Résurrection ou immortalité

André Paul théologien et philosophe

Résurrection ou immortalité

Inspiré par les échos des dernières technologies pour aller “au-delà de la mort”, le théologien-philosophe André Paul nous invite à ne pas tomber dans les leurres d’une immortalité qui n’a rien à voir avec la résurrection. Il nous faudra faire effort pour rester accrochés au texte !!!

 

Que désigne-t-on réellement quand on parle de résurrection ?

Jérusalem, de la passion à la Résurrection Jérusalem, de la passion à la Résurrection  
Chemin de Croix, église de la résurrection, chez les Franciscains
Chemin de Croix, église de la résurrection, chez les Franciscains

Résurrection du corps, nécessairement, mais à la vérité bien plus que du corps. Sait-on que  le concept lui-même est chrétien, exclusivement chrétien ? Il n'en reflète pas moins une conception du monde irréversiblement caduque. Quel sens peut-il dès lors avoir pour l'homme d'aujourd'hui ?

 

La résurrection est une chose à « croire ». Or, culturellement du moins, nos contemporains ne cessent de s'éloigner des signaux de la foi, langage qui leur devient de plus en plus étranger, étrange si l'on préfère. Plus encore, ils se retrouvent colonisés par les effets sournois d'utopies technologiques, celles-ci visant à transformer l'homme en une machine parée de l'immortalité. Dans ce contexte, comment restaurer les conditions pertinentes de la vision - disons bien vision - d'un homme, mortel, certes, mais destiné à être reconstruit « ailleurs », ou plutôt, recréé « autrement » ? Un homme à la chair « ressuscitée» ou, en d'autres termes, « dissoute dans l'esprit» comme l'écrivait saint Paul[1].

 

Croire « dans» la résurrection et non « a » l'immortalité

Il semble que l'on confonde volontiers immortalité et résurrection. Pour la philosophie, seule l'âme est immortelle pour la foi, seul le corps ressuscite: le corps, et bien plus que le corps avons-nous dit. Les deux voies ne sont ni interchangeables ni cumulables entre elles, il faut discerner et choisir. Que l'on soit croyant ou non, chrétien ou non, on dit trop souvent d'une personne venant de décéder qu'elle a « rendu l'âme » ce qui laisse supposer que l’âme est alors « libérée » ; avec elle, quelque chose de l'homme se déroberait à la mort. Cette dernière serait donc le lot réservé du corps, abandonné aux ténèbres d'un néant sans retour. Requiescat in pace, « qu'il ou elle repose en paix», c'est par ces mots défaitistes que le prêtre catholique clôt la cérémonie de l'inhumation.

 

De soi, spontanément, on cherche à objectiver cette entité familière que l’on appelle « âme». Mais il ne saurait s'agir que d'un leurre, charnel ou autre, servant de support à la simple survie d'une personne : une survie supposée sans fin. L’âme en effet, ne meurt pas, et par elle l'immortalité paraît acquise à l'homme. Voilà le discours dont, hélas !, on se satisfait, trop souvent. Ce faisant, armé des meilleures intentions, n'obstrue-t-on pas le mystérieux et fécond espace que la mort - oui, la mort – ouvre aux appels de l'espérance? Pour le chrétien, ce qui compte c'est la vie, en l'occurrence, l’ « autre » vie. Nullement une survie, fût-elle sans fin. La résurrection n'est donc pas l' « immortalité», loin de là. Pas davantage la restitution du corps à l'identique, même dans sa perfection. Elle implique comme préalable la rupture nécessaire qu'est la mort. Cette dernière n'est pas une fin mais un passage, d'une vie dans une autre et cela, dans l'attente d'une riposte ou revanche du corps sous une forme jamais conçue ni jamais concevable.

 

Riposte ou revanche qui a pour nom « résurrection ». Dans la famille grecque du mot (anastasis), il y a le verbe « se lever » ou « se dresser» dans le sens révolutionnaire de « résister ». Or, on fait le constat qu'aujourd'hui tout est pensé, cherché et tenté pour créer des situations où l'immortalité s'affirme comme première et plus encore exclusive. Le scandale viscéral de la mort laisse place à la haine raisonnée du corps, cette chose de « chair » ayant justement l'éminente vertu de défier l'immortalité. L'immortalité et non la mort. D'où la multiplication des moyens de déjouer la mort. Mort haïe de soi dans la haine même du corps.

