Pourquoi as-tu douté ?
19ème dimanche ordinaire
1 Rois, 19, 9 à 13 ; Romains 9, 1 à 5 ; Matthieu 14, 22-33
La barque au milieu d'une mer hostile, Pierre, Jésus.
Le récit d’Evangile selon Matthieu lu ce dimanche suit immédiatement le récit du pain partagé à la foule. Comme les évangélistes Marc et Jean, Matthieu signale l’obligation faite aux disciples par Jésus de remonter dans la barque et le précéder sur l’autre rive… "obliger !", un peu comme si Jésus refusait que l’on s’attarde sur la belle réussite qui vient de précéder ! Il faut passer sur l'autre rive. Matthieu est le seul à ajouter l’épisode où Pierre, téméraire et peureux tout à la fois, se voit apostrophé par Jésus : “homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?”
Comme pour le récit du pain partagé, et l’ensemble des évangiles, ce récit a été écrit après Pâques, à la lumière de la Résurrection… et après les premières étapes d’annonce de l’Evangile aux nations et de vie en communautés d’Eglise. A la lecture de ce récit, une question émerge : où est Jésus ? Les disciples sont seuls, dans la barque, au milieu d’une une mer hostile. Jésus s’est retiré, dans la montagne, pour prier/être avec son Père.
Il est difficile à l'exégète de retrouver ce qui s’est passé dans les années 30, de trier entre ce qui est des années 30 et ce qui est du travail d’éducation réalisé par le rédacteur de l’Evangile. L'auteur laisse plusieurs indices pour interpréter son récit adressé à la communauté d’après Pâques. Jésus est absent, à distance, sur la montagne. Il a envoyé ses disciples de l’autre côté (sous entendu en terre étrangère). La barque est le symbole de l’Eglise. La barque est affrontée aux forces hostiles symbolisée par la mer démontée. Il n'est pas difficile d'y voir l'évocation des premières communautés chrétiennes, très vite confrontées aux hostilités d'une partie du monde juif en en butte au rejet par les autorités du monde païen. Où donc est Jésus ?
Il n’est pas loin, il veille, il invite même Pierre à ne pas rester enfermé dans la barque (dans l’Eglise), mais à se risquer sur la mer, là où des forces hostiles s’opposent à l’Evangile du Christ. Ceci sera redit explicitement à la dernière ligne de l’Evangile de Matthieu : “Allez donc : de toutes les nations faites des disciples… et moi je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin des temps.”
Ce message de Matthieu dans les années 90 retentit pour nous aujourd’hui. Hier comme aujourd’hui, le message de l’Evangile se trouve en conflit avec les intérêts de la société d’aujourd’hui. Le désir de rester dans la barque, en marge de la société, semble envahir le cœur de bien des chrétiens aujourd’hui. L’appel à ouvrir portes et fenêtres, lancé par Jean XXIII est contesté… Or c’est dans ce contexte difficile, au moment où Pierre va poser le pied hors de la barque, que retentit la Parole de Jésus : “confiance, c’est moi, n’ayez pas peur !”.
L’histoire de la première Eglise porte le témoignage de nombreux conflits entre différents courants. L’assemblée de Jérusalem (concile de Jérusalem disent certains), rapportée au ch 15 du livre des Actes, fut un effort pour dépasser le conflit. Au long des siècles et jusqu’à aujourd’hui, il a fallu bien des assemblées d’Eglise, des conciles, pour tenter d’ouvrir le chemin de l’annonce à toutes les nations. Il a fallu du courage à certain pape pour sortir de sa prison qu’était la cité du Vatican… Il en a fallu du courage à Pierre pour oser un pas hors de la barque. Il faut et il faudra beaucoup de courage et de clairvoyance aux communautés d’aujourd’hui pour témoigner contre vents et marées, en paroles et en actes du feu de l’Evangile : aimer Dieu et aimer son prochain, c’est tout un. Puisse l'année saint Paul donner le désir de marcher à la suite de l'apôtre des nations aux carrefours du monde. E.H.