7h14

Homélie de la Veillée Pascale du 7 avril 2012

 

Veillée Pascale,

Lens, le 7 avril 2012

7h14.

Merci à celles et ceux qui ont donné beaucoup de leur temps pour la mise en place de cette liturgie. L’église est belle. Les bouquets sont magnifiques. Les chants ont été répétés avec l’organiste. Le feu, les feuilles de chants,  les interventions… Tout a été soigneusement préparé. Le drapé qui court depuis la croix vers l’autel et le baptistère rappelle que les sacrements prennent leur source dans l’amour de Jésus. Inversement, le chemin commence avec le baptême. Il se vit dans une communion avec le Christ jusqu’à la mort pour ressusciter avec lui.

 

Tout est magistralement orchestré. Alors, de la part de tous : merci aux bénévoles qui ont fait en sorte que cette veillée pascale soit un temps de recueillement beau et joyeux. Je n’ai qu’un tout petit regret. Je regrette qu’on ne soit pas demain matin, juste avant 7h14. C’est à cette heure-là précisément que, chez nous, le soleil se lèvera. Alors, pour que la joie soit parfaite, faisons un petit effort d’imagination : nous sommes le dimanche 8 avril 2012, et il est presque 7h14. Il y a un petit vent frais. Nous sommes tous frigorifiés, et nous guettons l’horizon. A l’est, dans le ciel sombre, bientôt apparaîtra un rai de lumière orangée…

 

Mais pour l’instant, il est 7h14 moins quelques secondes. « Qui nous roulera la pierre ? ». C’est la question de quelques femmes marchant de nuit vers le cimetière. Leur ami a été tué il y a trois jours, et on l’a mis dans un tombeau. Elles s’empressent d’aller embaumer le corps. C’est permis maintenant, le sabbat est enfin terminé. Elles marchent vite. Elles ont froid. Pas à cause du petit vent frais… Le froid est au-dedans de leur cœur. Le cœur de ces femmes est en nuit. Elles n’ont pas peur, pas encore ; mais elles ont mal. Il est bientôt 7h14, l’instant de juste avant, et elles demandent : « Qui nous roulera la pierre ? » A ce moment-là, elles auraient dû faire demi-tour. En toute logique, il faudrait aller chercher de l’aide. Pourquoi poursuivent-elles le chemin ? Elles n’ont pas la réponse et pourtant elles avancent. Il en faut du courage pour avancer dans la nuit, pour avancer sans savoir comment résoudre ses problèmes. Sans doute faut-il avoir confiance, croire au vent de la Providence.

 

Nous sommes dans le même froid, la même nuit et nous portons la même interrogation. Pourquoi nous battre ? Pour qui ? Comment s’en sortir ? Qui nous roulera la pierre de nos problèmes de santé, de famille ? Qui débloquera notre situation financière ?

 

Elles arrivent au tombeau. Il est 7h14. Le ciel se déchire. La nuit meurt. L’infini se colore. Regardez. C’est beau. Il est 7h14, et c’est la promesse d’un renouveau. Le jour se lève. Déjà quelques oiseaux chantent malgré le vent toujours frais. Le monde se réveille. La lumière se répand. Les femmes découvrent que la pierre est roulée.

 

Amandine et Delphine, vous aussi, vous avez marché de nuit. Longtemps. Et puis il y a eu un « 7h14 ». Une rencontre, un événement : le désir de vous marier, de fonder une famille chrétienne. Tout a été bouleversé, chamboulé. Comme une grosse pierre que l’on déplace sur un chemin de vie. Soudain la route est désencombrée, la voie est libre. Tout est nouveau. Comme une résurrection. Que dis-je, c’est une résurrection ! Car depuis, tout prend un autre sens.

Une amie disait : « Au cœur de toutes les tempêtes, toutes les épreuves, que je traverse, je découvre quelque-chose de nouveau. Aimer, ce n’est pas seulement le sentiment, c’est comme une blessure. C’est douloureux. Je ne comprends plus rien. Je ne sais plus où j’en suis. Pourtant, je crois que je sais mieux ce que veux dire ‘aimer’. C’est différent aujourd’hui. Je suis fatiguée, mais je crois que Dieu m’accompagne.» Pour elle aussi le soleil se lève.

 

Arrêtons le temps, laissons le chrono sur ces deux chiffres 7.14. Heureux hasard, le 7 est le chiffre de la perfection, de l’immensité. C’est donc une heure infinie. Nous avons le temps, nous avons l’éternité. Heureux hasard encore, 14 c’est 2 fois 7. Vraiment, nous ne sommes pas à la minute !

 

Savourons l’instant, quand apparaît le rayon de lumière : l’arrivée d’un ami, d’un amour. Au-dedans de nous, en notre nuit intérieure, quelqu’un vient nous visiter. Il vient tout ouvrir et nous appelle à la vie. C’est un ange, un messager de Dieu. Un annonceur de Bonne Nouvelle. Quelqu’un est là et nous console, nous accompagne, nous redonne confiance. Sa simple présence est un apaisement. C’est un puissant tourbillon de bonheur qui a fait rouler la pierre. Soudain tout s’éclaire. Dieu a fait lever son soleil ! Un jour nouveau commence.

 

Savourons l’instant, quand tout est identique et que tout change. La nature est la même mais la lumière est venue, et elle révèle la beauté, la couleur des éléments. Pour les femmes au tombeau, pour les disciples sur le chemin d’Emmaüs, pour l’amie fatiguée, pour vous deux Amandine et Delphine, pour chacun de nous, il y a un nouvel éclairage sur ce qui s’est passé, sur ce que nous avons vécu. Le Christ est vivant, il nous a devancés. Au moment du lever du soleil, on comprend que toute notre vie, malgré ses méandres et ses obscurités, est belle, riche de sens. Les ténèbres de la mort et de la peur ont été visitées ; elles sont vaincues à jamais.

 

Et pourtant, c’est étrange… après la rencontre de l’ange, les femmes sont effrayées. Elles sont « craintives et toutes tremblantes ». A 7h14 et quelques minutes, elles sont sous le choc. Leur corps et leur cœur réagissent. Elles sont bouleversées. Elles se taisent. Elles gardent le silence. Demain matin, lorsque le soleil se lèvera, qu’il déchirera le néant, nous serons suffoqués. Abasourdis. Nous serons dans la crainte. Comment une telle splendeur est-elle possible ? C’est tellement grand ! Quelle est donc ce mystère ? Nous serons immobilisés, subjugués. Nous serons dans la crainte.

 

La crainte, ce n’est pas la peur. Au contraire, c’est l’émerveillement. C’est un état de silence et d’adoration. L’œuvre de Dieu nous dépasse. C’est un au-delà. Un au-delà de langage, un au-delà de sentiment. Comme les femmes au tombeau, nous serons sans voix. Nous comprendrons que le lever du soleil, la nuit déchirée, n’est pas l’instant magique de 7h14… Nous redécouvrirons la perpétuelle actualité de notre baptême : Sans cesse le Christ nous fait passer de la mort à la vie. Sans cesse souffle le vent de son Esprit.

 

Grâce à Lui, notre heure est toujours celle du « Soleil-le Vent » !

Abbé Xavier

 

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2195 visites