Même aux bourreaux

Samedi 26 mars 2016 Lens, église Saint-Léger, Veillée pascale

Samedi 26 mars 2016

Lens, église Saint-Léger, Veillée pascale

 

pardon pardon  

 

 

Même aux bourreaux

 

Clémence, Pauline, Johnny et Alain, dans quelques instants, vous allez dire à l’assemblée pourquoi vous souhaitez recevoir le baptême et la communion. Nous écouterons attentivement vos témoignages. Et nous serons touchés d’entendre l’œuvre de Dieu dans vos vies. D’ores et déjà, soyez assurés de notre prière.

 

Ce soir, tout est à la joie ! Les cloches qui ont sonné à l’instant. Tout est fête. Regardez ces fleurs et ces lumières… Et même vos vêtements… Tout est beau et joyeux. Non pas pour gâcher cette fête, mais au contraire pour en redire la raison, je me permets de vous rappeler d’où l’on vient. Jeudi soir, après avoir partagé le repas avec ses amis, Jésus était arrêté. Et le lendemain, hier, il était torturé et tué. Lui, l’innocent, avait été sacrifié. Mardi, trois bombes explosaient dans une capitale européenne. Elles tuaient de nombreux innocents. Et aujourd’hui, des familles pleurent un proche, un être aimé. Peut-il y avoir pire désolation que cette destruction aveugle ? Bien sûr, nous prions pour les victimes et pour leurs familles.

 

Notre joie de baptisés prend source en Jésus-Christ, le Fils de Dieu, mort et ressuscité. Redisons-le encore : revenu des enfers, Jésus nous extrait de la mort et des ténèbres. Mais cela nous le savons. Lors de vos séances de catéchèse, tout au long de ce cheminement catéchuménal, durant les messes dominicales, nous avons entendu ce mystère et nous croyons qu’il est le cœur de notre foi. La liturgie de la Veillée pascale nous fait symboliquement vivre ce mystère. Nous traversons la nuit. Nous passons dans la lumière. Le Christ, symbolisé par le cierge pascal, nous précède. Nous le suivons. Oui nous croyons en la résurrection. Et de ce fait nous croyons que toutes nos misères, nos impasses, nos violences, nos peurs, nos fragilités, nos guerres, nos douleurs sont transformées, nos péchés pardonnés. Grâce au Christ qui fit la volonté du Père, l’Amour est vainqueur. La vie l’emporte toujours. Notre Espérance est absolue. Voilà pourquoi en cette nuit solennelle, notre joie est sans nom, sans fin. Sans fin.

 

Mais j’aimerais approfondir encore le mystère. Chercher une raison plus grande à notre joie qui, on le comprend, est éternelle.

 

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12) dit Jésus à ses disciples. C’est son testament. Une parole annoncée au cours de ce fameux dernier repas. Un enseignement. Un commandement. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » S’il le demande, c’est qu’il nous en sait capables. Jésus miséricordieux ne demande jamais rien qui ne soit au-dessus de nos forces. Et s’il nous en sait capables, c’est parce qu’il ne s’agit pas de nos forces, mais de la force de son Esprit. Baptisés en lui, nous avons reçu son Esprit. Inspirés par l’Esprit, nous sommes appelés à vivre l’intensité de l’amour divin. Vivre d’amour total. Johan Cruyff, qui vient de décéder, est une idole pour les footballeurs. Il a inventé le football total, nous disent les médias. C’est magnifique ! Jésus est bien plus qu’une idole... Il invente l’amour total. Aucune compétition, aucune recherche de reconnaissance, aucun argent. Aimer. Aimer toujours, en toute occasion. Regarder, écouter, soigner. Aimer. Accompagner, réconforter, accueillir. Aimer. Aimer l’autre. Ne pas juger. Jésus, l’amour total, pose sur toutes les personnes un regard de compassion et de profonde amitié. « Il le regarda, et il l’aima » (Mc 10, 21) nous raconte Saint Marc lorsque Jésus rencontre le jeune homme riche. Jésus aime. C’est sa nature. Il n’est qu’amour. Tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, respire l’amour.

