c'est très désagréable. Mais quand, après cela, je puis à nouveau mouvoir mon bras en toute liberté, je trouve que ça a été très judicieux. Avec le Bon Dieu c'est toujours encore beaucoup plus judicieux, c'est pourquoi vis-à-vis de lui il est impossible de faire des réserves"76.

"La mission invisible d'un homme est toujours proportionnelle à l'amour, même si sa mission visible apparaît microscopique et accessoire. Un amour parfait peut rester entièrement caché dans l'Eglise, tout en étant parfaitement efficace"77.

Dans le don total d'eux-mêmes à la volonté de Dieu, les saints ressemblent souvent aux enfants et même aux simples qui ne sont pas capables de critique78.

L'important est que "Dieu occupe vraiment toute la place dans le croyant. Cela ne va pas sans luttes. L'obéissance demande renoncement, discernement, pureté. Et plus il obéit, plus l'obéissant se rend compte qu'il n'est pas assez transparent, qu'il retient encore bien des choses dont il devrait se défaire. Il peut aussi être de mauvaise humeur; or une obéissance maussade n'en est pas une: Dieu veut voir les siens dans la joie". La joie se cache dans l'obéissance chrétienne. "Si deux êtres qui s'aiment ont des désirs différents qui ne peuvent être satisfaits en même temps, ils voudront tous les deux, par amour et dans la joie de leur amour, renoncer à leur désir pour combler celui de l'autre. Le renoncement sera un renoncement d'amour et aura la joie comme motif. Aucun des deux ne voudra même prononcer le mot de renoncement. De sorte que tout geste chrétien d'obéissance doit se faire dans la joie, à l'intérieur de la joie pascale du Seigneur"79. C'est pourquoi Adrienne peut affirmer que "la vocation sacerdotale et religieuse n'est pas avant tout sacrifice et renoncement, mais disponibilité joyeuse vis-à-vis de Dieu"80.

Les portes de la cité céleste dont parle l'Apocalypse sont toujours ouvertes. Personne ne peut les manquer si ce n'est par sa faute. Rien d'autre n'est exigé que la disponibilité et l'humilité. L'humilité d'ailleurs est incluse dans la disponibilité: il n'y a pas de disponibilité orgueilleuse. Qui se met à la disposition de Dieu, Dieu prend soin de lui pour le conduire jusqu'à la porte de la cité céleste. Le croyant qui se donne avec confiance est conduit. Si on ne trouve pas la porte et qu'on se heurte au mur de la cité céleste, c'est qu'on a refusé quelque chose d'essentiel. Dieu ne cesse d'appeler les hommes à la sainteté. Si, à certaines époques, il y a moins de saints, la raison n'en est pas que Dieu en a prévu moins, c'est que davantage de personnes n'ont pas accepté leur mission et ne se sont pas laissé conduire. Sa laisser envoyer dans la mission de la sainteté, cela veut dire se livrer aux voies de Dieu avec confiance même quand on ne voit pas où cela mène81.

Quand Marie acquiert la certitude naturelle qu'elle est enceinte, son existence atteint une sphère nouvelle. Sa rencontre avec l'ange était le monde de sa prière et de ses relations avec Dieu. Mais elle est aussi une jeune fille qui a à vivre dans son milieu naturel. Elisabeth, sa cousine, en fait partie, et l'ange lui en a parlé. Marie se rend donc chez elle et elle emporte avec elle son secret dont elle ne sait pas ce qu'il adviendra au cours de sa visite. Son obéissance à Dieu ne s'oppose aucunement au besoin qu'elle a de voir Elisabeth et de parler avec elle. Il y a donc entre les deux parentes une conversation intime mais non indiscrète; cette conversation est nécessaire pour les deux: elle est le modèle d'une conversation entre femmes, d'un vrai partage et d'une rencontre féconde. C'est une conversation tout à fait naturelle et qui se passe en même temps tout en Dieu. Les deux femmes ont reçu une mission par leur fils et elles reçoivent aussi de Dieu de correspondre à leur mission et d'être fidèles à elles-mêmes tout naturellement. Elles s'entraident et se soutiennent l'une l'autre. Leur conversation ne touche pas ce qui les concerne personnellement: elles s'intéressent à ce que Dieu attend d'elles, à ce que leurs fils deviendront, à la manière dont elles peuvent laisser Dieu agir en elles; et laisser faire Dieu est une contribution éminemment active. Chacune des deux est remplie de respect pour la mission de l'autre et cherche à la soutenir82.

La rencontre de Marie et d'Elisabeth est exemplaire. Mais l'accomplissement de la mission ne suit que rarement une voie aussi rectiligne. Pour la plupart d'entre nous, il nous faut tenir compte de nos reniements. Ceux-ci ne suppriment pas la mission. "Tous, nous avons une mission à accomplir au-delà de nos reniements"83.

Pour qu'une mission soit vivante et le demeure, il faut qu'elle ait part à la vie du Seigneur. Il ne faut pas vouloir en faire sa propre affaire. Sinon elle n'est plus qu'un pierre morte tout juste bonne à paver l'enfer84.

Les faux mystiques ont tous cherché leur propre satisfaction, ils ont voulu tirer profit de leurs visions et en jouir; ils n'ont plus cherché Dieu, ils se sont cherchés eux-mêmes. "Les visions sont comme des enfants que Dieu donne et qu'on doit porter dans la pleine patience de la grossesse. Aucune mère n'ouvre son corps pour voir l'enfant plus tôt. Le faux mystique, lui, perd patience". Le voyant de l'Apocalypse et, avant lui, tous les voyants de la Bible n'ont eu en vue que l'accomplissement d'un service. Seule importe la mission85.

"La volonté de Dieu doit être pour moi si grande que ma volonté n'est plus que chuchotée… Alors, peu importe où nous nous trouvons maintenant, quelle est l'importance de notre œuvre… Tout cela doit rester caché tant qu'il plaît à Dieu; s'il montre quelque chose, c'est bien; et si pour le moment il ne montre rien, cela ne doit pas nous paraître moins juste"86.

Toute mission doit vaincre beaucoup d'obstacles, car tout doit être mis à son service. Il y a beaucoup de choses qu'on donne spontanément et joyeusement, et il y en a peut-être encore plus qu'on doit en quelque sorte nous arracher contre notre gré. C'est dans la maladie qu'on expérimente le mieux ce passage. La maladie et le sentiment d'impuissance n'interrompent pas la mission. Dieu demande simplement alors qu'on lui offre autre chose87.

Il est d'autres obstacles que la maladie. L'essence de la sainteté est de remplir la mission trinitaire qu'on a. Celle-là et pas une autre. Il se peut que quelqu'un accomplisse vraiment bien sa mission tout en n'étant pas irréprochable sur tous les points et en gardant par exemple "un fichu caractère". Très rares sont ceux qui correspondent à la grâce; ce sont les saints88.

Les saints peuvent avoir le sentiment de ne pas être à la hauteur de leur mission, tout comme les prêtres dans l'Eglise. Et ils se trouvent cependant entourés d'une grâce débordante. Sur la croix, le Christ n'en peut plus et il persévère jusqu'à la mort avec la force du Père en lui, avec une mission qu'il ne voit plus et qui est cependant l'expression d'un échange vivant entre le Père et lui. Tout chrétien peut se sentir un jour au bout de ses forces; dans la grâce il peut encore quelque chose, une grâce qui le dépasse et qui est cachée dans le trésor de prière de l'Eglise. Même celui qui ne connaît apparemment que des échecs, s'il persévère dans la foi, ne décevra pas Dieu et Dieu ne le décevra pas89.

Mais il demeure vrai que l'homme n'est jamais à la hauteur du projet de sainteté que Dieu a pour lui. Ce n'est pas parce que quelqu'un s'accuse d'avoir manqué de patience qu'il peut se consoler en se comparant à tel saint qui n'a pas toujours été non plus des plus patients. "Je n'ai pas à me comparer aux autres, ni même aux saints, il suffit que je garde devant les yeux l'image que Dieu a de moi". Et si des saints ici-bas ont fait grosso modo ce que Dieu attendait d'eux, il reste toujours encore l'image de la perfection terrestre et humaine de Marie90.

La plupart de ceux qui veulent se donner entièrement au Seigneur, qu'ils soient prêtres ou laïcs, trouvent souvent que les difficultés sont trop grandes. Il y a des résistances dans leurs propres rangs91.

Les trois femmes qui se rendent au tombeau de Jésus le matin de Pâques se trouvent elles aussi devant une grosse difficulté. C'est Pâques et elles ne le savent pas. C'est comme si elles portaient encore en elles tous les tourments de la Passion et de la mort. Ces tourments ont en fait disparu, mais le problème des femmes est de savoir comment quitter ce temps de la Passion. Leur question résume bien toute leur difficulté: qui nous roulera la grosse pierre? Et puis il va s'avérer que leur souci était vain, qu'elles avaient tort de se faire du souci. Fondamentalement tous nos soucis sont toujours déjà des soucis de matin de Pâques; soucis personnels, soucis de communauté, soucis de mission: nous pouvons nous en décharger sur celui qui a porté la croix et qui est ressuscité. S'il veut nos missions et si nous cherchons à les accomplir dans son sens, il nous roulera toujours les pierres d'une manière ou d'une autre, peut-être au dernier moment, peut-être quand il n'y aura, semble-t-il, plus d'issue92.

Ce qui fait qu'il est malgré tout plus facile qu'on ne le croit de servir le Seigneur et l'Eglise93 bien que, encore une fois, l'épreuve fasse partie intégrante de la vocation et de la mission; l'épreuve est une donnée chrétienne qui n'épargne personne et le chrétien aurait même tout lieu de s'inquiéter s'il ne la rencontrait pas; l'épreuve est une conséquence immédiate de la mission94. "Nous aussi qui avons dans notre mission une goutte de souffrance, nous devons savoir que la souffrance chrétienne débouche dans la résurrection, que la souffrance n'est pas rendue moins amère par cette espérance, mais qu'elle n'engendre jamais le doute"95.

Quand quelqu'un renonce à tout et se met entièrement à la disposition du Seigneur, même s'il le fait avec beaucoup de joie, il recevra l'une ou l'autre souffrance à porter à la suite de son geste… La vie d'un saint est en tout cas une vie difficile. Dieu, il le sait, lui demande toujours plus, et sa souffrance la plus profonde est de voir l'abîme qui existe entre ce qu'il offre et ce que le Seigneur a à prendre. Le saint ne voit pas les progrès qu'il fait parce qu'il se mesure toujours à l'absolu vis-à-vis duquel aucun progrès n'est visible. Il a à peine appris toutes ses lettres comme un enfant qu'il devrait déjà posséder toute l'écriture comme un adulte96.

Jérémie est ici un modèle. Il a sa mission depuis toujours, avant même qu'il ait pu dire oui ou non, et cependant il se défend: il ne se croit pas digne de sa mission, et puis ça n'ira pas, il ne croit pas qu'il puisse être un bon interprète des paroles de Dieu. Et puis, quand il se met à parler, il jouit de l'assurance de ceux qui sont bénis de Dieu; quand il a fini, cette assurance le quitte. Il a tant à souffrir de son peuple qu'il ne voit plus que sa mission en était vraiment une. Il est le souffre-douleur du peuple, mais il estime surtout qu'il est le souffre-douleur de Dieu qui lui a confié une mission déraisonnable qui dépasse ses forces. Et il se plaint: il voudrait tellement une vie plus confortable. Mais même quand il s'insurge contre Dieu, il se sait vaincu d'avance, il a déjà dit oui pour une nouvelle mission. Et il doit toujours annoncer ce qu'il ne voudrait dire à aucun prix, ce que la prudence lui conseillerait de taire. Sa prière ressemble à ceci: "Que ta volonté soit faite, mais qu'une fois aussi la mienne se fasse". Comme si Dieu n'était pas à la hauteur de l'intelligence de Jérémie qui sait ce que c'est qu'être prophète et humain; Dieu ne sait pas ce que c'est qu'être homme. Et cependant Jérémie veut toujours ce que Dieu veut, mais il faut qu'il se dispute avec lui. Les résistances de Jérémie rendent d'autant plus manifeste en contrepartie l'abandon absolu du Fils97.

Dieu attend de tout homme un témoignage, mais de personne il n'en attend autant que du Fils. Le témoignage du Fils, c'est toute sa vie terrestre. Tout ce qui en elle est contemplation et tout ce qui en elle est action témoigne du Père. Elle est une réponse avant même qu'une question soit posée. Jamais le Père ne lui pose une question sans qu'il soit sûr de la réponse du Fils. Le témoignage du Fils est parfait et il est permis au chrétien de croître en lui. Le témoignage du Seigneur est l'unique vrai témoignage parce qu'il est éternellement vrai. "Nous qui essayons de témoigner d'après le modèle qu'il nous a donné, nous ne sommes jamais vrais que pour des secondes. Lui, il est le miroir parfait du Père. En nous, il ne brille que de temps en temps. Nous nous éloignons de la vie de la vérité par le péché. Mais le Fils, même quand il meurt et que le Père l'abandonne, demeure le plus parfait témoignage de l'amour du Père"98.

 

                         Les imprévus de la mission 

Tout peut arriver à celui qui a reçu une mission. Tout et donc souvent l'imprévu. Il en fut ainsi dans la vie de Marie. Il ne lui fut pas épargné, pas plus qu'au Fils, "d'être en contact avec le monde tel qu'il est", avec son péché et ses déficiences… "Il y a beaucoup de tensions dans son existence… Il n'y a rien qui ne puisse trouver sa place dans son attitude de totale disponibilité. Elle doit sans cesse demeurer vigilante: non pas simplement pour entendre dans la prière la voix de Dieu, pour demeurer silencieuse devant lui, mais pour assumer toute tâche nouvelle. La vigilance implique la participation; celle-ci la souffrance; et la souffrance, même après la résurrection, signifie toujours souffrir avec le Fils sur la croix"99.

Jean-Baptiste prêchait: c'était sa mission, c'était son travail. Il accomplit sa tâche dans l'attente du Seigneur, mais il ne le voit pas encore, il ne voit pas ses miracles, il ne sait pas ce que le Seigneur va annoncer et enseigner. Malgré cela il prêche: c'est sa mission; quelque chose va venir, mais il ignore ce que ce sera. Il se laisse placer en un lieu qu'il n'a pas choisi. Il consent à proclamer quelque chose dont il n'a encore aucune preuve. "Entre la mission du Baptiste et la nôtre, il peut y avoir des points de comparaison. Il se peut que nous ne sachions pas de quoi demain sera fait (jamais d'ailleurs nous ne le savons). Nous travaillons dans l'attente"100.

L'évangéliste saint Marc nous introduit dans la mission de Jean-Baptiste: il nous parle de son mode de vie, de son activité, du baptême, et il conclut froidement: "Après que Jean eut été livré…" Un envoyé a fait ce qu'il devait faire et puis il est livré: brève présentation de la vie d'un martyr. Et la vie continue. "Comme cela est fréquent dans l'histoire chrétienne!" Quelqu'un pense avoir encore à faire d'innombrables choses pour obéir à Dieu… et il est livré. "Mais la fin d'un chrétien n'a pas d'intérêt, comparée à sa mission". Cela paraît dur à entendre. Personne ne s'intéresse à la fin d'un chrétien; il est livré et l'histoire continue. Comme cela est-il possible? Ce n'est possible que parce que la mission est plus importante que la vie et parce que la mort n'est pas un terme: elle est continuation ou même commencement. Nous devons considérer, nous aussi, que notre mission est plus importante que nous-mêmes. L'important est que nous demeurions au centre de notre mission sans spéculer sur ce que sera notre fin. Toute mission meurt avec l'envoyé, mais elle lève comme une semence et l'envoyé n'a pas besoin de le savoir. Il fut envoyé pour semer, le fruit appartient au Seigneur. Le mystère de la semence est central dans l'Evangile et dans notre vie chrétienne. Si elle vient de Dieu, la mission est immortelle101.

Peu importe le lieu où nous servons le Seigneur. Nous avons grandi sur un certain sol comme la semence de la parabole, nous avons servi le Seigneur en un lieu donné: cela ne nous donne pas le droit de considérer ce lieu comme définitif pour nous. Le Seigneur se sert de nous comme il le veut. On ne demande pas au fruit à quoi il voudrait servir. Le fruit qui a mûri sur mission de Dieu demeure sa propriété. Dieu nous a pour ainsi dire prêté à un sol qu'il avait choisi lui-même jusqu'au jour de notre maturité et jusqu'au temps de la faucille. Pour notre sensibilité, le temps de la faucille est toujours douloureux. Mais le Seigneur lui-même dispose de cette souffrance. c'est lui qui décide du jour de la moisson. Il ne le fait pas de façon arbitraire, mais le fruit n'est pas consulté102!

On ne peut pas s'embarquer avec le Seigneur sur le lac pour une traversée sans s'exposer à la tempête. Ce n'est pas un hasard qu'il y ait tempête: le Seigneur savait bien qu'il y en aurait une. Il sait que s'il introduit les autres dans sa vie pour les emmener sur l'autre rive, cela ne se fera pas sans tempête. L'autre rive, ce peut être Pâques, ce peut être la vie éternelle, ce peut être une attente dans une vie chrétienne. En tout cas, il s'agit toujours d'une attente au nom du Seigneur. Il y aura toujours une tempête: intérieure ou extérieure. Si on le sait, on ne s'inquiétera pas à l'avance. Nous la laisserons nous menacer dans l'espérance que nous serons capables de persévérer jusqu'au moment où le Seigneur permettra qu'elle s'apaise103.

Ce dont on peut être assuré, c'est que, si nous sommes de vrais croyants, le Seigneur nous demandera toujours plus que ce que nous pouvons lui donner; et cependant, à aucun moment, il ne nous en demandera trop104.

Le Seigneur demande exactement aux chrétiens le service dont ils sont capables par sa grâce. Dans la mission que le Seigneur confie à chacun, il n'y a pas de tâtonnements, pas d'incertitude. Il peut arriver que le chemin emprunté semble aberrant, il demeure le chemin du Seigneur. A vues humaines, ce peut être une voie assez discontinue. Ce qui en fait l'unité, c'est la volonté du Seigneur. Il se peut au contraire que la voie soit toute droite, claire et simple du début à la fin. Il est donné à beaucoup de demeurer simplement dans le Seigneur. Certains peuvent s'étonner que leur voie soit si simple, si petite, et le Seigneur n'a rien prévu d'autre pour eux; il exige peut-être d'eux de croître sans cesse dans l'invisible vers une prière plus pure, vers le dépassement de petites difficultés dont on peut à peine parler, mais qui demandent un combat incessant, et donc beaucoup d'amour et d'humilité, et c'est le service que le Seigneur attend d'eux. Quelle soit notre voie, personne n'a atteint le but et il nous faut demeurer ouvert à de nouveaux appels et à de nouvelles possibilités105.

Ni l'échec ni la réussite des hommes n'amène le Seigneur à réduire ses exigences. "Rien, dans la vie des chrétiens, n'est mesuré par le Seigneur selon les critères de la réussite ou de l'échec humains. On ne reçoit pas, parce qu'on a échoué, une tâche moindre, ni plus importante parce qu'on a réussi; dans les deux cas, seul le 'toujours-plus' est proposé"106.

Il faut faire des projets et travailler pour essayer de correspondre à ce que Dieu demande de nous. Mais Dieu demeure libre de réduire en miettes toutes ces constructions et tous ces projets pour ne demander que la seule disponibilité. Quelqu'un peut être préparé à telle ou telle tâche, et cela ne sert à rien. A la place du travail qu'il espérait faire pour Dieu et qu'il portait déjà dans sa prière, Dieu ne laisse apparaître que souffrance, maladie, impuissance, immense lassitude. Dieu ne cesse de décider de la mesure de ce qui est à porter. Dieu veut l'égalité d'humeur dans la sérénité même quand il ne laisse qu'impuissance et lassitude. Il n'y a pas lieu de se perdre en spéculations: il faut se situer par rapport à ce qui est, tel que cela est donné, avec gratitude pour ce que Dieu demande, enlève ou donne107.

"Une mission n'est pas seulement quelque chose qu'on reçoit et qu'on exécute une fois pour toutes. C'est aussi quelque chose qui grandit, qu'il faut assumer, ratifier chaque jour à nouveau. Marie reçoit sans cesse sa mission du Fils, jusqu'au sommet de la croix. Elle symbolise l'état jamais adulte du chrétien, de quelqu'un bien sûr qui grandit en grâce, et en sagesse devant Dieu et devant les hommes, mais qui, en tant qu'il séjourne sur la terre, croît au rythme de la croissance de sa mission. Jamais il ne la surplombe ni ne la maîtrise"108.

Toujours l'avenir appartient à Dieu, et vivre dans l'espérance c'est vivre dans cet avenir109. Il faudrait toujours pouvoir recommencer comme le Seigneur en décide et donc être toujours prêt à "oublier la maison de son père", comme dit le psaume. Ne plus vouloir disposer de soi est la condition de la fécondité dans le Seigneur110.

Toutes les missions dans l'Eglise sont complémentaires les unes des autres, on n'a pas besoin d'en connaître dès à présent tous les aboutissants. Il ne faut pas vouloir tout savoir d'avance: cela ne pourrait que nuire à l'obéissance et à la mission qui est exigée aujourd'hui. Tout ce qui est nécessaire à une mission sera donné en temps voulu111.

Ici-bas on n'a jamais une vue d'ensemble des volontés de Dieu sur nous. Souvent on ne sait pas pourquoi Dieu appelle quelqu'un; on sait seulement que ce que Dieu veut est plus vrai que notre propre volonté. C'est pourquoi on obéit sans voir tout ce que contient l'ordre qui nous est donné112.

La disponibilité inclut qu'on accepte de se voir confier par Dieu une mission à laquelle on pourrait se croire inadapté. C'est toujours Dieu qui exige quelque chose de nous, et non l'inverse113.

Quand Jésus demande à Philippe: "Où achèterons-nous du pain pour tant de monde?", il lui pose cette question pour l'éprouver; lui savait ce qu'il allait faire. Le disciple n'a pas à savoir à quoi il sera utilisé dans les plans du Seigneur. Il ne sait même pas qu'il est déjà utilisé. Il n'a pas à le savoir car la décision qui le concerne est aux mains du Seigneur. Cependant il n'est pas utilisé comme un instrument mort mais comme une personne humaine. Pour répondre à l'appel, il n'est pas requis que l'homme perce les plans de Dieu; il lui est demandé de se laisser utiliser aveuglément par lui comme un instrument, il lui est demandé d'admettre que le Seigneur sait déjà ce qu'il va faire114.

Un chrétien pourrait chercher à se distinguer pour le Seigneur en augmentant de lui-même ses propres œuvres. Mais cela ne le mènerait pas loin. Le meilleur moyen d'augmenter ses œuvres est de se tenir sans relâche à la disposition de la volonté du Seigneur qui demeure encore inconnue. Le vrai chrétien choisit l'obéissance et rien d'autre115.

Moïse reçoit de Dieu sa mission comme un aveugle116, mais en fait l'obéissance n'est jamais aveugle. Les mages suivent l'étoile qui leur est apparue comme un signe du ciel: ils apprennent par là une obéissance dont ils ignoraient tout auparavant; "ce n'est pas une obéissance aveugle; au contraire, c'est une obéissance qui voit", une obéissance qui est déjà vision - car ils ne cessent de regarder l'étoile - et une obéissance qui débouche vraiment sur une vision: ils sont conduits jusqu'à voir le Fils117.

Quelle que soit sa mission, le chrétien n'a pas le droit de soupirer ni de se laisser dominer par l'angoisse118. Et cependant Elie a peur des menaces de Jézabel. "Dieu ne protège pas ses serviteurs de manière à les délivrer de toute crainte"119.

Dieu livre toujours plus ou moins les siens à l'inconnu même quand leur mission est bien établie. Marie et Joseph sont devant un mystère. Marie était déjà fiancée à Joseph et il possédait son oui. Et puis l'ange demande à Marie de se fiancer une deuxième fois. Elle dit oui à nouveau pour avoir part à la fécondité du ciel et de l'Esprit Saint qui la couvre de son ombre. Elle sera la mère du Fils. Mais le comment demeure un secret céleste qu'elle ne doit pas scruter. Elle doit simplement s'y livrer. Marie et Joseph ne se posent pas plus de questions qu'il est nécessaire. Le comment de leurs relations ultérieures est une question qui doit rester ouverte pour qu'ils demeurent dans la pleine vérité de Dieu. Ils ne cherchent pas à scruter ce que Dieu s'est réservé, ils n'ont pas la curiosité d'Adam et Ève. Ils laissent faire le ciel120.

Il est très essentiel à la sainteté de Marie qu'elle n'a pas l'habitude de se soucier des choses que Dieu ne veut pas lui montrer. Avec son intelligence humaine, elle comprend ce qu'elle doit comprendre, elle ne refuse pas non plus de comprendre les choses autrement si Dieu le désire. C'est une des caractéristiques de sa pureté d'âme121.

L'obéissance à Dieu, c'est de l'amour. Il peut se faire que l'obéissance que Dieu nous demande soit davantage l'acte de notre foi vivante que de l'amour, mais il peut se faire aussi que Dieu nous introduise si fort dans son amour qu'on lui obéit sans le remarquer, simplement à cause de la plénitude de l'amour122.

Si quelqu'un va jusqu'à offrir vraiment toute sa vie à Dieu pour ses frères, il entre dans le mystère de la substitution: par cet acte, il invite Dieu à disposer librement de sa vie et de sa mort, avant tout de sa mort intérieure dont Dieu lui-même détermine la forme. "Dieu peut alors lui enlever même ses biens spirituels innés auxquels il était attaché. Il se peut qu'il ait un caractère joyeux et que Dieu lui donne affliction et solitude; il se peut qu'il soit gâté intellectuellement et que Dieu lui enlève toutes ses relations raffinées en l'envoyant par exemple comme missionnaire dans des pays où ses talents intellectuels ne peuvent guère s'épanouir. A la suite d'une telle offre, Dieu oblige volontiers l'homme à faire ce qu'il n'aime pas faire". Il accepte ce sacrifice qui consiste à donner sa vie pour ses frères en substitution… "Presque toujours il exigera ce que nous n'attendons pas, et nous ne saurons jamais pourquoi il exige précisément cela de nous. Car la substitution implique toujours l'imprévu, signe de tout sacrifice total"123.

La mission de tout chrétien s'ouvre toujours sur le Seigneur, elle s'ouvre toujours sur un au-delà, elle mène toujours plus loin, elle s'ouvre toujours à l'infini. La mission n'a jamais de terme. On ne peut pas avoir la mission de conduire quelqu'un jusqu'à l'Eglise et ensuite, quand cela est fait, rester là sans mission. La mission est intérieurement illimitée. Celui qui est vraiment sauvé s'oublie lui-même et il est aussitôt embauché pour coopérer au salut des autres. On ne peut pas mettre de limites à la mission du Seigneur. Si le Seigneur a libéré quelqu'un de la servitude du péché, c'est pour que d'autres soient libérés par lui; si le Seigneur a donné à quelqu'un une foi vivante, c'est pour qu'elle devienne vivante aussi chez d'autres. Le chrétien ne reçoit jamais un don du ciel pour le garder à son usage personnel: il fait partie de l'essence de l'amour de se répandre. De l'amour de l'homme et de la femme naît l'enfant, de la rencontre du Seigneur et du chrétien naît aussi quelque chose de neuf et de fécond. Et plus le Seigneur dispose d'une vie, plus elle est féconde124.

Une mission peut être féconde tout à fait à l'insu de celui qui l'accomplit, elle le demeure à travers les nuits, au-delà des reniements parfois. Si Pierre renie son maître, c'est qu'il n'y comprend plus rien. "Tant qu'il n'avait pas rencontré le seigneur, sa vie était simple", il en demeurait le maître. Maintenant il n'y voit plus clair, "parce qu'il fait partie de ceux qui ont une mission et que le contrôle a passé totalement au Seigneur. Aussi longtemps que le Seigneur était libre, Pierre pouvait le regarder avec admiration… Il se sentait transporté… A présent le Maître… a les mains liées; il est traîné sans défense devant le tribunal, giflé par un valet. Toute sa gloire s'écroule. Il n'a plus rien qui puisse en imposer à Pierre. La foi de celui-ci, fondée sur la gloire du Seigneur, s'effondre… A présent il semble à Pierre que sa foi a été une erreur". Et Pierre se débarrasse de sa foi et de sa mission. "Il a hâte de reprendre sa vie normale de jadis, de disparaître au milieu de la foule ignorante… Pierre est le symbole de la faiblesse livrée à elle-même… Le Seigneur voit en lui combien il lui faudra souffrir, puisque même ses fidèles ne savent pas ce qu'est la fidélité. Il constate en Pierre le désarroi de l'Eglise lorsqu'elle oubliera le Seigneur; et aussi combien elle resterait sotte et impuissante si le Seigneur ne venait pas toujours à son aide pour la sortir de son désarroi"125.
 

Notes de la 3e partie

 

1. Et pas seulement dans ses trois écrits qui traitent explicitement de la question : La mission des prophètes, Choisir un état de vie, Ils suivirent son appel.

2. Apokalypse, p. 821-822 (sur Ap 22,17).

3. Jean. Discours d'adieu, I, p. 54-55 (sur Jn 13,20).

4. Markus, p. 610-611 (sur Mc 14,3).

5. Les portes de la vie éternelle, p. 112-113.

6. Apokalypse, p. 427 (sur Ap 13,7-8).

7. Markus, p. 172-173 (sur Mc 4,8-9).

8. Jean. Discours d'adieu, II, p. 27 (sur Jn 15,8).

9. L'Epître aux Ephésiens, p. 94-95 (sur Ep 3,1).

10. Jean. Le Verbe se fait chair, II, p. 21 (sur Jn 1,41).

11. Markus, p. 339 (sur Mc 7,29-30).

12. Le sermon sur la montagne, p. 36-40 (sur Mt 5,14).

13. Markus, p. 369-370 (sur Mc 8,26).

14. Ibid., p. 15-16 (sur Mc 1,3).

15. Le sermon sur la montagne, p. 35-36 (sur Mt 5,13).

16. Die katholischen Briefe, I, p. 156 (sur Jc 3,4).

17. Achtzehn Psalmen, p. 123 (sur Ps 123).

18. Erde und Himmel, III, n° 2239.

19. Jean. Controverses, II, p. 97 (sur Jn 11,5).

20. Das Wort und die Mystik, I, p. 190.

21. Kolosserbrief, p. 49 (sur Col 2,2).

22. Erde und Himmel, II, n° 1289.

23. Das Wort und die Mystik, I, p. 27.

24. Le livre de l'obéissance, p. 91-92.

25. Apokalypse, p. 618 (sur Ap 19,5).

26. Jean. Discours d'adieu, II, p. 226 (sur Jn 17,8).

27. Ibid., p. 257-259 (sur Jn 17,15).

28. Erde und Himmel, III, n° 2229.

29. Jean. Controverses, I, p. 74-75 (sur Jn 6,66).

30. Apokalypse, p. 660 (sur Ap 20,6).

31. Markus, p. 106 (sur Mc 3,1).

32. Ibid., p. 99 (sur Mc 2,23-24).

33. La Servante du Seigneur, p. 47.

34. Die katholischen Briefe, I, p. 154 (sur Jc 3,3).

35. L'Epître aux Ephésiens, p. 94-95 (sur Ep 3,1).

36. Jean. Discours d'adieu, I, p. 156 (sur Jn 14,16).

37. Apokalypse, p. 658-659 (sur Ap 20,6).

38. Le livre de l'obéissance, p. 89-90.

39. Erde Und Himmel, II, n° 1953.

40. Kreuz und Hölle, II, p. 34-35.

41. La Servante du Seigneur, p. 62-63.

42. Das Wort une die Mystik, I, p. 26.

43. Ibid., p. 18-19.

44. Le sermon sur la montagne, p. 250-251 (sur Mt 7,26).

45. Apokalypse, p. 429-432 (sur Ap 13,10).

46. La mission des prophètes, p. 12-14.

47. Jean. Controverses, I, p. 75 (sur Jn 6,67).

48. Apokalypse, p. 822-823 (sur Ap 22,17).

49. Erde und Himmel, II, n° 1411.

50. La Servante du Seigneur, p. 11.

51. Achtzehn Psalmen, p. 99 (sur Ps 84,12).

52. Ibid., p. 107-108 (sur Ps 103,18).

53. Jean. Discours d'adieu, II, p. 205 (sur Jn 17,3).

54. Les portes de la vie éternelle, p. 59.

55. Le livre de l'obéissance, p. 32.

56. Das Wort und die Mystik, I, p. 27.

57. Die katholischen Briefe, I, p. 155-156 (sur Jc 3,4).

58. Erde und Himmel, III, n° 2241.

59. Das Wort und die Mystik, I, p. 23-24.

60. Markus, p. 273 (sur Mc 6,9-11).

61. Jean. le Verbe se fait chair, I, p. 119 (sur Jn 1,12).

62. Le sermon sur la montagne, p. 42-45 (sur Mt 5,15-16).

63. Kolosserbrief, p. 105 (sur Col 3,17).

64. Ibid., p. 16 (sur Col 1,9).

65. Markus, p. 609-610 (sur Mc 14,3).

66. Das Wort und die Mystik, I, p. 17-18.

67. L'Epître aux Ephésiens, p. 96 (sur Ep 3,2).

68. Le livre de l'obéissance, p. 98.

69. Achtzehn Psalmen, p. 123-124 (sur Ps 125,1-5).

70. Ibid., p. 69-70 (sur Ps 45,1-2).

71. La servante du Seigneur, p. 21-22.

72. Ibid., p. 40-41.

73. Das Wort und die Mystik, I, p. 21-22.

74. La Servante du Seigneur, p. 11-12.

75. Achtzehn Psalmen, p. 77 (sur Ps 45,12).

76. Erde und Himmel, III, n° 2052.

77. Jean. Naissance de l'Eglise, I, p. 178 (sur Jn 20,2).

78. Apokalypse, p. 540 (sur Ap 17,1).

79. Le livre de l'obéissance, p. 34.

80. Jean. Discours d'adieu, II, p. 155 (sur Jn 16,21).

81. Apokalypse, p. 769 (sur Ap 21,25).

82. Erde und Himmel, III, n° 2339.

83. Ibid., n° 1951.

84. Kreuz und Hölle, II, p. 155.

85. Apokalypse, p. 32-33 (sur Ap 1,1).

86. Le livre de l'obéissance, p. 88-89.

87. Erde und Himmel, II, n° 1816.

88. Ibid., n° 1312.

89. Apokalypse, p. 661-662 (sur Ap 20,6).

90. Erde und Himmel, III, n° 2065.

91. Apokalypse, p. 180 (sur Ap 2,29).

92. Markus, p. 700 (sur Mc 16,3).

93. Erde und Himmel, II, n° 1668.

94. Markus, p. 182 (sur Mc 4,16-17).

95. Ibid., p. 376 (sur Mc 8,30-31).

96. Apokalypse, p. 659-660 (sur Ap 20,6).

97. La mission des prophètes, p. 61-63.

98. Jean. le Verbe se fait chair, II, p. 168 (sur Jn 5,31).

99. L'expérience de la prière, p. 101-102.

100. Markus, p. 21-22 (sur Mc 1,6-7).

101. Ibid., p. 30-31 (sur Mc 1,14).

102. Ibid., p. 199 (sur Mc 4,29).

103. Ibid., p. 207-208 (sur Mc 4,37-38).

104. Ibid., p. 387-388 (sur Mc 9,5-6).

105. Jean. Controverses, II, p. 69-70 (sur Jn 10,27).

106. Jean. Discours d'adieu, I, p. 133 (sur Jn 14,10).

107. Erde und Himmel, III, n° 2217.

108. La Servante du Seigneur, p. 53.

109. Kolosserbrief, p. 81 (sur Col 2,20).

110. Achtzehn Psalmen, p. 79-80 (sur Ps 45,17).

111. Apokalypse, p. 742-743 (sur Ap 21,15).

112. Ibid., p. 719 (sur Ap 21,9).

113. Ibid., p. 747 (sur Ap 21,16).

114. Jean. Controverses, I, p. 13 (sur Jn 6,6).

115. Apokalypse, p. 92 (sur Ap 1,15).

116. La mission des prophètes, p. 18-20.

117. Le Dieu sans frontière, p. 59-60.

118. Kolosserbrief, p. 102 (sur Col 3,15).

119. Elie, p. 72.

120. Das Wort und die Mystik, II, p. 128.

121. Erde und Himmel, II, n° 2034.

122. Ibid., n° 2022.

123. Jean. Discours d'adieu, II, p. 38-39 (sur Jn 15,14).

124. Jean. Naissance de l'Eglise, II, p. 73-74 (sur Jn 21,12a).

125. Ibid., I, p. 41-42 (sur Jn 18,26-27a).

 

 

*

 

 

7. DIEU DANS LE JOURNAL

 

D’ADRIENNE VON SPEYR ET HANS URS VON BALTHASAR (2005)

 

Plan

 

1.La volonté de Dieu. 2. Le quotidien. 3. Parler à Dieu. 4. La proximité de Dieu. 5. Le refus de Dieu.

6. Le mystère de Dieu. 7. La démesure de Dieu.

 

Annexe : Dieu pour les "compagnons" d’Adrienne von Speyr

 

* * * * * * * * * * * * * *

 

(La contribution ainsi intitulée a été publiée pour l’essentiel dans Mélanges carmélitains 3 [2005], p. 84-114. Pour les besoins de l’édition le texte en a été légèrement écourté, des sutures y ont été apportées qui comportent quelques erreurs. Le texte ci-dessous représente l’original en son intégralité).

 

Le Journal de Hans Urs von Balthasar figure parmi les œuvres posthumes d’Adrienne von Speyr. Il compte trois tomes, quelque mille trois cents pages1. Il contient des notes prises par le P. Balthasar, souvent au jour le jour, depuis l’entrée officielle d’Adrienne von Speyr dans l’Église catholique le 1er novembre 1940 jusqu’à sa mort en 1967. Ces notes concernent essentiellement Adrienne von Speyr, parfois aussi le rédacteur lui-même. Le P. Balthasar a fait un large usage de ce Journal dans les deux volumes où il a présenté la vie et l’œuvre d’Adrienne von Speyr2. A l’occasion du colloque romain sur Adrienne, en 1985, le Saint-Siège avait souhaité que toutes les œuvres posthumes d’Adrienne von Speyr soient accessibles à tous, donc également le Journal de Balthasar.

Ce Journal contient deux sortes de notes: d’une part des notes  concernant personnellement Adrienne von Speyr et le P. Balthasar, et d’autre part quantité d’éléments de nature tout à fait objectives ou plutôt objectives se rapportant à la foi et à la vie chrétiennes. Comment, par exemple, ce Journal s’exprime-t-il au sujet de Dieu? Comment la mystique et le théologien parlent-ils de Dieu quand ils dialoguent sans témoins et sans penser à composer un traité de théologie ou de spiritualité? L’enquête valait peut-être la peine d’être menée. L’essentiel du résultat de cette enquête présenté en bref dans cet article pourrait aussi, pour le lecteur de langue française, servir d’introduction à la lecture des œuvres de nos deux auteurs.

Il est évident que, pour Adrienne von Speyr et le P. Balthasar, Dieu c’est toujours Dieu Trinité. Il n’est pas toujours nécessaire de le préciser. Cela arrive quand même de temps en temps: « Dieu ne peut être compris autrement que comme Fils et Père et en même temps Esprit Saint, tout à la fois dans l’unité et la multiplicité, découlant l’un de l’autre et formant un tout indissoluble. Pour moi, c’est clair comme le jour à travers mes difficultés d’expression et leur maladresse » (48)3. Le Journal renferme d’innombrables passages concernant les mystères propres au Père, au Fils et à l’Esprit, mais si on se limite simplement à « Dieu », que nous dit-il? Quels sont les centres d’intérêt des deux interlocuteurs ? Dans le style des interviewers: « Adrienne von Speyr, vous êtes chrétienne, vous croyez en Dieu. Pourquoi? Qui est Dieu pour vous? » Un parcours parmi d’autres possibles dans l’immense forêt.

Patrick Catry

 

1. La volonté de Dieu

 

Ce qui revient sans doute le plus souvent au sujet de Dieu, c’est l’importance du oui à sa volonté. Adrienne demande au P. Balthasar4: « Que faire maintenant? » Lui : « Je dis qu’on doit faire la pleine volonté de Dieu dans le cadre limité de sa vie. Il ne désire rien de plus » (586). Dieu a donc des désirs concernant la conduite des hommes, mais l’homme aussi a ses désirs. Le problème souvent est de savoir où se trouve la volonté de Dieu. « Elle est prête tout simplement à faire la volonté de Dieu, mais qu’il veuille bien la lui faire connaître » (521). Le ciel la met un jour en présence d’un choix. Sa réaction est : « Que la volonté de Dieu se fasse » (436).

Quelque temps après sa « conversion », en avril-mai 1941, elle voudrait montrer à Dieu qu’elle est prête à faire quelque chose pour lui. « Que peut-on faire pour Dieu?… Ne peut-on pas faire un jour quelque chose de ‘juste’? Pour que Dieu voie bien que notre offre est sérieuse? » (66) Et A. pense spontanément à des exercices de pénitence et à certains renoncements. H.U. lui explique alors qu’il y a pour elle des limites en la matière: sa santé, la maison qu’elle a à tenir, sa profession… Mais cela n’empêche que « revient sans cesse la question de savoir ce qu’est l’ascèse, ce qu’on pourrait vraiment faire pour Dieu ». Le P. Balthasar. la met en garde: il ne s’agit pas d’essayer de « forcer Dieu ». Elle ressent néanmoins un besoin très fort de s’offrir à Dieu de cette manière (59).

Après les grâces et les expériences très dures de la Passion qui ont marqué les jours saints de 1941, elle écrit au P. Balthasar : « Je suis de nouveau prête à tout pour autant que Dieu me donne la force de tenir le coup » (55). « Ce que Dieu attend d’elle », elle est plus disposée que jamais à le faire (58). « Je dois dire que dès maintenant je suis prête à passer par tous les chemins que Dieu voudra me faire emprunter; il sait combien cela peut être dur, mais il sait aussi dans sa bonté combien il peut exiger de quelqu’un; qu’il me donne seulement la grâce de le servir vraiment » (53). « Elle est prête à souffrir vraiment autant que Dieu le lui permet » (126). Elle se met à encourager son confesseur dans le même sens: « Elle m’exhorte avec plus d’insistance que jamais à m’offrir aussi totalement à Dieu. Elle ne cesse de me demander: N’est-ce pas que vous l’aimez quand même aussi, que vous voulez collaborer? Nous devons, tout simplement. Dieu attend notre oui » (312).

Pourquoi Dieu attend-il notre oui? Parce que le Royaume a des besoins. « Si quelqu’un est appelé par Dieu, cela dépend des besoins du royaume de Dieu qu’il devienne plutôt médecin ou juriste ou prêtre ou autre chose » (1722). Et que veut Dieu? On l’apprend presque par hasard: « Toute prière authentique veut ce que Dieu veut: l’union du monde avec lui » (2292). Dieu veut aussi entendre notre oui. Ce que Dieu attend des hommes, c’est « la disponibilité à dire oui à ce qu’il tient pour le meilleur, à donner un oui qui n’est pas modelé par moi, mais qui est formé pas à pas par Dieu » (1871). C’est ainsi que « Dieu, par l’ange, a voulu entendre le oui de la Mère, et ce oui devait retentir joyeusement parce qu’elle pouvait accomplir la promesse et voir le Messie, et parce que la rédemption et la nouvelle vérité au sujet de Dieu venaient dans le monde » (2157). Marie est omniprésente dans le Journal, et entre autres sur ce chapitre du oui à Dieu. Marie « était si transparente à Dieu que tout en elle était aussitôt utilisable pour l’accomplissement de ses desseins. Cette transparence était amour pur qui recevait tout l’amour de Dieu sans ombre aucune. Et elle était ainsi la manifestation visible de l’amour de Dieu pour sa créature comme de l’amour de la créature pour Dieu. Un foyer d’amour » (2154). Le principe est général: « La meilleure obéissance est toujours l’amour parfait. Si j’aime Dieu, je fais ce qu’il veut » (1685). C’est pourquoi les conseils évangéliques, dont l’obéissance, sont eux-mêmes une « expression de l’amour de Dieu et ils ne peuvent se comprendre et se vivre que dans l’amour. Ils sont une réponse de l’amour à Dieu » (2268).
Il est évident que Dieu demeure toujours le maître du jeu. « Si quelqu’un veut essayer d’aimer Dieu et de vivre pour lui, il prévoira pour sa vie un règlement…, il aura des projets…, il essaiera d’édifier quelque chose et d’accorder alors son projet à ce que Dieu veut de lui; mieux encore, il essaiera de concevoir son projet à partir de ce que Dieu exige de lui. Mais Dieu demeure libre de bousculer sans cesse toutes les constructions et tous les projets. Il peut exiger aussi une disponibilité qui n’aboutit jamais à un résultat. Il peut faire préparer à quelqu’un ceci et cela, et il n’en sortira rien. Et à la place du travail que non seulement on espérait mais qu’on pensait aussi prévoir dans la prière, Dieu ne laisse survenir rien d’autre que douleur, maladie, impuissance, fatigue démesurée… Dieu détermine sans cesse la mesure de ce qui est à supporter, également la mesure de la rencontre avec la souffrance » (2217).

Il n’est pas étonnant alors qu’on puisse hésiter à se donner à Dieu. « R. (un étudiant) a toujours encore la plus grande angoisse de s’offrir à Dieu ». Adrienne alors veut s’offrir à Dieu pour lui (1192). On peut bien déjà aussi avoir la volonté de s’offrir à Dieu; on pourrait déclarer être prêt à se faire couper le doigt et le bras…, « mais avec l’arrière-pensée qu’il est impossible que le Bon Dieu le fera un jour sérieusement » (492). Il y a donc aussi des oui à Dieu pleins de réticence. A. elle-même a offert un jour à Dieu « de mourir réellement dans l’angoisse de la mort, avec une véritable agonie, afin de donner cela aussi pour les pécheurs ». Et le P. Balthasar se dit: « Je ne sais pas si Dieu acceptera ce sacrifice » (1628). Plus d’une fois cette offrande d’une mort difficile revient dans le Journal: « Elle avait offert à Dieu de prendre sur elle une agonie difficile si, par là, la mort était facilitée à d’autres gens » (1601).

Pour le moment, ce qu’elle veut c’est « continuer à travailler tout paisiblement comme Dieu en décide. Et ne désirer de lui rien qui ne se trouve dans sa volonté (1602). « Si Dieu me donne une place de servante, il ne peut pas être plus parfait pour moi de vouloir être reine. Je ne ferais alors au contraire que m’écarter de la volonté de Dieu et me rendre coupable de désobéissance. Quand Dieu a besoin de quelqu’un pour lui donner des visions, c’est un service comme un autre, et personne ne doit se permettre de vouloir s’introduire artificiellement dans ce service » (1289). Les apparitions de Marie elle-même, on doit les considérer comme un service. « Quand la Mère se montre, elle accomplit une mission de Dieu pour nous qui concerne notre attitude de prière. Celle-ci doit être affermie. Le Fils veut nous former par sa Mère » (1991).

Le oui que nous pouvons donner à Dieu est au fond un don de sa grâce. « Finalement, ce qui est étrange, c’est que Dieu, dans sa grâce, nous fait quand même le don du oui fondamental; dans le baptême et dans la foi, il nous donne part à son oui et, dans sa courtoisie, il considère notre oui (ce oui qu’il nous offre) en tout ce qu’il continue à nous donner » (2295). La sainteté, c’est simplement, si on peut dire, correspondre à la grâce. Adrienne parle un jour de la nature de la sainteté. « Elle consiste pour quelqu’un à remplir la mission trinitaire qu’il a. Il ne s’agit que de cela et de rien d’autre. Il peut se faire, par exemple, que cet homme soit défaillant sous maint autre aspect; que, par exemple, il ait et garde un fichu caractère, mais que ce qui est central en lui soit en ordre: il a correspondu à sa mission; il s’est si totalement jeté en Dieu qu’il a laissé en Dieu une empreinte de lui-même, et Dieu s’est exprimé en lui, dans la mission accomplie, autant qu’il l’avait prévu. C’est naturellement une œuvre de la grâce; cependant très peu d’hommes seulement correspondent à la grâce, ce sont les saints » (1312).

 

2. Le quotidien

 

Vient alors la vie au quotidien devant Dieu. « Se savoir un jouet dans la main de Dieu. Dieu peut abîmer le jouet et puis le réparer de telle sorte qu’il ne reste aucune couture » (1644). L’homme peut toujours reprendre son oui, comme l’a fait Adam. « Le premier homme fut placé dans l’existence comme cela correspondait au plan de Dieu, avec la faculté de se développer en direction de Dieu ou en s’éloignant de lui. Il ne lui a pas été demandé s’il voulait être créé; il est simplement placé là, et il est requis de son humilité de le reconnaître » (2155). Mais l’homme peut aussi trouver Dieu en toutes choses. Plus d’une fois dans le Journal,  il est question de la beauté du monde comme chemin vers Dieu. « Quand on se trouve comme moi devant de si belles roses, on pense sans cesse à celui qui les a données. Et là, au mur, le tableau de la mer est si vivant… qu’on pense à la Bretagne; on voit devant soi la mer et la création de Dieu tout entière, et il n’est pas difficile de trouver et de chercher Dieu en toutes choses. On n’a pas besoin de se donner du mal pour cette recherche, on est porté vers Dieu et, quand on a trouvé, cela se transforme tout de suite en amour – pour Dieu et pour les hommes – et en prière. La beauté des choses a forcément pour le croyant l’effet de le diriger vers Dieu, de faire sourdre la prière… C’est pour Dieu une joie de savoir qu’il y aura dans son monde une fleur comme cette rose devant moi, qu’elle répandra ce parfum. Comment Dieu ne serait-il pas déjà ivre de joie à l’avance en y pensant! Et que pourrait-il faire d’autre que de créer l’homme pour que lui aussi ait part à cette joie en ce monde? On comprend, à partir d’une fleur, que c’était la volonté de Dieu que l’homme soit aussi beau, l’être le plus beau du monde, en son corps et en son âme » (2152). Il y a une joie devant la beauté du monde; il y a d’autres joies aussi, évidemment, comme la « joie bouleversante de pouvoir somme toute exister comme croyante dans la communauté de ceux qui connaissent Dieu et même, au fond, comme créature de Dieu » (2206).

Il y a la joie, mais il y a aussi la souffrance. Celle-ci fut très présente tout au long de la vie d’Adrienne. Et « dans la souffrance, Dieu demeure voilé » (2216). Il peut exister dans la vie chrétienne sérieuse une désolation imposée par Dieu. La grande tentation alors, c’est la fuite: « fuir l’état imposé par Dieu pour un état qu’on choisit soi-même… Il est facile d’entrer dans les différentes manières de prier comme on entre dans une galerie de tableaux et on se demande quel tableau nous plaît le plus. Et s’il arrive qu’une salle soit sans tableau, on la traverse rapidement parce que en tant que telle elle n’a aucun intérêt. L’état de désolation ressemble à une salle sans tableau, il est rempli uniquement de l’absolu de Dieu… Cela ne vaut naturellement que pour la désolation imposée par Dieu. Le discernement des esprits est ici indispensable. Celui qui est sans satisfaction dans la prière mais qui, à part cela, se comporte d’une manière impossible avec son prochain ne peut pas être dans une désolation imposée par Dieu » (2014). Dans la désolation, Dieu peut sembler « plus inconnu, plus silencieux, plus opaque » (2011); il peut paraître « très irréel » (2013).

Mais la désolation et la nuit ne sont jamais le dernier mot de Dieu. « Dieu parle dans la souffrance ou dans la fatigue, tantôt de plus près, tantôt de plus loin, mais il fait entendre sa parole. Sauf s’il a décidé de faire entrer dans la nuit complète et de se taire totalement et d’ôter au croyant toute possibilité de trouver une trace de chemin vers lui. Cette nuit cependant n’est jamais le dernier mot de Dieu parce que Dieu le Père a ressuscité son Fils de l’enfer et qu’il ne veut pas que le monde sauvé n’ait part qu’à l’atroce de la Passion; il veut qu’il ait part à tout le chemin indivisible du Fils. La lumière ne cesse de percer même les ténèbres les plus profondes; il ne cesse d’y avoir un matin, une joie, une résurrection » (2208). Pourquoi ces passages par la désolation ou la souffrance? L’une des réponses est celle-ci: parce qu’il est « impossible de servir de manière confortable un Dieu qui, pour nous, s’est rendu la vie si inconfortable » (1721).

C’est Dieu qui mène le jeu, c’est une évidence. Il faut accepter de se laisser transformer par Dieu. « Curieux que, dans une amitié, on devienne tel que l’autre l’attend et que, dans l’amitié avec Dieu Trinité, on ne se laisse pas transformer comme Dieu le voudrait pour qu’on lui soit conforme. Et pourtant on a une image de ce que Dieu attend d’un chrétien, mais une image qui n’est jamais réalisée » (2244). L’homme est appelé à croître en Dieu. Mais cette croissance est secrète. « La Parole de Dieu existe aussi quand elle se fait discrète. Il y a des semences qui lèvent tout d’un coup, d’autres très lentement. La loi de la croissance est cachée en Dieu » (2161). La vie quotidienne de Marie non plus n’a pas toujours été simple. Elle a vécu deux vies pour ainsi dire « qui toutes deux étaient claires et transparentes: un jour, l’attente de l’ange (sans qu’elle en eût une prescience réelle), et puis le quotidien, et les deux dans l’unité. Et pourtant elle ne pouvait avoir une vue d’ensemble de ce qui se passait maintenant, l’enfant qui se faisait en elle et qui souvent lui causait de l’angoisse. Comme si elle suivait deux chemins: un chemin vers Joseph et un autre vers Dieu; mais Dieu a fait que, par lui, les deux chemins s’intègrent parfaitement » (1645).

La vie est pleine d’aléas, y compris la vie avec Dieu; « la vie est une belle journée en Dieu malgré tout ce qu’il y a de laborieux, parce que Dieu se sert de tout pour se révéler » (2135). Et Adrienne sait en même temps, parce que le ciel le lui a fait comprendre, que pour « qui veut vivre dans la paix de Dieu, il est impossible qu’il vive dans la paix du monde » (1971). Cette paix de Dieu provient de la foi de qui se sait « dans la main de Dieu ». L’expression revient plusieurs fois. « Si l’Église n’était pas tellement dans la main de Dieu… » (2208). L’Église le sait, le saint aussi le sait. « Un saint sur terre connaît de sa sainteté ce que le chrétien connaît de lui-même. Par la grâce du Christ, il est dans la main de Dieu, la foi le protège pour l’empêcher de se perdre. Il doit vivre sa foi de manière active, mais il doit aussi la laisser opérer en lui de manière passive… »  Le saint, quand il subit des affronts et des reproches, sait, dans la grâce, que Dieu s’en occupera, que Dieu est assez fort pour le défendre (1607).

 

3. Parler à Dieu

 

Innombrables sont les passages du Journal où il est question de la prière. Ne sont retenus ici que certains de ceux où il est question explicitement de « Dieu ». D’abord, comment faire pour prier? « Dans la prière… on commence peut-être par saluer Dieu. On invite les saints, les anges, la Mère de Dieu, à être présents et on leur demande de permettre qu’on ait part aussi à leur prière. Et si c’est une prière contemplative, on s’approche peut-être de Dieu et on réfléchit à la manière dont Dieu nous parlera, ce que cela veut dire adorer Dieu » (2051). Le plus essentiel justement, c’est l’adoration de Dieu. Mais que veut dire adorer? Marie possède ici une aisance infinie pour nous accompagner. « Il lui est tout à fait naturel d’être parmi nous comme l’une d’entre nous, ce qui ne diminue pas notre vénération pour elle. Et en étant parmi nous, elle crée l’espace pour ce qui est l’essentiel: l’adoration de Dieu. Elle ne se fait pas petite pour qu’on remarque combien elle est humble, mais elle se fait proche de nous pour que tous ensemble, avec elle, nous adorions le Fils, le Père, l’Esprit » (2109). Après l’adoration, l’action de grâces. On en trouve des exemples dans la correspondance d’Adrienne avec le P. Balthasar. Vers Pâques 1941, elle lui écrit: « Je remercie Dieu et Jésus et la sainte Vierge et la petite Thérèse… et aussi saint Ignace, et encore beaucoup d’autres » (53). Et dans une autre lettre de la même époque: « Je remercie Dieu de ce que ces journées soient aussi pour vous pleines de grâces » (47).

Prier devrait être la chose la plus simple du monde: prier, c’est parler avec Dieu, tout le monde sait cela ou pourrait le savoir. « Hier, alors que j’étais sur la terrasse et que je parlais avec Dieu… » (2191). Un jour elle demande au P. Balthasar s’il connaissait cela aussi: « Parler comme cela avec Dieu sans prier à proprement parler. Lui expliquer ce que naturellement il connaît mieux que nous:  » (280). Il est nécessaire et vital que l’homme prie, c’est-à-dire qu’il dise à Dieu une parole: « S’il n’a pas ce dialogue, s’il ne parle pas à Dieu, il est nécessairement sans vie » (1103). Adrienne n’oublie jamais que « vouloir parler à Dieu, c’est déjà une réponse à la volonté qu’il a de parler avec nous » (2119). « Il y a (aussi) une sorte de prière qui est plutôt une simple manière d’être auprès de Dieu » (388). Prier, c’est parfois simplement « se mettre sous le regard de Dieu » (412).

Adrienne aime prier. Rien d’étonnant à cela, dira-t-on. « Je connais des formules qui sont vraies: Dieu est grand, Dieu est bon. Je peux dire aussi des choses qui sont subjectivement vraies: j’aime Dieu, j’aime prier Dieu… Toute prière qui est authentique m’est chère, mais peut-être que la prière liturgique est ce qui m’est le plus étranger… » Et elle explique que si elle se trouve en un lieu où se déroule une prière chorale, elle est quand même là extrêmement heureuse. « Autour de moi, des psaumes sont chantés; je prie peut-être quelque chose d’autre, mais avec la conscience de faire partie du chœur, avec la conscience que les prières se complètent et s’enrichissent réciproquement, que j’expérimente par là une nouvelle dimension de la vérité de Dieu. Et ma première affirmation, que j’aime prier, a tout d’un coup reçu un autre visage. Je ne savais pas du tout qu’on pouvait tellement aimer prier. La vérité du fait que j’aime prier a beaucoup de visages. Tantôt j’aime prier devant le Saint-Sacrement exposé, tantôt devant le tabernacle fermé. Tantôt je peux laisser tomber tous mes soucis pour n’être qu’à Dieu, tantôt j’ai besoin justement de mes soucis pour prier avec eux. Tantôt je m’entretiens avec un saint dans la prière et il sert alors en quelque sorte de pont vers le tabernacle. Il voit Dieu, et mon champ visuel atteint le saint qui voit Dieu. La vérité de la prière a pour moi beaucoup de visages, mais j’apprends par là que cette vérité est infiniment grande et plus riche que ce que j’en expérimente même là où elle me comble totalement » (2135). Adrienne revient plus d’une fois sur le rôle des saints dans la prière: « Quand on demande à un saint d’intercéder pour nous, on prie Dieu par lui pour ainsi dire » (87).

Le Journal fournit maints exemples de prières spontanées d’Adrienne. Par exemple: « Mon Dieu…, je t’en prie, bénis tous ceux pour lesquels je te prie d’habitude » (53). « Dieu, donne-moi la connaissance à laquelle tu penses  » (2209). Souvent le Journal n’indique que le contenu de la prière: « Durant la nuit, je demande à Dieu de me montrer le chemin et de me donner un signe s’il veut quelque chose » (2190). « Je prie par exemple pour que le monde comprenne mieux les mystères de Dieu » (2059). Dans leur mission commune, Adrienne et le P. Balthasar ont à porter des choses ensemble. « Elle prie tout le temps pour que ce soit elle qui puisse porter (le fardeau) et non moi, que Dieu m’épargne de le faire ». Le P. Balthasar demande alors à Adrienne : Est-ce qu’elle ne comprend pas que par là elle lui prend la croix et ne lui permet pas d’y avoir part ?(122)

Prier à une intention précise, c’est porter les choses devant Dieu, les lui présenter. « Porter devant Dieu les demandes de la communauté » (117). Le père du P. Balthasar était un jour très malade; il en fait part à Adrienne. « Elle prit ma demande avec elle dans la chapelle de l’hôpital Sainte-Claire où elle se trouva l’après-midi vers quatre heures et elle la présenta à Dieu sans pouvoir vraiment prier » (1065). Peut-on importuner Dieu avec des bagatelles? « On dit sans cesse : ‘Que ta volonté soit faite’, mais on ne fait pas très attention à ce qu’on dit parce qu’il est quand même difficile de se représenter la volonté du Père. Souvent on souhaite quelque chose pour soi et on trouve qu’on ne devrait pas importuner Dieu à ce sujet… Souvent ce sont justement les petits riens qui sont difficiles à supporter, mais ils sont si petits qu’on n’aime pas en faire le contenu d’une demande particulière. On garde en quelque sorte  sa ‘dignité’ devant Dieu, et c’est sans doute juste. On devrait savoir prendre avec soi dans la prière les petits riens et les laisser là se dénouer dans ce qui est grand. Seulement cela ne réussit pas toujours quand les petits riens nous assaillent et obscurcissent en quelque sorte la claire vision » (2305).

Ce qui est au cœur secret de la vie de prière pour Adrienne, c’est de savoir le poids, aux yeux de Dieu, de la souffrance offerte. « Quand elle a quelque chose d’important à demander à Dieu », elle ne manque pas de prendre sur elle une souffrance d’expiation (77). Ce n’est pas nouveau dans l’Église, même si cela est peut-être étranger à beaucoup de nos contemporains. Dieu lui-même peut imposer des choses difficiles. Notre prière est entre les mains de Dieu. « Naturellement Dieu peut, s’il le veut, rendre notre prière… plus difficile… Il existe aussi une souffrance que Dieu impose » (2151).

La prière ne dispense pas de l’action. Il peut arriver qu’on prie trop et qu’on n’agisse pas assez. Adrienne le dit avec humour : on ressemblerait alors à « quelqu’un qui est assis sous un arbre, qui supplie Dieu de bien vouloir faire tomber une pomme pour lui, et qui préfère avoir faim plutôt que d’étendre la main. Cela s’appelle jouer avec la grâce » (476). Il peut arriver à quelqu’un de fuir dans la prière. Quand on n’est plus « habitué à écouter vraiment Dieu dans la prière, celle-ci devient une sorte de pieux sommeil » (786). Si prier vraiment, c’est s’ouvrir à Dieu, la prière doit toujours s’insérer dans le dessein de Dieu. « Nous ne devrions invoquer un saint que d’une manière ‘désintéressée’, non pour imposer nos propres plans et souhaits. En tout cas, nos propres souhaits doivent être saisis par la volonté de Dieu. Les saints qui donnent l’apparence de se soucier de l’une ou l’autre petite chose (examens, objets perdus, etc.) sont tenus de faire quelque chose pour rapprocher de Dieu les solliciteurs. Devrait-on ‘réformer’ au ciel les sauveurs? La petite Thérèse qui veut passer son ciel à faire du bien sur la terre, c’est-à-dire du bien dans le sens de l’amour, signifie certainement à ce point de vue le début d’une ‘réforme’. Naturellement celle-ci doit aussi se faire sur terre: nous devrions apprendre à invoquer les saints correctement » (1887). Robert Rast, un ami d’Adrienne et du P. Balthasar, était gravement malade. Faut-il demander à Dieu sa guérison? « Nous ne voulons pas prier pour la vie de Robert, dit Adrienne, mais tout confier à Dieu. S’il veut nous en faire cadeau, ce sera pour nous une joie, mais nous ne voulons pas essayer de prolonger sa vie contre le dessein de Dieu » (1519). L’un des fils d’Adrienne passait son baccalauréat (Matura). Il n’y avait guère d’espoir qu’il réussît. Adrienne n’avait pas prié dans ce sens. Elle pensait que ce n’était vraiment pas une affaire pour laquelle on pût prier. « Cela doit se passer comme Dieu le veut ». Puis elle est invitée par le ciel lui-même à prier. Elle prie alors comme ceci : « Tu vois si cela doit se faire qu’il réussisse, alors fais-le… » (295). On ne doit pas chercher à exercer une pression sur Dieu. Demander un miracle pourrait devenir un moyen de réduire la foi. « . Cela veut dire exactement: je croirai si Dieu fait le miracle. Et par là, l’homme voudrait en fait exercer une pression sur Dieu. L’homme réclame des miracles pour ne pas douter, pour éprouver une joie, pour expérimenter une fois quelque chose qui le dépasse totalement. Mais il réclame souvent un miracle là où il n’est pas permis qu’il se produise parce qu’il pourrait nuire à la foi de l’homme. L’adaptation inconditionnelle à la volonté de Dieu n’est sans doute jamais aussi parfaite que là où l’homme dit oui à la non réalisation d’un miracle. Il a fait un pèlerinage dans l’espérance d’un miracle pour lui-même ou pour une personne qui est proche de lui. Et Dieu n’en a pas opéré. A la place, Dieu lui donne une foi nouvelle, il lui donne la force de continuer, il lui donne d’être content de cette disposition de Dieu et par là d’être sauvé intérieurement plus en profondeur. Il réclame de lui un oui de peu d’apparence qui est plus fécond qu’un oui spectaculaire » (2210).

Toute vraie prière est exaucée. Les chrétiens le savent depuis toujours. Mais « Dieu laisse dans l’obscurité la manière dont il utilisera la prière » (2221). D’autre part la prière d’Adrienne sait se faire insistante. « Elle passe pour ainsi dire toute une nuit, en grande partie à genoux, pour assiéger Dieu » (974). Elle sait toujours finalement que Dieu ne se laisse pas capturer. « Dieu a aussi fait don à l’homme de la foi qui embrasse tout ce qui est à Dieu. Par elle, Dieu est en relation avec l’homme, et il fait de lui un chrétien. Au chrétien, Dieu offre la plénitude de l’Écriture, la vie de son Fils, son Esprit Saint. Mais, en tant que croyant, le chrétien doit en même temps gérer ce qu’il a expérimenté et appris humainement en vue de ce qui est à attendre, car cette sphère n’a pas le droit de se fermer sur elle-même, elle est une fonction de l’homme qui est ouvert à Dieu. En beaucoup de points, il se fait que le croyant se heurte à une sphère de mystère qui appartient à Dieu, et la réponse de Dieu peut être tout autre que celle qui était attendue. Il ne se laisse pas capturer, on ne le maîtrise pas rationnellement. Dans une surabondance qui réserve les plus grandes surprises, il fait don à l’homme des mystères de son amour » (2210).

 

4. La proximité de Dieu

 

Comme beaucoup de chrétiens et de chrétiennes tout au long des âges, Adrienne a souvent éprouvé la proximité de Dieu. Il suffit parfois d’écouter. Elle est en vacances à Saint-Quay, en Bretagne, près de la mer, en 1954. « A Bâle, après la consultation, quand on voudrait se reposer, on ne cesse encore d’être dérangé. Ici, c’est le repos, si bien qu’on peut beaucoup prier. Une orientation précise vers le monde est supprimée, on se tient constamment sans voile devant Dieu. Ce matin, je pensais que, lorsqu’on rencontre sans cesse des gens qui ont besoin de quelque chose, on prie avec des intentions beaucoup plus précises : pour leurs soucis ou pour qu’ils aient la force de les supporter; si la prière n’est pas un travail, elle est quand même un acte de la volonté. Ici, par contre, on peut simplement écouter ce que Dieu dit même si cela ne se laisse revêtir d’aucune parole et qu’il n’y ait que de l’amour qui soit communiqué » (2203). Pour le Journal, la voix de Dieu n’est jamais loin. « Dieu a voulu créer le monde entier pour en faire l’épouse de son Fils : elle l’a renié, mais il garde avec elle une infinie patience, il lui envoie toujours de nouveaux messagers qui doivent apprendre à devenir une véritable épouse qui ne peut plus faire défection. L’Église est les deux : l’épouse infaillible et celle qui ne cesse de faire défection et qui est dure d’oreille ». Plus d’un ordre religieux aujourd’hui, estime Adrienne, est tellement convaincu de la justesse de sa forme actuelle qu’il « ne pense plus devoir écouter la voix de Dieu toujours présente » (1925). Dieu peut toujours se faire entendre clairement. Là, c’est une note du P. Balthasar qui le concerne personnellement: « J’ai entendu avec une telle clarté la voix de Dieu, qui exigeait de moi quelque chose de précis, que je me rendrais coupable envers Dieu de la plus profonde infidélité si je jouais au sourd ». On ne peut pas enlever « à Dieu la possibilité de se faire entendre clairement de quelqu’un sans devoir passer par la voie de l’autorité ecclésiastique » (1922). On peut espérer que tous ceux qui liront ce témoignage du P. Balthasar le comprendront sainement.

Adrienne revient de temps en temps sur le même sujet. « Nous ne chercherions pas Dieu s’il ne nous avait pas trouvés, s’il n’avait pas mis en nous les conditions voulues pour le trouver. Ses inspirations sont pour nous compréhensibles. Dieu peut suivre plusieurs chemins : nous éclairer soudainement comme frappe la foudre, transformer et réorienter notre vie tout entière. Il peut, avec la même soudaineté, nous montrer quelque chose qui nous était déjà connu, mais à présent cela nous apparaît irrévocable et urgent, et cela a des conséquences beaucoup plus profondes que nous ne le pensions. Mais Dieu peut aussi procéder autrement : nous donner, dans un clair-obscur, les unes après les autres, des intuitions, des considérations, des suppositions, auxquelles on ne donne pas suite. Mais une fois qu’un nombre suffisant de foyers sont allumés, il y a un embrasement soudain de l’ensemble. Pendant longtemps il n’y eut que de la fumée, l’esprit humain ne percevait pas l’Esprit Saint, il demeurait imbu de ses propres pensées, qui ne paraissaient pas particulièrement éclairantes ni alléchantes. Mais tout d’un coup jaillit la flamme parce qu’il ne manquait plus que très peu de chose pour la libérer » (2148). On peut se préparer à percevoir la voix de Dieu, faire pénitence par exemple « dans le dessein de montrer à Dieu sa bonne volonté, de lui faire un petit cadeau qu’il pourrait utiliser à son gré… Par cette pénitence, on veut se séparer plus à fond du charnel pour mieux percevoir la voix de Dieu, parce qu’elle retentit alors dans un espace vide, parce qu’elle coule dans un vase purifié » (967). « Pour que nous puissions percevoir la voix de Dieu, il faut que soit enlevé ce qui nous empêche de l’entendre. J’enlève tout, non pour être vertueux, mais pour que Dieu soit libre à mon égard. En moi, il y a comme un crible par les trous duquel je regarde Dieu. Si les trous sont bouchés, je vois moins bien, je vais chercher à les nettoyer. C’est dans la prière aussi qu’on remarque le mieux où l’on a failli et ce qu’on doit changer, et non en se contemplant soi-même. A l’expression de Dieu, je vois ce qui est souillé dans mon âme… Les vertus se trouvent en Dieu et c’est là qu’on doit les contempler. On doit les rechercher parce qu’elles conduisent à Dieu, elles ouvrent un accès à son amour » (1936).

Pour comprendre  Dieu, il faut apprendre sa langue. Comment faire comprendre aux gens qu’ils doivent grandir dans la prière? « C’est comme pour une langue étrangère. On enseigne à l’élève mot après mot la langue de Dieu et des saints. Et tout d’un coup il parle cette langue couramment. Mais ceci n’est possible que si on lui enseigne très clairement les rudiments. Dans une relation de moi à toi. L’élève entend aussi comment l’enseignant parle la langue avec d’autres, il écoute et acquiert l’aisance. L’enseignant peut être Dieu lui-même ou la Mère de Dieu ou un prêtre. Ce n’est pas nécessairement une personne humaine. Dieu peut ouvrir le ciel à un enfant » (1945). Quelque chose de ce genre est arrivé à Adrienne quand elle avait quinze ans. La vision de la Mère de Dieu qu’elle eut alors « eut comme résultat (pour elle) la connaissance que le monde divin se montre… Depuis lors, elle sut aussi toujours plus clairement que Dieu est autrement. Et pénible aussi était alors, dans les nombreux cours de religion où il était question de Dieu, d’entendre toujours parler une langue qui n’était pas la langue de Dieu » (1637).

Aux origines, Dieu a doté Adam du sens de Dieu. « Quand Adam, au paradis, entend Dieu se promener ou qu’il parle avec lui, il perçoit Dieu de la manière dont cela lui a été donné. Dieu l’a pourvu du sens de Dieu comme d’une faculté qui est à sa disposition » (2155). Aujourd’hui encore, « l’Esprit peut nous rendre réceptifs au langage de Dieu » (2017). Dans le bureau d’Adrienne, un jour, un protestant est en conversation avec elle. Il ne cesse de lui dire qu’il y a dans ce bureau un air tout particulier, un fluide, quelque chose qui touche l’âme et conduit à Dieu » (992). Le sens de la présence de Dieu est évidemment un don de sa grâce, mais on peut aussi chercher la proximité de Dieu. « Si sérieusement on veut prier, chercher la proximité de Dieu, percevoir ce qu’il a à nous dire, on doit créer en soi un vide, placer les choses dans l’invisible, ce qui ne veut pas dire les détruire, mais leur assigner une autre place dans notre monde intérieur. La fin de la prière peut alors être un lever du jour : les choses réapparaissent, mais elles sont devenues autres, elles sont purifiées par la prière, elles sont peut-être aussi rendues utilisables d’une manière nouvelle, inconnue jusque là » (2176). « Plus un orant est pur, plus il est à même de faire l’expérience de manière pure qu’il lui est permis d’adorer Dieu en toute proximité » (2318). « Parfois on prie en quelque sorte normalement et ‘de manière ordinaire’, sans inclination particulière mais sans dégoût non plus; et tout d’un coup on est saisi par la présence de Dieu et on est happé totalement » (2308).

Peu de temps après son entrée dans l’Église catholique, dans une lettre du 30 mars 1941, Adrienne écrivait au P. Balthasar : « Je vois mieux que jamais que tout cela est infiniment sérieux et astreignant, mais cependant c’est comme si Dieu m’avait encore davantage fait don de sa présence, justement aujourd’hui, et je sens combien le oui que j’avais donné dans les larmes la nuit de vendredi s’est transformé en un oui véritablement joyeux. Mon cher ami, je vous le demande très fort, voulez-vous prier pour que je ne manque pas de courage durant les temps difficiles qui pourraient venir » (4). Quelques jours plus tard, dans une autre lettre au P. Balthasar, elle raconte en détail une journée fort occupée. Et elle ajoute ceci: « Puis une demi-heure pour moi seule, c’est-à-dire pour Dieu, sans activité. Puis consultations… Un jour comme un autre, et si rempli de présence et de grâce que ce fut en tout cas un jour de fête… Et en même temps cette présence de Dieu me rendait incroyablement heureuse » (47). Bien plus tard, en février 1962, c’est toujours la même présence. « Il n’était pas possible de prier pour quelque chose de précis parce que Dieu était si proche, parce qu’il se trouvait ici dans cette pièce et qu’il y agissait. Ce n’était pas une vision de Dieu; rien ne fut vu ni entendu. Mais quelque chose en moi, que je ne suis pas, et quelque chose autour de moi, que les êtres humains ne sont pas, mais quelque chose qui est la présence de Dieu, ce quelque chose était si fort, si réel, si puissant, que le moi propre restait comme anéanti. Impossible de penser et de remercier. Dieu est là et il fait participer les siens à son être de manière inconcevable. On est envahi de bonheur par sa pure présence. C’est pire qu’un tourbillon qui retourne tout. Ce qui se passe, c’est qu’on est balayé, que seul existe encore l’ouragan de Dieu. Cette force qu’il est en lui-même, on ne fait pas la moindre chose pour y rester et garder quelque chose » (2302). C’est là une expérience sans doute qui n’est pas le lot de tout le monde. Mais il y a des approches. « On doit se tourner vers Dieu, on se fait alors proche de Dieu » (1352). Ce peut être aussi la certitude de foi que nous sommes devant lui. « Dispersion de l’homme d’aujourd’hui : temps du travail, heures de loisir, utilisation des heures de loisir et à nouveau récupération après celles-ci; le temps est toujours distribué mécaniquement. Ce qui fait l’unité du temps et de la vie est toujours plus oublié et rendu impossible, le tableau se décompose en pièces de mosaïques isolées. L’unité de notre temps, c’est que nous sommes devant Dieu. Quand, après la chute, Dieu a rendu notre temps éphémère, ce qui nous rend supportable cette fugacité, c’est la conscience de la présence de Dieu, l’orientation vers sa présence de toutes nos pensées et de tout notre travail et de toute notre détente » (2234).

Dieu ne s’impose pas. Dieu est discret. « Il aurait suffi à Dieu de faire un léger mouvement, Adam et Eve n’auraient pas mangé la pomme. Il y a une discrétion dans la présence de Dieu qui fait partie du réel de la création » (1990). En même temps, Dieu est toujours libre de révéler sa présence. Il y a des prêtres et des religieux « qui une fois ou l’autre ont été touchés au plus intime d’eux-mêmes par l’amour de Dieu : ils sont entrés, ils ont été consacrés, mais plus tard ils n’ont plus l’expérience, par leur faute ou non. Comme pour le curé d’Ars : durant ses nuits, tout disparaissait. Et il peut se faire que, toute leur vie durant, ils doivent vivre de cette expérience d’autrefois qui leur est devenue maintenant si étrangère » (1869). « A certains moments, Dieu touche l’âme, alors elle est sans voiles et totalement pure par la présence de Dieu. Dans cet état, si elle mourait, elle irait aussitôt au ciel… Mais il n’y a sans doute aucun état en ce monde où l’on supporte d’être nu durablement devant Dieu. Nous ne cessons de mettre quelque chose, des écrans plus ou moins épais, plus ou moins lâches. Mais il y a aussi de fins écrans qui sont très serrés, et de très grossiers qui sont très lâches. Ainsi les prostituées précèdent les pharisiens dans le royaume des cieux » (128).

 

5. Le refus de Dieu

 

Adrienne voit les gens divisés en quatre catégories : ceux qui s’occupent d’eux-mêmes, ceux qui s’occupent de Dieu, ceux qui s’occupent des autres : profession, famille, etc., ceux qui ne s’occupent de rien, qui sont vides et n’ont pas encore fait de choix. Sur soixante personnes, trois peut-être étaient avec Dieu; six peut-être étaient vides : des jeunes pour la plupart, qui sont encore des feuilles blanches. Pour les autres, la plupart s’occupaient de leur milieu, etc. : c’est la catégorie pour laquelle Dieu a le plus de difficultés. C’est plus facile encore pour ceux qui s’occupent d’eux-mêmes. Ceux-ci peuvent finir par en avoir assez d’eux-mêmes. Les autres sont égoïstes sans le savoir, des hommes de ‘bonne volonté’, difficiles à déraciner » (434).

« Dans la relation entre l’homme et Dieu existe le danger énorme que l’homme puisse être infidèle à Dieu » (2287). Il y a des femmes qui « ont entendu un jour l’appel de Dieu et ont dit non » (1557). Nos péchés bien sûr sont un « refus de Dieu » (1402). Mais « le vrai péché ne se trouve pas la plupart du temps là où on le cherche. Il ne se trouve certainement pas dans les dix commandements. Ce qu’on appelle des crimes, souvent ne sont pas des crimes; par contre un refus de Dieu, intérieur et tout à fait caché, est beaucoup plus terrible et nuisible que tout le reste » (12). La vraie nature du péché, c’est de ne pas suivre l’appel de Dieu. Le péché, c’est justement de ne pas prendre au sérieux le péché et son poids, c’est l’aspect irrémédiablement mesquin, libidineux, sale, égoïste, mercantile de nos sentiments vis-à-vis de Dieu (274).

Peut-on imaginer Marie si elle avait refusé l’offre de Dieu? « Elle serait devenue une Juive pieuse, elle aurait mené une vie sans angoisse, elle aurait été d’une grande beauté intérieure… » Mais il y aurait eu en elle un vide immense (857). Il y a des milliers de gens « qui tous ont connu Dieu mais n’en ont pas voulu. Ou ont trouvé que la foi était une solution trop médiocre, ou bien se sont contentés d’une vérité inférieure alors qu’une plus haute leur était destinée » (1568). Il y a des grâces que des hommes refusent dans la maladie, « des hommes qui, jusqu’au dernier instant, se refusent à voir la mort en face, qui préfèrent n’importe quel mensonge, qui ne se résignent aucunement à l’inévitable, qui refusent de penser à Dieu bien qu’ils aient peut-être eu durant leur vie une faible foi en lui, pensant que la mort les épargnerait plutôt s’ils persistaient dans leur refus. Se tenir à Dieu leur semble trop dangereux » (1859).

La misère parfois pousse les gens à renier Dieu. Durant la guerre, en 1943, des enfants meurent de faim. A cause de cette détresse, leurs mères renient Dieu en qui elles ne peuvent plus croire (597). D’autres fois, c’est le plaisir qui fait oublier Dieu. « D’innombrables couples partout ne cherchent frénétiquement que leur plaisir sans la moindre crainte de Dieu » (1733). En juillet 1943, se tient une importante réunion de chefs d’État qui doivent prendre des décisions capitales pour l’avenir du monde. Adrienne se pose la question: « Est-ce que ceux qui délibèrent là ensemble feront une place à Dieu ou non? Est-ce que tout ne sera qu’égoïsme et intérêt? Ou bien est-ce qu’on pense là à Dieu même sans le connaître et sans le nommer? » (757) Toutes les nuances sont possibles dans les relations des hommes avec Dieu. Adrienne voit un grand nombre de gens, elle les connaît par l’intérieur, destin après destin. La plupart, ou bien se sont détournés de Dieu après de bonnes dispositions initiales, ou bien ils ne sont jamais arrivés à Dieu. Toutes les nuances sont possibles (447). Il y a des âmes qui sont fermées à Dieu et à sa vérité. Leur aspect a, pour Adrienne, quelque chose d’insupportable (736). Il y en a qui « résistent à Dieu » (421). Il y en a qui, dès leur jeunesse, font tout pour ne pas rencontrer Dieu, alors qu’en soi l’homme peut être « ouvert à Dieu » (801). En octobre 1948,le P. Balthasar  note que, pour Adrienne, « rencontrer des gens dans la rue est maintenant douloureux: ils ne connaissent pas Dieu » (2026). Elle voit parfois le monde et son non à Dieu (314). Un jour, dans la rue, elle fait « l’expérience effrayante d’un monde et d’une humanité sans Dieu » (621). En certaines périodes de nuit intérieure, c’est pour elle une constante obsession de devoir imaginer un monde sans Dieu (896). « Je suis angoissée pour le monde parce qu’il n’est pas près de Dieu » (530). Certains vont plus loin que le refus de Dieu. Dans certaines assemblées, il y a de la « haine contre Dieu, contre l’Église » (1316).

Et puis il y a aussi tous les baptisés « qui sont dégoûtés, qui n’ont certainement plus la foi, qui entretiennent avec Dieu une sorte de froide amitié. Comme on met dehors non sans raison quelqu’un dont on était autrefois l’ami; on le voit encore parfois, mais on n’a plus rien à lui dire » (2043). Il arrive aussi qu’on parle de Dieu, qu’on s’occupe de lui, et qu’en fait on s’éloigne de lui. « Là, la théologie est réduite à un passe-temps ou à un domaine du savoir parmi d’autres, elle servira bientôt à rehausser le prestige du prédicateur et à l’éloigner de Dieu. Elle devient l’expression de sa performance et de son activité propres parce que les faits et gestes du Seigneur sont oubliés, parce que la Parole a été détachée de l’ascèse. La Parole de Dieu est alors comme délavée » (2214). On peut s’éloigner de Dieu en croyant le servir. On peut s’entraîner « en quelque sorte au travail de la perfection »… Comme un alpiniste qui emporte la satisfaction d’avoir vaincu un sommet même si celui-ci reste dans la brume : ‘Je l’ai vaincu’… Dans la vie spirituelle, il est facile de donner à ce sentiment le nom de grâce et de s’attribuer, dans le fait d’être en haut, le mérite de la montée… Il est facile de se donner de l’importance et de s’éloigner de Dieu, de se construire un Dieu qui nous justifie nous-mêmes (1559). Il y a quantité de discussions et de conférences sur des questions  religieuses… « Mais partout on se cherche beaucoup plus soi-même que le Seigneur. On est très amical les uns avec les autres, et on a tous les égards possibles, mais l’ultime arrière-pensée, ce n’est pas Dieu, c’est d’imposer sa propre tendance » (1380). Il est des retraites  aussi  où l’on oublie presque Dieu, des retraites qui ne prennent pas le péché au sérieux et qui se dirigent dès le début vers une ‘happy end’, des retraites finalement où Dieu devient une fonction du cher moi et de ses besoins religieux, des retraites aussi où le maître des exercices se trouve tellement au centre ‘avec sa science du péché’ qu’on oublie presque Dieu et la grâce, et qu’il ne reste plus dans l’âme contrite qu’un sombre sentiment de fardeau (821). Il y a des gens qui peuvent être très actifs dans l’Église et « ne rien savoir de Dieu ». « N’importe quel travail, une marotte sont le centre de leur vie… Et pourtant certains reçoivent à l’heure de la mort, au dernier moment, la grâce d’un oui total à Dieu. Et ce oui fait qu’ils entrent là-haut ‘comme s’il n’y avait rien eu’, et comme si toutes leurs lacunes étaient oubliées. D’autres ne reçoivent pas cette grâce » (592). Il est même des consacrés, dit Adrienne, qui n’ont aucune idée de Dieu. Il y a « des âmes qui, de leur relation à Dieu, font un commerce, un mensonge ou quelque chose d’abject ». Elles passent un accord, un arrangement avec Dieu, sous forme de religion. Elles montrent à Dieu un amour sale qui ne veut qu’une chose : que Dieu les laisse en paix… Il y a des religieux et des cloîtrées qui, extérieurement, ne vivent que pour Dieu, peut-être même ‘parfaitement’, mais qui intérieurement n’ont aucune idée de Dieu et de l’amour de Dieu. Ils vivent dans une écorce de religion, avec des exercices quotidiens, des prières, des émotions, des sacrifices et des mortifications, mais tout cela n’a aucun rapport avec le Dieu vivant » (578). Il y a dans la vie religieuse toutes les possibilités de « devenir infidèle à Dieu, depuis le noviciat jusqu’à la mort, en passant par tous les stades de la vie du cloître » (1124).

Un jour à la consultation, une femme raconte à Adrienne que ses proches n’ont plus la foi, que même les prédicateurs ne croient qu’à la moitié à peine de ce qu’ils disent en chaire. Que faire? Que doit-on croire? Adrienne indiqua la petite statue de Marie sur son bureau : « Je crois que Dieu existe et qu’elle nous conduit à lui ». La femme se leva d’un bond et quitta la pièce en disant: « J’emporte cela avec moi » (525). Un autre jour, Adrienne assiste à l’enterrement de sa belle-mère. « Un vieux pasteur tout sec, qui semblait n’avoir aucune idée de Dieu, ne parla pas une seule fois de lui durant tout le service, à part la prière finale » (47). Il existe chez certains prêtres « un endurcissement du cœur vis-à-vis de Dieu ». Ils veulent rester dans le médiocre, ils renoncent au don total d’eux-mêmes (513). Une foule de petits péchés peut recouvrir l’âme d’une « peau qui la rend insensible à Dieu » (801). On peut ne plus avoir de « réceptivité spirituelle pour Dieu » (1740). Le péché offense Dieu plus ou moins, selon qu’on est déjà plus ou moins proche de lui. « Le même péché peut être commis par deux personnes; extérieurement les péchés sont semblables, mais le péché est d’autant plus grave qu’on est plus proche de Dieu. Je pardonne peut-être plus facilement à un étranger qu’à un ami, même s’il m’a volé sérieusement. Et si le voleur est celui en qui j’avais le plus confiance, le pardon est dix fois plus pénible, mais il est aussi plus précieux et plus personnel que s’il s’agissait d’un étranger. C’est pourquoi aussi les petits péchés qu’on commet par inattention sont souvent très sérieux pour Dieu. Et c’est pourquoi justement le pardon de Dieu déborde l’aspect ‘matériel’ de ces fautes » (257).

Quand on a négligé Dieu, il est parfois ou souvent difficile de revenir à lui. Voilà des soldats durant la guerre, dans une situation désespérée. Ils ne savent plus que penser. « Dieu est loin d’eux à présent; après l’avoir délaissé si longtemps, ils ne trouvent plus le moyen de se rapprocher de lui. Lui aussi maintenant les laisse là, du moins provisoirement » (520). Pour les prêtres également « qui ont négligé la prière et sont devenus tièdes, il est difficile de revenir à Dieu. Ils pensent qu’il suffit d’y réfléchir un peu. Mais ils devraient justement tout changer et ils n’en ont pas la force » (886). Une nuit, Adrienne craint même que le P. Balthasar « puisse avoir la tentation de faire définitivement la sourde oreille à la volonté de Dieu. C’est si terriblement dangereux. On ne le remarque sans doute pas… » (582). En fin, dernière formule, rare sans doute dans toute la littérature spirituelle, à propos d’enrouement : nombreux sont « ceux qui devraient louer Dieu et ne le font pas! Comme est petit le nombre des saints! Les autres ne peuvent pas louer, ils ont les cordes vocales enrouées » (600).

 

6. Le mystère de Dieu

 

La multiplicité des relations humaines à Dieu est inouïe (1787). La force créatrice de Dieu ne faiblit pas. « Quand Dieu créa le monde, il était d’humeur créatrice. Il fit quelque chose qui correspondait à sa force. Pour la première fois, il se donna à lui-même la preuve de ce qu’il pouvait faire. Puis vint le péché, et son œuvre fut pervertie par l’homme. Mais la force créatrice originelle de Dieu ne faiblit pas : il créa les sacrements d’où cette force continue à se répandre, et chaque sacrement recrée le pécheur en Dieu » (1718). Parmi les choses dont est capable la force de Dieu : « faire qu’une personne ne mange pas du tout pendant quelques jours par exemple » sans qu’elle éprouve le moindre sentiment de faim ni aucun besoin de nourriture, « pour l’une ou l’autre raison connue de lui seul » (1386). Il s’agissait d’Adrienne, bien sûr.

Le regard de Dieu va plus loin que le nôtre. « Les hommes n’aiment plus regarder en direction de Dieu… Nous nous mettons au centre et nous fermons le monde autour de nous. Nous oublions que c’est l’amour de Dieu qui est le centre et que nous devrions rester ouverts à l’Esprit Saint. Dieu devrait garder la possibilité d’agir là aussi où notre esprit planificateur n’a plus accès… Certes il peut être pénible pour un érudit de ne pouvoir mener jusqu’à son terme une œuvre commencée, de ne pas avoir le droit d’exprimer jusqu’au dernier mot ce qu’il a expérimenté et qui lui semble neuf. Mais si Dieu a compté ses jours et qu’il sait jusqu’où il ira avec son ardeur et son obéissance, il fera lever la semence chez quelqu’un qui viendra plus tard. En tout cas, il lui laissera continuer son œuvre aussi loin que nécessaire pour faire paraître les traces de Dieu qui devaient être visibles » (2230). Il y a des choses qui semblent parfois impossibles à faire. Mais il arrive alors aussi que Dieu les fait (335). Il existe une « libre force de Dieu qui prend possession de quelqu’un avec autorité » (665). Le 21 décembre 1942, Adrienne a de nouveau une crise cardiaque à l’hôpital. Fort tremblement, syncope. Elle téléphone au P. Balthasar et se présente comme le « joyeux cadavre ». Pourquoi cette crise? Elle-même a la réponse : « Le Bon Dieu saura bien pourquoi c’est bon » (503).  C’est une pensée qui revient plus d’une fois : Dieu sait. Adrienne passait par une très grande fatigue. Dans une lettre au P. Balthasar datée du 19 septembre 1941, elle écrit: « Je pense que mon impuissance actuelle, Dieu ne me la donne pas sans raison » (180). Quand l’enfant de son ami, le Professeur Merke, a été opéré pendant des heures par quatre chirurgiens pour une suppuration derrière l’œil droit, elle prie autant qu’elle peut, dit-elle. Et elle ajoute: « Merke me ferait infiniment pitié (s’il perdait son enfant), mais connaissons-nous donc les desseins de Dieu? » (163). Elle sait qu’on « ne peut pas empêcher les plans de Dieu (malgré ses limites ou son indignité). C’est comme à l’école : tous ont dû apprendre la poésie et quelqu’un a dû la réciter, non pas celui qui en est le plus capable, mais celui sur qui cela tombe. Et maintenant c’est justement tombé sur elle », et elle sait trop son indignité (285). Dieu a prévu pour chacun une place déterminée. « Nous sommes depuis toujours des élus de Dieu, destinés par lui à une place précise, et nous devons seulement veiller à nous y rendre. Naturellement nous pouvons pécher. Nous avons la liberté de nous détourner de Dieu. Ne devrions-nous pas aussi parler de la liberté que nous avons de nous tourner vers lui? Et aussi de ‘choisir’ efficacement ce qu’est la volonté de Dieu pour nous. Il me semble qu’on devrait se contenter de dire : Dieu nous donne la grâce de regarder ce qu’il a choisi pour nous… Il n’y a toujours qu’un seule chose que Dieu a choisie, tout le reste s’y ramène » (1953).

Le plan de Dieu est à l’œuvre depuis longtemps. « Dès que quelqu’un entre dans l’éternité, il était déjà là éternellement. Son éternité n’est pas écourtée. Il se trouve bien dans le plan de Dieu, il y a son origine et le plan de Dieu dure depuis l’éternité » (1714). Dieu seul décide finalement en toutes choses. « Si l’on définissait la méditation à partir du désir de Dieu qu’a notre propre esprit, le moment viendrait trop vite où l’âme serait remplie et voudrait arrêter. Elle est satisfaite beaucoup plus rapidement que Dieu. Dieu promet et accorde plus, mais il exige aussi davantage. Des amoureux sur terre peuvent mesurer leur amour réciproque : ‘Si chaque jour tu me donnes ceci et cela, alors je serai content!’ Dieu ne se laisse jamais aimer de cette manière-là. C’est lui seul qui décide de la mesure de ce qu’il veut nous donner. Mais il n’est pas vrai non plus que l’amour humain, s’il est authentique, puisse s’accommoder au fond de limitations de ce genre. L’amoureux méconnaîtrait d’un côté ses désirs, de l’autre ses propres capacités. On ne peut jamais non plus assez demander à Dieu parce que lui-même est toujours capable de donner davantage et il est disposé à le faire » (2060).

On ne peut pas contrecarrer les desseins de Dieu. Adrienne en parle à propos de la mort des saints Innocents massacrés par Hérode. « Si Hérode avait pensé avoir atteint le Messie par le premier enfant qu’il a fait massacrer, s’il l’avait atteint de fait, les autres meurtres n’auraient pas eu lieu. Il ne pouvait certes pas atteindre le Seigneur parce que aucun homme ne peut contrecarrer les desseins de Dieu. Mais les enfants meurent à la place du Seigneur, Dieu fait entrer ainsi leur mort dans la mort du Fils. Le Fils ne pouvait pas mourir maintenant pour autant, les enfants ont donné leur vie pour lui, ils se trouvent en un lieu où plus tard le Fils se trouvera nécessairement… Les mesures de Dieu ne correspondent pas aux nôtres et… le sacrifice du Fils est si grand que tout sacrifice trouve en lui sa place » (2156). Qui connaît les desseins profonds de Dieu? Un jour, à propos d’une opinion qu’elle avait entendue exprimée par un théologien sur le sort des enfants morts sans baptême, qui n’iraient pas au ciel, sa réaction avait été : « Non que je croie le savoir exactement, et pourtant Dieu est amour; il est vraisemblablement encore plus haut que toutes les finesses théologiques » (184).

Tous les sentiments des hommes se retrouvent en Dieu nécessairement, puisqu’il est le Créateur. Parfois Adrienne « a le sentiment que Dieu joue avec elle… Comme s’il voulait la taquiner ». Le P. Balthasar lui répond alors que « l’humour ne manque certainement pas à Dieu et qu’il aime en faire usage à l’égard de ceux qui le comprennent ». Adrienne rit et acquiesce (103). Il y a des maisons par contre où Dieu n’est pas à l’aise. Adrienne avait été invité à souper dans « une maison avec beaucoup d’argent mais sans Dieu… Dans une telle maison, Dieu ne peut pas respirer » (926). Dieu sait offrir des joies. « Les fêtes chrétiennes sont des joies offertes par Dieu » (1851). « Quand Dieu invite quelqu’un à partager sa joie dans la méditation… » (2060). Dieu a créé le monde avec joie, « pour sa joie qui est amour » (2316). « Dieu ne veut pas rester dans une solitude éternelle, il nous invite chez lui » (2274). Quand Marie arrive au ciel, « sa joie… se nourrit de la joie que les autres ont à cause d’elle et elle leur redonne cette joie. La joie de Dieu, des anges et des saints est si grande qu’elle ne peut rien faire d’autre qu’accepter cette joie. La pure acceptation de la joie est sa réponse la plus profonde à Dieu et à tous. Elle ne veut accepter la joie que Dieu et tous lui offrent que pour donner à Dieu et à tous une joie parfaite » (2021). « Souvent on pense que Dieu ne donne le désir que pour qu’il puisse avoir la joie de le combler » (NB 8, p. 486).

Dieu a des besoins. Il a eu besoin de Marie. « Dans son destin de femme croyante qui a dit oui, (Marie) se laisse faire pour devenir ce pour quoi Dieu a besoin d’elle : être la Mère de son Fils » (2318). « Dieu a besoin à certains moments de certaines personnes… Dieu ne laisse pas au hasard les positions de ses saints » (1711). Ensuite Dieu sait être reconnaissant. Il « est reconnaissant pour tout sacrement (reçu) même quand l’homme ne fait pas tous les efforts qu’il faut pour correspondre. Cette reconnaissance de Dieu s’exprime aussi par le fait qu’il insuffle et intègre dans les sacrements tant de sa force vivante » (2244). Il s’intéresse à tout le monde. « Dieu possède avec chacun une relation particulière même là où elle n’est ni vue ni comprise, même là où on la rejette. Dieu est partout beaucoup plus intéressé que nous ne le pensons » (2044). Dieu a de moi « une image positive », même s’il y a un écart entre cette image et le négatif que je fabrique. Dieu a de moi une « image de perfection », « ce que Dieu espère de moi » (2065). Dieu a des désirs. « Il désire qu’on se confesse – même si nos confessions sont encore  imparfaites – parce qu’il désire pardonner. Parce que le Fils veut nous présenter au Père, parce que cela fait la joie de son humanité d’apporter au Père un être humain de plus » (2165). Dieu voudrait nous avoir totalement séparés du péché (1589).

Dieu travaille aussi. « C’est un vrai travail pour Dieu de se faire entendre sur terre, et plus encore de devenir homme. Notre endurcissement et notre manque d’intelligence sont si grands qu’il doit pour ainsi dire s’ouvrir un passage de force avec les voix et les visions des prophètes… Il faut beaucoup d’efforts à Dieu pour qu’il en arrive au point d’oser venir dans le monde » (1880). Les desseins de Dieu nous paraissent parfois aléatoires. « Il y a des gens en qui la Parole de Dieu tombe comme par hasard » (995). « L’amour de Dieu veut toujours surprendre » (1685). « Dieu demeure toujours libre et il ne se laisse jamais immobiliser » (1276). « Quand, à la fin du purgatoire, l’âme ‘fait irruption’ dans la prière, parce qu’elle ne peut plus faire autrement, le pardon de Dieu aussi est là, les bras de Dieu sont ouverts » (584). Dieu se montre ainsi très humain et il demeure en même temps toujours mystère, il n’intervient pas toujours directement. Le grand dragon de l’Apocalypse lutte contre le grand ange, les petits démons contre les petits anges. "Ce n’est pas Dieu qui s’abaisse à lutter personnellement contre le diable, il engage pour cela un archange qui est du même rang que le dragon" (1338). Même au ciel Dieu ne révèle pas tout de lui ni de ses desseins. « On ne doit pas penser que les saints (au ciel) sont au courant de tous les plans de Dieu ou qu’ils peuvent, dans leur vue de l’avenir – qui est certainement beaucoup plus grande que la nôtre -, tenir compte de tous les facteurs » (1374). Il y a des choses que Dieu ne veut pas montrer, ni ici-bas, ni plus tard. « Ce qui est très important dans la sainteté de Marie, c’est qu’elle n’a pas besoin de se faire du souci pour les choses que Dieu ne veut pas lui montrer. Elle reçoit avec son intelligence humaine ce qu’elle doit recevoir, elle ne refuse pas non plus de comprendre si Dieu le lui demande. C’est la caractéristique de la pureté de son esprit » (2034). On ne connaît pas les règles d’après lesquelles Dieu nous accorde ceci et nous refuse cela.  Et pour accorder telle ou telle chose, pourquoi a-t-il besoin de tant et tant de prières, de souffrances et de sacrifices? Malgré toutes ces questions, il ne vient pas à l’esprit d’Adrienne « de vouloir regarder les cartes de Dieu », note le P. Balthasar (195). L’un des mystères de Dieu, c’est qu’il est tout à la fois sensible et insensible. Dieu est tout à la fois sans protection – étant donné qu’on peut le toucher (en Jésus) – et tout à fait protégé. « Le Père est toujours avec lui et il est dans le Père. Ainsi Dieu est également vulnérable et invulnérable » (2287).

 

7. La démesure de Dieu

 

« Nous sommes trop habitués à imaginer Dieu dans sa plénitude et sa grâce, tourné avant tout vers le monde, et nous oublions alors que cette plénitude et cette grâce s’adressent d’abord  à Dieu lui-même, se déversent et se comblent constamment en lui-même. Chacune des trois personnes est constamment occupée à combler: elle comble le ciel, la durée, l’adoration, l’amour, la réciprocité et finalement aussi  le monde. Mais que le monde soit comblé n’est qu’une chose parmi d’autres… Nous pouvons lire cette manière que Dieu a d’être toujours autre dans la profusion des choses de ce monde qu’il a créées. Peut-être n’a-t-il créé les nuages que pour que nous ne pensions pas qu’il est éternellement rayon de soleil. Et chaque nuage à son tour est différent, il n’y a pas au ciel de monotonie. Et les nuages fécondent la terre, l’hiver comme neige, l’été comme orage; chaque pluie également a son caractère propre. Ainsi la fécondité de Dieu n’est bien comprise que comme toujours neuve » (1938). Pour Adrienne, souvent, la beauté du monde est un chemin vers l’infini de Dieu. « Étrange que souvent voir, sentir, entendre, toucher, deviennent une perception unique de la beauté. Récemment j’ai eu à nouveau la mer sous les yeux; je cherchai dans des livres ce qu’il y a comme coraux, poissons, plantes aquatiques, mais tout d’un coup ce fut comme si tous les animaux et toutes les plantes, et toutes les formes jolies et le jeu des vagues et des lumières provenaient immédiatement des mains de Dieu, comme si la mer elle-même était une main de Dieu infinie qui livrait constamment tous ses secrets pour réjouir l’être humain. Du plus petit détail d’un coquillage sur le rivage on parvient tout de suite à l’immensité de Dieu. On se sent parfois proche du panthéisme, et pourtant Dieu reste le Dieu Trinité, il engendre le Fils et fait procéder l’Esprit, et il reste ce qu’il est » (2166).

Le 8 juin 1941, fête de la Trinité, le P. Balthasar note ceci à propos d’Adrienne : « Elle comprit que ce que nous saisissons de la Trinité de Dieu et, d’une manière générale, tout ce qui est caché en Dieu ne ressemble qu’à une petite poussière (sur une coudée), comparé à ce qu’on ne comprend pas. Nous avons certes part à l’Esprit Saint. Et Jésus peut nous apparaître. Mais si magnifique que ce soit, ce n’est finalement pas commensurable avec ce que Dieu est en lui-même. Mais tout cela n’est ni inquiétant ni triste comme on pourrait le penser… Et plus on perçoit quelque chose de la grandeur de Dieu plus on voit aussi qu’on est soi-même néant. Il y a une comparaison incessante. Mais justement avec le désespoir de ne jamais pouvoir monter dans la coudée, on apprend également la grande nécessité de se donner un mal maximum et d’être totalement disponible » (94). La comparaison est incessante; elle est aussi tous azimuts. « Quand on a pu contempler un beau mystère du ciel, il est d’autant plus horrible de voir sur terre l’humiliation du Fils. Quand on a pu deviner la grandeur de Dieu, il est d’autant plus affreux de voir sur la croix à quoi il a été réduit. Il ne s’agit pas d’une procédure purement objective…, il est question justement que ce qui est subjectivement sensible, l’amour comme tel, doive être déshonoré, humilié » (2060).

Parce que Dieu est infini, il peut toujours et encore se révéler. Saint Paul a beaucoup reçu des mystères de Dieu. « Paul a certes l’avantage d’être apôtre et ses révélations sont d’un autre genre que celles qui viendront plus tard dans l’Église. Cependant le mystère qui lui est montré n’est pas épuisé par ce que Paul en dit; plus tard, Dieu peut à nouveau en rendre visibles d’autres parties, non plus certes avec l’autorité de l’apôtre, si bien que l’Église aura compétence pour contrôler des révélations de ce genre, ce qu’elle n’a pas le droit de faire pour l’apôtre… Au début tout semble se passer entre Dieu et Paul tout seul » (2087). L’une des marques de l’infini de Dieu, c’est l’usage qu’il fait du temps. Le temps ne compte pas et pourtant Dieu en tient compte. Lorsque Dieu ne répond pas tout de suite à une demande qu’on lui adresse, « ses réponses ultérieures ne sont pas moins vigoureuses que ses réponses immédiates… Elles gardent toute leur plénitude même quinze ans, seize ans, dix-sept ans plus tard » (1661). L’infini de Dieu, c’est encore la profusion de ses possibilités. Adrienne en voit une image dans l’utilisation faite par Dieu des prières qui lui sont adressées. « En la matière, Dieu est libre autant dans l’évaluation que dans l’utilisation. Supposons que deux personnes aient le même recueillement, la même bonne intention, la même prière. Dieu pourrait quand même utiliser leur intercession de manière toute différente. Pour l’une, faire comme si c’était peu; pour l’autre, comme si c’était beaucoup. Mais que cela ne soit pas une cause de tristesse, car on doit toujours partir du fait que c’est pure grâce de manière générale que Dieu accepte quelque chose. Et il est essentiellement libre justement. Cela donne aussi une image beaucoup plus juste de la profusion des possibilités de Dieu. Cela ne veut pas dire que si la prière de A par exemple est reçue comme pleinement valable et importante, la prière de B par contre n’aurait que peu de poids; l’importance de la première n’est pas peu affectée par le fait que quelque chose du poids de B lui a été donné. Supposons que je prie pour la pluie; tu pries pour avoir du beau temps; Dieu envoie du beau temps; ma prière pour la pluie a pu être ajoutée à ta prière pour le beau temps » (2088). Cette profusion des possibilités de Dieu se manifeste et se manifestera aussi dans le ciel. « Au ciel, il n’y a pas d’esprit blasé et saturé… Dans l’accomplissement (Erfüllung), il y a encore toujours un désir. Car la vision de Dieu au ciel n’est jamais quelque chose de terminé, comme si l’accomplissement de mon existence terrestre ne réservait plus rien pour l’éternité. Il y a la plénitude dont on est rendu digne par la vie terrestre et le purgatoire et la rédemption, mais cette plénitude qui est atteinte n’est pas un point final; elle est un point de départ de la vie céleste. Seulement, au ciel, le désir ne va jamais plus dans le vide, il va toujours vers une nouvelle plénitude » (1562). Au ciel, « Dieu offrira exactement ce qu’on désirait… Et cela malgré l’indifférence (ignacienne) qu’on emporte avec soi du purgatoire » (1455). Dieu peut toujours faire don pour ainsi dire aux saints du ciel « d’un surcroît de lumière et de bonheur » (1235). Et là, Adrienne ose une affirmation étonnante sans doute pour certaines théologies : au ciel, « on ne voit pas Dieu du tout, mais cependant tout se sait rempli de lui. Et on a le sentiment qu’on ne devrait faire que deux pas ou un pas en direction de Dieu pour percer le voile très fin qui nous sépare encore de lui » (1130). Si on voyait Dieu totalement, il n’y aurait plus de mystère, et Dieu ne serait pas infini. « Il se fera sans doute que, dans la vie éternelle de Dieu, il y aura toujours tellement à adorer et tellement à regarder bouche bée que tout restera toujours ouvert et plein de promesses et d’attente impatiente » (2225). « Même si, dans toute l’éternité, Dieu ne cesse de se révéler et de se donner toujours à nouveau, de remplir l’adoration et la vision de ses créatures, la prière au ciel est quand même toujours comblée » (2023). « La joie au ciel a quelque chose de la démesure (das Je-Mehr) de Dieu. Elle n’est pas fermée; dans la plus haute plénitude, il y a toujours un espace ouvert pour l’espérance et l’attente » (1865).

 

*

 

On aurait pu s’arrêter à chaque ligne pour commenter la citation ou prévenir de fausses interprétations. Il a paru plus urgent de livrer un maximum de textes, reliés simplement entre eux par un fil ténu et quelque peu arbitraire, pour en permettre quand même une certaine lecture continue et plus ou moins cohérente. Tous ces textes épars ne peuvent se comprendre de manière tout à fait juste que dans le grand contexte de l’œuvre entière du P. Balthasar et d’Adrienne von Speyr. Il faut se souvenir aussi que « nul ne comprend un mystique chrétien qui n’essaye de vivre avec lui dans le monde de la grâce » (J. Baruzi)5. Dieu est indicible, il n’est pas inénarrable. « On peut toujours raconter Dieu, c’est ce qu’a compris l’Écriture, pour laquelle Dieu et l’homme sont intimement unis comme des amis (Ex 33,11 et Lc 12,4), comme si tous deux se racontaient l’un à l’autre en chemin pour savoir ce qu’ils sont » (A. Gesché)6. Les textes du Journal ici présentés peuvent laisser pressentir la familiarité d’Adrienne von Speyr avec le monde de Dieu. Ils vérifient aussi sans doute, sur un autre plan, cette assertion de Pierre Emmanuel comparant Claudel et Valéry: « On voit très bien la différence entre un auteur qui est à la source et un auteur qui élabore intellectuellement et de la manière la plus subtile un langage si riche soit-il »7.

Patrick Catry

Notes

1. Erde und Himmel, Einsiedeln, 1975-1976.

2. Adrienne von Speyr et sa mission théologique, 3e édition, Paris, 1985; L’Institut Saint-Jean. Genèse et principes, Paris, 1986. Voir aussi La mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr. Actes du colloque romain, Parie, 1986.

3. Les citations et références seront désormais suivies d’un simple numéro entre parenthèses, celui de l’original allemand, qui court sur les trois tomes: en tout 2380 numéros; à l’occasion, référence à la page.

4. Désormais : A. = Adrienne von Speyr; H.U. = Hans Urs von Balthasar, comme souvent dans le Journal.
5. J. Baruzi, cité par E. Poulat, L’Université devant la mystique, Paris, 1999, p. 161.

6. A. Gesché, Le Christ, Paris, 2001, p. 91.

7. Pierre Emmanuel, dans Chabanis, Dieu existe? Oui, Paris, 1979, p. 483.

 

 

*

 

Annexe : Dieu pour les "compagnons" d’Adrienne

 

1. Henri de Lubac

Dans la cour de récréation, au sortir de la chapelle, un enfant se moquait du sermon qu'il venait de subir. Pauvre sermon comme tant d'autres. Voulant dire quelque chose de Dieu, le prédicateur avait abreuvé son jeune auditoire d'un flot mêlé de formules abstraites et dévotes, produisant sur ceux dont l’esprit ne s'était pas assoupi l'effet le plus ridicule. Le surveillant, qui était un homme de Dieu, appela le moqueur et, plutôt que de le rabrouer, lui demanda doucement : "Avez-vous jamais songé qu'il n'y a rien de plus difficile que de parler d'un tel sujet ?" L'enfant n'était point sot. Il réfléchit et cet incident fut pour lui comme la première prise de conscience du mystère, du double mystère de l'homme et de Dieu.

Le premier aveu de la foi est de crier que Dieu est infiniment au-dessus de tout ce que l'homme peut penser de lui.

La révélation chrétienne porte inséparablement sur Dieu et sur l’homme. Elle est révélation de notre destinée, qui est destinée divine. En entrouvrant le mystère de sa vie intime (par Jésus-Christ), Dieu révèle du même coup l’homme à lui-même. La révélation chrétienne apporte à celui qui la reçoit une personnalisation croissante.

Il importe beaucoup moins de prouver Dieu à l’incrédule que de le lui faire entrevoir. A travers la plus épaisse muraille du plus sombre cachot, l’étroite fente d’une meurtrière suffit pour attester le soleil. Ainsi de ce monde maintenant opaque et lourd : la rencontre furtive d’un saint y suffit pour attester Dieu.

L’homme qui s’efforce de connaître Dieu n’est pas comparable au savant qui amasse des connaissances. L’homme qui s’efforce de connaître Dieu n’est pas comparable non plus à l’artiste qui perfectionne une ébauche. Mais l’esprit qui s’efforce de connaître Dieu est comparable au nageur qui s’avance dans l’océan, porté par les vagues, mais à condition de toujours écarter les vagues. Nous avançons dans le mystère de Dieu comme le nageur s’avance dans l’océan, portés par des images, des concepts, des idées ; mais pour que ces vagues nous portent, il faut les écarter toujours, c’est-à-dire à tout instant dire non, ce n’est pas Dieu, Dieu est au-delà.

La pensée maîtresse de Dostoïevski est qu’en tuant Dieu dans l’homme, c’est l’homme que par là on tue.

Si vraiment Dieu destine l’homme à le voir, on conçoit bien qu’il ne l’y admette pas d’emblée.

A travers tous les bouleversements de la culture, la condition humaine demeure fondamentalement la même. Le rapport de l’homme au Dieu qui l’a fait pour Lui et qui ne cesse de l’attirer à Lui demeure essentiellement le même.

Le mystère de Dieu est la Patrie intime où tout homme rêve d’être introduit, qu’il le sache ou non.

Dieu n’est pas seulement pour l’homme une norme qui s’impose à lui et qui, en le dirigeant, le redresse ; il est l’Absolu qui le fonde, il est l’Aimant qui l’attire, il est l’Au-delà qui le suscite, il est l’Éternel qui lui fournit le seul climat où il respire, il est en quelque sorte cette troisième dimension où l’homme trouve sa profondeur. Si l’homme se fait son propre dieu, il peut nourrir quelque temps l’illusion qu’il s’élève et qu’il s’affranchit : exaltation passagère ! En réalité, c’est Dieu qu’il abaisse, et lui-même ne tarde pas à s’en trouver abaissé.

La mission confiée par le Christ à son Église, c’est-à-dire à nous tous : éveiller l’homme, tout homme, notre frère, à la fin bienheureuse que Dieu, dans son amour, lui destine et dans laquelle son œuvre doit être transfigurée, le tirer de la nouvelle misère où il se laisse enfermer par ses progrès eux-mêmes. Prendre conscience qu’un brillant vernis d’intellectualité peut cacher une misère spirituelle.

Il y a des gens qui croient ne plus croire. Mais le plus lointain pressentiment du "Dieu inconnu" est déjà une brûlure.

C’est l’effet d’une clairvoyance encore aveugle que de repousser Dieu à cause des déformations humaines ou de rejeter la religion pour l’abus qu’en font les hommes. Comment les objets les plus hauts, les choses les plus saintes, ne seraient-ils pas les lieux privilégiés des pires abus ? La religion doit incessamment se purifier elle-même. Au reste, sous une forme ou sous une autre, l’homme en revient toujours à l’adoration. En même temps que son devoir essentiel, celle-ci est le besoin le plus profond de son être. Il ne peut pas l’extirper, mais seulement la corrompre. Dieu est le Pôle qui ne cesse d’attirer l’homme et ceux mêmes qui croient le nier, malgré qu’ils en aient, lui rendent encore témoignage.

Mystère du témoignage : à travers les mots humains, la voix de Dieu se fait entendre.

Dieu lui-même est toujours là, présent tout entier, mais c’est nous qui toujours lui sommes plus ou moins absents. Il nous échappe dans la mesure où nous croyons le posséder.

Le monde chrétien que vomissent les athées n’a le plus souvent aucun droit de s’appeler chrétien, sinon en un sens tout sociologique, et le Dieu qu’ils rejettent n’est trop souvent qu’une caricature du Dieu que nous adorons.

Toujours menacée et comme prête à mourir, l’idée de Dieu en nous est aussi toujours renaissante. L’homme n’aura jamais fini de se débattre avec Dieu.

Dieu ne se règle pas sur notre désir.

Aucun effort humain ne peut capter Dieu dans ses filets.

En tout, dans tous les ordres, Dieu est premier. Toujours c’est lui qui nous devance. Toujours, sur tous les plans, c’est lui qui se fait connaître. Toujours c’est lui qui se révèle. L’effort de la raison qui nous porte jusqu’à Lui – non pas jusqu’à Lui : jusqu’au seuil de son mystère – n’est jamais que le second temps d’un rythme qu’il a lui-même amorcé.

On ne peut pas dire si les chemins de Dieu sont davantage les chemins par lesquels nous allons à Dieu ou ceux par lesquels Dieu nous attire à lui.

Il n’est pas vrai que l’homme, ainsi qu’on semble parfois le dire, ne puisse organiser la terre sans Dieu. Ce qui est vrai, c’est que, sans Dieu, il ne peut en fin de compte que l’organiser contre l’homme.

Le Royaume de Dieu. Il y a en fait identification mystique entre le Paradis et son souverain, entre le Royaume et son roi. Le Christ est lui-même son Royaume (Origène). Il est lui-même le Paradis vivant (Ruysbroeck). Le ciel du chrétien est pour ainsi dire absorbé en Dieu. Le Paradis de Dieu s'efface devant le Dieu du Paradis (Nicetas Stethatos). Dieu est un être personnel et personnalisant.

2. Bossuet

Parler de Dieu est aussi dangereux que nécessaire. Si, pour parler de Dieu, vous attendez que vous ayez trouvé des paroles dignes de lui, vous n'en parlerez jamais.

3. Marthe Robin

Mon Dieu, fais que je voie ce que tu veux, fais que je veuille ce que tu veux, fais que je fasse ce que tu veux.

Dieu se plaît à parler tout bas.

Appartenir à Dieu n’est pas une contrainte, c’est une plénitude.

4. Pierre Chaunu

Le mal le plus subtil qui menace le christianisme, c'est la familiarité avec Dieu, sa réduction à l'état "humain" qu'entraîne la pratique quotidienne de l'Incarnation. Nos frères et cousins en transcendance, juifs et musulmans, nous en font habituellement le grief, non sans raison.

Dieu ne peut être rendu par des mots, par des gestes. Il ne peut jamais être totalement rendu sur des lèvres humaines. Et tenter de le fixer, c'est en faire une idole, c'est le trahir et le perdre.

Dieu toujours plus grand que son éternité même. C'est pourquoi la familiarité avec Dieu, une familiarité excessive et dangereuse, est cause de cécité.

L’homme est libre. Dieu a créé l’homme libre. Dieu a pris ce risque de créer un monde qui deviendrait rebelle, un monde que Dieu ne peut plus sauver qu’en pénétrant en son sein, liberté contre liberté, jusqu’au sacrifice de la croix…, pour nous contraindre un jour par la douceur, la persuasion et la toute-puissance de l’amour plus forte que la mort.

Le Dieu transcendant s'est fait connaître dans l'histoire. Il suffit pour l'entendre de faire vraiment silence. Car Dieu parle dans un doux murmure à toute conscience blessée, à toute conscience douloureuse dans le péché et dans la mort. Il faut beaucoup de silence pour entendre le doux murmure de la Parole de Dieu. La voix de Dieu est prête à parler dans le silence de la conscience ; il faut beaucoup de patience, d'humilité, de simplicité pour l'entendre. Et un peu d'esprit d'enfance.

La création : nous ne pouvons pas savoir comment Dieu a arraché l'être au néant. Nous savons, nous croyons, que cela est. On peut savoir et croire sans connaître le comment. "C'est par la foi que nous connaissons que le monde a été formé par la parole de Dieu" (He 11,3), mais nous ne savons pas comment Dieu a fait jaillir hors de lui la totalité de l'être. Et nous comprenons que la liberté créée, parce qu'elle était liberté, a fait capoter la création vers un point que Dieu voulait éviter. Nous comprenons que Dieu, ne voulant pas détruire son œuvre, a choisi une autre voie qui est de pénétrer dans ce monde et Dieu nous permet de discerner que cette action agissante de Dieu dans le monde, c'est le Christ. "Heureux es-tu, Simon, fils de Jean, car ce n'est ni la chair ni le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux". Le Christ est Dieu parmi nous, Emmanuel, mort et ressuscité.

Toute la Révélation de Dieu est contenue entre l'appel à Abraham et la glorieuse résurrection du Christ deux mille ans plus tard, attestée aux apôtres. La Révélation a été accueillie par le Peuple et l’Église dans une Écriture scellée par le Saint-Esprit. Cette Écriture est le procès-verbal d'une histoire, l'histoire de la rencontre du temps et de l’Éternité. Et le but de cette rencontre est d'initier à l’Éternité le monde qui vit dans le temps. C'est dans le passé que Dieu a parlé, mais pour la totalité de la durée. Et ce qu'il a dit, ce sont des paroles éternellement vivantes de la vie éternelle. A ceux que Dieu a lancés sur le bateau ivre du temps, Dieu a donné une boussole, la mémoire de la Parole de Dieu, qui est la clef de la vie éternelle ; il a placé au fond de la mémoire humaine la mémoire divine, la mémoire de l'éternité.

Ce que nous dit la Révélation chrétienne, c’est que Dieu ne nous révèle pas ses secrets, il nous révèle ce dont nous avons besoin. Cela veut dire qu’il a une marge de liberté. Dieu a pu créer d’autres mondes et les sauver par le Christ.

Dieu ne nous dit sur lui et sur son œuvre que ce dont nous avons strictement besoin. Il ne nous offre pas d’éléments pour la spéculation. Ce qu’il dit est pour notre salut. A la différence des théologiens, Dieu n’est pas bavard. Tout est absolument nécessaire.

Si parler de Dieu est dangereux, le taire serait grave. Il faut dire Dieu, quitte à le dire mal, de façon approximative et inadéquate. C’est la tâche de chaque génération de renouveler le discours sur Dieu. Il vaut mille fois mieux en parler mal que de n’en pas parler.

Si Dieu a fait de nous des êtres de raison, au nom de quoi devrions-nous renoncer à la raison au service de ce qui donne son sens à la vie.

Si je définissais en un mot ce qui unit chrétiens, juifs et musulmans, c’est le désir d’éternité, le désir de rencontrer Dieu, de sortir de cet instant et de faire basculer cet instant en sa présence.

Dieu est venu jusqu’à nous. Il a comblé le vide entre lui et nous sous une forme humaine. Il est tellement homme que sa divinité est longtemps imperceptible. On ne peut être plus discret que Dieu fait homme. Pour le reconnaître, il faut la complicité de Dieu : l’Esprit Saint. "Tu es heureux, Pierre, car ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux".

L’image que nous nous faisons de Dieu est rarement digne de lui. Elle requiert de nous silence, attente et attention.

Je suis éternellement dans la mémoire de Dieu. Je suis vivant éternellement dans la mémoire de Dieu.

"Dieu a créé le meilleur des mondes possibles" disait Leibniz. L’amour de Dieu veut son univers et, dans l’univers, il veut l’homme. Il le veut sans le briser. La puissance de Dieu est trop forte. Dieu, heureusement, a une arme secrète en réserve, son infinie patience. La patience pour réparer par un supplément de temps ce que nous ne cessons de compromettre par notre inconcevable inattention.

Dieu a créé les cieux et la terre (Bible). Cela veut dire que notre destin ne s’accomplit pas totalement sur la terre. Les cieux nous concernent au moins autant que la terre.

La Bible, Parole de Dieu, ne parle qu’à ceux qui la reçoivent comme Parole de Dieu.

Le Dieu personnel des Juifs et des chrétiens est transcendant et éternel. Il ne peut être connu que dans la parole qu’il prononce librement. Mais Dieu ne donne pas la clef d’une connaissance générale. Dieu ne révèle de lui-même que ce qui a trait au salut. Il révèle à l’homme qu’il l’a prédestiné à la vie éternelle, c’est-à-dire à une vie près de lui, libérée du temps, dans la dimension de transcendance et d’éternité qui est celle de Dieu.

Entre Dieu et l’homme, il faut un miracle pour que la communication soit possible.

Dieu nous construit une éternité à partir de notre temps.

Dimanche. Avez-vous remarqué que Dieu est peu gourmand ? Il vous demande essentiellement le septième jour, le septième du temps, et pour vous inciter à faire le vide puisque c’est seulement dans le ciel, à l’écart de tous les bruits, que l’on risque, comme Élie, de percevoir le doux murmure de la voix qui dit : "J’ai passé alliance avec mon peuple. Je t’aime".

Il est normal que la mort soit douloureuse comme l’entrée dans la vie. Tu mourras pour enfanter la vie éternelle. Et la vie éternelle, tu l’enfantes dans la douleur. Le parallélisme est absolu. On entre dans la vie éternelle par une nouvelle naissance qui ne peut être la répétition de la première. Notre mort, une naissance en Dieu est d’une autre nature, ou plutôt de surnature, d’au-delà de la nature.

Nous sommes devant Dieu comme l’enfant qui offre un cadeau à sa mère, pour rien, par gratitude… Nos actes, devant Dieu, sont ceux de serviteurs inutiles… Nous sommes des mendiants de sa surabondance.

Pour Dieu, comme pour nous, le cosmos et la vie humaine sont des aventures à haut risque. Et ce risque, Dieu le partage avec nous. Il n’est responsable ni du mal ni de la mort. Sa victoire est notre victoire.

Spinoza refuse a priori, avant d'avoir ouvert le livre, la possibilité d'un Dieu personnel qui se révèle.

L'homme a la liberté, la possibilité de choisir la Vie éternelle à laquelle Dieu, par son incarnation dans l'histoire humaine, me prédestine.

5. Saint Augustin

Voulez-vous savoir si Dieu est là ? Quand vous vous tournez vers lui, avez-vous la sollicitude du genre humain ?

Autant que j'ai pu, autant que tu m’en as donné le pouvoir, je t'ai cherché ; j'ai désiré voir par l'intelligence ce que je croyais, j'ai beaucoup étudié et beaucoup peiné. Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exauce-moi de peur que, par lassitude, je ne veuille plus te chercher, mais fais que toujours je cherche ardemment ta face.

Celui-là plaît à Dieu à qui Dieu plaît.

Ne crains pas la venue de ton Dieu, ne crains pas son amitié. Il ne te mettra pas à l’étroit, il t’agrandira plutôt.

Je crains Dieu qui passe et ne revient pas.

Ce que tu désires, tu le sais bien ; mais ce qui t’est profitable, Dieu seul le sait.

Quand tu t’adresse à Dieu parce que tu as besoin de lui, parce que tu es dans le besoin, n’imagine pas que tu l’aimes ; tu peux dire de Dieu que tu l’aimes quand tu n’as pas besoin de lui demander quelque chose, mais quand il existe simplement comme un être précieux, joie et beauté.

Comme nos oreilles entendent nos voix, c’est ainsi que Dieu entend nos pensées.

Dieu est immense, de sorte que, quand on l'a trouvé, on continue à le chercher.

6. Madeleine Delbrel

Les chrétiens ont une dette envers l'humanité : propager le seul bonheur absolu, celui qui grandit tous les autres bonheurs en les faisant relatifs : Dieu.

Il y a des gens qui font un travail ordinaire... Des gens qui ont des maladies ordinaires, des deuils ordinaires. Des gens qui ont une maison ordinaire, des vêtements ordinaires. Ce sont des gens de la vie ordinaire. Les gens que l'on rencontre dans n'importe quelle rue. Nous croyons de toutes nos forces que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. Nous croyons que rien de nécessaire ne nous y manque ; car si ce nécessaire nous manquait, Dieu nous l'aurait déjà donné.

Pourquoi le chant de l'alouette dans les blés, le crissement des insectes dans la nuit, le bourdonnement des abeilles dans le thym, nourriraient-ils notre silence et non pas les pas des foules dans la rue, les voix des femmes au marché, les cris des hommes au travail, le rire des enfants au jardin, les chansons qui sortent des bars ? Tout est bruit des créatures qui s'avancent vers leur destin. tout est écho de la maison de Dieu en ordre ou en désordre. Tout est signal de la Vie à la rencontre de notre vie.

Je vous supplie de demander à Dieu, non la lumière ou toute autre chose, mais de m'empêcher d'être désaccordée à ce qu'il est ou à ce qu'il veut faire.

Manquer Dieu est pour l'homme plus que toutes les misères réunies.

La conquête du monde ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, c’est qu’un Dieu aimé par nous et qui aime chaque homme le premier, chaque homme puisse, comme nous, le rencontrer.

Avant de parler de Dieu aux autres, il faut apprendre à parler des autres à Dieu.

Quand des hommes ignorent que Dieu est leur bien, nous n’avons pas à nous aligner sur leur ignorance, leur misère.

Le monde est grand, et son baptême est long. Pour Dieu, les hommes sont toujours de grands enfants.

Les chrétiens sont les hommes d’une chance : dans des circonstances qui sont des faits historiques, Dieu a voulu que certains hommes de la Bible sachent d’où vient le monde et où il va. Les chrétiens ont la chance d’apprendre ce que Dieu a dit pour toute l’humanité à ces quelques hommes ; et cela a été transcrit et répété à travers les siècles de l’histoire.

Dieu nous demande deux choses : être tout à fait raisonnable et tout à fait croyant.

La foi, c’est la libération de l’absurdité d’un monde sans Dieu.

Nous n’aimons Dieu que médiocrement parce que nous le connaissons médiocrement.

Nous n’avons le droit de parler de Dieu aux autres que si nous apprenons aussi à parler à Dieu au nom des autres, et peut-être d’abord de ceux et celles qui se sont résignés à son absence et à son silence.

Par sa parole, Dieu nous dit ce qu'il est et ce qu'il veut ; il le dit pour toujours, il le dit pour chaque jour.

Évangéliser, ce n'est pas convertir. Annoncer la foi, dire sa foi, ce n'est pas donner la foi. Nous sommes responsables de parler ou bien de nous taire, nous ne sommes pas responsables de l'efficacité de nos paroles. La foi, c'est Dieu qui la donne. Annoncer la foi, c'est tout simplement d'abord être un informateur. Nous devons être des informateurs d'une nouvelle. Mais l'informateur de l’Évangile doit être quelqu'un qui, sur d'autres plans que celui de l’Évangile, est reconnu pour véridique, pour exact, pour être quelqu'un qui ne prend pas des fumées pour des réalités. Il s'agit d'une nouvelle, d'une chose qui est en train de se passer, d'un événement qui est en route. Ce n'est pas une leçon d'histoire ancienne, c'est une information sur notre temps, c'est une nouvelle fraîche.

7. Olivier Clément

Il y a deux choses en nous : notre appartenance écrasante au monde des choses et notre certitude irréductible d'être autre chose – en Dieu.

Dieu est un appel secret, non une évidence extérieure. De lui vient la lumière des visages qui, d'une certaine façon, ne sont pas faits de main d'homme.

Il n’est pas demandé d’abord à l’homme d’aimer Dieu, mais seulement de se rappeler que Dieu l’aime. Dieu est un mendiant qui attend patiemment à la porte de notre cœur que nous lui ouvrions dans une royale liberté. Alors le cœur de l’homme s’éveille, une vie plus vaste que la sienne grandit en lui.

Si Dieu n'existait pas, l'homme ne serait qu'un fragment dérisoire de la société de l'univers, et la fatalité, la loi d'airain de l'échec et du désastre régneraient sur nous sans espoir. Nous sommes libres parce que nous sommes fondamentalement aimés, et pour toujours, d'un amour plus fort que la mort, parce que nous pouvons aimer à notre tour, et pour toujours... Devenir patiemment ouvriers de la communion humaine... La liberté, c'est de se rappeler que Quelqu'un s'interpose à jamais entre le néant et nous.

L'homme est l'axe du monde : il est le seul animal qui se tienne debout, droit. Les autres animaux marchent à quatre pattes ou rampent. Leur espace est purement terrestre. L'homme, être personnel, constitue l'apogée de la création. Avec lui, la toute-puissance de Dieu suscite une radicale nouveauté. Non pas un reflet mort ou une marionnette, mais une liberté qui peut se décider contre Dieu. Au comble de la toute-puissance créatrice s'inscrit aussi le risque. La toute-puissance s’accomplit en se limitant. En créant l'homme, Dieu se retire pour ainsi dire pour donner à l'homme l'espace de la liberté. Le sommet de la toute-puissance est l'amour, et Dieu peut tout sauf contraindre l'homme à l'aimer. Entrer dans un amour, c'est se livrer sans protection à la pire souffrance : celle du refus et de l'abandon de la part de qui nous aimons. La création est à l'ombre de la croix. L'Agneau de Dieu est immolé depuis l'origine des siècles.

L’enfant qui naît, c’est la nouveauté absolue d’une personne, d’un visage, d’un être que Dieu aime et qui lui est en quelque sorte nécessaire pour compléter l’humanité déifiée.

Tous les athéismes ne cessent de se révolter contre des caricatures de Dieu.

Des millions d’hommes ont connu dans leur chair cette mort de Dieu, cette glaciation des cœurs que des prophètes isolés, comme Nietzsche, avaient pressenties dans leur âme au siècle précédent. La mort innombrable des corps, sans doute, ne fit que manifester l’asphyxie inaperçue des âmes. Les renouveaux spirituels veulent du temps.

Il faut aimer Dieu aussi de toute son intelligence.

Si Dieu n’existe pas, l’homme est un fragment dérisoire de la société et de l’univers, sa soif de liberté est une passion sans objet qui s’écrase sur la muraille de la mort.

Le Bon Dieu d’un certain christianisme a provoqué la mort de Dieu (si l’on peut dire), la perte du sens du mystère de Dieu.

Le Dieu fidèle cherche l’humanité qui s’est détournée de lui, le Dieu fidèle cherche son peuple adultère pour lui parler au cœur et lui rendre son premier amour (Cf. Osée 2,16-17).

Les caricatures de Dieu jonchent l’histoire, celle aussi du christianisme, comme autant d’idoles mentales qui ont conduit les hommes soit à la cruauté, soit à l’athéisme.

L’homme est une béance qui veut se remplir de Dieu.

Le Christ dort au secret des humanismes et des athéismes providentiellement révoltés par tant de caricatures de Dieu.

L’homme n’est homme qu’en se dépassant dans la communion à l’Amour qui le crée et veut le recréer. L’homme qui refuse Dieu devient un possédé. Rien n’est neutre. Tout est champ de bataille. Beaucoup sont possédés de somnambulisme. "Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font". Mais celui qui prononça cette prière a été crucifié par les somnambules, et le chrétien ne doit attendre rien d’autre dans la médiocrité du quotidien.

Il s’agit de ne pas oublier Dieu. Car l’oubli est le plus grand des péchés, disent les spirituels. L’oubli, le somnambulisme, l’insensibilité de l’âme… Alors se rappeler Dieu. Crier vers lui, au Dieu vivant, et non se taire devant le mur d’airain du destin, du néant, de l’inévitable désastre. On a plus de temps pour prier qu’on ne le croit.

Le Dieu incarné, crucifié, ressuscité, ne peut agir, comme influx de lumière et de paix, qu’à travers des cœurs qui s’ouvrent librement à lui.

L’Évangile nous demande d’aimer Dieu aussi avec notre intelligence, alors que l’homme d’aujourd’hui a pris l’habitude d’être intelligent pour tout sauf pour les choses de Dieu.

Dans la révélation évangélique, le Dieu vivant, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, s’ouvre, découvre sa nature, son secret, et se rend volontairement participable. Dieu lui-même, en s’incarnant et en mourant sur une croix, comble la distance, assume l’angoisse et la mort, en fait le lieu de la résurrection. C’est parce que Dieu est personnel, trois personnes, qu’il peut prolonger jusqu’à nous l’amour qui le constitue, se rendre participable tout en restant inaccessible. Dans le Christ, l’Illimité fait rayonner sa lumière au cœur même de l’horreur et de la mort.

Si Dieu a fait mourir l’homme pécheur, c’est pour l’obliger malgré tout à s’abandonner.

On ne peut mettre de limites à la miséricorde de Dieu, ni à la possibilité pour l’homme de refuser éternellement cette miséricorde.

La vraie Toute-Puissance de Dieu, c’est qu’il laisse surgir une liberté capable de le renier.

Il n’y a pas un seul homme qui n’ait une relation mystérieuse avec Dieu. Il n’y a pas un seul homme qui n’ait une aspiration à la bonté, un tressaillement devant la beauté, un pressentiment du mystère devant l’amour et devant la mort.

Le Christ ouvre tous les temps à l’éternité du Dieu vivant.

8. Jean Daniélou

Me laisser porter par la grâce vers la lumière de Dieu.

Dieu, c'est quelqu'un avec qui on peut entrer en relation comme de personne à personne. Les chrétiens possèdent le secret dernier des choses. Étonnant qu'ils n'en soient pas plus conscients.

"L'homme charnel ne comprend pas les choses spirituelles" (1 Co 2,14). Comment se dégager de cette écorce charnelle ? La vocation de l'homme est de comprendre et d'aimer les choses de Dieu. "L'homme charnel ne comprend pas les choses spirituelles". Donc ne pas s'étonner de l'incroyance.

L'homme a par nature un sens religieux. L'homme est par nature ouvert au sacré, au mystère, au monde de l'au-delà. Et il s'en rend compte davantage encore dans les situations-limites : l'affrontement de l'amour, l'affrontement de la naissance, l'affrontement de la mort, de la souffrance. Le sens religieux fait partie de la nature humaine. Les religions sont toutes une expression de la recherche de Dieu par l'homme. Les hommes ont toujours cherché Dieu. Et chaque religion est la manière dont les hommes d'une époque ou d'un pays ont vécu cette recherche. Il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour croire qu'il y a un Dieu.  - La foi chrétienne alors, qu'est-ce qu'elle a de particulier ou de plus ? Croire pour un chrétien, ce n'est pas croire seulement qu'il y a un Dieu, c'est croire que Dieu intervient dans l’existence humaine. C'est croire que Dieu a parlé à Abraham, qu'il a libéré son peuple d'Egypte, qu'il s'est incarné dans le sein de Marie, qu'il a ressuscité des morts l'humanité à laquelle il s'était uni, qu'il est présent au milieu de nous dans l'eucharistie. Croire, pour nous chrétiens, c'est accepter la Bible : Ancien et Nouveau Testament. C'est croire à une histoire de Dieu avec les hommes, une histoire qui se déroule dans le temps, c'est croire que cet événement divin ne peut être qu'unique et qu'il a une portée universelle.

Si on attendait d'être digne de Dieu pour parler de Dieu, qui oserait jamais parler de Dieu ? Toujours difficile de parler de Dieu. Ce que nous pouvons dire est toujours tellement déficient par rapport à ce qu'Il est. Ce que nous disons risque toujours d'être davantage un écran qu'une lumière. Les voix les plus autorisées sont celles des grands témoins.

Dieu, il est par excellence celui dont je ne peux disposer.

Le péché, c’est s’arrêter au monde des apparences, oublier d’aller au-delà, jusqu’à Dieu.

Origène disait qu’il est toujours dangereux de parler de Dieu. Pourquoi parler de lui comme si on le connaissait mieux que les autres, alors que tous le connaissent. Un petit enfant le connaît, et les plus grands mystiques ne le connaissent pas encore. Si l’on peut pourtant parler de Dieu, c’est parce que Dieu lui-même a parlé. "Dieu seul parle bien de Dieu". Car Dieu a parlé plusieurs fois. C’est un même Dieu qui se fait connaître aux païens et aux philosophes, aux Juifs et aux chrétiens. Sa révélation en Jésus-Christ est éminente et définitive.

La vocation de l’homme est de comprendre et d’aimer les choses de Dieu.

Le mystique est celui qui expérimente la réalité du Dieu vivant.

Pour saint Jean, le démon est le père du mensonge (Jn 8,44). Le démon est le grand illusionniste. Il nous pousse à donner de l’importance à ce qui n’a pas d’importance. Il nous fait vivre dans le monde de l’apparence et du paraître. Et c’est l’Esprit Saint au contraire qui nous affectionne aux choses de Dieu, qui introduit aux réalités souveraines.

Le premier trait qui caractérise le christianisme est qu’il est essentiellement foi à un événement, celui de la résurrection du Christ. Cet événement constitue une irruption de Dieu dans l’histoire qui modifie radicalement la condition humaine et constitue une nouveauté absolue. Or ceci distingue complètement le christianisme de toutes les autres religions.

9. Cardinal Lustiger

Le propre de l’Église est d'être ce qu'elle est par la grâce de Dieu. Elle est née du sang du Christ et elle est composée des pécheurs que nous sommes... L’Église n'a pas à vouloir se proposer comme signe. Quand l’Église veut se rendre elle-même signe, elle devient comédienne. C'est Dieu qui se sert de cette Église telle qu'elle est, y compris dans ses limites, pour en faire un signe. Et la tentation de l’Église-spectacle est tout aussi forte que celle de la politique-spectacle. C'est toujours malgré soi et sans le savoir que l'on devient signe de Dieu ! Dieu n'a pas besoin de comédiens pour se faire jouer ni de publicitaires pour se faire connaître. Dieu veut des saints. Il les choisit chez les pauvres et les humbles. Mais c'est lui qui les désigne. Et eux ne le savent pas.

Quand la foi est obscure ou qu'elle est broyée, c'est encore la foi. Croire en Dieu, c'est aussi entendre qu'il ne répond plus.

En pensant à autrui, il faut demander à Dieu pour nos frères, connus ou inconnus, et même nos ennemis, le meilleur de ce que Dieu leur destine, qu’ils le reçoivent et l’accueillent. Parce que c’est le meilleur. Et ce meilleur, au bout du compte, porte un nom : l’Esprit Saint. « Si vous qui êtes mauvais vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent » (Lc 11,13). Il faut prier Dieu pour qu’un cœur ouvert et disponible soit prêt à accueillir le don que Dieu veut faire à tout homme afin qu’il trouve sa vocation d’enfant de Dieu et y réponde.

Nous ne pouvons ni ne devons jamais dire : "J'ai raté ma vie". Même si bien des occasions ont effectivement été manquées, même si nous n'avons pas répondu à l'appel de Dieu parce que nous avons été distraits ou en situation de refus. La grandeur de notre vie d'homme est de ne trouver sa plénitude qu'en s'achevant dans un acte de liberté et d'amour. C'est la dernière note qui achève la mélodie. Tant que Dieu nous donne encore une parcelle d'existence à vivre, tant qu'il nous donne son amour, nous n'avons pas le droit de dire que notre vie est ratée. Et la foi nous fait espérer encore plus. Le dernier souffle de nos lèvres n'est pas le dernier mot de notre histoire. Dieu, en sa miséricorde, poursuit notre purification du péché.

Nous n’avons pas à faire passer l’Évangile comme si nous en étions les maîtres et comme s’il dépendait de nous que Dieu parle au monde. Nous n’avons pas à démontrer Dieu comme s’il attendait que nous ayons achevé notre démonstration pour paraître. Remercier Dieu d’être les témoins de l’espérance du monde, d’être les porteurs de l’unique secret sans lequel le monde apparaît une honteuse folie. Nous avons à prier pour que Dieu ouvre nos cœurs et qu’il se saisisse de nous afin de témoigner de sa puissance. Dieu ne veut pas faire de nous des marchands d’illusions. Dieu veut que, par sa grâce, nous soyons les témoins d’une espérance invincible.

L’homme n’est pas qu’une bête à boire, à manger, à regarder la TV. Dieu veut nous rendre attentifs à sa présence et nous faire découvrir par là même la vérité, la profondeur et la beauté de notre existence.

Nommer le bien et le mal, c’est une question de vie ou de mort, une condition nécessaire du bonheur et de la liberté. Le bien est une route qui s’ouvre à l’humanité en marche vers le bonheur à recevoir de Dieu. Le mal est un abîme où, d’un coup, l’homme bascule dans le néant.

Pour Dieu, aucun cœur n’a de secret. Dieu lui-même agit dans le cœur de tout homme et Dieu seul parle bien de Dieu.

Le propre des païens, c’est qu’ils ne savent pas que les ténèbres peuvent se transformer en lumière, que la mort peut être vaincue, par Dieu seul, la source de la vie.

Le chemin de la découverte de Dieu passe nécessairement par la prière. Dieu arrive comme un inconnu qui se dévoile à l’homme qui ne le connaissait pas. "Dieu, personne ne l’a jamais vu". Voir Dieu ne peut être qu’une ultime grâce, et cela est proposé comme une espérance. La Révélation se présente comme donnant accès à un Autre que ce que l’homme peut imaginer.

10. Abraham Heschel

Si Dieu est vivant, il nous faut présumer qu’il a son rôle à tenir dans nos efforts pour le comprendre. Sans son amour, sans son secours, l’homme est incapable de monter jusqu’à lui. L’homme est libre de chercher Dieu ou de l’ignorer. Seul celui qui s’efforce de se purifier lui-même reçoit l’assistance d’en haut.

Il existe des moments où Dieu est proche et où l'homme peut le trouver, tandis qu'à d'autres moments il demeure lointain et caché. Prier, ce n'est pas seulement chercher de l'aide, c'est aussi le rechercher, Lui.

Le temps viendra où les gens auront du mal à comprendre comment il a pu exister à une certaine époque des hommes qui, loin de tenir l'idée de Dieu pour la conception humaine la plus élevée, en ont eu honte, et ont considéré le développement de l'athéisme comme un signe du progrès de la pensée humaine vers son émancipation.

La Bible est une semence. Dieu est le soleil, mais nous sommes la terre. Bible écrite et tradition orale des rabbins : pas l'une sans l'autre. Il y a une tradition, qui se transmet d'âme à âme. Sans nos efforts incessants pour la comprendre, la Bible restera comme un chèque sans provision.

Faire partager cette certitude d’Israël que la Bible contient ce que Dieu veut nous faire savoir.

Nous devons d’abord scruter les ténèbres, nous sentir étranglés et ensevelis dans le désespoir de vivre sans Dieu, avant d’être prêts à ressentir la présence de sa lumière vivante.

Dieu a horreur du mensonge et de la dissimulation, surtout quand il est question de Lui.

Le plus sûr moyen de ne rien comprendre à la Révélation est de la prendre à la lettre, et d’imaginer que Dieu parle au prophète avec une espèce de téléphone.

L’homme ne peut trouver Dieu sans l’aide de Dieu. Mais sans la recherche de l’homme, cette aide n’est pas accordée. L’homme peut rechercher Dieu, mais il n’est pas en son pouvoir de le trouver. On peut se préparer à percevoir. C’est Dieu qui termine, mais nous devons commencer. Tout homme qui entreprend de se purifier reçoit une assistance d’en haut.

Dieu a laissé sa trace dans l’histoire. Dieu n’est pas toujours vague et évasif. Il s’est confié, quoique rarement, à ceux qui ont été choisis pour guides. C’est une erreur d’attendre Dieu comme s’il n’était jamais entré dans l’histoire. La Bible, c’est comme si le mystère en venait à s’exprimer.

Être sensible à l’enjeu infini de Dieu en toute situation finie, témoigner de sa présence aux heures où il se cache, donner le goût d’éternité à la vie quotidienne. Avoir le sens de la suprématie de l’éternel : cette conviction peut être engourdie, mais elle s’éveille si on la provoque.

La Bible est bâtie sur la certitude, dure comme roc, que Dieu a fait connaître sa volonté à son peuple.

Notre devoir n’est pas de renoncer à la vie, mais de la rapprocher de Dieu.

La souffrance est un chemin qui conduit à Dieu. Mais se rappeler que la joie aussi mène à Dieu. La joie de faire le bien est une des plus hautes expériences que puissent connaître les hommes.

11. André Neher

L’homme n’est pas libre de se soustraire à Dieu. La route de l’homme est cernée par Dieu. Quelle illusion de s’imaginer libre parce que la route est longue, parce que le paysage est vaste, parce que Dieu se cache dans l’invisible ou le lointain.

Le dialogue entre Dieu et l’homme n’est pas nécessairement sonore. La voix de Dieu, c’est parfois le silence. Ce dialogue n’est pas nécessairement lumineux. L’apparition de Dieu, c’est parfois son obscurité. Deux actes conjugués constituent la prophétie : celui de la révélation et celui de la communication. A travers le prophète, l’infini cherche à pénétrer dans le fini, l’éternité se fraie une voie vers le temps. C’est par ce ce travail de la prophétie que l’absolu se livre en termes relatifs. Dieu se révèle à l’homme pour chercher sa communion.

La caractéristique de l’amour dans la Bible, c’est que les hommes sont appelés à aimer Dieu. C’est une note qu’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est comme si Dieu, par sa révélation, révélait qu’il lui manquait d’être aimé par la créature. Israël a été élu, non pas uniquement parce que Dieu l’aime, mais parce que Dieu attend d’être aimé par lui.

Le rendez-vous de Dieu avec un seul peuple (Israël) permet à Dieu de les rencontrer tous.

12. Maurice Zundel

Si Dieu n'est pas la vie de ta vie, ce n'est qu'une illusion.

Il se peut qu’une femme illettrée, un homme absolument ignorant, pénètre beaucoup plus profondément le dogme que le pape ou les évêques s’ils sont unis à Dieu de manière plus profonde et plus intense.

Je ne connais pas de manière plus sûre de tuer Dieu (dans les cœurs) que ces agressions vertueuses où l’ignorance et l’oubli de nos propres déterminismes nous induisent à infliger aux autres un avertissement qu’ils ne demandent pas et dont ils sont incapables de profiter. Ils demeureront tout entiers bloqués tant que le respect d’un amour silencieux n’aura pas ouvert une brèche dans leur amour-propre. La plus belle source d’espérance, c’est la faiblesse de Jésus-Christ.

