La guerre de soi aura bien lieu !
Homélie du 23ème dimanche ordinaire Année C
Lens, église Saint Léger, le 4 septembre 2016
23ème dimanche ordinaire – Année C
La guerre de soi aura bien lieu !
Point de tour à bâtir, ni de guerre à mener. Il n’y a qu’une croix à porter. Mais son bois est plus lourd que le fer, car il s’agit de « tout quitter ». Point de tour à bâtir pour rejoindre le ciel ; ni de guerre à mener, tout au moins contre autrui, mais une croix à planter pour lutter contre soi, car le soi est l’ennemi.
Jésus propose un combat : lutter contre l’égo. Il faudra se battre à mains nues. Le glaive sera l’amour, seul moyen de prendre l’ennemi à revers. Le mal est si puissant qu’il se multiplie sitôt qu’on l’affronte par la violence. Il faudra de la douceur et de la vérité. De la justice, seul chemin vers la paix. L’ennemi est coriace, insidieux… Il est dans la place et se fait croire extérieur. Il est dans le soi, mais se dévoile ailleurs. Jésus ne s’y trompe pas. Il nous donne le moyen de vaincre l’adversaire : « Aime ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 39), et cet amour de soi n’a rien d’orgueilleux.
S’aimer soi-même, non pour soi-même, mais pour accueillir le prochain qui est comme soi-même. S’aimer soi-même pour aimer autrui. Non pas s’aimer soi-même à l’excès, tel Narcisse s’admirant sur le reflet des eaux. Cet amour-là n’est que de surface et il mène à la mort. Aimer en soi ce qui est beau et en rendre grâce à Dieu. Et aussi, apprendre à aimer la tache, l’ombre, le péché que le diable a su insuffler en nous. Il a su faire entrer le Cheval de Troie de l’orgueil dans notre cœur. A tout instant, une armée de démons est prête à surgir : jalousie, colère, mensonge, impatience, vanité, égoïsme… Mais l’amour est plus fort que le mal. S’il est vrai qu’un cadeau empoisonne notre cœur, le Christ, par sa croix, montre comment se prévenir du venin.
Aimer la tache, ou le péché, ce n’est évidemment pas se satisfaire de son œuvre. Mais au contraire, il s’agit de tout faire pour devancer son agissement. Pour contrer le mal, oser le regarder en face. Et même savoir rire de lui. L’humour est la pire des catapultes pour le diable. Il ne sait pas comment réagir devant la joie. Lorsque le mal a manifesté sa présence en nous, la première chose à faire n’est pas de se morfondre dans la culpabilité (qui serait une victoire supplémentaire pour le démon), mais d’oser sourire avec humilité. « J’en suis encore là… Ah, sacré démon… Non, pour le coup tu n’es pas sacré. Toi, tu veux massacrer… Tu m’as encore eu. Tu m’as abîmé, tu as tué quelque chose de la relation… Et bien, infernal malin, sache que je ne t’en veux pas. Mais sache aussi que je ne pactiserai plus avec toi. Tu as gagné une bataille, mais le Christ est mon général ; contre toi, il a gagné la guerre ! »
Comprenez bien : en aucun cas nous ne nous réjouissons d’avoir fait le mal. Nous pleurons sur lui. Mais pour stopper l’avancée de l’envahisseur, il nous faut placer un éclaireur. On l’appelle parfois « trait de caractère », mais je préfère l’expression « supplément d’âme ». Quand le corps et l’être sont en danger, il alerte l’Esprit pour qu’une défense se mette en œuvre. L’humour et la joie forment les premiers remparts, tandis que la prière est un fossé infranchissable. « Mon Dieu, amour infini, toi qui as vaincu la mort et les ténèbres du péché, guéris-moi, sauve-moi. » Les psaumes sont autant de chants d’amour qui éloignent faux dieux de nos récits homériques : « Toi, Seigneur, tu es un bouclier pour moi. » (Ps 3, 4) « Il est mon allié, ma forteresse, ma citadelle. » (Ps 144, 2)