 

La Bonne Nouvelle de cette nuit est que nous sommes appelés à réaliser ce commandement. Nous allons vivre ce que Jésus nous demande. Aimer envers et contre tout. Aimer, non pas en essayant de plaire, non pas en dorlotant les consciences par de jolies paroles, non pas à la surface des relations… « Aimer à perdre la raison » dit le poète. Aimer au risque de se perdre. Aimer l’autre pour l’autre. L’Esprit de Dieu, celui dont parlait le prophète Ezékiel, nous invite à la folie. Il change notre cœur de pierre en cœur de chair. Nous sommes appelés au don de soi. Aimer tout homme, sans se soucier de son origine, de sa culture, de sa religion. Vivre le commandement du Christ, par son Esprit, c’est accepter de devenir frère de tous et toutes. De tous et toutes. Ce ne sont pas là de pieuses paroles. Sinon nous pouvons retourner chez nous. La nuit sera courte : avec le changement d’heure, nous allons perdre soixante minutes de sommeil ! Si nous ne croyons pas que nous sommes capables de vivre l’absolu de l’amour, il ne sert à rien de rester éveillés ! Mais si nous croyons à la parole du Christ « Je serai avec vous jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20), alors nous pouvons, nous devons aller vers le monde. Ouvrir et franchir toutes les portes qui nous séparent des autres hommes. Il nous faut porter la Bonne Nouvelle à toutes les nations, à tous les pauvres, les malades, les collègues de travail, les enfants, les amis, les derniers, et même…

 

Même aux bourreaux.

 

Voilà la plus grande raison de notre joie. C’est bouleversant ! « Aimez vos ennemis » (Mt 5, 44) dit Jésus. « Aimez et pardonnez à ceux qui vous font du tort, du mal, ceux qui vous persécutent ». Le Christ crie sur la croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Lc 23, 34) La joie de cette nuit pascale réside dans une attitude folle : le pardon. Au nom de l’Esprit Saint reçu par l’onction du saint chrême et par l’imposition des mains, nous sommes en mesure d’aimer dans la démesure. Nous sommes capables d’inverser la spirale de la violence et de la guerre. Notre force, c’est l’Esprit de paix. Nous croyons Dieu plus fort en nous. Avec le Christ et par le Christ, nous osons crier vers le Père, implorer le Père de pardonner à celles et ceux qui pillent les villages du Mali, violent ou tuent des innocents avec des bombes ou des fusils. De nous-mêmes, de nos propres forces, nous serions incapables d’oser cette demande de pardon. Grâce à L’Esprit de feu, nous pouvons et nous allons oser la miséricorde.

 

Plus que jamais, nous allons communier au Corps du Christ, au cœur du pardon. Nous allons recevoir le pain et le vin consacrés. Christ sera en nous. Nous serons ‘christifiés’. Nous serons Christ pour le monde. Nous vivrons la totalité de son amour. Nous serons totalement l’amour pour le monde. Rien ne peut arrêter l’amour… « J’en ai la certitude : ni la mort, ni la vie, ni les esprits, ni les puissances, ni le présent, ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8, 37-39) dit l’apôtre Paul dans la lettre aux Romains. Et ce même Paul d’écrire dans la lettre aux Corinthiens : « L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais. » (1 Co 12, 4-8) Oui, l’amour de Jésus, qui a pénétré notre cœur à jamais, nous emmène sur le chemin du parfait don de soi. Aimer toujours. Chercher la paix. Oser le geste de la fraternité.

 

Chers Clémence, Pauline, Johnny et Alain, et vous tous peuple de baptisés, dans un instant, nous allons proclamer notre foi. Il ne s’agit pas de réciter une leçon. Il ne s’agit pas uniquement de croire en ces dogmes que l’Eglise a proclamés. Il s’agit aussi de les vivre. Lorsqu’ensemble, tout à l’heure, nous franchirons la grande porte du fond, cette porte sur laquelle est inscrit notre cheminement de Carême, nous commencerons ou recommencerons la folle aventure de l’amour du Christ ressuscité. Nous deviendrons les témoins de la miséricorde absolue du Père, et nous irons porter le Salut de Dieu… même aux bourreaux !

 

Amen.

 

Abbé Xavier