Qui l'eut crû?

homélie prononcée lors des professions de foi au collège Sainte Ide le 9 juin 2012

 


Qui l’eut crû ?

 

            Hier soir, je recevais mes frères et beaux-frères. Une fois par an, j’organise une soirée pour jouer aux cartes avec eux. Mis à part le fait que j’ai perdu, c’était une très belle soirée, un grand moment de bonheur. La tradition veut qu’au cours de cette rencontre nous buvions ensemble un bon vin. Rassurez-vous, la consommation est toujours raisonnable. Hier, nous avons dégusté un Château Camensac, Haut-Médoc, 2002... Oui, oui, oui. Une vraie petite merveille ! Une étoile tombée du ciel ! Peut-être que cela ne vous fait aucun effet, et pourtant, je vous prie de croire que les frangins autour de la table se sont régalés. Mais aussi bon qu’ait pu être le vin, la véritable réussite de la soirée, la réelle saveur, se trouvait ailleurs. Ce qui avait du goût, c’était la présence de mes frères. La communion avec eux. Le vin délicieux disait la force de notre complicité, de notre unité. L’arôme, le bouquet, la texture, la robe, la finesse et même les nobles impuretés… Tout le vin disait l’harmonie et la douceur de notre rencontre. Oui, hier soir, le vin était le signe de notre entente, de notre communion. Je rends grâce à Dieu de m’avoir donné de tels frères, une telle famille.

 

            Je rends grâce à Dieu de nous rassembler ce soir, beaucoup plus nombreux, autour d’une table, et d’un vin bien meilleur qu’un Château Camensac. D’ailleurs, mes amis, il n’y a pas de plus grand cru que celui que nous allons partager ! Pas de plus grand vin que le Sang du Seigneur. Qui l’eut crû ? Vous ! Vous qui, ce soir et demain, faites votre profession de foi !

 

            Oui, vous croyez que le Corps et le Sang du Christ - que nous recevons chaque dimanche et que nous honorons particulièrement aujourd’hui puisque nous fêtons ce Saint Sacrement - ce sang versé est un vin de joie, de vie et d’unité. L’Eucharistie nous rassemble. L’Eucharistie fait notre unité. Elle nous rend frères. Grâce à elle, nous sommes une famille. Il y a une complicité, un amour entre nous. Ce vin qui est apporté à l’autel et que le prêtre consacre, est le signe de notre fraternité. Et cette fraternité a du goût, de la saveur.

 

            Mes amis, vous professez que votre unité vient de Jésus, le Christ crucifié. Il a donné sa vie pour vous. Entendez ces mots. Ce n’est pas ici une leçon de catéchisme. Jésus, le Fils de Dieu a donné sa vie pour toi. Donnerais-tu ta vie pour quelqu’un ? Donner ta vie, c'est-à-dire cesser de vivre pour que quelqu’un d’autre puisse vivre ? Le ferais-tu ? Accepterais-tu que tout s’arrête maintenant pour que quelqu’un que tu aimes puisse vivre ? Pour qui le ferais-tu ?

 

            Jésus a donné sa vie pour toi. Pour moi. Pour tous. Pour tous les hommes de tous les temps. Les meilleurs et les pires. Pour les bons et les méchants. Pour tous, tu entends. Fallait-il qu’il soit fou ? Il a même donné sa vie pour ses bourreaux, ceux qui donnent l’impression de la lui prendre. Mais Jésus leur disait : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » Car Jésus est libre, profondément libre, absolument libre. Libre de se donner absolument.

 

            Son projet, son rêve, son ambition, c’est notre unité. Il a accepté de verser son sang, remplir la coupe pour que nous puissions nous réunir entre frères autour de lui. Il a fait cela pour que nous sachions nous accueillir les uns et les autres avec nos différences. Nos limites, nos défaillances. Nous aimant tous avec la même force, donnant sa vie pour chacun - pas pour quelques uns qu’il aurait choisi parce qu’ils seraient meilleurs, non… Pour tous ! - il nous permet de nous rassembler sans nous juger. Nous sommes égaux dans son amour et donc nous pouvons oser la fraternité. Personne n’est à exclure. Personne n’est à déconsidérer. Tout homme est un frère.