Nous sommes bipolaires. Nous avons un pôle qui nous ramène à notre égocentrisme mortel et un pôle d’attraction divine qui de temps en temps nous permet d’émerger, de nous perdre de vue dans un élan d’amour vers le Dieu vivant.

Aimer, c’est vouloir passionnément la grandeur de l’être qu’on aime, et personne ne veut plus passionnément notre grandeur que Dieu lui-même puisque le prix qu’il en a payé, c’est sa vie offerte sur la croix.

13. Adolphe Gesché

L'homme est candidat à l'infini, à l'infinité de l'être, à l'infinité de la vie. Et il appartient à la nature de l'être humain d'espérer par-delà la mort. L'aventure d'éternité consiste dans le partage de la vie de Dieu. L'éternité, c'est Dieu, et c'est cela qui est promis en partage à l'homme. Par la création, Dieu nous a convoqués dans l'être ; par l'éternité, il nous convoque pour être avec lui. L'éternité, c'est Dieu qui poursuit "tout simplement" la logique de sa création.

Dieu n'est pas tant offensé par ce qui serait une atteinte à ses droits que par ce qui est une atteinte à notre destinée.

Le salut consiste à sauver l'être humain d'une solitude, et surtout à sauver l'homme d'être sans destin, sans Dieu, sans au-delà, d'être seul.

J'appelle vrai Dieu, non pas celui qui ne fait rien, mais ce Dieu fragile et blessé, en même temps que fort et fidèle, me prenant un jour doucement par la main pour me dire en secret, comme un secret d'enfant, ce que je suis à ses yeux et pour lui.

Quelle est notre espérance ? Le monde ne peut être absurde. La personne ne peut être étouffée. Les morts ne peuvent pas perdre toute existence. L’histoire ne peut être sans fin. L’espérance rappelle à l’homme tout à la fois sa dignité et sa fragilité : l’homme n’est pas le centre de tout, il a à se recevoir d’un Autre. L’espérance nous redit que nous ne pouvons pas mettre la main sur Dieu. Il ne nous est pas permis de réduire Dieu à nos propres utilités. Dieu est à la recherche de l’homme. L’espérance de Dieu, c’est que le don qu’il offre à l’homme puise être accueilli. Dans le christianisme, l’aboutissement de l’espérance appartient à Dieu. Il n’est pas pour cette terre.

Quand on croit en Dieu, on doit désirer de toutes ses forces que l’idée qu’on se fait de Dieu soit la plus juste possible, corresponde au plus près à la réalité et ne soit pas compromise par toutes les projections de nos fantasmes : il y a trop de gens qui se disent croyants et qui limitent Dieu à leurs besoins ; on pense à lui quand on en a besoin, quand on est dans le besoin ou le malheur. La foi a tout à gagner à être débarrassée de tout ce qui en elle n’est pas authentique.

Il n'est pas au pouvoir de l'homme de prouver Dieu, du moins est-il à la mesure de son effort de se rendre capable de Dieu. C'est bien nous qui faisons à Dieu le geste de notre offrande, mais pour qu'il s'offre à nous.

L’homme, même croyant, ne doit pas se décharger sur Dieu de ce qui lui revient de faire.

Si Dieu est Dieu, il n’a besoin de rien pour exister pleinement. Il est, un point c’est tout. Et si donc Dieu crée, ce n’est pas par besoin, par nécessité ; la création est un acte libre de Dieu, elle est un pur don, quelque chose qu’il offre en pleine surabondance. Mais une fois que Dieu a créé, il est concerné, touché par sa création. Dieu se pose en donateur vulnérable. Il dote sa créature d’une capacité de le toucher.

Même quand il s’agit de Dieu, nous devons garder "l’élégance du peu". "Le nombre de notes nécessaires, pas une de plus", disait Mozart.

L’homme s’est plus vite débarrassé de Dieu que du mal. Mais dissipée l’illusion de Dieu, reste la réalité du mal, partout présente et agissante. La science est aveugle, sourde et muette, quant au drame humain ; au nom de ses principes, elle dit : ce n’est pas son domaine. Elle n’étouffe, ni n’apaise les cris qui montent. S’il n’y a pas d’au-delà, l’homme pourrait bien entrer en désespérance et se suicider.

Dieu n’est pas un fonctionnaire préposé à notre bonheur. Même si l’homme est un être fait pour le bonheur.

"Toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable" (Pascal). Il y a des gens qui croient qu’il n’existe pas alors qu’il n’est que caché. Dieu n’est pas une idole éblouissante et fascinante. On ne trouve pas Dieu dans l’évidence d’un orage ou d’une tempête mais dans le murmure d’un léger froissement de vent (1 R 19,11-13).

Le meilleur nom de Dieu, c’est celui de Bonté, qui exprime la logique du don. Dieu, qui est la source universelle, aime toutes choses. Dieu n’est pas envieux. Et il faut remonter vers Dieu comme bonté par des prières, comme quelqu’un qu’on admire.

14. Cardinal Martini

On projette souvent sur Dieu notre piètre idée de la bonté : il devrait être un grand bienfaiteur qui offre à l'homme tout ce qu'il désire, réglant les choses à sa place et le dispensant de toute peine et de toute souffrance. Un Dieu qui offre la maison, l'argent, le travail, la santé, etc... Il faudrait lire la Bible avec sérieux et attention... Il y a la liberté de l'homme de recevoir ou de refuser Dieu... L'amour de Dieu n'exclut pas la colère, une colère qui exprime la douleur de Dieu à l'égard du péché que commet l'homme en s'éloignant de lui,... une colère qui tend toujours à tout retrouver dans l'amour.

La Bible est remplie de récits de gens qui refusent la Parole de Dieu, qui la rejettent. Donc l’Écriture est une Parole qui raconte ses propres défaites... Les relations entre l'homme et Dieu sont orageuses.

L'exemple le plus frappant de l'inattendu de Dieu dans le Nouveau Testament, c'est ce qui se passe en Marie quand elle ne comprend pas que son Fils décide de rester dans le temple. Elle a tout imaginé sauf ce qui est arrivé, et ce qui arrive fait partie des manières d'agir de Dieu auxquelles on ne s'habitue jamais. Dieu qui est surprenant même pour Marie, la créature la plus préparée à le comprendre.

Même si Job n'arrive pas à comprendre le comportement de Dieu face à sa propre souffrance, il a la conviction que Dieu est quelqu'un à qui on peut parler. Ou plutôt, il est le seul auquel on puisse parler à certains moments décisifs de sa vie parce que, dans les profondeurs insondables de son être, se cache une mystérieuse capacité d'écoute et d'intervention, dépassant toute attente et toute compréhension humaines. Job confesse ouvertement sa certitude que Dieu interviendra : "Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière" (Job 19,25). Tout à fait à la fin du livre, Dieu se présente comme le Dieu toujours imprévisible, indicible, sans appel, non comme une menace sur la vie de l'homme, mais plutôt au sens d'un amour qui a créé la vie et la recrée en permanence.

Dieu se manifeste aussi bien dans la réussite que dans la faillite, selon son bon plaisir.

Tout homme est appelé à aimer, à se dévouer, à se dépasser lui-même, à monter vers le mystère de Dieu. Dieu est le Dieu de l'humanité entière. Il pénètre le cœur des hommes de toutes les religions, de toutes les races et de tous les temps.

Jésus nous apprend à penser de manière large. Il s’étonne de la foi des païens. Ce n’est pas un prêtre qu’il présente comme modèle, mais l’hérétique, le Samaritain. Lorsqu’il est cloué sur la croix, il accueille encore le malfaiteur au ciel. L’homme, et de même l’Église, risquent toujours de se poser en absolu. Dieu est au-delà des limites et des limitations que nous construisons. Nous avons certes besoin de celles-ci dans notre vie, mais nous ne devons pas les confondre avec Dieu dont le cœur est toujours plus large. Dieu ne se laisse ni domestiquer ni apprivoiser. Pour assurer cette largeur, pas de meilleur moyen que de lire et relire encore et toujours la Bible. Dieu nous entraîne au loin pour peu que nous écoutions Jésus. Il nous enseigne à penser de manière large.

Nous sommes appelés à vivre contents de Dieu, c’est-à-dire à pardonner à Dieu de nous avoir faits tels que nous sommes, de nous avoir mis là où nous sommes.

15. Jeanne Bourin

Jeanne Bourin a retrouvé Dieu à 40 ans. Elle écrit ceci : "Mon père, que j'aimais beaucoup, était hélas athée, avec une sorte de volonté crispée à se prouver que Dieu n'existait pas. Ma mère avait la foi du charbonnier, mais elle était tyrannique et violente, si bien qu'en philosophie j'ai abandonné tout rapport avec la foi. La mariage n'a rien changé. - Petit à petit, à travers des lectures, je me suis reposé des questions, et une nuit j'ai fait un rêve. J'étais assise près d'un mort et il avait mis sa main sur la mienne. Ma main était froide et la sienne était chaude. Je me suis réveillée en disant : Dieu existe. Je suis allée voir un prêtre et j'ai fait ce qu'il m'a dit avec un enthousiasme incroyable : prières, lectures, confession, communion. Entre Dieu et moi, il y a eu une espèce de passion... qui dure.

16. Paul Evdokimov

Dieu court ce risque suprême d'une liberté capable de le mettre lui-même en échec, de l'obliger à descendre dans la mort. Il se laisse librement assassiner pour offrir aux assassins le pardon et la résurrection. Sa toute-puissance, c'est de faire place à la liberté humaine. Dieu lui-même garantit la liberté de doute afin de ne pas violer les consciences.

Dieu se donne aux hommes selon leur soif : à certains, qui ne peuvent boire davantage, il ne donne qu'une goutte, mais il aimerait donner des ondes entières afin que les chrétiens puissent à leur tout désaltérer le monde.

La révélation de Dieu est progressive, car Dieu ne veut contraindre personne et il tient compte de la réceptivité humaine. Ce que les disciples de Jésus ne pouvaient supporter se révèle maintenant dans l'expérience vécue de l’Église. Ce ne sont pas de nouvelles révélations, mais l'explicitation des allusions et des silences des Écritures. "Nous pensons à Dieu pauvrement".

On ne peut rien prouver rationnellement au sujet de Dieu, ni convertir personne par des arguments, car on ne peut jamais le faire à la place de Dieu, on ne peut jamais soumettre Dieu à la logique des démonstrations.

Pour les athées, l’existence du mal est une preuve contre l'existence de Dieu. Pour Berdiaev, c'est juste le contraire : l'existence très réelle du mal et de la souffrance des innocents est la preuve la plus éclatante de l'existence de Dieu. Le monde qui tue Socrate le juste et crucifie le Christ n'est pas le seul et vrai monde, il témoigne de l'existence d'un autre monde où Socrate est de nouveau jeune et beau éternellement, et où le Christ est roi sans partage et ami des hommes. Le mal en lui-même n'enrichit pas la vie, mais toute victoire sur le mal est un pas en avant vers l'expérience du bien.

Dieu a la toute-puissance de naître comme Dieu, comme il a la toute-puissance de mourir en Christ comme Dieu.

Il fallait toute la sottise des cosmonautes marxistes pour chercher Dieu et les anges parmi les galaxies.

Dostoïevski a dessiné le sourire du Père. Tout le mystère du Dieu chrétien se tient dans ce sourire. Dostoïevski nous fait comprendre que nous aurons toute notre éternité pour contempler ce sourire, toujours nouveau comme le matin du premier jour de la création.

Dieu a une pensée sur tout être humain. L’homme est libre de la réaliser ou de la refuser.

Si Dieu existe, l’homme n’est pas libre, pensait Sartre. Il faut dire juste le contraire : Si l’homme existe, c’est Dieu qui n’est plus libre. L’amour de Dieu pour les hommes est un amour immolé.

Un saint disait à un enfant : Vois-tu, si tu pouvais jouer avec le Seigneur, ce serait la chose la plus énorme qu’on eût jamais faite. Tout le monde le prend tellement au sérieux qu’on le rend mortellement ennuyeux. Joue avec Dieu, mon fils. Il est le suprême compagnon de jeu.

Il se peut que l’athéisme moderne soit une providentielle et urgente exigence à épurer l’idée de Dieu.

Saint Isaac le syrien disait que tous les péchés des hommes ne sont que de la poussière au regard de Dieu, sauf un seul, l’unique, le péché : celui d’être insensible au Ressuscité, fermé à la lumière de la résurrection du Christ.

Le royaume de Dieu ne fait entendre qu’un appel à la communion, qu’une invitation au banquet.

L’enfer n’est pas autre chose que le lieu où Dieu est exclu. Et cet enfer, nous le connaissons vraiment, c’est le monde moderne en rupture avec Dieu et bâti sur son refus.

L’Ancien Testament manifestait le vrai Dieu mais ignorait le mystère du Dieu crucifié et ressuscité.

C'est dans notre monde de télévision, d'internet, d'ultrasons, de voyages interplanétaires, dans ce monde à la fois athée et croyant, paradisiaque et infernal, mais toujours aimé par Dieu, que l'homme est appelé au miracle de la foi et à témoigner parmi les hommes.

Saint Grégoire de Nysse donne ce nom à Dieu : "Celui qu'aime mon âme".

L'humilité est l'acte qui place l'axe de l'être humain en Dieu. Elle est la victoire sur l'égocentrisme hystérique et l'amour-propre. Personne ne peut forcer et obliger à être humble, c'est un acte de la liberté de l'esprit, le déplacement du centre en Dieu.

Dieu ne peut forcer personne à l'aimer (adage des Pères). Dieu persuade ni par la puissance, ni par la force, mais par son Esprit.

17. Dimitri Doudko

C'est à l'époque où les premiers cosmonautes russes sont revenus de leur expédition en disant que Dieu n'existait pas puisqu'ils ne l'avaient pas rencontré là-haut... A l'école, une institutrice, pour démontrer que Dieu n'existe pas, avait rapporté ce témoignage des cosmonautes. A quoi un garçon de six ans a répondu : "C'est qu'ils volaient trop bas".

Personne n’est inattendu chez Dieu.

L’incroyance est une terrible maladie et il faut souhaiter que Dieu aide tout le monde à s’en défaire. Et celui qui est incroyant aujourd’hui peut devenir demain le meilleur des croyants. Il est facile de devenir athée et bien plus difficile d’être croyant.

Un homme qui croit en Dieu ne demande pas de miracles. Cependant nous ne rejetons pas les miracles qui se produisent et nous les considérons comme un encouragement de Dieu.

18. Alexandre Men

Qu'est-ce que c'est être sauvé ? Unir sa vie éphémère, temporelle, limitée, à l'immortalité et à Dieu. La soif de cette communion vit en nous, en chaque homme. Elle est cachée, latente. Nous pouvons la refouler dans un coin, au plus profond de nous-mêmes, elle n'en existe pas moins en chaque homme.

Le royaume de Dieu, c’est quand Dieu règne dans votre âme. Quand il règne, tout prend un autre aspect – tout, c’est-à-dire les joies et les peines de cette vie –, une autre couleur, une autre teinte, un autre sens.

Respecter le dimanche, c’est émerger de la banalité du quotidien pour se tenir devant Dieu et lui donner une part de son temps. Ce n’est pas si facile.

Dieu veut faire de nous ses enfants. Il ne veut pas nous laisser végéter dans la poussière comme l’herbe fanée, les feuilles d’automne, les détritus sur la route dont personne n’a besoin. Le Seigneur chérit chaque âme. Il veut l’élever vers le Royaume des cieux, dès ici-bas, dès cette vie.

Le regard de Dieu est fixé sur chaque âme, chaque destinée. Il nous attend. Il nous questionne. Il nous bénit et il nous sauve tous.

Dieu ne nous donne rien de force, il donne librement. C'est pour cela qu'il parle à voix basse, c'est pour cela qu'il s'approche d'une façon toute différente de quelqu'un qui veut acquérir la popularité. Il essaie d'accomplir ses miracles sans se faire remarquer.

Le Notre Père est peu semblable à ce que nous trouvons habituellement dans notre cœur. Quelle est notre prière ? "Donne ! Donne ! Que ma volonté soit faite !" Nous voulons toujours quelque chose pour nous : je veux devenir fort, je veux être débarrassé de situations pénibles, je souhaite réussir ma vie, que mes enfants ne connaissent pas de revers, etc. Il n'est pas dit que nous devons nous souhaiter du mal : ce ne serait pas normal. Mais le Christ nous enseigne que Dieu est la source de tout bien. Et donc notre prière doit commencer par les mots : "Que ta volonté soit faite". Il n'est pas question de notre volonté humaine, d'un avantage ou d'un désir humain, mais que s'accomplisse sa volonté à lui. C'est de cela que parle cette prière.

Dans la vie de tous les jours, nous avons de nombreuses occasions de nous tourner mentalement vers le Seigneur. Le repos, les promenades dans la nature, la lecture, les rencontres, même le travail, tout cela nous donne la possibilité d’élever nos pensées vers Dieu. Nous devons essayer de cultiver en nous le sentiment de nous trouver en permanence devant la face du Père.

Bien des gens pensent que si le Créateur du monde manifestait sa force à tous les athées, à tous les méchants et à tous les blasphémateurs en jetant sur eux ses foudres, il les convertirait, les rendrait raisonnables. En réalité, il n’en est rien. L’expérience montre que l’homme accueille la foi ou la rejette intérieurement, et les miracles n’y sont pour rien. Beaucoup de gens ont vu des choses extraordinaires, mais leur cœur n’a pas été touché, tandis que d’autres, qui n’ont rien vu, ont cru et sont appelés bienheureux : "Heureux ceux qui croient sans avoir vu".

La prière est une chose normale, elle est le but de la vie chrétienne. Cela ne signifie pas que le croyant doit répéter tout le temps des prières, cela signifie qu'il se trouve constamment devant la face de Dieu : qu'il rie ou qu'il pleure, qu'il soit fatigué ou dispos, qu'il soit dans la tristesse ou la joie, il a toujours conscience de la présence de Dieu.

Le cœur de la religion, c'est le lien entre Dieu et l'homme.

19. Marie-Dominique Chenu

Dieu est amoureux des hommes. Écoute ce qu'il dit par son prophète : "Crie de joie, Israël, ris de tout ton cœur. Le Seigneur est au milieu de toi, il danse et crie de joie à cause de toi" (Sophonie). Je sais qu'il nous aime, mais je ne peux pas savoir comment un Dieu comme notre Dieu nous aime, nous, sa création. Parce que je ne sais pas qui est Dieu, je ne peux pas le faire entrer dans ma petite tête.

20. François Varillon

Toute l'histoire de la révélation est la conversion progressive d'un Dieu envisagé comme puissance à un Dieu adoré comme amour. Dieu n'est qu'amour. Aimer quelqu’un, c'est lui dire : "Tu es tout pour moi ; hors de toi, je suis pauvre. Ma richesse est en toi". Si un enfant est malade, la maman ne vit plus, tellement elle est inquiète, tellement elle dépend de son enfant. - Dieu est le plus dépendant de tous les êtres. Nous cherchons Dieu dans la lune alors qu'il est en train de nous laver les pieds. Dieu est certes plus grand que nous, mais surtout en amour et en humilité. Il n'a aucun besoin de prestige. Nous, nous sommes forts en dominant ; Dieu, lui, est fort en se faisant serviteur.

La création est peut-être le plus mystérieux des mystères chrétiens. L'acte créateur est l'acte par lequel Dieu se retire, s'efface pour laisser surgir des libertés qui ne sont pas lui. "Dieu a fait l'homme comme la mer a fait les continents, en se retirant" (Hölderlin). C'est vrai et c'est faux. Dieu reste présent à sa créature. Quand Dieu me crée, il me donne le pouvoir d'être moi-même et par moi-même... Dieu n'est pas un concurrent qui menace notre liberté. Dieu se renonce, Dieu se retire pour que nous existions par nous-mêmes. Il n'y a rien de plus divin que ce renoncement de Dieu.

Si l’on pouvait analyser ce qu’il y a dans l’esprit d’un certain nombre de chrétiens mal éduqués, on s’apercevrait qu’ils se disent tout bas : "Qu’est-ce que Dieu mijote là-haut dans son ciel ? Qu’est-ce qu’il me prépare ? Du bonheur ou du malheur ? De la santé ou de la maladie ? Du succès ou de l’échec ?" Par intérêt et par peur, je vais donc le prier de ne rien mijoter de désagréable contre moi. Jusqu’au jour où la tentation surgit d’exorciser radicalement la menace en disant tout simplement : "Il n’y a pas de Dieu tout-puissant" . C’est alors l’athéisme… On ne dit pas dans le credo : "Je crois en Dieu tout-puissant", mais : "Je crois en Dieu le Père tout-puissant".

Nous ne sommes pas pour Dieu un sujet de curiosité. Nous ne sommes pas pour Dieu un spectacle. Le regard de Dieu sur nous n’est pas celui d’un spectateur. L’œil était dans la tombe et regardait Caïn (Hugo). On déforme les petits enfants en leur disant que Dieu voit tout. Le regard qui viole, c’est affreux. Dieu n’est pas cela, à aucun degré. Il n’est pas le regard curieux, inquisiteur, le regard qui fouille, le regard qui juge, le regard qui blesse, le regard méprisant. Le regard de Dieu sur moi, c’est le regard qui me crée. Nous exercer à regarder Dieu avec un regard plein de respect en réponse à son regard de respect.

Que ton Nom soit sanctifié ! Est-ce que vraiment Dieu nous intéresse ? Les musulmans connaissent l'adoration. Il faut les voir immobiles. Ils se courbent ensuite devant une transcendance qui écrase. Pour le chrétien, il peut faire cela aussi s'il le veut, quand il est retiré dans sa chambre tout seul, il peut s'agenouiller, immobile, et se courber devant Dieu. Mais il peut accueillir aussi l'étreinte de Dieu, le baiser de Dieu : Dieu notre Père.

La Révélation ne résout pas tous les problèmes, toutes les questions, toutes nos curiosités. La Révélation ne se situe pas au plan de l'explication des choses, elle éclaire notre marche vers Dieu, ce qui est différent. La Révélation nous dit quelque chose de Dieu et quelque chose de l'homme dans la mesure où cela est nécessaire à la vérité de notre relation vivante, réelle, avec Dieu.

C'est quoi le ciel ? C'est Dieu. Le ciel n'est pas une chose, ce n'est pas un domaine. C'est quelqu'un, c'est Dieu. Le ciel, c'est la Trinité. Tout ce que l’Écriture dit du ciel est imagé. "Jésus-Christ est monté au ciel". On ne peut pas parler autrement. On ne va pas imaginer Jésus-Christ au fond d'une puits ! Il n'est pas davantage derrière les étoiles. Il est monté aux cieux : il est entré dans le monde de Dieu.

La religion est vie, non pas matière à discussion. Dieu ne répond pas à la pure curiosité de l’esprit. La foi est un acte par lequel l’homme s’en remet à Dieu.

Dieu lui-même ne peut rien devant une liberté qui se ferme à l’amour. Le châtiment ne vient pas de Dieu, il vient du dedans, comme celui qui ferme ses volets et qui, du même coup, est privé de la lumière du soleil.

On dit parfois : "Dieu peut tout !" Non, Dieu ne peut pas tout. Dieu ne peut que ce que peut l’amour. Et toutes les fois que nous sortons de la sphère de l’amour, nous nous trompons sur Dieu et nous sommes en train de fabriquer je ne sais quel Jupiter.

Le mystère (dans les choses de Dieu), ce n’est pas quelque chose qu’on ne peut pas comprendre, c’est ce qu’on n’a jamais fini de comprendre, ce qui est très différent.

Celui qui s’arrête de penser quand il en va de l’essentiel, de Dieu, en vient très vite à penser de façon rétrograde. Platon disait qu’il faut chercher le vrai avec toute son âme. Quand on s’arrête de chercher le vrai avec toute son âme, on se condamne à vivre à la surface de soi-même et on demeure étranger à la joie, dont il est tout de même difficile de nier qu’elle est notre vocation la plus profonde. Nous sommes fait pour la joie.

Il n'y a pas de rencontre de Dieu si Dieu ne vient pas. Et pour que cette rencontre avec Dieu soit réelle, il faut que l'âme se reconnaisse comme étant essentiellement une faculté d'accueil d'un Autre. Le propre du Transcendant est de tout transcender, y compris ma profondeur la plus profonde. Il est vrai que Dieu est au-delà, non pas de l'espace ou dans les nuages – ce qui est infantile -, mais dans l’intériorité de l'âme ; précisément il est au-delà. Le fond de soi, c'est encore soi, ce n'est pas Dieu. Attendre que l'Autre révèle son mystère et donne son amour, comme l'Ami à son ami. Le Transcendant n'est pas à la mesure de nos propres forces.

Dire que Dieu est amour, c'est dire qu'il est mouvement vers nous pour que nous l'accueillions.

La foi est essentiellement libre. Elle est liée à la bonne volonté. C'est à l'être moral que Dieu s'offre, non point à la seule raison. Un Dieu qui se présenterait à l'intelligence de l'homme de telle manière qu'il suffirait de raisonner correctement pour adhérer à lui ne serait point le Dieu vivant, mais une idole. Il n'y a pas de connaissance de Dieu sans conversion du cœur.

21. André Manaranche

Le riche (le mauvais riche) est plus difficilement ouvert à l'imprévisible de Dieu. On peut être aussi un mauvais pauvre, et tout aussi peu ouvert à l'imprévu de la grâce. On peut tout acheter avec de l'argent, sauf une survie. Et le milliardaire meurt comme le clochard.

Il y a tant de gens qui admettent connaître l’existence de Dieu et qui ne le prient jamais.

Dieu tient compte de la bonne volonté et de la droiture de chacun. Ce qui est inquiétant, ce sont les hommes dans la mesure où ils risquent de passer à côté du puits et de s'égarer dans les mirages.

Il est très dangereux d'étudier Dieu sans le prier, de parler de Dieu sans lui parler.

22. Jacques Maritain

Si les gens savaient que Dieu souffre avec nous et beaucoup plus que nous de tout le mal qui ravage la terre, bien des choses changeraient sans doute et bien des âmes seraient libérées.

23. Élie Wiesel

On peut se dresser contre Dieu, on ne peut vivre sans lui.

"L’enfant qui dort, la mère qui le caresse, le vieillard qui écoute les bruits des arbres : de chacun Dieu est proche, en chacun Dieu est présent" (Sagesse juive).

24. Claude Tresmontant

L'homme est un animal, réellement, qui a sa place au sommet de la série des espèces vivantes... C'est le cerveau le plus compliqué qui existe sur notre planète. Mais cet animal est appelé à une transformation ultérieure qui fera de lui un être capable de prendre part personnellement à l'éternité de Dieu.

Le message le plus révolutionnaire qu'Israël ait apporté au monde est que Dieu aime sa créature. La création apparaît comme un don. Toute l'histoire de la création d’Israël est pensée par les auteurs bibliques et par les prophètes comme une histoire d'amour : amour paternel, amour maternel, amour de l'homme pour sa femme. Le Cantique des cantiques donne la clef de toute l'histoire d’Israël. - Le sens de la création est donné par Dieu, mais l'homme peut l'infléchir et il ne s'en prive pas. L'histoire est constituée par l’œuvre conjointe de deux libertés : liberté créatrice du Dieu incréé, liberté de l’homme créé. L'homme peut coopérer, mais il peut aussi détruire. Le péché apparaît avec cette création d'un être à l'image de Dieu. L'homme coopère à sa propre genèse avec les possibilités d'échec que cela implique.

L'homme est capable de connaître Dieu. C'est à cela qu'il est destiné.

Le mystère, c'est ce que l'homme ne saurait connaître sans révélation. Le grand mystère, c'est que l'homme doit participer à la vie même de Dieu. "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ".

Le prophète, c’est l’homme par lequel Dieu communique son message, quelque chose que l’homme, par ses seuls moyens, ne pouvait pas découvrir et connaître. La révélation, c’est la communication du secret de Dieu.

L’Église, c’est Israël ouvert à toutes les nations qui viennent chercher la connaissance du Dieu vivant .

L’expérience de ceux qui ont accompagné Jésus sur les routes de Galilée était double. Cet être est certainement un homme à tous égards : anatomiquement, physiologiquement, psychologiquement, etc. Mais il n’est pas seulement un homme. Il est capable d’enseigner une science qui ne peut venir que de Dieu. Il est capable de guérir, ce qui est l’œuvre même du Créateur. Il est capable de se manifester vivant après la crucifixion.

La sainteté, c'est une relation d'amitié avec Dieu. C'est à cela que les chrétiens, et tous les hommes, sont appelés.

25. Macaire l’Égyptien

Devenir par grâce ce que Dieu est : amour, joie, paix, bienveillance et bonté.

26. Jean Duchesne

La foi n'est pas un outil que l'on sort de son tiroir seulement lorsque le contexte nous y invite. C'est bien plutôt un état de veille, où l'on garde conscience de rester sous le regard de Dieu, toujours disponible.

Scandale d'une divinité qui s'anéantit elle-même en se faisant bébé et en subissant une mort ignominieuse. Mais si Dieu est Dieu, aucune initiative ne lui est impossible, en tout cas pas celle de se révéler en plénitude. Et parce que Dieu est Dieu, sa puissance n'est pas violence ; elle découle d'un amour qui dépasse infiniment ce dont sont capables les humains dans ce qu'ils ont de meilleur.

La religion de Jésus-Christ est sans doute la seule qui propose à ses adeptes non pas simplement le salut, mais encore l’intimité avec Dieu dès ici-bas.

L’homme est bien plus qu’une espèce animale particulièrement dominatrice parce que chacun y est unique aux yeux de Dieu et invité à entrer avec lui dans une relation singulière.

27. Louis Bouyer

A Moïse, Dieu s'était révélé dans les tonnerres et l'ouragan de feu. A Élie, accablé mais creusé jusqu'au fond du cœur par l'épreuve de la foi persévérante,... à Élie, c'est quand est passé tout cela – les tonnerres et l'ouragan de feu -, c'est quand tout cela est passé, que dans un léger, indicible murmure la présence de Dieu, plus exactement son passage, se révèle, et c'est alors que le prophète se prosterne et adore.

Il y a une nostalgie de Dieu qui ne cesse de sous-tendre toutes les activités de l’homme, même celles qui paraissent d’abord s’éloigner le plus de lui. La grâce prévenante de Dieu ne se lasse pas de rechercher l’humanité à travers toutes son histoire. Le Christ ne cesse de lui ouvrir ses bras, l’Esprit ne cesse de la pousser sans jamais la contraindre.

Toute vie humaine doit apprendre ce dépouillement radical qui consiste à se remettre entre les mains de Dieu.

L’homme est capable de Dieu puisqu’il procède de lui et qu’il est destiné à aller vers lui.

Il est un point qui ressort progressivement des écrits de l’Ancien Testament, pour devenir central dans l’enseignement du Christ et des apôtres, c’est que l’homme est destiné à rencontrer Dieu.

Quoi que nous fassions, bon gré, mal gré, nous sommes conduits à cette rencontre inéluctable avec Dieu qui est le terme et la signification de notre existence. Nous n’avons été créés qu’en vue de cette rencontre avec Dieu qui viendra nous juger.

La Parole de Dieu n’est pas faite pour satisfaire une curiosité frivole, mais toujours pour nous conduire à ce salut qui ne se trouve que dans la rencontre avec Dieu et l’union avec lui.

Jamais nous n’aurions pu parvenir, fût-ce par la seule pensée, jusqu’à la vie intérieure de Dieu, s’il n’avait voulu nous l’ouvrir par sa Parole, pour autant qu’il veut nous y introduire et nous y associer.

Si on nous offre une relation vivante avec un Autre qui est Dieu, il faut s'attendre à des mystères.

Toute la mystique est en germe dans la foi vivante. Newman : "Je ne veux rien sinon parler avec toi, juste pour parler. Je souhaite entretenir avec toi une communion consciente". Le développement d'une relation personnelle avec Dieu est le but le plus élevé de la vie humaine.

28. Catherine Chalier

Compréhension juive du sacrifice : c'est une manière de se rapprocher de Dieu en lui offrant ce qu'on a de meilleur.

Chercher dans la Bible une rencontre avec Dieu qui s’y cache et s’y révèle.

Le converti, c’est quelqu’un qui a perçu dans la foi, dans la communauté chrétienne, dans les livres, la trace d’un Dieu qui le cherche.

29. Karl Rahner

Aider les autres à faire l'expérience immédiate de Dieu, les aider à découvrir que l'incompréhensible mystère que nous appelons Dieu est proche, que nous pouvons nous adresser à lui, qu'il nous rend personnellement heureux quand nous ne cherchons pas à nous le soumettre, mais que nous nous confions à lui sans condition.

L’Église a le courage de s’affirmer comme le lieu exclusif de la révélation historique de Dieu. En elle seule, on peut atteindre le Dieu libre d’une révélation unique. Il y a une différence essentielle entre le christianisme et toutes les autres formes de religions. L’une des attitudes les plus essentielles de la vie d’un homme est de chercher à savoir si le Dieu vivant a prononcé, dans un point précis de l’histoire humaine, la parole décisive qui dit son être personnel.

30. Jean-François Gosselin

La vie éternelle, ce n'est pas autre chose qu'être en Dieu. La révélation de Dieu, c'est l'irruption de l'éternité dans le temps, c'est l'éternité de Dieu qui se manifeste et se rend présent dès maintenant dans notre vie... La vie en abondance commence dès ici-bas... La foi, c'est une communion... La foi est d'abord une affaire de confiance et non pas de peur. La foi, c'est comme l'amour, c'est un apprentissage, un apprentissage de la confiance en Dieu, qui dure toute la vie.

A la base de toute démarche de foi : Dieu peut-il donner un sens à ma vie ? Peut-il se révéler être une force capable de porter mon existence ? La révélation est avant tout la révélation du sens de l'existence. Dieu est celui qui donne sens. Dans l'acte de foi, il y a une rencontre de Dieu (qui désire le salut de l'homme et pour cela envoie son Fils) et de l’humanité qui aspire au salut.

31. Sta rets Silouane

Croire en Dieu est une chose ; le connaître en est une autre.

Dieu est humble, et celui qui veut atteindre Dieu doit acquérir l'humilité.

Sans Dieu, l’âme ne trouvera jamais la paix… "Rares sont les âmes qui te connaissent, rares sont les hommes avec qui l’on peut parler de Toi".

Dieu ne fait aucune violence à l'homme, mais patiemment il se tient à la porte de son cœur, attendant humblement le moment où le cœur s'ouvrira à lui. Dieu lui-même cherche l'homme avant même que l'homme ne recherche Dieu.

32. Saint Ephrem

Pour celui qui n'a pas soif de Dieu, Dieu reste caché. Celui qui a de la haine pour Dieu trouve que Dieu est vide.

Avant toute lecture (de l’Écriture), prie et supplie Dieu pour qu’il se révèle à toi.

33. Alexandre Schmemann

Le péché essentiel, l'obstacle majeur, sur le chemin qui mène à Dieu, c'est l'endurcissement du cœur.

L’homme est toujours appelé à choisir entre deux voies : suivre Dieu ou avancer sans Dieu, ce qui revient à dire marcher contre lui.

La joie est le fruit indubitable de notre perception de la présence divine. On ne peut pas savoir que Dieu existe et ne pas se réjouir. Ce n’est que par référence à la joie que la crainte de Dieu, le repentir et l’humilité sont justes, authentiques, féconds.

Mission de l’Église : révéler aux gens qu’ils ont besoin de Dieu plus que de toute autre chose.

Toute conversion, toute rencontre de l’homme avec Dieu est un mystère de la grâce divine que nous ne pouvons pénétrer. Les uns viennent à Dieu dans la souffrance et la peine, d’autres dans la joie et le bonheur. Il en sera toujours ainsi.

Toute chose peut et doit mener à la connaissance de Dieu et à la communion avec lui.

Il est impossible de connaître le Christ sans désirer être avec lui là où il est. Et il n’est pas dans ce monde qui passe. Il est monté au ciel, auprès de Dieu. Dès maintenant, dans la mesure où on est croyant, notre vie est cachée avec le Christ en Dieu.

Tout homme a été créé ami de Dieu et appelé à cette amitié divine qui consiste dans la connaissance de Dieu, la communion avec lui, le partage de la même vie.

Le Christ nous apporte un enseignement totalement nouveau au sujet de Dieu lui-même : Dieu est Père et Fils. Jésus se reconnaît comme Fils de Dieu, envoyé par le Père pour sauver le monde.

Le péché "originel" n'est pas d'abord que l'homme a "désobéi" à Dieu ; le péché, c'est qu'il a cessé d'avoir faim de lui et de lui seul.

34. Vatican II

La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre.

35. Michel Deneken

Dieu désire communiquer avec les hommes. Dieu est quelqu'un à qui on peut s'adresser. Il n'est pas une abstraction lointaine.

L’expérience de foi, c’est s’être senti rejoint par Dieu, c’est avoir conscience d’avoir été visité par Dieu… Jésus s’invite chez Zachée et immédiatement cette invitation déclenche la conversion du pécheur. Mais Dieu parfois vient et il n’est pas reçu. Il y a des invités à la noce… et ils n’ont pas le temps. Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli (Jn 1,11). La foi, c’est être en confiance avec Dieu. C’est avoir le sentiment d’être en lien avec Dieu et que rien ne peut briser ce lien.

La prédication de Jésus insiste sur le fait que rien n'est jamais joué d'avance. Toujours on peut se convertir. Pour cette raison, l'homme ne saurait se substituer à Dieu auquel seul revient le jugement final. Jésus le dit clairement : Dieu laisse se lever son soleil sur les bons et les mauvais, et le bon grain et l'ivraie grandissent ensemble.

36. Philippe Ferlay

Dieu marche à notre rencontre depuis toujours, depuis que nous existons.

Dieu, quand il se révèle, ne commence pas par nous donner de lui des définitions. Il commence par agir. Et si l’on veut trouver Dieu, si on veut le connaître un peu plus, il nous faut commencer par accepter de marcher avec lui. Quand l’heure sera venue, il nous dira son nom.

Nous ne pouvons pas prouver l’existence de Dieu, mais notre raison s’épanouit dans l’accueil de la foi.

"Le Fils s’est fait ce que nous sommes pour que nous devenions ce qu’il est" (Saint Irénée). Le Fils s’est fait homme pour que nous devenions fils de Dieu. On n’entre pas dans la communion avec Dieu par n’importe quelle porte. La place qui nous est réservée à la table divine est celle des fils.

L’homme est structuré par le désir naturel de voir Dieu. Tout homme porte en lui ce désir même s’il le camoufle et tente de l’oublier.

Jésus, en bon Juif, pense par images. Quelle est l’image de Dieu son Père ? Celui qui se met en route à la recherche de la brebis perdue tant qu’il ne l’a pas retrouvée (Lc 15,3-7). Ce qui veut dire que Dieu se fait du souci bien que Dieu soit aussi le maître qui sait tout. L’homme est libre et cette liberté est réelle et capable d’échapper à Dieu. Et Dieu connaît la joie des retrouvailles : je l’ai retrouvée, celle que j’avais perdue (Lc 15,6). Dieu, le Père de Jésus, c’est celui qui part pour son champ son sac de grain sur l’épaule, et il sème toute la journée. Et il sait qu’une grande partie du grain sera perdue, mais il ne se décourage pas, il continue de semer. Dieu, c’est celui qui semble avoir besoin de nous : il a besoin d’ouvriers pour sa vigne. C’est le maître du festin qui ne veut pas se mettre à table tant que la salle n’est pas pleine (Lc 14). Il a presque peur de la solitude. Non que Dieu soit seul, il est Trinité, mais il veut avoir besoin des hommes. Dieu, ce n’est pas le menaçant, super-actif. Il aime le silence, la discrétion : depuis Nazareth jusqu’à l’agonie ; un Dieu qui va laisser mourir son Fils sur la croix : il n’a pas fait semblant de le remettre entre nos mains.

La foi, c’est l’attitude spirituelle de celui qui accepte Dieu tel qu’il est et non tel qu’il se l’imagine. On ne peut capter Dieu, il est inutile de de tenter de capter Dieu. Il y a une fidélité à Dieu qui se réalise au long des jours par la fidélité à la prière. Celui ou celle qui ne commence à prier que quand il en a envie ou quand il est dans le besoin, a bien peu de chances d’avancer dans la juste connaissance de Dieu.

37. Saint Irénée

Par les prophètes, Dieu habituait l'homme, sur la terre, à porter son Esprit et à posséder la communion avec Dieu. De même que Dieu n’a besoin de rien, de même l’homme a besoin de la communion de Dieu. La gloire de l’homme, c’est de persévérer dans le service de Dieu.

Pourquoi les commandements de Moïse ? Pour rendre l’homme glorieux, pour suppléer ce qui lui manquait, c’est-à-dire l’amitié de Dieu. Mais à Dieu cela n’apportait rien, car Dieu n’avait pas besoin de l’amour de l’homme ; l’homme avait besoin, lui, de la gloire de Dieu, et cette gloire, il ne pouvait l’obtenir que par le service de Dieu.

Par le décalogue (de l’Ancien Testament) Dieu préparait l’homme à son amitié.

Ce n’est pas parce que Dieu avait besoin de l’homme que Dieu modela Adam, mais pour avoir quelqu’un en qui déposer ses bienfaits.

Dans le royaume futur, Dieu aura toujours quelque chose à enseigner, et l’homme toujours à apprendre quelque chose de lui.

Dieu connaît les choses cachées, il sait toutes choses avant qu'elles arrivent.

Dieu s'est fait temporel pour que nous devenions éternels. Les événements (temporels) ne disparaissent pas mais demeurent dans la mémoire de Dieu.

Il n’est pas au pouvoir du pécheur, après s’être détourné de Dieu, de rétablir lui-même sa juste relation avec Dieu.

38. Jean-Yves Leloup

Si je dis que je connais Dieu, je suis un menteur. Si je dis que je ne connais pas Dieu, je suis aussi un menteur. Je ne peux pas parler, je ne peux pas me taire.

Dieu est un parfum, et j’aime dire qu’un parfum ne se saisit pas avec des clefs à molette.

39. Jacques Guillet

Dieu seul peut faire entendre à sa créature le mot qu'elle attend et pour lequel elle est née.

40. Saint Grégoire de Nazianze

Dieu nous attire à lui en proportion de l'intelligence que nous avons de lui ; et dans la mesure où nous le comprenons, il excite en nous la curiosité et le désir de la connaître plus avant.

41. Mgr Dagens

L'Esprit ne se donne pas (à nous) pour nous éblouir ou nous contraindre à croire, mais pour que nous acceptions d'entrer en dialogue avec Dieu.

Non seulement Dieu existe, mais il a toujours la liberté de venir à nous, de se révéler comme une présence personnelle.

Dieu : quelqu’un qui nous dépasse infiniment et qui, en même temps, s’ouvre à nous, se révèle et se livre.

La foi chrétienne n'est pas un cri, ni un sentiment enfermé dans le secret du cœur, elle porte en elle une capacité de comprendre le monde, et les autres, et soi-même, dans la lumière de Dieu.

L’Église est le signe de Dieu planté dans notre société qui se passe de Dieu... Elle est là pour livrer au monde le mystère du Christ, pour inscrire le mystère du Christ dans nos sociétés oublieuses du Christ... Nous avons à vivre de Dieu dans nos sociétés qui se passent de Dieu.

Dès la période de ses origines, le christianisme s'est présenté comme une Révélation qui ouvre sur une compréhension nouvelle de Dieu et du monde.

Il y a probablement plus de gens qui cherchent Dieu et qui le prient secrètement que ne le disent les sondages et les statistiques.

L’Église témoigne du don de Dieu dans un monde qui continue à résister ou à se fermer à ce don.

42. Sa Béatitude Ignace IV

L'amour de Dieu pour l'homme est infiniment discret.

43. Benoît XVI – Joseph Ratzinger

Celui qui veut découvrir Dieu doit être prêt à prendre du temps pour lui. Et il faut être prêt à y mettre le prix. Dieu ne s’impose pas. Il ne nous court pas après. Il en appelle à notre liberté.

Qu’est-ce que Jésus a apporté au monde ? S’il n’a pas apporté la paix dans le monde, le bien-être pour tous, un monde meilleur, qu’a-t-il apporté ? La réponse est très simple. Il a apporté Dieu, le Dieu dont la face s’est lentement et progressivement dévoilée depuis Abraham… C’est ce Dieu-là, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu véritable qu’il a apporté aux peuples de la terre. Jésus a apporté Dieu et avec lui la vérité sur notre origine et notre destinée, la foi, l’espérance et l’amour.

Un homme tout simple peut avoir une très grande connaissance de Dieu. Une connaissance plus grande des données scientifiques et historiques qui sont à notre disposition ne rend pas l'homme nécessairement plus capable d'arriver à une vraie connaissance de Dieu.

La puissance de l’athéisme, le refus de Dieu ou l’indifférence à l’égard de Dieu s’expliquent au moins en partie par le fait que le visage de Dieu a été si défiguré que l’homme ne pouvait que s’en détourner.

Combien y a-t-il de chemins qui mènent à Dieu ? Réponse du Cardinal Ratzinger : "Autant qu’il y a d’êtres humains".

Il y a une joie qui ne peut surgir que du contact entre l’homme et Dieu, de la libération des limites de l’existence terrestre.

Certitude que je n’ai jamais totalement en main la vérité sur Dieu, que devant elle, je suis toujours un apprenti et que, marchant vers elle, je suis toujours un pèlerin dont le chemin ne prendra jamais fin.

On peut se demander pourquoi Dieu n’a pas établi un monde où sa présence serait plus évidente, pourquoi le Christ n’a pas laissé une présence plus éclatante qui toucherait chacun irrésistiblement. C’est le mystère de Dieu et de l’homme que nous ne pouvons pas pénétrer. Nous vivons dans ce monde où Dieu n’a pas l’évidence de ce qui est palpable mais où il ne peut être cherché et trouvé que dans la mise en route du cœur.

Ne pas refuser d’avance à Dieu qu‘il puisse faire quelque chose qui est normalement impossible.

Le mal dont nous demandons la délivrance, au sens de Jésus (dans le Notre Père), est avant tout et le plus profondément la perte de la foi. L’incapacité de croire en Dieu et de vivre de la foi est pour Jésus le plus grand des maux.

Le Seigneur Jésus n’est étranger à personne parce que tous les hommes, au fond de leur être, attendent Dieu.

Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de se taire et de ne laisser parler que l'amour. Le chrétien sait que Dieu se rend présent dans les moments où rien d'autre n'est fait sinon qu'aimer.

La foi chrétienne signifie être touché par Dieu et témoigner de lui.

Il y a sans doute peu d'hommes dont la vie est entièrement pure et accomplie. Espérons qu'il y en a peu aussi dont la vie est devenue un non total et irrécupérable. La plupart du temps, malgré beaucoup de manquements, la nostalgie du bien est restée déterminante. Dieu peut ramasser les morceaux et en faire quelque chose. Mais nous avons besoin d'une ultime purification, d'un purgatoire précisément.

Jésus n'est pas revenu à une vie humaine normale de ce monde, comme c'était arrivé à Lazare et aux autres morts ressuscités par Jésus. Il est sorti vers une vie différente, nouvelle, vers l'immensité de Dieu et, partant de là, il s'est manifesté aux siens.

Aucun des évangélistes ne décrit la résurrection de Jésus elle-même : c'est un processus qui s'est déroulé dans le secret de Dieu entre Jésus et le Père, un processus qui, de par sa nature, échappe à l'expérience humaine.

44. Rémi Brague

C’est quoi le salut ? C’est la communion avec Dieu.

Croire, c'est se connecter avec Dieu. Dieu est tel qu'il ne peut être atteint que par la foi. La foi est un don de Dieu. Les incroyants utilisent la formule pour s’excuser de ne pas avoir la foi. Peut-être même, plus ou moins consciemment, pour accuser Dieu ne pas la leur avoir donnée. Par la foi, nous acceptons de nous brancher sur Dieu. Dieu ne nous demande rien. Il attend de nous que nous acceptions ce qu'il nous donne, ce qu'il veut nous donner : la vie éternelle.

Dieu ne cherche pas notre bonheur. Il ne cherche pas non plus notre malheur, d'ailleurs. Il cherche notre bien. Et notre bien, c'est Dieu lui-même. "Il est bon pour moi d'adhérer à Dieu" (Ps 72). La récompense de la foi, c'est encore plus de foi, de même que la récompense de l'amour n'est autre que davantage d'amour.

Le chrétien moyen s’imagine que la force de Dieu consiste à anéantir ses adversaires, éventuellement à les envoyer se faire griller les fesses en enfer. Le Dieu des chrétiens, lui, n’agit pas comme cela, il a une autre logique. Le Dieu des chrétiens procède autrement. Ceux qui lui désobéissent, il cherche à les transformer de l’intérieur parce qu’il respecte leur liberté. Il cherche à faire en sorte que l’homme veuille librement son salut.

Béatitude éternelle : ne pas la concevoir comme fixité dans la contemplation, mais comme approfondissement constant de la connaissance d’un Dieu infini.

Le Dieu de l'islam n'est pas appelé "père", et la piété musulmane ne place pas le terme "père" parmi les quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu qu'énumère la tradition.

45. Maurice Blondel

Ne jamais parler de Dieu de mémoire. Ne jamais parler de Lui comme d’un absent.

Dès que que l’on estime connaître assez Dieu, on ne le connaît plus.

Notre vraie volonté, c’est de n’en avoir point d’autre que la volonté de Dieu. Mais cela ne peut se faire sans un sacrifice foncier.

Il apparaît un jour à tout homme, sous une forme ou sous une autre, qu’il faut inévitablement opter pour ou contre l’ouverture à l’action de Dieu.

On peut remercier Dieu pour une faveur obtenue. Mais ce serait beau aussi, quand on n’a pas été exaucé, de prier comme ceci : "Mon Dieu, ce que je vous ai demandé, vous me l’avez refusé ; mon Dieu, soyez remercié".

Dieu ne se donne que dans la mesure où on lui fait place, où l’on sent le besoin de lui, où on le demande, où l’on reconnaît sa bonté, où l’on est vide de soi-même. Dieu est humble en face de notre fierté.

Accepter tout l’inévitable comme don de Dieu.

Ne pas faire à Dieu l’injure de trembler d’effroi à la pensée d’entrer un jour dans la maison du Père.

Dans les choses de Dieu, c’est déjà beaucoup que nous comprenions qu’il est raisonnable de ne pas tout comprendre.

Dieu n’a pas fait sans raison la splendeur du monde.

46. Roger Schütz (Frère Roger)

Dieu de tous les humains, tu ne forces jamais notre cœur, mais tu places en chacun ta paisible lumière. Éclairés par elle, nos échecs et nos joies peuvent trouver en toi un sens.

Le simple désir de Dieu est déjà le commencement de la foi.

Ce qui fascine en Dieu, c’est son humble présence. Il ne blesse jamais la dignité humaine. Tout geste autoritaire défigurerait sa face. L’impression que Dieu vient punir est un des plus grands obstacles à la foi.

Dieu ne menace personne et le pardon dont il inonde nos vies vient guérir notre âme. Comment un Dieu d'amour pourrait-il s'imposer par des menaces ? Dieu n'est pas un tyran.

Certains s'interrogent : si Dieu existait, il ne permettrait pas les guerres, l'injustice, la maladie, l'oppression, ne serait-ce que d'un seul sur la terre ; si Dieu existait, il empêcherait l'être humain de faire le mal. Voici bientôt trois millénaires, le prophète Élie va un jour au désert pour écouter Dieu. Un ouragan se déchaîne, ensuite un tremblement de terre et un feu violent. Mais Élie comprend que Dieu n'est pas dans ces déchaînements de la nature. Puis tout entre dans le calme. Élie entend Dieu comme dans le murmure d'une brise légère. Et lui apparaît cette réalité saisissante : souvent la voix de Dieu se transmet dans un souffle de silence. Pour l'une des premières fois de l'histoire est écrite une intuition aussi limpide : Dieu ne terrorise personne. Dieu n'est jamais l'auteur du mal, des séismes naturels, de la guerre, des malheurs terrestres. Ni la souffrance ni les détresses humaines ne sont voulues par Dieu. Dieu ne s'impose pas. Il nous laisse libres d'aimer ou de ne pas aimer, de pardonner ou de rejeter le pardon. Mais Dieu n'assiste jamais passivement à la peine des êtres humains, il souffre avec l'innocent, victime de l'incompréhensible épreuve, il souffre avec chacun. Il y a une douleur de Dieu, une souffrance du Christ.

Lorsque notre prière n'est que balbutiement, il n'y a rien d'étonnant. Dieu ne nous demande pas des prodiges qui nous dépassent. Pour prier, il nous appelle simplement à nous tenir en sa présence, le cœur ouvert. Il nous demande d'oser lui dire : Donne-moi de vivre de toi. Tu vois qui je suis. J'ai besoin de ne rien te cacher de moi-même. Je sais que tu m'accueilles avec ce que je suis. Tu comprends tout de moi.

En Dieu, il n’y a pas de violence. Dieu a envoyé le Christ non pas pour nous accuser, mais pour nous appeler à lui, non pas pour nous condamner, mais parce qu’il nous aime.

Dieu est amour. Il ne s’impose pas par la peur. Même quand le Christ était malmené, il ne menaçait personne.

Dieu nous a aimés le premier et il a déposé en nous un désir d’éternité, le désir de nous entretenir avec lui comme un ami parle avec son ami.

Jamais, au grand jamais, Dieu n’est un tourmenteur de la conscience humaine. Il enfouit notre passé dans le cœur du Christ et, de notre futur, il va prendre soin. La certitude de son pardon est une des plus généreuses réalités de l’évangile.

Heureux qui peut se dire : Je vis pour Dieu. Heureux qui puise le sens de son existence à la source limpide de Dieu.

Ne sachant plus comment se faire comprendre, Dieu est venu lui-même sur la terre, pauvre et humble. Si le Christ n’avait pas vécu au milieu de nous, Dieu demeurerait lointain, inatteignable. Par sa vie humaine, Jésus donne de voir Dieu comme par transparence.

Passage inattendu de l’amour de Dieu, l’Esprit Saint traverse chaque être humain comme un éclair dans la nuit.

Penser que Dieu punit l’être humain est un des plus grands obstacles à la foi. Quand Dieu est regardé comme un juge tyrannique, saint Jean rappelle en lettres de feu que Dieu est amour. Ce n’est pas nous, c’est lui qui nous a aimés. Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier. Le Christ ne nous veut pas ivres de culpabilité, mais emplis de pardon et de confiance. Jamais, au grand jamais, Dieu n’est un tourmenteur de la conscience humaine.

Si tu es parfois inattentif dans la prière commune, ne t'inquiète pas. Ta simple présence exprime déjà une attente du Dieu vivant.

Le Christ est venu sur la terre pour offrir à tous une communion avec Dieu.

47. Antoine Vergote

Personne ne connaît Dieu si Dieu ne s’est pas révélé à lui. Or le seul qui puisse pleinement révéler Dieu, c’est l’homme de Nazareth qui ose dire : "Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler".

L'homme n'a découvert Dieu que lorsque Dieu s'est révélé. Il est tout autre que les dieux que les religions avaient pu s'imaginer. L'élément décisif, c'est que Dieu lui-même prend l'initiative.

Toute la Bible, ce sont des traces de l'irruption personnelle de Dieu dans l’humanité en gestation. Toute la Bible : Dieu éduque le peuple pour qu'il devienne capable de Dieu.

L'être humain est appelé à se transformer et à s'accorder à Dieu tel qu'il s'est fait connaître. Mais il y a sans doute (et même certainement) des personnes qui ont systématiquement exclu de leur existence la voix divine qui rend possible la conversion. C'est ce que Jésus appelle le péché contre l'Esprit Saint. C'est le mal radical de la haine de Dieu. Le mal radical, c'est le non dit à Dieu. Le jugement de Dieu sur le péché contre l'Esprit, on le trouve dans la violence des invectives de Jésus en Mt 23,13-26 : "Hypocrites qui ferment à clef le royaume des cieux devant les hommes ; guides aveugles pleins de rapine et d'intempérance, sépulcres blanchis, serpents, engeance de vipères". Impossible de couvrir cette violence d'un voile pieux ! C'est le jugement de Dieu sur le péché contre l'Esprit.

On ne s’étonnera jamais assez de l’événement extraordinaire pour l’histoire religieuse qu’a été l’homme Jésus de Nazareth. Jésus est un homme dont l’existence n’a pas d’autre signification que religieuse. Personne n’a comme lui le respect de Dieu. Néanmoins on ne perçoit pas chez lui l’inquiétude religieuse des hommes que l’insondable abîme divin fascine et effraie. Jésus de Nazareth ne cherche pas Dieu. Il est avec Dieu et Dieu est avec lui. Il n’a pas écrit un seul mot. Il a parlé de Dieu et rien que de Dieu. Aucune pensée, aucun propos de nature scientifique n’émaille son discours. La grande civilisation aurait donc pu l’ignorer. Et pourtant sa personnalité et sa parole ont fasciné les plus grands esprits de l’Occident, pas tous des croyants, tant s’en faut. Jésus parle comme aucun homme n’a parlé. Il parle avec l’autorité de quelqu’un qui parle à la première personne et non pas comme un prophète qui reçoit des visions. Jésus ne fait pas d’exposés sur Dieu. Mais sa parole crée la présence de Dieu.

"Heureux les cœurs purs", c’est-à-dire les hommes qui se laissent illuminer par la Révélation de Dieu au plus intime de leur être.

L'acte de foi : consentement personnel à l'invitation à s'unir pour la vie et pour la mort à Dieu tel qu'il s'est révélé par Jésus-Christ.

Beaucoup de gens ont pour toute religion, si l'on peut dire, un vague déisme, "une brume religieuse qui flotte dans l'air de notre temps". Cela leur donne un supplément d'âme. On évalue les religions en se demandant à quoi elles servent à la société et à l'existence. Bien des enquêtes, de neutralité apparente, demandent aux populations de classer l'importance qu'elles accordent aux différentes valeurs, parmi lesquelles la religion. Et on assimile alors la religion à des valeurs telles que la santé, l'argent, etc. Ce langage d'allure sociologique est en fait de la même famille que le langage psychologique des "besoins". On parle de besoins religieux comme des besoins de vacances, de sommeil ou d'activité. Les besoins religieux se ramènent ensuite à des besoins plus concrets : besoin de protection, d'autorité sur laquelle s'appuyer, de consolation dans les souffrances, etc. Pascal : Non Dieu des philosophes et des savants. Nous : non Dieu des psychologues et des sociologues. Le Dieu qui se révèle est fondamentalement différent de ce vague Dieu des psychologues et des sociologues.

Quand Dieu s'est révélé, il s'est fait connaître comme Dieu, et cela pour le bonheur des hommes.

48. France Quéré

Une musulmane disait un jour : "Ce qui nous choque dans votre religion, c’est que votre Dieu s’incarne". De fait le Dieu qui s’est manifesté dans l’histoire s’y est mal pris : il n’a été évident pour personne, pas même pour ses amis. Mais c’est ainsi : Dieu ne s’est pas imposé. Il s’est offert. Il n’a contraint personne et s’est laissé meurtrir. Il subsiste du "caché" dans cette révélation-là. Nous sommes entièrement libres : nous pouvons répondre à son appel ou rester sourds.

La religion n’est pas le produit d’une recherche humaine, mais l’initiation au don qui vient de Dieu.

49. Charles Delhez

Ce n’est pas parce qu’on ne croit pas en Dieu qu’on ne peut pas le rencontrer.

Dieu ne nous demande pas de croire bêtement en lui. La foi respecte la raison, mais elle la dépasse, elle va plus loin. La théologie, c’est précisément l’effort de notre raison pour comprendre davantage. Mais vient toujours un moment où il faut reconnaître que Dieu est encore bien plus grand que ce que ma petite intelligence a pu saisir de lui.

La Bible : une littérature voulue par Dieu pour nous dire quelque chose de son mystère.

Il est ressuscité, cela veut dire : il est au ciel, dans la maison de Dieu, il nous y attend et nous y prépare une place. Il est assis à la droite du Père. Autrement dit, il n'est plus de ce monde. Il fait désormais partie du monde de Dieu. Il a abordé au rivage divin. Il est vivant quoique au-delà de l'espace et du temps. C'est une évidence qui s'est imposée aux premiers témoins.

L'éternité est l'épanouissement de notre relation avec Dieu inaugurée dès ici-bas.

50. Bernard Sesboüé

A travers tous les bouleversements de notre culture, la condition humaine demeure fondamentalement la même. Le rapport de l’homme au Dieu qui l’a fait pour lui et qui ne cesse de l’attirer à lui demeure essentiellement le même.

Qu'est-ce que c'est que le salut ? C'est un bonheur de l'homme en Dieu qui dépasse tout désir. Dieu qui se révèle veut faire le bonheur de celui à qui il se révèle.

Les autres religions rendent compte de l'effort qui pousse les hommes vers Dieu. Le judéo-christianisme, c'est la philanthropie de Dieu qui cherche l'homme. Les autres religions sont un témoignage de la recherche de Dieu par l'homme. Le judéo-christianisme, c'est la recherche de l'homme par Dieu. Sans doute Dieu cherche-t-il l'homme à travers le travail des autres religions et nul ne peut exclure qu'il ne s'y révèle aussi, même si cette révélation est partielle et peut se présenter de manière ambiguë parce que mélangée à des erreurs et à des déviations.

L’humanité ne pouvait faire l’économie de la tentation de l’athéisme. Celle-ci est en quelque sorte inscrite dans la vocation de l’homme à la liberté. Elle est la tentation par excellence de l’humanité adulte. C’est la tentation absolue qui pose la question de Dieu : ou bien Dieu existe et l’homme n’est pas fondamentalement libre, ou bien l’homme existe, c’est-à-dire qu’il est capable de se faire lui-même et alors Dieu n’existe pas. Cet athéisme est d’ailleurs un anti-théisme.

L’équilibre profond de l’homme se trouve dans sa communion avec Dieu, qui comporte la vocation à l’immortalité et à l’incorruptibilité.

Pour notre foi chrétienne, le paradoxe de la condition humaine, c'est que nous sommes des êtres limités et que nous sommes invités à vivre en communion avec Dieu. Et nous ne pouvons pas nous procurer cette communion par nos propres forces. On ne peut la recevoir que comme un don que Dieu nous fait de lui-même.

La croix révèle qui est Dieu et jusqu'où Dieu peut aller pour chercher l'homme. La croix n'est plus une exécution ignominieuse, mais l'accomplissement d'un amour inouï.

51. Bernard Perret

La parabole des vierges folles est là pour rappeler que l’on ne peut se reposer sur les autres pour se préparer à rencontrer Dieu.

Les desseins de Dieu nous sont totalement impénétrables. Il est l’Autre absolu, origine et fin de toutes choses. Pour autant, nous ne sommes pas dispensés de l’effort de comprendre les messages qu’il nous adresse. Et ceux-ci concernent intégralement la conduite de notre vie.

Dieu a montré son visage en Jésus-Christ, mais il n’en demeure pas moins le grand Inconnu.

52. Luisa Murano

Dans la vie, tout peut arriver, même Dieu.

53. Pascal

Dieu est assez caché pour ne pas s’imposer, et assez visible pour qu’on puisse le trouver.

Incompréhensible que Dieu soit, incompréhensible qu’il ne soit pas.

L’homme a reçu de Dieu une destinée au-dessus de ses moyens.

Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l’évidence qu’il pourrait.

J’admire avec quelle hardiesse ces personnes entreprennent de parler de Dieu.

L’homme sans Dieu est dans l’ignorance de tout.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi.

54. Antoine Bloom

Une vie sans prière est une vie qui ignore une dimension essentielle de l’existence. La valeur de la prière consiste à découvrir, à affirmer et à vivre le fait que tout a une dimension d’éternité… Prier, demander quelque chose à Dieu, ne consiste pas à rappeler poliment à Dieu ce qu’il a oublié de faire.

Dieu nous a aimés pour nous donner la vie. Dieu nous a appelés à la vie pour nous faire communier à lui.

La prière, c’est aussi quand on n’a rien à demander à Dieu, c’est quand on peut lui dire : je ne vais rien te demander, je me remets en toute confiance entre tes mains et je voudrais faire ce que tu me demandes.

55. Saint Jean-Marie Vianney

La foi, c’est quand on parle à Dieu comme à un homme.

56. Jean Delumeau

Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. Quel Dieu peut mieux entendre la peine des hommes que celui qui a choisi de passer par la souffrance et par la mort ?

La plus grande découverte jamais faite par l'humanité est la Révélation du Dieu créateur : découverte mise par grâce à la portée des plus humbles, de sorte que ceux-ci en savent autant sur cette question que les plus instruits. La source du monde se trouve en dehors de lui. Il y a eu un commencement à l'univers. Le Créateur a créé l'homme à son image, mais du limon de la terre, et ceci n'est en rien inconciliable avec une longue évolution conduisant à l’émergence du "phénomène humain".

Pour moi, l’appel du Seigneur signifie que tout homme est personnellement invité à entrer dans ce formidable rassemblement d’amour qu’est déjà et que sera un jour pleinement le Royaume de Dieu.

Dieu est l’avenir de l’homme parce qu’il ne cesse de se tourner vers moi et de m’attirer à lui.

Dieu, autrefois moins vivant qu'on ne l'a cru, est aujourd'hui moins mort qu'on ne le dit.

57. Guy Gilbert

Ce qui est bizarre, quand tout va bien, quand ton travail marche, que ta famille est heureuse, c’est que tu ne remercies jamais Dieu. Dans le bonheur que tu vis, il semble ne pas exister. Du moins, tu ne penses pas que Dieu peut apporter le bonheur. C’est quand tout va mal que Dieu revient alors en force et que tu t’acharnes à lui imputer les malheurs qui t’accablent… Par mer calme, remercions-le ; dans la tempête, appelons-le. En sachant que nos souffrances offertes sont prière silencieuse.

58. Boris Bobrinskoy

La foi implique un double mouvement : de Dieu, qui sort de son immutabilité vers la créature ; de l’homme, qui dépasse son autonomie et trouve en Dieu sa stabilité dernière.

C'est la grâce de l'Esprit Saint qui nous met d'abord à genoux dans la prière et qui ensuite nous relève pour que, debout devant Dieu, nous puissions courir à sa rencontre.

59. Guy Coq

Les incroyants ne cherchent pas Dieu. Si les croyants ne le cherchent pas, qui donc le fera ? Peut-être y a-t-il des incroyants qui le cherchent, mais beaucoup ne le savent pas. Ils croient faire tout autre chose. Les croyants disent avoir trouvé Dieu. L’image est redoutable. Car s’ils croient vraiment ce qu’ils disent, ils ne cherchent plus. Or Dieu ne se donne qu’à ceux qui le cherchent. C’est pourquoi il faut d’autant plus chercher Dieu que l’on est croyant.

J'essaie de dire ce que je comprends du mystère. Parler du mystère, ce n'est pas nier l'intelligence, mais plutôt l'inviter à aller le plus loin possible vers ses limites. Le centre du mystère est Celui qu'on ne sait pas nommer, la source infinie et éternelle de tout amour véritable. Il se rend présent à nous, révèle qui il est. Révélation suprême en Jésus : on appelle ça l'incarnation. La relation de Jésus au Père exprime l'intimité offerte par Dieu à tous les humains.

Dès que je dis oui à l'existence du Dieu Amour, je reconnais qu'il lui appartient d'achever l’existence humaine, je reconnais que l'existence humaine est appelée à participer à la vie même de Dieu. Ce qui échappe alors à mon intelligence, de quel droit le nier ? Prétendre délimiter Dieu, c'est pervertir la foi. Prière : Si tu existes, tu te trouves au-delà du pouvoir que tu donnas à notre esprit d'explorer l'univers. Tu ne limites pas notre raison pour nous abaisser, mais notre raison n'est pas à ta mesure. Tu es au-delà de ses limites, car c'est toi qui l'as faite. Et la plus grande lumière dont notre esprit soit capable, c'est de comprendre que certaines choses sont au-delà de son pouvoir de comprendre.

Dieu a dû mettre dans le cœur de l’homme, sa créature, un immense désir de le rejoindre, un désir de la présence divine, grâce auquel l’homme peut répondre à l’amour dont Dieu l’aime. Et ce désir de Dieu est présent en tout homme ; les aléas de la vie font bien souvent qu’il est enfoui hors d’atteinte chez beaucoup d’entre nous.

Dieu, s’il existe (et je le crois), a dû mettre dans le cœur de l’homme sa créature un immense désir de le rejoindre, un désir de la présence divine, grâce auquel l’homme peut répondre à l’amour dont Dieu l’aime. Et ce désir de Dieu présent en tout homme, les aléas de la vie font bien souvent qu’il est enfoui, hors d’atteinte chez beaucoup d’entre nous.

60. Ambroise-Marie Carré

On raconte que, le matin de sa mort, sainte Claire eut la curiosité de demander à un frère franciscain venu la voir : "Qu’as-tu de nouveau à m’apprendre sur Dieu ?"

Parmi les mobiles de la foi, saint Thomas d’Aquin inscrit "l’instinct intérieur de l’invitation de Dieu".

La raison est débile dans les choses de Dieu. Pour les vérités rationnelles, nous pouvons convaincre l’adversaire par des arguments rationnels ; mais pour ce qui est de la révélation de Dieu, il n’en est pas de même ; nous ne devons pas chercher à convaincre par des arguments, mais seulement résoudre les raisons opposées en montrant qu’elles ne contredisent pas la foi.

61. Gustave Thibon

Je connais des hommes qui sont athées de toute leur foi. C’est leur soif de pureté et de transcendance, leur sens du mystère, leur désir du vrai Dieu dont personne ne leur a parlé qui leur fait repousser toutes les caricatures de Dieu qu’on leur présente : le Dieu bouche-trou, le Dieu fourre-tout, le Dieu gendarme ou grand-père.

Le Dieu vivant, le Dieu incarné du christianisme : on n’échappe pas à ce Dieu. L’homme qui n’entre pas en lui comme en un refuge se brise sur lui comme sur un mur. L’homme qui n’appartient pas pleinement à Dieu reste quelque chose de trouble et d’inachevé : un embryon dans le temps, un avorton à l’heure dernière.

Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, mais c’est déjà quelque chose que de ne pas oublier que ce royaume existe ailleurs et d’en porter le secret dans son âme.

Que savons-nous des desseins de Dieu ? Il était nécessaire que le Fils de l’homme fût trahi. Négativement ou positivement, Dieu se sert du mal. Positivement, il ne veut pas le mal, mais il s’en sert. Au ciel, nous aurons des surprises bien curieuses ; tout sera à l’envers. Nous serons stupéfaits quand nous verrons les lignes courbes par lesquelles Dieu a écrit.

Dieu est amoureux de sa créature qui n’est pas amoureuse de lui. Bloy écrivait : "Je me passe très bien de Dieu, dit le bourgeois. Quelle sera sa stupeur quand il verra que Dieu ne pouvait se passer de lui".

Les curés aiment bien le Bon Dieu, disaient les paysans sceptiques, mais ils ne sont pas pressés d'aller le voir.

62. Bertrand Vergely

Contrairement aux idées reçues, il est très logique de croire en Dieu… En observant le monde, il paraît difficile de soutenir qu’il provient d’un hasard. On ne fait pas de l’ordre avec du chaos, ni de l’intelligence avec des forces aveugles. Impossible que Dieu soit, disait Pascal, impossible qu’il ne soit pas. Aujourd’hui nous traduisons ce jugement par le paradoxe du singe dactylographe en disant qu’il est peu probable que Dieu existe, mais plus improbable encore qu’il n’existe pas : cela reviendrait à soutenir qu’un singe peut composer La divine comédie en tapant au hasard sur une machine à écrire.

Le christianisme fait beaucoup de mal en voulant expliquer le mal. Il s'est surtout fait beaucoup de mal. Il aurait gagné à se taire. On gagne toujours à se taire. Dieu se tait. Non pas parce qu'il est absent, mais parce qu'il n'utilise pas le mal pour parler. Il n'en a pas besoin. Il a d'autres voies.

La vie a du sens quand on renonce à jouer au tout-puissant qui domine sa vie, qui en est le maître. La vie a du sens quand on remet sa vie à Dieu. Nous ne sommes pas Dieu, nous ne sommes pas maître de notre vie. Le sens sans Dieu n'est pas possible.

Quand Dieu apparaît, il n’est pas celui que l’on attend, il est celui qu’on n’attendait pas, tant il est surprenant, imprévisible, contre toute attente. Il ne faut pas détruire la part d’inouï qu’il y a en Dieu, ou bien celui-ci cesse d’être Dieu.

Aussi étrange que cela puisse paraître, la mort de Dieu sur la croix est la preuve de son existence, cela ne pouvant s’inventer.

Chez tous les athées, on retrouve la même chose. Quand on chasse Dieu par la porte, il revient par la fenêtre. S’ils ne croient pas à telle ou telle image de Dieu oscillant entre le Père Fouettard et le Père Noël, tous sont en quête qui d’amour, qui de verticalité, qui d’un sens de la personne.

Le Dieu fait homme est un Dieu humble. En Occident, quand la religion a été dans l’orgueil, elle a tué Dieu.

Dieu n’est pas celui qui se met en avant pour écraser le monde et l’homme par sa toute-puissance. Il est au contraire celui qui s’efface afin que le monde et l’homme puissent vivre, respirer et aller librement vers leur accomplissement.

Dieu a laissé à l'homme la liberté de choisir entre le bien et le mal. On n'est jamais libre quand on choisit le mal. On est inconscient, pervers, ou carrément suicidaire. S'il y a une liberté, celle-ci consiste à ne pas choisir le mal.

63. Nicolas de Cuse

Mon Dieu, donne-moi de savoir que nous sommes vus par toi dans l’amour.

64. Élisabeth de Miribel

La frontière de l’Église passe au cœur de chaque homme ; pour autant qu’il dit oui au bien et rejette le mal, il est déjà en route vers Dieu.

65. Julien Green

Le paradis n’est pas autre chose qu’aimer Dieu, et il n’y a pas d’autre enfer que de n’être pas avec Dieu.

Dieu entre peut-être plus facilement dans une âme ravagée par les sens que dans une âme barricadée derrière ses vertus.

J’ai vivement senti que Dieu nous parle par la bouche de ceux que nous voyons tous les jours et par la bouche des livres qui nous tombent – jamais au hasard – entre les mains.

66. Roselyne Bachelot

Je suis persuadée que chaque être humain, à un moment de sa vie, aussi bref soit-il, reçoit la révélation de la transcendance. Dieu fait signe à tous. Dieu s'invite dans nos vies, comme dit Stan Rougier . L'homme ou la femme y répond ou n'y répond pas, dans sa pleine liberté.

67. Jacques Loew

Dieu a voulu un monde bon. Il est innocent du mal, mais pas indifférent à notre malheur.

De plus en plus Dieu est absent de nos cités et même de ses plus intimes amis parce qu'on ne leur a pas appris sa présence. Dans la déchristianisation actuelle, la non-croyance ne fait que grandir. On sent qu'un monde sans Dieu est reconstitué et devient parfaitement vivable. Par rapport à Dieu, il semble que nous entrons dans une ère glaciale. Peu de gens sont hantés par la blessure de l'absence de Dieu.

L’Ancien Testament nous révèle sans cesse ce combat incessant entre notre Dieu qui appelle et l’homme qui résiste, ce qui est l’actualité la plus immédiate.

Dieu respecte la volonté de l’homme dans ce qu’elle a de plus intime. Dieu ne révèle pas son nom de lui-même en quelque sorte : il attend qu’on désire le connaître, qu’on le cherche.

Le monde entier est pauvre puisqu’il est si pauvre de Dieu.

68. André Frossard

Dieu : non seulement il existe, mais il nous entoure, il nous enveloppe et il nous traverse, comme nous les sommes sans cesse à notre insu par quantité de rayons et même de particules qui ne nous sont pas moins insaisissables.

Au temps de la grande ignorance du Moyen Age, les chrétiens pensaient comme Catherine de Sienne que l'homme était né d'un désir de Dieu. Aujourd'hui des scientifiques qui se croient plus éclairés sur le sujet nous disent gravement que l'homme est un être bizarre, non seulement inexplicable, mais invraisemblable, quelque chose comme un impénétrable mystère ambulant. Physiquement, l'homme est un mystère ; spirituellement, c'est un abîme. Seule la religion descend verticalement dans les cœurs, là où se joue le drame secret de l'espoir et du désespoir, de l'être et du néant. L'homme est happé par les images, les illusions, les vents et les tourbillons du monde moderne et il ne vit plus qu'à la périphérie de sa propre personne ; il ignore qu'il possède une vie cachée, une vie intérieure ; c'est ce lieu caché et intérieur qui est toujours capable de recevoir les semences de la foi, de l’Évangile, de la grâce de Dieu.

Dieu : les Juifs ont la sagesse de ne pas prononcer son Nom, afin de ne pas l’enfermer dans la médiocrité d’un concept.

69. Newman

Je suis créé pour faire ou pour être ce pour quoi nul autre que moi n'est créé. J'ai une place dans le dessein de Dieu, dans le monde de Dieu, qui n'est celle d'aucun autre. Riche ou pauvre, estimé ou méprisé des hommes, Dieu me connaît et m'appelle par mon nom. Dieu m'a créé pour lui rendre un service défini, il m'a confié une œuvre qu'il n'a confiée à aucun autre. De quelque manière, je suis nécessaire à Dieu pour ses desseins, aussi nécessaire à ma place qu'un archange à la sienne. J'ai une part à ce grand œuvre ; je suis un anneau de la chaîne, un lien d'union avec d'autres. Il ne m'a pas créé pour rien. C'est pourquoi je me confierai à lui quoi qu'il en soit ; où que j'aille, je ne serai jamais perdu, ni rejeté par Dieu.

Il y a une première révélation de Dieu par la loi de la conscience. C'est une révélation qui est inscrite dans le cœur de l'homme. La conscience est comme une lumière qui éclaire tout homme. L'homme peut être né dans le paganisme ou dans une secte corrompue, dans tous les cas, il a dans son cœur un certain sens du bien qui lui donne des ordres, c'est une loi, c'est une voix qui lui parle avec autorité, quelque chose qui dépasse l'homme, qui lui vient comme d'ailleurs. Il peut désobéir à cette voix, il peut refuser de l'entendre, mais cette voix est toujours là.

"Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire". Nous devons prier Dieu de nous attirer à lui. Le don de nous approcher du Christ est dans les mains de Dieu. Nous devons prier Dieu de nous le donner.

Dieu s’est humilié jusqu’à l’Église.

Si nous ne confessons Dieu que comme le Tout-Puissant, nous ne le connaissons qu’à moitié. Il est la Toute-Puissance qui, en même temps, se laisse envelopper dans les langes de l’impuissance. Il a pour ainsi dire la puissance incompréhensible de se rendre faible lui-même.

Dieu m’a créé pour que je lui rende un service bien précis. Il m’a confié une tâche qu’il n’a confiée à personne d’autre. J’ai une mission. Il se peut que je ne la connaisse jamais en cette vie ; mais on me la dira dans l’autre.

De tous les articles de la foi, l'existence d'un Dieu est, pour moi, celui qui soulève le plus de difficultés et celui qui, cependant, s'impose à nos esprits avec le plus de puissance.

70. Gustave Martelet

Le dessein de Dieu est d'accomplir les hommes en les ouvrant à lui comme il s'ouvre d'abord à eux. Le Dieu de Jésus-Christ se dit capable de convoquer tous les hommes, de les appeler à ne faire qu'un cœur et qu'une âme, et de donner ainsi au plus infime d'entre nous la certitude d'être irremplaçable.

L'athéisme a cru éteindre le soleil ou se mettre à sa place. Mais on ne peut pas détruire Dieu, le remplacer ni même s'en passer. En se privant de Dieu, l'homme se mutile. "Il se peut que vous ayez tué Dieu sous le poids de ce que vous en avez dit ; mais ne pensez pas que vous ferez de tout ce que vous dites un homme qui vivra" (Michel Foucaut). L'homme se fait une blessure effroyable en se privant de Dieu.

Qui est le Dieu vivant de l’histoire d’Israël et de Jésus ? Il est celui qui ne demande à personne le droit de nous parler et moins encore celui d’agir et d’exister. Dieu ne nous doit rien pour exister, mais il a quelque chose à nous dire et tout à nous donner.

Dieu a tant aimé le monde qu’il a livré son Fils unique afin que le monde ait la vie et la vie en abondance. Et tous les prodigues du monde possèdent depuis toujours, dans la maison du Père, leurs sandales, leur bague et leurs robes de fête, et ils peuvent toujours y venir les chercher.

Quelles que soient les audaces culturelles de l’homme, jamais personne n’osa penser que Dieu pourrait venir à nous par voie d’incarnation et nous donner sa vie en assumant la nôtre.

Le Seigneur Jésus nous a réellement initiés à l’existence éternelle de Dieu.

71. Hélène Carrère d'Encausse

Qui est Dieu pour vous ? Qui pourrait répondre à une telle question ? Dieu, c'est l'explication suprême. Sans Dieu, notre monde, notre existence, sont absurdes. J'aime savoir que le monde n'est pas absurde, qu'il a un sens, qu'il va quelque part, vers Quelqu'un. J'aime la vie.

72. Jean-Claude Barreau

Je crois en Dieu le Père tout-puissant. Si vraiment Dieu est amour (et c'est la pointe du message chrétien), il ne saurait être tout-puissant à la manière dont peuvent l'imaginer les païens : devant le refus, il ne peut rien. La toute-puissance du credo n'est acceptable que si elle est la toute-puissance de l'amour qui précisément, en certains cas, est réduit à l'impuissance. Les deux images les plus fortes du christianisme universel ne sont pas des images de puissance, ce sont des images de faiblesse : un enfant dans un berceau, un supplicié sur un gibet . Le nouveau-né n'est pas un fils de prince.

L’image la plus répandue par le christianisme est celle d’un supplicié cloué à une croix : Dieu n’est plus celui qui tue, mais celui que la haine a tué.

Pour laisser Dieu "entrer" en nous, il nous faut nous retirer comme lui, le Créateur, s’est retiré pour nous laisser être. En créant l’homme, Dieu s’est retiré, il a cessé de commander partout où il en avait le pouvoir.

73. Paul Clavier

Dieu est si discret qu'il ne nous oblige même pas à reconnaître qu'il existe. La seule question est de savoir si on a intérêt à l'ignorer.

Si tu attends, pour parler de Dieu, d’avoir trouvé des paroles dignes de lui, tu n’en parleras jamais.

74. Léon Bloy

Dieu ne nous donne pas ce que nous lui demandons, mais ce qu'il nous faut.

75. Cardinal Danneels

Dieu nous a remplis d'une nostalgie qui nous tourne vers lui. Tout homme, toute femme est, de quelque façon, nostalgique de Dieu. Ce sens religieux, qui est présent en tous, s'il est absent en quelqu'un, c'est qu'il a été détruit, par les autres ou par la personne elle-même. Dieu nous invite à partager sa vie.

L’Église a aussi son histoire propre avec beaucoup d’apports qui ne viennent pas de Dieu.

Que savons-nous de Dieu ? La Bible lève un coin du voile. Mais il faut faire attention. Nous risquons d'être surpris quand nous le rencontrerons. Nous avons une certaine vision de Dieu. Mais nous ne possédons pas Dieu.

76. Joseph Doré

Dieu : tout le monde a l'air de savoir assez bien, en somme, qui il est, que ce soit pour l'affirmer ou que ce soit pour le nier. Mais comment sait-on ici ce qu'on prétend si bien savoir ? Que met-on exactement sous le mot qu'on emploi dans ce cas ? "Dieu" est le plus beau mot des hommes. Mais il n'a de sens qu'en lien étroit avec un autre mot, qui est un autre très beau mot des hommes, le mot "vie". Le mot "Dieu" ne va pas sans le mot "vie". Dieu est le Dieu vivant, le Dieu de la vie. Un Dieu vrai, un Dieu solide. Dieu n'est Dieu pour nous et reconnu comme Dieu par nous que lorsqu'il est reconnu comme Vie de notre vie, que lorsque nous reconnaissons que notre vie est fondée et comme enracinée en lui. Dieu, c’est le nom de Quelqu'un. C'est pourquoi on peut s'adresser à lui, c'est pourquoi on peut le prier.

Quelle est l'annonce essentielle de Jésus ? Tout d'abord il existe un Dieu vivant et vrai auquel on peut s'adresser comme à un Père. Ce Dieu est à la fois Créateur de toute ce qui existe et la Providence qui veille sur tous ses enfants, à commencer par les plus nécessiteux d'entre eux. Conséquence immédiate : ceux qui croient en ce Dieu sont appelés à aimer en vérité chacun de ceux qui sont leurs frères, à l'imitation de Celui qui fait lever son soleil à la fois sur les bons et les méchants (Mt 5,45) et qui va jusqu'à nourrir les petits oiseaux. Il n'y a pas d'autre moyen de se montrer les dignes enfants du Père qui est dans les cieux que d'aimer aussi tous les hommes, qui sont ses enfants.

Dieu est un grand mystère. Mais ce mystère n’est pas destiné à demeurer opaque, je veux savoir tout ce qu’il est possible de savoir. Je désire Dieu d’un grand désir et je crois que Dieu, le Dieu vivant et vrai, nous rend capables d’approcher de sa connaissance aussi par le travail de l’intelligence.

77. Timothée Radcliffe

Le tréfonds de notre nature humaine n'est pas la convoitise et l'égoïsme, c'est la faim et la soif de Dieu.

Le mal est un mystère, mais je crois que le mystère de Dieu est plus grand.

Il faut neuf mois seulement pour qu’un enfant soit prêt à sortir du sein maternel. Mais il a fallu des siècles de prophètes et de scribes avant que le peuple d’Israël soit prêt à ce que la Parole se fasse chair. Durant des siècles, la grâce de Dieu a été à l’œuvre pour purifier peu à peu la religion de la haine et de la vengeance, pour l’ouvrir aux autres nations, pour faire germer petit à petit la conscience que Dieu est vraiment le seul Dieu et le Dieu de tous les hommes.

Quand nous allons à l’Église et que nous écoutons les lectures, ce n’est pas dans l’espoir d’apprendre du nouveau sur Dieu, mais de le rencontrer.

La grâce de Dieu peut faire de chacun de nous uns source de grâce pour les autres.

Dans cette vie, on ne peut pas savoir qui est Dieu, on peut seulement savoir ce que Dieu n’est pas. Essayer de nous affranchir des conceptions de Dieu qui sont infantiles.

Pourquoi baptiser un enfant à la naissance ? C’est dans la conviction qu’être humain c’est être fait pour Dieu.

C’est quoi l’amitié avec Dieu ? C’est prendre du temps en compagnie de Dieu. Nous devons apprendre à être heureux de prendre du temps avec Dieu. On passe du temps avec ses amis.

Notre destinée, c'est de nous frayer un chemin vers notre destination, c'est-à-dire la vie avec Dieu, notre bonheur.

Il faut nous libérer de nos fausses idées de Dieu. La foi est un voyage dans l'obscurité où l'on détruit les idoles. En approchant du mystère de Dieu, j'entrevois aussi mon propre mystère. Dieu m'appelle par mon nom. Ce que je crois, c'est que je suis quelqu'un que Dieu appelle par son nom.

Beaucoup de gens dans le passé allaient à l'église par peur d'être punis par Dieu s'ils n'y allaient pas. Cette menace ne risque guère au XXIe siècle de remplir nos églises. Qui pourrait croire que notre Dieu est un Dieu d'amour s'il faut une menace de damnation pour nous forcer à venir l'adorer ?

Si la foi consiste à entendre Dieu nous parler, alors il faut commencer par apprendre à être silencieux. La foi consiste à prêter attention à Celui qui nous appelle par notre nom et attend une réponse.

78. Gilbert Cesbron

Dieu, dans l'Ancien Testament, et Jésus, tout au long de l’Évangile, répètent patiemment : "C'est moi, n'ayez pas peur". Rien ne blesse davantage Dieu que notre peur parce que la peur est le contraire de l'amour.

La plus grande preuve d’amour de Dieu, c’est d’avoir donné à l’univers entier la liberté .

A ceux qui demandent des preuves (de l’existence de Dieu), je ne vois d’autre réponse à faire que celle de Claudel : "La preuve du pain, c’est qu’il nourrit. Ceux qui n’y goûtent pas ne le sauront jamais".

L’humilité consiste à ne jamais perdre de vue la disproportion entre Dieu et soi, et à s’en réjouir. L’humilité est uns disposition joyeuse. Pour cela, il faut d’abord ne jamais quitter Dieu du regard, et c’est pourquoi l’humilité est naturelle aux saints.

Il faut répéter sans cesse que le Fils n’est pas le Fils de Dieu comme Arsène est celui d’Adrien ; qu’il n’est pas assis à sa droite, car le Père n’est pas Charlemagne ; que les anges qui sont proprement inimaginables ne sauraient chanter ; que "louange" est un mot nul ; "gloire" un terme clinquant et prostitué. Pas un mot ne tient, sauf Dieu est amour. La définition essentielle est sauve ; Dieu est amour.

"Il n’est pas le Dieu des morts mais celui des vivants" (Mc 12,27). Cette étrange parole signifie que tous les morts sont vivants, autant que nous, autrement.

79. Thomas More

Thomas More, peu avant son martyre, console sa fille en lui disant : "Rien ne peut arriver que Dieu ne l'ait voulu. Or tout ce qu'il veut, si mauvais que cela puisse nous paraître, est cependant ce qu'il y a de meilleur pour nous".

80. Nicky Gumbel

L'homme et la femme ont été créés pour vivre en relation avec Dieu. Sans cette relation, ils restent sur leur faim et ressentent un vide, un manque profond. Il reste au tréfonds de l'âme une angoisse permanente et inconsciente. Cette angoisse provient d'un manque, de l'absence de ce quelque chose qui ferait que la vie vaudrait la peine d'être vécue. Pourquoi ai-je besoin de savoir pourquoi je suis né ? Parce que je ne peux pas croire qu'il s'agit d'un accident. Et si ma vie n'est pas un accident, elle doit avoir un sens. Des pays comme le nôtre sont pleins de gens qui disposent de tout le confort matériel rêvé. Ils ont également des biens non matériels, comme une vie de famille harmonieuse. Malgré cela, ils vivent dans un désespoir tantôt muet, tantôt bruyant. La seule chose qu'ils comprennent, c'est qu'il y a en eux un vide intérieur que rien ne peut combler : ni boisson, ni nourriture, ni belles voitures, ni postes de télévision, ni leur enfants bien équilibrés, ni leurs amis, et ce vide fait mal.

Les mots humains ne peuvent pas décrire Dieu pas plus qu’ils ne peuvent décrire l’arôme du café.

Souffrir n’est jamais bon en soi, mais Dieu est capable de se servir de la souffrance pour le bien de diverses manières.

81. Simone Weil

Entre deux hommes qui n'ont pas l’expérience de Dieu, celui qui le nie en est peut-être le plus près.

Dieu peut devenir (doit devenir) pour chaque chrétien aussi plein de signification que son trésor pour l’avare.

Crainte de souiller Dieu en le pensant mal. Le christianisme parle trop des choses saintes.

82. Marie-Dominique Goutierre

Rien n'est plus grand, dans l'amour d'amitié, que de découvrir ensemble la présence de Dieu, souverainement bon, source de tout amour, au cœur de la rencontre amicale. Dieu est donc présent comme Père et Providence dans toute véritable amitié humaine, parce que étant le souverain Bien, il est source de toute bonté. Tout amour véritable vient de Dieu en ce sens qu'il est le Créateur de tout bien.

83. André Lacrampe

Quels que soient nos errements, Dieu est toujours là, non pas comme un censeur, mais comme un Père aimant qui cherche à ramener doucement ses enfants dans le vrai chemin, sans imposer mais en proposant.

84. Mgr Léonard

Les grandes religions de l'humanité correspondent à une quête de l'absolu de la part de l'homme. Toutes les démarches religieuses sérieuses sont une réponse à la mystérieuse attraction que Dieu exerce secrètement sur le cœur humain. C'est comme si l’Être divin aimantait obscurément les âmes pour qu'elles s'acheminent vers lui.

Un jour viendra, quand Dieu sera tout en tous, où nous serons subjugués par sa présence et incapables de nous refuser à lui. Le temps présent nous est donné pour nous permettre la libre offrande de notre personne. Il nous fait ce temps de l’inévidence et de l’option où nous avons à choisir entre Dieu et ce qui n’est pas Dieu, ce temps où l’Absolu lui-même se présente comme un bien relatif parmi les autres ; il nous faut ce temps de maturation avant de pouvoir jouir un jour de l’adhésion plénière, de l’élan définitif, sans retour possible en arrière.

Il est assez de raisons, si l'on cherche, pour que la foi soit raisonnable, mais la foi demeure suffisamment souple et mystérieuse pour qu'elle demeure transrationnelle et demeure ainsi le fruit d'un acte libre. Il est suffisamment de raisons pour que la foi soit convaincante, mais non point contraignante. Dieu désire être aimé librement par des créatures libres. Il ne veut pas contraindre l'homme à croire en lui. Il n'est pas juste de vouloir contraindre quelqu'un à nous aimer : c'est d'ailleurs impossible. C'est pourquoi notre existence doit commencer par le clair-obscur de la foi durant cette vie terrestre ; il y a dans le monde et dans l’Église assez de lumière pour que la foi soit possible et raisonnable, et assez d'obscurité pour qu'elle demeure une option libre et transrationnelle.

85. P. Zovko

Durant la prière, l'homme fait un pas vers Dieu. Par la prière, on s'approche chaque jour un peu plus de Dieu. Grâce à la prière de certains, la grâce de Dieu arrive aux autres et se répand de par le monde.

86. Marcel Neusch

Parler de Dieu, c'est parler de l'homme, de sa destinée, des questions qui le tourmentent. Dieu est seul à ouvrir l'existence à son authenticité. Dieu n'est pas celui qui limite l'homme, qui aliène l'homme, mais celui qui lui révèle ses dimensions infinies. La parole du Dieu de Jésus-Christ n'est pas aliénante mais libérante.

La foi des chrétiens, comme celle d’Israël, est fondée sur la conviction que Dieu s’est manifesté dans l’histoire des hommes, et que le salut s’inscrit dans une trame historique. Mais pour parvenir au cœur de l’homme, la parole de Dieu doit se frayer un difficile chemin au sein d’une culture encombrée de contresens et d’idoles.

On n’accède pas à Dieu uniquement par l’échelle du raisonnement. Et cependant il reste qu’il y a dans notre monde des lieux où sont repérables les traces de son passage.

Dieu ne veut pas pour ses enfants des cerveaux vides.

Dieu ne loge pas habituellement à l’enseigne de l’évidence, même si certains prétendent l’avoir rencontré. Abraham est depuis toujours le symbole de la disponibilité pour une venue imprévisible de Dieu.

Dieu n’est crédible que s’il est pour l’homme une promesse d’humanisation.

Dieu n’a plus l’évidence d’un clocher de village. Les traces de Dieu s’inscrivent de moins en moins dans le paysage. L’accès à Dieu doit se conquérir sur tous les obstacles qui se dressent sur le seuil. La question de Dieu est sans doute la plus vieille qui ait occupé l’esprit des hommes. Et même s’il y a eu des périodes tranquilles, l’incertitude a toujours fini par renaître.

Parmi toutes les traces de Dieu dans le monde, il n'en est aucune qui soit aussi sainte que celle de l'homme. Et puis le monde entier est une trace de Dieu.

87. Ignace de Loyola (Récit du pèlerin)

Vers la fin de sa vie Ignace de Loyola "croissait toujours en dévotion, c'est-à-dire en facilité à trouver Dieu, et maintenant plus que jamais ; à toute heure où il voulait trouver Dieu, il le trouvait".

On avance dans les choses de Dieu à mesure qu’on se dépouille de son amour de soi, de sa volonté à soi, de son intérêt à soi.

88. Xavier Le Pichon

Le dessein de Dieu ne peut être que de permettre à l'homme d'accéder au bonheur, car Dieu est bon. Et que voit-on dans le monde ? Souffrance et mort. En prenant notre condition humaine, en devenant lui-même homme de douleur, Dieu nous montrait que la seule réponse possible au mal est un surcroît d'amour.

89. P.-J. About

Einstein : "Ce qui est incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible". Pour nous, croyants, sans le Dieu dont tout procède, Dieu qui est la lumière du monde et des intelligences, il est incompréhensible que le monde soit compréhensible.

90. Paul Guth

Je crois en Dieu parce qu'il existe. Comme il existe, on est obligé de croire en lui. Je suis peu de chose, mais sans Lui je ne serais rien. Je crois en Dieu parce qu'on m'a élevé chrétiennement. Mon enfance est baignée de catéchisme. J'ai appris Dieu comme j'ai appris l'alphabet. Je sais lire, écrire, compter et croire en Dieu. Mais je crois mieux en Dieu que je ne sais compter. Les chiffres me font peur, mais pas Dieu, qui est infini et qui est tout amour. Enfin j'ai une raison particulière, toute familiale, de croire en Dieu. Mon grand-père paternel, paysan de Bigorre, si pauvre qu'il n'avait que deux vaches et un chien, était cousin de Bernadette Soubirous, la petite bergère de Lourdes, à laquelle la Vierge était apparue. Bernadette, la Vierge, l'Enfant Jésus, Dieu le Père. La boucle est bouclée, sur l'infini.

91. Guillaume de Saint-Thierry

La prière est un attachement amoureux de l'homme à Dieu.

92. Cyrille Argenti

Même devant Jésus enfant, même devant Jésus à la crèche, on ferait mieux de ne pas parler du "petit Jésus". On devrait toujours reconnaître en lui d'abord et avant tout le Tout-Puissant, le Seigneur du monde. C'est ce que nous disons en chantant le "Gloire à Dieu au plus haut des cieux", même le jour de Noël. Nous commençons par y louer Dieu le Père invisible au plus haut des cieux. Et dans la deuxième partie, nous nous adressons à Jésus-Christ, Seigneur, Fils unique, Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, assis à la droite du Père ; et nous lui disons encore : Toi seul es saint, Toi seul es Seigneur, Toi seul es le Très-Haut Jésus-Christ - avec le Saint-Esprit dans la gloire de Dieu le Père.

La prière est aussi naturelle à l’homme que sa respiration. Elle est la condition naturelle de l’homme fait à l’image de Dieu. Comme le sarment communique avec le cep, comme la branche communique avec le tronc, l’homme communique avec Dieu. Car l’homme a été créé pour Dieu. C’est le péché qui nous coupe de Dieu, qui est contre nature. Par nature, nous sommes assoiffés de Dieu comme les plantes sont assoiffées de lumière. Mais il peut y avoir dans les vies d’hommes toutes sortes d’ersatz de Dieu : des passions, des choses, toutes sortes d’appétits.

Se prendre pour Dieu, se prendre pour le centre du monde, voilà le péché fondamental. L’homme sans Dieu n’est plus vraiment l’homme. Il croit avoir tué Dieu, mais il s’est tué lui-même. L’homme devient pleinement homme lorsque, par l’Esprit Saint que nous donne le Christ, il participe finalement à la nature même de Dieu. Tel est le but de la vie, tel est le destin de l’homme ainsi que nous le révèle toute la Bible.

Comme les fleurs se tournent vers le soleil pour accueillir ses rayons, nous devons nous tourner vers Dieu pour recevoir sa paix ; car il n’y a pas de paix sans la présence de Dieu.

Dieu ne veut pas que nous soyons motivés par la peur de l’infraction et de la punition, mais par la soif de retrouver la communion avec Dieu, d’atteindre Dieu par le Saint-Esprit. C’est pourquoi demander le Saint-Esprit devient le centre de la vie.

Dieu s'est fait homme pour que l'homme monte jusqu'à Dieu. Nous sommes faits pour Dieu, pour entrer dans la vie de la Trinité. Dieu lui-même est descendu jusqu'à nous pour nous faire monter jusqu'à lui. Le but de notre prière, le but de toute notre vie, ce qui lui donne finalement son sens, c'est d'aller progressivement vers cette vie trinitaire pour laquelle nous sommes faits et dans laquelle nous trouverons finalement notre raison d'être et de vivre.

93. Saint Thomas d’Aquin

Il n'y a rien de futur pour Dieu.

A l’homme qui fait ce qu’il doit faire, Dieu ne refuse pas sa grâce.

Parce que Dieu est Dieu, il n’est pas possible de lui faire tort, par exemple en lui désobéissant. Le seul tort que l’homme puisse faire, il se le fait à lui-même.

La foi permet à l'homme de recevoir la révélation que Dieu fait de lui-même.

94. Henri Madelin

Le Dieu du buisson ardent est le Père de Jésus ; Jésus, par l'incarnation, est devenu le frère de tous les hommes. A la différence des autres dieux dont l'image est partout (on sculpte des dieux en quantité, dans les bois et dans la pierre), le Dieu unique n'a pas de visage. Le Dieu du Sinaï n'a pas de visage, on ne peut pas le comparer aux autres dieux que les hommes fabriquent pour satisfaire leurs instincts et combler leurs besoins. Dieu est trop grand, trop sublime et trop loin de nous pour qu'on puisse le représenter, en donner une image qui n'eût été en fin de compte que la nôtre seulement agrandie. Ce Dieu-là n'a aucun besoin. On ne peut s'attacher à lui qu'en obéissant à ses volontés, par une conduite droite, en conformité avec un code éthique et social.

Les révélations de Dieu dans la Bible se déroulent généralement dans un espace silencieux comme le désert ou la solitude inhabitée de la montagne, là où n'existe aucune échappatoire entre ciel et terre pour fuir la rencontre du mystère par excellence qu'est la présence du Dieu vivant. Sans retrait par rapport au quotidien, l'expérience de Dieu est difficile. Le cœur bruyant et agité risque, lui aussi, de ne pas rencontrer Dieu en vérité.

95. René Coste

Notre Dieu est le Dieu de tous, même de ceux qui le refusent.

96. Didier Decoin

Comme tout le monde, je n’ai pas la moindre idée de ce à quoi ressemble le paradis. Je sais seulement que c’est un lieu où nous serons avec Dieu, dans le plus immense et le plus intense bonheur qui se puisse rêver, et que ce bonheur ne finira jamais. Une éternité au paradis, c’est donc une affaire sérieuse qui vaut qu’on s’en informe.

Dieu est le destin du monde.

97. Jean-Luc Marion

Que l’homme se libère de toute idole qu’il pourrait produire sur Dieu. Et Dieu se définit par le fait qu’on ne peut le connaître. Il y a de l’insaisissable en Dieu, de l’incompréhensible. Et l’homme ne revient à lui-même qu’en en venant à l’Inconnaissable, parce que l’homme est à l’image de Dieu, donc l’homme est plus grand que ce qu’il peut imaginer par lui-même sans la grâce. Pour être vraiment lui-même, l’homme doit se recevoir comme un don du Dieu inconnaissable à jamais.

"Si quelqu’un aime Dieu, alors il se trouve connu par lui" (1 Co 8,2). Dieu ne se fait connaître qu’à celui qui aime.

C’est Dieu qui nous cherche et pas nous qui cherchons Dieu. Le monde n’a donc qu’une seule logique, celle de Dieu. Mais que cette logique nous apparaisse ou ne nous apparaisse pas, c’est une autre affaire, dont on peut discuter vraiment. Il est normal qu’elle ne nous apparaisse pas clairement, mais pourtant il n’y en a pas d’autres.

98. Bultmann

L’une des voies d’accès à Dieu est celle-ci : tant que l’homme ne comprend pas que sa propre existence est finie, absurde, vouée à la mort, il restera fermé à l’interpellation de la Parole de Dieu.

L’existence humaine est animée par la recherche de Dieu car, consciemment ou inconsciemment, elle est sans cesse mue par la question de sa propre existence. S’interroger sur Dieu, c’est s’interroger sur soi-même.

99. Lucien Jerphagnon

Un homme politique de notre temps, ancien président de la république, agnostique presque toute sa vie, retrouve l’espérance chrétienne au seuil de l’éternité. Vers la fin de sa vie, un journaliste évoque avec lui sa prochaine rencontre avec Dieu. Il avait souri et répondu : "J’espère qu’il me dira : sois le bienvenu !".

Rôle des théologiens : tirer vers plus de transcendance l’idée souvent pesante que les gens se font de Dieu.

100. Berdiaev

Le christianisme est (devrait être) la religion de la liberté. Dieu lui-même est infiniment tolérant envers le mal qui existe dans le monde. Il supporte les plus grands malfaiteurs au nom de la liberté.

L’homme n’est pas l’esclave de Dieu. Il faut purifier nos images de Dieu, c’est-à-dire les idées que l’homme se fait de Dieu et qui ne sont que le reflet de certains rapports sociaux. Dieu n’est pas un maître, il ne domine pas. Dieu est le libérateur non le dominateur. Découvrir par la prière que Dieu est attiré vers un autre, il aspire à un amour partagé et qui attend la réponse de l’homme. L’athéisme a raison de protester contre les fausses images de Dieu. Dieu n’est pas un monarque absolu mais un Amour crucifié.

L'être humain peut se fourvoyer tant qu'il voudra, il ne peut renier ce qu'il est vraiment : un être créé à l’image de Dieu, un être tourné vers l'éternité.

101. Colette Kessler

Grandeur de l’homme : il est créé à l’image de Dieu. Et à ce titre, il est destiné à toujours chercher à le comprendre et à sonder le plus profondément possible ses voies et ses volontés.

Pour que Dieu puisse venir chez nous, pour que nous puissions croire en lui, un indispensable effacement du moi est requis pour faire place à autrui et pourvoir s’attacher à Dieu.

La tradition mystique (juive) nous décrit Dieu comme souffrant des souffrances des hommes.

L’Évangile n’a été donné qu’une fois. La foi chrétienne est la même pour tous. Mais l’accueil n’est pas le même chez tous, puisque chacun la reçoit selon sa propre capacité spirituelle, selon son ouverture à Dieu.

La question juive la plus authentique est sans doute celle-ci : Qu'est-ce que le Dieu d'Israël exige de moi ?.

102. Vladimir Lossky

La justice de Dieu, c’est que l’homme ne soit plus séparé de Dieu.

Dieu est quelqu’un qui s’est révélé et ne peut être connu en dehors de la Révélation. Il faut rencontrer ce Dieu personnel par un engagement total : c’est le seul moyen de le connaître.

103. Saint Jean Chrysostome

Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’étant Dieu, il ait voulu se faire homme. Tout le reste de sa vie découle de là : et sa naissance, et l’étable de Bethléem et son baptême au milieu des pécheurs et la croix.

104. J.-L. Jeener

Jésus nous ouvre à l’humanité de Dieu. Dieu est une personne. Les humains sont des personnes. Et à leur mort ils ne se dissolvent pas de manière anonyme dans le grand Tout d’un Dieu non personnel. Jésus nous ouvre à l’humanité de Dieu.

105. P. Sophrony

Croire que Dieu s’est incarné, qu’il nous appelle à être avec lui éternellement, voilà ce qui manque à beaucoup d’hommes de notre temps, surtout parmi les scientifiques.

Dieu peut toucher l’esprit de l’homme et lui donner, d’une manière immédiate, la connaissance de lui-même.

Il est très important que nous restions constamment attentifs aux indications que Dieu nous donne sur ce que nous devons faire et la manière de le faire.

Chacun de nous, aussi petit soit-il, est grand devant l’Éternel ; Dieu établit avec chaque être humain une relation cordiale et unique.

Être aveugle est certes une grande privation. Mais il n’y a pas de malheur plus grand, pas de maladie plus terrible que de ne pas connaître Dieu.

Il n’y a pas de plus grand malheur que de ne pas connaître le Dieu véritable. Il n’y a a pas de plus grand bonheur que de rencontrer le Dieu vivant. Dans la lumière de cette connaissance, non seulement les états agréables, mais encore les situations accablantes et pénibles, sont pleines d’un sens profond, devenant par là même supportables et justifiées.

106. J. de Menasce

Dieu est mystérieux jusque dans les plus intimes grâces et les plus éclatantes clartés. La réalité de Dieu, parce qu’elle est ineffable, ne peut être exprimée autrement que par allusion.

Il ne faut pas cesser de dire à Dieu : Attirez-moi ! sans lui dire comment faire, car tous ses moyens sont bons.

"Dieu est très intelligent, mais je ne le crois pas méchant" : mot d’Einstein inscrit sur l’une de ses statues aux USA.

Dieu entre en nous par nos blessures (J. de Menasce)..

107. André Chouraqui

Le monde que les prophètes dénoncent est celui de l’absence de Dieu. Dès lors la recherche du juste se situe sur la voie de la réintégration de sa présence au sein du monde brisé.

108. Roger Mehl

Le seul privilège des chrétiens, au milieu de tant d’hommes, adeptes souvent admirables de tant de religions, c’est qu’ils ont reçu une parole qui est à la fois de Dieu et Dieu lui-même.

109. Claudel

Le monde est un livre qui nous parle de Dieu.

La tentation de l’homme moderne, c’est de montrer qu’on n’a pas besoin de Dieu pour faire le bien.

110. Taizé

La Bible nous parle d’hommes et de femmes qui ont fait l’expérience de la présence de Dieu dans leur vie.

Dans les béatitudes, Jésus au fond se décrit lui-même. Qui aurait imaginé un Dieu qui vient à notre rencontre de cette façon-là, sous des apparences si ordinaires ?

L’Église a reçu de Dieu une espérance pour toute la famille humaine.

Sans cesse Dieu nous cherche.

111. Jean Guitton

Dans la perspective de l’Ancien et du Nouveau Testament, il n’y a pas de perception de Dieu sans un appel de Dieu en vue d’une mission.

Saint Augustin, dans ses "Confessions", fait bien sentir que, s’il a découvert Dieu un jour datable, plus profondément, Dieu était déjà en lui, c’était lui seulement qui sommeillait.

L’athée n’est pas quelqu’un qui ne croit pas en Dieu. Il est celui qui n’admet pas que Dieu ait une barbe parce qu’il en a une idée plus pure que les autres.

Si les athées étaient si sûrs d’avoir raison, ils ne seraient pas agressifs. Leur zèle, leur propagande, leur cruauté viennent précisément de ce qu’ils ne sont pas sûrs et de ce qu’ils veulent se rassurer… par le grand nombre. Même dans leur ironie, il y a la crainte que l’athéisme ne soit faux. Seuls sont en paix envers eux-mêmes ces grands athées ouverts à tout et qui peuvent se dire : "Je ne crois pas en Dieu. Mais si jamais Dieu existait, je me jetterais dans ses bras".

Dieu s’est enveloppé de ténèbres pour avoir aussi le droit de pardonner notre refus.

Dieu peut avoir des secrets qu’il ne communique pas.

112. Xavier Thévenot

L’une des affirmations les plus centrales du christianisme est peut-être que tout être humain, si perturbé ou si pécheur soit-il, est appelé à la sainteté. Dieu n’enferme jamais quelqu’un dans un échec. Dieu est un donneur d’avenir.

L’apparition du Seigneur ressuscité, triomphant du pouvoir de la mort, fait comprendre à ses disciples que la fin de l’existence terrestre n’est pas le néant, mais la vie dans la communion avec Dieu et tous les saints.

113. Pierre-Paul Grasse

Le monde sans Dieu est un monde absurde, l’homme sans Dieu n’a plus de sens et peut-être même n’est-il plus un homme. Un homme sans Dieu est en tout cas un homme incomplet. Je suis catégorique sur ce point. Je vais même beaucoup plus loin, et je pense qu’un savant, un homme de science, qui n’accepte pas Dieu se prive de la compréhension de l’univers. Dieu est la seule clef qui nous permet de comprendre le monde.

114. Brütsch

Se croire riche, c’est avoir perdu la mesure de Dieu.

115. Karl Barth

On connaît Dieu par Dieu et seulement par Dieu. Si Dieu est connaissable, c’est uniquement par le fait qu’il se révèle. Et puisque c’est en Jésus-Christ que s’accomplit la plénitude de la révélation, c’est uniquement en lui que Dieu devient connaissable.

L'homme pécheur, en son fond, c'est celui "qui voudrait justement éviter de percevoir Dieu". Mais si l'homme pense comme il faut, il laisse entrer Dieu en lui, il rencontre Dieu, il se tient devant lui et marche devant lui.

Ce qui intéresse la Bible, donc ce qui doit aussi nous intéresser, (c’est la question) de l’homme qui rencontre son Dieu et se tient devant son Dieu et auquel Dieu est présent

116. Jean-François Six

Gide aimait répéter qu’il était extrêmement difficile de prouver que Dieu existe, et plus difficile encore de prouver qu’il n’existe pas.

117. Christian Chabanis

Notre corps a une faim et notre âme a une faim. Notre corps doit vivre de pain, et notre âme de Dieu.

André Frossard a mis quarante ans à avouer que Dieu avait fait un jour irruption dans sa vie. Il y a des caricatures de Dieu dont l’athée lucide est le premier à reconnaître qu’elles ne sont pas l’objet de la foi véritable. On ne rencontre pas Dieu au bout d’un microscope, mais le savant croyant le sait aussi bien que l’athée.

Jésus n’est pas le seul sage de l’humanité. Mais parmi tous ces sages, aucun justement n’a osé se prétendre Dieu.

118. Maxime le confesseur

Dieu aime tous les hommes d’un amour égal : le juste qui lui est uni, et le pécheur qu’il cherche à convertir par ses leçons. Ainsi l’homme qui est devenu totalement bon aime comme Dieu tous les hommes d’un amour égal : les justes parce qu’ils sont bons, les pécheurs parce qu’ils sont hommes et qu’il en a pitié comme on a pitié d’un fou qui s’en va dans la nuit.

Dieu a déposé dans le cœur humain le désir de Dieu. L'homme est prédestiné à la connaissance de Dieu.

Ce n’est pas du tout par besoin que Dieu, la plénitude absolue, a amené à l’existence ses créatures , c’est pour que ses créatures soient heureuses d’avoir part à sa vie et pour se réjouir Lui-même de la joie de ses créatures quand elles puisent inépuisablement à l’Inépuisable.

En tous les êtres spirituels, Dieu a déposé secrètement la faculté de le reconnaître; en généreux Seigneur, il a planté dans la nature des humbles humains que nous sommes le désir et l’amour de lui et il nous a donné l’instinct de le chercher à travers tout ce qui est du monde

119. André Sève

Le chrétien est un disciple de Celui qui est venu révéler Dieu.

120. Carlo Caretto

Les pauvres ne sont pas ceux qui sont privés de pain, mais ceux qui ne connaissent pas Dieu.

121. Geneviève Comeau

Mystère de l’élection : le peuple juif, un peuple particulier, choisi par Dieu, reçoit une mission qui concerne toute l’humanité. Ce n’est pas un privilège, c’est une responsabilité.

Ce que le judaïsme peut apporter au christianisme : la mémoire de la transcendance divine ; cela peut inviter les chrétiens à une certaine discrétion dans la manière de parler de Dieu et de ses relations avec l’humanité.

122. Corinne Marion

Nul n’est en un lieu neutre par rapport au Christ, lui qui connaît les cœurs et les raisonnements des hommes. Que nous, nous l’ignorions ne change rien à l’affaire ; car il n’existe pas de "non-lieu" où l’on puisse se dérober au créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible. La vie est un drame qui se joue sous le regard de Dieu et qui a pour objet l’élucidation de ce grand problème qu’est l’existence.

123. Voltaire

Que Dieu existe, la belle affaire, n’importe quel abruti est capable de s’en rendre compte, ça ruisselle d’intelligence ; mais ce que je n’arrive pas à croire, c’est qu’il s’intéresse à moi.

124. Henri-Irénée Marrou

L’essentiel de notre position, c’est la Révélation, l’homme n’est pas seul, Dieu est venu vers lui. C’est révélé, ça ne vient pas de nous.

Il est oiseux de discuter sur le problème de l’existence de Dieu. Si tu as vu flamboyer le Buisson ardent, tu te déchausses, bouleversé.

Pour entendre ce que Dieu veut nous dire, ne pas se mettre de coton dans les oreilles.

125. Cardinal Journet

L’incroyance est le plus souvent le refus d’un Dieu noirci qui passerait son temps, le dimanche après-midi, à noyer les petites filles dans des étangs.

126. Maurice Bellet

On n’a que deux excuses à parler de Dieu : le plaisir et la nécessité.

127. Emilien Tardif

Parfois nous nous préoccupons que les gens accomplissent les commandements de Dieu avant même qu’ils connaissent le Dieu des commandements.

128. Saint Bernard

Dieu est capable de semer en nous des pensées.

129. Xavier Tilliette

Nos civilisations sont asphyxiées par le manque de Dieu, elles étouffent de matérialisme.

130. Jean-Marie Domenach

Celui qui prétend être indifférent à Dieu refoule un désir qui l’habite à l’égal de tous les autres.

131. Maurice Clavel

Personne ne cherche Dieu, Dieu nous cherche, tous. Et celui qui croit le chercher lui doit en secret l’origine de sa recherche. Et donc celui qui ne croit pas refuse de croire, qu’il en ait conscience ou non. Nous ne pouvons connaître Dieu que par Dieu. En effet si Dieu s’est personnellement dérangé pour se révéler aux hommes, s’il s’est donné ce mal, ces émotions, ces tracas, qu’on peut lire dans la Bible, c’est que l’homme ne pouvait pas arriver autrement à le connaître. Personne n’a jamais convertit personne. Dieu seul convertit à Dieu.

On peut bénir l’angoisse qui nous avertit de Dieu, le désespoir qui nous y prépare, demander à Dieu de nous les rendre plutôt que de nous laisser l’oublier.

132. Robert Aron

Le temps présent est le lieu sacré où l’éternité de Dieu rejoint l’actualité.

Dieu n’est pas le protecteur complaisant de ceux qui veulent bien croire en lui. Mais s’inscrivant dans l’histoire du côté de sa création, n’empêchant pas le tonnerre de rouler ses échos, n’empêchant pas l’inondation d’envahir les champs et les bourgs, n’empêchant pas non plus la guerre, les maladies et la mort, il suggère seulement à l’homme que tous ces accidents inévitables de l’histoire s’insèrent dans un plan divin et participent au salut.

C’est par la prière qu’on trouve le chemin qui mène à Dieu.

133. Romano Guardini

Le Dieu vrai et vivant, celui qui est, est celui qui se montre dans la Révélation. L’homme a affaire à lui, qu’il le veuille ou non, pour le temps et pour l’éternité.

134. Jacques Maury

Dieu : Il ne faut pas que quiconque soit privé de la richesse de sa découverte.

135. Patriarche Athénagoras

On ne possède pas Dieu, c’est lui qui nous saisit et nous remplit de sa présence à la mesure de notre humilité et de notre amour.

Nous, chrétiens, nous ne devons avoir peur de rien. Nous n’avons rien à demander, rien à imposer, mais nous devons témoigner que la vie a un sens, qu’elle est immense, qu’elle ouvre sur l’éternité. Car Dieu existe, et cet Inconnu est notre ami.

136. Jean Climaque

Bienheureux celui dont le désir de Dieu est devenu semblable à la passion de l’amoureux pour sa bien-aimée.

137. René Laurentin

Le Christ est venu annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres avec des moyens pauvres, seuls dignes de Dieu.

Dieu voit clair dans la comédie humaine.

138. Eberhard Jüngel

Si l’homme veut trouver Dieu, il faut qu’il renonce à ses propres chemins et qu’il se laisse emmener par Dieu sur ses propres chemins à lui.

139. Pierre Bour

Dieu vit éternellement de la soif de partager sa propre vie.

140. Georges Bernanos

Il n’y a pas un royaume des vivants et un royaume des morts, il n’y a que le royaume de Dieu, et vivants ou morts, nous sommes dedans

Quand Dieu est venu, il s’est fait si parfaitement homme que les journalistes de ce temps-là n’en ont rien su.

141. Soloviev

Pour tout homme cultivé, sans religion, il n’y a que deux solutions : ou se suicider, ou prendre conscience qu’il est néant et confesser que Dieu est tout.

142. Jacques Marin

L’homme a souvent ce côté ridicule de vouloir dicter à Dieu ce qu’il doit faire.

L’homme est un grand solitaire qui a soif de son Dieu.

143. Le livre de la foi des évêques belges

Là où on fait silence autour de Dieu, beaucoup de gens ont froid de n’avoir plus de Père.

144. Albert Schweitzer

Il y a des théologiens qui parlent du Bon Dieu comme s’ils avaient pris le café avec lui.

145. André Fontaine

La Parole de Dieu ne surgit pas seulement au détour de l’histoire universelle. Elle surgit aussi au détour de l’histoire individuelle, le plus souvent comme une question posée à chacun de nous : "Qu’as-tu fait de la vie que je t’ai donnée ? Que comptes-tu faire du peu qui t’en reste ? A côté de cela, tout paraît vain".

146. Cardinal Decourtray

Si Dieu est Dieu, il a le droit de se dire. Il a le droit de se dévoiler. Il a le droit de nous introduire dans la connaissance de son mystère.

147. J. Bancal

On ne peut affirmer Dieu qu’en s’effaçant.

Conviction primordiale du croyant : Dieu a agi, il agit aujourd’hui, il agira demain. Et son action est permanente et cohérente, autant qu’imprévisible.

148. J.-P. Torrell

Dieu ne vient pas seulement à la rencontre de l’homme, il lui donne aussi la possibilité de le rencontrer.

L'homme ne dispose pas de Dieu.

149. André Miquel

Combien de fois faudra-t-il répéter que nous ne sommes pas des imbéciles parce que nous croyons à la divinité de Jésus-Christ ? Nous le savons, c’est difficile, que dis-je ? impossible à imaginer : cet homme en qui nous voyons Dieu fut vilipendé, sali, trahi, torturé, et, pour finir, tué.

La résurrection : l'extrême de l'inimaginable. Ces corps devenus poussière, éparpillés, recréés à partir d'un seul atome perdu en terre ou explosé dans l'infini. Quel livre tient compte de toutes ces vies disparues, oubliées sur les registres de nos états civils ? Un livre, oui, ou plutôt une page unique et souveraine : la mémoire de Dieu.

150. Marguerite Porete

On ne peut dire de personne qu’il est insignifiant, puisqu’il est appelé à voir Dieu sans fin.

151. Graham Greene

Dieu ne cesse pas d’exister lorsque les hommes cessent de croire en lui.

152. Étienne Gilson

On sait que Napoléon Ier est mort, Dieu, c’est moins sûr . Le seul fait que tant d’hommes croient encore utile de faire profession d’athéisme et de justifier leur incroyance par des arguments tels, par exemple, que l’existence du mal, fait assez voir que la question reste encore vivante. Si la mort de Dieu signifie sa mort finale et définitive dans les esprits des hommes, la vitalité persistante de l’athéisme constitue pour l’athéisme lui-même sa plus sérieuse difficulté. Dieu ne sera mort dans les esprits que lorsque nul ne pensera plus à nier son existence.

Qu’il y ait aujourd’hui encore des chrétiens physiciens, biologistes et savants de tout ordre ne prouve rien en faveur de la religion, mais permet au moins d’affirmer que l’esprit scientifique n’exclut pas l’assentiment à l’idée de Dieu.

153. Daniel Marguerat

Personne ne peut faire l’économie du saut de la foi. Dieu n’est pas une sucette à la menthe.

154. Peter Hans Kolvenbach

L’annonce de la foi doit toujours être désintéressée. Nous avons fait l’expérience de cette richesse qu’est Dieu, de cette richesse qu’est le Christ. Nous désirons que beaucoup d’autres, que le Seigneur a mis sur notre chemin, possèdent la même richesse. C’est le commandement de l’amour.

155. Yves de Montcheuil

Nul n’est dispensé de philosopher au degré nécessaire pour justifier son choix et ses choix. Plus il sera profondément persuadé de la nécessité de s’orienter vers Dieu, plus il sera philosophe de la manière dont il convient de l’être.

156. Saint Athanase

Dieu s’est fait porteur de chair pour que l’homme puisse devenir porteur de l’Esprit (Saint Athanase).

157. P. Parent (s.j.)

Quand Dieu parle, il est chez lui dans le cœur de l’homme. Il entre doucement comme l’eau qui imbibe une éponge.

158. C. Feldmann

Ce qui fascine en Dieu, c’est son humble présence. Il ne blesse jamais la dignité humaine. Tout geste autoritaire défigurerait sa face. L’impression que Dieu vient punir est l’un des plus grands obstacles à la foi.

159. Bernard Bro

Le christianisme est fondé sur la communion à un Dieu qui, par amour, a pris l’initiative de venir en personne.

160. Einstein

Dieu est parfois compliqué, mais jamais mal intentionné.

161. Nicolas Cabasilas

Dieu est comme un mendiant d’amour attendant à la porte de l’âme et n’osant jamais la forcer. Lui, le riche, il s’approche de notre indigence, il se présente, déclare son amour et prie qu’on le paie de retour ; devant un refus, il ne se retire pas, il ne se formalise pas de l’injure ; repoussé, il attend à la porte et fait tout pour se montrer véritable amant, il supporte les avanies et il meurt.

Le seul vrai sens de la vie humaine, c'est la communion avec Dieu, dans le Christ, par l'Esprit.

162. X. Nicolas

Le but de l’Église : aider les hommes à prêter attention à l’appel personnel du Dieu vivant dans leur aujourd’hui.

163. Dominique Laplane

Le plan de Dieu ne se trouve pas bloqué par le fait que tous les hommes n’adhèrent pas au christianisme.

Malgré tous ses milliards de neurones, notre cerveau est trop faible pour saisir tous les mystères de Dieu.

Dieu est en un sens tout-puissant, la grandeur de la création en témoigne, mais en un autre, il s’est rendu dépendant car il n’est pas d’amour sans cela.

164. Jean-Noël Bezançon

Si seulement Jésus avait accepté de se présenter, ressuscité, devant Hérode, Pilate, le Sanhédrin ! Ça au moins, ça aurait parlé aux gens ! Déroutante discrétion de Dieu. Même la résurrection se passe dans la nuit.

165. Théophile d’Antioche

Dieu est perçu par les hommes qui sont capables de le voir, c’est-à-dire s’ils ont les yeux de l’âme ouverts. C’est cela avoir le cœur pur : "Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu".

166. Fr. Emmanuel (de Taizé)

Reconnaître en Dieu même un désir d’être aimé par l’être humain.

167. Alberti

Une certaine religiosité dévoyée fait de Dieu une sorte de Père Noël qui donne la richesse, le succès, toutes sortes de bienfaits et de satisfactions matérielles, quand ce n’est pas la ruine et la mort des concurrents. Un Dieu qui serait à notre service. Un Dieu qui ne serait que la projection de nos désirs humains.

168. Jean-Louis Ska

Le Nouveau Testament, comme l’Ancien, affirme avec force que Dieu se fait présent dans notre monde, que la plénitude de la vie est offerte à tous les "pèlerins" de notre terre en quelque sorte. Dieu n’attend pas les voyageurs à l’arrivée, à la porte de l’éternité ; lui-même a pris le bâton et la besace du pèlerin pour parcourir avec son peuple le long chemin qui conduit à la cité de l’infini.

169. Saint François de Sales

Pas un lieu en ce monde, pas un péché en ce monde, qui ne soit un point de départ vers Dieu.

170. Y. Leibowitz

Le croyant n’exige pas que Dieu lui explique la manière dont il dirige le monde.

La Bible est vide de sens pour quelqu’un qui, a priori, n’a pas l’intention de servir Dieu.

171. Daniel Bourguet

La consolation de Dieu, c’est le repentir des hommes. En se repentant, l’homme console Dieu.

172. Jürgen Becker

L’expérience religieuse intérieure est d’origine divine et due à la proximité de Dieu. Le fait d’être saisi intérieurement par le message chrétien provient de la force de conviction de la Parole.

Dieu ne se laisse pas prescrire son comportement.

Le passage de cette vie à la vie à venir passe par un point zéro et par une rupture où la continuité n'est assurée que par Dieu.

Dieu sonde les cœurs et il connaît les dispositions cachées de l'homme. L'homme est un être responsable devant Dieu et devant le prochain. Il a le pouvoir de choisir librement entre le bien et le mal.

173. Gilbert Ganne

Il y a des gens qui ont discerné en Jésus une présence de Dieu.

Un dialogue est possible avec Dieu, car il y a une parole de Dieu. Dans l’Alliance, Dieu propose à l’homme de partager sa vie intime, sa vie personnelle. C’est cela l’Alliance. Le péché, c’est justement la rupture ou l’obscurcissement de ces relations d’amitié. Le péché fait que l’amitié de Dieu ou bien est refusée, ou bien se voile et s’obscurcit.

174. Kierkegaard

Aimer et être aimé, c’est la passion de Dieu.

Le poisson vit dans l’eau, l’oiseau dans le ciel, mais l’homme trouve son élément dans le cœur de Dieu.

175. Henri Caffarel

Dieu est capable d’infuser au centre de notre âme une connaissance de lui qui est à la fois certitude lumineuse de son existence et de sa présence, et ignorance complète de ce qu’il est en lui-même.

176. J. Pieper

On ne peut pas faire l’expérience de la foi si l’on ne conçoit pas Dieu comme un être personnel, capable d’une parole, et l’homme comme un être naturellement tourné vers Dieu (J. Pieper).

177. Khomiakov

Si je ne suis pas capable de te convaincre par des arguments, alors prions ensemble : c’est la conversion éventuelle par le mystère même de Dieu.

178. Amstrong

L’important n’est pas que l’homme ait marché sur la lune, l’important est que Dieu ait marché sur la terre.

179. Christoph Theobald

Dieu n’a qu’une seule chose à nous dire, qu’un seul mystère à nous révéler, c’est lui-même, et lui-même comme destinée de l’humanité.

180. Zielinsky

"Je suis venu apporter le feu sur la terre" (Lc 12,49). Ce feu, c’est le feu qui détruit le mur qui nous sépare de Dieu. Il chasse et brûle tout qui est hostile à lui.

181. Denis Lecomte

Ce que nous disons de Dieu est juste, mais radicalement insuffisant.

182. Thomas R. Kelly

Ce n’est pas nous qui avons la responsabilité de la religion, c’est Dieu. Dieu cherche les hommes, nous ne sommes pas les seuls à les chercher. Il se sert de nous pour gagner les autres. Il veut qu’à leur tour ils trouvent Dieu. L’Éternel travaille sans hâte.

183. Chesterton

Qu’est-ce que c’est qu’un chrétien ? C’est quelqu’un qui commet la grosse faute de goût de vivre comme si Dieu existait.

Depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, on ne peut pas dire qu'ils ne croient plus en rien, au contraire ils croient en tout et en n'importe quoi.

184. E. Bianchi

La foi est un effort constant de purification des images de Dieu qu’elle véhicule.

185. D. Staniloae

Le christianisme ne peut être utile à aucune époque, ni par conséquent à la nôtre, s’il ne lui apporte pas ce que lui seul peut lui apporter, c’est-à-dire le lien avec la source infinie de puissance de Dieu devenu homme, lui-même en communion avec Dieu Trinité.

Dieu a imprimé dans les créatures une tendance vers l’absolu. Dieu a rendu l'homme capable de communier avec lui à sa propre infinité. Et Dieu appelle l'homme à développer ce lien avec lui, avec son aide d'ailleurs.

186. Tertullien

Dieu s’est fait petit pour que l’homme devienne grand.

Dieu est impalpable, mais sa grâce nous le rend présent.

187. A. Nouis

La foi, c’est la découverte que je suis aimé de Dieu. Je suis donc invité à relire mon histoire à la lumière de l’amour.

188. J. Verlinde

Il faut aussi aimer Dieu de toute son intelligence.

189. D. Tillinac

Un élan de charité rapproche plus de Dieu que mille digressions subtiles sur les félicités de son royaume.

190. D. Le Guay

Le jour n’est pas loin où nous aurons un référendum pour savoir si Dieu existe.

191. Shenouta III

Quand l’homme cherche Dieu, c’est qu’il s’est déjà laissé visiter par la grâce de Dieu.

192. Alexandre Eltchaninov

Il n’y a pas de rencontres fortuites : ou bien Dieu nous envoie la personne qui nous est nécessaire, ou bien, à notre insu, nous sommes envoyés par Dieu vers quelqu’un.

193. Jean d’Ormesson

Dieu est invraisemblable, c’est une affaire entendue. L’absence de Dieu est plus invraisemblable encore.

194. G.-M. Cottier

Reconnaître notre absolue pauvreté devant Dieu, notre totale dépendance à l’égard de Dieu.

La responsabilité historique est lourde de ceux qui ont parlé de Dieu, voire en faveur de Dieu, d’une manière basse et étriquée : de telles caricatures de Dieu ne peuvent que conduire au blasphème et à l’impiété.

195. J. Moingt

La recherche de Dieu conduit à interroger ceux qui témoignent qu’ils l’ont rencontré et à interroger l’histoire qui affirme avoir gardé les traces de sa révélation.

196. K. Ware

Être libre n’est pas simplement faire ce qui nous plaît, car la seule véritable liberté est de faire la volonté de Dieu.

197. N. Buttet

Croire, ce n’est pas occasionnellement appeler Dieu à la rescousse.

198. Patriarche Daniel

Adam a agi dans le monde créé par Dieu comme si Dieu ne le voyait pas, comme si Dieu était absent, comme si Dieu n’existait pas. Aujourd’hui beaucoup d’hommes ont du mal à s’apercevoir que Dieu les voit, qu’il est présent, même si, par respect pour notre liberté, il donne l’impression d’être absent.

Dieu Trinité : Dieu n’est pas une solitude éternelle, il est une communion éternelle. Dieu crée l’homme à son image : l’homme est un être de communion (communion avec les hommes et communion avec Dieu, commencée dès ici-bas). Le mystère de l’homme est que l’homme s’accomplit par la communion d’amour avec Dieu et avec son prochain.

199. G. Bédouelle

Dieu nous fait confiance dans notre cheminement personnel, nous fait des suggestions, dans des circonstances, mais sans décider pour nous.

200. P. Goursat

Nous devons prier pour que la grâce de Dieu nous imbibe, nous prenne, nous transforme, sinon nous restons à la surface de nous-mêmes.

201. Fabrice Hadjadj

Parler de Dieu aujourd’hui ? Il faut prêcher l’espérance avant de faire la morale, annoncer le salut avant de dénoncer le salaud.

Celui qui prétend en avoir fini avec Dieu ne fait que rafistoler de vieilles idoles : l’argent, la volupté, les honneurs, le moi, enfin se met à diviniser des riens.

202. S. Clément

Aimer Dieu ! Aime-t-on vraiment si on ne cherche pas à connaître celui qu’on aime ?

203. Cardinal Saliège

L’épreuve est souvent la voie mystérieuse par laquelle le Dieu vivant pénètre dans une âme.

204. J. Arènes

Dieu est inaccessible, et en même temps il touche au plus profond. Il demeure au-dessus du monde, transcendant au monde, et en même temps très présent au monde.

205. D. Bonhoeffer

Le Christ n’est pas celui qui apporte une nouvelle religion, mais celui qui apporte Dieu. Jésus n’appelle pas à une nouvelle religion, mais à la vie.

206. M. Zanotti-Sorkine

La manière dont Dieu conduit les êtres nous échappe totalement (M. Zanotti-Sorkine).

207. Thérèse de Lisieux

"Oh mon Dieu, je vous en supplie, répondez-moi quand je vous dis humblement : qu’est-ce que la vérité ? Faites que je vois les choses telles qu’elles sont, que rien ne m’éblouisse".

La sainteté n'est pas dans telle ou telle pratique, elle consiste en une disposition du cœur qui nous rend humbles et petits entre les bras de Dieu, conscients de notre faiblesse et confiants jusqu'à l'audace en sa bonté de Père

208. A. Chapelle

Le Christ : il vient de Dieu, il va à Dieu. Il va à Dieu entraînant l’homme dans l’immensité de Dieu. Il vient à nous à la crèche pour manifester la familiarité, la proximité, dont Dieu seul a le secret. Dieu plus petit que tout, plus grand que tout, simplicité de Dieu, humilité et majesté.

Peut-on aimer Dieu de tout son cœur sans l’aimer avec son intelligence ?

209. Th.-D. Humbrecht

Approfondir sa relation avec Dieu n’est ni une affaire de tempérament ni une option, c’est un progrès offert à tous et nécessaire à chacun.

Tout conspire, sur cette terre, pour permettre à l’homme d’oublier Dieu.

210. Fr. Mauriac

Que de fois l’ai-je rappelé : que Dieu préfère les imbéciles, c’est un bruit que depuis dix-neuf siècles les imbéciles font courir.

Une des plus étonnantes exigences de notre Dieu, c’est de tout demander en demeurant caché.

211. Fr. Rosenzweig

Avoir trouvé Dieu n’est pas une fin mais un commencement.

212. Surin

L’homme est construit pour le bonheur, et ce bonheur n’est réalisé qu’en Dieu.

213. G. Siegwalt

Je suis moi-même un mystère pour moi. Chacun de vous est sans doute un mystère pour lui-même. Donc je ne suis pas mon propriétaire. Il y a quelque chose de moi-même qui m’échappe à jamais, qui est de l’ordre du mystère. Dieu aussi est un mystère. Il est à jamais inaccessible, au-delà de toute saisie par nous-mêmes. Il est à tout jamais transcendant, au-delà de toute mainmise sur lui.

Nous ne pouvons pas prescrire à Dieu la manière dont il agit.

214. H. Boulad

Je puis lâcher la main de Dieu, mais lui ne saurait lâcher la mienne.

215. J. Kelen

On a proclamé : "Dieu est mort !" et on a voulu croire à une libération. Mais l’homme ne se porte pas bien du tout.

Révérer Dieu ne dispense nullement de s’occuper des hommes. Mais à ne servir que les hommes et la planète, on en vient à négliger Dieu.

216. Martin Buber

Dieu : aucun mot n’a été aussi souvent souillé, aussi défiguré. Les générations humaines avec leurs divisions religieuses ont déchiré ce mot ; il porte la trace de leurs doigts à elles toutes, et d’elles toutes il porte le sang. Où trouverai-je un mot qui lui ressemble pour désigner ce qu’il y a de plus haut ? Nous devons respecter ceux qui le vomissent parce qu’ils se soulèvent contre l’injustice et les vilenies qui se réclament volontiers d’un mandat de Dieu.

La grande faute de l’homme, ce n’est pas tant les péchés qu’il commet. La tentation est puissante et l’homme est bien faible. Non ! La grande faute de l’homme, c’est de pouvoir à tout instant retourner vers Dieu et de ne point le faire (D’un spirituel juif du XIXe siècle).

217. J.-Fr. Deniau

Dieu est discret. C’est un avantage qu’il a sur beaucoup de ceux qui parlent de lui comme sur beaucoup de ceux qui dénient son existence

218. Saint Tikhon de Zadonsk

Sans humilité, nous ne pouvons pas voir Dieu.

219. Saint Justin

Avant tout, prie pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, car personne ne peut voir ni comprendre si Dieu et son Christ ne lui donnent de comprendre.

220. M.-J. Lagrange

Le grand défaut de Dieu pour nous, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, c’est qu’il est caché ; aussi a-t-il ménagé notre faiblesse en se révélant dans ses saints.

221. M.-C. Ceruti-Cendrier

La foi en Dieu est rationnelle, c’est l’athéisme qui ne l’est pas.

222. Clément d’Alexandrie

Dieu ne contraint personne, mais il offre sa grâce à qui la cherche.

223. E. Pousset

Dieu est notre Créateur. Du point de vue de Dieu, il n’y a qu’une possibilité pour nous : que nous allions à lui, puisque notre centre est en lui. Du point de vue de l’homme, créé libre, il y a aussi la possibilité de se donner le choix entre le Bien et le Mal.

224. Jenni

Il n’y a aucune évidence de l’existence de Dieu, il n’y en eut jamais et il n’y en aura pas. Si on attend l’apparition, si on attend le miracle, on peut attendre longtemps ; et toujours on soupçonnera d’avoir mal vu, par distraction, illusion ou même hallucination, qui sont toujours convaincantes mais peut-être dues à ce que l’on vient de boire. Si on attend des preuves, elles ne viendront pas.

225. J.-Fr. Bensahel

Nous croyons qu’il y a un sens à ce que nous faisons, à ce que nous vivons ; nous croyons qu’il y a de l’intelligible. Ce sens qu’il s’agit d’appréhender, de découvrir, nous le relions à Dieu, qui en est la cause, et à son Esprit. Il n’y a pas de hasard, nous ne sommes pas des grains de sable ballottés par la mer et le vent.

226. J.-Fr. Malherbe

La foi, c’est, en dépit du malheur, savoir qu’on est aimé de Dieu. L’existence du mal est sans doute la plus forte objection contre l’existence d’un Créateur bon et tout-puissant.

227. Saint Cyprien

Dieu n’écoute pas la voix mais le cœur.

Est-ce que tu as quelque chose de plus important à penser que de parler à Dieu ?

228. J.-M. Tillard

La venue de Jésus-Christ est la visite suprême de Dieu.

229. S. Pacot

Il y a en nous un manque, une béance qui est, en fait, le désir de connaître Dieu.

230. D. Boyarin

L'ignorance, c'est de ne pas savoir le sens de la richesse des choses, de Dieu.

231. Karékine Ier, catholicos de tous les Arméniens

Dieu s'est fait homme et a souffert, voilà la grandeur du christianisme.

232. Saint Jean de la croix

Il faut tenir Dieu caché, le servir caché, en te cachant.

233. P. Kéchichian

L’Église, c'est le monde en tant qu'il accueille le don de Dieu.

234. R. Halter

Une personne qui refuse Dieu et la relation à Dieu est une personne mutilée. L'homme n'est vraiment lui-même que lorsqu’il est en alliance avec Dieu.

235. Mgr Franic

Aujourd'hui, les jeunes cherchent non pas des prêtres de grande science, mais des prêtres qui ont fait l'expérience de Dieu.

236. B. Souchard

Si Dieu est amour, il ne s'impose pas et nous laisse libre.

237. G. Ringlet

Je comprends l'anticléricalisme. Je ne sais que trop d'où il vient. Il faut parfois une vie – peut-être plus ! - pour se débarrasser d'une éducation étouffante et gravement culpabilisante. Et se libérer de tant d'images mensongères de Dieu.

238. Th. Rey-Mermet

L'homme a le sens inné de Dieu, il est naturellement religieux. C'est-à-dire qu'il tend de toutes ses forces à se relier à Dieu, par la prière... Il s'efforce de franchir la distance qui le sépare de l’Être suprême. Dans les religions non chrétiennes, le culte est un effort de l'homme pour s'élever vers le Très-Haut, pour rejoindre le Tout-Grand, pour abolir les frontières vers le Tout-Autre, Dieu... Dans le christianisme, la révélation divine nous apprend que c'est Dieu qui a franchi la distance. Dieu s'est incarné.

239. R. Rémond

L’Église, dans sa longue histoire, a peut-être passé plus de temps à définit les normes de conduite qu'à transmettre le message d'amour de l’Évangile. Au lieu d'enseigner l'amour et la miséricorde de Dieu, l’Église se présentait d'abord comme une institutrice morale. Bonaparte comptait sur "ses évêques" comme sur "ses gendarmes et ses préfets" pour assurer le bon fonctionnement de l'ordre social.

240. E. Rideau

L'athéisme n'est pas la réponse au problème de l'homme et de l'histoire. A longue échéance, il est mort de l'homme et facteur de non-sens. Seul celui qui connaît Dieu connaît l'homme.

241. G. Anawati

On ne demande pas à Dieu pourquoi il agit ainsi.

242. G. Woimbée

La Révélation dit : le monde existe pour Dieu, il appartient à Dieu et Dieu est un mystère pour le monde.

243. C. Schönborn

Le monde vit comme s'il n'y avait pas de Dieu. L'athéisme agressif du communisme attaquait directement et ouvertement l’Église et la religion. L'athéisme rampant de notre monde actuel est bien plus accrocheur et se fait bien moins remarquer.

244. A. Argyriou

Indépendamment de ce qu'ont cru ou n'ont pas cru les hommes au cours du temps, il n'y a qu'un seul Dieu.

245. Syméon le Nouveau Théologien

Pour ceux qui sont devenus enfants de la lumière, le jour du Seigneur ne viendra jamais, car ils sont déjà avec Dieu et en Dieu.

246. M. Dubost

Si Dieu est Dieu, il est important de lui trouver du temps. L'amitié a besoin de temps.

247. H.U. von Balthasar

247.1 Une fois pour toutes, Dieu s’est mis en route pour venir chez nous, et rien, jusqu’à la fin du monde, ne l’empêchera d’y venir et d’y demeurer.

247.2 Toujours l’homme doit trouver Dieu par une conversion, par un aveu qui lui répugne, jamais Dieu ne se trouve dans le prolongement de ses désirs et de son idéal, pas plus que dans celui d’une ascèse ou d’une mystique. - Toutes les expériences humaines doivent servir Dieu, Lui n’a besoin d’aucune, il ne s’en sert jamais sans la transformer par sa touche brûlante.

247.3 Dieu a créé les hommes tellement libres qu’il ne peut les empêcher de lui rire au nez et de lui refuser toute obéissance.

247.4 Il y a un point précis de l’histoire où Dieu entre en scène dans l’histoire du monde (le Fils). - On peut dire que la mort et la résurrection de Jésus intéressent intimement tous les hommes de tous les temps pour autant qu’ils sont solidaires dans l’unique histoire de l’humanité. Le chrétien, c’est quelqu’un qui a trouvé dans le mystère de Dieu révélé dans le Christ sa "patrie secrète".

247.5 La croix seule démontre que Dieu est amour.

247.6 L’homme ne peut pas ne pas éprouver le désir d’échapper au fini et à la mort… et il ne cesse de s’enfermer dans la surdité à la Parole et le refus de Dieu.

247.7 Ce que Dieu veut dire de lui-même, il le dit humainement avec plénitude et justesse en Jésus Christ.

247.8 On dit que Dieu est la toute-puissance; mais la toute-puissance n’est pas aimée; et ainsi le Puissant est plus pauvre que tous. Seule la faiblesse est aimée.

247.9 Nous, qui n’avons pas encore vu Dieu, nous vivons pourtant de lui parce qu’il nous voit et nous avons l’espérance de le voir un jour comme il nous voit.

247.10 Comme un aveugle sent le soleil sans le voir, ainsi en est-il entre l’âme et Dieu.

247.11 Le monde a un sens éternel établi par Dieu. L’homme s’insère dans ce sens par la foi, la prière et l’obéissance.

247.12 Le dialogue entre Dieu et son monde est un drame aux actes innombrables dans lequel Dieu lui-même s’engage, ce que prouve la croix. - Dieu finit par prendre tout le fardeau sur lui en permettant à son Fils bien-aimé de s’anéantir jusqu’à la mort au poteau d’infamie. - Celui qui imaginerait pour Dieu une béatitude sans souci au-dessus du monde passerait à côté des plus profonds abîmes de la vérité. - Dieu se fatigue et se donne de la peine pour moi. Il se comporte comme quelqu’un qui fait un travail pénible. - Et nous : offrir toute notre personne à la peine que Dieu se donne pour le monde.

247.13 Créatures, notre acte premier et insurpassable est l’écoute de la parole qui nous est adressée. Elle contient notre mission et par suite notre être vrai. Notre être vrai : placer notre existence dans le dessein d’amour que Dieu a sur le monde et qui s’est réalisé dans le Christ.

247.14 Voilà ce qui fut le plus divin en Dieu : Dieu possède une liberté si souveraine qu’il put se quitter lui-même. Se donner. Par liberté, se dépouiller de la liberté; par amour, n’être plus libre, n’être plus maître de soi-même.

247.15 Dieu s’est fait homme : voilà bien l’affirmation centrale du message chrétien. Cette assertion sépare radicalement le christianisme de toutes les autres croyances et conceptions du monde… Et voilà que ce quelqu’un se montre terriblement exclusif : "Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler"(Mt 11,27). Toutes les autres religions du monde, tous les autres systèmes de pensée de l’humanité sont des approches tâtonnantes du mystère de l’existence du monde.

247.16 Nous ne sommes pas plus capables de parler et de disposer de l’Église que nous ne le sommes de parler et de disposer de Dieu.

247.17 Quand l’au-delà se manifeste, il se livre sans s’abandonner; il se livre en se réservant. Jésus ressuscité est reconnu et d’autre part on ne réussit pas à le reconnaître. Il se rend présent en se communiquant lui-même et en se dérobant. Tantôt il se fait toucher et tantôt il se soustrait au contact. Il est là (avec son corps),  mais dans une altérité insaisissable, céleste. - C’est ici, dans les apparitions du Ressuscité, qu’il faut se rappeler le plus ce principe que Dieu se manifeste en restant le Dieu caché.

247.18 Il est écrit dans les prophètes : "Ils seront tous enseignés par Dieu" (Jr 31,33 s; Is 54,13; Jn 6,45), mais seuls les simples sont attentifs à cet enseignement.

247.19 Seigneur, si tu n’es pas ici, où te chercherai-je dans ton absence? Et si tu es partout, pourquoi ne vois-je pas ta présence? (Prière de saint Anselme). - Commentaire : "C’est une prière qui ne peut recevoir de réponse que dans la prière. Le mystère caché de Dieu est un respect divin plein d’amour pour la liberté de sa créature. Et celle-ci doit se mettre à l’école de l’Amour éternel pour comprendre que son caractère caché n’est pas une dérobade mais au contraire un accompagnement de sa créature.

247.20 Dieu est honoré par le silence… parce que nous comprenons que nous ne sommes pas parvenus à le saisir.

247.21 Le but de l’incarnation était de nous ouvrir et  de nous confier l’être et la vie intimes de Dieu.

247.22 L’être humain ne commence à exister que lorsqu’il a de la valeur aux yeux des autres. Quand un enfant apprend de sa mère qu’il est son "trésor", s’éveillent en lui la conscience de sa dignité  et celle de son caractère unique. - Quand Dieu dit à un sujet spirituel qui il est pour lui, à quelle fin il existe, à quelle mission il le destine, alors ce sujet spirituel devient vraiment lui-même. C’est ce qui est arrivé à Jésus quand le Père lui a dit : "Tu es mon Fils bien-aimé". - On devient vraiment une personne quand on a du prix pour les autres. Et quand c’est pour Dieu qu’on a du prix, en venant à Dieu, l’homme vient pour la première fois vraiment à lui-même. Tenu par Dieu, l’homme devient vraiment personnel. La vérité de la nature humaine est la nature divine.