 

Chez les plus jeunes, il y a tout lieu d'être attentif au « jeu de strangulation » ou « du foulard », dit aussi du « rêve indien ». Si l'on en croit une enquête récente, cela se trouve expérimenté par quatre écoliers sur dix. On recherche ainsi des sensations hallucinatoires censées libérer du monde extérieur, en priorité des pesanteurs et limites du corps. Une autre manière de drogue, fléau si répandu chez les jeunes comme chez les moins jeunes. Plus exceptionnelle et chimérique est la cryogénie, technique de congélation de cadavres en attente d'un cerveau revivifiant. Produit purement technologique que l'on désigne comme « artificiel », celui-ci supposerait la libération de l'esprit des servitudes et des limites du corps. Autre fantasme d'immortalité.

 

Le danger accru des leurres d'immortalité

Redonner vie à un cadavre par des moyens « technoscientifiques » n'est pas une résurrection mais un rebond de survie, même durable. Car la résurrection, c'est la recomposition totale de la personne sous une forme que seule la vision, ou mieux la foi visionnaire, a la vertu d'« inventer». Et ici, seul le mythe peut donner idée et forme à l'invention, dans le sens du mot latin inventio, « découverte ». Contrairement à ce que l'on dit parfois, la résurrection n'est pas le retour de l'âme incorruptible vers un corps qui serait restauré. Elle est la mise en œuvre du dynamisme de l'  « esprit » comme recréateur de chair ; une chair que ce même esprit « transfigure » dans l'acte même de la « dissoudre» en lui. Voilà, avons-nous dit, ce que saint Paul nous apprend ou nous annonce.

 

Plus que tout, dans les leurres actuels d'immortalité, évoquons les utopies « transhumanistes », ardentes théoriciennes d'une « posthumanité ». Elles correspondent à des recherches de pointe, richement financées, en vue de la production d'un homme dit « augmenté»; à terme, un hybride où toutes frontières entre la « machine humaine » et la machine tout court se trouveraient gommées. On a même dit que les japonais, portés à l'isolationnisme, comptaient sur les robots humanoïdes pour pallier le vieillissement de leur population. Prenons très au sérieux ce type de recherches auxquelles l'humanité doit l'amélioration de ses conditions au moins physiques de vie, et, pour une part, l'allongement de celle-ci. Mais améliorer la vie ou l'allonger, ne veut point dire supprimer la mort. Il est clair que cette dernière s'affirmera avec d'autant plus de force que son échéance se trouvera retardée.

 

La croyance visionnaire dans la résurrection révèle combien la quête de l'immortalité, commune à tous ces mouvements ou expériences, traduit une aversion partagée du corps, ce qui, pour une part, n'est qu'un tardif écho de la gnose antique. C'est l'esprit seul, abstrait à tout jamais de la chair, que ces doctrines futuristes tiennent à conserver, à « sauver» en quelque sorte. L'esprit d'un homme restauré sous la forme d'une machine sans faille et à tout jamais sans panne. Le gnostique, c'est l'« élu » ou le « parfait », réceptacle privilégié d'une parcelle de lumière éternelle jaillie de l'esprit du Dieu suprême, totalement étranger au cosmos et à la matière. Grâce à la gnosis ou «connaissance », il échappe à l'effet néfaste et mortifère des créateurs ou démiurges et par l'« esprit », il revient vers la source lumineuse. Le programme des théoriciens de la « postbumanité » semble se présenter lui-même comme l'œuvre de nouveaux démiurges, manipulateurs de la matière humaine, provisoire et misérable à leurs yeux, qu'ils cherchent progressivement à remplacer.

 

La mort, brèche nécessaire où se révèle la vie

Nous voici donc les défenseurs de la rébellion du corps, et plus que du corps, répétons-le. Ce corps, non pas « augmenté » mais « transfiguré », et comme tel, objet à contemplation par le biais au moins théorique de la foi dans la résurrection. Un tel objet n'est pas « utopique » mais « mythique ». Osons introduire ici le mythe, dont Plutarque disait qu'il est ce « récit» qui «profite à la foi». Précisons: le mythe comme oracle du vivant. L'utopie, elle, est prévisionnelle et non prophétique. Fruit de calculs divers - à la fois technologiques et idéologiques - et nullement visionnaire, elle fait aujourd'hui son lit sur les terrains désertés du mythe, l'espace social du rêve selon Freud.

