L'ennemi le meilleur
Homélie du 26 février 2012
St Léger de Lens, le 26.02.12
1er dimanche de carême
L’ennemi le meilleur.
« Vous êtes mon ami, l’ennemi le meilleur ! »
C’est ainsi qu’il a mis les formes, les rondeurs,
Pour dire sans pudeur ses tourments, ses rancœurs.
Je dois vous expliquer : nous étions quelques-uns,
Ce jeudi, appliqués, autour d’un vieux bouquin
De l’illustre coquin dénommé Augustin.
L’enfant intelligent, capable de disert,
Parlait pour plaire aux gens en prenant de grands airs.
Mais c’était la misère, ou plutôt le désert.
Il fallait en ce temps punir les solécismes.
Le phrasé important touchait son paroxysme.
« A bas les barbarismes ! » était son catéchisme.
Les mythes de Carthage et du cheval de Troie
Etaient un avantage, du moins c’est ce qu’il croit.
Il était enfant-roi avant l’âge et la croix.
L’homme s’est converti car Monique sa mère
Doucement l’avertit que le mythe d’Homère
Rend l’amour éphémère et la vie bien amère.
Le saint a découvert qu’il n’est point obligé
D’utiliser des vers sublimement rédigés.
Pour voguer sur l’Egée, mieux vaut être léger !
L’hégémonie de l’être n’est pas dans l’ambition,
Ou la prose ou la lettre, ou la belle diction.
Les réelles émotions sont les mots de Sion.
Les mots avec un T et non en A U X.
Car ceux là sont hantés par la seule idée fixe
Des désirs de Phénix tout brûlants de prolixes.
Oui les mots ont un sens et Augustin le sait,
Mais ils ont pour essence de crier, d’annoncer
Que Dieu Verbe naissait sans un mot prononcé.
Je m’arrête un instant car je sens que j’agace,
Par ces vers déroutants, quelques gens de paroisse.
J’en entends qui jacassent attendant que ça passe.
Je voudrais bien chers frères, et sœurs, il va de soi
Provoquer le contraire dans le cœur des Lensois.
Si l’homélie déçoit… Implorez Saint François !
Fermons la parenthèse et reprenons le cours.
Déçus ? J’en suis fort aise ! Mais je serai plus court.
C’est ce qu’on dit toujours quand on fait un discours !
Nous parlions du Dieu Verbe, de Jésus crucifié,
La Parole superbe face au Mal déifié.
Lucifer, le greffier, lui si fier fut défié !
Le Satan, le Trompeur, est rival astucieux.
Il s’appuie sur les peurs pour mieux parler des cieux.
« Le pouvoir délicieux sourit aux audacieux. »
Orateur de talent, il séduit par l’allure.
Mais soudain violent, tous ses mots sont morsures.
Des maux en X bien sûr, des mauvaises blessures.
Car le mot pour le mot n’était que prétention
Et le mal pour le mal, réelle tentation.
L’auguste conversion est dite en confession.
Ce n’était qu’un larcin, faute d’adolescent.
Mais plus que l’assassin qui fait couler le sang,
Le jeune homme ressent le péché indécent.
Catilina tuait, ah mon Dieu, quelle horreur !
Lui n’a substitué que des fruits de saveur.
Il demande au Sauveur le pardon pour l’erreur.
Il n’avait pas volé pour quelconque raison.
Il est donc désolé voyant dans l’oraison
Que la morte saison dévaste sa maison.
Car le mal est plus fort quand il trouve sa fin,
Dans cet unique effort : le nourrir de sa faim.
Le mal révèle enfin l’automne et ses parfums.
Magnifique séquence car l’arbre tentateur,
Dans l’humble confidence, dévoile le menteur.
Le serpent délateur veut la mort du Seigneur.
Dès les commencements, le mensonge fait rage.
Sur la côte d’Adam, les bateaux font naufrage.
« Vivante » mais pas sage, la mort est un passage.
Je fais une autre pose, voyant là-bas au fond,
Les gens polis qui n’osent pas dire que c’est long.
Je vous demande pardon : j’ai succombé au don.
Voilà ma pauvreté, je me crois orateur.
Serais-je en vérité plutôt calculateur ?
Je voulais à onze heures vous parler du bonheur.
Vous parler du Carême et de la diaconie,
D’un Bon Dieu qui nous aime même si on le nie.
D’un Saint Paul qui s’unit au chrétien Ananie.
L’ancien persécuteur, en chemin converti,
Devint le serviteur se faisant tout petit !
En frère il compatit et vit l’Eucharistie.
A travers Augustin, découvert l’autre jour,
Paul, ou moi ce matin, Dieu montre son humour.
A travers nos détours il sait dire son amour.
Retenons l’essentiel à propos de l’Alliance :
Dieu nous ouvre le ciel dans un cercle en silence.
Un arc en faïence dessine sa confiance.
A la gare vendredi, au milieu du tumulte,
Pour des migrants maudits, des frères, face aux insultes,
Forment un rond occulte, comme un cœur qui exulte.
Pendant quarante jours, riches de pauvretés,
Répondons à l’amour avec humilité.
Dieu nous dit sa beauté, dans un frère à côté.
Pour conclure aujourd’hui et passer au credo,
Il suffit de dire oui, sans chercher de grands mots.
Alexandre est fardeau ; Jésus n’est que cadeau !
Oh, pardon, j’ai omis, le vers de tout à l’heure :
« Faites d’un ennemi, votre ami le meilleur ! »,
Inversé en son cœur… est un appel d’ailleurs !
Abbé Xavier