247.23 C’est sur la croix que le Fils achève la révélation de Dieu.

247.24 Dieu se cache ordinairement et se découvre rarement… Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusqu’à l’incarnation; et quand il est paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité… Et enfin il s’est caché dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, l’eucharistie, le dernier secret où il peut être… - "Dieu, qui est la valeur suprême, veut qu’on le cherche; cela seul est digne de lui". - Il faut donc qu’il y ait assez de lumière pour que l’obscurité de la vraie religion puisse être vue… et assez d’ombre pour que sa révélation soit toujours contestée, et que la rencontre entre Dieu et l’homme s’accomplisse dans la liberté du coeur et sans contrainte logique exercée sur l’intelligence. - "Je suis en colère contre ceux qui veulent absolument que l’on croie la vérité lorsqu’ils la démontrent, ce que Jésus Christ n’a pas fait en son humanité créée" (Pascal).

247.25 Nous ne pouvons jamais atteindre le Dieu vivant autrement que par son Fils incarné.

247.26 L’homme créé est doté d’un penchant élémentaire à se mettre en route vers l’Absolu (Cf. Ac 16,26 s.) pour que Dieu, quand il se met de son côté en route vers l’homme, ne rencontre pas un indifférent mais un être capable d’accueillir sa grâce.

247.27 Dieu est Sagesse, Vérité, Puissance, même si pour vaincre toute résistance humaine, il feint l’impuissance et, pour confondre la sagesse humaine, il fait mine d’être insensé.

247.28 La terre appartient au ciel, et le ciel du Dieu Trinité possède assez d’espace pour y faire entrer la terre et tous ses habitants, sans qu’ils y perdent leur identité.

247.29 Tous les mythes, tous les projets religieux du monde, tout ce qui peut exister de révélation authentique de Dieu dans le monde, converge vers le centre qui est l’incarnation. Le Christ est la mesure de toute révélation, et il se soumet toutes les autres formes de révélation pour en prendre possession.

247.30 Saint Irénée assure que même dans le Royaume futur, Dieu aura toujours quelque chose à enseigner, et l’homme toujours quelque chose à apprendre de lui.

247.31 La pensée chrétienne repose finalement sur un mystère incompréhensible : sur le fait que, dans le Christ, Dieu est entré personnellement dans l’histoire et a pris sur lui la faute et le destin de l’homme.

247.32 D’après la révélation chrétienne, l’histoire dans son ensemble aussi bien que celle de l’individu vient de Dieu et va vers Dieu. Le temps n’est pas purement cyclique comme le retour nécessaire des quatre saisons au long de l’année. L’histoire ne tourne pas en rond. - Le Fils est sorti du Père et il est venu dans le monde. Puis il dit: ‘Maintenant je quitte le monde et je vais au Père’ (Jn 16,28); et par là il entraîne le monde dans son orbite. - Mais nous retournons à notre origine, nous nous efforçons de retourner à Dieu non en retournant en arrière, en remontant au paradis – parce que la route est obstruée – mais en progressant vers le jugement, en avant.

247.33 Ne pas comprendre et pourtant croire et dire oui est essentiel à la foi chrétienne. Le Fils lui-même sur la croix ne comprendra pas pourquoi le Père l’a abandonné. "Si tu comprends, ce n’est pas Dieu", disait saint Augustin. Ce mot d'Augustin reste vrai pour l'éternité.

247.34 Mystère de la Providence. L’Église opaque. Elle devrait révéler le Dieu de Jésus Christ. Pour les non croyants, souvent elle le cache. Fait de l’Église et des hommes d’Église, notre fait à nous. - Qui d’entre nous n’obscurcit pas le visage de Dieu devant les non croyants et même devant nos frères chrétiens, par le scandale?.

247.35 C’est en allant vers Dieu que l’homme arrive vraiment à lui-même.

247.36 Dieu : Il est une personne vivante qui ramène sans cesse le peuple d’Israël sur le chemin que celui-ci refuse de parcourir et repousse instinctivement de tout son être, avec obstination et entêtement. - Cet Être mystérieux qui ne livre jamais son nom libère Israël de l’esclavage, l’entraîne à travers le désert, lui fait don de belles promesses. Même s’il se révolte contre lui, même s’il demeure caché, il y a une chose dont Israël est sûr, c’est qu’il existe : il agit, il parle, il guide, il promet et tient ses promesses. - Dieu a impitoyablement traîné son peuple vers son but, à travers toutes les difficultés, à travers les défaites, l’exil, la déréliction, jusqu’à ce qu’il atteigne la fin que Dieu avait poursuivi tout au long de son histoire : dévoiler, dans la discrétion la plus profonde, son visage que personne n’avait jamais vu; non pas le dévoiler, mais le rendre perceptible : comme l’Amour absolu. - "Personne n’a jamais contemplé Dieu, mais nous, nous avons contemplé et nous attestons que le Père a envoyé son Fils, le Sauveur du monde, parce qu’il nous aime".

247.37 Tu voudrais trouver Dieu… et Dieu te tient depuis longtemps dans sa main. D’un seul acte il lance dans l’être la prodigieuse coulée de la création et détermine l’exacte distance à garder par la créature : à savoir que tu dois l’aimer comme Celui qui t’est le plus proche et le révérer comme l’Être le plus élevé de tous.

247.38 Qui est pour moi Jésus Christ? Le seul homme de l'histoire du monde qui ait osé émettre une prétention comme seul Dieu l'a fait dans l'Ancien Testament, qu'on a considéré comme fou et possédé pour cette raison (Mc 3, 21 s.) et qu'on a crucifié. -  Car à un sage sied la modestie; et d'un prophète on attend qu'il dise : "Parole du Seigneur", et non pas : "Mais moi je vous dis". -  Pourtant Dieu le Père a confirmé cette prétention en ressuscitant Jésus... Dieu est si vivant qu'il peut se permettre d'être mort. Aucune religion n'a osé penser et proclamer quelque chose de semblable sur Dieu, l'homme et le monde. -  Pour cette raison, le christianisme demeure sans analogie... C'est de là que dépend pour nous la possibilité de considérer tout être comme digne d'être aimé. Le monde, tel qu'il est, ne nous aurait sans doute pas suggéré une telle idée.

247.39 Par l'acte de création, Dieu pose en face de lui-même une authentique liberté créée qui le lie d'une certaine manière... Cette liberté créée peut s'opposer à la liberté divine sans autre cause qu'elle-même...La créature a la possibilité d'un refus de se reconnaître dépendante (Tout est dit en Gen 3)... -  La création de libertés était une imprudence de Dieu; d'une part Dieu ne peut ni ne veut tolérer un refus; d'autre part, justement parce qu'il le subit, il accepte de le supporter... Axiome des Pères : Dieu ne mène jamais l'homme à ses fins en le forçant, mais par persuasion.

247.40 Toutes les négations de Dieu, toutes les réflexions de toutes les philosophies du monde, nous aident à penser plus juste au sujet de Dieu. -  Reconnaître 1/ La liberté de l'Absolu. 2/ Sa capacité souveraine de faire surgir de sa propre liberté des libertés finies qui soient cependant d'authentiques libertés. De quoi il résulte une réelle contraposition des libertés. -  Que cette opposition existe bel et bien et qu'elle ait de multiples expressions dramatiques, telle est l'une des affirmations fondamentales de la Bible et de la théologie. Il est dangereux de créer des libertés. -  Chesterton, qui s'est converti au christianisme en réfléchissant à la liberté des êtres créés : "D'après la plupart des philosophies, Dieu, en créant le monde, l'a réduit en esclavage. Or, d'après le christianisme, Dieu, en le créant, a créé la liberté. Ce n'est pas un poème que Dieu a écrit, mais une pièce de théâtre, une pièce qu'il avait parfaitement conçue en lui-même et qu'il a dû forcément confier à des acteurs et à des metteurs en scène humains, lesquels en ont fait depuis un beau désordre".

247.41 C'est seulement en communiant avec Dieu que l'homme peut participer à une vie transcendant sa mort. -  Dans la séparation de la mort, l'homme détourné de Dieu découvre irrécusablement qui est le Seigneur de son existence... Il arrive au tournant sans échappatoire possible... Dans la mort, l'homme ne peut plus avoir l'initiative.

247.42 Un Dieu qui, du haut de son propre bonheur intangible, laisserait souffrir ses créatures et ferait servir ses souffrances à sa propre glorification, ne serait pas avec sa créature dans un rapport de modèle à imitation.

247.43 Dieu parle doucement; il est très facile de couvrir sa voix. Il peut aussi parler sans bruit de voix, en silence, et pourtant l'âme comprend alors parfaitement ce qu'il veut... -  On trouve Dieu aussi bien dans le prochain que dans la prière et dans l'eucharistie, et il peut être entendu à travers les désirs et les exigences de nos frères. Prière et charité fraternelle, ces deux chemins qui mènent à Dieu, se croisent et se complètent aussi bien dans le monde que dans les cloîtres.

247.44 Que nous dit la Révélation? Essentiellement ceci peut-être : "Dieu aime le monde, il t'aime personnellement, il te l'a prouvé en Jésus Christ". Mots simples qui ont des implications infinies, qui se révéleront à l'auditeur en temps voulu. - Et la libre ouverture de Dieu peut seule fournir la clef de l'énigme, c'est-à-dire la réponse à la question de savoir somme toute pourquoi il y a un monde, et pourquoi la faute et la souffrance et la mort sont permises, quelle espérance peut avoir la créature.

247.45 Dieu est capable de se rendre compréhensible à chacune de ses créatures, autant qu'il le désire... Comment lui qui a créé le langage serait-il incapable de parler d'une manière compréhensible? -  Mais il parle toujours de telle façon que la créature à laquelle il s'adresse perçoit le caractère inconcevable de Dieu... et qu'il est un mystère qui nous concerne infiniment.

247.46 Le courage de dire oui à toute parole de Dieu qui peut concerner ma vie. Là où l'on prend au sérieux le dépouillement du cœur et de la vie, c'est là que resplendit avec le plus de pureté la véritable force qui n'est pas la mienne mais celle de Dieu. - Plus l'homme est sans défense, plus il est ouvert sur Dieu et pour Dieu, plus la force de Dieu peut se répandre et habiter en lui.

247.47 Tout homme - bon ou mauvais aujourd'hui - sera un jour capable, par la grâce divine, de correspondre à Dieu.

247.48 Nous cherchons Dieu... Nous voudrions l'interroger sur mille choses... Nous l'accablons de problèmes... et nous oublions que dans sa Parole il a résolu pour nous toute question, il a dispensé toute la lumière que nous sommes capables de saisir en cette vie. -  Nous n'écoutons pas du côté où Dieu nous parle : là où la Parole de Dieu a retenti dans le monde d'une manière si unique et si définitive que cela suffit pour tous les temps et que tous à la fois ne l'épuiseront pas.

247.49 Il y a des heures privilégiées où Dieu accorde à l'homme d'apercevoir, soit dans un éclair, soit dans une paisible contemplation, de vastes panoramas de la vérité divine, envisagés presque au point de vue de Dieu. Alors l'incompréhensible peut s'éclairer de manière foudroyante et pénétrer dans le champ d'expérience du croyant. Mais celui qui aime et qui croit ne réclamera pas de "gnose" de cette espèce, et encore moins ne l'exigera impétueusement; il préférera demeurer dans une attitude de confiance réceptive. Dans l'ouverture d'âme qui doit le caractériser, il ne s'enfermera pas dans la foi du charbonnier qui serait fausse humilité; tout au contraire, partout où l'intelligence de la foi s'offre à lui, il la recevra à bras ouverts et se laissera entraîner par elle dans un amour plus profond. Celui qui communique cette intelligence dans l'amour, c'est le Saint-Esprit qui, en tant qu'Esprit des enfants de Dieu, suscite et l'accès direct, béant, à tous les trésors et mystères divins, et l'esprit filial qui ne s'empare pas de ce qui ne lui appartient pas. Il fait partie des merveilles du rapport avec Dieu que la maturité et l'esprit d'enfance grandissent dans la même mesure.

247.50 Qu'est-ce qu'un croyant? Quelqu'un dont le cœur est orienté vers Dieu. Celui dont le cœur est profondément orienté vers Dieu ne doute pas que Dieu vienne à sa rencontre, il croit qu'il le rencontrera un jour ouvertement. -  Et sa foi est en même temps espérance : car dans cette rencontre se manifestera le sens profondément caché de notre existence. -  C'est pourquoi il aime par avance cette rencontre avec Dieu et s'en réjouit.

247.51 "Dieu nous est plus intérieur que nous-mêmes" (Saint Augustin). C'est pourquoi la grâce peut jaillir de l'intérieur.

247.52 Quand Dieu se fait homme, ce n'est pas à lui-même qu'il s'adresse : il s'adresse au monde. Le Christ est ce discours de Dieu adressé à nous tous.

247.53 En Jésus Christ plus que partout ailleurs se manifeste le mystère du fondement de l'univers. Mais cette brève manifestation ne rend que plus profondément et plus définitivement perceptible le caractère incompréhensible de Dieu. -  En Jésus, Dieu s'insère dans le chaos de l'histoire humaine, en prenant sur lui la faute de ses créatures égarées.

247.54 Quelle folie de croire que Dieu ne peut que ce que nous pouvons imaginer! (Saint Grégoire de Nysse).

247.55 La raison humaine ne doit jamais s'arroger le droit de juger comme si l'essence des êtres, leur cœur intime, secret, tourné vers Dieu, lui était transparent jusqu'en ses profondeurs.

247.56 C'est seulement en apprenant que je représente pour Dieu un bien et un "tu", que je puis me confier totalement au don qui m'est fait de l'être et de la liberté, m'accepter pleinement comme étant réellement déjà accepté de toute éternité.

247.57 L'homme croit devoir se hâter vers Dieu en oubliant que Dieu le porte depuis longtemps dans ses bras et le berce comme un petit enfant. Il fait des efforts alors qu'il devrait simplement s'abandonner.

247.58 Dieu a couru un grand risque quand il a créé des êtres libres et capables de le contredire en pleine face. Devait-il les damner? Devait-il simplement leur faire grâce? Dans ce dernier cas, il n'aurait pas pris leur liberté au sérieux. Comment pouvait-il prendre ce risque? A une seule condition : que, depuis l'origine (et on devine par là le rôle du Christ comme médiateur de la création), le Fils éternel se pose comme garant des pécheurs par solidarité absolue avec eux, jusqu'à l'abandon par Dieu. - C'est à ce seul prix que Dieu a pu déclarer "très bon" ce monde atroce et lui donner l'être.

247.59 Israël ne fait pas de philosophie. Il ne cherche pas à saisir Dieu, il a toujours été saisi par lui, empoigné par les cheveux.

247.60 Dans toute l’Écriture : Réduit à ses propres ressources, le cœur de l'homme se dérobe à Dieu, non seulement par hasard et occasionnellement, mais essentiellement. - D'autre part, le cœur de Dieu ne se refuse pas à l'homme et il peut inspirer au défaillant la force aimante de demeurer dans la fidélité, c'est-à-dire dans la foi.

247.61 Les chrétiens d'aujourd'hui doivent ne refuser aucun des chemins que Dieu nous ouvre pour accéder au secret de son amour éternel et, en même temps, renoncer à atteindre l'être caché et libre de Dieu à l'aide de la raison naturelle.

247.62 Ce qu'il y a de plus profond dans le christianisme, c'est l'amour de Dieu pour la terre. Que Dieu soit riche au ciel, cela les autres religions le savent aussi. Mais qu'il ait voulu être pauvre avec sa créature, qu'il ait voulu souffrir dans son ciel en communion avec le monde qu'il a créé, qu'il ait effectivement souffert et que, par son incarnation, il se soit mis en mesure de manifester à ses créatures l'amour passionné qu'il éprouve pour elles, voilà ce que personne jusqu'alors n'avait entendu dire. - Et si l'homme qui souffre ne fait que renvoyer à la souffrance du Fils de l'homme qui l'a précédé dans la sienne, le Fils à son tour renvoie par sa Passion au cœur blessé du Père.

247.63 La libre ouverture du cœur de Dieu répand une lumière incomparable qui illumine toute notre existence, nos pensées, nos actes et notre amour... Nous devons nous approcher de ce Dieu inaccessible "en toute confiance par le chemin de la foi au Christ" (Ep 3, 12) qui nous a "interprété" le Dieu "que nul n'a jamais vu" (Jn 1, 18).

247.64 Dieu éclaire et persuade tout homme par le dedans. Et il demande en réponse à tout homme un oui libre et obéissant : la foi, c'est ce oui; et ce n'est que par ce oui que l'homme peut parvenir à sa vérité propre.

247.65 La vision d'un monde sans Dieu et sans mystère est comme une prison.

247.66 L'homme qui essaie de se passer de Dieu essaie de se forger une sorte de sérénité, d'abandon, de résignation, de sagesse souriante, à la pensée que tout est ainsi, l'a toujours été, le sera sans cesse, et qu'il faut donc prendre les choses telles qu'elles viennent; il n'y a que les gamins pour lancer des pierres contre le ciel. Cette placidité, c'est l'attitude de l'homme arrivé à sa maturité selon les juges de ce monde... - La vision chrétienne des choses inclut cette attitude, mais dans le sens d'une disponibilité désintéressée à assumer n'importe quelle tâche pourvu qu'elle vienne de Dieu.

247.67 On peut dire que tout l'agir du Dieu vivant a eu de tout temps pour but la résurrection du Fils.

247.68 Il fait partie du respect que Dieu porte à sa créature de ne pas remplacer ni d'anticiper ce qu'elle peut trouver par ses propres forces; Dieu n'est pas un père qui fait les devoirs scolaires de son fils.

247.69 Essayer d'entendre la Parole de Dieu puisque la révélation concerne chaque homme et chaque génération.

247.70 Jésus a la prétention de révéler au monde la parole définitive de Dieu.

247.71 Liberté de l'homme devant Dieu. "Il leur a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu" (Jn 1, 12). Dieu ne dispose pas simplement des hommes pour en faire ses enfants; mais le pouvoir de devenir enfants de Dieu leur appartient à eux-mêmes; ils peuvent faire valoir auprès du Père leurs droits d'enfants.

247.72 Dieu n'a pas fait le monde pour qu'il perdure clos sur lui-même; il l'a créé pour qu'il naisse en lui; il l'a fait surgir de lui-même afin qu'il retourne à lui.

247.73 La croix : c'est ce que le monde a fait à Jésus... et ce que Dieu a fait pour le monde.

247.74 L'homme peut perdre la lumière de l'Esprit Saint par le péché. Une fois perdu le contact avec la source de la lumière et de la vie, l'homme doit traverser un désert aride pour regagner sa patrie originelle, le ciel. Le retour à Dieu est l'histoire de l'humanité et du monde entier..

247.75 L'homme existe avec sa jouissance et son tourment, et il existe aussi un Dieu qui de l'intérieur en sait le pourquoi. - Le drame de l'existence humaine se joue sous le regard de la divinité qui, à la fois, domine cette existence et y participe.

247.76 Dieu est si visible qu'aucun homme ne peut le méconnaître sans se rendre coupable, et si secret que personne ne peut l'apercevoir sans les yeux de la grâce.

247.77 Dieu est beaucoup trop grand pour qu'un seul point de vue sur lui puisse contenir l'essentiel, d'où la pluralité des points de vue théologiques même dans le Nouveau Testament : théologie de saint Paul, de saint Jean, de l'épître de Jacques, des épîtres de saint Pierre. - Dieu est beaucoup trop libre pour qu'il ne puisse inspirer que d'une seule manière un écrivain sacré.

247.78 Le temps présent est un temps de mûrissement pour s'ouvrir à Dieu.

247.79 L'homme n'est pas ce qu'il pense être par lui-même, mais ce à quoi Dieu le destine.

247.80 Dieu ne peut être embrassé par aucune pensée humaine. Et même quand il se donne, il échappe à toute tentative de le saisir. Même quand Dieu se révèle d'une manière définitive en Jésus Christ, il demeure l'insaisissable, il demeure dans son inaccessible transcendance.

247.81 L'homme est par nature religieux, il est un chercheur d'absolu. Le choix du chemin lui est d'abord laissé. Cela ne signifie pas que Dieu l'ait laissé seul lors de la création ou l'ait abandonné après son péché, mais qu'il reste voilé et qu'il laisse à l'homme son champ de liberté.

247.82 Dieu se rappelle à nous par la beauté du monde.

247.83 Dieu aura toujours la possibilité de s'exprimer sans ambiguïté en face de l'une de ses créatures, et spécialement dans l’Église.

247.84 Devant le mystère de la majesté absolue de Dieu, nous sommes placés dans une condition de dépendance et de service... Accueillir l'autre tel qu'il veut lui-même se donner.

247.85 Dieu est comme un prince qui voyage incognito à travers son royaume.

247.86 La création et l’alliance demeurent pour Dieu son constant souci; il est ému et touché par les événements terrestres, il est concerné et même affecté par la conduite de l’homme, il en éprouve de la joie ou de la tristesse, il agrée l’hommage de l’homme ou s’irrite contre l’offense, il partage son amour ou il se retire dans un mouvement de colère. La divinité n’est pas impassible. Il y a une tension chez Dieu entre la volonté d’aimer et l’obligation de punir… Tristesse irritée devant le refus et l’endurcissement de ceux qu’il appelle.

247.87 La parole de Dieu signifie la puissance qu'a Dieu d'ouvrir à d'autres son intimité libre, donc cachée, et de la rendre accessible par pur don.

247.88 Un Dieu personnel n'est digne de foi que là où il ne se contente pas de faire des discours sur les souffrances du monde pour les apaiser, mais là où il agit en marchant vers la croix.

247.89 De toutes parts retentit le cri : Où pouvons-nous faire l'expérience de Dieu? Il faut à l'homme un minimum d'expérience comme tremplin pour risquer le saut de la foi. Le fiat de Marie a été précédé du salut de l'ange, les Douze ont été engagés et envoyés par un Maître qu'ils connaissaient, Paul a subi à Damas l'emprise du Christ glorifié qui l'a désapproprié.

247.90 De grands saints jalonnent la tradition théologique : Augustin, Anselme, Bernard, Ignace, Jean de la croix, François de Sales, Thérèse de Lisieux. Ce sont ceux qui aiment qui en savent le plus long sur Dieu. C'est eux que le théologien doit écouter.

247.91 On ne pourra jamais s'habituer à Dieu. Plus on le regarde, plus on désire contempler... Le bonheur pour la créature d'être achevée en elle-même par quelque chose qui est infiniment plus grand qu'elle.

247.92 L'homme, en lui-même, est déjà un langage de Dieu, un discours qui révèle Dieu et qui est doué du pouvoir de répondre. - Mais Dieu avait caché en son cœur une ultime parole, comme une dernière carte lui permettant de gagner, alors que l'homme semblait avoir tout gâché et tout perdu. En présence du Verbe de Dieu, à la fois Dieu et homme, l'homme sera obligé de reconnaître que ce n'est pas lui qui a parlé ou imaginé quelque chose, mais Dieu, parce que l'homme laissé à lui-même, avec toutes ses pensées, tous ses systèmes, toutes ses philosophies n'aurait jamais pu concevoir l'idée d'une résurrection d'entre les morts. - Et l'homme comprendra aussi que cette action sur lui a été accomplie par un homme. Et Dieu ne pouvait l'accomplir que dans l'homme. La Parole divine est descendue verticalement, depuis le sommet suprême, jusqu'au plus bas, dans l'ultime vanité du temps vide et de la mort sans espoir. Elle s'est emparée de la mort, l'a enserrée, lui a arraché son aiguillon. - L'homme de la nouvelle Alliance a, dans le Christ, la mort du péché derrière lui, et la véritable vie vient vers lui comme son avenir.

247.93 La religion chrétienne est quelque chose qui nous vient d'en haut. Tout part de la libre initiative de Dieu et tout (y compris le monde et moi) est fondé par elle. Et tout chrétien doit l'apprendre, il n'existe aucun exercice pour forcer Dieu à venir et à se révéler au monde ou à moi-même.

247.94 Si on admet que rien dans le monde n'est créé sans le Verbe-Parole, alors l'essence la plus intime du monde repose sur le Verbe de Dieu et n'est intelligible que par lui. - Et alors même si l'homme refuse d'entendre la Parole, cela ne change rien à ce fondement, à sa nature intangible de créature qui est de se voir saisie dans un dialogue avec Dieu, qu'elle le veuille ou non.

247.95 Celui qui n'éprouverait pas jusqu'aux racines de son être le frisson devant l'être de Dieu... ne serait pas préparé à la contemplation de Jésus Christ. Il devrait se faire initier à ce mystère par l'Ancien Testament. Sinon on pourrait craindre qu'il ne vienne au Christ que comme un aveugle et un sourd... - Que l'être absolu de Dieu ait résolu de se présenter dans une existence humaine et soit en mesure d'exécuter réellement cette décision : voilà qui doit surprendre sans cesse et toujours plus profondément celui qui contemple l'existence de Jésus, comme quelque chose d'impossible, d'absolument stupéfiant.

247.96 L'athéisme est tout entier occupé par la libération de l'homme. - Libération de la raison hors des liens de la foi (Aufklärung). - Libération de l'homme aliéné par le travail, économiquement aliéné : pour un travail digne de l'homme (Marx). - Libération de l'individu à l'égard des chaînes de son propre passé non maîtrisé (Freud). - Libération de l'humanité à l'égard du cauchemar d'une idée de Dieu à laquelle on ne croit plus, mais qui est traînée comme un cadavre dans l'histoire du monde (Nietzsche). - Pour le chrétien, tous ces efforts de libération se lancent dans le vide.

247.97 Ce qu'il y a de plus profond dans le christianisme, c'est l'amour de Dieu pour la terre. Que Dieu soit riche dans son ciel, les autres religions le savent aussi. Qu'il ait voulu être pauvre avec ses créatures, qu'en son ciel il ait voulu souffrir à cause du monde, qu'il en ait même souffert et que, par son Incarnation, il se soit mis en état de montrer à ses créatures sa souffrance d'amour, c'est cela qui est inouï, qui n'a jamais été entendu jusqu'à présent.

247.98 La mort nous est donnée comme l'occasion de nous remettre sans réserve entre les mains de Dieu.

247.99 Le Christ a apporté quelque chose qui ne se trouve pas dans la nature humaine comme telle: la Parole, la Vérité, la Vie venant de Dieu.

247.100 "Heureux ceux qui ont un cœur de pauvre" : leur intérieur est si vide qu'ils sont tout entiers prêts à accueillir la volonté de Dieu et même sa venue dans leur vie... Rien n'occupant leur champ spirituel, ils sont de tout leur être disponibilité, sans condition ni calcul... comme cette Servante du Seigneur... qui ne répond qu'un oui aux interventions les plus inattendues de Dieu, comme cette pauvre veuve qui, dans le tronc, avait mis tout son avoir (Mc 12, 44).

247.101 La kénose (l'abaissement) du Fils restera toujours un mystère non moins insondable que la Trinité des personnes dans le Dieu unique.

247.102 Dieu n'est pas une forteresse à prendre d'assaut... Au contraire, il est une maison pleine de portes ouvertes par lesquelles nous sommes invités à entrer. Dans le château de l'être trinitaire, il est prévu de toute éternité que nous, qui sommes les autres, nous ayons part au vivant échange d'amour.

247.103 L'action décisive de Dieu pour nous n'a commencé que dans la vie terrestre de Jésus, et cette vie terrestre s'est terminée par un échec, et les actes décisifs ne se produisirent que dans la mort expiatrice de la croix, dans l'abandon de Dieu, dans la descente aux enfers et dans la résurrection le troisième jour. C'est librement que Jésus agit et souffre. - Dieu a pu risquer la création de créatures libres et celle d'un monde de l'agression. Que l'amour de Dieu soit plus inventif que la méchanceté rusée de l'homme, ce n'est pas une victoire déloyale du Créateur sur la créature, car l'amour l'emporte non pas sous le mode de la toute-puissance, mais sous celui de l'impuissance.

247.104 Dieu agit toujours par persuasion, jamais par contrainte (Irénée). Du fait que Dieu ne contraint pas la liberté, l'homme garde son pouvoir de décision face à la grâce, il peut la refuser et, dans ce cas, c'est lui-même qui, librement, choisit de se séparer de Dieu, ce qui signifie la mort.

247.105 Jésus est le prophète suprême à travers lequel Dieu parle à l'humanité.

247.106 Dieu peut se faire comprendre de l'homme sans difficulté.... Il se fait connaître de lui-même à l'homme d'une manière irrécusable... Comment moi qui ai créé l’œil, dit ce Dieu, pourrais-je ne pas voir, moi qui ai créé l'oreille, ne pas entendre (Ps 94, 9) ?

247.107 Dieu n'est jamais plus proche de nous que dans l'humilité et la pauvreté de l'indifférence, dans la disponibilité à la mort et dans le refus de toute tentative pour s'emparer de lui et se l'annexer.

247.108 Le cœur de la synthèse chrétienne, c'est la divinité du Crucifié, Jésus de Nazareth. La clef de l'énigme de l'existence humaine, c'est la possibilité que Dieu souffre avec (et pour) l'homme, dans l'Homme-Dieu. - Prétention du christianisme à être la réalité que rien ne peut dépasser, justement parce qu'il est la seule religion à soutenir que Dieu est allé jusqu'à se faire homme parmi les hommes dans sa propre création : il y a eu communion de souffrance de Dieu avec l'humanité.

247.109 Création : Dieu donne d'exister à quelque chose d'autre que lui. Et à certains êtres créés par lui Dieu donne aussi l'intelligence et la liberté. Par là, il renonce en quelque sorte à une part de sa toute puissance puisqu'il permet à des libertés de s'exercer en face de lui, éventuellement contre lui.

247.110 L'homme est la quintessence du monde. Il est doué de parole parce qu'il est lui-même une parole de Dieu, proférée par lui comme une invention unique. Et l'homme, invention unique de Dieu, est apostrophé par Dieu et convié par lui à lui répondre. - L'homme est ouvert à tout et à Dieu parce qu'il est choisi et qu'il accepte de répondre à la parole qui lui est adressée - cette parole qui lui donne l'être et son assise. L'homme n'est en sécurité que sur ce sommet ultime.

247.111 Quand la réponse fait défaut, c'est-à-dire quand du côté de l'homme l'histoire de Dieu avec lui est rompue, cette relation débouche sur une crise : pourquoi Dieu devrait-il gaspiller sa grâce pour celui qui, fondamentalement, n'en veut pas?

247.112 Ascension : le Verbe de Dieu, le Fils, retourne au Père pour préparer aux siens une place auprès de Dieu. Et qui, en définitive, ne fait pas partie des siens?

247.113 Jésus a reçu du Père, dans l'Esprit Saint, la mission dé révéler l'essence de Dieu et son attitude envers les hommes. Et cela, non pas unilatéralement, comme simple prise de parti de Dieu pour les pécheurs et les indigents, mais incontestablement aussi en révélant tous les autres attributs de Dieu : la colère de Dieu, par exemple, à propos de la profanation coupable du lieu de son culte, le dégoût que Dieu éprouve à devoir demeurer si longtemps parmi ces inintelligents, la tristesse et les larmes de Dieu sur Jérusalem qui a décliné son invitation et même, on peut dire, l'abandon des pécheurs par Dieu dans le cri d'abandon sur la croix... Toute l'existence de Jésus se tient au service de son annonce de Dieu.

247.114 La liberté infinie de Dieu dispose d'une infinité de voies ouvertes, Dieu a de multiples façons de tout faire concourir au bien de ceux qui l'aiment.

247.115 Le point ultime de la Révélation de Dieu, ce n'est pas le fait christologique, c'est la Trinité... dans son rapport dramatique avec le monde. Et la vie trinitaire de Dieu est révélée en Jésus Christ.

247.116 L'homme ne peut connaître le Dieu vivant que par la foi en Jésus Christ.

247.117 Ce qu'il faut d'humilité à Dieu pour s'abaisser dans la condition humaine.

247.118 La relation immédiate entre Dieu et l'âme ne peut jamais, pour le chrétien, faire abstraction du Christ et de l’Église.

247.119 Dieu vient à nous dans le Christ en une apparition sensible et humaine.

247.120 A notre question inquiète : "Est-ce que j'aime Dieu?", l’Écriture nous réplique : "Aimes-tu ton prochain? Qui n'aime pas son frère, qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?" Ainsi une chose est sûre : personne ne peut se tourner vers l'amour de Dieu par déception d'amour humain. Sinon, il tomberait sous le jugement de Péguy : "Parce qu'ils n'aiment rien, ils croient qu'ils aiment Dieu". Mais l'amour humain suffit-il à nous assurer de l'amour de Dieu? S'il s'agit d'un amour désintéressé, oblatif, alors Dieu n'est pas loin.

247.121 Dieu ne se laisse pas considérer du dehors d'une manière neutre; pour être saisi par lui, cela suppose qu'on soit admis dans la sphère sainte de l'Esprit, dans l'intimité sainte entre le Père et le Fils et que l'on participe à l'Esprit divin.

247.122 Les hommes qui se sont remis de tout à Dieu sont aussi par Dieu complètement pris en charge et complètement accomplis. - Marie : son être et ses actes sont uniquement au service de son Fils. Il est au centre.

247.123 Drame de l'homme : il ne peut échapper à sa relation verticale à l'absolu, sans pouvoir la captiver magiquement pour l'enfermer dans sa propre finitude... La nostalgie de l'absolu est le cœur de l'homme... Si l'homme refuse Dieu, il ne trouve que lui-même affronté au temps et à la mort. L'existence de l'homme est alors pathétique : sans cesse confronté à la profondeur énigmatique de l'existence.

247.124 De toute éternité, Dieu ne veut qu'une seule et unique chose : ouvrir l'homme à son amour. C'est à cette fin qu'il a créé le monde.

247.125 L'homme n'aura pas fini d'apprendre son métier d'homme tant qu'il n'aura pas réussi à concilier, aussi parfaitement que possible, l'attitude qui le tient courbé vers la matière et l'attitude droite, le regard levé vers Dieu.

247.126 Dieu s'est abaissé jusqu'à écrire un livre d'enfants à notre usage : la Bible.

247.127 Le phénomène effrayant de l'athéisme moderne pourrait être, entre autres choses, une disposition de la providence pour ramener de force la chrétienté à une manière plus haute de penser Dieu.

247.128 Le péché originel est la perte des rapports réciproques d'amour qui existaient entre Dieu et l'homme. L'homme n'a plus la possibilité de "devenir enfant de Dieu'"(Jn 1, 12), mais il ne veut pas et ne peut pas y renoncer. Car il est destiné à participer à la vie divine, et il a perdu ce privilège quand il chercha à posséder sans Dieu ce qu'il ne pouvait avoir que par Dieu et en Dieu. Ainsi se prolonge nécessairement le péché qui a eu lieu une fois. L'homme s'efforce de reconquérir par ses propres moyens son privilège perdu. Il se passe là ce qui se passe dans les relations entre humains : l'offenseur ne peut pas arracher son pardon à l'offensé; et plus il cherche à l'obtenir de force par des actions pressantes, plus il enfreint la loi de l'amour réciproque. L'homme ne peut pas cesser de se chercher religieusement, pour tirer de lui-même un ordre harmonieux du monde dans lequel Dieu aussi est reconnu à sa vraie place; mais tout cela par les forces propres de l'homme qui refuse de reconnaître son impuissance totale à restaurer son rapport avec Dieu hors de la grâce de Dieu.

247.129 Il m'est demandé le courage de dire oui à toute parole de Dieu qui peut concerner ma vie... Plus l'homme est sans défense, plus il est ouvert sur Dieu et pour Dieu, plus la force de Dieu peut se répandre et habiter en lui.

247.130 Aucune technique ne saurait arracher à Dieu la moindre parole de révélation; il ne la profère qu'avec une liberté souveraine et attend de celui qui la reçoit le oui simple de la foi.

247.131 Dieu est le fondement mystérieux dont nous sommes issus sans qu'on nous ait demandé notre avis et auquel nous finirons par retourner.

247.132 Dieu se révèle à l'homme en vertu de sa propre initiative divine libre... Et c'est seulement en présence de l'Amour absolu que l'homme est amené à sa vérité et, par là, à son intelligibilité... L'homme ne peut se comprendre sans l'acte libre de Dieu qui se révèle... Dieu n'est jamais tout à fait extérieur à l'homme... Le christianisme a dévoilé à l'homme une voie inespérée vers son achèvement qui, en dehors de Dieu, avait toujours échoué; mais c'est une voie qui a comme présupposé la foi en la résurrection du Christ et contrarie ainsi la raison, les conviant à un duel sans cesse renouvelé.

247.133 Il est venu d'en haut pour donner ici-bas une réponse aux questions que tous se posent, il est capable de donner au fini le poids total de l'éternité. Il peut communiquer à tous quelque chose de ce poids d'éternité et de cette plénitude de valeur en face de Dieu... Ou bien l'homme se réjouit de la lumière de Dieu ou il se lamente sur sa finitude... La mortalité n'est pas la fin de tout.

247.134 Il me semble naïf et superficiel de vouloir simplement supprimer tout ce qui est dit du jugement de Dieu dans la Bible (Ancien et Nouveau Testament)... Le jugement de Dieu est inexorable sur tout ce qui n'est pas conforme à la sainteté et à l'amour divin. La colère de Dieu et son amour en fin de compte ne font qu'un. Chose effroyable que de tomber aux mains du Dieu vivant quand le Seigneur jugera son peuple (He 10, 30-31). Chose effroyable pour ceux qui ne veulent pas lui appartenir car, pour les autres, qu'y a-t-il de plus beau que de tomber aux mains du Dieu vivant?... La croix est un jugement qui tombe sur le péché qui est la réalité anti-divine du monde. Le Christ a été fait péché : non pas punition d'un innocent à la place des coupables, mais concentration volontaire en Jésus de tout ce qui en ses frères s'oppose à Dieu. (Substitution : pro nobis). Prise en charge de notre faute... Au centre de la croix : sans aucun doute l'expérience du délaissement par Dieu, expérience du péché livré aux mains de la justice divine, au feu de la sainteté de Dieu. Pour que le Christ puisse connaître ce rejet, il a dû en quelque sorte s'identifier avec le péché des autres. Le Christ ne veut plus distinguer entre lui-même, l'innocent, et ses frères coupables. Spontanéité souveraine de Jésus qui prend sa croix sur lui (Lc 8, 23; 14, 27), croix dont le poids est sans proportion avec ses seules forces humaines. Elle l'écrasera, et plus spirituellement que corporellement.

247.135 Si l'incompréhensible "folie" de Dieu est au centre de la révélation, que seront alors les dogmes sinon autant de garde-fous qui surveillent l'intégrité du mystère? On pourrait les multiplier à loisir, on pourrait aussi - et ne serait-ce pas par hasard l'avenir de la théologie dogmatique? - les simplifier, les faire coïncider et se pénétrer mutuellement puisqu'ils ne sont que des illustrations variées d'un seul et même mystère. Nous croyons que Dieu est un en trois personnes, car s'il n'était pas en lui-même l'amour absolu, il ne serait qu'un égoïste qui ramène tout à sa propre gloire, ou alors, s'il devait aimer le monde, il en dépendrait et cesserait d'être Dieu. La croix du Seigneur est l'apparition chez nous de ce Dieu si dissemblable à nous dans son amour abyssal, et l'histoire ne rétrécira pas cet abîme, au contraire, elle le fera voir et valoir.

247.136 Ne vaut-il pas mieux, en fin de compte, renoncer à réfléchir sur Dieu et à parler de lui s'il reste toujours l'Inconnu même et surtout lorsqu'il se révèle? Nous n'en avons pas le droit puisqu'il est venu à nous à travers des événements - qui ont atteint leur point culminant en Jésus Christ - avec une puissance (ou une impuissance) où il se montrait tellement soucieux de se livrer, de ne pas s'imposer, de nous appeler, que nous pouvons comprendre une chose : il veut exister pour nous, nous cacher dans les profondeurs de son propre amour divin. Jésus nous apprend à nous adresser à cet amour comme à un Toi... Nous pouvons et devons nous livrer inconditionnellement à lui, c'est ce qu'exige de nous l'ensemble de la Bible avec une insistance croissante, et l'exigence est légitime à cause de la preuve que Dieu a manifestée de son amour pour le monde.

247.137 La pensée ultime, et donc aussi la pensée première, du Créateur lorsqu'il envisagea le monde et l'homme fut la "récapitulation" (Saint Irénée, saint Paul) de tous les êtres terrestres et célestes sous un seul Chef, le Christ (Ep 1, 10). Créer l'homme, pour Dieu, c'est se pencher avec un amour personnel infini sur cette créature nouveau-née pour lui insuffler cet amour et susciter sa réponse, un peu comme fait une mère qui, de la force personnelle de son cœur, éveille dans son enfant une réponse d'amour comme une véritable création.

247.138 Tout homme qui veut vivre chrétiennement doit d'abord être mort avec le Christ dans la relation immédiate à Dieu. C'est pourquoi les envoyés de Dieu viennent toujours de quelque manière du désert. Le Christ vient de trente ans de vie cachée, de quarante jours de combat au désert dans la relation immédiate avec Dieu. Le Baptiste vient du désert, Paul vient de trois années passées en Arabie... Et celui qui, fatigué et découragé par le bavardage vide de prière, si fréquent dans la chrétienté actuelle, sort comme Élie dans le désert, peut se trouver soudain devant l'Horeb, la montagne de Dieu, où il a le droit de rencontrer Dieu directement pour être envoyé à ses frères avec de nouvelles missions.

247.139 Dieu prouve sa liberté en se révélant. Et il se révèle comme libre et personnel. Ce faisant, il révèle le sens d'éternité de l'être humain. Dieu se révèle d'une manière scandaleuse par le libre choix d'un peuple exclusif des autres). Dans la nouvelle Alliance, l'exclusivité n'est pas supprimée bien que maintenant la totalité des "peuples" soit conviée à entrer dans l'Alliance. Cette Alliance est exclusive maintenant justement parce qu'elle inclut tous les peuples. Dieu est toujours celui qui choisit souverainement dans l'amour (et il choisit tout le monde). Et il garde pour lui, comme son secret d'amour, sa manière mystérieuse d'inclure tous les peuples, et donc toutes les philosophies et toutes les religions, dans son Alliance exclusive.

247.140 Même si l'homme reste muet en face de Dieu, cela ne change rien au fait que le fondement de sa nature, qu'il le veuille ou non, soit engagé dans un dialogue avec Dieu.

247.141 Dieu est venu là où personne ne l'attendait. Il n'est pas venu au-devant des spéculations des sages et des docteurs et des religions, il n'est pas venu dans la gloire, le tonnerre et la tempête ; il est venu là où personne ne l'attendait : dans la chair qui est faiblesse. C'est elle que Dieu choisit pour exprimer la puissance et l'impuissance de Dieu qui assume tout ce qui est faible et transitoire.

247.142 Que se passe-t-il quand l'homme organise le monde sans Dieu? C'est le collectivisme ou le nazisme, ou le culte du dictateur. On sacrifie l'existence individuelle à l'humanité collective. Il faut que les gens meurent aujourd'hui pour des lendemains qui chantent.

247.143 Par sa "Parole", dans sa révélation surnaturelle, Dieu a la puissance étonnante d'exprimer son altérité abyssale d'une manière intelligible et appropriée au monde, donc sans cesser d'être l'Inconcevable.

247.144 Il y a en Dieu vie éternelle, ce qui signifie surprise éternelle, et il en sera de même pour nous.

247.145 Dieu tient parole même quand l'homme, son enfant et sa créature, le renie. La rupture est alors si profonde que Dieu pourrait presque être tenté de renier l'homme, son enfant, qui le renie. On découvre de telles cassures dans l'ancienne Alliance. Un jour, "Dieu se repent d'avoir fait l'homme sur la terre" (Gen 6, 6). "Il se repent d'avoir donné la royauté à Saül" (1 Sam 15, 11). "Il se repent du bien qu'il a fait à Israël" (Jr 18, 10). Et cependant, après cela, il se repent encore de s'être repenti et il va jusqu'à conclure une alliance éternelle avec Noé (Gen 9, 15) et il promet une alliance éternelle avec Israël (Jr 26, 3) parce que "les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance" (Ro 11, 29), au-delà de tous les fossés historiques de réprobation et de rejet, de reniement. - L'homme est si près du cœur de Dieu que le refus de l'homme de poursuivre le dialogue avec lui brise le cœur de Dieu. Et parce que Dieu est fidèle à sa parole, même quand on le renie, il maintient intactes ses dispositions intérieures même dans l'état de rupture. Jésus Christ est l'Alliance intacte et le dialogue impossible à rompre, en qui Dieu place tout ce qui est sujet à brisure.

247.146 Dieu nous a créés de telle sorte que, pour être nous-mêmes, nous devons entendre la Parole de Dieu. Il nous en a donné le pouvoir avec le devoir... Avec la foi, Dieu nous a donné le pouvoir de l'entendre... Et toutes nos petites excuses n'y changent rien... La table de la foi demeure toujours garnie, que l'invité se présente ou se dérobe sous mille prétextes et excuses.

247.147 Dieu n'est pas un dompteur qui fait faire aux âmes des prouesses extravagantes, mais un amoureux qui ne veut rien d'autre qu'un grand amour, qui reçoit en souriant ce que cet amour lui offre comme une trouvaille, mais rejette tout ce par quoi l'homme, si secrètement que ce soit, veut faire l'important devant lui.

247.148 Le Christ a quitté l'infini de la "forme de Dieu"; il s'est risqué dans la finitude et le vide du temps... pour se confier à la volonté du Père qui lui était donnée à chaque instant, sans que l'éternité lui fournisse aucune sécurité. Ce n'est pas lui qui décide de l'heure, ce n'est pas lui qui la connaît; le Père seul l'a en son pouvoir. Il se laisse conduire avec la patience qui caractérise l'attitude fondamentale du chrétien dans la foi, l'espérance et la charité, comme une indifférence orientée vers le Père. En émergeant ainsi de l'éternité dans le temps, le Fils de l'homme a connu l'angoisse et de ce fait il a traduit en langage humain quelque chose de divin, d'inaccessible (car c'est cela la Révélation : nous rendre accessible ce qui en soi est inaccessible) : les affres, le tremblement de Dieu pour le monde, sa création, qui menace d'être perdu pour lui. Et qui voudrait objecter que cela est incompatible avec l'éternité bienheureuse de Dieu, aurait une bien pauvre idée de Dieu.

247.149 L'homme est capable de percevoir le Dieu qui le rencontre et qui se révèle à lui. L'homme a été créé et équipé par la nature, en tant que créature, pour rencontrer et trouver Dieu en toutes choses, et par conséquent pour pouvoir aussi trouver. C'est cela la nature véritable de l'homme.

247.150 La patrie après laquelle l'homme soupire, c'est Dieu. Ce n'est pas l'homme qui est chez lui dans le monde, c'est le monde dans l'homme. Et il est là pour l'homme... Quand l'homme a atteint son but, le monde atteint le sien avec lui. Mais il ne s'agit pas d'un changement de lieu, comme si l'homme devait sortir du monde pour passer à Dieu, mais c'est lui et le monde qui est sien qui changent d'état... Telle fut dès l'origine l'intention Du Créateur : que la créature soit pleinement elle-même quand elle est en Dieu, que l'homme soit pleinement libre lorsqu'il demeure dans la liberté éternelle.

247.151 Obéir à Dieu et se tenir prêt à accomplir sa volonté se trouve inscrit dans la constitution foncière de la créature. Et pourtant ce n'est possible que par Jésus : "Hors de moi, vous ne pouvez rien faire" (Jn 15, 5).

247.152 Dieu ne pourrait pas être Seigneur s'il n'avait pas la liberté d'être aussi serviteur.

247.153 Au fond le credo est une prière, une adoration... On ne peut parler de Dieu de façon neutre. Ou bien on consent à son existence et on se soumet à sa souveraineté, ou bien on le nie, et alors (puisqu'il n'existe pas), ce n'est pas la peine d'en parler.

247.154 Le vrai Dieu ne peut se rencontrer que dans la stupéfaction. Le Christ appelle ça le "trésor caché" que seuls trouvent les pauvres en esprit... Qui se vante d'être riche n'a encore rien compris... Tout commence vraiment par une ignorance devenue consciente d'elle-même par la réflexion.

247.155 La vie éternelle des créatures spirituelles ne saurait consister en une simple "vision" de Dieu... Dieu n'est pas un objet, mais une vie constamment actualisée dans l'éternité... La créature doit vivre au ciel non en face de Dieu, mais dans son intimité... Il y a identité substantielle entre la vie terrestre de la foi et la vie de l'au-delà.

247.156 Le Dieu caché de Paul est visible dans sa création; Lui qui dépasse infiniment le monde n'est loin d'aucun homme et il veut être cherché avec nostalgie constamment et à travers tout.

247.157 Pour oser faire le saut en Dieu, l'homme doit tenir la main du Seigneur Jésus. Ce saut suppose la totalité de l'homme; celui qui, sans hésiter, laisse à Dieu toute la place, celui-là peut être sûr de Dieu, tout obtenir de lui.

247.158 Le jugement dernier ne veut pas dire que ce jour-là chaque individu particulier se verra rempli de confusion devant les autres. La situation de profonde confusion du pécheur le concerne lui seul, devant Dieu seul. Dans le jugement particulier, on dépose tout sentiment d'envie ou de joie maligne vis-à-vis des autres; par ce jugement de Dieu, on ne peut plus considérer le monde et son histoire et les autres qu'avec les yeux de Dieu.

247.159 Au ciel, chacun saura enfin qui il est en réalité et pourra ainsi pour la première fois faire de lui un don absolument unique. Mais ce don sera commun à tous si bien que nous plongerons éternellement non seulement dans les profondeurs toujours nouvelles de Dieu, mais aussi dans les profondeurs inépuisables de nos compagnons de création, les anges et les hommes. Non pas comme si tout pouvait être embrassé d'un seul regard, comme si dans une sorte d'indiscrétion on pénétrait tout au point de ne rien laisser à découvrir. Cela n'est pas possible parce que Dieu est liberté infinie et que toute personne créée participe à cette liberté qui ne peut être connue que si elle s'ouvre elle-même. C'est pourquoi le ciel sera le contraire de l'ennui.

247.160 L'homme ne peut en définitive s'achever lui-même sans que Dieu s'ouvre librement à lui... On ne peut forcer le Dieu absolu à ouvrir par grâce son domaine intime. La noblesse de l'homme, c'est que sa liberté soit ordonnée à ce domaine le plus libre qui soit... L'homme est un être qui cherche l'absolu à tâtons (Ac 17, 27), Dieu se réservant de venir au-devant de cette recherche pour la mener à son achèvement quand il le veut et sous la forme qu'il veut.

247.161 Si l'on est insensible à la beauté, on peut passer devant le plus pur chef d’œuvre sans le remarquer... Refuser une œuvre d'art est relativement sans conséquences. En revanche, rejeter la parole significative et décisive de Dieu peut devenir jugement pour celui qui s'en détourne librement... Le drame humain : essentiellement, il s'agit toujours de s'ouvrir ou de se fermer à une illumination de l'existence.

247.162 Il appartient aux grands bienfaits de Dieu qu'aucun homme ne se voit tel qu'il est; même s'il se regarde dans un miroir, il se voit transformé dans le miroir. Les autres découvrent de lui beaucoup de choses qu'il ne sait pas, mais par contre ils ne savent que peu de choses de ce que lui-même sait de lui.

247.163 Le désir de Dieu... ne peut être une volonté de puissance qui chercherait à prendre possession de Dieu, mais une volonté de se livrer, de se laisser saisir par lui.

247.164 La vérité, c'est que Dieu est mort par amour pour le monde, c'est que la nuit de la croix de Jésus Christ est la lumière pour l'humanité, donc pour moi. Toutes les sources de la grâce jaillissent de cette nuit. Tout ce que je suis, en tant que je suis plus qu'un être éphémère sans espérance, dont la mort anéantit toutes les illusions, je le suis par cette mort qui me donne accès à la plénitude de Dieu. Je fleuris sur la tombe du Dieu qui est mort pour moi, j'enfonce mes racines dans le sol nourricier de sa chair et de son sang.

247.165 L'enfant qui naît sort, sans résister, de la Parole de l'origine. Celui qui, à l'heure de la mort, ne résiste pas à l'amour de Dieu retourne dans la Parole de l'origine, qui lui était antérieure. Le mouvement circulaire de l'homme sortant de Dieu pour retourner à lui n'est possible que parce qu'il s'inscrit dans la trajectoire du Verbe incarné qui, de sa naissance à sa mort, s'est déroulée en Dieu. Avec cette différence toutefois que l'homme qui est pécheur et s'est détourné de Dieu devra nécessairement être purifié par la grâce du Verbe et passer au creuset du purgatoire afin de retrouver la plénitude que Dieu avait voulue pour lui, la plénitude de son moi véritable.

247.166 Nous confessons Dieu le Père comme créateur du ciel et de la terre. On pourrait douter de la paternité de Dieu quand on jette un regard sur les horreurs de ce monde. L'assertion ne devient tolérable que lorsqu'on ajoute la suite : que ce Dieu n'est pas quelqu'un qui regarde d'en haut et du dehors, mais qu'il envoie en ce monde son Fils bien-aimé, et même le livre au supplice, afin de partager en lui toute la douleur du monde et la transfigurer du dedans.

247.167 Être pratiquant, ce n'est pas seulement suivre les voies sociales de l'année liturgique chrétienne et son cycle de dimanches et de fêtes avec présence à la messe. La pratique chrétienne se joue tout autant dans les voies (inconnues à l'avance) du destin personnel dont on prend particulièrement conscience aux jours de joie, mais sans doute plus intensément encore aux jours d'épreuves. Le chrétien est alors mis en demeure, et rudement, de donner effectivement à son existence le sens de tendre à Dieu. Il se heurte à ses limites, ressent son impuissance et est profondément déçu de soi et de sa vie; fauché par la mort, un être cher l'a quitté; un autre l'a traîtreusement abandonné; une bise glaciale souffle sur l'endroit vide et il s'agit de se décider pour Dieu ou pour le néant. Plus efficace encore est l'effet d'humiliations que le Seigneur a promises aux siens comme grande grâce et qui doivent toujours nous rappeler son souvenir. "Le disciple n'est pas au-dessus de son maître" (Mt 10, 24). Elles sont le signe que le Seigneur et Maître n'a pas oublié son serviteur.

247.168 L'homme. Qui donc est-il? Un incompréhensible mélange qui tient à la matière par le bas et tire son origine de Dieu par le haut.

247.169 L’Écriture. Par les actions passées de Dieu nous pouvons apprendre à mieux connaître le sens de ses actions présentes et futures.

247.170 Dieu veut être aussi bien un Dieu proche qu'un Dieu lointain. Il n'est au fond lointain que pour ceux que l'orgueil ou le scepticisme tiennent loin de lui, tandis qu'il est le Dieu proche pour les humbles, pour ceux qui sont prêts à l'entendre.

247.171 Comme homme, le Christ ne peut pas par lui-même ressusciter; c’est le Père qui, comme Dieu des vivants (Ro 4, 17), réveille le Fils d’entre les morts afin que, de nouveau uni à son Père, il envoie dans l’Église l’Esprit de Dieu.

247.172 Il s’agit pour l’homme de rencontrer dans sa vie le Dieu vivant et de soutenir le choc de cette rencontre. Il doit, en renouvelant son oui, se laisser prendre par Dieu et se laisser mettre à l’abri en lui, donner à sa Parole la prédominance sur sa vérité propre et, dans toutes ses occupations et ses soucis profanes, se laisser conduire par Dieu. L’homme vit alors dans la prière, dans la joie et dans la vérité.

247.173 ar le fait chrétien… une énergie a été enfouie dans le monde d’une manière définitive et insurpassable, énergie qui tend vers l’avant avec plus de vigueur que tout projet utopique concevable à partir du monde. Car par la résurrection des morts, le Christ dépasse d’avance le monde et ses utopies les plus extrêmes… Quelle utopie terrestre serait capable de nous ramener le passé, la mort, les milliards de morts qui nous ont précédés, et pire encore, leurs affreuses souffrances, incompréhensibles en elles-mêmes, absurdes pour le monde, et d’en faire l’avenir et la « bienheureuse espérance de la gloire » (Ti 2, 13)? Et cette espérance la plus utopique… est réellement enracinée dans les cœurs des croyants par la résurrection de Jésus, qui n’est pas un mort quelconque, mais celui que Dieu « a fait péché » (2 Co 5, 21), celui dont le « règne » vise la destruction du « dernier ennemi », la mort (1 Co 15, 26).

247.174 La connaissance de Dieu consiste avant tout à savoir que nous ne connaissons pas ce qu’est Dieu (l’essence de Dieu). Dieu qui demeure toujours caché s’est manifesté à nous par l’intermédiaire du monde créé. Nous ne pouvons pas disposer de Dieu et de sa révélation.

247.175 L’homme est en route pour se soumettre le monde et l’humaniser. Mais seul le chrétien peut voir qu’une mise en valeur du monde et une humanisation purement terrestre ne peuvent en aucun cas constituer une fin ultime satisfaisante pour l’homme individuel ou social. Tout l’effort naturel de l’homme tend vers une fin qu’il ne peut atteindre par ses propres forces… L’homme a besoin d’un autre (Dieu) pour s’achever, pour parvenir à sa vérité propre.

247.176 Le christianisme est d’abord un don de Dieu aux hommes. Et parce que Dieu n’a rien d’un donateur mesquin, c’est le don le plus merveilleux qu’on puisse imaginer… Voici que je vous annonce une grande joie… La seule attitude critique valable de la part de celui qui reçoit ce don est celle d’un coeur comblé qui… s’empresse de dire merci… Pour recevoir ce don, il faut se faire soi-même tout entier oui, merci, accueil.

247.177 La Parole de Dieu a retenti une fois, au centre du monde, dans la plénitude des temps, elle apparaît avec une telle force que c’est tous qu’elle vise et à tous qu’elle s’adresse. Et tous sont atteints aussi immédiatement, aucun n’est défavorisé par quelque éloignement temporel ou spatial. Sans doute une poignée d’hommes sont devenus les partenaires de Jésus dans ses entretiens sur terre, et nous pourrions les envier pour ce bonheur, mais ils se comportèrent tout aussi lourdement et maladroitement dans ces entretiens que nous et tout autre l’aurions fait. Ils n’avaient… aucun avantage sur nous; au contraire, ils voyaient la manifestation terrestre et extérieure du Verbe, et cet aspect leur cachait dans une large mesure le côté intérieur divin.

247.178 L’homme est pour lui-même une énigme qui a besoin de Dieu pour être résolue.

247.179. Il y a un oubli coupable de Dieu, une ignorance plus ou moins voulue de Dieu. C’est de cet oubli coupable que jaillit l’idolâtrie, et dans celle-ci les faux dieux ne sont rien d’autre que la projection de ses propres désirs qui évincent le Dieu devenu gênant : c’est la rupture du lien d’alliance nuptiale avec le vrai Dieu. Il y a ensuite un rejaillissement du péché fondamental sur le domaine de la vie, au plan politique comme au plan social, puisque le Dieu de l’alliance détermine la vérité profonde de l’homme.

247.180 Non seulement nous tendons de la terre au ciel, mais nous sommes, comme chrétiens aimants et croyants, essentiellement auprès de Dieu.

247.181 Dieu, le Seigneur, respecte la liberté humaine qu’il a créée. Il ne fait qu’offrir, il n’impose pas…. Mais cette offre inlassable atteint ses fins en dépit de toutes les résistances de notre mauvais vouloir. Entre la liberté humaine et l’offre divine intervient le mystère : Jésus peut répandre dans les âmes son Esprit qui les délivre de leur obstination à demeurer dans l’esclavage et les conduit à la liberté du consentement. Mystère de l’action conjointe de l’impuissance et de la toute-puissance divines. Mystère aussi de la volonté de Dieu de n’accomplir qu’avec l’homme son œuvre à l’égard de l’homme et de ne pas opérer le salut universel sans aide, sans l’Église, mais surtout l’Église vraiment docile et sainte.

247.182 L’existence humaine est un drame. Dieu en assume la responsabilité, bien qu’il ne soit pas en cause quand l’homme, dans l’exercice de sa liberté, se met à jouer de travers, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que Dieu maintienne l’intention qui est la sienne depuis l’origine. En face, se tient l’homme… laissé à sa propre liberté, condamné à la liberté…, l’homme à qui est accordé le pouvoir de constituer ce qu’il est capable d’être non pas cependant en dehors de la liberté divine, mais au contraire seulement en elle et avec elle : signe à la fois de grandeur et d’indigence. Enfin, entre les deux se trouve le Médiateur… qui doit s’accorder avec chacune des deux parties sans trahir pour autant l’une ou l’autre… Il est lui-même la péripétie dominante de la pièce; il ne s’ensuit pas du tout que le reste du jeu se déroule mécaniquement à partir de là; ce qui se dévoile peu à peu, ce sont des aspects toujours neufs, intenses et inattendus de cette péripétie… jusqu’au dénouement du dernier acte.

247.183 Dieu le Père n’a pas considéré sa divinité comme un privilège exclusif mais il l’a partagé depuis toujours. Puis autre surabondance de l’amour de Dieu : la création et l’histoire du salut. Nouvelle surabondance : le Fils choisit de ramener à son Père la créature dotée de liberté, qui a résolu par cette liberté même de s’éloigner de Dieu. Et puisque Dieu ne reprend pas ce qu’il donne, son Fils est absolument impuissant face à la volonté perverse de l’homme qui le charge, tel un véritable bouc émissaire, de tout le poids de l’iniquité du monde. Le drame de la croix se poursuit le samedi saint lorsque le Fils… accepte de descendre auprès des morts pour être en communion avec les hommes de toujours et de partout.

247.184 La colère de Dieu, c’est sa bonté retournée contre le mal… C’est pour ainsi dire la croix du Père que d’être contraint de donner de lui cette image, jusqu’à ce que le Fils sur la croix en dévoile le sens dernier… Colère et amour n’ont qu’un but dernier qui est le salut de l’homme. Dans l’ancienne Alliance, Dieu apparaît comme le fouleur du pressoir (Is 63, 2 s.), tout maculé du sang des nations qu’il piétine dans sa colère. Mais dans la nouvelle Alliance, le Fils prendra sur lui-même l’effet de la vengeance : c’est lui le raisin foulé.

247.185 La Révélation de Dieu vient, on le sait, par l’intermédiaire de certains hommes, dont on peut dire que, comme prophètes ou visionnaires, ils possèdent de Dieu une connaissance autre et plus expérimentale que ceux qui "viennent à la foi pour avoir entendu la prédication" (Ro 10, 17).

247.186 Il n’existe pas entre l’homme et Dieu un équilibre obtenu une fois pour toutes. Sans cesse l’homme doit se laisser surprendre, désarmer, vaincre par Dieu. Et plus il expérimente combien l’amour de Dieu est sans mesure, plus les exigences de cet amour dans sa vie lui paraissent grandes. Cependant l’homme n’est nullement délaissé et perdu dans son abandon à Dieu. Au contraire, Dieu le Père, dans le Fils incarné et par la conduite de l’Esprit Saint, ménage à l’homme des degrés vers lui et l’habitue à vivre dans le monde divin.

247.187 Dieu, conformément à sa nature divine, et avant tout dans sa révélation historique, détient la pleine initiative dans le rapport de la créature avec lui, parce que c’est lui qui dit qui il est et comment on doit se comporter envers lui.

247.188 Le Dieu qui se révèle en Jésus Christ est le Père miséricordieux de tous ceux qui le cherchent avec un cœur sincère, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent; le Fils de Dieu, par amour de Dieu et des hommes, est mort dans sa passion pour expier les fautes de tous et, dans sa résurrection, il leur a ouvert la voie à la vie éternelle.

247.189 Un commandement ou une défense venant de Dieu ne peuvent être considérés comme une contrainte injuste que si l’homme confère à son propre désir la valeur d’une norme absolue.

247.190 Le rythme incessant de conversion et de rechute scande l’histoire d’ Israël : signe que l’unique nécessaire, l’écoute docile de la parole de Dieu (Lc 10, 42), est chose difficile parce que l’homme ne supporte pas de ne s’attacher qu’à Dieu…. mais se crée sans cesse un sol sous ses pieds pour se tenir debout.

247.191 La révélation divine est parvenue aux hommes dans le Christ. C’est une parole décisive sur les hommes et sur le monde. Une parole que Dieu seul pouvait prononcer. Même si Jésus vient dans le monde, sa parole n’est pas une parole humaine parmi d’autres paroles humaines; la parole de Dieu prend forme humaine mais pour révéler, dans cette forme, le Dieu que personne n’a jamais vu (Jn 1, 18). Dans la parole humaine apparaît l’incommensurable de Dieu. Il se cache tout en apparaissant. Le libre discours de Dieu sur lui-même, l’homme ne peut pas le déduire de ce qu’il sait par ailleurs. Pour percevoir cette parole qui vient de Dieu, l’homme n’a pas la faculté naturelle nécessaire pour la recevoir. Pour recevoir la parole de Dieu, il faut une grâce de Dieu : la foi. En croyant, l’homme peut comprendre et, comme croyant, il peut chercher toujours à comprendre plus profondément. Mais quand le croyant a compris la parole de Dieu, il n’a pas encore compris Dieu tel qu’il est en lui-même. La parole humaine de Dieu n’est pas encore Dieu lui-même.

247.192 Il faut faire attention quand on parle de vision de Dieu dans le ciel parce que Dieu n’est jamais un objet saisissable en plénitude. Si on veut garder ce terme de vision, on doit parler dialectiquement de présence suprême de ce qui dépasse toute compréhension.

247.193 Comment concilier la souffrance du monde avec la bonté de Dieu? Une solution théorique du problème est exclue : une vue totale de ce mystère nous est refusée tant que nous luttons. Nous est uniquement accordé le regard sur le Crucifié délaissé par Dieu, comme si dans ses ténèbres intérieures reposait la lumière qui éclaire tout. Le silence sans réponse à la question (« Père, pourquoi m’as-tu abandonné? ») ne détruit pas la foi du Fils dans le Père… La souffrance de ce monde se trouve tout près du cœur de Dieu… C’est une illusion d’optique de penser que la souffrance se passe ici-bas et que là-haut, un Dieu dans sa béatitude la regarde, désintéressé. Tous les poings de l’homme révolté contre le ciel pointent dans la mauvaise direction… L’amour de Dieu a depuis toujours assumé d’avance toute la souffrance.

247.194 Le tout de ce que Dieu a à dire au monde a été exprimé en un seul homme, en une seule Église.

247.195 Malgré sa supériorité souveraine à l’égard de tout le créé, y compris le ciel, le Dieu de la révélation biblique veut se rendre si concrètement auprès de l’homme qu’il ménage avec lui une rencontre en un point du monde qu’il a lui-même choisi, en un lieu qu’il marque de sa présence.

247.196 Pouvons-nous refuser à Dieu la capacité de se révéler au monde comme il veut ? "L’homme psychique n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu" (1 Co 2, 14).

247.197 Regarder l’amour du Christ ne signifie pas nier les fautes du prochain. Le Samaritain doit voir les plaies qu’il lui faut panser… De même qu’un éducateur doit voir les lacunes de la science et des aptitudes de l’enfant pour pouvoir accomplir son œuvre, le chrétien doit voir avec réalisme ce qui est contraire à Dieu partout dans le monde.

247.198 Dieu ne veut pas accomplir sans nous ses œuvres les plus personnelles.

247.199 Il faut remarquer que toutes les paroles du Seigneur admettant la possibilité d’une perdition éternelle sont d’avant Pâques. Après Pâques, saint Paul nous dit : "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?" … Dieu s’arrange pour que la grâce ait plus de poids que le péché… Le Fils peut préserver tous les hommes, Adam n’a pu en garder aucun. Aussi le Fils, selon la doctrine des Pères, a sauvé Adam lui-même et l’a retiré de l’enfer… Dieu n’aurait pu confier aux hommes leur liberté s’il n’avait pas, dans sa liberté divine, assuré sa victoire sur le monde. Et par ailleurs, s’il y a amour véritable à l’origine, le don de la liberté est absolument requis.

247.200 Dieu veut rencontrer l’homme réellement et entretenir des relations avec lui comme avec un partenaire authentique… L’intention fondamentale de Dieu : s’ouvrir lui-même à l’homme autant que celui-ci en est capable.

247.201 Ce qui constitue l’être le plus intime de l’homme, c’est qu’il est ouvert à Dieu, par une grâce provenant de Dieu même.

247.202 Peut-on faire une quelconque expérience de Dieu? Car si je ne le rencontre nulle part dans mon existence, comment puis-je croire en lui?… On ne ne peut pas faire l’expérience de Dieu comme d’une chose du monde ou même comme d’un autre homme… Dans la révélation biblique, ce n’est pas l’homme qui cherche Dieu, c’est Dieu qui vient rencontrer l’homme. Dieu ne se révèle jamais en réponse à la demande d’un homme, à son désir d’une révélation divine. C’est Dieu qui va vers Abraham avec une promesse que celui-ci n’attendait pas; il va vers Moïse avec une tâche que celui-ci n’espérait pas, qu’il ne souhaitait pas, qu’il refuse même avec entêtement (au point que Dieu se fâche); il va vers Isaïe à qui la vision de sa gloire fait crier : « Malheur à moi, je suis perdu »; et lui aussi reçoit une mission pénible et pleine de désagréments… Au fond tout se passe comme si ce n’était pas l’homme qui doit faire une expérience de Dieu, c’est Dieu qui veut faire une expérience, qui en éprouvant un homme veut établir si l’homme qu’il a chargé d’une mission marche bien sur la voie qui lui a été indiquée. Jésus aussi est passé par là; sa mission est passée par une épreuve qui l’a durci au feu : s’il avait cédé à la tentation d’un messianisme terrestre, il aurait renversé la situation et, au lieu de se laisser éprouver, il aurait mis Dieu à l’épreuve.

247.203 C’est pour nous que le Fils est descendu du ciel, pour nous qu’il a été crucifié, qu’il est mort et fut mis au tombeau. Pour nous, c’est-à-dire en notre faveur mais aussi à notre place. La rédemption a coûté cher à Dieu… Cela a coûté cher à Dieu de réconcilier l’homme avec lui… L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde… Ne pas évacuer le caractère terriblement dramatique de la croix… Sur la croix, le Christ expie notre bienheureuse indifférence : "Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?".

247.204 Dieu, qui n’a nul besoin du monde, achève son œuvre créatrice dans l’économie du salut en se livrant lui-même en toute liberté.

247.205 De toute éternité, Dieu assume la responsabilité du succès de la création. Le Père aussi est impliqué dans la kénose du Fils : comme celui qui envoie et abandonne. L’Esprit n’unifie qu’à travers la séparation et l’absence… Au Dieu créateur et rédempteur rien ne reste étranger de ce qui se passe dans sa création achetée par lui et dont il a pris la responsabilité.

247.206 Dieu veut me faire participer à son éternelle béatitude… Considérer toutes choses comme don de Dieu.

247.207 Le christianisme apporte à la philosophie religieuse un renversement complet du point de départ. Il ne s’agit plus de savoir comment l’âme peut s’approcher de Dieu mais d’apprendre comment, de fait, Dieu s’est approché de nous.

247.208 L’incarnation de Dieu, c’est trop beau pour être vrai. Ou plutôt : si cela n’était pas, il faudrait l’inventer. Cela dépasse l’imagination humaine. Qui oserait attribuer à l’Absolu cette tendresse enfantine? Le Christ inscrit dans l’histoire quelque chose qui se résume en quelques mots : Dieu trine, Dieu homme, mort salvifique et résurrection à la vie de Dieu, le tout uni par une pensée infiniment simple : l’amour éternel, Dieu amour, Dieu homme par amour, cet amour se prouvant par l’absorption de la mort. Le christianisme épuise par là le contenu de toute religion possible. L’Être absolu, pour exprimer l’amour absolu, va jusqu’à la mort, la séparation, le néant. Que pourrait-il y avoir au-delà? Ne sera-ce pas assez d’avoir ce soleil toujours devant soi, à l’horizon de tout progrès et de celui du monde.

247.209 L’audition de la Parole de Dieu suppose la totale disponibilité de l’homme : "entendre" de toute son âme et de toutes ses forces, et accepter le contenu de la Parole comme vérité de Dieu, avec une disposition d’ouverture totale qui ne prétend pas tout savoir d’avance… "Écoute, Israël, ainsi parle le Seigneur ton Dieu".

247.210 Dieu n’est jamais plus proche de nous que dans l’humilité et la pauvreté de l’indifférence, dans la disponibilité à la mort et dans le refus de toute tentative pour s’emparer de lui et se l’annexer.

247.211 L’existence de Jésus a pour but d’aider l’homme à aller jusqu’à Dieu.

247.212 La première œuvre de la foi consiste à ne pas résister à Dieu, à lui faire confiance totalement et à se livrer à l’agir de Dieu.

247.213 C’est sans aucun doute un fait historique que Jésus a appelé des disciples, qu’il les a invités à le suivre dans sa propre vie d’une manière personnelle, et par là a érigé consciemment son propre être en modèle, montrant comment on parvient à la véritable relation avec Dieu.

247.214 L’homme n’est dans le vrai que lorsqu’il vit dans la vérité de Dieu. Et cette vérité, Dieu en a fait don à l’homme par la révélation biblique.

247.215 Le pécheur : celui qui a renoncé à la quête d’une vraie réalité,… qui connaît le morne ennui d’une vie sans Dieu.

247.216 Sans la relation essentielle de l’homme au mystère du Christ, l’homme demeure nécessairement une énigme insoluble. Et donc ce n’est pas un hasard si jusqu’ici on ne lui a jamais trouvé de solution. Le caractère insaisissable de l’homme provient de son face-à-face avec le mystère de Dieu qui est par essence inconnu; l’homme, fait à l’image de Dieu, porte nécessairement en lui quelque chose de ce caractère mystérieux.

247.217 Connaissons-nous ce que nous espérons? Ni connaissance totale, ni ignorance totale. La réponse est donnée dans 1 Co 2,6-16 : et elle tient sur le fil du rasoir. La sagesse de Dieu a besoin d'une libre révélation par l'Esprit intérieur à Dieu, de même qu'un Toi humain ne peut que librement introduire dans son intimité. Aucune "transcendance" des hommes vers Dieu, du Je vers le Tu, ne peut anticiper cette libre ouverture de soi. Affirmation centrale du verset 12 : Nous avons reçu l'Esprit qui vient de Dieu afin de connaître les dons que Dieu nous a faits. Tout ne s'arrête pas à une parole de Dieu : Dieu va jusqu'à déposer son Esprit dans notre esprit. "Don de grâce" qui ne peut être arraché au geste donateur de Dieu et transformé en une possession dont l'homme disposerait de lui-même, en "savoir absolu". La preuve en est que la sagesse mystérieuse de Dieu reste une "folie" pour l'homme charnel... La gloire que Dieu a préparée pour l'homme n'est pas montée au cœur de l'homme par transcendance : elle est pur don de Dieu à ceux qui l'aiment... Puisque l'Esprit de Dieu est intériorisé à l'esprit humain qui aime, celui-ci est vraiment engagé dans son acte de comprendre et de parler, sans que le don de Dieu devienne jamais un bien propre et que le mystère de l'amour merveilleux devienne quotidien et accoutumé. Et parce qu'il aime, le croyant ne cherche pas à savoir quelle part de l'avenir il a pu pressentir. Il est heureux de se laisser sans cesse surprendre par l'amour divin; et connaissant la joie qu'a Dieu de nous surprendre, il se laissera surprendre une dernière fois, qui sera la toute première (Cf. 1 Jn 3,2).

247.218 Se laisser conduire (par Dieu) est essentiellement une attitude d'humilité, de simplicité de la foi; seule cette attitude fraye le chemin à la communication divine, seule elle accorde à la lumière de Dieu tout l'espace d'un cœur purifié.

247.219 Il y a des choses sur lesquelles Dieu maintient un silence divin que nous devons respecter.

247.220 Selon saint Thomas d'Aquin, Dieu est l'Indispensable sans qui l'homme affamé de bonheur ne peut atteindre sa fin.

247.221 Nous ne comprendrions rien à ce qui se passe dans la temporalité... hors de cette profondeur où nous avons notre vérité devant Dieu. Le tout de l'homme n'est pas la vie végétative. Sans cela, les hommes restent d'affreux monstres non développés, des moignons d'hommes... Nous sommes nés de la lumière et nous retournons à la lumière.

247.222 C'est dans notre silence que Dieu fait entendre son appel et nous invite à nous replonger dans notre Origine. Cet appel revêt toutes les formes douces ou cruelles : avertissements et châtiments, hasards intérieurs ou extérieurs, joie et douleur. Quand l'homme se met en quête de Dieu, il y a bien longtemps que Dieu est en quête de lui.

247.223 L'homme a conscience d'être jeté dans l'être sans l'avoir voulu, il tend vers le vide, il n'a pas son fondement en lui-même, son existence lui échappe fatalement. Le Christ est venu de la part de Dieu éclairer son origine; et l'homme a à se laisser conduire vers son origine; il peut se reconnaître comme relié à l'amour absolu du Père parce qu'il est coengendré dans la grâce avec le Fils unique. C'est la seule voie pour l'homme de se comprendre lui-même : le fait d'avoir la vie en lui-même et d'être intelligent, indépendant et responsable, il l'a reçu de quelqu'un d'autre qui lui veut du bien. L'homme est un mystère pour lui-même : il se sait transcendant au monde et il n'a pas en lui-même son fondement ultime; il se sait transcendant au monde et il est finalement le jouet des forces du monde. Le Christ est venu inviter l'homme à ratifier sa dépendance à l'égard de la Liberté qui l'a créé. Nul ne devient malgré lui un enfant du Père céleste.

247.224 Dieu est amour. Il est aussi la magnificence absolue. Mais il nous rend humbles parce que lui-même n'est pas seulement la magnificence absolue mais tout autant l'humilité absolue.

247.225 Seule l'offre de Dieu adressée à l'homme de pouvoir acquérir une vie éternelle intégralement humaine lui ouvre un espace dans lequel il peut déployer un espoir positif d'achèvement... Non pas directement, car la transformation à travers la mort lui reste imposée, mais dans une orientation où il ose, dans la foi en Dieu, espérer son achèvement. Et le Christ pousse de toute sa force vers la conclusion espérée et voulue par Dieu par l'héritage qu'il a laissé : son Église, sa Parole, ses sacrements, ses saints... En agissant ainsi, le Christ ne centre pas tout sur lui-même, il ne se comprend lui-même que comme l'envoyé du Père céleste qu'il sert en lui obéissant humainement de la manière la plus profonde et, sa tâche une fois accomplie, il fait descendre (d'auprès du Père et avec le Père) l'Esprit divin sur l’Église. La venue du Christ dans le monde renvoie à un événement inconcevable au sein de l'Amour libre absolu. Et le Fils, en tant qu'obéissant, révèle cet événement intra-divin et il dévoile aussi l'attitude juste de l'homme devant Dieu : le service jusqu'à l'oubli de soi.

247.226 Le message de Dieu n'est une joie que pour le pauvre... Pour le riche, la parole de Dieu est toujours inopportune, car elle exige tout l'espace, et celui-ci est encombré de possessions personnelles. Le message n'est pas une joie pour lui, mais une gêne, peut-être même un jugement... Les pauvres, n'ayant rien, savent qu'ils ne sont rien, éternels débiteurs, éternels publicains du fond du temple, toujours mineurs devant Dieu. Les majeurs, ce sont les pharisiens et les docteurs de la Loi. Les pauvres, ce sont les gens de rien, les zéros sans importance, les insignifiants dont il n'y a rien à dire et dont on ne tient pas compte, dont on ne demande jamais l'avis. "Ce qu'il y a de fou et de faible dans le monde, c'est cela que Dieu choisit" (1 Co 1,26-28).

247.227 L'homme : "une destinée dont l'origine est indéniable et l'aboutissement énigmatique"... Ce que Dieu cherche, c'est "l'adhésion intérieure" de l'homme... La liberté de l'homme est un reflet de la lumière de la gloire de Dieu révélée sous forme d'une alliance avec l'homme.

247.228 Pour être lui-même, pour être sauf, pour être sauvé, l'homme doit faire de lui-même une réponse à Dieu. Pour parvenir à une pleine conscience de lui-même, il doit s'exprimer envers Dieu comme celui que Dieu, dans son amour, a inventé, voulu, apostrophé. Pour être lui-même, l'homme doit se savoir éternellement blotti et rassasié dans les réserves du Père. Le langage, comme l'acte de foi, requiert une certaine distance, la dignité d'une libre décision de fidélité. Dès que s'obscurcit pour l'homme cette Présence qui l'accomplit, le temps apparaît vide et vain; il se sent perdu et voué à la mort parce qu'un temps vide porte en lui la mort; l'homme n'est comblé que dans l'éternel.

247.229 La Bible ne s'intéresse pas aux dispositions religieuses de l'homme, mais à sa docilité envers la révélation que Dieu fait de lui-même et envers la tâche qu'il lui confie... Celui qui vit et pratique la fidélité de la foi... (reçoit) de façon mystérieuse la certitude d'être sur la bonne voie vers le Père et d'en être l'enfant bien-aimé.

247.230 Dieu est essentiellement don. Nul ne peut recevoir Dieu chez soi en s'appropriant Dieu. Si Dieu est essentiellement don, on ne le connaît et ne le possède que lorsqu'on est désapproprié de soi-même et livré... La foi, c'est la disposition à laisser agir Dieu; non seulement le laisser agir à sa guise, mais vouloir ce qu'il veut, c'est-à-dire vouloir être saisi par lui.

247.231 La réponse à la question du sens de l’existence ne peut provenir que du Dieu vivant et de manière totalement imprévisible… Le plus invraisemblable de tout, c’est que Dieu ne donne pas la réponse du dehors et d’en haut; il n’est pas le juge qui trône et regarde le jeu du monde. Il est réellement un acteur qui entre presque incognito sur la scène, qui non seulement désire éprouver la finitude avec ses heurs et ses malheurs, mais qui veut en vivre le dénouement, c’est-à-dire l’échec et la mort. Si cela est, l’existence n’aura pas à se plaindre d’avoir été méconnue en ce qui lui donne tout son poids.

247.232 "Dieu est amour". Aucune autre religion du monde n'a osé exprimer ces quelques mots : "Dieu est amour".

247.233 Depuis Origène, on sait que "la vie est une inlassable traversée du désert"... "Une multitude de chemins tendent à la rencontre de Dieu".

247.234 Dieu est l'infinie liberté qui ne s'ouvre que d'elle-même.

247.235 L'être intime de Dieu n'est pas pour nous une réalité étrangère. L'être absolu ne peut être pour qui que ce soit une réalité étrangère. Le domaine intime de Dieu ne nous est pas proposé malgré nous. Dieu est notre vrai lieu, le lieu de notre authenticité.

247.236 Pourquoi l'existence? Pourquoi des êtres? Pourquoi quelque chose plutôt que rien? S'il n'y a pas d'être absolu, pourquoi, au sein du néant, existent ces choses finies et éphémères qui ne peuvent jamais aboutir à l'absolu? Mais si l'absolu existe, il se suffit comme absolu et alors on comprend presque encore moins pourquoi il devrait y avoir quelque chose en dehors de lui. Seule une philosophie de l'amour et de la liberté peut justifier notre existence... L'amour de Dieu pour cet enfant qu'est le monde.

247.237 La parabole du fils prodigue et du fils aîné contient un double avertissement. 1. Ne prenons pas le chemin qui nous éloigne de Dieu. 2. Et pour le fils aîné : ne méconnaissons pas la grâce qui nous est donnée d'être proches de Dieu.

247.238 Dieu n'a besoin de damner personne : qui ne veut pas Dieu se condamne lui-même... Celui qui refuse Dieu, un feu le dévore, un feu qui est en lui-même.

247.239 L'homme est-il fait pour un simple idéal humain? Toutes les philosophies, tous les systèmes de pensée et d'explication du monde le pensent. Le propre de la révélation chrétienne, c'est qu'elle interprète l'homme non en fonction de l'homme mais en fonction de l'espace préparé pour lui par l'amour de Dieu : l'homme est jugé par l'amour, orienté vers lui, libéré pour lui, rendu capable de lui. C'est là que se lève le mystère du Fils de Dieu qui est en même temps fils de l'homme. C'est à ce double titre que le Christ n'est pas simplement rivé à un simple idéal humain mais qu'il est capable de racheter les hommes de leurs limites et de leurs insuffisances. L'homme livré à lui-même, avec son horizon purement humain, son idéal simplement humain, est aliéné de lui-même. Le Christ est venu révéler à l'homme ses profondeurs divines vers lesquelles l'homme se met en marche par la foi, l'espérance, l'amour, l'obéissance, la prière, l'élévation de tout son être vers Dieu. En Dieu, il y a un espace d'amour entre le Père et le Fils. Et le Fils est venu appeler les hommes à rejoindre cet espace éternel.

247.240 Le dessein de Dieu sur le monde est de réunir le ciel et la terre dans la plénitude de Jésus-Christ. Par sa divinité, il possède tout ce qui est du Père. Finalement les hommes ne reçoivent parfaitement leur sens que par lui.

248. Saint Grégoire le grand

248.1 Ceux qui ont soif de voir Dieu par un ardent amour, lui sont déjà unis par le désir.

248.2 Celui qui désire Dieu avec une âme pure, possède déjà celui qu’il aime, car personne ne pourrait aimer Dieu s’il ne possédait déjà celui qu’il aime.

248.3 C'est en aimant le prochain qu'on apprend comment parvenir à l'amour de Dieu.

248.4 Quand l’Écriture fait usage d'anthropomorphismes qui semblent indignes de Dieu, le lecteur s'en émeut. Comme s'il était possible de dire quelque chose de digne de Dieu! Presque tout ce qui est dit de Dieu est déjà indigne du fait même qu'on ait pu le dire.

248.5 Dieu appelle par lui-même, il appelle par les anges, il appelle par les pères, il appelle par les prophètes, il appelle par les apôtres, il appelle par les pasteurs, il appelle aussi par nous-mêmes; il appelle souvent par les miracles et souvent par les épreuves, il appelle parfois par les succès de ce monde et parfois par les échecs.

248.6 Ce n'est pas en entendant les préceptes de Dieu que les disciples d'Emmaüs ont été illuminés, c'est en les mettant en pratique.

248.7 Quand l'homme parle de Dieu, il ressemble à un aveugle qui parle de la lumière.

248.8 Quand vous allez au forum ou au bain, si vous rencontrez une de vos connaissances qui n'a rien à faire, vous l'invitez à vous accompagner. Si vous allez vers Dieu, ayez le souci de ne pas y aller seul.

248.9 Seule la charité nous rend beaux aux yeux de Dieu.

248.10 Dieu nous fait signe par la beauté des êtres qu'il a créés. D'une manière étonnante, c'est par les formes extérieures qu'il nous mène aux réalités intérieures. Il nous conduit à une intense admiration de ce qu'il est en nous montrant les réalités merveilleuses qu'il n'est pas.

248.11 L'ineffable sagesse de Dieu instruit les hommes sans bruit de paroles.

248.12 Rien ne suffit sauf Dieu à celui qui le cherche vraiment.

248.13 Le Seigneur ne veut pas qu'on le craigne comme un Dieu, il nous a inspiré de l'aimer comme un père.

248.14 On prie le Père dans sa chambre, toutes portes closes, quand on répand son cœur devant lui sans paroles. Dieu entend la clameur silencieuse des saints désirs.

248.15 Ce qui se passe dans notre cœur est infiniment plus présent à Dieu que ne le sont nos actions extérieures aux yeux des hommes.

248.16 Apprends à connaître le cœur de Dieu dans les paroles de Dieu.

248.17 Les commandements de Dieu ne sont pas faits pour son utilité à lui mais pour la nôtre.

248.18 Nous ne rendons à Dieu un culte en vérité qu'en cessant de le craindre à cause de la confiance qui naît de l'amour.

248.19 Fait pour désirer Dieu seul, l'homme ne peut se contenter de moins que lui; rien d'autre ne peut suffire à l'homme.

248.20 Tout ce que l'esprit humain peut penser de Dieu n'est pas Dieu.

248.21 Pour parler de Dieu, il faut avoir l'esprit en paix et libre. Une eau agitée ne renvoie pas l'image de celui qui essaie de s'y regarder.

248.22 Qui n'est pas dans l'amour de Dieu n'a pas son être véritable.

248.23 La Parole de Dieu se rapetisse pour se mettre au niveau de notre petitesse, comme un père se met spontanément à gazouiller quand il parle avec son fils encore tout petit pour se faire comprendre de lui.

248.24 Autre chose est de savoir quelque chose de Dieu, autre chose de goûter ce qu'on sait.

248.25 L'homme a été créé pour contempler Dieu, pour chercher sans cesse sa face et vivre avec lui dans la familiarité qui naît de l'amour.

248.26 Notre connaissance de Dieu est vraie quand nous comprenons que nous ne pouvons connaître quelque chose de lui parfaitement. Plus pénétrante est notre contemplation, plus grand est l'aveu de notre ignorance.

248.27 L'immensité de Dieu remplit et enserre tout ce qui est; notre âme est incapable de se dilater pour saisir cet infini qui enserre tout.

248.28 Dieu parle tantôt par l’Écriture, tantôt par une inspiration secrète.

248.29 Nous tous qui sommes remplis de foi et qui essayons de dire quelque chose de Dieu, nous sommes les instruments de la Vérité. Et il est au pouvoir de la Vérité d'en jouer par moi pour un autre ou d'en jouer par un autre pour moi. Et souvent la vérité donne à l'un de bien entendre ce qu'elle joue par un autre et à cet autre de bien jouer ce que le premier doit entendre.

248.30 Parce qu'ils ne voient pas Dieu des yeux du corps, les hommes charnels en concluent parfois que Dieu n'existe pas. S'ils cherchaient humblement l'Auteur de toutes choses, ils trouveraient en eux-mêmes que ce qui ne se voit pas a plus de prix que ce qui se voit. Dieu existe d'autant plus qu'il demeure invisible, il est d'autant plus grand qu'il reste incompréhensible.

248.31 La vraie joie de l'esprit, c'est Dieu.

248.32 Qu'est-ce que l’Écriture sainte si ce n'est une lettre du Dieu tout-puissant à sa créature.

248.33 Dieu n'a pas besoin du mensonge; la vérité ne cherche pas à s'appuyer sur la fausseté.

248.34 Celui qui parle de Dieu est comme un muet si le Seigneur qui inspire ses paroles ne crie aussi dans le cœur de l'auditeur.

248.35 Tant que nous sommes ici-bas, Dieu ne nous parle pas tout haut, il nous murmure; il ne se fait pas connaître de nous pleinement, mais il manifeste quand même à l'âme quelque chose de lui. Il nous parlera quand il se fera voir de nous face à face.

248.36 Souvent Dieu nous parle sans paroles, par ses actes.

248.37 Celui qui désire Dieu sincèrement possède déjà celui qu'il aime; on ne peut en effet aimer Dieu sans le posséder.

248.38 La lumière de Dieu ne nous est donnée que progressivement; jamais ici-bas nous ne la possédons en sa totalité.

248.39 Rien de ce qui arrive aux hommes en ce monde ne se fait sans un dessein secret du Dieu tout-puissant.

248.40 Par la raison nous pouvons comprendre que Dieu est, mais nous ne comprenons pas ses décisions.

248.41 Dieu lui-même se charge de mesurer la quantité quotidienne de sa Parole que nous devons comprendre.

248.42 Il y a des gens qui ont de justes pensées sur Dieu mais ils ne s'en servent pas pour sa gloire, ils ne recherchent que la leur.

248.43 L'homme peut connaître de Dieu ce qu'il révèle, non ce qu'il tient caché.

248.44 La vraie nourriture de notre esprit, c'est la vision de Dieu.


 

*

 

8. JEANNE D’ARC DANS L’ŒUVRE D’ADRIENNE VON SPEYR

 

(Paru dans la Revue Jeanne d’Arc, n° 12, mai 2022, p. 129-134)

 

Le texte ci-dessous est tiré du livre d‘Adrienne von Speyr Das Allerheiligenbuch I (Le livre de tous les saints, Première partie), p. 111-116. (Titre allemand complet : Das Allerheiligenbuch. Erster Teil. Herausgegeben und eingeleitet von Hans Urs von Balthasar [= Nachlasswerke, Band I], Johannes Verlag, Einsiedeln, 1966).

 

Le P. Balthasar a présenté brièvement Le livre de tous les saints dans Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 58-61.

 

Patrick Catry, moine de Wisques

 

* * * * * * * * * * * * * *

 

Adrienne la voit d'abord dans son enfance : elle est tout fait naïve, ingénue, enfant, mais en même temps avertie et finaude, une vraie fille de paysan. Il y a une foule de choses qu'elle connaît parce qu'elle a grandi à la campagne et que là on connaît ces choses. Mais elle les connaît dans une parfaite virginité. Elle est toute naturelle, sans pruderie, sans coquetterie. Sa virginité est la dernière chose dont elle se soucie. Même dans les dernières années de sa jeunesse, sa prière demeure celle d'un petit enfant. Elle aime beaucoup prier, les prières prescrites, le matin, le soir. Entre deux aussi, et cela lui fait plaisir. Elle est un peu comme les enfants qui racontent des histoires, qui ont le besoin de raconter des choses à leurs parents ou à leurs frères et sœurs. Elle raconte ses histoires à la Mère de Dieu et aux saints. Et parce que les histoires dans les prières lui semblent plus belles que les histoires inventées d'habitude, elle raconte des histoires priées. Elle a environ dix ans alors.

Quelque temps après, quelque chose en elle est changé. C'est comme s'il y avait en elle quelque chose qu'elle ne veut pas s'avouer à elle-même. A certains moments, elle prie encore comme autrefois, à d'autres moments, le soir par exemple, elle ne prie plus. Peut-être prie-t-elle un peu plus durant la journée pour avoir le soir la permission de moins prier. Cela paraît trop fort ; elle-même ne pourrait exprimer ce qui se passe. Quelque chose est éveillé, quelque chose qui se rapporte à son avenir. Il ne lui est pas possible de regarder ce quelque chose en face ; elle fait un détour pour l'éviter. Cela la remplit de désir et même temps d'angoisse. Quand elle pense à la Mère de Dieu et à l'Enfant Jésus, l'angoisse est là. Avec les autres, elle aime prier la Mère de Dieu mais, dès qu'elle est seule, la gêne est là. Un obscur pressentiment. Avant, elle aimait beaucoup être seule. Maintenant elle préfère de beaucoup être avec les autres enfants. Car, quand elle est seule, d'étranges idées l'envahissent. Elle n'en parle jamais à personne. Tout est mis de côté ; on ne peut pas y toucher. La souffrance concernant la mission opère extérieurement comme une esquive de la souffrance.

Peu de temps avant d'entendre l'appel, c'est comme si l'angoisse avait disparu ; c'est comme si elle s'était si bien ménagée par son esquive que la paix est revenue. A la place, il y a maintenant dans son âme le souci de son pays, la peur de la guerre. Se fait jour alors en elle une nouvelle tension étrange. Elle est la jeune paysanne qui entend les histoires qu'on raconte devant elle. Mais dans cette jeune fille il y a un autre personnage qui est caché : un jeune paysan qui voudrait se battre. Elle trépigne, elle trouve ça insupportable, elle n'en peut plus de devoir entendre des choses pareilles. Elle est solide comme un garçon. Et en même temps, tout à fait séparé de cela, il y a dans son âme un autre sentiment qui est comme une transformation de son angoisse d'autrefois: un sentiment intérieur de défaite, un sens aigu des souffrances, de la débâcle, de l'abaissement de la patrie. Elle est atteinte ici dans ses sentiments les plus intimes. Ici elle n'est plus du tout la naïve jeune fille de la campagne. Cette nouvelle sensibilité s'est développée entièrement dans la prière et ne cesse de se développer. Elle réagit comme le garçon aux nouvelles extérieures ; mais c'est en priant qu'elle reçoit tout à fait intérieurement par Dieu un sentiment de honte pour la défaite. Et il lui semble que Dieu lui-même ne peut plus entendre sa prière parce que lui-même s'est mis à souffrir. Maintenant, dans sa prière, elle peut tout à coup penser de nouveau à Marie et à l'Enfant : presque comme si c'était elle maintenant qui devait consoler la Mère et l'Enfant, et comme si c'était pour eux une consolation de voir ce qui se passe en elle. (Ici il y a quelque chose de très tendre qu'on peut à peine exprimer). C'est comme si la Mère attendait à tout le moins sa prière et comme si l'Enfant s'en réjouissait. Comme si l'Enfant, comme les autres enfants, aimait qu'on lui chantât des chansons tristes. Et puis elle est à nouveau cependant si fière que le garçon qui est en elle n'aime pas penser à la fille qui prie. Comment peut-on être si faible, si inexcusablement faible, pour suivre intérieurement des choses de ce genre ! Et ainsi elle a le sentiment de devoir cacher très profondément le mystère de sa souffrance intérieure pour être forte.

Puis la vocation, le départ. Jusqu'au moment de l'appel, c'est le garçon qui prédomine en elle absolument. Tout son monde de prière et de souffrance est comme englouti par le tumulte de la guerre. Il va de soi qu'elle garde en tout le tact et la délicatesse d'une jeune fille, il va de soi aussi qu'elle continue toujours à prier. Mais elle ne connaît plus que sa mission et mesure toute chose selon cette mission. Pour le moment, elle ne comprend absolument pas que les deux ne font qu'un : la souffrance à l'intérieur et le combat à l'extérieur. Que la voix qu'elle a entendue était une conséquence de sa prière qui avait préparé la voix. Elle pense que la voix ne s'est adressée qu'au combattant en elle. Le combattant en elle est bien sûr croyant, pieux (même si ce n'est pas excessif), tout à fait pur. Mais il n'a reçu la mission que parce que derrière lui se trouvait la jeune fille priante ; l'action violente est totalement issue de la contemplation priante et souffrante.

Après les premières victoires, peu à peu la contemplation recommence à se fortifier. Mais ce n'est que lorsque tout a mal tourné et qu'elle est faite prisonnière qu'elle commence à comprendre que tout ne faisait qu'un. Elle se libère du jeune paysan qu'elle était pour n'être plus que la femme, la femme vierge, la femme priante. Du jeune paysan, elle ne garde que ce qui lui est nécessaire pour se défendre ; devant Dieu elle est déjà toute donnée. Elle est douce et tendre, et elle supporte ce qu'on lui donne à supporter ; elle avait supporté auparavant pour le roi chrétien, elle comprend maintenant que sa mission s'étend et qu'elle doit supporter pour tous les croyants. La fin n'est pas "héroïque" mais toute pure, sans tache, aussi simple que peut l'être la foi d'un enfant et pleine de fidélité. A aucun moment elle ne pense à quelque effet, à quelque morceau de bravoure qu'elle aurait à produire. Elle doit simplement rester fidèle au Christ Enfant qui entre-temps a grandi jusqu'à devenir le Seigneur. Devant le tribunal, elle donne des réponses sans équivoques, parfaitement claires et vraies. Mais elle est déjà tellement détachée d'elle-même qu'humainement elle réalise encore à peine vraiment ce que signifie la situation ; elle est seulement convaincue que le tout fait partie de sa mission et ne peut se terminer autrement que comme sa mission l'exige. Elle s'en est remise de tout à Dieu ; il doit en faire ce qu'il voudra. Il est vrai qu'au début elle pense qu'elle ne devra pas mourir. Mais au fond d'elle-même elle est livrée et elle le sait.

Ses visions : au début, ce sont plutôt des voix qu'elle entend. Des voix qui sont à peine accompagnées de visions, mais elles sont très impératives et elles s'adressent à elle de manière très directe. Elle n'entend pas: "On devrait...", mais toujours "Tu dois!" Et elle entend cela comme une impossibilité, mais elle s'incline comme ceci : elle va faire ce qui est impossible sans savoir comment. Tout d'abord les voix lui tombent dessus tout à fait brutalement, c'est comme une intervention chirurgicale, une opération. Elles sont accordées au jeune paysan qui est en elle. Ce n'est que plus tard qu'elle commence à vivre dans la vision, quand la souffrante et la contemplative s'ajoutent à ce qu'il y a de viril en elle. Son être double se répercute jusque dans la mystique : c'est comme si Dieu ne pouvait atteindre en elle le jeune paysan que par la jeune fille souffrante ; mais d'autre part celle-ci connaît une espèce de consolation par le jeune homme. Car les nombreuses visions ne conviennent pas au jeune homme étant donné qu'elles confirment la jeune fille dans son don d'elle-même, et par ailleurs la rude forme de commandement des voix ne convient pas à la jeune fille mais au garçon.

Les visions ont un certain décorum, une certaine forme d'apparat, qui est au fond un "apparat ecclésiastique". Bernadette ne voit que la pure forme de la Mère ; Jeanne voit les formes dans tout un environnement et toute une atmosphère qui sont pour elle aussi essentiels que les formes elles-mêmes. Certains lieux précis jouent aussi un rôle dans sa vision ainsi que ce qui se déroulera en ces lieux. Elle voit par exemple le lieu où le roi doit être sacré. Dans les visions, ce ne sont pas des ensembles géographiques qui se déroulent comme un plan de bataille surnaturel. Mais certains points et certains buts stratégiques lui sont tracés. Elle peut ensuite comme vérifier sur la carte où elle est et dresser son plan en conséquence. Ce sont des aides pour une certaine étape de sa mission ; quand quelque chose est réalisé, pour elle c'est totalement réglé, elle ne s'en souvient plus ou seulement d'une manière très vague. cela ne la concerne plus. C'est pourquoi après coup elle ne peut que difficilement reconstruire ce qui s'est passé.

La première voix qu'elle a entendue lui reste très exactement présente. A cette époque, elle a dit oui de tout son être et elle voulait obéir totalement. Plus tard, dans les révélations qui viennent l'aider, elle est chaque fois pleine de reconnaissance quand cela se confirme, quand le but est atteint. Surtout aussi parce qu'on commence à la tromper. Elle a connu au moins l'hésitation au commencement de sa mission. Mais quand ensuite, devant le tribunal, elle doit dire une foule de choses dont elle ne se souvient plus très bien, et aussi des choses qu'elle ne comprend pas et qu'elle n'a jamais sues, cela devient plus difficile. Chaque fois, elle cherche à se tirer d'embarras en ramenant tout aux simples vérités du catéchisme. Comme si elle devait se cramponner à ce qu'a d'immuable le catéchisme pour être sûre aussi de dire personnellement la vérité. C'est dans cette confusion que se produit sa rétractation étant donné qu'elle ne sait simplement plus où se trouve l'obéissance. La première voix avait exigé l'obéissance la plus complète dans la plus complète certitude. Maintenant elle se dédit dans une obéissance soi-disant nouvelle qu'on a provoquée en elle artificiellement en la troublant. On voit ici que Dieu ne laisse souvent à ses saints que leurs forces humaines. Qu'il est vraiment possible d'égarer aussi des saints, que leur mission - momentanément du moins - est comme voilée et perdue. Jeanne fait maintenant ce qu'un humain justement peut faire "de son mieux", alors qu'au début de sa mission elle ne faisait que ce que Dieu voulait sans se soucier le moins du monde des mesures humaines. Mais dans la mort, elle retrouve une totale simplicité. Et par là elle revient à sa première obéissance qui se réalise parfaitement dans sa mort. En devenant ainsi totalement obéissante, elle détourne le regard de Dieu de la désobéissance des autres. Elle expie la faute de ceux qui la brûlent.

Pour son prochain, elle n'a pas au fond un grand intérêt personnel. Quand elle est enfant, elle joue avec les autres enfants, mais pas nécessairement avec beaucoup de joie. Plus tard, elle voit les hommes à la lumière de sa mission, elle estime ceux qui peuvent l'aider. Elle garde une certaine difficulté à faire le saut jusqu'au toi. Elle se tient à la disposition des autres quand ils sont dans le besoin ou dans la difficulté. Mais elle rend ces services avec une étrange objectivité. Le roi, elle l'aime tendrement, mais totalement par amour de sa mission.

 

*

 

 9. SAINT BERNARD DANS L’ŒUVRE D’ADRIENNE VON SPEYR

 

(Paru dans Collectanea Cisterciensia. Revue de spiritualité monastique 84 [2022] p. 305-313)

 

Saint Bernard apparaît au moins deux fois dans l’œuvre d’Adrienne von Speyr : dans Le Livre de tous les saints et dans Le filet du pêcheur. Quelques mots pour situer ces deux livres.

Adrienne von Speyr (1902-1967) est née à La-Chaux-de-Fonds (Suisse). Elle était la deuxième enfant d’un ophtalmologiste. Dès son plus jeune âge, elle se sent très attirée par Dieu, elle avait le sentiment de lui être vouée. La religion protestante qu’on lui enseignait la laissait sur sa faim ; elle aurait voulu consacrer toute sa vie à Dieu, mais elle ne voyait pas comment cela pouvait se faire dans le protestantisme. A quinze ans, elle a une vision de la Vierge Marie, elle ne savait pas du tout alors qu’elle deviendrait un jour catholique.

En dépit de l’opposition de sa famille, Adrienne entreprend des études de médecine : elle ne voyait pas de meilleur chemin pour servir Dieu et le prochain. Vers la fin de ses études, elle se marie avec un professeur d’histoire à l’ Université de Bâle et, à la mort de celui-ci, elle se remarie avec un étudiant que son mari estimait beaucoup et qui devint également professeur d’histoire à l’université.

En 1940, pour la première fois de sa vie, Adrienne a l’occasion de rencontrer un prêtre pour un dialogue approfondi, c’est Hans Urs von Balthasar qui était alors aumônier d’étudiants. Le Père Balthasar raconte : « De l’enseignement religieux que je commençai à lui donner, rien ne lui échappait , comme si de longue date elle n’avait attendu que de le recevoir pour y adhérer de toute son âme ». Elle fut baptisée le jour de la Toussaint 1940 (HUvB, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 25. - Une nouvelle traduction de ce livre a été publiée en 2021 sous le titre : Premier regard sur Adrienne von Speyr)..

De 1940 à 1967, le Père Balthasar sera le confesseur d’Adrienne. Aussitôt après sa conversion, dit-il, c’est une véritable cataracte de grâces mystiques qui commence à déferler sur elle. A la première vision encore voilée de la Vierge, d’autres manifestations plus claires vont se succéder. Il lui est donné de voir et de décrire de l’intérieur la prière d’un certain nombre de saints et toute leur attitude devant Dieu. "Par ses visions, Adrienne connaissait et aimait de nombreux saints même sans avoir jamais lu une ligne de leurs écrits, par exemple Catherine de Sienne, Élisabeth de Hongrie, Jeanne de Chantal, Hildegarde, Bernadette, Antoine le Grand, Pierre Claver, Benoît Labre, le curé d'Ars. C'est avant tout chez Jean l'apôtre qu'elle trouvait le point de départ de ses dictées" (Ibid., p. 26-33). « Adrienne a pu contempler la prière de saints innombrables… Au début, il arrivait qu’Adrienne voie, la nuit, dans des heures de prière, un saint dont elle ne savait pas toujours le nom exact et qui lui montrait son attitude de prière ; elle m’en faisait un récit dans les jours suivants, et j’en prenais note ». Au total, le P. Balthasar a recueilli ainsi "quelque deux cent cinquante portraits". C’est ainsi qu’est né Le livre de tous les saints. Pour le Père Balthasar, ce livre "est un cadeau merveilleux fait à l’Église parce qu'il montre comment les saints ont prié et parce qu'il invite à prier personnellement comme par contagion" (Cf. Ibid., p. 58-66).

 

Pour Le filet du pêcheur, voici le début de la présentation qu’en fait le Père Balthasar : « Nous appelions ainsi le livre qui donne une (une, non la seule) interprétation du nombre johannique des cent cinquante trois poissons pris dans le filet de Pierre. C’est le plus ‘donné’ de ses ouvrages… Il peut et doit prouver qu’elle ne tirait pas ses inspirations de n’importe où. Il restera une énigme pour tous les psychologues des profondeurs » (AvS et sa mission théologique, p. 67).

 

L’œuvre d’Adrienne von Speyr c’est plus de soixante titres : commentaires de l’Écriture et livres de théologie spirituelle. Tous, sauf un, ont été recueillis par le P. Balthasar et mis au point par lui.

 

En 1985, s’est tenu à Rome un colloque sur Adrienne von Speyr. C’est le pape Jean-Paul II lui-même qui avait demandé au P. Balthasar de l’organiser. Le 28 septembre 1985, recevant les membres de ce colloque, le pape leur disait entre autres choses dans son allocution: « Vous avez cherché ensemble à mieux cerner l’action mystérieuse et impressionnante du Seigneur dans une existence humaine assoiffée de lui » (La mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr. Actes du colloque romain, Paris, 1986, p. 197).

 

Dans le texte d’Adrienne ci-dessous, tout n'est pas facile à comprendre, mais il y a des choses belles et "utiles à l'âme", comme disaient certains moines des temps anciens.

 

Patrick Catry, moine de Wisques

 

* * * * * * * * * * * * * *

 

Le livre de tous les saints. Original en langue allemande : Adrienne von Speyr. Das Allerheiligenbuch. Erster Teil. Herausgegeben und eingeleitet von Hans Urs von Balthasar (= Nachlasswerke, Band I), Johannes Verlag, Einsiedeln, 1966, p. 424-429.

 

Je le vois dans son monastère avec ceux qui sont entrés avec lui. Ils vivent maintenant ensemble depuis un certain temps et ils parlent ensemble de leur forme de vie et des expériences qu'ils ont faites. Les frères sont assez contents. Ils n'ont que de petites choses à critiquer, ce qui correspond en quelque sorte à leurs défauts de caractère. L'un voudrait dormir davantage, l'autre manger plus, le troisième trouve la prière trop longue. Ils sont encore très enclins à la facilité. Bernard au contraire trouve qu'on pourrait faire encore beaucoup plus pénitence, etc. Mais l’amour que les frères ont pour lui est si grand qu'ils ont honte de leurs objections et qu’ils se rangent à son avis. Et quand Bernard les a amenés jusque là, il commence à leur parler de ses nouveaux plans, comment on pourrait mieux servir Dieu et ils sont d'accord avec lui. Souvent cela ne va pas sans âpres explications, surtout avec les anciens, qui ont des doutes sur sa mission. Plus d'un aussi se trouve sous son charme sans bien le remarquer et il peut y avoir alors une prise de conscience. Dans l'ensemble, il allume une grande flamme d'amour brûlant.

Pour la contemplation, il a relativement peu de temps. Il a beaucoup à étudier, il a ses plans de réforme à mener à bien, etc. Il entre dans la contemplation sans effort et, dès la première minute, elle est si riche qu'il en est élevé autant que délassé. Jusqu'au jour où il commence à demander la souffrance. Parce qu'il a le sentiment qu'il l'a trop facile. Dans ses conversations avec les hommes, il peut presque toujours obtenir ce qu'il veut tandis que sa conversation avec Dieu, il ne l'a pas encore engagée d'une manière tout à fait juste, malgré sa contemplation. Il pense que Dieu devrait encore le modeler et l'éduquer d'une tout autre manière et il pourrait alors, par sa propre souffrance, beaucoup mieux comprendre les souffrances et les difficultés des hommes.

La souffrance qu'il a demandée, Dieu la lui accorde dans la contemplation de la croix. Il lui montre par exemple le Christ en croix et il le remplit en même temps d'une peine démesurée qui, au contraire de tout le reste de sa mission, est totalement indifférenciée. Il souffre d'une manière beaucoup plus naturelle qu'il ne prie et ne pense. Quand il pense, il ne cesse pas de voir; quand il souffre, la vue lui échappe. Dans la souffrance, il ne sait plus du tout qu'il l'a demandée à Dieu. Il souffre dans une sorte d'identification avec le Seigneur. A cet instant, il n'est plus le pécheur qui se trouve en face du Seigneur.

Depuis cette expérience, il sait beaucoup mieux qu'auparavant que c'est en ne faisant qu'un avec le Christ qu'il doit conduire les hommes à lui et les exhorter à la place du Christ. Il accomplit par là une mission qu'il voit à l'intérieur de la mission du Fils. C'est pourquoi il cherche à situer chacun de ceux à qui il s’adresse dans le cadre de la situation d'ensemble du Nouveau Testament : avec qui celui-ci serait-il à comparer ? Par où le Seigneur entrerait-il en relation avec celui-là ? Etc. Il a aussi une manière particulière d'insister jusqu'à ce que les gens aient réellement compris. Il ne connaît pas de rupture prématurée. Ce sont peut-être ces exhortations qu'il fait avec le plus de soin. Dans ses autres activités - ses voyages, ses entreprises -, il fait preuve d'une telle fougue que ça marche tout simplement. Il pense souvent alors à ceci : combien le Fils a dû se dominer pour devenir homme, pour entrer en notre compagnie ! L'existence du Christ parmi nous est le mystère où il puise la force de ses exhortations. Dans ses autres entreprises, il garde fermement son but devant les yeux et il trouve amusant de le réaliser. Il assume là d'énormes fatigues. Mais c'est aussi qu'il est fort.

Il peut aussi se livrer à une sévère ascèse : ce qu'il requiert dans son monastère, il l'a lui-même éprouvé totalement et il a toujours fait plus que ce qu'il exige. Réduction de nourriture, de sommeil, et beaucoup d'exercices de pénitence corporels. Il a une certaine angoisse devant le plaisir spirituel. Si la solution d'une tâche le fascine ou s'il éprouve de la joie dans un travail spirituel ou de la joie à exprimer sa pensée, il devient méfiant. Il interrompt son travail et s'examine. Il est joyeux sans doute avec les autres, mais plutôt quand il est fatigué et qu'il n'en peut plus guère. Un peu lié à ses objectifs. Mais il craint toujours d'oublier Dieu trop longtemps quand une fois ou l'autre il est joyeux pendant un certain temps. Il sait sans doute que Dieu permet la gaieté. Mais il se méfie de lui-même parce qu'il craint de s'éloigner de la prière. Il a peut-être plus que d'autres tendance à prendre ses aises. Mais il ne l'accepte pas; il la réduit inexorablement.

Dans ses relations avec ses frères également, il ne cesse de mettre en avant ce qui lui répugne à lui-même, si bien qu'il est presque impossible de découvrir sa préférence personnelle.

Dans sa contemplation, tout d’abord il n'a pas connu lui-même de "degrés". Mais il a compris par la suite qu'il ne pouvait conduire les autres à l'abandon parfait d'eux-mêmes que "par degrés". C'est ainsi qu'il fait des concessions dans sa manière de présenter les choses. Lui-même vit au plus intime de lui-même comme ont vécu les apôtres et les disciples : il accueille tout ce que le Seigneur donne et sans faire plus de plan que les disciples dans l'évangile. Comme eux, il cherche simplement à être ouvert et à n'être lié par aucun système qu'il aurait lui-même édifié. Il voit pourtant que cela fait s'éveiller constamment chez les autres des malentendus; il voit leur manque de discernement, de discrétion. Lui-même a le tact absolu de l'intimité, de la même manière que Jean. Mais il voit la légèreté avec laquelle d'autres chrétiens font un mauvais usage de ce don en cherchant leur plaisir plutôt que l'intimité. Il le formule même quelque part : l'intimité avec le Seigneur a sa justification dans le service et non en nous-mêmes. Le Christ nous ouvre son intimité et nous l'offre afin que nous apprenions à mieux connaître le Père, non pour réduire à néant la distance qui nous sépare de lui, le Fils. Si Bernard édifie des "degrés", c'est comme des sécurités pour la juste intimité, ils sont imaginés pour les autres et vérifiés sur lui-même. Sécurité dans le travail, dans la prière et la méditation, dans l'examen de conscience et le contrôle de soi.

Il lui manque quelque chose dans la conduite des âmes; il est trop méfiant pour maîtriser tout à fait son sujet. Il a tendance à faire s'arrêter peut-être un peu trop vite. Il y a dans la direction des âmes une certaine patience à conduire à "large bride" (an "langer Leine"); elle lui fait défaut. Et puis il a aussi énormément à faire, et les suggestions qu'il donne sont aussi pour lui gain de temps. Enfin il y a aussi en lui-même une certaine crainte : pour sa propre prière quand il s’y est trop précipité. C'est la raison pour laquelle aussi il a aimé des "degrés" et des approches. S'il édifie des "degrés" de ce genre, il n'invente jamais quelque chose de nouveau, il reprend des choses qui existaient avant lui, qui même étaient beaucoup plus marquées avant lui que chez lui. Et même, l'âge aidant, il en reprend davantage. Il est entré jeune au monastère, il ne voyait alors pour lui et pour ses frères que le don total d'eux-mêmes. Avec les années, il reconnaît que les "degrés" aussi peuvent avoir leur bon côté.

Il a en ce domaine une prédilection exagérée pour la précision et la stipulation. Il aime aussi tenter le diable; quand cela va mal ou moins bien avec quelqu'un, dans la prière par exemple, il devient sévère, il prend exactement les mesures, il s'efforce de créer partout de l'ordre et il met ainsi un schéma exact entre les mains de l'intéressé. Puis ces "degrés" le tracassent à nouveau parce qu'il pense que lui-même doit s'y tenir maintenant, et bien qu'il ne les considère que comme de simples échelles auxiliaires, il craint d'être présomptueux s'il les néglige. Il connaît de véritables extases mais, parce que les hommes qui lui sont confiés ne les connaissent pas, il craint fort de se permettre quelque chose qui ne lui revient pas. En des instants de ce genre, il peut presque s'inquiéter pour lui-même soudainement en ce qui concerne certains détails. Et quand il en a établi quelques-uns exactement, il pense que le tout sera correct.

Vis-à-vis de la Mère de Dieu, il ressemble en quelque sorte à saint Ignace; il a pour elle une vénération chevaleresque. Cela ne l'empêche pas d'avoir pour elle un tendre amour. Cet amour est si vivant que c'est comme si la Mère se trouvait tout près de lui. Dans ses prières et ses sacrifices, il a une manière merveilleuse de l'entourer de petites attentions. Très souvent, quand il se sent une fois de plus inquiet ou pointilleux, il la regarde, et tout rentre dans l'ordre parce que, en la suivant, il est replacé en compagnie des disciples autour du Seigneur. Quand il n'a plus le courage d'avancer directement, Marie alors est là qui remet tout en ordre comme une mère qui, avec deux mots, peut rendre la joie à son enfant effarouché ou malheureux. Il dit aussi des prières particulières à la Mère de Dieu, non ses propres prières, mais des prières existantes qu'il aime particulièrement.

 

1ère prière. Seigneur, toute la communauté et moi, nous sommes à genoux maintenant devant toi et nous te demandons de bien vouloir prendre soin de notre affaire. Tu sais que nous sommes convaincus que c'est ta volonté que nous entreprenions cette nouvelle croisade. Cependant les difficultés sont grandes. Les nouvelles qui nous viennent des régions où nous devons aller nous rendent constamment incertains. Est-il juste que nous nous exposions à un si grand danger quand peut-être nous n'arriverons à rien? Vois: si c'est ta volonté que nous y allions, nous ne voulons pas hésiter un instant, nous voulons assumer comme venant de toi toutes les fatigues, tous les revers, la mort même, sans protester. J'ai parlé avec des hommes d'expérience et tous attirent mon attention sur le fait que le danger est réellement trop grand et qu'il se peut que cela n'en vaille pas la peine. Et pourtant nous savons que sûrement aussi, du moins dans les régions proches de chez nous, au début de notre voyage, nous aurons des succès. Mais nous voudrions ne pas devoir renoncer tout d'un coup et par là laisser se répandre le bruit que notre affaire ne valait pas la peine d'être entreprise. Nous craignons de causer du tort à ton Église. Seigneur, nous te demandons tous ton inspiration. Donne-la nous! Et quand elle viendra, fais-nous reconnaître que c'est réellement ton inspiration. Ne permets pas que nous soyons orgueilleux et que nous passions à côté des signes que tu nous donnes. Tous mes frères te prient dans le même sens. Bénis leur prière, bénis la prière de toute la communauté, bénis la prière de tous ceux qui t'implorent pour qu'en cette affaire tu fasses connaître ta volonté. Amen.

Note du P. Balthasar : Ce n'est qu'en disant cette prière qu'Adrienne s'aperçoit qu'il s'agit de la croisade. Les informations de nature politique étaient auparavant comme étouffées dans la conscience de Bernard, elles émergent dans la prière et accentuent d'heure en heure ses hésitations. De nouvelles informations arrivent. Et il sait que, même s'il demande la certitude, cela peut rester quand même dans l'incertitude jusqu'à la fin.

 

2e prière. Seigneur, cette nuit il m'a été permis d'être très proche de toi! J'ai pu sentir l'amour que tu offres au croyant. Je te remercie pour tout cet amour. Permets que je le transmette intact à ceux qui me sont confiés de sorte que ce soit toi-même qui deviennes vivant en eux, que ce soit ton amour qui devienne vivant en eux. Et Seigneur, après toute la joie que tu m'as donnée, après tout ce que tu m'as donné de comprendre, je t'en prie, donne-moi de passer dans ton Esprit toute la journée qui vient, avec ses lourdes décisions, de te la consacrer tout entière et que chaque parole que je dois dire soit une parole qui te soit adressée à toi-même. Bénis le monastère, bénis l'Église, bénis tous ceux qui doivent entrer en contact avec nous et permets que beaucoup se mettent à croire en toi. Amen.

 

* * * * * * *

 

Le filet du pêcheur. Original en langue allemande : Adrienne von Speyr. Das Fischernetz. Herausgegeben und eingeleitet von Hans Urs von Balthasar (= Nachlasswerke, Band II), Johannes Verlag, Einsiedeln, 1969, p. 131-134.

 

(NdT. Pour le texte ci-dessous, j’ai simplifié un peu, sans rien ajouter, en espérant être fidèle à l’original).

 

Saint Bernard, c’est l’Incarnation, la Trinité et l’Esprit. Le centre, c’est Dieu Trinité qui envoie le Fils dans l'incarnation salvatrice et qui envoie l'Esprit pour que les croyants reçoivent une direction et connaissent leur chemin. Mais ce qui est paulinien est présent aussi en saint Bernard  : le zèle apostolique qui se met à la disposition de l'Esprit. C'est donc une mission qui est bien dotée ; les aspects les plus divers se dévoilent mais se réunissent dans son chemin personnel, dans la mission que Dieu lui a préparée et qu'il ne doit pas remplir pour lui-même mais pour obéir à Dieu et conduire ceux qui lui sont confiés dans la voie de la foi et de la prière. C'est avant tout une existence de prière ; et quand des actions sont projetées et exécutées, elles sont préparées dans la prière, fécondées par la prière, elles doivent ramener à la prière. Car Bernard, en tant qu'envoyé, participe dans la foi au dialogue de Dieu Trinité avec le Fils et avec l'Esprit Saint.

Sa vie contemplative est la source de sa vie active ; il vit chaque prière comme un bond hors de lui dans ce que Dieu Trinité exige de l'homme : l’adoration, la vénération, l'amour. Il est toujours conscient que sa prière n'est pas la sienne, elle signifie une direction pour sa mission et aussi pour tous ceux qui lui sont confiés, il a été destiné par grâce à être pour beaucoup un guide, avant tout sous la forme de la prière - en embrasant les autres par sa prière -, mais aussi par les pensées qu'il reçoit en priant et qu'il doit traduire pour les faire réaliser par d'autres. Tout ce qu'il fait porte le sceau de l'Esprit et en même temps de la mission du Fils, et est comme rassemblé par son zèle apostolique. Il y a des moments où il voit tout à fait clairement comment Dieu le Père répartit les fonctions, ce que c'est pour le Fils que d'être envoyé et de se laisser envoyer. Il voit une certaine économie dans le gouvernement de Dieu Trinité, et il cherche à la traduire dans l'économie d'une vie humaine donnée au Christ.

 

(NdT. Souvent dans « Le filet du pêcheur », des comparaisons sont établies entre deux saints fort éloignés l’un de l’autre dans le temps).

 

Bernard et Marie de l’Incarnation. La racine commune est un amalgame de prière et d’obéissance. Et pour les deux de telle sorte que c'est dans une somme de prières qu'est expérimenté le sens de la prière, d’abord personnellement, puis en relation avec le Père et le Fils. Les deux sont donc d'abord recueillis, ils prient pour satisfaire aux exigences ecclésiales qui leur paraissent imposées pour être ensuite mis toujours plus à part par la prière et finalement pour reconnaître clairement leur devoir d'obéissance. Leur prière commence ainsi par avoir des effets de peu d'apparence ; chacune laisse un signe: ici il faudrait s'engager davantage, là il faudrait éviter une faute, ici il faudrait aider quelqu'un, là apporter une parole... L'effet de la prière est comme éclatée en actes des plus minimes pour leur propre salut ou pour le salut de ceux qui les entourent et qui leur sont confiés. A un certain moment, tout s'inverse pour les deux : il y a maintenant devant eux une grande exigence de Dieu qui s'adresse à eux personnellement, une exigence qui se cristallise à partir de la somme de ce qui a existé jusqu'alors et qui les remplit tous deux moins d'un désir que de la volonté d'être entièrement obéissant. Il y a chez les deux une attitude très virile et inconditionnelle qui se révèle être une volonté d’obéissance. C'est à partir de cette grande et indivisible exigence d'obéissance qu'ils obtiennent de comprendre la nature de l'obéissance comme une affaire indivisible qui embrasse toute la vie.

Dès lors, leurs chemins se séparent. Il est montré à Marie ce qu'elle a à faire, mais petit à petit, dans une lente croissance. Bernard par contre doit chercher lui-même pas à pas. Chaque fois il sait seulement qu'il doit continuer, qu'il doit en faire davantage et aussi d'autres choses, il doit se charger de différentes tâches nouvelles. Et toutes ces tâches particulières, il doit les intégrer dans son obéissance en examinant chaque fois si elles entrent dans le cadre, donné une fois pour toutes, de l’obéissance. Pour lui, l'affaire est si délicate et si dangereuse que, de temps à autre, malgré sa prière la plus zélée et bien qu'il ait conscience de la nécessité justement de cette prière et malgré son désir de prière, sans cesse il prend peur. Peur d'être si secoué par la prière que les tâches le dépassent et peur de se trouver devant elles en plein désarroi. Et même que toute l'entreprise risquée de l'obéissance devienne trop raide. C'est justement cette peur pourtant qui ne cesse de le faire entrer de force dans l’union de la prière et de l'obéissance. Pour Marie par contre, tout est toujours aplani par la prière ; la prière fortifie et apaise, les questions les plus difficiles deviennent faciles ; Marie a une assurance qui est au-delà de toutes les difficultés et qui ne se laisse pas inquiéter par elles. Chacun des deux désire pour lui-même ce que l'autre possède : par sa prière qui la calme, Marie ressent une légère crainte de s'éloigner de la croix tandis que Bernard désire pour lui une prière paisible afin d'éprouver davantage l'assurance du Seigneur au mont des oliviers.

 

*

 

10. PRIER 365 JOURS AVEC ADRIENNE VON SPEYR


 

On pourrait prier quinze jours avec Adrienne von Speyr, pourquoi pas aussi trois-cent-soixante-cinq ?


 

*

10. PRIER 365 JOURS AVEC ADRIENNE VON SPEYR


 

On pourrait prier quinze jours avec Adrienne von Speyr, pourquoi pas aussi trois-cent-soixante-cinq ?


 

*

1er janvier 2025

Sainte Marie, Mère de Dieu

Nouvelle année. Il n'y a pas que l'année que Dieu veut nous offrir qui est nouvelle ; toujours nouveau aussi est son amour pour nous, toujours neuve sa volonté de nous recréer, toujours neuve la pitié qu'il a pour nous. Le neuf signifie l'éternel qui nous est offert de la manière qui est celle de Dieu.


 

Un jour à la consultation, une femme raconte à Adrienne que ses proches n’ont plus la foi, que même les prédicateurs ne croient qu’à la moitié à peine de ce qu’ils disent en chaire. Que faire? Que doit-on croire ? Adrienne indiqua alors la petite statue de Marie qui se trouvait sur son bureau : "Je crois que Dieu existe et qu’elle nous conduit à lui ."La femme se leva d’un bond et quitta la pièce en disant : "J’emporte cela avec moi".


 

Marie se trouve prise dans un événement qui la dépasse, qui la vide, mais elle est vidée pour recevoir en elle le Fils. Le Fils est "en route" : il n'est plus au ciel, il n'est pas encore un homme, mais il est offert, dans la volonté du Père, à quelque chose qui n'est pas encore définissable.

 

Dans l'incarnation, le ciel et la terre se rencontrent. Le Fils a besoin pour cela d'une aide humaine, sa mère. Dieu le dépose dans son sein et elle devient un symbole de l'humanité qui accueille le Fils, et en même temps le symbole de l'humanité qui est adoptée par le Fils. Marie est la créature qui est disposée à apporter sa contribution à l'incarnation de Dieu et qui reconnaît ici-bas le Fils comme Dieu. De plus, elle n'est pas seulement la mère prédestinée du Seigneur, elle est aussi l'image d'Ève telle qu'elle aurait dû être : sans péché. Également l'image d'Ève qui doit son existence à la personne d'Adam selon un dessein de Dieu. Adam existait avant qu'Ève soit, et elle est issue de lui. Physiquement, Marie était là avant la venue du Fils mais, par lui, elle devient la nouvelle Ève telle que Dieu la veut. Son âme pure, sa conception immaculée proviennent du Fils. Quelque chose d'elle se fait par le Fils comme Ève est faite à partir d'Adam.

 

2 janvier

Saint Grégoire de Nazianze (330-389)

C'est le temps de la grande hérésie. On discute sans fin au sujet d'un demi mot. Grégoire doit fournir un travail théologique, élucider des concepts. Il possède un tempérament incroyable. Il préférerait de beaucoup défendre sa vérité avec une hachette, mais il doit utiliser sa force à couper des cheveux en quatre à ce qu'il semble ! Il le fait pourtant avec plaisir et élégance. Sa prière ne va pas sans grands combats intérieurs : ils proviennent de son tempérament qui lui fait enfoncer si facilement les portes. Sa prière a quelque chose de sa violence, mais aussi de son humilité et de sa finesse. Il veut alors s'adapter à la volonté de Dieu même si les autres sont contre lui. Sa foi est totalement authentique, il tend de toute son âme vers la vérité.

Prière. Je me tiens devant toi, Père, et je sais qu'avec toi sont aussi ton Fils et ton Esprit Saint, et que vous trois, dans l'unité de l'être trinitaire, vous posez votre regard sur moi, que vous êtes témoins aussi du combat que j'ai mené en votre nom. Je te remercie pour la mission que tu m'as donnée.


 

3 janvier

Temps de Noël

Le Père et le Fils ont tous deux fait un choix "mûri" : incarnation - non-incarnation. C'est une alternative : ou bien, ou bien. On ne peut pas dire naturellement que le Père soit par là défavorisé, qu'il aura moins d'expérience que le Fils. Le sens de l'incarnation de Dieu : il est venu pour éveiller la joie, pour allumer l'amour.


 

Dieu le Père et Dieu le Fils ont décidé l'incarnation du Fils, et le Fils s'est choisi Marie pour mère. Il l'a élue non seulement en raison de ses qualités de femme en général, mais aussi parce qu'elle est cette personne avec ces qualités données. Il se met dans la dépendance de son corps, mais aussi de tout son être, de sa vie, de son milieu. Il la choisit parce qu'elle lui promet d'être sa mère. En tant qu'homme, il sera le fils de cette mère. Corporellement et spirituellement, il sera relié à elle comme les enfants des hommes le sont à leurs parents. Il choisit ces liens authentiquement humains pour reconnaître et apprécier dans l'humanité comblée de grâces de sa mère le caractère de la nature humaine telle que l’a voulue le Père, et donner à cette nature une nouvelle impulsion vers le divin. Elle est la véritable créature telle qu'elle sort des mains du Créateur et qui retourne à Dieu sans s'éloigner de lui, sans briser son unité. Et lui, Dieu, vivra en elle. Mais elle, cet être humain exceptionnel, est en même temps un être humain quelconque. Et, pour cette raison, un être humain qui représente tous les autres humains.

 

Dans la vie du Seigneur, il y a des situations et des cycles manifestement trinitaires, puis à nouveau des périodes entières où l'on voit à peine quelque chose du Père et de l'Esprit, bien qu'ils soient présents avec une activité cachée.


 

4 janvier

Temps de Noël

Je pèche : Dieu réagit par l'expulsion du paradis. Je pèche à nouveau, Dieu m'envoie les promesses. Je pèche encore, Dieu m'envoie son Fils.

 

En tant qu'homme, le Fils apporte avec lui non seulement la Parole qu'il est, il apporte aussi sa vision sous une forme rendue accessible à la foi, forme que seule sa grâce est en mesure de transmettre. La vision telle que le Fils la donne aux siens dans la mystique, est un cadeau de sa grâce ; mais un cadeau chrétiennement compris veut toujours dire quelque chose qu'on reçoit pour le transmettre. Il serait faux de penser qu'un cadeau chrétien est limité et éphémère ; il subit seulement une transformation qui dévoile le sens de toute fécondité chrétienne. Quand le Christ se sacrifie sur la croix, c'est pour que son don soit reçu à profusion et offert aussi à d'autres. Il crée une vie à partir de la croix comme il avait créé une vie par sa naissance. C'est une nouvelle création qui est insérée dans le circuit du monde créé et qui débouche sur la vie éternelle.

 

C'est dans l'amour que Dieu le Père crée l'homme, mais l'homme le déçoit et fait tout ce qu'il peut pour échapper à l'ordre établi par Dieu, un ordre qui était la propriété de Dieu, qui faisait partie de l'amour de Dieu, qui unissait l'homme à Dieu et qu'il accordait à l'homme. Mais le diable incita l'homme à se détacher de cette union avec Dieu. Il se produit alors cette chose prodigieuse que Dieu le Père, dans son amour, envoie son Fils à l'humanité égarée. Le Fils devient un homme qui ne peut décevoir le Père, qui n'interrompt pas la circulation de l'amour, que le Père reconnaît comme son Fils divin parce qu'il ne vit que dans l'amour. C'est ainsi que le Fils crée ici-bas une image, une expression, une extrapolation de la Trinité ; il vit d'une manière totalement trinitaire bien qu'il soit homme parmi les hommes, il exprime pour nous avec toute son existence ce qui est trinitaire, il le vit devant nous, il le représente, le réalise au sein de la création. Et il donne toujours une solution trinitaire aux problèmes des hommes concernant la lutte contre le mal, la rédemption du monde.


 

5 janvier

Temps de Noël

Le Père et le Fils décident l'incarnation et la passion. Le Père et le Fils sont ensemble dans leur lumière et ils contemplent ensemble l'ombre du monde qui se trouve en dehors de leur lumière. Le Fils voit cette ombre comme une humiliation du Père et il ne veut pas supporter plus longtemps que le Père soit ainsi humilié. Dans sa lumière personnelle, il prend la décision de faire entrer cette ombre dans sa lumière, de se jeter sur cette ombre et de la couvrir de sa propre lumière.

 

Nous savons que, dans la Trinité, il est impossible d'enlever au Fils le rapport qu'il a avec le Père et l'Esprit ; bien plus, même quand nous faisons ressortir les attributs propres au Fils, nous ne pouvons toujours les considérer que dans le cadre de la totalité de la nature divine à laquelle appartiennent de la même manière le Père et l'Esprit, une nature cependant qui restera toujours pour nous un mystère. En un sens analogue, le Fils, dans sa mission d'incarnation, s'est lié à l'humanité, aussi bien à l'humanité tombée qu'à l'humanité pure de sa mère pré-rachetée. Partout en lui sont visibles les signes et les traces de sa parenté avec une humanité qui s'étend de Marie aux pécheurs. Au milieu de cette oscillation entre Marie et les pécheurs se trouve le Fils en quelque sorte. Et ce qui vaut pour son incarnation et sa nature humaine, vaut tout autant pour son état eucharistique. Celui-ci aussi se trouve au milieu de l'humanité, associé indissolublement à Marie d'une part, aux pécheurs d'autre part. Le corps eucharistique ne renie pas son origine, ni non plus par conséquent son lien indissoluble avec la mère qu'il s'est choisie lui-même et par laquelle surtout il a pu devenir homme. Le rapport avec les pécheurs se trouve sur un autre plan : le Fils est venu pour les racheter, et on ne peut pas contempler et adorer son eucharistie sans considérer aussi ce sens de l'incarnation.

 

6 janvier

Épiphanie du Seigneur

Que les rois viennent pour adorer réjouit Dieu et réjouit la Mère. Les rois donnent joyeusement parce qu'ils sont entrés dans le circuit de l'amour où le don de soi et la joie ne font qu'un.

 

L'enfant de Noël n'est pas seulement un être humain parmi nous, il est en même temps l'enfant qui est adoré en tant que Dieu, vers qui cheminent les rois. Leur adoration est comme le pendant du oui adorant de la Mère à l'ange et comme un premier effet de ce oui : il s'avère maintenant que des hommes, venant de l'extérieur, sont capables, sous la conduite du Père, de reconnaître comme Dieu l'enfant qui s'est incarné par le oui de Marie. Il y a les deux points : l'Annonce à Marie et l’Épiphanie ; entre les deux se trouve l’œuvre de Dieu Trinité. Marie représente ici la confiance en Dieu et l’œuvre en elle de la grâce, les rois représentent la reconnaissance de l’œuvre de Dieu et la compréhension de la grâce. Ils voient le résultat et la portée de ce que Dieu a opéré avec l'accord de la Mère.


 

L'incarnation est un mouvement du ciel vers la terre ; Marie est le lieu où ce mouvement s'arrête un instant, l'auberge accueillante où le Fils passe ses années cachées. Les rois qui viennent l'adorer sont le début d'un mouvement opposé, du monde vers le Seigneur et, par lui, vers le Père. Les rois sont ainsi, pour le Fils, la preuve que ça a réussi pour Dieu de se rendre visible dans un homme. C'est une première reconnaissance, autre que celle de la Mère : celle-ci avait été interrogée par l'ange et avait laissé faire ; à partir de là, sa foi n'a cessé de devenir plus parfaite. Les rois par contre sont actifs dans le sens où ils se mettent en route vers le Seigneur pour un moment de contemplation adorante, après quoi ils reprennent leur route, mais désormais conscients de la présence divine sur la terre. Ils adorent selon ce qu'ils ont compris, mais éclairés par le mystère de l'étoile et par le mystère de la présence du Seigneur. Les éléments de leur prière leur sont donnés de l'extérieur et ils sont guidés par eux. Ils ont prêté attention au signe venant du ciel, ils se sont confiés à sa direction, ils ont fait le voyage, atteint le but.


 

7 janvier


 

Le fait que les actes de Jésus révèlent l'être supra-temporel de Dieu nous ouvre les yeux sur le fait que la nature elle-même de Dieu est faite d'actes éternels. C'est continuellement que Dieu le Père engendre le Fils. C'est continuellement que l'Esprit Saint procède des deux. Dieu se réjouit tellement de ses actes intra-divins - et des réponses qui leur sont données dans l'abandon du Fils et de l'Esprit - qu'il leur donne les dimensions de la vie éternelle. Tout ce que notre pensée introduit de limité dans ces actes divins est sans cesse à exclure ; ce que les mots de l’Écriture font apparaître en Dieu de limité d'une certaine manière n'est qu'une concession à notre compréhension bornée. Par notre éloignement de Dieu, nous sommes tellement immergés dans notre temporalité avec son cloisonnement de jours et de nuits, d'heures et d'événements, que si Dieu nous emportait pour un instant, tels que nous sommes, dans l'événement éternel de la Trinité, nous ne pourrions même pas remarquer qu'il s'y passe quelque chose.

 

Dans l’ancienne Alliance, qui était un premier degré de l’Église, beaucoup de choses étaient encore changeables qui ne le sont plus dans la nouvelle Alliance parce que maintenant l’ordre divin des trois personnes est apparu : Père, Fils, Esprit. Et l’Esprit procédant toujours du Père et du Fils : Filioque. Les structures solides de l’Église sont déterminées par cela. Le Père comme fondement de tout, le Fils comme sortant de lui, et les deux envoient l’Esprit.

 

Le chrétien sait par la foi que Dieu est Père, Fils et Esprit.

 

Quiconque pense concrètement "être humain" pense soit à l'homme soit à la femme. Quiconque pense Dieu concrètement pense le Père, le Fils ou l'Esprit.


 

8 janvier

Dieu s’adapte à tout homme ; quiconque prie, reçoit ; qui cherche, trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Dieu est prêt à recevoir les hommes tels qu’ils sont. Dans un premier temps, ils peuvent rester eux-mêmes ; ensuite Dieu, qui les reçoit, les formera. Dieu tient compte de la personnalité de chacun, Dieu est libre et assez puissant pour le faire et transformer ensuite les êtres selon sa volonté. Sa vérité, son enseignement, son Église ont de l’espace pour les intellectuels comme pour les simples, pour ceux qui sont accablés comme pour ceux dont la vie est facile. Bien que Dieu soit un, sa volonté d’adaptation est infiniment variée. Les disciples n’ont pas besoin de se risquer à faire rien de surhumain pour être reçus par Dieu ; ils doivent se présenter à lui avec le sentiment qu’ils font par là la chose la plus naturelle du monde. Ils ne doivent pas penser que, pour être de bons chrétiens, ils doivent tout mettre à l’envers, qu’ils doivent se transformer de fond en comble pour se rendre peu à peu dignes de Dieu. Dieu s’occupera lui-même de la dignité. Il leur suffit de venir. Ils doivent rester simples, mais ils doivent aussi savoir que, dans la simplicité, toutes les voies sont ouvertes.

 

Dieu voit en nous les frères de son Fils. Par le Fils et l'Esprit le monde est en mouvement vers le mouvement éternel de Dieu,

 

De même qu'en Dieu lui-même tout est à la fois immobile et mobile, toute la création sort du Père et retourne au Père par le Fils et par l'Esprit sur une voie établie de manière immuable et pourtant dans un mouvement toujours nouveau.

 

9 janvier

Il n'est pas facile pour Dieu et pour l’Église de vaincre la résistance perpétuelle des pécheurs et leur manie de vouloir toujours avoir raison.

 

Parce que Dieu nous tient, nous n'avons pas besoin de nous attarder à calculer quoi que ce soit anxieusement, nous pouvons nous confier à l'infini.

 

Dieu aime les hommes parce qu'il les a créés. La raison pour laquelle il les aime est totalement divine, c'est sa propre satisfaction.

 

Continuer à travailler tout paisiblement comme Dieu en décide. Et ne désirer de lui rien qui ne se trouve dans sa volonté.

 

Ici-bas, nous ne savons ni ce qu'est Dieu, ni ce qu'est l'homme, ni ce qu'est l'acte créateur de Dieu qui engendre l'homme, ni pourquoi l'homme n'est pas bon si Dieu l'a créé bon. Au ciel, ces voiles seront un peu levés, nous verrons en Dieu comment l'homme était pensé et, en l'homme, comme Dieu se révèle en lui. Le mystère du Christ, qui est Dieu et homme, et qui guide notre foi ici-bas, restera au ciel le centre qui éclairera toute chose.

 

On est dans la solitude d'une forêt près de la mer ; on ne voit pas la mer, mais on sait qu'elle est là, on sait aussi l'omniprésence de Dieu et de son amour.

 

Quelle qu'ait pu être l'activité de Dieu de toute éternité avant la création, les traces s'en trouvent dans les trois personnes quand elles créent le monde. Pour Dieu, il n'y a pas de passé, tout souvenir est présence. Rien ne finit en Dieu, mais tout continue d'être fécond dans un éternel présent. La joie de Dieu quand il crée exprime tout ce que contient sa vie éternelle.

 

10 janvier

Saint Grégoire de Nysse

Il a reçu une éducation soignée et, par la suite, c'est un grand lecteur. De par ses lectures naît en lui un fort besoin de collaborer à édifier la théologie, à organiser la doctrine. Il lit des philosophes et beaucoup de ceux qui, avant lui, ont écrit sur la doctrine chrétienne. Il entretient un échange de correspondance suivi avec beaucoup de gens qui avaient de l'importance dans l’Église de son temps. Il voit le niveau des auteurs d'autrefois comme aussi celui de ses contemporains, et il voudrait que l'aujourd'hui soit à la hauteur d'autrefois. Il souffre beaucoup de ce qu'on simplifie la doctrine chrétienne ; pour lui, la présentation de la doctrine chrétienne ne devrait être inférieure en rien à la présentation de la doctrine païenne. Le christianisme est sublime et il doit trouver aussi une expression sublime dans le domaine spirituel. Il n'y a rien qu'il supporte moins que de voir la théologie se prolétariser. Si même les anciens païens se donnaient tant de mal pour exprimer soigneusement des choses sur Dieu, à combien plus forte raison devrions-nous le faire ! Il participe à tous les courants spirituels. Il écrit surtout pour des gens cultivés ; c'est du moins son intention. Il distingue bien ce qui est canon de la foi chrétienne et ce qui est simple spéculation ; il est en cela ecclésialement fidèle.


 

11 janvier

Saint Clément d'Alexandrie (150-217). Fête le 4 décembre

Son attitude devant Dieu est pure et bonne. Il aime Dieu et il cherche à faire sa volonté. Dans les petites choses, c'est très facile en quelque sorte. Là où c'est plus difficile, il se donne une peine incroyable pour y voir clair. Il redoute de se suivre lui-même plutôt que Dieu et d'inventer pour ainsi dire ses propres règles. Il est infatigable dans ses efforts pour faire la volonté de Dieu, il a le sentiment qu'il est très important pour lui d'y voir clair. A vrai dire cette clarté se trouve moins dans les décisions qu'il a à prendre que dans toute son attitude à l'égard de Dieu. Il voudrait ne rien tolérer entre lui et Dieu. Il sait très bien qu'il peut souvent se tromper dans ses décisions, que parfois il peut faire des choses qui aux yeux de Dieu peuvent ne pas sembler sages et bonnes. Mais cela est moins essentiel que le fait que sa relation intime à Dieu soit totalement en ordre. Dans sa prière, il reste toujours tout près du centre et également dans l'accomplissement de la volonté de Dieu.


 

12 janvier

Adrienne. Il y a la joie bouleversante de pouvoir exister comme croyante dans la communauté de ceux qui connaissent Dieu et même, au fond, comme créature de Dieu.

 

Dieu : le ciel est son royaume. Ici-bas nous entendons la parole de Dieu dans l'église à un moment donné, nous la lisons dans l’Écriture, nous nous agenouillons devant le Saint Sacrement exposé, exposé ici et pas là, bien que nous sachions que, pour le Christ, il n'y a de limite ni de lieu ni de temps ; ici-bas les connaissances de Dieu que nous avons par la foi, nous les portons dans des dogmes et des concepts donnés et, avec eux, nous expliquons aussi aux autres notre foi. C'est dans l'espace et le temps et dans notre esprit limité que nous saisissons quelque chose de Dieu. Au ciel par contre, nous sommes ceux qui sont complètement saisis, nous vivons totalement en la présence de Dieu et de sa présence, nous sommes comme perdus dans sa contemplation et absorbés par elle.

 

Nous n'avons pas encore vu Dieu, mais nous vivons de lui parce que lui nous voit, et nous vivons dans l'espérance de le voir un jour comme il nous voit. Tant que le Seigneur n'est pas venu (de sa deuxième venue qui sera glorieuse), nous vivons dans un état de pauvreté fondamentale, mais celle-ci porte déjà en elle des signes de la plénitude débordante qui vient.


 

Nous connaissons l'omniprésence de Dieu dans toute la création. Et pourtant, en maints endroits, cette présence semble comme plus dense : là où l'on prie, là où s'élève sa maison et partout aussi où un chrétien, un homme, vit dans la grâce. Et encore, dans un autre sens, là où quelqu'un - prêtre, religieux, religieuse - a consacré sa vie à Dieu. Même rencontrée dans la rue en passant, cette personne rappelle la présence de Dieu, et le quotidien autour d'elle est coloré par son existence.

 

De même qu'il est possible d'accompagner le Fils dans la souffrance, de même il est possible d'accompagner la joie de l'Esprit. La manière dont l'Esprit veut venir, que ce soit pour ma gloire ou pour ma honte, pour m'élever ou pour m'humilier, ce n'est plus un souci pour moi. Tout fait partie de la joie de sa venue. Et sa venue ne fait qu'un avec la venue du Père et du Fils, et sa joie est comme un aperçu de la joie de Dieu. Elle est comme une explication de la joie avec laquelle Dieu a créé le monde : pour sa joie, qui est amour ; la joie avec laquelle il a créé aussi le corps afin que, par lui également, nous puissions recevoir l'Esprit.

 

13 janvier

Saint Hilaire (320-367)

Dans sa vie religieuse, il fait une coupure nette entre sa prière et son travail. Il y a là une sorte de modestie : il ne voudrait pas importuner Dieu avec son travail. Il est toujours conscient qu'il travaille pour Dieu et que Dieu rend possible son travail, mais il ne laisse pas son travail se mêler à sa prière. Il a des difficultés intérieures assez considérables, elles ne lui sont pas épargnées ; il a besoin ensuite d'un temps assez longs de prière pour être à nouveau tout à fait pur devant Dieu. Dans son travail, il se trouve parfois à un endroit difficile et il n'avance pas. Tout d'un coup il en découvre la raison : c'est lui-même qui fait obstacle. Il lui faut alors beaucoup de temps pour tout mettre au clair avec Dieu. Quand, dans la prière, il s'est éloigné de Dieu pendant un certain temps et qu'il revient en la proximité et en la présence de Dieu, il soumet à une vérification précise tout son travail des derniers jours : est-ce que ce travail n'aurait pas été infecté quelque part du fait qu'il s'était éloigné de Dieu ? Il est comme quelqu'un qui saurait quand il est dans la grâce et qui aurait besoin de cette conscience pour pouvoir travailler paisiblement. Il n'a pas besoin alors d'interrompre à proprement parler son travail pour prier, il n'a pas besoin d'aller interroger Dieu en quelque sorte pour des riens.

Prière. Je te remercie, Dieu, de me permettre de te servir, je te remercie de me donner la force d'utiliser mon intelligence et mes connaissances selon ta volonté. Ne me permets pas de sortir de ta grâce afin qu'avec ton aide je remplisse à ton service ce qui correspond à ton attente. Tu vois que l’œuvre que j'ai entreprise est ardue, et tu vois aussi combien sont subtils les outrages que j'ai à affronter. Je voudrais comprendre toutes choses plus profondément pour mieux les combattre en ton nom et pour pouvoir mieux formuler le positif que tu me montres. Donne-moi la force et la grâce qu'il faut pour cela. Et surtout je te prie pour tous ceux à qui cette œuvre - qui est la mienne et qui doit être la tienne - doit être utile afin qu'ils apprennent à toujours mieux te servir. Amen.


