Au cours d'une marche
Homélie de la Veillée Pascale du 19 avril
Lens, Saint Léger
Veillée pascale 2014
Au cours d’une marche
C’est au cours d’une marche… Et, dans le chœur, vous voyez le randonneur. Il a pris la route au début du Carême. Ce marcheur a été transformé par la longue marche qu’il a effectuée. Au fur et à mesure de son périple, les questions personnelles qu’il portait se sont simplifiées. C’est l’une des étranges vertus de la marche, comme si l’effort physique effaçait les ennuis. Pas après pas, l’homme s’est recentré sur les questions essentielles de son existence. Tout en contemplant le paysage, parfois en profitant du soleil, et parfois en affrontant la pluie, le marcheur est devenu pèlerin. Le but n’était plus le point fixé sur la carte d’état-major. Le but, c’était lui-même maintenant. Son cœur. Son âme. « Pourquoi, pour qui est-ce que je vis ? » se demandait-il.
La réponse lui est venue au moment où il ne s’y attendait plus. Elle est écrite sur le tableau que vous voyez ici, vous savez ce tableau du synode. La réponse s’appelle Jean, Stéphanie, Alain, Michel, Elise, Thierry, Marie-Louise, et tous les autres prénoms écrits sur chacune de ces pierres… La réponse, ce sont tous les prénoms gravés sur cette mosaïque. Des gens de tous âges et de toutes conditions. Au fur et à mesure de sa marche, l’homme est descendu en lui-même, et à l’intérieur de lui, au tréfonds de son être, l’Esprit Saint est venu lui parler. « Deviens frère de tous ! Deviens frère de tous. » lui disait la voix intérieure. « Deviens frère en aimant chacun inconditionnellement. »
L’homme a poursuivi sa marche. Il y avait un joli calvaire au croisement un peu plus loin. Il s’est arrêté et il a prié. Il a demandé à Jésus comment il devait faire pour aimer aussi intensément. Il n’a pas eu de réponse. Enfin… il a quand même senti son cœur se dilater. Il s’est senti capable d’être meilleur. Capable d’être moins égoïste, moins orgueilleux. Il a ressenti une force, une autre force. Jusqu’à ce jour, il n’avait compté que sur les siennes uniquement. La randonnée qu’il faisait était un bon exemple. Au départ, elle était un défi qu’il s’était fixé. « Je vais le faire ! Je vais réussir ! » disait-il. Mais maintenant, il savait qu’il y avait une autre présence, une autre puissance. Il se sentait libre.
Jusqu’alors il se croyait libre, mais il était en prison. Bien sûr il était libre de ses mouvements et de ses paroles, mais la liberté – il le comprenait enfin – ne consiste pas uniquement en des possibilités… La liberté, la vraie liberté, c’est d’oser la fraternité. Cette liberté-là encourage à marcher vers celles et ceux qui sont encore prisonniers d’eux-mêmes. La Parole, le souffle intérieur, la force qu’il a ressentie, l’ont transformé en être de lumière, en baptisé. Désormais, sa vie sera donnée pour servir ses frères. Tous ses frères. Martin, Mathis, Sylvain, Peter, Samuel, tous… Il gardera son métier et ses fonctions, mais en chaque instant, il s’évertuera à trouver le moyen de dire les choses avec délicatesse. Il regardera les gens avec une immense tendresse.
Cet homme a changé. Les gens le disent. La marche l’a transformé. Il sait, lui, que ce ne sont pas ses pas les responsables de ce bouleversement intérieur. Un autre, un ange peut-être, a roulé la pierre qui encombrait son cœur. Et depuis, il est comme ressuscité. Rien n’a changé dans sa vie : les difficultés familiales sont toujours là. Mais lui est différent. Plus fort et non pas plus puissant. Plus généreux. Plus doux. Meilleur. Il sait que Dieu l’a visité.
Maintenant et pour toujours, il veut vivre en disciple du Ressuscité. Ce n’est même pas qu’il le veuille… C’est plus fort que lui. Il ne peut que le vouloir… La joie de la rencontre fut si intense, si durable. Comment choisir un autre chemin ? Comment pourrait-il refuser le sentier étroit du don de soi ? Guéri de ses turpitudes, de ses angoisses, de ses idées noires, de ses doutes incessants, il ne peut que proclamer à tous qui est son médecin. Qui est le guérisseur des âmes. Il se souvient des paroles de Jésus : « Je ne suis pas venu pour les bien-portants mais pour les malades. » Lui aussi, avec les remèdes de Jésus, veut sauver les femmes et les hommes fatigués, épuisés, désespérés. Lui aussi, avec la joie, la paix, la bonté, veut soulager les exclus, les paumés, les malades, les isolés.
Mais il ne pourra pas le faire seul. Il l’a compris. Il ne pourra pas le faire sans eux, sans leur volonté. Il faudra les aimer beaucoup pour que les autres adhèrent à son projet, veuillent eux aussi se laisser emmener, transformer. Il faudra faire confiance. Partager la misère. Descendre non plus en soi uniquement, mais descendre dans la condition de l’autre. Lui qui était de condition divine » sait-il de Jésus « s’est fait l’un d’entre nous. » Comme lui, s’approcher, rassurer. Tendre, donner la main. Vivre en cœur à cœur. Rire et pleurer. Former une communauté. Oui, choisir la fraternité.
Et il ne peut pas le faire sans le Christ lui-même. Il sent en lui un immense désir de communier à sa vie, à sa passion, à sa résurrection. Il veut vivre tous les passages en lui et par lui, il veut faire de sa vie une Eucharistie. Une action de grâce, un « Je t’aime » perpétuel. Il veut devenir avec et pour ses frères une icône de Jésus. Le randonneur est devenu fou d’amour.
En rentrant dans une église un peu plus loin, il s’est mis à prier : « Seigneur, rends-nous frères. Guéris-nous de nos vanités. Renouvelle en chacun la force de notre baptême. Ravive le feu. Laisse jaillir l’eau de ta vie. Fais de nous des torrents d’amour. Permets-nous d’aimer en absolu. »
C’était au cours d’une marche. L’homme avait été submergé par un torrent de Grâce. Comme s’il avait été rebaptisé… Lui, et avec lui, toute la communauté !
Abbé Xavier