Réjouissez-vous, ce jour-là...

Fête de la Toussaint - 1er novembre

Apocalypse 7, 2-14 ; 1 Jean 3, 1-3 ; Matthieu 5, 1-12

Pour la fête de Toussaint, l’Eglise nous propose la lecture des Béatitudes, en Matthieu, ch.5. Ce texte est l’introduction des trois chapitres où Matthieu a rassemblé une part non négligeable de l’enseignement de Jésus. La conclusion de cet ensemble, fin du ch. 7, est comme une mise en garde qu’il vaut la peine d’entendre aussi : “ce ne sont pas ceux qui disent “Seigneur, Seigneur” qui enteront au Royaume des cieux, mais ceux qui écoutent et font la volonté de mon Père. Ainsi, quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé : c'est qu'elle avait été fondée sur le roc”. La proclamation des béatitudes est invitation à vivre comme Jésus selon la justice de Dieu. Les neuf béatitudes expriment en effet chacune un aspect de la vie des croyants à la suite et comme Jésus.

 

A l’occasion de la lecture de l’Evangile de Luc en maison d’Evangile et lors des formations bibliques sur Luc, des questions se sont posées à propos des « bénédictions et malédictions ». En Luc, elles sont différentes de ce que nous lisons de jour de la Toussaint, les béatitudes d’après Matthieu. Luc est plus percutant ; son langage est plus social, plus immédiat ; celui de Matthieu plus spiritualisant. Il présente ce qu’est vivre selon la justice de Dieu, être ajusté au cœur de Dieu. Mais Luc comme Matthieu sont exigeants !

 

L’expression heureux comme l’expression malheureux risque d’être mal interprétée dans les temps actuels ou le bonheur est d’abord un sentiment ou « çà baigne », sinon on est malheurs, ou encore le moment où l’on distribue les bons ou les mauvais points. L’affectivité que nous apportons au mot bonheur cache mal que le bonheur est aussi le fruit de convictions. Ainsi Jésus a-t-il la conviction que Dieu s’est rendu proche des pauvres, des affamés… pourtant leur pauvreté ou leur faim n’a pas été supprimée, mais cette certitude que Dieu s’est rendu proche est plus importante que le poids de son compte en banque. Ainsi on pourrait écrire : Vous êtes proches de Dieu, vous qui…, (et, pour malheureux "je vous plains, vous..)

 

Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous.

Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés.

Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.

Heureux êtes-vous, quand les hommes vous haïront, quand ils vous frapperont d'exclusion et qu'ils insulteront et proscriront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez d'allégresse, car voici que votre récompense sera grande dans le ciel. C'est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes."

 

Mais malheureux vous, les riches ! Car vous avez votre consolation.

Malheureux vous, qui êtes repus maintenant ! Car vous aurez faim.

Malheureux, vous qui riez maintenant ! Car vous connaîtrez le deuil et les larmes.

Malheureux êtes-vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous ! C'est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes."

 

Beaucoup préférerons la formulation : "heureux les pauvres en esprit… heureux ceux qui ont fait de justice". Or Luc dit : "heureux vous, les pauvres", s’adressant, semble-t-il à des gens bien précis des communautés pour qui il écrit. Il y avait des pauvres dans les premières communautés chrétiennes, qui ont récriminé auprès de Pierre et des apôtres, (Actes ch.6)… et c’est aussi Luc qui a écrit cette histoire des Actes. C’est encore Luc qui a rédigé le Magnificat et le renversement des valeurs, la préférence de Dieu pour les gens de rien (anawim) : il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ; il comble de bien les affamés et renvoie les riches les mains vides etc… Nous aurions envie de spiritualiser les béatitudes, comme Matthieu, pour éviter d'entendre et de regarder la matérialité du quotidien de bien des gens... pourquoi tant de dépressifs, de suicides, tant d'expulsés? Ils sont à notre porte, et nous passons sans les voir, ou bien, nous ne savons pas que faire ?

 

Les mots heureux, bonheur. Dans le contexte moderne où l’affectivité prime sur tout, le bonheur, c’est un sentiment bien particulier où tout notre environnement fait que « çà baigne ». Or l’environnement du premier siècle est autre. Jésus, puis Luc s’adressent à des gens qui ont la conviction que Dieu est loin d’eux, qu’il les a abandonnés, vu qu’ils ne sont pas riches… malades et blessés de la vie… Or Jésus selon Luc vient leur dire le contraire : Vous êtes heureux, vous êtres proches de Dieu (ou plutôt Dieu est proche de vous, vous qui…. Est-ce bien cela qui nous rend heureux malgré les aléas de la vie : savoir que Dieu reste proche de nous. C’est peut-être cela la sainteté : se savoir aimé de Dieu, proche de Dieu, bien que les conditions d’existence ne nous rendent pas palpable le sentiment de béatitude. E.H.