 

14 janvier

Saint Matthias. Fête le 14 mai

Il est celui qui remplace. Il vient à un poste qui était perdu ; c'est à lui maintenant d'occuper ce poste. Il ne peut pas le faire avec la naïveté qu'avaient les autres apôtres lors de leur appel. Il est un tard venu et quand il commence maintenant comme treizième, il sent bien qu'il prend la place du douzième, il doit réparer ce que le traître a mal fait. Il est ainsi le premier qui ne peut en aucune façon bâtir sur ses propres forces. Les autres, qui étaient venus pour suivre le Seigneur avec un certain amour et pour répondre à l'appel, étaient sans présupposés et ils pouvaient penser : "C'est le Seigneur qui le fera"; mais lui, il voit ce que Judas a fait de sa vocation ; dès qu'il arrive, il doit demander au Seigneur de faire de lui et de ses lacunes quelque chose qui peut remplir la place vacante. Son attitude intérieure est donc d'emblée celle d'un enfant qui renonce à tout, qui ne veut que ce que veut le Seigneur. Les autres ne savaient pas dans quel but ils étaient appelés, ils suivaient un homme que tout d'abord ils ne connaissaient pas, leur mission n'avait pas de visage, il en résultait ainsi au début une relation bilatérale : eux et le Seigneur. Quand on doit venir après quelqu'un qui a fait défaillance et qu'on le sait, on est profondément effrayé, on a l'humilité de celui qui sait ce que veut dire faire défaillance à un tel poste. On est quelqu'un comme Judas, on se trouve là où il se trouvait ; dans une telle situation, personne ne se sentira "installé". Matthias est peut-être le premier qui expérimente jusqu'au plus profond le caractère précaire de l'état chrétien. De seconde en seconde, il doit dire : "Rends-moi fort pour que je reste fidèle". Si le Seigneur ne le tenait pas si fort, il serait tout près de devenir scrupuleux. Il est tellement pénétré de son indignité, il est tellement convaincu que Jésus a tout essayé pour soutenir Judas contre sa propre volonté qu'il craint partout un commencement de péché : "Est-ce que ceci n'est pas déjà un péché ? Est-ce que ceci n'est pas déjà le commencement de la défaillance ?" Sa prière est très fidèle et très aimante. Il se donne bien du mal pour ne pas être dans la prière celui qui pourrait trahir. Il connaît là de petits retours sur lui-même, mais on ne peut pas dire qu'il s'occupe trop de lui. C'est la grâce de celui qui vient d'être appelé, qui ne cesse d'éprouver de l'angoisse devant tout ce que Dieu doit faire en lui pour qu'il suffise à la tâche. Mais il veut essayer, il a un amour touchant pour le Seigneur. L'idée qu'il se fait de la grandeur de Dieu est infinie. Il est comme un petit enfant qui a peur de faire un faux pas, qui flaire partout le danger, mais qui est prodigieusement fier de la force de son père à qui il donne la main et qui peut le tenir. Son amour est tout différent de celui de Jean ; il n'a pas les yeux dans les yeux du Seigneur, mais il le regarde de bas en haut. Il n'oserait pas appuyer sa tête sur la poitrine du Seigneur. Cela, tout le monde n'a pas le droit de le faire. Il est content s'il lui est permis de faire ce qui est le plus bas. Quoi d'autre entrerait pour lui en ligne de compte ?


 

15 janvier

Dieu seul décide finalement en toutes choses. Si l’on définissait la méditation à partir du désir de Dieu qu’a notre propre esprit, le moment viendrait très vite où l’âme serait remplie et voudrait arrêter. Elle est satisfaite beaucoup plus rapidement que Dieu. Dieu promet et accorde plus, mais il exige aussi davantage. Des amoureux sur terre peuvent mesurer leur amour réciproque : "Si chaque jour tu me donnes ceci et cela, alors je serai content !" Dieu ne se laisse jamais aimer de cette manière-là. C’est lui seul qui décide de la mesure de ce qu’il veut nous donner. Mais il n’est pas vrai non plus que l’amour humain, s’il est authentique, puisse s’accommoder au fond de limitations de ce genre. L’amoureux méconnaîtrait d’un côté ses désirs, de l’autre ses propres capacités. On ne peut jamais non plus assez demander à Dieu parce que lui-même est toujours capable de donner davantage et il est disposé à le faire.


 

Dieu a prévu pour chacun une place déterminée. Nous sommes depuis toujours les élus de Dieu, destinés par lui à une place précise, nous devons seulement veiller à nous y rendre. Naturellement nous pouvons pécher, nous avons la liberté de nous détourner de Dieu. Ne devrions-nous pas aussi parler de la liberté que nous avons de nous tourner vers lui ? Et aussi de "choisir" efficacement ce qu’est la volonté de Dieu pour nous. Il me semble qu’on devrait se contenter de dire : Dieu nous donne la grâce de regarder ce qu’il a choisi pour nous. Il n’y a toujours qu’un seule chose que Dieu a choisie, tout le reste s’y ramène.


 

Dieu se communique à nous comme un tout, afin qu'à notre tour nous nous offrions à lui tout entiers.

 

Dispersion de l’homme d’aujourd’hui : temps du travail, heures de loisir, utilisation des heures de loisir et à nouveau récupération après celles-ci ; le temps est toujours distribué mécaniquement. Ce qui fait l’unité du temps et de la vie est toujours plus oublié et rendu impossible, le tableau se décompose en pièces de mosaïques isolées. L’unité de notre temps, c’est que nous sommes devant Dieu. Quand, après la chute, Dieu a rendu notre temps éphémère, ce qui nous rend supportable cette fugacité, c’est la conscience de la présence de Dieu, l’orientation vers sa présence de toutes nos pensées et de tout notre travail et de toute notre détente.

 

16 janvier

Les inspirations sont en sommeil en Dieu, c'est lui qui décide du moment où il va les communiquer à quelqu'un. Pour Dieu, une inspiration ne peut jamais se perdre ; il peut arriver tout au plus que quelqu'un se refuse au moment Dieu a décidé de se communiquer. La liberté de l'être humain est si grande qu'il peut toujours décider de se comporter vis-à-vis de Dieu de manière féconde ou stérile. Dieu ne laisse se perdre aucune semence ; il s'attache à une personne qu'il a choisie et envoyée, comme un époux fidèle à sa femme.


 

La prière ouvre le ciel. La grâce, la consolation surnaturelle, le don surnaturel de l'amour ne sont pas quelque chose comme une balle toute prête tirée du haut du ciel. C'est justement le fait que ce quelque chose soit ouvert, sans forme, qui rend la grâce si difficile à saisir. Elle peut prendre toutes les formes. Je peux compter les grâces en détail : j'ai la foi, je connais la grâce de la Mère, il mest permis de la prier, je sais que je suis exaucé ; toutes ces données cependant sont plutôt des applications de la grâce et, en chacune de ces manifestations, la grâce elle-même est plus grande que ce qu'elle montre comme fruit. De même que la grâce est toujours plus, de même aussi ce qu'elle opère. Elle est au-dessus du temps. Par exemple, c'est peut-être une grâce que j'aie justement maintenant le courage de supporter ces souffrances.


 

La grâce de Dieu peut être une réponse à la disponibilité générale de l'âme.


 

Pour le chrétien, la maturité signifie toujours naturellement : agir par la grâce qui est libre don de Dieu.

 

Le premier homme fut placé dans l’existence comme cela correspondait au plan de Dieu, avec la faculté de se développer en direction de Dieu ou en s’éloignant de lui. Il ne lui a pas été demandé s’il voulait être créé ; il est simplement placé là, et il est requis de son humilité de le reconnaître.

 

17 janvier

Saint Antoine le Grand (+ 356)

Il prie avec un amour débordant, un amour rare. Un amour qui se transforme pendant qu'il prie, comme si au cours de sa prière cet amour se renouvelait sans cesse, comme si au début de sa prière Antoine était là avec son amour et qu'après il n'y eût plus que Dieu avec ses propres paroles, avec tout ce qui appartient à Dieu, comme si Antoine disparaissait à l'intérieur de sa prière, comme s'il ne restait plus que de l'amour et qu'il n'y eût plus rien qui pût être un obstacle à cet amour. Il aime les hommes et il ne perd jamais de vue l'apostolat. Même quand il se retire très loin au désert, il n'oublie jamais qu'il emporte avec lui les hommes et leurs préoccupations et leurs péchés, il demeure conscient qu'en se retirant du monde, le fait d'être seul avec Dieu n'est pas une solitude dernière mais une existence pour les hommes et pour Dieu, et il demande à Dieu d'accueillir en lui et par lui la prière des hommes. Il brûle pour Dieu de l'amour le plus saint, mais dans cet amour est inclus l'amour des hommes. Ses tentations sont provoquées par son amour. Le diable s'essaie sur lui ; Antoine n'en sort pas vainqueur avec son propre amour mais avec l'amour de Dieu. Antoine veut vivre dans le Christ pour les hommes. Il laisse disparaître totalement sa propre personne au service du Seigneur et des hommes. Il sait que seul l'Esprit rend possible de donner à l'incarnation de Dieu et à l'imitation du Christ un sens fécond pour les hommes. Quand il se retire pour prier et qu'il veut vivre totalement pour la prière, c'est pour servir dans la mesure du possible cet Esprit en tant qu'homme, avec l'aide de Celui qui est devenu homme. Sa contemplation se laisse totalement guider par l'Esprit ; dans sa solitude il devient serviteur de l'Esprit. Et cet Esprit n'est pas commode, il fait participer celui qui prie aux combats des hommes avec le Malin, voire au combat de Dieu lui-même avec le Malin.


 

18 janvier

L'expérience de toute foi qui est vraie : le croyant vit à partir de son centre qui a été pris par la parole de Dieu. Ce n'est pas moi qui vis, c'est lui qui vit en moi. Il faut qu'il croisse et que je diminue. Dieu doit désormais rester en ce centre, le croyant ne doit pas occuper à nouveau la place. Il ne lui est plus permis d'être actif au fond, il doit rester dans l'attente. Le croyant se met à la disposition de la croissance de la foi.


 

Quand un professeur raconte une histoire à une classe, il adapte son récit aux enfants. Malgré cela, chaque enfant entendra l'histoire à sa manière. Il fait partie de la grandeur de Dieu de donner à chaque personne d'expérimenter la foi de manière différente. De plus, pour un homme vivant, la foi n'est jamais fermée. Si Dieu lui donne la foi aujourd'hui, il espère que demain et après-demain l'homme va tirer de sa foi de nouvelles conséquences et la comprendre ainsi de manière nouvelle. Pour que la classe comprenne un axiome mathématique ardu, il y a auparavant tout un travail préparatoire. On commence par les opérations les plus simples ; pour les opérations moyennement difficiles, beaucoup ne comprennent plus, on doit revenir avec eux à ce qui est plus simple. Tant que les élèves suivent, on peut espérer qu'ils comprendront aussi ce qui est plus difficile, mais non s'ils "décrochent". Pour reconnaître Dieu dans la foi, nous devons essayer de suivre le rythme de son amour pour nous.


 

Le pécheur préfère le péché ; dans la foi, il élimine l'amour. Mais dans son manque de charité il ne nie pas nécessairement que Dieu existe et qu'il le punira. Il met de côté cette vérité comme quelqu'un qui est dans l'obscurité avec un livre en main, il ne peut pas le lire. Sa foi est intellectuelle et, de ce point de vue, elle est intacte, mais il ne vit pas son histoire, ce qui n'est possible que dans l'amour. Il en va pour lui tout autrement que pour un catéchumène qui commence à croire d'une manière intellectuelle mais qui n'a pas encore fait l'expérience de la foi plénière, il y a chez lui une espèce d'amour qui tend vers la foi, même si pour le moment il invente encore beaucoup cette foi. Le gros pécheur, lui, sait ce qu'était la grâce dont il s'est détourné. S'il se confesse comme il faut, il peut recouvrer l'amour et intégrer à nouveau la foi. Mais jusque là la foi est pour lui comme un vêtement qu'on ne porte pas. Celui qui laisse un vêtement dans l'armoire pendant des années, le vêtement ne lui va plus quand il le ressort, il a grossi ou maigri, la mode a changé, il faudrait apporter certaines modifications. Pour le pécheur, c'est l'homme qui doit se réajuster, pas le vêtement. Il pense qu'il n'a qu'à le sortir de l'armoire, il ne pense pas à l'ajustement nécessaire. Mais justement, Dieu exige toujours de l'homme quelque chose de nouveau. Autre chose de celui qui a vingt-et-un ans que de celui qui en a vingt-deux. L'homme devrait constamment s'adapter à la foi. D'où la difficulté de porter à nouveau un vêtement de foi qui n'a pas été porté depuis longtemps.

 

19 janvier

Quand Adrienne est au volant de sa voiture ou quand elle marche dans la rue, il y a toujours en elle un "tressaillement" quand elle rencontre des gens. Car elle les aime tous ; elle voudrait donner à chacun quelque chose de bon, caresser les enfants, adresser une parole à des personnes âgées et leur dire quelque chose de gentil.


 

Saint Jean aime la Mère par le Fils. Il l'aime d'abord parce que, ayant mis au monde le Fils, elle lui a procuré le don de cet amour ; puis il l'aime plus personnellement et toujours plus fort ; quand enfin, sur la croix, le Seigneur lui donne sa mère, toute la responsabilité de l'amour divin, dont il a tant appris auprès du Seigneur et par son amour pour lui, s'introduit dans ses relations avec la Mère. Il reçoit alors la Mère par le Fils comme il avait reçu le Fils par la Mère ; et, par la Mère, il perçoit de manière nouvelle comment tout l'amour chrétien est répandu de manière eucharistique, comment aussi les hommes peuvent être confiés les uns aux autres pour qu'ils aiment davantage l'amour de Dieu, pour qu’ils accomplissent la volonté du Père.


 

Marie veut être totalement docile. Là où pourrait se faire jour la tentation de résister ou de se fermer, elle voit de nouvelles occasions d'aimer. Pas plus qu'une femme enceinte ne peut se dérober à sa grossesse, Marie ne veut pas se dérober aux exigences croissantes, toujours plus grandes. Elle reconnaît cette croissance des exigences au fait qu'elle ne comprend pas et au signe de la souffrance qui se dessine en elle. Elle sait très bien qu'avec l'enfant la croix grandit en elle, elle acquiesce d'avance à cette croix. Son oui consiste avant tout dans le fait qu'elle continue à s'abandonner sans limites : l'Esprit lui apporte le Fils et la croix. Elle ne cesse de tout remettre au Père, car c'est bien de sa part que l'ange est venu.

 

La Mère est sans souci et sans tristesse : elle a l'enfant et elle l'adore, l'amour est si grand qu'il éclipse tout. C'est une fête de l'amour. Ils sont comme des amoureux qui sont ensemble dans une pauvre cabane et ils sont ingénieux l'un pour l'autre pour compenser par l'amour réciproque tout ce dont ils sont privés.


 

20 janvier

Quand Adam, au paradis, entend Dieu se promener ou qu’il parle avec lui, il perçoit Dieu de la manière dont cela lui a été donné. Dieu l’a pourvu du sens de Dieu comme d’une faculté qui est à sa disposition. Aujourd’hui encore, l’Esprit peut nous rendre réceptifs au langage de Dieu.


 

Dans le contrat avec Dieu, il n’y a pas de clauses de réserves. Si, intérieurement, on en mettait, le Seigneur se chargera de nous faire sentir et savoir que tout contrat avec lui débouche sur l’infini et qu’il est fatal que nous ayons à perdre pied à un moment ou à un autre, que nous ayons l’impression qu’on nous en demande trop. Avec le temps, nous comprendrons qu’il est raisonnablement impossible d’imposer au Seigneur des conditions, de limiter la durée de notre service, de mesurer le don de nous-mêmes. Le Seigneur veut tout : le don tout entier de nous-mêmes et notre temps tout entier.


 

La meilleure manière de s'occuper de soi selon Dieu, c'est de ne plus s'occuper de soi et d'en laisser le soin à Dieu. Le Fils nous enseigne que, durant la prière, nous devons laisser derrière nous tout ce qui nous préoccupe dans le monde. Si nous nous rendions auprès de Dieu avec nos préoccupations de tous les jours, nous ne serions jamais réellement libres pour un véritable entretien avec lui, toute l'inquiétude de nos soucis et de nos travaux pénétrerait avec nous dans le silence de Dieu et nous empêcherait d'écouter et de recevoir dans le recueillement. Même si ce n'est pas facile de se tenir devant Dieu entièrement dépouillé de ses propres préoccupations, cela reste néanmoins la condition indispensable pour obtenir ses dons les plus précieux. Ce n'est pas que Dieu se désintéresse de nos affaires terrestres, mais il faudrait que nous ayons encore plus d'intérêt pour les siennes.


 

Adrienne demande un jour au P. Balthasar : "Que faire maintenant ?" Lui : "Je dis qu’on doit faire la pleine volonté de Dieu dans le cadre limité de sa vie. Il ne désire rien de plus".


 

21 janvier

Sainte Mechtilde de Magdebourg (1210-1285)

Première prière, avant son entrée au monastère. Notre Père qui es aux cieux, tu nous a donné à tous ton Fils comme Époux. Je voudrais te dire pour cela ma gratitude. Mais, Père, je voudrais parler de ton Fils avec toi. Il y a peu de temps encore, il n'y avait entre nous, réciproquement, qu'amour et don de nous-mêmes, et chaque rencontre, chaque prière, chaque sacrifice offert pour lui me rendait heureuse et me comblait. Maintenant il me semble que toute rencontre est légèrement troublée. Quelque chose n'est plus juste, ton Fils ne semble plus être aussi content qu'avant, il ne se montre plus avec le même visage ; je l'adore comme autrefois, je m'offre à lui comme autrefois, je cherche à l'aimer comme autrefois, mais chaque fois il me semble qu'il me quitte déçu. Père, je t'en prie, parles-en à ton Fils et dis à ton Fils qu'il doit me montrer ce que je dois faire pour qu'il soit à nouveau content de sa jeune épouse. Je voudrais réellement tout faire et, je te le demande, laisse-moi faire ce tout. Amen. -

Deuxième prière, beaucoup plus tard, au monastère. Père, je te remercie que tu m'aies conduite au monastère où, par la règle, je peux mieux servir ton Fils. Mais Père, je t'en prie, ne me laisse pas devenir tiède, ne me laisse jamais croire que j'aurais maintenant accompli tout ce que ton Fils exige de moi, montre-moi jour après jour, pas après pas, comment je peux continuer à lui faire plaisir de manière neuve. Je le voudrais tant ! Nous sommes dans une maison bénie où beaucoup font réellement tout pour lui plaire. Les sœurs sont pour moi des exemples de don de soi, elles me montrent comment elles le font et je puis beaucoup apprendre d'elles. Je te remercie pour cette communauté, mais je t'en prie : que ces relations humaines avec mes sœurs ne me deviennent pas si chères que je cherche moins, pour cette raison, la compagnie de ton Fils. Je te remercie pour tout, et je te demande aussi de disposer toujours plus de moi pour que je serve toujours davantage ton Fils. Amen.


 

22 janvier

L'amour trinitaire a "inventé" l'obéissance étant donné que le Fils se soumet à la volonté du Père d'une manière qui est l'expression naturelle de l'amour. Se soumettre à la volonté du Père, se familiariser avec elle, se régler sur elle, est un aspect de l'amour éternel à côté d'autres ; si nous étions introduits très avant dans l'échange du pur amour divin comme croyants, aimants et mus par l'Esprit saint, nous ne pourrions pas isoler de l'amour la forme de l'obéissance.

 

Qui perçoit la parole de Dieu entend avant tout ce que le Christ a dit en tant que Parole du Père. Le Fils s'est disposé pour être l'annonciateur à l'extérieur de la volonté du Père. En faisant ainsi comprendre le Père, il se présente lui-même en même temps comme l'image et la Parole du Père, et cela sous la forme d'un homme qui a choisi l'obéissance au Père comme fond de son existence. Il vit parmi nous comme quelqu'un qui accomplit parfaitement ce qui est au Père ; pour montrer la volonté du Père, il la prend en lui parfaitement et il la réalise pour le monde. Il obéit au Père dans l'Esprit Saint ; l'Esprit Saint est sa règle parce qu'il représente la volonté du Père. Le Fils ne s'écarte de cette règle à aucun moment. Les conseils évangéliques qu'il donne aux siens, il les vit lui-même, ils les présente de telle sorte que nous puissions les saisir. De sa naissance dans la totale pauvreté, à travers sa vie de travail, caché dans la maison de Joseph, aux années de prédication, il s'adapte toujours à la volonté du Père. Tout ce qu'il nous explique, il l'explique en sa qualité de Fils ; depuis toujours il connaît toute la vérité, il l'est. Ses années humaines, il ne les prend pas comme une occasion d'annoncer cette vérité uniquement de manière accessoire et comme de l'extérieur pour ensuite être à nouveau un homme privé qui disparaît dans la masse pour ne pas continuer à se faire remarquer. Il s'est abaissé jusqu'à devenir homme, mais il veut être l'homme parfait qui vit dans la parole de Dieu et qui représente le Père partout où il est, qui donc ne doit jamais renoncer à un chemin pour sa prédication, pour sa théologie, pour ce qui est sa mission, mais qui prend absolument partout avec lui cette mission, sans la réduire, en sa totalité, et la révèle partout.

 

23 janvier

Si les hommes n'étaient pas pécheurs, le Seigneur aurait, durant sa vie, converti tous ceux qu'il rencontrait. Tous se seraient jetés à genoux parce que devant eux se trouvait la sainteté parfaite. De même, s'ils n'étaient pas pécheurs, tous tomberaient aussi à genoux devant Dieu et devant le Seigneur en présence de la mission d'un saint, car elle ouvre un accès à Dieu. Mais comme nous sommes pécheurs, l’Église est contrainte de mettre les saints en évidence, surtout ceux qui sont morts afin qu'on voie leur chemin, la manière dont ils sont allés vers Dieu.


 

Quand Jésus demande à Philippe : "Où achèterons-nous du pain pour tant de monde ?", il lui pose cette question pour l'éprouver ; lui savait ce qu'il allait faire. Le disciple n'a pas à savoir à quoi il sera utilisé dans les plans du Seigneur. Il ne sait même pas qu'il est utilisé. Il n'a pas à le savoir car la décision qui le concerne est entre les mains du Seigneur. Cependant il n'est pas utilisé comme un instrument mort mais comme une personne humaine. Pour répondre à l'appel, il n'est pas requis que l'homme perce les plans de Dieu ; il lui est demandé de se laisser utiliser aveuglément par lui comme un instrument, il lui est demandé d'admettre que le Seigneur sait déjà ce qu'il va faire.


 

"Une force est sortie de lui" : Jésus a donc donné quelque chose de lui, dont il ressent après coup le manque. Il pose la question : "Qui m'a touché ?" Il connaît certes la femme qui l'a touché, mais il la fait connaître, il la livre au-delà des limites de la discrétion : tous, depuis deux mille ans, savent maintenant que cette femme souffrait d'écoulement de sang. Elle a touché le Seigneur sans se faire remarquer, dans un acte de confiance. Et le Seigneur ensuite la fait connaître, guérie, façonnée, pour la donner en exemple.


 

Le Christ a souffert sur la croix jusqu'à la mort sans voir le fruit de sa passion et même sans plus sentir la présence du Père, se croyant à tort abandonné de lui, dans une solitude qui n'a plus rien d'un échange, d'une réponse, d'une participation.


 

24 janvier

Je sais dans la foi que ma parole arrive à Dieu ; il l'entend et il y répond en silence dans son sens à lui. Cela me donne une certaine certitude et un certain apaisement ; si ma prière avait une intention précise, si peut-être elle était faite pour une autre personne, cette intention est maintenant déposée en Dieu et reçue par lui. Je m'attends donc à ce que Dieu s'y intéresse ; il va de soi pour moi que celui que j'ai recommandé à Dieu ressentira d'une manière ou d'une autre les effets de ma prière.


 

Adrienne en vacances à Saint-Quay. près de la mer. A Bâle, après les consultations, quand on voudrait se reposer, on ne cesse encore d'être dérangé. Ici, c'est le repos, si bien qu'on peut beaucoup prier. On n’est plus tourné vers le monde, on se tient constamment sans voile devant Dieu. On peut simplement écouter ce que Dieu dit, même si cela ne se laisse revêtir d'aucune parole et qu'il n'y ait que de l'amour qui soit communiqué.


 

La prière ne dispense pas de l’action. Il peut arriver qu’on prie trop et qu’on n’agisse pas assez. On ressemblerait alors à quelqu’un qui est assis sous un arbre, qui supplie Dieu de bien vouloir faire tomber une pomme pour lui, et qui préfère avoir faim plutôt que d’étendre la main. Cela s’appelle jouer avec la grâce. Il peut arriver à quelqu’un de fuir dans la prière. Quand on n’est plus habitué à écouter vraiment Dieu dans la prière, celle-ci devient une sorte de pieux sommeil.


 

Personne ne vient au Père sans passer par le Fils. Passer par lui, cela veut dire le suivre. Le suivre non seulement comme un disciple suit son maître dans sa manière de pensée, mais le suivre dans l'état vécu par son maître. Les apôtres répètent sans doute les paroles de la prière du Seigneur, mais ils voient surtout l'état vécu dans lequel il prie, et cet état est qu'il voit continuellement ce que le Père lui montre. Personne ne devrait essayer d'imiter les actes du Christ sans le suivre dans l'état de son âme quand il priait. Personne ne devrait essayer de répondre à son commandement de l'amour sans se laisser combler par ce qui le comblait ; personne ne doit prier sans s'appuyer sur sa prière. Ce n'est pas là ingérence présomptueuse, c'est le Seigneur qui l'offre. Il voit le Père et il prodigue continuellement ce qu'il voit sous une forme adaptée à la foi de ceux qui le suivent.


 

25 janvier

En nous, il y a toujours à l'avance une grâce qui nous permet d'accéder à la foi, et pourtant ce n'est que la foi qui nous fait participer pleinement à la grâce. Tant que nous doutons, nous condamnons le Seigneur à rester vague. Il a besoin de notre vie pour pouvoir vivre, pour nous communiquer la foi intégrale.


 

Celui qui est touché par la grâce reste libre.


 

Même un vieux moine, qui vit totalement dans la grâce, ne sait pas de lui-même qu’il est devenu incapable de pécher. Un autre peut le savoir de lui.


 

La foi elle-même est déjà grâce parfaite.


 

Nous sommes sous l’influence immédiate de la grâce de Dieu et de l’Esprit Saint.


 

Ignace (de Loyola) a péché, la grâce l’a rattrapé.


 

Celui qui a réellement entendu l'appel de Dieu et le suit doit persévérer dans la grâce.


 

La grâce de Dieu se penche sur les hommes.


 

Saint Ignace est si touché par la grâce qu’il lui semble que toute sa vie ne va pas suffire pour y répondre.


 

Si quelqu’un a aujourd’hui des visions et n’en a plus le lendemain, n’en aura même plus jamais, il se peut qu’il ait gaspillé la grâce, mais il peut se faire tout aussi bien que sa mission soit simplement finie.


 

Il y a toute une psychologie du refus de la grâce.


 

26 janvier

Saint Philippe Neri - Fête le 26 mai

Saint Philippe Neri aime tellement Dieu que c'est pour lui un besoin et une joie de s'expliquer avec lui. Il conçoit son service avec certitude comme un service serein de l'amour. Cela ne l'empêche pas de voir chez les autres les difficultés dans l'amour. C'est pourquoi il voudrait ressentir un amour si grand qu'il puisse franchir tout ce qui leur cause des difficultés et les empêche d'aller à Dieu. Il donne à Dieu dans la prière autant d'amour qu'il est possible.

 

27 janvier

Sainte Angèle Merici (+ 1540)

Son amour pour Dieu est un grand amour qui la prend tout entière, mais elle a toujours peur de se méprendre. Elle dit souvent non, là où elle dit oui après, parce qu'elle hésite bien qu'elle brûle. Elle est comme sur la défensive parce qu'elle craint toujours d'ajouter quelque chose de propre. Elle est remplie de trouvailles et de grâce, des trouvailles divines pour servir Dieu, mais elle hésite. Quand arrive la confirmation, alors elle suit. Elle a peur de mettre ce qui est à elle à la place du divin et d'outrepasser ses pouvoirs. Son amour, c'est surtout son obéissance, elle est très humble ; la peur qu'elle éprouve est un signe de son humilité. Elle subit des humiliations par Dieu et par le monde. Par Dieu, parce qu'il se dérobe à elle dans la prière, il la laisse en plan, elle est ainsi contrainte de voir sans cesse ses propres insuffisances. Humiliations aussi de la part de son entourage, de ses propres sœurs et aussi du clergé. Elle accueille ces humiliations avec difficulté, mais dans un bon esprit. Elle donne à sa fondation tout ce qu'elle doit donner, du moins elle essaie. Les saints qui lui sont les plus proches, ce sont surtout les apôtres, qu'elle vénère, à cause de l'apostolat primitif au fond. Son plus grand amour se rapporte à Dieu, au Père en réalité. Le Fils est pour elle surtout le chemin vers le Père.

 

28 janvier

La foi, c’est une histoire. Après la chute, dans l’ancienne Alliance, Dieu a renoué des liens avec les hommes, et d’abord par la foi. La foi est comme un coin de la grâce originelle enfoncée dans la vie du pécheur. Dans le paradis, qui était le lieu de Dieu en ce monde, l’homme ne pouvait pas se cacher de Dieu. Dans notre monde actuel, le croyant ne peut pas non plus se cacher de Dieu. Il pourrait tout au plus essayer de se cacher en reniant sa foi, en la perdant, en s’imaginant qu’il est pour Dieu un inconnu. Le vrai croyant, lui, bâtit sa vie de foi dans la conscience que Dieu le voit. Il lui est permis de se présenter devant Dieu, de l’adorer, de le prier. Et Dieu se révèle à chaque croyant de la manière qui lui semble bonne.


 

L’homme ne peut pas dire : "J’ai l’Esprit". Il peut dire tout au plus : "L’Esprit m’a touché, j’essaie de croire". Parce que l’Esprit est éternel, son toucher laisse en l’homme des traces d’éternité. Mais le temps ne peut jamais dire qu’il possède l’éternité. Si un homme prétendait : "Je possède l’Esprit, je sais ce qu’il veut de moi et cela me suffit", il aurait transformé, dans ses pensées, l’Esprit vivant en une matière morte.


 

On ne peut pas s'embarquer avec le Seigneur sur le lac pour une traversée sans s'exposer à la tempête. Ce n'est pas un hasard qu'il y ait tempête, le Seigneur savait bien qu'il y en aurait une. Il sait que s'il introduit les autres dans sa vie pour les emmener sur l'autre rive, cela ne se fera pas sans tempête. L'autre rive, ce peut être Pâques, ce peut être la vie éternelle, ce peut être une attente dans une vie chrétienne ; en tout cas, il s'agit toujours d'une attente au nom du Seigneur, il y aura toujours une tempête : intérieure ou extérieure. Si on le sait, on ne s'inquiétera pas à l'avance. Nous la laisserons nous menacer dans l'espérance que nous serons capables de persévérer jusqu'au moment où le Seigneur permettra qu'elle s'apaise.

 

Il y a bien des personnes qui un jour ou l'autre ont entendu ou vu quelque chose de Dieu. Elles en ont connaissance comme d'une curiosité en quelque sorte. Il y avait peut-être là-dessous une révélation importante, mais la personne concernée ne s'est pas montrée suffisamment disponible. C'est très souvent la raison pour laquelle elle ne perce pas. Entendre quelque chose de Dieu oblige à se donner soi-même. Si on apprend sans se donner totalement, la fécondité se perd. Il y a naturellement la fausse perception qui ne peut pas non plus percer. Il y a enfin ce que Dieu fait dans tous les cas, que nous entendions ou non : Dieu parle, l'Esprit parle ; mais si celui à qui s'adresse la parole se ferme, il ne peut pas entendre. Non seulement Dieu cherche des personnes à qui parler ; beaucoup plus de personnes pourraient entendre si seulement elles le voulaient. C'est un préjugé de penser que très peu de personnes seulement pourraient entendre.


 

29 janvier

Pour bien des prophètes, la parole de mission retentit soudainement ; ils l'entendent avec leurs sens humains, comme une voix humaine, et c'est la voix de Dieu. C'est de cette manière aussi qu’Élie entend ; une voix le pousse dans la solitude, non dans la solitude physique du désert maintenant, mais dans une solitude spirituelle : la voix l'a entraîné dans une région où se trouve Dieu et non les hommes. Dans cet espace où l'on entend la voix et où on lui obéit, Élie doit faire l'expérience d'un vide de l'esprit. Pour lui qui est doté de sens, la perception sensible, humaine, doit s'effacer, disparaître, pour que seule s'esquisse la possibilité de percevoir Dieu. Cela signifie pour lui un changement total : il doit saisir que la foi doit prendre une place précise et déterminée, il doit comprendre que la foi revendique en lui la priorité absolue et que c'est par la foi qu'il a été transporté dans le monde de la voix de Dieu. Pour ce faire, il doit apporter sa contribution, et sa contribution est qu'il y aille réellement, qu'il transmette le message.


 

La justice de l'ancienne Alliance pressent la grâce de la nouvelle Alliance, non comme une grâce lointaine, absente, à recevoir bien plus tard seulement. C'est sans doute une prophétie, mais les choses qui viennent ont déjà la puissance de ce qui existe. Le prophète vit dès maintenant de ce qu'il prophétise. Sa prophétie le transporte au-delà des siècles bien qu'il meure en son temps. Sarah, la stérile, qui par son enfantement est arrachée au cours naturel de la vie, est dès maintenant un signe de l'enfantement surnaturel de Marie. Ce n'est pas l'Esprit Saint qui la couvre de son ombre, c'est la force de la prophétie qui la fait devenir mère, une force de l'obéissance qui provient de la force du oui de Marie. Elle se laisse faire, alors qu'au fond, du point de vue de la nature, il n'y avait plus moyen qu'on dispose d'elle, c'est un consentement surnaturel. Avec Sarah, avec Anne, des chemins de vie sont ouverts qui seront continués avec Élisabeth, qui s'achèveront avec Marie.


 

30 janvier

Au ciel, la relation de service n'est pas finie ; elle est seulement plus accomplie. Nous devenons participants de Dieu. Au ciel, la distance entre l'homme et Dieu n'est pas supprimée, au contraire la vénération est plus achevée et par là plus profonde. Bien qu'au ciel nous ne soyons plus des pécheurs, mais des enfants de Dieu purs, la distance entre nous et Dieu est encore plus évidente qu'ici-bas. Ce n'est pas non plus le souvenir de notre péché d'autrefois qui nous empêcherait de sentir une plus grande proximité de Dieu, c'est notre connaissance de Dieu qui sera plus grande.


 

Nous ne savons pas au fond ce qu'est le salut de notre âme. Nous l'imaginons comme un beau prolongement de notre petite vie bourgeoise d'ici-bas. Nous nous mettons ainsi au centre et, à partir de là, nous prévoyons ce que pourrait être la satisfaction de nos désirs. Le salut de l’âme sera au contraire notre service absolu. Délivrance et salut de l'âme sont la mise en place absolue du service. Celui qui sert ne veut que ce que veut le Seigneur. La béatitude éternelle sera la pure participation à ce que Dieu lui-même accomplit avec joie et bonheur. Nous savons certes que Dieu est amour, qu'il possède tout ce que nous n'avons pas et ne savons pas. Notre désir se porte vers lui comme vers un ami que nous admirons parce qu'il a beaucoup de choses, qu'il sait ce qui nous manque et pourtant nous pouvons jouir de son amitié. Mais une vue de ce genre reste humainement limitée.


 

Toutes les paroles que Jésus disait sur le ciel durant sa vie terrestre étaient voilées, elles renvoyaient seulement à une vision future du Père qui était promise, car jusqu'à présent personne n'a vu le Père si ce n'est le Fils. Tant que le Seigneur était sur la terre, les disciples devaient apprendre à s'approcher du Père par lui et à comprendre cette médiation d'une manière tout à fait incarnée, somatique, eucharistique. A ce moment-là, ils ne pouvaient pas suivre un chemin purement spirituel, ils étaient pour cela trop inexpérimentés, trop lourds. La vie spirituelle de l'éternité dans un corps de résurrection, ils se la représentaient comme une sorte de suite améliorée de leur vie terrestre, en compagnie du Seigneur transfiguré avec lequel ils se livreraient à des banquets sans fin, etc. S'ils devaient décrire ce qu'ils se représentaient, le ciel serait comme une salle dans laquelle, à côté d'eux, auprès du Christ et du Père, seraient rassemblés aussi les anges, les croyants de l'ancienne Alliance, toutes les personnes qu'ils connaissaient d'une manière ou d'une autre et qui, à leur avis, feraient bien dans le tableau. Leur image du ciel est ainsi une image améliorée de la terre. Cette image est réduite à néant par l'Apocalypse.


 

31 janvier

Saint Jean Bosco (1815-1888)

Sa prière est de nature johannique, pleine d'amour, d'émotion et d'admiration pour Dieu. Ses connaissances concernant la prière ne sont pas grandes. Il n'a pas une idée très riche de Dieu Trinité. Il vit de quelques images tirées de l’Évangile et il admire dans le Christ le Père, le Fils et l'Esprit ; il les aime, il leur apporte tout et il prend tout sur lui par amour et surtout par admiration. Il vit dans une immédiateté qui est personnellement très belle, d'une pureté johannique ; il ne désire rien d'autre pour lui que de pouvoir aimer et admirer ; sa joie enfantine, c'est que ce soit permis à lui-même et aux autres. Dans toutes les œuvres qu'il entreprend, il vit de la sentence du Seigneur : "Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères", dans le souci immédiat de porter au Seigneur, de chercher au nom du Seigneur. Quand ses collaborateurs prient trop peu, quand ils ont plus de joie dans l'action, dans leurs entreprises, dans leur service, dans l'extérieur qu'en Dieu et dans l'admiration de Dieu, il est triste. Il ne sait pas comment il pourrait leur communiquer son enthousiasme.


 

1er février

L’Église désire Dieu ardemment en quelque sorte, et elle ne sait pas exactement si c'est au Fils qu'elle aspire ou à l'Esprit Saint ou à Dieu le Père. C'est l'Esprit qui, inclus d'une certaine manière dans l'humanité du Fils, clarifie les besoins de l’Église en les échelonnant et en les faisant apparaître.


 

Chaque homme porte en soi une sorte de schéma de la vie trinitaire : sa manière particulière de participer à ce mystère. Chez les uns c’est la vie dans le Fils, chez d’autres l’amour particulier pour le Père, chez d’autres l’intelligence des dons de l’Esprit, mais toujours ce qui est particulier débouche dans le trinitaire qui englobe tout.

 

L'amour trinitaire du prochain que connaît le Seigneur est un amour qui est de toute éternité. Le Fils vient nous rendre visite non par amour de lui-même, mais par amour pour son Père et pour sa création qu'il veut lui ramener, et par amour pour l'Esprit ; par son incarnation, il prépare la révélation de l'Esprit à la Pentecôte.

 

Le Seigneur a enduré les trois jours de sa passion et sa mort comme sacrifice pour le monde : mystère dans lequel tout l'amour de Dieu Trinité se révèle et se cache.

 

Personne ne peut se limiter au Dieu unique en excluant le Fils et l'Esprit.


 

2 février

Présentation du Seigneur au temple

Le Fils de Dieu est béni au temple : une cérémonie dont il n’avait aucunement besoin. Et la Mère avait tout aussi peu besoin de purification. Dans le fait qu’ils n’ont pas besoin de cette cérémonie, réside pourtant aussi le fait qu’ils “peuvent” s’y soumettre. De ce point de vue, les deux choses annoncent la croix. On se laisse bénir et purifier à l’ombre de la croix. Comme le Seigneur se laisse crucifier pour le péché des autres. Par cette ouverture sur la croix, la fête de la présentation de Jésus au temple reçoit un caractère sublime. On promet de prendre sur soi ce qui appartient aux autres. Ce sont les autres qui doivent être purifiés et bénis.

 

Siméon prophétise. Il n'est pas utilisé par Dieu comme l'un des anciens prophètes qui avaient souvent à transmettre des paroles dont ils ne comprenaient pas totalement eux-mêmes la portée. La prophétie de Siméon au contraire est le fruit de ce qu'il comprend, de sa contemplation de la Mère et de son enfant. Si l'on voulait ranger les prophètes sur une échelle et commencer tout en haut par ceux qui sont utilisés tout à fait inconsciemment, Siméon se trouverait tout en bas. Ce qu'il dit est totalement dépourvu de ce qu'il y a d'inconstant, d'abrupt, d'obscur dans bien des prophéties d'autrefois. La sienne est le résultat de sa foi, de son amour, c'est ici que lui apparaît la mission qu'il accomplit : dire à Marie les paroles qu'il doit lui dire.

 

Si nous contemplons Marie dans sa vie terrestre, elle est certainement élue d'abord pour donner naissance au Fils éternel. Elle est vierge, une simple vierge qui a vécu sur terre et qui était si transparente à Dieu que tout en elle était aussitôt utilisable pour l'accomplissement de ses desseins. Cette transparence était amour pur qui recevait tout l'amour de Dieu sans ombre aucune.

 

3 février

Nous ne devons pas contraindre Dieu à porter sa lumière dans notre confusion, mais permettre à son amour de mettre en nous de la clarté. C'est cela obéir à Dieu, il n'y a pas là le moindre fatalisme. Ne pas dire : Dieu doit me prendre tel que je suis. Mais : je dois laisser faire afin que je ne sois plus, mais que je devienne.


 

Dieu offre à ses saints un peu de sa lumière. C'est un cadeau de sa grâce.

 

Adrienne est poursuivie par le péché du monde, elle ne voit dans les hommes que des pécheurs. Elle voit en tous qu’ils se dressent contre la grâce, qu’au fond ils ne veulent pas se convertir, ils préfèrent leurs plaisirs passagers à l’éternité. Il s’agit la plupart du temps de bagatelles, mais leur manière de penser n’en est pas moins laide : il n’y a ici aucune distinction entre péché grave et péché véniel. Au contraire : le péché véniel semble presque encore plus minable que le péché grave, parce qu’on sacrifie ici l’éternité à une babiole.


 

Pour les apôtres dans leurs relations avec le Seigneur, il n’y a pas eu en eux de combat pour ou contre la grâce, pour ou contre le Seigneur. Ils ont été requis, ils sont sa compagnie.


 

Il y a la grâce acceptée, et la grâce non acceptée, qui est ténèbres.


 

Le mérite de la quête humaine de Dieu est toujours la réponse à une grâce divine.

La grâce se saisit des hommes d’une manière infiniment variée ; souvent ils savent l’instant où la grâce les saisit : dans la prière ou bien, brusquement, dans la rue ; souvent aussi ils n’en savent rien, peut-être parce qu’ils sont trop humbles pour y réfléchir. Il y a une foule de gens très simples qui vivent totalement de la grâce sans bien le savoir.

 

4 février

Prière d’Adrienne, étudiante en médecine. Mon Dieu, je voudrais connaître ta vérité ! Seulement ta vérité et rien d'autre ! Afin que je puisse servir ta vérité en vérité. C'est pourquoi je te le demande, enlève de moi tout ce qui n'est pas à toi, ce qui n'est pas vrai, ce qui n'est pas compatible avec ta vérité. Je te le demande : montre-moi qui tu es. Montre-moi, dans l'idée que je me fais de toi, ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Ne te lasse pas de tout me montrer de telle sorte que je sois sûre que tu es le vrai Dieu et comment tu es le vrai Dieu. J'ai besoin de cette vérité non seulement pour moi, j'en ai besoin aussi pour tous ceux qui viennent, pour tous ceux que je connais et pour tous ceux que je ne connais pas. Je voudrais avoir cette vérité afin que la vérité du monde devienne ta vérité. Oh ! Je t'en prie, montre-moi comment tu es autrement et révèle-moi cet autrement, révèle-moi comment tu es véritablement.


 

Réflexion d’Adrienne adolescente. Si le Sauveur est l'amour, il me voit dans son amour et il me voit alors meilleure que je ne suis. Cela, il ne me le dit pas. Il attirerait certainement mon attention sur mes fautes, mais cela ne dit pas encore son opinion. Si je te dis : "Ne fais pas toujours cette grimace avec ta bouche", cela ne veut pas dire que je ne t'aime pas et que je ne veux pas être avec toi.


 

Adrienne adolescente. L'amour a toujours un désir. Si j'aime quelqu'un, je veux être avec lui. Si j'aime Dieu, je veux être avec Dieu, je veux pouvoir manifester mon amour. Dieu me donne de l'amour, il veut être avec moi, et 'amour que Dieu me donne éveille mon désir d'être avec lui.

 

Dieu sait offrir des joies. Les fêtes chrétiennes sont des joies offertes par Dieu. Dieu a créé le monde avec joie, pour sa joie qui est amour. Dieu ne veut pas rester dans une solitude éternelle, il nous invite chez lui.

 

Savoir qu’on ne cesse de reprendre ce qu’on a offert, qu’on laisse le Seigneur en plan alors que son amour est infini ; il le sait d’avance et malgré cela il est toujours et éternellement pour nous amour et rien qu’amour, c’est cela le plus amer. Uniquement ce contraste entre l’amour et le péché.


 

5 février

Sainte Mechtilde de Hackeborn (1241-1299)

Prière. Fais que ce soit juste, Seigneur, que j'entre au monastère. Tu vois l'espérance que j'ai de pouvoir t'y servir sérieusement comme tu l'attends de moi. Mais comme j'ai commis tant d'erreurs dans le monde quand je soutenais que je t'aimais par-dessus tout alors que je correspondais si imparfaitement à ton amour, je suis devenue craintive : je crains d'assumer plus de choses que je ne suis capable d'en tenir, bien que je sache que l'accomplissement se trouve en toi et que c'est toi qui le donnes. Apprends-moi à m'offrir comme tu le veux et prends ma vie, non comme un présent d'importance, mais comme le peu que j'ai encore et que je peux remettre à ton amour. Fais que je sois fidèle dans l'Ordre, que je suive la règle, que dans notre monastère j'aide aussi celles qui sont à toi à mener la vie que tu attends d'elles. Je te demande ta bénédiction pour tous ceux que je laisse dans le monde, dont je pensais qu'ils m'étaient confiés, dont je pensais que je n'avais pas le droit de m'éloigner. Bénis-les, mais ne bénis pas moins le monastère qui va devenir le mien. Je t'en prie au nom de ta mère qui fut la première à te servir tout au long de sa vie. Amen.


 

6 février

Le Seigneur se donne à nous corporellement dans l’eucharistie. Son corps est un corps au service du Père, un corps de sacrifice. C'est le don que Dieu nous fait. Il doit devenir dans le chrétien une semence qui lève, devenir en lui le principe d'action de l'amour divin. Tout ce que ce corps contient de force divine, nous ne le pénétrerons jamais ; mais, dans une obéissance filiale, nous pouvons nous exposer à sa force, nous pouvons demander que l'inconcevable nous saisisse et donne à notre vie la forme de l'obéissance au Père. Chaque communion dure un instant ; mais si elle est reçue de manière vivante, elle se poursuit dans la vie. Ce qui a été reçu corporellement est reçu en même temps spirituellement dans la foi et allume en nous un nouvel esprit. Cet esprit provient de la vie éternelle et veut adapter notre vie temporelle au mode de penser de la vie éternelle. Il est donc aberrant de vouloir préciser l'instant où la présence corporelle du Seigneur cesse en nous. Il y a en nous une transformation et il doit nous suffire de savoir que le corps reçu par nous se transforme en un esprit qui nous transforme.

 

Très souvent la communion sacramentelle s’effectue par habitude et avec tiédeur sans qu’elle soit coupable à proprement parler, tandis que la communion de désir, qui arrive le plus souvent quand on aurait aimé communier et qu’on en a été empêché, ouvre toujours l’âme tout entière au Seigneur. Le Seigneur est plus riche que l’hostie, il la dépasse.

 

Sous les formes du pain et du vin, l'eucharistie peut nous aider à nous rendre compte de la disponibilité constante du Seigneur à s'unir à nous, ou mieux à unir notre existence temporelle à son existence éternelle de Dieu Trinité. La parabole qu'est l'eucharistie renvoie, au-delà de la personne du Fils qui se donne, au Père qui le donne et à l'Esprit qui est lui-même don de lui-même.

 

Il y a une région du purgatoire où les âmes refusent encore d'entrer dans la flamme de l'amour purifiant, où l'amour du Seigneur est offert mais n'est pas reçu. C'est pourquoi l’Église sur la terre, qui vit dans l'amour, doit prier avec la mère du Seigneur pour ceux qui n'accueillent pas encore l'amour du Seigneur ; le Père fera que ces prières deviennent efficaces.

 

7 février

Voilà un homme qui a une grande tentation, le péché l'attire ; cet homme pense que Dieu lui en demande trop, il se dit : commettre ce péché, ça ne devrait pas être très grave, les autres font la même chose sans sourciller. Puis, soudainement, il est touché par la grâce, il ne commet pas le péché, il comprend combien par là il aurait offensé Dieu. Il est reconnaissant à Dieu de l'avoir protégé et, parce qu'il n'est pas égoïste, il voudrait en même temps aider ceux qui ont la même tentation.


 

Adrienne parle un jour de la nature de la sainteté. Elle consiste pour quelqu’un à remplir la mission trinitaire qu’il a. Il ne s’agit que de cela et de rien d’autre. Il peut se faire, par exemple, que cet homme soit défaillant sous maint autre aspect, que par exemple il ait et garde un fichu caractère, mais que ce qui est central en lui soit en ordre : il a correspondu à sa mission ; il s’est si totalement jeté en Dieu qu’il a laissé en Dieu une empreinte de lui-même, et Dieu s’est exprimé en lui, dans la mission accomplie, autant qu’il l’avait prévu. C’est naturellement une œuvre de la grâce ; très peu d’hommes seulement correspondent à la grâce, ce sont les saints.


 

Adrienne en 1947. Je sais par expérience que la seule chose possible pour moi est de me livrer à la grâce, dépouillée de tout.


 

On ne peut pas dire que Dieu ne m'a pas donné pleinement une grâce. Elle peut se perdre en moi ou être mal utilisée.


 

La grâce jette un pont qui met en lumière l'éternelle nouveauté. Une seconde peut-être suffit à capter un éclair de vie éternelle.


 

8 février

L'Esprit a porté le Fils dans le sein de sa Mère. Puis l'Esprit porte au Père tout ce qui appartient au Fils, il porte au Père la volonté que le Fils a de souffrir ; venant du Fils qui exhale l'Esprit sur la croix, il revient au Père avec toute la souffrance du Fils. Le Père reçoit cette souffrance et voit les richesses qui s'y trouvent ; l'Esprit met la souffrance du Fils dans la lumière du Père pour faire rayonner l'espérance du Père sur le monde, sur l’Église, sur la Mère.


 

"La lumière brille dans les ténèbres". Lumière et ténèbres comme amour et haine. L’amour du Christ rencontre la haine du monde.

 

A la fin du purgatoire, l’âme comprend que l’opération par laquelle elle est passée l'a libérée de son égoïsme et lui a donné un amour désintéressé qui est prêt à souffrir pour les autres. Pendant l'opération, l'amour du Seigneur semble inquiétant pour le patient. Quand une femme est en train d'accoucher, les témoignages d'amour de son mari lui semblent déplacés. L'âme doit apprendre par sa souffrance à ne pas s'occuper que d'elle-même, elle doit apprendre à connaître l'amour de Dieu.


 

Pour celui qui s’est détourné de Dieu, qui ne veut pas être sauvé, qui refuse l’amour, le Père sait quel mélange de justice et d’amour du Fils est nécessaire pour cette âme.

 

Les mots de l'Esprit demeurent en nous sans écho si nous sommes prisonniers de la sagesse humaine. Celui qui a reçu l'Esprit pourra distinguer dans ce qu'il entend ce qui provient de la sagesse humaine et ce qui provient de la sagesse divine.

 

9 février

Les innombrables paroles de Dieu sont nécessaires pour éveiller un écho dans l'âme.

 

En tant que Dieu dans le ciel, le Fils saisissait d'un seul coup d'œil l'ensemble des relations d'amour entre Dieu et sa créature. Devenu homme, il doit apprendre à aimer son prochain sans avoir de vue d'ensemble, lui manifester d'une certaine manière un amour humain naïf qui est prêt à se laisser former par des expériences successives, et qui sera déçu comme aucun autre amour humain jusque là. Pourtant il est condamné dès le départ au plus grand fiasco. Cela, le Fils le sait en tant que Dieu, il le pressent en tant qu'homme, mais il ne lui est pas permis pour autant de se laisser dégoûter de l'amour. On peut ouvrir les évangiles où on veut, partout apparaissent de nouveaux aspects de l'amour du Seigneur. Le Nouveau Testament est "le livre de l'amour", qui verset après verset n'expose rien d'autre.


 

Dans la nouvelle Alliance, la révélation de Dieu a progressé par le Fils d'une manière inouïe. Maintenant le monde de Dieu est presque un monde connu dans lequel on ne cesse de pénétrer plus profondément.

 

En plus des menaces de Dieu, les prophètes doivent transmettre ses promesses. Il y a ainsi dans leurs paroles quelque chose de la parole éternelle elle-même. Ce quelque chose est le fondement qui façonne leur obéissance de manière neuve. Ils saisissent la voix de Dieu de bonne grâce ou à contrecœur, ils sont centrés sur cette voix qui se fait entendre de telle manière et pas autrement, et donc dans une forme d'obéissance qui annonce celle du Fils.


 

Dans l'ancienne Alliance, Dieu apparaît comme un partenaire qui se trouve en vis-à-vis, il concède que le prophète se comprenne aussi comme un partenaire et discute avec Dieu. Des explosions de rébellion, une conduite hésitante, même la désobéissance restent souvent impunies. Le véritable héritier de l'exigence démesurée des prophètes sera le Fils sur la croix.


 

10 février

Sainte Scholastique (+ 542)

Prière à un âge avancé. Voici l'heure pour nous, Seigneur, de nous présenter devant toi, Benoît et moi, pour que chacun de nous te montre à sa manière où nous en sommes, ce dont nous avons besoin, ce que nous avons à t'offrir. Comme toujours, j'ai à t'offrir mon obéissance, ma disponibilité à faire ta volonté, ma vie. Comme toujours aussi, j'ai à t'offrir l'obéissance de mon frère Benoît, sa disponibilité à faire ta volonté et toute sa vie. Ce dont nous avons besoin tous les deux, c'est de force pour insuffler ton Esprit à nos monastères. Nous avons besoin de force pour ne pas te perdre de vue dans les contrariétés de chaque jour. Nous avons besoin de force pour vivre dans la petite fidélité quotidienne sans oublier la grande fidélité de notre engagement. Nous avons besoin de force pour insérer davantage dans nos Règles ton Esprit et ta vie afin que la Règle soit ta Règle en toute vérité et que son observance soit un signe que nous t'obéissons réellement. Nous avons besoin de ton aide, nous avons besoin de ta grâce. Chacun de nous en a besoin pour lui-même et pour l'autre, pour son monastère et pour le monastère de l'autre. Seigneur, par ta grâce qui nous a accompagnés si visiblement jusqu'à présent, nous sentons que la vie s'affermit dans nos monastères, nous sentons que cette vie a part en tout à ta vie. Nous deux, qui sommes les guides de nos monastères, nous voyons les progrès qu'ils font dans l'ensemble, non pas des progrès extérieurs mais des progrès intérieurs : dans un affermissement de la force des vœux, de la disponibilité et de la simplicité, qui permet à toutes nos sœurs et à tous nos frères d'accepter comme des enfants de leur supérieur ce que tu veux lui donner à lui et, par lui, à tout le monastère. Je t'en prie, Seigneur, bénis tout ce que tu fais par nous, bénis nos monastères, bénis-les avant tout au cœur de l'Église et avec toute l'Église. Ils se veulent tout entiers au service de l'Église. Accorde-leur cette grâce pour qu'ils accomplissent ta volonté dans ce service et puissent vivre pour la plus grande gloire du Père, de l'Esprit et de toi-même. Amen.


 

11 février

Notre-Dame de Lourdes

Une apparition de la Mère de Dieu est pour Dieu une manière de s'exprimer. Le voyant en est touché dans son cœur croyant et aimant. Et de même qu'un coup corporel laisse une trace, de même la vision dans la foi laisse la trace d'une certitude immédiate.

 

Personne dans l’Église n'apparaît aussi souvent que Marie, beaucoup plus souvent sans doute que le Fils lui-même. Qu'elle apparaisse ainsi dans l’Église répond au fait qu'elle a été voilée sur la terre.

 

Marie et le mystère. Toute l'existence de Bernadette est contenue dans ces mots. Le mystère de la Mère dans son apparition, dans les miracles qui suivent, reste pour elle totalement intact, inviolable, il se révèle à elle tout à fait en tant que mystère, et elle-même n'a rien d'autre à faire que de rester dans ce mystère. Pour elle, il n'y a là rien de louche, il n'y a ni interprétation, ni une quelconque possibilité de s'éloigner du mystère pour mieux le voir, de le découper en morceaux, parce que Marie, dans son apparition, voulait justement montrer le mystère de son être en tant que miracle (et produisant des miracles). Cela ne veut pas dire une nouvelle théologie, une nouvelle spiritualité, une nouvelle manière de vénérer Marie, mais la concentration du tout sur un point : l'évidence du mystère. Lourdes veut dire : celle qui est admirable est apparue, il veut dire l'actualité de Marie dans sa totalité indivisible, elle est digne de vénération justement dans son mystère. Quand on cherche à tirer de Bernadette des pensées et des directives mariales particulières qui vont au-delà de la parole de la Dame : "Je suis l'Immaculée Conception", il apparaît tout de suite que l'interprétation s'écarte du centre et de sa simplicité. On peut sans doute mettre Lourdes en relation avec d'autres mystères, mais quand on dit Lourdes, on doit respecter que Marie dévoile ici ce mystère unique de son être, pas un autre et, par Lourdes, on doit parvenir à une nouvelle conscience de sa présence. Car elle veut être et rester dans toute l’Église telle qu'elle apparaît à cet enfant.


 

12 février

Le Fils nous offre en chacun de ses propos les mots de la prière. Il parle en tant que représentant de Dieu Trinité auprès des hommes, à qui le Père, lors de la création, a offert l'aptitude à recevoir la foi, à accueillir et à garder sa parole, et aussi l'aptitude à la transmettre aux hommes et à la rendre à Dieu en conversant avec lui.


 

Lorsque nous sommes vrais et simples dans notre prière au Seigneur, nous parlons dans l'espace de Dieu Trinité, et la réponse nous vient de la Trinité tout entière. Cela nous encourage à nous souvenir toujours, dans la prière, de cette triple présence dans l’unité. Parce que Dieu est un par nature, aucune personne divine ne peut rester en retrait. La participation de la Trinité à toutes les œuvres de Dieu est si régulière qu'il nous est permis de nous savoir toujours enveloppés du mystère des trois personnes. Tout croyant ordinaire, tout saint, a part à cette expérience. Plus un être est pur, plus il est à même de faire l’expérience qu'il lui est permis de prier Dieu en toute proximité, de ladorer de manière si proche qu’il ne perçoit plus les différences entre le Père, le Fils et l'Esprit, bien qu'il connaisse la Trinité et qu’il reconnaisse en ce qu'il expérimente et reçoit la grâce de Dieu Trinité.

 

Arrivent au ciel de vieilles grenouilles de bénitier qui avaient une religion très égocentrique. Au purgatoire, on leur a enlevé cette religion et on leur a donné des connaissances en rapport avec leur péché. Maintenant, au ciel, elles ont positivement une foule de choses toutes neuves à apprendre : sur la foi, sur l’amour, etc. Elles doivent s’y habituer, s’y faire, grandir.


 

La durée de la prière du ciel ne peut jamais être déterminée. Ici-bas on peut dire : à tel moment j'ai prié tandis qu'à un autre mes pensées ne s'occupaient pas de Dieu. Au ciel, c'est tout différent : même si on s'occupait là de quelque chose d'autre, tout porterait quand même si fort la marque et le signe de la prière que toute séparation serait impossible. Je ne crois pas qu'on puisse comparer l'état dans le ciel à l'état d'Adam avant le péché. Dans le ciel, l'état est beaucoup plus grand et plus élevé.


 

13 février

Les miracles divins ne sont limités ni à un lieu, ni à une époque, mais le Dieu incarné lie ses miracles à sa présence humaine. Les miracles du Père, le Fils les laisse se produire par le Père. Tant que le Fils est ici-bas, le Père n'opérera de miracles nulle part ailleurs que là où se trouve le Fils. C'est nouveau. Dans l'ancienne Alliance les miracles se produisaient n'importe où dans le pays des Juifs ; ils n'étaient liés qu'à la foi en Dieu. Maintenant ils ne proviennent que du Messie qui est issu de ce peuple. Ceux qui doutent, ceux qui cherchent, ne peuvent les attendre que là où est le Fils. Mais le Fils est dans la foi : c'est en son nom que les apôtres opèrent des guérisons et chassent les esprits mauvais, de sorte que cela va déjà plus loin que la présence physique du Seigneur. Le premier miracle qu'il opère - à titre d'essai pour ainsi dire -, il l'opère par amour pour sa Mère : lors de sa rencontre avec Élisabeth. Ce premier miracle remplit déjà deux conditions essentielles des futurs miracles du Fils : la présence physique du Fils et la foi de sa Mère en lui ; c'est pourquoi c'est peut-être un miracle de sa présence aussi bien qu'un miracle de la foi de Marie. Personne n'est choisi pour opérer des miracles en croyant au Père mais sans croire au Fils. Le Fils, qui connaît le lien des miracles à son incarnation, laisse au Père le soin d'opérer ses miracles. A vrai dire, le Père les limite là où le Fils vit physiquement ou bien dans la foi des disciples. Par exemple, il ne donnera pas miraculeusement du pain à un peuple qui a faim et qui est loin de lui, il en donnera à des hommes pour qui il est visiblement présent. Pour opérer des miracles, la seule question qui se pose pour le Fils, c'est uniquement celle de la volonté du Père, non sa propre volonté en tant que Dieu. Cette volonté divine qui est la sienne, il n'en est pas question maintenant ; en tant qu'homme il veut vivre directement de la volonté du Père. Comme si un amoureux, pour l'amour de sa bien-aimée, voulait renoncer à ses goûts personnels pour considérer et apprécier toutes choses avec les yeux de sa bien-aimée. De même, le Fils ne tient pas compte maintenant de ses propres possibilités divines, il se règle en tant qu'homme uniquement sur la volonté du Père, une possibilité qu'il n'avait pas auparavant. Le Fils évite soigneusement d'opérer un miracle pour se sauver lui-même. Par ailleurs, il n'opère pas de miracle pour lequel on pourrait se demander : est-ce réellement un miracle ou n'est-ce qu'un heureux concours de circonstances ?


 

14 février

C’est parce que le Seigneur est la pureté qu’il souffre tellement de tout péché, même du plus petit. En face de cette pureté, il n'y a pas au fond de gradations. Le "plus petit" manque d'amour et le meurtre se trouvent sur le même plan : les deux fautes sont des souillures.


 

Le plus grand amour vis-à-vis de l'Esprit Saint, c'est l'obéissance. Plus on lui obéit, plus on ressent son amour. Il ne nous aimerait pas tant si on ne l'aimait pas lui-même aussi. Si on veut le recevoir comme il se donne lui-même, notre réponse à son amour n'a pas le droit de le fixer sur ce qu'il a en vue. On doit pour ainsi dire lui donner la permission de présumer notre réponse telle qu'il en a besoin. Plus on aime, plus on est aimé de lui, infiniment, parce que son amour est infini. Il peut alors faire de nous ce qu'il veut.

Je sais par la foi que tout ce qui dans l'Esprit est ministériel se trouve au service de l'amour. Cet amour, ses joies, sa jouissance, je les ai totalement abandonnés à l'Esprit ; moi-même, je ne suis qu'à son service. L'amour de l'Esprit est l'unique chose qui est sûre et constante ; je ne vais vers lui que sur son ordre. Mon amour pour l'Esprit, notre amour réciproque ne sont qu'une fonction de l'amour de l'Esprit pour nous.


 

L’Église d'aujourd'hui ne veut pas être battue, mais épargnée ; c'est pourquoi elle n'ose plus donner toute sa force au ministère, elle arrondit tous les angles et toutes les rigueurs. Elle veut la médiocrité d'un amour dont elle fixe elle-même la forme et les limites. L’Église d'aujourd'hui a peur de se tenir nue devant le Seigneur, d'être exposée sans défense à l'amour nu de Dieu. Pierre aussi autrefois déconseillait la croix au Seigneur ; il continue de le faire. Car il sait que la croix du Seigneur et son ministère ecclésial sont proches parents. Ce n'est que dans la croix nue que se manifeste sans voile l'amour de Dieu pour le pécheur, et ce n'est que par le ministère que le pécheur est délivré de ses demi-mesures et de ses lâchetés.


 

15 février

Saint Stanislas Kostka (1550-1568) - Fête le 15 août

Première prière (à peu près au début de son noviciat). Seigneur, je te remercie de pouvoir vivre dans la communauté de ceux qui t'ont fait le don de toute leur vie et qui n'attendent de toi qu'une chose : que tu utilises et façonnes toute leur vie selon ta pure volonté. Je sais que je n'ai encore aucune vue d'ensemble et que je me trouve tout jeune au milieu de gens d'expérience. Je t'en prie, fais-moi bénéficier de l'expérience des autres afin que j'apprenne par leur manière de te servir comment on te sert, que j'apprenne de leur amour comment on t'aime, que j'apprenne de leur foi comment on croit en toi. Seigneur, je voudrais te donner tout ce que j'ai, je voudrais te donner mes jeux et mes études et toutes mes occupations, toutes mes pensées, de telle sorte qu'en tout tu voies que je t'aime. Seigneur, tu sais que je ne suis pas fort, que je ne suis pas doué, que je ne suis favorisé d'aucun don particulier, mais que j'ai toujours été quelque part dans le milieu. Cependant tu me permets de vivre au milieu de gens doués, de gens qui sont forts. Laisse-moi sans talents si cela te sert ainsi, rends-moi plus doué si cela sert à ta plus grande gloire, mais en tout cas permets une chose, Seigneur : fais que je sois prêt à toujours te remercier de ce que tu m'as appelé à être parmi les tiens et à oser essayer avec eux de faire ton œuvre. Amen.

Deuxième prière. Aujourd'hui je viens à toi, Seigneur, malade et affaibli. Je pense que je n'aurai plus la force de mener cette vie que tu m'as montrée. Cependant la paix et la confiance m'habitent, la paix et la confiance que tu me donnes de manière nouvelle à chaque instant, parce que ton amour est si grand qu'il nous permet d'être à toi aussi sur un lit de malade. Si tu n'as pas d'autre projet pour moi que de me laisser souffrir, laisse-moi souffrir, Seigneur, en souvenir et en reconnaissance de tes propres souffrances, fais que ma prière t'accompagne toujours, ne permets plus qu'une pensée, une intention, une parole ne sorte de moi qui ne serait pas à ton service. Fais que tout ce qui est à moi soit à toi. Fais aussi que ma faiblesse croissante devienne pour moi et pour les autres le témoignage que ton amour dure éternellement et qu'il est si grand qu'il peut aussi transformer un peu cette indicible faiblesse en amour du Père. Amen.

 

16 février

Saint Benoît Labre (1748-1783) - Fête le 16 avril

Devant Dieu, Benoît est très droit et très simple, en quelque sorte de plain-pied. Il a une sorte de prière débordante et un désir de voir Dieu qui écartent de lui toute difficulté dans la prière. Pour lui, prier est aussi naturel et aussi simple que de manger ou de dormir pour un homme en bonne santé. Il n'a de difficultés qu'avec son prochain, car il ne peut pas montrer avec les autres la simplicité qu'il a avec Dieu. Il lui est impossible de les aborder comme il aborde Dieu, et pourtant il se sent abordé par eux comme par Dieu lui-même. Pour lui, ce n'est pas un problème de se tenir devant Dieu, ce n'en est pas un non plus que Dieu se contente de lui malgré son indignité, ce n'en est pas un non plus que ce que Dieu désire de lui se trouve chez les autres. Mais cela lui coûte un mal infini d'oublier pour ainsi dire à quel point il est indigne des autres hommes. Il est si pénétré de la grâce de Dieu qu'au moment de la communion son indignité ne l'angoisse plus. Il sait qu'elle est vaincue en Dieu. Dans ses échanges avec les hommes, il n'en va pas de même. Malgré cela, il voudrait les amener tous à Dieu ; s'il visite avec eux tant de sanctuaires, c'est parce qu'il voudrait donner Dieu à chacun ; et parce qu'il ne sait pas bien donner le Dieu qu'il possède, qu'il ne sait pas comment faire, il cherche à leur faire mieux comprendre Dieu d'une manière qui leur soit accessible : les amener par le pèlerinage à un plus haut degré de réceptivité joyeuse. C'est comme s'il élevait les hommes et abaissait Dieu, non en un sens répréhensible, mais dans le sens d'un rapprochement tel qu'il l'imagine et comme cela découle immédiatement de sa propre manière de se tenir devant Dieu. Sa mission est de se laisser conduire par l'Esprit qui porte et représente le mystère de Dieu. Sa mission est de montrer comment l'homme est attiré à la fois par l'Esprit et par le mystère. Il y a une folie dans cette mission : vivre de manière impossible une vie impossible, non de telle manière qu'on "en tire humainement parlant le meilleur parti possible", non en gémissant sous un fardeau qu'on ne comprend pas, non en demandant à l'Esprit de montrer plus clairement ce qu'il exige ou de se montrer moins inexorable. Au contraire en assumant le tout comme un fardeau et une joie tout à la fois, en disant sérieusement son oui sans se montrer étonné que Dieu le prenne au sérieux. Il porte son fardeau entier d'un lieu à un autre comme un trésor à lui confié. Il ne grandit pas au fond dans sa mission, il ne touche pas ce qui est intangible, il vit sous son fardeau, ni à côté ni non plus au-dessus. Ce qui est important pour lui, c'est le fardeau, ce n'est pas lui-même ; il ne se soucie pas de lui-même, ce n'est pas lui qui vit, c'est sa mission qui vit en lui, une mission qu'il ne comprendra pas et qu'il sert pourtant parfaitement sans se demander quelle relation il a avec elle. Le mystère est au fond le mystère de l'Esprit lui-même : il souffle où il veut, il exige ce qu'il veut, il agit comme il veut ; c'est un mystère d'obéissance qui n'a pas besoin de s’expliquer, c'est ce qui est mystérieux par excellence. Benoît Labre est joyeux, il n'a besoin de se soucier de rien.


 

17 février

Saint Patrick (+ vers 461). Fête le 17 mars

Sa prière ne fait totalement qu'un avec son être et avec chaque instant de sa vie. Les heures où il prie ressemblent aux temps de pause que prend un voyageur, une pause où l'on s'arrête simplement un instant pour voir où l'on est et puis on continue. Les heures où il prie se distinguent peu des heures où il est censé ne pas prier. Il consacre beaucoup d'heures à la prière pure, mais ses autres heures également sont au fond des heures de prière. Toute sa vie est une prière. Cette prière est très pure, comme angélique ; elle trouve Dieu tout de suite, elle est comblée et elle porte aussi à l'extérieur cette plénitude. Ce qu'il apporte aux hommes n'est rien d'autre que sa prière ; quand il réfléchit à ses tâches ou à quelque autre problème, tout est toujours prière. Comme s'il était constamment assis avec Dieu et décidait avec lui de toutes ses affaires. Dans sa prière, il arrive chaque fois à une telle proximité de Dieu qu'il est comblé par lui de manière toute nouvelle, mais ce qu'il reçoit n'est pas très différent de ce qu'il possédait déjà. Il est dans les mains de Dieu comme un jouet qu'on doit toujours remonter, et il est toujours remonté avant de s'arrêter, ainsi il ne tourne jamais au ralenti. Il aime les autres, car ils sont les créatures de son Dieu. Et quand ils ne croient pas, il les plaint terriblement, il a pour eux une compassion infinie.


 

18 février

Sainte Bernadette (1844-1879)

Une enfant innocente qui n'a aucun pressentiment, qui, tout à coup, sans transition, reçoit une mission. Cela lui arrive tellement d'un ciel serein qu'elle n'y comprend absolument rien. Elle ne sait même pas ce qu'est une mission. Elle se sentait à l'abri dans la maison paternelle malgré toutes les misères et toutes les frictions. Maintenant l'incompréhensible est là : elle a vu Marie ; sans le savoir, elle a obéi dans la vision, et maintenant elle a à vivre pour ce qu'elle n'a pas compris et qui est pourtant si simple et si évident. Ce qu'elle a vu était simple ; elle le raconte tout aussi simplement. Elle ressent bien autour d'elle de la méfiance, les fils qui se mettent autour d'elle. Mais au fond cela ne la concerne pas, elle pense toujours d'une certaine manière que "c'est la vie". Sa mission est accomplie, elle se trouve quelque part derrière elle. L’Église l'a tirée à elle si rapidement qu'elle se trouve comme dépouillée de sa mission, une mission dont au fond elle a à peine su quelque chose. On la fait entrer dans un couvent. Pourquoi ne devrait-elle pas y entrer ? Elle est tellement comme une enfant que ce n'est pas un problème pour elle. Au fond elle ne voit jamais le service personnel qui résulte de sa mission : elle ne voit pas que sa vie au couvent par exemple est une conséquence de sa mission, Bernadette n'en a aucune idée. Au couvent, elle reçoit de terribles vexations, mais elle supporte tout avec une sorte d'obéissance aveugle ; aveugle dans le sens où, simplement, elle ne se pose pas de questions, elle a toujours obéi et "on" le supporte simplement. C'est en supportant qu'elle devient sainte. Comme si elle avait reçu par avance tout le don de la grâce et comme si elle devait maintenant, après coup, faire encore ce qui la rend "digne" d'avoir reçu l'apparition. Dans sa prière, Bernadette a une simplicité d'enfant. Ce qui s'est passé autrefois à la grotte et ce qu'elle vit à présent au couvent se fondent dans une sorte d'unité et elle est toujours dépassée par l'ensemble. Cette simplicité absolue qui ne demande pas à comprendre est ce qu'il y a en elle de grand et d'unique. Elle ne sait pas ce qu'elle sait, elle ne sait pas non plus ce qu'elle fait. Bernadette demeure sans expérience. Elle est tellement faite pour les autres, si totalement expropriée, qu'elle ne fait que laisser passer ; elle transmet sans deviner que ce qu'elle livre, elle aurait pu l'avoir pour elle. Avant l'apparition, sa prière à la Mère (son Je vous salue Marie) était celle d'une enfant pure. Depuis l'apparition, elle sait à qui elle s'adresse. Elle a vu la dame. C'est au fond toute la différence. Comme un enfant pauvre qui fait des ourlets pour les mouchoirs d'une riche dame ; si une fois elle a vu la dame, elle sait ensuite pour qui elle fait le travail. Elle n'y réfléchit pas, elle ne peut pas s'imaginer le but pour lequel la riche dame a besoin de tant de mouchoirs. Mais elle sait maintenant qui les reçoit, on lui a dit que la dame en a besoin, bien que l'enfant n'en comprenne pas mieux la raison avant qu'après. Bernadette continue à dire ses Je vous salue Marie à la dame qu'elle a vue. Elle lui dit combien elle l'a trouvée belle et aussi qu'elle souffrirait volontiers pour elle. Et cela d'une manière si absolue et avec une telle manière de ne pas se poser de question que cela tiendrait presque du fanatisme si ce n'était le simple effet de la grâce, la sainteté.


 

19 février

Quand le Fils aime le Père, son amour va en même temps à l'Esprit. Cela veut dire que l'amour trinitaire va toujours plus loin qu'on ne s'y attendait, que de lui-même il déborde. De même notre amour du prochain, qui provient de Dieu, doit aussi aller plus loin que le prochain, il doit retourner à Dieu, mais il doit aussi emmener le prochain dans ce passage à Dieu, et cela en l'incitant à l'amour de Dieu.

 

En Dieu, chacun est confié à chacun. L'assistance spirituelle n'a pas été inventée d'abord ici-bas. Quand Caïn pose la question : "Suis-je le gardien de mon frère ?", la question a reçu éternellement dans la Trinité sa réponse positive. Quand l'Esprit porte la semence du Père - le Fils - dans le sein de la Mère, il apparaît, sur mission du Père, comme étant le directeur spirituel du Fils et, en tant que tel, il s'occupera de lui tant que le Fils sera ici-bas.

 

Le Père, le Fils et l'Esprit sont libres puisque, dans l'amour, ils font leur volonté qui n'est rien d'autre que de faire toujours ce que veut l'autre. Leur volonté trinitaire est toujours amour et on ne peut pas l'imaginer en dehors de l’amour. On ne peut pas dire que le Père, le Fils et l'Esprit sont dépendants les uns des autres, ils sont au contraire dans la liberté la plus parfaite parce qu'ils sont dans l'amour le plus parfait. Ils possèdent d'ailleurs le plus haut degré de liberté qu'on peut imaginer, vis-à-vis duquel notre liberté humaine est quelque chose de tout à fait relatif.

 

Si la grâce nous porte, on sait qu’on n’a pas le droit de pécher et qu’on doit aimer Dieu.


 

Quand le Fils rencontre Jean et déjà quand il rencontre sa Mère, ils ne sont pas avant tout pour lui des personnes qui l'aiment, mais des personnes qui aiment le Père.


 

Pour montrer au Père que le Père peut être plus aimé qu'offensé par les hommes, le Fils a voulu acquérir une expérience du Père totalement humaine, cela veut dire aussi une expérience essentiellement autre que celle du ciel.


 

20 février

Par l'Esprit Saint, chacun reçoit une image totale du Seigneur et l’intelligence de la plénitude de Dieu. Cela rend les humains libres et majeurs dans leur commerce avec la vérité de l’Évangile.


 

Les saints sont les récepteurs de l’Esprit. S’il n’y avait pas eu de péché, l’Esprit aurait été le don permanent du Père aux hommes. Le Père aurait gardé auprès de lui dans son Esprit sa création et tous les hommes qui en font partie. L’Esprit aurait été pour les hommes ce qui était saisissable en Dieu. Ils seraient restés comme Adam et Ève au paradis dans une perception continuelle de Dieu communiquée par l’Esprit. Aujourd’hui c’est ce qui distingue les saints ; le signe distinctif de tous les hommes en général aurait été qu’ils soient des récepteurs de l’Esprit.


 

Notre vie n’est qu’un souffle. Oui, mais qui s’offre au souffle de l’Esprit pour qu’il nous emporte dans l’éternel. Alors notre temps très bref demeure valable pour l’éternité, parce que l’Esprit nous fait demeurer dans la volonté du Père et dans la parole de vérité. Séparés de Dieu, nous sommes sans importance. En tant que chrétiens, nous sommes les frères du Fils.


 

Je dois adapter mes actes et mes pensées au temps de l'Esprit. Je dois me laisser convaincre par l'Esprit.


 

Toute grâce personnelle d'un chrétien se répercute sur toute la communauté de l’Église.


 

On doit confesser ses péchés pour être dans la grâce. On devrait avoir la certitude qu'entre Dieu et nous il n'y a rien qui fasse de l'ombre.


 

L’accueil de la grâce doit se faire avec la grâce de Dieu.


 

21 février

Saint Anselme (1033-1109). Fête le 21 avril

Anselme est l'unité parfaite de la prière et du travail. Ce qu'il fait lui est comme égal : qu'il travaille, qu'il prêche ou qu'il converse, tout est prière. Une prière si pure, si totalement inspirée par Dieu, qu'elle ne diminue pas même quand il reste longtemps à son travail. Il ne perd jamais le contact avec Dieu. Il est d'une humilité indicible, il ne veut jamais apporter quelque chose de lui dans son travail, il ne veut toujours que donner forme à ce qui doit venir de Dieu. Il se fait un plan pour le travail qu'il projette. Puis il écrit peut-être deux ou trois phrases, le mot juste ne lui vient pas à l'esprit. Il se tourne vers Dieu et il lui demande de le lui donner ; il continue alors à chercher le mot exact comme en union avec Dieu. C'est une manière d'agir très touchante. Quand, après un certain temps, il trouve l'expression juste, il n'y voit alors que la part de Dieu, il ne voit pas la sienne sauf quand quelque chose est mal tourné. Il est absolument convaincu que tout ce qui est bon dans son travail provient de Dieu, que tout ce qui est mauvais vient de lui. Lui-même est tout à fait saisi par ce qui se fait de bien. Il oublie tout à fait qu'auparavant il a fait pénitence, il a étudié, il a prié, il s'est donné du mal. Dieu a tout fait et cela aurait été certainement encore beaucoup plus beau si lui, Anselme, n'avait pas été là. Bien qu'il vive si totalement en Dieu, il n'est pourtant aucunement familier avec Dieu. Chaque fois qu'il se tourne vers Dieu, cela se fait toujours avec une nouvelle formule, une nouvelle invocation, une nouvelle disposition, une nouvelle salutation, un nouvel acte de vénération. Comme s'il ne connaissait pas l’union parfaite dans laquelle il vit avec Dieu, il ne cesse de chercher Dieu en tout ce qu'il fait. Il ne se lève en fait que pour s'agenouiller. Dans son travail, il intercale comme des pauses avec Dieu, il utilise Dieu presque comme un élève qui cherche dans un dictionnaire ce qu'il ne sait pas. Au début de son travail, il ne cesse de dire à peu près toujours la même prière : "Père, donne-moi de tout faire comme tu le voudrais, opère à travers moi ; oublie et fais-moi oublier que je suis et que je pourrais être un obstacle. Chaque fois que cela n'avance pas dans mon travail, je comprends que les résistances viennent de moi. Surmonte-les si tu veux le travail et fais seulement que je t'écoute. Fais que je rende ta voix de telle sorte que l'Église la perçoive. Fais que tous ceux qui doivent avoir part à l'enseignement que j'ai clairement la mission de donner reçoivent réellement la part que tu leur as destinée. Ils ne doivent pas voir l'imperfection qui provient de moi, mais pressentir toujours plus ta perfection. Tu vois, Père, que cela devient difficile pour moi d'aller au travail et quel effort je dois faire pour commencer. Laisse-moi t'offrir cet effort, ne le diminue pas s'il t'est utile, mais permets cependant que je commence avec ta force et que j'accomplisse ta volonté". - Il prie avec un livre, avec des psaumes, avec un Notre Père, etc. Il va ensuite à son travail. La plupart du temps, il réfléchit d'abord à ce qu'il a écrit et pensé la veille et il rend grâce. Il ne cesse de se laisser bouleverser par ce qu'il a écrit. C'est toujours plus beau qu'il ne l'avait pensé lui-même : "Père, le travail d'hier porte réellement ta marque. Je t'en remercie ; permets que tous la voient, te reconnaissent et oublient ton serviteur. Je te demande la même grâce pour le travail d'aujourd'hui". Et il commence à écrire ; au bout de quelque temps, cela devient plus difficile. Alors il prie : "Père, cela devient difficile, accorde-moi quelque chose de toi dans l'Esprit de ton Fils. Ton Fils aussi a vaincu dans ta grâce toutes ses difficultés. Parce qu'il est Dieu, il t'a aussi rendu réellement visible partout, et je sais qu'il nous invite à essayer de faire de même dans son Esprit. Père, donne-moi d'avoir part à la grâce de ton Fils, surmonte ces difficultés bien que je sois un pécheur". Puis il expose à Dieu le problème comme l'élève à son maître, il le fait avec tant de zèle que, ce faisant, il se l'explique à lui-même : "Ô Seigneur, où pourrait se trouver l'origine de ma faute ?" Et c'est comme une conversation avec Dieu, comme si Dieu lui disait : "Réfléchis un peu : à partir d'où la chose n'était plus fondée ?" Et quand il a trouvé l'erreur , il remercie et il continue à travailler. Cette constante habitude de présenter les choses à Dieu, de le prier, de l'invoquer, le tout débouchant sur une action de grâce, tout cela paraît un peu compliqué, mais pour Anselme c'est tout à fait vrai et simple et fécond. Il écrit aussi des prières qui sont l'écoulement de sa prière et devraient nous apprendre à prier. Dans ces prières, on voit moins bien comment lui-même a prié. Elles sont, comme ses écrits terminés, trop "achevées". Pendant qu'il les compose, il s'interrompt fréquemment et il remplit les pauses de prières spontanées d'un style tout à fait direct. Vis-à-vis des hommes, il est celui qui donne. Ils attendent toujours de lui, et ils lui donnent peu. Dieu féconde sans doute ce qu'il possède, mais il lui manque l'échange spirituel. Les hommes le touchent beaucoup en général, mais il demeure totalement humble et il est toujours prêt à interrompre son travail pour l'amour des autres. Il voit dans le prochain une tâche aussi clairement que pour sa mission concernant son propre travail. Anselme est subjugué par le fait que Dieu Trinité condescend à envoyer son Fils et que le Fils qui a été envoyé reste continuellement devant Dieu Trinité et que, dans la fidélité et l'obéissance, il fait exactement, à tout instant même le plus petit, ce que veut le Père. Le Fils le fait en commun avec les hommes, en tant que Maître et Seigneur, mais aussi en tant que serviteur. Il le fait en tant qu'envoyé de Dieu, mais tout autant en tant qu'il retourne à Dieu de chez les hommes : en tant que Dieu et homme. Cette conscience de Jésus Christ le bouleverse profondément. Cela le touche personnellement, cela le convertit pour ainsi dire à chaque instant ; en chacune de ses réflexions, en tout acte de foi et en toute prière, il remarque davantage que, dans cette émotion profonde, il devient serviteur et mandataire. Il est travaillé pour qu'il travaille à son tour ; il lui est permis de croire pour que les autres arrivent à la foi. De même que le Christ assume la responsabilité pour les hommes et qu'il remet ceux-ci au Père, de même Anselme sait qu'il doit porter sa responsabilité dans le même esprit.


 

22 février

Sainte Angèle de Foligno (1248-1309)

Première prière (avant son entrée au monastère). Père, je veux venir à toi comme ton enfant. Je veux essayer totalement de ne plus choisir moi-même mon chemin. Je sais que tu requiers pour toi toute pensée et que, si je m'éloigne de toi avec une pensée, l'éloignement devient tout de suite infini. Les expériences de ces derniers temps m'ont montré toujours plus clairement le danger qu'il y a à m'éloigner de toi, à me préférer moi-même. Père, donne-moi la main de ton Fils pour qu'elle me conduise. Permets que je la lui donne comme un enfant ; comme lui-même maintenant m'a montré le chemin, permets que j'entre réellement par la porte indiquée, que j'y sois reçue et que, par ton amour et celui de mes nouvelles sœurs, j'apprenne à faire ta volonté. Père, tu me connais, tu connais mes résistances, tu connais ma lenteur à te suivre : je t'en prie, transforme tout ce qui est à moi pour que cela devienne tien et n'écoute plus ma voix si je demande un quelconque ménagement. Père, je te remercie de m'avoir accompagnée comme tu l'as fait jusqu'à présent, je te demande encore une fois pardon pour tout ce que j'ai fait qui n'était pas juste, et je te promets solennellement de commencer sérieusement de manière neuve si tu m'en donnes la grâce. Amen.

Prière d'action de grâce, lors de la messe. Seigneur, ta première épouse fut Marie ; elle a pu te porter à la fois comme mère et comme épouse, tu as habité en elle. Maintenant, Seigneur, que tu es venu à nous dans l'eucharistie, tu habites en nous comme si nous étions tes mères et tes épouses. Dans l'Esprit qui nous fait comprendre que tu es vraiment présent dans l'hostie, tu te laisses recevoir par nous comme ta Mère t'a reçu dans l'Esprit et par l'Esprit. Seigneur, bien que nous sachions à quel point nous sommes indignes, nous sommes maintenant remplies d'un sentiment infini de gratitude. Tu es en nous, tu habites en nous pour nous accompagner, tu demeures en nous, tu ne nous laisses pas toutes seules. En nous permettant de faire pour toi, à notre manière imparfaite, quelque chose de ce que Marie a fait pour toi à sa manière à elle qui était parfaite, tu nous entraînes plus profondément dans ton mystère. Seigneur, je t'en prie, prends-moi tout entière, viens à moi avec toute ta mission, permets que j'accomplisse totalement ta volonté. J'en suis sûre : parce que tu es venu, tu permets que je fasse au moins quelque chose, que mes sœurs fassent au moins quelque chose. Mon merci, Seigneur, est comme je suis : faible et imparfait. Et cependant je voudrais que mon merci soit aussi grand que ma foi, car ma foi ne dépend pas de moi, c'est un cadeau que tu m'as fait. Elle vient de toi avec toute la plénitude que Dieu le Père lui donne, elle vient par toi jusqu'à nous tous sans altération. Fais que notre merci et notre foi ne fassent qu'un et que nous ne nous en servions que pour te servir. Seigneur, bénis tous ceux qui t'ont reçu aujourd'hui, et donne à tous ceux qui se refusent encore à toi ou qui ne veulent rien savoir de toi de commencer lentement à se tourner vers toi et à devenir ainsi capables de recevoir bientôt ta pleine bénédiction. Amen.


 

23 février

Le Seigneur demande exactement aux chrétiens le service dont ils sont capables par sa grâce. Dans la mission que le Seigneur confie à chacun, il n'y a pas de tâtonnements, pas d'incertitude. Il peut arriver que le chemin emprunté semble aberrant, il demeure le chemin du Seigneur. A vues humaines, ce peut être une voie assez discontinue ; ce qui en fait l'unité, c'est la volonté du Seigneur. Il se peut au contraire que la voie soit toute droite, claire et simple du début à la fin. Il est donné à beaucoup de demeurer simplement dans le Seigneur. Certains peuvent s'étonner que leur voie soit si simple, si petite, et le Seigneur n'a rien prévu d'autre pour eux ; il exige peut-être d'eux de croître sans cesse dans l'invisible vers une prière plus pure, vers le dépassement des petites difficultés dont on peut à peine parler, mais qui demandent un combat incessant, et donc beaucoup d'amour et d'humilité, c'est le service que le Seigneur attend d'eux. Quelle que soit notre voie, personne n'a atteint le but, il nous faut demeurer ouvert à de nouveaux appels et à de nouvelles possibilités.


 

Comment avoir une relation juste à Dieu ? Il y a une manière de réduire le Seigneur à notre format humain, même dans notre méditation et dans notre prière. Il n’est pas facile de mettre en relation notre quotidien et la Trinité. Le Christ lui-même a vécu dans une ouverture continuelle au Père et à l’Esprit, et il nous a invités à l’imiter. La solution consiste à renoncer vraiment à soi-même sans trop réfléchir à tout ce que nous faisons et sans nous regarder pour ainsi dire dans la glace (soi-disant pour le Seigneur). Le Christ et sa mère acceptent les humiliations pour ce qu’elles sont. Ils les reçoivent dans l’obéissance comme elles doivent être vécues, sans les minimiser ni les majorer, ni avec enthousiasme, ni l’âme en tumulte. Ils laissent aux choses de la vie de tous les jours le sens que Dieu leur donne. Ce n’est qu’ainsi que le quotidien peut être vécu en Dieu, que dans les petites choses aussi on peut faire l’expérience de Dieu Trinité tel qu’il est et non tel que je me le représente. Il se peut fort bien que nombre d’éléments de la vie de tous les jours doivent être accueillis simplement, tels qu’ils se présentent, sans pieuses déformations visant à les mettre à tout prix, d’une manière artificielle, en relation avec le Seigneur. Seul ce qui est abordé d’une manière humainement vraie peut aussi procurer une relation vraie à Dieu. Ce n’est pas facile. Et cependant le jour ordinaire le plus gris se trouve au centre de l’Eglise et doit y être vécu.


 

24 février

Bien que Dieu ait toujours su que l'homme allait pécher, il y a une blessure, une offense et une tristesse de Dieu, ce que Dieu ressent du fait du péché.


 

Pour recevoir Dieu, il faut lui faire de la place, lui faire de la place pour tout ce qu’il peut être et tout ce qu’il peut apporter avec lui. Pour le recevoir, il faut être prêt à tout, c’est-à-dire à tout ce qu’on ne sait pas d’avance. Si on engage le petit doigt, on devra peut-être bien aussi donner la main et tout le reste. Pour recevoir Dieu, il faut essayer de ne pas se refuser, il faut une confiance aveugle. Si quelqu’un offre à son ami qui est dans le besoin l’argent qu’il a sur lui, il ne serait pas vraiment un ami s’il pensait intérieurement : "J’espère qu’il ne m’en prendra pas trop". Il devrait au contraire regretter de n’avoir pas plus à lui offrir. Si Dieu prend réellement tout à quelqu’un, c’est sûrement qu’il a besoin de tout. Recevoir Dieu, c’est s’offrir à lui, même si notre don ne consiste qu’à présenter nos ténèbres à sa lumière. Qui accueille la lumière de Dieu doit être prêt à se laisser illuminer toujours davantage par elle, à correspondre toujours mieux aux dons comme aux exigences de l’amour de Dieu. De s’ouvrir à la lumière de Dieu permet à l’homme de lui exprimer son désir d’être pris par lui toujours plus à fond.


 

Adrienne, à 27 ans, au contact avec les malades. A l'hôpital, j'ai eu très fort le sentiment que je devrais avoir davantage le souci que les autres aient une relation avec Dieu. Personne ne devrait venir dans mon service sans que quelque chose change dans sa relation à Dieu.


 

25 février

Saint Marc. Fête le 25 avril

Dans la prière, il se laisse conduire, il est très guidé et il n'a pas besoin de s'occuper de lui-même. Chaque fois qu'il se retire pour prier, c'est comme s'il était libéré de tous ses soucis. Il n'a pas besoin de lutter, de chercher et de défendre une position, sa prière est libre, pure. Il prie beaucoup, il prie comme un enfant, en toute simplicité et naïveté, sans réfléchir longuement aux mots qu'il va utiliser ou à ce qu'il va dire précisément. Il ne lui est pas inspiré grand-chose non plus dans la prière, tout se déroule à un niveau très modeste. Par contre, lorsqu'il n'est pas en prière, il a constamment à lutter avec lui-même, il doit se faire du souci pour son attitude intérieure, s'assurer qu'il croit, qu'il veut réellement suivre, qu'il aime, et que finalement tout doit bien se terminer. Il ne lui est pas accordé de tout livrer au Seigneur une fois pour toutes et de lui faire confiance au-delà de toutes les difficultés. Sa confiance doit être acquise de haute lutte et en grande partie aussi son amour. Parce qu'il y a un tel désaccord entre son attitude de prière et son attitude intérieure habituelle, il serait heureux de pouvoir doubler et multiplier ses heures de prière. Le seul fait que cela ne va pas et que le Seigneur exige de lui autre chose constitue pour lui une difficulté. Il reconnaît aisément sa faiblesse et ses fautes. Il est souvent dégoûté de lui-même. L'inspiration de l'évangile, il en a eu peur. Il est le seul qui a su à l'avance qu'il devrait écrire. Et puis, au fond, cela s'est très bien passé. Quand vint l'inspiration, elle réalisa en lui beaucoup de choses qu'il avait désirées depuis longtemps. Maintes choses se sont éclaircies pour lui quand il a mis son évangile par écrit, maintes choses qui auparavant étaient pour lui douteuses devinrent incontestablement bonnes. L'obéissance vis-à-vis de l'inspiration, il la trouve beaucoup plus facile qu'il ne l'avait pensé à l'avance. Il la regarde comme un don particulier de la grâce qui lui accorde d'y voir clair. Auparavant il était comme un homme qui redoutait un entretien : peut-être que son interlocuteur va exiger de lui plus de précisions qu'il n'en peut fournir. Et puis la conversation est menée par l'autre de telle sorte que lui-même y voit plus clair et voit mieux l'ensemble. Dans ses relations avec son prochain, ce n'est pas commode. Il est difficile, carré. On ne peut pas dire qu'il manque d'humilité, plutôt d'une certaine clarté objective de l'esprit. Dans ses rapports avec les autres, il ne peut pas aussi bien se dominer, ni se montrer aussi simple que sous l'inspiration. La simplicité de son évangile est comme une "obligeance" de l'Esprit Saint à son endroit : pour que tout soit très clair et nettement précisé, que rien ne se perde en réflexions et interprétations.


 

26 février

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716). Fête le 28 avril

Sa mission est très proche du point où le Fils devient homme. Il a le mystère de l'incarnation comme mystère de sa mission. Non là où Dieu le Père avec le Fils et l'Esprit décident l'incarnation, mais là où est annoncé à la Mère qu'elle va recevoir la semence de Dieu afin que le Fils devienne homme. C'est à partir de ce mystère que ne cesse de grandir son amour de la Mère ; il voit l'humiliation du Fils qui confie son corps en devenir au corps humain de sa mère, qui donne à son corps à elle pouvoir sur son corps à lui, se laisse former par elle, grandit en elle, reçoit de sa substance humaine tout ce dont a besoin un corps humain. Pour Grignion, c'est de cette obéissance corporelle du Fils à sa mère que résulte notre obéissance spirituelle vis-à-vis d'elle. Si le Seigneur est devenu quelqu'un comme nous le sommes tous, nous avons à nous tenir vis-à-vis de la Mère dans une obéissance qui se soumet à la sienne, nous devons obéir à la Mère.

 

27 février

On peut réfléchir à la manière dont le Seigneur s'est préparé à une prédication à un peuple qui était rempli d'attente ; parce qu'il est homme, il faut aussi qu'il se prépare, et parce qu'il est Dieu, sa préparation se trouve dans sa disponibilité, dans sa communion incessante avec le Père. Il regarde le Père dans sa contemplation pour trouver le mot juste. C'est ainsi qu'il s'écarte fréquemment de la foule et de ses disciples pour être seul avec le Père ; à vrai dire, souvent on ne le laisse pas s'écarter, il doit alors surmonter sa fatigue physique, son besoin de se reposer en Dieu, un rapide coup d’œil vers le Père doit lui suffire, comme nous faisons une oraison jaculatoire quand nous devons faire face à un travail inopiné.

 

Dans la voix que les prophètes ont perçue, l'Esprit ne pouvait être saisi que par l'Esprit lui-même. Le prophète devait déjà être rempli de l'Esprit pour comprendre la voix de l'Esprit.

Les prophètes et les paroles qu'ils ont dites : on pense à la joie qu'ils eurent d'entendre la parole et comment d'une certaine manière ils ne savaient pas ce qu'ils disaient ; ils le savaient quand même, et ils s'en étonnaient ; et la parole continuait son chemin à partir d'eux.


 

Un prophète, après avoir reçu l'inspiration, ne va pas demander à Dieu : "Qu'est-ce que tu as à me dire maintenant ?"


 

La grâce de la nouvelle Alliance dépasse fondamentalement toutes les attentes de l'ancienne Alliance, toutes les perspectives contenues dans les prophéties. Ce n'est qu'en partant de la vie du Seigneur, que nous pouvons vérifier que quelque chose s'est accompli en elle dans le prolongement d'une attente. Le mode de la réalisation, on ne pouvait absolument pas le prévoir à partir de l'ancienne Alliance.


 

28 février

On doit regarder la Mère, l'aimer, se consacrer à elle ; mais la Mère fait la même démarche que le Fils : il est venu pour glorifier le Père ; elle est venue pour glorifier le Fils.

 

 

Marie était si transparente à Dieu que tout en elle était aussitôt utilisable par Dieu pour l’accomplissement de ses desseins. Cette transparence était amour pur qui recevait tout l’amour de Dieu sans ombre aucune. Elle était ainsi la manifestation visible de l’amour de Dieu pour sa créature comme de l’amour de la créature pour Dieu. Un foyer d’amour.


 

L’enfant de douze ans. Marie cherche son Fils et elle le retrouve au bout de trois jours. Maintenant c'est tout différent de ce qui se passait auparavant. Dans l'attitude de la Mère quand elle cherchait, dans l'attitude du Fils quand il se laisse trouver, il y a quelque chose que nous devrions toujours faire et toujours recevoir comme un cadeau. Quelque chose du Fils se dérobe constamment à nous, non parce que comme autrefois il serait resté en arrière volontairement, mais parce que nous n'allons pas au même pas que lui. Nous devrions apprendre à le retrouver sans cesse dans la nouvelle situation où il se trouve. Aujourd'hui dans la chrétienté, le Fils est perdu plus que jamais, surtout parce que nous pensons avoir de lui une image qui est suffisante si bien que toute nouvelle recherche est inutile. Parce que la Mère est sans péché, elle le trouve exactement tel qu'il veut se rendre à elle. En face d'elle, il a changé parce que cela fait partie de sa mission de se présenter désormais comme cet autre. Pour nous, c'est en rapport avec notre péché que nous ne le laissons pas être différent de la manière dont nous nous le représentons. Nous l'oublions toujours entre-temps, nous allons de nouveau à sa recherche quand nous pensons avoir besoin de lui. Et parce qu'alors il a changé, nous ne le reconnaissons pas.


 

29 février

Judas Iscariote

Il est choisi par Jésus et il se laisse appeler. Jésus sait à qui il a à faire, il sait que Judas le trahira, mais il n'utilise pas ce savoir divin, il le met de côté. Il se comporte vis-à-vis de Judas comme quelqu'un qui ne sait pas. Il l'appelle parce que Judas est sur la voie de la vocation, parce que, du point de vue de Dieu, Judas est l'un de ceux qui peuvent être appelés, l'un de ceux qui ont en eux certaines conditions pour accueillir la vocation et la réaliser. Dès l'appel, le Seigneur voile la prescience qu'il a de Judas. Et ainsi les deux se situent l'un en face de l'autre comme supérieur et subordonné. Le Seigneur ne veut pas en savoir plus qu'un supérieur qui ne dispose pas de connaissances extraordinaires. L'attitude Judas est celle d'une opposition croissante au Seigneur, et ça le rend mal à l'aise. Mais c'est Jésus surtout qui ressent un malaise vis-à-vis de Judas. Il laisse ce malaise se passer exactement dans l'espace de sa nature humaine, il ne le laisse ni augmenter ni diminuer par sa science divine, il ne hait pas Judas comme traître, mais il ne peut pas non plus mettre simplement son malaise de côté et l'ignorer jusqu'au temps de la passion. Il le laisse exister et se développer selon les lois de la psychologie humaine. Judas a en quelque sorte part à ce malaise sous la forme d'une rancune grandissante. Il voit toujours plus que ça ne va pas. Pourquoi le Seigneur n'intervient-il pas alors qu'il voit que ça ne va pas ? Et comme il n'intervient pas, il n'est peut-être pas le Messie. Jésus ne fait pas d'exception pour Judas, il lui donne, comme aux autres, la leçon entière du christianisme, pas plus et pas moins. Judas ne reçoit pas de "leçons particulières". Jésus n'est pas en mesure de faire des efforts particuliers pour le convertir, car ils auraient pour fondement ses connaissances divines, surnaturelles, non ses connaissances humaines. Il lui arrive d'utiliser ses connaissances supérieures, par exemple quand il prédit à Pierre son reniement. Mais ce qu'il fait pour Pierre, il ne le fait pas pour Judas, il ne lui prédit rien, il ne l'avertit pas. Vis-à-vis de Judas, il ne tourne vers lui que ses connaissances humaines. Un peu comme s'il ne fallait pas pousser à l'extrême la faute de Judas, presque comme si Judas en avait bien assez à supporter comme ça sans que, par une grâce extraordinaire, on éveille en lui une foi extraordinaire qui ne ferait qu'aggraver sa trahison. En se taisant, le Seigneur épargne Judas. Certes un abîme s'ouvre ici pour nous : nous ne sommes pas capables de saisir la loi selon laquelle le Fils de Dieu dispose de ses connaissances divines, quand il s'en sert et quand il ne s'en sert pas. Intérieurement Judas se fait de plus en plus étranger et obstiné. Il joue pour ainsi dire avec son attitude intérieure, il se raccroche au fait que malgré tout le Seigneur l'a appelé, puis il se remet à penser que le tout est impossible ; tout ce qu'il a saisi de l'enseignement du Seigneur lui sert à refuser encore plus nettement cet enseignement. En fin de compte il ne croit pas. Il fait seulement comme s'il hésitait entre foi et manque de foi, il considère comment ce serait de croire. Le plus important est qu'il n'a pas d'espérance, et donc pas d'amour, et donc pas de foi. Il n'espère pas que, par sa vocation, il pourrait devenir un autre homme. Il ne croit pas au pardon parce que en fin de compte il ne croit pas au péché. Quand par exemple il ment, il sait très bien qu'il ne dit pas la vérité, il le sait même avec une très grande évidence, il serait même souhaitable que la plupart des chrétiens voient aussi clairement leurs péchés ! Mais Judas ne les reconnaît pas comme des péchés, il les reconnaît comme des faits qui sont rangés quelque part dans son système de vie, dans le système de son autodéfense. La prière, il ne la connaît pas. Quand les autres prient, il blasphème intérieurement. A l'instant où il trahit le Seigneur, jaillit en lui, l'espace d'un éclair, quelque chose comme la possibilité d'une espérance. C'est la première fois qu'il pense qu'il était peut-être quand même réellement le Seigneur. Du désespoir est né quelque chose comme de l'espérance : "Si c'est le Seigneur, alors il appartient à Dieu, et alors la vérité est en lui et pas en moi". Ici il y aurait de l'espérance, car ici il serait libéré de son moi, il reconnaîtrait que Dieu a raison. On ne peut pas dire que Judas n'a pas connu cette "espérance", bien qu'il aille se pendre. La situation est de toute façon trop monstrueuse, trop brutale pour qu'il y trouve une solution pour lui. Mais il voit peut-être une solution pour le Seigneur, parce que sa trahison ne peut pas éliminer le Seigneur s'il est Dieu. Le "repentir" qui le pousse à rendre l'argent dans le temple est un fruit d'une certaine espérance qui l'habite ; il ne pourrait pas manifester ce repentir s'il n'avait pas cette espérance. Quand il se pend, c'est parce qu'il ne peut plus vivre étant donné qu'il a trahi le Seigneur ! Il est comme un Abraham qui a réellement tué Isaac et qui remarque après seulement que l'ange était là pour le retenir. Pour Judas, son acte lui paraît si digne d'extermination qu'il s'extermine lui-même. Il ne connaît pas d'autre voie pour que ce qui a été fait n'ait pas été fait.


 

1er mars

Fra Angelico (+ 1455) aime le chemin qui conduit à Dieu, il est constamment occupé à contempler ce chemin. Toute sa prière vit sur ce chemin ; s'il est devenu religieux, s'il a choisi Dieu en somme, c'est pour rester sur ce chemin. Quand il peint, il peint toujours ce chemin. Les saints qu'il peint, les anges qu'il représente, tous sont pour lui une expression de ce chemin. En tout ce qu'il apprend - également en théologie, en philosophie -, il ne peut apparemment l'approuver que si c'est conciliable avec ce chemin. Dès qu'il arrive à ce chemin, tout est clair pour lui et il serait même capable de faire de subtiles distinctions. Tout ce qui lui est inspiré dans sa méditation, tout ce qu'il apprend dans la prière et dans sa vie quotidienne, tout se rapporte toujours à ce chemin qui conduit à Dieu. C'est le chemin de l'esprit d'enfance et des enfants de Dieu, c'est le chemin de la sainteté, le chemin du renoncement dans l'amour, dans l'amour du prochain, qui est développé à un tel point qu'on voit toujours dans le prochain le Seigneur et sa sainteté. L'art lui est donné, il ne l'a pas choisi au fond. C'est tellement son talent et il lui correspond tellement que c'est l'art qui l'a choisi plus qu'il n'a choisi l'art. Pour lui, l'art ne fait qu'un avec la religion, avec l'amour de Dieu. Il est à vrai dire franciscain en son être le plus intime, comme on se représente François en ses premiers temps. Il est l'un des saints souriants.


 

Denis Petau, théologien jésuite (+ 1652). Sa prière est bonne et simple. Il est curieux qu'il ne se présente jamais seul devant Dieu mais toujours devant Dieu Trinité et avec toute l'Église. Il se sent tellement en mission que, lorsqu'il prie, il emporte toujours avec lui l'Église, les Ordres, son prochain, tous les hommes. C'est avec toute cette communauté de priants qu'il se présente devant le Seigneur et, dès qu'il se trouve devant lui, il voit aussi en lui le Père et l'Esprit. Du fait que la pensée de Dieu Trinité ne le quitte jamais, sa prière reçoit un caractère très universel. Elle possède une grande extension ; même quand dans sa méditation il se présente devant Dieu avec un mystère qu'il a choisi, avec une parole de l'évangile, il n'oublie pas que la réponse, la vision, la solution du mystère se trouve en Dieu Trinité. Il ne peut pas méditer un mystère du Fils sans être convaincu en même temps de la vérité du Père et de l'Esprit dans ce même mystère. Il distingue très bien les trois personnes dans la prière, mais d'autre part il voit si fort leur unité qu'il les trouve toujours toutes les trois dans chaque mystère. Il voit toujours l’Église comme l'épouse du Seigneur, mais elle ne s'emploie pas à connaître suffisamment son Époux. Il voit l'Eglise comme une tâche, pas seulement comme une institution, il la ressent comme un devoir qu'il a comme tous les croyants, un devoir immuable, justement parce qu'elle ne représente jamais exactement l'image que le Seigneur se fait de son épouse. Il lui tient à cœur d'une manière inouïe d'avoir le droit d'être enfant de Dieu et d'avoir le droit, en tant que tel, de scruter les mystères de Dieu dans sa mission.


 

2 mars

 

Dans ses expériences de Dieu, le mystique de l'ancienne Alliance a souvent dû se contenter de choses plus tape-à-l’œil, plus frappantes, que le mystique de la nouvelle Alliance. Celui-ci peut toujours s'appuyer sur le Christ qui concentre en lui toutes les expériences de Dieu faites ici-bas avant lui et la somme de toutes les expériences chrétiennes qui suivront. En tant qu'organisme bien établi, l'Eglise est au service de toutes les expériences chrétiennes. Ce cadre manquait à l'ancienne Alliance. Ce n'est pas que, dans la nouvelle alliance, Dieu le Père se soumettrait au règlement de l’Église ; il donne aux expériences mystiques la possibilité d'être réellement contrôlées par l’Église ; il les replace chaque fois dans l'ensemble de l’Église pour qu'elle soit affermie, mais par l'approbation qu'elle donne, elle confère également de la force aux expériences des personnes. La mystique contribue à soutenir l’Église comme des poutres solides, mais ces poutres elles-mêmes reçoivent leur solidité du fait qu'elles sont incorporées dans l’Église.


 

Le Christ reprend toute la substance de l’Ancien Testament et en fait le Nouveau Testament. La foi néotestamentaire répond à la foi vétérotestamentaire, comme l’amour du Fils dans le Nouveau Testament répond à l’amour du Père dans l’Ancien.


 

L'obéissance à l’Esprit du prophète ou de l'écrivain (dans l'inspiration) est un acte simple, mais l'esprit tout entier du prophète ou de l'écrivain doit s'engager de manière responsable dans cette obéissance. Un évangéliste par exemple doit écrire "son" évangile et pour cela utiliser de manière critique tout ce qu'il a appris du Seigneur lui-même ou des apôtres ou par la tradition ; mais il doit en même temps ouvrir à l'Esprit Saint toutes ses facultés, qui sont restreintes et limitées, car "son évangile" doit devenir "l’Évangile", il doit contenir tout l'enseignement de Dieu fait homme, donc beaucoup plus que ce qu'un homme peut comprendre avec toutes ses connaissances et toutes ses études.


 

3 mars

Saint Philippe et saint Jacques. Fête le 3 mai

Saint Philippe

Le sage. Il a un don de compréhension, il est habile, ingénieux. Quand il entend une parole qui sort de la bouche du Seigneur, il l'examine à fond en lui-même et il opère dans son cœur une grande purification. Il est l'homme de la révolution permanente, mais tout à fait raisonnable. Il approfondit en quelque sorte ce qu'il a compris, rien n'est perdu. Il ne saisit pas chaque parole de Jésus, mais quand il lui arrive d'en comprendre une, il est clair pour lui qu'elle doit être convertie en acte. Quand il en a ainsi "terminé" avec une connaissance, il n'y a plus de problème pour lui, il attend tranquillement, il ne s'excite pas pour ce qui va suivre, il gère ses forces avec sagesse. Il est fidèle, dévoué et courageux. Il n'est pas celui qui accable le Seigneur de questions ; quand il a quelque chose à demander, il le fait simplement. Et quand il enseigne les autres disciples, il cherche à le faire de manière pratique, mais dans le sens du Seigneur. Sa propre opinion n'a de valeur pour lui qu'en tant qu'elle est l'expression de l'opinion du Seigneur. La passion, il la supporte en quelque sorte avec les paroles que le Seigneur lui a laissées. Mais à Pâques, il est loin d'en avoir fini la traduction. Dans l'entourage du Seigneur, il est aussi celui qui se charge d'une quantité de petits détails. La réponse qu'il donne au Seigneur avant la multiplication des pains le caractérise tout à fait. Il n'est jamais non plus celui qu'on devrait aller rechercher, il ne se perd pas en spéculations, ne prend jamais rien au "tragique" et n'a pas besoin d'être réconcilié. Tout chez lui se meut sur le même plan de sagesse. Parce qu'il veut servir, il ne veut pas occuper son esprit de choses qui seraient préjudiciables à son service. Ce qui a été dit une fois se trouve définitivement derrière lui. Il peut alors continuer à s'occuper de ses "affaires". Foi et paix ne font qu'un pour lui. Il connaît aussi ses propres faiblesses et il sait ce qu'il vaut mieux éviter. Sa prière est bonne, mais fort orientée vers le côté pratique. Il prie beaucoup pour discerner comment il doit appliquer l'enseignement du Seigneur. Il a aussi un mode de contemplation tout à fait pratique. Il ne se perd pas dans une adoration de Dieu qui, pour lui, réside dans un ciel obscur ; quand il s'adresse au Seigneur, il a toujours tout de suite quelque chose à lui demander.


 

Saint Jacques, fils d'Alphée

On lui doit la Lettre catholique. Son attitude intérieure est très droite et peu sujette à des fluctuations. Si jamais il lui arrive une faiblesse, une défaillance humaine, il éprouve aussitôt le besoin d'en tenir compte, de ne pas la laisser se perdre, de l'intégrer dans la doctrine, d'apprendre par elle à mieux connaître les hommes. Il a une rapidité étonnante à saisir les insuffisances humaines. Il ne se dore pas la pilule. Ce qu'il a fait en bien et en mal, il ne le considère pas avec satisfaction mais avec l'objectivité de l'examinateur. Il est pour lui-même une grande expérience chrétienne : c'est comme s'il sentait continuellement toute son humanité dans le jeu de la grâce. C'est son sens de la responsabilité qui le fait sentir ainsi. Il y a là un fragment de vérité qui doit être connu. Pour mesurer la distance, il saisit ses voies, ses actions et ses réactions en remontant chaque fois de la fin d'une action à son point de départ ; il oscille de-ci de-là, moins en lui-même que dans la grandeur de Dieu afin de mieux comprendre pour lui-même et pour les autres. Mais ce contrôle s'effectue entièrement dans l'amour de Dieu et lui fait constamment ressentir la présence de Dieu. Il n'oublie jamais et il ne veut jamais oublier qu'il se trouve dans le rayon d'action de Dieu. Dans l'espace de cette lumière clarifiante de Dieu, il ne se met jamais lui-même en lumière. A aucun moment il ne vient à l'idée de Jacques qu'il devrait attirer l'attention sur sa personne pour retourner ensuite à l'objectivité de Dieu. Jacques ne renvoie jamais qu'à Dieu : "Regardez Dieu ; je suis en lui et tout ce qu'il fait en moi demeure visible en moi". Il mérite une confiance absolue, il est la loyauté même, on peut tout voir en lui ; il n'y a chez lui aucune trace d'orgueil, ni de présomption.


 

4 mars

Il y a celui qui prierait d'une manière exclusive, qui ne s'adresserait toujours de préférence qu'au Fils ou à un saint. Si sa prière est authentique, il apprendra à reconnaître que le saint est un relais, que le Fils lui-même conduit toujours au Père et à l'Esprit, et qu'en conséquence la réponse divine est toujours trinitaire.

 

Le Christ veut nous introduire dans le mystère de la Trinité de Dieu. "Qui me voit voit le Père" et "Personne ne va au Père sans passer par moi". Le divin s'est tellement rapproché de nous dans le Fils de l'homme que nous sommes enclins à oublier la divinité du Fils au sein de la Trinité. Maintes formes de notre prière sont presque des familiarités bien souvent, elles ne regardent pas la majesté divine infinie, elles sont un produit de notre imagination et de nos pieux désirs. Nous avons l'habitude de dire sans y penser : "Je ne suis qu'un rien dans ta main, tu es tout", ou bien "Parce que je veux tout ce que tu veux, tu veux tout ce que je veux". Ces derniers temps, dans mes lectures, je ne cessais de tomber sur ce genre de choses énervantes qui jouent avec le don de soi, qui semblent très élevées, mais en réalité tout est réduit à ma mesure. Avec cette manière de mettre le Seigneur dans tous nos projets et tous nos actes, de mettre en relation nos petits ennuis avec sa croix, nous réduisons le Seigneur à notre format humain et nous ne cessons de nous éloigner du véritable esprit du don de soi.

 

Le Fils est ici-bas l'envoyé de Dieu Trinité. Dans son amour, il apporte avec lui l'amour du Père et de l'Esprit, et il le partage à ceux qui croient en lui .

 

5 mars

Carême - Mercredi des cendres

Nous n'avons ni concept ni mot pour la "souffrance" mystérieuse que notre péché cause à Dieu, si Dieu est immuable et toujours bienheureux et qu'il ne peut être lésé par sa créature. D'autre part il serait pourtant incompréhensible qu'il ne soit pas touché par la faute et par les malheurs de ses propres créatures, lui qui est l'amour infini.


 

Le Fils voit les marchands dans le temple, le temple qui devrait être consacré à l'adoration et à la reconnaissance du Père et représenter ici-bas l'esprit du ciel. En ce lieu, les hommes devraient remercier Dieu pour leur existence, se laisser enseigner et remplir par lui, s'exercer à leur vie éternelle avec Dieu. Et ici règne le péché, Dieu est évincé de sa maison, sa présence est oubliée. La colère qui saisit alors le Fils est une colère divino-humaine, elle n'a pas la démesure de la colère céleste. En se déchaînant, il renverse les tables, etc., il arrive à ses fins. Les intérêts du Père sont pour lui aussi saints ici qu'au ciel. Son attitude envers le Père est totalement intacte. Sa colère humaine est si bien en harmonie avec sa colère divine que rien ne peut l'arrêter. Cet accès de colère fait partie de la mission qui lui est donnée comme la réaction de Dieu en face du péché, c'est une colère dans l'obéissance et l'amour. S'il l'avait pu, il n'aurait pas seulement renversé les tables, dispersé les marchandises et frappé les hommes, il aurait détruit le temple profané, car il sait très bien qu'à peine il sera parti les hommes reviendront avec leurs marchandises. Parce que le Fils dans sa passion a dirigé sur lui toute la colère de Dieu, après la résurrection et dans le temps de l’Église, la colère de Dieu sur le péché, qui continue d'exister, est comme mise entre parenthèses dans la rédemption de l'humanité.


 

On est sauvé après la mort, après le purgatoire. Mais il y a déjà, sur la terre, la possibilité d'une participation immédiate à la rédemption. Quelqu'un de ce genre ne commettra plus de péché. Sans doute fera-t-il encore des fautes, mais ses fautes ne feront pas obstacle au fait qu'il est sauvé.


 

6 mars

Carême

Le Fils invite les croyants à rester comme des enfants devant le Père. Ils ne doivent pas constamment se poser des questions et souligner leur indignité, mais recevoir simplement et comme des enfants la conscience d'être des enfants de Dieu. Ils doivent se mouvoir avec naturel dans le monde de Dieu et ne pas mettre constamment des limites dans leur prière, parler de leur impuissance, de leur inclination au péché ou d'y penser. Même s'ils gardent quelque part le sentiment de leur tendance au péché et donc de leur indignité, il leur est quand même permis de recevoir avec gratitude le don de leur dignité d'enfant de Dieu.


 

Qui a une foi pleine ne fait plus obstacles aux desseins de Dieu sur lui.


 

Déjà un sage de ce monde - un Hindou par exemple qui prend sa foi au sérieux - n'en restera pas à méditer les propositions de sa foi, il cherchera à assimiler l'esprit de la doctrine. Le jeûne sévère, la méditation continuelle, ce n'est pas la religion de l'Hindou bien sûr ; pour le comprendre, nous devons demander pourquoi il fait cela, à quel esprit cela correspond. Ce que nous ressentons comme allant de soi chez un maître de ce monde devrait, dans le christianisme, nous être encore beaucoup plus incontestable.


 

Adrienne, interne en médecine. Maintenant je parle peu dans ma prière. Souvent pas du tout. Comment cela ? Quand mon père vivait encore et que j'étais une toute petite fille, souvent, comme tout d'un coup, il m'arrivait de me languir de lui. Il était dans sa chambre, occupé à lire, ou bien il faisait des comptes ou autre chose. Alors j'entrais, toute seule, il y était habitué, il ne disait rien. Et je restais là simplement, sans parler, parce qu'il était occupé. C'est ainsi que je pense souvent : je m'approche un peu du Bon Dieu, tout doucement. Je ne veux pas le déranger, seulement être un peu avec lui. Parce que je me languis de lui .

 

7 mars

Carême

En regardant la souffrance du Seigneur sur la croix, nous apprenons que cette souffrance est l'expression de l'amour intra-divin. Dieu a choisi cette expression pour nous montrer le mystère de son amour ; pour pouvoir se révéler, l'amour souffre.


 

Si j’ai décidé de me marier, la préparation au mariage comportera bien des choses que je n’avais pas prévues, elle me fera déjà découvrir certains aspects de la vie conjugale que je dois tout simplement assumer. Je dois m’accommoder de ma future belle-mère qui est une femme impossible, m’habituer peut-être à une condition plus modeste que celle que je connaissais chez mes parents, etc. On se réjouit à l’avance du jour des noces, mais on découvre également toutes sortes d’ombres au tableau : les moins bons côtés de l’époux et mille autres petites anicroches.


 

L’amour a besoin d’un mystère qui l’entoure, parce que tout amour est vulnérable et sans défense. L’amour suppose la foi réciproque et ne peut vivre que tant que cette confiance existe. Un amour véritable est toujours nu devant l’aimé même s’il ne lui dit pas tout et garde devant lui ses secrets. Vis-à-vis de ceux que l’on n’aime pas, on s’enveloppe d’une sorte de ténèbres artificielles. On leur montre tel ou tel aspect de soi, en même temps on se revêt d’une cuirasse.


 

Dans le mariage, la vie en commun devant Dieu est si grande qu’il n’est pas nécessaire de beaucoup prier ensemble. La prière commune a davantage pour but de se rappeler mutuellement qu’on mène une vie de prière. Chacun des époux doit respecter la prière de l’autre et le laisser prier comme Dieu le lui inspire et comme lui-même aime le faire et, pour le reste, ne pas fixer de règles rigides. Il peut y avoir des époux qui éprouvent le besoin de beaucoup prier ensemble, mais cela restera plutôt l’exception. La prière ne doit en aucun cas être exclusivement commune, comme il n’est pas exclu par principe qu’elle puisse l’être.


 

8 mars

Carême

Un jour ou l'autre, le Seigneur offre à l’homme la grâce du renoncement authentique, la grâce du vide véritable, peut-être aussi de la souffrance et de la nuit ; par toutes ces grâces, l’homme doit arriver à une constance dans le don de lui-même, qui est voulue par Dieu.


 

On ne possède jamais une grâce pour soi seul, mais toujours uniquement pour la transmettre.


 

Il y a des grâces qui ne sont offertes qu’une fois.


 

La grâce du Seigneur peut tout transformer : elle est comme une réalité invisible, un parfum, une atmosphère, qui change les choses, crée autour d’elle une proximité et un amour singuliers. Nous pouvons demander au Seigneur d’une manière tout immédiate une grâce pour les autres et elle est accordée par lui de manière tout aussi immédiate ; quelque chose alors se réalise qui ne se serait pas fait autrement.


 

A l’heure de la mort, au dernier moment, il y en a reçoivent la grâce d’un oui total à Dieu.

 

Le repos est en premier lieu une propriété de Dieu ; il a voulu et institué le sabbat. Nous savons par Dieu que le sabbat était en lui-même depuis toujours, qu'ensuite il a créé le monde et qu'il a considéré l'œuvre achevée comme son travail. Quelle était sa contemplation avant son action, nous ne le savons pas ; nous pouvons dire seulement avec certitude que le monde qui commençait est un signe du Dieu éternel qui ne commence jamais.

 

Celui qui prie réellement dépouillé de lui-même reconnaît que Dieu a un dessein sérieux sur lui.


 

9 mars

Premier dimanche de carême

Évangile de la tentation de Jésus au désert. Pendant la tentation, le Fils montre une fois de plus au Père que sa création était bonne et que l’homme est bon. Cependant le Père tremble. C’est une abstraction de dire que le Fils n’aurait pas pu pécher : il est sûr que le danger qui fait trembler le Père ne réside pas dans le Fils, il réside dans le diable qui est tout autre qu’inoffensif. Le rencontrer, s’entretenir avec lui est dangereux pour tout homme. Et quand le Fils arrête le diable, c’est au milieu d’un danger authentique, d’un combat réel.


 

Le diable tente le Seigneur ! La tentation consiste aussi dans le fait que le diable offre au Seigneur de sauver un grand nombre d'âmes. Il lui offre un nombre d'âmes énorme qui n'a aucune proportion avec les douze apôtres. Au lieu de 12, il lui montre 12 x 12, il multiplie leur nombre par lui-même et, pour le rendre encore plus attirant, il le multiplie encore par 1000. Le Seigneur alors n'aurait pas besoin de souffrir, ni d'aller en enfer. Il tente le Seigneur comme la troisième bête tente ceux qui font partie de l’Église. Le premier diable que le Père a chassé du ciel, et le deuxième, celui de la sensualité, n'ont aucun pouvoir sur le Seigneur. Mais le troisième diable arrive avec des calculs humains, avec l'achat et la vente des âmes. Le Seigneur ne veut pas briser la tentation qui sera la tentation de l’Église. Il la prend sur la croix, il prend également la tentation vaincue ; sa manière de vaincre n'est pas glorieuse, elle est celle d'un homme. Il l'intègre dans sa croix ; il n'en triomphe pas autrement que nous-mêmes devons en triompher : la grâce de Dieu n'est qu'à l'arrière-plan ; ce qui a la priorité, c'est la tentation du diable.


 

Le Seigneur au désert n'est pas dans la passion, il n'est pas abandonné par le Père, il est dans la force de la prière. Son long jeûne, sa longue prière et la solitude l'ont amené à la limite du supportable, il est physiquement très affaibli, mais il est tellement auprès du Père qu'il est inébranlable, non seulement en tant que Dieu mais aussi en tant qu'homme affaibli. Il est en possession d'une totale certitude en face du diable.

 

10 mars

Carême

Quand le Seigneur est tenté par le diable, il rejette absolument toute impureté. Il dit non au Mauvais parce son seul souci est d'adorer le Père et de le servir.

 

De penser à sa Mère est pour le Fils un soutien dans la tentation. Non que sans cela il serait vaincu par la tentation, mais cela fait partie de son humanité qu'il trouve de l'aide auprès de ses semblables. Sur la croix, il n'aura plus ce soutien ; là, tout ce qui était aide va disparaître. Au désert il est totalement homme, il a gardé un sens aigu de la pureté de sa Mère. Pour lui, elle est le prochain tout pur qui lui a été donné par grâce. Elle lui est très proche, il est sûr d'elle pendant qu'il lutte contre le diable et en triomphe, bien que la Mère ne connaîtra pas des tentations de ce genre. Elle en est immunisée par l'Annonciation, mais elle sert le Fils par le fait qu'elle se tient à sa disposition comme image de la pureté.

 

Pour le Fils, porter la tentation équivaut à porter le péché. Il connaîtra sur la croix le fardeau du péché ; au désert, il apprend à connaître ce que le diable a d’attirant. Lui-même veut se laisser attirer par ses arguments, être accompagné par le diable, pour apprendre à connaître la situation de l’homme. Le diable qui le tente est le même qui tente l’homme. Faire l’expérience de cette situation fait partie de l’expérience que le Fils fait du monde.

 

Dieu exige toujours de l'homme quelque chose de nouveau. Autre chose de celui qui a vingt-et-un ans que de celui qui en a vingt-deux. L'homme devrait constamment s'adapter à la foi.


 

J’ai réfléchi à la dispersion de l'homme d'aujourd'hui : temps du travail, heures de loisir, utilisation des heures de loisir et à nouveau récupération après celles-ci ; le temps est toujours distribué mécaniquement. Ce qui fait l'unité du temps et de la vie est toujours plus oublié et rendu impossible, le tableau se décompose en pièces de mosaïque isolées. L'unité de notre temps, c'est que nous sommes devant Dieu, c'est la conscience de la présence de Dieu, l'orientation vers sa présence de toutes nos pensées et de tout notre travail et de toute notre détente.


 

11 mars

Carême

Sur la durée de sa vie, le Fils prend un temps humain pour méditer et jeûner dans le désert afin d'être prêt à faire sur la croix la pleine volonté du Père. Pour cela, il ne prend pas ses forces dans le ciel, mais dans ses provisions humaines pour que le Père le traite comme n'importe quel humain qui jeûne et qui prie pour sa mission. On pourrait objecter que la vie du Seigneur dans son ensemble est de toute façon portée par la pensée et la volonté du don de lui-même à Dieu et aux hommes, et que cette pensée et cette volonté suffiraient pour tout rendre fécond dans cette vie. Mais ce n'est qu'un aspect de la vérité. L'autre aspect est qu'il doit s'en occuper lui-même. En tant qu'homme il sait combien la prière et le jeûne sont nécessaires pour réaliser une œuvre chrétienne. Il prend donc dans sa provision de prière et de jeûne la quantité qu'il peut prendre pour que son action et sa passion soient telles que le Père le veut. Pour cela, il façonne sa relation au Père de la même manière que n'importe quel chrétien peut façonner sa relation à Dieu en vue de l'accomplissement de sa mission chrétienne.

 

Par amour pour nous, le Père a renoncé à son Fils dans le ciel. Il a assumé la séparation qui était incluse dans l’envoi du Fils dans le monde. Qui aime veut que celui qu’il aime fasse l’expérience de l’amour. C’est pourquoi Dieu, qui nous aime, veut que nous soyons accessibles à son amour et il fait tout pour que son amour nous soit sensible. Le Père envoie son Fils et en même temps il lui permet de venir. Notre vie dans l’amour n’est pensable que nourrie par la vie du Fils. L’amour donne tout ce qu’il a. Et ce que le Fils a, c’est le Père ; en se laissant envoyer, le Fils nous apporte l’amour du Père.

 

Même si l'homme ne veut pas entendre la parole de Dieu, cela ne change rien au fait que le fond de son être se trouve impliqué dans un dialogue avec Dieu, qu'il le veuille ou non.

 

Un seul soupir peut avoir plus de valeur aux oreilles de Dieu que de longues années des plus belles prières.


 

12 mars

Carême

Pour lui-même, le Seigneur ne cherche jamais la facilité. Son chemin est autre : c'est le chemin de la passion, du renoncement, du sacrifice qui coûte. C'est un chemin douloureux et en même temps insignifiant, un petit chemin, non le chemin grandiose dont rêve Judas. Aussi le chemin des disciples doit-il être pareil à celui du Seigneur. Sans cesse ils doivent se laisser déranger et chasser de leurs enclos confortables et apprendre que ce sont les sacrifices qui confèrent à l'amour sa valeur. Si tout se passait selon le désir de Judas, le tout ne serait qu'un feu d'artifice. Il fascinerait, mais ne pourrait pas nous sauver.  Il ne pourrait pas durer. Seuls le combat, le sacrifice, le renoncement donnent au chemin chrétien son caractère d'amour.


 

On dit sans cesse : "Que ta volonté soit faite", mais on ne fait pas très attention à ce qu’on dit parce qu’il est difficile de se représenter la volonté du Père. Souvent on souhaite quelque chose pour soi et on trouve qu’on ne devrait pas importuner Dieu à ce sujet. Souvent ce sont justement les petits riens qui sont difficiles à supporter, mais ils sont si petits qu’on n’aime pas en faire le contenu d’une demande particulière. On garde en quelque sorte  sa "dignité" devant Dieu, et c’est sans doute juste. Mais on devrait savoir prendre avec soi dans la prière les petits riens et les laisser là se dénouer dans ce qui est grand, seulement cela ne réussit pas toujours quand les petits riens nous assaillent et obscurcissent en quelque sorte la claire vision.


 

Nous sommes depuis toujours les élus de Dieu, destinés par lui à une place précise, et nous devons seulement veiller à nous y rendre. Naturellement, nous pouvons pécher, nous avons la liberté de nous détourner de Dieu. Ne devrions-nous pas parler aussi de la liberté que nous avons de nous tourner vers lui ? Et aussi de “choisir” efficacement ce qu’est la volonté de Dieu pour nous. On devrait se contenter de dire : Dieu nous donne la grâce de voir ce qu’il a choisi pour nous.


 

13 mars

Carême

La mission apostolique des chrétiens en général provient de la Trinité tout entière. Dans l'ancienne Alliance, le Père se trouvait au premier plan tandis que le Fils et l'Esprit se trouvaient pour ainsi dire derrière lui ; dans la nouvelle Alliance, au premier plan se trouve le Fils qui a la vaste mission de la rédemption et qui lance de nouvelles missions dans le domaine des siens. Mais il envoie de telle manière que le Père envoie l'Esprit Saint au chrétien.


 

Personne ne doit dire que l'évangile lui suffit, qu'il n'a pas besoin de l'Apocalypse. Il serait comme quelqu'un qui recevrait une ferme, mais ne voudrait jouir que du jardin et de la maison. Lentement il découvre que le jardin ne peut pas prospérer sans travail. On doit consentir aussi à labourer les champs pour pouvoir maintenir le tout en bon état.


 

Les miracles témoignent pour le Fils ; ils sont comme des lumières qui éclairent sa divinité et la font sortir de l'ombre pour les hommes. Pour la résurrection, c'est encore autre chose. Tant que le Fils est dans sa mission terrestre, il témoigne du Père et de l'Esprit. Dans la résurrection, il témoigne en même temps de lui-même, comme un artiste qui signe son tableau, comme un acteur qui, après la pièce, se présente devant le rideau. Le Fils peut le faire à la fin, après qu'il a livré tout ce qu'il avait : il a déposé sa divinité dans les souffrances, il a rendu l'Esprit au Père, il s'est défait de son humanité dans la mort. En ressuscitant, il montre que tout cela était une œuvre de Dieu. Dans la résurrection, le Père et l'Esprit ne sont pas seulement actifs mais, comme le Fils, ils reçoivent aussi ; ils reçoivent dans leur sein l'Homme-Dieu accompli : c'est le don de soi eucharistique du Fils incarné à la divinité, il apporte sa chair et son sang dans l'échange trinitaire. Parce que le Fils s'est défait de tout et qu'à la fin il n'a plus rien, il peut donner son tout à tous : au monde comme à Dieu lui-même.


 

14 mars

Carême

Dans la relation entre l’homme et Dieu existe le danger énorme que l’homme puisse être infidèle à Dieu. Nos péchés bien sûr sont un refus de Dieu. Mais le vrai péché ne se trouve pas la plupart du temps là où on le cherche. Un refus de Dieu, intérieur et tout à fait caché, est beaucoup plus terrible et nuisible que tout le reste. La vraie nature du péché, c’est de ne pas suivre l’appel de Dieu. Le péché, c’est justement de ne pas prendre au sérieux le péché et son poids, c’est l’aspect irrémédiablement mesquin, libidineux, sale, égoïste, mercantile de nos sentiments vis-à-vis de Dieu.


 

Il n'y a sans doute rien qui exige de nous plus de renoncement à nous-mêmes que notre attente du ciel. De même que beaucoup de renoncement à nous-mêmes est déjà requis pour accomplir à peu près convenablement notre service terrestre, de même nous devrions absolument considérer ce service et le renoncement à nous-mêmes qu'il requiert comme un exercice préparatoire à notre service un jour dans le ciel où le Seigneur nous placera et nous utilisera comme il lui plaira. Nous devrions donc attendre totalement du Seigneur notre béatitude éternelle et sa plénitude, et non selon nos attentes préconçues. Nous trouvons maintenant notre joie en ceci et en cela, et c'est bien, le Seigneur le veut ainsi. Au ciel, nous trouverons notre joie en des choses toutes différentes et ce sera des choses à lui auxquelles il nous donnera part.


 

Marie ne voit pas vraiment le péché. Elle ne voit pour ainsi dire que le manque d’amour, le négatif, elle n’entre pas en contact avec la souillure elle-même, elle ne gronde pas ; là où elle ne voit qu’une petite étincelle d’amour, elle s’accroche.

 

Marie n'a toujours vu les péchés que dans la lumière de la grâce, même si elle comprenait bien leur horreur, comme insulte à l'amour.

 

15 mars

Carême

La femme qui s'écrie : "Heureux le corps qui t'a porté" (Lc 11, 27) voit le Seigneur, elle le voit comme les hommes le voient. Mais en même temps, le Seigneur ouvre les yeux de cette femme sur le surhumain, sur le divin de son enseignement et de sa personne. Un point de son enseignement est particulièrement mis en lumière pour elle ; pour cette femme simple, l'humanité du Seigneur perce pour ainsi dire vers le divin grâce à sa Mère. Elle comprend qu'il n'est pas une génération spontanée, que son humanité a au contraire un fondement solide et que la femme qui l'a porté a avec lui une relation qui la rend parfaitement bienheureuse.

 

Le Seigneur est inséparable de sa mission. Là où une mission n'est pas reconnue, le Seigneur est rejeté. Si quelqu'un ne veut pas accepter sa mission, le Seigneur est humilié. Et comme toutes les missions sont incluses dans la mission du Seigneur, les autres missions aussi sont humiliées, surtout les grandes, celles des saints, qui participent d'une manière particulière à la mission du Seigneur. Quand le jeune homme riche s'éloigne, le Seigneur en est humilié. Rien que le fait de ne pas comprendre une mission et l'action d'un saint est une offense à sa mission. De même que le Seigneur est constamment offensé, de même aussi le saint si personne ne le comprend quand il s'acquitte de sa mission. Parce qu'une mission serait inutile si elle était comprise d'emblée, il faut que le saint soit offensé, humilié. C'est pourquoi plus le saint aime sa mission, plus aussi il doit aimer l'humiliation. Aimer signifie ici avoir avec elle une juste relation, l'accepter comme le Seigneur veut qu'elle soit acceptée. Et le "jeu de la réponse" a toute l'étendue que le Seigneur veut lui donner. On peut tantôt ne pas tenir compte extérieurement d'une humiliation, tantôt presque y succomber. Que tantôt on la sente et que tantôt on la sente moins ou pas du tout, c'est chaque fois comme le Seigneur en décide. Il indique seulement le chemin.

 

Le péché est la conséquence du fait que dans l'amour doit régner la liberté et donc que le refus soit possible.


 

16 mars

2e dimanche de carême

Évangile de la Transfiguration. Le Seigneur qui, sur le Thabor, apparaît transfiguré à ses disciples, est dans son propre royaume, le royaume qui lui appartient, c'est là aussi qu'il rencontre Moïse et Élie ; comme il est dans son royaume, il apparaît à ses apôtres transfiguré. Ceux-ci voient la différence entre son apparence habituelle et son apparence à cet instant-là, mais ils voient aussi que, sous ces deux apparences, il est le même Seigneur. C'est tout un chemin mystique qui est ramassé dans ce double regard sur le Seigneur. La transfiguration , c'est l'apparition de Moïse et d’Élie devant le Seigneur, la conversation qu'il a avec eux ; il est alors accordé aux apôtres de voir un petit quelque chose qu'ils ne comprennent que dans une mesure restreinte, comme le montrent les conclusions qu'ils en tirent.

 

Le Seigneur, qui ressemble d'habitude à un homme ordinaire, les disciples le voient au Thabor sous sa forme de Dieu ; ils peuvent ainsi croire plus facilement qu'il est réellement le Fils du Père. Ils ont accès à une forme du Seigneur qu'ils ne connaissaient pas et qui existe, qui est dans la foi, du moins pour leurs yeux ; ils pourraient décrire eux-mêmes quelque chose de la différence entre les deux modes d'apparence. Vis-à-vis d'un non croyant qui ne douterait pas de leur véracité, ils pourraient le faire de telle manière qu'il saisisse quelque chose de l'excellence du Seigneur. La foi des disciples est enrichie et augmentée ; de nouveaux aperçus s'ouvrent à elle, les limites de l'existence terrestre du Seigneur, et même les limites du monde au fond, sont repoussées, font voir des dimensions jusqu'alors inconnues d'eux, dans lesquelles le ciel se penche vers la terre et lui donne part à ce qui est céleste. A l'avenir, les relations des disciples avec le Seigneur auront une dimension nouvelle et céleste. Au sein de son existence, il y a comme une déchirure ; les relations avec lui seront désormais mystiques d'une certaine manière. Les apôtres se rendent compte qu'il y a un abîme entre ce qu'ils voient et ce qu'ils comprennent. Ils ne veulent pas admettre que l'apparition n'a qu'un temps, ils voudraient construire des huttes, rester dans le même état. Ce n'est pas qu'ils se révoltent contre le passé, c'est simplement qu'ils ne comprennent pas. Moïse et Élie sont si présents que les apôtres pensent à leur trouver un abri et ils sont tout prêts à s'en occuper, ils veulent y mettre du leur pour que les prophètes trouvent ici-bas des pénates. L'intelligence des apôtres n'est pas à la hauteur de leur vision. Leur foi a été si dilatée et si fécondée que leur raison ne suit pas, ils cherchent donc, avec leur raison limitée, à donner un certain contenu à leur foi, à établir un accord qui n'est pas possible parce que l'accord ne se trouve que dans le Seigneur. Pour lui, cette réalité est ce qui est habituel ; pour eux, c'est du nouveau, quelque chose d'immense, mais qu'eux-mêmes, en tant que représentants de l’Église naissante, voudraient tout de suite insérer dans ce qui leur est connu. Pour leur foi, il n'est peut-être pas agréable d'être mise en présence de dimensions si inattendues, ils sont pour l'ordre.

 

La transfiguration : le ciel s'ouvre et se penche, et l'homme est emporté dans cette région. Il y a un endroit où le ciel et la terre se rencontrent.


 

17 mars

Carême

Le péché offense Dieu plus ou moins, selon qu’on est déjà plus ou moins proche de lui. Le même péché peut être commis par deux personnes ; extérieurement les péchés sont semblables, mais le péché est d’autant plus grave qu’on est plus proche de Dieu. Je pardonne peut-être plus facilement à un étranger qu’à un ami, même s’il m’a volé sérieusement. Si le voleur est celui en qui j’avais le plus confiance, le pardon est dix fois plus pénible. C’est pourquoi aussi les petits péchés qu’on commet par inattention sont souvent très sérieux pour Dieu, le pardon de Dieu déborde l’aspect "matériel" de ces fautes.


 

On peut s’éloigner de Dieu en croyant le servir, on peut s’entraîner en quelque sorte au travail de la perfection, comme un alpiniste qui emporte la satisfaction d’avoir vaincu un sommet : "Je l’ai vaincu". Dans la vie spirituelle, il est facile de donner à ce sentiment le nom de grâce et de s’attribuer, dans le fait d’être en haut, le mérite de la montée. Il est facile de se donner de l’importance et de s’éloigner de Dieu, de se construire un Dieu qui nous justifie nous-mêmes.


 

Qui a vraiment rencontré le Dieu vivant a désappris, dans l'objectivité de Dieu, à souhaiter quelque chose pour lui-même ; ou bien s'il désire quelque chose pour lui-même, sa demande est étroitement liée à sa mission. Il s'oublie lui-même, il laisse faire Dieu.


 

18 mars

Carême

Nous nous garderons de faire toute une histoire de nos petits renoncements et de les mettre en rapport direct avec la souffrance du Seigneur sur la croix. Ils sont tout au plus un signe, un symbole, de notre amour pour le Seigneur.

 

Quelqu'un de véritablement ébloui par la grâce ne lorgnerait plus vers son propre moi qu'il a perdu, il ne ferait plus état de ses vieux critères, il resterait dans l'état d'ouverture et d'amour de Dieu.


 

Le Fils va prendre sur lui toute l’humiliation qui lui viendra des hommes afin que les ténèbres du monde deviennent la lumière de Dieu le Fils. Le Fils s'offre afin que le Père puisse l'envoyer. Le Fils doit être prêt au sacrifice pour que le Père puisse l'envoyer.


 

La vision de la création que saint Ignace a eue lui montre qu'il y a plus de lumière dans la création qu'on ne le pense généralement. Il a compris que Dieu sait de combien de lumière ses créatures ont besoin. Cela le console de penser que Dieu lui donnera à lui aussi, sa créature qui cherche à le servir, la lumière nécessaire pour que son chemin soit visible. Ce n'était pas une vision de l’œuvre des six jours, mais une vision de l'attitude de Dieu à l'égard de ses créatures.


 

Le Seigneur n'est devenu pleinement lumière pour le monde que dans la nuit totale de la croix.


 

19 mars

Saint Joseph

Joseph a un cœur simple, il persévère dans un don total de lui-même qu'il ne comprendra jamais totalement. Il n'a d'ailleurs pas besoin de le comprendre parce que Dieu n'a pas fait de lui le participant d'une mission double (Marie-Joseph). Pour Joseph, sa mission est une mission à côté d'une autre (celle de Marie) et ce que Joseph doit faire, c'est soutenir la mission de Marie de manière très simple. Joseph, l'homme juste, est placé dans une situation qui d'abord l'effraie, il ne comprend pas. Puis la grâce lui donne de comprendre quelque chose, mais pas tout. L'ange lui donne la certitude que ce qui se passe est juste, et il sait désormais : c'est ma route et ma route vient de Dieu. Il ne comprendra jamais totalement ce qui s'est passé dans la Vierge Marie. Quand il s'efforce de l'aider et d'être un père pour l'enfant, il demeure toujours conscient qu'il n'est qu'un remplaçant. Sa compréhension ne va pas plus loin. Il prie toujours plus que Dieu lui montre les chemins qu'il doit suivre, non qu'il lui donne de comprendre parfaitement. Quand il regarde la Mère et l'enfant, il comprend que c'est une grâce inouïe de pouvoir être là et de voir et de coopérer ; sa foi grandit, et sa joie aussi grandit sans qu'il doive accompagner la Mère sur ses durs chemins. Même s'il connaît des heures difficiles, puisqu'il doit prendre soin de l'enfant, il connaît cependant surtout la joie de se donner, la joie de participer, et sa prière est pleine d'action de grâce ; elle n'est pas très ample, mais elle est fidèle, pieuse, aimante. Quand se manifeste quelque chose du Fils, de sa croissance et de sa mission, il l'emporte aussitôt dans sa prière parce que cela touche tellement sa route, il doit garder éveillé dans la prière ce qu'il a vu. Depuis que l'ange lui a parlé, il est apaisé une fois pour toutes et cette paix rayonne sur tout ce qu'il fait. Il ne connaît pas l'inquiétude de celui qui calcule. Il sait qu'il participe à beaucoup de mystères même si ce n'est pas son affaire de chercher à les scruter.


 

20 mars

Carême

Si quelqu’un veut essayer d’aimer Dieu et de vivre pour lui, il prévoira pour sa vie un règlement, il aura des projets. Mais Dieu demeure libre de bousculer sans cesse toutes les constructions et tous les projets. Il peut exiger une disponibilité qui n’aboutit jamais à un résultat. Il peut faire préparer à quelqu’un ceci et cela, et il n’en sortira rien. Et à la place du travail que non seulement on espérait mais qu’on pensait aussi prévoir dans la prière, Dieu ne laisse survenir rien d’autre que douleur, maladie, impuissance, fatigue démesurée. Dieu détermine sans cesse la mesure de ce qui est à supporter, également la mesure de la rencontre avec la souffrance.


 

Quand un homme pèche, il n'est plus dans l'amour de Dieu, ni non plus dans le temps de Dieu. Mais si un homme est racheté pour l'amour chrétien, il fait de son temps éphémère quelque chose qui appartient déjà au temps éternel ; dans son temps humain, il participe d'avance au temps éternel de Dieu. Dès qu'il rencontre le Christ, il ne lui est plus permis d'aimer de manière limitée, il doit aussitôt se régler sur l'amour éternel.


 

L'apôtre Jean qui se penche sur la poitrine de Jésus pour lui demander : "Seigneur, qui est-ce?" est un symbole de la prière véritable. La vraie prière, dans l'Eglise, est ce geste de se pencher amoureusement vers le Seigneur. Le chrétien ne prie ni debout ni assis, mais penché vers le Seigneur. Ce geste de l'apôtre est un pur mystère de tendresse. Il ose s'approcher du Seigneur, se pencher vers lui, parce qu'il possède la véritable humilité, une humilité qui se détourne de sa propre personne et se perd totalement dans le Seigneur. Jean se fait plus petit pour être plus près du Seigneur. Il se penche non parce qu'il est un pécheur misérable, mais parce que le Seigneur est si grand et si bon.

 

21 mars

Carême

Peu importe le lieu où nous servons le Seigneur. Nous avons grandi sur un certain sol comme la semence de la parabole, nous avons servi le Seigneur en un lieu donné : cela ne nous donne pas le droit de considérer ce lieu comme définitif pour nous. Le Seigneur se sert de nous comme il le veut. On ne demande pas au fruit à quoi il voudrait servir. Le fruit qui a mûri sur mission de Dieu demeure sa propriété. Dieu nous a pour ainsi dire prêté à un sol qu'il avait choisi lui-même jusqu'au jour de notre maturité et jusqu'au temps de la faucille. Pour notre sensibilité, le temps de la faucille est toujours douloureux. Mais le Seigneur lui-même dispose de cette souffrance. c'est lui qui décide du jour de la moisson. Il ne le fait pas de façon arbitraire, mais le fruit n'est pas consulté.

