La Noce à Cana

Commentaire proposé sur le site de la Conférence des évêques de France, le 14 Janvier 2001

 

Commentaire proposé sur le site de la Conférence des évêques de France, le 14 Janvier 2001

 

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Il faut nous habituer à la manière d'écrire de Jean l'évangéliste ! C'est entre les lignes que les choses importantes sont dites ! Pour lui, ce premier "signe" (comme il dit) de Jésus à Cana est très important : il évoque à lui tout seul le grand mystère du projet de Dieu sur l'humanité, mystère de Création, mystère d'Alliance, mystère de Noces. Ce que nous appelons le Prologue, chez Jean, c'est-à-dire le tout début de son premier chapitre, était une grande méditation sur ce mystère ; le texte qui nous rapporte le miracle de Cana est exactement la même méditation, mais sur le mode du récit, cette fois. Comme si ces deux textes, au début de l'évangile, devaient nous introduire à la compréhension de tout ce qui va suivre. Je vous propose donc de lire le récit des noces de Cana à la lumière du Prologue.

 

Qu'y a-t-il eu entre les deux ? Des événements qui composent ce que l'on appelle la "semaine inaugurale" de la vie publique de Jésus. Car Jean note soigneusement ce qui se passe de jour en jour comme s'il disait "il y eut un soir, il y eut un matin" ; on est, bien sûr, tentés de faire le compte de tous ces jours depuis le début : cela donne "le septième jour"; L'évocation d'une semaine, d'un "septième jour", dans un évangile, ce n'est évidemment pas anodin. Le "septième jour" renvoie toujours à l'achèvement de la Création.

 

Comme le mot "commencement", d'ailleurs, que l'évangéliste emploie à la fin de son récit : "Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit." Dans le Prologue, Jean affirmait "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui." Nous voici dans le cadre des sept jours de la Création. L'épisode des noces de Cana, un septième jour, lui fait donc un lointain écho : car, en réalité, à Cana, Jésus ne se contente pas de multiplier le vin, il le crée ; comme au commencement de toutes choses, le Verbe était tourné vers Dieu pour créer le monde, une nouvelle étape s'inaugure à Cana : la création nouvelle a commencé.

 

Et il s'agit d'une noce ! On pourrait continuer le parallèle : au sixième jour, Dieu avait achevé son oeuvre par la création du couple humain à son image ; au septième jour de la nouvelle création, Jésus participe à un repas de noces. Manière de dire que le projet créateur de Dieu est en définitive un projet d'alliance, un projet de noce. Enfin, Saint Jean précise que Cana est en Galilée : ce qui élargit considérablement la perspective : la Galilée, traditionnellement, c'est le pays des païens, un carrefour de peuples ; Isaïe l'appelait le "pays de l'ombre, la Galilée des nations" : Dieu donc épouse l'humanité tout entière et pas seulement quelques privilégiés.

 

Revenons à l'expression "Troisième jour" : à elle toute seule, cette précision, elle aussi, est certainement un message ; car la mémoire des disciples est à jamais marquée par un certain troisième jour, celui de la Résurrection. Elle nous renvoie donc à l'autre bout, si j'ose dire, de la vie publique de Jésus, à la Passion, la mort et la résurrection du Christ. Manière pour Jean de nous dire : c'est là et là seulement, que l'Alliance de Dieu avec l'humanité sera définitivement scellée, ses noces célébrées. D'ailleurs la dernière phrase ''Il manifesta sa gloire" est aussi une allusion à la Résurrection. Dans le Prologue, encore, Jean disait "Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire..." C'est à Cana, justement, que les disciples ont vu la gloire de Jésus pour la première fois. En attendant la manifestation définitive de la gloire de Dieu sur le visage du Christ, mort et ressuscité.

 

C'est pour cela que le mot "Heure" chez Jean est si important : il s'agit de l'Heure où le projet de Dieu a été définitivement accompli en Jésus-Christ. C'est bien à cela que Jésus pense quand il dit à Marie : "Femme, que me veux-tu ? Mon Heure n'est pas encore venue." Visiblement ses préoccupations sont au-delà du problème matériel du manque de vin : il ne perd pas de vue sa mission qui est d'accomplir les noces de Dieu avec l'humanité.

Mais la première phrase ("Femme, que me veux-tu ?'') reste surprenante et on a beaucoup épilogué ; en réalité, dans le texte grec, c'est "qu'y a-t-il pour toi et pour moi ?" autrement dit : "tu ne peux pas comprendre". Jésus affronte là, seul, la grande question de sa mission : pour accomplir cette mission, concrètement, que doit-il faire ? Doit-il créer du vin ? Et ainsi manifester qu'il est le Fils de Dieu ? Ici, on touche à la profondeur du mystère du Christ (mystère dont lui-même a progressivement pris conscience : pleinement homme, il a dû grandir peu à peu comme chacun de nous dans la découverte de sa mission).

 

On a peut-être ici, dans l'évangile de Jean, un écho du récit des Tentations dans les Évangiles synoptiques ; ce qui expliquerait, d'ailleurs, la sécheresse apparente de la phrase de Jésus à sa mère ; au désert, dans l'épisode des Tentations, la question qui s'est posée à Jésus était "qu'est-ce, au juste, être Fils de Dieu ?" et le Tentateur lui avait susurré "si tu es vraiment le Fils de Dieu, maintenant que tu as faim, ordonne que ces pierres deviennent du pain". On remarquera une chose : quand il est seul au désert, Jésus refuse de faire les miracles que lui suggère le Tentateur, car il en serait le seul bénéficiaire. A Cana, au contraire, Jésus multiplie le vin de la fête pour la joie des convives. Ce qui revient à dire que le Fils de Dieu ne fait de miracles que pour le bonheur des hommes.

Les disciples ne découvriront le miracle qu'après coup ; mais les seuls qui sont réellement dans la confidence, et Saint Jean le souligne, ce sont les serviteurs (verset 9) : bien sûr, nous ne sommes pas surpris outre mesure que des pauvres soient les premiers au courant du projet de Dieu !