Au cœur d’une politique migratoire, le primat de l’humain

29 septembre 2003

Message aux membres du réseau de la Pastorale des migrants 29 septembre 2003    
A propos des migrants demandeurs d’asile et sans papiers                    
 

 

Au cœur d’une politique migratoire, le primat de l’humain

migrant et réfugié migrant et réfugié   Le 22 septembre dernier, lors de la rencontre de la Commission nationale des migrants, les délégués régionaux ont rapporté de nombreuses situations pénibles vécues par les déboutés du droit d’asile et les sans papiers. Tout se passe comme si on anticipait la mise en application des aspects les plus répressifs des lois qui sont en cours de discussion.

La Commission nationale, le Comité épiscopal des Migrations et le Service National de la Pastorale des migrants ontsouhaité alerter les équipes diocésaines et les hommes et femmes de bonne volonté afin de les sensibiliser, si besoin était, à la situation de certains de nos frères migrants présents sur le territoire national. Par les repères joints par le Service National, ils veulent inviter les réseaux de la pastorale des migrants, à partir des situations et des problèmes rencontrés localement, à prendre toute initiative utile à la sensibilisation des responsables politiques et à la conscientisation d’une opinion publique largement indifférente à ces questions.

La question récurrente de la situation tragique des hommes et des femmes sans papiers et le nombre croissant des demandeurs d’asile mettent à rude épreuve les militants des associations humanitaires qui s’épuisent dans l’aide d’urgence, mais aussi les élus locaux et les responsables préfectoraux de certaines régions particulièrement marquées. Comment gérer l’ingérable avec des directives de plus en plus restrictives

Nous constatons que l’opinion publique autant que les responsables politiques restent comme tétanisés sur cette question largement parasitée par les discours démagogiques ou extrémistes. C’est pourquoi nous nous sommes réjouis de voir enfin le gouvernement souhaiter ouvrir le débat et engager une démarche pour légiférer sur les questions de l’immigration. Hélas, le constat est amer. La représentation nationale risque bien de se laisser entraîner dans une approche essentiellement policière du problème. Nous risquons de voir s’installer une politique conjoncturelle, simple réaction à la pression migratoire du moment. Nous ne percevons pas, dans les projets de lois proposés, débattus et votés à l’Assemblée, le souffle d’une politique migratoire programmatique, portée par un projet politique, économique et social visant à favoriser l’intégration des immigrés et à coopérer aux grands équilibres internationaux. Le débat annoncé et que nous souhaitions n’a pas eu lieu. L’homme semble avoir peu de place dans les projets en cours de discussion

Derrière l’arrivée de demandeurs d’asile que la réforme envisage de réglementer, il y a toujours des hommes et des femmes qui se voient contraints de quitter leur pays. A l’oublier, nous risquons de considérer l’arrivée des demandeurs d’asile comme une calamité naturelle. Or, il s’agit d’abord de phénomènes humains. Sont concernés des hommes et des femmes qui, un jour, ont été conduits à prendre la décision de quitter un pays, un environnement culturel, des relations familiales ou amicales, parfois même des biens. Au départ de leur aventure migratoire, il y a l’engagement d’une liberté personnelle qui décide d’en finir et de fuir une situation devenue insupportable. Comment accueillir les demandeurs d’asile en prenant en compte leur venue comme l’expression de la désespérance et le désir d’un avenir plus digne ? Comment les accueillir de façon humaine si nous ne prenons pas le temps de les laisser s’exprimer sereinement sur les raisons réelles qui ont présidé à la décision de tenter l’aventure migratoire ? Il faudrait requalifier le rôle des zones d’attente afin qu’elles offrent les moyens de respecter les réfugiés dans cette dimension humaine de leur liberté et de leur dignité. Il y aurait une paresse intellectuelle à ne considérer comme seule cause de leur venue, que l’activité mafieuse des passeurs. Sans la négliger et sans nullement renoncer à la combattre, il nous faut prendre acte que les filières de passeurs trouvent d’abord leur succès dans les situations de troubles, de conflits ethniques, de guerres ou de misère économique. Pour définir une politique pertinente en ce domaine, prenons garde de ne pas transformer tout demandeur d’asile en un fraudeur qui usurpe illégitimement le droit d ‘entrer et de résider dans le pays. Il est indispensable de saisir la nouvelle donne migratoire liée à la mondialisation et aux dysfonctionnements d’un monde coupé en deux par l’injustice et les inégalités en matière de développement. Ce que Jean Paul II rappelait dans son message pour la journée des migrants, lors du Jubilé de l’an 2000

Dans le débat politique en cours, la reconnaissance du droit d’asile doit demeurer sauve. Quelles que soient les difficultés rencontrées dans la gestion des flux migratoires, une politique ne peut se déterminer que dans la perspective retenue et définie par la Convention de Genève de 1951. C’est une limite en deçà de laquelle une politique migratoire serait récessive au regard du respect de la dignité humaine. Il ne s’agit aucunement de nier le droit pour un Etat de contrôler et de réglementer les entrées et les séjours d’étrangers sur son territoire. Cependant, à ne définir une politique migratoire qu’à partir de la seule perspective du contrôle, on risque de malmener les conditions de l’accueil qui doit correspondre au droit d’émigrer.