 

Si Dieu me donne une place de servante, il ne peut pas être plus parfait pour moi de vouloir être reine, je ne ferais alors au contraire que m’écarter de la volonté de Dieu et me rendre coupable de désobéissance. Quand Dieu a besoin de quelqu’un pour lui donner des visions, c’est un service comme un autre, et personne ne doit se permettre de vouloir s’introduire artificiellement dans ce service.

 

Le Christ a tenu compte à l'avance des saints et des pécheurs : à ceux-là il offre son amour, pour ceux-ci il meurt sur la croix.


 

Depuis la croix, le Seigneur connaît la marche du péché. Il sait aussi comment l’homme glisse dans le péché parce que, dans sa passion, il a fait l’expérience du glissement irrésistible dans une souffrance toujours plus grande. Cela lui donne du péché la connaissance la plus intime. Par la croix, il a appris à connaître la voracité du péché.

 

22 mars

Carême

Aimer Dieu de telle sorte que disparaisse en moi tout ce qui s'oppose à lui.

 

Dieu a créé les hommes et il les a rendus capables de faire des pas vers lui, des pas qui sont une marche avec Dieu et dans la force de Dieu.

 

Ce que Dieu attend des hommes, c’est la disponibilité à dire oui à ce qu’il tient pour le meilleur, à donner un oui qui n’est pas modelé par moi, mais qui est formé pas à pas par Dieu. 

 

Adam a tourné le dos au Père. Alors le Père envoie son Fils, et celui-ci nous montre l'unique véritable possibilité de tourner à nouveau notre visage vers Dieu, de l'aimer à nouveau et de rester réceptif à l'amour.


 

Le Seigneur avec ses disciples au cénacle. La présence de Judas ne trouble pas la prière du Seigneur. Pour lui, Judas est en quelque sorte le représentant de l'humanité pour l'amour de laquelle il est venu dans le monde.

 

La patience donne à Dieu le temps de laisser mûrir les choses.

 

L'Esprit exige du Père le don de soi du Fils dans l’abandon ; quand le Fils est sur la croix, l'Esprit participe en quelque sorte à cet abandon : il est renvoyé au Père ; à la Pentecôte, l'Esprit est envoyé d'une autre manière.

 

23 mars

3e dimanche de carême

Le Seigneur n'a pas oublié un seul péché, il les a tous pris sur lui, finalement jusqu'à sa mort pour l'amour de tous. La porte du ciel est étroite, si étroite d'une certaine manière qu'il n'y en a toujours qu'un seul à la fois qui y passe. La porte de l'enfer est très large.

 

Des saints ont été sensibles, jusqu’en en être mal à l’aise, à la puanteur du diable, du péché.


 

La profondeur de la volonté du diable d’être caché est si abyssale que nous ne pourrons jamais la sonder. Elle est un mystère qui demeure insondable pour nous. Les mystères de Dieu sont plus accessibles que les mystères du Malin. L’abîme du diable consiste en ce double mouvement qu’il veut mentir et qu’il ne veut pas se convertir. Ce que cela signifie finalement demeure un mystère qui n’est accessible à aucun homme, même pas au pire pécheur. Le destin du diable est pour nous un mystère totalement inaccessible. Il n’est pas permis de désespérer de la conversion de n’importe quel pécheur ; la possibilité de conversion d’un homme pécheur n’est jamais aussi désespérée que la conversion du démon.


 

Si les chrétiens n’étaient plus conscients qu’ils ont à lutter contre le diable, leur christianisme tomberait dans un optimisme superficiel ; une exaltation étourdie prendrait la place du sérieux de l’amour.


 

C'est une qualité fondamentale du diable de s'adapter. Si l'homme est tiède, Satan également est tiède ; si l'homme commence à s'intéresser à Dieu, alors le diable aussi s'éveille et commence à s'intéresser à cet homme. Le tiède est plus près de Satan que celui qui s'est réveillé. Pour le tiède, Satan n'a pas besoin de s'agiter, il a le temps d'attendre, il est sûr de sa propriété. Mais si le bien s'éveille en l'homme, le mal aussi devient actif. Sans Satan, le Seigneur ne serait pas venu sur la terre. La plus grande efficacité du diable se déploie là où l'on ne croit pas en lui : chez les tièdes et les blasés. Celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas non plus au diable ; et ainsi la lutte s'avère inutile. La force du diable, c'est sa faculté d’adaptation, de compromis.

 

24 mars

Carême

Les relations qu'au cours de sa vie terrestre Dieu devenu homme entretient avec les pécheurs restent pour ceux-ci un mystère impénétrable. Qu'au ciel le Fils ait des relations avec le Père, la foi peut le comprendre. Mais que gagne le Fils à avoir des relations avec les hommes ? Il peut enseigner les hommes et leur donner des directives, leur montrer comment ils peuvent vaincre leurs défauts ; mais qu'en est-il pour lui-même ? On doit sans doute dire que, par ces relations avec les pécheurs, il se prépare à la croix.

 

Il y a dans l’Église des groupes et des assemblées qui sont fausses. Ils n'ont pas d'amour en eux, ils ne poursuivent pas les buts de l’Église, leurs fondateurs sont coupables. Quiconque collabore et, par négligence, s'abstient de vérifier ce vers quoi il se dirige augmente son tort. Aucune vocation dans l’Église n'est à comprendre comme une demi-vocation ; chaque appelé a une responsabilité dans le Seigneur, dans l'Esprit, dans la lumière, dans les desseins de Dieu.

 

Il y a des confessions pascales partout se trouve ce qui est insuffisant, faux, pharisaïque.

 

A propos d'une mystique. Elle a ajouté des choses à ses révélations par un certain besoin de se mettre en valeur. Elle veut fournir des détails pour qu'on la croie plus volontiers. Ils ne sont pas authentiques. C'est un mélange de choses qu'elle a imaginées et de choses fausses a priori. Dans ce qu'elle dit, il y a du faux et de l'imaginé. Le faux est ce qu'elle a ajouté consciemment. L'imaginé est ce qu'elle n'a pas traduit objectivement, mais ce qu'elle a introduit de désirs personnels, de son propre moi. Elle a un certain besoin de se mettre en valeur. Elle veut fournir des détails pour qu'on la croie plus volontiers. Les promesses soi-disant du Seigneur dont elle parle ne sont pas authentiques.

 

Quel que soit le travail que fournit l'homme, il peut le faire pour Dieu. Aucun mouvement dirigé vers Dieu n'a jamais été inutile. Le travail a un sens d'éternité.


 

25 mars

Annonciation du Seigneur

A l'Annonciation, Marie est la jeune fille qui voit un ange et lui donne son oui ; ensuite elle sera la femme qui continue à vivre son oui. L'inquiétude du premier acquiescement qui se faisait jour malgré toute sa confiance en Dieu et toute sa foi est remplacée ensuite par une fécondité pleine de joie comme si l'attention de Marie devait être attirée sur le fait que son oui dans l'obéissance a certes requis d'elle un sacrifice, mais que sa récompense est si immensément grande et réjouissante et féconde que cette inquiétude première a totalement disparu : elle a pu porter le Fils, l'élever, l'accompagner, elle demeure pour l'éternité sa mère et son épouse.


 

"Voici la servante du Seigneur". Par ce mot, Marie met tout dans le service. Elle est l'élue, celle qui a été visitée par l'ange, mais elle voudrait comprendre son service de telle manière que tous les croyants y soient associés par elle. En disant ce mot, elle espère pouvoir le dire au nom de tous ceux qui sont prêts à croire. Elle est pleine de grâce, mais en répondant selon cette grâce, elle voudrait s'effacer dans l'anonymat du service : simple servante ! En tant qu'élue unique en son genre, elle offre cet anonymat au service. Sa disponibilité veut inclure tout ce que Dieu peut exiger afin que, dans sa disponibilité, soit incluse aussi la disponibilité de toutes les femmes pour les demandes qui leur sont faites. Dans l'ange, la Mère rencontre la surnature, l'ange a éveillé en elle la disponibilité pour être servante. Dès ce moment-là, sa réponse est donnée jusqu'à sa mort : une réponse à l'ange et, par l'ange, au Fils devenu homme. Les deux, l'ange et le Fils, se trouvent, vis-à-vis du Père, dans le même service du salut ; bien qu'ils aient deux missions différentes, leur service est le même. La Mère est placée entre les deux avec sa mission, et c'est encore le même service. Quand elle dit : "Ecce ancilla", il est clair qu'elle considère cet immense service comme ce qui est décisif. Marie a dit oui alors qu'elle était jeune fille, presque encore une enfant. Un oui humain dans la grâce divine. Son oui devient un oui divin dans un être humain tout donné, et Dieu le Père, avec ce oui, façonne son Fils. La Mère est là avec toute son humanité, sa foi, son amour, son espérance. Elle a un corps comme toutes les jeunes filles ont un corps, mais tout d'un coup elle ne possède plus ce corps parce qu'il est pris par Dieu qui en a besoin. C'est son corps à elle, mais il est le corps que Dieu a choisi pour que sa Parole y devienne homme. Elle sent combien son mystère de jeune fille est élevé pour devenir un mystère de maternité, et comment son corps se donne à la semence de Dieu, et comment son don d'elle-même est simplement reçu par Dieu. Elle a dit oui avec ses lèvres, avec son cœur, mais ensuite Dieu a pris son corps, elle sent que Dieu le possède et y dépose sa semence. Il ne le fait pas dans une extase mystérieuse, elle reçoit tout simplement dans son corps la semence du Père apportée par l'Esprit. Cela se passe tout simplement tout d'un coup elle est enceinte. Elle est heureuse, très heureuse de recevoir ce qu'elle a reçu parce que à l'instant même elle sait qu'elle est prise, reçue, accueillie, passée en la possession de Dieu, et c'est ce qu'il y a de plus beau pour une femme croyante.

 

26 mars

 

Pas plus que n'importe quelle autre femme Marie ne peut s'imaginer son Fils. Elle sait seulement que ce sera un garçon. Son attente ne va pas plus loin. D'un autre point de vue, son attente est beaucoup plus illimitée parce que l'enfant sera Dieu. Elle connaît quelque chose de Dieu dans la foi, dans la prière, de la manière la plus concrète sans doute par sa rencontre avec l'ange. Mais si son Fils sera Dieu, il viendra avec des desseins précis, il va sauver les hommes et elle devra s'adapter à ses desseins. Pour ses premières années, il attend d'elle qu'elle soit mère. Comme toute mère avec son enfant, elle devra d'abord remplacer pour lui le monde, et le monde qu'elle aura à lui offrir sera en contraste avec l'autre monde qui viendra après, qu'il doit racheter. Si pour Marie la question de son propre salut n'a subjectivement aucune importance - elle n'y réfléchit pas -, elle voit très bien l'opposition objective entre les deux mondes. Parce qu'il en sera ainsi, parce qu'il doit en être ainsi, elle a confiance à ce sujet. Elle doit simplement laisser faire. Malgré cela, elle sent une lourde responsabilité ; pas une responsabilité dont elle se charge elle-même, plutôt une responsabilité dont on la charge dans la prière, qu'elle accepte telle qu'elle est donnée.

 

Quand le Fils deviendra chair en elle, Marie aura en elle la certitude de sa présence. Ce n’est pas pour elle comme pour les autres femmes qui doivent attendre pour savoir si elles sont enceintes. Elle le sait quand elle donne son oui.

 

27 mars

Le Fils s'est abaissé à devenir dans le sein de sa Mère quelqu'un qui est attendu.

 

Récemment j'ai vu Marie quand elle était enceinte ; les mots de sa prière étaient presque pauvres, mais son attitude était celle de la reine du ciel, avec la dignité de celle qui attend. Je compris l'incroyable dignité qu'il y a dans la grossesse. Dieu fait irruption dans notre indignité pour nous apprendre à vivre en l'attendant et nous donner ainsi une dignité. Quand le Fils s'est abaissé à devenir dans le sein de sa Mère quelqu'un qui est attendu, l'humanité a reçu une nouvelle qualité qui se trouve en toute attente dont Dieu s'est réservé l'accomplissement et qui peut être alors appelée le fruit de la prière. Marie attend ce qui est déjà en elle ; tous ceux qui espèrent chrétiennement attendent ce qui est déjà en eux : la Parole de Dieu qui se fait homme, qui s'accomplit selon sa propre promesse.

 

Par l'ancienne Alliance, Marie sait qui est le Dieu auquel elle croit. Elle sait aussi qu'elle attend le Messie et elle a le pressentiment qu'il sera Fils de Dieu. C'est un savoir qui lui vient de la foi, mais l'attente du Fils ne lui donne pas une image plus exacte du Père. Après sa conception, l'enfant est caché en elle comme un grand mystère pour elle ; à partir de ce qu'elle ressent physiquement, elle ne peut se faire aucune idée du Père. Elle sait qu'il est le Tout-Puissant qui a eu recours à son service de servante ; par les modifications corporelles dont elle fait l'expérience, elle perçoit combien tout est vrai et grand, elle sait qu'il prend son oui au sérieux et que l'enfant en vit, c'est le oui d'une obéissance qui ne pensait pas particulièrement au corps, et voilà que les affaires corporelles se multiplient ; son service corporel est employé, le Père agit en elle corporellement, c'est pour elle ce qui est le plus étrange. Elle constate que le Père s'écarte ainsi de ses propres lois de la création et, en s'en écartant, il les sauvegarde et les accomplit d'une autre manière. Elle ne peut pas, comme les autres femmes, conclure d'un symptôme à un autre parce que Dieu, en suivant ses lois, peut aussi à tout moment les changer : lors de la conception et une fois encore lors de la naissance. Elle qui sait qui elle est, elle ne se connaît pourtant pas parce qu'elle dépend de ces lois non écrites, de ces lois d'exception de Dieu. Par sa conception, elle sait que Dieu peut tout le temps changer. En comprenant de plus en plus que Dieu n'est pas lié à ses propres lois, elle acquiert une connaissance de Dieu plus profonde ; c'est ainsi qu'elle perçoit que la semence de Dieu en elle, le Fils, la transforme spirituellement. Elle saisit que les modifications corporelles ont les rapports les plus étroits avec les modifications spirituelles. Le corps et l'âme sont compris dans une transformation qui dépend de Dieu seul. Des choses mûrissent en elle dont elle ne peut parler à personne.

 

28 mars

Marie ne doute aucunement que la grâce de Dieu lui a envoyé l'ange, que du côté de Dieu tout était grâce. Mais elle sait pareillement qu'est exigé le don total d'elle-même ; et qui peut dire de lui-même qu'il correspond parfaitement à Dieu ? Elle ne s'intéresse pas à elle-même, elle ne se situe pas dans sa relation à Dieu ; mais pour le devenir de l'enfant, elle a quand même une mesure : elle sent la croissance d'un être humain et elle sait que le Fils de Dieu doit naître. Entre ce qu'elle éprouve et ce qu'elle sait, il y a de la place pour de l'angoisse. Elle ne peut pas se consoler en se disant que de toute façon elle n'est capable que de ce qui est humain. Car finalement c'est l'attente de Dieu qu'elle doit satisfaire. Elle doit être celle qui donne naissance à Dieu. Le temps qui s'écoule entre l'apparition de l'ange et la naissance est long. Plus le temps passe, plus l'enfant grandit en elle, plus grandit la certitude que la naissance approche et plus s'éloigne l'apparition de l'ange. La réalité humaine se développe aux dépens apparemment de la réalité divine. Mais sa tâche lui prescrit d'être un intermédiaire entre les deux : la mère humaine comblée par Dieu.

 

La femme qui dit : "Heureux le corps qui t'a porté" (Lc 11,27) reconnaît en Marie la première créature humaine qui, par l'incarnation du Fils, parvient à son parfait accomplissement ; la Mère est bienheureuse non seulement par sa foi, par sa personnalité spirituelle, mais déjà par son corps. Elle l'est par l'accomplissement de sa nature maternelle et de ses devoirs de femme étant donné qu'elle sert parfaitement son Fils avec son corps comme toute femme est appelée à servir son enfant. La croix n'est pas encore là, il y a d'abord la vie publique. Mais celle-ci n'est parvenue à son achèvement que par les trente années cachées ; ce n'est pas seulement la croix qui rachète, l'arrivée du Fils déjà rend bienheureux.

 

29 mars

L'ange qui fut envoyé à Marie lui annonce quelque chose qu'elle n'avait aucunement attendu.


 

A l'instant où Marie dit oui à l'ange, il est clair pour elle qu'elle souffrira, que sa virginité ne sert qu'à être plus sensible à la douleur, qu'à pouvoir être labourée plus profondément. De sorte qu'elle ne sera plus qu'une unique douleur : pour son Fils, pour le monde, pour tous nos péchés. Quand ensuite elle est transpercée, elle se souvient : c'est cela qu'elle a attendu depuis toujours. C'est la raison dernière du oui que l'ange lui a demandé, ce qui se réalise maintenant, c'était finalement un oui de douleur, d'affaiblissement, un oui à l'impossibilité de se comprendre encore elle-même. Marie se donne à l'Esprit.


 

L'Esprit, qui a mis dans le sein de Marie la semence pour la naissance du Fils, n'a certainement pas utilisé les voies naturelles. Il apporta certes la "semence du Père", mais il n'a pas pénétré par une ouverture corporelle, il a mis une semence vivante dans le sein de la Vierge.


 

Dieu, par l’ange, a voulu entendre le oui de la Mère, et ce oui devait retentir joyeusement parce qu’elle pouvait accomplir la promesse et voir le Messie, et parce que la rédemption et la nouvelle vérité au sujet de Dieu venaient dans le monde.


 

L'Ave Maria quotidien, même répété d'innombrables fois, ne s'use jamais. Le mystère se rapproche, dans son caractère de mystère il devient plus digne d'être aimé, il nous fait pressentir la plénitude de Dieu. Surtout son amour.


 

De même que l'Esprit a fait de Marie la mère du Fils, de même c'est lui qui fait d'elle la mère de tous les hommes.

 

En frappant le Seigneur, les hommes croyaient s'en débarrasser pour toujours ; mais en le frappant, ils déclenchèrent tout l'événement de la rédemption.

 

30 mars

Le Christ est Dieu, il est devenu homme de la semence de Dieu ; il faut le miracle de l'incarnation pour que lui, qui est un esprit divin, puisse s'adapter à un corps humain. Mais une fois devenu homme, il reçoit de plus du Père, dans son corps, une force qui rend celui-ci capable de vivre avec son esprit dans une harmonie heureuse, qui le rend en même temps capable de souffrir d'une manière voulue par Dieu.

 

Adam et Ève forment un couple, mais Ève vient après Adam, pourtant elle lui est égale et elle commet avec lui le péché. Le Christ et Marie aussi forment un couple ; mais Marie vient au monde avant son Fils, elle n'est pas son égal dans la mesure où il est Dieu de toute éternité. Elle ne pense pas non plus à une égalité de droits, elle pense seulement au service. Mais quand le Fils l'élève de telle sorte que les deux forment malgré tout un couple, tout comme le Christ en tant qu’Époux et l’Église en tant qu'épouse sont un couple, la Mère laisse faire parce qu'elle sait que tout ce qu'il fait est bien fait.


 

On ne comprendrait rien au Fils sans l'Eglise, de même s'il n'avait pas eu sa mère.

 

Devant Dieu on doit posséder la liberté de faire ce qu'il veut. Pas plus que je ne peux dire : je veux être toujours dans la nuit, je ne peux dire : je veux être toujours dans la lumière. Je dois apprendre à être toujours justement ce à quoi Dieu me destine, comme un enfant et simplement et dans l'amour.


 

Lhumilité est le retrait de l’homme devant l’amour de Dieu, la simple perméabilité à Dieu.


 

On peut aimer Dieu même sans sentir cet amour.

 

31 mars

Carême

Le Fils a dit : "Père, que ta volonté soit faite, non la mienne"; le Père se souvient que la volonté du Fils et sa volonté ne faisaient qu'une volonté, et que cette volonté aspirait au salut de l'humanité et voulait le réaliser. Maintenant, ensemble, ils opèrent le salut du monde dans la souffrance : le Fils sur la croix dans l'abandon, le Père dans le ciel avec l'Esprit Saint du Fils dans les mains. Le Père voit le Fils souffrir et mourir, il le voit au bout de ses forces, livré jusqu'à l'extrême, nu, marqué des stigmates et des traces des coups.

 

Sur la croix, le Seigneur a fait l’expérience de chaque péché en l'expiant, il a fait de sa croix un centre de rassemblement auquel il est donné aux hommes de participer en le suivant par l’obéissance et le renoncement, sous les formes du sacrifice dont on peut comprendre dans la foi le rapport à la rédemption.

 

Le Père offre au Fils la rédemption du monde, et le Fils la réalise. Le Père et le Fils ne font qu’un dans leur volonté de rédemption, mais ce n’est pas une simple identité de volonté dans la mesure où le Fils a une volonté humaine et l’assume.

 

Quand nous prions, il faut nous rappeler que Dieu sait ce dont nous avons besoin s'il s'agit d'une prière de demande, et comment nous aimerions l'adorer s'il s'agit d'une prière d'adoration.

 

Nous demandons aux saints de soutenir nos requêtes auprès de Dieu parce que nous avons confiance qu'ils savent mieux que nous la bonne manière de présenter à Dieu notre prière.


 

Réflexions d’Adrienne en vacances à Ronchi, au bord de la mer, en Italie. Je dois penser aux nombreuses églises vides dans lesquelles brille la lampe du Saint-Sacrement ; aussi il y a la présence et la grâce du Seigneur et, avec lui, il y a là la prière de ceux qui prient ; on voit comment le Seigneur prend en lui cette prière, comment il désire davantage de prière et de don de soi pour la glorification du Père dans l'Esprit Saint et pour pouvoir répandre davantage dans le monde quelque chose de la grâce trinitaire.

 

1er avril

Carême

Avant la passion, il y a une prise en charge de la volonté de souffrance du Fils par le Père : il doit maintenant tenir ferme cette volonté vis-à-vis du Fils. Naturellement, c'est aussi sa volonté de Père de présenter maintenant au Fils sa "fonction" de justice. Et le Fils exige du Père qu'il maintienne cette exigence vis-à-vis de lui, le Fils. Le Fils veut racheter le monde par sa passion, mais cette volonté deviendra pour lui actuelle quand la volonté du Père exigera de lui au-delà de tout ce qu'il peut vouloir lui-même ; il peut dire et il doit dire : "Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne", quand son obéissance ne sera plus son propre don de lui-même, mais sa réponse au Père qui a pris les choses en main.

 

Le méchant connaît souvent beaucoup mieux ce qui est chrétien que le chrétien lui-même. Le diable, c'est l'image inversée de l'Esprit Saint en Dieu. Il est malin. Et cependant le diable ne connaît les desseins de Dieu que de l'extérieur.


 

Le diable ne vient pas dans l'extase mais quand le temps de l'extase est achevé. Le diable vient le plus souvent sous la forme de doutes sur l'authenticité de ce qui a été vécu, sous forme d'objections : tout cela "n'a aucun sens", on perd son temps ; sous forme de découragement. On reconnaît le diable tout de suite à sa nature "refroidissante", accablante.

 

Comment Dieu Père, Fils et Esprit se comportent-ils eux-mêmes envers le monde, nous ne pouvons pas nous en faire une idée. En tant que croyants, nous pouvons croire aux mystères de Dieu et les tenir pour vrais. Mais Dieu, quand il le veut, peut donner soudainement à l'homme une illumination sur la manière dont Dieu se comporte envers les hommes, et non seulement sur la manière dont l'homme vit pour Dieu. Vue ainsi, la mystique est un événement-source, mais un événement sans réponse, quelque chose que Dieu fait bien qu'il sache qu'il ne peut en recevoir aucune réponse. Dieu Trinité qui est sur le point de créer est encore tout à fait seul ; aucun homme n'est là qui pourrait répondre à cet acte trinitaire : personne ne peut observer l'Esprit planant sur l'abîme ni la présence du Fils et, encore moins, sa propre création par Dieu. Ce que Dieu est en lui-même dépasse tellement la créature que la créature n'est pas en mesure de l'enfermer dans des notions et dans des termes finis, ce n'est qu'indirectement qu'elle peut saisir et transmettre quelque chose de la lumière que Dieu veut bien lui communiquer.

 

2 avril

4e dimanche de carême

Nous sommes rachetés par la vie et la mort du Fils.

 

Quelque chose du Père se trouve dans le fait que nous accueillons le Fils en nous et que nous nous savons rachetés et sauvés par sa vie et par sa mort, car cela signifie l'achèvement de la mission que le Père a confiée au Fils. Si nous refusions la foi, non seulement nous augmenterions le poids de la croix, mais nous renierions aussi le Père qui voit l'achèvement de l'œuvre de la rédemption.

 

Il y a une prévenance réciproque de la part du Père et de la part du Fils. La prévenance du Fils consiste en ce qu'il a déposé sa rédemption auprès du Père pour être initié au mystère du Père. Par sa souffrance sur la croix, il a en main la clef de la rédemption ; en soi, il pourrait absoudre toutes les âmes tout de suite et tout simplement les conduire au ciel. Mais cela se ferait sans tenir compte du Père, cela ne se ferait donc pas dans l'amour du Père ni à l'intérieur de sa mission, c'est pourquoi il doit se porter, lors de sa descente au séjour des morts, à la rencontre de la justice du Père. Avant la croix, il n'y avait que l'enfer définitif ; il n'y a de purgatoire que par l'acte rédempteur du Fils.


 

Un théologien peut avoir travaillé durant des années sur un problème, par exemple la prédestination, et avoir en même temps dit son bréviaire régulièrement et convenablement sans que son travail et sa prière se soient trouvés essentiellement en contact jusqu'au moment où Dieu l'introduit inopinément dans une tout autre forme de prière, beaucoup plus personnelle, où il rencontre Dieu réellement et où il lui est donné de comprendre des choses divines qui semblent tout d'abord désordonnées et inutilisables, mais pour qu'ensuite son travail cristallise de manière neuve.

 

La prière est comme une aumône dont on sait seulement que Dieu en a un urgent besoin pour le partager aussitôt comme il l'entend. On ne peut pas donner quelque chose à un mendiant avec la charge de ne l'utiliser que selon nos désirs. Ce qu'on lui donne lui appartient, le Seigneur fait ce qu'il veut de nos prières.

 

3 avril

Carême

C'est pendant que le Fils est mort que le Père opère la rédemption du monde.

 

Dans la nuit du samedi saint, le Fils se remet au Père et à l'Esprit dans l'attente d'une résurrection ; il y a une "disparition" du Fils dans le Père. Ce n'est pas seulement un oubli de lui-même (ce l'était déjà sur la croix), ce n'est pas seulement savoir qu'il est oublié par le Père ("Pourquoi m'as-tu abandonné ?"), c'est quelque chose qui est encore au-delà de l'oubli : une ultime obéissance qui a décidé une fois pour toutes de se donner et qui est si illimitée que, le samedi saint, seuls le Père et l'Esprit disposent encore de cette volonté du Fils. Cette obéissance du Fils n'est plus du tout accessible au Fils lui-même : en tant que mort, il n'a plus la force de dire oui à son obéissance. Dans la nuit du samedi saint, le Père crée le monde pour la deuxième fois ; le Fils est entré si profondément dans le monde qu'il est devenu comme une partie de ce monde terrestre, non plus avec l'Esprit qui plane sur les eaux et qui est témoin de la création, mais comme une partie passive du monde à recréer. C'est dans l'étonnement que le Fils ressuscitera, en s'étonnant de l'œuvre du Père : il la lui a tellement abandonnée qu'il n'en avait pas une vue d'ensemble. C'est pendant qu'il est mort que le Père opère la rédemption du monde. On ne voit guère le passage qui va des tourments qu'il a endurés sur la croix à la joie qui est la sienne à sa résurrection. Et pourtant il y a là un passage : le chemin dans la nuit durant laquelle il s'est remis entre les mains du Père avec le monde et même aussi avec l’enfer.

 

4 avril

Carême

La rédemption, c'est que le Fils ramène au Père tous les hommes.

 

Par sa souffrance, Marie amène au Fils les cœurs fermés : elle les ouvre parce que son propre cœur a été ouvert par le glaive.

 

Quand le Fils est mort sur la croix, il est allé pour nous à la rencontre de la lumière. En portant notre péché, il nous a portés à la rencontre du ciel. Nous avons été sauvés sur la croix.

 

Nous, humains et chrétiens moyens, le Seigneur n'est pas venu nous éduquer pour nous amener à une quelconque médiocrité meilleure, il est venu pour nous arracher à l'enfer, nous qui étions perdus, et nous conduire au ciel.


 

A propos d'une stigmatisée. Devant Dieu, elle a peur parce qu'elle sait très bien qu'elle ne fait pas sa volonté, qu'elle s'est installée dans le faux, mais on ne peut pas dire qu'elle sait qu'elle triche ; par moments peut-être. Mais là où elle triche le plus, elle le sait le moins parce qu'elle ne cesse de se laisser prendre par elle-même. Elle ressemble à un artiste qui peint un tableau horrible, mais non sans traces de bon goût. Il voit ce qu'il a fait et il est épouvanté. Il sait l'allure que le tableau devrait au fond avoir. Puis arrive quelqu'un qui commence à le louer et à le trouver bon et original. Et l'artiste se dit : finalement, il n'est peut-être pas si mauvais, peut-être que l'ensemble est bon, il n'y aurait que des détails à améliorer. Ainsi, quand cette mystique a un admirateur ou un directeur qui la croit, elle se sent élevée, et elle continue à jouer naïvement. Elle est contente quand d'autres y croient et qu'ils assument par là une responsabilité. Elle a une certaine finesse paysanne: "C'est quelqu'un qui a fait des études, il doit bien savoir !" Bien que d'autre part elle soit assez intelligente pour comprendre combien son jeu a ébranlé toute sa foi.


 

5 avril

Carême

A propos d'une religieuse du XVIIIe siècle. Sa prière serait bonne en elle-même. Elle prie avec piété et avec goût, elle a un grand besoin d'une vie de prière. Mais ce qui est faux s'y glisse partout. Dès qu'elle joint les mains pour prier, elle n'est plus tout à fait sûre de faire ce qui est juste. C'est comme si elle devait se montrer sous un faux jour, comme si tout était en quelque sorte mélangé.

 

Dans le purgatoire, on est dépouillé de toute dignité propre. Il y règne une froide intransigeance. Le bourreau semble même "de mauvaise humeur" en quelque sorte, peut-être que son travail ne lui procure aucun plaisir. Dans le purgatoire, il n'existe aucune espèce de relation humaine, aucune trace de compassion, c'est un travail de justice. Naturellement on ne peut pas dire que le Seigneur trouve sa "joie" dans le purgatoire. Pendant qu'il le gère, il demeure invisible, ce sont pour ainsi dire des mains étrangères qui pétrissent l'âme. L'impression d'être "transformé" éveille une légère lueur d'espoir : il se passe pourtant peut-être quelque chose. Mais non, il n'y a pas d'écoulement du temps, je reste le même. Le processus vise une compréhension rapide comme l'éclair : tout cela était grâce. Mais pour arriver à ce que tout ce qui était faux tombe de quelqu'un, comme le Saul de Paul, il n'y a pas de "développement". Je reste en quelque sorte livré à moi-même ou au pouvoir du processus sur lequel je ne peux pas agir. Ce que le processus opère en moi me semble pour l'instant dénué de sens parce qu'aucun résultat ne se fait sentir.

 

Prière d’Adrienne enfant. Seigneur Jésus, je te remercie pour cette journée. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi et pour tous ceux que j'aime, et je te demande de permettre que tous ceux que j'aime soient aussi ceux que tu aimes, c'est-à-dire tout le monde. Je te demande de me prendre toujours plus, de m'apprendre à faire ta volonté et à mettre entre tes mains tout ce que je suis et deviendrai.

 

6 avril

5e dimanche de carême

Le Père laisse au Fils sa volonté propre qui, en son fond ultime, coïncide avec la volonté de mission du Père. Comme si, à la croix, il y avait une sorte d'inversion de la demande : "Que ta volonté soit faite, non la mienne".

 

Dieu est un Dieu d'ordre qui crée aussi de l'ordre avec ses trois conseils ; ils ne sont pas accidentels et remplaçables, ils sont immuables. Désordre dit fardeau pour l'esprit, pour la vie, intérieurement et extérieurement. Qui a du désordre n'est pas pauvre, il possède trop et possède ce qu'il a dans un esprit faux ; le désordre l'empêche d'adapter son esprit à l'exigence de Dieu. Il devrait utiliser beaucoup de son temps éphémère à mettre un jour de l'ordre et à créer par là un vide, une attente, une docilité, une disponibilité. Au milieu du désordre actuel, il ne peut pas vouloir attendre l'arrivée du Christ et de la vie éternelle. Celui qui veut communier doit s'être confessé, être libre pour Dieu et ne pas opposer des empêchements à la venue de Dieu par le désordre de ses péchés.


 

Dans sa descente aux enfers le samedi saint, le Fils apprend à comprendre pourquoi le Père laisse faire le diable. Il apprend pour ainsi dire à comprendre la longueur de la chaîne par laquelle le Père tient le diable. Le Père a laissé au diable tout l’enfer. L’enfer est le mystère de l’absolu. Le diable a la permission de tenter, Dieu lui laisse cette liberté. Nous ne pourrions pas être tentés si Dieu n’avait pas la possibilité de mettre un terme à la tentation.


 

Le diable est comme le marchand forain du péché. Il expose tout son magasin.


 

7 avril

Carême

Supposons que je t'achète quelque chose qui dépasse totalement mes moyens, me condamne à la pauvreté et que je voie la joie que tu en retires ; il ne me vient pas à la pensée que j'ai fait le pire, j'estime au contraire qu'il est beau que tu sois heureux. C'est ainsi qu'à présent le Fils voit la croix : comme la joie du Père.

 

Le Fils est allé à la croix tel qu'il était, il a souffert et il est mort avec ce qu'il avait, démuni certes de toute aide, mais avec sa nature de Fils ; ses paroles étaient des paroles du Fils, elles correspondaient à sa personnalité, à sa mission de glorifier le Père.

 

Le Fils a toujours vu le démoniaque dans sa relation aux hommes comme le principe le plus intime de leur non à Dieu. Par sa descente aux enfers le samedi saint, le Seigneur fait reculer toujours plus loin le démoniaque, et son domaine à lui ne cesse de s'étendre. Ce qui se trouvait auparavant des hommes dans le domaine du démoniaque passe dans le domaine du Seigneur. La chaîne du diable est si raccourcie qu'elle se limite au domaine de l'enfer où il se trouve lui-même.

 

La séparation entre le ciel et l'enfer existe depuis toujours parce que le diable et l'enfer c'est ce qui ne peut exister dans le domaine de Dieu. Lors de la création, le ciel et la terre furent séparés, et la terre fut attribuée à l'homme. Mais l'homme a péché et le diable a acquis sur terre un pouvoir. Le péché a reçu un visage humain : ce n'est que lorsque Adam se reconnaît lui-même comme pécheur qu'il sait ce qu'est le péché. C'est à cette figure humaine que le diable s'accroche de sorte que Dieu le Père doit envoyer son Fils avec une forme humaine pour rencontrer le diable et l'éliminer. Quand le diable envahit la terre à partir de l'enfer, quand il fait irruption dans la bonne création de Dieu, l'opposition entre le Père et l'enfer devient dramatique : il envoie son Fils sur terre pour donner réponse à la ruse du diable par une super-ruse d'amour.


 

8 avril

Carême

Quand le Fils ressuscite, il est pur, mais comme celui qui a porté le péché. Et quand l'homme arrive au ciel, lui aussi doit être pur bien qu'il ait commis le péché, son visage doit être libre de la grimace du péché.


 

Dieu s’intéresse à tout le monde. Dieu possède avec chacun une relation particulière même là où elle n’est ni vue ni comprise, même là où on la rejette. Dieu est partout beaucoup plus intéressé que nous ne le pensons. Dieu a de moi une image positive, même s’il y a un écart entre cette image et le négatif que je fabrique. Dieu a de moi une image de perfection, ce que Dieu espère de moi. Dieu a des désirs. Le Fils veut nous présenter au Père parce que cela fait la joie de son humanité d’apporter au Père un être humain de plus. Dieu voudrait nous voir totalement séparés du péché.

 

En enfer, le diable est enchaîné. Le Fils ne va pas jusqu'à lui le samedi saint. Mais chaque pas qu'il fait en enfer réduit le domaine du diable. Chaque pas raccourcit la chaîne. Comme si le diable avait tout d'abord été lié à une chaîne si longue qu'il ne la sentait pas et qu'il pensait pouvoir se promener librement. Par la croix, la chaîne ne cesse de se réduire. Le serpent est lié et, à l'inverse, Dieu peut se promener toujours plus librement dans sa création comme autrefois au paradis. La dernière conversation vivante du diable avec Dieu a eu lieu lors de la tentation au désert. Le diable s'est dispersé en tous les hommes, mais le Christ s'est prodigué en chaque homme. Le diable était le mal vivant qui avait pris le visage du serpent et s'était multiplié comme la mauvaise herbe sans cesser d'être un. Le Seigneur repousse le mal dans l'endroit le plus reculé de l'enfer et il rend libre à nouveau l'espace pour le paradis.


 

Par son cri d’abandon sur la croix, le Fils montre qu'il est capable de porter plus de péché que l'enfer n'en peut contenir. Dieu triomphe du diable. Marie met son pied sur le serpent.


 

9 avril

Carême

Le Fils va vers la croix comme l'agneau de Dieu qui n'ouvre pas la bouche, n'émet aucune prétention, même pas celle de comprendre. Le Fils n'argumente pas : "Il serait certainement mieux d’œuvrer ici-bas encore quelques années, j'ai à peine commencé, il y aurait encore tant d'atouts à gagner pour le Père et pour son royaume". Finalement il sacrifie à la seule obéissance tous les atouts qu'il pourrait encore déployer au service du Père. Cela fait partie essentiellement de la croix, plus essentiellement que toutes ses souffrances physiques.

 

Saint Benoît, c'est la confrontation du diable et de l'homme, mais aussi du diable et de Dieu. Benoît voit le combat de Dieu contre le démon. Dans le diable, il voit en partie le péché, en partie l’adversaire de Dieu, dont l'action ne se limite pas à mettre du péché dans le monde ; le diable est celui qui est le mal en personne et qui donne à Dieu de quoi faire, Benoît le rencontre aussi bien dans son milieu que dans le monde d'une manière générale ; il n'en fait pas l'expérience comme Vianney par exemple, dans une sorte de lutte physique, mais dans la prière, en vision, et aussi comme une sorte de menace qu'il ressent physiquement et dont il est convaincu qu'elle existe pour les hommes. Dans cette gêne que lui cause le mal, le diable est aussi pour lui comme incarné. Non qu'il ait eu des tentations particulièrement violentes, mais il ne cesse de voir sa mission divine contrariée, sans cesse il voit le mal se mettre entre lui et ceux qui lui sont confiés, et même lui tendre des pièges là où il ne s'y attendait pas. Il voit le mal se répercuter dans les difficultés quotidiennes, mais aussi dans les grands mouvements antichrétiens ; il le voit aussi dans le combat que ses moines doivent soutenir pour rester fidèles, pour saisir leur mission de demeurer dans la prière. La bonté personnelle que Benoît rayonne, ses maximes personnelles pour tout le monde, sa théologie, ne doivent pas être comprises sans cette conscience de la tentation. Le Ora et labora (Prie et travaille), en tant que principe supérieur, attache l'esprit à Dieu et le corps au travail si bien qu'il ne reste pas de place pour le diable, car Benoît sait qu'il est un adversaire spirituel aussi bien que corporel. La conscience qu'il a de l'existence du mal équivaut à la conscience qui est la sienne qu'il faut combattre le mal, qu'il faut résister vigoureusement, pour que l'homme puisse se maintenir auprès de Dieu.


 

10 avril

Carême

Il serait facile pour le Père d'étendre autour de la croix sa main protectrice ; elle est assez grande et assez puissante pour le faire, mais justement il ne lui est pas permis de le faire, car il doit participer à l'impuissance du Fils. Comme si cette impuissance ouvrait au Père une nouvelle possibilité : ne pas pouvoir, bien qu'il en ait le pouvoir. Quelque chose comme assumer une impuissance volontaire. Non seulement le Père n'a pas le droit d'envelopper la croix de manière à l'enlever au Fils, mais il doit prendre part à la mise en croix du Fils.

 

L'Esprit a rendu possible l'incarnation, c'est lui qui a fait que la semence du Père devienne homme dans le sein de la Mère. Le Fils donne aux disciples son corps qui n'a pas encore souffert, son corps intact aux disciples qui doivent être conduits dans ce qui est intact. Il confie à tous les croyants (qui sont en même temps pécheurs) son corps intact qui donnera à leur corps d'être intact. Puis le Fils souffre en son corps qui est torturé jusqu'à la mort et il retourne au Père ; il ne peut pas dire au Père : "Tu vois, Père, comment ils m'ont torturé jusqu'à la mort", car auparavant il a déjà mis son corps dans les corps blessés des disciples. Après leur communion, les disciples pécheront même plus gravement qu'avant : Judas, Pierre ! Et après la croix : Thomas ! La rédemption n'enlève pas le péché du monde ; chacun doit faire ses preuves dans la tentation, mais le Seigneur donne le salut et les disciples restent des exemples pour ceux qui seront sauvés.


 

Saint Philippe Neri (+ 1595). Chaque fois qu'il a adoré le Christ enfant ou le Seigneur adulte ou le Christ sur la croix ou Dieu le Créateur ou l'Esprit Saint, il cherche à leur faire des surprises, à leur offrir quelque chose, à leur ménager de petites joies. Ce n'est pas une manière humaine incongrue de se représenter Dieu, c'est le besoin de participer tellement à l'amour et de pouvoir le manifester. Son amour pour Dieu porte un caractère très humain, mais qui plaît à Dieu : il a le souci de la variété. Il devrait en quelque sorte se mépriser s'il adorait Dieu chaque jour de la même manière. Il ne voudrait pas fatiguer Dieu. Et comme lui-même ne se sent jamais fatigué par Dieu, il voit par là que les chemins de l'amour de Dieu sont infiniment variés.

 

Personne ne peut dire qu'il a étudié la science chrétienne et qu'elle l'a laissé froid. Si c'était le cas, la cause en serait qu'au cours de son étude, il y a eu résistance consciente.


 

11 avril

Carême

Saint Antoine le Grand. Ses tentations sont provoquées par son amour. Le diable s'essaie sur lui ; Antoine n'en sort pas vainqueur avec son propre amour mais avec l'amour de Dieu.

 

La pénitence a pouvoir sur Dieu pour lutter contre ceux qui blasphèment. Par contre, on ne peut rien pour les blasphèmes du diable, il ne peut pas se convertir.


 

Le diable vit, certes, mais Dieu est plus grand que lui : savoir cela avec la solidité du rocher. Qui ne voit pas ou ne pressent pas Dieu derrière le diable, il ne lui est pas permis de scruter le mal. Quand on s'occupe du péché, se tourner aussitôt vers l'expérience de Dieu, qui est plus grande, pour nous occuper du mal dans l'immunité de Dieu.


 

La volonté de faire le mal est si grande dans le diable qu'il n'a pas besoin de décision ou de réflexion pour faire le mal.


 

12 avril

Carême

Au mont des oliviers, le Fils se trouve devant la volonté du Père qui lui paraît absolue, inaccessible, étrangère. Il la regarde avec étonnement, il la regarde presque fixement, comme s'il ne pouvait plus la mettre en harmonie avec ce qui lui avait paru durant toute sa vie être la volonté du Père. C'est maintenant un oui énorme, démesuré, qui lui est demandé :"Non pas ma volonté, mais la tienne". Auparavant, entre la volonté du Père et la volonté obéissante du Fils, il n'y avait aucune tension ; il y avait la vision qui montrait toujours au Fils la volonté du Père comme étant ce qui était le plus digne d'efforts et la faisait aussi embrasser. Maintenant la volonté du Père est comme à côté du Fils, autour de lui, non plus en lui au fond ; en lui, il n'y a que son oui humain donné au Père.

 

Le mystère suprême du Père qui a créé le monde, c'est qu'a été laissé au démon le pouvoir de séduire l'humanité.

 

Le Fils ne peut pas faire autrement qu'aimer le Père, il sort du Père pour nous montrer comment on l'aime. Rien ne peut lui arriver qui le rende étranger au Père ou aux hommes. Les disciples courent toujours le danger de ne pas faire ce que le Père attend d'eux ; le Fils ne connaît pas ce danger. Le Fils n'est que service du Père. Tout, pour lui, est conversation avec le Père.

 

13 avril

Dimanche des rameaux et de la passion

Le Fils n'est pas en mesure de faire venir l'heure prématurément, il doit persévérer jusqu'à la fin. Il persévère dans l'angoisse que personne ne lui enlève : ce n'est ni le Père lors de la prière au mont des oliviers, ni les disciples : ils dorment. Le Fils doit se tenir prêt, mais personne ne répond, personne ne lui donne de signe. Il attend sans voile, sans être sûr du tout de l'heure qui vient.


 

Le Fils voit les disciples endormis comme une image de l’Église qui a glissé. Les disciples dorment au mont des oliviers parce qu'ils ne suivent plus. Il suffit que le Seigneur fasse un pas dans sa solitude pour qu'il devienne pour eux irréel. Maintenant la réalité de leur fatigue physique se fait envahissante. Ils dorment non par indifférence, mais parce qu'ils se heurtent à une limite qu'ils ne peuvent franchir. Ils ne voient pas la limite, mais le Seigneur la voit et il doit trois fois franchir le seuil. Il en fait l'expérience comme un homme fatigué, dont on exige trop, qui voit devant lui une grande angoisse. S'il avait autour de lui ses disciples en train de veiller et de prier, le rapport avec eux serait évident et la grande angoisse serait au moins atténuée. Le fait que ses disciples sont en marge, le Seigneur le vit comme une défaite personnelle. Tout l'amour qu'il a semé ne va pas plus loin que cet écueil où ils échouent. Il y a en même temps une défaillance en lui-même parce qu'il est arrivé au mont des oliviers dans les mêmes conditions physiques qu'eux et lui non plus n'en peut plus. Pour eux la défaillance peut se changer en sommeil, pour lui elle se change en angoisse. Cette angoisse est encore beaucoup plus insupportable parce qu'il fait là l'expérience du bout de ses forces, et la supériorité de l'angoisse sur sa force lui semble étrangère et inconcevable. Mais à lui, l'Homme-Dieu, il est demandé davantage qu'aux autres, qui s'endorment de fatigue. A lui, il est demandé de passer de la fatigue à l'angoisse et, ici, il est seul. Il se trouve simplement en face du Père, sans qu'il y ait rapprochement, sans intimité. Devant lui se trouve l'exigence inexorable du Père. La mission de racheter le monde ne lui paraît maintenant en aucune manière comme étant sa propre pensée, mais comme étant la pure exigence du Père.

 

14 avril

Lundi saint

Les disciples qui accompagnent le Seigneur au mont des oliviers ont certes un désir de lui appartenir qui pénètre tout leur être, mais chaque fois qu'ils sont appelés à comprendre, leur esprit se dérobe. La chair est faible, mais surtout parce que leur esprit n'est pas encore formé. Au mont des oliviers, ils sont saisis par le spirituel et ils ne savent que faire. Ils voient que le Seigneur entre dans une grande souffrance. Chacun des trois éprouve les choses de manière très différente. En voyant la souffrance du Seigneur, l'angoisse saisit Pierre : il pourrait lui aussi sombrer dans la souffrance. Il a pitié du Seigneur, il voudrait bien aider, mais il ne sait pas comment. Il éprouve l'angoisse d'un homme qui, devant une catastrophe, voudrait trouver une solution quelconque, mais qui ne voit aucune solution. Il ne peut pas surmonter son angoisse. C'est comme l'angoisse d'un paysan qui regarde sa maison en flammes et son bétail brûler. Jean a l'angoisse de l'amour. Il a de l'angoisse pour le Seigneur, et il craint de le perdre. Il n'a peut-être pas été à la hauteur, il n'a peut-être pas tout donné, il n'a pas su au fond ce qu'était l'amour. Il ferait tout pour sauver l'amour, mais il ne voit pas ce qui peut arriver. Jacques a une angoisse qui ne peut se formuler, qui ne peut se justifier, un malaise qui le saisit tout entier, corps et âme, et il est contaminé par l'angoisse des deux autres. Il voudrait venir en aide aux deux pour qu'ils puissent aider le Seigneur, il voudrait se prodiguer, mais il ne sait pas comment. Ils dorment par pur désarroi, ils ont le sentiment que leur heure n'est pas venue, ils laissent le Seigneur chercher seul la solution. Jean est tellement accablé d'angoisse et de tristesse que, comme un enfant, il s'endort en pleurant. L'exigence spirituelle démesurée les a tous épuisés. Le Fils doit aller seul dans sa passion. De ce point de vue, il est clair que les disciples doivent dormir, également que Pierre le renie ; le Seigneur ne doit pas pouvoir s'appuyer maintenant sur eux, il ne doit trouver en dehors de lui aucun point où il pourrait prendre appui. Il n'y a pas de planche d'appel. Le Fils, dans l'angoisse, ne peut se référer à rien qui ne soit pas vacillant.


 

15 avril

Mardi saint

Quand le Fils a commencé sa propre nuit par sa prière au mont des oliviers, où il a promis de laisser se faire la volonté du Père et d'être totalement à sa disposition, il l'a fait en public d'une certaine manière, en invitant trois de ses disciples (qui s'endormirent à vrai dire) à participer par leur présence et leur prière à son dialogue avec le Père et à être témoins de ce qu'ils pouvaient saisir.

 

Au mont des oliviers, il y a une ignorance des disciples. Le Seigneur souffre aussi pour eux ; ils reçoivent par là un surcroît d'amour qu'ils ne peuvent pas percevoir, qu'en mettant les choses au mieux ils devineront plus tard. Cette sorte d'amour que le Seigneur donne dans le secret de sa passion qui commence, dans l'angoisse devant l'inéluctable, passion qui doit être soufferte inexorablement vu la somme du péché : cette sorte d'amour restera et les siens sont invités à y participer. Les apôtres dorment au mont des oliviers quand le Seigneur aurait besoin de leur aide, ils le renient quand il devrait pouvoir compter sur leur témoignage. Mais il ne laisse pas tomber cette Église stérile, il l'emmène avec lui plus loin vers la croix. Au mont des oliviers, les disciples auraient dû entretenir l'amour spirituel par la prière au lieu de succomber à la faiblesse de la chair et de dormir. Au mont des oliviers, les apôtres dorment. Ce sommeil n'était peut-être pas ce qu'ils pouvaient faire de pire. Il y avait là aussi pour eux une large part d'épuisement physique. "Veillez pendant que je vais prier". On pense d'habitude aux disciples qui dorment, on pense plus à leur sommeil qu'à l'ordre du Seigneur. C'est cet ordre qui occupe le centre. A chaque instant le Seigneur s'attend à ce que son appel : "Veillez !" trouve naturellement un écho. Mais c'est comme s'il faisait toujours, maintenant justement, l'expérience de la trahison. Comme si le temps du mont des oliviers n'avançait plus. Comme si l’Église le décevait sans cesse, à tout instant.


 

16 avril

Mercredi saint

Le Seigneur se fait accompagner au mont des oliviers. Les disciples qui l'accompagnent ont une double tâche. Pour l'une, on n'en dit pas un mot, elle va de soi : accompagner tout simplement le Seigneur afin qu'en tant qu'homme il ne soit pas seul et que les siens assistent à distance à sa conversation avec le Père, ce qui suppose qu'ils prient eux-mêmes. C'est la tâche des disciples à laquelle ils sont habitués. Puis le Seigneur leur demande de veiller avec lui : il rompt le silence pour leur tracer une nouvelle tâche ; sa parole est audible, elle a toute la force de son autorité qui exige l'obéissance. Les disciples accompagnent le Seigneur physiquement jusqu'au lieu où il les laisse et ils s'écartent alors de l'attitude qu'il leur a demandée, ils ne sont pas assez forts pour prier et pour l'accompagner spirituellement. Quand, dans son angoisse, le Seigneur retourne auprès d'eux et qu'il les trouve endormis, cela ne fait qu'augmenter son angoisse. Il voit le dur chemin qu'il a devant lui, et il a parlé avec le Père de la possibilité que le calice passe loin de lui. Cela devient déjà plus dur maintenant, jusqu'à l'insupportable, vu que les disciples refusent de l'accompagner, que leur puissance de prière est si limitée qu'ils se dérobent malgré sa demande expresse. Pour le moment, ils sont incapables de partager l'angoisse du Seigneur. C'est ici qu'est visible la tiédeur de l’Église, mais aussi la faiblesse du Seigneur vis-à-vis de son Église. En tant qu'homme, il n'est pas en mesure de faire usage parmi nous de la force dont il aurait besoin pour briser la résistance qui s'oppose ici à lui. Non certes à cause d'une faiblesse de Dieu vis-à-vis de sa créature, mais en vertu d'une faiblesse de Dieu qui a choisi lui-même d'aller tout seul sur le chemin de l'abandon.

 

17 avril

Jeudi saint. La Cène du Seigneur

A la dernière Cène, le Seigneur met sa chair et son sang au service du monde, il se rend présent dans le pain et le vin. A l'avenir il vivra dans les hommes quand seront accomplis l'œuvre de la croix, l'abandon du samedi saint, les retrouvailles avec le Père à Pâques, et que sera définitivement remise à l’Église toute cette œuvre de la rédemption comme preuve qu'est parfaitement accompli ce que la dernière Cène avait promis. Dans une fidélité éternelle dont l'union conjugale est une image, le Seigneur se promet à son épouse de manière toujours nouvelle, il s'offre à elle infailliblement en chaque transsubstantiation et en chaque communion avec une plénitude qui ne perd rien de sa force à travers les millénaires.

 

Le Seigneur s'offre dans l'eucharistie de l’Église ; il peut répéter à l'infini l'acte dans lequel il s'offre ainsi à l’Église. La chair et le sang qui sont donnés, il ne peut plus les reprendre, ils appartiennent à tous. La présence cachée du Seigneur dans le tabernacle n'est pas non plus le signe qu'il se reprend, cette présence cachée est conservée en attendant, pour que soit mangé plus tard ce qui a été donné. Le tabernacle est tout au plus le sein de l’Église, ce n'est pas le retour du pain consacré à l'existence céleste du Seigneur ; le pain consacré est conservé dans l’Église pour être distribué plus tard à tous. L'eucharistie n'est pas divisée par le nombre d'hosties, elle est fécondité absolue en elle-même, multipliable à l'infini sans être réduite. En chaque parcelle, il y a le corps entier du Seigneur.

 

Dans l'eucharistie, le Seigneur accomplit ce qu'il y a de plus parfait possible en fait de don de lui-même. Il va le chercher dans ce qu'il y a en lui de plus intime, à une profondeur qui est pour lui-même cachée et mystérieuse, qui se trouve dans son unité divine avec le Père et l'Esprit Saint. Cette force du don que le Fils fait de lui-même vient d'une profondeur semblable à celle d'où vient la force qui sort de lui quand il opère un miracle.


 

18 avril

Vendredi saint. La passion du Seigneur

Nous ne comprendrons jamais vraiment ici-bas ce que le Fils de Dieu a accompli sur la croix.


 

Le Seigneur sur la croix essaie de prier : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" Dieu ne répond plus à Dieu. Le Père entend l'appel du Fils, mais il ne réagit pas. Ce silence du Père doit engager le Fils dans un isolement extrême ; il doit goûter la dernière goutte du calice qui est beaucoup plus amère que tout le reste. La soif sur la croix, les douleurs, le mépris du monde, l'abandon par les disciples : tout cela n'est presque rien comparé avec l'absence de réponse du Père. Tout cela serait supportable si le Père l'encourageait et était là. Auparavant, le Fils connaissait toujours cet encouragement du Père. Maintenant, définitivement, il n'a pas le droit de le savoir. C'est bien pire que la mort d'un amour. L'existence du Père est sans doute supposée dans la question de l'abandon. Ce que fait le Père est pire qu'une absence, pire que le fait qu'il soit perdu : c'est l'acte voulu de laisser tomber.

 

Le Seigneur dit au larron : "Vraiment, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis". Il ne lui dit pas : "C'est pour toi que je suis sur la croix et que je supporte telle et telle souffrance". Il souffre pour tous, tellement pour tous que ceux-là aussi qui semblent destinés à l'enfer ne sont pas exclus de sa souffrance. Il donne comme consigne à ses apôtres, là où ils ne sont pas reçus, de secouer la poussière de leurs pieds et d'aller plus loin. Ces limites de l'action, le Seigneur ne les connaît pas dans sa passion. "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis". Dans l’abandon du bon larron, il y a un don que Dieu lui fait, Dieu lui donne par avance quelque chose de la grâce.

 

On ne peut sûrement pas dire que tout le monde donne un oui (corédempteur) à la croix dans un sens ou dans un autre, du moins pas en ce monde. Le Seigneur s'en va et il accomplit son œuvre sans interroger les hommes un à un. Et pourtant sa mère a donné un oui qui (par substitution) signifiait l'accord de l'humanité dans son ensemble.

 

La plus grande douleur qu'on puisse infliger au Père, c'est de tuer son Fils.

 

19 avril

Samedi saint

Avant la passion, le Fils parlait sans doute de ses relations avec le Père ; pour les croyants, il menait une vie d'obéissance au Père ; pour les non croyants, il menait la vie d'un homme qui suit ses propres chemins, qui prend ses propres décisions, qui en toutes choses prend une direction qui ne fait qu'un avec sa mission qui, humainement parlant, consistait à rassembler des hommes, à leur donner son enseignement, à les éduquer selon son système pour en faire les gérants et les pratiquants de ses conceptions. Quand arriva l'heure et que commença sa passion, il fut visible qu'il se livrait totalement à cette heure, qu'il se détachait de tout ce qui n'était pas compatible avec elle, il se perdit et mourut en elle ; pendant "trois jours", on ne sut plus rien de lui jusqu'au moment où, chargé de nouveaux mystères, il revint à ses disciples avec des paroles qui ébranlèrent le monde, porteur d'un fruit qui n'était dû qu'à son obéissance, mais qui était arrivé à maturité parce que Dieu le Père, par cette obéissance, intervint personnellement et changea le cours des choses.

 

Ce qui est curieux, c'est que l'Esprit Saint n'inspire aux évangélistes au sujet de la descente aux enfers rien de plus que le fait qu'elle ait eu lieu. Comme si l'Esprit s'en tenait strictement au fait qu'il a été rendu au Père par le Fils sur la croix ; comme s'il ne disait rien, conformément à sa mission, comme s'il ne voyait et n'entendait pas, comme si le Seigneur aussi se taisait quand les évangélistes mettaient par écrit leurs évangiles. C'est un silence dans le silence du Père. Silence du Fils, silence de l'Esprit, il n'y a aucun mot à ce sujet ; le Fils, qui dès le début était la Parole, est maintenant une Parole silencieuse et discrète.

 

L'enfer ressemble à une blessure qui a été ouverte par le tremblement de terre, donc par la mort du Seigneur. En y entrant, le Seigneur ouvre continuellement cette blessure. Il l'examine à la lumière par sa venue, en continuant à avancer de manière intrépide. Comme s'il ne remarquait pas qu'il fait toujours plus sombre. En un certain sens, il fait toujours plus sombre jusqu'à ce que soit Pâques ; il patauge, il passe à travers des ténèbres toujours plus profondes jusqu'à la lumière de Pâques qui rayonne de lui, l'atteint, parce qu'elle lui est renvoyée par le Père.

 

20 avril

Dimanche de Pâques

Le Seigneur apparaît aux disciples le soir de Pâques, toutes portes étant closes. Celui qui dit dans la foi : "Seigneur, reste avec nous" se trouve dans la grâce de l’expérience des apôtres. Le plus petit acte d’adoration véritable fait toucher Dieu. Toutes les possibilités de la foi, depuis l’absence totale de vision jusqu’à la vision parfaite, se déploient à partir de cette salle aux portes closes. Qu’on soit voyant ou non est secondaire par rapport à la réalité primordiale qui est celle-ci : dans la foi, Dieu se tient à notre disposition, il vient à nous, il se manifeste à nous, que nous le voyions ou non. Et cependant une vie chrétienne peut très bien se dérouler entièrement dans la foi aveugle. Tout entraînement à essayer d’expérimenter l’au-delà est faux, tout désir déjà même de l’expérimenter : cela dépend uniquement de la grâce du Seigneur de l’accorder.

 

Il y a une triple croix : celle du Père, celle du Fils et celle de l’Esprit, mais elle est dépassée à Pâques dans la joie. Tout d’abord les croix semblaient séparées, puis elles coïncidèrent pour former une unique croix trinitaire. La résurrection est le résultat d’une œuvre commune, non l’œuvre isolée du Fils. Durant le temps de la passion, la communauté trinitaire ne pouvait pas être visible mais, dans la joie de Pâques, le Père et l’Esprit permettent que le Fils contemple sa croix comme une œuvre trinitaire commune. Une nouvelle forme d’unité est créée entre le Père, le Fils et l’Esprit. Finalement peu importe laquelle des trois personnes a souffert ; le Fils rétablit l’unité, et le Père et l’Esprit le laissent faire.

 

21 avril

Temps pascal

Sur la croix, le Fils a rendu au Père l'Esprit, son Esprit, l'Esprit Saint. Il est mort en en étant dépouillé, sans rien garder du Père ; il devait déjà être privé de tout le reste pour rendre encore son Esprit ; la mort ne l'a pas frappé à un moment où il ne s'y était pas encore préparé activement ; elle ne le trouva pas possédant encore quelque chose, elle vint comme la conclusion interne de la passion, quand le Fils fut dépouillé de tout, jusqu'au plus intime, et même de son Esprit. Quand il ressuscite, le Père, avec sa présence, lui rend aussi l'Esprit, il lui rend aussi la présence des hommes et celle de sa mission qui est devenue maintenant accomplissement pur et parfait de toutes les promesses du Père.

 

Tant que le Fils est dans sa mission terrestre, il témoigne du Père et de l'Esprit. Dans la résurrection, il témoigne en même temps de lui-même. Comme un artiste qui signe son tableau, comme un acteur qui, après la pièce, se présente devant le rideau. Le Fils peut le faire à la fin, après qu'il a livré tout ce qu'il avait : il a déposé sa divinité dans les souffrances, il a rendu l'Esprit au Père, il s'est défait de son humanité dans la mort. En ressuscitant, il montre que tout cela était une œuvre de Dieu, qu'il l'a fait en tant que Dieu infini qui est en même temps homme accompli. Dans la résurrection, le Père et l'Esprit ne sont pas seulement actifs mais, comme le Fils, ils reçoivent aussi, ils reçoivent dans leur sein comme une communion l'Homme-Dieu accompli : c'est le don de soi eucharistique du Fils incarné à la divinité. Il apporte sa chair et son sang dans l'échange trinitaire. Parce que le Fils s'est défait de tout et qu'à la fin il n'a plus rien, il peut donner son tout à tous : au monde comme à Dieu lui-même.


 

22 avril

Temps pascal

Madeleine a péché, le Seigneur l'a relevée, mais au fond il a pris son péché en lui. De manière croissante : plus elle est libérée, plus il porte et elle en est consciente. Elle croît pour ainsi dire dans le Seigneur parce qu'il a assumé tout ce qu'elle était auparavant et qu'il lui donne tout ce qu'elle sera à l'avenir. Il se forme ainsi en elle une étrange humilité : elle ne peut plus rencontrer le Seigneur sans rencontrer en même temps son propre péché en lui, et son propre péché en lui est immergé dans la faute de tous. Le Seigneur est maintenant pour elle celui qui porte sa faute en portant en même temps les péchés du monde. Elle ne pourra plus jamais rencontrer le Seigneur sans prier pour tous les pécheurs, sans qu'il lui soit rappelé que c'est maintenant à son tour de pardonner aux autres, car il lui a montré comment on fait pour porter les péchés des autres. Comme tout le monde sait ce que le Seigneur a fait en elle, elle devient une sorte d'apôtre. Elle est une parabole vivante, un mémorial. Elle doit maintenant mener réellement la vie que le Seigneur exige d'elle et qu'il a rendu possible en elle par son pardon. La surabondance de la grâce doit être lisible en elle. A aucun moment elle ne s'attribue quelque chose à elle-même, elle veut seulement montrer ce que lui est, ce que lui peut faire. La question ne lui a pas été posée de savoir si elle voulait suivre le Seigneur. Dès l'instant où elle est libérée de son péché, il n'y a plus de problème, elle doit le suivre. Ce qui est arrivé est tellement un miracle qu'aucun appel n'est plus nécessaire, l'appel est inclus dans ce que le Seigneur a fait. Tous ceux en qui s'est opéré un miracle ont reçu cette sorte d'appel. Marie-Madeleine se tient comme disponible pour que les autres voient en elle l'absolution du Seigneur et soient ainsi incités à se repentir et à se confesser, afin que le Seigneur puisse tous les accueillir et les sauver. Elle devient un objet de démonstration. Son œuvre à elle vis-à-vis du Seigneur se limite à ne pas se dérober. Par sa prière, elle cherche à gagner au Seigneur d'autres pécheurs et pécheresses. Elle sait qu'aucune prière n'est jamais perdue. Quand le Fils dit : "Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel", toutes les volontés du Père sont incluses dans cette prière. Quand Marie-Madeleine prie ainsi, elle le fait à l'intention des pécheurs qu'elle voudrait conduire à Dieu. Mais elle dit clairement : "Que ta volonté soit faite". Elle a très bien saisi l'essence de la prière chrétienne. La plupart de ceux qui, en ce temps-là, priaient à une intention précise pensaient à quelque chose de particulier, de concret, une guérison par exemple, un miracle. Chez Marie-Madeleine, l'intention est spirituelle, elle présume déjà le miracle.


 

23 avril

Temps pascal

Quand Dieu le Père fait ressusciter le Fils, il va chercher pour ainsi dire la Parole dans le silence. Le sens de la mort du Christ apparaît là dans une lumière nouvelle. Il est mort et il est passé dans les enfers pour s'assurer que le péché est mort définitivement, qu'il est enseveli et qu'il ne peut plus y avoir de terme à sa mort. Il a pris le péché avec lui en enfer, le péché en tant que mort, détaché de ceux qui le portaient autrefois. Et parce que ceci est pour les hommes la délivrance de leur péché, il entre dans la résurrection. Dès ce moment-là, il est totalement celui qui a opéré la rédemption, qui se révélera aux siens en tant que tel, sous une forme nouvelle, libre de tout ce qu'il a porté.

 

Quand le Fils vient pour porter tout le péché, il va jusqu'au lieu où se fait entendre le cri : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?", le lieu de la mort et de la fin. Mais quand il meurt dans l'ultime impuissance et l'ultime obscurité, il retourne tout le cours du temps : de la perdition il ramène à Dieu. Ceux qui l'aiment, qui sont présents quand il meurt sur la croix et qui apprennent sa résurrection, ne remarquent pas tout d'abord ce qui s'est passé dans le secret, qu'ils ne respirent plus le même air, qu'ils ne sont plus dans le même temps terrestre. C'est seulement par lui qu'ils sont introduits dans le temps retourné, parce que c'est lui qui y fait entrer, et seulement par sa joie. Pour eux, il est Jésus qu'ils connaissent et aiment ; mais qu'il soit le Ressuscité, l’Éternel, et celui qui les entraîne avec lui dans la vie éternelle, cela ne leur est communiqué que par lui. Si déjà toute rencontre avec lui dans le temps terrestre apportait quelque chose de plus grand, d'inespéré, d'incalculable, combien plus leur apporte la rencontre avec le Seigneur devenu éternel. Mais leur amour pour lui leur permet de l'accompagner.

 

24 avril

Temps pascal

La résurrection se passe en un rien de temps, aussi instantanément que son contraire, l'incarnation ; autrefois, le Père le fit devenir sa semence, maintenant il le fait redevenir son Fils vivant. Le Fils de l'homme entre dans la naissance trinitaire. Le Père engendre éternellement le Fils. Mais dans cette éternité, il y a le moment où le Fils devient homme et le moment où il ressuscite d'entre les morts. Ces deux moments sont inclus dans un devenir originel, et cependant c'est à chaque fois une césure : un triple devenir du Fils. Dans son troisième devenir, il devient sans doute celui qu'il était toujours, mais comme celui qui a fait l'expérience de la résurrection d'entre les morts. Il ne l'était pas auparavant. Et trente-trois ans plus tôt, il est né de la Vierge Marie, il ne l'était pas non plus avant.


 

Le Père fait s'incarner le Fils, il lui fait le don de la vie humaine ; le Fils la lui rend et le Père lui en est en quelque sorte reconnaissant : il fait don au Fils du corps de résurrection et, par là, il nous fait don à nous tous de la vie éternelle.


 

Si le Fils n’avait pas dû montrer aux hommes toute la puissance de Dieu, il aurait pu choisir une mort naturelle. S’il était mort d’une maladie et s’il était ensuite ressuscité, on aurait encore pu jouer avec toutes sortes de problèmes médicaux ou croire aussi à un miracle comme lors de la résurrection de Lazare. Mais quand il meurt sur la croix, il meurt par le péché du monde ; et la puissance de Dieu - de Dieu Trinité - qui le libère des liens de la mort et le fait ressusciter est de loin plus évidente.


 

25 avril

Saint Marc

Dans la prière, il se laisse conduire, il est très guidé et il n'a pas besoin de s'occuper de lui-même. Chaque fois qu'il se retire pour prier, c'est comme s'il était libéré de tous ses soucis. Il n'a pas besoin de lutter, de chercher et de défendre une position, sa prière est libre, pure, cadeau. Il prie beaucoup, il prie comme un enfant, en toute simplicité et naïveté, sans réfléchir longuement aux mots qu'il va utiliser ou à ce qu'il va dire précisément. Il ne lui est pas inspiré grand-chose non plus dans la prière, tout se déroule à un niveau très modeste. Par contre, lorsqu'il n'est pas en prière, il a constamment à lutter avec lui-même, il doit se faire du souci pour son attitude intérieure, s'assurer qu'il croit, qu'il veut réellement suivre, qu'il aime, et que finalement tout doit bien se terminer. Il ne lui est pas accordé de tout livrer au Seigneur une fois pour toutes et de lui faire confiance au-delà de toutes les difficultés. Sa confiance doit être acquise de haute lutte et en grande partie aussi son amour. Parce qu'il y a un tel désaccord entre son attitude de prière et son attitude intérieure habituelle, il serait heureux de pouvoir multiplier ses heures de prière. Le seul fait que cela ne va pas et que le Seigneur exige de lui autre chose constitue pour lui une difficulté. Il reconnaît aisément sa faiblesse et ses fautes, il est souvent dégoûté de lui-même. L'inspiration de son évangile, il en a eu peur. Il est le seul qui a su à l'avance qu'il devrait écrire. Et puis, au fond, cela s'est très bien passé. Quand vint l'inspiration, elle réalisa en lui beaucoup de choses qu'il avait désirées depuis longtemps. Maintes choses se sont éclaircies pour lui quand il a mis par écrit son évangile, maintes choses qui auparavant étaient pour lui douteuses devinrent incontestablement bonnes. L'obéissance vis-à-vis de l'inspiration, il la trouve beaucoup plus facile qu'il ne l'avait pensé à l'avance. Il la regarde comme un don particulier de la grâce qui lui accorde d'y voir clair. Auparavant il était comme un homme qui redoutait un entretien : peut-être que son interlocuteur va exiger de lui plus de précisions qu'il n'en peut fournir. Et puis la conversation est menée par l'autre de telle sorte que lui-même y voit plus clair et voit mieux l'ensemble. Dans ses relations avec son prochain, ce n'est pas commode, il est difficile, carré. On ne peut pas dire qu'il manque d'humilité, plutôt d'une certaine clarté objective de l'esprit. Dans ses rapports avec les autres, il ne peut pas aussi bien se dominer, ni se montrer aussi simple que sous l'inspiration. La simplicité de son évangile est comme une "obligeance" de l'Esprit Saint à son endroit, pour que tout soit très clair et nettement précisé, que rien ne se perde en réflexions et interprétations.


 

26 avril

Temps pascal

Après la résurrection, le Seigneur est au ciel certes, mais il est autant auprès de tout homme et en tout homme qui croit en lui et qui l’aime. Désormais on ne peut plus le localiser, il a la liberté de se trouver simultanément en plusieurs endroits. Il est au ciel et il est auprès de nous sur terre. Et puisque lui, l’incommensurable, est avec nous, créatures limitées, nous aussi nous sommes partout où le Seigneur se trouve, que nous le sachions ou non.


 

Peu de personnes ont entendu les paroles du Seigneur sur la croix ; Marie et Jean s'y trouvaient. Quand ils portent le cadavre au tombeau, quand peu après ils se trouvent face au Ressuscité, la pensée du mystère de son abandon les accompagne continuellement. Ce mystère est si profond parce que c'est un mystère trinitaire. C'est pourquoi le Seigneur ne souhaite pas que peu de gens seulement le méditent, il désire qu'il ne cesse d'être présent dans son Église. Ce mystère est la pierre angulaire de la rédemption et, en se le rappelant, l’Église sait que la rédemption reste vivante.

 

Pour nous approcher du Père dans la foi, nous devons partir de la parole de Dieu : parole de l'Ancien Testament qui parvient à son sommet dans le Fils. De même que nous devons considérer les paroles de l'Ancien Testament comme agrandies, dilatées, dépassées par le Fils, de même toutes les paroles humaines du Fils sont ouvertes sur l'infiniment plus grand de Dieu. Le Fils renvoie au Père. Nous avons les concepts humains de paternité et de filiation, mais nous ne pouvons les employer que comme des indices du mystère de Dieu. Le Fils lui-même désire cette application, il veut nous mettre sur le chemin du Père. Ses paroles (ses actes, ses miracles, sa passion, et sa résurrection, il faut les comprendre aussi comme des paroles et des affirmations) ont toute leur valeur en tant qu'orientées vers le Père. Si, en suivant ses paroles, nous empruntons le chemin qu'il est, nous sommes sur le bon chemin. Quand et comment nous atteindrons le but, et ce que nous allons rencontrer en cours de route nous demeure caché. Il ne sert à rien de poser des questions, chaque jour nous le montrera.


 

27 avril

Deuxième dimanche de Pâques

La nuit du Fils : c'est le mystère le plus profond qui existe entre le Père et le Fils, mais il est encadré par deux actes très nets du Père et par deux actes très nets d'abandon du Fils. Le Père laisse son Fils mourir et il se cache, le Père ressort de l'ombre pour ressusciter le Fils. Le Fils supporte ces deux actes du Père dans le même état d'abandon, et son état d'obéissance n'est pas différent, qu'il supporte la mort ou qu'il fasse l'expérience de la résurrection. Si l'on considère cet abandon du point de vue de l'acte du Père, le Père protège le Fils et il donne à son abandon une direction. Le Fils est entre les mains du Père, sous sa direction. Cette direction n'est visible pour nous qu'à la croix et à la résurrection. Mais le Père est là aussi dans la nuit du séjour des morts, sa présence est alors si proche qu'elle n'est plus perçue par le Fils et qu'il n'en a connaissance, d'une manière nouvelle, qu'à la résurrection. Quand le Fils a commencé sa propre nuit par sa prière au mont des oliviers, où il a promis de laisser se faire la volonté du Père et d'être totalement à sa disposition, il l'a fait en public d'une certaine manière, en invitant trois de ses disciples (qui s'endormirent à vrai dire) à participer par leur présence et leur prière à son dialogue avec le Père et à être témoins de ce qu'ils pouvaient saisir.

 

Le Seigneur meurt sur la croix. Il meurt pour ainsi dire trois fois. Il meurt d’abord au monde, il meurt dans sa souffrance par le monde et pour le monde, il souffre du monde et à cause du monde. C’est la mort la plus superficielle. Il aurait pu pour ainsi dire s’isoler en lui-même dans cette mort. Mais il meurt aussi la deuxième mort en mourant à lui-même ; il a accompli sa mission alors qu’elle lui a échappé ; il a fait banqueroute, il n’a plus d’appui en lui, il est chassé de son moi le plus intime et il meurt à lui-même. On pourrait penser qu’il pourrait pour ainsi dire se retirer de son humanité dans sa divinité et s’y “donner du bon temps” pendant que seule l’humanité souffrirait, mais il n’en est pas ainsi. Il meurt finalement aussi au Père : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" Ce n’est qu’ainsi que toute sa souffrance est accomplie ; la troisième mort est de loin la plus profonde et la plus horrible.

 

28 avril

Temps pascal

Quand Madeleine quitte le tombeau et rencontre les autres, elle sait que les autres ont part à son mystère, elle sait que ce mystère n'a fait que passer par elle et qu'il la déborde de partout : c'est le mystère du Seigneur et de sa gloire qu'il partage avec le Père, le mystère de la vie nouvelle sans tache, qu'il a apportée aux siens par la croix, c'est la communion après une confession préparatoire. Madeleine va désormais dans le monde comme une initiée, mais une initiée qui s'est oubliée elle-même dans l'immense mystère du Seigneur, de sa résurrection et de son Église.

 

Quand Madeleine rencontre le Seigneur ressuscité le matin de Pâques et le reconnaît lentement, elle le reconnaît comme celui qui l'a libérée de son péché. Le Seigneur qui revient dans le monde après la croix et l'enfer est celui qui a porté toute la faute et qui répand maintenant le pardon sous une forme catholique : dans la confession.


 

Pendant les quarante jours qui ont suivi la résurrection, les apôtres ont la faculté de voir. Elle ne leur est pas consciente en tant que telle, dépassée qu'elle est par le cadeau que leur fait le Seigneur en se montrant à eux. Ce qui est dit et fait entre le Seigneur et eux durant ces quarante jours a une justesse qui continue de manière nouvelle celle qu'ils avaient connue dans leurs relations terrestres.


 

29 avril

Temps pascal

Pâques, c'est un espace de joie et un espace de fécondité. Quand le Seigneur réapparaît et mange avec ses disciples, quand il organise tout dans l’Église de manière neuve, quand il participe par là à la manière de vivre de ses disciples, les instruisant mais pourtant comme l'un d'entre eux, il opère tout cela dans la joie de la résurrection, dans la joie de son retour au Père ; mais dans cette joie, il justifie la nécessité d'ultimes décisions. Nul ne peut dire oui au Seigneur et le suivre sans avoir part intimement au mystère de la rédemption.

 

Pendant la vie terrestre du Seigneur, les apôtres ne peuvent voir rien d'autre que lui. Les visions apocalyptiques sont impensables ; l'ancienne Alliance (Moïse et Élie) ne peut apparaître que dans sa relation au Seigneur. Mais après l'Ascension, les visions du disciple bien-aimé reçoivent une plénitude qui présuppose l'incarnation de Dieu. Leur plénitude se développe à partir du Fils incarné qui, durant sa vie terrestre, portait en lui cette plénitude, et il l'offre à l’Église après la résurrection et après la Pentecôte.

 

Il y a des réflexions spéculatives sur le contenu de la foi, mais celles-ci atteignent vite leurs limites si elles ne sont pas poursuivies dans la prière. Viennent les moments où la prière corrige une question, et alors elle contient aussi déjà la vraie réponse. La joie peut nous inonder soudainement de ce que nous sommes des humains, limités dans nos possibilités certes, mais ces limites ne cessent de nous rendre attentifs à l'infini, à l'illimité, à l'éternel ; il nous est donné d'avoir au-dessus de nous dans l'éternité le Dieu toujours plus grand. Notre prière devient alors une action de grâce, un étonnement reconnaissant qui débouche sur l'adoration.

 

30 avril

Temps pascal

La passion du Seigneur en tant que passion consiste en un abandon voulu de toutes ses forces, elle équivaut à l'action la plus grande ; de même la résurrection consiste en un abandon qui remet totalement au Père toutes ses forces et toutes ses possibilités ; le Fils se sent mourir, mais il ne se sent pas ressusciter ; c'est lui-même qui souffre jusqu'à la mort, mais il est engendré à la joie de la résurrection.

 

La résurrection du Fils il y a deux mille ans, la résurrection aujourd'hui, tout ne fait qu'un, tout n'opère qu'une chose : la résurrection du monde du Père, en marche vers le Père, la joie du Père pour le monde qui revient à lui. C'est là aussi que tend la nature, le printemps au dehors y tend, et les nuages et les fleurs et les fleuves qui coulent à flots : tout atteint son but par la résurrection, tout devient pour nous des chemins multiples de la joie par lesquels nous ramenons le monde au Père sans rien retenir pour nous.

 

Quand le Fils s'est incarné, il n'a pas été là tout de suite comme un homme fait, il a suivi un chemin. Il fut d'abord là dans les promesses, puis dans le sein de sa mère ; il connut ensuite sa croissance ici-bas, il est allé vers la croix et, par sa mort, jusqu'à l'ascension. Tout le chemin est un chemin logique, bien que cette logique, Dieu seul la connaisse totalement ; il nous en montre quelque chose selon qu'il lui semble bon.


 

Quand nous méditons la vie du Seigneur, il est frappant de voir combien il a peu parlé. Et de ce qu'il a dit, le peu qui a été mis par écrit. Lui qui possède la vision du Père, il ne parle pas beaucoup de la prière. Il ne donne pas beaucoup de directives, il montre seulement l'unique nécessaire.


 

1er mai

Temps pascal

Pâques est la fête de l'amour qui se fait connaître, qui éclot, qui se répand partout. L'heure que personne ne connaissait est arrivée. Son ignorance n'est plus nécessaire, on la connaît maintenant, c'est le jour et l'heure de la rencontre, de la plénitude de l'amour.


 

Après la résurrection se continue la grande mission du Fils pour le monde et l’humanité.

 

Pour le Fils, la fin de la croix et de l'enfer n'est pas l'abandon de sa grande responsabilité, la fin de sa mission. Le Fils et sa Mère entrent au contraire, par la résurrection du Fils, d'une manière neuve dans leur grande mission pour le monde et l'humanité.

 

Au commencement, les apôtres adorent Dieu, mais c'est pour eux très difficile de faire le pas et de comprendre que le Christ qu'ils accompagnent est le Fils de Dieu. Ils voient bien qu'il les dépasse de beaucoup, que ses paroles possèdent une force inhabituelle qui les captive, que dans ces paroles il arrive toujours quelque chose d'inattendu. Mais que cette parole doive être simplement la Parole de Dieu, qu'entre ce qui se passe sur terre et ce qui se passe au ciel il doive y avoir un rapport direct, cela rend leur prière difficile. Il serait plus simple de prier si le ciel était lointain et si les effets de la prière se produisaient dans ce ciel lointain, plutôt que de savoir que dans ce Jésus de Nazareth le ciel lui-même est devenu homme. Qu'eux-mêmes sont ceux qui ont été jugés dignes de participer à la vie de Dieu sur la terre et qu'en conséquence ils sont les premiers à prier d'une manière chrétienne.


 

2 mai

Temps pascal

La résurrection du Seigneur, c'est tout d'un coup qu’elle se produit. Rien ne pourrait être plus opposé à la pensée de la réanimation d'un mort par des moyens médicaux humains que la résurrection du Seigneur. Il n'y a aucune sorte de signes précurseurs, pas de tressaillement des membres qui retrouveraient la vie peu à peu. Il n'est pas question non plus de se réhabituer à la vie, d'ouvrir les yeux, de remuer les doigts, de respirer. Tout est aussi soudain que l'irruption de la grâce. En un clin d’œil tout est là, Dieu tout entier et la joie tout entière et toute la vérité, et l'amour est l'essence de tout. C'est la même chose maintenant de parler de vie ou d'amour ou de résurrection. Toute la faiblesse et toute l'odeur de renfermé du tombeau et toute la fatigue, tout le désarroi et tous les tourments ont disparu si totalement qu'il ne reste même plus une question à leur sujet. Toutes les peines sont comme un échafaudage qui tombe et disparaît de lui-même quand l'édifice est achevé.


 

Quand, après la souffrance de la croix, le Fils se tient devant le Père et que le Père tire au clair en quelque sorte cette souffrance (cette expression est naturellement fausse !), quand le Fils rend compte au Père de sa souffrance, le sacrifice accompli est en quelque sorte mis de côté, comparé à la joie de la réunion,. Dans cette joie, le Fils n'est pas en mesure d'évaluer ce qu'il a souffert, il n'est pas capable de dire : "Je n'aurais pas pu en faire davantage". Maintenant ce n'est pas la croix qui est là, c'est le Père et le retour auprès de lui. Le Fils a payé le prix pour pouvoir rendre le monde au Père. Supposons que je t'achète quelque chose qui dépasse totalement mes moyens, me condamne à la pauvreté et que je voie la joie que tu en retires, il ne me vient pas à la pensée que j'ai fait le pire, mais qu'il est beau que tu sois heureux. C'est ainsi qu'à présent le Fils voit la croix : comme la joie du Père.


 

3 mai

Temps pascal

Adrienne. Je pense que saint Ignace a tout à fait raison ; l’Écriture suppose que nous avons du bon sens et que Marie est la première à avoir reçu la visite du Ressuscité. Il suffit de le savoir, on n'a pas besoin d'en donner une description détaillée, cela n'a rien à faire avec l'intelligence de la foi.


 

Celui qui se met à suivre le Seigneur sait qu'il le fait en raison de son baptême ; on ne peut pas séparer ce qui, dans la vie chrétienne, est difficile et ce qui est magnifique. Il serait vain également de demander si ce que la croix a eu de cruel avait pour le Seigneur plus de poids que la joie de la résurrection : les deux sont inséparables dans sa mission.

 

Le jour de Pâques, qui est le jour de la rencontre entre le Fils et le Père, est aussi le jour de la rencontre entre les pécheurs et le Sauveur.

 

Le Seigneur en croix a rendu son Esprit au Père. Il se prive de ce qui était indispensable à sa vie. Il fait par là un pas de plus vers la mort. Il ne lui reste que la mort qui l'attend et à laquelle succèdent les enfers.

 

Après une vision du Seigneur au mont des oliviers, Adrienne dit : "Il y a des moments où on aime le Seigneur comme un petit enfant, comme un enfant malade qui va mourir. Et on cherche dans toute la ville ce qu'on pourrait lui apporter comme petite joie. On lui donnerait tout pour le faire sourire encore une fois !"

 

Si, pour les non croyants, nous devenons des morts, pour les croyants nous sommes pourtant vivants : élevés par Dieu quand les autres nous imaginent disparus, sauvés quand les autres nous considèrent comme punis, ressuscités à l'instant même où les autres pensent voir notre cadavre. Parce que la foi véritable voit du point de vue de l'éternité, elle ne peut pas compter avec notre temps. L'instant temporel est toujours déjà éclos dans la vie éternelle. La foi qui vit dans l'éternité, la foi qui connaît dans notre temps la résurrection, ne peut pas désigner comme mort ce qui a été perçu comme mort.

 

4 mai

Troisième dimanche de Pâques (Année C)

Le lac de Tibériade. Tout d'abord les disciples ne reconnaissent pas le Seigneur. Ils s'étonnent que quelqu'un soit là, ils le regardent comme on regarde un étranger et cependant ils sont en quelque sorte attirés par lui. Ils éprouvent le besoin de faire connaissance avec lui, de le situer. Une question les habite intérieurement : qui peut-il être ? Une question tout à fait vague, mais qui le concerne. Ils le reconnaissent en raison d'une appartenance intérieure. Comme quelqu'un qui n'aurait jamais vu son père et soudain celui-ci se trouve devant lui, il sait immédiatement : c'est mon père. "Le sang parle". Ainsi, tout d'un coup, les disciples ont la certitude. Intérieurement, ils sont à la hauteur. Ils ne lui demandent pas qui il est parce qu'ils le savent ; ils comprennent aussi qu'il s'agit d'un discernement intérieur et que cela doit en rester là.

 

Chaque fois que le Seigneur veut montrer quelque chose de nouveau de lui aux disciples ou à l’Église, cela peut commencer par une non-compréhension. Il fait partie de l'obéissance de l’Église que tout d'abord elle ne reconnaît pas le Seigneur et qu'ensuite elle le reconnaît, et il fait tout autant partie de son obéissance qu'elle ne pose pas de questions. Les disciples, en étant ainsi avec le Seigneur sans poser de questions, sont remplis d'une grande paix intérieure.

 

Pour Pierre, son service semble être devenu plus concret. Il n'a peut-être pas mieux compris ce service, mais il l'a reçu d'une manière plus sûre. Jean a reconnu le Seigneur le premier parce qu'il incarne l'amour ecclésial. L'amour et la disponibilité furent en lui le moyen qui lui a permis de reconnaître le Seigneur. Pour cette disponibilité aimante que Jean cherche à garder partout, le Seigneur est comme un aimant qui agit sur l'aiguille aimantée. La certitude de la connaissance johannique provient de l'amour.


 

5 mai

Temps pascal

Le Père n'a remis au Fils que la rédemption, la miséricorde, l'amour, la lumière, la vie. Il ne l'a pas envoyé pour juger mais pour racheter.

 

L’enfer est un mystère préalable à la résurrection.

 

La Parole du Père est morte (sur la croix), elle a pourtant toute sa force parce que le silence du Fils dans le Père fait mûrir la résurrection.

 

Le Fils ne peut pas prévoir l'heure de la résurrection, ni la faire venir.

 

La mort du Seigneur est la fin de sa passion. Elle est une fin où le Seigneur entre pour nous tous, une fin qu'il assume jusqu'au bout sur la croix pour en faire sortir la résurrection dans l'obéissance. Sa mort est une semence qui aboutit au fruit de la résurrection.

 

L'homme devrait se laisser terrasser par la grâce qui le balaie avec une telle puissance qu'il ne se connaît plus lui-même. Son jet est si violent qu'il en est blessé, mais cette blessure est un pur bonheur parce qu'il sent que quelque chose enfin se passe en lui. Dans les vraies purifications de Dieu, on ne sait jamais exactement ce qui arrive, on parlerait plutôt d'un tremblement de terre que d'une purification.


 

Il y a des moments où le Christ se donne tellement à l’homme avec sa grâce, s’empare tellement de lui, qu’il devient totalement pur et sans péché.


 

Le Seigneur est imprévisible. On attend sa dureté, il nous inonde de sa grâce, il nous fait renaître et redevenir de petits enfants, mystérieusement et tout à fait réellement.

 

En créant le monde, Dieu le Père était heureux. Il plaça Adam dans la joie du paradis, et son dessein était que l'homme vive dans l'amour et la joie.


 

En créant l’homme et la femme l'un pour l'autre, Dieu les créa dans l'amour et par amour.


 

6 mai

Temps pascal

Dans sa mort, le Fils a tout remis au Père. Que cela se passe dans la nuit facilite au Père son action, car la mission a atteint son sommet quand le Fils, dans sa nuit, ne peut plus suivre ce que le Père entreprend avec lui. C'est dans cet extrême qu'arrive la résurrection, et elle arrive de telle manière qu'elle est une pure surprise. Elle n'est pas ce que le Fils attend, parce que le Fils s'est dépouillé de toute attente. Tout était tellement sans issue que n'est perceptible ni un soupir de soulagement : "Enfin !", ni la pensée : "C'est bien ce que j'avais imaginé !" Le Fils était dans un état d'obéissance divine où le meilleur état est celui qui porte la marque du Père et où l'obéissant se garde d'exprimer quelque chose de son état afin que le Père ne change rien à ce qu'il avait projeté.


 

Sur la croix, le Seigneur porte tous nos péchés non seulement moralement, mais physiquement. Son corps est pour lui l'instrument de sa souffrance. C'est à son corps que nous constatons la mort, il y a le cadavre du Christ qui est enlevé de la croix et mis au tombeau. Pendant qu'il est au séjour des morts, on ne peut pas déterminer ce qui se passe pour son corps. Les femmes qui le revoient après la résurrection ne le reconnaissent pas. Il est sûr que le Seigneur a subi toute la mort humaine et que son humanité, sous une forme ou sous une autre, l'accompagne au séjour des morts. Ainsi son corps a certainement une expérience du passage au séjour des morts et c'est avec cette expérience qu'il ressuscite. Le nouvel état de résurrection, en tant qu'il est arrivé pour nous, n'est pas important pour le Fils seulement, mais aussi pour nous. Si le Père avait voulu seulement "récupérer" le Fils, une sorte de résurrection aurait pu se passer directement dans le ciel dont nous n'aurions guère eu connaissance. Mais il nous rend le Fils comme celui qui a souffert la croix pour nous, qui est mort et qui est passé par les enfers. Le plan du Fils de nous porter jusque dans la mort et le plan du Père de reprendre le Fils auprès de lui sont, dans l’Esprit Saint, un plan unique : la rédemption du monde pécheur. Ce n'est pas un retour à l'état d'Adam, c'est le passage à un état nouveau qui est apparu quand le Fils mort est touché par le Père. La mission qu'il a portée dans sa vie et dans sa mort prend une forme nouvelle : elle devient la source de toute la rédemption, la divino-humanité tout entière du Seigneur fait jaillir toute vie pour le monde et pour l'humanité.


 

7 mai

Temps pascal

A la résurrection, le Fils sera à nouveau dans sa forme divine. C'est comme s'il s'était défait de cette forme pour la croix et pour l'enfer afin de souffrir simplement comme un homme.

 

Le corps de résurrection du Fils est un corps avec ses cicatrices. Son premier corps était destiné à la croix, son nouveau corps vient de la croix.

 

La résurrection du Fils n'est comme rien d'autre qu'une partie de son service des hommes. Le Fils de l'homme est intronisé dans la gloire pour la gloire et la joie du Père.


 

Les quarante jours entre Pâques et Ascension sont une nouvelle invitation à suivre le Seigneur.

 

La forme nouvelle du Seigneur durant les quarante jours est pour les hommes une nouvelle invitation à le suivre. Elle a en elle plus de certitude, la foi peut s'appuyer sur une présence vivante. Le Seigneur a semé toute la rédemption, maintenant il apparaît comme la fécondité. Le chemin du pécheur vers Dieu est devenu autre par le Fils : c'est le chemin de quelqu'un qui est sauvé.

 

Pour le Père, le Fils est ce qu'il y a de plus sacré à ses yeux au point qu'il lui confie la rédemption du monde.


 

8 mai

Temps pascal

Dieu le Père a ressuscité son Fils de l'enfer.

 

Dieu lui-même est sans commencement ni fin. Il pose l'acte de la création par laquelle le monde commence et l'homme en lui. Le temps qui s'écoule est une invention de Dieu, lui-même est dans l'éternité. Le temps est mesuré avec les mesures de l'homme et de sa vie : le monde ne cesse de durer le temps d'une génération, jusqu'au moment où le Fils de Dieu assume la durée d'une vie, emprunte au temps des hommes trente-trois années pour les vivre. Mais parce qu'il les a empruntées au temps des hommes, il les rend aux hommes avec son temps à lui, qui est un temps éternel. Le terme du temps terrestre de Jésus, c'est sa mort mais, en mourant, le Fils infléchit la ligne du temps dans le cercle de l'éternité, de sorte que désormais l'homme qui est dans le temps a part à la vie éternelle. En tant que croyants, nous vivons notre temps avec la conscience du temps éternel et nous devons orienter tous nos actes vers le temps éternel dont nous avons eu connaissance par la résurrection du Fils.

 

Quand on rencontre un ami au cours d'une promenade, par amour pour lui, on change de direction et on l'accompagne là où il allait ; de même en rencontrant le Ressuscité nous changeons l'orientation de notre temps et nous allons avec lui vers la vie éternelle sans savoir exactement à l'avance ce qu'est cette vie éternelle.

 

L'amour du Seigneur est toujours plus grand que le refus de l'homme. Le Seigneur invite toujours, son invitation ne connaît pas de limite, il ne connaît pas de non éternel.

 

Qui veut toucher la vérité est déjà touché par la grâce de Dieu.

 

Le Seigneur a besoin de l'Eglise pour continuer à remplir le monde de sa parole. La mission de l'Eglise est incluse dans la sienne.


 

9 mai

Temps pascal

A Pâques, la joie du Père consiste dans le retour du Fils ; mais la joie du Père est aussi le fait que le monde est en marche vers lui.

 

La résurrection, c’est comme si tout d'un coup la main du Père se posait sur l'épaule du Fils de telle sorte qu'il la sente et que dans la joie qu'il en éprouve il ne perçoit pas qu'il est conduit par elle. Tout ce qui se passe d'autre est secondaire, il n'y a que la main du Père qui est importante. Cette main, c'est la lumière. Cette lumière du Père est aussi la première lumière lors de la création. Le Fils en tant que rédempteur ramène la création dans sa première lumière. C'est la lumière originelle que Dieu a donnée à son monde, elle n'est pas à confondre avec la lumière du jour ou de la nuit, c'est la lumière de l'être de Dieu dans le monde.

 

Réflexion d’Adrienne, encore protestante, en 1932. Pour le Père éternel, la naissance de son Fils dure au fond de Noël à la résurrection, car celle-ci, c'est quand même le moment où on lui met l'enfant dans les bras.

 

Le Père qui retrouve le Fils lors de la résurrection est le même qui a créé Adam au paradis. Avec le Fils qu'il accueille à nouveau, il reçoit aussi la terre qui, par le Fils et dans le Fils, devient sans péché parce qu'il lui offre la grâce de son être et de son eucharistie. Il lui donne l'eucharistie afin qu'il y ait en elle quelque chose de pur, et il prend sur lui le péché, dans une sorte de don en retour. Nous lui offrons notre péché, il nous offre son eucharistie.


 

10 mai

Temps pascal

Le Fils a été touché puissamment par le Père lors de la résurrection, et la résurrection s'achève par l'envoi de l'Esprit Saint. L'Esprit qui descend sur l’Église, qui confirme le croyant et l'élève au-dessus de son état antérieur, est le même qui fut le témoin de la résurrection, celui-là même qui a opéré le parfait échange d'amour entre le Père et le Fils dans l'événement de la résurrection. Il a accueilli l'ultime obéissance du Fils comme abandon, également le fait qu'il s'est laissé ressusciter, et il l'a conduit au Père pour donner au Fils la grâce d'être ressuscité par le Père.

 

La joie du Fils à la résurrection n'a plus de tache, tout est sûr et bon, et cette bonté de la rédemption se rattache immédiatement à la bonté de la création : Dieu vit que cela était bon. Mais la bonté actuelle est celle de la joie qui a pardonné : la joie en Dieu Trinité. La joie de Dieu à la création se répandait dans les choses créées, la joie de la résurrection est la joie de Dieu pour ce qui revient à Dieu à partir de la création, elle est la joie de l'homme à qui tout a été pardonné. Le Fils apporte avec lui toute l'humanité sauvée, et la joie du Fils retourne au Père qui lui a permis l’œuvre tout entière.

 

Quand, durant les quarante jours, le Seigneur apparaît aux siens ici et là, chaque fois il apporte la joie, toute une gamme de joies : les joies évidentes du fait qu'il soit réellement ressuscité, et les joies plus contenues qui ne sont tout à fait accessibles qu'à lui seul, la joie d’être réuni au Père, la joie au sujet de son œuvre, de la collaboration à cette œuvre, le repos dans la main du Père.

 

Le dessein de Dieu est de se communiquer au monde par amour.


 

11 mai

4e dimanche de Pâques

Le Fils ressuscité revient auprès du Père ; en s'apportant lui-même, il apporte au Père le monde sauvé qui porte désormais l'empreinte du Fils. Sur la terre, il nous laisse ses dons : l'Église terrestre dans laquelle il vit désormais en tant qu'habitant du ciel.

 

Pâques : allégresse de la nouvelle création, du monde racheté. Quand je regarde maintenant des fleurs ou quelque autre chose de beau, cela fait partie du monde racheté ; la joie est grande qu'on puisse vivre parmi ces choses et les ramener à Dieu en pensée, et que là est leur sens.

 

Le Père, le Fils et l'Esprit retrouvent dans cette nouvelle création qu'est la résurrection le "très bon" de la création primitive. La résurrection rend tout bon parce qu'elle assume tout le mauvais pour l'anéantir et ramener les créatures à Dieu.


 

On ne doit pas demander des comptes au Seigneur. On ne voit pas toujours où on va, où il nous mène.

 

Tel que je suis, Seigneur, et tel que je peux devenir par toi, ainsi voudrais-je te servir. Mais ce que je peux devenir par toi se trouve tellement dans ta seule main que rien de ce que j'ai été jusqu'ici n'a plus d'importance pour moi ; tout ce que je suis et tout ce que j'ai est à ta disposition.

 

12 mai

Temps pascal

Le Ressuscité arrive les portes fermées. Son espace est devenu autre. Jusqu'à présent on savait seulement que le tombeau était ouvert, qu'on le rencontrait ici et là. Maintenant on remarque que son corps, son lieu, ses déplacements ne sont plus soumis aux lois de notre monde : non seulement son temps est devenu autre, mais lui, il a changé de condition par rapport à notre temps. Auparavant nous aurions pu fermer nos portes pour nous protéger de lui, maintenant nous ne le pouvons plus, il entre dans notre espace, il fait irruption dans notre temps avec son temps à lui. Dieu a maintenant libre accès à notre existence ; il n'y a plus de souci à avoir : notre fin lui appartient.


 

Après son retour au Père, le désir ardent du Fils ne sera plus le même qu’avant. Il sera pour ainsi dire déplacé, ce sera alors le désir ardent de mettre aux pieds du Père un monde où l'on ne pèche plus, où l'on n'est plus qu'aimé.


 

La manière de prier de Jean est toute abandonnée, vraiment naïve : sa prière est toujours un espace ouvert, illimité, que le Seigneur lui-même remplit. La prière de Marie par contre a quelque chose de plus intense parce qu'elle a été introduite plus avant, parce qu'elle a expérimenté en son propre corps Dieu le Père, le Fils et l'Esprit ; elle est parvenue ainsi à une expérience de l'âme, qui est plus riche que la prière du disciple ; celui-ci n'a accès aux mystères que par sa rencontre avec le Seigneur, par son attachement à lui, par le fait qu'il s'est mis à sa suite et qu'il les juge tous en fonction de l'existence du Seigneur et de son approbation.

 

13 mai

Temps pascal

Entre le Père, le Fils et l'Esprit, l’échange est parfait ; c'est l'Esprit qui fait qu'entre le Père et le Fils aucun des deux ne se pose la question : Est-ce que je t'aime comme tu m'aimes ? Est-ce que tu m'aimes comme je t'aime ? Ainsi, dans l'Esprit Saint, les "limites" de chacun ne le séparent pas de l'autre. Quand maintenant le Fils en tant que Ressuscité apparaît aux siens, comme expression de l'amour divin trinitaire, il s'en remet aussi à l'Esprit en tant qu'il est l'Esprit d'amour pour souffler où il veut. Cela donne aux apparitions du Seigneur leur transparence et à sa parole l'ampleur de la vie nouvelle qui fait transparaître partout l'Esprit. Pour ceux qui voient le Seigneur et en font l'expérience, une atmosphère nouvelle les entoure : il est maintenant spirituellement dans l'Esprit Saint. Le Seigneur aussi bien que celui qui le voit laissent à l'Esprit ce que leur rencontre a de spirituel, il est l'atmosphère dans laquelle elle se déroule. Quand le Seigneur dit une fois encore à Pierre : "Suis-moi", c'est dans l'atmosphère de l'Esprit qu'il attire le disciple, avec une force presque sensible qui se communique aussi à l'intelligence de Pierre de sorte que toute résistance est vaincue par la volonté agissante du Seigneur. Tout cela dans l'atmosphère de la résurrection qui est incroyablement tendre et qui n'a rien d'écrasant. Le Seigneur demande à Pierre : "M'aimes-tu ?", il ne demande pas : "Pourquoi m'as-tu trahi ?"

 

Il n'est pas nécessaire de parler sans cesse à Dieu pour être en prière, il y a une attitude de prière qui inclut tout le travail quotidien, il y a un état dans lequel chaque acte de prière ne jaillit pas comme quelque chose de nouveau mais comme l'expression de ce qui est toujours présent.


 

14 mai

Temps pascal

C'est en mourant que le Fils a racheté le monde, il a été abandonné comme un mort dans l'obscurité du tombeau et du séjour des morts ; c'est un mystère pour lequel nous n'avons ni image ni mot, mais sa mort l'a conduit à la résurrection. On peut affirmer avec certitude que sa résurrection d'entre les morts signifie l'absolution pour le monde entier. La Parole du Père est morte, et elle a pourtant toute sa force parce que, dans le silence du Fils, le Père fait mûrir la résurrection.

 

Toute prière va à Dieu. Et il arrive qu'un croyant qui prie avec tiédeur se voit tout d'un coup comblé au-delà de toute attente ; il peut être comblé tellement au-delà de son attente que même ce qu'il désirait semble maintenant sans importance. Peut-être avait-il demandé quelque chose sans grande conviction, seulement parce que quelqu'un avait attiré son attention sur ce remède. Et maintenant il ne peut pas s'imaginer comment ses mots ont pu faire impression sur Dieu.

 

Une vraie prière, c'est-à-dire une prière qui se met à la disposition de Dieu.

 

Toute prière authentique veut ce que Dieu veut : l'union du monde avec lui.

 

La foi est nécessaire pour comprendre la création pour ce qu'elle est. La même foi est nécessaire pour dire oui à l'eucharistie et l'accepter.

 

La vie du chrétien est service du Seigneur. Qu'il soit bien portant ou malade est chose secondaire par rapport à cet essentiel.

 

La vie chrétienne n'est pas pensable sans le désir de la proximité du Seigneur.


 

15 mai

Temps pascal

Les apôtres ont d'abord fait l'expérience du Seigneur comme ami - ce qui n'effaçait pas le fait qu'il était le Seigneur et le Maître -, surtout Jean. Les apparitions du Seigneur pendant les quarante jours sont une pure continuation de leurs relations de foi aimante. Si un croyant a une apparition, il peut se demander si et comment cela se rattache à l’Évangile. Mais s'il se rappelle alors que le Seigneur est apparu aux apôtres, il reconnaît dans ce fait un fondement de la mystique future ; pour les voyants, cela peut les rassurer parce que les apparitions des quarante jours constituent un pont solide entre l’évangile et l’Église. Les voyants des temps ultérieurs se trouvent dans la tradition apostolique qui est aussi garantie que le texte de l’Écriture Sainte. L'apparition aux disciples d'Emmaüs montre aussi à quel point le Seigneur répond aux disciples.

 

La persévérance du Fils dans la nuit est son abandon le plus extrême au terme de sa mission qui est devenue inexorable, qui le rend aveugle à tout soupçon de lumière. Son passage dans le séjour des morts ressemble aux tâtonnements d'un aveugle dans une région qui lui est inconnue, au milieu de dangers et de menaces ; il est tout à fait incapable de s'en tirer, le Père ne le soulage pas, mais le Père reçoit sans doute cette impuissance du Fils comme la chose la plus précieuse, comme un trésor tel qu'il ne veut pas le garder pour lui dans le ciel, il le rend au Fils quand il le ressuscite pour qu'il le partage au monde sauvé parce que le Fils recouvre non seulement la lumière mais aussi, avec elle, la pleine compréhension de la nuit.

 

Le Fils n'a pas voulu vivre sa croix dans la solitude, il y invita sa Mère, Jean, Madeleine et les autres femmes ; de même qu'il prit avec lui ses disciples au mont des oliviers, de même il considère sa mission tout entière comme quelque chose qu'il peut partager. Il la laisse ouverte pour que les croyants puissent y puiser.


 

16 mai

Temps pascal

Vus par nous, les quarante jours après la résurrection ne sont guère compréhensibles. Nous devons prendre au sérieux la mort de Jésus, écouter aussi et méditer ses dernières paroles. Et puis son ensevelissement. Il y a alors cet état intermédiaire après la résurrection : il est là et il n'est pas reconnu tout d'abord par les siens. Il leur est très proche, mais ils ne vivent pas dans son monde. Cet état intermédiaire est important pour l’Église à venir, certains traits de cette proximité et de cette distance simultanées subsisteront en elle.

 

Pâques arriva comme ce qui était totalement inopiné et inattendu. Là où il n'y avait que la pure inutilité, il y avait maintenant la profondeur insondable de la grâce. Le passage fut si totalement abrupt qu'au premier instant il parut seulement être sans rapport avec ce qui précédait. On voyait le Seigneur ressuscité qui répandait partout la surabondance de sa grâce et de son pardon des péchés sans subir la moindre perte d'une telle prodigalité ; la grâce ne faisait que devenir toujours plus riche en étant distribuée. Tout devenait rempli de sens, tout était bon. Le Père, le Fils et l'Esprit retrouvaient dans cette nouvelle création le "très bon" de la création primitive. La résurrection rend tout bon parce qu'elle apporte la fin en assumant tout le mauvais pour l'anéantir et ramener les créatures à Dieu.


 

Le Fils se fait homme pour réajuster l'homme à Dieu. Racheter signifie restaurer le rapport à Dieu, renouveler la relation à Dieu. De même que personne ne peut s'opposer à l'acte de création du Père, personne ne peut s'opposer au fait que le Fils l'a racheté sur la croix.


 

17 mai

Temps pascal

Le Seigneur fête aussi sa résurrection dans le baptême chrétien : il y accorde aux siens de le rencontrer pour la première fois, il les baptise en lui. Si le baptisé est un petit enfant, ce sont les parrain et marraine qui assument la conscience de cette configuration au Seigneur quand l'enfant est marqué du signe indélébile. Marie-Madeleine aussi a rencontré d'abord le Seigneur ressuscité sans le savoir. La rencontre du baptême marque pour l'enfant le commencement d'une prière qui deviendra consciente plus tard, il priera en vertu de son baptême sans pouvoir apprécier le trésor qui lui fut alors offert. Il recherchera celui qui habite en lui, il interrogera sa présence mystérieuse, il s'entretiendra avec elle, mais il ne pourra pas se la représenter.

 

Un homme, on le voit quand il est présent ; plus on aime quelqu'un, plus on le voit, et plus la rencontre des deux est pure, plus le regard pénètre à fond ; plus la relation entre les deux est intime, plus le voyant, par son amour, peut s'occuper parfaitement de ce qu’il voit d’amour en l'autre. Ce qui est l'essentiel, c'est que l'amour ressente plus fort l'amour, qu'un échange ait lieu dans une sphère qui n'est compréhensible que par l'amour et n'est accessible qu'à l'amour. Durant les quarante jours qui ont suivi la résurrection, le Christ vit avant tout pour cette vision d'amour. Ce n'est pas que les siens l'aimeraient tant que, pour cette raison, ils le verraient ; c'est lui : il les aime tant et il les rend si dociles à l'amour qu'ils le voient, le sentent et le saisissent plus profondément grâce à l'amour qu'il leur communique.

 

Vous êtes la lumière du monde, vous avez la mission de répandre la lumière. Le Seigneur a enlevé à son Église la possibilité de se cacher.


 

18 mai

5e dimanche de Pâques

Pour Adam comme pour le Christ, le corps n'est pas un empêchement pour s'approcher de Dieu. Le Christ, en tant que second Adam, peut voir Dieu avec son corps humain comme il plaît à Dieu ; il ne connaît aucune sorte d'empêchement provenant du péché originel, ni du péché en général. Le Père a recréé pour le Fils cet état afin que le Fils lui prouve qu'on peut vivre avec le corps créé par Dieu. C'est avec ce corps qu'il meurt sur la croix pour tous les pécheurs. Non pour amener notre fin, mais pour nous transmettre la vie : dans la résurrection de son corps, notre résurrection est comprise depuis toujours.

 

Sur la croix, le Fils remet son Esprit entre les mains du Père, il parle le langage du corps. Il formule des mots physiques, il est le Verbe fait chair, il parle cette langue humaine si clairement que les personnes présentes l'entendent et le comprennent. Et s'il parle des "mains" du Père, il unit le Père au fait qu'il possède lui-même un corps ; Adam comme le Christ, les deux, se comportent vis-à-vis de Dieu avec leur corps. C'est aussi comme un pendant de l'incarnation. Ici, le Fils a reçu son corps du Père, sur la croix il le lui rend ; il fait alors presque comme si le Père lui-même avait un corps dans lequel le Fils peut déposer son Esprit. Ces mains du Père sont intactes, ce sont des mains qui n'ont pas souffert et qui par là sont capables de garder l'Esprit éternellement, de le recueillir, de l'abriter. On peut se confier à ces mains.

 

A la fin du purgatoire, par la grâce, rien d'autre n'apparaît que l'amour personnel de Dieu pour moi.

 

L'image que le Fils a du monde est l'image de l'amour ; et quand il aime l'odieuse vieille mégère, il lui donne tant d'amour que l'odieuse vieille mégère devient à ses yeux d'une beauté étincelante. Son amour transforme le monde.


 

19 mai

Temps pascal

Le Fils qui donne sa vie pour le monde reçoit une onction à Béthanie. Cette onction est un accomplissement, accomplissement pour la mission de sa mort. L'onction le libère pour la mort, pour la fin de sa mission et pour la remise au Père de sa mission. Elle est comme un résumé de son existence jusqu'alors, qui avait un sens pour ce qui allait venir ; l'ensemble de son œuvre était une action qui préparait sa mort sur la croix ; ce n'est que par la croix que nous pouvons comprendre l'incarnation. C'est dans l'ultime abandon que le Fils apprend à quel point le Père est proche : si proche qu'il l'abandonne même à l'heure la plus amère, afin que la plus grande proximité, telle qu'elle était au ciel, puisse être rétablie. L'onction est pour le Fils un signal : c'est maintenant qu'arrive le jugement. Le jugement a pour lui la forme de la mort sur la croix : il devra porter le péché du monde comme une exigence tout simplement démesurée. Pour nous, c'est la rédemption. Quand le Seigneur nous offre son onction en vue de la mort (l’onction des malades) comme un sacrement chrétien, c'est pour nous le signal de notre rédemption. Pour lui, cette onction le libère pour la nuit de la croix ; pour nous, elle nous libère pour la lumière de la résurrection. Il y a l'unité des deux effets de l'onction : il va subir le jugement, nous sommes promis à la résurrection.

 

"En tes mains je remets mon Esprit" est le centre de la croix. L'Esprit se retrouve auprès du Père. Avec le Père, il doit regarder la fin solitaire du Fils sur la terre, voir du haut du ciel l’œuvre du Père glorifiée par le Fils. Le Fils glorifie le Père sur la croix en se privant lui-même de l'Esprit, et cette glorification, l'Esprit l'apporte au Père quand il lui est remis entre les mains.

 

Sur la croix, le Fils n'a pas perdu l'Esprit, il l'a rendu. Ce n'était pas un acte de faiblesse mais de force. Un acte pour être tout à fait pauvre et dépouillé devant le Père. Car il sait bien qu'en renvoyant l'Esprit au Père, le Père n'en sera pas plus riche. C'est de la force que de vouloir traverser sans l'Esprit l'extrême abandon sur la croix.

 

20 mai

Temps pascal

Toute mort reçoit son sens par la résurrection du Seigneur en nous. Toute mort est un terme afin que le Seigneur puisse commencer. Si un mourant estimait que sa mort consistait seulement à aller vers sa fin et que l'œuvre du Seigneur commencerait au-delà, il penserait n'avoir rien d'autre à faire en mourant que de mourir : il aurait alors méconnu le sens des derniers sacrements, mais aussi le sens de toute sa vie, qui est toujours la fin de quelque chose qui nous appartient pour déboucher dans la résurrection du Seigneur. Nous mourons dans le Seigneur, pour aller vers le Seigneur. Et ceci en sachant qu'étant Celui qui vient, il est là depuis toujours. C'est pourquoi la prière du mourant, la prière aussi de ceux qui l'entourent, de ceux qui accompagnent sa mort, est si importante.

 

Quand le Fils, chargé de la souffrance de la croix, passe à travers l'enfer, arrive le moment, avant la rencontre avec le Père, où il ne sent plus rien de sa souffrance, de son épuisement, où il ne voit plus devant lui que la rencontre avec le Père. Cette rencontre devient une réalité où il ne ressent plus la perte que représente la séparation, il est soudainement entouré de l'éternité, il est rempli de la réalité : il arrive dans le Père, dans la plénitude. Et quand c'est réalisé, quand les deux sont à nouveau dans l'unité, le Père dans le Fils et le Fils dans le Père, le Fils sait qu'il ne se ramène pas seulement lui-même au Père, il lui ramène aussi l'amour de chaque homme, il sait que cet amour est devenu par lui, le Fils, un amour parfait en chaque être humain.


 

Quand une fois le Seigneur est intervenu dans la vie d'un homme, quand une fois il s'est fait proche, quand une fois il s'est révélé à lui, des temps peuvent venir par la suite qui paraissent extérieurement si différents que rien ne semble rappeler cette révélation, mais le Seigneur revient, et l'homme doit et peut se souvenir de l'instant de l'origine.

 

Tant que la foi n'est qu'une sorte de devoir inculqué, il y a après la prière un soulagement qui provient du sentiment naturel du devoir accompli. Mais dès que Dieu touche véritablement un croyant et que celui-ci a su qu'il a réellement affaire à Dieu dans la prière, que Dieu s'adresse à lui personnellement, alors tout change.

 

21 mai

Temps pascal

 

La question cruciale sur la croix condense tout : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" Tant que le Seigneur était en relation avec les hommes, sa relation au Père était intacte, il l'avait de toute éternité. Dans la mesure aussi où il porte le péché du monde, sa relation au Père est sans nuage. Que les hommes l'oublient, cela va de soi d'une certaine manière ; le Seigneur ne peut pas s'attendre à ce qu'ils l'accompagnent fidèlement alors qu'il porte toute leur infidélité à l'égard de Dieu et qu'ils se détournent de lui. Ce qui est totalement incompréhensible, c'est seulement qu'il ne voit plus le Père, c'est que le Père profite du fait qu'il a été abandonné par les hommes pour disparaître également. Ici le Fils ne peut plus qu'interroger. Toutes les autres paroles du Fils en croix sont des phrases positives : prières, constatations, consignes, promesses. Même aussi quand il remet son Esprit entre les mains du Père. D'une certaine manière, tout cela est assumé. Mais ce qui ne peut être assumé, ce qui ne peut être exprimé que par une question, c'est qu'il est abandonné par le Père. Si le Père répondait, la souffrance la plus dure serait enlevée, le Père serait accessible, la question serait inutile. Pour qu'apparaisse la souffrance la plus profonde, insurpassable, la question est nécessaire. Déjà en tant qu'humaine, la souffrance de la croix est incompréhensible, mais si c'est le Fils divin qui est abandonné par le Père divin, elle est absolument infinie. Ainsi il est clair que seul l'Esprit Saint peut être témoin de ce qui se passe en vérité, lui qui est prêt à en rendre témoignage.


 

22 mai

Temps pascal

Les paroles du Seigneur sur une résurrection à venir, pour une part les apôtres ne les ont pas comprises, pour une autre part ils les ont oubliées. Ils prient pour leur Seigneur perdu, mort, ils prient pour que Dieu pourvoie à sa destinée, mais ils n'ont aucune idée de la raison pour laquelle en réalité ils prient. Ce sont de tristes soupirs dont le sens est la perte du Seigneur, mais en grande partie aussi la perte de la forme de leur foi qui jusque là était facile. Non qu'ils aient perdu la foi, mais ils ne savent plus comment la corroborer. Tant que le Seigneur était parmi eux, il arrangeait tout et il prévoyait l'avenir. Quelle que soit la question qu'ils se posaient, il était là pour donner une réponse. Le Seigneur qui ressuscite a pitié de leur prière désemparée.


 

Luis de Leon (+ 1591). Tout d'un coup, avec la rapidité d'une inspiration, il s'aperçoit que les mots ont une plénitude de sens qu'ils avaient déjà dans l’Écriture et qui dépassait l'intelligence de ceux qui les mettaient par écrit, une plénitude de sens dans l’Église, qui y fut déposée par l'Esprit lui-même et qui n'est pas d'origine humaine. Les mots signifient toujours plus qu'on ne le pense ; ils signifient même tellement que toute la foi est contenue en chaque mot : la foi de l’Église, la foi des autres chrétiens, mais tout autant sa propre foi.


 

23 mai

Temps pascal

L'instant de la résurrection. Le Fils a racheté le monde par sa passion ; cette passion avait été permise par Dieu Trinité ; en tant qu'homme il a porté tout le fardeau des souffrances, mais il n'avait pas encore percé à jour le mystère ultime du Père, l'enfer. Le chaos de l'enfer est un chaos de péché. Le Fils traverse ce chaos. Alors intervient le Père, il sauve le Fils de l'enfer comme le Fils a sauvé le monde de l'enfer. L'Esprit roule la pierre qui fermait l'entrée du tombeau, le Fils en sort ressuscité ; rédemption et résurrection ne font qu'un.


 

On sait que, pendant la courte journée de notre vie, on ne comprendra pas l’infini de Dieu ; mais déjà le fait de ne pas comprendre est, dans la prière, ouverture, disponibilité, consentement. On peut cependant réfléchir encore : que veut dire disponibilité, don de soi, foi ? Que représente le simple oui d'un homme à son Dieu ? La réponse sera : ce sont de pures ébauches que Dieu accueille et que seul il peut compléter, façonner, auxquelles lui seul peut donner un visage.

 

La mort du Fils sur la croix, c'est le don de Dieu Trinité à l'humanité.

 

D’une prière de sainte Catherine de Gênes (+ 1510) dans une vision. Tu m'as montré, Père, une partie de ton ciel. Tu m'as montré comment avec le Fils et l'Esprit tu façonnes la foi, une foi qui doit être trinitaire parce qu’elle aussi est commune aux trois, parce que vous la faites naître au milieu de vous et parce que vous nous la donnez comme vous la possédez elle-même.

 

24 mai

Temps pascal

Au commencement, le Créateur ne séjournait pas seulement au ciel "de manière permanente" mais aussi sur terre : "se promenant de temps en temps". Sa promenade dans son paradis ressemblait peut-être aussi à la manière dont le Fils, après la résurrection, non seulement séjourne auprès du Père mais apparaît aussi de temps à autre à ses disciples.

 

Le Fils, qui rachète l’humanité par sa mort sur la croix, ne s’accorde pas le moindre soulagement dans sa passion ; il veut que rien de divin ne l'empêche de connaître la plénitude de la souffrance humaine et de la mort. L’Esprit de Dieu qui était en lui, qui avec lui possédait la vision du Père et en jouissait et, en un certain sens, la lui procurait, cet Esprit, il le rend maintenant entre les mains du Père. Bien qu’il ait vécu avec l’Esprit en vue de la croix et de la mort, ce n’est pas l’affaire de l’Esprit de souffrir et de mourir.

 

Pour le Fils, ce ne serait rien de se laisser crucifier et de prendre sur lui le péché du monde si on compare cela avec son abandon par le Père et la nécessité de le chercher là où il ne peut être trouvé. C’est justement là qu’on reconnaît la grandeur de l’amour divin : que, dans la souffrance du Fils, l’abandon par le Père dépasse à l’infini la somme des péchés du monde. Il semble insensé qu’on doive prendre comme mesure quelque chose de négatif, mais c’est ainsi.

 

Si tu es ouvert à l'appel de Dieu, tu ne peux pas savoir quelle sera la réponse que tu vas entendre, ni dans quelle zone de mission il te conduira pour l'accomplir.

 

25 mai

6e dimanche de Pâques

Ceux qui sont ressuscités avec le Seigneur (Mt 27, 52-53). Les tombeaux sont ouverts le vendredi saint parce que ce qu'a fait le Seigneur sur la croix a été fait pour tous, mais personne ne peut ressusciter avant lui. Tant que lui-même se trouve au tombeau, c'est pour tous les autres un temps d'attente. Mais qu'ils soient dans leur tombeau ouvert se trouve en opposition à la situation du Seigneur dans le tombeau fermé : leur tombeau ouvert est la promesse de l'ouverture du tombeau du Seigneur. En cela, ils sont ses précurseurs. Comme s'ils ne pouvaient pas ressusciter les mains vides, ils auraient reçu auparavant du Seigneur le gage qu'il leur serait permis d'apporter une contribution à la résurrection. Cela fait partie de la tendresse de l'amour du Seigneur qu'il fasse dépendre l'ouverture de son tombeau de la leur. Le Seigneur se lève d'abord tout seul, ensuite seulement les autres. Ici il n'est pas question de précurseurs. Quand il est ressuscité, ils se tiennent tout de suite au service de sa résurrection.

 

Le Seigneur sur la croix sait qu'il est Dieu et pourtant il souffre. Il sait en même temps que ce n'est pas une occupation maintenant de se savoir Dieu, tout est une question d'obéissance. Le Père a laissé le Fils s'incarner dans l'obéissance pour qu'il puisse mourir sur la croix, il n'en est pas moins Dieu. La divinité du Seigneur sur la croix est mise en marge par obéissance ; pour lui maintenant, c'est sans importance. Une telle expérience est à comprendre exclusivement par l'obéissance. Si le Seigneur disait : "Tonnerre ! Je suis quand même Dieu en fin de compte", il serait en dehors de la croix, mais il serait aussi en dehors de sa divinité parce qu'il ne serait plus dans l'obéissance. C'est justement son obéissance sur la croix qui est la marque distinctive absolue de sa divinité sur la croix. L'obéissance du Fils sur la croix était divine et divinement parfaite.

 

Le Père, qui a créé la vie, voit son Fils bien-aimé mourir à la suite d'Adam de la mort du méchant, mais dans cette mort, le Père ne voit plus rien de mauvais. Du début à la fin, son chemin est le chemin direct et continu de l'amour de Dieu, un amour qui reconnaît la réalité du mal et s'explique avec lui de cette manière. La "mort du méchant" dont meurt le Fils est l'expression de son amour pour Dieu.


 

26 mai

Temps pascal

Dans la nuit du séjour des morts, le Fils attend la résurrection du Père sans l'anticiper. Pour lui, c'est un pur abandon sur la croix et dans les enfers. Sur la croix, il porte les péchés mais, dans la nuit des enfers, il porte l’insuffisance perpétuelle de toutes les actions humaines par rapport aux exigences de la grâce. Là, toutes les incompréhensions humaines, toutes les résistances et tous les refus de choisir, toutes les hésitations et tous les retards sont entraînés dans la parfaite indifférence des enfers pour y être compensés. Le Fils ne peut prévoir ni faire venir l'heure de la résurrection. Le Seigneur attend dans la nuit : il a porté pour tous les hommes ce qu'ils ne sont pas capables de porter eux-mêmes.


 

On ne peut pas saisir ce qui s'est passé à la mort de Jésus lui-même, pas plus qu'on ne peut saisir ce qui s'est passé à sa résurrection.

 

Le Seigneur ne ressuscite pas de la croix mais de l'enfer du samedi saint.


 

A la fin du purgatoire, l’âme devient capable de pressentir la démesure de l'amour qui pardonne.

 

Celui qui prie doit être vide de lui-même pour se laisser former par Dieu comme il l'entend. Consolation ou désolation : tout doit déboucher dans le mystère d'une entière remise de soi entre les mains du Père.

 

Saint Ephrem ne dirait jamais de lui-même : "Dieu m'a appelé à faire cela", mais : "J'espère humblement que c'est le chemin sur lequel Dieu m'a placé".

 

27 mai

Temps pascal

Au milieu de ce qui est sans but (le chaos de l’enfer), tout s'ouvre tout d'un coup, avec la soudaineté de la création du monde par le Père à partir du chaos. La création se produisit dans un laps de temps (six jours) ; ici par contre la simultanéité commande tout parce que la vie éternelle est atteinte. On ne peut pas croître peu à peu dans la vie éternelle. Elle est là soudainement avec toute sa plénitude. Le Fils revoit le Père, il voit l'Esprit, il se revoit ainsi que ce qu'il a fait dans le Père et dans l'Esprit. Il ne perçoit pas en lui-même les signes de ce qu'il a fait - les cicatrices par exemple - mais, à son arrivée, il trouve parfaitement dans le Père et dans l'Esprit ce qui a été fait, comme la mère qui a mis au monde un fils ne pense pas à ses souffrances quand elle le voit, mais à son mari qui le lui a offert. Auparavant le Seigneur était enveloppé d'un manteau d'horreur, maintenant tout d'un coup il est enveloppé d'une lumière rayonnante de gloire. Dans la joie du Père et de l'Esprit, le Fils éprouve sa propre joie. "Quelqu'un a accompli la mission". Sa joie est une réponse à la joie du Père et de l'Esprit.

 

"Le Christ est d'abord ressuscité au ciel" (c'est ainsi qu'Adrienne disait), puis sur la terre. Il a repris possession de sa divinité en quelque sorte pour reprendre ensuite possession de son humanité. Adrienne vit la fête de la résurrection dans le ciel. La Mère était là. Tous les saints et tous les anges étaient présents pour la glorification réciproque du Père et du Fils ; et au Fils qui redescendait sur la terre pour communiquer son amour, tous pouvaient donner quelque chose du leur.


 

Le ciel est ainsi fait que chacun y est à sa place, si bien que personne ne s'y fait remarquer et qu'on n'est attentif que lorsque Dieu pose son regard sur quelqu'un ou sur quelque chose, quand une mission particulière est donnée ou qu'il y a une "fête" particulière ; après cela, tout rentre naturellement dans ce qu'on ne remarque pas, comme si cela allait de soi. Il n'est pas de lieu où moins de pose soit possible qu'au ciel.


 

28 mai

Temps pascal

Il n'est pas facile de décrire l'état d'âme des apôtres avant l’Ascension. Et en même temps ce n'est pas difficile parce que c'est aussi l'état d'âme des chrétiens d'aujourd'hui : quelque chose entre le regret et l'espérance, entre l'angoisse et l'amour. Le Seigneur va aller au ciel, il va quitter ses disciples, il va envoyer l'Esprit promis : tout cela semble si étrange. Lui qui a comblé tant de nos désirs, qui nous a accordé sa proximité comme le plus grand des cadeaux, il va nous quitter. Et comme il connaît nos lacunes et notre peu de courage, il va nous envoyer l'Esprit Saint que nous ne pouvons pas imaginer. Il l'a en quelque sorte rendu au Père comme son propre Esprit, et maintenant il va demander qu'il lui soit rendu afin qu'il nous transforme d'une manière qui ne sera pas la manière du Fils : il ne va pas prendre chair pour engager avec nous des entretiens. Le fait de ne pouvoir se représenter l'Esprit Saint qui va venir ajoute à l'accablement des apôtres : ils ont participé à la passion, ils ont vécu le retour du Seigneur qui fut si difficile à accepter pour Thomas. Et voilà que maintenant un nouveau départ est en vue avant même qu'ils soient seulement venus à peu près à bout de ce qui est arrivé : la croix et la résurrection.

 

La veille de l’Ascension, c’est presque comme si le Seigneur devait se dire : "Si déjà ici-bas je ne peux plus rien faire, comment ce sera alors dans le ciel où je ne pourrai plus atteindre les hommes directement ?" Ici-bas, il pouvait dire des paroles "limitées", compréhensibles ; plus tard, sa voix se fera entendre à partir de l'infini de Dieu. Ses paroles sembleront démodées, on ne les entendra plus dans leur fraîcheur immédiate, mais dans un livre ou par la bouche d'un autre qui les répétera Dieu sait comment, et ce sera l'occasion de décrocher.

 

Le royaume des cieux est le royaume du Père, du Fils et de l'Esprit Saint, un royaume ouvert sur le monde, car Dieu a créé le monde à l'unique fin qu'il ait part à la splendeur de son royaume. Il invite les hommes à y entrer, à jouir de sa vision et à partager avec lui sa vie éternelle.


 

29 mai

Ascension du Seigneur

Le retour du Fils auprès du Père signifie la joie. Aux jours de la passion, quand l'amour du Père pour le Fils était voilé, son amour n'avait certes subi aucun dommage, mais il ne pouvait plus être saisi ni goûté en plénitude. Dans les jours de joie par contre que le Fils a passés sur terre, il a vu l'amour du Père. Maintenant qu'il retourne au Père, cet amour rayonne d'un éclat nouveau, divin, rien ne reste voilé, sombre ou obscur. Ce qui règne, c'est la plus grande joie du revoir : Dieu est de nouveau en Dieu, le Fils dans le Père et dans l'Esprit, rien ne peut troubler le revoir. Il ne serait donc pas juste de décrire les temps de l'angoisse du Fils comme des temps où ses relations avec le Père auraient été troublées. L'angoisse aussi était un acte d'amour, d'abnégation, de renoncement, aussi grand qu'un renoncement peut l'être. Maintenant il n'y a plus à renoncer à quoi que ce soit, tout est entièrement transparent, Dieu Trinité célèbre la fête de la parfaite réunion dans le ciel. Et peut-être que la parabole du fils perdu n'est pas très loin : le Fils était "perdu", il a pris sur lui le péché du monde comme le sien propre, il n'a connu et toléré aucune distinction ; maintenant, après qu'il est mort dans la disette de la croix, après qu'il est ressuscité et qu'il est resté quarante jours auprès des siens, il revient avec le plus grand don que le Père pouvait attendre de lui. Le don qu'il apporte ne fait qu'un avec son retour : en l'embrassant, lui, le Fils perdu, le Père reçoit tout ce que le Fils lui apporte. En s'apportant lui-même, le Fils apporte au Père le monde sauvé, il présente au Créateur le monde recréé, qui porte désormais l'empreinte du Fils. Quand le Fils rapporte au Père le don de la terre, dans la joie de l'Ascension il nous laisse pourtant sur terre ses dons : l'Église terrestre dans laquelle il vit désormais en tant qu'habitant du ciel.

 

L'Ascension est la joie que le Père reçoit de son Fils, la joie que le Fils reçoit du Père et de l'Esprit, la joie trinitaire reçue du monde. Aussi problématique que soit le monde, il n'est pourtant pas quelque chose qui a échoué, parce que le Fils le porte au ciel. Il est l’œuvre tout à fait bonne du Père, que le Rédempteur ramène au Père.

 

30 mai

Jeanne d'Arc

Jeanne dans son enfance : elle est tout fait naïve, ingénue, enfant, mais en même temps avertie et finaude, une vraie fille de paysan. Il y a une foule de choses qu'elle connaît parce qu'elle a grandi à la campagne et que là on connaît ces choses. Mais elle les connaît dans une parfaite virginité. Elle est toute naturelle, sans pruderie, sans coquetterie. Sa virginité est la dernière chose dont elle se soucie. Même dans les dernières années de sa jeunesse, sa prière demeure celle d'un petit enfant. Elle aime beaucoup prier, les prières prescrites, le matin, le soir. Entre deux aussi, et cela lui fait plaisir. Elle est un peu comme les enfants qui racontent des histoires, qui ont le besoin de raconter des choses à leurs parents ou à leurs frères et sœurs. Elle raconte ses histoires à la Mère de Dieu et aux saints. Et parce que les histoires dans les prières lui semblent plus belles que les histoires inventées d'habitude, elle raconte des histoires priées. Elle a environ dix ans alors. Peu de temps avant d'entendre l'appel, il y a dans son âme le souci de son pays, la peur de la guerre. Se fait jour alors en elle une tension étrange. Elle est la jeune paysanne qui entend les histoires qu'on raconte devant elle, mais dans cette jeune fille il y a un autre personnage qui est caché : un jeune paysan qui voudrait se battre. Elle trépigne, elle trouve ça insupportable, elle n'en peut plus de devoir entendre des choses pareilles. Elle est solide comme un garçon. Et en même temps, tout à fait séparé de cela, il y a dans son âme un autre sentiment : un sentiment intérieur de défaite, un sens aigu des souffrances, de la débâcle, de l'abaissement de la patrie. Elle est atteinte ici dans ses sentiments les plus intimes. Ici elle n'est plus du tout la naïve jeune fille de la campagne. Cette nouvelle sensibilité s'est développée entièrement dans la prière et ne cesse de se développer.

Puis la vocation, le départ. Jusqu'au moment de l'appel, c'est le garçon qui prédomine en elle absolument. Tout son monde de prière et de souffrance est comme englouti par le tumulte de la guerre. Il va de soi qu'elle garde en tout le tact et la délicatesse d'une jeune fille, il va de soi aussi qu'elle continue toujours à prier. Mais elle ne connaît plus que sa mission et mesure toute chose selon cette mission. Pour le moment, elle ne comprend absolument pas que les deux ne font qu'un : la souffrance à l'intérieur et le combat à l'extérieur. Elle pense que la voix qu'elle a entendue était une conséquence de sa prière. Elle pense que la voix ne s'est adressée qu'au combattant en elle. Le combattant en elle est bien sûr croyant, pieux (même si ce n'est pas excessif), tout à fait pur. Mais il n'a reçu la mission que parce que derrière lui se trouvait la jeune fille priante ; l'action violente est totalement issue de la contemplation priante et souffrante. Ce n'est que lorsque tout a mal tourné et qu'elle est faite prisonnière qu'elle commence à comprendre que tout ne faisait qu'un. Elle se libère du jeune paysan qu'elle était pour n'être plus que la femme, la femme vierge, la femme priante. Du jeune paysan, elle ne garde que ce qui lui est nécessaire pour se défendre ; devant Dieu elle est déjà toute donnée.


 

31 mai

Visitation de la Vierge Marie

Marie se réjouit d'aller voir sa cousine, d'être avec elle, de vivre avec elle dans une nouvelle lumière. Elle voit que sa vie à venir sera toujours plus lumière. Mais cela la chagrine de devoir mener avec son entourage une sorte de double vie. Le grand mystère est en elle, il la remplit d'un bonheur tout à fait supraterrestre. Mais elle ne peut pas demeurer dans sa contemplation de telle sorte que ce bonheur se maintienne sans discontinuer, car Dieu veut qu'elle vive en ce monde au milieu des hommes. La divergence est pour elle si sensible qu'elle l'accable ; à cer tains moments tout lui semble irréel. Élisabeth est pour elle l'image d'une femme raisonnable, paisible, aimable. Elle se réjouit de se confier à elle. Il lui semble que si elle pouvait parler avec sa cousine, la répartition de la lumière et de l'ombre serait plus juste. Non en ce sens qu'elle voudrait se débarrasser de ce qui est difficile ou être toujours dans la clarté ; elle a of fert à Dieu sa disponibilité et son don d'elle-même, et elle voudrait y demeurer aussi parfaite ment que Dieu le souhaite. Élisabeth, pense-t-elle, pourra la conseiller, ensuite elle verra plus clairement son chemin, non qu'elle voudrait y voir plus clair que Dieu ne l'a prévu. Elle vou drait seulement tout faire comme il le veut et elle est convaincue que sa rencontre correspon dra tout à fait à la volonté de Dieu. Dès qu’Élisabeth aperçoit Marie, elle a une intuition. Ma rie sait alors qu'elle n'a pas besoin de parler de son secret, de ce qui lui est arrivé dans l'Esprit Saint. Elle parle de son attente et Élisabeth comprend que c'est l'attente du Sauveur qui vient de Dieu. En ce qui concerne l'origine de l'embryon, Élisabeth n'a aucune curiosité, elle ne pose pas de questions. Marie sait qu’Élisabeth sait exactement ce qu'il est juste et nécessaire qu'elle sache, et Marie en sait autant pour elle-même. Ensuite les deux femmes connaissent le tressaillement de Jean dans le corps d’Élisabeth, elles savent que leurs enfants sont unis l'un à l'autre en Dieu, et qu'en tant que mères elles ont beaucoup de choses en commun et que ce qu'elles ont en commun se trouve en Dieu. Elles parlent ensemble de tout ce qui concerne leur meilleur don d'elles-mêmes, de leur obéissance plus profonde. Sans bavardages, dans une conversation paisible dont le fond est le désir d'obéir toujours mieux à Dieu.

 

1er juin

7e dimanche de Pâques

Quelque chose de nouveau est offert par le Seigneur par son Ascension : une participation de la terre à la vie du ciel. Il ne s'agit pas maintenant de visions ou d'autres expériences surnaturelles, mais d'un "cadeau de bienvenue" du Seigneur à toute l’Église. Proximité, participation, communauté des biens, des sentiments. C'est en Marie qu'on le voit le mieux : elle ne se sent pas séparée de son Fils ; au beau milieu de sa vie d'ici-bas, elle a un contact avec le ciel, sans vision ; peu importe pour elle qu'elle vive ici-bas ou dans le ciel, non pas dans le sens de la négligence, car l'Ascension est en même temps une fête de la responsabilité. Ici-bas, il nous est constamment demandé de répondre au ciel, cela donne à la vie une portée beaucoup plus grande. Il n'y a plus de retour sur le moi, plus de "vacances de Dieu". L'exigence de correspondre se trouve au sein d'une correspondance établie entre le ciel et la terre, non par mérite mais par grâce. Entre les deux, règne maintenant un esprit commun. On doit être de la partie, car le Fils ne retourne pas seul au Père, il emmène avec lui le monde comme ça peut.


 

Vus par nous, les quarante jours après la résurrection ne sont guère compréhensibles. Cette pause entre la mort et la résurrection d'une part, et le retour au Père de l'autre. Nous devons prendre au sérieux la mort de Jésus, écouter aussi et méditer ses dernières paroles. Et puis son ensevelissement. Il y a alors cet état intermédiaire après la résurrection : il est là et il n'est pas reconnu tout d'abord par les siens, il leur est très proche, mais ils ne vivent pas dans son monde. Cet état intermédiaire est important pour l’Église à venir, certains traits de cette proximité et de cette distance simultanées subsisteront en elle. L'Ascension, c'est ce que nous comprenons le moins, car au fond le Seigneur nous emmène avec lui. C'est pourquoi nous devrions être des chrétiens rayonnants : parce que nous sommes "montés avec lui" et, en tant que tels, nous devrions comprendre ce que veut dire vraiment être chrétien. Mais nous sommes misérables, faibles et aveugles pour ce qui nous arrive. Même si nous savons d'avance que la fête de l'Ascension arrive, son mystère est peut-être le dernier auquel nous croyons sérieusement. Néanmoins le Seigneur monte au ciel et il nous prend avec lui, c'est dans sa grâce qu'il accomplit le tout : pour lui et pour l’Église. Puis viennent encore dix jours d'une nouvelle attente dans la prière que le Seigneur impose à ses disciples et à nous. Mais qui dans l’Église saisit ce que signifie cette descente de l'Esprit Saint ? Après la Pentecôte, nous sommes aussi tièdes et aussi paresseux que nous l'étions auparavant.

 

2 juin

Entre Ascension et Pentecôte

La croix signifiait déjà la rédemption mais, en montant au ciel, le Fils rapporte définitivement au Père son œuvre terrestre. L’Ascension comme pendant de Noël : ici l’arrivée, en provenance du Père, pour la rédemption ; là, le retour au Père avec la rédemption.

 

Tous les épisodes de la vie du Seigneur sont remplis de sens. Quand le croyant comprend cela, il voit combien il est essentiel de faire route avec le Fils vers le ciel.

 

Marie continue la tâche d'Ève : Ève aurait dû conduire à Dieu les hommes qui n'avaient pas eu comme Adam le contact direct avec le Père créateur. C'est en naissant que les enfants auraient reçu ce contact par les parents. Mais Marie est médiatrice de l'incarnation du Fils ; elle le conçoit par Dieu, le porte en tant que femme, le met au monde, prend soin de lui ; puis vient l'instant où ce n'est plus à elle seule qu'il est confié, mais à tous les hommes et tous le rejettent et le refusent. Le Père cependant se tient prêt pour accueillir à nouveau auprès de lui le Rejeté, le Repoussé, non comme celui qu'il était auparavant, mais comme celui qu'il est maintenant. Cet accueil au ciel est ainsi comme une nouvelle conception du Fils dans le sein du Père qui retrouve celui que le monde a renvoyé. Mais fallait-il que Dieu se résigne à cet échec ?

 

On s'imagine toujours que le Fils va tout seul au ciel. En fait, il y a aussi tous ceux qu'il entraîne avec lui. Il y a l'Ascension historique du Seigneur lors de laquelle pour la première fois il emporta avec lui d'innombrables âmes. Toutes celles qu'il avait délivrées de l'enfer le samedi saint. Où étaient-elles pendant les quarante jours ? Elles l'ont attendu certainement quelque part, elles ont en quelque sorte suivi un catéchuménat, quelque part entre la terre et le ciel. Il y a beaucoup de gradations entre voir et ne pas voir, entre garder les distances et avoir le contact, sans qu'un état de ce genre soit accablant.

 

3 juin

Entre Ascension et Pentecôte

La joie au ciel le jour de l’Ascension ne peut pas s'exprimer, mais elle est partout, elle nous appartient aussi, à nous les créatures du Père auxquelles il communique sa joie. Une joie qui est déversée du ciel sur le monde. Elle est vivante, elle brûle et elle pousse à la décision. Aussi problématique que soit le monde, il n'est pourtant pas quelque chose qui a échoué, parce que le Fils l’apporte au ciel. Le monde est l’œuvre tout à fait bonne du Père, que le Rédempteur ramène au Père. C'est comme si chaque cœur qui a jamais battu en ce monde devait apporter au ciel de la joie.

 

Les témoins de l’Ascension ont expérimenté la manière dont quelqu'un qui se trouvait dans notre temps partait verticalement pour l'éternité. Le Seigneur n'a pas rejeté avec mépris tout le temporel : il est mort bien sûr, mais il est aussi ressuscité, il est apparu aux siens dans le temps et il a ainsi pris ce temps avec lui. Par le fait qu'il a pris notre temps avec lui dans l'éternité de Dieu Trinité, il est en mesure d'entrer dans notre temps par une apparition.

 

Le dernier prochain du Seigneur, c'est le larron sur la croix, à qui il promet le paradis. C'est pour ce prochain comme pour tous les hommes qu'il est venu en ce monde ; pour lui et pour tous, il a donné son commandement de l'amour de Dieu et du prochain.

 

Le temps où le tombeau est ouvert et où le Seigneur est cherché par les femmes et les apôtres avant qu'il leur apparaisse appartient encore au samedi saint pour ceux qui le cherchent, mais il est déjà en vérité le "temps de Pâques". La rencontre avec le Ressuscité offre la joie de Pâques de la même manière que le Fils se réjouit dans le Père et dans l'Esprit. C'est une joie qui est tout entière dans le Seigneur et une joie aussitôt rayonnée et offerte avec le Seigneur.

 

Toute prière est l'expression d'une décision pour Dieu. Celui qui prie est décidé à respecter Dieu, à vivre en sa présence, à le contempler, à se mettre à nu devant lui, à l'implorer pour quelque chose.

 

4 juin

Entre Ascension et Pentecôte

Pâques : soudainement, beaucoup plus rapidement qu'en une seconde, vint la lumière. Le Seigneur était entouré d'une splendeur qui n'était pas supportable. Et on sut que c'était l'amour qui frappait tout : son don de lui-même, sa joie et sa gloire. Christ Roi. Toute la gloire. Et au même instant il fut à nouveau l'un de nous, nous offrant la joie de Pâques ; je ne sais pas comment on doit décrire cela sans être banal : il ne fait pas de manières, cela lui est tout naturel d'être là et de parler avec nous, et que les quarante jours commencent, et il exige de nous la même joie de Pâques ; la foi, la confiance, il nous les donne, donc nous les avons.


 

Et tout d'un coup Pâques fut là. Tout d'un coup l'amour fut là avec l'espérance, comme un choc, une expérience d'une force percutante infinie. La lumière. On était à nouveau plein de l'espérance que l'amour serait assez fort pour remplir le monde entier. Lui le peut. Lui, dans l'unité avec le Père et l'Esprit.


 

Dieu a créé l'homme et le reste du monde par amour pour l'homme.

 

Les chemins de la grâce du Seigeur demeurent imprévisibles. On ne peut jamais déduire une grâce d'une autre grâce. Les chemins de la grâce du Seigneur se moquent de tout système.

 

5 juin

Entre Ascension et Pentecôte

Le Fils était dans les enfers, il était enseveli là où il devait se décomposer et il en sort comme un fruit mûr. Il montre ce que peut le rayonnement qu'a le Père. Quand maintenant il passe à travers les portes fermées et que les lois du monde terrestre ne sont plus valables pour lui, il montre la force de pénétration de sa fécondité. Il ne se laisse plus arrêter, repousser, chasser par nos péchés.

 

Il y a un mystère de la présence, de l'actualité de Pâques, dans l’Église naissante, dans l’Église d'aujourd'hui aussi. L’Église est porteuse de l'événement de Pâques, de la présence en nous de la fête. Elle recueille les mystères de la résurrection du Seigneur et elle les rend à nouveau vivants dans l'année liturgique, non seulement en elle, mais aussi en nous du fait de sa mission dans le temps.


 

Si la prière est vraiment une conversation, je dois me présenter devant Dieu en le laissant parler comme un partenaire très célèbre, qui me dépasse à l'infini, qui daigne cependant se faire comprendre de moi.

 

Là où est l'amour chrétien, Satan n'est pas loin ; il fait ses meilleures prises là où le véritable amour faiblit, se refroidit, se laisse manipuler imperceptiblement pour devenir quelque chose qui porte encore le nom d'amour mais qui n'est en réalité que l'opposé de l'amour : le plaisir égoïste.

 

6 juin

Entre Ascension et Pentecôte

Celui qui ressuscite est saisi par la grandeur du Père. La pierre qui a été roulée est pour l'Esprit un nouvel accès. Avec le Fils, le Père réveille tous les pécheurs : ils ont accès à l'Esprit. L'union au corps glorifié se produit à l'intérieur de la continuité qui n'a jamais été totalement brisée : de même que le Fils mort était conscient de la descente de croix et de la mise au tombeau, de même le corps de résurrection est un corps avec ses cicatrices, dans lequel pourtant les caractéristiques de la naissance de résurrection dépassent de loin celles de la naissance terrestre. Avant, le Fils avait, en tant que juste, le corps des pécheurs. Si autrefois il avait eu à dire quelque chose de son corps, ç'aurait sans doute été surtout que son corps était assimilé en tout au corps des pécheurs. Maintenant c'est un corps de résurrection, qui est plus près de la sphère des miracles, qui est en relation avec les miracles opérés par lui : transsubstantiations, multiplications, résurrections, guérisons. Les miracles renvoyaient d'avance aux corps de résurrection dont le sien est le premier. Son premier corps était destiné à la croix, son nouveau corps vient de la croix.

