Porter son âge, fardeau ou cadeau ?

 

Vieillir, c’est vivre. Dès la conception, le compte à rebours d’un processus de vieillissement s’enclenche. Cette horloge interne trotte avec nous toute la vie. Comment assumer ce que vieillir veut dire ? Crème anti-âge ou sage acceptation, qui saura le mieux faire corps avec ce qui advient ?
 
 
 
Porter son âge, fardeau ou cadeau ?
 
 
Agnès Rebelle a 59 ans. Elle habite en Haute-Savoie. De sa maison, par beau temps, elle voit le Mont Blanc. Depuis 17 ans, cette formatrice de l’école Personnalité et Relations humaines, écoute, accompagne et outille des centaines de personnes désireuses d’entamer un chemin de croissance. Sa clientèle a entre 18 et 92 ans.
 
 
À partir de quel âge se sent-on vieux ?
 
Vieillir et être vieux, c’est bien différent. Quand je dis : « je suis vieille », je dévalorise quelque chose de moi. Quand je dis : « je vieillis », c’est vrai.
 
 
On prend des coups de vieux, le temps marque le corps, est-on encore dans le coup ?
 
Les forces de mon corps diminuent au fil des ans, mais les autres instances de ma personne continuent de vivre. Elles s’affinent peut-être même. Nous sommes plus qu’un corps. Il y a en nous un être, un mental, une sensibilité, une conscience profonde. Même si notre corps prend des kilomètres au compteur, il y a une puissance de vie, en nous, au niveau de l’être qui continue à vivre. Ma sensibilité continue à vibrer même si mes forces diminuent. Beaucoup de choses donnent bon goût à la vie alors qu’on vieillit.
 
 
Comment faire face aux rides et aux outrages du temps ?
 
Il y a paraître. Il y a être. Quand je suis, quand je vis mes qualités, mon dynamisme de vie et l’élan qui m’habite, quand je vis mon potentiel au cœur de mes limites, alors je peux être. Mes cheveux sont blancs et mes rides font partie de moi. Je ne vis pas à partir de moi et de mon âge réel. C’est moins confortable.
 
 
À 60, 70, 80, le corps n’a plus 20 ans !
 
Cette expérience commence jeune… Je me souviens d’une sortie en ski de fond, j’avais 40 ans. Mes trois filles m’ont allègrement doublée. J’ai admiré leur jeunesse, j’ai senti que je n’avais plus leur vitalité… Il est bon de se rendre à l’évidence. Et de s’émerveiller de la nouvelle étape de vie qui s’ouvre. Il serait triste de faire croire à ses enfants, à ses petits-enfants qu’à l’âge qui est le sien, on fait les mêmes choses qu’eux.
 
 
Comment s’y faire ?
 
Pour que vieillir soit une bonne saison, il faut être solide intérieurement. Les personnes qui travaillent sur elles vieillissent mieux parce qu’elles se connaissent mieux. Bien vieillir est d’autant plus aisé qu’on a bien vécu. Quand on a vécu de bonnes choses, on peut y revenir intérieurement.
 
 
Retraite, ménopause, soins dentaires, douleurs articulaires, que de limites imposées !
 
Les limites ne sont pas un empêchement au bonheur. Je peux me sentir très fatiguée et heureuse. C’est le refus de mes limites qui me rendra malheureuse. Ce ne sont pas les limites en tant que telles. Il reste toujours de la vie à vivre. Certes j’ai des deuils à faire, il y a des choses que je ne peux plus faire, il y a des diminutions à accepter, il y a des bonheurs que je ne peux plus vivre mais bonne nouvelle, le vieillissement n’empêche pas la relation.
 
 
Lunettes, cannes, prothèses, comment s’y faire ?
 
Certains prendront cela avec humour. D’autres minimiseront. Au fond, ce n’et pas tellement la stratégie qui compte. La question essentielle c’est : « Est-ce que j l’accepte ? » L’acceptation amène le repos, la paix.
 
 
Faut-il être bien dans son corps pour bien vieillir avec ?
 
