Mon joug est facile à porter…

14ème dimanche ordinaire

Zacharie 9, 9-10 ; Romains 8, 9-13 ; Matthieu 11, 25-30

 

L’évangile commence par une prière d’action de grâce de Jésus pour les petites gens à qui est révélé le Royaume de Dieu. Il se poursuit par un appel envers eux : “Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau” L’attitude d’action de grâce du Christ, son émerveillement est fréquent surtout quand il évoque l’accueil réservé par eux et par les étrangers à son enseignement concernant les rapports du Père avec ceux que les autorités tenaient pour éloignées du Royaume. Il faudrait associer à ces quelques lignes de l’Evangile avec d’autres aux ch.23-24, où le Christ fustige ces mêmes autorités pour imposer un fardeau : faites ce qu’ils disent, pas ce qu’ils font, “ car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. (Matthieu 23, 3-5).

 

Sans doute ne devrions-nous pas entrer dans les polémiques du temps du Christ, mais pourquoi ne pas méditer quelques instants sur les conflits qui ont accompagné le message du Christ et l’ont conduit jusqu’à la mort ? Pour comprendre, il faut faire un peu d’histoire, un peu de géographie sur la Judée-Galilée au temps du Christ. Les rapports entre les gens de la terre (gens du peuple) vécus au premier siècle sont l’héritage de quatre siècles où, peu à peu, les prêtres ont pris le pouvoir. Il n’y avait plus de roi, plus de prophètes après le retour d’Exil quand on a restauré le culte, oubliant d’autres aspects de la Loi, et pour être bien sûr d’avoir un peuple digne de Dieu, on a multiplié les règles d’exclusion (dans les évangiles et les Actes des apôtres, on trouve de nombreuses traces des débats sur le pur et l’impur.

 

De nombreuses règles ont été imposées par les gens du Temple, ceux d’en-haut, ceux contre lesquels le Christ se trouve en conflit (relire tout ce qui est dit après l’entrée de Jésus à Jérusalem, Luc, ch.19, 29 à 22 71 ; ou Marc, ch. 11-13). Alors qu’il est encore dans la plaine, les allusions à ces conflits sont clairement exprimés : pourquoi tes disciples mangent-ils sans ‘être lavés les mains ? pourquoi tes disciples ne jeunent-ils pas ? ce à quoi le Christ leur répliquait : “Jean le Baptiste est venu en effet, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin, et vous dites : Il est possédé ! Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites : Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs ! (Luc 7, 33-34). On peut lire avec beaucoup d’angélisme les évangiles, mais il ne faut pas oublier que le Christ s’est incarné, qu’il a vécu en pleine pâte humaine, et dans cette humanité, il a choisi d’élever ce qui est petit, froissé, humilié (il abaisse les puissants, il élève les humbles, etc.

 

Je suis doux et humble de cœur, mon joug est facile à porter est à relire dans le contexte d’une société à deux vitesses : les purs et les impurs. Or le Christ vient libérer tout homme de ce qui les presse… Le Christ au bord du Jourdain, auprès de Jean Baptiste d’abord, puis dans les ruelles de Capharnaüm a su exprimer la miséricorde de Dieu envers tous ces gens traine-savate que son père accueille lors du repas de noces (Matthieu 22, mais aussi ch.23 ou encore au ch.8 : “beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux”

 

Aux derniers siècles de l’Ancien Testament, la caste sacerdotale avait élevé des barrières, barrières d’exclusions contre lesquelles Jésus réagit tout au long de son ministère, faisant bon accueil au pauvre et au pécheur. Cela la caste sacerdotale ne pouvait l’accepter, ce sont eux qui inciteront à demander la mort du blasphémateur. La méditation de l’évangile de ce dimanche ne peut rester idyllique. Les paroles de Jésus s’adressent à ces gens qui souffrent devant ce que la religion leur impose (règles, taxes pour le Temple, impôt sur le fenouil, la menthe et le cumin…).

 

Aujourd’hui, au sein de l’Eglise catholique, une nouvelle race sacerdotale se développe qui joue sur les règles d’exclusion pour ne déclarer purs et dignes de Dieu que ceux qui sont dans les règles, et non ceux que Dieu a choisis. Ils recréent des espaces sacrés où ne peuvent approcher que certaines gens jugés par eux dignes d’approcher. Les autres doivent subir bien des humiliations. Parmi leurs règles d’exclusion : les femmes, les divorcés, ceux qui fréquentent les musulmans, ceux qui acceptent le dialogue avec des croyants d’autres religions. Méfiez-vous du levain des pharisiens disait Jésus à ses disciples : c’était hier, mais c’est encore vrai aujourd’hui. Jean XXIII avait souhaité ouvrir portes et fenêtres de l’Eglise. Depuis, il est des courants qui s’efforcent de les refermer. Au moment où l’on fêtera les 50 ans du dernier Concile, puissions-nous retrouver le souffle de jeunesse de l’Eglise, le souffle de Jésus pour ces gens de Galilée et des bords du Jourdain qui n’osaient plus croire que Dieu pouvait s’approcher d’eux. E.H.

 

Notes complémentaires : De récentes études sur l’histoire d’Israël et de Juda (Alberto Soggin, Mario Livérani, enseignants à la Sapienza à Rome) permettent de mieux comprendre ce qui s’est passé après le retour d’Exil… “On constate la montée massive et la concertation majeure de l’intérêt pour la casuistique touchant le rite, me sacrifice, la pureté, les fêtes, les ornements sacrés. Ce sont les grands prophètes “éthiques” qui se firent les interprètes de l’exigence d’un renouveau spirituel, mais ce sont finalement les prêtres et les lévites qui rédigèrent les nouvelles lois". La Bible et l’invention de l’histoire, Livérani, folio histoire p. 476