 

Tout ce que dit la tradition, on peut le ramener à sa base qui est la Bible. Le point de développement n'a pas besoin de pouvoir être démontré selon la lettre. Si étaient visibles tous les documents qui ont été composés légitimement au cours des siècles à partir du texte, il serait clair que tout remonte à l’Écriture. Il n'y a ici aucune différence entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament aussi il y a de la tradition qu'on ne peut ramener à un texte unique ; mais, à l'intérieur de sa tradition elle-même, existe la même suite d'un développement légitime. Dans la tradition du Nouveau Testament également il y a un jeu semblable à celui qui existe entre l'Ancien et le Nouveau Testament. La tradition principale est certes l'interprétation du Nouveau Testament ; mais sa relation à l'Ancien Testament ne peut jamais en être oubliée pour autant, dans la mesure où le Nouveau Testament était déjà autrefois l'interprétation de l'Ancien ; la tradition ultérieure doit revenir sans cesse à cette interprétation et, par là au fond, à la relation du Nouveau Testament à l'Ancien.


 

7 juin

Entre Ascension et Pentecôte

Le Seigneur est retourné dans le mystère de la vie trinitaire dont il nous a montré sur terre un reflet, il s'est retiré à nouveau dans le ciel dans son prolongement infini.


 

L'ascension, c’est difficile à exprimer : le retour du Christ dans l'invisible.


 

Ascension. Tous ne pensent qu'à une chose : le Fils va vers le Père ! Et tous sont pour ainsi dire emportés avec lui. Parce que personne n'a vu le Père si ce n'est le Fils, arrive l'instant où le Fils seul continue pour rencontrer le Père dans l'Esprit, dans une sphère où notre esprit n'a plus accès. L'Ascension est en quelque sorte en trois parties : le Fils va de la terre au ciel, il est pris par l'Esprit, il arrive devant le Père.

 

Le Père a reconnu le Fils de l’homme comme son Fils éternel lors de son ascension dans sa forme humaine inchangée et l'a fait asseoir à sa droite.


 

Si Dieu Trinité est seul témoin de la résurrection du Fils, et si Marie qui est pourtant si proche du Fils est placée devant le fait accompli et qu'auparavant elle n'en croyait et n'en savait quelque chose qu'en raison de la promesse, Dieu montre par là qu'il confie à Marie comme à l’Église des mystères qui doivent rester tels. Elle doit croire comme cela lui a été offert ; il y a des franchissements qui ne sont possibles que par le mystère. Mystère ne veut pas dire simplement incompréhensibilité ; la raison reconnaît qu'il y a là un sens, mais elle doit en laisser la connaissance à Dieu en fin de compte ; elle comprend qu'elle ne comprend pas ce qui pour Dieu est compréhensible, elle doit se contenter de savoir la véracité du mystère.

 

8 juin

Dimanche de la Pentecôte

Les apôtres sont des croyants qui tout d'un coup, d'un ciel serein, reçoivent un cadeau qui les comble, dont Dieu seul est l'origine. Ils ne reçoivent pas ce don selon leurs mérites ou leurs efforts, mais sans conditions. Ce n'est pas non plus leur personnalité propre qui fait l'expérience d'un complément ou d'une surélévation, tout l'accent est mis sur l'intervention de Dieu.


 

Que le Fils puisse envoyer l'Esprit et l'envoie de fait, nous l'apprenons par sa parole. Nous voyons cette parole accomplie le jour de la Pentecôte et nous recevons l'Esprit dans le sacrement de confirmation. Quand le Fils envoie l'Esprit, il l'envoie depuis l'éternité de Dieu Trinité comme Esprit d'amour. Il l'envoie dans un acte d'amour, mais celui qui est envoyé est lui-même amour ; celui qui envoie et celui qui est envoyé sont un dans l'amour trinitaire. L'existence où l'Esprit entre comme envoyé reçoit la réalité de l'amour éternel. Là même où nous ne voyons pas l'Esprit, où nous ne pouvons pas le saisir, il est malgré tout l'amour ; par cette mission, nous sommes plongés dans l'atmosphère d'amour de l'Esprit.

 

Les apôtres doivent recevoir l’Esprit (le Seigneur ne leur demande pas leur avis !) et l’Esprit leur est encore plus mystérieux, plus inconnu que le Fils. De même que le Fils s’est fait homme pour témoigner du Père, l’Esprit agit dans l’Église pour témoigner du Fils. Tout ce qu’il touche, il l’entraîne vers le Fils, comme le Fils essayait de mettre en mouvement vers le Père tous ceux qu’il rencontrait.


 

L’Esprit Saint souffle à travers toute l’Église ; à la Pentecôte, il veut se communiquer de manière plus éclatante que d’habitude et descendre sur chacun. Si nous étions plus vivants dans la prière, nous pourrions recevoir infiniment plus, comprendre aussi infiniment plus et être infiniment plus que nous ne le sommes. En tant que mus par l’Esprit, nous serions des hommes libres.


 

9 juin

L'Esprit Saint incite l'homme à chercher Dieu, il éveille le désir de Dieu, il éveille le désir de la prière.

 

Dieu a fait don à l’homme de la foi qui embrasse tout ce qui est à Dieu. Par elle, Dieu est en relation avec l’homme, et il fait de lui un chrétien. Au chrétien, Dieu offre la plénitude de l’Écriture, la vie de son Fils, son Esprit Saint. Mais, en tant que croyant, le chrétien doit en même temps gérer ce qu’il a expérimenté et appris humainement en vue de ce qui est à attendre, car cette sphère n’a pas le droit de se fermer sur elle-même, elle est une fonction de l’homme qui est ouvert à Dieu. En beaucoup de points, il se fait que le croyant se heurte à une sphère de mystère qui appartient à Dieu, et la réponse de Dieu peut être tout autre que celle qui était attendue. Dieu ne se laisse pas capturer, on ne le maîtrise pas rationnellement. Dans une surabondance qui réserve les plus grandes surprises, il fait don à l’homme des mystères de son amour.

 

Nous devrions rester ouverts à l'Esprit Saint. Dieu devrait garder la possibilité d'agir là aussi où notre esprit planificateur n'a plus accès. Nous devrions laisser à l'Esprit la liberté de souffler où il veut, sur nous et sur nos œuvres, même s'il commence par notre foi et notre action.


 

Il faut toujours demander à Dieu le vrai sens de la prière. Dieu accorde tout ce qu'on lui demande dans son Esprit. Dieu veut qu'on le prie dans l'Esprit de son Fils, et le Fils demande et reçoit ce que le Père veut lui donner. Mais si, en commençant la prière, on n'a que le désir de chercher son propre avantage, Dieu ne peut pas correspondre à cette prière et celui qui prie aura le sentiment de ne pas être exaucé par Dieu. Ce n'est pas que Dieu exige et présuppose une transformation totale et peut-être impossible de l'homme, mais il donne le vrai sens de la prière si on le lui demande. Celui qui prie doit se laisser conduire.

 

10 juin

La rencontre de l’Esprit Saint avec les apôtres le jour de la Pentecôte ne peut pas être comprise autrement que comme une rencontre mystique. Ils sont ivres, hors d’eux-mêmes, en extase. Quand Dieu crée un homme, on peut d’une certaine manière prévoir à quoi ressemblera le résultat : il présentera les caractéristiques de tout homme. Quand l’Esprit du Créateur rencontre le croyant, on ne peut pas prévoir ce qui en sortira. Pour la saine raison humaine, la Pentecôte est un spectacle de désordre, d’aliénation, de trouble dans l’homme : ce n’est pas l’homme lui-même qui le provoque et rien de naturel ne peut le causer, il est un signe d’une invasion du divin, le signe que l’Esprit de Dieu souffle en l’homme où il veut et qu’il transforme tout ce qui est habituel. Les limites de l’esprit humain sont supprimées, les disciples parlent des langues qu’ils n’ont jamais apprises, ils parlent même plusieurs langues en même temps sans les avoir étudiées. C’est ici, dans l’accès à quelque chose d’inaccessible, dans ce qu’il est impossible d’obtenir même si on le voulait, que se trouve un point essentiel de la mystique. Ce dépassement des limites sans qu’on l’ait voulu soi-même et sans s’y être exercé caractérise tout le domaine de la mystique. La manière dont Dieu conduit alors peut rendre inutile tout degré apparemment nécessaire, le rend de fait réellement inutile. Les apôtres sont des croyants qui tout d’un coup, d’un ciel serein, reçoivent un cadeau qui les comble, dont Dieu seul est l’origine. Ils ne reçoivent pas ce don selon leurs mérites ou leurs efforts, mais sans conditions. Ce n’est pas non plus leur personnalité propre qui fait l’expérience d’un complément ou d’une surélévation, tout l’accent est mis sur l’intervention de Dieu. Et la transformation qui se produit dans l’apôtre n’est pas seulement perceptible pour lui, il la remarque aussi chez les autres, et il reconnaît que leur transformation est causée par l’Esprit.


 

Dieu est infini. La part que Dieu donne à l'homme de son infinité, c'est la foi. Et pour que l'homme comprenne quelque chose de cette part, l'Esprit lui dilate l'esprit et lui apporte la révélation du Père d'une manière qui lui soit compréhensible. De la sorte, l'être de Dieu et la foi de l'homme se rencontrent vraiment dans l'Esprit Saint.

 

11 juin

Saint Barnabé

Sa prière est tout à la fois bien réfléchie et pleine de pensées. Il voudrait plaider parfaitement la cause du Seigneur, mais il se sent loin de lui et il lui demande de mieux l'introduire auprès de lui, de lui donner la grâce de correspondre pleinement. Il prie beaucoup aussi Dieu le Père, il voudrait recevoir beaucoup de grâces par l'Esprit Saint pour pouvoir les partager. Il n'est pas aussi doué que saint Paul, mais il est très conscient de sa mission. Au sein de cette mission, il essaie de vivre dans la pauvreté et de ne rien recevoir qu'il ne donnerait à d'autres. Il va son chemin pas à pas non avec une confiance aveugle, mais avec une conscience réfléchie. Il est pleinement conscient que les premiers après que le Seigneur a disparu de cette terre ont à suivre des chemins qui demeurent imitables. Il prie beaucoup, surtout pour les autres. Il n'a pas le besoin de saint Paul de faire prier pour lui-même, mais il a très fort le besoin de voir sa prière disparaître en Dieu. Le Notre Père que le Fils a donné au monde est quelque chose qui lui tient à cœur : pouvoir prier comme le Fils lui-même a prié et pour que la volonté du Père soit faite sur la terre.


 

12 juin

S'il n'y avait pas eu de péché, l’Esprit aurait été le don permanent du Père aux hommes. Dans son Esprit, Dieu aurait gardé près de lui sa création et en elle chaque homme. Pour les hommes, l'Esprit aurait été ce qui en Dieu était le plus compréhensible. Comme Adam et Ève au paradis, ils auraient sans cesse entendu Dieu grâce à l'entremise de l'Esprit, ce qui aujourd'hui caractérise surtout les saints ; la marque distinctive des hommes aurait été d'être des récepteurs de l'Esprit.


 

L’Esprit conduit tout le monde au Seigneur. Tous ceux qui ont reçu en eux une semence de Dieu sont touchés par l'Esprit des manières les plus variées, ils sont en chemin vers l'amour trinitaire.


 

Si l'Esprit Saint assure la fonction qui consiste à nous révéler le Père, nous devons aller à sa rencontre en rendant notre esprit libre pour accueillir son message.

 

Mettre au service de l'Esprit Saint l'esprit dont on a été doté, pour que l'Esprit Saint ait davantage de possibilités d'action. La mission est aussi de faire connaître l'Esprit Saint autant que faire se peut, mais en faisant disparaître son propre esprit dans le service, sans se mettre au centre. Se perdre dans le service de l'Esprit Saint.

 

Un enfant possède un trésor, une image par exemple que sa maîtresse lui a donnée et qu’il a cachée en lieu sûr. Puis il se laisse si bien convaincre par son frère qu’il en vient à perdre toute méfiance et à lui montrer son trésor. Ce dévoilement du trésor est une extrême concession. Mais le frère lui arrache l’image des mains et l’emporte avec des cris de triomphe. La comparaison avec l’œuvre de l’Esprit ne réside pas dans le sentiment d’avoir été abusé éprouvé par l’enfant, mais en ce que notre offre la plus extrême n’est jamais qu’un tout petit morceau de ce que l’Esprit projette pour nous et qu’il lui reste toujours à faire l’essentiel. Qu’il emporte quelque chose est une plus grande grâce que le simple fait qu’on lui permette de voir. Chaque fois que l’homme soupire : "Je ne comprends pas", l’Esprit pourrait lui répliquer : "Enfin tu l’as compris !"


 

13 juin

Saint Antoine de Padoue (1195-1231)

Il prie avec beaucoup d'amour, il prend les hommes avec lui dans sa prière et il attend de sa prière un fruit qu'il peut apporter aux hommes. Il ne voudrait absolument rien garder pour lui. Toutes les paroles qu'il apporte aux hommes, toutes ses prédications, toutes ses consolations, tous ses encouragements, il les puise dans la prière. Il se laisse conduire totalement par la prière, il y laisse mûrir toute son action apostolique. Son amour pour Dieu est comme celui d'un enfant, simple, sans rien de dissimulé ; il ne peut rien cacher, et quand il remarque que sur un point il n'a pas totalement correspondu, qu'il n'a pas tout livré jusqu'au moindre détail, il est alors incroyablement appliqué à tout porter devant Dieu et à s'excuser auprès de Dieu d'avoir hésité si longtemps, et à demander à Dieu de le rendre tel que Dieu puisse accomplir par lui tout ce qu'il a décidé.S'il fait quelque chose qui ne plaît pas absolument à Dieu, il s'en aperçoit instantanément. Il vit dans une parfaite harmonie avec Dieu.

 

14 juin

On ne doit pas penser la Pentecôte sans le vendredi saint. La Pentecôte est une fête à laquelle on n'arrive que par les épreuves supportées en suivant le Christ au temps de sa passion ; on ne peut pas supprimer ces conditions. Plus l'expérience de la Pentecôte est pleine, plus aussi sa condition doit avoir été remplie profondément, plus le temps de la passion doit avoir été vécu à fond. Marie et Jean ressentiront la joie de la Pentecôte d'autant plus pleinement qu'ils ont participé plus profondément aussi à la croix du Seigneur.


 

L'Esprit, qui souffle où il veut, a conduit le Fils à la croix et Pierre là où il ne voulait pas aller : le Seigneur exactement là où il voulait aller et Pierre exactement là où il ne voulait pas aller.

Quand l'Esprit Saint se présente et se montre sous l'une ou l'autre forme, il y a dans la rencontre avec lui le fait qu'on est élevé en lui, et cela ne semble pas tout d'abord changer la qualité de la prière. L'Esprit est là, celui qui prie aussi ; celui qui prie sait que l'Esprit viendra à la Pentecôte, qu'il est toujours en train de venir, et que cette venue signifie un mouvement de Dieu qui doit être continué dans l'Église et dans le monde. L'Esprit illumine ceux qui prient afin qu'ils rayonnent eux-mêmes l'Esprit. Pour beaucoup, ceci est difficile parce qu'ils sont tellement liés à eux-mêmes, à leur milieu, à leurs expériences, ils ne sont pas habitués à réduire leur liberté, et même parfois à y renoncer totalement. Ils n'ont aucun usage de la grande liberté du chrétien dans l'Esprit Saint et ainsi leur manque de liberté ne leur permet pas de recevoir dignement l'Esprit. L'Esprit souffle à travers toute l'Église ; à la Pentecôte, il veut se communiquer de manière plus éclatante que d'habitude et descendre sur chacun. Quand l'Esprit Saint se présente et se montre sous l'une ou l'autre forme, il y a dans la rencontre avec lui le fait qu'on est élevé en lui, et cela ne semble pas tout d'abord changer la qualité de la prière.


 

15 juin

Dimanche de la Sainte Trinité

Dieu, en sa Trinité, jouit de la communion la plus sainte et de l'échange le plus intime de l'amour. C'est dans cette joie que Dieu fonde l’Église du Seigneur. Elle est l'expression de l'invitation faite aux hommes par le Fils incarné à entrer en communion avec le Père et l'Esprit Saint qui est la sienne. Et de même que Dieu le Père a créé le monde en commun avec le Fils et avec l'Esprit, de même le Fils engendre l’Église dans la même communion et, quiconque y entre, il le fait participer aux biens de la communion selon un certain degré de conscience. Les hommes certes sont chargés de péchés, inattentifs, indignes des honneurs et des joies qui leur sont offertes par la communion des saints. Néanmoins la communion porte son nom pas seulement d'une manière superficielle, mais avant tout, en raison de la présence du Seigneur en son centre, elle porte absolument le caractère de la sainteté. Il la lui offre, il reste en elle, se révèle en elle afin aussi que sa sainteté à elle ressorte clairement. Il se sent chez lui dans l’Église, en elle il rencontre les siens. Il voudrait que les croyants également se sentent chez eux dans l'Eglise, l'y rencontrent, ils y ont part à l'infiniment grand qu'il leur offre, même s'ils ne comprendront jamais totalement cet infiniment grand et même si cet infiniment grand a pour eux un certain caractère insolite du fait de leur état de pécheurs. Ils sont chez eux, mais ils pourraient l'être beaucoup plus en tant que saints par la sainteté du Seigneur. Par cette sainteté, ils devraient devenir des saints eux-mêmes en ne résistant pas à la grâce et en ne lui opposant aucun refus. Toutes les grâces qui leur sont offertes sont des grâces de la communion des saints : la grâce de sanctifier leur vie, la grâce de prier et de porter pour les autres, d'être parfaitement disponibles, de reconnaître en chacun des autres ce qu'est le Seigneur, de voir en tout homme l'humanité que Dieu a assumée, car le mystère de l'incarnation se manifeste partout. Quand il vivait parmi nous, le Seigneur a institué les sacrements et, parce qu'ils nous rencontre partout comme pécheurs, il a institué le sacrement de la réconciliation, et c'est peut-être comme pénitents justement que nous discernons le mieux la nature de l’Église : indigne parce que pécheresse, digne parce que rachetée. En chaque communion le Seigneur s'offre lui-même, il prend domicile en nous de sorte qu'à cet instant ce n'est plus nous qui vivons mais lui en nous. Lui qui, dans l'hostie, est totalement présent, ne faisant qu'un avec le Père et l'Esprit comme depuis toujours dans l'éternité.


 

16 juin

Le Fils vient du Père et va au Père. La vie de la Trinité est mouvement éternel ; le Père lui-même est dans le mouvement éternel d'engendrement et de procession ; jamais le Père ne se repose en lui-même ; en tant qu'amour, le Père se communique éternellement. Du même mouvement du Père sort aussi sa création. De même que le Fils et l'Esprit sont dans un mouvement éternel qui sort du Père et retourne au Père, de même le Père veut introduire sa création dans ce mouvement trinitaire ; en envoyant son Fils et l'Esprit, il ouvre au monde ce mouvement éternel. Chaque jour où, en tant que chrétien, je ne grandis pas vers Dieu est pour moi un jour de mort ; mais je peux grandir parce que Dieu se communique à moi chaque jour de manière trinitaire.

 

Dieu ne peut être que trinitaire. J’ai vu l'Esprit Saint comme médiateur entre le Père et le Fils de l'homme, entre le Père et le croyant, entre le ciel et la terre.

 

Saint Irénée voit la mission du Christ si incluse dans la vie trinitaire que rien de ce qui est fixé ne le satisfait, ce n'est toujours qu'avec une mauvaise conscience qu'il termine les chapitres et les parties de son travail. Pour lui, tout n'est toujours d'une certaine manière que l'introduction à une introduction de l'introduction.

 

Comprendre plus profondément le renoncement de Dieu Trinité en Jésus Christ.

 

Denis Petau (+ 1652) ne peut pas méditer un mystère du Fils sans être convaincu en même temps de la vérité du Père et du Fils dans ce même mystère. Il distingue très bien les trois personnes dans la prière, mais d'autre part il voit si fort leur unité qu'il les trouve toujours toutes les trois dans un seul mystère.

 

17 juin

Quand nous commençons à comprendre que la foi ne s'épuise jamais dans une reconnaissance théorique, mais qu'elle n'est viable qu'unie à l'amour agissant, il devient clair pour nous que les mystères trinitaires que nous confessons dans la foi doivent se répercuter dans notre amour. Un amour qui voudrait ne s'occuper que du Fils n'irait pas dans son sens, étant donné qu'il voulait être porte et non but, passage vers le Père et l'Esprit aussi bien que vers les hommes qu'il a aimés jusqu'à la mort. La communion la plus intime est la communion trinitaire en Dieu ; il serait contraire au sens de l'amour lui-même d'opérer ici un choix.

 

Nous ne connaissons pas l'avenir, mais par les paroles du Seigneur nous savons que Dieu Trinité demeure dans le ciel, nous savons que l'éternité est une super-durée dans laquelle ne se passe que la volonté du Père, qui est aussi la volonté du Fils et de l'Esprit.

 

La révélation du Christ est au service de la révélation de la Trinité. Quand la dogmatique estompe cette distinction des personnes ou la rend superficielle en ne voulant parler que d'appropriations extérieures, on devra faire attention à ce que tout le credo ne s'effondre pas jusqu'à ce qu'il ne reste plus que Ponce Pilate comme donnée reconnaissable et sûre tandis que tout le reste serait réduit au rang de discours en paraboles.

 

Pour Dieu, le bonheur suprême est de se révéler.

 

Dieu nous parle. Nous devons trouver le lieu où nous pouvons entendre sa voix ; il s'adresse à nous personnellement, mais en l'entendant personnellement, nous devons avoir le souci que le monde qui nous entoure l'entende aussi.

 

Ce qu'un homme est en vérité, c'est le regard de Dieu sur lui qui en décide et qui, grâce au Fils, est un regard d'amour et non de justice.

 

18 juin

Les actions des personnes divines ad extra sont certes communes, mais elles sont opérées par une personne avec l'accompagnement des autres ; le caractère de l'action manifeste le caractère de la personne qui agit. Comme les personnes en Dieu se distinguent par leur opposition à l'intérieur de l'unité de nature, on peut reconnaître, dans une action déterminée du Dieu unique, une seule personne même si elle n'agit pas indépendamment des autres. La création comme telle renvoie clairement au Père, justement parce qu'il est Père, bien qu'elle soit, bien entendu, l'œuvre de Dieu Trinité tout entier. On peut comparer le monde et le Fils parce qu'ils sont issus tous deux du Père, on peut reconnaître le propre du Fils à partir de la nature créée du monde. Parce que le Père et le Fils sont présents dans l'acte de la création, l'Esprit Saint y collabore aussi par son souffle. Il souffle où il veut, mais toujours entre le Père et le Fils. D'où il s’ensuit qu'en suivant les traces de l'Esprit, on rencontrera toujours le Père et le Fils.

 

Pseudo-Denys l'aréopagite (vers 500). Sa prière débouche directement sur son travail, et cela parce que son travail est supra-personnel, confié par mission à sa super-intelligence. Il demande bien sûr la clarté de l'expression, le don de la forme, la justesse de l'intelligence, et sa prière naît de tout cela, mais elle ressemble davantage à une prière de l’Église tout entière pour une grâce précise qui lui est nécessaire. A ce moment-là, il personnifie toujours toute l’Église, de manière anonyme - car peu de personnes s'occupent de son œuvre - et, par cette prière, il passe une pureté, une plénitude, une grâce qui pour ainsi dire ne le touchent pas, mais qui se déversent par lui dans son œuvre, si bien que vis-à-vis de celle-ci il sert d'instrument, un instrument qui vient de Dieu et qui opère par Dieu.

 

19 juin

La possibilité de comprendre la relation trinitaire se trouve dans l'Esprit Saint qui va et vient entre le Père et le Fils comme échange d'amour et qui, en même temps, procède d'eux.


 

Le plus grand péché, c’est celui contre l’Esprit, non contre le Père et le Fils. Comme si l’Esprit était justement si bon pour les pécheurs que le plus grand péché soit commis contre lui, qu’il soit pris comme l’objet du plus grand péché. Il serait moins grave de ne pas aimer Dieu (le Père) et d’outrager le Seigneur que justement l’Esprit. On ne peut se représenter l’Esprit qu’en relation avec le Père et le Fils. On peut pour ainsi dire offenser le Père isolément comme Créateur, le Seigneur comme frère. Mais le péché contre l’Esprit est le péché contre ce qu’il y a de saint en Dieu, contre la majesté elle-même de Dieu.

 

Ce n'est pas une humiliation pour le Fils que le Père le précède en tant que Père, et ce n'est pas une humiliation pour l'Esprit de procéder du Père et du Fils.

 

Celui qui prie a le pouvoir de rapprocher les siens de Dieu, de recommander pour la vie éternelle dès leur vie présente ceux qui lui sont confiés de telle sorte qu'il se produit un déplacement, que quelque chose de la vie terrestre s'insère dans la vie éternelle, soit mis sous protection divine. Les intéressés n'ont pas besoin de le savoir pour le moment, le fruit n'en existera pas moins.

 

Dieu le Père crée le monde, Dieu le Fils le rachète, Dieu l'Esprit l'anime.

 

20 juin

Le Fils naît éternellement du Père, il ne lui est pas demandé s'il veut être engendré. En tant que Fils engendré, il est aussi celui qui répond au Père de toute éternité. Le Fils dit éternellement oui à la volonté du Père, il est éternellement dans l'obéissance au Père. L'Esprit est le témoin éternel de l'entente éternelle du Père et du Fils : le Père et le Fils ne sont qu'une seule volonté. C'est pendant que le Fils est engendré par le Père que l'Esprit procède des deux. Pas ultérieurement.

 

L'Esprit Saint procède du Père et du Fils, et il est envoyé de l'un à l'autre. La mission du Fils qui sort du Père et retourne à lui, nous pouvons nous la représenter plus facilement. Se faire une idée de l'envoi de l'Esprit par le Père et le Fils est difficile, car c'est une mission et un mouvement toujours nouveaux qui partent de l'origine.

 

Dieu le Père engendre éternellement le Fils, et l'Esprit procède des deux éternellement. L'Esprit, qui lui-même est Dieu, est en même temps médiateur entre le Père et le Fils, il l'est sans que cela s'oppose à l'ouverture réciproque du Père et du Fils. Ils ont des relations directes l'un avec l'autre, mais ils communiquent aussi l'un avec l'autre dans l'Esprit. Il n'y a pas de loi qui régirait ces deux modes de relations. Les unes et les autres existent, et les deux sont vraies ensemble. L'Esprit est l'Esprit du Père et l'Esprit du Fils : chacun des deux reconnaît en lui son Esprit ; et l'Esprit se sait un avec le Père et avec le Fils.

 

Si nous attendons quelque chose de la foi en tant que croyants, nous sommes renvoyés à la parole de l’Écriture. Si nous la méditons réellement, elle s'ouvre à nous comme quelque chose que nous avons le droit de posséder ; nous trouvons toujours en elle des profondeurs, des vérités, des beautés nouvelles et des vérités objectives que nous pouvons de plus contempler avec les yeux de l'amour.

 

21 juin

Saint Louis de Gonzague (1568-1591)

Louis de Gonzague a possédé à la perfection l'art de mettre entre les mains de Dieu son âme et son corps. Il laisse Dieu se promener dans son âme, et Dieu a alors les idées les plus inattendues, mais Louis laisse tout faire avec la même disponibilité. On peut le prendre devant, derrière, en haut, en bas, cela lui est égal. Mais lui aussi doit l'apprendre. Et il l'apprend humblement, car il comprend que Dieu ne veut pas de réponse de lui maintenant ; il laisse tout ouvert. Il est comme quelqu'un qui ouvre la bouche dans laquelle on envoie de l'eau : le réflexe normal serait d'avaler, mais ce n'est pas ce qui lui est demandé maintenant, il doit seulement garder la bouche ouverte. Répondre trop tôt, répondre tout simplement, quand ce n'est pas demandé, c'est vouloir tout savoir mieux que Dieu, ou en savoir autant que Dieu. Saint Louis de Gonzague a une ressemblance avec le Seigneur dans le fait qu'il est constamment si obéissant que Dieu lui fait continuellement le don de sa proximité, et là où Dieu laisse ses traces, Louis les reconnaît. Il n'a pas besoin de les voir de ses yeux et de les toucher de ses doigts, mais il les reconnaît comme le chemin de Dieu, avec une sorte de sûreté surnaturelle. Pour Louis de Gonzague, c'est sans doute un mystère de pureté, de jeunesse consacrée, du don de soi d'un adolescent. Mais peut-être a-t-on trop souligné ce caractère et trop peu vu que c'est surtout un mystère de prière, que sa vie est marquée par une participation à l'être trinitaire de Dieu et à son don trinitaire de lui-même à l'égard de l'homme. Il a été poussé dans le tourbillon de la Trinité qui se révèle, et ce qu'il expérimente, il doit le faire connaître non seulement dans la prière mais dans toute son attitude, il ne peut le faire autrement que par sa pureté. S'il avait vécu plus longtemps, s'il avait pu travailler plus longtemps à sa mission, s'il avait eu plus de connaissances, sa postérité aurait sans doute pu découvrir en lui d'autres traits que la pureté : des traits plus grands d'obéissance, de don de soi, de discernement des esprits, en même temps qu'une modération, en ce sens qu'il se trouve exactement à la juste place qui lui est assignée, qu'il ne veut en savoir ni plus ni moins que ce qui lui est donné. Alors pourtant, dans son zèle paulinien, il s'oublie totalement lui-même par la grandeur du mystère dont il fait l'expérience, qui se communique et se manifeste. Il ne se donne nulle part en exemple, il n'a jamais voulu être un modèle en aucune manière, il est beaucoup trop pris pour cela par le mystère. Son monde est pour lui tellement le monde de Dieu, de sa révélation et de son amour que Louis a l'impression d'être comme une minuscule pièce de mosaïque dans le monde créé par Dieu et qu'il faut rendre à Dieu. Il voit si nettement la distance entre Dieu et l'homme que son regard se tourne toujours plus vers Dieu pour se laisser conduire par Dieu. Il vit dans l'obéissance et dans le bonheur paisible de celui qui aime et qui est aimé.


 

22 juin

Fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ

Nous sommes invités aujourd'hui à vivre avec le Fils qui est au milieu de nous. Nous participons avec simplicité à la vie des contemporains du Seigneur : nous pouvons goûter son séjour parmi nous. Seul celui qui connaît les deux choses - l'incarnation et l'eucharistie - peut saisir le sens de la fête.


 

En instituant l’eucharistie, le Fils exprime sa volonté de faire la volonté du Père. Car il sait que le Père l’a offert au monde totalement et que ce don doit durer à travers tous les temps.

 

Le Ressuscité nous offre son eucharistie. Il nous montre par là que son corps a une signification non seulement jusqu'à sa mort, mais qu'au contraire il garde pour Dieu et pour le monde une signification permanente : la même qu'il avait déjà autrefois et que maintenant il nous est donné de connaître par la résurrection et l'ascension, et qui demeure donnée dans l'eucharistie. Il est clair que, lors de l'institution de son eucharistie, il ne laisse pas derrière lui cette demeure, il ne la rejette pas, il la prend avec lui et l'élève. Il lui donne une signification qui reste étroitement unie à celle de son propre corps. En entrant dans cette relation, les chrétiens reçoivent de l’Époux la nourriture qui peut être mangée et gardée dignement.

 

Il y a dans l'incarnation une promesse de l'eucharistie, la promesse que Dieu reste au milieu de nous. Il y a dans l'eucharistie la confirmation de l'incarnation. Tout l’Évangile apparaît ainsi tendu entre incarnation et eucharistie, composé à partir de l'incarnation avec la conscience de l'eucharistie ; celui qui lit aujourd'hui l'Évangile avec foi se trouve lui-même tendu entre les deux. En recevant la parole, il saisit qu'il a reçu quelque chose de l'incarnation et il ne comprendrait pas l'incarnation si l'eucharistie ne lui était pas donnée. En tant que chrétien, il a un savoir concret que lui a communiqué l'eucharistie et qui l'introduit dans la compréhension de l'incarnation. S'il n'y avait pas eu l'incarnation, je ne serais pas devenu le frère du Christ, ma vie serait privée d'une dimension essentielle. Si je recevais l'eucharistie sans croire à l'incarnation, je la recevrais d'une manière tout à fait incomplète, car il me manquerait l'essence que fournit l'incarnation, ma communion ne serait plus la rencontre en moi de l'eucharistie et de l'incarnation, elle resterait sans fondement.

 

23 juin

Il y a une descente renouvelée du Fils par l'Esprit dans la transsubstantiation.

 

Le Fils qui, par la foi de l’Église, fait naître sa chair à partir de choses autant qu'on en veut, à partir d'hosties produites par l'homme, semble maintenant s'éloigner encore beaucoup plus du Père. Auparavant il pouvait toujours appeler le Père son Père et posséder l'Esprit comme médiateur du Père. Il y avait une origine du Père, un acte divin qui unissait Père et Fils. Dans sa nouvelle manière d'être, il est divisé en d'innombrables hosties pour rester cependant en elles l'unique qui vit dans le Père. Il renonce maintenant pour ainsi dire à accomplir quelques grandes actions en tant qu'incarné pour devenir à nouveau lui-même par le moyen d'un nombre infini de transsubstantiations.

 

L'Esprit Saint doit opérer la transsubstantiation à la messe parce qu'il a opéré la naissance du Fils, et cela parce que auparavant il avait opéré la conception. La conception correspond à la naissance, et la naissance de Jésus hors du corps de sa Mère à son tour correspond à la transsubstantiation.

 

Marie et les disciples célèbrent la cène après la résurrection du Seigneur. Ils bénissent le pain, le rompent et le partagent comme le Seigneur le leur a montré. Ils le font en son nom en se souvenant que celui qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang ne lui appartient pas. La Mère reprend dans son corps le Fils incarné sous cette forme ; c'est pour elle un mystère de foi, de don d'elle-même et d'exigence, de même que le mystère aussi était contenu dans son oui à l'ange. La transsubstantiation en tant que telle ne l'occupe pas plus que le changement dans son corps ne l'occupa autrefois quand l'Esprit la couvrit de son ombre. Mais elle sait combien, par la croissance du Fils en elle, elle fut enrichie, bénie, rendue plus proche de Dieu. Elle le reçoit à nouveau parce que tous les croyants peuvent le recevoir aussi souvent qu'ils le veulent. Le mystère de l'incarnation unique est maintenant comme intégré dans le mystère de la communion. Il n'en résulte rien qui serait faux ou contradictoire. De même qu'elle a donné le Fils au monde, de même sa communion aussi le donne au monde. Elle communie en un sens pleinement eucharistique. Si elle se dérobait à la communion, elle priverait le monde de la grâce de sa propre communion.

 

24 juin

Saint Jean-Baptiste

Un jour s'éveille en Jean-Baptiste la conscience de sa mission. Il sait ce qui s'est passé à sa naissance, il sait qu'il est entouré d'un mystère, qu'il doit croître en lui, que Dieu lui-même y a part. Dans ses jeunes années il est au courant de ces choses comme un fils de roi qui est élevé en vue de la royauté, mais qui ne voit pas le roi, son père. Partout il remarque : il en va pour moi autrement que pour les autres et il se résigne. De plus il n'a ni la force ni la volonté de faire autre chose que ce qui est décidé, il n'a pas encore l'intelligence pour cela, il est exigé de lui une disponibilité à croire sans qu'on lui montre ce qui va se réaliser. Le contenu de la foi, il ne le voit pas, il ne sait pas qu'il est le précurseur, mais il doit se tenir ouvert à toutes les possibilités. Il sait même qu'il ne sait pas. Cependant il n'y a là rien d'exalté, tout suit son cours dans un calme détaché parce que sa foi est totale même si elle n'a pas de contenu. Il est chargé d'une grâce qu'il suit comme s'il était entraîné et sans poser de questions, il ne veut pas poser de questions. Il renonce à sa propre certitude, il met celle-ci dans sa foi en Dieu, il la met aussi dans le mystère de Jésus, son parent. Il sait d'une certaine manière que son mystère est plus grand que le sien, mais il ne sait pas exactement qui est ce Jésus. La question ne se pose pas. Simplement, il laisse tout ouvert. Il attend certes un sauveur qui doit venir, et son désir de ce sauveur est si grand qu'il ne lui vient pas à l'esprit que lui-même pourrait être son précurseur. Puis un jour lui sont données, de l'intérieur, par Dieu lui-même, mission et certitude, et il commence tout de suite. Auparavant il n'y avait eu aucune espèce de progrès, c'était un pur état d'attente. Puis tout d'un coup le saut dans la certitude que la nouveauté de Dieu est en route. Intérieurement Jean fait partie du Nouveau Testament, il apprend alors aussi qui est celui qui doit accomplir l'attente. Possédant en lui la nouveauté, il doit préparer la voie au Seigneur. Il est en quelque sorte le lieu où doivent se rencontrer la nouveauté qui commence et la mission du Seigneur. Il doit préparer la synagogue de telle sorte qu'elle puisse devenir l’Église, et cela il le peut parce que la synagogue est devenue en lui l’Église. Deux lignes doivent se croiser en lui et il est là pour qu'elles puissent le faire. Il ne perd pas un instant, il met ses sandales et il part. Jean-Baptiste prêchait : c'était sa mission, c'était son travail. Il accomplit sa tâche dans l'attente du Seigneur, mais il ne le voit pas encore, il ne voit pas ses miracles, il ne sait pas ce que le Seigneur va annoncer et enseigner. Malgré cela il prêche : c'est sa mission ; quelque chose va venir, mais il ignore ce que ce sera. Il se laisse placer en un lieu qu'il n'a pas choisi. Il consent à proclamer quelque chose dont il n'a encore aucune preuve. Entre la mission du Baptiste et la nôtre, il peut y avoir des points de comparaison. Il se peut que nous ne sachions pas de quoi demain sera fait (jamais d'ailleurs nous ne le savons). Nous travaillons dans l'attente.


 

25 juin

Dans la communion, le Fils nous "honore" jusqu'à nous mettre à sa hauteur. Il nous honore de sa communion et nous devons dire : "Je ne suis pas digne".

 

La communion est une grâce du Christ si unique, si immédiate et si absolue, qu’on devrait construire beaucoup plus sur cette grâce dans la pastorale et dans la direction spirituelle des fidèles.

 

Quelle est la relation de la communion au Notre Père ? Au fond, la phrase : "Que ta volonté soit faite" est notre communion quotidienne. C'est la volonté du Père pour nous que nous la fassions. "Donne-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour". Le Fils devient notre pain quotidien quand il est en même temps notre accomplissement quotidien de la volonté du Père. Et qui donnerait une pierre à son enfant qui demande du pain? Le Père. Le Père qui a fait de son Fils une pierre vivante, pierre pour la construction, vivante dans la fécondité.

 

"Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien". Le Père doit nous le donner. Le Fils dit peut-être ces paroles au début de la dernière Cène ; en tout cas, le pain est là, le pain comme cadeau du Père. Ceci est mon corps, dit le Fils ; le pain est donc maintenant le corps du Fils. Et la foi que communique l'Esprit permet aux disciples de recevoir ce pain.

 

Le Seigneur garde cachés en lui-même ses mystères, il ne les révèle tout d'abord que par sa présence. Cette présence est difficile à comprendre : qu'il nous soit aussi présent comme homme que comme Dieu. Ce n'est pas pour rien que saint Ignace a vu le Seigneur comme une sphère lumineuse dans laquelle on ne pouvait distinguer aucun détail. Il en est ainsi en réalité. On est ébloui quand on regarde, et ça brûle quand on touche. Dans l'hostie, le Christ tout entier est présent avec tous ses mystères ; et celui qui communie dit oui à tout ce qu'il comprend et croit, au peu qu'il comprend et croit, et à l'infini qui lui demeure inconnu.

 

Pour le Seigneur, l'eucharistie est le pur renoncement à lui-même pour devenir ce que le Père veut faire de lui : la nourriture du monde.

 

26 juin

Thérèse de Lisieux voudrait que le Seigneur habite en elle comme dans le tabernacle, et même comme dans l'hostie elle-même. Elle voudrait rester dans l'état de celui qui vient de communier. L'état de don de soi parfait et de détachement de soi, elle le connaît le mieux justement par la sainte communion. Elle veut avoir en elle comme un gage qui l'empêche de sortir de cet état. D'un côté elle voudrait être hostie à jamais, d'autre part porter toujours l'hostie en elle : sa pensée oscille entre les deux représentations. Elle voudrait être une hostie dont le Seigneur dispose comme de toute autre, mais en même temps une hostie qu'il est, parce que Thérèse ne voudrait plus être qu'enveloppe du Seigneur. Aimer tellement le Seigneur, être tellement pour lui réceptacle utile qu'on n'a plus besoin de distinguer. Pour être ce que le Seigneur veut être maintenant, il a besoin d'un réceptacle, mais d'un réceptacle qui doit seulement le donner et nullement le garder ou le cacher. Les mots sont comme un écho de l'expérience d'union de Thérèse lors de sa première communion. L'image aussi du feu dévorant de Dieu y fait allusion. Elle demande de ne plus déplaire au Seigneur ; que, sans cesse, son regard divin veuille bien la purifier tout de suite.

 

Quand nous communions, la rencontre avec le Fils prend une certaine forme, on est en présence l'un de l'autre. Parce que l'Esprit n'est pas devenu homme, notre rencontre avec lui n'a pas une forme qu'on peut retenir. L'amour du Fils est tel que nous devons rencontrer cet amour et, à partir de cet amour, rencontrer sa personne.

 

La réalité eucharistique est une nouvelle preuve qu'il s'agit pour le Seigneur de réalité, justement en ce qui concerne son séjour ici-bas. Cela suppose bien sûr que le chrétien aussi croie réellement, il doit se prêter à la grâce pour y avoir part. Pas plus qu'il n'aurait suffi de rencontrer et de regarder le Seigneur ici-bas d'une manière purement neutre et en simple observateur, il ne suffit pas maintenant de voir le corps du Seigneur dans l'hostie sans se laisser saisir par lui. Dans la présence eucharistique aussi le Seigneur nous dit : "Suis-moi".

 

27 juin

Le Seigneur offre son corps spirituel, l'eucharistie. Comment le corps spirituel du Seigneur, l'eucharistie, s'unit au corps de celui qui le reçoit sacramentellement, on ne peut guère le comprendre ; cependant le corps spirituel du Seigneur doit entrer en relation avec notre corps spirituel, c'est-à-dire avec la vie de notre corps qui est marquée par la foi. La communion est un acte de foi.

 

La volonté du Fils de racheter le monde apparaît avant tout comme l'accomplissement de la volonté du Père. Depuis l'institution de l'eucharistie, l'amour du Fils pour les hommes se manifeste d'une manière tout à fait nouvelle ; les hommes deviennent maintenant ses membres, maintenant naît dans l’Église l'amour qu'elle a pour lui. Pour le Père, ceux qui reçoivent l'eucharistie sont des êtres marqués, de la même manière que la femme qui a reçu son époux est marquée par lui. Le baptême serait la célébration du mariage, l'eucharistie sa consommation.

 

Le Fils de Dieu est devenu homme : chair, substance humaine. Il offre cette substance qui est sienne à tous les croyants dans l'eucharistie. Une substance qui nous offre d'être uni à lui pour mûrir dans la foi, dans la vie éternelle. C'est ainsi qu'avec la substance qu'il nous donne, le Seigneur fait descendre la vie éternelle dans notre temps.

 

L'eucharistie est d'abord un don de soi spirituel du Christ, mais il offre aussi en même temps ce qui est corporel pour ramener notre existence corporelle à l'Esprit et à Dieu. Le Seigneur aurait pu ne nous assurer que sa présence spirituelle, mais il a voulu nous être toujours présent en tant qu'homme incarné pour sanctifier aussi notre chair et nous montrer que nous, tels que le Père nous a créés, nous devons atteindre le salut éternel en tant qu'êtres corporels et spirituels.

 

Marie est vénérée avec son Fils à l'autel. Elle n'est pas seulement vénérée avec lui, mais là où est le Fils, elle aussi y est et elle agit avec lui.


 

28 juin

Saint Irénée (+ 202)

Beaucoup de foi, beaucoup de travail et de prière. Dans son travail, il ne cesse de toucher à des questions essentielles, mais il a toujours la tentation de prendre des chemins secondaires, de s'écarter. La prière alors le force à se raviser. Il ne se lasse pas de voir ce qui est faux, et l'énergie qu'il déploie pour revenir ne diminue pas. Il se place tout de suite au centre de la foi avant de commencer à méditer. Du plus intime de lui-même il tourne autour de ce centre et, de là, il commence à réfléchir à la nouveauté qui l'occupe, il voit alors que ce n'est peut-être pas tout à fait juste. Il connaît le silence de Dieu. Quand il commence à prier, il y a d'abord un silence. Mais il y a quelque chose en lui qui se cabre pour ainsi dire contre ce silence : la joie de la connaissance qui est la sienne. C'est comme si chaque fois il disait : "Seigneur, tu sais que je voudrais ce que tu veux. Je voudrais absolument rester au centre de ton Église. Et je sais que ton Église est là pour te glorifier, et je veux faire le don de toute ma vie à toi et à ton Église, avant tout parce que tu m'as confié la tâche de veiller à ta doctrine, à sa forme et à sa pureté. Je sais aussi comment est le chemin qui va de ta doctrine à toi et, mieux encore, comment tu tiens ta doctrine elle-même entre tes mains. Chaque fois que tu nous la confies, c'est comme si tu mettais tes mains plus fermement autour d'elle et que tu la tenais avec plus de sûreté". A la fin de sa prière, il y a une remise à Dieu de ce qui en lui n'était pas tout à fait en ordre, de ce qu'il doit confier simplement à Dieu. Et finalement Dieu lui offre réellement la force nécessaire pour recommencer son travail.


 

29 juin

Saint Pierre et saint Paul

Saint Pierre

Le reniement de Pierre a été connu des apôtres et de tous les chrétiens. Par cette faute, c'est comme s'il avait été dépouillé devant eux de tous ses vêtements. Quand il se trouve devant eux, c'est pour lui comme s'ils savaient tous exactement à quel pécheur ils ont affaire. Ainsi, au nom de l'Église, il a accompli une confession involontaire. Par son attitude, la confession est pour ainsi dire introduite dans l'Église. Quand le coq chante pour la troisième fois et que Pierre s'aperçoit que son amour n'a pas été à la hauteur, il est confessé passivement. Il est convaincu de sa faute, il l'est si bien devant tous qu'une confession est inutile. C'est comme si le Seigneur, en lui annonçant son reniement, avait déjà reçu sa confession et comme si tous les apôtres présents étaient ses confesseurs. Ainsi, par la suite, il ne lui est plus difficile d'être dans l'attitude de confession. Même s'il ne péchait plus et n'avait plus besoin de se confesser, son péché a été tellement connu qu'il vit constamment dans l'attitude de confession. La prière chez lui est vite décrite : "Seigneur, tu sais que je t'aime". C'est là au fond toute sa prière. Il a certes aussi le "Notre Père" que le Seigneur lui a donné. Mais sa véritable prière, c'est justement cette manière de se donner lui-même au Seigneur et de lui apporter toute l'Église. Il y a toujours dans sa prière comme un choc : au fond il n'y a aucune prière où il ne se souvient pas de son reniement. Il sait qu'un jour il a cru qu'il aimait et il n'en était rien. Il pressent aussi ce que le Seigneur a dû prendre sur lui pour que son amour soit vrai.


 

Saint Paul

Le Paul surnaturel prend naissance là où le Saul naturel s'abandonne dans la foi. Saul tombe par terre avec son corps pour que l'esprit de Paul reconnaisse cette chute comme son point de départ et pour qu'il reconnaisse dans son naturel un cadeau de Dieu, car les actes surnaturels s'enracinent dans les actes naturels de l'esprit. Paul pourrait dire : "Quand Dieu m'a rencontré, je suis tombé à genoux et je me suis fait mal. Je fus saisi si puissamment par Dieu de manière surnaturelle que mon moi naturel s'est évanoui". Sa prière est un peu agitée, affairée. Elle est curieuse : c'est comme s'il y avait là deux hommes qui prient, c'est comme s'il était en contemplation, mais qu'il eut pris avec lui le Paul actif afin que le Paul actif ne s'écarte de lui à aucun moment et se fasse constamment représenter devant Dieu par le Paul contemplatif. Pour l'extase, il y est emporté, entraîné, mais elle est ensuite tout à fait objective. Elle n'a rien d'extatique si on comprend sous ce terme une agitation quelconque. Autant sa prière habituelle est agitée, autant ses extases sont totalement paisibles. Il n'est plus qu'un instrument tant que la révélation lui est montrée, il n'est plus que mission et obéissance. C'est ici qu'il a sa contemplation la plus paisible. Ce qui lui est montré, c'est le ciel et les secrets du ciel. Dans ses visions, il voit toujours plus les relations du monde céleste, les relations entre le Père, le Fils et l'Esprit, et surtout les relations entre l'éternité et le temps. Le mystère dont il parle, c'est le mystère de l'obéissance, c'est-à-dire de l'unique volonté en Dieu ; peut-être mieux : le mystère de l'unité en Dieu entre le Père, le Fils et l'Esprit. C'est comme s'il lui était permis de contempler dans ce mystère de l'unité le mystère ultime de Dieu pour ainsi dire, et aussi le mystère ultime de la Trinité, là où n'est plus visible que la nature unique, là où l'unique essence est si une que la distinction des personnes n'apparaît pas. Quand il est emporté au paradis, il voit alors les mystères du paradis qui sont en même temps ceux du ciel, les mystères de l'unité de la création de Dieu avant même qu'elle ne devienne deux par le péché : le ciel et la terre. Ce qu'il appelle le septième ciel, c'est l'unité entre le ciel et la terre, mais surtout l'unité du Père, le fait que toutes les choses sont incluses dans le Père, au fond le mystère primordial de l'unité de Dieu. Pourquoi justement sept ? A cause des dons du Saint-Esprit. C'est le lieu où rien encore n'est différencié, où les sept sont inclus dans le don le plus haut, dans le don divin en général. Quand il dit qu'il lui est impossible d'exprimer ce qu'il a vu, il faut distinguer. Il reçoit la vision comme une partie de sa mission ; elle est propre à donner un plus grand poids à sa parole, à ses interventions. Ici ses visions auraient donc plutôt leur but en Paul lui-même. Mais il trouve aussi dans cette vision l'aspect plus johannique de la contemplation ; et cela, il n'est pas en mesure de le traduire dans sa mission, cela lui paraît comme quelque chose qu'il n'a pas la possibilité d'y intégrer. Et ainsi il n'est pas en mesure non plus d'en parler. La plus marquante de ses visions est celle du début : elle lui a expliqué le contenu et l'extension de sa mission ; mais plus tard il a encore eu des visions authentiques. C'est par ses visions qu'il a reçu en grande partie sa théologie.


 

30 juin

Pour Jésus, sa Mère est la cellule primitive de l’Église, et le Fils souhaite que l’Église apprenne de sa Mère sa manière de se tenir à sa disposition, sa docilité. On peut ainsi considérer tous les dogmes d'une manière mariale, avec les yeux de la Mère.


 

Le monde entier, dans sa totalité, est destiné à devenir Église.

 

Le Fils n’aime qu’une épouse : l’Église. Tout le reste est inclus dans cette exclusivité ; dans l’Église et, par elle, le Seigneur aime tous les hommes.

 

L’Église n'a pas sa vérité en elle mais dans le Seigneur et dans l'Esprit qu'il lui a donné. C'est pourquoi aussi l’Église ici-bas n'a sa vérité que là où elle s'ouvre sur le ciel, et cela n'est visible que pour celui qui contemple cette ouverture dans la foi. La foi elle-même participe à cette ouverture et elle emporte la conscience, en tant que dot naturelle de l'homme, dans son existence dans le Christ et dans l'Esprit.

 

Que peut faire un fiancé s’il aime sa fiancée plus qu'elle ne l'aime ? Il peut lui donner de son amour à lui afin qu'elle l'aime en retour avec son amour à lui. Il peut lui envoyer son esprit et le recevoir d'elle en retour. Dieu peut faire de même : il m'envoie son Esprit et je l'aime en retour avec cet Esprit. C'est ainsi que fait le Seigneur avec son Église.

 

Sans doute l’Église est-elle dans le Seigneur, mais elle est en même temps la communauté d'anciens pécheurs. De pécheurs toujours nouveaux. C'est en tant qu'ancienne prostituée que l’Église est l'Épouse tout pure.

 

Le Christ peut reprendre et corriger son Église, mais il ne vise pas son Église elle-même, il vise les pécheurs en elle, et son Église comme le lieu où séjournent les pécheurs.

 

Liberté du Seigneur : il se révèle à chacun par des rencontres imprévisibles.

 

Si quelqu’un est appelé par Dieu, cela dépend des besoins du royaume de Dieu qu’il devienne médecin, juriste, prêtre ou autre chose.


 

1er juillet

L’Église elle-même est toujours en même temps quelque chose qui dure et quelque chose qui commence, puisque le Fils est Dieu et que l'Esprit Saint apporte sans cesse à l’Église le divin, la vie toujours commençante.

 

Quand l’Église ne sera plus dans le temps mais dans l'éternité et que sa relation au Seigneur ne sera plus remise en cause par rien, elle se laissera diriger de manière parfaite, elle correspondra totalement à l'idée que Dieu a d'elle.

 

Les hommes ont toujours édifié des temples pour Dieu, afin d'être en communion avec lui. Le vrai temple, c'est l'homme Jésus Christ en qui Dieu habite en personne, et le Christ à son tour demeure dans l’Église. Il ne demeure pas seulement dans les communautés visibles qu'on appelle églises, mais aussi dans tous les cœurs qui font partie de la communion des saints et qui portent le Seigneur partout pour l'offrir au monde. Les chrétiens qui font cela ne sont jamais isolés, ils sont les membres de la communion du Fils qui est l'un de la communion de Dieu.

 

L'union du Christ et de l’Église n'est jamais fermée sur elle-même, elle a en vue le salut du monde entier.

 

Dans l’Église, il y a de la place pour tout le monde : pour ceux qui sont doués et pour ceux qui ne le sont pas ; Dieu n'a laissé personne si inapte qu'il ne pût trouver un accueil dans l’Église. En soi, lÉglise est accueillante, les personnes n’ont d'autre tâche que de se laisser accueillir.


 

LÉglise en tant qu'Épouse doit toujours prêter attention à la parole et à la question de son Époux, le Christ. Un relâchement dans cette attention, une volonté de s'en dégager et de suivre ses propres chemins signifie se rendre étranger à l'amour, c'est s'engager dans le péché.


 

Dieu a donné sa révélation aux anges, aux prophètes, finalement au Fils, et quand celui-ci a accompli sa mission terrestre, il transmet à l’Église sa parole vivante.


 

2 juillet

Dans la mesure où l’Église existe par le Seigneur, lui sont accordés le droit et le devoir d'appeler le Seigneur aussi souvent qu'elle en a besoin. L’Église doit avoir un désir permanent de purification pour être plus proche du Seigneur.


 

Le Fils s'efface devant le Père comme l’Église devrait s'effacer devant son Seigneur.


 

La grâce du Seigneur vit et agit dans l’Église, dans les apôtres, les docteurs, les croyants. Le Seigneur est toujours distribué par l’Église. Personne ne peut s'inventer un chemin privé vers le Seigneur.


 

Le Seigneur sait que l’Église a passé des compromis avec les pécheurs. La même Église est Marie qui est sainte et Pierre qui renie, Pierre qui tout au long des siècles ne cesse de passer des compromis avec le monde. L’Église ne se prostitue pas elle-même de son propre gré. Elle est prostituée par les pécheurs qu'elle doit souffrir en elle.


 

Dieu n’a pas créé le monde au hasard. Il a pour ce monde un plan éternel. Toutes les choses y ont leur place dans l’Esprit. Le monde ne peut échapper à ce plan ; ce plan est maintenu par l’Esprit, il est vie du Dieu Trinité vivant. Rien dans ce monde n’est  laissé au hasard puisque le monde vit dans le plan de Dieu.

 

L’amour du Fils pour l’Esprit Saint est double. Tout comme un homme peut dire : "Je t’aime", il peut dire aussi : "J’aime notre amour, j’aime que tu m’aimes".

 

Heureux les pauvres en esprit : ils sont prêts exactement pour ce que Dieu a prévu pour eux. Ils sont libres pour l'Esprit Saint ceux qui ont renoncé à opposer leur propre esprit à l'Esprit Saint.

 

3 juillet

Saint Thomas, apôtre

Thomas suit le Seigneur, il croit, il ne connaît pas de conflits intérieurs. Mais il ne croit pas à tout ce qui peut survenir, il croit à tout ce qui est démontrable, à tout ce qui se montre clairement. Il n'a pas de raison de ne pas croire, il n'a aucune raison de se singulariser, de refuser l'obéissance. Après la résurrection, Thomas se trouve soudainement devant l'exigence de la foi absolue. Mais parce qu'il n'est pas habitué à se laisser dilater, il ne peut pas faire le saut, dire oui tout d'un coup à l'imprévu. Quand, avant la passion, il disait au Seigneur : "Nous voulons mourir avec toi", il le disait pour continuer à suivre le Seigneur, mais il ne se représentait pas concrètement ce que mourir voulait dire, car il ne savait pas non plus ce qu'était la vie du Seigneur. Maintenant il ne peut pas croire parce que, sans bien le remarquer, il refuse d'accepter une foi toujours plus grande. Que les lois naturelles fassent maintenant éclater les lois naturelles lui paraît inacceptable. Auparavant il y avait, à ce qu'il semble, une relation précise entre nature et surnature. Dans les miracles du Seigneur aussi il y avait chaque fois deux points évidents, contrôlables : avant, l'homme était aveugle, après il voit ; avant il était mort, maintenant il est vivant. De sorte qu'aucun doute n'était possible. Thomas ne croyait au miracle que lorsqu'il l'avait contrôlé. La rencontre après Pâques le désarçonne. Peu après il recevra l'Esprit Saint et il deviendra un saint. Dans son incrédulité première, il représente beaucoup d'hommes, beaucoup de chrétiens, beaucoup de religieux : des hommes qui pensent avoir pris la grande décision et qui ne savent pourtant pas encore de quoi il s'agit. Après avoir osé la percée, la prière déborde en Thomas de toutes parts, maintenant il ne peut plus prier assez, toujours en partant du miracle qu'il y a un Seigneur et que vraiment il fait sauter toutes les lois. Sa prière a son point de départ dans l'infinie grandeur de Dieu et dans ses possibilités infinies. C'est une prière de l'amour, mais toute différente de celle de Jean. Jean dialogue, Thomas est seulement inondé.


 

4 juillet

L’Église auprès de Marie. Marie est son fondement, elle a porté le Fils et elle est restée fidèle, elle ne voulait que servir. Elle était l’Église telle que Dieu l'imaginait.

 

La première Ève reste pour toujours le symbole de l’Église qui refuse. Au lieu de devenir la mère de tous les pécheurs, Ève aurait dû devenir la mère de tous les croyants. Et l’Église ne peut pas se désolidariser d'Ève ; elle doit porter la honte de rassembler en elle tous les pécheurs.

 

Le Fils qui est devenu homme est vivant, il ne peut s’exprimer que par une Église vivante. Tous les vrais saints sont l’expression de l’incarnation de Dieu.

 

L’Église peut humilier son Seigneur si elle ne gère pas comme il faut ce qui lui a été confié ; elle peut le remettre dans la situation de la croix.

 

Dieu aime tellement le monde qu'il veut toujours lui montrer de nouveaux visages de son amour. Il le fait aussi tout au long des siècles chrétiens bien que tout soit déjà contenu dans la Bible. Tout y est, mais personne ne connaît toute la plénitude de l’Écriture. Lourdes aussi y était contenu sans que quelqu'un ait pu s'en douter. La petite Thérèse aussi, qui nous montre son quotidien et sa petite voie et ouvre par là une vue nouvelle sur l'amour de Dieu. Le curé d'Ars aussi, qui nous montre comme pour la première fois ce qu'est la confession ; il la débarrasse du dégoût des chrétiens et en fait une révélation rayonnante de l'Esprit Saint. La puissance d'imagination de Dieu est constamment à l’œuvre pour arracher l’Église à son embourgeoisement.

 

Tout ce que Dieu fait vit de son sens, de sa vérité, de son être. L’Église est vraie dans la mesure où elle accueille sa vérité. Moins elle s'occupe d'elle-même, plus elle est perméable à l'action et au sens de Dieu, plus elle devient le miroir de Dieu. Elle n'a pas besoin de se faire une image d'elle-même ; en tant que miroir, elle doit seulement rendre aussi purement que possible l'image de Dieu.

 

Le premier fruit de la prière est de créer en celui qui prie de la place pour les desseins de Dieu. De plus, la prière pousse à faire attention à Dieu même en dehors du temps de la prière.


 

5 juillet

Pierre vient de trancher l’oreille de Malchus. L’Église voudra souvent prendre des chemins qui ne sont pas ceux du Seigneur, mais il ne l’abandonnera pas sur ces chemins ; il se servira de ses erreurs pour l’ancrer plus profondément dans l’amour. Grâce à cette expérience, Simon-Pierre sera plus riche en amour. Ainsi se vérifie le dicton : mieux vaut errer en aimant que de ne pas errer en n’aimant pas. Sans cesse des hommes entraîneront l’Église à la désobéissance par leur obstination à savoir mieux. À leurs yeux, les actes humains visibles ont plus de valeur que la prière. Malgré son intention de défendre le Seigneur, Pierre se bat en réalité contre celui-ci. Il le fait chaque fois qu’il échange les armes de l’Esprit contre celles du monde.


 

Il est décisif qu’on entre dans l’Église avec humilité et non la tête haute, qu’on n’ait pas l’impression de rendre service à l’Église. C’est l’Église qui nous rend service en nous accueillant. L’Église ne connaît qu’une exigence pour les croyants, c’est qu’ils cherchent la proximité du Seigneur et la supportent ; s’approcher pour toujours mieux percevoir sa parole, goûter sa présence vivante et sa manifestation dans l’Église. L’Église n’enchaîne pas la conscience des croyants à elle-même, elle les renvoie à Dieu avec toute leur liberté.


 

L’Église a part au Fils grâce à son attente virginale qui laisse tout ouvert et qui remet tout au Fils. Le Fils la comble et il façonne en même temps l'attente qu'elle avait. Mais il exige d'elle une obéissance qui lui laisse totalement la liberté d’être le mystère d'être tel qu'il est. Il ne peut pas se laisser imposer de règles par l’Église ; elle peut seulement chercher à rendre compréhensible les règles qu'il lui donne en se soumettant de telle manière qu'elles deviennent par elle utiles et fécondes. Elles le sont en lui de manière primaire et essentielle, mais elles peuvent aussi le devenir en elle à la mesure de son obéissance. Si l’Église avait reçu d'une manière ou d'une autre une parole de Dieu qui n'amènerait pas une fécondité immédiate, c'est que le dessein de Dieu aurait été mal compris.

 

Ce n'est que dans l'obéissance que tout souffle de l'Esprit peut être compris comme amour. Sans cette obéissance, l’Église s'en remettrait à ses sentiments, elle prendrait l'un pour de l'amour, l'autre pour quelque chose d'autre. Mais si elle sait que Dieu Trinité agit en elle, elle doit se placer elle-même à un point de vue d'éternité et là, en Dieu, toute expression de la vie trinitaire est amour.


 

6 juillet

Le Fils parle en tant que représentant de Dieu Trinité auprès des hommes ; lors de la création, le Père a offert aux hommes la faculté d'accueillir et de garder sa parole, et aussi la faculté de la transmettre aux hommes et à la rendre à Dieu en conversant avec lui. Tout d'un coup surgit sur terre cet espace qui s'appelle l'Église, qui est comme l'antichambre du ciel, qui possède une structure que Dieu a donnée pour la terre, mais en relation bien planifiée avec la structure du ciel, son habitation dans l'éternité. L'incarnation, la parole devenue chair, la transsubstantiation eucharistique toujours nouvelle nous donnent ce dont nous avons besoin pour aspirer à l'éternité, pour pressentir ce qu'elle est, pour comprendre que Dieu ne veut pas rester dans une solitude éternelle, mais qu'il nous invite chez lui. Cette participation à Dieu a déjà commencé par l'incarnation, si bien que le ciel et la terre sont comme les interlocuteurs d'une conversation qui se déroule dans l'intimité. Dieu parle à la terre, la terre répond ; la parole et la réponse ont leur centre dans l'incarnation du Fils. Ce n'est plus une conversation entre le haut et le bas parce que Dieu, dans le Christ, occupe le centre et réunit le tout.


 

L’enseignement de l’Église est la sagesse du Père, donnée par le Fils dans l’Esprit Saint. C’est peut-être ce qui en elle est resté de moins écorché. La nature du Père et aussi son image essentielle dans l’Église ne sont pas touchées par nos déformations.

 

L’Église est le lieu où, par Jésus Christ, Dieu demeure dans le monde, aussi bien dans la communauté que dans l'individu. La plénitude de l’Église serait que toutes les créatures se tiennent devant Dieu, et lui-même donnerait forme, proximité et ordre à cette manière de se tenir devant lui.

Ce qui devrait toujours être la marque distinctive de l’Église, c'est d'être attachée au Fils et totalement ouverte au Père. Et pour que cela règne dans l’Église, cela doit régner en chaque personne.


 

7 juillet

Rien de ce qui arrive dans le monde ne peut surprendre Dieu ni le mettre dans l'embarras. Dieu a eu souci de nous longtemps avant que nous ayons commencé d'exister. On n'a pas à se demander si le Seigneur est proche ou lointain parce que "là où je suis, là aussi sera mon serviteur" (Jn 12, 26). Dieu donne à l'homme non seulement de quoi se nourrir, mais aussi de quoi correspondre mieux chaque jour à la proximité de Dieu.


 

Philippe demande au Seigneur : "Montre-nous le Père!" A chaque mot de l’Écriture Sainte, nous pourrions nous écrier : "Montre-nous le Père !" Il vaut mieux exprimer ce cri et recevoir ensuite la réprimande du Fils que de ne rien dire du tout. Beaucoup se sont tellement habitués à la lecture de l’Écriture qu'ils n'y voient plus ni le Père, ni le Fils, ni l'Esprit. Et pourtant l’Écriture tout entière est un témoignage dans un double sens : en elle est consigné ce qui est, mais ce qui est, est attesté, confirmé par l'attitude intérieure du lecteur. Si nous essayions de lire l’Écriture en la confirmant par notre attitude intérieure, nous verrions constamment le Père, le Fils et l'Esprit ainsi qu'ils se révèlent toujours dans la parole de Dieu. "Qui me voit voit le Père". Quand nous pensons avoir compris quelque chose dans l’Écriture et que cela ne débouche pas sur la Trinité de Dieu, nous pouvons être sûrs que nous ne l'avons pas saisie de manière vivante.


 

Personne n'a le droit d'appeler Dieu sans se mettre à sa disposition. Plus un homme est croyant, plus Dieu lui montre le chemin qu'il doit suivre. Dieu ne demande à personne une œuvre dont il n'est pas capable. Ne pas faire ce que Dieu demande, c'est commettre un péché. Et le péché serait la mort, la fin de la foi vivante. La foi n'est jamais sans mission, et la mission se manifeste dans une œuvre accomplie selon le dessein de Dieu.


 

Dieu se sert des hommes pour se faire comprendre aux hommes : les prophètes, les saints et beaucoup d'autres.

 

Il y a des hommes qui sont touchés par la révélation de Dieu mais qui ne font pas le pas de la foi pour une raison ou pour une autre.


 

8 juillet

 

Jean repose sur la poitrine du Seigneur. Il donne au Seigneur le lait de son amour de croyant. La réponse du Seigneur est la surabondance de son amour divin. Le Seigneur voit en Jean ce qu'un homme est capable de donner à Dieu : un champ l'amour divin peut porter du fruit. L'amour divin est devenu homme dans le Fils, et Jean a pu recevoir l'amour divin dans l'amour humain du Seigneur. Le Seigneur a vu en Jean l’œuvre de la rédemption, ce fut très bon pour lui.


 

Jésus souffre beaucoup de la trahison future, elle lui sera plus dure, plus incompréhensible qu’il ne s’y attendait ; c’est pourquoi elle arrive dans une sorte de détresse vis-à-vis du Père, dans une nuit particulière. On ne peut pas dire qu’à la croix le Fils est déçu par le Père ; tout a toujours été décidé ainsi, mais il y a une déception au sujet de Pierre. Même si le Seigneur ne le dit pas, il se sent repoussé par Pierre, et d’autant plus que Pierre assure solennellement qu’il n’en est pas question. Ses affirmations solennelles approfondissent la faille, elles rendent le reniement encore plus sinistre. Car lorsque le Seigneur lui annonce qu’il va renier, Pierre pourrait au moins s’incliner dans une sorte d’humilité, se tenir tranquille, au lieu de s’opposer au Seigneur avec son “Impossible !” obstiné. Il renverse l’assurance du Seigneur avec sa propre assurance aveugle.

 

C’est avec tendresse que le Seigneur annonce aux siens leur trahison. Pour Judas il dit : mieux aurait valu pour lui de ne pas naître. Pour Pierre, il ne dit rien. Comme si la trahison était déjà incluse dans la relation du Seigneur avec ses disciples. Comme si elle était ce que depuis toujours il était prêt à porter. Ils ont certes donné leur vie pour lui, ils l’ont suivi. Ainsi, lui également, il devra offrir un sacrifice pour eux. Il ne veut pas leur demander plus qu’ils ne peuvent donner. Mais ce sont pourtant ses plus proches, ceux qu’il aime le plus, avec qui il se déplace. De même qu’au ciel son espace spirituel c’est la Trinité, de même sur terre c’est la compagnie de ses disciples.


 

9 juillet

Prière d’Adrienne adolescente dans l’église du Saint-Esprit. Mon Dieu, je t'aime beaucoup et je te le demande, aime-moi, aime aussi toute ma famille, ma mère, Willy qui m'a accompagné, mon école, et donne-moi d'aimer ceux qui seront plus tard mes malades, tous ceux que je connais et surtout tous ceux que je ne connais pas. Mon Dieu, allume ton amour dans toute cette ville.


 

D’une prière d’Adrienne adolescente. Seigneur Jésus, je te demande de me prendre toujours plus, de m'apprendre à faire ta volonté et à mettre entre tes mains tout ce que je suis et deviendrai. Je te demande de bénir ma famille, d'être bonne avec maman, de bénir tous les copains, de bénir les maîtres, et que tous ceux qui ont du mal à comprendre, comme moi, arrivent quand même par ta grâce à mieux te comprendre jusqu'au jour où au ciel ils te comprendront totalement.

 

Prière d’Adrienne, étudiante en médecine. Mon Dieu, je voudrais connaître ta vérité ! Seulement ta vérité et rien d'autre ! Afin que je puisse servir ta vérité en vérité. C'est pourquoi je te le demande, enlève de moi tout ce qui n'est pas à toi, ce qui n'est pas vrai, ce qui n'est pas compatible avec ta vérité. Je te le demande : montre-moi qui tu es. Montre-moi, dans l'idée que je me fais de toi, ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Ne te lasse pas de tout me montrer de telle sorte que je sois sûre que tu es le vrai Dieu et comment tu es le vrai Dieu. J'ai besoin de cette vérité non seulement pour moi, j'en ai besoin pour tous ceux qui viennent, et pour tous ceux qui s'en vont, et pour tous ceux que je connais, et pour tous ceux que je ne connais pas. Oh ! Je t'en prie, montre-moi comment tu es autrement et révèle-moi cet autrement jusqu'à ce que ce soit la vérité de manière irrévocable comme tu es véritablement.


 

10 juillet

On devrait se trouver devant Dieu à la fois les mains vides et les mains pleines ; pleines, en ce sens que Dieu doit reconnaître dans nos "mérites" ses dons ; et vides en ce sens que tout ce qui serait notre "mérite" débouche et disparaît dans ce qui est sa grâce.


 

Il y a ceux qui ont péché et qui, par la grâce du Seigneur, sont devenus saints en tant que convertis.


 

On ne peut pas dire que la création en tant qu'acte de Dieu est une affaire naturelle ; car derrière elle se trouve la volonté libre et puissante de Dieu de se révéler lui-même. Dans toute la création, cette volonté de Dieu de se faire connaître jusqu'en ses profonds mystères intérieurs apparaît cachée et pourtant évidente. Quand Dieu se révèle à Adam au paradis et plus tard au peuple d'Israël et finalement à tous les hommes dans le Christ, c'est sans doute quelque chose de nouveau, mais ce nouveau aussi correspond à la volonté fondamentale de Dieu, qui est une et la même, de se faire connaître et de se communiquer.


 

Aujourd'hui c'est comme si, pour des motifs provenant de notre raison, nous avions une fois pour toutes tourné le dos à l'éternel parce que nous avons perdu le sens de l'éternel et toute parole à son sujet. Quand le Fils parle de l'heure qui vient, qui n'est pas encore là, il veut parler d'une heure qui est totalement au pouvoir du Père et envoyée par lui. Nous par contre, nous pensons connaître chaque heure et en disposer, mais par là nous nous séparons définitivement du temps dont le Père dispose parce qu'il lui appartient, et nous nous en éloignons si loin que la liaison entre notre temps et le temps de Dieu ne peut pas être renouée. La liaison ne se laisserait rétablir que si nous remettions au Père notre temps tout entier pour qu'il choisisse ses heures ; nous aurions alors notre unité en lui, une unité telle qu'elle est tracée dans l’Église, telle qu'elle existe entre le Fils et son épouse, une unité qui puise dans l'échange trinitaire de l'amour de Dieu et en procède.


 

Dans la prière, Thomas a Kempis apprend toujours plus profondément que Dieu a besoin de plus d'amour.

 

La même prédication qu'entendent des milliers de personnes est accueillie par chacune dans le silence de manière toute différente et unique.


 

11 juillet

Saint Benoît (+ 543)

Il aime les hommes comme il aime Dieu. Dans son amour de Dieu, il possède une grande régularité. Dans la prière, il connaît des moments de certitude surnaturelle inébranlable. Le fait que Dieu l'ait chargé d'une mission est pour lui presque plus important que le comment. Prière à ses débuts. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Seigneur, jusqu'à présent j'ai eu beaucoup de mal à comprendre que tu attends de moi quelque chose de nouveau et je me sens tout à fait incapable d'en venir à bout. Cependant, tout en disant cela, je sais que tu veux que je le fasse, et que, si c'est ta volonté, je n'ai pas le droit de m'en tirer avec des échappatoires, je sais que je dois continuer. Je sais aussi que tout ce qui ne cessait de me frapper dans mes lectures ces dernières années, ce n'était pas pour rien. Je découvrais beaucoup à redire dans ce que je lisais et je savais exactement que cela devait être autrement. En ton nom, avec ton aide, je dois donc faire quelque chose de nouveau dans l'Ordre à venir. Seigneur, je dois te prier : change-moi, change-moi de fond en comble, rends-moi tel que je puisse réellement te servir. Tu connais bien toutes mes résistances intérieures, tu connais mon inconstance, mon manque de confiance : je ne cesse de me mettre en route et je pense que je ne pourrai pas aller plus loin. Et si je dois faire quelque chose de nouveau en ton nom, cela doit quand même porter la marque de ta constance, cela doit t'appartenir. Mais si c'est moi qui dois le faire, il y a grand danger que dès le début cela trahisse partout mon manque de confiance et que cela ne porte pas clairement ta marque. Seigneur, change-moi, renouvelle-moi en toi, fais de moi l'instrument dont tu as besoin. Parce que je suis sûr que tu veux te servir de moi et qu'aucun doute n'est possible, je t'en supplie : quoi qu'il m'en coûte et même si c'est très dur, fais de moi à tout prix celui dont tu as besoin, que la nouvelle Règle soit ta Règle, et dispose de toutes mes forces, de tout mon esprit, de tout mon corps, de tout ce que j'ai, de tout ce dont tu pourrais avoir besoin en moi. Bénis tout ce qui doit arriver en ton nom, je t'en prie au nom du Père, au nom de l'Esprit et en ton propre nom. Amen.


 

12 juillet

En couvrant Marie de son ombre, l'Esprit lui apporte le Fils vivant. Mais il la place aussi devant lui, l'Esprit, dans un face-à-face que Dieu prévoyait comme une conséquence de son oui. Ce face-à-face est absolument voulu par Dieu et par Marie également, parce qu'elle veut tout ce que Dieu veut. Dans ce face-à-face avec l'Esprit Saint, elle perçoit une partie de son oui et, dans sa prière, elle expérimente le fruit de ce oui comme une présence de l'Esprit Saint, à vrai dire comme quelque chose de tout à fait nouveau. Elle n'a plus besoin de chercher Dieu dans une sorte de prière active, elle y est introduite par la présence de l'Esprit. Le point de départ de sa prière et de son offrande d'elle-même se trouve ailleurs qu'autrefois : il se trouve en Dieu qui est devenu présent en elle par son oui. Elle est devenu temple, porteuse de tout ce que veut le Fils. Elle n'offre donc pas seulement son corps mais aussi son âme : son corps par la foi, mais son esprit également par la foi à ce qui est devenu vivant en elle, par sa foi vétérotestamentaire qui était suffisamment authentique et vivante pour devenir, quand le Fils se rend présent, une foi néotestamentaire qui adhère à la vérité du Seigneur.

 

Celui qui commence à croire peut sans doute réfléchir parfois pour chercher à comprendre, mais dès qu'il rencontre l’Église et la foi telles que le Seigneur les lui a données, il doit renoncer à tout ce qui est limité et borné et reconnaître une existence à l'infini comme étant l'état du Seigneur à laquelle il participe en tant que croyant qui marche à sa suite.


 

La foi doit rester ouverte sur Dieu au-delà de tout ce qu’elle a compris et ainsi recevoir toujours de nouveaux accroissements. Mais cette ouverture constante de la foi à ce qui la dépasse est troublée par le péché. Le sens de l’homme s’émousse s’il n’est pas nourri continuellement par le sens de Dieu. Ce que Dieu dit d’illimité, l’homme y met aussitôt ses limites ; dans les paroles de Dieu, sa foi n’adhère qu’à ce qui lui semble adapté à sa nature finie. Il établit un certain rapport entre ce que Dieu "peut" dire et ce qu’il est capable de comprendre ; il enlève ainsi à la Parole de Dieu son infinité et à la foi son ouverture sur ce qu’elle ne connaît pas encore de Dieu.


 

13 juillet

 

La femme enceinte conçoit la vie comme une vie étrangère, et pourtant c'est une vie dont l'origine est l'amour. Elle sait que cette vie vit en elle de manière cachée et pourtant elle ne sait pas, elle croit et pourtant elle ne croit pas ; c’est comme si elle était totalement au service de cette vie, comme si elle ne vivait plus que pour l'amour de cette vie. Et tout d'un coup cette vie sort d'elle : une vie étrangère propre, une vie qui vit de sa vie à elle et qui pourtant est différente, une vie qui provient de son amour et de sa nature, une vie qui compte sur elle et sur son amour, sur ses soins, sur son lait, et qui pourtant est une vie pour elle-même, une vie qui dépasse ce qu'elle imaginait, qui répond à son amour et l'enflamme d'une manière nouvelle, qui fait de son amour une flamme qu'on ne peut plus maîtriser.


 

Avec l’amour il se passe ceci : il est aussi bien donné que pris ; celui qui aime le donne et celui qui est aimé le prend, et assurément le fait de donner est un cadeau, premièrement de la part de celui qui aime et, secondairement, pour celui qui le reçoit. Avec l’humilité par contre il se passe ceci : elle est donnée avec tout amour vrai et si elle n’est pas présente dans le don, l’amour n’est pas vrai. Bien qu’elle soit donnée avec l’amour, elle n’est pas reçue de la même façon. Celui qui est aimé ne reçoit que l’amour, il ne reçoit pas aussi l’humilité.


 

Jean l’apôtre prie de telle manière qu'en chaque mot et en chaque aspect de sa prière le Seigneur se trouve toujours au centre, le Seigneur qu'il aime comme un ami et qui est Dieu. C'est de cet amour qu'il vit, il est attiré par lui dans l'amour de Dieu, et son amour se transforme. Chaque fois qu'il se met à prier, il voudrait adorer, remercier, présenter sa requête ; il s'abandonne, il s'offre, il se livre totalement. Cependant dès qu'il commence, il est tellement saisi par l'amour de Dieu qu'il n'a plus besoin de rien faire : il est accueilli, son offrande est acceptée par le Seigneur, son sacrifice est agréé. Il n'a plus besoin de faire d'effort, de vouloir quelque chose : la volonté de Dieu et son amour sont totalement en lui. Tout n'est plus qu'amour, unité, grâce. Et, pour lui, c'est comme si Dieu avait justement besoin de cette prière, comme si le Fils l'avait attendue pour remplir les autres d'amour, pour répandre chez les autres le don total de sa grâce. Il n'est jamais plus heureux que dans cette prière puisque, par la grâce, lui-même est distribué également à tous ceux qui attendent cette grâce.


 

14 juillet

Pour prier l'Esprit Saint, on doit toujours le faire avec une certaine disponibilité. La grâce du Fils peut saisir quelqu'un d'une manière inattendue, comme Paul à Damas. La grâce de l'Esprit Saint par contre reste une réponse. C'est dans le sens de l'Esprit Saint et en son nom que le Seigneur dit : "Priez et vous recevrez". Quand la foi est donnée soudainement à un non croyant, c'est davantage l'œuvre de Dieu Trinité au nom du Fils incarné. L'Esprit par contre - en ce qui le distingue du Père et du Fils - est toujours celui qui comble, celui qui éclaire quelque chose qui est déjà commencé.


 

On prie dans une église, et il peut arriver qu’on est si directement touché par la grâce qu'on s'imagine éprouver de manière sensible sa répartition sur tous ceux qui sont présents ou sur ceux qu'on a recommandés ou sur des gens qui nous sont totalement inconnus.


 

Celui qui prie vit sur terre mais, par la grâce, avec une vision des choses que Dieu lui donne à voir ; s'il vit totalement dans l'obéissance et dans l'amour, il n'a plus besoin de se tenir "tout en bas", il peut vivre quelque part sur la voie de la grâce, au lieu le plus favorable pour l'action de la grâce. Si on veut comparer la grâce à un ruisseau, c'est à proximité de la source qu'il est le plus propre et le moins ralenti, là où il n'est pas encore réduit par des canaux et des conduites.

 

Pour saisir quelque chose du divin, il faut toujours la grâce, et celle-ci requiert toujours du croyant qu'il renonce à lui-même, qu'il renonce à ratiociner, à ergoter et à tout savoir mieux que les autres. La grâce submerge, c'est sa nature. Elle n'explique pas point par point, mais elle prodigue sa lumière comme le soleil. L'homme en qui Dieu se prodigue de la sorte devrait chanceler puisqu'il ne pourrait plus voir que la lumière de Dieu et non plus sa propre faiblesse. Il devrait renoncer à un équilibre, à un dialogue entre lui et Dieu comme entre partenaires, il devrait n'être que pur bénéficiaire, les bras ouverts, sans jamais pourtant pouvoir tout contenir parce que la lumière coule à flots partout, qu'elle demeure insaisissable et qu'elle est beaucoup plus que ce que peut saisir une seule personne. Comme si on tenait un petit récipient sous un puissant jet d'eau : il ne peut jamais se remplir parce que le jet est trop puissant.

 

15 juillet

Saint Bonaventure (1221-1274)

Sa mission est de rapprocher l'homme de Dieu par le Dieu-Homme, mais pas un Dieu incontestable, qui apparaît directement dans le Christ, c'est Dieu Trinité dans son mystère. Cela se reflète dans ses écrits qui sont d'une part de la vulgarisation qui essaie, à la manière d'un apôtre, d'aider le plus grand nombre possible de gens, d'autre part une théologie rigoureuse qui cherche à présenter la doctrine dans toute sa sublimité. Ce qui est simple et ce qui ne doit pas être saisi se trouvent immédiatement l'un à côté de l'autre. Dieu Trinité tel qu'il se présente à Bonaventure est au fond moins le Père, le Fils et l'Esprit, que l'épanchement éternel de l'amour divin, sa présence dans le ciel et sur la terre, dans l'unité aimante des trois personnes. Il voit que son intelligence n'arrive pas à concevoir, il voit au fond qu'il est impossible de comprendre, et il sait pourtant que le mystère lui est montré pour qu'il s'en approche le plus possible et qu'il présente ce qu'il a saisi aussi simplement que possible pour donner aux autres de faire rayonner clairement pour eux le commandement de l'amour du prochain, de l’amour en général, de l'aide réciproque. Il doit choisir ses mots pour qu'on les comprenne et qu'ils renvoient pourtant toujours au mystère de Dieu. Même quand il trouve des formulations qui, pour les autres, apparaissent neuves et satisfaisantes, adéquates en quelque sorte, il doit toujours savoir, pour lui-même et pour sa tâche, qu'elles sont insuffisantes, qu'avec toutes ses esquisses il doit retourner à la vraie théologie trinitaire de Dieu elle-même. Ce qui est formulable est toujours pour lui un extrait de ce qui n'est pas formulé, qui n'est pas du tout formulable et néanmoins ce à quoi il faut aspirer.


 

16 juillet

Une fois pour toutes, le Fils est qui il est : le Fils du Père, il est devenu homme et, par son être, il renvoie à l'amour du Père. Le miracle majeur qu'il nous apporte est celui de l'amour et de la foi : par sa venue, l'amour et la foi peuvent devenir des miracles manifestes pour la rencontre de l'homme avec le ciel. Ses miracles matériels ne sont ainsi que des coups d’œil rapides dans le ciel, peut-être pour que nous puissions voir quelque chose plus facilement. Ou bien aussi pour que ceux qui viendront après, ceux qui cherchent, ceux qui doutent, ne cessent d'être confrontés à l'absolu de Dieu.


 

Le Fils, parce qu'il est à la fois homme et Dieu, dispose des moyens les plus variés pour entrer en relation avec les hommes. La question est seulement de savoir si ces moyens conviennent pour des hommes qui ont abusé, pour le péché, de tous leurs moyens d'expression. Comment s'y prendre pour qu'ils se sentent interpellés ? Les moyens de la pureté feront difficilement l'affaire. Est-ce que les objectifs du Fils les intéresseront ? Par exemple agir pour la plus grande gloire du Père ? Quelqu'un d'impur, on ne peut pas le toucher avec un but de ce genre à moins qu'on lui montre des avantages personnels, qu'on se montre arrangeant avec ses desseins qui sont sans amour. Le Fils n'a pas d'autres possibilités que celles qui sont dans sa pureté en tant que Dieu et homme. Montrer le Père, éveiller de l'intérêt pour Dieu. Et le seul intérêt ne suffit pas, l'homme doit l'accompagner un bout de chemin, c'est beaucoup plus difficile à obtenir. L'acte extérieur ne suffit pas non plus, il faut participer à la vie intérieure du Fils. L'homme doit consentir à offrir en lui un espace pour la mission du Fils.

 

Quand celui qui reçoit un sacrement oppose des résistances à la grâce (il se confesse à contrecœur, superficiellement, il communie d'une manière formaliste), la force efficiente du sacrement est réduite ; le sacrement s'offre certes dans sa totalité, mais il n'est reçu que partiellement. Celui qui reçoit un sacrement se réserve le droit de décider dans quelle mesure il veut s'ouvrir à la grâce et lui permettre d'accomplir en lui son œuvre. Celui qui s’ouvre tout entier est prêt à laisser forcer par la puissance du sacrement sa propre petite ouverture pour laisser se répandre par les écluses toutes les eaux de la grâce.


 

17 juillet

L’infini de Dieu, c’est aussi la profusion de ses possibilités. Adrienne en voit une image dans l’utilisation faite par Dieu des prières qui lui sont adressées. En la matière, Dieu est libre autant dans l’évaluation que dans l’utilisation. Supposons que deux personnes aient le même recueillement, la même bonne intention, la même prière, Dieu pourrait quand même utiliser leur intercession de manière toute différente. Pour l’une, faire comme si c’était peu, pour l’autre, comme si c’était beaucoup. Mais cela ne doit pas être une cause de tristesse, car on doit toujours partir du fait que c’est une pure grâce de manière générale que Dieu accepte quelque chose. Il est essentiellement libre, cela donne aussi une image beaucoup plus juste de la profusion des possibilités de Dieu. Cela ne veut pas dire que si la prière de A par exemple est reçue comme pleinement valable et importante, la prière de B par contre n’aurait que peu de poids ; l’importance de la première n’est pas peu affectée par le fait que quelque chose du poids de B lui a été donné. Supposons que je prie pour la pluie ; tu pries pour avoir du beau temps et Dieu envoie du beau temps ; ma prière pour la pluie a pu être ajoutée à ta prière pour le beau temps.


 

Dieu ne peut pas nous communiquer d'un coup toute sa vérité, mais ce qu'il communique est toujours l'expression de son amour. Qu'il se dévoile plus ou moins, Dieu agit toujours de la manière la plus avantageuse pour notre salut. Un peu comme dans les rapports entre époux : il n'est pas essentiel qu'ils soient plus ou moins déshabillés, plus ou moins habillés, l'amour n'est pas moindre en chaque circonstance. Tout instant conduit immédiatement vers la vie éternelle.


 

Ce que nous saisissons de la Trinité de Dieu et, d’une manière générale, tout ce qui est caché en Dieu ne ressemble qu’à une petite poussière sur une coudée, comparé à ce qu’on ne comprend pas. Nous avons certes part à l’Esprit Saint, et Jésus peut nous apparaître. Mais si magnifique que ce soit, ce n’est finalement pas commensurable avec ce que Dieu est en lui-même. Tout cela n’est ni inquiétant ni triste comme on pourrait le penser. Plus on perçoit quelque chose de la grandeur de Dieu, plus on voit aussi qu’on est soi-même néant. Il y a une comparaison incessante. Mais justement avec le désespoir de ne jamais pouvoir monter dans la coudée, on apprend la grande nécessité de se donner un mal maximum et d’être totalement disponible.


 

18 juillet

Au ciel, Marie est la première à se tourner vers le monde. Elle a reçu et accompagné le Fils ici-bas, elle continue à accompagner tous ceux qui accompagnent son Fils. Les grâces qu'elle distribue du haut du ciel, les conseils qu'elle donne, les prières auxquelles elle prend part, les soucis de chacun de ceux qu'elle connaît et soulage, son amour pour tous les hommes par lequel elle continue son amour pour son Fils : tout cela, ce sont les aspects de son activité tournée vers le monde. D'innombrables fils la relient à la terre, et inversement. Tout ce qu'elle fait a un caractère maternel marqué si bien que cela porte toujours le signe de la croissance. Quand, à Lourdes, elle parle avec la petite Bernadette, quelque chose se passe : une source jaillit et ne cesse plus de couler. Quelque chose a commencé alors qui aujourd'hui encore ne cesse de commencer. Même si le nombre des pèlerins est grand, il n'épuise pas petit à petit la grâce qui jaillit. Une guérison aussi que Marie demande à Dieu est toujours un commencement parce que ses grâces sont toutes maternelles et qu'elles s'épanouissent en fécondité.

 

Pour ceux qui sont au ciel, l'état entre la mort et le jugement dernier est comparable au temps du Fils avant son incarnation. Déjà en tant que Dieu il fournissait un "travail" en vue de la peine à venir de la rédemption du monde. Ceux qui sont au ciel fournissent, avant le jugement dernier, un "travail" en vue du temps de la rédemption. Ils ressemblent à des sages-femmes qui sont elles-mêmes mères, qui connaissent par expérience les douleurs de l'enfantement, mais pour elles-mêmes ce n'est plus qu'un souvenir, elles aident les parturientes qui sont en train de ressentir les douleurs. C'est ainsi que ceux qui sont au ciel aident ceux qui souffrent ici-bas ; tous ceux qui sont au ciel ont accouché et ont porté du fruit, ils savent donc aussi ce que sont les douleurs.

 

Le Seigneur reçoit le manteau de pourpre comme habit pour la souffrance à venir. Celui qui va à une noce met un habit de fête ; pour un enterrement, on met un habit de deuil. Ainsi dès ce monde, le chrétien s’habille comme le requiert le lieu où il va : le ciel.


 

Au ciel, l'homme est jugé d'après ce qu'il a fait de la parole qu'il a entendue ici-bas.


 

19 juillet

Quand les disciples ont rencontré le Seigneur, ce fut pour eux comme un hasard derrière lequel il y avait une Providence. Ils ne savaient pas que c'était par obéissance, pour une mission, qu'ils se trouvaient justement sur ce chemin où passait le Seigneur.


 

Ce qui n'est pas assuré dans l'existence humaine laisse de la place pour l'angoisse. En tant qu'humains nous pouvons nous inquiéter : pour autrui, pour un groupe, pour une idée, mais aussi pour des choses qui semblent tout à fait inactuelles, pour quelque chose qui est arrivé il y a cinq ans ou qui arrivera dans sept ans. Cette angoisse vague, incertaine, le Fils ne la connaît pas : il doit venir à bout de tout d'instant en instant. Quand il va au désert afin de prier pour sa mission future, il doit prendre pour cela un temps de sa vie et le remplir à ras bord dans le sens de sa mission de prière. Sa prière, son action, sa souffrance sont toujours présentes, totales, indivisibles, et c'est dans cette totalité qu'il fait entrer le monde, tous les hommes, tous les péchés.

 

Quand on prie, on sait que la plus grande partie de la prière est un cadeau. Même quand on dit quelque chose d'aussi connu et d'aussi employé que le Notre Père, même si on est convaincu qu'on a pris soi-même la décision de prier et qu'on s'est personnellement recueilli dans sa chambre pour adopter les pensées et les désirs du Fils, on perçoit quand même tout de suite que tout nous est donné. Chaque mot représente beaucoup plus que ce qu'on saura jamais, chaque mot a une ampleur qu'on ne pourra jamais lui donner soi-même, Dieu doit l'entendre divinement et ainsi seulement en faire un mot pour lui. S'il ne nous est pas donné de voir la forme et le contenu que la prière reçoit auprès de Dieu, on sait quand même que cette transformation a lieu et qu'elle est un pur don. La source de laquelle tout découle, qui donne forme à tout, se trouve en Dieu, on le devine soi-même.


 

20 juillet

Le Père a créé le monde dans sa lumière mais, à cause du péché, ce monde est sombre, le péché assombrit la lumière de Dieu, il ne laisse pas la lumière le pénétrer. Le Père demande alors au Fils de prendre sur lui le péché du monde.

 

Quand les humains furent chassés du paradis, Dieu ne fut plus pour eux dans la lumière. Ce n'est que lorsqu'ils cherchent à s'approcher à nouveau de Dieu qu'il leur rend dans sa grâce quelque chose de la vraie lumière, afin qu'ils voient dans la lumière de Dieu la lumière terrestre et les choses terrestres. Quand, à la fin de la passion, le Fils meurt, que toute la lumière est comme traversée par les ténèbres, c'est alors que devient visible le prix par lequel Dieu nous rend sa lumière.

 

La grâce de Dieu est répandue dans le monde des hommes, elle est une union du divin avec l'humain telle qu'elle résulte fondamentalement de l'incarnation.


 

Le Notre Père que le Fils a donné au monde est quelque chose qui lui tient à cœur : que le monde puisse prier comme lui-même a prié et pour que la volonté du Père soit faite sur la terre.

 

L’égoïsme peut se glisser aussi dans la relation avec Dieu. Comme deux égoïstes qui se marient concluent un accord et délimitent leurs sphères, on peut de même conclure avec Dieu un pacte dans la prière. Je fais quelque chose par amour pour lui et il me rendra service, il me protégera, il m'aidera finalement à gagner le ciel. Mais le ciel de Dieu est son échange d'amour et aucun égoïste ne peut y entrer. Il doit d'abord avoir placé son centre en dehors de lui.

 

Dieu se révèle d'une manière nouvelle à celui qui s'abandonne à lui.


 

21 juillet

Heureux les artisans de paix. La paix qu'ils possèdent vient de la certitude de leur existence en Dieu, réalité qui renverse toutes les valeurs.

 

Il n'est pas permis que la prière soit une fuite. Parce que tout le monde vous tape sur les nerfs, on se réfugierait dans la prière. En soi, cela pourrait être juste si l'on est prêt à se laisser déranger à nouveau pour les exigences de la mission. Est fausse la prière qui chercherait à fuir la mission.

 

Le Seigneur apparaît aux apôtres alors que les portes étaient verrouillées. Celui qui dit dans la foi : "Seigneur, sois avec moi" se trouve dans la grâce de l'expérience des apôtres. Le plus petit acte d'adoration véritable nous fait toucher Dieu. Dans la foi, Dieu se tient à notre disposition, il vient à nous, il nous apparaît, que nous le voyions ou non.

 

Le Fils devenu homme grandit littéralement dans la grâce du Père, comme le font les saints et tout bon chrétien. En tant que Dieu, le Fils a, dès le commencement, la plénitude de la grâce mais, en tant qu'homme, il l'acquiert.

 

On va se promener avec un ami, la conversation se traîne, on est légèrement fatigué, on aime beaucoup marcher l'un à côté de l'autre, et tout d'un coup l'autre dit un mot qu'on avait toujours attendu presque sans le savoir, et tout d'un coup il est mon meilleur ami, et je l'aimerai toujours, car il m'a donné ce que depuis toujours je cherchais, pensais et désirais.

 

Le Seigneur sait qu'il faut du temps pour en arriver à ne plus prendre ses décisions qu'en lui, à ne plus regarder que lui.


 

22 juillet

Sainte Marie-Madeleine

La rencontre de Madeleine avec le Seigneur est pour elle une très grande humiliation. Qu'il voie tout, qu'il sache tout, ce qui a été dit et ce qui n'a pas été dit : que pour ainsi dire il ne voie pas seulement par devant ce qu'elle a dit et fait, mais par derrière ce qu'elle n'a pas dit et pas fait. Elle a en horreur le fait qu'il voie ainsi ce qu'il y a en elle de plus caché. Car tout d'abord elle ne s'attend pas à l'humiliation. Puis elle remarque que ce n'est que par l'humiliation qu'elle est entrée dans la grâce du Seigneur, que c'est par l'humiliation qu'elle est débarrassée de son péché, que c'est par l'humiliation qu'elle est introduite dans l'amour. Maintenant elle aime l'humiliation et dès lors elle cherche à être humiliée partout où c'est possible et elle cherche à s'humilier elle-même. Elle s’humilie en plaçant l'amour du Seigneur si haut au-dessus de son propre amour qu'en toute occasion elle s'abaisse pour l'élever, lui. Elle fait cela très discrètement. Elle le fait sans se faire remarquer, dans sa prière, dans son travail, dans son amour. Madeleine aime l'humiliation. Toute sa féminité, tout son don d'elle-même à l'homme ont été repris par le Seigneur et dirigés sur une voie toute nouvelle. Lors de sa conversion, elle se sent touchée physiquement au plus intime d'elle-même. C'est avec son corps qu'elle a péché. Le péché est parti, mais l'humiliation est restée, l'humiliation d'avoir été reprise de cette manière par le Seigneur, comme si le Seigneur s'était mis au début de son péché. Il le fait spirituellement et pourtant il le fait corporellement d'une certaine manière. Afin qu'elle apprenne le spirituel dans son faux don d'elle-même et son infidélité, il faut justement qu'elle devienne fidèle aussi corporellement. C'est à lui qu'appartient maintenant son corps par la chasteté qu'il lui a rendue. Ce qui l'humilie, c'est justement la vertu qu'elle a reçue. Elle se sent comme nue devant Dieu et devant les saints, mais sans qu'il y ait là le moindre péché. Il n'y a là que des sentiments d'humiliation. Que les autres sachent qu'elle était une pécheresse n'a pas la moindre importance. Ce qui est le plus important, c'est qu'elle était une pécheresse devant le Seigneur et qu'il l'a lavée d'un prix qu'elle ne fait que deviner, qu'elle ne connaît pas. Quand le Seigneur l'a rencontrée, le Seigneur lui a offert quelque chose qui reste pour elle saisissable : la sainteté, sa sainteté à lui, sans peser et sans mesurer combien elle est capable d'en porter ; en un bref entretien, d'où s'ensuit un long chemin, il la fait sainte, non en la faisant se détourner de tous les gens qu'elle a connus, ce n'est que du péché qu'elle doit se détourner, et elle est tournée vers les gens de manière nouvelle : elle a aimé et elle pourra continuer à aimer. Elle devient le symbole du pécheur dont le Seigneur a pitié. Au pied de la croix où il lui est permis de l'accompagner, elle est là comme l'emblème des rachetés. Comme celle qui a été saisie par l'amour pour être sauvée, et qui maintenant au pied de la croix se tient devant le mystère trinitaire : autorisée à être là puisque le Fils lui en a fait le cadeau.

 

23 juillet

En priant, nous entrons dans la manière de penser de Dieu, nous faisons nôtres ses désirs. Tout ce qui nous concerne, nous devons le prendre dans la prière et le soumettre par là une fois de plus à sa volonté.


 

En toute prière, on doit rester totalement ouvert et malléable, car Dieu peut la conduire tout autrement qu'on ne le pensait. On voulait prier pour une paroisse, pour une région, pour une communauté, et tout d'un coup il n'y a là qu'une personne pour qui on doit prier maintenant, qu'on la connaisse ou non. Ou au contraire on voulait prier pour quelqu'un et on doit prier pour un groupe, pour une communauté dont il fait partie.

 

Il n'y a qu'une œuvre de Dieu : la foi. Tout le reste découlera de cette œuvre.


 

A l’instant où la foi se fait jour en moi, ma première réponse à la foi est d’adorer, de remercier, de désirer me donner moi-même à cette foi. Tout de suite il y a un don de tout ce que j’ai, même si je n’ai pas une claire conscience de ce que je possède. Ce premier acte de ma foi essaie pour ainsi dire de faire sourire Dieu. Dans l’amour humain, on sait à peu près comment faire plaisir à celui qu’on aime : avec tel ou tel cadeau ; on connaît ses goûts, et la plupart du temps on tombe juste. Mais quand je commence à croire, je ne sais pas ce que Dieu voudrait ; dans la gaucherie de ma foi naissante, qui est aussi le début de mon amour pour lui, je lui offre tout ce que je possède : ma prière, mes aptitudes, moi-même. La foi inclut donc toutes les œuvres. Le don de l’amour qui est fait à l’homme avec la foi aimante est la possibilité en lui de réjouir Dieu.

 

Si un jeune de vingt-cinq ans affirme : "J'ai toujours fait ce qui était mon devoir, mais je n'ai jamais trouvé une joie quelconque en Dieu", ce n'est certainement pas vrai. La vérité est peut-être que, dans sa famille, la religion était une affaire superficielle ; et quand le jeune commença à devenir autonome, il se mit à se chercher lui-même au lieu de chercher Dieu. Mais s'il a cherché Dieu, il a certainement ressenti l'une ou l'autre consolation avant de se trouver dans la désolation.


 

24 juillet

 

Le Fils devient homme par Marie. Son être d'homme provient en partie de Dieu, en partie de Marie. Comme homme aussi, il est en partie du ciel, en partie de la terre, car l'Esprit Saint a couvert Marie de son ombre. En tant qu'Homme-Dieu, il se soumet au cycle de l'organisme maternel, il vit de ses forces et de sa substance ; en se laissant former par cet organisme, il agit dans sa mère ; en se laissant combler par elle, il la comble. Il reçoit d'elle, qui est un être humain, ce qu'elle a à lui donner. Le Fils ne vit pas seulement du divin du Père et pour le divin du Père qu'il retrouvait à peu près dans sa mère, il vit aussi du bien de l'humanité qui se trouve en elle et qu'elle peut lui offrir. Il serait faux de croire que le Fils ne trouve dans la Mère que ce que Dieu lui a donné comme grâce spéciale ; il trouve en elle le bien de l'humain qui, sans résistance, s'habitue à sa forme d'homme. Il est à peine nécessaire de dire que l'unité de la Mère avec le Fils et l'unité du Fils avec la Mère doivent en arriver à coïncider totalement. On peut tout simplement parler ici d'une relation mutuelle durable et inexprimable qu'on ne peut pas élucider totalement parce qu'il n'est pas possible de déterminer la part que chacun donne à l'autre. Il est certain que le Fils donne plus à la Mère que la Mère au Fils. Mais on ne doit pas vouloir ramener le mystère à une proportion qu'on peut pénétrer totalement.

 

Quand Marie et Joseph et l'enfant ont enfin une maison et que commence une vie paisible, la Mère peut être heureuse de son enfant et remplir ses devoirs domestiques et maternels. Elle vit en même temps dans un énorme mystère auquel, pour le moment, elle est surtout initiée dans la patience. Les événements extraordinaires sont passés : l'annonciation et la visite à Élisabeth, la grossesse, le départ pour Bethléem, la naissance et le mystère quelque peu effrayant avec les mages, comme si tout déjà était public et connu du monde entier, et comme si cela devait maintenant continuer de prodige en prodige. Puis d'autre part la persécution, la fuite, le retour. Maintenant c'est le quotidien gris et caché où il n'y a plus de signes, et cependant tout ce qui s'est passé demeure vrai, et Marie doit garder dans son cœur le mystère dont elle sait qu'il grandit avec l'enfant ; l'enfant grandit comme les autres enfants, doucement, mais avec lui grandit et mûrit le mystère divin pour une moisson que Marie ne connaît pas.

 

25 juillet

Saint Jacques, fils de Zébédée

Il vit dans l'ombre de Jean, son frère, comme pour souligner son amour, pour donner forme à son attitude. Il est très humble mais aussi très aimant. Il n'est pas capable en quelque sorte de se distinguer et de jouer un grand rôle, et pourtant il doit absolument être là, il est comme une condition de l'existence de Jean. Lui-même ne le sait pas, il n'y pense pas et il ne l'exprime pas, mais il vit dans l'attitude de celui qui aime et qui sert, qui laisse agir son service et son amour à l'arrière-plan. Il est porté par l'amour de Jean et pourtant, de son côté, il en est une condition cachée. Il ne pourrait pas être si silencieux à l'arrière-plan si Jean ne se trouvait pas aussi rayonnant au premier plan. Il y a interaction entre les deux, un lien réciproque et la possibilité pour chacun d'accomplir son service. Il a la même fidélité que Jean, la même fermeté de la ligne. Il aime le Seigneur et il lui a voué sa vie, mais à l'ombre de son frère. Pour Jean, c'est comme un soulagement : son service, qui est plus grand, il peut l'accomplir avec encore plus de sûreté parce que son frère, qui a un service plus petit, est fidèle. Jean est le plus exposé, mais on ne peut pas dire que Jacques est moins nécessaire. Zébédée a tout donné : le fils brillant et celui qui est tout silencieux. Jacques est pris avec Pierre et Jean ; dans leur groupe, il représente pour ainsi dire l'anonyme, mais absolument fidèle. Il est simplement le compagnon en qui on peut avoir confiance comme serviteur. Il cherche tellement à faire sans cesse la volonté du Seigneur qu'il ne court pas le danger de se tromper ou de devenir indifférent. La prière l'accompagne en toutes choses et en tout travail. Il demeure constamment disponible et prêt à répondre, il n'est pas loin de vivre dans une prière ininterrompue.


 

26 juillet

Par le corps du Seigneur qui nous est donné dans l'eucharistie, nous avons part à sa divinité, à toute la Trinité de Dieu.

 

L'eucharistie est ce qui est le plus étonnant : le Fils fait que sa chair soit produite à partir d'une infinité de morceaux de pain qui ont été façonnés par la main de l'homme ; si on regarde les choses avec la raison, le Fils semble ainsi s’éloigner infiniment plus du Père ; une quantité immense d'hosties sont cuites et le Fils ne cesse de rester l'Unique qui est dans le Père.

 

Trois lignes partent du Seigneur devenu homme. L'une renvoie au ciel, il a la vision du Père et, pour lui, la terre n'est pas du tout le ciel. Toute sa vie ici-bas se trouve en quelque sorte sous le signe de sa future ascension et de son retour au Père. La deuxième ligne est horizontale, elle le détermine à rester homme ; qu'il soit homme parmi nous veut dire qu'est voilé d'une certaine manière son être divin ; son être divin brille sans doute dans sa parole qui explique aux croyants son appartenance au Père, mais seulement de manière voilée. Finalement il y a la ligne vers le bas, la ligne du don de soi, de l'eucharistie. Le corps qu'il a sacrifié pour nous et qu'il nous donne est un corps réel. Notre manducation du pain ne prend tout son sens que lorsque, dans la foi, nous percevons en esprit l'existence spirituelle du Seigneur, sa divinité. L'eucharistie inclut la divinité et l'humanité, et de plus le ciel tout entier et la Trinité tout entière. Elle devient ainsi pour nous accès à la totalité.


 

27 juillet

Adrienne pense spontanément à des exercices de pénitence et à certains renoncements. Le Père Balthasar lui explique alors qu’il y a pour elle des limites en la matière : sa santé, la maison qu’elle a à tenir, sa profession. Mais cela n’empêche que revient sans cesse la question de savoir ce qu’est l’ascèse, ce qu’on pourrait vraiment faire pour Dieu. Le P. Balthasar. la met en garde : il ne s’agit pas d’essayer de forcer Dieu. Elle ressent néanmoins un besoin très fort de s’offrir à Dieu de cette manière.

 

Adrienne m’exhorte avec plus d’insistance que jamais à m’offrir totalement à Dieu. Elle ne cesse de me demander : "N’est-ce pas que vous l’aimez quand même aussi, que vous voulez collaborer ? Nous devons, tout simplement. Dieu attend notre oui".


 

Quelque temps après le baptême d’Adrienne, le 1er novembre 1940, elle se sent malheureuse de ce qu'elle ait si peu à offrir à Dieu pour ses grâces surabondantes.


 

Après les grâces et les expériences très dures de la passion qui ont marqué les jours saints de 1941, elle écrit au P. Balthasar : "Je suis de nouveau prête à tout, pour autant que Dieu me donne la force de tenir le coup". Ce que Dieu attend d’elle, elle est plus disposée que jamais à le faire.


 

Quelques mois après sa conversion, Adrienne voudrait montrer à Dieu qu’elle est prête à faire quelque chose pour lui : "Que peut-on faire pour Dieu ? Ne peut-on pas faire un jour quelque chose de juste ? Pour que Dieu voie bien que notre offre est sérieuse".


 

Adrienne. Je dois dire que dès maintenant je suis prête à passer par tous les chemins que Dieu voudra me faire emprunter ; il sait combien cela peut être dur, mais il sait aussi dans sa bonté combien il peut exiger de quelqu’un ; qu’il me donne seulement la grâce de le servir vraiment. - Elle est prête à souffrir vraiment autant que Dieu le lui permet.


 

Adrienne, à 27 ans, au contact avec les malades à l’hôpital. Il y a tous ceux qui n'ont pas l'habitude de penser à Dieu, mais cela les soulage si quelqu'un leur apprend à penser à Dieu.


 

Adrienne, étudiante en médecine. On devrait vivre de telle sorte qu'à aucun moment on ait à craindre de paraître devant Dieu.


 

28 juillet

Prière d'Adrienne. Mon Dieu, je t’en prie, bénis tous ceux pour lesquels je te prie d’habitude. Donne-moi la connaissance à laquelle tu penses". Je demande à Dieu de me montrer le chemin et de me donner un signe s’il veut quelque chose. Je prie par exemple pour que le monde comprenne mieux les mystères de Dieu.


 

L'homme est capable de parler ; par là il est à même d'une double parole : à Dieu et à son prochain. Par la parole, il peut s'entendre avec Dieu : entendre la parole de Dieu et lui répondre. C'est ainsi que se forme la prière. La parole est le moyen pour échanger de l'amour.


 

Adrienne. Je ne savais pas du tout qu’on pouvait tellement aimer prier. La vérité du fait que j’aime prier a beaucoup de visages. Tantôt j’aime prier devant le Saint-Sacrement exposé, tantôt devant le tabernacle fermé. Tantôt je peux laisser tomber tous mes soucis pour n’être qu’à Dieu, tantôt j’ai besoin justement de mes soucis pour prier avec eux. Tantôt je m’entretiens avec un saint dans la prière et il sert alors en quelque sorte de pont vers le tabernacle. Il voit Dieu, et mon champ visuel atteint le saint qui voit Dieu. La vérité de la prière a pour moi beaucoup de visages, mais j’apprends par là que cette vérité est infiniment grande et plus riche que ce que j’en expérimente même là où elle me comble totalement.


 

Saint Polycarpe, disciple direct de l'apôtre Jean et second évêque de Smyrne, fait une prière qui est beaucoup plus grande que ce qu'il peut imaginer, pas une prière exaltée, mais une prière qui s'adresse à la Trinité tout entière, qui pénètre dans l'amour tout entier et qui est saisie par l'amour tout entier. Une prière qui grandit et prend forme paisiblement en lui et jubile comme un chant et remplit tout. Il vit de cette prière, et beaucoup des siens vivent de cette prière. Il ressemble un peu à saint François quand il introduit les plus petites choses dans sa prière, mais aussi les plus grandes, et qu'il ne s'occupe pas de les mettre en ordre selon leur importance, il ne sépare pas l'essentiel de ce qui est secondaire parce qu'il laisse entièrement à Dieu le soin de tout mesurer. Sa prière rayonne et elle est reçue par Dieu, il n'y a aucune contradiction entre sa vie et sa prière. Il n'est pas très intelligent ni très savant, et cependant sa prière est en quelque sorte intelligente et savante parce qu'il présente et offre simplement à Dieu toute son humilité, tout son être, tout son amour. Quand il a prié, il n'est pas seulement rafraîchi moralement, il a aussi l'esprit rempli d'inspirations nouvelles.


 

29 juillet

Sainte Marthe et sainte Marie de Béthanie

Marie, la sœur de Marthe, écoute le Seigneur plus encore avec son esprit qu'avec ses oreilles. En chaque parole elle voit au fond le Seigneur tout entier, chacune de ses paroles est pour elle la parole. Elle est donnée à l'Esprit autant qu'on peut l'être. Elle est là, dans une parfaite chasteté, comme une femme qui est possédée tout entière par son mari, qui se donne totalement à son mari pour tout recevoir de lui et ne plus rien avoir d'elle-même. Comme une femme à qui son mari montre son amour et qui dit oui à chaque parole d'amour, à chaque signe d'amour. Le Seigneur pourrait s'élever au-dessus de toutes les hauteurs, il pourrait s'abaisser jusqu'aux plus grandes humiliations, il reste pour elle la parole indivisible, la parole qui doit devenir féconde en elle, la parole de la prière contemplative. Avec chacune de ses paroles, le Seigneur l'introduit dans la parfaite contemplation. Ses paroles se dilatent en elle jusqu'à devenir la leçon contemplative parfaite de tout l'amour du Seigneur et de toute sa relation à l’Église. Les paroles du Seigneur tombent en son âme comme des perles. Chaque parole est un monde, un monde d'amour chrétien et de don de soi chrétien. Elle apprend l'amour et le don d'elle-même en même temps. Jusqu'à présent elle avait agi dans son milieu comme elle pouvait, elle s'était donné de la peine, elle avait pratiqué l'amour comme il lui était inspiré. Maintenant c'est le Seigneur qui la dilate lui-même dans toutes les directions. Elle sait peu de choses de l'amour de l'homme pour la femme, de la manière dont l'homme la possède. Et pourtant c'est comme si maintenant son âme et son corps ne faisaient qu'un, elle est prête à recevoir tout ce qui vient du Seigneur, totalement livrée, dans un don d'elle-même qu'il lui offre, continuellement et pour toujours. Chacune de ses paroles la modèle, l'humilie, elle est emportée par elle, enthousiasmée par elle, dans la foi et l'espérance. Jusqu'à présent elle savait si peu de choses ; maintenant il n'y a plus pour elle de détails, il n'y a plus que la totalité de l'amour du Seigneur et de son don d'elle-même à lui. Elle a abandonné Marthe parce qu'elle a tout abandonné pour suivre le Seigneur. Marthe fondera à côté d'elle un autre état ; bien qu'à l'avenir les deux ne serviront plus que le Seigneur, elles se tiennent l'une à côté de l'autre comme deux sœurs mariées dont chacune a sa propre famille, chacune reste unie à l'autre dans une mesure limitée, autorisée. Le Seigneur revendique Marie totalement. Marie voit en sa sœur quelqu'un qui appartient également au Seigneur, mais d'une autre manière ; la relation de Marthe au Seigneur et du Seigneur à Marthe est maintenant pour Marie beaucoup plus essentiel que la relation des deux sœurs entre elles.


 

30 juillet

Si le Fils, en tant qu'homme, doit être l'amour parfait et accomplir toute sa tâche avec les moyens humains d'une vie limitée, d'un amour sans la pleine vision, d'un don de lui-même dans la foi, il doit forcément être saisi par le sentiment qu'il n'est pas à la hauteur, que c'est impossible. Il est évident qu'en tant que Dieu il peut tout, il sait que sa décision divine de devenir homme était quelque chose de total et de parfait. Mais il s'agit maintenant de persévérer en tant qu'homme dans ce qui a été décidé divinement, d'accomplir comme homme ce qui est parfait, ce qu'aucun homme encore n'a accompli. Parce qu'il a en lui la norme divine dont il ne peut s'écarter et qu'il l'a toujours sous les yeux, il sait constamment tout ce qu'il a à accomplir. Le plus difficile sera tout juste suffisant pour donner au Père la preuve qu'il correspond à son attente.


 

L'enfant que porte Marie dans son sein est Dieu, toute la foi de Marie est centrée sur cet enfant. D'un côté, c'est un phénomène tout à fait naturel parce que la mère s'adapte à son enfant: dans son corps, dans son âme et dans son esprit, pour ses plans et ses réflexions. D'un autre côté, c'est surnaturel, cela requiert à cet effet une transformation totale de sa foi ; ses plans maintenant comportent tous la clause : si cela plaît ainsi à l'enfant, si la foi le requiert, et la foi est représentée très concrètement par l'enfant.


 

La grossesse de Marie ressemble à un catéchuménat. Elle est une transformation par la foi de tout son mode de penser et de vivre, une initiation à la mentalité du Fils. C'est par sa propre expérience qu'elle apprend les dogmes : le Père envoie le Fils, l'Esprit la couvre de son ombre, le Fils devient homme pour sauver le monde. Le catholique qui a appris le catéchisme quand il était enfant a souvent du mal plus tard à continuer à développer en lui les notions qu'il a dû apprendre. Elles sèchent comme des poutres qui, à la marée basse, ne sont plus baignées, qui deviennent stériles comme des arbres qui ne reçoivent pas d'eau. Celui qui se convertit à l'âge adulte a les avantages de son âge, il comprend et éprouve les vérités avec une intelligence mûre, c'est en toute liberté qu'il reçoit ce qu'il désirait. En plus d'un point, sa volonté précède sa compréhension ; une vérité lui paraît plus obscure qu'il ne s'y attendait, une autre plus petite ; mais sa disponibilité jette des ponts, complète, lui apprend à prêter attention à l'ensemble.


 

31 juillet

Saint Ignace de Loyola (1491-1556)

Prière à Manrèse. Marie, Mère de Dieu, je t'en prie, montre-moi le chemin pour aller vers ton Fils, mon Seigneur, pour que je puisse l'atteindre et lui dire que je veux le servir en tout, que je veux être pour lui comme un serviteur et accomplir tout le travail qu'il me confiera dans la joie du serviteur qui sait que son maître compte sur lui. Notre Seigneur, je ne vois pas bien où tu veux te servir de nous, nous qui nous tenons prêts dans la nouvelle Compagnie, dont je ne sais encore qu'une chose, c'est qu'elle viendra, mais dont je ne sais pas encore comment elle devra être. Donne-moi, je t'en prie, l'Esprit pour que je comprenne ce que tu désires, donne ton Esprit à ceux qui viennent ; ne te laisse pas empêcher par moi, indigne, de réaliser ton plan, mais emploie-moi à tout ce que tu veux, comme tu le veux, aussi longtemps que tu le veux, et sérieusement, de toute manière. Que je dise oui ou non, n'entends toujours que mon oui que je puise dans la force que ta Mère avait pour dire le sien, mon oui dont je sais bien que je ne puis le tenir que par ta grâce et ton aide. Tu vois à ma prière, à mes exercices de pénitence et au travail long et pénible auxquels je me contrains avec tant de mal que je veux vraiment te servir. Mais, Seigneur, je ne suis pas seul, il y a tous ceux qui vont venir, que tu vois et que je ne connais pas. Tu sais que l’œuvre doit être accomplie aussi bien par eux que par moi. C'est pourquoi je te prie de donner tes grâces à tous ceux qui viendront ; de même que ta Mère aussi donne toujours chacune de ses grâces à l’œuvre tout entière et à toute l’Église. Donne-moi d'aimer toujours plus ton Église et d'occuper, selon ta volonté, la place que je dois prendre en elle, celle que tu as prévue pour moi depuis l'éternité. Je te demande ta bénédiction pour l’œuvre, pour l’Église, pour tous les croyants, et je te demande aussi de me donner la grâce de supporter tout ce qui peut arriver : pour ta plus grande gloire, pour ton Église, pour moi, pour Dieu Trinité. Amen.

1er août

Saint Alphonse de Liguori (1696-1787)

Sa prière est très dense et très nourrie, et cela plus par son contenu que par ses mots. Il est difficile de dire quand il commence et quand il arrête de prier parce qu'il fait une double chose : non seulement il commence et termine chacun de ses travaux dans la prière, mais il le pénètre de prière. D'autre part il introduit beaucoup de son travail dans son temps de prière et il insère aussi des pauses dans sa prière pour réfléchir, construire, tirer des choses au clair. C'est une contemplation qu'il intercale dans la prière vocale, et cette contemplation signifie chaque fois le chemin qui va de son travail pour aller vers Dieu ou vers une donnée de la vie terrestre du Seigneur, ou vers un événement de l'Ancien Testament ou vers une attitude de Dieu dans le ciel. Il est rempli d'ardeur quand il demande la pure humilité, quand il essaie de rester fidèle à la vérité. Quand à l'occasion il a été trop violent, il a le sentiment d'avoir été infidèle à la vérité, car la vérité est pour lui le Christ finalement auprès de qui il n'y a pas de place pour les manques de charité. Il craint de devenir pour les autres un scandale par sa violence et il craint qu'elle ne le fasse sortir de la voie de la vérité. Il aime prier et il se laisse volontiers instruire sur la prière en ce sens que tout ce qu'il entend et connaît, il le saisit pour donner à sa prière un nouvel aliment. La prière est pour lui aussi importante que peut l'être une conversation avec un ami pour quelqu'un qui travaille à une œuvre spirituelle : il y trouve une stimulation, un jugement, un encouragement. Il a besoin de parler de son œuvre avec Dieu, dans une mesure chrétiennement pieuse bien sûr, mais il reçoit une stimulation réelle. Ce n'est pas seulement qu'il est porté et qu'il laisse faire, c'est une joie et un besoin pour lui d'être influencé dans sa nature par la surnature de Dieu au moyen de la conversation avec Dieu.


 

2 août

En tout amour il faut une distance. On ne peut pas toujours être ensemble. Il doit aussi y avoir la joie des retrouvailles. Pour qui veut aimer parfaitement un être humain ou Dieu également, il y a dans la distance une sorte de feu purificateur. Les êtres humains ont leurs défauts, il n'est pas nécessaire que ce soit des péchés ; ces défauts peuvent donner l'occasion à l'amour de s'affaiblir. Pour que l'amour reste parfait, on prendra à part soi certaines mesures, dans la distance, pour dépasser les dangers, qu'on en parle ou non avec l'autre.


 

Le don d’une personne à une autre constitue toujours une provision de vie pour celle-ci : elle peut s’y épanouir, y puiser du courage, rendre sa vie plus joyeuse, plus légère.


 

L’amour ne cesse d’être le thème de la conversation d’Adrienne ; c’est inépuisable. Elle décrit comment l’amour a grandi en elle. Comment elle pensait autrefois qu’on ne pouvait aimer de toute son âme qu’une seule personne, ou quelques-unes seulement. Maintenant elle comprend qu’on peut se dévouer de toute son âme à d’innombrables personnes et à chacune de manière différente si bien qu’il n’y a aucune infidélité à se donner totalement à beaucoup. Autrefois elle ne savait pas que cela était possible.


 

De l’enfance d’Adrienne. Elle fréquentait une classe (au niveau du collège ou du lycée sans doute) où il n'y avait que des garçons. Un jour les garçons avaient fait une liste où figuraient tous leurs noms et ils lui avaient expliqué qu'ils étaient tous prêts à se marier avec elle. "Nous voulons tous te marier" (sic en français). Ils lui remirent la liste solennellement. Adrienne répondit qu'il lui était impossible d'en choisir un, "parce que je vous aime tous".

 

Jean se sait totalement transparent pour le Seigneur : celui-ci est l'ami qui sait tout. Saint Ignace, dans son amour pour le Seigneur, dans la connaissance qu'il a de lui, a davantage de distance. Jean pose sa tête sur la poitrine du Seigneur, Ignace s'agenouille devant lui.


 

3 août

Adrienne, vers la fin de ses études de médecine. Le Bon Dieu, je l'aime bien, mais je sais si peu de choses sur lui. Je parle avec lui.


 

Adrienne adolescente. Tout ce que Dieu aime est comme du feu ; ce qui est tiède n'est pas de Dieu.


 

Adrienne. Étrange que souvent voir, sentir, entendre, toucher, deviennent une perception unique de la beauté. Récemment j’ai eu à nouveau la mer sous les yeux ; je cherchai dans des livres ce qu’il y a comme coraux, poissons, plantes aquatiques, mais tout d’un coup ce fut comme si tous les animaux et toutes les plantes, et toutes les formes jolies et le jeu des vagues et des lumières provenaient immédiatement des mains de Dieu, comme si la mer elle-même était une main de Dieu infinie qui livrait constamment tous ses secrets pour réjouir l’être humain. Du plus petit détail d’un coquillage sur le rivage, on parvient tout de suite à l’immensité de Dieu. On se sent parfois proche du panthéisme, et pourtant Dieu reste le Dieu Trinité, il engendre le Fils et fait procéder l’Esprit, et il reste ce qu’il est.


 

Nous sommes trop habitués à imaginer Dieu dans sa plénitude et sa grâce, tourné avant tout vers le monde, et nous oublions alors que cette plénitude et cette grâce s’adressent d’abord  à Dieu lui-même, se déversent et se comblent constamment en lui-même. Chacune des trois personnes est constamment occupée à combler : elle comble le ciel, la durée, l’adoration, l’amour, et finalement aussi  le monde. Que le monde soit comblé n’est qu’une chose parmi d’autres. Nous pouvons lire cette manière que Dieu a d’être toujours autre dans la profusion des choses de ce monde qu’il a créées. Peut-être n’a-t-il créé les nuages que pour que nous ne pensions pas qu’il est éternellement rayon de soleil. Chaque nuage à son tour est différent, il n’y a pas de monotonie dans le ciel. Et les nuages fécondent la terre, l’hiver comme neige, l’été comme orage ; chaque pluie également a son caractère propre. Ainsi la fécondité de Dieu n’est bien comprise que comme toujours neuve.


 

4 août

Saint Jean-Marie Vianney (1786-1859)

Il a eu dans sa jeunesse une expérience de prière. Un jour, il a dit un Notre Père sans beaucoup d'insistance, avec la disposition d'esprit où l'on se dit : je vais encore vite prier un peu maintenant. Et tout d'un coup il remarque que la prière devient vivante en lui, qu'elle devient en lui la clef qui ouvre toute la richesse de Dieu, que par la prière Dieu nous donne la possibilité d'avoir part à ses trésors. Comme si quelqu'un ouvre une armoire pour prendre une pièce de monnaie et il en tombe des sacs entiers, mille fois plus. Mais pour qui a de l'argent les besoins s'accroissent ; j'économise vingt francs pour acheter une robe, mais si je reçois un million, je peux en quelque sorte tout me payer. Celui qui reçoit les trésors de prière de Dieu comprend qu'il peut oser les choses les plus folles. Vianney comprend tout d'un coup qu'il a part au pays tout entier de la grâce. En priant, il peut s'emparer de tout. Il s'enhardit, avec la grâce de Dieu, à regarder dans le cœur des pécheurs. Il le fait aussi avec certitude. Pour la plupart des chrétiens, la formule : "Dieu peut tout" est une affirmation vide de sens, ils n'ont pas le courage d'entrer dans ce tout. Mais Dieu se réjouit quand nous le dévalisons, comme Thomas se réjouit quand sa fille vient le taper. Tout cela fut dans la vie de Vianney une expérience unique, une expérience inaugurale. Ce qui y fut décisif demeure toujours vivant par la suite, il peut y revenir. Vis-à-vis de Dieu, l'homme peut toujours revenir à des grâces déjà reçues. Vianney voit si clairement dans les âmes parce qu'il contribue à les porter et qu'il se sent aussi interpellé pour cela. Dès que le pénitent commence à se confesser, il sait déjà tout d'avance parce que d'emblée il est disposé non seulement à tout pardonner avec le Seigneur mais aussi à tout porter. Pour sa connaissance du péché, la confession est inutile. Il est comme quelqu'un dont on approche la main d'une flamme : comme il sait ce qu'est le feu, il le sent déjà à l'avance. Cette connaissance n'est pas du tout, chez le curé d'Ars, une "double vue" ou quelque chose de semblable, elle repose totalement dans le fait qu'il est prêt à porter, elle est donc fondée dans le Seigneur d'une manière tout à fait surnaturelle. C'est la réponse de Dieu en lui, Dieu l'utilise totalement comme un instrument pour le rachat des péchés. Puisque Vianney était saint, il ne pouvait pas prêcher un peu et confesser un peu et répandre un peu de dévotion eucharistique, il devait choisir un tout, un tout qui était et restait en même temps le mystère de Dieu, et qui devint le mystère de Vianney, et son mystère ne pouvait être autre chose pour lui que de se laisser accabler par le mystère de Dieu si bien qu'il s'y trouvait tout plongé et qu'il laissait opérer le mystère à partir du centre du mystère ; le mystère opérait de telle sorte qu'il emportait Vianney avec lui, l'intégrait, et que Vianney devenait un élément du mystère. C'est ainsi qu'il revenait aux hommes et qu'avec le mystère de la confession – qui lui appartenait tellement qu'il lui rendait les hommes transparents – il rattachait à nouveau l'homme à Dieu


 

5 août

Quand, dans la prière, je sens la grâce, quand je sais que je suis saisie par la surnature ou quand je reçois de Dieu une mission et que je m'y trouve parfois confirmée d'une manière qui reste inexplicable naturellement, ou quand une conduite m'est tracée qui s'avère juste par la suite, quand une vérité m'est donnée à laquelle je n'avais jamais pensé jusque là, j'expérimente bien quelque chose de terrestre, mais quelque chose qui est conditionné par du céleste. Il se peut qu'un succès confirme la justesse de mon obéissance, mais ce n'est pas nécessaire ; sans cela, je peux aussi être certaine de mon affaire. Peut-être que plus tard un mot de l’Écriture Sainte me montrera la vérité de ce que je fus amenée à faire. La grâce "arrive" en moi. Je vois les résultats d'une conduite surnaturelle tantôt dans des événements et des hasards providentiels extérieurs, tantôt dans des connaissances et des clarifications : quelque chose tombe à point sans que je puisse en désigner la cause. Mes sens ne sont pas un obstacle fondamental à l'expérience de la grâce, ils peuvent être utilisés pour cela, mais la grâce peut aussi s'imposer sans eux.


 

Le but de la grâce se trouve toujours en celui qui la reçoit.

 

Comprendre les œuvres de la grâce est réservé aux croyants ; sa propre conversion, il en fait l'expérience comme d'une grâce, il peut aussi comprendre que la conversion de son prochain est une œuvre de grâce du même genre.

 

Adrienne a 22 ans, elle est étudiante en médecine. Je voudrais entendre la voix de Dieu et je ne l'entends pas.


 

Le ciel met un jour Adrienne en la présence d’un choix. Sa réaction est : "Que la volonté de Dieu se fasse".

 

6 août

La Transfiguration du Seigneur

Quand les trois disciples sont au Thabor et qu'ils voient tout à coup devant eux un tableau de la réalité céleste, le Seigneur ne se sert pas de sa glorification pour leur tailler des degrés qu'ils pourraient gravir jusqu'à son apparition afin de leur permettre d'avoir une certaine vue d'ensemble. Sur le Thabor, les apôtres voient, comprennent, croient et savent. Ce qu'ils ont vécu est fait de tout cela. Ils ont fait l'expérience de voir quelque chose ; mais ce qu'ils voient est en même temps ce qu'ils connaissent par la foi, et c'est cette connaissance de foi qui donne au tableau son relief ; ils voient quelque chose qu'ils comprennent sur la base de ce qu'ils croient et de ce qu'ils ont appris dans leur fréquentation du Seigneur. Ils ont aussi des mots pour le dire. Ils disent quelque chose et ce qu'ils disent est juste pour eux à ce moment-là. Mais ce qu'ils disent prouve en même temps à quel point leur compréhension est humainement limitée et à quel point ce qu'ils ont vécu est en retrait de l'expérience que fait le Seigneur au même moment. Pour la justesse de ce qu'ils ont vu, ils sont d'authentiques visionnaires à qui Dieu montre quelque chose. Ils sont en même temps des hommes qui expérimentent quelque chose avec leurs sens, à qui il est demandé d'agir en obéissant à la vision. Quand les apôtres veulent édifier trois huttes, ils montrent par là qu'ils n'ont pas compris. Il y a un trou entre ce qui leur a été montré et ce qu'ils en ont saisi. Ce trou n'est pas à mettre au compte d'une désobéissance, il y a quelque chose de ce trou dans toutes les expériences mystiques. Dieu montre divinement et l'homme saisit humainement, tout soutenu qu'il soit par la grâce. Ou bien on pourrait dire que le Seigneur, qui monte au Thabor avec ses apôtres, est lui-même l'auteur de cette apparition qui est une traduction terrestre et visible de ce qu'est véritablement sa vision du Père.


 

Dieu s'adapte à chaque croyant : quiconque prie reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvrira. Les croyants doivent aller à lui avec le sentiment qu'ils font par là la chose la plus naturelle du monde. Ils ne doivent pas penser que pour être de bons chrétiens ils doivent tout mettre sens dessus dessous, être obligés de se transformer de fond en comble pour devenir peu à peu dignes de Dieu. Dieu s'occupera lui-même de la dignité. Ils doivent rester simples, mais savoir que dans la simplicité toutes les voies sont ouvertes.

 

7 août

Lors de la transfiguration sur le Thabor, les disciples ont tout d'un coup un nouveau regard sur ce qu'est le Fils en réalité. Il est transfiguré sous leurs yeux, il est élevé au-dessus de son apparence humaine ordinaire. Ils le voient plus spirituellement que physiquement, sous une forme d'existence qui fait partie du domaine du visionnaire. Comme s'ils avaient reçu la faculté de l'accompagner quelques pas de plus en direction de sa contemplation du Père. Le Fils lui-même est homme avec toutes les possibilités de son être humain particulier et sa vision du Père dans l'état de transfiguration en fait aussi partie. La vision du Père, qu'il a toujours depuis l'incarnation, fait beaucoup plus partie de la transfiguration de son humanité que de son être divin. Sur la croix, il n'aura plus cette vision (ou bien il n'aura plus que la vision de l'absence du Père) pour n'être plus, dans son expérience, qu'un homme qui souffre purement et simplement. La transfiguration du Seigneur dépend de ses occupations ; quand il est dans la contemplation du Père, il est plus transfiguré que lorsqu'il est dans l'action. Cette différence ne porte pas préjudice au fait que le Fils voit toujours le Père. Mais sa vision habituelle n'est pas la même que son orientation en acte vers la vision du Père quand il se consacre totalement à la contemplation. L'action est un autre état bien que celui-ci ne puisse absolument pas être qualifié d'éloignement. La relation du Père à lui est toujours la même. Sa relation au Père est immuable en son essence mais différente en ses expressions. Une de ces formes d'expression pour nous est sa transfiguration quand il est en contemplation. En lui-même, il est toujours transfiguré ou, pour mieux dire, il a toujours la possibilité d'être transfiguré, car il n'est pas transfiguré pour lui mais pour les autres. Quand les hommes le voient transfiguré, c'est comme s'ils voyaient au-delà de son humanité, en direction de sa divinité qui commence au-delà de ce qui n'est plus visible.

 

Dieu a besoin de l'Eglise pour accomplir l’œuvre du Fils.

 

Celui qui cherche le Seigneur devra le chercher éternellement. Celui qui connaît le Seigneur devra le chercher comme celui qui est toujours plus grand.

 

8 août

Saint Dominique (1170-1221)

Au cours de sa vie, il y a des années où il dit très souvent le chapelet, comme si c'était sa prière essentielle.

Prière. Seigneur, tu as dit : "Qui n'est pas pour moi est contre moi". C'est comme si cette vérité qui est tienne me remplissait toujours davantage, comme si elle m'incitait à utiliser davantage cette division en deux parties pour tous les hommes que je vois et tous les jugements que j'entends et tout ce que je perçois. Je t'en prie : permets que tout notre travail soit fait de plus en plus pour augmenter le nombre de ceux qui se décident pour toi. Fais que tout ce que nous faisons, tout notre travail de recherche, toute notre prière et chaque parole de notre prédication reçoivent tant de vie et possèdent tant de force que cela conduise toujours à toi de nouvelles âmes. Seigneur, je t'en prie, bénis ce travail et montre-nous nos fautes, car nous savons que beaucoup de ce que nous faisons n'est pas à la hauteur à tes yeux. Bénis-nous, sois avec nous et avec toute ton Église, et donne ton amour et l'amour de ta Mère à tous ceux qui t'en prient. Amen.


 

9 août

Pour apprendre à parler à un petit enfant, on commence par des mots très simples. D'autres mots que l'enfant emploie, il les a simplement pris à ses parents sans en comprendre le sens. Sa mère veillera à ce que l'enfant ne dise pas ensuite des syllabes dépourvues de signification mais qu'il emploie les mots dans leur juste sens. Le Fils apprend la langue des hommes pour leur montrer ce que signifie au fond leur langue, ce que signifient les mots en vérité, c'est-à-dire quelle vérité ils ont en Dieu. Il y avait certes déjà la langue de l'ancienne Alliance, mais le Fils lui donne un sens plus plein. Un enfant peut ainsi apprendre comment se dit "amour" en russe, et il peut décliner le mot. Mais il ne sait pas encore ce qu'est l'amour en vérité : il ne l'apprendra que plus tard, longtemps après avoir connu le mot. C'est ainsi que les notions de l'ancienne Alliance reçoivent dans la nouvelle leur sens plus profond.


 

Une angoisse saisit le Fils : par l'usage des mots humains, il pourrait encore agrandir la distance qui sépare le monde de Dieu. Il devra commencer à parler très prudemment, très doucement, pour ne pas découvrir d'emblée le malentendu flagrant. C'est surtout là où les hommes sont disposés à faire ce qu'il attend qu'il doit être prudent ; il doit employer des mots plus petits en quelque sorte pour ne pas effrayer les hommes de bonne volonté qu'il veut faire entrer dans sa manière de parler et de penser, pour ne pas les mettre tout de suite en présence de la distance tout entière. Dans une conversation, il faut bien que les deux adaptent quelque peu réciproquement leurs idées pour qu'ils comprennent à peu près la même chose. Quand le Fils appelle quelqu'un : "Toi, suis-moi", c'est un mot atténué ; il est question de marcher derrière lui. Ce n'est que peu à peu que le mot révélera tout ce qu'il contient. Il doit parler prudemment aussi parce qu'il doit mettre, dans les mots qui vont rester, le plus possible de la vérité qu'il connaît. Quand les hommes les emploieront plus tard, on devra sentir qu'ils sont sortis un jour de sa bouche ; on ne doit pas pouvoir les utiliser dans des phrases vides. Les hommes doivent pouvoir se souvenir que lui et lui seul connaît exactement leur contenu, et cela doit les amener à grandir dans la parole. Quand quelqu'un essaie de parler une langue étrangère et qu'il souligne ses mots avec des gestes, on devinera ce qu'il veut dire même si les mots demeurent incompréhensibles. C'est ainsi qu'on peut lire dans l'attitude du Fils combien de prix a pour lui ce qu'il dit, et cela doit amener ses auditeurs à les comprendre dans son sens.


 

10 août

Les habitants du ciel sont dans un état d'absolution parfaite. Par cette absolution, Dieu a effacé tout ce qui n'était pas net, il a aussi fait disparaître toutes les différences qui pouvaient subsister entre les pécheurs et les non pécheurs d'autrefois.


 

Le ciel ne sera jamais quelque chose de purement général. Il sera pour chacun l'accomplissement de son amour personnel, préparé spécialement pour lui. Il n'y aura rien de monotone dans cette attente parce que c'est Dieu lui-même qui a créé ce qui est personnel et il le favorise.


 

Au ciel ne règnent ni la monotonie, ni l'ennui : on ne doit pas y boire constamment que de l'eau sucrée (c’est Adrienne qui le dit). Les individus gardent là leur personnalité et il y a donc, sinon des tensions, du moins une intéressante diversité.


 

Au ciel, la rencontre avec l'autre personne sera quelque chose de tout nouveau ; il est impossible qu'elle n'aurait rien à nous dire, car elle vit tellement en Dieu qu'elle a éternellement à communiquer ce que Dieu lui donne et ce qui est toujours sa touche personnelle. Rien d'indifférent n'est échangé, ni rien de trop connu, aucun dialogue ne peut éloigner de Dieu, chacun révèle sur lui quelque chose de nouveau et rend la vision de Dieu plus immédiate. Ici-bas nous disons : "Personne n'a jamais vu Dieu" ; il ne s'ouvre à nous que par ses œuvres. Mais au ciel nous le voyons réellement dans ses œuvres, celles-ci nous parlent de telle manière que nous ne cessons de regarder Dieu avec des sens nouveaux. Dieu se communiquera à chacun d'une manière si unique qu'en regardant une créature, nous découvrirons sans cesse de nouveaux aspects de la vision de Dieu. La relation de Dieu à chaque personne sera elle-même si variée, si inépuisable, qu'elle se répercutera à l'infini et que, dans toute l'éternité, elle ne pourra jamais devenir quelque chose de routinier.


 

11 août

Au début de la carrière du Seigneur se trouve son baptême. Comme il n'a pas de péché, son baptême est en quelque sorte incompréhensible. Mais en se faisant baptiser, il ouvre aux autres le chemin pour le suivre. C'est à partir du baptême qu'on peut le suivre. En se faisant baptiser, le Seigneur entre pour ainsi dire dans la communion de l’Église. Cela devient la condition fondamentale pour tous ceux qui veulent le suivre, l'ouverture permettant toutes les manières de le suivre.

 

La Mère a vu son Fils plus d'une fois pendant sa période apostolique, mais rarement. Ce n'était pas sa tâche. Sa tâche était avant tout de prier pour le oui des disciples, pour leur intelligence, pour leur ouverture spirituelle. Pendant que le Fils prêchait, qui devait assurer la solitude contemplative dans la foi et la prière si ce n'est sa mère ? L'exigence de l'Esprit n'était pas qu'elle prépare pour son Fils des vêtements de rechange et diverses choses dans les différentes auberges il passait au cours de ses déplacements. Ce n'était pas de petites actions de ce genre qui lui étaient demandées, mais la grande contemplation continuelle.


 

Gertrude d'Helfta prend souvent comme point de départ de ses méditations la scène d'adieu à Nazareth : comment la Mère doit laisser partir son Fils vers l'inconnu. Gertrude part aussi des derniers instants de Jésus sur la croix, où le Seigneur souffrant regarde ses quelques fidèles et derrière eux, en esprit, la masse immense de ceux qui n'ont pas la foi.


 

Mechtilde de Magdebourg voit l'obéissance du Seigneur, mais telle qu'elle est en nous, telle qu'elle nous est communiquée. Elle applique cette règle aux choses les plus minimes : la soupe est très mauvaise aujourd'hui ; mais quand le Seigneur était en chemin, il devait lui aussi manger de mauvaises soupes ; Dieu sait comment les disciples ont fait la cuisine. Ainsi sa répugnance est couverte par la répugnance du Seigneur et s'enflamme alors l'amour triomphant.


 

12 août

Dieu crée l'homme à son image, c'est-à-dire avec une multitude de possibilités fécondes. Adam peut nouer des relations avec le monde qui l'entoure, avec Ève, avec sa progéniture, avec Dieu lui-même. Il porte en lui la lumière de l'Esprit, qui lui permet de nouer toutes ces relations et de les organiser. Il reçoit deux ordres de Dieu : régner sur le monde, ne pas manger de l'arbre. Dans le cadre de ces ordres, il est libre d'organiser ses relations avec Dieu selon les possibilités que Dieu lui donne. Aux heures où Dieu se promène dans le paradis, vivre avec lui et apprendre toujours du nouveau de lui. Et cela sans distinguer ce qui est possible dans le bien ; ce qui est bien n'est pas limité par ce qui est bien, il n'est pas question non plus de comparer, de préférer un bien à un autre, de les additionner ; tout reste dans le simple fait qu'il est juste que les choses soient ainsi et pas autrement. L'homme est en ordre et heureux, il n'a pas besoin d'aspirer au bonheur. Les limites dont il fait l'expérience lui ont été données par Dieu de telle sorte qu'il n'est pas conscient d'avoir des limites. Une limite ne se fait sentir que dans le commandement négatif de ne pas goûter du fruit. Tant que dure l'obéissance, cet aspect négatif reste quelque chose d'étranger, un "ne me touche pas", qui ne pose pas de problème. Et comme l'homme ne ressent pas de limite en tant que telle, il n'y a rien en lui qui pourrait se révolter ; il éprouve une reconnaissance joyeuse pour ce que Dieu lui accorde.


 

Les hommes chargés de mission, bien qu'ils ne soient que des hommes, sont quand même des saints qui portent la lumière d’une manière indéfectible. Ils forment comme une grande, grande procession, comme un train qui ne serait fait que de lumière, derrière le Fils ; de même que le Fils vient du Père dans une parfaite lumière trinitaire, de même ils marchent derrière lui, mais en même temps avec lui, dans la même lumière. Ils vivent de la lumière, car ils vivent du Fils, et ils vivent du Père parce que le Fils vit du Père et tous ensemble ils vivent de l'Esprit parce que l'Esprit est témoin. Les grandes missions sont la lumière indéfectible. Elles sont comme une lumière qui n'a pas encore été utilisée, neuve, éblouissante, et bien qu'elles viennent derrière le Fils et le suivent, elles jettent sur lui toute leur lumière.


 

13 août

Le Père voulait faire que le monde entier devienne son Église. Lors de la création du monde, le monde dans sa totalité aurait au fond dû être l’Église. Mais les premiers hommes tombèrent dans le péché. Quand l’Église apparaît comme monde nouveau, elle doit garder en elle le souvenir de ce qu'elle aurait dû être, le souvenir de sa défaillance.


 

Une mère qui chaque jour doit préparer pour son enfant une bouillie compliquée et laver une quantité de langes ne va jamais la trouver mauvaise, justement parce que c'est son enfant. Elle ne va pas un beau jour tout envoyer promener et partir en voyage. Elle est heureuse d'avoir un enfant. Si on comprend vraiment le Seigneur et son amour, on ne se laissera jamais énerver par des choses dures à avaler. Ce qui me déplaît n'a pas d'importance.

 

Curieux que, dans une amitié, on devienne tel que l’autre l’attend et que, dans l’amitié avec Dieu Trinité, on ne se laisse pas transformer comme Dieu le voudrait pour qu’on lui soit conforme. Et pourtant on a une image de ce que Dieu attend d’un chrétien, mais cette image n’est jamais réalisée.


 

Si on veut rapprocher un enfant du Seigneur, on lui racontera des histoires tirées de l’Évangile et on en éclairera sa vie. Il est indocile, on lui montre à quel point Jésus enfant était docile ; et parce qu'un enfant aime aimer et être aimé, il cherchera à ne pas faire de la peine à Jésus enfant.


 

L’obéissance est incluse dans l'amour ; par l'obéissance on devient plus accessible à l'amour du Seigneur, plus désarmé pour ainsi dire pour l'accueillir plus pleinement.


 

14 août

Le Christ s'est dépassé dans son don de lui-même à l’Église et au monde, il ne s'est pas seulement donné lui-même, il s'est "vendu" (dans l'eucharistie) aux mains de l’Église, aux mains des pécheurs, si bien que, tout en retournant au Père par son Ascension, il ne peut plus se retirer du monde.


 

Quand on reçoit la communion, on peut sentir comment sa grâce nous inonde, se répand en nous de tous côtés et nous introduit dans quelque chose de plus grand qui est la communion des saints. Si le fleuve puissant de l'eucharistie n'inondait pas le centre de l’Église et ne transportait pas ceux qui la reçoivent dans l'unité eucharistique, l’Église ne serait qu'une idée abstraite, tout juste bonne à fournir matière à statistiques. L'unité de l’Église est composée de croyants individuels, réunis par le corps du Christ qui est en eux. Toi et moi, nous nous trouvons en lui. L’Église en tant qu’épouse et le Christ en tant qu’Époux en viennent à l'acte par le don qu'il fait de son corps aux membres ; le Seigneur doit se donner pour que naisse l’Église.

 

Dans sa prière, Henri de Nördlingen demande l'amour absolu avec la pleine conscience que le Christ a aimé le monde d'un amour inépuisable, qui donc est capable d'allumer dans les cœurs des hommes un immense amour. Il veut l'amour pour remplir sa mission, pour susciter en lui un plus grand don de lui-même, pour montrer aux autres le chemin de l'amour. Son désir, mais aussi son ministère, c'est pour lui de se soucier de tous ceux qui veulent aimer. Partout où Dieu est aimé, il voit l’Église et il voudrait qu'elle se développe, qu'elle se réalise, qu'elle atteigne son plein accomplissement. Pour lui, le plus haut amour, c’est l'entretien avec Dieu.