Les limites corporelles sont d’autant plus pénibles à vivre que j’ai une relation difficile avec mon corps. Si mon corps est un bon compagnon, je vais accepter ses limites et prendre soin de lui. Je serai attentive à ce que je peux encore vivre en amitié avec lui. Si mon corps est une machine, quelque chose dont j’ai abusé, mes limites de vieillissement vont me faire dire qu’il n’est pas fiable. Si mon corps est un ennemi, un empêcheur de tourner en rond, mon vieillissement va accentuer ce rejet. Si mon corps est un inconnu, je vais le négliger et je ne vais pas prendre soin de lui dans le vieillissement. Si j’en ai fait un dieu, il n’y a alors plus que lui qui compte. Je vais lui donner des soins excessifs. Il va falloir à tout prix que je reste jeune. Ai-je fait la paix avec mon corps pendant ma vie ? Mon corps, est-ce moi ?
 
 
Un corps qui se déglingue, est-ce la fin de tout ?
 
Nous sommes dotés d’une belle capacité qui s’appelle l’adaptation. Si je n’entends plus, je fais effort, je m’appareille, je cherche à ne pas être trop diminuée… Mais je dis aussi mes besoins et mes limites. Je m’adapte parce que rester en relation, c’est important pour moi, mais je ne vis que ce dont je suis capable. Exprimer ma limite va aider les autres. Par exemple, le repas de famille à trente personnes dans le brouhaha n’est plus confortable pour moi. On va s’y prendre autrement. On va préférer être autour de moi à trois pour un café. Si j’existe, je permets à l’autre d’apporter une réponse plus adéquate. Il y a de l’adaptation des deux côtés.
 
 
Et quand le corps nous lâche…
 
J’aimerais vous rapporter cette histoire de vie entendu de la bouche d’une cliente qui venait de perdre sa mère. « Ma maman avait été extrêmement blessée dans sa vie. Elle a passé son existence à chercher l’amour. Avec un mental très fort, elle avait beaucoup d’exigences et des idées négatives sur elle et sur les autres. Difficile pour elle dans ces conditions d’aimer et de se laisser aimer. Les derniers mois de sa vie, alors qu’elle était alimentée, atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle partageait la chambre d’une ancienne institutrice, elle aussi très malade. Cette dame était perdue. Elle parlait à ma maman comme à une petite fille. C’était très agaçant pour moi et j’avais résolu de demander une chambre individuelle pour ma mère. Avant de faire cette demande, j’ai regardé maman. J’ai vu qu’elle avait un sourire jusqu’aux oreilles. Il lui plaisait d’être prise pour une enfant. Et il plaisait à sa voisine de s’adresser à elle comme à une petite élève. Là, j’ai compris que maman, n’ayant plus la capacité de réfléchir, vivait à partir de ses émotions et de sa sensibilité. À 79 ans, elle recevait ce qu’elle n’avait jamais reçu enfant puisque elle avait été orpheline. Je suis sûre qu’elle est morte en ayant connu ce qu’elle avait cherché toute sa vie : l’expérience d’être aimée. Après le décès de ma mère, l’infirmière m’a rapporté les photos de la voisine de maman. Cette dame, d’ordinaire très confuse dans son discours, a dit clairement à deux reprises : « Je n’ai jamais aimé comme j’ai aime cette petite fille ». Elle aussi, dans sa confusion, était dans une expérience forte, celle d’avoir aimé vraiment. » Et cela s’est passé pour l’une et pour l’autre alors qu’elles avaient un corps et un mental très dégradés.
 
 
Hommes et femmes sont-ils égaux face au vieillissement ?
 
Chacun a un rapport à son corps très typé, difficile de généraliser.
 
 
Et en couple ?
 
Petit à petit l’amour évolue vers quelque chose de plus profond, de plus complice, de plus tendre. Le désir ne se manifeste plus de la même manière. La relation sexuelle, la manière d’être avec le corps de l’autre passent à une intimité différente tout aussi nourrissante. On continue d’être ému par le corps de l’autre. On le trouve beau. Pourtant il a vieilli. Il (ou elle) n’a plus la silhouette de ses 20 ans…
 
 
Un secret de jouvence ?
 
Certainement un regard bienveillant posé sur moi. Mais j’en reviens à mon rapport à moi-même. Ma vie, je la trouve belle. J’ai connu beaucoup d’aléas, mais je suis heureuse de la vie que j’ai vécue. Ce constat me permet de ne pas me réduire à un vieux corps. Je ne suis pas réductible au vieillissement de mes cellules. Je suis pleine de la vie que j’ai vécue et que je vis encore.
 
 
 
Propos recueillis par Maria Delsol
 
Extrait du Bulletin « Vivre l’Evangile à la télévision » n° 180 – février-mars 2014

 

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