Une vie heureuse, est-ce possible ?

Conférence de Colette Nys Mazure

Présn   Présentation de la conférencière

 

Madame Colette Nys-Mazure est née près de Bruxelles et vit à Tournai. Philologue de formation, elle a été longtemps professeur de Lettres à Louvain. Conférencière, elle anime aussi des ateliers de lecture et d’écriture. Elle collabore à différents journaux et revues et tient une chronique dans Panorama. Elle aime travailler avec des artistes. Madame Nys-Mazure est poète, nouvelliste, romancière, essayiste. Elle écrit aussi pour le théâtre et la jeunesse. Elle a reçu de nombreux prix prestigieux. Elle est la maman de cinq enfants qui lui ont donné de nombreux petits-enfants.

 

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Madame Nys-Mazure se réfère d’emblée au poète Charles Baudelaire en le citant :  « J’aime les nuages qu’on voit là-bas, les merveilleux nuages »…

Parler du bonheur…Sans doute faut-il d’abord retrouver les bonheurs que nous avons vécus. Essayer de trouver des recettes du bonheur, c’est dangereux. Il faut beaucoup de prudence pour aborder le thème du bonheur. Elle nous cite alors une phrase de l’écrivain Frédéric Lenoir : « Exister c’est un fait, vivre c’est un art ». Nous trouverons peut-être aussi que la joie est plus importante que le bonheur.

Y a-t-il possibilité d’être heureux ?

Faisant allusion au poète (mort au goulag à l’âge de 47 ans) Ossip Mandelstam , au temps des terribles « purges » staliniennes, elle nous apprend qu’il lui a été deux fois proposé de se suicider, dont une fois par sa femme et il a refusé, lui qui ne vivait que par la poésie sous un régime qui l’écrasait. Que voyons-nous aujourd’hui se présenter lorsqu’il est question du bonheur ? La plupart du temps, la « célébration » des objets de la consommation…Il ne serait pas possible d’être heureux sans vacances ou sans objets électroniques. Est-ce vrai ? On peut sérieusement en douter. Alors que beaucoup se laissent « tenir en laisse » par les objets offerts à leur convoitise, il est remarquable de constater que certains enfants sont plus orientés vers « la lumière », comme le dit le psychiatre Boris Cyrulnik qui a beaucoup travaillé sur la capacité de résilience (dépassement et reconstruction de la personnalité après un traumatisme ) chez certains enfants pourtant parfois gravement choqués. Il a attribué à cela une cause génétique, mais celle-ci ne serait pas suffisante pour expliquer le phénomène.

Madame Nys-Mazure nous fait part de son étonnement à la lecture d’un article du journal La Croix paru il y a peu, selon lequel le grand poète, romancier, calligraphe, François Cheng, d’origine chinoise (arrivé en France à l’âge de 19 ans sans parler un mot de français, désormais membre de l’Académie Française) avouait n’avoir connu le bonheur qu’à l’âge de 60 ans. A l’adolescence, il était angoissé.

 

Voici le plan que la conférencière nous présente maintenant en abordant quatre aspects de cette dimension de la vie que constitue le bonheur.

  1. Rechercher ce qui peut être favorable à l’éclosion du bonheur et écarter les

ennemis de ce dernier : le refus, les regrets : on n’a pas eu le nombre d’enfants que l’on souhaitait, ou l’on n’a pas vécu dans des lieux où l’on se serait plu. Se retourner sur tout cela est mauvais. Souvenez –vous de la femme de Loth dans la Bible qui , s’étant retournée, se retrouve changée en statue de sel.

Autre ennemi du bonheur : les rancoeurs . On a tort de les nourrir, elles nous détruisent. Même constat avec les remords (on a fait du mal, consciemment ou inconsciemment, sans parler du mal fait à notre insu). Ainsi Madame Nys-Mazure se souvient-elle de cette personne, jalouse de l’enfant d’une amie (elle venait de faire une fausse couche) et qui lui avoue :  « tu incarnais ce que je ne pourrais jamais connaître ». Tout cela pourrit notre vie.