 

15 août

Assomption de la Vierge Marie

Marie meurt, elle est emportée au ciel et, dans la vision de Dieu, son propre aspect a pris une forme toute nouvelle. Elle, qui était la servante du Seigneur, est maintenant devenue la reine du ciel. Elle doit se comporter d'une manière aussi obéissante et aussi naturelle comme reine que comme servante, car le Seigneur a fait d'elle les deux. Et peut-être s'est-elle faite elle-même plus servante qu'elle ne pouvait se faire reine par obéissance. Sa part personnelle est peut-être beaucoup plus forte dans la servante que dans la reine. Mais cela n'a pas d'importance, elle sera pleinement les deux. Pour la Mère, la servante était comme un but, tandis que pour le Fils elle n'était que comme un épisode ; pour lui, la reine était le but, et ainsi la servante a dû faire preuve de son obéissance la plus grande pour se laisser faire reine. Peut-être déjà que plus elle devint servante, plus le Fils a ressenti qu'elle était reine.

 

Quand Marie est accueillie dans le ciel, cela se produit dans une sorte d'extension, comme si, à cause de sa pureté et de sa sainteté, à cause de son amour pour Dieu et pour les hommes, et de l'amour de Dieu pour elle, il n'y avait pas de transition tranchée. Tout se développe seulement à partir du point d'où elle vient jusqu'à la parfaite vision du ciel. Au ciel, elle est tout de suite chez elle : elle se trouve auprès du Fils qu'elle connaît, elle se trouve dans tout un monde qu'elle connaît par principe depuis toujours par le Fils et par le oui qu'elle a donné. Elle se sent là comme en son lieu de destination, comme si elle en était originaire, avec un étonnement, une admiration, une gratitude et un amour qui sont ses qualités particulières. Tout est simplement dilaté. Rien ne doit être changé, déplacé, rien n'exige expiation et annulation, tout est confirmé tel que c'était.


 

Quand Marie arrive au ciel, sa joie se nourrit de la joie que les autres ont à cause d’elle et elle leur redonne cette joie. La joie de Dieu, des anges et des saints est si grande que Marie ne peut rien faire d’autre qu’accepter cette joie. La pure acceptation de la joie est sa réponse la plus profonde à Dieu et à tous. Elle ne veut accepter la joie que Dieu et tous lui offrent que pour donner à Dieu et à tous une joie parfaite. Souvent on pense que Dieu ne donne le désir que pour qu’il puisse avoir la joie de le combler.


 

16 août

Pour chaque individu, et pour tout groupe d'hommes, il y a un chemin précis visiblement tracé, qui va de la Mère à eux et d'eux à la Mère. Cela suppose toujours chez l'homme une disponibilité à se donner, mais elle se trouve déjà incluse dans la grâce débordante de l'abandon de la Mère. C'est elle qui possède la plénitude de la fécondité et nous y participons par nos désirs timides, nos tentatives, nos débuts d'abandon.


 

Il y a des choses que Dieu ne veut pas montrer, ni ici-bas, ni plus tard. Ce qui est très important dans la sainteté de Marie, c’est qu’elle n’a pas besoin de se faire du souci pour les choses que Dieu ne veut pas lui montrer. Elle reçoit avec son intelligence humaine ce qu’elle doit recevoir, elle ne refuse pas non plus de comprendre si Dieu le lui demande. C’est la caractéristique de la pureté de son esprit.

 

Les apparitions de Marie, on doit les considérer comme un service. Quand la Mère se montre, elle accomplit une mission de Dieu pour nous qui concerne notre attitude de prière. Celle-ci doit être affermie. Le Fils veut nous former par sa Mère.

 

En tant que médiatrice de la grâce, Marie nous montre comment nous devons prier, comment nous pouvons parler avec le Fils et avec l'Esprit et avec le Père, sans souligner la distance qui nous sépare d'eux, cela ne ferait que nous éloigner de Dieu.

 

Par l’Esprit, Marie a le juste savoir au sujet de sa relation à Dieu et au terrestre.

 

S'il n'y avait eu que Marie, le Fils n'aurait pas eu besoin de devenir homme. Il se fait homme pour l'amour de ceux qui sont tombés.

 

17 août

Marie a toujours vécu dans une parfaite disponibilité ; sa disponibilité n'a rien d'abstrait, elle n'est pas prête seulement pour un cas qui surviendrait éventuellement, elle est constamment adaptée à ce qui est plus grand, elle est exactement prête pour ce qui se présente. Elle ne se réserve pas pour quelque chose qui viendra, que ce soit quelque chose qu'elle connaît ou quelque chose qui lui est voilé, elle s'engage toujours totalement : aussi bien dans l'instant présent que pour ce qui se présentera plus tard. Par là, elle reçoit par le présent une expérience tout à fait certaine : c'est la présence de quelque chose qui est au-delà du temps. Ce qui se passe pour elle est compris dans la profondeur d'une Providence éternelle, cela ne peut pas se détacher de ce qui était et de ce qui vient, cela s'insère dans l'obéissance indivisible qu'elle offre.


 

Quand Marie se montre, elle le fait avec une sorte de paix et de discrétion. On ne sait plus en notre temps qu’elle aime se montrer, on s’en fait de fausses idées. Pour elle, se montrer, c’est en vérité comme le contenu de sa prière. Elle ne se montre pas pour se montrer, elle se montre pour transmettre quelque chose. La première chose qu’elle communique pénètre toujours en nous pour que ce qu’elle communique puisse arriver au monde qui nous entoure. Nous devons nous adapter à elle. Comme quelqu’un avec qui on parle à voix basse en arrive lui aussi à parler à voix basse. C’est au fond l’état de choses qui est normal et qui va de soi. Quand la Mère se montre, elle accomplit simplement une mission de Dieu pour nous qui concerne notre attitude de prière. Celle-ci doit être affermie. Le Fils veut nous former par sa Mère.


 

Par l'assomption corporelle de Marie dans le ciel a été créé le pendant complémentaire de l'ascension corporelle du Fils.

 

18 août

Dans le ciel, Marie est dans la joie, aussi simple qu'elle l'a toujours été. Elle est mère et épouse, avec autant de naturel qu'elle a dit son oui. Qu'elle soit au ciel n'empêche pas qu'elle soit tout à fait sur la terre. Elle vit dans une joie infinie, mais sans négliger ses premiers devoirs. Depuis la résurrection, Marie est devenue beaucoup plus médiatrice de toutes les grâces. Elle est passée à travers le feu bien qu'elle n'eût pas besoin de purification. Maintenant elle vit dans l’Église, dans le Fils, en Dieu Trinité ou au milieu des apôtres comme celle à qui Dieu ne peut plus rien refuser parce qu'elle a obéi en tout.

 

Dans le ciel, la Mère de Dieu est la première à se tourner vers le monde. Elle a reçu et accompagné le Fils ici-bas, elle continue à accompagner tous ceux qui accompagnent son Fils. Elle est au ciel devant le Père comme celle qui ne cesse d'attendre du Père qu'il lui offre son Fils. Jusqu'au jugement dernier, la Mère se tiendra ainsi devant le Père éternel, dans la pleine vision, pour attendre de lui, par l'Esprit Saint, le Fils qu'elle peut alors aussi donner au monde de manière toujours nouvelle.

 

Dieu veut que nous soyons toujours aimants ; mais il a besoin aussi de notre obéissance sans que l'amour sensible accompagne notre obéissance.

 

Saint Épiphane de Salamine aime Dieu, il aime le Christ, de tout son cœur. Sa voie est en son fond marquée par l'amour. Le monachisme est pour lui la forme inconditionnelle de l'obéissance à Dieu, une réponse de l'amour à l'amour. Ses idées sur ce sujet sont simples, toutes droites et très belles.

 

Personne dans l'Eglise n'est superflu et personne ne peut repousser sur les autres chrétiens la charge de l'Eglise. Chacun a dans l'Eglise sa mission personnelle qui est la mission que le Seigneur lui impose.

 

19 août

Saint Jean Eudes (1601-1680)

Première prière. Seigneur, je sais que tu m'appelles et que tu me veux. Je sais aussi que ton amour peut me saisir totalement. Ton amour, je le ressentirai peut-être souvent comme rigueur parce qu'il visera à briser toutes mes résistances, à faire déboucher ma faiblesse dans ta force, et la vue alors me sera enlevée. Seigneur, ,je m'offre à toi et je t'en supplie : prends-moi, fais se réaliser le don de moi-même. Tu me connais, tu sais que je suis hésitant, que je défaille, que je connais le doute et l'infidélité, mais je sais que tu es la fidélité même. Si cela me semble être une entreprise hasardeuse de me donner à toi tel que je suis, je le fais quand même une fois pour toutes, irrévocablement, au nom de l'amour qui t'unit au Père et à nous tous. Amen.

 

Deuxième prière. C'est ton amour, Seigneur, qui me conduit à toi, c'est ta grâce qui me permet de te présenter aujourd'hui toute ma faiblesse. Maintenant, Seigneur, je reconnais ton amour dans le fait que tu m'as conduit à me trouver, avec toute ma faiblesse, là où je ne voulais pas aller et de rompre avec tout. C'est pour t'obéir que je dois oser la nouveauté que tu exiges de moi, dont je ne vois pas tous les aboutissants, qui me fait peur, et devant laquelle ma faiblesse me semble extraordinairement profonde et plus incompréhensible que jamais. Seigneur, tu n'as cessé de me montrer dans la prière que je ne peux te servir autrement qu'en prenant le chemin que tu as tracé pour moi, que j'assume de nouveau la mission telle que tu me la donnes et que j'essaie de donner pour consolation à ma faiblesse d'en faire surgir ce que tu veux. Tu me lies si fort à toi dans une nouvelle obéissance que toute mon obéissance jusqu'à présent me semble légère et enviable. Seigneur, sans ta grâce, ma faiblesse ne pourrait pas s'engager dans cette voie nouvelle. Mais ta grâce m'apprendra à la supporter. Je te le demande, Seigneur, prends soin de moi chaque jour, permets que je fasse ta volonté et que tous ceux qui sont concernés par cette nouvelle tâche viennent à toi. Seigneur, retire de moi l'humain qui adhère encore à moi afin que, pour ceux que tu me donnes, je devienne ce que doit être un supérieur pour les siens : une main qui conduit à toi, une volonté qui cherche à faire ce qui est à toi, un amour qui provient de ton amour. Je t'en prie, Seigneur, bénis tout ce que nous entreprenons, bénis-le comme tu le veux, et bénis-le de telle sorte que nous reconnaissions ta bénédiction, ou bien aussi que nous ne la reconnaissions pas si cela te sert mieux ainsi. Mais je t'implore pour une seule chose : fais-nous accomplir en ton amour tout ce que nous faisons. Amen.

 

20 août

Saint Bernard (1091-1153)

Dans son monastère avec ceux qui sont entrés avec lui, il allume une grande flamme d'amour brûlant. Dans ses conversations avec les hommes, il peut presque toujours obtenir ce qu'il veut tandis qu'il n'a pas encore engagé sa conversation avec Dieu d'une manière tout à fait juste. Il pense que Dieu devrait encore le modeler et l'éduquer d'une tout autre manière ; il pourrait alors, par sa propre souffrance, beaucoup mieux comprendre les souffrances et les difficultés des hommes. La souffrance qu'il a demandée, Dieu la lui accorde dans la contemplation de la croix. Il lui montre par exemple le Christ en croix et il le remplit en même temps d'une douleur démesurée. Dans la souffrance, il ne sait plus du tout qu'il l'a demandée à Dieu. Il souffre dans une sorte d'identification avec le Seigneur. Depuis cette expérience, il sait beaucoup mieux qu'auparavant que c'est en ne faisant qu'un avec le Christ qu'il doit conduire les hommes à lui et les exhorter à la place du Christ. C'est pourquoi chacun de ceux à qui il s'adresse, il cherche à le situer dans le cadre de la situation d'ensemble du Nouveau Testament : avec qui celui-ci serait-il à comparer ? Par où le Seigneur entrerait-il en relation avec celui-là? Il a aussi une manière particulière d'insister jusqu'à ce que les gens aient réellement compris. Peut-être que ce qu'il fait avec le plus de soin, ce sont ces exhortations. Dans ses autres activités, ses voyages, ses entreprises, il fait preuve d'une telle fougue que cela va tout simplement. Il pense souvent alors à ceci : comme le Fils a dû se dominer pour devenir homme, pour entrer en notre compagnie ! L'existence du Christ parmi nous est le mystère où il puise la force de ses exhortations. Si la réalisation d'une tâche le fascine ou s'il éprouve de la joie dans un travail spirituel ou de la joie à exprimer sa pensée, il devient méfiant, il interrompt son travail et s'examine. Il est joyeux sans doute avec les autres, mais plutôt quand il est fatigué et qu'il n'en peut plus guère. Il craint toujours d'oublier Dieu trop longtemps quand une fois ou l'autre il est joyeux pendant un certain temps. Il sait sans doute que Dieu permet la gaieté, mais il se méfie de lui-même parce qu'il craint de s'éloigner de la prière. Lui-même vit au plus intime de lui-même comme ont vécu les apôtres et les disciples, il accueille tout ce que le Seigneur donne et sans faire plus de plan que les disciples n'en ont fait. Ils ne pouvaient pas imaginer un système de révélation. De même, il cherche lui aussi à être simplement ouvert et à n'être lié par aucun système qu'il aurait lui-même édifié. Lui-même a le tact absolu de l'intimité, de la même manière que Jean. Il voit la légèreté avec laquelle d'autres chrétiens font un mauvais usage de ce don en cherchant leur plaisir plutôt que l'intimité. Il le formule même quelque part : l'intimité avec le Seigneur a sa justification dans le service et non en nous-mêmes. Le Christ nous ouvre son intimité et nous l'offre afin que nous apprenions à mieux connaître le Père, non pour réduire à néant la distance qui nous sépare de lui, le Fils. Pour la Mère de Dieu, il a une vénération chevaleresque ; cela ne l'empêche pas d'avoir pour elle un tendre amour. Cet amour est si vivant que c'est comme si la Mère se trouvait tout près de lui. Dans ses prières et ses sacrifices, il a une manière merveilleuse de l'entourer de petites attentions. Très souvent, quand il se sent une fois de plus inquiet ou pointilleux, il la regarde, et tout rentre dans l'ordre parce que, en la suivant, il est replacé en compagnie des disciples autour du Seigneur. Quand il n'a plus le courage d'avancer directement, Marie alors est là qui remet tout en ordre comme une mère qui, avec deux mots, peut rendre la joie à son enfant effarouché ou malheureux. Il dit aussi des prières particulières à la Mère de Dieu, non ses propres prières, mais des prières existantes qu'il aime particulièrement.

 

21 août

Dans le christianisme, partout où la Mère apparaît, ce qui est abstrait et crée des distances est supprimé, tous les voiles tombent, chaque âme est immédiatement touchée par le monde céleste. Marie, l'être le plus pur qui se puisse penser, ne communique rien de la vérité céleste sans la collaboration des sens. Ce qu'elle a vu, entendu et senti, ce qu'elle a éprouvé des mouvements de l'enfant en elle et sur son sein, continue de vivre dans ce qu'elle révèle de lui. Elle est femme et elle comprend les choses comme une femme. Elle a la grâce de nous rendre sensible et proche ce qui est lointain pour nous le faire comprendre.


 

Marie n'est pas seulement une personne individuelle, elle est en même temps l’Église ; de même que le Christ est homme et Dieu, de même Marie est une personne et l’Église, et l’Église telle que le Fils se la représente. Tout ce qu'elle a : sa pureté, son amour, sa disponibilité, son don d'elle-même, son oui, son corps, sa personnalité, elle offre tout à son Fils pour qu'il en dispose. Elle ne les offre pas comme des choses terminées qu'on ne peut plus changer, mais comme une mélodie qu'il peut modeler à son gré.

 

La prière, la méditation, c'est le moment de la journée où l'on doit être totalement transparent devant Dieu.

 

Réflexion d’Adrienne. Si je sais bien que le Seigneur est en toute lumière, pourquoi est-il si difficile de savoir qu’il se trouve aussi en toute obscurité ?

 

Comme c'est Dieu qui crée l'homme, l'obéissance est utilisée comme une forme naturelle de l'amour, l'interdiction dans le paradis est là pour donner des repères à cette obéissance. C'est cette limite qui doit prouver l'amour. L'homme viole le commandement parce qu'il ne respecte pas l'amour. En péchant, il se détourne de l'amour.


 

22 août

La Vierge Marie, Reine

C'est sur l'arrière-plan des relations d'Adam et d'Ève qu'apparaissent les relations nouvelles du Christ et de Marie. Le Fils de Dieu s'approche de Marie et devient son Adam dans une relation spirituelle d’Époux à épouse. Mais ces relations n'apparaissent qu'après que Marie, comme mère, a mis au monde le Fils, après qu'il a agi en elle, après qu'il l'a rachetée à l'avance, ce qu'il était en mesure de faire parce que le péché originel était déjà dans le monde, et il le pouvait d'autant plus que non seulement il la guidait (comme l'Esprit guidait les premiers parents), mais qu'il habitait en elle corporellement. Le Fils, qui devient homme et qui apporte avec lui les expériences que Dieu le Père fait avec le monde pécheur, sait aussi par quelles mesures il doit effacer les fautes des premiers parents : il n'est pas permis à Marie, la seconde Ève, de se montrer, comme à l'origine, indifférente pour pécher ou ne pas pécher ; elle doit être rachetée à l'avance.

 

Si j'aime le Seigneur, il ne me reste rien d'autre à faire qu'à l'aimer comme il veut être aimé. Parce qu'il exige tout, qu'il en demande même trop à la seule nature, il montre aussitôt comment il aime lui-même et comment doit être l'homme qui veut vivre dans son amour. Le Seigneur ne connaît aucune espèce de compromis avec le pécheur. Il n'y a pas avec lui de relations limitées, l'homme doit le choisir une fois pour toutes, lui, le Seigneur, tel qu'il est, qu'il change ou non, qu'il porte encore ou non le visage que l'on connaît en ce monde. Le Seigneur ne s'engage pas dans une amourette qui n'engage à rien ; on ne peut pas aimer ses fêtes, mais non son quotidien et sa croix ; on ne peut pas l'aimer dans la mesure où il est compréhensible et rompre quand il est incompréhensible.

 

23 août

Le Seigneur ne cesse d'offrir à l’Église sa chair et son sang. Mais il doit en même temps lui donner son Esprit afin qu'elle comprenne que son présent est sa chair et son sang et pour la garder vivante en ceux qui la reçoivent. Pourquoi l’Église ne donne-t-elle pas la communion à un non-catholique ? Parce qu'il n'a pas l'Esprit pour recevoir cette hostie de manière vivante. L'hostie est la semence de Dieu et celle-ci doit être déposée dans un réceptacle qui garantit sa fécondité.

 

L'eucharistie : le Fils incarné se donne en tant que semence de Dieu dans le sein de l’Église ; il la façonne de cette manière.

 

Eucharistie : le Seigneur est dans l’Église, il vient à nous, il est en nous pour que nous soyons en lui.

 

Adam se trouvait en présence de l'amour de Dieu, mais le chrétien a, dans l'eucharistie, la grâce de Dieu qui coule en lui.

 

Le chrétien (authentique) est habité intérieurement, il vit habituellement dans un état qui a des liens étroits avec la communion eucharistique. "Le Christ vit en moi". Dans l'hostie, il prend possession de mon âme bien qu'il ne soit pas absolument dépendant du sacrement ; c'est en tant qu'Homme-Dieu qu'il se communique à moi.

 

Le Père ne fait qu’un avec le Fils, comme nous devrions ne faire qu’un avec le Fils quand nous recevons l'eucharistie.


 

24 août

Saint Barthélemy

Son attitude intérieure se caractérise par une très grande certitude dans le Seigneur. Sa certitude passe partout, elle ne vacille jamais, mais il ne garde pas pour lui-même cette certitude, il sait qu'il doit la convertir en apostolat. Pour lui-même, il n'a pas besoin de preuves, il n'a pas besoin d'être affermi. Mais en considération des autres et des temps à venir, il se laisse tout de même affermir de manière nouvelle par le Seigneur, car il sait que sa propre certitude est une grâce et qu'il n'a pas le droit de présupposer la même grâce chez tous. Il est comme quelqu'un qui possède totalement une langue mais qui étudie ses règles de grammaire pour pouvoir l'apprendre à d'autres. Il a la certitude du contact, de la prière, la certitude qu'il suit le Christ. Il reconnaît ainsi que sa certitude personnelle est englobée dans la vaste certitude de Dieu. Il ne se permet pas de vérifier constamment où il se trouve ; il lui suffit de savoir que c'est le chemin où l'on suit le Christ. Il se façonne des preuves à l'intérieur de la certitude qu'il a par grâce. Il dirait par exemple : "Ceci et cela, je l'ai appris du Seigneur, je n'en croyais pas mes oreilles parce que cela me semblait incroyable ; je demandai alors au Seigneur s'il en était réellement ainsi et il le confirmait. Je saisissais alors comment il fallait le comprendre". Il sait très bien comment toute sa vie doit s'adapter à la grâce. Il ne peut supporter la contradiction entre la grandeur de la vérité et une suite du Christ qui serait tiède. Il cherche à tout accomplir dans la vérité du Seigneur afin que chacun de ses mouvements soit vrai.

La prière de lapôtre saint Barthélemy est abondante, copieuse, parce qu'elle a part à la certitude qu’il a et dont il a besoin pour les autres. Il n'a rien d'un scrupuleux, mais il est très exact dans sa prière. Il ne se laisse rien passer. Il prie beaucoup ; dans sa prière, il voit totalement ses demandes et son adoration à la lumière de la vérité. Il adore le Seigneur avant tout comme la Vérité. Il est heureux en quelque sorte d'avoir dans le Christ le terme de toute question, la réponse valable et suffisante une fois pour toutes.


 

25 août

Saint Louis

Rien ne lui serait plus cher que de pouvoir faire de la France un pays parfaitement chrétien, un pays heureux et aimant. Tout ce qu'il entreprend porte le sceau de la plus grande gloire de Dieu. Il voudrait ramener à Dieu davantage de gens aimants, davantage de croyants, dans l'esprit de la consigne : "Allez et enseignez tous les peuples". Parce qu'il prend les affaires de l’État dans sa prière, il met aussi sa prière dans toutes les affaires de l’État ; il se détache donc de sa vie privée pour rendre publique sa vie, il se détache de ses rencontres personnelles avec Dieu pour en faire des rencontres de Dieu avec les siens.


 

26 août

Celui qui penserait qu'entre Dieu et lui tout est en ordre, celui-là ne saurait ni ce qu'est Dieu ni ce qu'est l'homme.


 

Le regard de Dieu va plus loin que le nôtre. Les hommes n’aiment plus regarder en direction de Dieu. Nous nous mettons au centre et nous fermons le monde autour de nous. Nous oublions que c’est l’amour de Dieu qui est le centre et que nous devrions rester ouverts à l’Esprit Saint. Dieu devrait garder la possibilité d’agir là aussi où notre esprit planificateur n’a plus accès. Certes il peut être pénible pour un érudit de ne pouvoir mener jusqu’à son terme une œuvre commencée, de ne pas avoir le droit d’exprimer jusqu’au dernier mot ce qu’il a expérimenté et qui lui semble neuf. Mais si Dieu a compté ses jours et qu’il sait jusqu’où il ira avec son ardeur et son obéissance, il fera lever la semence chez quelqu’un qui viendra plus tard. En tout cas, il lui laissera continuer son œuvre aussi loin que nécessaire pour faire paraître les traces de Dieu qui devaient être visibles.


 

"Qui cherche trouve". Remercier Dieu qu'on trouve en le cherchant, mais on doit toujours continuer à chercher quand on a trouvé afin que l'obéissance vis-à-vis de Dieu ne s'alanguisse pas, que tout reste vivant dans une relation constante avec le Fils, et le Fils le conduit au Père. L'obéissance se trouve dans le oui à Dieu, qui est adopté une fois pour toutes, mais elle se trouve également dans tous les petits oui de la journée qui font partie de la grande ligne.


 

Le Seigneur n'est pas venu pour réduire Dieu à la mesure humaine, mais pour dilater l'homme à la mesure de Dieu.


 

27 août

Sainte Monique (331-387)

Elle est la prière qui ne se relâche pas, la piété qui ne s'amollit pas, elle ne connaît pas de grandes fluctuations dans sa prière, elle est très donnée à Dieu et aussi à l'Église. La caractéristique de sa prière, c'est surtout sa persévérance dans l'intensité. Pendant un temps très long, elle peut répéter une seule et même prière avec la même force. La prière vocale n'est jamais chez elle une prière des lèvres seulement. Elle a au fond la prière des enfants qui peuvent prier avec beaucoup d'intensité, mais sans savoir qu'il s'ensuit une réponse de la part de Dieu, sans même en attendre une, sans penser cependant qu'il n'y en a pas. On présente à Dieu avec le plus grand soin possible ce qu'on a à lui dire, cela ne va pas beaucoup plus loin. Monique est une femme énergique et avisée. Sa vie est remplie d'efforts et de contrariétés. Elle voudrait aider, mais avec quoi ? Il ne lui reste que la prière. Alors elle prie comme elle le comprend : une prière uniforme, presque monotone. Elle ne peut pas se représenter l'aide de Dieu autrement que comme un exaucement de la prière et elle ne peut pas se représenter la volonté de Dieu pour elle autrement que sous la forme de la prière. Elle n'a personne pour lui expliquer qu'il n'est pas nécessaire de parler sans cesse à Dieu pour être en prière, qu'il y a une attitude de prière qui inclut tout le travail quotidien, qu'il y a un état dans lequel chaque acte de prière ne jaillit pas comme quelque chose de nouveau mais comme l'expression de ce qui est toujours présent. C'est aussi par sa singulière humilité et son don singulier d'elle-même qu'elle dit toujours les mêmes prières, qu'elle répète inlassablement les mêmes invocations. Il y a chez elle une constante remise d'elle-même à Dieu, c'est une manière particulière de se donner qui représente dans l'Église quelque chose de tout à fait essentiel : un fondement qui porte tout le reste. Vis-à-vis de son prochain, elle est touchante. Là aussi elle cherche à tout introduire dans sa prière. Elle compte : une prière pour celui-ci, une pour celui-là. Elle ne comprend pas très bien l'interpénétration des grâces, de l'unique grâce qui porte tout et qui subvient à tout, dont on ne peut pas énumérer tous les détails. Elle prend au sérieux toutes les personnes qui la rencontrent. Mais parce qu'elle n'a pas de vraie direction, elle donne à la prière la préséance sur l'amour actif, elle croit que c'est par sa prière qu'elle peut donner le plus. Pour elle, ce n'est pas facile du tout de tant prier, cela lui coûte beaucoup. Sainte Monique est l'incarnation de l’Église qui prie sans cesse. Elle est celle vers qui on peut se tourner quand on est fatigué de la prière. Monique ne prie pas pour elle mais pour son fils Augustin. Quand son fils devient chrétien, tous les chrétiens deviennent ses fils et elle se perd en tous. Comme l’Église, elle enfante dans les douleurs et elle est toute donnée à cette naissance. Pour elle-même, elle n'a besoin de rien. Elle n'a pas besoin non plus de s'échiner à devenir meilleure, d'accumuler davantage de mérites, de prendre un chemin de la perfection ni même de le voir. Elle est tellement en chemin et en marche et en train de répondre dans l'obéissance à l'exigence de Dieu que tout est bien et qu'elle n'a pas besoin d'assurance sur ce qui est juste. Elle est médiatrice avant même qu'elle se soit aperçue qu'elle doit être médiatrice parce qu'elle a reçu la prière de médiation comme un cadeau indivisible. C'est une prière qui jaillit très directement de la conversation trinitaire de Dieu avec Dieu. Elle est contemplation, mais elle est aussi action puisqu'elle doit prier pour des choses précises, qui arrivent alors comme un fruit. Parce qu'elle a mis à la disposition de la prière ses actions et sa force et son temps et tout son intérieur, elle est médiation de tout son être. Sa prière est contemplation parce que Dieu parle d'abord, qu'elle écoute comme une servante et trouve ensuite ses réponses. L'espace de contemplation dans lequel se déroule sa prière n'est pas grand. Elle n'a pas besoin non plus d'exposer quelque chose, seulement donner sa réponse, son oui concis à la demande, son attitude de prière devant ce que Dieu lui montre, son obéissance à ses demandes. L'interprétation arrivera surtout chez son fils Augustin, et dans l'ensemble de l’Église. Elle se tient en un lieu où Dieu Trinité a déjà tellement franchi la distance entre Dieu et l'homme qu'elle est comme éblouie et qu'elle ne pourrait rien exposer elle-même. Son fils n'aurait pas pu vivre dans un espace aussi réduit. Monique est l'ouverture de la prière. Elle ouvre la prière sur l'éternité. Elle persévère dans l'attitude de celle qui n'est là que pour la prière ; elle est le symbole que tout ce qui, chrétiennement, se termine est un commencement de la vie éternelle. Monique, qui a tellement prié pour son fils qu'il dut finalement se convertir, n'en a pas terminé avec cette conversion pour ainsi dire extorquée, ce fut un double nouveau commencement. Son fils est devenu libre pour le Christ, pour son service qui continue, et il a ouvert de nouvelles voies pour d'autres, innombrables. Il est devenu une semence. De son côté, la prière de Monique est devenue libre pour tout ce qui reste encore à faire dans l’Église. Sa prière est devenue anonyme et illimitée, elle n'est plus restreinte à une conversion unique, toute sa prière désormais est libre pour tout, elle se perd en Dieu, elle prépare un chemin vers Dieu pour tous ceux qu'il veut appeler.


 

28 août

Saint Augustin (354-430)

Au temps de sa première ferveur, lors de sa conversion, toute son âme est touchée par la nouveauté. Il se tient tout disponible, il veut ce que Dieu veut, c'est la vraie ferveur du converti qui le saisit au plus intime. Et le tout dans une grande humilité : il ne peut simplement pas concevoir qu'il croit vraiment, que la grâce est si grande. Il ne cesse d'aller voir sa foi, il la considère comme une mère qui s'approche du berceau de son enfant, remplie d'admiration, d'étonnement, de gratitude, ne pouvant comprendre qu'une telle chose soit possible. Il ressent le caractère extraordinaire de la foi avec une force inouïe, il regarde les autres croyants et il voit que c'est la même foi.

Prière. Père, quand je me tiens devant toi et qu'il m'est permis de te donner le nom de Père, à chaque fois je ne peux me défendre du sentiment que c'est à peine possible que tu m'aies réellement fait le don de toute cette plénitude de foi qui m'accompagne jour et nuit et me fait voir dans une lumière nouvelle tout ce que je rencontre. Souvent il me semble qu'il m'est à peine permis de regarder les vérités de ta foi, elles sont tellement grandes et elles me sont encore si étrangères du fait de leur grandeur que je crains toujours qu'elles pourraient crever devant moi comme des bulles de savon, qu'elles pourraient être entendues autrement que je le pense et surtout qu'elles ne m'étaient pas réellement destinées. Mais je sais pourtant que c'est vraiment un cadeau de toi que tu m'aies vraiment donné la plénitude de la foi et que celle-ci, d'année en année, ne cesse de se dilater avec une connaissance qui s'accroît. Durant tant d'années je n'ai rien su de toi et si longtemps je me suis tenu devant toi comme un ennemi. Maintenant tu as oublié tout cela et tu as fait de moi un croyant que chaque jour tu ne cesses d'affermir. Père, je voudrais te remercier, mais non sans te demander en même temps : fais que cette connaissance soit communiquée par moi à tous ceux auxquels tu penses. Accorde-moi de ne pas réduire ta parole et de ne pas ternir tes vérités, permets-moi de les transmettre réellement comme je les reçois. Permets aussi que je persévère dans l'attitude de celui qui adore et qui en même temps attend et, s'il te plaît de répandre la foi par moi, rends cette foi vivante, fais aussi que l'expérience que j'ai vécue dans ma conversion soit le lot de beaucoup et fais que je ne réduise pas, que je n'oublie pas la force avec laquelle tu m'as fait le don de ta foi. Fais que j'aie toujours davantage part à la vie de ton Fils et permets que ce soit vraiment ton Esprit qui parle par moi. Amen.


 

29 août

Dieu arrondit nos prières pour les entendre dans son sens à lui, il leur ajoute ce qui leur manque.


 

Dans la prière, on peut se rattacher à tout, également à une joie ou à une souffrance qu'on a éprouvée et par laquelle on apprend à mieux connaître Dieu, ou à une histoire qui nous a été racontée, ou à quoi que ce soit dans la création. On peut se laisser conduire plus loin par tout. Un beau paysage : beauté et clarté en général. Un plan que j'ai : le plan de Dieu avec nous et avec le monde. Quand les choses de ce monde s'ouvrent sur Dieu, on n'est plus soi-même le point de référence, on devient le point de réception de ce que Dieu donne.


 

Pour prier, entrer dans sa chambre et fermer la porte. Le plus important dans la prière est d'abord que Dieu puisse nous y atteindre ; dans la prière, la parole de Dieu a le primat sur la parole de l'homme.

 

Pour nous, à la vue du Fils sur la croix, malgré tout ce qu'elle a d'horrible, il reste une espérance, annonciatrice de la grâce en quelque sorte.

 

Pour saint Robert Bellarmin, prier, c'est chercher. Chercher Dieu et chercher le chemin que Dieu prévoit pour l'orant. Pour lui, Dieu demeure mystère même quand il se donne.

 

Le Pseudo-Macaire a une manière singulière d'entrer en contact avec Dieu : il le cherche et le trouve en chaque mot, et en même temps il demeure très conscient de son indignité ; il est triste aussi de ne pas pouvoir prier plus spontanément, de ce que son âme ait sans doute constamment soif de Dieu, mais que c'est quand même pour lui comme une pénitence de prier. A chaque fois ou presque, c'est pour lui une victoire. Une fois la victoire acquise, il prie volontiers. Il dit les prières de l’Église, mais il prie aussi librement ; ses méditations sont plus des conversations avec Dieu.


 

30 août

Le Fils de Dieu devient homme : la première impression qu'il a de la volonté humaine qui est la sienne comparée à sa volonté divine, est celle d'une perte inouïe. Mais ensuite il ressent qu'il y a comme une lumière et un bonheur dans le fait que l'homme peut ne jamais cesser de mettre sa volonté dans celle du Père. De la sorte, les limites de l'humain ne sont plus aussi difficiles à supporter. Finalement, il en est de même pour tous les dons humains : là où ils sont employés dans la foi, Dieu les accueille comme moyens pour parvenir à lui. Non que l'homme commencerait tout à coup à être divin, mais le caractère accablant des limites lui est enlevé.


 

Le Fils qui devient homme, homme sans péché, a vécu depuis toujours avec le Père, il l'a aimé et regardé ; le regarder et l'aimer constitue un va-et-vient, mieux un état qui est propre au Dieu trinitaire dans la vie éternelle. Au ciel, lors de sa décision de devenir homme, en regardant le Père, le Fils voit les éléments surnaturels que le Père a mis dans la foi des hommes, et ce qu'un homme peut faire avec cette foi : il peut s'en détourner, se retourner vers elle, la gérer en quelque sorte en dépit du bon sens jusqu'à peut-être lui attribuer tout juste une place à peine suffisante, ou au contraire lui donner une place extraordinairement grande, lui accorder toute la place, ou s’en dépouiller totalement. C'est ainsi que le Fils examine l'étendue des possibilités humaines, il voit ce que le Père a voulu lors de sa création, ce que l'homme veut en se détournant de lui, ce qu'il essaie de faire en se tournant à nouveau vers lui. Ainsi en qualité de Fils qui regarde le Père, il est témoin de ce que cela signifie vivre dans la foi en tant qu'homme.


 

Le Fils apprend aux siens le Notre Père et il y range les unes après les autres les vérités de la foi - Dieu est au ciel, son royaume doit venir, etc. - avec des mots qu'il peut dire lui-même au Père en étant ici-bas et qui a priori ne supposent pas la vision : elles concernent la foi et son attente toute confiante. Il fait sienne cette attente de la foi qu'on peut appeler espérance parce que Dieu a offert aux hommes la foi, l'espérance et l'amour.

 

31 août

Le Père a envoyé son Fils unique dans le monde. Le parcours du Fils : il sort du Père, vient dans le monde et retourne au Père. Mais ce parcours ne se termine pas sans s'ouvrir sur un second circuit : l'envoi de l'Esprit sur l’Église. La Pentecôte et le miracle des langues sont sans aucun doute un événement mystique qui concerne toute l’Église : par lui, l’Église en tant que telle est reliée au ciel de manière nouvelle.


 

Dans l'Ancien Testament, le Fils était contenu dans la prophétie. Les voix qu'entendaient les prophètes étaient celles du Fils et de l'Esprit. L'Esprit était porteur du Verbe du Père et le Verbe était Dieu, le Seigneur. D'une certaine manière, l'Esprit est pour la dernière fois porteur du Fils quand il couvre la Mère de son ombre. L'Esprit prend des formes concrètes : la colombe lors du baptême, les langues de feu à la Pentecôte. Ces signes sont surtout là pour montrer sa suprême réalité et sa suprême efficacité afin qu'on ne confonde pas le Fils et l'Esprit, ou qu'on ne les mette pas au même niveau alors qu'en réalité chacun des deux suppose l'autre et le remplace à l'occasion. Les deux sont intimement associés, mais les personnes et leurs modes d'action restent distincts.

 

Tout ce qui appartient à l'homme doit passer en la possession de Dieu. L’Esprit qui se répand à la Pentecôte doit tout emporter avec lui dans son souffle.

 

Celui qui a reçu l’Esprit commence par l’adorer. Avant que l’Esprit ait commencé à agir en nous, il nous est étranger et nous ne le cherchons pas, ni en nous ni en dehors de nous. Mais parce que l’Esprit est l’amour, sa caractéristique est de transformer notre adoration de l’Esprit en adoration du Père et du Fils. L'Esprit ne reçoit jamais un symbole digne de lui : il apparaît comme flamme, langue, vent, colombe, dans des signes qui, en disparaissant, montrent peu de choses de sa nature. Tout autre chose que lorsque le Fils paraît. Le Fils est l’enfant du Père et sa visibilité. L’Esprit est, dans sa manière d’apparaître, comme l’humilité de Dieu : il nous mène, au-delà de lui-même, au Père et au Fils.


 

1er septembre

Il y a des gens qui ressentent comme une injustice la moindre chose qui ne va pas selon leur volonté parce qu'ils ne sont pas capables d'aimer. Ils ne sont jamais capables de mettre en avant, au lieu de leurs exigences, un tout petit peu d'amour, un soupçon d'amour seulement, une goutte seulement, une ombre seulement, un rien seulement. Et parce qu'ils en sont incapables, ils ressentent tout ce qui leur est contraire comme injuste, comme dirigé et voulu expressément contre eux.


 

Rarement Adrienne a été aussi profondément effrayée au sujet d’une femme qu’elle avait rencontrée : c’était quelqu’un qui n’aime pas et ne veut pas aimer ; cest une femme qui s’est construit un espace hermétiquement clos et n’est disposée ni à en franchir elle-même les limites, ni à laisser personne le faire.


 

Dans l’amour, le meilleur c’est toujours le désir de l’autre.


 

Celui qui aime vraiment aime son ami tel qu’il est maintenant, mais aussi tel qu’il sera dans cinquante ans et dans l’éternité. Il est prêt à dépasser tout ce qui est déception dans le temps.


 

Celui qui aime quelqu’un fera tout pour être transparent à celui qu’il aime et pour se faire connaître de lui ; et celui qui est aimé, dès qu’il aura saisi l’amour, fera de même.


 

Celui qui aime n’analyse pas plus avant son propre amour, mais celui qui est aimé ne cesse de s’étonner de l’amour de celui qui aime : “Qu’est-ce qu’il trouve en moi ?” Il constate en lui des fautes qui au fond devraient faire obstacle à l’amour de celui qui aime. Et pourtant il sait qu’il est aimé et que ses fautes éventuelles n’empêchent pas cet amour. Il doit donc accepter que celui qui aime trouve en lui ce qui lui suffit, que manifestement il est celui qui est désigné pour cet amour. Ainsi il peut négliger tout ce qui est négatif ; quand il se voit aimé de la sorte, il n’a pas besoin de se haïr, ni de se mépriser, ni de se diminuer. L’amour lui garantit que tout est juste pour lui. Il se prête à se laisser aimer et il s’aime lui-même à l’intérieur de cet amour afin que rien ne s’en perde.

 

2 septembre

Dans l’Ordre des Frères prêcheurs, Las Casas expérimente le caractère vivant de l'amour du prochain. Il l'expérimente avec une force qui ne lui laisse plus désormais aucun répit. Depuis lors il veut élever tout le monde à cet état de prochain. Disparaissent ainsi pour lui non seulement les distinctions de personnes, de races, de peuples, mais d'une manière générale les distinctions de l'individu ; celui-ci se présente à lui d'emblée du point de vue de l'amour. Cela veut dire qu'il aime a priori : celui-ci qu'il connaît, cet inconnu, celui-ci dont il ne sait rien, celui-là dont il a appris quelque chose. Ainsi il les aime tous globalement en quelque sorte mais, dans cet amour, il sait qu'il a à représenter le Seigneur qui aime chacun personnellement. Ainsi il met tout en jeu pour pouvoir aimer. Il se fait porteur de la parole, et la parole, c'est l'amour du prochain ; il ne connaît ni diplomatie, ni compromis. Il ne veut rien connaître au fond, il veut seulement aimer.


 

Joachim de Flore aime Dieu, Dieu Trinité, de toute sa force, il aime le monde et les hommes, il aime tout ce que Dieu opère dans l'histoire comme signe de sa toute-puissance, de sa présence et de sa bienveillance pour assister l'humanité et l’Église et en prendre soin. Il est désintéressé et il s'éduque continuellement à l'amour. Par nature, il ne lui est pas donné de se sentir très proche des hommes mais, par son amour pour Dieu, surtout pour le Fils et l'Esprit, il cherche à trouver aussi le Fils et l'Esprit dans les hommes et dans leur action. Son amour des hommes tire son origine de son amour de Dieu.


 

D’une prière de saint Pierre d’Alcantara. Dans le commandement de l'amour du prochain, qui contient tout, tu nous as donné quelque chose qui est le modèle de notre pastorale, que nous devons imiter afin que chacun comprenne l'amour et désire aimer, que chacun, où qu'il se trouve, soit saisi par ta parole quand nous la lui transmettons en vérité et que nous lui offrions pour cela notre prière. Seigneur, je t'en prie, donne-moi un nouveau courage, c'est-à-dire renouvelle ma foi ; qu'elle devienne si vivante qu'elle soit utilisable pour toi, et donne-moi l'amour afin que j'apprenne de toi à aimer tous les tiens.


 

3 septembre

Saint Grégoire le Grand (540-604)

Le temps qui précède son élection comme pape. Il ne veut pas croire vraiment qu'il sera élu et cependant il le sait. Il règne en son âme une effroyable confusion. Il a le sentiment que s'il est élu ce sera faux et que, s'il n'est pas élu, ce sera encore plus faux parce qu'il pourrait réellement aider l'Église. Il ne cesse de tout remettre à Dieu et il est convaincu que finalement Dieu fera le choix. Il prie.

Prière lors de l'élection. Père, je sais que c'est ton Esprit qui décidera de l'élection. C'est ton Esprit qui désignera pour ton Fils dans son Église le successeur de saint Pierre. Tu vois, Père, le nombre de ceux qui sont pour moi, tu vois aussi ceux qui sont contre moi. Tu sais que j'ai peur de cette responsabilité ; je voudrais te supplier : "Écarte de moi cette coupe", et en même temps te dire : "Père, que ta volonté soit faite, non la mienne". Si c'est ta volonté que je sois élu, je te demande d'approfondir dès maintenant mon intelligence, de te servir dès maintenant beaucoup mieux que par le passé, d'avoir dès maintenant tellement part à ton Esprit que j'accomplisse en tous points ta volonté, pas à pas, dans le temps qui précède l'élection comme aux jours de l'élection et que rien de ta volonté ne soit par moi empêché, déformé ou altéré de quelque manière que ce soit. Je t'en prie, Père, éclaire-moi, donne-moi de ton Esprit tout ce qui est nécessaire pour exercer ce ministère difficile, si réellement il devait m'être confié ; donne-moi par ton Fils la grâce mystérieuse du ministère, dont personne n'a un si urgent besoin que celui qui doit s'asseoir sur le trône papal à la vue de toute la chrétienté. Père, sois avec tous ceux qui voteront, sois avec celui qui sera élu, et sois dans les prières de ton Église tout entière et de tous les croyants. Amen.

Deuxième prière. Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, qu'il soit sanctifié par toute ton Église, qu'il soit sanctifié par chacun d'entre nous et qu'il soit sanctifié par ton indigne serviteur qui est maintenant pape et qui a tant de difficultés. Père, j'étais autrefois pusillanime, je le suis resté. Souvent les difficultés m'accablent presque et je ne peux même pas les clarifier avec toi dans la paix de la prière de telle sorte qu'elles deviennent supportables pour ton Église et que j'apprenne de toi le chemin à suivre. Je me vois sans cesse obligé d'en parler avec d'autres, peut-être même avec certains qui sont incompétents, non seulement pour leur demander un conseil amical, mais aussi pour recevoir d'eux une certaine compassion, et cela parce que je n'ai pas la force de recevoir des instructions de toi seul, parce que je ne nourris pas l'espoir de pouvoir te servir comme tu le désires. Cependant, Père, tu m'as si souvent donné des preuves de ta grâce, tu m'as si bien accompagné à travers toutes les difficultés jusqu'à aujourd'hui que je vois par là combien tu regardes ton Église avec bienveillance et que tu ne laisses pas tes serviteurs seuls. Tu es vraiment là, tu aides. Je devrais souvent m'en tenir à ton aide divine et paternelle. Mais je ne cesse d'oublier que tu es prêt à ouvrir quand on frappe ; je frappe à d'autres portes, j'attends qu'on ouvre et je suis déçu si les choses se passent autrement que les gens me l'avaient annoncé ou qu'ils avaient promis de le faire. Père, enseigne-moi à mettre toujours plus ma confiance en toi. Enseigne par moi à toute ton Église à mettre toujours plus sa confiance en toi. Enseigne-nous d'une manière toute nouvelle le Notre Père, la prière de ton Fils, de sorte que nous nous sentions bien en sécurité auprès de toi dans la prière de ton Fils et que nous essayions de faire avec plus de vigueur et plus d'honnêteté tout ce que tu attends de nous. Voilà ce que je te demande, Père, au nom de ton Fils, au nom de ton Esprit, au nom de la Vierge bienheureuse, au nom de tous tes saints et de tous ceux qui ont mis en toi leur pleine confiance. Amen.


 

4 septembre

Quiconque vit vraiment dans la grâce se trouve dans une relation "sponsale" avec le Seigneur et il a part à la grâce de la Mère de Dieu. L'un peut expérimenter cette grâce de manière mystique, l'autre non, et pourtant la grâce est essentiellement la même, les missions sont différentes. A une ouvrière d'usine ou à celle qui vit dans un milieu prolétaire Dieu ne donnera pas les mêmes grâces qu'à une religieuse dans un cloître fermé ; et pourtant la mission de l'une n'est pas moins sponsale que celle de l'autre.


 

Depuis la croix, la grâce du Seigneur et la grâce de l’Église ne font qu'un inséparablement, elles sont un unique trésor de grâce à la disposition de tous.

 

Une ouvrière d'usine, qui est dans une situation difficile, peut recevoir de Dieu des grâces particulières pour le supporter et rayonner quelque chose.

 

La grâce seule nous fait saisir les choses du Seigneur.

 

La grâce, c'est ce que Dieu tient de lui-même à la disposition des hommes, mais aussi ce que l'homme demande à Dieu. Car Dieu a créé l'homme ouvert à lui, avec des questions que l'homme adresse à Dieu et auxquelles Dieu veut répondre. Dieu a prévu une conversation avec l'homme.


 

Je dois me dévoiler devant Dieu pour être ouvert à sa grâce.

 

On peut comme ne pas entendre les paroles que Dieu dit à voix très basse, peut-être sans qu’on commette de faute. Certaines choses ne sont même pas dites ; elles ne se trouvent pour ainsi dire que dans l'atmosphère et il faut un amour tout à fait éveillé pour qu'on les perçoive.


 

Adam et Ève aiment beaucoup entendre la voix de Dieu quand il se promène dans le jardin.


 

5 septembre

Ici-bas le Fils ne parle pas autrement qu'en conversation avec Dieu et pour le glorifier. Chaque parole qu'il exprime tire toute sa substance de la Parole qu'il est ; elle est remplie de l'absolue vérité de Dieu. Il comprendra ses paroles comme il les dit, il les remplira comme il les connaît. Les hommes les saisiront et les rediront, sans les changer apparemment, comme ils les ont apprises de lui, ils ne peuvent pas leur donner leur plénitude divine, ni les comprendre comme il les comprend.


 

L’Évangile n'est pas seulement un récit de faits, il est en même temps un enseignement vivant, il a part à l'Esprit Saint. Le Seigneur comme l'Esprit parlent ici.


 

Pour l'évangile, si quelqu'un a soif, il reçoit à boire. Et s'il n'a pas encore soif, l'évangile lui indique au moins qu'il y a en l'homme une soif de Dieu et que l'évangile peut l'apaiser.

 

Nous devons chercher le Seigneur. Et pour le chercher d'une manière vivante aujourd'hui, nous avons l'évangile.

 

On ne peut pas chercher le Seigneur uniquement chez les saints, on doit toujours aussi prendre l'évangile.

 

Au cours des siècles, la force de la parole du Fils ne diminue pas ; la parole de l'évangile a aujourd'hui la même vitalité qu'autrefois la parole exprimée par le Christ sur la terre.

 

Pour nous, l'image du Père devient vivante surtout dans l'Ancien Testament ou par les paroles du Fils. Le Fils, nous le voyons d'abord comme celui qui est devenu homme, dans toutes les situations de sa vie et de sa mort, partout où il apparaît comme Homme-Dieu. Mais cette rencontre justement, c'est l'Esprit Saint qui nous la ménage ; nous devons être animés par lui pour saisir au moins quelque chose de ce que Dieu peut être comme homme et l'homme comme Dieu. Nous remarquons aussi alors à quel point nous avons besoin de lui pour pressentir quelque chose du Père et finalement aussi pour que l'Esprit lui-même devienne pour nous une réalité. Ce n'est que par lui que nous arrivons à lui.


 

6 septembre

Les derniers sacrements et les prières des agonisants apportent le secours de l’Église, c'est-à-dire des grâces du Seigneur ; ils ouvrent le mourant pour qu'il reçoive la prodigalité divine. Ainsi la mort est vaincue avant même qu'elle soit là, l'invitation à la vie nouvelle arrive avant que la vie ancienne soit partie. Comme le Seigneur est parvenu à la résurrection par la mort, à l'ascension par la résurrection, par l'ascension au trône éternel auprès du Père et à l'envoi de l'Esprit Saint, ainsi l’Église nous dit qu'en mourant avec lui, les saints sont introduits dans tous les mystères glorieux de la vie éternelle qui nous sont garantis dès ici-bas par la promesse du Seigneur.

 

Nous avons le devoir d'essayer de comprendre ce qu'est l'éternité parce que c'est à elle que nous sommes destinés.


 

Au ciel, on ne cesse de tendre à la vision ; mais on est si attaché à Dieu que le désir personnel qu'on a d'en voir davantage de Dieu disparaît totalement dans le désir de ne voir que ce que Dieu nous montre. L'aspiration à Dieu est sans ambition, c'est une marche en avant sans faire de pas. On voit souvent des petits enfants qui sautent ensemble en se donnant la main, l'un est un peu en avant, l'autre un demi pas en arrière, mais on n'a pas l'impression que l'un gêne l'autre, ou qu'il est plus tiré qu'il ne le souhaite, on tire et on est tiré dans une entente parfaite. Il y a quelque chose de semblable dans le ciel tout entier qui est en marche vers Dieu.

 

Le bénéfice que l'homme retire du fait que sa vie temporelle participe réellement à la vie éternelle, on ne peut pas l'évaluer temporellement ni en peser l'importance. Ce qui est visible, c'est que celui qui vit ainsi se lie plus étroitement à la vie du Fils. Celui-ci est venu dans notre temps, il l'a utilisé comme l'un de nous, avec ses nuits et ses jours, et chacune de ses heures. Il ne s'est pas réservé un temps particulier avec d'autres caractéristiques, mais, à aucun moment, il ne perd le contact avec la vie éternelle du Père, il ouvre notre temps à la contemplation du Père qui est la sienne. Chaque heure qui sonne a sa signification d'éternité. L'homme est invité à avoir part dès maintenant à l'éternel, à ouvrir dans le temps la fente qui fait voir l'éternité présente.


 

7 septembre

Si l'on regarde l'homme Jésus, par exemple quand il mange ce que sa Mère lui a préparé, on comprend tout d'un coup qu'il mange pour pouvoir accomplir sa mission ; sa mission est infinie, Dieu Trinité tout entier y est présent. Chacune des plus petites situations de la vie du Fils s'ouvre toujours de manière nouvelle sur cette perspective d'un tout démesuré.


 

Le Christ lors de son entrée à Jérusalem, entouré de l'allégresse des gens, est assis sur un âne. Il y a en lui un fort sentiment de gratitude à l'égard du Père : il est bon, en tant qu'homme, d'avoir un corps, un corps qui est secoué sur le dos de l'animal. Un corps qui sert, et qui en même temps se dirige à tâtons vers l'avenir en sachant que ce repos est là pour pouvoir recevoir plus totalement l'autre fin, la souffrance. C'est ainsi que cette chevauchée devient pour le Seigneur une certaine préparation à la passion, la conscience que le corps tout entier est pris au service de la mission.


 

Voilà un homme quelconque, pas capable d'un amour particulièrement grand, pas tout à fait moral, un pharisien moyen dans ses bonnes années, pas spécialement mauvais non plus. S'il accueille le Seigneur, son péché lui sera remis, il se débarrassera de son pharisaïsme, il deviendra un chrétien qui aime sérieusement, qui fait croître en lui l'amour du Seigneur.


 

On ne peut pas voir dans la communion quotidienne le "point culminant" de notre amour chrétien, tout le reste ne serait que résidu et tout au plus une manière de s'en rapprocher. On ne peut pas représenter notre relation avec Dieu avec des tournants de ce genre.

 

Hippolyte de Rome aime Dieu avec passion. Il voudrait le servir, il s'offre, il veut faire tout ce que Dieu veut et il voudrait apporter Dieu dans le monde. Il voudrait opérer comme une communion entre les hommes afin que chacun de ceux qui entrent en contact avec lui perçoive quelque chose du Seigneur. La prière où il attend les inspirations de Dieu est chez lui une prière d'amour passionné. Il aime Dieu, mais aime-t-il les hommes ? Il les aimeraient s'ils étaient tels qu'il les voudrait, mais il voit très fort leurs faiblesses et leurs hésitations, et cela le remplit d'un dépit qui recouvre l'amour bien que celui-ci sans aucun doute existe.

 

8 septembre

Nativité de la Sainte Vierge Marie

Le déroulement de la vie terrestre de Marie : grossesse, naissance, vie cachée, vie durant les années actives du Fils, finalement le mont des oliviers : "Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne". Le Fils remet toute sa volonté au Père. Dans cette volonté se trouve incluse la volonté de sa Mère de prononcer son oui et de rester fidèle en tout au Fils, de participer à l'œuvre du Fils par la grâce du Fils et de la manière arrêtée par lui ; elle s’est engagée volontairement, librement, mais sans savoir d'avance tout ce que le Fils lui demanderait.

 

D'habitude, on demande à une servante un service limité, fixé d'avance. Le service de Marie peut prendre les formes les plus variées parce que le Fils, par ses requêtes, manifeste un toujours-plus illimité de vouloirs et de demandes ; le service se transforme ainsi suivant l'âge et les besoins du Fils. Il ne cesse de requérir d'autres choses de sa mère, des choses qui ne tiennent aucun compte de ses besoins à elle, de son âge à elle, mais uniquement de ses besoins à lui et de son âge.

 

Marie est façonnée pour l’Esprit d’une manière unique. Quand elle met le Fils au monde, elle reçoit l’Esprit sous la forme d’une connaissance approfondie. Elle l’a rencontrée quand il l’a couverte de son ombre, il l’a couverte de son ombre pour lui permettre de porter cet enfant. Quand l’enfant devient visible, elle reconnaît en lui l’Esprit et ce n'est qu'alors elle devient accessible à tous les dons de l’Esprit qu’elle voit reposer sur son Fils. C’est pourquoi la théologie de notre temps peut aussi s’adresser à elle pour lui poser des questions qui sont les questions de notre temps et qui ne se posaient pas encore de son temps. Elle peut répondre avec la plénitude toujours vivante de l’Esprit qu’elle a reçue en elle et qu’elle a saisie après la naissance de son Fils. Pour elle, la grande apparition de l'Esprit et sa grande irruption, c’est la naissance du Fils ; pour les saints, c’est quand ils reconnaissent le Fils en correspondant à la mission que Dieu leur donne. Leur manière particulière d’être façonnés pour le Seigneur leur est donnée par Dieu.

 

9 septembre

Quand Adam et Eve furent chassés du paradis, Dieu ne fut plus pour eux dans la lumière. Ce n'est que lorsque les hommes cherchent à s'approcher à nouveau de Dieu qu'il leur rend dans sa grâce quelque chose de la vraie lumière, afin qu'ils voient dans la lumière de Dieu la lumière terrestre et les choses terrestres. Quand, à la fin de la passion, le Fils meurt, que toute la lumière est comme traversée par les ténèbres, c'est alors que devient visible le prix par lequel Dieu nous rend sa lumière. L'extinction de la lumière terrestre est un signe pour tous ceux qui sont complices de sa mort, la lumière s'éteint. Une nouvelle lumière proviendra de la grâce de la résurrection.


 

Le Fils renonce à toute lumière émanant de lui, il ne garde pour lui que la souffrance. Sur la croix, il ne voit pas que sa souffrance devient lumière pour l'humanité.

 

Tu commets peut-être des fautes, tu n'es pas un "saint", mais parce que tu brûles, tes fautes me gênent peu ; tu peux me montrer la voie de l'amour.


 

Quand, du ciel, le Seigneur fait advenir chaque jour son eucharistie comme une réalité, quand il permet à tous les croyants de se confesser, quand il remplit toute son Église de prière, quand il distribue chaque sacrement que son amour a inventé pour les siens, il crée les accès les plus variés à un oui complet : don de soi et adoration comme centre de l'existence chrétienne et comme participation au don de soi réciproque du Père et du Fils dans l'Esprit Saint.

 

"Suis-moi". Le Seigneur ne dit pas où, ni de quelle manière, si bien que tout reste possible : le suivre partout et de toute manière. Par monts et par vaux, auprès des amis et des ennemis, dans la prière et l'échec, au mont des oliviers et sur la croix. Ce qui fait la vie du Seigneur est offert à celui qui le suit. Le Seigneur montre qu'il puise de la force pour sa vie dans son dialogue avec le Père, qu'il se retire pour prier pour ensuite aller vers les hommes.


 

10 septembre

Le Fils semble toujours nous présenter quelque chose de ce qu'il a fait lui-même alors que l'Esprit est très attentif à ce que nous faisons nous-mêmes. Le Fils complète notre faible oui avec son oui irréprochable ; l'Esprit tient à ce que notre propre oui soit total. Le Père nous a créés, le Fils et l'Esprit nous sauvent et nous sanctifient et, finalement, quand tout est achevé et que la maison est prête, le Père s'installe dans la demeure.


 

Il y a les saints qui ont fait l'expérience du péché et ceux qui ne l'ont pas faite. Il est impossible de dire qui aime Dieu davantage.


 

On ne peut pas se confesser sans amour. En dehors de l'amour, on peut s'analyser aussi longtemps qu'on veut, se "soulager" moralement par là en quelque sorte, avoir peut-être aussi après la confession le sentiment d'avoir fait une œuvre méritoire : ce ne serait pas une confession, ce serait peut-être pour l'âme une sorte de revue hebdomadaire d'actualités. On ne peut se confesser que si on aime Dieu, que si on possède du moins un début d'amour de Dieu, même si on ne reçoit à nouveau l'amour parfait que par l'absolution. La confession est l'amour qui cherche, l'absolution est l'amour trouvé.


 

Pour entrer dans le purgatoire, il faut d'abord en être "digne" et vouloir aller dans les flammes. Tant qu'on n'est pas prêt, on est comme placé dans un coin en face de l'enfer. Sans Dieu et aussi sans les hommes, tout seul avec soi, jusqu'à ce que l'existence devienne si ennuyeuse et si lugubre que s'éveille un désir de l'amour.

 

Seul l'amour intéresse le Fils ; dans ses relations avec l'homme, il est conduit exclusivement par l'amour. Il ne veut rien savoir de ce qui ne serait pas l'amour. Le Seigneur n'aime pas moins un homme parce qu'il est pécheur, il ne laisse jamais la mesure de son amour être déterminée par la mesure du péché. Il ne considère le péché que comme ce qui, dans le pécheur, empêche provisoirement l'accueil de son amour.

 

11 septembre

L'Esprit Saint est le gage que les disciples seront sains et saufs ; il garde la propriété de porter la semence qui vient du Père et qui est le Fils. Dans l'eucharistie, il a une double fonction : il donne au corps du Fils sa qualité particulière et à celui qui communie la certitude de la foi et de l'espérance. Pour celui qui communie, c'est l'Esprit qui parfait en lui l'acte de foi en l'eucharistie. Il y a là un mystère. Le Fils dit : "Ceci est mon corps" ; ce corps va agir en toi si tu le reçois. Mais entre la parole du Fils et son effet, il reste dans le croyant comme un petit écart que l'Esprit remplit.

 

Le Seigneur met son eucharistie à la disposition de chacun de ceux qui viennent, cela se fait simplement par hasard l'un après l'autre. Je ne sais pas qui a reçu l'hostie précédente, qui aura la suivante. Par la réception, ma relation avec le Seigneur devient plus claire, plus évidente.


 

La présence eucharistique du Seigneur dans l’Église semble un engagement de sa part à être présent de cette manière précise. Le croyant sait que le Seigneur n'est pas lié à cette présence, le Seigneur peut se faire connaître aussi en chaque phase de son existence terrestre, en chaque état de son existence céleste. Le Seigneur, sa Mère, les saints apparaissent quand ils le veulent et de la manière dont ils le veulent.

 

Seul l'amour intéresse le Seigneur. Il n'est pas venu dans le monde pour chercher sa propre satisfaction, seule la volonté du Père l'intéresse. Il lui est ainsi en quelque sorte indifférent de savoir si l'homme qu'il aime et dont il porte le péché, lui donne plus ou moins à porter. C'est pourquoi les hommes qu'il choisit, il ne les appelle pas parce qu'ils sont moins pécheurs.


 

L'ultime vérité du mystère divin est toujours amour, et toutes les paroles du Seigneur, de la première jusqu'à la dernière lors de son Ascension, ne veulent toujours dire que de l'amour. Mais pour découvrir l'amour, on doit d'abord aimer soi-même, c'est-à-dire savoir qu'on est aimé par Dieu.


 

12 septembre

La vie est une belle journée en Dieu malgré tout ce qu’il y a en elle de laborieux, parce que Dieu se sert de tout pour se révéler.


 

La tentative de l'homme de comprendre tout ce que contient la parole de Dieu n'est pas un effort vain. Et pourtant à la fin il saisit plus profondément la parole du début : "Mes desseins ne sont pas les vôtres" (Is 55, 8). Aucune révélation n'amoindrit le mystère de Dieu. Aucune ne lui fait perdre la totale liberté qu'il a de se dévoiler comme il veut et de garder pour lui ce qu'il veut. Les croyants sont encouragés à faire l'effort de comprendre la Parole, mais non sans être avertis continuellement de ne jamais oublier que Dieu est inconcevable, qu'il est le Tout-autre.


 

Il est impossible de servir de manière confortable un Dieu qui, pour nous, s’est rendu la vie si inconfortable.


 

Il aurait suffi à Dieu de faire un léger mouvement, Adam et Ève n’auraient pas mangé la pomme. Mais il y a une discrétion dans la présence de Dieu qui fait partie du réel de la création ; c’est pourquoi l’homme doit toujours se contenter de ce qui lui a été attribué pour son intelligence et aussi pour sa foi.

 

Dieu donne à l'homme non seulement de quoi se nourrir, mais aussi de quoi correspondre mieux chaque jour à la proximité de Dieu.

 

Le Fils devient homme par amour pour le Père et pour l'Esprit, son amour ne subit de ce fait aucune interruption. Sans doute en tant qu'homme, aime-t-il maintenant de son amour divin absolu tous les hommes qu'il rencontre, tous les hommes inclus dans sa mission, et cela a priori. Nous, les humains, nous devons d'abord nous exercer à l'amour et, de plus, nous aimons en choisissant, nous aimons a posteriori. Si nous pouvions vivre totalement de la grâce de l'amour trinitaire, l'amour serait en nous aussi la donnée première et les applications individuelles seraient secondaires par rapport à elle et incluses en elle. Malheureusement la plupart des chrétiens ne vivent pas comme ça, ils adaptent leur amour aux circonstances de leur vie au lieu de se laisser dominer par l'amour divin et de s'y ajuster. L’amour divin est éternel, infini et immuable, il n'est modifié par aucune des conditions de l'objet, il n'en dépend pas. Le Fils aime de la manière la plus inconditionnelle, même là où il ne trouve aucun accueil, même là où on le hait : sur la croix.

 

13 septembre

Didyme l'aveugle (+ 398)

Il est comme un enfant. Il l'est déjà sans doute du fait de sa cécité et plus encore peut-être parce que, avec la conscience qu'il a de sa cécité, il possède une confiance infinie en la lumière de Dieu. L'obscurité où il vit lui semble être en opposition absolue à la lumière de Dieu, mais cette opposition est dépassée par la connaissance de la lumière de Dieu dans la grâce de Dieu. C'est presque comme si Dieu, en lui retirant la lumière des yeux, lui avait donné la faculté toute gracieuse de vivre dans la lumière de sa connaissance. Il ne s'attribue pas pour autant un avantage par rapport aux autres, mais il a une conscience très nette du don excellent de Dieu. Le fait qu'il soit sans lumière est devenu pour lui par Dieu un chemin vers Dieu. Dieu ne lui a pris la vue que pour fortifier son œil intérieur et lui donner une certitude concernant les choses cachées en Dieu. C'est quelque chose de fondamental dans son œuvre bien que d'habitude il fasse peu de retours sur lui-même. Ce que Dieu lui a donné à voir, il cherche à le réaliser en toute sa personne en présence de Dieu et à ne plus jamais se regarder lui-même. Il ne pense pas que la lumière extérieure lui a été retirée pour pouvoir pénétrer en quelque sorte plus avant dans son propre intérieur par la lumière de la grâce, mais seulement pour transmettre la lumière de Dieu qu'il a reçue. Dieu l'a débarrassé d'entraves pour que, dans sa théologie, pour le profit de beaucoup, moins d'entraves soient perceptibles. Dans son travail, il est heureux et objectif. Ce qu'il aime surtout en Dieu, c'est qu'il est lumière quand il se communique, il aime beaucoup aussi les relations de Dieu aux hommes, tous les mystères eucharistiques, compris dans le sens le plus large, et qui débouchent chaque fois dans le commandement de l'amour.


 

14 septembre

La croix glorieuse

Quand le Fils, en tant qu'homme, souffre sur la croix, il offre aux hommes la possibilité non seulement d'être pardonnés, il leur offre aussi la possibilité d'ajouter à sa passion quelque chose de leur souffrance. Sur la croix, Dieu ne veut pas augmenter la distance entre lui et les pécheurs ; ce serait le cas si lui seulement pouvait souffrir pour nous et si, nous aussi, nous ne pouvions souffrir que pour nous. Dans le feu de la croix prennent naissance bien des mystères de solidarité : le trésor de l’Église, la libre utilisation par Dieu de toute vraie prière chrétienne, tout l'excédent qui s'amasse dans l’Église, toutes les actions et toutes les souffrances en "compensation".

 

Saint François de Paule, ermite italien, fondateur de l'ordre des Minimes (+ 1507). Sa prière part toujours du même point : de la question du Seigneur sur la croix : "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Elle est pour lui la preuve que dans le christianisme la plus grande rigueur est nécessaire parce que Dieu le Père use d'une telle rigueur avec son Fils qu'il permet cet abandon. Un abandon dans le sens le plus objectif bien que le Père reste présent. Dans sa prière, il part toujours de ce point. Sa prière est une prière de plénitude dans laquelle il présente tout au Père. Ainsi sa prière se remplit de tous les hommes qui lui sont confiés, de la vie religieuse, des questions qui le préoccupent, de tous les détails comme de toutes les grandes affaires, et avec la demande constante à Dieu de bien vouloir bénir tout cela. Les miracles qu’il opère sont toujours accompagnés et enveloppés après coup d'une nuit obscure et lui-même passe à grand-peine à travers cette nuit ; mais il la connaît et il ne se permet à ce sujet aucun jugement ; jamais il ne demanderait un changement ou un abrègement de cette nuit. Quand il se trouve dans la nuit, il a besoin de beaucoup de force et de beaucoup de prière pour y saisir la paix qui laisse faire Dieu et pour y demeurer.


 

15 septembre

Notre-Dame des douleurs

Marie reçoit de l'ange un service à accomplir, et elle le rend à la croix. Ce service lui fut confié pour cette période : durant la vie terrestre du Christ, elle dut prendre soin de lui, et cela aussi bien extérieurement et d'une manière active qu'intérieurement et d'une manière contemplative, aussi bien dans les trente années de leur vie commune que dans les trois années de sa vie active. Quand le Fils eut achevé sa mission, Marie a son service derrière elle. Après la croix, le Fils a encore un service tandis qu'elle, elle n'a plus que sa mission. La conclusion de son service est d'enfanter l’Église à la croix avec le Fils. Le service avec lequel le Fils vient sur la terre, investi par le Père, est tellement intransmissible qu'il ne peut le donner à personne à la fin de sa mission terrestre. Il fait partie de sa rédemption et de son attachement au monde qu'il garde son service en tant que tout. Ce n'est pas une mission particulière qui peut être terminée un jour. S'il transmet le service à l’Église par Marie, ce service transmis doit avoir en lui son pendant, il doit donc le garder pour que l’Église l'ait, pour que le ministre de l’Église ait la certitude d'être dans le Seigneur, qu'il soit assuré par le service divino-humain du Seigneur que son propre service est valable.


 

Marie a sa solitude particulière : elle est rachetée à l'avance, elle n'a absolument aucune part personnelle au péché du monde. De même par exemple qu'un blanc au milieu de noirs se croit solitaire, ainsi elle au milieu des pécheurs. Dans le secret de son esprit, elle possède quelque chose qui l'isole ; après la mort de son Fils, elle devient encore plus solitaire parce que Jean non plus ne peut pas comprendre ce par quoi elle passe : que son Fils soit enlevé par le péché auquel elle n'a aucune part si ce n'est qu'elle porte aussi les souffrances. Tout ce qu'elle ne peut pas comprendre dans sa solitude rend sa solitude obscure et pénible parce qu'elle n'entend plus la réponse du Fils à ses questions. Quand elle cherche son Fils âgé de douze ans ou qu'elle va rendre visite au Prédicateur, elle connaît toujours en quelque sorte une réponse dans sa prière. Dans la passion et le samedi saint, cette réponse intérieure aussi tarit. Elle ne se connaît pas comme mère et pas non plus comme épouse. Parce qu’elle n’a pas de péché, elle doit aller aussi loin que possible pour porter et ne pas comprendre. La foi et l'espérance sont repoussées tout à fait à l'arrière-plan ; l'amour doit faire ses preuves en tant qu'amour là même où son objet lui échappe : son Fils est mort, et son Fils était l'origine de son amour ; avant même la visite de l'ange, elle l'aimait sans le savoir. Toute son attitude dans la souffrance est la réponse qu'elle lui donne.


 

16 septembre

La réception des miracles est double : il y a les croyants qui y voient l'expression de la puissance de Dieu, et il y a les non croyants qui, par l'expérience certaine de quelque chose d'étonnant, sont introduits dans quelque chose de plus grand. Les premiers sont fortifiés dans la foi, les seconds sont acheminés vers la foi. Il y a aussi ceux qui refusent : ils sont témoins d'un miracle ou ils en ont entendu parler et, a priori, sans discussion, ils l'expliquent d'une manière naturelle ou comme un hasard. Les miracles contribuent ainsi à la division des esprits.


 

Si notre vie et notre mort sont remis au Seigneur, si nous vivons pour lui et mourons pour lui, il est clair que les deux ne font qu'un, ils le sont en lui. Si donc nous savons par la foi qu'il nous regarde et nous juge, qu'il recueille tout ce qui est nôtre et voit en tout notre intention, nous devons comprendre en même temps que ce regard du Seigneur embrasse notre vie comme notre mort et notre purification après la mort, car il nous voit comme ne faisant qu'un avec lui. Il n'est aucune seconde de notre vie où nous pouvons faire abstraction de l'instant de notre mort. Car pour le Seigneur, sa relation à notre vie et à notre mort est la même.


 

La souffrance du Seigneur sur la croix est l'expression d'un amour qui vient de Dieu. Ainsi il est clair pour nous qu'il doit avoir souffert infiniment plus que nous ne pouvons l'imaginer. Parce que le serpent mord et fait mal, nous sommes plus capables de mesurer la souffrance que l'amour ; c'est par la souffrance que s'impose à nous le fait que le propre de l'amour est de déborder. Quand la foi se fortifie en nous, nous comprenons aussi la souffrance autrement, non plus superficiellement mais en son centre ; en souffrant nous-mêmes ou en regardant la souffrance du Seigneur, nous apprenons que la souffrance sur la croix est l'expression de l'amour intra-divin. Dieu a choisi cette expression pour nous montrer le mystère de son amour ; pour pouvoir se révéler, l'amour souffre.


 

17 septembre

Jour de la mort d'Adrienne (1967)

Souvenir d’Adrienne. Quand je me rappelle mon enfance ou certaines années de ma jeunesse, chaque minute au fond était un cadeau de Dieu, ou du moins une relation avec lui.


 

Adrienne à 17 ans, encore protestante. Au sanatorium, elle prie avec Jeanne qui est gravement malade. Jeanne est catholique. "Comment nous avons prié ? J'ai pris sa main dans mes deux mains et puis nous avons prié : Seigneur Jésus, voici Jeanne, Jeanne qui est si fatiguée, malade, et qui ne peut pas prier elle-même. Mais elle prie quand même, son amie te dit tout ce qu'elle voudrait te dire. Donc elle te dit : Seigneur, tu m'attends au ciel, tu m'attends avec ta Mère, avec tous tes saints, dans la belle lumière de Dieu, et chaque fois que tu me vois, tu es heureux parce que tu penses : ma chère Jeanne sera bientôt là. Elle est maintenant si fatiguée qu'elle ne peut plus être heureuse. C'est pourquoi je dis au ciel tout entier qu'il doit se réjouir pour elle et lui montrer beaucoup, beaucoup de joie même si elle ne la sent pas. Et puis tu sais sans doute, Seigneur, quand Jeanne est seule et triste parce qu'il n'y a personne dans sa chambre et qu'elle a un peu peur, alors tu sais, Seigneur, que Jeanne pense à toi, qu'elle se souvient de sa première communion quand elle était petite, avec une petite couronne sur sa tête : quelle joie elle a eu parce que le Seigneur était venu dans son cœur et comment elle t'a dit : maintenant je ne suis pas encore toujours avec toi, Seigneur, mais je me réjouis pour plus tard, pour le jour où je te connaîtrai mieux, et je me réjouis de ce que tu viendras un jour pour toujours dans mon cœur, dans le ciel avec ta maman et tous les saints et tous les anges".

 

Réflexion d’Adrienne à 19-20 ans dans l'église du Saint-Esprit. Dans l'église du Saint-Esprit, j'ai dit dans ma prière que je voudrais devenir une sainte, seulement pour pouvoir donner. Je voudrais aussi devenir médecin pour donner, mais il y a des choses beaucoup plus importantes que la santé. Je pense que l'Esprit Saint est plus important que la santé. Si l'Esprit Saint habite en toi, alors, s'il te plaît, prie pour moi, pour qu'il habite aussi en moi. Car je suis très pauvre.

 

Adrienne a 25 ans. Pour la première fois, elle peut aller en vacances : à San Bernardino, dans la montagne. Ce matin, j'ai été me promener. Des promenades intéressantes. On doit constamment sauter par-dessus des ruisseaux. Et pour la première fois de ma vie, j'ai vu des marmottes. Ça m'a aussi donné des pensées amusantes au sujet du Bon Dieu. Il est justement là aussi auprès des bêtes que personne ne voit. Et tout d'un coup arrive quelqu'un qui les voit. Ce sont des bêtes pleines d'humour. Et il faut aussi de l'humour pour les créer.

 

Adrienne. Depuis que j'ai connu le Christ, j'ai beaucoup appris, je me suis beaucoup rapprochée de lui. Mais en me rapprochant de lui, je sais mieux que Dieu est toujours dans le même lointain. Il n'y a aucun 'rapprochement', même si on apprend toujours à mieux aimer et à mieux louer.

 

18 septembre

Prière d'Adrienne. Je t'en prie, aide tous ceux qui sont sans espoir, montre-leur ta lumière, éveille en eux l'espérance, donne-leur d'apprendre peut-être quelque chose de ton amour par l'amour du prochain ! Puis la crainte d'avoir omis des personnes, d'avoir oublié des questions particulières. Donc : pour tous ceux que je ne connais pas !


 

Le commandement de l'amour du prochain nous fera toujours répondre à une demande pressante et justifiée d'un miséreux. Mais derrière le prochain qui demande se trouve le Seigneur, se trouve Dieu avec sa demande. Si nous ne répondions plus à la demande du prochain, non seulement nous serions en dehors de l'obéissance, nous serions en même temps sortis de l'amour.


 

On pourrait imaginer un jour que l’Église ministérielle soit parfaitement en ordre avec tous ses décrets et ses rites et ses lois et ses commandements et tout ce qui la caractérise extérieurement. Elle serait totalement "à jour", l'un ou l'autre concile aurait mis les points sur tous les i. Mais on ne peut jamais imaginer que l’Église de l'amour serait à jour car elle vit continuellement de l'amour du Seigneur, elle reçoit constamment de son plus grand amour, elle persévère toujours dans la soumission à son exigence plus grande. Elle n'aura jamais fini.

 

En Dieu, toute correction, c'est de l'amour ; quand Dieu châtie le pécheur, c'est pour Dieu une manière de s'approcher de lui. Dans le purgatoire, l'amour de Dieu sera si grand qu'il ira par les chemins les plus courts et qu'il ne se laissera plus arrêter, comme ici-bas, par aucune "considération".


 

Dans l’amour dont Dieu nous gratifie, et qui peut être d’une tendresse et d’une chaleur incroyables, l’être humain n’a le droit, à aucun moment, de tirer la conclusion qu’il est assuré d’avoir en main un gage qui le dispenserait d’un effort quotidien toujours renouvelé.

 

Pour le mystique, il peut se faire que la nuit s'installe et que Dieu semble avoir disparu ; mais l'expérience suivante rendra évident au mystique que la nuit aussi était un cadeau de l'amour de Dieu.


 

19 septembre

Saint Bède le Vénérable (+ 735). Fête le 25 mai

Il prie bien avec une quantité de mots et de pensées qu'il apporte déjà préformés pour ainsi dire, mais qu'ensuite il soumet à Dieu comme pour un jugement. Il est plein d'amour, il est poussé par l'amour dans la prière, il demeure dans l'amour pendant la prière, il rayonne l'amour en sortant de la prière. Il est bon, indulgent et humble. Quand il est empêché de prier, il est malheureux. Il lui est plus facile de vivre avec Dieu qu'avec les hommes ; le commerce des hommes est toujours pour lui un peu comme un exercice de pénitence, mais il l'offre à Dieu comme un sacrifice. Souvent il aspire à ne plus pouvoir que prier. Souvent aussi, surtout quand il avance en âge, il lui semble qu'une vie uniquement dans la contemplation aurait été trop facile pour lui.


 

20 septembre

L'homme, malgré sa nature, peut-être aussi justement à cause de sa nature avec laquelle il doit lutter depuis la chute, peut par la grâce rester ouvert à la grâce.


 

La différence la plus essentielle entre la terre et l'enfer est peut-être que la terre porte en elle malgré tout beaucoup de signes du paradis, que toute grâce n'est pas étouffée.

 

Combien sont nombreux ceux qui ont renié la grâce !

 

Jean-Baptiste est chargé d'une grâce qu'il suit comme s'il était entraîné et sans poser de questions.

 

Marie de Béthanie et Marie, la mère du Seigneur : les deux ne font qu'ouvrir les écluses pour l'afflux des grâces de Dieu.


 

Les saints ne résistent pas à la grâce et ne lui opposent aucun refus. Toutes les grâces qui leur sont offertes sont des grâces de la communion des saints : la grâce de sanctifier leur vie, la grâce de prier et de porter pour les autres, d'être parfaitement disponibles, de reconnaître en chacun des autres ce qu'est le Seigneur, de voir en tout homme l'humanité que Dieu a assumée, car le mystère de l'incarnation se manifeste partout.


 

Péguy (+ 1914). La grâce suit parfois avec lui d'étranges chemins qui sont visibles dans ses écrits. Il exprime et écrit les mots de grâce, de plénitude, de connaissance et d'amour dans une véritable inspiration dont le premier fruit est chaque fois qu'elle le ramène à la simplicité de l'enfant dans la prière.


 

C’est comme si le Seigneur attendait qu'on le prie pour communiquer sa grâce.

 

La vie du Fils, qu'il partage à tous, est la vie qui, provenant du Père, est vécue pour l'amour du Père, elle est apportée sur terre par l'Esprit et elle aboutira au don de l'Esprit. La vie du Fils nous ouvre la vie de la Trinité. Le Fils vit dans la vision du Père et dans la prière au Père. Nous sommes tous invités à imiter cette vie ; nous sommes d'abord invités à la connaître en la méditant pour l'accomplir ensuite dans la foi et la traduire en amour chrétien.


 

21 septembre

Saint Matthieu

Il est l'appelé, celui qui est emmené, celui qui auparavant ne se posait pas de questions et qui tout d'un coup a entendu l'appel. Il reste longtemps encore dans la soudaineté de l'appel. Tout ce qu'il rencontre dans sa vie l'appelle plus loin, il se passera encore beaucoup de temps avant qu'il écrive l'évangile. Comme le changement a été si brusque, il garde l'idée que le pas qu'il a fait est le premier de plusieurs autres qui viendront. Il attend un nouveau tournant, puis encore un autre. Et tous ces tournants seraient indiqués extérieurement. Il lui faut longtemps pour remarquer que les pas ultérieurs sont spirituels. Il a constamment le sentiment de faire un bout de chemin et d'être à peu près à la hauteur ; et quand, sur ce bout de chemin, il aura acquis suffisamment de capacités et de connaissances, le Seigneur ira plus loin, ou bien ce ne sera plus le Seigneur, mais peut-être le Père ou l'Esprit. L'évangile lui est donné dans l'inspiration. Mais pendant qu'il écrit, il avance aussi, il se rend clairement compte de ce qu'il écrit. Pour écrire son évangile, il a des documents, des pages de souvenirs, des notes. Il possédait maintes choses dès avant l'inspiration quand il ne savait pas encore qu'il devrait écrire. Il les conserve, davantage comme complément seulement. Il rédige des notes comme quelqu'un qui ne sait pas à quoi cela lui servira plus tard. Ce qu'il a ainsi sera pour lui moins un projet que la preuve ultérieure de la justesse de l'inspiration. Mais comme les choses dont il a pris note sont gravées dans sa mémoire, elles lui sont plus présentes que si elles n'avaient été vécues qu'une seule fois, surtout avec son genre d'esprit. Il a été appelé sans préparation, et maintenant il se prépare en quelque sorte pour ne pas être tout à fait surpris par un nouvel appel inopiné. D'une certaine manière, il a raison d'avoir un pressentiment : le nouvel appel fera de lui un évangéliste, et cet appel s'emparera non seulement de sa personnalité en tant qu'homme, mais aussi de sa mémoire, de son travail. La Providence de Dieu le prépare en le faisant s'occuper de la vie de Jésus, ce qui ne diminue en rien la force de l'inspiration ultérieure. La mise par écrit proprement dite s'effectue sous la "dictée" de l'inspiration. Après, il peut compléter ceci et cela en utilisant ses notes. Mais sans rien changer, seulement développer ce qui se trouvait déjà inclus dans ce qui était inspiré. Quand Matthieu a achevé son livre, il ne vit plus dans l'attente d'un changement, mais il vit dans le toujours-plus du Seigneur, sachant qu'il a à lui répondre toujours mieux.


 

22 septembre

Dans la vie du Seigneur, il s'agit toujours du grand ensemble, mais l'endroit où le ciel touche la terre en tel moment précis paraît insignifiant et secondaire. Une femme malade touche la frange du vêtement de Jésus et une force sort de lui. Une foule a faim et il la nourrit miraculeusement de pain et de poisson pour que les gens ne meurent pas de faim dans le désert, ou simplement pour qu'ils aient la force d'écouter et d'accueillir sa parole. C'est pourtant dans ce secondaire que se révèle en même temps la grandeur de sa puissance. Il y a toutes ces rencontres apparemment fortuites avec des gens qui attrapent quelque chose de lui – une guérison, une parole de pardon – par quoi la vérité de Dieu entre dans leur vie. C'est par un petit coin qu'il commence et qu'il communique toute la grande joie de Dieu.


 

En relisant son évangile, Jean découvre que ce n'est que par l'inspiration que tout l'amour du Seigneur lui a été dévoilé. Il est le disciple bien-aimé qui en sait beaucoup plus que les autres au sujet de l'amour, et pourtant, quand il met son évangile par écrit, son intelligence est élargie à nouveau par le souffle de l'Esprit. Son amour personnel reçoit un caractère ecclésial, il est exproprié afin devenir pour tous l'exemple de l'amour. C'est comme avec des yeux neufs qu'il découvre partout entre les lignes que l'amour est toujours plus grand. Dans ce qu'il exprime lui-même, il est impliqué dans un message qui dépasse de beaucoup son horizon.


 

Zachée. Luc se souvient de l'événement : l'homme dans l'arbre, l'appel de Jésus, le murmure de la foule parce qu'il prend un repas chez un pécheur, et Luc sait quelque chose de la conversion de ce pécheur. Tout ce qu'il sait se trouve dans le cadre de ce qu'il sait par ailleurs, dans le cadre de l'opinion qu'il se fait de l'action terrestre du Seigneur, c'est un événement parmi d'autres. Il ne sait pas très bien ce qui s'est passé avant (cet homme avait vraiment désiré rencontrer le Seigneur, la grâce qui le travaillait depuis longtemps lui a donné l'envie de le voir), il ne comprend pas non plus la portée de l'événement. Quand, après coup, il relit ce qu'il a écrit, il voit tout d'un coup que le cadre dans lequel se situe l'événement est bien plus vaste et, grâce à cet épisode, il voit aussi les milliers de personnes qui se convertissent quand le Seigneur passe chez eux. Cette histoire particulière qui, dans son cadre, ne semblait pas avoir une importance particulière est située par l'inspiration dans une nouvelle lumière, elle est devenue porte et chemin et ouverture. Zachée prend place parmi la multitude de ceux qui sont sauvés, grâce à lui ils deviennent tous visibles. On voit de plus ce que fait le Seigneur et la contribution de Zachée, on pénètre le jeu de la grâce et du mérite. C'est cela que l'inspiration a opéré : ce qui se trouvait dans le cadre personnel de Luc se trouve maintenant dans le cadre de l’Église. L'événement unique vécu par ceux qui étaient présents alors devient, quand l'évangile est mis par écrit, quelque chose d'exemplaire, toujours valable pour une multitude de pécheurs qui s'orientent vers le Seigneur et le rencontrent.


 

23 septembre

Dans le ciel, la règle du jeu dit qu'on est semblable à tous les autres, de même que tous sont semblables à nous et qu'on partage avec eux les dons du Fils. On n'a pas l'impression que les autres créatures nous poussent vers le Père, c'est plutôt le Fils et l'Esprit qui nous tirent tous ensemble vers le Père. En allant tous ensemble vers le Père, personne n'a d'avantage, du moins personne ne montre qu'il en a, car au ciel il n'est pas du tout question de se vanter.


 

Dans la vie éternelle, nous serons en face de Dieu dans une continuelle disponibilité dont il fera un jeu d'amour toujours renouvelé, inlassablement. La force qui sortait de Jésus et l'affaiblissait quand il opérait des miracles ici-bas sortira aussi de lui dans le ciel mais sans l'affaiblir, ce sera un éternel épanchement d'amour qui, justement, ne cessera pas de se régénérer en s'épanchant.

 

On s'imagine toujours que quelqu'un arrive au ciel par la grâce du Seigneur tel qu'il est, soit directement, soit en passant par le purgatoire. On pense qu'il forme la place qu'il prend. En fait, au ciel, on a d'avance sa place personnelle qui nous attend.

 

Tous les disciples se sont enfuis et ainsi un malheur se glisse dans l’Église ; pour en sauver quelque chose, le Seigneur prend l’Église avec lui sur la croix pour éprouver l’Église. Si plus tard les chrétiens s'enfuient individuellement, cela ne peut plus rien faire à l'Église. Même si tous fuyaient une nouvelle fois, l’Église ne cesserait d'être abritée dans le Seigneur et aucune preuve ne pourrait alléguer que l’Église n'est pas l’Église du Seigneur, elle reste l’épouse, elle est constamment allumée de manière neuve à son feu divin de sorte que, même si elle le voulait, elle ne pourrait pas mourir. La fin de l’Église est aussi peu imaginable que la fin de l'éternité. Quand le Seigneur la fit, personne non plus n'était là, lors de cette décision première dans le ciel.

 

Le Seigneur n'est pas venu pour réduire Dieu à la mesure humaine, mais pour dilater l'homme à la mesure de Dieu.


 

24 septembre

Saint John Henry Newman (1801-1890)

Il prie très soigneusement, avec un amour qui ne souffre rien qui ne soit totalement pur et totalement honnête. Il apporte dans sa prière tout ce qui le tracasse et l'occupe. Il l'apporte sans l'avoir trié au préalable, il le trie dans la prière. Dans la prière, il reçoit de savoir avec certitude si ce qu'il a apporté est vraiment utile, si Dieu peut s'en servir, si Dieu peut le bénir. Si Dieu le bénit, il le contemple encore une fois dans la prière et il voit si cela rayonne maintenant la lumière de Dieu. Ses pensées, ses préoccupations, ses prières, ses recommandations sont comme des diamants qui tout d'abord n'étaient pas taillés et dont il ne savait pas si c'était au fond des diamants. Puis l'expert, c'est-à-dire Dieu, les regarde et les taille comme il faut, et finalement Newman voit lui-même aussi que c'était réellement des pierres précieuses. Mais on doit bien dire que presque tout ce qu'il apporte à Dieu est réellement du diamant, qu'auparavant il a déjà opéré saintement un choix. Il a fait abnégation de soi, il s'est prosterné, il s'est livré. C'est comme si au temps de sa conversion il avait reçu intensément de manière infuse toute la vie d'un religieux. Il possède une règle qui est en Dieu. Il aime son travail parce que c'est le travail de Dieu. Il y a là des choses qu'il aime beaucoup, d'autres qui lui pèsent, mais celles-ci aussi il les aime d'un amour soigneux parce qu'il veut que l’œuvre appartienne totalement à Dieu. Souvent c'est comme s'il écrivait avec son sang et comme s'il utilisait ses dernières forces pour comprendre quelque chose. Il lui est beaucoup demandé personnellement. Sa vie tout entière est un développement qu'on ne peut pas arrêter. Il aime l'Eglise, mais il a pourtant du mal à s'y habituer, il espère toujours pouvoir lui rendre davantage quelque chose de ses dimensions divines. Il souffre beaucoup qu'elle montre tant d'humain, il l'aime un peu comme on aime un enfant qui n'est pas aussi réussi qu'on l'espérait, mais on n'abandonne pas l'espoir que cela peut encore peut venir.

 

25 septembre

Saint Nicolas de Flue (1417-1487)

Sa décision de devenir ermite lui coûte beaucoup. Au bout d'un certain temps, il s'y habitue. Il s'y habitue tout à fait comme un enfant qui a appris quelque chose de nouveau et qui s'en réjouit et qui pense que c'est quelque chose de fin ! Au fond il s'est habitué à cette pensée, il a même pris la décision avant d'avoir réalisé ce que cela voulait dire en vérité. Il avance simplement, on verra bien ce que cela veut dire. Il s'abandonne à Dieu qui l'engage dans ce qui est toujours plus grand. Ce qu'il fait est plus grand que ce qu'il sait, et sa prière est encore plus grande que ce qu'il fait.

Prière. Seigneur, le chemin par lequel tu m'as conduit jusqu'à présent avec ta Mère très aimée me semblerait être un faux chemin si je ne savais pas que c'est toi qui m'as conduit, que c'est ta grâce qui a choisi pour moi ce chemin. Maintenant, Seigneur, tu veux que je te serve d'une tout autre manière. Cela me semble être une rupture totale avec le passé et cependant c'en est la continuation étant donné que ta grâce l'a choisi pour moi. Seigneur, je ne cesse d'être angoissé : angoisse de ne pas pouvoir faire ce que tu requiers de moi, angoisse parce que je suis trop âgé pour m'adapter, angoisse parce que je comprends trop peu la vie en solitude, la vie de prière, la vie de pénitence, pour remplir toute la journée de ce sens nouveau. Pourtant, Seigneur, il y avait déjà jusqu'à présent beaucoup de pénitence, beaucoup de renoncement, beaucoup de choses que je ne cessais de faire de manière imparfaite. Seigneur, tu me donnes la certitude que je dois prendre ce chemin, que je n'ai plus le droit de revenir en arrière, que tout ce qui a été était une préparation. Je t'en prie, fais que ta Mère m'accompagne. Qu'elle soit auprès de moi pour que j'apprenne de manière neuve à tout faire selon ta volonté. Elle est celle qui sait le mieux ce que tu désires et comment répondre à tes attentes. Je t'en prie donc, Seigneur, conduis-moi et laisse-la aussi me conduire, enlève de moi tout ce qui m'empêche d'aller vers toi et fais tout advenir selon tes besoins, comme tu le veux. Ne m'abandonne pas, accompagne-moi, donne-moi la force de rester. Je te promets d'essayer de faire totalement ta volonté même quand je ne comprendrai pas, même là où je n'en pourrai plus guère. Je te le demande, donne la plénitude à chacune de mes prières et permets que tout soit vraiment utile pour tous ceux qui me sont confiés. Amen.


 

26 septembre

Le Fils expérimente dans sa nature corporelle les desseins du Père et, inséparable de ces desseins, leur profanation par le péché. Du haut du ciel, dans la lumière, il avait vu que les pécheurs se détournaient ; il avait vu l'effet sur le Père et l'obscurcissement de toutes les âmes. Devenu homme, il apprend dans sa propre chair ce que c'est que se détourner. Non que lui-même serait enclin au péché. Le Fils reçoit un corps d'obéissance qu'il tient à la disposition du Père comme l'instrument de la rédemption du monde. Mais on ne peut pas oublier qu'il possède tout autant de liberté qu'un autre homme et que, dans la liberté d'obéir, se trouve aussi la liberté de désobéir dont le Fils ne veut pas faire usage. Et justement parce qu'il refuse, c'est pour lui d'autant plus effrayant de voir combien, dans l'homme, la mauvaise volonté est proche de la bonne.


 

Le Fils, en tant qu'homme, peut aussi, dans ses conversations avec ses amis, lors des fêtes, dans ses relations avec ses disciples, mener une existence totalement humaine sans l'interrompre constamment par des coups d'œil sur sa vision du Père. Il connaît la mesure de l'existence humaine et la démesure de la grâce qu'il porte.


 

La toute-puissance du Fils est si grande qu'il a aussi le pouvoir de renoncer à en faire usage : la croix et la descente aux enfers.

 

Dans les temps où on ne peut ni prier ni méditer comme il faut, l'amour de Dieu est présent comme quelque chose d'infiniment tendre et cependant en même temps rigoureux. On peut être tenu par cet amour de Dieu, se laisser tomber en lui, se remettre entre ses mains sans problème et sans avoir une claire conscience de sa propre situation. On est faible et on sait quand même que tout est comme Dieu le veut.


 

27 septembre

Dans l'absolution sacramentelle de l’Église se trouve le grand pardon du Seigneur qui pardonne aux pécheurs de l'avoir poussé dans la nuit des enfers ; un pardon très conscient parce que seul le Seigneur connaît toute l'étendue et tout le poids du péché. Que le pécheur reçoive si facilement le pardon pour ce qu'il a causé d'horrible lui reste inconcevable ; il reconnaît seulement que l'amour du Seigneur est plus fort que tout, que ce que veut le Seigneur, c'est seulement de ressusciter avec ceux qu'il a sauvés et d'aller avec eux vers le Père ; la grâce de la rédemption est offerte aux pécheurs gratuitement.


 

Personne n'a jamais vu Dieu, sauf le Fils. Pourquoi ? Parce que la lumière de la sainteté de Dieu est trop aveuglante pour que l’œil puisse la soutenir.


 

Toute prière est comme une ascension, une marche avec le Fils vers le Père.


 

Celui qui prie sait que Dieu est omniscient. Non seulement Dieu voit parfaitement celui qui prie, il voit aussi le prochain pour lequel on le prie maintenant. Le plus souvent Dieu laisse dans l'obscurité la manière dont il utilisera la prière.

 

La prière a un visage et une forme, elle est soit demande soit adoration. Un homme ne se met à prier que parce que innombrables sont ceux qui prient, prieront ou ont prié, parce que Dieu ne se lasse pas de prodiguer des forces de prière, de remplir de contenu les prières des hommes, d'exaucer et d'utiliser dans son éternité la moindre prière pourvu qu'elle émane d'une foi authentique. Il l'accueille volontiers comme si cette toute petite contribution justement complétait la somme qu'il attendait.


 

28 septembre

Saint Basile (+ 379). Fête le 2 janvier

Il est intelligent et humble tout à la fois. Ce qu'il a trouvé dans son travail personnel, son humilité le pousse à ne cesser de le mettre en question, son intelligence par contre le pousse à tenir ferme ce qu'il a reconnu comme étant vrai. Il pense et s'exprime en un temps où beaucoup de nouvelles connaissances font leur apparition qui sont fausses ou erronées. Il doit y réfléchir. Son humilité l'inclinerait à accepter comme justes les intuitions et les formules des autres, son intelligence le force à tenir ses distances, à critiquer et à déterminer avec précision ce qui n'est pas correct. Sa prière est une prière appliquée, humble et surtout extrêmement soigneuse. Soigneuse dans sa préparation, dans tout ce qui l'entoure, mais soigneuse aussi dans sa délicatesse. Il a pour un homme quelque chose de très tendre. Il connaît une prière qui n'est ni sèche ni particulièrement remplie de consolations. Il ressent que c'est une telle grâce de pouvoir prier qu'il cherche à toujours maintenir sa prière à la même hauteur. La grâce tamisée que Dieu lui accorde quand il prie lui donne le sentiment de la paix dans la prière. Il serait méfiant s'il possédait cette paix par lui-même, mais il sait qu'en priant il la reçoit sans cesse comme un don de Dieu. La prière lui fait aussi trouver le juste équilibre entre la connaissance et l'humilité. C'est la prière qui lui donne la garantie de ce qui est juste et de ce qui est faux. Elle lui donne la force de défendre ses propres vues, qui sont bonnes, et d'engager le combat contre les vues nouvelles et fausses. La prière est le régulateur de son existence et de ses réactions. Parce que sa prière est humble, Dieu lui donne dans la prière la connaissance, et il lui donne aussi de faire passer dans son travail, en toute humilité, la sûreté de sa juste intuition. S'il n'était pas autant un homme de prière, il serait l'homme de la plus grande incertitude. Son humilité dégénérerait rapidement en découragement, en état maladif, son intelligence dégénérerait facilement en trop grande assurance. La prière est chez lui le centre qui décide de tout. Parce qu'il connaît ce qu'ont de vacillantes ses capacités, il sait chaque jour à nouveau qu'il ne peut compter sur lui-même, qu'il doit chercher auprès de Dieu toute assurance. C'est ainsi que, malgré ses oscillations entre hésitation et certitude, il peut poursuivre sa tâche d'une manière tout à fait systématique. Basile accueille l'Esprit, et à vrai dire pas pour un instant seulement, il l'accueille en tant que compagnon de sa vie, qui ne cesse de lui confier des mystères que lui, Basile, doit mettre en lumière de sorte que cela devienne sa propre mission. Quoi qu'il écrive et prêche, et aussi toutes ses relations avec les hommes, tout est pénétré de cette responsabilité de l'Esprit.


 

29 septembre

Pour chaque mission que Dieu le Père et Dieu le Fils et Dieu l'Esprit donnent aux hommes, Dieu leur donne la liberté de choisir. Ils peuvent l'accepter ou non, car ils ont la liberté. Dieu a créé l'homme à son image, et Dieu est liberté. Non pas la liberté de pouvoir faire le mal, mais la liberté en tant que nécessité librement choisie d'accueillir l'obéissance à Dieu.

 

Le Fils et l'Esprit sont dans le monde les porteurs de l'amour. Après avoir péché, l’homme ne peut pas par lui-même revenir à Dieu. Pour lui rendre possible le retour, Dieu envoie son Fils, le Fils et le Père envoient l'Esprit, et l'Esprit envoie tout homme qui est envoyé.

 

Le Christ donne aux siens l'Esprit de prophétie : les formes de possession de l'Esprit au temps des prophètes continueront d'exister au temps de l’Église, mais dans l'Eglise elles sont plus élevées, plus accomplies, infiniment variées et substantielles parce que le Fils, dans l'obéissance au Père, doit aussi se présenter lui-même. La parole du Christ résonne comme une parole de plénitude.

 

Dans la foi, il nous est permis de participer à tout ce qu'on aime, à tout ce qui nous intéresse ; et ce tout, en Dieu, c'est le monde entier parce que Dieu aime tous les hommes. Par la foi, on passe du particulier au tout : par celui qu'on aime, on passe à tous ceux qui aiment, par quelqu'un qui souffre à tous ceux qui souffrent, par quelqu'un qui est joyeux à tous ceux qui sont joyeux.


 

30 septembre

Marie a fait la cuisine, le Fils a raboté ; les deux n’en furent pas gênés pour être auprès du Père avec leurs pensées et pour former ensemble l’Église. Tout le quotidien était fait, et tout pourtant avait tout de suite sa relation à Dieu. On pourrait imiter cela.


 

Marie lance à Dieu sa prière comme une balle, avec la confiance qu'il la saisira.


 

Le Fils nous donne sa Mère pour nous accompagner.

 

Avec sa mission, Marie prépare dans l’Église les chemins du Fils ; elle sera comme un précurseur des chemins du Seigneur ; elle est l'origine de tous les précurseurs : en allant chez Élisabeth, elle a mis en mouvement Jean le précurseur. La mission de la Mère est la première dans l’Église.

 

Adam et Ève, le Christ et Marie sont créés par Dieu pour être ensemble. On ne pourrait pas écrire une histoire d'Adam et oublier Ève, ou une histoire de Marie et ne pas tenir compte du Seigneur. Ils sont ordonnés intimement l'un à l'autre.

 

"Un glaive transpercera ton cœur afin que les pensées d'un grand nombre soient dévoilées". Sans la souffrance de Marie, ces pensées n'auraient jamais été libérées par elles-mêmes. Pour beaucoup, le Christ est trop loin ; Marie par contre est un être humain comme nous, élevé par la grâce. Mon désir du Seigneur n'est pas évident pour moi, mais tout devient clair pour moi quand je vois Marie souffrir. Et ainsi, par la médiation de sa souffrance, j'arrive au Seigneur.

 

Quand Bernadette voit la Mère du Seigneur, le culte de la Mère dans l’Église en est certes rendu plus vivant, mais une mission mystique ne se limite jamais à ce qui est marial ; par Marie elle renvoie au Fils, par le Fils elle renvoie au Père. Tout ce qui se révèle du ciel a toujours un but trinitaire aussi bien qu'un but ecclésial, tout ce qui se trouve à la lisière est complément et décor, ce doit toujours être compris et lu en vue du centre : l'amour trinitaire qui, par la révélation chrétienne, veut se créer dans l’Église une nouvelle compréhension et un nouvel amour.


 

1er octobre

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (1873-1897)

Dans sa première jeunesse, elle voit son entourage comme le chemin qui lui est offert pour cheminer vers Dieu. Elle se sait déjà en chemin. Pour son entourage : père, mère et sœurs, elle a une admiration sans bornes. Tout tend vers la sainteté, s'enracine en elle, elle n'en voit que ce qui est beau. Quand ses sœurs aînées prennent le chemin du couvent, il va de soi pour sa candeur que son chemin à elle aussi est par là tout tracé. Tant qu'elle est à la maison, tout en quelque sorte est là, conçu exprès par le Bon Dieu, pour qu'elle ne s'éloigne pas de son chemin. Ce n'est que lorsqu'elle entre au couvent que cela change : maintenant un entourage lui est donné qu'elle doit accepter comme un tout, et ses sœurs y sont déjà. Elle, Thérèse, doit maintenant s'adapter. Elle doit maintenant grandir et trouver son propre chemin. Au sein de sa famille, elle glissait sur la voie existante. Au couvent et dans son milieu rigoureux, c'est un développement personnel qui commence. Le progrès qu'elle accomplit au couvent est à l'intérieur de sa prière ; il n'est pas psychologiquement constatable. Chacune de ses sœurs au couvent lui est donnée par Dieu. Pour elle, il n'y a pas de hasard, elle pense d'une manière tout à fait surnaturelle. Les sœurs du couvent lui apparaissent comme des personnes ayant purement et simplement une fonction. Sa fonction propre doit se conjuguer avec celle des autres pour former un tout. Ceci apparaît également dans ses lettres aux missionnaires : elle écrit en vertu de sa fonction à des personnes qui sont également en fonction. A la maison, elle était sur un chemin de joie. Tout ce qu'elle avait le droit de faire était beau. Au couvent, tout devient renoncement. Elle se tient devant son travail quotidien comme un peintre devant un paysage dans lequel il doit prêter attention à chacun des plus petits détails. Auparavant, elle pouvait vivre globalement dans la joie, maintenant tout doit être mis à sa place. C'est par ce qu'elle doit faire, et qui est dur, qu'elle retrouve ce qu'elle a le droit de faire. L'idée d'esprit d'enfance passe par une transformation. Pendant un certain temps, cette idée est accompagnée d'un léger trouble qui provenait du fait qu'elle avait parlé de l'apparition de Marie dans sa vie. Thérèse voudrait retrouver l'état qui était le sien auparavant. Mais ce thème s'estompe de plus en plus et il est remplacé par la "petite voie", la "petite sainteté", qui ne veut plus être rien de particulier, ni non plus rien qui relève particulièrement de l'esprit d'enfance.

 

2 octobre

Quand nous regardons une vague de la mer, comment elle se meut, se retourne et passe en d'autres vagues, quand de plus nous entendons constamment le ressac sur le rivage, cette vague unique est pour nous une parabole de la toute-puissance mystérieuse de l'océan ; devant cette plénitude, tous nos sens, tout notre être sont impuissants. Notre raison non plus n'en vient pas à bout bien que Dieu ait créé cette mer pour nous. Nous-mêmes, il nous a créés pour le Fils avec la mer et, avec le tout, nous sommes entraînés dans cette nouvelle croissance qui nous dépasse absolument. Nous pouvons aligner des parties de sens sans pénétrer jamais jusqu'au cœur de la vérité ni en avoir une vue d'ensemble, et l'instabilité infinie des choses nous renvoie au toujours-plus qui se trouve dans la parole de Dieu, en Dieu lui-même. Quand nous disons "plus grand", nous pensons en même temps "autrement", quand nous disons "autrement", nous avouons notre impuissance à saisir cet être-autrement. Nous avons une idée de l'être des choses, et même de la parole de Dieu, mais nous ne pouvons ni la saisir, ni la décrire, ni l'assimiler. Plus une vérité est en Dieu, plus elle est élevée, plus elle lui appartient, moins nous pouvons la comprendre. Le ciel de Dieu, tel qu'il est réellement, est aussi élevé au-dessus de nos représentations que le contenu divin de la parole de Dieu est au-dessus de ce que nous en comprenons. Si dans une assemblée de priants qui appartiennent vraiment à Dieu et qui cherchent à faire sa volonté, quelqu'un devait dire quelque chose de son frère, il exprimerait quelques petites choses compréhensibles, mais dès qu'il en viendrait à l'essentiel et qu'il devrait décrire quelque chose du mystère de son âme devant Dieu, de sa prière, de son don de lui-même, il ne pourrait plus que balbutier et il devrait bientôt se taire. Ce qu'est l'être humain par le Christ en Dieu, comment lui-même est transformé dans le toujours-plus de Dieu, on ne peut ni l'imaginer ni l'exprimer. Au beau milieu du pressentiment le plus brûlant, la parole doit déboucher dans le silence de Dieu.

 

3 octobre

Pour que nous puissions percevoir la voix de Dieu, il faut que nous soit enlevé ce qui nous empêche de l’entendre. J’enlève tout, non pour être vertueux, mais pour que Dieu soit libre à mon égard. En moi, il y a comme un crible par les trous duquel je regarde Dieu. Si les trous sont en partie bouchés, je vois moins bien, je vais chercher à les nettoyer. C’est dans la prière qu’on remarque le mieux où l’on a failli et ce qu’on doit changer, et non en se contemplant soi-même. A l’expression de Dieu, je vois ce qui est souillé dans mon âme.


 

Fidèle de Sigmaringen est tellement dans la main de Dieu que son propre destin lui importe peu ; il en arrive pour lui-même à une totale indifférence.

 

Il faut du temps pour nouer une amitié, il faut du temps pour entrer dans les vues de Dieu. Rien de ce qui est vraiment humain ne se laisse bousculer. Dans l’amour, l’homme ne se précipite pas simplement sur la femme pour la prendre, on ne conclut pas une amitié en une minute. Le Seigneur a toujours besoin de temps ; même quand il convertit quelqu’un soudainement, même quand il l’appelle tout à coup, il le prépare intérieurement à cet événement et il le prépare ensuite à ce qui va venir après.


 

C'est une règle générale que nous devons toujours laisser mûrir le temps pour comprendre le dessein de Dieu. Le grand achèvement du dessein de Dieu, d'où descend la lumière sur toutes choses, c'est le Fils. Mais l'apparition du Fils sur la terre n'est elle-même qu'un début, une ouverture à partir de laquelle il nous est possible de pénétrer toujours plus avant dans la plénitude insondable des mystères de Dieu en cheminant et en cherchant avec le Fils.


 

La chose la meilleure qu’un homme puisse attendre d’un autre homme ici-bas est qu’il le conduise à Dieu. La chose la plus haute qu’on puisse offrir à quelqu’un, c’est de lui transmettre la foi.

 

4 octobre

Saint François d'Assise (+ 1226)

François incarne à nos yeux l'amour chrétien. La sainteté que François rayonne nous apparaît comme parfaite. François est la personnification de l'amour chrétien. François est un nouveau départ de l'amour dans l’Église, une réalisation du don de soi total sous une forme toute nouvelle. L'amour est ce dont l'homme a le désir et le besoin aussi bien que ce que Dieu demande aux hommes. L'homme doit vivre de cet amour, s'en nourrir ; mais cet amour porte en lui l'exigence de devenir à son tour une nourriture pour les autres. Ce qui est caractéristique pour François, c'est sa volonté d'aimer dans le cadre des conseils évangéliques. Il aime Dieu et les hommes, et il veut inclure dans son amour tout ce qui a été créé par Dieu. Il est clair pour lui que cet amour fait sauter d'emblée le cercle de ce qui est privé parce que Dieu veut qu'il soit imitable, contagieux. François doit transmettre la recette de l'amour qu'il utilise pour lui. Dans sa louange de Dieu et de toutes les créatures, il doit montrer comment, par le don de l'amour, il est devenu quelqu'un qui aime, et qu'ainsi aussi il a compris l'exigence qu'a l'amour d'être transmis. On pense trop peu au fait que, par François, la Mère de Dieu a acquis une nouvelle place dans l’Église : par la manière d'aimer de François qui est faite d'humanité et de service. Peut-être que François n'a pas pensé à Marie de manière aussi totalement primaire qu'Ignace mais, dans son amour du prochain, il a réalisé ce qui est marial. Bien des choses dans les vérités, les actions, les règles de saint François nous donnent à penser : est-ce que ce n'est pas Marie qui a inspiré cela ? Partout on trouve le féminin, le maternel, le marial.


 

5 octobre

"Donne-moi ton amour et ta grâce, cela me suffit" (saint Ignace). Sans la grâce et l'amour, je ne peux pas vivre pour toi. Ce n'est qu'avec ton amour et ta grâce que je peux rester dans la prière. La grâce et l'amour sont l'expression de ce que Dieu Trinité peut donner à l'homme pour qu'il reste fidèle dans sa prière et pour que celle-ci ne devienne pas une production devant Dieu, quelque chose qui repousse Dieu toujours plus loin, mais quelque chose qui demeure uni à l'Esprit Saint. Rester uni à l'Esprit est toute la richesse de l'homme, et la prière est la preuve que l'Esprit de Dieu habite en lui.


 

Saint Fidèle de Sigmaringen, capucin (+ 1622), est tout près de vivre dans une prière incessante. La prière lui a servi longtemps d'arme contre lui-même, contre ses fautes, contre ce qu'il pouvait découvrir en lui d'imparfait ; il demandait toujours à Dieu avec beaucoup d'ardeur de lui enlever ses fautes et il s'imposait comme punition des exercices de pénitence avec une grande rigueur. Par la prière, il est arrivé jusqu'à la sainteté presque selon un programme. Dans son grand zèle pour le salut de l'âme de tous ceux qu'il rencontre, il n'oublie jamais qu'il a à rester un instrument, en étant tel qu'il puisse faciliter le travail de Dieu. Ainsi non seulement il ne cesse de rendre à Dieu des comptes stricts, mais il fait pénitence, il s'impose beaucoup de pénitence en expiation, beaucoup de prière pour les âmes qui lui sont confiées, beaucoup de prière finalement pour la fécondité de toute rencontre. Avec cela il garde une sérénité d'âme qui cache presque totalement l'ascèse de sa vie si bien que personne ne soupçonnerait à quel point il mène une vie de pénitent. Il n'est pas particulièrement doué pour la parole, mais il se donne beaucoup de mal ; il est si convaincu que l'Esprit Saint doit parler par lui - dans la confession comme dans la prédication -, qu'il fait constamment déboucher sa prière dans une double demande : qu'il ne soit pas un obstacle à l'Esprit Saint et que l'Esprit Saint opère lui-même dans les personnes. Il ne permet à ses pensées aucune divagation, du moins quand il est seul ; elles doivent rester auprès de Dieu. Quand il se détend au milieu de ses confrères - souvent par devoir -, c'est le plus possible dans l'Esprit de Dieu, dans la joie des enfants de Dieu. Et quand les conversations n'ont pas tourné autour de Dieu, il cherche alors par la suite dans la prière à donner à ce qui a été dit une nouvelle tournure. Il est tellement dans la main de Dieu que son propre destin lui importe peu ; il en arrive pour lui-même à une totale indifférence.

 

6 octobre

Marie a la grâce ; par conséquent elle peut, en collaborant, mériter de dire oui pour réaliser en elle toute la grâce. Ce qui veut dire aussi que la Mère a l'Esprit. Tout d'abord elle a pour ainsi dire l'Esprit de l'ancienne Alliance sous la forme de la foi en Dieu et en sa promesse ; en raison de sa disponibilité, elle peut recevoir l'Esprit de la nouvelle Alliance, car le Seigneur prépare sa Mère de la même manière que plus tard il établira son Église. Il trouvera des hommes qui seront prêts, dans la foi, à recevoir l'Esprit comme il l'envoie.


 

Quand l’Esprit Saint de Dieu se communique à nous d'une certaine manière, nous apprenons à croire ce qu'il connaît et ce qu'il aime. Pour nous, cela signifie avant tout que nous nous laissions prendre par l'Esprit ; tout ce que nous connaissons et aimons, nous le mettons à la disposition de l'Esprit de telle sorte que nous le retrouvions dans la foi sous une forme qui correspond à sa connaissance et à son amour. Si nous faisons cela sérieusement, nous n'en serions plus à tâtonner longtemps dans notre foi, ni à chercher le véritable amour, mais nous nous soumettrions à l'Esprit dans une sorte de prière habituelle et d'offre globale pour nous laisser illuminer et transformer par ce qui lui appartient. Notre foi resterait la foi bien sûr, parce qu'elle ne saisit jamais totalement le divin, mais elle serait en tout point une foi authentique parce que, en raison de sa soumission, elle aurait été remise à la vérité de l'Esprit.


 

L’amour de Dieu pour moi ne fait pas l’ombre d’un doute ; ce qui est douloureux, c’est bien plutôt que nous n’avons pas répondu à cet amour comme il fallait ou plutôt que nous n’y avons pas répondu.

 

Notre temps d'ici-bas nous est laissé pour consentir à la vie éternelle qui nous est offerte.

 

Il y a des âmes qui se ferment à l'amour, elles doivent être forcées comme à la dynamite. Il y a ceux qui tout en connaissant l'amour de Dieu ont refusé la grâce. Est-ce que Dieu le fait ?

 

Toute prière authentique veut ce que Dieu veut : l’union du monde avec lui.

 

7 octobre

Quand la vérité de Dieu est devenue si évidente pour un chrétien qu'elle définit sa vie, elle façonne avant tout son amour : pour Dieu, pour les commandements de Dieu, pour le prochain. Celui qui vit dans la vérité de Dieu est conduit de lui-même à l'amour effectif. En mettant l'amour en œuvre, il essaie d'imiter le Fils incarné. L'apostolat est un fleuve qui coule de lui-même à partir de la source de l'amour. Parce que l'Esprit Saint est cette source, tout apostolat chrétien vivra d'emblée des dons de l'Esprit : les dons qui concernent la communication et les dons qui favorisent le recueillement et la croissance dans l'amour. Parce que l'amour de Dieu sur la croix s'est fait connaître comme un amour qui se répand jusqu'à la folie et que nous savons que l'amour de Dieu dans l'Esprit a les mêmes propriétés, l'apôtre ne peut rien garder pour lui, il doit tout prodiguer. L'apostolat provient de l'amour, son organisation doit provenir des dons de l'Esprit.


 

Savonarole aime les hommes d'autant plus qu'ils sont plus croyants, qu'ils se trouvent plus près du Seigneur. Mais tout d'un coup une grande compassion le saisit à nouveau, il aime alors aussi ses ennemis et il voudrait en faire ses amis. Cependant il ne les aime jamais dans la paix, c'est toujours dans le combat. Il les aime comme des êtres qui lui sont confiés, qu'il doit conduire à Dieu.

 

Adrienne. Au cours des consultations, il y avait toujours ceux que j'aimais et ceux que je supportais : les maniérés, les compliqués qui font tout un drame de leurs bobos ; et maintenant je remarque que ce sont justement ceux-ci qui ne connaissent pas assez l'amour, qui sont privés de la grâce, et il faut leur donner de l'amour pour remplacer la grâce que Dieu ne leur a pas encore accordée. Et je commence à comprendre, presque encore comme un balbutiement, que l'amour de Dieu, transformé en nous en amour humain, peut aider à attirer sa grâce.

 

Jean, le disciple bien-aimé, ne se met jamais en avant, même dans la prière. Il ne demande pas à tout instant à son ami quel service il pourrait lui rendre ou quels sont ses désirs. Par ces questions indiscrètes, il mettrait plutôt en évidence son propre amour, au lieu de penser à celui qu'il aime. L'amour véritable se tient prêt pour le moment où l'on aura besoin de lui. L'amour ne se fait jamais remarquer lui-même.


 

8 octobre

Saint Pierre Claver (+ 1654). Sa relation la plus personnelle avec Dieu est insérée dans une vision de sa mission : par la grâce que Dieu lui donne, par l'amour de Dieu qu'il reçoit de sentir, il comprend ce que sont au fond la grâce et l'amour de Dieu. Dans cette grâce qu'il reçoit, il ne se sent pas comme un élu, comme un saint, il pense qu'une grâce de cette sorte est offerte à chacun. Quand il sort de la prière, il voit dans ses protégés ceux qui sont attendus par Dieu, ceux qui doivent faire le nombre.


 

Madame Acarie (+ 1618) connaît un certain amour enthousiaste, une extase qui n'est pas peu considérable et elle tire profit des grâces de Dieu. Elle connaît aussi une certaine sécheresse dont elle prend son parti avec humour. Aussi vive qu’elle soit, vis-à-vis de Dieu elle est sans prétention.

 

Jützi Schulthasin (dans Schwesternbuch de Töss, XIVe siècle). Sa prière représente pour elle une nécessité absolue. En somme, elle doit prier pour rester en vie. En priant, elle connaît, et cette connaissance embrasse toute sa vie et la remodèle. Elle laisse faire la grâce.


 

Sainte Hildegarde (+ 1179) fait un jour une découverte qui ne lui est pas donnée dans une vision mais qui survient comme par hasard : elle découvre que telle intuition professionnelle n'était pas un don naturel mais une grâce, et donc que son activité médicale ne se trouve pas en dehors de sa vie de prière, que les deux ne font qu'un et doivent ne faire qu'un.


 

Otton, évêque de de Bamberg (+ 1139), est convaincu que, lorsque quelqu'un exerce une fonction dans l’Église, Dieu lui donne la grâce non seulement de l'exercer comme il faut mais aussi d'atteindre une plus grande intelligence dans l'amour et une plus grande intelligence de sa nécessité. Mais cette intelligence ne peut lui venir de nulle part ailleurs que de Dieu et donc par la prière.


 

9 octobre

Supposons qu'un étudiant prenne des notes lors d'un cours compliqué de philosophie ; certaines phrases le frappent comme très importantes, lui semble-t-il, mais il ne voit pas bien l'ensemble, les prémisses qui ont conduit à cette formule concentrée ne sont pas claires pour lui. S'il devait expliquer à un autre étudiant l'ensemble du cours, il ne pourrait balbutier que quelques mots, et l'autre n'arriverait pas vraiment à comprendre. S'il était doué, il pourrait rapidement détromper celui qui lui donne un résumé du cours et lui montrer que son savoir ne tient pas ; s'il en est incapable, l'exposé qu'on lui fait ne lui apprendra rien. Ce que les évangélistes auraient pu fournir par leurs propres forces aurait été quelque chose comme ce genre de notes médiocres. Mais pendant qu'ils écrivent, l'Esprit les inspire.


 

Un évangéliste écrit sous l'inspiration. Il a son plan, il suit un fil conducteur, il a sous les yeux une certaine image du Seigneur, il met en ordre tout ce qu'il a appris par lui ou sur lui. Il a une forme et il a les matériaux. Que des deux il en sorte quelque chose de valable, c'est l'Esprit Saint qui l'obtient. Il en est de même pour un écrivain qui veut écrire une nouvelle : il a ébauché le fond, il a esquissé bien des scènes ; avec ce qu'il a sous la main, il lui suffirait de quelques minutes pour en faire un récit. Pour produire le récit réel, il lui faut compléter et travailler. L'évangéliste est conduit par l'Esprit. Si, par la suite, il relit ce qu'il a écrit, il reconnaîtra certes son plan, c'est donc bien ce qu'il avait l'intention de faire ; dans son travail d'écriture, il savait sans doute ce qu'il écrivait, mais il est étonné quand même parce qu'il y a dans l'œuvre achevée beaucoup plus que ce qu'il aurait pu faire lui-même.


 

Dans les différents évangiles, les événements sont éclairés de manière très différente ; les déplacements de point de vue empêchent que tout puisse être ramené à un dénominateur commun. En fin de compte, ces déplacements ne doivent pas être imputés aux caractères différents des auteurs humains, mais aux intentions de l'Esprit Saint. Dans le même fait, il peut avoir "remarqué" deux points de vue auxquels il donne deux "visages" lors de l'inspiration ; c'est à nous, qui arrivons après et qui méditons, qu'il revient de découvrir, dans ces déplacements, la richesse de l'événement.


 

10 octobre

Dieu aime les hommes parce qu'il les a créés. La raison pour laquelle il les aime est totalement divine, c'est sa propre satisfaction. L'amour du Fils pour les hommes provient du ciel ; en venant de là, il l'emmène avec lui comme amour divin. Devenu homme, il doit aimer les hommes comme l'un d'entre eux. Son commandement : "Aime ton prochain comme toi-même" vaut aussi pour lui.


 

Après la venue du Fils, les siens vivent dans la joie de le suivre, une joie qui a un autre caractère que la joie de la création parce que maintenant demeure sur terre cet amour divin qui, en tant qu'homme, a aimé tous les hommes et, en tant qu'homme, aime le Père avec tous les autres.

 

L’Écriture suppose que nous avons du bon sens.

 

La foi est fixée par l’Écriture.

 

Tous ceux qui croient au Seigneur et qui l'aiment, le tiennent dans l’Écriture pour aussi vivant qu’il l’était dans les bras de sa mère ; et dans l'amour, ils peuvent apprendre de la contemplation de la Mère à le contempler comme Marie le faisait dans l'amour. Si on met au centre ce vécu de la Mère avec l'enfant sur son sein, on peut à partir de là contempler toute la vie du Seigneur, mais aussi jeter un regard en arrière sur la promesse, sur l'Ancien Testament et même pénétrer la création.

 

11 octobre

Saint Pacôme (292-346)

Saint Pacôme prie avec amour et plénitude ; il est plein de l'espérance qu'il pourra toujours aimer, que son amour sera fécond, que Dieu se sert réellement de lui. Il emporte les hommes avec lui dans sa prière ; c'est comme s'il ne voulait pas se permettre de se tenir seul devant Dieu. Il emporte toujours les hommes sur qui il a des desseins, mais toujours aussi quelques inconnus. Il demande alors à Dieu de rendre son amour fécond, et aussi de rendre fécond l'amour de ceux qu'il emporte avec lui, les connus et les inconnus. Quand il emporte des inconnus dans sa prière, il sait qu'ils sont connus de Dieu, que Dieu lui-même les a associés à sa prière. Il emporte des hommes dans sa méditation aussi bien que dans sa prière d'intercession. Quand, dans sa contemplation, il apprend ou voit quelque chose de Dieu, il ne voudrait pas être le seul à apprendre et à voir, c'est pourquoi il emporte des hommes avec lui. Et quand alors, dans le rayonnement de l'amour de Dieu, il se trouve totalement pénétré, animé, réchauffé, capable de plus d'obéissance, il voudrait aussi partager tout cela avec ceux qu'il a emportés dans sa prière pour qu'eux aussi éprouvent la proximité de Dieu et ses effets.


 

12 octobre

Il reste à Pâques quelque chose de la fatigue des jours saints. Comme si le Fils ressuscité aussi devait se souvenir du prix payé par lui pour conduire le monde à la lumière du Père, d'autant plus que ce prix n'est plus son affaire mais que, par sa grâce, elle est aussi celle des corédempteurs, de ceux qui l'ont accompagné à la croix. S'il ne s'agissait que de sa propre fatigue, elle serait annulée dans sa nouvelle existence. Ce qui n'est pas annulé, c'est ce que les siens, qu'il invite à collaborer, font avec lui, et ainsi il emmène dans sa joie de Pâques un peu du leur. Pas du tout comme une souffrance ou une gêne, mais comme un souvenir concret.


 

"Je suis la lumière du monde", "Je suis la vérité" : des paroles de ce genre, à peine compréhensibles ici-bas, déploient leur contenu dans le ciel ; ici-bas, seul le thème est donné, au ciel toute la phrase est passée.


 

"Qui me voit, voit le Père". Le Père se révèle dans le Fils. Le Père a son image dans le Fils. Nous entendons le Père puisque le Fils est la Parole du Père. Durant toute sa vie terrestre, le Fils n'est pas seulement celui qui a été engendré du Père par l'Esprit dans la Vierge, il est continuellement celui qui révèle le Père, le voyant qui voit la lumière du Père, qui vit de la nature et de la présence du Père. En se révélant lui-même, le Fils révèle continuellement le Père.

 

LÉcriture est un mystère d'amour parce qu'elle est un moyen que Dieu prend pour se communiquer à nous et se rapprocher de nous. Elle doit être vivante pour chacun, elle contient pour chacun personnellement ce qui est important pour lui et pour son chemin vers Dieu.


 

13 octobre

Le Père et le Fils s'aiment dans la prodigalité et la fécondité. En Dieu il n'y a pas de simples protestations d'amour, le Fils participe à la procession de l'Esprit Saint, et l'Esprit participe au devenir et à la naissance du Fils ici-bas. Il se prodigue dans le baptême comme le Fils dans l'eucharistie. Il se communique à tous les chrétiens qui sont baptisés et confirmés, qui reçoivent ensuite d'innombrables fois le Seigneur et qui, à leur tour, répandent dans le monde la vie qu'ils ont reçue. L'Esprit n'est pas dépassé pour autant, parce qu'il communique aux cœurs la connaissance croissante du Fils.

 

Le Fils devient homme et il accomplit en tant qu'homme son œuvre de rédemption sans se détacher pour autant de son unité avec le Père et l'Esprit, dans une vie terrestre donc qui possède en même temps une vision totale du ciel.

 

Notre intelligence ne peut pas expliquer l'unité de nature des trois personnes divines, mais en tant que croyants nous ne cessons de trouver dans le Christ des traces et des preuves de cette unité. Il fait ici-bas la volonté du Père sans sortir de l'unité divine. En tant que Dieu (qui est devenu homme), il reste dans l'unité avec le Père et l'Esprit, et son obéissance ici-bas est l'obéissance de celui qui, par nature, ne fait qu'un avec eux, qui connaît exactement la volonté du Père, qui ne s'est jamais séparé d'elle et qui la fait ici-bas par définition parce que son incarnation déjà était l'expression de la volonté du Père.

 

Le Fils nous construit un pont en donnant à ses actes temporels une valeur supra-temporelle. Cette valeur n'est un tant soit peu dévoilée que pour le croyant ; par la méditation de la vie du Christ, elle peut se dévoiler à lui toujours plus profondément. L'acte de la rédemption sur la croix possède une actualité perpétuelle, sa résurrection tout autant. Peu importe que l'éternel se voile ou se dévoile davantage dans une action particulière, Dieu agit toujours pour que ce soit le mieux pour notre salut. Ainsi en est-il des relations du Seigneur avec ses disciples croyants.

 

14 octobre

N'est-il pas vrai que dans l’Église d'aujourd'hui l'image de l'Esprit est beaucoup plus brouillée que celle de l'hostie ? Chacun veut être plus malin que l'Esprit. Et par ce refus de l'Esprit, tous les sacrements sont diminués. On le reconnaît peut-être de la manière la plus immédiate pour l'eucharistie parce que le Seigneur et l'Esprit forment ici pour notre intelligence une unité compréhensible, car ce n'est que dans l'Esprit de Dieu que j'affirme que ce pain est la chair du Christ.

 

Le Seigneur a concentré dans l'eucharistie toute sa vie pour tous les hommes.

 

De même que dans l'incarnation du Fils c'est Dieu Trinité tout entier qui est devenu concret pour nous, de même dans l’eucharistie nous sommes saisis intérieurement par l'humanité concrète du Christ et ramenés à Dieu Trinité.

 

A propos de la présence réelle du Seigneur dans les églises. Pour que le Seigneur soit réellement là, il ne suffit pas de sa présence réelle, il y faut aussi la foi des gens. Si manque celle-ci, la présence réelle ne sert à rien, c’est comme si le Seigneur n’était pas là.

 

 

Quand le Saint-Sacrement est exposé, l'important est que le Seigneur attend notre participation, que nous fassions attention à lui, que nous le regardions, que nous nous souvenions qu'il est là pour nous.

 

Au ciel, il n’y a pas d’esprit blasé et saturé. Dans l’accomplissement, il y a encore toujours un désir. La vision de Dieu au ciel n’est jamais quelque chose de terminé, comme si l’accomplissement de mon existence terrestre ne réservait plus rien pour l’éternité. Il y a la plénitude dont on est rendu digne par la vie terrestre et le purgatoire et la rédemption, mais cette plénitude qui est atteinte n’est pas un point final ; elle est un point de départ de la vie céleste. Seulement, au ciel, le désir ne va jamais plus dans le vide, il va toujours vers une nouvelle plénitude.


 

15 octobre

Sainte Thérèse d'Avila (1515-1582)

Dans sa prière, souvent elle se laisse totalement diriger ; d'autres fois, elle garde la prière dans ses mains. Elle sait, de manière méthodique, ce qu'elle veut demander au Père, ce qu'elle veut demander au Fils, ce qu'elle veut demander à l'Esprit. Il y a des moments où elle dispose les choses d'une manière parfaitement claire : ceci pour Dieu, cela pour un saint, etc., selon ses besoins quotidiens ou des plans plus vastes, pour une maison, une personne, une fondation. Elle est alors si décidée qu'on a le sentiment que Dieu n'a pas le droit de changer un iota à ce qu'elle veut maintenant. On s'effraie un peu de voir cela et on voit aussi pourtant que sa volonté à elle lui est inspirée par Dieu lui-même. Le tout peut parfois prendre un air martial. Quand la grande Thérèse explique à ses filles le chemin de la sainteté, elle part de ses propres fautes d'autrefois, qu'elle connaît bien, et elle montre comment on évite les fautes de ce genre ou comment on s'en débarrasse. Elle ne s'arrête pas à ses fautes d'autrefois, mais elle s'en sert comme matériaux pour ses explications. De même que la grande Thérèse interrompt son extase pour préparer un repas, ainsi toute personne dans l’Église, prêtre ou laïc, doit interrompre sa contemplation pour faire ce que réclame l'amour du prochain.

 

16 octobre

La qualité de l'Esprit dont nous percevons la présence dans notre prière est quelque chose "qui n'a pas d'apparence", mais il veut nous rapprocher du Père et du Fils dans l'acte de l'amour et une totale disponibilité. Nous devons vivre comme lui dans l'échange entre eux et avec eux, en renonçant à toute prétention, comme l'Esprit renonce à tout ce qu'il pourrait devenir : Esprit d'humilité, de générosité et de don de lui-même.


 

C'est surtout dans la prière que l’Esprit Saint se dévoile. Nous savons que nous ne pouvons pas prier sans lui. Si nous sommes vrais et si nous prions vraiment, il nous donne la matière de notre prière : tout à la fois les mots, les sentiments et l'attitude. Il nous forme lui-même tout comme il a formé la personnalité du Fils lors de l'incarnation. C'est lui qui, dans la prière, nous présente au Père et au Fils, qui transforme si bien notre esprit qu'il reçoit les traits que le Fils veut lui donner pour que le Père reconnaisse en nous le Fils.


 

Parce que le Fils est devenu homme, on est tenté de s’adresser surtout à lui dans la prière, comme si, du fait de son expérience du monde, il était plus à même de nous comprendre. Et quand arrive la fête de l'Esprit, il semble un peu pénible de devoir maintenant s'occuper surtout de lui, de lui confier notre prière. Mais dès qu'on le fait, on remarque que la difficulté qu'on redoutait n'existe pas. La prière est seulement devenue autre parce qu’on se sait maintenant enveloppé par l'Esprit, comme si c'était en s'approchant de lui qu'on apprenait par expérience qu'on demeure pour ainsi dire en lui, qu'on est protégé en lui. Il sait d’emblée ce qui est à dire dans la prière, pourquoi on le prie et, par son omniscience, il nous rend la prière facile. Mais cette prière à l'Esprit Saint a une particularité, plus que d'habitude on pressent la grandeur et l'immensité de Dieu ; on sait que ce qui nous est personnel et qu'on apporte trouve un écho, mais sur un plan qui se trouve très haut et qui inclut déjà les solutions, qui les connaît et les possède. On a l'impression de lui apporter des récipients vides et l'Esprit les remplit. On n’est pas en mesure d’observer le processus, mais il en est ainsi. Les récipients remplis, l'Esprit les emporte avec lui et il les porte au Père et au Fils. Il joue le rôle de l’intermédiaire mystérieux qui nous enlève ce qui nous appartient. La question de savoir ce qu'il en fait ne se pose pas. Il prend la prière avec tout ce qui la rend plus difficile, plus incompréhensible, peut-être aussi plus problématique et, à la place, il nous donne l'assurance d'un échange vivant en Dieu Trinité.

 

17 octobre

Saint Ignace d'Antioche (+ 107)

Il prie très simplement, très près du Seigneur, et en même temps très près de l'Église. Avec une conscience de la relation entre l'Église et le Seigneur comme personne pour ainsi dire ne l'aura plus jamais par la suite. Il ne peut pas prier pour lui sans prier pour l'Église et il ne peut pas prononcer le mot Église sans voir le Seigneur. Il se sent lui-même membre de l'Église, mais le Seigneur est la tête de l'Église ; il est inséparablement uni à elle, mais sans fusion aucune entre les deux. Il voit le Christ et l'Église comme faisant deux, mais deux qui sont si intimement unis qu'on ne peut voir l'un sans l'autre. Pour Ignace, il est impensable d'adorer le Seigneur sans lui présenter l'adoration de toute l'Église. Sa prière est simple, mais très réfléchie. Il a l'impression que ce qu'il voit clairement de l'Église et du Seigneur, il doit sans cesse l'exprimer dans sa prière. La prière n'est pas seulement pour lui un besoin, elle est aussi un devoir et une tâche. Quand un problème le préoccupe, il l'emporte dans sa prière. Il ne prie pas pour y voir clair, mais il prie tout en pensant et en réfléchissant. Il ne considère pas non plus la prière comme un moyen pour acquérir une meilleure connaissance. La prière est pour lui ce qu'il y a de plus haut, et il y insère sa réflexion et sa recherche. Il ne saurait faire autrement que chercher et agir dans la prière.

Prière. Seigneur, me voici comme ton serviteur dans ton Église avec la volonté de te servir dans cette Église, de te servir de telle sorte que non seulement je garde le titre de serviteur, mais que je ne cesse de le revevoir. Tu vois combien la foi en toi et la foi en ton Église me remplissent ; si totalement que je ne voudrais plus rien faire qui ne soit tien. Mais je me connais et je sais combien je suis faible. Je sais aussi que ton Église n'a pas encore totalement saisi ton amour, qu'il y a encore en elle beaucoup de choses qui nous sont propres à nous, hommes et pécheurs, et qui ne peuvent être transformées que péniblement en ta pureté et en ta bonté. Je vois ton amour, Seigneur, dans le fait que tu me permets de travailler dans ton Église, de lui donner la forme que tu désires, dans le fait que tu me montres cette forme pour que je contribue à la faire devenir réalité. Je sais également ceci : pour que ma tâche soit accomplie de telle sorte que tu en aies de la joie, tu dois d'abord me transformer moi-même, tu dois faire que la foi que j'ai en toi devienne efficace afin que, par ta grâce, qui est l'amour et qui vit en moi parce que tu m'en as fait le don, je transmette à l'Église tout ce que tu me donnes de sorte que l'Église elle-même puisse se former pour devenir ton épouse. Je t'en prie, Seigneur, bénis ton Église, bénis-moi dans ton Église et bénis tous ceux qui, par ton Église, entrent en elle, tous ceux qui par nous, tes serviteurs, sont appelés à entrer dans l'Église. Fais que l’œuvre que tu as faite en tes apôtres s'étende et se développe en nous, afin que la foi en toi et en ta présence devienne toujours plus vivante parmi nous. Amen.

 

18 octobre

Saint Luc

Son attitude intérieure est essentiellement déterminée par le fait qu'il a abandonné sa profession pour se laisser prendre sans garantie par sa nouvelle vie. Son intelligence d'autrefois, ses capacités d'autrefois, il les emmène naturellement avec lui, mais il les soumet globalement à un contrôle dans la foi. C'est comme s'il séparait constamment ce qu'il a appris, ce dont il est capable, de ce que maintenant il doit pouvoir faire. C'est par ses capacités qu'il se distingue des autres disciples du Seigneur. Il est plus cultivé, plus différencié. Pour lui-même, cela ne lui fait aucune impression, il est tout à fait humble, il ne veut que ce qui est au Seigneur, et il ne cesse de chercher à perdre en lui ses connaissances et ses capacités. Et cela, non par manque d'assurance ou de raison, mais avec la certitude de celui qui a choisi. Tout ce qui a été jusqu'à présent demeure secondaire, l'essentiel vient maintenant et le passé doit s'adapter. Par rapport à Paul et aux autres apôtres, il est touchant de voir comment il approuve ce qu'ils font, comment il leur fait partout crédit. Il a une certaine forme d'amour à laquelle font défaut les élans ; non qu'il en serait incapable, mais il suit en quelque sorte une "petite voie" (comme la petite Thérèse) pour aider en tout les autres afin qu'ils puissent mieux accomplir leur service du Seigneur. Il renonce à ce qui lui est personnel. Il a aussi une certaine manière de s'appuyer sur les autres, il a devant les autres une attitude humble. En s'appliquant à faciliter en tout leur service, il cherche aussi à faire ce qu'ils désirent ; ce qu'il fait lui-même, il ne le met jamais en lumière. S'il commettait un péché, il craindrait de faire tort non seulement au Seigneur mais aussi aux autres. Il prie beaucoup. Et très modestement, très exactement. Il prie un peu comme on exécute un travail scientifique, comme un médecin. Il y a un système dans sa prière. Elle se déploie comme une histoire de malade : du constat des symptômes au diagnostic et au traitement. Tout ce qu'il voit est pour lui une occasion de prière. Il est peut-être le disciple qui prie le plus pour l'apostolat et pour les apôtres, et qui assume aussi dans sa prière leurs soucis privés et leurs désirs. Il est aussi un peu celui qui exhorte les autres, mais avec une humilité infinie et non sans avoir d'abord tout présenté à Dieu. Il est très dépendant de Paul, mais il ne va jamais jusqu'au bout de sa réflexion au sujet de sa relation personnelle aux apôtres. Il n'y prend peut-être pas particulièrement plaisir, mais il n'y réfléchit pas. Il est adjoint à Paul, il lui est subordonné, il note tout et fait tout ce qui est à faire ad majorem gloriam Pauli. Dans sa contemplation, il part toujours du Seigneur, tel qu'il le connaît. Quelque chose qu'il connaît, qui le préoccupe, qui peut être utile, c'est là qu'il commence. Et de là il entre dans la contemplation. Celle-ci également a quelque chose de très ordonné, presque de scientifique, comme son inspiration ; il y a une grande ressemblance entre les deux. C'est comme s'il insérait son inspiration dans ce qu'il sait déjà. Il pourrait presque écrire son évangile de mémoire. Mais au moment où il le pourrait, tout est repris et enrichi par l'inspiration si bien qu'il doit le faire et le faire plus grand qu'il n'aurait pu le faire de lui-même. En écrivant il n'est lié à aucun état particulier. Son inspiration a quelque chose de tout à fait paisible, il entre simplement en elle comme dans une obéissance.


 

19 octobre

Il y a une prière qui est une réponse : prière d'obligation, prière de bienséance, adoration. Mais il y a une prière dont le sens n'est pas d'abord celui d'être exaucé, elle est une démonstration d'amour pour Dieu dont la personne a déjà reçu l'amour.

 

Celui qui est tout entier dans l'amour sait qu'il ne commettra plus de péché. Ou bien il a la certitude que ce qu'il commettra encore de péchés sera moindre que ce qu'il a commis.


 

Le Christ est Dieu et homme tout à la fois, et il empêche absolument par son existence que Marie puisse jamais s'approcher du péché. Ce qui fait la nature du péché originel, c'est l'envie de pécher ; Adam n'a pas pu l'empêcher chez Ève tandis que pour sa Mère le Seigneur l'enlève tout de suite totalement, il l'empêche même d'emblée. La relation Adam - Ève est en quelque sorte un stimulant pour le péché originel tandis que la relation Christ - Marie est un mur contre le péché originel. Adam et Ève sont bannis ensemble tandis que le couple Christ - Marie entre en scène contre ce bannissement et ouvre à nouveau le chemin du ciel, ramène l'homme en Dieu. Comme Adam a eu besoin d'Ève pour pécher, le Seigneur ne veut pas ouvrir sans la femme le chemin de la grâce.

 

La mission de la Mère ouvre la voie à la mission du Fils. En accueillant le Fils, elle accueille sa mission ; la mission de la Mère est néanmoins tellement incluse dans celle du Fils qu'il se couperait de sa propre mission s'il se coupait de la mission de sa Mère. Si au mont des oliviers il éprouve de l'angoisse surtout pour sa Mère, ce n'est pas parce qu'elle pourrait pécher, mais pour qu'elle et sa mission en bénéficient : comme si, dans sa passion il devait d'abord "en finir" avec la mission de sa mère pour que soit garantie sa mission de compassion. Ce n'est qu'après avoir tremblé pour elle qu'elle pourra lui donner à la croix son propre tremblement sous une autre forme, préparée totalement pour sa mission à lui. Parce qu'il a souffert d'abord pour elle, elle est autorisée à souffrir ensuite avec lui. A la croix, elle sera dans la crainte et le tremblement, non seulement du fait qu'elle est sa mère humaine, mais parce qu'elle a une mission avec lui. Elle a une mission avec lui parce qu'elle a tout d'abord porté la mission du Fils. Elle ouvre ensuite à la croix ce qu'il avait d'abord ouvert pour elle au mont des oliviers : la possibilité pour les croyants de souffrir avec le Fils.


 

20 octobre

Le Fils parle toujours au Père et aux hommes dans la plénitude de l'Esprit ; quand nous répétons ses paroles - le Notre Père par exemple - nous les disons parfois dans l'Esprit, mais très souvent seulement selon la lettre : nous réduisons tout un édifice à un seul point. De là découle la nécessité absolue de la méditation dans la prière et dans toutes nos relations avec la parole de l'Écriture Sainte : elle ne peut être comprise dans la foi qu'avec sa dimension d'inspiration. Cela requiert un effort parce que notre condition de pécheurs éprouve le besoin effrayant d'éteindre partout l'Esprit.


 

Qu'un incroyant dise n'importe quel mot, c'est une chose ; qu'un croyant utilise le même mot, c'est autre chose, car le croyant est obligé d'accorder sa place à Dieu dans la plus petite chose qu'il dit. S'il néglige de le faire, il s'éloigne de la vérité, il laisse le mot se réduire et il l'utilise finalement comme le fait le non croyant, dans une négation pratique de Dieu, dans un rejet de sa foi et de sa responsabilité existentielle.


 

Le scientifique qui se pose la question de l'origine dernière doit accepter qu'il existe une origine au-delà du monde. Les dieux des païens sont une preuve qu'il existe une connaissance naturelle de Dieu, mais ils révèlent en même temps les impasses où s'engage cette connaissance si elle reste en dehors de la révélation centrale de Dieu. Si la connaissance naturelle de Dieu suffisait, les hommes devraient avoir dès le début un Dieu et une foi. Mais si le Dieu vivant se révèle dans l'histoire d'Israël et dans le Christ et dans toutes les voies du salut qui s'y rattachent, il montre ainsi qu'une révélation "naturelle" ne suffit pas à l'homme. Elle peut être pour la question une première impulsion, une chiquenaude qui met tout en branle ; mais s'il n'y avait rien de plus, l'homme, très vite, mettrait à nouveau à la place de Dieu ses propres images, des images de lui-même. Les idoles sont le signe évident que l'homme sait que Dieu s'est réservé son lieu, mais il sait aussi qu'il est incapable de garder cette place libre pour Dieu. La connaissance naturelle de Dieu peut conduire l'homme jusqu'au point où la connaisse surnaturelle doit commencer si cela doit rester authentique.


 

21 octobre

Mozart. Il y a une grande conversation entre Mozart et le Bon Dieu, qui est comme la plus pure prière, et toute cette conversation n'est que musique. Les hommes, il en a peur et il les aime tout à la fois. Il les craint un peu comme les enfants craignent les autres enfants qui sont grossiers, qui pourraient casser son jouet ; Mozart redoute au fond qu'on puisse abîmer au Bon Dieu son jouet plus qu'il ne pense à lui-même. Il aime les hommes parce qu'ils sont les créatures du Bon Dieu et il est heureux d'avoir le droit de les divertir par sa musique. A sa manière propre, il voudrait leur poser la question de Dieu, même dans ses morceaux les plus joyeux.

 

L’amour de Dieu veut toujours surprendre.

 

En toute vraie prière nous est donnée une nouvelle proximité avec Dieu, et cette nouvelle proximité nous fait autres.

 

A la messe, le Christ et les croyants ne se séparent pas des non-croyants, car le Seigneur et les croyants prient en commun pour les croyants et les non-croyants. Les croyants sont ceux qui, de quelque façon, sont déjà saisis par l'amour. Quant aux non-croyants, leurs attitudes présentent des nuances et des gradations infinies, jusqu'à ceux qui se ferment totalement devant le Seigneur. La plupart d'entre eux sont des ignorants, des personnes qui n'ont pas encore été touchées par la vérité.

 

Plus les âmes connaissent déjà l'amour et plus elles l'ont éprouvé, plus elles sont attendues par l'amour du Fils. Plus elles sont infatuées d'elles-mêmes, voulant estimer toutes choses selon leur propre mesure morale, plus elles se trouvent à côté de l'amour.


 

Adrienne à six ans. Il y en a tant qui n’aiment pas le Bon Dieu.


 

22 octobre

Saint Pierre d'Alcantara (1499-1562)

Première prière. Seigneur, ton serviteur se tient devant toi et il te demande la grâce de ton inspiration. C'est si difficile de diriger quand on devrait soi-même être dirigé, si difficile d'entendre des confessions quand on est soi-même pécheur, si difficile de distribuer la communion quand on se sent si indigne de te tenir, Seigneur, dans des mains indignes. Et pourtant tu requiers tout cela de nous. Et je ne peux me consoler avec la pensée que toi, le pur, notre Dieu, qui as institué les sacrements, à chaque institution et, somme toute, à chaque parole que tu prononçais, tu te voyais situé devant des pécheurs qui ne voulaient pas te comprendre, si bien que toi aussi, à chaque instant de ta vie terrestre, tu étais aux prises avec de grandes difficultés même si elles étaient tout autres que les nôtres. Seigneur, mes difficultés sont pourtant telles que bien vite je ne sais plus si réellement je peux suffire, si j'ai le droit de continuer à te servir là où je suis. Je ne comprenais pas que, dans le commandement de l'amour du prochain, tu nous avais donné quelque chose qui est le modèle de notre pastorale, que nous devions imiter, afin que chacun comprenne l'amour et désire aimer, que chacun, où qu'il se trouve, soit saisi par ta parole quand nous la lui transmettons en vérité et que nous lui offrons pour cela notre prière. Seigneur, je t'en prie, donne-moi un nouveau courage, c'est-à-dire renouvelle ma foi ; qu'elle devienne si vivante qu'elle soit utilisable pour toi, et donne-moi l'amour afin que j'apprenne de toi à aimer tous les tiens. Amen.

