Ordinations presbytérales 2013
Bernard Grémont, Gabriel Planchez, Sébastien Roussel.
Ordination presbytérale de Bernard Grémont, Gabriel Planchez, Sébastien Roussel en la cathédrale d'Arras - Homélie de Mgr Jaeger
Lectures : 2 Samuel 12, 7-10. 13; Galates 2,16. 19-21; Luc, 7,36 – 8,3
La célébration de trois ordinations de prêtres constitue pour notre diocèse l’aboutissement d’une année pastorale particulièrement riche en événements appelés à marquer durablement la vie et la mission de l’Eglise en France et dans le Pas-de-Calais. .
Bernard, Gabriel et Sébastien seront les prêtres de l’année de la foi, du cinquantième anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II, de Diaconia 2013, de la convocation d’un synode provincial, du huitième centenaire de la manifestation de Notre Dame Panetière à Aire-sur-la-Lys, du premier rassemblement diocésain des familles. Ils auront été ordonnés diacres sous un pape toujours vivant et prêtres sous son successeur, premier souverain pontife venu d’Amérique. Il faut ajouter que le chiffre annuel de trois ordinands est rarement atteint dans notre Eglise locale. Autant dire que nos trois futurs prêtres apparaissent d’emblée comme des phénomènes presque hors normes.
La formule ne vaut pas seulement en considérant une série d’événements exceptionnels qui ont récemment jalonné le trajet de l’Eglise. Le monde et les sociétés dans lesquels cette Eglise est implantée et envoyée ont connu des soubresauts, des conflits et des mutations qui traduisent les aspirations diverses et contemporaines de personnes, de groupes de peuples. Ces mouvements suscitent, pêle-mêle, l’enthousiasme comme le doute, l‘émerveillement comme la crainte, la solidarité comme la division.
Tout porte à croire que l’Eglise, ses membres et ses ministres seront précisément, et de plus en plus, perçus dans nos cultures ambiantes, comme d’étranges phénomènes qu’il faut d’urgence réintégrer et assimiler dans les cadres et les codes de ces cultures ou, à l’inverse, marginaliser et diaboliser.
Le risque est grand pour notre Eglise de se laisser entraîner dans ce double mouvement. Parce qu’elle est signe et instrument du Christ envoyé dans le monde pour lui donner la vie en abondance, l’Eglise ne pourra jamais renoncer à rencontrer ce monde tel qu’il est et à s‘adresser à tout être humain. Elle ne peut davantage, par crainte de perdre chaque jour un peu plus, une influence qui lui échappe, consentir à l’affadissement du sel de la Parole de Dieu et regarder faiblir la flamme que le Christ Lui-même fait brûler en elle et par elle.
Rien n’était plus tentant pour Jésus de Nazareth que de se laisser enfermer dans l’image idyllique que sa communauté d’origine et les païens se font de lui. On le tient pour un prophète. Il guérit, Il libère. Il attire les foules qui se pressent pour l’écouter. Il séduit, touche les cœurs. Les petits et les grands se bousculent autour de lui. Les Pharisiens l’accueillent.
Et voilà que se produit l’étrange phénomène qui brouille les cartes. S’il existe un lieu où un messager de Dieu ne doit pas pactiser avec le péché et le pécheur, c’est bien la maison d’un pharisien. Ce n’est certainement pas devant lui qu’il faut dire à une pécheresse : « Tes péchés sont pardonnés. »
Un geste, une parole, un regard suffisent à discréditer Jésus. Lui-même semble d’ailleurs prendre un malin plaisir à laisser ternir sa propre réputation : « Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » Et pourtant les invités s’interrogent encore à son sujet : "Qui est cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés".
Bernard, Gabriel et Sébastien, de ce Christ vous serez les ministres. Vous serez surpris et peut-être déstabilisés par la nature des demandes qui remonteront jusqu’à vous. Vous y répondrez cependant, avec vos collaborateurs les diacres, les religieux et religieuses, les consacrés et les fidèles laïcs qui, en grand nombre, apportent leur concours à la mission de l’Eglise. Dieu connaît le fond des cœurs et les trésors qu’il y a mystérieusement enfouis. Personne ne peut préjuger du « grand amour » que Dieu éprouve pour chacun de ses enfants et de la réponse balbutiante que chaque être humain lui apporte. Ne vous lassez pas d’être surpris par cet Amour qui appartient à Dieu.
Quand les repères sont chahutés et contestés, il est apparemment plus sûr et réconfortant de se mettre à l’abri d’une vaste organisation et de camper sur des positions connues. Non, l’avenir de l’Eglise n’est pas dans ses structures comme s’il suffisait d’actionner un gigantesque mécanisme pour voir les foules, et parmi elles les jeunes, se rassembler et servir le vieux rêve d’une chrétienté puissante, omniprésente et gestionnaire de valeurs universellement admises.
Depuis son élection, le pape François nous répète sur tous les tons que notre Eglise doit sortir d’elle-même pour aller porter la Bonne Nouvelle aux périphéries du monde. Je ne vous interdis pas de penser que le projet diocésain d’évangélisation et de catéchèse avait probablement franchi l’océan Atlantique avant le 13 mars 2013 !
Le but de la mission est connu et n’appartient en aucune façon à l’Eglise, à ses membres et à ses ministres. Il ne se trouve nulle part ailleurs que dans la mort et la résurrection de Jésus et dans le salut offert par le mystère pascal. La route du salut emprunte, cependant des détours étonnants.