Nous entendons souvent dire qu’il n’est pas possible d’accueillir toute la misère du monde. Cette déclaration qui sonne comme un aveu d’impuissance risque bien de nous dédouaner à bon compte. Dépassant l’impuissance, nous sommes appelés à tout mettre en œuvre pour combattre la misère chez nous autant que dans les pays les plus pauvres. Le défi devant lequel nous nous trouvons, est celui du développement solidaire. Nous sommes mis au défi de construire de la solidarité par delà le nouveau mur d’injustice et d’inégalités qui sépare les pays du Nord et les pays du Sud, mais qui traverse aussi nos sociétés occidentales, plongeant des populations dans une précarité et une pauvreté toujours plus grandes. Il serait à l’honneur d’une politique migratoire de pouvoir se définir comme une part déterminante de cet effort pour un développement solidaire ici et là-bas. Il serait inacceptable et injuste de gérer la question des migrations à partir de nos seuls besoins de pays riches, limitant ainsi les entrées aux seuls migrants pouvant nous servir. Par une politique migratoire ethnocentrée, nous ne ferions qu’aggraver le caractère inhumain de la mondialisation. La mise au point d’une politique migratoire est une belle occasion de nous positionner dans le champ de la justice et de la coopération internationales.  

 En attendant, une question cruciale demeure : que ferons-nous de ces centaines de personnes et de familles qui attendent sur le territoire français, depuis plusieurs années parfois, une réponse à leur demande d’asile ? Il y a urgence, les évêques le disaient déjà l’année dernière et la situation s’est aggravée. Nous savons que la majorité d’entre elles ne pourront retourner vers leur pays d’origine. Combien de temps les laisserons-nous errer dans la précarité totale, la détresse morale et l’angoisse d’être arrêtées et expulsées ? Si une nouvelle politique migratoire doit naître du débat parlementaire et se mettre en application en janvier 2004, il faut pouvoir régler le passif et apporter une réponse ouverte et généreuse à ces personnes demandeurs d’asile ou sans papiers. Notre pays honorerait alors le troisième terme de sa devise : fraternité.

Si l’Eglise se doit d’intervenir dans le débat qui s’ouvre, elle ne le fait pas pour faire la leçon aux responsables politiques, ni pour légiférer à la place du législateur. Elle le fait à partir de la tradition croyante dont elle est porteuse et au nom de l’expérience vécue par de nombreux chrétiens engagés auprès des migrants dans des associations humanitaires et des organisations de solidarité, confessionnelles ou non. L’Eglise souhaite, comme les évêques le rappelaient déjà dans leur Lettre aux catholiques de France en 1996, participer loyalement au débat sur tout ce qui contribue au vivre ensemble. Dans une société marquée par la mondialisation, la dimension internationale affecte le vivre ensemble des sociétés. Les migrants sont, dans notre société, le signe vivant de cette dimension du vivre ensemble pluriel et le rappel du défi permanent de promouvoir le développement solidaire pour garantir la paix. Il est encore temps que le débat engagé pour la définition d’une nouvelle politique migratoire soit noble, ouvert et généreux, dans la ligne des valeurs de la République française.

Voilà pourquoi j’encourage toute initiative de votre part qui permettra un débat responsable, à la hauteur des enjeux du problème. Notre démarche s’inscrit dans la fidélité à l’Evangile où le Christ nous dit: « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ! » (Mat 25,35) . Serviteurs de cette Parole, il nous appartient de répercuter et d’actualiser cet appel auprès des chrétiens, des responsables politiques appelés à faire la loi, et de tous les hommes de bonne volonté, comme Jean Paul II nous y invite : « La tâche de l’Eglise est non seulement de reproposer sans cesse cet enseignement de foi du Seigneur, mais aussi d’en indiquer l’application adaptée aux différentes situations que l’évolution des temps continue à créer.»                       

 

+ Jean-Luc BRUNIN
Evêque auxiliaire de Lille
Président du Comité épiscopal des Migrations