L'éléphant et le chat
par Mgr Jacques Noyer
L’éléphant et le chat
Un jour, dans un zoo, un éléphant méditait paisiblement sur le
malheur des temps. Les yeux à demi clos, comme si le soleil de Paris l’éblouissait plus que celui d’Afrique, les larges pavillons de ses oreilles baissés comme des cloisons étanches sur les bruits de la ville, la trompe en l’air pour respirer l’air des hauteurs, celui qui n’est pas pollué par la foule des petites gens.
Mais que se passe-t-il là-bas autour de son pied droit ? Sans le savoir, sans s’en rendre compte, il avait posé le pied sur la queue d’un chat. Le chat d’ordinaire calme compagnon de ses somnolences était tout excité, il miaulait, il grognait, il criait, il griffait, il mordait sans pouvoir se dégager.
L’éléphant se livra alors à des considérations moroses sur les chats de la nouvelle génération. Ils étaient mal élevés, ils ne pensaient qu’à se battre, ils respiraient la vengeance. Certainement que quelqu’un devait les monter ainsi contre les éléphants…
Il en était là de ses réflexions quand passa près de lui un autre éléphant à qui il confia ses misères. Moi, dit l’autre, je n’ai pas ces problèmes. Quand j’écrase un chat, je lui marche sur la tête.
Cette histoire montre bien que dans les zoos des villes règne souvent la loi de la jungle. Et si je vous l’ai racontée aujourd’hui ce n’est pas pour prendre le parti des chats contre celui les éléphants ; d’ailleurs nous sommes parfois le chat, et souvent l’éléphant. Je voulais simplement dire que les cris des agressifs ont parfois pour cause la bonne conscience ensommeillée des pacifiques.
Je voulais dire aussi que ceux qui crient le plus fort ne sont pas toujours les plus écrasés. Alors si l’on vous parle de réconciliation comme on le fait souvent dans les églises, cela ne veut pas dire faire taire à tout prix les chats écrasés, de couper leurs griffes et de limer leurs crocs, encore moins d’étouffer définitivement leurs cris. Cela veut dire, pour les éléphants que nous sommes souvent, de regarder si nous n’avons pas un pied à déplacer. C’est seulement alors que la jungle deviendra habitable pour le fils de l’homme.
Mgr Jacques Noyer