Deuxième prière. Mon Seigneur et mon Dieu, comme chaque jour je voudrais te remercier, te remercier de toute mon espérance, de toute ma foi, de tout mon amour ; tu m'entoures de tant de grâces visibles que je trouve à peine les mots pour te dire combien je t'aime et te remercie. Tu ne veux pas que je refuse quoi que ce soit de ce que tu me donnes, je dois tout prendre avec reconnaissance pour le transmettre comme tu me le montres. Seigneur, la tâche est difficile, mais elle est également si belle que je ne cesse d'oublier les difficultés. Je sais aussi que ces épreuves ne veulent dire qu'une chose : participation à tes épreuves. Fais que toutes les grâces que nous recevons ensemble soient utilisées par nous, comme par tous ceux qui autour de nous en sont touchés, de telle sorte que toute l'Église en reçoive sa part qui est bien sûr le tout. Reçois notre merci commun et notre amour commun, utilise-les comme tu le veux, mais laisse-leur le caractère vivant qui distingue toujours tout ce qui est à toi. Amen.


 

23 octobre


 

Thomas a Kempis (+ 1471). Sa prière est portée et remplie par la parole de l’Écriture qui l'anime et le fait constamment avancer.


 

Tout d'un coup on se souvient qu'on a le droit de prier et, pour un instant, tout le reste disparaît. La prière nous envahit de tous côtés comme le parfait rafraîchissement de l'esprit sans qu'on ait contemplé quelque chose de particulier, sans qu'on y ait pensé, ni même sans qu'on ait eu un thème précis de prière. C'est simplement le monde de Dieu qui fait irruption dans le monde de l'homme, qui fait sentir qu'on est un être humain, qu'on a un corps et des sens, qu'on est quelque chose qui a le droit de vivre dans l'amour de Dieu, et qui fait maintenant l'expérience d'être immergé dans le monde de Dieu. Peu à peu quelque chose se fait jour : ou bien on prie avec le cœur ou avec les lèvres dans une intention précise, ou bien on entend quelque chose, ou bien on trouve une nouvelle prière, ou bien on en dit une très ancienne. Et on voit que le monde où l'on était auparavant et qui semblait très éloigné de tout le divin n'en était quand même pas tellement exclu. Il pouvait sans doute paraître pour quelques instants comme coupé de Dieu, mais ensuite la grâce du bain de prière est si grande qu'on sait qu'on a le droit de demander, d'adorer, de se reposer, on peut tout en quelque sorte, inséré dans ce qui est offert et qui dépasse tout ce qu'on pouvait attendre ou chercher. C'est un bonheur inouï qui dépasse toute espérance et qui n'a de place que pour la béatitude.


 

Il y a des gens qui sont sûrs de croire, qui sont sûrs que leur foi est juste et qui sont convaincus que Dieu les exauce. "Exauce", cela ne veut pas dire qu'il fait tout ce qu'ils voudraient, mais qu'il entend leurs prières et les reçoit dans sa grâce. Les croyants constituent une communauté de croyants. Alors je me glisse parmi eux. Je dis au Bon Dieu : tu entends tous ceux qui croient. Permets que je joigne simplement ma voix aux leurs. Et si tu n'entends peut-être plus ma voix isolée parce qu'elle est recouverte, tu entends peut-être celle des autres et tu sais que ma voix recouverte se trouve parmi elles.


 

24 octobre

Dans l'ancienne Alliance, quand les prophètes entendent des voix ou qu'il leur est donné de voir des images, quand Élie est nourri au désert ou quand, dans un duel, un homme de guerre reçoit une force extraordinaire, les rencontres de ce genre avec le monde divin ne sont toujours qu'inchoatives. Elles restent le signe de la distance entre Dieu et l'homme, elles augmentent la crainte d'un Dieu vivant et terrifiant, même si c'est l'expérience d'une victoire, d'un bonheur ou d'un amour. Le monde de Dieu apparaît comme un monde prodigieux, les expériences qui en sont faites sont ponctuelles et elles ne peuvent absolument pas former un tout. Elles sont certes comptées comme expériences mystiques dans lesquelles s'est manifestée la force de Dieu, quelque chose est arrivé qui a forcé les limites du monde de l'homme, mais l'image du monde divin ne devient pas un tout avec tous ces fragments. Toute rencontre avec le surnaturel se passe en un lieu nouveau et imprévu ; le contraste est souligné entre la puissance de Dieu et l'impuissance de l'homme même quand, pour un instant, l'impuissance de l'homme est si bien utilisée par la puissance divine qu'elle paraît puissante.

 

Comme la conversation avec Dieu - la prière - participe à tout, il est bon qu'elle provienne aussi bien de la souffrance que de la joie. Le Père garde la libre disposition d'une parole qui arrive de la souffrance : il peut changer une prière de souffrance en une prière d'amour et de joie, il peut aussi faire à nouveau d'une prière de joie une prière de détresse, et d'une prière à la limite du désespoir une prière de parfaite confiance.


 

25 octobre

Saint Thomas More (1478-1535). Fête le 22 juin

Pour rester catholique, il devra offrir sa vie.

Prière. Père, tu nous as donné ton Fils, tu nous l'as donné à nous, pécheurs, pour que, de nous pécheurs, il fasse tes enfants. Il a fondé l'Église pour te glorifier. Et il veut que chaque jour nous apprenions à nouveau avec lui à te glorifier. Il n'y a pour nous qu'une manière de te glorifier : la fidélité dans l'Église fondée par ton Fils. Père, je voudrais demeurer fidèle à ton Fils, je ne le puis qu'en reconnaissant pleinement ton Église et en m'opposant avec toutes les forces que tu m'as données à ce qu'on fasse à ton Église quelque chose qui soit opposé à tes desseins. Tu requiers de moi un sacrifice, tu requiers ma vie ; Père, elle t'appartient depuis que j'ai appris à te connaître par ton Fils. Ce n'est pas pour moi un problème de te la donner. Prends-la comme je l'ai reçue de toi : tout entière. Père, donne-moi la force de te rester fidèle jusqu'au dernier instant, donne-moi de vaincre par ta grâce l'angoisse qui vient sur tous les mourants, qu'au moins ceux qui assisteront à ma mort n'aient pas le sentiment qu'on tue un lâche, mais qu'ils comprennent qu'ils exécutent un chrétien qui est ton fils. Père, des heures difficiles vont venir, mais elles t'appartiennent parce que c'est toi aussi qui m'as donné mes bonnes heures. Tu m'as été fidèle tout au long de ma vie, tu m'as montré cette fidélité de manière manifeste, j'ai appris par toi à la connaître. Permets que durant le peu de temps qui me reste je te donne la preuve de ma fidélité. Et ceci non avec mes propres forces mais par ta grâce. Père, je te recommande les miens, mon peuple, mon Église. Père, aie soin d'eux tous, sois avec tous. Et donne-leur à tous ta grâce, la grâce de ton Esprit et la grâce de ton Fils. Amen.


 

26 octobre

Dès le sein de sa Mère, le Fils attend les autres hommes, ceux qui vont croire à son mystère et qui feront avec lui la volonté du Père. Il sait déjà comment sa Mère a assumé cette tâche et comment elle laisse faire la volonté de Dieu. Comme s'il suffisait de dire oui à la grâce, de la laisser agir en soi et ensuite de ne plus s'écarter de ce chemin. Bien que, pour le Fils, ce ne soit pas facile d'être homme, il ressent un soulagement à être sur le chemin de la volonté du Père, il est décidé à rester homme et à persévérer dans sa tâche ; ce qui le soulage, c'est qu'il comprend toutes choses comme volonté du Père, qu'il peut regarder toutes choses de ce point de vue. En tant que Dieu, il n'avait pas de désir plus ardent que d'être homme comme le Père l'attendait de lui.


 

La situation du Fils quand il accepte du Père l’existence humaine. Jusque là il existait en tant que Dieu et maintenant il est “comme créé”. Il doit apprendre à penser et à se comporter comme un homme. Il doit tout le temps se mettre à l’unisson du Père. Il connaît le Père, mais malgré cela il doit constamment lui présenter un vide filial qui est rempli par le Père.


 

Quand le Fils commence à se sentir homme, à voir et à adorer le Père en tant qu'homme, il expérimente au plus intime que le Père qu'il aime par-dessus tout est offensé au plus profond, justement en ce lieu qu'est le monde, justement par son semblable. Dans sa chair, il sent pour ainsi dire toute la gamme des attitudes humaines : de l'adoration jusqu'au dernier mépris. Il l'expérimente non pas théoriquement mais de manière incarnée.

 

Dans la prière, la relation entre le ciel et la terre peut toujours être expérimentée ; elle nourrit la prière et donne continuellement à l'âme ce dont elle a besoin pour être à la hauteur de sa tâche. Si j'essayais de prendre ce qui, à mon avis, fait du bien à mon âme, ce qui augmente ma dévotion, favorise mon recueillement, ce serait un mépris du don parce que je revendiquerai alors pour moi quelque chose qui ne m'est pas destiné.


 

27 octobre

Le Père, le Fils et l'Esprit ne font qu'un. Ils n'ont pas été séparés par la solitude et l'abandon du Fils ; dans la souffrance aussi ils ne faisaient qu'un : ils étaient l'amour qui s'offre.

 

Sur la croix aussi, l'Esprit Saint ne cesse de procéder du Père et du Fils.

 

Dans la solitude de la croix aussi, le Fils ne fait qu'un avec le Père et avec l'Esprit. En toute action de Dieu, par exemple aussi à la Pentecôte, les trois personnes agissent ensemble.

 

Le Père possède dans sa nature quelque chose qui comporte le renoncement du Fils comme le non renoncement de l'Esprit. Les modes de révélation de l'Esprit et du Fils se trouvent dans la volonté du Père. Cette volonté est d'abord comme un désir qui est comblé dans les missions ; le Père laisse au Fils et à l'Esprit la joie de réaliser son désir à leur manière particulière et spontanée.

 

En raison d'une prière faite aujourd'hui, Dieu peut corriger quelque chose qui s'est passé il y a des milliers d'années, de même qu'il peut faire s'ouvrir et se remplir de sens un passage de l'Ancien Testament auquel on n'avait jamais prêté attention, qu'on n'avait jamais compris.


 

Si sérieusement on veut prier, chercher la proximité de Dieu, percevoir ce qu’il a à nous dire, on doit créer en soi un vide, placer les choses dans l’invisible, ce qui ne veut pas dire les détruire, mais leur assigner une autre place dans notre monde intérieur. Les choses alors sont devenues autres, elles sont purifiées par la prière, elles sont peut-être aussi rendues utilisables d’une manière nouvelle, inconnue jusque là.


 

Toute prière est mystérieuse parce qu'elle va au-delà d'elle-même. Si elle est juste, elle sous-entend toujours aussi : "Je te demande ceci ou cela au cas où c'est ta volonté, au cas où tu le juges bon". On peut avoir la meilleure bonne volonté du monde et désirer beaucoup de choses qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, cela ne suffit pas pour qu'elles soient dans la volonté de Dieu et dans les plans de son royaume. La fécondité de la prière est soumise à Dieu, et cependant toute prière vraie a une influence sur lui.


 

28 octobre

Saint Simon et saint Jude

Saint Simon

Il est l'apôtre qui manque le plus d'équilibre dans son attitude intérieure. Il lutte et fait des efforts, puis il se relâche à nouveau. Cela va toujours un peu plus loin, mais cela ne va jamais jusqu'au bout. Dès le premier instant, il est très fort de la partie, mais comme quelqu'un qui, d'une certaine manière, est à côté de la question. Il a tout si bien "compris" qu'il le sait presque mieux que le Seigneur. Là où il devrait approfondir dans le silence, c'est l'échec. Il arrive difficilement à la contemplation. Quand il a œuvré et s'est dépensé suffisamment, il ne sait plus quoi faire. Il cherche sa force dans ses propres œuvres plutôt qu'auprès du Seigneur. A l'instant où il se sent épuisé, il voit clairement que de cette manière il n'en sortira pas par lui-même, qu'il a besoin de la grâce. Il n'arrive pas à faire ce qu'il faut pour accéder à la contemplation. En fait c'est une pure grâce du Seigneur qu'il ne coule pas au moment de ses dépressions. Il reconnaît cette grâce et il l'accueille aussi d'une manière touchante, puis il se jette à nouveau dans ses actions. Ce tableau dure jusqu'à la Pentecôte. A la Pentecôte, il y a une transformation. La grâce de l'Esprit lui donne la paix et une sorte de contemplation, mais il garde son naturel agité. Une contemplation lui est donnée d'en haut, sans base humaine en quelque sorte, ce qui semble contraire à toute théorie. Au fond, il n'y a pas chez Simon de correspondance entre son attitude humaine et la contemplation qui lui est donnée. Il est trop inconstant pour cela, il faut toujours qu'il se passe quelque chose. Les autres apôtres lui ont donné le nom de zélote. Il jouit auprès d'eux d'un grand crédit. Quand il s'agit d'accomplir un "exploit", c'est lui qui est là. Dès qu'il commence à prier, il pense déjà à nouveau à ses actions ; pour cela, il est rempli de trucs pratiques. Il sait bien ce qu'on pourrait faire pour ne pas être distrait dans la prière mais, pendant qu'il y réfléchit, il ne voit pas que c'est déjà une distraction. Plus tard, quand il s'est calmé, il souffre un peu de ce calme. Au fond, il préférerait s'activer.


 

Saint Jude

Son attitude intérieure est irréprochable. Mais il porte le même nom que le traître et cela lui pèse de porter ce nom. Quand on commence à remarquer que quelque chose ne va pas chez Judas, il se sent d'une certaine manière concerné. Il y a chez les apôtres un certain malaise avant la trahison proprement dite. Quand ils posent la question : "Qui est-ce, Seigneur ?", ils n'osent pas croire que le traître est déjà si marqué. Il y a autour de Simon Thaddée comme une espèce de zone obscure, il a comme l'impression qu'on le prend pour l'autre. Il sait qu'il n'est pas question de lui comme traître, et cependant, quand les autres font une allusion, il la ressent comme si cela le concernait. Tout en sachant qu'il n'est pas le traître, il sait quand même qu'il l'est aussi, que finalement tous le sont, mais lui avant tout. Il ressent très profondément la faiblesse humaine et il est toujours prêt à supporter. Au début, il a aussi la réaction : "Dieu soit loué ! Ce n'est pas moi !" Puis il apprend de plus en plus à "porter avec", à vouloir combler les défaillances, à réduire les distances. Pour chacun de ceux qui ont failli, il pense : je suis coupable avec toi. Il devient toujours plus humble. Il y a aussi des moments où il se demande si l'autre, Judas le traître, ne porte pas avec lui sa propre trahison, s'il ne s'est pas chargé de son rôle à lui, Thaddée. Et ainsi il prie pour le traître. Inexorablement il considère sa complicité. Le reniement de Pierre fait sur lui la plus profonde impression. Aucun disciple n'en fut plus touché que lui, car il connaît le chemin qui mène du reniement à la trahison. Parce qu'il se sent lui-même placé dans une lumière douteuse, il cherche avec plus de pénétration que les autres où cela ne va pas chez lui, où il pourrait y avoir en lui des tendances qui pourraient mal tourner. Et il accepte de bonne grâce ce destin de se trouver dans l'ombre du traître pour porter une part du fardeau du Seigneur. Il le ressent bien qu'à vrai dire, objectivement, aucune ombre de soupçon ne soit jamais tombée sur lui.


 

29 octobre

Supposons qu'il y ait une exposition du Saint-Sacrement dans une église. Celle-ci me met dans une certaine ambiance de prière. Cela ne m'empêche pas d'avoir avec moi un livre de prières et de dire telle ou telle prière en présence du Seigneur exposé, cela ne m'empêche pas de présenter mes intentions particulières, de prier peut-être pour un entretien qui doit avoir lieu après. Un état d'âme de base n'empêche pas que les états d'âme les plus divers y soient aussi associés.


 

Par l'Esprit Saint, la semence du Père devient l'homme que Marie reçoit. C'est comme une première communion. Elle est l'être humain qui a été choisi pour cela, elle reçoit du Père l'être du Fils qui est tellement pur don de lui-même qu'il s'est laissé transformer en pain du Père. "Pain" est ici la substance de la semence que la femme est en mesure de manger. Dans la parabole aussi le Père est le semeur ; la semence - le Fils - lève dans la Mère et le pain peut être maintenant donné à tous : l'eucharistie. En offrant le Fils au monde, elle commence à partager le pain ; plus tard, le Fils se partage lui-même aux hommes dans le sacrement et il confirme le geste de la Mère qui partage. Le Fils se laisse distribuer à tous. En livrant son corps dans l'eucharistie, il fait sur terre ce que le Père a fait dans le ciel quand il donna sa Parole comme semence à la Mère. La pensée du Père de laisser le Fils s'incarner était si belle que le Fils ne connaît rien de meilleur à laisser aux hommes que l'eucharistie qui a son origine dans l'incarnation.

 

L'institution de l'eucharistie est comme une réponse du Seigneur à la supplication aimante de l’Église : "Reste auprès de nous ! Sois avec nous !" Jean souhaite appuyer sa tête sur la poitrine du Seigneur. C'est le contact le plus élevé qu'il puisse imaginer. Le Seigneur répond à son amour avec l'intimité encore plus grande de l'eucharistie.

 

30 octobre

Il y a toutes les personnes qui, dans le cadre d'une révélation qu'elles ont entendue, ne veulent pas continuer. Dieu parle, mais je suis si occupé à parler moi-même que je n'écoute plus, j'entends tout au plus quelques mots qui manquent alors de cohérence. Si par la suite j'essaie de reconstruire ce que Dieu a dit, cela sonne faux en mettant les choses au mieux. Ou bien on ne laisse pas à Dieu le temps de parler, on lui coupe la parole, on sait mieux que lui comment il doit terminer ses phrases. Il y a dans la mystique toutes les inconvenances que peuvent avoir les hommes dans leurs dialogues.


 

Je sais que Dieu me fait connaître tout ce qui est nécessaire, ma vie est la plus intéressante possible si c'est Dieu qui l'organise. Sa manière de se faire connaître dans les mystères de l'obéissance n'est jamais le moins du monde ennuyeuse.

 

Osuna (+ vers 1540). Il prie avec passion, toujours avec passion, mais de manière très irrégulière. Il prend avec lui toute sa passion dans la prière, et alors il n'est plus là que pour Dieu, réellement pour Dieu seulement, il laisse Dieu parler, il laisse Dieu agir et le purifier.

 

Richard de Saint-Victor (+ 1173) a une vénération infinie pour le monde de l'au-delà ; il est si convaincu que Dieu parle de là qu'un authentique croyant qui s'est libéré du péché pourrait et devrait vivre ici-bas en étant toujours parfaitement abordable par Dieu.

 

Les saints de l'ancienne Alliance sont distingués par des relations directes avec la parole de Dieu. Les apôtres aussi, en tant que saints de la nouvelle Alliance, vivaient en relation avec la Parole incarnée. Nous vivons dans l'espace de l’Église et du mystère eucharistique, et nous oublions que les deux, l’Église et l'eucharistie, non seulement procurent une grâce sanctifiante universelle, mais qu'elles contiennent toujours la parole de Dieu vivante et personnelle. La sainteté dans l’Église n'est jamais possible sans une relation personnelle à la parole personnelle que Dieu m'adresse.


 

31 octobre

Si déjà sur cette terre on fait toujours par amour pour quelqu’un ce qu’il désire de nous, combien plus fait-on au ciel par amour pour Dieu ce qu’il nous dit. Tout l’air du ciel est tellement amour que chacun fait ce qu’il veut et qu’il demeure cependant relié de la manière la plus étroite à la volonté de Dieu. Il y a ainsi une certaine manière de faire des plans avec Dieu. Et cependant la liberté est infiniment grande et tout s’accorde.


 

Tous les dons que l'Esprit Saint communique ici-bas, même les expériences d'une vie longue et riche, n'arrivent jamais à nous faire une idée de la nature de l'amour céleste. Il y a des choses dans l'amour qui portent ici-bas le même nom qu'au ciel, mais ce qui ici-bas est un terme humain devient là-haut un terme divin. Ce qui ici-bas est compréhensible pour un cœur humain et une foi humaine est dilaté de telle sorte que celui qui est au ciel le sait : autrefois ce n'était pas du bricolage, c'était un chemin, une direction, mais une direction qui débouche dans la plénitude. Tout ce qui vit dans le ciel semble croître et cela croît parce que c'est exposé au souffle de l'amour ; la fécondité infinie de cette croissance renvoie à Dieu Trinité et au Seigneur incarné et à sa Mère ; cette fécondité au-delà du temps et de l'espace est toujours de l'amour. Ce principe d'unité dans l'amour sera sans doute toujours la première chose que comprendra de Dieu celui qui entre dans l'éternité.


 

Dans un amour humain véritable, il est très facile d'obéir. Pourquoi cela ne va pas pour le Christ ? Pourquoi nous ne pouvons pas l'aimer ? Nous prétendons l'aimer et nous ne faisons pas sa volonté, intérieurement nous ne nous soucions pas de lui. Après lui avoir juré une fidélité éternelle, nous l'oublions au bout de vingt minutes, il nous gêne, nous le ressentons au milieu de nous comme un étranger. Notre amour pour lui a quelque chose d'artificiel : ce n'est pas l'amour simple, total, joyeux, que nous manifestons d'habitude à quelqu'un. Pourquoi ?

 

1er novembre

te de tous les saints

On a souvent tendance dans l'Église à considérer les saints comme des apparitions tombées du ciel, à considérer leurs paroles comme des déclarations absolues et, par voie de conséquence, à ne pas contribuer beaucoup à leur réussite surtout quand il s'agit de missions modestes, de "petits prophètes". On s'occupe de l'authenticité ou de l'inauthenticité des visions, de l'accomplissement ou non des prophéties, mais le plus important, les relations avec Dieu dans la prière, on n'y fait pas attention. Il est indispensable d'acquérir une connaissance sérieuse de la manière dont les saints conversaient avec Dieu. Si personne n'apprend aux chrétiens comment ils doivent prier, ils essaieront de le faire eux-mêmes d'une manière ou d'une autre, mais ils buteront sur des difficultés qu'ils ne pourront pas écarter par manque de connaissance. Beaucoup penseront que les difficultés tiennent avant tout à la nature de l'homme et qu'il suffirait d'une certaine technique pour en venir à bout et pour atteindre Dieu. Ils ne voient pas que Dieu lui-même contribue de manière décisive à former en l'homme la réponse qu'il attend et dont il a besoin.

 

Celui qui arrive au ciel doit se présenter. Mais cette introduction n'est pas à sens unique ; ceux qui se présentent sont en même temps présentés. Dieu nous a attendus comme nous-mêmes nous l'avons attendu. Et maintenant que nous sommes accueillis, il n'est plus question de péché et d'indignité. La confession est derrière nous ; en cours de route, la grâce du Seigneur nous a débarrassés du péché. Mais il faut maintenant que la prière de l'éternité soit mise dans notre cœur et sur nos lèvres, la prière dans la vision de la Trinité, une prière que nous disons nous-mêmes, mais telle que la Mère du Seigneur, tous les saints et tous les anges peuvent la dire aussi. Tous ceux qui sont au ciel depuis longtemps revivent pour chacun de ceux qui entrent la joie de l'arrivée. Car la joie de l'arrivée est elle-même la joie éternelle, c'est pourquoi elle est commune à tous. Ainsi la prière dans laquelle nous sommes introduits quand nous arrivons est toujours également la prière commune du ciel, jamais la prière privée de Marie ou d'un saint particulier. C'est dans cette prière de tous les saints que nous avons été attendus, nous y sommes maintenant introduits. Elle n'écrase pas notre prière personnelle, on peut même dire que notre vie personnelle ne fait alors que vraiment commencer. Nous remarquons combien de choses qui nous étaient étrangères se détachent de nous et comment ce qui nous est personnel est libéré. Une fois de plus, ce à quoi nous sommes introduits n'est pas quelque chose qui nous est étranger, mais ce qui nous est naturel au sens le plus fort, bien qu'on ne puisse pas dire que nous l'ayons attendu auparavant de cette manière et pas autrement. Quand cela arrive, c'est simplement ce qui est juste, ce qui est de loin le meilleur. Dans l'éternité, chaque jour c'est éternellement neuf, parce que nous-mêmes, dans l'éternité, nous sommes toujours de nouveaux arrivants.


 

2 novembre

Commémoration de tous les fidèles défunts

Parce que Marie était ici-bas parfaitement pure et totalement ajustée à la volonté trinitaire de Dieu, les choses qu'elle connaissait déjà reçoivent pour elle au ciel une extension à l'infini. Elle fait l'expérience du ciel comme s'il était sa prière devenue visible. Le pécheur est purifié au purgatoire et il est alors à nouveau animé par l'Esprit Saint, mais bien qu'il soit un homme nouveau, il garde sa personnalité et, en arrivant au ciel, il peut donc dire en quelque sorte : "Je me l'étais imaginé autrement". Marie ne s'est rien "imaginé autrement", elle n'a aucunement besoin d'être transformée, le ciel est sa prière rendue visible parce que dès ici-bas chacune de ses pensées était chez elle une partie de sa prière. Elle n'avait rien imaginé de particulier, mais elle avait tout ouvert à l'unique représentation de la vie éternelle en Dieu.

 

Ici-bas, le chemin décisif vers Dieu passe par l'amour du prochain. Dans le purgatoire, c'est inversé : le pécheur reconnaît d'abord l'offense faite à Dieu dont il est responsable, il arrive à l'amour du Christ et, à partir de cet amour, l'amour des hommes s'ouvre pour lui. A l'instant où il voit que l'amour du Seigneur est partage infini avec les frères, il est sauvé : il passe à l’état de la communion qui est le ciel.


 

Un chrétien quelconque arrive au ciel : tout se réalise d'une manière à laquelle il ne s'attendait pas. Au ciel, tout est élevé dans une tout autre sphère ; ce qui est personnel réside maintenant dans le fait que le Seigneur lui-même m'a choisi, m'a préparé une place où aboutissent toutes les représentations terrestres limitées.

 

La mer est une image de la vie éternelle. Elle ne coule pas, elle s'étend toujours plus loin de tout côté. Elle est toujours différente et pourtant toujours belle et toujours plénitude.


 

Vu d'ici-bas, viser une croissance continuelle peut très vite sembler stupide : j'aime Dieu, je l'aime plus que vous ne le pensez, je l'aime de telle manière que je pourrais encore l'aimer plus, etc. Cela ne peut conduire qu'au dégoût. Au ciel, il y a une croissance infinie. La croissance est là une réalité, pas seulement une possibilité.


 

3 novembre

Dans le temps présent, l'amour est une partie de la vie, il n'est pas toute la vie. Dans l'éternité, il est tout parce que nous n'avons plus rien en propre : ni opinions, ni justifications, ni jugements, qui nous mettent dans une relation théorique avec les choses. Dans l'éternité, on remercie d'emblée pour tout, on ne connaît pas la prudence, comme si une chose pouvait être punition et l'autre amour, on est convaincu que tout est amour et doit être compris comme amour.


 

Les différences entre le ciel et la terre vont beaucoup plus loin que les relations de temps et d'espace, elles concernent surtout l'amour. Au ciel, l'Esprit d'amour souffle partout si bien qu'on ne peut pas lui échapper ; c'est l'Esprit de l'amour divin, un amour supérieur devant lequel la créature s'étonne sans cesse et qui stimule tous ses actes et toutes ses pensées. Ce que veut dire "voir Dieu" est compris plutôt dans le sens qu'au ciel l'amour vous inonde et vous touche si fort, vous accompagne et vous remplit tellement, que tout est entrepris et réalisé par lui, et que chaque sens est entraîné par lui. Au ciel, tous sont porteurs d'amour. Ils le portent comme une possession, mais une possession qui est destinée à être échangée, comme un prêt et un don définitif tout à la fois, continuellement partagé sans jamais être diminué du fait du partage.


 

La joie sera le grand bien de la vie éternelle. Elle est moins la joie d'être soulagé après une confession définitive que la participation à la joie éternelle qu'éprouve Dieu le Père quand il regarde son Fils qui, par son amour sur la croix, lui a ramené le monde entier.


 

Il n'y a aucune espèce d'ennui dans l’éternité, il y a seulement un plénitude qui ne lasse pas, qui ne demande pas d'efforts. Il y a beaucoup de gens qui craignent que dans l'éternité ce sera ennuyeux ou fatiguant de chanter constamment des cantiques. Mais le "cantique" (ou ce que cela peut être) sera simplement offert avec la joie qui s'y rattache.

 

Adrienne a 27 ans. C'est très intéressant de travailler au pavillon. Une foule de vieilles femmes qui s’approchent de la mort. On apprend beaucoup à parler avec les malades de la vie et de la mort. Je suis peut-être encore un peu jeune et inexpérimentée, mais j'essaie, là où ça va, de les libérer de l'angoisse, de leur montrer quelque chose de l'amour de Dieu, de leur inspirer une certaine gratitude pour leur existence. Elles ont connu une foule de choses qui étaient belles, et maintenant elles vont passer à une vie qui sera encore beaucoup plus belle.


 

4 novembre

Saint Charles Borromée (1538-1584)

Son amour est bon, simple et en même temps tendu. Il aime Dieu comme un enfant et, pour lui, cela va de soi de tout porter à Dieu. Il porte devant Dieu toutes ses demandes et tout ce qu'on lui a apporté, tout ce qui l'occupe. Souvent il lui recommande tout cela avec fougue, souvent aussi il laisse simplement mûrir tout cela sous le regard de Dieu. C'est sa manière de s'en remettre à Dieu. Ce n'est pas mauvais du tout, au contraire ; cela porte un cachet merveilleusement personnel. Sa prière est surtout une prière de demande, mais dans un sens qui est bon et ample. Il essaie de ne rien laisser de ce qui l'occupe en dehors de la conduite de Dieu. Il ne sort jamais de la prière, il ne veut rien soustraire à la prière et à Dieu. Au fond, sa journée tout entière est prière. Dans cette attitude, il se tient tout près du Fils, de la manière dont le Fils se tient devant le Père. En fait de grâces particulières dans la prière, ce sont surtout des grâces de proximité, d'encouragement. Il se sent parfaitement conduit par Dieu. Il sait qu'il se trouve directement devant le toi de Dieu et il sent une ardeur d'amour qui lui est donnée directement.


 

5 novembre

Saint Charles de Foucauld. Fête le 1er décembre

Dès que Foucauld comprend qu'il peut être l'homme pour qui le Seigneur a inventé et souffert le mystère de la croix, il disparaît. Il disparaît dans le Seigneur en se laissant donner la part du mystère qui est prévue pour lui, dans une disponibilité et un don de lui-même parfaits. Quoi qu'il fasse : prière, méditation, apostolat, il fait tout sous le poids de la croix, sous la charge dont le Seigneur le charge, dans un amour parfait pour le mystère parfait du Seigneur, qu'il ne cherche pas à découvrir : il se tient à la disposition du mystère tel qu'il est. Toute sa mission est une mission de don de soi, de présence constante, du oui dans la durée et dans une continuité qui n'est interrompue par rien ; ce qui est là voilé et mystérieux, c'est justement que cela reste toujours tel quel. Il n'y a pas à attendre de lui des explications grandioses, ni de nouvelles connaissances ecclésiales, ni des vérités théologiques auxquelles on n'avait pas prêté attention jusque là, mais un adsum qui se répète à travers tout sans faiblir, sans qu'il faille tenir compte de la personnalité de celui qui parle, un adsum qui se perd et disparaît dans sa mission, pourvu que soient mises en lumière par lui la totalité de la croix et la nécessité pour tout homme d'être touché par elle. Ce que le Seigneur attend de tous, Charles le fait au nom de beaucoup. Son don de lui-même est une réponse au Seigneur, un merci pour le don de lui-même qu'a fait le Seigneur, la promesse aussi de ne jamais considérer son propre don de lui-même comme quelque chose de personnel, mais de le tenir d’emblée disponible pour que le Seigneur puisse en façonner un nouveau don de soi, de nouvelles missions qui seront toutes marquées du signe de la croix et qui chercheront toutes à rendre une force et une actualité nouvelles au mystère de la rédemption de tous les hommes par la croix, au mystère de la rédemption de l'humanité.


 

6 novembre

Au ciel, tout ce qui est perçu, tout ce qui est dit, est contenu dans le fait que Dieu attire tout à lui. Il y reste pourtant quelque chose qu'il ne serait pas juste d'appeler désir mais qui, au sein de la vision de Dieu, est un cheminement joyeux vers lui. Nous aimons et nous sommes aimés, et l'échange d'amour est mouvement vers Dieu : on est toujours arrivé au but tout en demeurant en mouvement. Comme un ruisseau dans la forêt : on est charmé par sa présence et on peut en même temps le longer ; c'est tout aussi beau qu'il soit ici comme il était là et qu'il continue à couler, tout ne fait qu'un. Rien que le mouvement de l'eau, qui fait partie de sa nature, nous charme, mais aussi que nous puissions nous déplacer avec lui. Que le ruisseau coule continuellement est aussi une surprise toujours nouvelle, car de l'eau nouvelle coule toujours dans le même ruisseau. De même au ciel, il y a l'éternelle surprise que Dieu nous appelle constamment et que nous nous trouvions constamment devant lui dans la réponse. Parce que ceci est un état, on ne peut pas dire que celui qui est au ciel depuis longtemps et se trouve en chemin vers Dieu soit plus joyeux et plus comblé que celui qui vient d'arriver ou que celui qui, arrivant de la terre, a le droit de venir pour ainsi dire en visite pour un moment.

 

Dans l’Église du Fils, il y a une tradition. Dans l'Esprit, il n'y a pas de tradition : à l'intérieur de la tradition, il est l'événementiel toujours nouveau, il est l'imprévisible même dans le cadre bien structuré de l’Église terrestre.


 

L'Esprit Saint ouvre beaucoup de portes, il parle en beaucoup de langues, afin que chacun ait l'occasion de trouver un chemin pour suivre totalement le Christ, pour aimer parfaitement Dieu et le prochain.


 

Sur la croix, l’Esprit est rendu au Père par le Fils et le Fils le donnera ensuite au monde à la Pentecôte.

 

Origène met en relation le Père avec la jeunesse, le Fils avec les gens d'âge moyen et l'Esprit avec la vieillesse.


 

7 novembre

Au ciel, chaque instant sera rempli, et à vrai dire de choses qui sont capables de nous combler jusqu'à la gauche aussi bien dans l'instant présent que dans dix mille ans. Toute vérité sera si riche qu'on n'en viendra jamais à bout, cependant on la perçoit. Il y a un véritable rapport entre la compréhension et ce qui est compris, mais un rapport inépuisablement vivant.


 

Le mourant est préparé pour le grand voyage par l'onction des malades. Il arrive à la frontière, il aperçoit tout d'un coup la plénitude infinie du ciel et, en faisant le pas, il se débarrasse de tout ce dont il n'a plus besoin, il le lâche entre les mains de l’Église.


 

Il n'y a sans doute rien qui exige de nous plus de renoncement à nous-mêmes que notre attente du ciel. De même que beaucoup de renoncement à nous-mêmes est déjà requis pour accomplir à peu près convenablement notre service terrestre, de même nous devrions absolument considérer ce service et le renoncement à nous-mêmes qu'il requiert comme un exercice préparatoire à notre service un jour dans le ciel où le Seigneur nous placera et nous utilisera comme il lui plaira. Nous devrions donc attendre totalement du Seigneur notre béatitude éternelle et sa plénitude, et non selon nos attentes préconçues. Nous trouvons maintenant notre joie en ceci et en cela, et c'est bien ainsi, le Seigneur le veut. Au ciel, nous trouverons notre joie en des choses toutes différentes et ce sera des choses à lui auxquelles il nous donnera part. Nous devrions donc faire attention dès maintenant à sa manière de donner et lui manifester le plus possible notre don de nous-mêmes, notre confiance et notre disponibilité. Dans l'éternité, réellement, nous ne serons plus que dans la lumière de Dieu et nous ne vivrons plus que de Dieu.

 

Un moine des temps anciens savait que Dieu a besoin d'être aimé par l'homme.


 

Saint Otton de Bamberg n'a pas le souci anxieux d'obtenir par sa prière un maximum de bénédictions pour lui ; il prie par la nécessité de l'amour.


 

8 novembre

Sainte Élisabeth de la Trinité (1880-1906)

Prière. Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit ! Père, si nous avons le droit de t'appeler Père, nous le devons à ton Fils qui s'est abaissé et qui est venu comme homme jusqu'à nous pour nous apporter l'Esprit. En vous révélant à nous comme étant Père et Fils, vous avez créé une relation qui correspond aux relations humaines. Mais vous nous l'avez montrée de telle sorte que jamais une relation terrestre de père et de fils n'atteint ce que vous nous avez révélé, car nous sommes pécheurs. Père, fais-nous oublier que nous sommes pécheurs, fais-nous vivre en ayant le droit d'être près de toi, en ayant le droit d'adorer dans notre méditation tous les mystères de ton être trinitaire, de ton être trinitaire éternel, de ton être trinitaire toujours en devenir. En étant trois, vous nous montrez que, dans votre vie, il n'y a ni commencement ni fin ; par le troisième qui est entre vous, vous nous montrez que tout, en vous, est rien ou tout. Pas de commencement et pas de fin parce que tout est pourtant commencement et pourtant fin : fin pour que le commencement soit toujours nouveau, commencement pour que la fin soit visible. Et il n'y a aucun repos, parce que partout c'est le même amour qui demande, le même amour qui se donne, le même amour qui reçoit. Père, nous disons amour, et nous avons appris ce mot du Fils, mais nous nous servons d'un terme que nous ne comprenons pas, que nous ne sommes pas capables de remplir, qui ne reçoit son sens que dans la Trinité du ciel. Car n'a de sens que ce qui dure éternellement. Père, quand nous contemplons l'un à côté de l'autre ton être éternel et ton amour, nous sommes ravis par quelque chose qui nous dépasse de toutes parts, quelque chose qui nous bouleverserait et nous étoufferait si ton amour trinitaire et sauveur ne venait à notre aide pour nous emporter et nous faire participer à l'adoration trinitaire du ciel. Et toute adoration ici-bas est comme un pressentiment de l'adoration céleste. Père, je t'en prie, donne-moi, donne à tout notre couvent, donne à tous ceux qui nous sont unis de participer à ton adoration céleste, maintenant ou dans le ciel seulement, mais ne repousse personne, car tous les nôtres t'appartiennent et, quand nous disons "les nôtres", nous voudrions pouvoir dire "les tiens". Amen.

 

9 novembre

Tout enfant, le Seigneur avait déjà une certaine connaissance de sa mission. Il avait connaissance de son mystère. Et pourtant le temps de sa vie cachée est une manière de tendre vers sa mission. Naturellement sa vie cachée fait déjà partie aussi de sa charge, comme la contemplation fait partie de l'action. Mais en tant qu'homme, il doit aussi croître d'une certaine manière dans l'usage de son être d'homme.


 

La vie du Christ au milieu de nous n'était pas un simple symbole mais une histoire authentique : il devait être mis au monde, vivre, souffrir, descendre aux enfers et également être réellement réveillé par le Père d'entre les morts ; c'est alors seulement qu'est arrivé le temps pour l'Esprit de venir jusqu'à nous.


 

Le Fils devenu homme doit apprendre à vivre au milieu des hommes réels. Il ne veut pas alors se voir lui-même comme homme du haut de la fenêtre de sa divinité. Il veut être homme avec les autres hommes. Par sa mère et sa pureté, il emprunte le chemin qui mène aux autres hommes. C'est par sa mère qu'il est porté à la rencontre de l'humanité. En grandissant comme homme, il laisse derrière lui un chemin qu'on pourrait décrire comme un éloignement de son existence céleste. Au commencement, quand il n'était qu'une semence dans le sein de sa Mère, il était pour ainsi dire entièrement Dieu avec en plus un minuscule point d'humain. Pendant la grossesse, il grandit comme humain et sa divinité se voile.


 

Quand le Fils quitte la maison de Nazareth, il voit devant lui la rédemption du monde comme une tâche à accomplir.


 

10 novembre

L'inspiration dans l’Écriture est aujourd'hui aussi vivante qu'autrefois quand elle fut composée. Elle n'est pas du passé. L'Esprit l'a inspirée, en ce sens elle est terminée ; mais il inspire constamment, en ce sens elle n'est pas terminée, elle est éternellement et continuellement en train de s'accomplir. En s'incarnant, le Fils l'a justement aussi montré. Il ne parle pas sans l'Esprit Saint. Il n'est pas la Parole terminée du Père, mais il s'ouvre à l'action de l'Esprit dans la mesure où il est la Parole du Père. On reconnaît dans l’Écriture le Fils du Père, mais le Fils inspiré par l'Esprit.


 

Celui dont tout le sens de la vie est de suivre le Christ suivra les conseils évangéliques. Mais ceux-ci, comme tout ce qui se rattache au Seigneur, comme toutes ses paroles et tous ses actes, sont à comprendre de manière trinitaire. Quand le sens trinitaire d'une parole du Seigneur n'apparaît pas clairement d'emblée, il apparaît quand même tout de suite clairement, par le contexte de ce qu'il dit, qu'il est la Parole du Père et qu'il parle dans l'Esprit Saint. Le Père a créé le monde et ordonné toutes choses au Christ en la présence de l'Esprit Saint. Au temps également où le Fils n'était que promis, il était déjà présent comme parole de promesse du Père. Dès le début, le Père savait que le Fils sauverait le monde.

 

Le Fils incarné se fait comprendre aux disciples par son existence, par son être, par sa prière et par son action. C'est l'image la plus facile à saisir. Mais celui qui médite doit se souvenir que tout ce qui est visible dans le Fils est toujours une expression de la Trinité tout entière, que dans le comportement du Fils il faut toujours aussi tenir compte du Père et de l'Esprit. Il y a des moments dans la vie du Seigneur où la divinité tout entière apparaît dans son unité, d'autres moments où ressort surtout ce qui est du Fils, d'autres où il s'efface en quelque sorte pour laisser totalement apparaître le Père ou l'Esprit.

 

En devenant homme, le Fils apporte au monde toute la lumière de Dieu Trinité.


 

11 novembre

Saint Martin (316-400)

Son âme est comme celle d'un enfant, elle a quelque chose de si immédiatement authentique, de si innocent surtout, que c'est comme s'il avait gardé sa foi d'enfant, comme si durant sa vie il n'avait jamais fait d'expériences fâcheuses. Il connaît certes le péché, il sait combien les hommes sont mauvais, mais il voit tellement comment la grâce du Seigneur leur est offerte qu'il voit plus la grâce que le péché et qu'il est ému plus profondément par cette grâce que par la propension des hommes au péché. Il ressemble à l'enfant qui, dans les contes, ne voit que les fées, les bonnes, et qui ne voit pas du tout ce qui est menaçant. Il ressemble à un enfant qui veut tout partager avec les autres et qui ne s'attend pas à ce que quelqu'un puisse refuser son offre de partage. Il ressemble à un enfant qui se lie avec tout le monde, qui raconte à tout le monde des histoires et qui est certain que son histoire fera autant de plaisir à son auditeur que lui-même en a eu à la connaître. Il présente ainsi à Dieu tout ce qui lui tient à cœur avec le sentiment que Dieu l'exaucera, et Dieu l'exauce constamment parce que le Christ le considère comme un de ces petits qu'il invite et appelle auprès de lui. Il ne peut pas lui refuser une demande. Sa prière est bonne et pleine d'amour, il n'a pas besoin de s'introduire dans la prière ni de s'y faire introduire, toute sa vie est prière. Quand il arrête de travailler et qu'il prie, c'est comme s'il voulait seulement un peu se reposer et chercher quelques consignes pour la tranche de vie qui suit. Son travail dans l'Église également est un travail d'amour, d'amour de Dieu et d'amour du prochain. Il souffre parfois de l'Église, mais d'une manière presque impersonnelle: non pour des motifs précis en quelque sorte, mais tout d'abord dans la souffrance du Seigneur. Il se doute bien toujours que le Seigneur souffre encore beaucoup plus que lui au sujet de ce qui le peine, lui Martin, maintenant précisément.


 

12 novembre

La Mère s'adapte totalement à Dieu dans le don d'elle-même le plus ouvert. La Trinité et Marie vont ensemble ; en étant enceinte du Fils par l'Esprit Saint, elle s'est placée totalement dans la lumière de la Trinité.

 

Chaque fois qu’on s'occupe de Marie, on se rapproche de son Fils. Elle nous invite - au fond, on ne sait pas comment - à prier avec elle de la manière dont elle prie.

 

Marie est étroitement unie au prêtre dans l'exercice de ses fonctions. Elle l'est comme mère du Seigneur, comme servante du Seigneur, et aussi comme celle qui a laissé la semence du Père se transformer en elle en Fils incarné. C'est pourquoi le mystère de la transsubstantiation est particulièrement proche de son propre mystère. Elle est présente dans le Corps du Seigneur ; pour celui qui communie, il y a chaque fois un contact avec la Mère. Aucune communion dans l’Église n'est indifférente pour la Mère. Elle est là chaque fois qu'est reçu le Corps du Seigneur et elle communique à celui que le reçoit quelque chose de sa manière de l'accueillir. Toute communion est pour elle comme une fête qui lui rappelle comment elle l'a reçu elle-même.

 

Tandis que Marie, en tant que femme, est ce qui est concret, elle est voilée en tant que femme durant sa vie terrestre, mais en revanche elle est dévoilée dans l'ancienne Alliance et dans l’Église. Elle est dévoilée là par le Fils. Le Fils la montre à l'humanité. Il le fait sans lui poser de question tant il s'attend à son consentement. Le Fils la dévoile devant l'histoire dans son obéissance à l'Esprit. Il y a chez elle une possibilité de se dévoiler qui lui est propre et qui se trouve chez elle à l'avance, dont le Fils dispose.

 

Marie sait que Dieu lui donne toujours ce qui est bon, même si cela ne mène pas toujours à une action pieuse ou à une prière consciente.


 

13 novembre

Origène (+ 254)

Dans la prière, il est absolument régulier, d'une régularité qui est étonnante dans la durée, dans l'intensité, dans sa volonté de prier. La prière l'imprègne constamment. Il prie beaucoup aussi pour y voir clair et pour son travail. Dans sa prière, il offre tout ce qu'il a. Quand, durant sa prédication, il regarde les gens et s'adresse à eux, il est rempli d'amour pour eux. Quand il lui arrive de faire abstraction des hommes réels, tels qu'ils sont, il pense : "Il y a ici devant moi une communauté de gens qui cherchent". Cela le rend joyeux. Il ne peut s'empêcher de voir en chaque être humain quelque chose de bon, l'un ou l'autre bon mouvement du cœur ou quelque bonne action, à un moment ou à un autre de sa vie. La plupart du temps, il commence sa prière d'une manière tout à fait personnelle, en se présentant. Devant Dieu, il est comme un enfant, de la même manière qu'en présence des hommes qu'il reconnaît il est humble.

Prière. Père, je me tiens devant toi, devant ton Fils et devant ton Esprit, comme chaque jour, toujours pour te demander la connaissance et ton aide. Tu le sais, je ne prie pas pour donner à mon œuvre plus de gloire, pour accroître ma renommée. Je voudrais te glorifier, je voudrais te servir. Plus le temps passe et plus je pense saisir quelque chose de tes mystères, plus je sais profondément et intensément que tes mystères grandissent chaque fois qu'on s'en approche, que tout ce que je pense comprendre ne demeure toujours qu'un commencement. Pourtant je voudrais persévérer, car je sais que ce début est nécessaire et que toi-même, tu veux ce commencement. Souvent je crains parce que j'ai tant de joie à ce commencement, à ce travail, parce que je me sens si enrichi par tout ce qu'il m'est permis de faire pour toi, que je fais trop de moi-même et te laisse trop peu de choix. Pourtant, Seigneur, je ne connais pas d'autre moyen pour faire sérieusement ce qui est tien que de te demander : montre-le moi et permets-le moi. Ce que je sais, c'est que tu es réellement en toutes choses le commencement et la fin. Père, accompagne aujourd'hui mon travail. Fais que je disparaisse, fais-le par amour pour ton Fils qui nous apprend à disparaître. Aie pitié pour tous mes péchés, pour toute mon imperfection. Je t'en prie au nom de ta vie éternelle, car ta vie éternelle, c'est toi, le Fils et l'Esprit Saint. Amen.


 

14 novembre

"Je suis la servante du Seigneur". Ce oui central et unique est en même temps celui qui accompagne Marie à chaque instant de son existence, éclaire chaque tournant de sa vie, confère à chaque situation son sens plénier et donne à Marie dans toutes les circonstances de sa vie la grâce toujours neuve de comprendre.

 

Toute grâce est un commencement. A l’instant où le Seigneur fait son apparition dans le monde, tout ce qui va venir est déjà là. Dans l’hostie, l’heure vient, mais elle est déjà là ; la transsubstantiation vient, mais celui qui vient est déjà là. Dans la foi, tout ce qui est promis est déjà présent. Car le Seigneur, qui était au commencement auprès de Dieu, fait de tout ce qui commence et commencera quelque chose qui recevra sa plénitude. Ce qui, pour nous, est un essai de commencement, le Seigneur en voit l’achèvement. En tout mouvement que nous faisons, en toute respiration, en chaque pas de l’homme, le Seigneur voit un mouvement vers lui et vers le Père. Toute grâce qu’il nous manifeste est un début et l’ouverture à une grâce plus grande qu’il ne nous est pas nécessaire de comprendre, mais à laquelle nous devons rester ouverts ; la grâce reçue est en nous le germe d’une grâce nouvelle à recevoir. La communion d’aujourd’hui ne fait que laisser deviner ce que sera celle de demain.

 

Sur terre, le chrétien fait l'expérience qu'il y a une atmosphère de prière qui transforme sa vie ; cette prière est tantôt plus difficile, tantôt plus facile ; en tout cas, la prière élève toutes choses dans une atmosphère d'amour où la vie au fond est rendue possible. Cette atmosphère n'est pas une possibilité parmi d'autres, elle n'est pas "quelque chose" qui est digne d'efforts, elle est la base de tout effort. A partir de cette expérience, le chrétien reçoit un accès à ce que peut être le ciel. L'atmosphère du ciel a soufflé sur lui.

 

15 novembre

Saint Albert le Grand (1200-1280)

Prière. Notre Père, tu vois bien que je voudrais te servir, et ce service, je le comprends de telle manière que ta doctrine soit expliquée par moi et qu'elle soit façonnée de telle sorte que l'Église reçoive toujours plus d'appui dans cet enseignement ainsi élaboré. Mais tu le vois : ce que je fais reste insuffisant. Malgré cela, je sais très précisément que tu m'as confié cette tâche, qu'elle vient de toi et pas seulement de moi. Il m'est difficile de l'accomplir quand je suis seul, c'est plus facile quand je vois l'enthousiasme de mes étudiants ; mais ensuite, quand je suis à nouveau seul, tout me semble impossible et hérissé d'épines. Père, enlève-moi mon péché. Donne-moi davantage de fidélité, permets que je m'oublie davantage moi-même et que je sache toujours combien ce que j'ai à faire savoir en ton nom est tien. Bénis, je t'en prie, ce travail, bénis tout ce qui est fait ici dans cette maison, bénis l'accueil qui est réservé à mon travail, c'est-à-dire à ton travail, bénis tous ceux qui s'appliquent à la question de ta vérité éternelle. Amen.


 

16 novembre

Sainte Gertrude d'Helfta (1256-1302)

Première prière. Je te remercie, Seigneur, pour la grâce que tu me fais : ta Mère me conduit à toi. Je me réjouis de pouvoir entrer au monastère pour te servir et pour apprendre toujours mieux de mes sœurs, de tous tes saints et de ta Mère en quoi consiste ton service et ce que tu désires de nous toutes. Et je te demande : montre-moi tes souhaits et permets-moi de les exaucer. Tu sais bien que je ne suis pas capable de grand-chose, mais je t'en prie, utilise tout ce que j'ai, prends tout ce qui est utilisable, ce que je n'ai pas encore et dont cependant tu as besoin. Transforme-moi, je t'en prie, pour que je puisse correspondre sérieusement à tes désirs. Je voudrais vraiment faire en tout ta volonté et plus jamais la mienne jusqu'au jour où je pourrai aller au ciel auprès de toi et de ta Mère. Dilate ma foi afin que tu puisses dilater mon service et fais que chaque jour je sois au lieu où tu veux que je sois, que je te prie avec la prière que tu veux entendre, que je fasse ce que tu désires. Je t'en prie : bénis le monde que je quitte, bénis le monastère dans lequel je vais entrer, bénis toute ton Église et chaque croyant. Je t'en prie pour l'amour de ta Mère ; c'est elle vraiment qui me conduit vers toi. Amen.

Deuxième prière. Quand je contemple ta croix, Seigneur, je comprends toujours mieux que tu as besoin de nous du haut de ta croix. Tant que je vivais dans le monde, je croyais connaître tes souhaits et, quand je te demandais d'exprimer davantage tes souhaits et de m'utiliser encore davantage, je croyais deviner la forme du chemin que tu m'avais destiné. Maintenant j'ai peur quand je vois où va ton désir et ce dont tu as besoin. Mais j'ai encore plus peur quand je vois combien nous toutes, nous nous retenons dans le don de nous-mêmes, comment toujours nous cherchons à accomplir nos propres désirs en négligeant les tiens. Quand maintenant je te demande : "Exprime tes souhaits, fais de moi ce que tu veux", je sais que ta réponse peut être plus dure que ce que j'estime supportable, et pourtant je te le demande. Je ne voudrais pas te laisser tout seul sur la croix, je voudrais me tenir là avec ta Mère et souffrir autant que tu le juges bon. Et je te prie : considère ma faiblesse non comme un refus, mais prends-moi tout entière, utilise-moi comme tu le veux, fais tien tout ce qui m'appartient, fais-en tout ce que ta volonté exige. Bénis aussi chacune de mes sœurs, qu'elles apprennent toujours mieux (et moi avec elles) à faire ta volonté. Bénis notre maison, bénis l'Église tout entière et fais que, par la bonté de ta Mère, de plus en plus de sœurs se donnent à toi. Amen.


 

17 novembre

Sainte Élisabeth de Hongrie (1207-1231)

Sainte Élisabeth a un besoin constant d'être en conversation avec Dieu. Elle est très avare de paroles dans sa prière. Elle est totalement ouverte et elle est comme une enfant, mais elle entend et voit beaucoup plus qu'elle ne parle elle-même. Les autres ne sont aucunement pour elle un obstacle à sa prière, ils la nourrissent plutôt. Elle voit réellement le Christ en ceux qui souffrent ; en ceux qui sont dans le besoin, elle rencontre les besoins du Seigneur. Il va tellement de soi pour elle de prier qu'elle ne pourrait rien dire de la durée de ses prières. Elle est simplement dans la prière et elle y reste. Elle y est comme un enfant dans un jardin. Ici il découvre un nid avec des œufs et il se réjouit, là un oiseau mort et il est terriblement triste, mais tout fait partie de sa vie. Pour Élisabeth, tout ce qu'elle vit et souffre fait partie de son existence en Dieu. Quand par exemple elle dit un Notre Père et que, pendant ce temps, un souci lui vient, il fait partie de son Notre Père. "Que ta volonté soit faite" : justement dans ce pauvre qui lui arrive maintenant. "Notre pain de chaque jour": donne-le lui ! Il n'y a pas d'interruptions, mais seulement des correspondances.


 

18 novembre

La Révélation est une entreprise de Dieu contre le péché. Dans l'ancienne Alliance, le monde est retenu dans sa chute loin de Dieu ; dans la nouvelle Alliance, il est ramené au Père par le Christ. Il rattrape la boule qui roulait en suivant les lois de la pesanteur du péché et il la rapporte au Père. La "mystique", et précisément la mystique néotestamentaire, est employée quand le monde, auquel la révélation de Dieu a déjà été adressée, fait la tentative d'échapper à nouveau à tout prix aux mains de Dieu. La mystique vétérotestamentaire avant le Christ ne cesse de faire rayonner sur le monde pécheur, surtout sur le peuple élu, une lumière venant du ciel, pour ralentir en quelque sorte sa chute.

 

Il y a une connaissance naturelle de Dieu, qui fait partie d'un ordre provisoire qui n'est pas mauvais en tant que tel. Dans quelle mesure l'homme et son image se projettent dans cette relation est secondaire par rapport au fait premier qu'il en voit les limites et en tient compte aussi longtemps qu'il n'est pas entré en contact avec la révélation plénière. Le mieux qu'il peut faire est de reconnaître que l'image de Dieu qu'il s'est faite est quelque chose qui lui correspond ; le mieux qu’il peut faire est de se tenir le plus possible ouvert et prêt pour toute révélation authentique de Dieu par lui-même. Si, d'une manière ou d'une autre, il entre en contact avec la révélation biblique, il peut finalement faire le pas de la foi chrétienne, mais ses premiers pas sur ce chemin étaient ceux d'une connaissance "naturelle" de Dieu. Dieu a créé des hommes naturels et il les a rendus capables de faire des pas vers lui, des pas qui deviennent une marche avec Dieu et dans la force de Dieu.

 

Quand nous venons au Seigneur avec une prière ou avec une idée, ce n'est pas avec le sentiment que le Seigneur n'a pas remarqué ce qui nous manque ou qu'il a oublié que nous sommes dans le besoin ou dans la gêne, mais malgré son omniscience nous attirons son attention sur des choses qui nous tiennent à cœur dans l'espoir que quelque chose d'essentiel et d'utile résultera de cette conversation pour nous-mêmes ou aussi indirectement pour d'autres.


 

19 novembre

Il est stérile de s'imaginer que Dieu pourrait se conduire tout autrement, que Dieu le Père pourrait par exemple rompre les règles du jeu vis-à-vis de nous. Il nous a montré un jour des règles précises, et il lui semble bon de les garder vis-à-vis de notre esprit. Nous comprenons ce que, par son Esprit, il nous donne à comprendre ; mais l'Esprit ne nous donne l'intelligence que si nous l'en prions. Sa grâce comble quelque chose qui est commencé et éclaire ce qui est déjà confusément présent. Il y a entre l'homme et Dieu une sorte de correspondance ; Dieu a une base : le Père, et une pointe : l'Esprit. Quand nous nous adressons à l'Esprit, nous ne sommes pas contraints certes, mais nous sommes marqués par l'Esprit. Il peut alors être comme un soufflet qui pousse nos flammes dans une certaine direction et lui-même alors devient également une flamme.


 

Parce que la conduite de l'Esprit le donne toujours lui-même - il est celui qui souffle, qui ne cesse de procéder, qui ne s'arrête jamais, qui est dynamique -, cette conduite donne beaucoup de prière. Il ne s'agit pas tellement de nos intentions de prière ni de la sorte de prière que nous pratiquons. Ce doit être une prière de la plus grande proximité possible avec Dieu. Une prière qui laisse faire, qui se tient ouverte, si bien que l'Esprit peut y souffler partout. Une prière qui s'offre, une prière de disponibilité qui est presque sans objet. Ou bien une prière tournée vers le Fils.

 

La "Révélation" est la vérité de Dieu et ce qu'il enseigne au monde. Elle reste sommaire à bien des égards, elle ne remplit pas tous les coins du domaine spirituel. La "mystique" dans l’Église peut développer bien des points qui à l'origine ne sont qu'esquissés. Le critère principal de son authenticité est qu'elle rende plus vivant le contenu de la Révélation.


 

20 novembre

Dieu a besoin de plus d'amour, c'est pourquoi il a besoin aussi de plus de prière. En tant que priants, nous pouvons aider Dieu à trouver ce dont il a besoin. Comme notre prière est emportée dans l'invisible de l’Église et de Dieu Trinité, il y a, dans nos actes également, toute une sphère qui demeure pour nous invisible. En tant qu'hommes, nous comptons sur les effets de nos actes et sur les réponses qui leur seront données. Comment Dieu réagit, nous ne savons pas. Ses temps et ses espaces sont autres que les nôtres, ses conclusions et sa manière d'avancer également. Ce n'est que dans la foi et dans l'amour que nous savons que nos actes sont gardés chez lui et que chez Dieu tout a son effet en son lieu et à son heure.


 

Adam préféra sa volonté à la volonté de Dieu, il essaya de se construire lui-même un monde dans lequel il donnerait satisfaction à ses désirs et à ses appétits sans que Dieu y mette le nez. Il essaya donc de se cacher. Avant la chute, Dieu n'avait pas besoin de montrer sa force ; après la chute, il la montre, il est capable de faire paraître au grand jour l'homme qui se cache. Pour que le pécheur puisse reconnaître cette force, il ne doit pas oublier comment c'était avant la chute ; le "naturel" de la présence de Dieu autrefois lui est gravée dans la mémoire. C'est pourquoi Dieu lui donne la foi : une relation de l'homme à Dieu, entretenue par Dieu, façonnée par Dieu. Dieu avait laissé à Adam sa liberté, l'homme pouvait inscrire son acte de foi personnel dans le cadre de la foi offerte par Dieu. Il avait le droit, le pouvoir et le devoir de réfléchir à sa foi, d'accueillir les paroles de Dieu.


 

Ève aurait eu la mission de transmettre à Adam quelque chose de la vie trinitaire de Dieu. Dieu est toujours communion d'amour et de vie. Non seulement Dieu possède tout, il transmet aussi tout ce qu'il est et tout ce qu'il a : Dieu donne Dieu. Ève fut donc créée pour révéler à Adam quelque chose de l'amour et de la vie de Dieu. Elle devait servir à la réalisation de ses désirs, à satisfaire ses attentes, à donner tout son poids à son être d'homme, en étant avec lui une créature, issue de lui et le connaissant dès l'origine. Ce qu'Ève aurait eu à transmettre n'aurait pas été seulement ce qui lui appartenait, mais toujours aussi ce qui vient de Dieu ; tout se serait passé dans la pureté de la foi, dans la pleine ouverture et dans l'échange avec Dieu.


 

21 novembre

Présentation de la Vierge Marie

Il est tout à fait naturel à Marie d’être parmi nous comme l’une d’entre nous, ce qui ne diminue pas notre vénération pour elle. En étant parmi nous, elle crée l’espace pour ce qui est l’essentiel : l’adoration de Dieu. Elle ne se fait pas petite pour qu’on remarque combien elle est humble, elle se fait proche de nous pour que tous ensemble, avec elle, nous adorions le Fils, le Père, l’Esprit.

 

Dans l'angoisse au mont des oliviers, il y a deux missions qui toutes deux sont complètes à leur manière, celle du Fils et celle de la Mère. La mission de la Mère, le Fils la porte déjà en rachetant la Mère à l'avance. Sur cette rédemption, à vrai dire nous ne savons rien. Elle est déjà accomplie quand le Fils arrive dans le monde. C'est une affaire de Dieu Trinité dans laquelle, du côté humain, seule la Mère est concernée, elle qui est déjà sur cette terre quand le Fils devient homme. La conception immaculée de la Mère, il l'a préparée dans le secret en tant que Dieu mais, dans sa passion, il doit encore payer le prix de la mission terrestre de la Mère comme il paie le prix de la sienne.

 

La Mère de Dieu a été rachetée du péché originel avant même de venir au monde, elle n'a jamais connu le péché originel. Théoriquement elle a la possibilité de tomber dans l'un ou l'autre péché, mais elle ne l'utilise pas. Si elle n'en avait pas la possibilité, sa vie ne serait pas une vie dans le monde. Mais elle ne tombe pas, tout autant par la grâce du Fils que par son oui continuel qui est sa participation ; ce oui est sa contribution. Le Seigneur l'a rachetée afin qu'elle puisse poser cet acte par amour. Par la force de son oui elle comprend le péché, elle voit sa turpitude, elle voit sa malédiction, mais elle n'en est pas touchée au plus profond d'elle-même parce que là elle est rachetée et qu'elle ne peut être touchée.


 

22 novembre

Sainte Cécile (+ vers 230)

Elle est la femme des petites prières, mais son attitude de prière est grande. Intérieurement elle est beaucoup conduite. Ce n'est pas que lui soit montré où va le chemin, elle ne voit devant elle que la vie chrétienne ordinaire. Elle fait pas à pas ce qu'elle doit faire, elle le fait sans avoir une vue d'ensemble. Elle est la douceur, l'amabilité même, et ces qualités sont l'expression de tout son être. Si elle voit une tâche, elle ne peut pas l'expliciter, l'interpréter, la comprendre. Elle est amenée à prier le Seigneur à ce sujet : "Envoie-moi ton ange pour qu'il me l'explique". Elle ne désire pas voir Dieu dans la prière ; il lui suffit de savoir que Dieu existe, qu'il lui est permis de l'aimer et de se tenir toujours à sa disposition. Si Dieu désire quelque chose d'elle, elle est là, comme dans la chambre à côté, il suffit à Dieu de se présenter. C'est justement parce qu'elle aime tellement Dieu qu'elle ne désire pas savoir ce qu'il fait, ce qu'il pense. Elle est sûre qu'il s'annoncera s'il a besoin d'elle. Quand elle comprend que le martyre approche, elle est toute abandonnée, sans crainte ; parce que Dieu le lui a dit par l'ange, tout pour elle est en ordre et elle subira le martyre en témoignage d'amour.

Prière. Notre Seigneur ! Je suis remplie davantage chaque jour de ta bonté et de ta grâce. Je voudrais t'appartenir totalement pour que tu puisses faire de moi ce que tu veux. J'ai prononcé le vœu de virginité dans l'espérance que tu voudras bien l'accepter comme ce qu'il doit être : un signe de mon amour pour toi, un signe que je suis prête à accepter de toi ce que tu veux me donner, un signe que je suis disponible pour toi et que je suis toujours prête à renoncer à ce que les femmes appellent le bonheur conjugal. Je renonce à avoir des enfants et je renonce à avoir un mari afin que tu puisses faire de moi ce que tu veux. Seigneur, je sens que ce vœu que je ne comprends pas encore tout à fait me donne la force, la force de te promettre encore beaucoup plus. Je voudrais te consacrer chaque instant de ma vie et recevoir de toi toute mort que tu as l'intention de m'envoyer. Je t'en prie, dispose de moi comme tu l'entends et fais que je ne sois pas indigne de tes promesses. Amen.

 

23 novembre

Trente-quatrième et dernier dimanche - Le Christ Roi de l'univers

Le Seigneur nous aime tant qu'il meurt pour chacun de nous ; par amour pour le Père, il nous rachète et il nous donne ce qu’il nous faut pour que son amour puisse être deviné par nous.


 

Quand le Fils quitte sa Mère, celle-ci reste dans la sécurité de sa maison et elle ne sait pas ce que va faire le Fils ; le Fils quitte la sécurité de la maison et il sait ce qu’il va faire, mais il ne le sait pas en lui-même, il le sait par l’Esprit. Comme si à cet instant sa divinité était déposée dans l’Esprit. L’Esprit en tant que Dieu, sait que le Fils va sauver le monde ; pour lui c’est une vérité éternelle, peu importe que la croix soit du passé, du présent ou de l’avenir. Le Fils par contre doit, en tant qu’homme, commencer quelque part, à zéro. Le Seigneur n’a rien, pas un seul disciple. Jusqu’à présent, son milieu c’était sa mère et Joseph. Il n’était déjà pas facile d’être Dieu au milieu d’eux, eux qui étaient pourtant croyants. Maintenant il sort de ce milieu pour entrer dans un milieu où il n’y a pas de foi. Auparavant il était dans le meilleur milieu que pût lui offrir le monde ; maintenant il doit tout quitter sans aucune sécurité et sans rien voir. Pour le Fils en tant qu’homme, cela devient un état de totale suspension : il doit sans cesse, en tant qu’homme, se laisser tout donner par le Père pour pouvoir accomplir la volonté du Père.

 

Le Seigneur a gardé le silence pendant trente ans pour agir pendant trois ans. Pendant trente ans, il a été plus ou moins protégé des péchés du monde pour ensuite, trois années durant, se trouver au milieu des pécheurs. Comme si ces trente années de contemplation avaient été une sorte de croissance dans le mystère du silence futur.

 

Ici-bas, le Fils est un homme limité ; au ciel, il est celui qui est toujours engendré par le Père ; pendant cet événement éternel, l'Esprit procède sans cesse du Père et de lui. Ici-bas, il possède l'Esprit céleste que le Père lui a envoyé, au ciel l'Esprit ne cesse de procéder de lui et du Père. Le Fils incarné vit ainsi dans une tension entre son être céleste et son être terrestre, et sa relation à l'Esprit est marquée par la même tension.

 

24 novembre

En appuyant sa tête sur la poitrine du Seigneur, Jean lui déclare sans paroles qu'il est prêt à aider tous les hommes, même les plus tièdes, les plus éloignés, à s'élever de l'amour humain à l'amour divin. C'est la forme johannique de l'amour. Même si Jean ne doute aucunement qu'il est aimé comme un ami, qu'il a une position privilégiée auprès du Seigneur, il sait pourtant que les autres sont également visés.

 

Vous êtes chrétien ? Que donnez-vous à la personne que vous aimez le plus ? Le Seigneur, n'est-ce pas ? Du Seigneur, vous n'avez sans doute qu'une vague idée. Vous offrez donc votre vague idée. Et pourtant vous savez que votre don est beaucoup plus grand que vous ne le pressentez. Pour vous et pour les autres, il peut avoir des conséquences telles que vous n'avez aucune idée de ce que vous avez donné en vérité.


 

Adrienne. Quand je priais, je disais souvent : "Bénis tous ceux que j'aime et bénis ceux que je ne peux pas supporter". Où sont ces derniers ? A certains moments je ne sais plus. L'amour est si grand que je voudrais le partager sans faire de choix ; il est suffisamment grand, tous peuvent en avoir leur part.


 

Réflexions d'Adrienne, étudiante en médecine, de service à l’hôpital. Le soir, avec la responsabilité que j'ai (parce que j'ai quelque chose dans le cœur), je passe souvent dans les salles très doucement et je ne réveille personne. Mais ceux qui ne peuvent pas dormir et ceux qui souffrent, je les tranquillise. Ils aiment ça. Je vais dans mon service auprès de tous ceux qui viennent d'être opérés et auprès des personnes âgées qui sont plus ou moins agitées, et auprès de ceux qui sont gravement malades, et beaucoup disent qu'à partir de ce moment-là ils ont été tranquilles. A l'un on donne un peu la main, ou bien on la met toute fraîche sur leur front, à un autre on donne une goutte de thé. L'amour a beaucoup plus d'effet la nuit que le jour. Le jour, les autres sont là ; la nuit, ne sont éveillés que ceux qui ont besoin d'amour. C'est vers minuit que je fais mon tour. En passant dans les salles, je prie un peu. Je demande au Bon Dieu de bien vouloir aider ici, de donner un instant de sommeil à cette pauvre femme, de donner à cette autre, là, quelques bonnes pensées, ou bien de montrer à celle-ci qu'il y a de l'amour dans le monde, que l'existence a un sens.


 

25 novembre

La révélation de Dieu peut être comprise de telle sorte que, dans toute la nature, la question de l'origine s'impose au chercheur. Il pourrait aussi se faire que lorsque l'homme qui s'interroge se heurte à ce commencement qu'il appelle "Dieu", ce soit déjà une réponse à une question précise que Dieu lui a adressée. Il se peut donc que dans cette révélation tout aride de l'origine, qui peut sembler purement scientifique, Dieu ait déjà touché celui qui pose la question d'une étincelle vivante de son être divin éternel. Il se peut que sous le couvert de cette question d'origine, Dieu ait déjà saisi l'homme. Ce qui auparavant, pour la nature de l'esprit qui cherche, pouvait être désigné comme une sorte d'étincelle de surnaturel, devient maintenant une révélation surnaturelle. En toute manifestation de Dieu, il est impossible de séparer nettement nature et surnature. Car les conditions d'apparition de cette première étincelle se trouvent toujours aussi dans la nature des choses et dans l'esprit qui cherche.

 

Dieu offre constamment à celui qui est patient de nouvelles révélations de l'amour, qui éveillent en lui un nouvel étonnement : Qu’est-ce que c'est que ça encore ? Ah ! C'est l'amour de Dieu qui est comme ça cette fois-ci !

 

De même que la fiancée se pare pour son prochain mariage, de même on jeûne avant une fête ; on se sépare ainsi plus à fond du charnel pour mieux percevoir la voix de Dieu parce qu’elle retentit alors dans un espace vide, qu’elle coule dans un vase purifié.

 

Est vrai ce qui est réel, et Dieu est réel. Toute réalité que l'homme saisit, de quelque manière que ce soit, a son prolongement et son centre de gravité en Dieu lui-même.

 

Nous savons certes que Dieu est amour, qu'il possède tout ce que nous n'avons pas et ne savons pas. Notre désir se porte vers lui comme vers un ami que nous admirons parce qu'il a beaucoup de choses et qu'il sait ce qui nous manque, et pourtant nous pouvons jouir de son amitié.


 

26 novembre

Dans le contrat avec Dieu, il n’y a pas de clauses de réserves. Si, intérieurement, on en mettait, le Seigneur se chargerait de nous faire savoir que tout contrat avec lui débouche sur l’infini et qu’il est fatal que nous ayons à perdre pied à un moment ou à un autre, que nous ayons l’impression qu’on nous en demande trop. Avec le temps, nous comprendrons qu’il est raisonnablement impossible d’imposer au Seigneur des conditions, de limiter la durée de notre service, de mesurer le don de nous-mêmes. Le Seigneur veut tout : le don tout entier de nous-mêmes et notre temps tout entier.

 

Pour les hommes de l'ancienne Alliance, il est important qu'en présence d'irruptions fulgurantes de Dieu, ils ressentent leur foi comme quelque chose de provisoire et d'inchoatif. Ils doivent toujours s'attendre à ce que Dieu peut, d'en haut, forcer à nouveau les limites de leur foi. Même la sphère des prescriptions de la Loi, strictes et explicites, reste dans son ensemble un monde de pressentiment et de provisoire, non seulement parce que l'ancienne Alliance doit rester ouverte à la nouvelle qui va venir, mais parce que, de toute évidence, aucune lettre ni aucune Loi n'est capable de saisir le Dieu vivant tel qu'il est en lui-même. La lettre et la Loi de l'ancienne Alliance sont davantage le signe que Dieu a saisi l'homme plutôt que la garantie que l'homme est arrivé à des relations définitives avec Dieu.


 

Jean-Baptiste vient avec la force d’Élie ; en unissant la force prophétique de l'Ancien Testament à l'Esprit Saint du Nouveau Testament, il devient le point d'union des deux Testaments. Pour les chrétiens d'origine païenne, l'Ancien Testament sera aussi comme leur propre passé et leur propre tradition ; pour eux également vaut ceci : avant de devenir chrétiens, les païens étaient Juifs en un certain sens bien qu'ils ne le fussent pas selon la chair. Il n'est possible à aucun chrétien de n'accepter que le Nouveau Testament, il doit assumer aussi sa préhistoire. Les Juifs, eux, qui rejettent le Nouveau Testament, ont perdu par là le droit à l'Ancien Testament, bien que Dieu finalement les rattrapera par sa grâce.

 

Le Seigneur apaise le désir en l'allumant plus fort. Il remplace une soif par une autre soif : la soif de faire connaître aux autres ce qu'il a découvert lui-même.


 

27 novembre

La meilleure manière de s'occuper de soi selon Dieu, c'est de ne plus s'occuper de soi et d'en laisser le soin à Dieu. Le Fils nous enseigne que, durant la prière, nous devons laisser derrière nous tout ce qui nous entoure et nous préoccupe dans le monde. Si nous nous rendions auprès de Dieu avec nos préoccupations de tous les jours, nous ne serions jamais réellement libres pour un véritable entretien avec lui, toute l'inquiétude de nos soucis et de nos travaux pénétrerait avec nous dans le silence de Dieu et nous empêcherait d'écouter et de recevoir dans le recueillement. Même s'il n'est pas facile de se tenir devant Dieu entièrement dépouillé de ses propres préoccupations, cela reste néanmoins la condition indispensable pour obtenir ses dons les plus précieux. Ce n'est pas que Dieu se désintéresse de nos affaires terrestres, mais il faudrait que nous ayons encore plus d'intérêt pour les siennes.

 

La mission invisible de l'homme est toujours proportionnelle à l'amour, même quand la mission visible paraît secondaire et extrêmement petite. Un amour parfait peut rester dans l'Eglise totalement caché, il agira cependant parfaitement. Jean est aux débuts de l'Eglise celui en qui l'amour et la mission coïncident.

 

Personne ne peut, par ses propres forces, amener quelqu'un au Seigneur tel qu'il est ; par ses propres forces, on ne peut l'amener qu'à une fausse image du Seigneur ; le passage est souvent imperceptible entre le désir de convertir quelqu'un au Seigneur et celui de le convertir à soi.


 

Dans le ciel, sans doute avons-nous certains traits, mais nous sommes tous aussi les uns dans les autres, parce que nous sommes tous en Dieu. On vit là dans une communion perpétuelle ; c'est plus qu'une fraternité, c'est une unité dans le Seigneur. Ici-bas, on doit faire un choix parmi les initiés, les amoureux : lui pourrait le savoir, etc. Au ciel, un choix n'est pas nécessaire parce que tout le monde connaît les choses de l'amour. Par cette participation infinie à l'amour qui remplit chacun totalement et le change continuellement, ce qui est personnel n'est pas étouffé, chacun reste lui-même, mais dans le sens donné par Dieu, parce que tous portent en eux la semence de Dieu.

 

28 novembre

Adrienne demande un jour au P. Balthasar : "Que faire maintenant ?" Lui : "Je dis qu’on doit faire la pleine volonté de Dieu dans le cadre limité de sa vie. Il ne désire rien de plus".


 

Le Fils est Dieu et homme. Dans son existence terrestre, il y a des instants où il laisse sa divinité être ombragée par son humanité. Cependant il n'est jamais homme de telle sorte qu'on ne puisse reconnaître et deviner sa divinité à l'arrière-plan. Sur la croix, il veut se cacher totalement à lui-même sa divinité pour souffrir comme un homme pur et simple et se sentir abandonné par le Père.

 

Le Seigneur est attaché à la croix. Les limites qu'exige la vie humaine, il y reste fidèle jusqu'à la fin ; la défaillance et l'indifférence de son prochain, il les supporte comme un homme qui fait la volonté du Père. Lui, le Fils de l'homme, ne veut pas trahir sa promesse d'être homme jusqu'au bout.

 

Job est conduit sur une voie de total dépouillement, de vide, de nudité devant Dieu. Mais l'ultime nudité devant Dieu sera atteinte quand le Fils sera suspendu à la croix.

 

Le bon larron a été converti par la vue du Seigneur sur la croix. La vue du Seigneur qui lui fut accordée un instant l'a rendu, par la grâce, digne du ciel, cependant il a mérité le gibet. La révélation que le Seigneur fait de lui-même au larron est si pleine de grâce que pour lui tout est mis en ordre avant même qu'il ait expié sur cette terre.

 

Nous avons le droit d'entrer dans le mystère de l’abandon du Fils sur la croix. Quand, dans l’Évangile, il se retire pour prier seul ou quand il va avec ses disciples se reposer dans un endroit désert, dans tous les cas il est toujours là pour ses disciples, pour le monde à sauver.


 

29 novembre

Bien que Dieu ait toujours su que l'homme allait pécher, il y a une blessure, une offense et une tristesse de Dieu, ce que Dieu ressent du fait du péché.


 

Avant l'incarnation, l'homme pécheur était trop faible pour se détacher efficacement du péché. Dans l'Ancien Testament, il avait sans doute la promesse et la Loi, mais la grâce n'avait pas encore la pleine réalité que possédait le monde terrestre. Par les prophètes, quelques voix isolées se faisaient entendre en provenance du monde de Dieu. Mais l'effort pour mettre un terme à la désunion entre Dieu et le monde des hommes dépassait les forces de l'homme. En devenant homme, le Fils a surmonté la distance. Si nous ne faisons pas attention, un autre danger nous menace maintenant : ne voir en lui que l'homme et considérer sa connaissance du Père et son existence dans l'Esprit comme quelque chose d'abstrait et d'irréel. D'où l'importance essentielle d'une méditation trinitaire du Fils, il est pour nous la lumière trinitaire. Pas plus qu'un prêtre, même quand il ne célèbre pas, ne peut se défaire de son caractère sacerdotal, le Christ ne peut se défaire de la Trinité. Si on est en relation avec lui, on ne peut à aucun moment faire abstraction de la Trinité.

 

Quand nous adressons au Christ une prière vraie, authentique, nous parlons dans l'espace de Dieu Trinité et la réponse nous vient de la Trinité tout entière. Cela nous encourage à nous souvenir toujours dans la prière de cette triple présence dans l'unité. Jamais Dieu ne laisse une personne se retirer pour laisser à une autre la priorité ; il est toujours présent d'une manière totalement trinitaire.

 

Dieu nous a appelés avant que nous le connaissions. Nous devons voir qui il est et, le voyant, nous devons expérimenter le désir de le connaître plus profondément. Pour Dieu, se donner à connaître appelle une authentique relation entre lui et nous. Le Seigneur nous a appelés de lui-même, ce n'est pas nous.

 

30 novembre

Saint André

Ce qu'il comprend du Seigneur, c'est avant tout sa bonté, sa douceur. Il est différent de Jean que l'amour a tellement saisi qu'il ne peut jamais assez aimer et être aimé, qui est un solliciteur en amour. André, c'est la régularité, la douceur dans l'amour. C'est dans le calme qu'il a répondu au Seigneur et qu'il s'est confié à lui, il demeure auprès de lui, il fait sa volonté, et tout cela dans un équilibre total, en toute sécurité, avec l'esprit le plus conciliant. Il n'accomplit pas d'exploit d'amour comme Jean, mais il accomplit des efforts réguliers, ce qui ne veut pas dire qu'il s'en tient à un minimum. Son programme consiste plutôt à rendre accessible au plus grand nombre possible de gens ce qu'il a compris ; à ses yeux, c'est peu de chose. Semer un commencement chez le plus grand nombre possible de gens ; il est très conscient que ce n'est pas plus qu'un commencement. Il reste celui qui cherche tranquillement, qui n'a pas besoin de chercher le fin fond des choses ; il demeure dans une perpétuelle ouverture à tout ce qui vient, sans exiger. Il serait déjà heureux si tout le monde commençait au moins à croire et surtout si tous les hommes s'entendaient. Il veut les aimer, non les dominer. Il veut purifier l'atmosphère entre les hommes. André voit dans l'attitude de confession une disposition qui facilite les bons rapports entre les hommes. Quand celui qui a failli se repent humblement, cela encouragera les autres à faire de même. Si par contre quelqu'un se montre arrogant et se ferme, il est pour les autres un obstacle sur la voie du repentir. André est simple et honnête. Peut-être que les apôtres se sont tous réellement accusés de leurs fautes les uns aux autres. Par le seul fait qu'André s'accuse à l'un ou à l'autre seulement, il donne à tous une participation plus grande à sa vérité, à son attitude. Il le sent très clairement : quand il ne s'est pas confessé, il ne peut pas avoir avec les hommes des relations d'une vérité sans mélange, ni parler d'amour.


 

1er décembre

Avent

Si on connaît l’incarnation du Fils, il n'est pas difficile d'en déduire aussi le renoncement de l'Esprit Saint. Si on compare l'incarnation du Fils à une infirmité, l'ami ou la famille de l'infirme y prend sa part, ils sont concernés, ils compatissent. On renonce à bien des choses quand un membre de la famille est malade. L'incarnation du Fils ne diminue pas sa gloire, elle la fait ressortir au contraire, parce qu'il y renonce pour pouvoir la faire mieux rayonner. Il serait absurde de penser que le Père et l'Esprit veulent garder pour eux leur gloire alors que le Fils y renonce lui-même. Il n'y a certes qu'une seule gloire divine qui est commune aux trois. Si déjà, entre humains, il y a dans l'amour une solidarité qui ressort particulièrement quand l'un souffre, il serait étrange que l'auteur des commandements de l'amour ne les observe pas lui-même. Et comment, sans renoncement, l'Esprit devrait-il couvrir la Mère de son ombre ? Le but et le résultat de son acte divin ne se trouvent pas en lui-même, mais dans le Fils. Quand l'Esprit dépose la semence du Fils dans le sein de la Mère, son acte divin devient un acte humain (dans son résultat), bien que tout l'événement de l'incarnation reste une action divine des trois personnes divines.


 

Quand le Fils devient homme, il conclut une sorte d'accord avec le Père : il fera toujours la volonté du Père, il ne commettra pas de péché. Mais le Père qui, de toute éternité, lui donne de le voir, ne veut pas que cette vision soit interrompue. C'est en regardant le Père que le Fils devient homme et il devient cependant totalement homme, car il veut savoir lui-même par expérience comment l'homme peut vivre avec les éléments de la foi, il veut savoir ce qu'est le don que Dieu Trinité lui offre pour pouvoir vivre avec Dieu. De cette manière, le Fils fait l'expérience lui-même et de la foi et de la vision sans que les deux coïncident nécessairement.


 

2 décembre

Avent

Quand Marie reçoit la certitude naturelle qu'elle est enceinte, son existence entre dans une nouvelle sphère. La sphère où elle a donné son oui à l'ange était le monde de sa prière et de ses relations avec Dieu, mais elle est aussi la jeune fille qui a à vivre dans un milieu naturel et ce milieu s'intéresse à l'événement. Élisabeth fait partie de son milieu et Marie est renvoyée à elle par l'ange ; elle part dans l'obéissance, elle emporte avec elle son secret dont elle ne sait pas les effets qu'il aura lors de sa visite. Son obéissance à Dieu ne s'oppose pas au besoin personnel qu'elle a de voir Élisabeth et de s'entretenir avec elle. Il y a alors une conversation entre parentes, une conversation intime, mais non indiscrète, une conversation qui est nécessaire pour les deux, le modèle d'une bonne conversation entre femmes, d'une juste confidence et d'une rencontre féconde au cours de laquelle il se passe quelque chose. Une conversation qui est conduite d'une manière totalement naturelle et en même temps totalement en Dieu. Par leurs fils, les deux femmes sont appelées à des tâches ; elles doivent à Dieu et à leurs fils d'être telles que l'exige leur mission et en cela d'être "fidèles à elles-mêmes" en toute simplicité. Les deux s'aident et se soutiennent mutuellement dans leur tâche. La conversation des deux femmes ne tourne pas autour des femmes elles-mêmes mais autour de ce que Dieu attend, de ce que leurs fils deviendront, de ce que les femmes veulent en commun laisser faire ; et laisser les choses ainsi se faire est une contribution des plus actives. Chacune des deux ressent de la vénération pour la mission de l'autre et cherche à la soutenir. Elles ont l'une et l'autre quelque chose à dire dans l’Église du Seigneur, nonobstant le fait que "les femmes doivent se taire dans l’Église". Elles portent l’Église ensemble, non dans la prière maintenant, mais justement dans leur conversation. Dans cette conversation se décident des destins de l’Église visible, active : la présence de Marie avec son enfant éveille dans le sein de la cousine la mission de l'autre enfant. Avant même que le précurseur annonce la venue du Seigneur, la rencontre des femmes a conduit les relations des deux envoyés au stade de l'éveil.


 

3 décembre

Saint François-Xavier (1506-1552)

Première prière. Père, je voudrais te servir : Toi, ton Fils et l'Esprit et notre Vierge bienheureuse. Je voudrais t'offrir ma vie de telle sorte que tu ne doives jamais penser que je ne veux t'en donner qu'une part ou faire triompher en quelque point mon propre avantage. Je voudrais que ma vie devienne un service et que ce service, ce soit toi qui en disposes selon tes besoins, afin que tes projets, quels qu'ils soient, se réalisent mieux. Tu connais mes projets de vie, tu connais aussi la joie que j'ai pour mes propres aptitudes, et la joie que j'ai de pouvoir développer mes capacités et mes connaissances. Mais je voudrais t'abandonner entièrement cette joie, qui n'est pas de l'orgueil au fond, et te remettre tout ce que j'ai pour que je ne fasse rien d'autre que ce que tu as projeté pour moi. Tu vois cette nouvelle fondation qui naît et comment ces hommes ne cherchent et ne visent que ce qui est tien. Je crois comprendre nettement que tu veux que je devienne l'un d'entre eux et que nos forces soient utilisées par toi de telle sorte qu'aucun d'entre nous ne sache plus jusqu'où va ce qui lui est propre, ce qui est à moi et ce qui est propre aux autres. Peut-être cela sera-t-il pour moi un sacrifice parce que j'étais habitué à jeter des coups d'œil en arrière. Cela aussi, je le dépose entre tes mains, Père. Mes habitudes ainsi que tout ce à quoi j'étais attaché en apparence ou réellement, je veux te les remettre et je veux faire avec les autres, dans une parfaite obéissance, tout ce que tu veux si seulement tu me montres que ce chemin est le bon. Mais je crois que tu me le montres déjà par le chemin des autres qui me paraît clairement être juste. Bénis, Père, ce qui va se faire, bénis chacun de nous et fais que ton œuvre, que tu fais par nous, soit utile à ton Église tout entière. Amen.

Deuxième prière. Père, fais que se développe l’œuvre de notre mission comme toi et notre supérieur le veulent. Tu vois comment elle s'étend, comment chaque jour la tâche devient plus vaste. Souvent il m'est très pénible de quitter un lieu pour un autre, car je sais chaque fois que je laisse derrière moi quelque chose d'imparfait et que les nouveaux convertis auront trop peu d'aide. Ils auront du mal à persévérer dans la plénitude de la foi où ils se trouvent maintenant et ils courront le risque d'être déçus. D'autre part, je sais qu'on attend ailleurs notre venue, beaucoup espèrent en nous et nous ne pouvons pas les décevoir parce que nous avons quand même à leur apporter ton message et celui du Fils, de l'Esprit et de la Vierge Marie. Père, je t'en prie, complète ce qui est imparfait ; ne permets pas que se refroidisse le zèle dont témoignent maintenant les croyants. Ne cesse de les remplir toi-même de ta vérité et de ton amour. Fais que beaucoup te prient pour les nôtres, pour qu'ils les aident et que tu puisses utiliser leur intercession afin que l’œuvre, qui doit t'appartenir, puisse être aussi reconnue comme étant la tienne. Père, je te prie aussi pour tous ceux que je dois laisser derrière moi, qui attendent mon retour, pour ton Église tout entière avec son visage si varié, et pour tous ceux qui ne croient pas encore et qui doivent parvenir à la foi par ta mission. Je te prie aussi pour moi, Père, donne-moi la force de demeurer fidèle et donne-moi tant d'amour que tous ceux que je rencontre pressentent par moi ton amour et soient gagnés pour toi. Amen.


 

4 décembre

Avent

La Parole de Dieu devient un homme parmi nous. Elle est donc capable d'être sur terre comme l'un de nous. Nous comprenons que toute parole en Dieu peut faire tout ce que Dieu lui donne. Quand nous vivons en croyants, nous participons à la vie divine par la Parole. Par nous-mêmes nous sommes sans force et incapables ; mais en répondant, nous sommes tellement dans la Parole que la force de la Parole suffit pour assumer notre faiblesse stérile et en faire la faiblesse féconde de ceux qui aiment.

 

Le Fils devenu homme a un besoin de prière et de conversation avec le Père, il a besoin de lui répondre. Parfois il est rempli de certitude, quand il annonce sans angoisse, dans le pur amour, qu'il est venu pour glorifier le Père. Il arrive aussi qu’il se trouve dans la plus grande nécessité et qu'il attend impatiemment une réponse du Père. Et cette réponse se trouve au fond dans le fait que le Fils dit : "Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux". De même dans une amitié, la relation fondamentale peut toujours être la même, mais on peut y avoir recours de différentes manières. C'est tantôt connaître d'une manière habituelle l'existence de l'ami, tantôt avoir avec lui une conversation approfondie. Dans le premier cas, je sais qu'il y a correspondance : pendant que je pense ou fais ceci ou cela, l'ami de son côté pense et fait quelque chose de conforme à notre relation. Dans la conversation, ce qui est commun et réciproque est plus clairement sensible. Ainsi la relation du Père et du Fils est absolument constante, dans l'éternité certes, mais aussi quand le Fils devenu homme assume, dans cette relation constante, de nouvelles variations de distances. Quand, durant la passion, le Père se cache, c'est parce qu'il est entré dans le jeu du Fils.

 

On peut réellement saisir quelque chose de Dieu. On peut se raccrocher au nom du Fils pour accéder au Père invisible. Et pourtant la prière se met en mouvement vers Dieu tout entier, bien que ce soit plutôt Dieu qui se met en mouvement. Dieu entre dans l'âme, il assume tout l'événement ; celui qui prie laisse faire.

 

Ce qui distingue la foi chrétienne d'un autre enrichissement de connaissance et de savoir, c'est qu'elle est vivante et se développe jusqu'à ce qu'elle soit devenue la chose primordiale de l'homme.


 

5 décembre

Avent

C’est un vrai travail pour Dieu de se faire entendre sur la terre, et plus encore de devenir homme. Notre endurcissement et notre manque d’intelligence sont si grands qu’il doit comme s’ouvrir un passage de force : avec les voix et les visions des prophètes, etc. Il faut beaucoup d’efforts à Dieu pour qu’il en arrive au point d’oser venir dans le monde. Et plus tard les saints sont chargés de réaliser son œuvre.

 

Par sa naissance de la Vierge Marie, le Christ reçoit un corps qui est engendré du Père par l'Esprit Saint mais qui, dans son humanité, ne se distingue en rien des autres corps humains. Et pourtant c'est un corps qui est en parfait accord avec toute l'attitude du Fils incarné devant le Père, qui participe à l'obéissance du Fils dans sa vision du Père, et cette vision est le propre du Fils seul : "Personne n'a vu Dieu sauf le Fils unique". Le Christ voit du Père ce qui lui est montré par le Père. Le corps n'est pas du tout un empêchement pour s'approcher de Dieu. Le Christ, en tant que second Adam, peut voir Dieu avec son corps humain comme il plaît à Dieu ; il ne connaît aucune sorte d'empêchement provenant du péché originel, ni du péché en général. Le Père a recréé pour le Fils l’état d’avant le péché originel afin que le Fils lui prouve qu'on peut vivre avec le corps créé par Dieu. C'est avec ce corps qu'il meurt sur la croix pour tous les pécheurs, non pour amener notre fin, mais pour nous transmettre la vie : dans la résurrection de son corps, notre résurrection est comprise depuis toujours. Le premier cadeau du Père - le corps - qui a été méprisé par le péché, débouche, par le don de la passion du Fils qui a porté nos péchés, dans une existence corporelle définitive auprès de Dieu.

 

Saint Thomas d’Aquin cherche à capter la grâce dans ses définitions, il se laisse cependant aussi surprendre par la grâce, et cela le surprend que la grâce puisse être si surprenante.


 

6 décembre

Avent

Marie ne sait rien tout d’abord de sa conception immaculée. Marie se développe d’une manière insouciante, joyeusement, mais en même temps avec sérieux ; un peu comme une princesse qui est consciente de son rang et qui est pourtant élevée avec d’autres écolières ; elle doit peut-être à elle-même, peut-être à Dieu, peut-être à quelqu’un qu’on ne peut pas préciser, d’être et de rester comme ça et pas autrement, de s’épanouir dans la direction qui fait partie d’elle-même et qui lui a été donnée à l'avance. Comme si elle sentait en elle la disponibilité au oui qui arrive.


 

Le Fils devenu homme apprend en quelque sorte à connaître le Père de manière nouvelle en tant que maître de la création. C'est lui qui a créé les hommes et le Fils apprend maintenant à le connaître en tant qu'homme, dans sa situation extérieure. Il est heureux et en même temps il est inquiet. Car il y a la force du péché, ses plus fidèles s'égareront comme Adam et Ève qui étaient les plus fidèles du Père. L'expérience du Père avec la création se répète dans le Fils. Il se trouve maintenant là où se trouvait le Père et ses plus proches ; ses disciples, représenteront Adam et Ève. Tout en sachant qu'il va racheter le monde par sa mort, il sait en même temps que, durant sa vie, il n'obtiendra pas un résultat décisif. D'un point de vue terrestre, Judas aura le dernier mot. Le péché a causé de tels ravages que seule sa mort peut tout arranger.


 

L’existence historique du Fils de Dieu dans le temps est là pour nous montrer sa réalité éternelle. Nous n'étions plus sensibles à la réalité et à la vérité cachées en Dieu, sa Parole devint donc chair pour que Dieu devienne à nouveau pour nous une réalité.


 

L'eucharistie est cachée dans l'incarnation. L'incarnation est l'acte du Père, le Fils laisse faire. L'eucharistie est l'acte du Fils et le Père laisse faire. Mais parce que la volonté du Fils se trouve dans la volonté du Père, la volonté de l'incarnation et la volonté de l’eucharistie coïncident.

7 décembre

Saint Ambroise (333-397)

Il comprend qu'il devrait accompagner de sa prière les personnes qu'il attire par ses paroles et par ses écrits. Il prie Dieu de lui faire le don de la prière. Une prière pour obtenir l'adoration pure, anonyme. Il a fait abnégation de lui-même et Dieu exauce sa prière, il lui accorde ce qu'il lui a demandé. Ce ne sera jamais une prière très riche, mais une prière humble et pure. Dans la prière, il oubliera tout à fait que c'est lui qui prie. Il commence toujours par le Notre Père. Après, il y a souvent un long moment avant qu'il entre vraiment dans la prière. "Dieu, permets que tout ce que font les nôtres dans l'Eglise se fasse toujours plus en ton nom et fais que tout se passe dans l'unité que tu décides. Tu vois qu'il est toujours difficile pour moi d'accomplir mes actions en ton nom. Je projette toujours de mettre à ta disposition ma tâche quotidienne, mon service, de telle sorte qu'à aucun moment je ne t'oublie et que tu sois constamment présent à mon âme. Mais il me semble toujours, quand j'accomplis quelque chose dans une intention qui est liée à toi, d'oublier quand même tout à fait, quand je passe à l'acte, que je le fais pour toi. Père, je t'en prie, éloigne cela de moi. Je ne cesse de prêcher à mes auditeurs qu'ils doivent agir comme si tu étais toujours présent, et tu l'es certes en vérité. Père, je voudrais te recommander sans cesse mon ministère, mon travail ; je voudrais tout remettre entre tes mains afin que tu préfères tout me prendre plutôt que de me laisser devenir un grand pécheur. Père, reçois cette prière imparfaite ! Écoute-la, je voudrais l'avoir dite dans l'Esprit de ton Fils. Tu sais que je l'aime, que j'aime ton Esprit et que, par ton Fils, j'apprends également à t'aimer, toi aussi, toujours davantage. Accorde-moi aussi que quelque chose de cet amour soit contenu dans la prière que ton Fils nous a apprise et, bien que je sois un tel pécheur, laisse-moi prier avec lui : Notre Père... Amen".


 

8 décembre

Immaculée Conception de la Vierge Marie

On peut dire que la conception immaculée de Marie est un cadeau du Père au Fils. Cependant, bien sûr, Marie est rachetée, c’est-à-dire rachetée par le Fils. Il y a là comme un accompagnement de l’œuvre du Fils par le Père, comme une preuve avant la preuve, comme une assurance que le Père donne à son Fils sur le chemin qu'il prendra. Le fait que nous soyons marqués par le péché originel a comme caractéristique que nous sommes enclins à pécher encore. Dans sa conception immaculée, Marie a comme caractéristique d’annoncer l’arrivée de la pureté toujours plus grande du Fils, de sa divinité. Elle est comme une alliance que le Père donne au Fils, un gage que l’œuvre de la rédemption réussira.


 

Le Fils se choisit comme Mère l'être humain qui appartient totalement à Dieu, dans lequel il n'y a rien qui serait dirigé contre le Père. On pourrait avoir l'idée que, de cette manière, le Fils se fait la partie belle, il se prépare un nid dans lequel au fond tout le monde aimerait bien se trouver. N'aurait-il pas mieux fait de choisir une pécheresse pour la convertir par sa venue? Mais il ne s'agit pas de cela maintenant. Dans le choix de Marie, se trouvent les plus grands égards pour le Père : le Fils veut lui montrer que l'être humain que le Père avait en vue lors de la création existe réellement. Pour le Fils, il sera beaucoup plus difficile de l'emmener, elle, l'innocente, dans sa passion, il sera beaucoup plus difficile d'exiger de sa pureté qu'elle soit insérée dans l'œuvre de la rédemption, d'en faire la corédemptrice. Il sera beaucoup plus difficile d'associer à tout cela un être immaculé plutôt qu'une convertie, une convertie qui aurait tant à expier pour elle-même et qui porterait volontiers quelque chose de la faute commune à tous.


 

Marie est rachetée à l'avance et elle oriente toute sa vie vers le Fils. Lui-même, par sa grâce, lui a donné cette direction. Parce qu'elle est un être humain, elle pourrait aussi se disposer autrement, elle ne le fait pas, elle persévère dans la grâce ; tout ce qu'elle fait, se passe dans la grâce. Son "mérite" réside dans le fait qu'elle ne change pas de direction. Dès le commencement, ce mérite est inclus dans la grâce du Seigneur si bien qu'elle vit dans cette grâce, la donne et l'engendre, et elle persévère dans ce rôle qui lui revient comme à personne d'autre. Si on voulait imaginer qu'elle aurait ressenti un jour l'envie de quitter sa voie, elle se serait cependant, à l'instant même, reprise parce que la conscience qu'elle a d'être tenue par la grâce est tellement forte.


 

9 décembre

Avent

La semence de Dieu est déposée en Marie pour que naisse d'elle l’Époux de l’Église. Quelque chose qui était Dieu devient chair en Marie. Elle doit mettre à la disposition de l'incarnation tout son corps, l'extérieur et l'intérieur, pour que puisse se réaliser cet événement. L'Esprit réalise l'incarnation en couvrant la Mère de son ombre. Lorsque l'Esprit couvrit la Vierge de son ombre, l'acte de création du Père dans le monde est prolongée, et le résultat en est l'incarnation du Fils qui se laisse devenir homme. Le Fils devient homme dans le sein de sa mère sans que soit lésée l'intégrité de la Trinité ; il vivra dans la vision du Père sous la conduite de l'Esprit. L'incarnation n'est pas une idée, Dieu est véritablement devenu chair sensible.

 

En devenant homme, le Fils apprend à connaître la manière humaine d'aimer et c'est avec cet amour qu'il doit désormais aimer le Père, pas uniquement avec l'amour divin. En tant qu'homme il apprend toujours mieux ce que le Père signifie pour lui humainement, le Père qui engendre éternellement le Fils. Il grandit dans la connaissance de la grandeur de cet amour du Père qui est son Père personnel. Il y a là reconnaissance, disponibilité, mais aussi une non-compréhension de la grandeur de cet amour paternel. On ne doit pas penser que le Fils, parce qu'il a la vision du Père, pénètre pour ainsi dire absolument son amour ; s'il le faisait, il le limiterait. Si, en tant qu'homme, il est subjugué par la démesure de l'amour du Père, il ne lui est pas possible de s'évader dans sa vision divine pour se tranquilliser. Le désir ardent du Père qui se trouve dans l'amour humain du Fils n'est pas simplement satisfait par sa vision, il y a aussi l'étonnement sans mesure de l'homme Jésus que justement il puisse être l'élu de Dieu, le Fils de Dieu. Il n'a pas cette pensée en tant que Dieu mais en tant qu'homme. Le Fils, dans son étonnement humain concernant son élection, ne peut certes pas penser qu'un autre ferait mieux que lui, ce que pensera chaque saint devant son élection et sa mission. Son étonnement n'est pas non plus seulement l'expression accidentelle de l'étonnement fondamental qu'il partage avec toutes les créatures aimées du Père, dans cet étonnement il ne se raccroche pas non plus à ses attributs exceptionnels qui pourraient lui prouver la "dignité" de son élection. Étant l'homme qu'il est - l'Homme Dieu -, il s'étonne au contraire de l'amour du Père qu'il est seul à connaître de cette manière.


 

10 décembre

Avent

De même que le Fils sur la croix renonce à savoir qu'il est Dieu et qu'il ne souffre que comme un homme, il y a de même chez le porteur de la semence du Père, l'Esprit Saint, un renoncement correspondant quand, sur mission du Père, il ne veut plus se sentir que comme porteur de la semence et qu'il s'abaisse au rôle de féconder la Mère, non seulement jusqu'à devenir homme comme le Fils dans son incarnation et son humanité, mais jusqu'à n'être que le spermatozoïde d'un homme, et ceci bien que l'Esprit soit Dieu et qu'il porte Dieu sur mission de Dieu. Il abandonne donc totalement sa divinité pour remplir sa mission divine afin que la glorification du Père par le Fils soit parfaite et qu'ainsi la Mère également participe à la rédemption du monde par le Fils. Il est comme réduit à n'être qu'une fonction, ce qui inclut qu'il renonce à son être propre jusqu'à l'ignorer. L'Esprit d'amour n'est plus que le porteur de l'amour, il en est tellement le pur porteur qu'il n'est comme pas touché par ce qu'il porte, il l'insère dans la Mère comme un tout venant de Dieu le Père. Comme si rien n'en adhérait à lui, comme s'il ne pouvait rien détourner de cet amour pour le faire entrer dans son être propre, et comme s'il ne voulait rien non plus y ajouter de propre, pour le laisser tel que le veut celui qui a donné l'ordre, le Père. L'Esprit ne s'est pas incarné, mais il assume pourtant une partie du chemin qui mène à l'incarnation. Dans l'événement de l'incarnation, il y a une solidarité de l'Esprit avec le Fils.

 

Pour le Seigneur, le temps avant la naissance est une expérience préliminaire à la croix qui est en marche sans qu'on puisse l'arrêter, comme avant le commencement d'une guerre dont on sait qu'elle inévitable. On se sent infiniment petit dans un événement violent. C'est une expérience humaine que le Seigneur doit apprendre à connaître et qui caractérise justement aussi son temps avant la naissance. Comme un bateau au-dessus d'une cataracte : il sera bientôt happé vers le bas. Ou bien comme quelqu'un qui est hospitalisé : jusqu'à présent il était maître de son corps, maintenant il est livré à une machine qui tourne. Auparavant il en connaissait l'existence de l'extérieur, maintenant il est dedans. Ainsi, du haut du ciel, le Fils connaissait ce que c'était que d'entrer dans le monde, maintenant il est dedans. Un sentiment d'impuissance corporelle l'envahit.


 

11 décembre

Avent

En s'incarnant, le Fils vient de la vie divine, il quitte le ciel et, ici-bas, il reste pourtant Dieu. Sa vie éternelle en tant que telle, rien de mal ne peut la toucher. Mais quand il subit la mort humaine, il s'engage si profondément dans le mal qu'il endure même la mort du méchant. Il finit comme peut finir l'homme le plus méchant et ceci par la force du mal ici-bas. Sa dernière souffrance est une souffrance sous le poids démesuré du mal dont fait partie aussi l'expérience d'être abandonné par Dieu. De ce point de vue, il endure la mort du méchant.

 

Il peut arriver qu'un homme, pour des raisons extérieures dont il n'est pas responsable, ne puisse pas aller jusqu'au bout d'une tâche qu'il a entreprise ou qu'il ne puisse l'accomplir que partiellement. Quelque chose de semblable peut aussi arriver au Fils : par exemple, les pécheurs qu'il doit prendre sur lui se révoltent contre la volonté de Dieu. Il ne peut pas empêcher que l'un des douze le trahisse et qu'une partie seulement de ses auditeurs croient en lui. Il ne peut pas empêcher qu'il y en ait beaucoup pour qui il serait mieux de ne pas avoir entendu sa parole. Mais personne ne peut l'empêcher de persévérer dans l'attitude de l'obéissance parfaite, au plus intime de la volonté du Père. Pour lui en tant qu'homme, il doit y avoir des limites à ce qu'il peut faire parce que Dieu Trinité a accordé une certaine latitude à la liberté de l'homme et au diable. Lui-même, en tant que Dieu, s'est compliqué la tâche en tant qu'homme, et cela aussi en ne faisant qu'un avec la volonté du Père et de l'Esprit. Sa toute-puissance est si grande qu'en tant que Dieu il peut se limiter lui-même en tant qu'homme.

 

Parce que, au ciel, le Fils n'a rien réglé à l'avance de ce qu'il doit accomplir en tant qu’homme, il va se réserver ici-bas des heures et des temps de prière, car chaque jour est un nouveau don du Père où il faudra adorer et remercier. Le Fils accomplit chaque jour ce que ses forces humaines lui permettent, pas plus. Il ne connaît aucune espèce d'assurance.


 

12 décembre

Avent

On peut sans doute dire que Dieu, dans sa Trinité, "souffrait" du péché du monde dès avant l’incarnation à l’intérieur de l’unité indivise de son amour ; un peu comme dans une famille en deuil chaque membre tient compte affectueusement du deuil des autres. L’incarnation du Fils signifie alors, à l’intérieur de l’amour trinitaire, un premier renoncement qui s’exprime justement dans l’humanité du Fils (et donc dans le fait de n’être pas Dieu), dans sa souffrance sur la croix et son abandon par Dieu, un renoncement auquel le Père et le Fils sont absolument intéressés à leur manière.


 

Le Fils est en attente des autres humains, depuis sa Mère jusqu'à Judas. Parce qu'il est Dieu, il sait bien comment tout va se dérouler. Mais en oubliant ce savoir, il doit faire en sorte qu'il connaisse une attente humaine, mettre de côté son savoir divin pour vivre avec le savoir d'un humain. Quand plus tard il lui arrivera de dire des paroles prophétiques, ce seront des prophéties du Père dans quelqu'un qui est purement humain, ce seront des prophéties du Fils seulement dans la mesure où, selon sa mission, il les reçoit du Père et non en s'appuyant sur sa propre omniscience. Ses miracles également seront les miracles que le Père lui donne. Quand Dieu opère aujourd'hui un miracle ici-bas, on ne peut pas dire si c'est le Père, le Fils ou l'Esprit qui l'opère. Mais tant que le Fils vit ici-bas, nous savons que ce sont le Père et l'Esprit qui opèrent les miracles du Fils. Ce sont finalement des miracles de l'obéissance, des miracles qui sont l'expression du pur accomplissement de la volonté paternelle.

 

Dans l'auditoire de saint Dominique quand il prêche, il y a ceux qui ne veulent pas accepter la grâce, ceux qui se ferment à la grâce, qui ne sont pas accessibles à la grâce, qui la nient et la refusent. Ne pas se fermer à la grâce, être ouvert à la grâce. Il y a ceux qui sont dans la grâce. La parole dite en chaire peut être source de grâce.


 

13 décembre

Avent

Il n'est pas facile de se représenter que Dieu est devenu totalement homme, mais il est encore plus difficile de se rappeler toujours que cet homme est le Fils du Père, la deuxième personne de la Trinité. Quelqu'un peut promettre joyeusement au Fils de le suivre, mais il voit aussi qu'il y a encore bien plus de mystère. S'il veut le suivre de manière authentique, il ne peut pas en rester à ce qui est pour lui intelligible, ni seulement vivre pour ce qu'il a compris, il doit suivre le Christ tout entier. Il lui est permis de montrer une préférence pour certains mystères, ceux par exemple par lesquels il a perçu l'appel, mais le Seigneur se tourne vers chacun avec le visage qui correspond à ses capacités ; personne ne doit s'effrayer de ce que le Seigneur est si riche, chacun doit au contraire se tenir ouvert à tout avec un profond respect.

 

En tant que Dieu, le Fils connaît tout. Et parce que Dieu le Père veut qu'il soit réellement ici-bas Dieu le Fils et non "le meilleur des hommes" d'une manière quelconque, il ne peut pas faire simplement abstraction de sa prescience divine, et pourtant il ne doit pas s'appuyer sur elle car il doit être un homme authentique. Durant sa vie terrestre, il y aura chez lui un "renoncement" absolu au savoir divin. La prescience fait partie de la lumière éternelle dans laquelle le Fils ne veut pas vivre maintenant. Son temps terrestre est inclus dans sa vie éternelle, mais il sera totalement vécu comme un temps terrestre. Le Père laisse au Fils la vision éternelle, mais il ne peut s'en servir que dans le cadre et selon la mesure de sa mission terrestre. Certains éléments de sa mission, il doit les puiser en elle, comme les promesses qu'il fait à l’Église ; d'autres ne peuvent apparaître qu'en y renonçant : il ne lui est pas permis de connaître l'heure du Père afin qu'il puisse l'attendre comme il faut. En regardant le Père, il peut interpréter les signes dont notre foi a besoin de connaître la signification. Quand quelqu'un est appelé à la vie consacrée, il a besoin de la foi pour savoir : maintenant je dois tout quitter et y aller. Ainsi le Seigneur a besoin de sa vision du Père pour savoir : maintenant je dois quitter Nazareth, maintenant aller au désert, maintenant partir pour Jérusalem. On ne peut pas dire que le Fils "croit", car il est Dieu et il connaît la vérité, mais la manière dont il voit le Père correspond à notre foi.

14 décembre

Avent

Tous ceux qui ont affaire au Père ou au Fils, ont affaire au Père et au Fils. Le Fils est le chemin vivant qui mène au Père.

 

Dans la nouvelle Alliance, il y a une tendance à oublier un peu le Père à cause du Fils qui pourtant ne voudrait être que passage pour aller au Père. Chez les saints aussi, il y a souvent quelque chose qui provient de cette tendance ecclésiale.

 

L'homme ne pourra jamais évaluer ce que Dieu le Fils a laissé au ciel quand il est devenu homme, en quoi consistait son abaissement, à quoi il a renoncé. Mais de considérer les grâces mystiques qui ont été dispensées plus tard permet de découvrir des domaines toujours nouveaux, de saisir des points de vue nouveaux qui donnent un nouveau relief à ce qu'il y avait de sacrifice dans la vie du Christ. L’Église ne sombre pas, mais elle subit bien des dommages ; la vie mystique est là pour y remédier avec une plénitude qui correspond à la plénitude débordante des dons du Seigneur, avec une intelligence qui ne cesse d'être stimulée par l'intelligence de l'Esprit Saint. L’Église a besoin de nouvelles sources de vie et, parce qu'elle est là pour les hommes, elle reçoit du ciel cette vie non seulement d'une manière invisible et insaisissable, mais en même temps de telle sorte que les croyants peuvent voir quelque chose de son origine céleste. Les chrétiens eux-mêmes doivent porter du fruit dans cette vie, s'offrir en sacrifice avec le Seigneur, coopérer aussi à ses miracles, ils doivent sentir que la force de Dieu les soutient, que des forces qui sortent d'eux entrent aussi dans l’Église afin qu'elle se révèle être vivante selon la mission qu'elle a reçue du Seigneur.

 

"Charité bien ordonnée commence par soi-même". Saint Ignace n'aime pas ce dicton. Il était radicalement d'avis que l'amour vrai commence par Dieu, et parce que Dieu l'a aimé le premier, Dieu prendra aussi soin de lui tant qu'il restera sur le chemin de Dieu.


 

15 décembre

Avent

L’incarnation du Fils ne diminue pas sa gloire, au contraire elle l’augmente, mais par un don de lui-même, par un renoncement à sa gloire. Il serait tout à fait faux de penser que, durant le temps où il se donne lui-même, le Père et l’Esprit devraient tenir d’autant plus à leur gloire, car dans le don que le Fils fait de lui-même, il s’agit d’une action et d’une attitude de Dieu tout entier. Si Dieu met dans le cœur des hommes le commandement de la solidarité - surtout quand un membre souffre -, il serait très étrange que l’auteur de ce commandement déclarait que pour lui-même ce commandement est inutile.

 

Sur terre, le Fils est tout à la fois sans protection (on peut l'outrager, on peut le tuer) et protégé : le Père est toujours avec lui et il est dans le Père. Ainsi Dieu est également vulnérable et invulnérable.


 

Le Fils ne se sent pas déshonoré en tant qu’homme. Ce n’est pas non plus pour lui un “malheur” de ne plus être au ciel.

 

Robinson ne peut pas se représenter ce qu’est l’amour, il ne comprend pas non plus la sentence : « Aimez-vous les uns les autres » ; il peut tout au plus échafauder sans cesse de nouvelles théories sur le sujet ; mais si, un jour, il rencontrait vraiment le prochain, il apprendrait alors ce que peut être l’amour. Il y a quelque chose de semblable avec la descente de l’Esprit pour la connaissance et l’amour des choses de Dieu.

 

Quand quelqu'un aime beaucoup Dieu, il cherche à tout faire pour lui : dans sa prière, ses occupations, son attitude habituelle.

 

Le Seigneur aime chaque âme en particulier, il invite chacun en particulier à le suivre. Même quand une foule de personnes se convertissent, ce n'est pas un effet de masse, c'est une action du Christ sur toutes les personnes individuellement, qui toutes ensemble font une foule.

 

L’auteur du "Nuage de l’inconnaissance". Chacune de ses prières se termine au fond par un merci. Pour le fait qu'on a le droit de prier, que Dieu ne nous repousse pas, mais qu'il nous prend avec lui dans le combat, et que Dieu nous permet de l'aimer, de l'acclamer.


 

Dieu avait espéré recevoir de l’amour de la part de sa création.


 

16 décembre

Avent

Le Christ est Dieu, il est devenu homme de la semence de Dieu, et il faut le miracle de l'incarnation pour que lui, qui est un esprit divin, puisse s'adapter à un corps humain. Le Fils a mis de côté à certains moments sa mesure divine pour n’avoir aucun privilège par rapport aux autres hommes et être limité à la mesure humaine.

 

Il y a dans le Seigneur un déchirement du fait que les hommes ne le voient que comme un homme alors que pourtant il est Dieu. Ils cherchent à le comprendre en l’expliquant humainement : c’est un homme qui proclame l’enseignement du Père, qui fonde une nouvelle alliance, une nouvelle Église, qui prêche l’amour, l’amour du Père pour lui, son amour pour le Père et pour le prochain. Ils entendent tout cela sans réaliser qu’il est Dieu. Il ne peut communiquer que très peu de choses de sa divinité, dans le sens d’une révélation qui serait pour eux simplement évidente. La plupart du temps, il doit se cacher derrière les mots pour révéler sa vérité. Il doit surtout se servir de moyens humains, ceux aussi qu’il donnera aux siens : les saints aussi feront des miracles, les hommes feront, avec son aide, des choses semblables à celles qu’il fait. Il y a pour lui une souffrance du fait qu’il ne peut pas sortir de sa peau d’homme pour montrer sa pure divinité. Il reste lié aux hommes dont il veut faire des chrétiens et des disciples. Il sait de plus que l'homme chrétien qu’il va laisser après lui sera gêné par le péché. Au milieu des hommes, il ne peut être ce qu’il est : Dieu ; et son prochain ne peut pas être ce qu’il devrait être : un chrétien sans péché, un homme qui vit totalement de la grâce de Dieu, un envoyé du Fils. C’est en raison du péché des autres que le Fils devient homme et cela veut dire comme ultime conséquence : un homme impuissant, l’un parmi beaucoup d’autres, qui ne peut pas se présenter lui-même. Il ne peut pas faire comprendre parfaitement sa propre transcendance parce que le plan de son prochain est le plan du péché. Le Seigneur connaît le Père et il doit pourtant le chercher en tant qu’homme. Le Fils ne l’a pas eu facile avec sa “double vie”.


 

17 décembre

Avent

Pour le miracle de l'incarnation du Fils, il est très difficile de dire qui a opéré le miracle. Le Père certainement. Le Fils coopérait, mais seulement en se mettant totalement à la disposition du Père, si bien que le Père put pour ainsi dire le remettre à sa mère, caché dans la semence. Celui qui à proprement parler était à l’œuvre, c'était l'Esprit Saint. Et la mère coopère en laissant faire.

 

Le Seigneur a vécu et souffert, c'est un homme qui a eu sa vie quotidienne, qui a éprouvé les petites et les grandes joies de l'existence, le tout cependant avec ce point de mire ultime : la croix. Les personnes qui l'entourent ont sans doute perçu ses joies et les ont aussi partagées , joies naturelles et surnaturelles : joies de sa vocation qui lui permettait de faire des miracles, de répandre la connaissance du Père, de montrer à beaucoup d'hommes le chemin vers Dieu, des joies qui lui permettaient de participer aux fêtes humaines avec un œil sur les fêtes de Dieu. Et cela tout à fait naturellement, comme un homme parmi les hommes, qui prenait plaisir à ce qui s'offrait à lui, heureux pour les autres ou pour lui-même. On se demande au fond si on n'aurait pas mieux compris la nature du Christ dans une occasion de fête parce que là il nous serait apparu humainement plus proche.


 

Dieu est devenu homme et il exige de nous l'amour. En devenant notre prochain, Dieu exige notre amour pour lui comme notre amour pour notre prochain ; cela veut dire que nous avons à lui témoigner cet amour à l'occasion de tout prochain, car il ne peut plus être séparé de tous nos autres prochains. Si nous voulions entrer au cloître pour ne vivre que de l'amour de Dieu, nos frères et nos sœurs seraient encore là pour exiger irrévocablement de nous cet amour sous la forme de l'amour du prochain, et notre amour de Dieu devrait se laisser former par lui. Il n'y a aucune possibilité de fuir ce commandement, il est là et il ne cesse de nous jeter dans les bras son objet, le prochain. En apprenant à aimer notre prochain, nous apprenons en même temps à aimer Dieu. En entrant dans ce circuit de l’amour, nous suivons le Christ dans sa marche vers la croix et à travers l'enfer.

 

18 décembre

Avent

Que Dieu soit devenu homme, c’est le mystère. Celui qui est devenu homme ne cesse pas d'être Dieu et il doit l'être aussi pour sa mère humaine. Elle met au monde un Fils, mais il est déjà Dieu dans la promesse et lors de l'annonciation. Il est essentiel que sa mère le sache, que lors de la naissance de l'enfant aussi elle ne doute à aucun moment qu'elle a mis Dieu au monde.

 

On ne doit jamais oublier que le Fils est totalement homme, que pour lui en tant qu'homme la divinité ne signifie jamais une facilité. Ce qu'il prend du Père et dit de lui, il ne le fait pas pour se faciliter son propre chemin, mais toujours pour aplanir le chemin des autres hommes. De sa proximité avec Dieu, de sa certitude de faire la volonté du Père, il ne tire aucun avantage, il ne veut pas de prérogatives personnelles ; aucun de ceux qui le suivent ne doit pouvoir dire : il a eu de la chance, il était Dieu ! Sans doute est-il Dieu, mais ce n'est pas pour cette raison qu'il agit, prie et souffre autrement que s'il était l'un des saints. Il veut se communiquer aussi complètement que possible, ouvrir partout des chemins vers Dieu afin que sur ces chemins surgissent des saints véritables. Et afin aussi qu'après le temps de son incarnation et de sa passion, quand le Père regardera sa création, il puisse suivre dans ses saints les traces de son Fils.

 

Dieu, en sa Trinité, jouit de la communion la plus sainte et de l'échange le plus intime de l'amour. C'est dans cette joie que Dieu fonde l’Église du Seigneur. Elle est l'expression de l'invitation faite aux hommes par le Fils incarné à entrer en communion avec le Père et l'Esprit Saint qui est la sienne. De même que Dieu le Père a créé le monde avec le Fils et l'Esprit, de même le Fils engendre l’Église en communion avec le Père et l’Esprit et, quiconque y entre, il le fait participer aux biens de cette communion selon un certain degré de conscience.

 

Dieu a besoin d'êtres - et en premier lieu de la Mère du Seigneur - qui, sans questions, sans impatience, uniquement dans la parfaite humilité de l'amour, ne font rien d'autre que l'attendre.


 

La prière de Madame Guyon se fait toujours plus recueillie. Dieu l'a saisie par un côté singulier en lui révélant le besoin pour lui d'être aimé.


 

19 décembre

Avent

L'amour trinitaire a fait devenir homme la Parole qui était au commencement ; c'est ce qu'il y a d'infini dans l'incarnation. Dieu le Père met tout à notre disposition : son Fils, son Esprit, la prière. Et nous mettons à sa disposition notre péché : quelle horreur !

 

Pour les Juifs, la plus haute valeur, c'est la crainte de Dieu, qui tient à distance. On peut se dire peut-être enfant de Dieu, mais se donner comme son fils ne peut être qu'un blasphème. Tout en le regardant comme tout-puissant, ils tiennent Dieu en quelque sorte pour impuissant, parce qu'ils ne lui accordent pas la chose dont tout être humain est capable : avoir un fils.

 

La nature humaine du Fils est engendrée par le Père. Mais en même temps cette nature a le caractère d'être créée puisque sa Mère participe à sa génération : elle est une créature et sa coopération est celle d'une créature. Dans son existence terrestre, le Fils ne se distingue pas des autres hommes ni des autres créatures.

 

Quand je prie, je parle avec Dieu de telle manière qu'il entend et reçoit mes paroles dans le sens de la foi, c'est-à-dire qu'elles ont pour lui une dimension plus grande que je ne le sais. Et cela non seulement parce que Dieu traduit les prières dans le sens et la langue de son éternité, mais aussi parce que je prie en la compagnie d'innombrables orants qui peuvent mieux prier, qui ont une relation plus intime avec Dieu et qui ont pour ainsi dire "habitué" Dieu à entendre des prières de plénitude. C'est pour ces deux raisons que les mots de ma prière ne sont pas nécessairement identiques à ce que Dieu entend.


 

20 décembre

Avent

L'incarnation : Dieu prend chair humaine mais il garde toutes ses propriétés divines, sans rien en perdre et en en perdant quelque chose tout à la fois. Le Fils reste le Dieu qu'il était au ciel, mais il reçoit aussi toutes les vertus et propriétés dont Dieu voulait pourvoir l'homme. Cela paraît stupide : le Fils devient une sorte d'homme idéal. Dans son développement, il ne s'éloigne pas de l'image idéale de l'homme que possède Dieu le Père, tandis que nous, une fois que nous existons, nous n'avons rien de plus pressé à faire que de nous éloigner rapidement et radicalement de cette image originale qui est en Dieu.


 

Le Fils lui-même, bien qu'il soit Dieu, adopte à notre égard la relation de frère. Le Christ est le Fils du Père et il fait de nous les fils du Père en devenant notre frère ; ce processus se réalise du fait de sa condition de Fils. C'est l'Esprit Saint qui opère et aplanit les voies. Le Seigneur est devenu notre frère ; cela fait partie de son abaissement qu'il le soit devenu, comme il fait partie de notre élèvement que nous devenions ses frères.


 

Marie en larmes devant la croix. Marie explique : oui, elle pleure vraiment sur son Fils, mais elle ne pleure pas à cause de son Fils ; elle pleure à cause des hommes qui lui font cela par leur imperfection et leur tiédeur.

 

Dans le christianisme, aucune grâce ne s'arrête à une personne isolée, toute grâce est ecclésiale, ouverte à tous d'une certaine manière.


 

21 décembre

Avent

L’Esprit ne s’est pas incarné, mais il est un bout du chemin qui mène à l’incarnation du Fils. Supposons deux sportifs qualifiés qui participent à une course de fond ; l’un se sent mal, l’autre fait de ses bras un siège et le porte, il renonce à sa qualité de sportif, il se fait aide-soignant parce que l’autre, son ami, n’exerce plus son sport, c’est un malade qui veut rentrer chez lui ; celui qui est en bonne santé oublie son but qui était de vouloir gagner le prix de cette course. Il en est de même pour la solidarité de l’Esprit avec le Fils. Si l’on connaît l’incarnation du Fils, il n’est pas difficile d’en déduire le renoncement de l’Esprit. Si on peut comparer l’incarnation du Fils à une infirmité, la "famille" le soutient en quelque sorte : "Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui”. Un frère en bonne santé renonce à beaucoup de choses si son frère est malade, surtout s’il peut par ce renoncement l’aider quelque peu.

 

Quand on voit un saint avec les yeux du corps, il ressemble à tout le monde. Mais si un chrétien connaît sa sainteté, il découvrira en lui des traces de la sainteté de Dieu. Le Christ aussi, vu de l’extérieur, ressemble à un homme ordinaire. Il dit de lui qu’il n’a jamais péché ; mais est-ce là quelque chose de particulier ?


 

A l'égard des expériences mystiques qui se rencontrent dans ses rangs, l’Église a une liberté remarquable ; elle en admet certaines, pour d'autres elle reste indifférente ou les laisse tomber. Dans l’Église, le mystique est dans une position de faiblesse. Il ne perce pas toujours. Le Christ non plus n'a pas percé durant sa vie terrestre, ni par sa prière, ni par sa prédication, ni par sa passion et par sa mort.


 

22 décembre

Avent

Alors qu’un homme peut s’arrêter sur la voie en pente de la tentation et éviter le péché, il n’y avait pour l’Homme-Dieu aucune halte sur la voie de la croix après son oui d’autrefois à l’incarnation. Il fut placé en tant qu’homme sur cette voie qui le livrait à la honte ultime qui fut la sienne. Sur la croix, la honte des autres n’existe pas. Le Seigneur porte tout mon péché et toute ma honte, absolument et jusqu’à la dernière goutte, il n’est pas prévu que la même chose soit soufferte deux fois. Jusqu’à la mort, le Fils entre de plus en plus dans la nature et dans les effets du péché.

 

Dans les jours de maladie, il y a des moments où la mort semble toute proche ; on ne se plaint pas alors de tout ce qui est imparfait, indésirable. Il y a la grande confiance qui a sa place dans la foi, et cette confiance est l'espérance que Dieu fera tout dans l'amour. L'amour qui est offert de l'autre côté est si subjuguant qu'il n'y a pas de place pour l'amertume au sujet de ce qu'on quitte maintenant. C'est peut-être une indifférence obtenue de Dieu, mais une indifférence très curieuse parce qu'on ne cesse pas d'aimer aussi fort qu'on le peut aussi bien la terre que le ciel, aussi bien la vie d'ici-bas que l'éternité. Parfois un bouleversement traverse tout l'être : comme la vie est merveilleuse ! Comme le monde est beau ! Comme on peut remercier Dieu de nous avoir donné tout cela ! Cette joie avec tous ses accès a quelque chose de si frais et de si absolu qu'on pense que par elle on devrait saisir quelque chose de plus de la vie éternelle et de son attrait. Il se fera sans doute que, dans la vie éternelle de Dieu, il y aura toujours tellement à adorer et tellement à regarder bouche bée que tout restera toujours ouvert et plein de promesses et de suspense.


 

Le Seigneur n'a jamais frappé par son extérieur.


 

23 décembre

Avent

L'obéissance du Fils lors de son incarnation ne fait qu'un avec l'obéissance de sa Mère qui dit oui à l'ange. Les deux obéissances se conditionnent mutuellement, l'obéissance du Fils et l'obéissance de la Mère s'accordent l'une avec l'autre pour le don de soi commun et permanent à Dieu le Père.

 

Le Fils n'est pas un homme isolé, il est enserré dans une multitude - pour ou contre lui - qui dès maintenant l'entoure. Il est un individu au milieu d'une foule, il ne pourra pas s'échapper de cette foule pour être à nouveau au ciel le Fils unique du Père, il doit laisser se répercuter en lui les lois de l'existence humaine. La Mère le sait très bien, c'est une partie de son angoisse à elle. Elle aussi est liée aux délais et elle ne peut pas fixer le jour de la naissance. Un jour prendra fin la protection qu'elle accorde maintenant à l'enfant, l'isolement qui l'enveloppe. La Mère et le Fils se trouvent sous la même loi de quelque chose qu'on ne peut pas arrêter. Il y a cependant une différence parce que le Fils doit s'accoutumer toujours mieux à son rôle humain tandis que la Mère doit s'offrir toujours davantage à l'influence divine. Mais ce contraste ne provoque pas une opposition parce que les deux se rencontrent dans la même volonté du Père. La différence ne porte pas atteinte à leur relation réciproque.


 

Le Christ, qui est Dieu et homme, unit en lui tous le modes de vie et d'amour divins et tous les modes de vie et d'amour humains. Cela demeure nécessairement mystérieux. C'est pourquoi les hommes au milieu desquels il vit et agit ne sont jamais en état de saisir de lui plus que ce qui en est visible dans le fruit de ce qu'il fait. L'esprit de ses miracles, le déploiement de sa force divino-humaine, ils ne le saisissent pas. Sa manière de penser non plus, ils ne la voient pas ; ce n'est que dans son fruit, dans la parole qu'il exprime, qu'ils en connaissent quelque chose, de même que c'est dans l'acte accompli qu'ils perçoivent quelque chose de son action. Tout en vivant au milieu des hommes, le Christ leur est plus étranger que peut l'être un homme pour un autre, et pourtant il leur est proche parce qu'il se manifeste à eux par ses paroles, ses actes, ses miracles.


 

24 décembre

Avent

Le peuple de l’ancienne Alliance déjà se trouvait vis-à-vis de Dieu dans une obéissance dont la nouvelle Alliance dévoilera les dernières conséquences. La nouvelle Alliance, pour montrer son immensité, s'adapte aux limites de l'ancienne, car le Fils doit montrer aux Juifs qu'il est celui qui était promis. Et le Juif doit comprendre deux choses : que ce qui est ancien est dépassé, parce que l'accomplissement arrive, et que la réalisation correspond bien à la promesse. C'est pourquoi le Fils se laisse circoncire dans le même esprit qui lui fait réaliser scrupuleusement les promesses de l'ancienne Alliance. Il est témoin d'un Esprit unique et indivisible, l'Esprit de Dieu Trinité, en accomplissant les promesses aussi bien qu'en les dépassant.

 

Dans le oui de Marie, le plus frappant se trouve surtout au début : lors de l'annonciation, et à la fin : lors de la naissance ; la grossesse suit son cours normal. Le Seigneur s'appuie sur le oui de sa Mère et il l'utilise sous une forme dont il prend seul la responsabilité. Personne ne peut objecter : "C'est différent de ce que j'attendais". Non, c'est ce à quoi je m'attendais parce que j'ai mis toute mon attente dans le Seigneur et que je laisse à sa liberté le soin de lui donner une forme. Marie a dit oui à l'existence terrestre du Seigneur, à sa naissance et à tout ce qui s'en est suivi ; elle devra aussi dire oui à sa résurrection et à son existence glorifiée parce que depuis toujours il a intégré ce oui dans sa vie nouvelle.


 

Vis-à-vis de l'ange, Marie est pure faiblesse. Mais cette faiblesse de la pure réceptivité est en même temps le produit de sa puissance, comme la semence est le produit de la puissance de l'homme. Parce que la foi de Marie est très forte, elle laisse faire, tout comme la femme aimante laisse faire l'homme. Mais elle revient ensuite à sa puissance première en laissant la semence croître en elle. Ce qu'elle ajoute à la semence pour qu'elle croisse, c'est sa propre puissance, sa puissance concentrée au fond dans la faiblesse, qui provient de la puissance première de la foi. C'est par cette puissance qu'elle donne naissance à la faiblesse du Fils.


 

25 décembre

Nativité du Seigneur

Comme le Fils, par amour du Père, a renoncé à sa vie, ainsi le Père, par amour pour le monde, a renoncé au Fils.

 

Le Père, personne ne l'a jamais vu, le Fils est visible en tant qu'homme ; en tant que Ressuscité, en tant qu'apparaissant à ses apôtres après sa résurrection, il est visible aussi à côté de son invisibilité.


 

Dans le tableau de la transfiguration du Seigneur, l'Esprit apparut comme une lumière en mouvement, un drapeau flottant au vent. Dans l'incarnation, le Fils s'est abaissé, "amoindri", il a choisi une forme de communication liée à l'être de l’homme et il a par là renoncé aussi à certaines formes d'expression que l'Esprit est toujours libre de prendre et de distribuer, car l'Esprit ne s'est pas incarné.


 

Parler du Fils ne nous est pas difficile parce que nous l'avons vu en tant qu'incarné et que nous connaissons ses paroles et son amour. Mais que peut-on dire de l'Esprit ? Parce que le Fils est homme, on peut dire sur lui beaucoup plus de choses que sur l’Esprit et sur le Père.

 

Depuis toujours le Fils reçoit tout l'amour du Père et il y répond dans l’amour. Il devient homme pour offrir aux hommes sa manière de répondre à l'amour du Père.

 

Le Fils aime le monde depuis toujours : le monde est l'œuvre du Père et son amour se reflète dans ses créatures. Le Fils voit cet amour en chaque homme, mais il doit voir aussi en chacun le pécheur qui offense le Père. Ce qui blesse le Père, le Fils doit l'enlever du monde, l'expédier hors du monde au sens propre ; le monde ne doit pas seulement refléter l'amour du Père, mais aussi lui répondre de l'intérieur. En devenant homme, le Fils se présentera au Père comme un homme divin qui donne une réponse parfaite.

 

 

26 décembre

Saint Étienne

Il prie d'une manière toute transparente, il est proche de Dieu, comme un enfant et sans questions. Le don de la foi est pour lui une telle grâce qu'il ne l'oublie jamais. Presque comme si, pour lui, foi et respiration, c'était la même chose. Il n'a pas besoin d'examiner sa foi, de l'éprouver, de la peser, il la possède. Mais il ne la possède pas comme un riche qui aurait un trésor à garder, il la possède comme quelqu'un qui offre constamment son trésor à son prochain et à Dieu. Quand il apprend quelque chose de nouveau dans sa foi, quand il comprend quelque chose, c'est chaque fois pour lui comme une extension, une confirmation que la grâce lui donne et sur quoi il n'a pas de question à poser. Il reçoit, il se sent enrichi, mais non pour lui personnellement : pour les hommes, et en même temps pour rendre visible la mission du Fils sur la terre. L'Église est pour lui l'héritage visible que le Seigneur a laissé pour les hommes sur cette terre. Elle est pour lui l’œuvre du Seigneur, l'expression du Seigneur parmi les hommes, mais aussi le don des hommes à l’Époux. Etienne se meut dans l'Eglise comme il se meut dans la foi et dans la prière : au milieu de véritables objets précieux. Quand il discute avec les Juifs, il voit dans ses opposants beaucoup moins des pécheurs que des hommes qui, par la grâce du Seigneur, auraient à se mettre de son côté, des hommes chargés de mission qui n'ont pas encore compris leur tâche. Même quand il est obligé d'employer des mots durs, il parle comme en une mission dont la clef se trouve au ciel. Quand il doit lutter durement pour attirer les autres à la foi, c'est chaque fois pour lui comme si, pour lui, pendant un instant, la visibilité de sa mission se trouvait dans le ciel, et ainsi il peut rester sévère, car par lui-même il serait pure bonté. Son martyre, ce n'est presque pas un problème pour lui car, une fois pour toutes, il a fait à Dieu le don de sa vie, et Dieu peut disposer de son corps et de sa vie sans que lui-même ne puisse faire autre chose qu'approuver. En mourant, il voit le ciel ouvert et rien d'autre. Il le fait savoir à tous parce que sa mission le requiert ; il ne voit plus de distance entre le ciel et la terre, il ne voit plus que l'invitation et le ciel qui vient à sa rencontre. Étienne est tout ouvert à Dieu, et Dieu s'ouvre à lui maintenant d'une manière visible. C'est Dieu qui détermine la manière dont il veut rencontrer le mourant. Le sens de la foi n'est pas que j'aie une mort facile, mais que j'entre dans la mort comme un vivant, de la manière dont le Seigneur me l'accordera. Peut-être dans l'obscurité, la souffrance et l'angoisse et en n'y voyant plus rien. Mais peut-être aussi dans une dernière annonce de la Bonne Nouvelle : "Je vois le ciel ouvert".


 

27 décembre

Saint Jean

Il trouve son inspiration sur la poitrine du Seigneur en quelque sorte. Il reçoit dans l'amour direct ce que le Seigneur lui communique sans paroles. Quand l'amoureux appuie sa tête sur la poitrine de l'être qu'il aime, il ne sent pas seulement un amour qu'il a déjà connu, c'est une profusion de sentiments et d'idées nouveaux qui le submergent, et peut-être devine-t-il et éprouve-t--il les sentiments les plus intimes de l'être aimé. Quand Jean pose la tête sur la poitrine du Seigneur, celui-ci est rempli de la pensée de la grandeur du Père ; quelque chose en déborde sur Jean, il en est inspiré. Il voit quelque chose qui doit absolument être juste parce que c'est justement l'amour du Seigneur qui le lui donne maintenant. Cela ne change rien à l'affaire qu'il mette son évangile par écrit beaucoup plus tard, car le Seigneur a emporté Jean dans une certaine intemporalité et Jean pense toujours à la grandeur du Père cinquante ans plus tard. Chez Jean, la plénitude de l'instant de l'inspiration est si grand qu'elle déborde sur tous les temps et qu'il peut toujours remonter à son origine : "il a vu et entendu et touché le Verbe de vie". Ce qui finalement est mis par écrit est une petite partie de ce qui lui a été inspiré. "Tous les livres du monde ne le contiendraient pas". Sur la poitrine du Seigneur, Jean se consacre à l'amour du Seigneur. Il ne veut pas profiter, il n'accapare pas, il ne cherche pas à saisir l'inspiration, il prend ce qui lui est donné et il se laisse submerger par l'amour, et l'amour peut prendre la forme de l'inspiration. Jean a ici quelque chose de féminin : c'est du Seigneur qu'il attend d'être totalement comblé sans jamais revendiquer quelque chose. On prie sans doute Jean beaucoup trop peu, car il peut beaucoup auprès du Seigneur. Parce qu'il aime, parce qu'il aime d'amitié son Seigneur et Dieu, il sait que chaque parole qu'il lui dit doit être une parole d'amour. Pour lui, cela va de soi, comme il va de soi entre ceux qui s'aiment qu'ils se disent des paroles d'amour. Le tout provient du fait qu'il sait que le Seigneur l'aime, qu'il est son ami et qu'il reçoit en retour l'amour du disciple. La divinité de Jésus, il la connut de très bonne heure, c'est la grâce qui avait mis en lui ce fondement, mais ce fondement n'est employé que lorsque le disciple, par la plénitude de ce qu'il reçoit dans ses relations avec le Seigneur, apprend à comprendre que chaque parole du Christ est une parole d'amour. Quand il a compris cela, la parole qu'il adresse au Seigneur devient une parole de prière. Il ne parle plus autrement avec lui qu'en l'adorant, et il ne perçoit aucune parole du Seigneur autrement que participant au dialogue éternel du Fils avec le Père. Même dans la parole ou l'exigence la plus concise du Seigneur, il comprend que cette parole ne s'adresse pas seulement à lui et aux autres disciples, mais en même temps à Dieu. Et ainsi toutes ses relations avec le Fils deviennent facilement une prière.

 

28 décembre

Les saints innocents

Si Hérode avait pensé avoir atteint le Messie par le premier enfant qu’il a fait massacrer, les autres meurtres n’auraient pas eu lieu. Il ne pouvait pas atteindre le Seigneur parce que aucun homme ne peut contrecarrer les desseins de Dieu. Les enfants meurent à la place du Seigneur, Dieu fait entrer ainsi leur mort dans la mort du Fils. Le Fils ne pouvait pas mourir maintenant, les enfants ont donné leur vie pour lui, ils se trouvent en un lieu où plus tard le Fils se trouvera nécessairement. Les mesures de Dieu ne correspondent pas aux nôtres et le sacrifice du Fils est si grand que tout sacrifice trouve en lui sa place.


 

Ce qu'est l'homme, on ne le saisit que lorsqu'on connaît sa fonction, et celle-ci est accomplie au ciel. Ce n'est qu'à partir de sa fonction qu'on peut déduire sa nature, et ce n'est qu'au ciel que sa fonction est formée avec clarté et précision. Tout ce qui nous tient à distance de la louange, de la vénération et du service sera supprimé et disparaîtra. Ici-bas, personne ne peut vivre dans la pauvreté parfaite, je peux distribuer mes biens, mais je dois garder quelque chose pour pouvoir vivre. J'ai besoin de ce peu pour accomplir mon service et je le tiens à la disposition de Dieu et du prochain aussi bien que je le peux. Je ne peux cependant pas vivre sans faire de réserves. Au ciel, il n'y a plus de réserves, chacun peut tout donner à Dieu et au prochain. Dans la virginité non plus, la dernière pureté ne peut pas encore être atteinte ici-bas, et l'obéissance connaît une certaine tension avec ma volonté propre, ce qui est une conséquence du péché originel. Ce n'est que lorsque tous ces liens et toutes ces impuretés seront brûlés que l'homme apparaîtra dans sa vraie nature : comme ce pour quoi il a été créé.


 

29 décembre

Dimanche de la Sainte Famille

Réflexions d’Adrienne, encore protestante, à Noël 1932. Pour Dieu le Père et l'Esprit Saint, ce doit avoir été quelque chose de singulier de voir devant eux le Fils éternel devenu un enfant. L'Esprit dit au Père : "Tu vois maintenant, j'ai accompli ce que tu m'avais demandé de faire". Le Père est heureux, mais il a aussi des scrupules ; c'est quand même une exigence pour le Fils, toute cette aventure, et donc de manière indirecte pour le Père aussi et pour l'Esprit.


 

Il n'est pas facile pour le Fils de devenir homme. Ce qui lui rend la tâche plus facile, c'est qu'il comprend tout comme volonté du Père, qu'il voit tout de ce point de vue. En tant que Dieu, il n'a pas de vœu plus ardent que de devenir homme comme le Père l'attend de lui.


 

Même si Marie fut couverte par l'Esprit de son ombre, elle a dû porter et enfanter humainement le Fils incarné en tant qu'être humain. Elle a dû sentir son poids dans son corps et, après sa naissance, dans ses bras. Il y a donc un point où elle a été aussi charnelle qu'Ève. Sa chair fut absolument nécessaire pour la formation du Fils, et le Fils, pour devenir chair et ne pas être seulement le produit d'une idée, s'est laissé enfoncer dans sa chair par l'Esprit. Pour le Fils, sa mère est la plus concrète des réalités, si concrète que justement, dès le début, il dispose de son consentement.


 

30 décembre

Temps de Noël

C’est si étrange d’adorer un enfant : Jésus enfant, tantôt seul, tantôt dans les bras de sa Mère. Mais il est Dieu justement. On voit en lui ce que serait une parfaite ouverture, comment on pourrait être totalement ouvert à Dieu si on le voulait. C'est cela l'Église : le lieu où l'on se rassemble pour s'ouvrir. Quiconque fait partie de l'Église devrait faire ce que l'Église fait vis-à-vis du Seigneur. Il l'a fondée comme le lieu de l'ouverture.

 

Nous pouvons nous faire une idée de la relation de l’Église au Seigneur en regardant la relation de Marie au Fils. Le Fils reste Dieu bien qu'il se soit abaissé à devenir homme, Marie reste totalement créature malgré la grâce de la pré-rédemption qui l'a exaltée, mais elle est une créature qui suit le Fils de la manière la plus stricte comme il l'avait prévu dans ses desseins. Quand Marie prie avec son enfant, elle se sert des mots qu'elle connaît, elle demande des choses qui lui semblent nécessaires, elle prie à la manière d'une vraie croyante ; mais elle sait que le Fils, qui entend ses mots, les reprend et les transmet à Dieu d'une manière qui la dépasse. Non seulement parce que Dieu le Père et l'Esprit Saint les reçoivent du Fils, mais parce que la prière du Fils lui-même, sa manière de parler avec le Père, lui demeure inaccessible ; cela fait partie du mystère trinitaire. Sa manière à lui de prier est pour Marie beaucoup plus impénétrable et beaucoup plus complexe que sa propre manière de prier.


 

31 décembre

Temps de Noël

Le Fils de Dieu est venu pour tout apporter, absolument tout : l'ici-bas et l'au-delà, le trinitaire et l'humain. Il est venu pour nous présenter le divin sur la terre.


 

Quand Marie conçoit, elle voit le service qu'elle rend au Fils qui va venir ; dans son acte d'obéissance à l'ange, elle est en contact avec le Père et avec l'Esprit d'une manière dont elle se doute à peine et qui n'est pas non plus dévoilée quand elle reçoit la semence divine. Quand l'Esprit la couvre de son ombre, c'est un événement trinitaire qui fait de Marie une mère ; la maternité, elle la ressent comme le fait qu'elle porte le Fils et qu'elle est introduite dans sa vie. Le Père et l'Esprit disparaissent d'une certaine manière derrière cette image du Fils.


 

Quand Marie accueille le Fils en elle, elle est certes une personne humaine ordinaire, en paix avec Dieu le Père et avec le Fils, prête à se laisser façonner par l'Esprit et à s'adapter à toute exigence. Mais, avec le Fils, elle porte aussi en elle son ministère divino-humain auquel elle ne peut rien changer. Le Fils la fait participer à ce ministère afin qu'elle devienne capable de devenir l'archétype de l’Église, l'épouse parfaite au sens ecclésial. A ce sujet, on ne lui demande pas son avis. Sans doute a-t-elle répondu : "Qu'il me soit fait selon ta parole", parce qu'elle voulait être personnellement tout à fait obéissante et exécuter toute mission.

Ceux qui suivront le Seigneur, qui auront à le représenter dans l’Église, devront donner leur accord pour assumer le ministère ; sans leur oui, ils ne pourraient pas être des ministres valables. Quand le Seigneur invite ses apôtres à le suivre, quand il ordonne : "Suis-moi", il exige une réponse et un consentement personnels.

 

Quand le Fils offre aux hommes son corps dans l'eucharistie, chair et sang, c'est le corps qui a été conçu et porté, façonné et nourri par sa Mère, qu'elle a reçu de l'Esprit Saint pour qu'il se développe et pour le transmettre ensuite à l'humanité. Il est impossible que l'unité dans la chair entre la Mère et le Fils soit jamais rompue. L'eucharistie ne supprime pas cette unité ; c'est pourquoi elle est toujours aussi commémoration du oui de la Mère et du fait qu'elle a porté le Fils parce que, dans la chair du Fils, on peut retrouver les traces de la chair de sa Mère.

 

*

 

 

Mise à jour 18/07/2025