Marie, à Vatican II
Ch.8, constitution Lumen gentium
Une représentation intimiste, le regard. Dialogue entre Marie et Jésus Dans la plaquette "Marie, ce que dit la foi", le père Sesbouë revient sur la place faite à Marie au concile Vatican II. C'est le chapitre intitulé "Le tournant pris par Vatican II". Sans doute cet article demande-t-il beaucoup d'attention, tout autant qu'il en fallut aux Pères du concile pour respecter les susceptibilités tout en accordant la première place l'Ecriture et à la Tradition. Ils ont essayé d'en revenir à l'antique Tradition et aux Ecritures sans tirer à chaque fois la couverture à soi comme le faisaient certains mariologues de l'époque. Certes, il existe un droit à exprimer ses sentiments et son affection, mais cela ne doit pas faire dévier la réflexion théologique.
Du débat à la crise
Un premier schéma avait été préparé avant le Concile, intitulé La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère des hommes. Il devait primitivement faire partie du schéma sur l'Église, puis fut érigé en schéma séparé. Le conseil de présidence chercha à faire voter ce texte assez précis sur la médiation de Marie, la corédemption, la virginité in partu , bref un texte qui était loin d'être « œcuménique », à la fin de la première session du Concile et à l'occasion de la fête du 8 décembre 1962. Mais l'Assemblée réagit négativement: les Pères redoutaient la dogmatisation hâtive de formules nouvelles. Ils préférèrent passer en priorité au débat sur l’Eglise.
Lors de la deuxième session, en 1963 et au cours du débat sur l'Eglise, le problème de la place du document consacré àa Marie se posa à nouveau. Une question fut soumise aux votes des Peres: «Vous plait-il de faire du schéma sur la Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l'Eglise, le dernier chapitre du schéma sur l'Eglise ?» Aussitôt deux cardinaux plaidèrent successivement le contre (Santos, de Manille) et le pour (König, de Vienne). Le sens de la question était le suivant : voter pour, c'était souligner que la Vierge appartient au corps de l'Eglise, la « relever de son excommunication ecclésiale », disait-on avec humour dans les couloirs ; c'était aussi stopper les tendances inflationnistes de la mariologie spécialisée; voter contre, c'était juger qu'une telle intégration de Marie à l'Eglise la ravalait au niveau des autres chrétiens, entreprise minimisante, car Marie « transcende » l'Eglise.
Une propagande intense, et parfois même passionnelle, se développa jusqu'au moment du vote qui donna le résultat suivant : pour 1 114 voix ; contre 1 074. Le Concile se trouvait donc coupé en deux à 40 voix de différence. Ce fut la consternation, comme l'année précédente à propos du schéma sur la révélation. II y eut des larmes. Ce vote manifestait cependant une large volonté de porter un coup d'arrêt au mouvement marial tel qu'il se développait jusqu'alors, au bénéfice d'une théologie mariale ressourcée, plus sobre, plus biblique et rapportée au mystère du salut. Une commission de conciliation fut alors nommée, qui se trouvait d'ailleurs en présence de divers contre-projets.
A la fin de la deuxième session, Paul VI donna les indications suivantes dans son discours de clôture : ii convient d'intégrer Marie au schéma sur l'Église ; mais ii faut aussi manifester son éminence par rapport A l'Église, en la proclamant «Mère de l’Eglise » (ce que le Concile se refusera de faire) ; on doit enfin viser à retrouver l’unanimité conciliaire.
Rédaction et vote du schéma; Paul VI et "Marie «Mère de l’Eglise»"
Le schéma fut complètement réécrit avec l'intention délibérée de situer Marie dans le mystère du Christ et de l'Église. Ce nouveau chapitre est d'une grande sobriété, très biblique et patristique. Tous les mots en sont pesés. II ne donna lieu qu'à un débat assez bref et à une série de 90 amendements, ce qui est peu. II fut voté à la quasi-unanimité et promulgué avec la constitution Lumen Gentium le 21 novembre 1964.