 

            Mes amis, ce soir et demain, et chaque jour, vous professerez que Dieu fait de nous une famille. Il peut y avoir des tensions dans une famille. Il y en a souvent. Mais, comme vous le confessiez hier, le petit frère ou la petite sœur avec qui on se chamaille est d’abord la personne que l’on aime le plus au monde. On ne voudrait pas qu’un malheur arrive. On aime trop celles et ceux qui partagent le même sang. Mes amis, grâce au sacrifice de Jésus, nous sommes du même sang. Nous sommes la famille du Christ. Autrement dit, nous partageons la condition divine, nous sommes divinisés par la communion que nous vivons chaque dimanche.

 

            Etre divinisé, cela ne veut pas dire avoir tous les droits, être un petit dieu, plein de gloriole et de toute puissance capricieuse. Etre divinisé, c’est être marqué par l’Esprit Saint qui nous emmène au large. Qui nous oblige à faire un chemin vers les frères. Vers tous les frères. Et parmi eux les plus pauvres, les plus abîmés, les plus moqués ! Vous professez votre foi, très bien… Alors devenez les frères et sœurs de ceux que l’on bafoue, de ceux que l’on humilie. Le plus grand cadeau que vous recevez ce week-end, ce n’est pas une montre ou un ordinateur ; le plus grand cadeau, c’est une famille faite d’hommes et de femmes fragiles. Et ce choix a des conséquences. Par exemple, vous ralentissez la cadence pour dépendre du dernier de la classe qui, lui, choisit de donner le meilleur de lui-même pour ne plus vous retarder. Vous recevez le cadeau de la communion. Et même en vacances, quand vous vous promenez, vous marchez au pas du plus lent. Et si vous avez la chance d’aller au concert, vous laissez les places de devant aux personnes handicapées. Vous choisissez ces attitudes, parce que vous en avez marre de constater l’égoïsme et le non respect.

 

            Etre divinisé, c’est être libre au point de donner sa vie pour les derniers. Que ferez-vous de votre vie ? Qui allez-vous aimer ? Les grands, les puissants, les intelligents, celles et ceux qui vous aideront, qui vous rendront l’argent comptant ? Mais serez-vous vraiment contents ? Aurez-vous réussi l’absolu de votre vie, de vos rêves ? Dieu veut que vous soyez le frère de son Fils. Dieu vous veut dans sa famille ! Dieu veut que vous partagiez le pain et le vin qui réjouissent toute la maison qu’il a fondée en Jésus. Il veut que vous soyez de son Eglise. Comment pourriez-vous encore rater un repas, un banquet eucharistique ? Hier, plusieurs disaient qu’ils n’allaient pas souvent à la messe… Croyez-vous que le prêtre va vous le reprocher ? Que Dieu va vous en tenir rigueur ? Bien sûr que non. Dieu est bon. Sa miséricorde est sans mesure. Mais que ratez-vous réellement sous prétexte que c’est long et que l’on s’ennuie ? Vous loupez la possibilité de vous faire des frères… Des frères pour qui vous seriez capables de donner votre vie. Finalement, en oubliant l’Eucharistie, on passe à côté du sens de son existence. Car, et c’est le paradoxe que nous enseigne Jésus, la vie n’est réussie que lorsqu’elle est offerte, donnée. La vie est gagnée lorsqu’elle est donnée. « Qui perd sa vie la gagne » dit Jésus.

 

            Jésus donne sa vie. Comme le disait la lettre de Saint Paul aux Hébreux : « Le Christ, lui, est le grand prêtre du bonheur qui vient. » Baptisés, vous avez reçu l’Esprit du Christ. Baptisés, vous êtes prêtres, selon l’ordre du Christ. Vous êtes ordonnés pour fabriquer de la fraternité. Mes amis, le monde a besoin de prêtres. Le monde a besoin de vous comme prêtres. Le monde a besoin de jeunes suffisamment proches du Christ pour croire en sa folie. Le monde a besoin de rassembleurs. Le monde a besoin d’hommes capables de transformer l’eau de l’ordinaire en vin de joie.

 

            Qui l’eut crû ? Qui le croit ? Le cru 2012 des professions de foi de Sainte-Ide ose avec Jésus porter la croix. Avec lui, ils deviennent des annonceurs du Royaume. Non pas le Royaume du château de Camensac… Les jeunes que vous êtes annoncent par leur vie que le rêve de Jésus n’est pas vain. Grâce à vous et son Esprit, le Royaume de Jésus-Christ s’accroit !

Abbé Xavier

 

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 4614 visites