La foi décoche des flèches de feu contre le méchant et notre cœur brûle. Le combat est violent. Une armée d’anges vole à notre secours. La prière ne dure parfois que quelques instants. Mais elle peut aussi être le combat de toute une vie. Mère Teresa, canonisée aujourd’hui, confrontée au stratagème du doute, priait ainsi : « Seigneur crucifié et ressuscité, apprends-nous à affronter les luttes de la vie quotidienne, afin que nous vivions dans une grande plénitude. Tu as humblement et patiemment accueilli les échecs de la vie humaine, comme les souffrances de la crucifixion. Alors les peines et les luttes que nous apporte chaque journée, aide-nous à les vivre comme des occasions de grandir et de mieux te ressembler. Rends-nous capables de les affronter, lien de confiance en ton soutien. Fais-nous comprendre que nous n'arrivons à la plénitude de la vie qu'en mourant sans cesse à nous-mêmes et à nos désirs égoïstes. Car c'est seulement en mourant avec Toi que nous pouvons ressusciter avec Toi. Que rien désormais ne nous fasse souffrir ou pleurer au point d'en oublier la joie de ta résurrection. »
Jésus invite ses disciples à le choisir. Mais il les prévient : le suivre demande une adhésion totale. Et il est prudent de s’asseoir avant de prendre cette décision. Il est sage de mesurer les forces dont on dispose. Autrement dit, de vérifier si les disciples sont aussi capables de se pardonner le mal qu’ils vont faire contre le Christ. Judas s’en croit capable, mais Satan sera plus fort en lui. Parce que Judas - et il nous arrive de lui ressembler - a oublié l’amour. Pierre, malgré son reniement, se laisse envahir par l’amour du Christ ressuscité. Il reconnaît son péché, il le regarde, et il comprend combien le Christ l’aime au-delà de la trahison. L’amour est plus grand. S’asseoir pour choisir le chemin du Christ, c’est entrer dans une prière incandescente dans laquelle nous vient en lumière les pires délits que nous pourrions faire contre l’homme et contre Dieu, et percevoir soudainement une autre lumière : Dieu pardonne. Dieu est miséricorde. Dieu donne la force. La prière nous met alors en confiance et nous choisissons d’œuvrer pour l’Evangile. Nous connaissons notre fragilité, mais nous osons une réponse, certains que l’Esprit Saint nous l’a inspirée. L’Esprit, le supplément d’âme, nous protège et nous guide. Il sera notre défenseur. L’amour est grand, et nous n’avons rien à craindre. Nous décidons d’agir pour et dans l’amour. Nous savons que notre manière de vivre l’amour sera imparfaite, parce que la tache est originelle, mais nous ne refusons pas le combat de la vie.
Le discernement est un long processus. Il faut du temps pour choisir de donner sa vie. L’accompagnement et les conseils sont nécessaires, essentiels, pour ne pas se fourvoyer dans un chemin d’illusions. Durant ce temps, il nous est donné de voir toutes les raisons de refuser, et cela est sain. Mais au bout de la réflexion, il y a une nouvelle série de questions. Elle surgit au fond de notre être. Au plus profond de notre cœur, comme une voix venue d’ailleurs : « Veux-tu me suivre ? Veux-tu te battre avec moi, pour moi, ton Dieu ? Veux-tu donner l’amour autour de toi, en donnant ta vie, comme moi ? Veux-tu t’aimer comme je t’aime, au-delà de tes ombres, pour aimer le plus grand nombre ? Veux-tu être mon disciple et devenir un saint au cœur de feu ? Veux-tu prendre ta croix, et bâtir la tour du royaume des humbles ? Veux-tu aimer à temps et contretemps ? Veux-tu lutter contre le mal et choisir la paix ? Veux-tu que je mette en toi l’humour et la joie, la force et la vie ? Veux-tu me préférer aux plus beaux amours de la terre, ceux de tes amis et de tes frères ? Veux-tu que j’anéantisse en toi tous les chevaux de haine et de colère ? Veux-tu, avec moi, lutter contre les égos, le soi envahissant, l’orgueil monstrueux de l’enfer ? Veux-tu, comme moi, allumer un feu pour la terre ? Veux-tu me servir et que, moi seul, sois ton roi ? »
Point de tour à bâtir, ni de guerre à mener. Il n’y a qu’une croix à porter. Mais son bois est plus lourd que le fer, car il s’agit de « tout quitter ».
Mes amis, la guerre de soi aura bien lieu !
Abbé Xavier