Mais Paul VI proclama alors Marie «Mère de l'Église», ce qui n'est pas une définition dogmatique. Le concile avait délibérément omis ce titre dans son texte. La commission théologique avait en effet émis le jugement suivant: «L'expression "Mère de l'Église" [ ... ] ne peut être dite traditionnelle. Quand elle est employée, rarement, elle est complétée par "fille" et "sœur". C'est une comparaison. Au plan œcuménique, elle n'est pas recommandable, bien qu'elle puisse être admise théologiquement. » Paul VI a tenu un certain compte de ces remarques en disant dans ses explications au titre: «"Mère de l'Église", c'est-à-dire de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que dès pasteurs»; Marie est Mère de l'Église militante. Mais elle reste membre de l'Église, notre soeur par le lien de la nature. Le désir du pape était d'exprimer d'abord une conviction personnelle et de réconforter ensuite la minorité conciliaire, très déçue dans ses attentes mariales.
Les orientations du Concile :
Marie toute relative au Christ et corrélative à l'Église
Le Concile propose dans ce chapitre un enseignement synthétique et structuré concernant la Vierge Marie. Paul VI saluait ainsi le texte: «C'est la première fois qu'un concile œcuménique présente une synthèse si vaste de la doctrine catholique sur la place que Marie occupe dans le mystère du Christ et de l'Église'. » Certes, le Concile affirme dans sa déclaration d'intention qu'il ne veut pas proposer un enseignement complet sur Marie ni trancher les questions encore en recherche chez les théologiens. Cette déclaration semble une précaution et la justification, au regard de la minorité déçue, d'avoir tu certains titres et certains thèmes. Mais on sait que le Concile n'a jamais voulu condamner : ses silences ne doivent donc pas être interprétés comme des refus formels. Cet exposé conciliaire a valeur normative tant pour la pastorale que pour la théologie.
- L'intention du Concile est clairement exprimée dans le prologue ou première section du chapitre. C'est une intention délibérée de rester en deçà du vocabulaire spéculatif élaboré depuis cinquante ans par le mouvement marial et les théologiens, et une volonté de ne rien définir. Les opinions
théologiques n'appartiennent pas au domaine de la foi et sont laissées à la responsabilité de leurs auteurs. Cette intention marque un tournant dans la considération catholique de Marie. Toute la manière de faire du Concile est une invitation à travailler sur les données de l'Écriture et de la tradition. La réflexion mariale change de cap.
L'intention fondamentale est aussi de situer la doctrine mariale dans la totalité du mystère chrétien, comme le soulignent les titres du chapitre et de sa deuxième section. Cette préoccupation est exprimée huit fois dans le texte. Il s'agit donc d'une doctrine mariale «fonctionnelle» ou «intégrée ».
- L'exposition de la deuxième section s'inscrit dans un large schème scripturaire. Parcourant l'économie du salut depuis la lente préparation de la venue du Christ jusqu'à la glorification de la Vierge, le Concile expose le rôle et le destin de Marie en suivant le cours de son existence et en partant des annonces prophétiques qui la concernent. Marie est toujours inscrite dans la totalité de l'économie du salut. Tel est l'axe de l'exposé. Il ne s'agit pas d'une exégèse biblique, mais d'une théologie biblique très sobre. Ce sera à propos des mystères de la Vierge que seront insérés les commentaires doctrinaux de la tradition et des conciles. Cette partie est d'ailleurs tout autant patristique que scripturaire et en plusieurs cas l'interprétation de l'Écriture, est attribuée aux Pères.
Le dossier scripturaire ainsi retenu par le Concile se caractérise par une prudence scrupuleuse. Le document ne fait intervenir que les textes dont la signification mariale est indiscutable et au niveau d'interprétation où leur portée est indiscutable. Cela se traduit par un grand nombre de «cf.» qui marquent une distance consciente d'elle-même entre la rédaction conciliaire et les textes bibliques allégués.
Cette prudence amène une modification sensible du dossier marial auquel le catholicisme s'était habitué: les textes sapientiels ne sont jamais invoqués; il n'y aucune allusion à Apocalypse 12, alors que ce texte appartient à la liturgie de l'Assomption. En revanche, ce dossier s'est voulu plus complet: il a incorporé le thème, récemment mis en lumière par Max Thurian, de Marie «fille de Sion». Marie est au premier rang des pauvres et des humbles du Seigneur; le document reconnaît les allusions de Lc 1 à Sophonie 3,14-17.