Recensons d’autres ennemis : la convoitise, qui est le désir de posséder. La publicité veut nous convaincre qu’il faut posséder, et nous nous retrouvons encombrés d’objets inutiles. Il y a aussi quelque chose de cette compulsion dans la prise perpétuelle de photos. La morosité : encore un ennemi opposé à la possibilité d’être heureux. Après avoir enseigné 39 ans, madame Nys-Mazure trouve qu’il y a davantage de morosité chez les étudiants de nos jours. Il est vrai que l’école ne constitue plus qu’une partie de ce qui transmet le savoir. Il est vrai aussi que bien des jeunes en Europe passent à côté de leur chance…ainsi se souvient-elle d’une fille revenue d’Indonésie qui déclarait :  « ici nous avons tout et nous crachons dans la soupe". Certains se laissent aller parce qu’ils pensent :  « à quoi bon étudier, je ne trouverai pas de travail » Peut-on contrer la morosité par la poésie ? Pourquoi pas ? Lassée de l’attitude de certains élèves je leur ai donné à apprendre par cœur : « Bateau ivre » d’Artur Rimbaud. Ils l’ont si bien récité que ce fut une révélation et j’ai donné l’absolution générale.

Attention aussi aux rumeurs de médisances, de calomnies, par lesquelles nous contribuons  à entretenir un mauvais climat.

Et puis il faut, au contraire, apprécier le bonheur de vivre que nous ne voyons pas (marcher, voir, se rencontrer). Marguerite Yourcenar, que j’apprécie beaucoup, disait :  « Je porte la responsabilité de ma vie » .Nous sommes trop souvent prisonniers des normes, dans tous les domaines. Elles nous enferment et nous empêchent d’exister. Il est indispensable de dépasser tout cela. Il faut pardonner pour revivre ensemble. Nous avons besoin de nous délester, de nous alléger. Evitons , en revanche, le démon de la comparaison. Evitons de comparer un garçon à une fille, un enfant qui « réussit » à un autre moins doué. C’est affreux de comparer ses enfants (j’ai eu du mal à supporter ce travers lors des rencontres parents-profs dans l’exercice de mon métier). En bref : il faut rejeter tout ce qui encombre le terrain et nous bouche l’horizon du bonheur.

 

 2) Il faut faire de la résistance pour ne pas nous laisser emporter par la violence et lutter contre la violence verbale (très sensible dans les transports). On entend un vocabulaire ponctué de « putain, merde, fait chier ». Des jeunes à qui je venais de faire remarquer qu’ils avaient employé 24 fois le mot « putain » dans quelques phrases et auxquels je demandais s’ils connaissaient la signification du mot m’ont répondu que oui mais que pour eux « ça ne voulait  rien dire ». Moi je pense que c’est dommageable et me revient une phrase d’Albert Camus : « Mal nommer les choses contribue au malheur du monde ». Parler, c’est quelque chose !

La parole peut, est, une façon de résister à la violence de notre société. C’est triste d’entendre des jeunes dire : « on peut dire n’importe quoi, tout le monde s’en fout » (phrase de jeunes que j’avais laissés parler sans me mêler de leurs dires, occupée que j’étais à chercher un renseignement dans la gare de Mons).

Il faut aussi opérer de la résistance face à l’individualisme (moi,moi,moi).Vivons au présent en étant ici, maintenant. L’envers de tout cela étant une absence de projets. Un autre danger c’est que ici, maintenant, c’est individuel…or le soi-même est relié à celui des autres.

Faisons aussi de la résistance à toutes les peurs. La peur, ce sentiment que l’on trimballe depuis l’enfance. Nous construisons toujours contre cette peur fondamentale (et ainsi cherchons l’envers de la pulsion de mort). Evitons le danger du repli frileux, du cocon (recherche de la sécurité, du bien être dans un monde où l’on nous pousse à rechercher le développement du bien être sous toutes ses formes, mais cela nous aliène.) Dans cette résistance, la lucidité est très importante . Lors d’une interview de Marguerite Yourcenar par Matthieu Galley ; celui-ci lui déclara : « Marguerite vous êtes pessimiste », ce à quoi elle répliqua :  « l’important, pour moi, c’est d’avoir les yeux ouverts ».                        Jean Sulivan, prêtre écrivain disait, à propos de la famille :  « Il faut vous guérir de votre angoisse .Vous avez des problèmes avec les enfants ? Existez, soyez autre chose que le haut-parleur des peurs. Il faut vous laisser expulser de votre carapace, retrouver l’humour et être des vivants » Des blessures peuvent donner des naissances à des ailes.

