Saint Bernard écrivait : "Crois-moi, je l'ai expérimenté moi-même. Nous pouvons trouver plus dans les forêts que dans les livres. Les arbres et les pierres t'apprendront plus qu'un maître ne te fera entendre".
Je dirais que le jardinage a été pour moi une école de vie et même de réalisme spirituel. Quand je contemple le cèdre bleu dans le jardin de l'évêché qui m'a été offert il y a 7 ans lors de mon ordination épiscopale et que mesurait 70 cm, il me révèle tout le sens de l'être humain. D'abord c'est un beau souvenir de la paroisse du diocèse d'Arras où j'avais exercé mon ministère et ensuite il est là bien enraciné dans la terre normande mais la cime tournée vers le ciel avec ses 7 mètres de hauteur. Le jardin est une école de vie. Il demande beaucoup de travail et de sueur mais surtout il oblige à vivre au rythme de saisons et à communier à la nature sans en être le maître. Je dirais simplement que le jardinage est une école d'humilité car il faut compter avec le temps que ce soit le climat ou la durée des jours.
L'épreuve du temps
Pour tout être humain, l'épreuve de la vie est l'épreuve du temps. La publicité voudrait nous apprendre à rester jeune. Or notre vie va vers la mort et elle nous enseigne à intégrer cette réalité. Il nous faut vivre le deuil de ne plus avoir 20 ans. Le secret de la sagesse est toujours dans la prose en compte de la réalité. Le bonheur est à ce prix. La vie a été plus dure que celle dont nous rêvions à 20 ans et pourtant elle est cent fois plus belle que celle que nous imaginions : voilà le secret du bonheur. Il n'y a pas de super-bonheur mais il y a une infinité de petits bonheurs qu'on apprend à goûter jour après jour. N'est-ce pas le secret de l'éternelle jeunesse ? Que de personnes ont l'impression d'avoir gâché leur vie, de ne pas avoir trouvé le bonheur qu'elles cherchaient. Alors les remords empoisonnent leur vie qui ressemble à un cimetière parsemé de regrets éternels. La vie est du côté de ce oui à l'aujourd'hui du temps car la patience est le secret de l'amour. Prenons l'exemple de la nature : On ne peut pas tirer sur les poireaux pour les faire pousser plus vite. De même si l'on taille trop des branches latérales de l'arbuste, il va monter très vite vers le ciel. Mais à la moindre tempête la cime va se casser et il faudra des années pour qu'elle tende à nouveau vers la lumière. Il ne sera plus jamais vertical. Apprendre à vivre chaque âge de la vie avec confiance est aussi le secret du bonheur. A chaque âge de la vie, nous sommes invités à donner du fruit. C'est ce fruit qui oriente notre vie, comme les fleurs du pommier au printemps trouvent leur raison d'être dans les pommes d'automne. Le temps, Dieu l'a confié aux hommes pour accomplir ses projets. Nous allons vers "les cieux nouveaux et la terre nouvelle" (Ap 21, 1).
Les jardiniers de Dieu
Nous sommes les jardiniers du temps de Dieu. L'être humain se construit dans et par le temps. Il ressemble à un arbre dans la forêt ou à un arbre planté près d'un ruisseau et qui donne son fruit en la saison (cf. Ps 1, 3). Il y a la saison des jeunes pousses et des fleurs de printemps. Les fruitiers en fleurs sont merveilleux. Ils sont déjà un chant de louange au Père. Tous les fruits sont déjà dans les fleurs, même si elles s'arrêtent brusquement. Pensons à Thérèse de l'Enfant-Jésus morte à 25 ans. Puis vient l'été, où il faut parfois endurer la chaleur du jour comme les ouvriers de l'Evangile. "Nous avons porté le poids de la journée, avec sa chaleur" (Mt 20, 12). C'est l'âge des responsabilités, des lents mûrissements et des liens tissés jour après jour. Puis vient le temps de l'automne avec les fruits que l'on donne. Mais les feuilles tombent peu à peu et c'est bientôt l'hiver. L'arbre est dépouillé, comme mis à nu. Il présage déjà qu'il deviendra un jour la charpente d'une maison, la poutre d'une belle cheminée ou simplement un stère de bois pour le chauffage. Il vient de tomber sous la tronçonneuse d'un bûcheron. Il avait l'impression que sa vie était devenue inutile et voilà qu'il est le brasier d'un feu qui réchauffe le coeur d'une famille rassemblée un soir d'hiver autour de la cheminée. Quel que soit le temps de notre vie, c'est le temps de Dieu. Mystérieusement nous sommes appelés à donner du fruit. Chaque saison de la vie a son propre fruit. Il ne faut pas vivre tout simplement une saison à l'avance ou une saison en retard. Le secret de la sagesse c'est de savoir entrer peu à peu dans le temps de Dieu qui n'est pas celui des êtres humains.
Mgr Jean-Claude Boulanger
Evêque de Séez