 

L'immortalité appartient à l'utopie, qui de soi réclame sa réalisation. La résurrection, elle, appartient au mythe, ouvrant à un monde de rêves extensibles à l'infini. Du mythe relève l'« homme transfiguré que seule la foi visionnaire a le pouvoir d'« inventer ». De l'utopie relève l'« homme nouveau », conception élitiste sinon eugéniste d'une humanité terrestre à la manière d'un « reste» qualifié. Dans ce reste, l'histoire, jusqu'à la plus récente, nous fait percevoir, non le germe prometteur d'une humanité rénovée, mais la décharge destructrice d'une humanité asservie. La résurrection, elle, est une dynamique centrifuge, puissante instauratrice du témoin rayonnant d'un universel solidaire. Témoin qui est aussi un modèle, plus encore une source visionnaire et il a un nom « Christ ressuscité». Seule la vision mythique donne à l'homme le pouvoir d'accéder à cet univers rêvé, chose grandiose et vide à la fois que Jésus de Nazareth annonçait sous le nom de « Royaume de Dieu ». Certes, cette accession se fait avec Dieu, au moyen de la foi ; mais pourquoi ne pas l'envisager également sans lui ? Le mythe n'est-il pas générateur de sens pour l'homme avant qu'il ne «profite à la foi' »?

 

Le déclencheur de la riposte ou rébellion du corps, c'est la mort. La mort échappe au temps, dont elle est pour ainsi dire le point zéro. Elle n'a d'autre indice qu’une ponctualité absolue. On est mort ou vivant ; rien ne saurait s'interposer entre ces deux états. On peut certes se demander si, à tel moment, une personne est morte ou vivante cela ne change rien à la donne La mort n'existe pas comme chose objetive. Il semblerait qu'elle se résorbe à l'instant même où elle advient, portant en elle l'instantanéité de son absence. Ce faisant, n'est-elle pas un appel, aussi puissant qu'implicite, non pas au retour de la vie mais à la recréation du vivant, étant acquis que toute création suppose en amont un néant ou « chaos » primordial ? Et à la condition que la mort soit reconnue pour ce qu'elle est aux yeux de la foi objectivement nécessaire. Si tant est qu’elle ait une histoire, seulement latente bien sûr, celle-ci commence dès la naissance. On a donc le temps de découvrir et de connaître la mort, sans pour autant chercher à l'apprivoiser, car sauvage, impromptue sinon cruelle elle demeure, envers et contre. Et connaître la mort, n'est-ce pas une manière de s'ouvrir à la vérité même du vivant ? Une telle démarche n'est-elle pas à même de constituer une épistèmé ou « science » de cet infini mystère qu'est la vie?

 

Dans les comportements et plus encore dans les débats, se manifeste un intérêt de plus en plus marqué, moralement noble par principe, pour ce que l'on appelle « fin de vie ». On ne peut que se féliciter des recherches et des réflexions sur les moyens légitimes de conserver à l'homme les bonnes conditions d'une paix physique et morale dans ses derniers et douloureux instants. Le mot « dignité » que l'on associe au verbe « mourir» résume bien la chose. Mais qu'en est-il de la mort elle-même? Ne la considère-t-on pas comme un processus, avec un début que paradoxalement on qualifie de « terminal » ? N'a-t-on pas ainsi l'illusion de l'éloigner d'une façon radicale, de l'anéantir elle-même avec le corps ? Mais elle est là, instance suprême que l'on se doit de sanctionner d'une date et d'une heure. « Décédé tel jour et à telle heure », dit-on de la personne, volontiers désignée comme « disparue ». Le mot « disparu » lui-même est éloquent dans son ambiguïté. Ne désigne-t-il pas à la fois, et le néant corporel et la fugue de l'âme invisible ? En deçà du piège du langage, il y a bien celui du sens.

 

« Corps dans l'esprit » et non pas « corps et âme

Mourant sur la croix, Jésus est dit par les évangélistes « rendre » ou « remettre l'esprit»[2]. L'esprit et non l'âme La résurrection procède comme création nouvelle. L' « esprit » ou souffle vivifiant, agent désigné de toute création, y ouvre le champ d'une forme sans formes, d'un corps sans corps. Disons aussi : d'une entité ni « transhumaine » ni « post-humaine », mais plus qu'humaine car transformée et métamorphosée, en un mot « transfigurée». Tout cela, selon un modèle jamais conçu, qui plus est à jamais non concevable. Il existe donc une intime continuité entre l'en deçà et l'au-delà de la mort. Elle n'est pas seulement morale. Nous la qualifierons de « virtuelle » en écho au sens premier du latin virtus, « force ». Parler d'au-delà de la vie dans ce cadre de représentations est alors adéquat. Car on est toujours dans la vie. Et ici d'intervenir obligatoirement la médiation du mythe, plus exactement de la vision mythique.