Boris Cyrulnik, lui, déclare que l’on peut guérir :

_Grâce au fait d’avoir reçu une dose suffisante d’amour au départ de la vie

_Grâce au fait de pouvoir dire sa souffrance

_Grâce au renforcement des tuteurs, tutrices de résilience

Il est bon qu’il y ait quelqu’un qui veille sur nous. Ainsi madame Nys-Mazure se souvient-elle du rôle important joué pour elle par un professeur de français à un moment où elle perdait un peu pied en classe . Cette personne l’a invitée chez elle et ne l’a pas « sermonnée » mais  lui a parlé et prêté un livre sur la renaissance italienne. J’ai été émue, dit-elle, quelqu’un m’avait parlé d’égal à égal…et je suis repartie dans mes études. Il faut opposer de la résilience à tout ce qui peut nous abimer.

 

3) Mais il n’est pas suffisant de résister, il faut créer du nouveau, s’émerveiller , mot dans lequel on retrouve le mot éveil , lequel inclut l’éveil par nos sens, et nous en avons cinq. Très souvent nous n’y faisons plus attention car il y a comme une poussière qui recouvre tout. Nous ne voyons plus les belles choses . Pensons à ce que nous ressentons après une sortie de maladie : comme marcher est un bonheur ! Eh oui, bien souvent nous mettons un bonnet de nuit sur nos sens. Il y a la rue, l’odeur des parfums. Il y a l’oreille. Il y a les saveurs des choses, tout cela que nous oublions, et souvent les choses les plus simples. Il faut retrouver tout ce qui nous éveillait : le jeu d’un piano, le chant des oiseaux…Sachons surtout faire revivre l’éveil du cœur, ce qui demande de l’attention, l’attention qui a plusieurs significations, par exemple : attention, tu vas tomber ! (appel à la prudence). Il y a l’attention –respect (celle des personnes attentionnées) ; l’attention au travail ( ne pas se laisser disperser) ; l’attention rêveuse, vagabonde,  celle où il faut se laisser imaginer comme le fait ma fille, metteur en scène, qui laisse alors son esprit déployer ses capacités artistiques. L’attention est essentielle, il faut l’entretenir. Méfiez-vous de l’excès de travail qui peut tuer l’attention. Madame Nys-Mazure cite alors le musicien André Gouze, lequel disait : « ne vous aigrissez pas » gardez vivante  la flamme . Songez à l’importance des veilleurs de nuit. La nuit nous sommes angoissés ; comme il est réconfortant, la nuit, le passage des veilleurs (veilleuses) de nuit à l’hôpital. Ils rétablissent le calme et la paix.

Il faut savoir entretenir les relations, éviter oublis et négligences. Savoir entretenir les liens est une fonction essentielle. C’est ce que j’exprime dans mon poème tiré de mon ouvrage : Secrète présence (édition Desclée de Brouwer) dans lequel j’aime filer la métaphore du tissage pour évoquer ces tisseurs de liens (langage du textile).

Comme on tisserait

Elle tient maison ouverte

Elle y reçoit les fatigués, les rongés du dedans,

Ceux que la vie trop courante a usés.

Les éraillés, les exténués. Leur trame est à vif.

Elle n’y touche pas

 

Elle ne les dévisage pas. N’exige aucun compte.

Elle sait. Elle a traversé déserts et dérives.

Elle leur demande d’arroser les cosmos,

 de clore les volets aux heures torrides,

de nourrir les chiens ou les chevaux,

de lire une histoire aux oiseaux de passage.

 

Des parfums de menthe, d’artichaut, d’ail

ou de pain rôdent, enivrent et s’évadent.

Les pommes mûrissent sur les claies

Les noix, les châtaignes patientent

au creux du jonc tressé.

Le vin prend de la bouteille

Sous les toiles d’araignées.

 

Aux murs des éclats de couleurs, des formes

Surgies de mains amies

-peintres, sculpteurs, céramistes…

Sur les tables des livres

en précaire amoncellement.

La musique relaie sa parole.

Réseau subtilement ourdi.

 

Au couchant, elle s’assied sur le seuil en pierre

Et accueille la nuit qui monte

Avec les cris odorants des lavandes

Les navettes des chauves-souris. Accords.