Le geste de la pécheresse n’est pas programmé. Jésus l’a probablement suscité par sa présence, sa prédication, son rayonnement, mais il n’entre dans aucun plan pastoral. La miséricorde n’a pas de lieu et d’heure. Elle surgit d’un amour qui bouscule et bouleverse les cadres et se fraie un chemin dans des histoires humaines dont Dieu connaît le secret.
Bernard, Gabriel, Sébastien, vous serez dans l’Eglise miséricordieuse ministres du Christ qui apporte à l’humanité la miséricorde. Vous ne direz pas que tout est beau et bon dans le monde et l’humanité. La miséricorde n’a rien à voir avec l’indifférence généralisée, le consensus mou ou, à l’inverse, la tolérance aveugle. La miséricorde devient possible quand un grand amour submerge le péché et implore le pardon. Ce fut le cas pour le roi David qui, en dépit de sa pitoyable manœuvre ouvre son cœur à la tendresse et au pardon de Dieu. Vous serez là pour reconnaître ce grand amour et prononcer avec l’autorité du Christ la parole du pardon. Vous aiderez toute l’Eglise à offrir à la famille humaine cette miséricorde qui vient de Dieu.
La méprise du pharisien qui reçoit Jésus, et sa faute peut-être, tiennent dans le fait qu’il n’y a pas de place chez lui pour la pécheresse. La question de Jésus l’oriente vers la conversion. Lequel des deux débiteurs aimera davantage : « C’est celui auquel il a remis davantage. » Voilà que cet homme, sûr de sa perfection et de ses mérites découvre soudain qu’il n’a encore rien gagné parce qu’il est passé à côté de l’amour.
N’oubliez pas la fin du texte de l’Evangile : « Jésus passait à travers villes et villages, proclamant la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. » Nous voilà revenu sur un terrain connu, incontestablement plus familier. Attardons nous un instant sur la composition de l’escorte de Jésus. Nous ne sommes pas étonnés d’y retrouver les douze. Plus surprenante est la présence de femmes délivrées d’esprits mauvais et guéries de leurs maladies, de Marie, appelée Madeleine qui avait été libérée de sept démons. L’entourage de Jésus n’est pas réservé à l’élite que peuvent constituer les douze. Il s’ouvre à la pauvreté, à la faiblesse, à la détresse que l’amour a vaincues
Il est, bien sûr, merveilleux de constater que Jésus guérit. Il est plus extraordinaire encore de le voir introduire les rejetés de la loi et de ses champions dans le cercle de ses disciples. Jésus proposait finalement Diaconia 2013 avant l’heure. Il ne soulage pas simplement les difficultés ou les épreuves physiques, morales, spirituelles et sociales. Il introduit dans une même relation d’amour les plus fidèles comme les plus pauvres.
Bernard, Gabriel et Sébastien, je devine que toute l’Eglise diocésaine se réjouit de votre ordination. Elle s’interroge aussi. Tant de bouleversements agitent notre planète et remettent en question l’héritage de la foi et des manières de la vivre. Les changements ne sont pas que d’ordre quantitatif. La présence et l’action de l’Eglise dans la société française sont vigoureusement remises en question.
Pour toutes ces raisons, vous ne pouvez pas et de devez pas être la copie conforme de vos aînés. Il faut que les fidèles le sachent, vos confrères plus âgés l’acceptent, votre évêque ne l’oublie pas.
Le Christ ne change pas. Avec lui et en son nom, vous continuerez humblement à passer à travers villes et villages pour proclamer la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. Vous réveillerez ce plus grand amour qui ouvre à deux battants les portes de la foi. Vous direz au plus pauvre qu’il peut entrer, qu’il est chez lui, qu’il est attendu et désiré. Celui qui pardonne lui tend les bras.
La constitution des communautés chrétiennes stables et durables a bien évidemment besoin de toute l’Eglise, de la responsabilité effective de fidèles laïcs. Vous remplirez votre irremplaçable mission en ne quittant pas le Christ d’une semelle en le suivant jusqu’au bout, en vous laissant pétrir par sa parole et nourrir de son Eucharistie.
L’exercice du pouvoir mine parfois la vie de l’Eglise. Cette perversion constitue l’une des marques visibles de son humanité. Don de Dieu, l’Eglise ne tire son être que du Christ et toute responsabilité nous ramène au Fils de Dieu Lui-même. L’autorité dans l’Eglise ne peut être qu’une forme d’imitation du Christ. Elle conduit donc à la croix et à la résurrection. Si tout pouvoir conduit vraiment à la croix, il n’est pas sûr que les candidats se précipitent pour l’exercer. Vous ne pourrez pas vous dérober à ce pouvoir là.
Il est plus facile d’être le pharisien qui invite Jésus que la femme qui pleure son péché et s’efforce au-delà des mots d’esquisser une profession de foi. Il est plus facile de rassembler les apôtres que de faire reconnaître les plus petits guéris et délivrés.
Bernard, Gabriel et Sébastien, avec Jésus, en son nom, pour lui et pour vos frères vous êtes envoyés là où se joue le moins facile. C’est pourtant là que vous êtes assurés de trouver la joie et le bonheur. Quand je vous disais que vous êtes des phénomènes !
+ Jean-Paul Jaeger