D'autre part, le Concile fait la place qui leur revenait aux versets apparemment «restrictifs» des Évangiles concernant la Vierge. Il souligne que les parents de Jésus ne comprirent pas la parole de leur fils au Temple (Lc 2,41-51). Il donne le sens de la parole: «Qui est ma mère et qui sont mes frères?» (Mc 3,35). Il mentionne le logion: «Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent» (Le 11,27). Le Royaume de Dieu est au-dessus des liens de la chair et du sang, et Marie est précisément celle qui a écouté et gardé la parole de Dieu et a été proclamée bienheureuse pour sa foi par Élisabeth. Le Concile souligne à cette occasion que la «Vierge Marie, elle aussi, a avancé dans le pèlerinage de la foi »jusqu'à l'épreuve de la croix.
Au plan des affirmations doctrinales on rencontre la même prudence. Sans doute le Concile reprend-il sans faille tout ce qui est défini au sujet de Marie. Mais cela est inscrit dans un leitmotiv de l'union de la Mère à son Fils depuis la conception virginale (7 fois).
- Le lien de Marie à l'Église constitue le thème de la troisième section. Il est exprimé par trois mots clés: Membre, Mère et Type, annoncés dans le prologue:
Le fait que Marie soit membre de l'Église est déjà clairement mis en valeur par l'insertion du chapitre dans la Constitution dogmatique sur l'Église. Dans le mystère de l'Église, la Vierge est venue la première, de même que par sa glorification au ciel elle est le «commencement de l'Église qui doit avoir son accomplissement dans le ciel à venir». Marie est donc intérieure à l'Église, tout en demeurant pour elle un membre suréminent et unique.
Autour du titre de Mère le Concile rassemble tout ce qui concerne l'influence de Marie sur l'Église. C'est là qu'il aborde certains sujets brûlants comme celui de la «coopération» au salut et qu'il en vient à employer une fois le terme de «médiatrice ».
Le développement commence par le rappel du texte de 1 Tm 2,5-6 sur l'unique Médiateur, qui est posé comme un principe absolu par rapport au rôle de Marie (alors que dans la première rédaction il constituait une objection à résoudre!). En conséquence, le rôle maternel de Marie ne peut rien enlever à cette unicité du Médiateur et ne peut être connuméré avec lui. Il est le fait du bon plaisir divin et découle de la surabondance des mérites du Christ.
Marie est ensuite présentée comme associée (socia) à l'incarnation et à la rédemption, comme l'humble servante qui coopère (cooperata est) par son obéissance, sa foi, son espérance et sa charité, depuis le Fiat de l'Annonciation jusqu'au consentement de la croix. La nature de cette coopération est donc de l'ordre de la réponse apportée au don de Dieu, dans la foi et dans la grâce. Elle n'ajoute rien à l'initiative salvatrice de Dieu dans le Christ.
C'est pourquoi Marie a été pour nous mère «dans l'économie de la grâce ». C'est la formule que le Concile emploie à la différence de «Mère de l'Église », souhaitée par Paul VI. D'où les titres traditionnels qui lui ont été donnés, «Avocate» (Irénée), «Secours, Auxiliatrice, Médiatrice ». Ce n'est qu'à la fin de cette série de titres traditionnels, exprimant l'intercession de Marie, qu'intervient le mot de «médiatrice », très relativisé et devenu sans équivoque. Le terme est d'ailleurs aussitôt glosé ainsi: «Ce qui cependant s'entend de façon à ne rien enlever, rien ajouter à la dignité et à l'efficience du Christ, unique Médiateur.» Le cardinal Bea aurait voulu la suppression de toute mention de Marie médiatrice dans le document. Il représentait dans cette position la majorité du Concile qui entendait mettre un arrêt à la requête de la définition de la médiation mariale. Dans la logique générale du chapitre c'est bien ce message qui a été entendu.
Marie est enfin le type exemplaire et la figure de l'Église à un triple titre, parce qu'elle est vierge, mère et sainte. La virginité et la maternité de Marie se reproduisent dans l'Église qui devient mère en engendrant à la foi les enfants de Dieu par la prédication et le baptême, et demeure vierge par la pureté de sa foi et sa consécration totale au Christ son époux.
- Quant au culte marial dans l'Eglise (quatrième et dernière section), il répond à la parole du Magnificat: «Toutes les générations me diront bienheureuse.» Ce culte diffère du culte d'adoration qui n'est dû qu'au Dieu trinitaire. Il doit être biblique, christocentrique et théocentrique. Il se doit d'éviter tout ce qui pourrait être compris comme une erreur de la part des «frères séparés» sur la véritable doctrine de l'Église. Le document s'achève par le vœu œcuménique de l'unité de tous les chrétiens.