Un nuage s’effiloche à la cime des arbres

Dressés dans la dernière lumière.

 

Elle perçoit le pas de Celui qui vient

 

Celui avec une majuscule car il s’agit de Celui que nous connaissons.

Les formes artistiques aident à vivre. Je pense aussi à la petite lumière, auprès du tabernacle, qui nous fait signe dans les églises, cette lumière qui nous attend…mais nous sommes si souvent absents !

Donc il faut s’éveiller, pour mieux s’émerveiller. Elle cite alors une belle phrase du poète Eugène Guillevic : « Le matin t’est donné, ne le prends pas comme un dû » Il faut être présent à cet émerveillement d’être au monde. Beauté du mot « présent », qui recouvre le temps présent de la grammaire. Il y a aussi le présent comme cadeau (passerelle entre vous et l’autre), ainsi j’aime faire présent aux enfants d’un abonnement à une revue qu’ils recevront toute l’année, cadeau qui signifie : tu as du prix à mes yeux. Nous ne sommes pas assez reconnaissants de l’émerveillement d’être au monde.

Il faut laisser place à l’imagination, à l’imaginaire, comme cet enfant dans un poème de Guillevic : « Ma girafe et moi »

Moi, ça m’est bien égal

ce qu’ils font

J’ai un cheval dans ma poche

Et d’ailleurs c’est une girafe

Alors, quand c’est à moi

 qu’on veut s’en prendre, hop là !

On est loin ma girafe et moi

Et eux

N’y comprennent rien

Il faut essayer d’avoir de la reconnaissance pour la chance que nous avons . Reconnaissance, un beau mot qui signifie merci, connaître de nouveau. Parfois il y a des métiers pour lesquels on ne sait pas avoir de la reconnaissance. Il faut savoir reconnaître la valeur des êtres et des actes. Le mot a aussi le sens de l’intrépidité, comme lorsque l’on dit : être envoyé en reconnaissance (dans les mines par exemple).

Il faut savoir garder des liens et un espace de beauté dans la créativité du quotidien, un art de vivre et de survivre. Nous pouvons créer un bouquet, un repas etc…madame Nys-Mazure cite une phrase du poète indien Rabindranath Tagore :  « Que je fasse de ma vie une chose simple et droite, semblable à une flûte de roseau que Tu puisses emplir de musique ».

L’âge de vivre : ce sont des moments de la vie où nous traversons bonheur et difficultés. Nous avons à bénir et à remercier. Notre appétit de consommation est impossible à rassasier, comme déclare un prêtre suédois « on ne peut exiger de la mer qu’elle porte tous les bateaux ».

Il faut savoir cultiver à la fois l’humour et l’amour (amour et bonté, une bonté sans calcul aurait dit Verlaine)

Echange avec le public

  • A-t-on le droit de dire aux autres que l’on vit dans le bonheur ?

Il faut maintenir l’harmonie entre soi-même et le déroulement de ce qui se passe au quotidien.

  • Y a-t-il obligation d’être heureux ? C’est un devoir, oui, mais pas né d’un volontarisme
  • Tu nous as donné le bonheur, or, la 1ère cause du suicide c’est le devoir d’être heureux…Réponse : il faut être une grâce
  • Le devoir d’être heureux, une pensée positive ? Oui, il faut cultiver le goût de la difficulté mais pas tomber dans « la tyrannie du bonheur », répondre à des normes.
  • Saint Paul dit : «  nous sommes dans la joie, la joie de l’amour de Dieu, » mais la souffrance ? réponse : On peut trouver la joie malgré la souffrance. Le mot joie est plus beau, plus fort que le mot bonheur. Le bonheur est plus fragile, plus fugitif ; la joie est plus durable
  • Je dis parfois le matin (je me lève très tôt) : Merci, Seigneur, ce matin je me lève de bonheur. (notes d'Edwige)

 

Rendez-vous pour la prochaine conférence qui aura lieu à 20h30 :

Le jeudi 23 juillet salle Sainte Anne rue des Halles à Berck

et

le vendredi 24 Juillet  dans l’annexe de l’église du Touquet

avec le Père Michel Castro

Tout ce que vous avez voulu savoir sur Jésus-Christ

 

 

 

 

 

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 3201 visites