 

La résurrection suppose l'alliance dynamique du corps et de l'esprit, avec incidence recréatrice de celui-ci sur celui-là. Il ne s'agit plus d'un couple séparable comme celui de Grecs, avec l'union dissoluble de l'âme et du corps impliquant l'autonomie totale de chacun de ces deux partenaires. Avec la résurrection, d'âme il n'est plus question. Et l'on ne saurait dire que l'esprit soit une chose incorporelle disposée à de nouvelles unions, même avec le corps qu'il semblerait - semblerait seulement - avoir quitté. N'est-ce pas là le propre des démons, esprits errants en quête de réincarnation dans des corps qu'ils veulent posséder» ? Les constitutifs de l'homme ne se retrouvent pas dans l'ange, bon ou mauvais, exclusivement et à tout jamais esprit. Dès ce monde-ci, on ne saurait viser d'emblée l'accès direct à ce qui mettrait fin aux infinitudes physiques et morales de l'être humain.

 

Il faut donc s'entendre sur l'« esprit». À la différence de l'âme selon les représentations courantes, l'esprit comme principe vital de l'homme ne quitte rien au moment de la mort. Il est une force de reconstitution, ou mieux de recréation, nullement d'incarnation ni moins encore de réincarnation. Il ne peut donc connaître de retour. Si l'on peut dire qu'il continue de vivre à jamais, c'est qu'il persiste comme l'empreinte ou la trace immatérielle d'une vie que, pour ainsi dire, il maintient latente ou en réserve. À la différence soit de l'âme soit de anges, ce dynamisme créateur n'existe ni ne subsiste de façon vraiment autonome. Il existe et subsiste dans une relation, ou mieux comme relation. Il est en effet l'esprit d'une personne distincte de toute autre qui, d'une façon ou de l'autre et de son fait, a fixé son nom et son œuvre quelque part dans l'histoire.

 

Saint Paul a conçu le corps d'un homme ressuscité comme un vide c'est dans l'expression sôma pneumatikon, que nous traduisons «corps (dissout) dans l'esprit». Compte tenu de la tradition biblique dont son discours est empreint, on peut dire que le propre du corps ressuscité est d'être une capacité illimitée de commencement. L'esprit se présente comme dans l'instant qui précède l'acte créateur, alors qu'il « évoluait sur les eaux »[3]. Platon faisait dire aux Grecs par l'un de ses personnages: « Vous êtes jeunes tous tant que vous êtes dans l'âme. »[4] Démarquons en partie cette phrase et proclamons, à la manière de saint Paul cette fois « Vous êtes jeunes tant que vous êtes dans l'esprit. »

 

La vision mythique du corps ressuscité « dans l'esprit » est bien celle d'une jeunesse sans âge, durable à jamais. En d'autres termes, elle est la vision d'un recommencement saisi dans un élan exponentiel aux tracés infinis. Toute forme d'état civil se trouve annulée. À l'inverse, l'immortalité - tant celle de l'âme pour la philosophie que celle de la « post-humanité » pour l'utopie moderne - semble figer à jamais l'heure d'une vieillesse. Ne cherche-t-on pas à remplacer par la machine une humanité vieillie ? Voilà le message que l'on peut déceler dans la pédagogique dramatique de la vie dont Jésus est à la fois le scénariste et l'acteur, l'Évangile. Une grande et forte leçon sur la vie s'en dégage, à dire et à proposer avec ou sans Dieu. Et si c'est avec Dieu, avec aussi le Dieu des autres. De soi et a priori, le champ d'exercice de l'esprit ne saurait avoir pour limites la moindre frontière d'idées.

 

André Paul, théologien

Paru dans Golias, du 24-30 mars 2016

 

André Paul a publié     "    Croire aujourd'hui dans la résurrection   " en février 2016

À travers une enquête fouillée, en historien et théologien, André Paul remonte à la source de cette notion et en dévoile l'apparition  rogressive au cours des siècles. De temps immémoriaux, l'homme pensant n'a cessé d'inventer ou d'imaginer cette chose qu'un jour il appellera « au-delà ». L'idée d'immortalité jaillit chez lui d'abord, spontanément. Il l'attache à ce qu'il devine ou perçoit en lui d'incorruptible malgré sa nature invisible : l'« âme ». Plus tardivement, sa réflexion accède à la notion de résurrection, non plus de l'âme, mais du corps.

 

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[1] Première lettre aux Corinthiens ch. 15, 44

[2] Matthieu 27, 50 Jean 19, 30

[3] Genèse 1, 2

[4] Timée 22h