L'âme de couteau

Lens, église Saint-Léger, le 27 novembre 2016 - 1er dimanche de l’Avent

Lens, église Saint-Léger, le 27 novembre 2016

1er dimanche de l’Avent - Année A

 

L’âme de couteau

 

th6QH3W2B3 th6QH3W2B3  Mes amis, connaissez-vous cet hymne du Bréviaire ?

 

Tel un brouillard qui se déchire

Et laisse émerger une cime,

Ce jour nous découvre, indicible,

Un autre jour que l’on devine…

 

Un autre jour que l’on devine… Un brouillard qui se déchire... Nous, les gens du Nord, savons ce que peut être le brouillard. Il est souvent épais et persistant. Si l’on est en voiture, il faut allumer nos feux antibrouillard, pour commencer à discerner le chemin. Sinon, on n’y voit rien du tout. C’est « de la purée de pois » comme on dit ! Et oui, le brouillard est une des caractéristiques de notre jolie région. Pourtant à chaque fois que le Bréviaire propose cet hymne, je repense à un événement vécu, non pas dans le « Plat pays qui est le nôtre », mais sur un chemin de montagne, en plein cœur de la Savoie.

 

Ce matin-là, il y a longtemps, nous étions trois randonneurs et nous suivions un joli sentier. Enfin, il était censé être joli, parce que, pour le coup, on n’y voyait rien. Vraiment rien du tout ! Nous nous étions mis en route assez tôt et nous pensions que la brume serait passagère. Mais à 10 heures, tout était toujours très gris. Pour ne pas dire gris sombre ! Bref, il n’y avait rien d’enthousiasmant à marcher dans cette atmosphère ténébreuse. Quand soudain, sur le versant de la colline d’en face, nous avons vu apparaître un tout petit rond de lumière. C’était très étrange : nous étions dans la nuée et l’on voyait un trou de lumière déchirer le ciel. Le halo de lumière, d’abord minuscule, commençait à s’élargir. Le rond grossissait de manière régulière. Au fur et à mesure, le brouillard se dissipait. Mais il ne se levait pas comme il le fait chez nous, il disparaissait tandis que le rayon de lumière s’amplifiait. C’était vraiment très étrange. On voyait la pâture d’en face s’éclairer doucement. C’était beau à voir. Magnifique. Vous comprenez alors pourquoi, une fois par mois, lorsque l’hymne est chanté à la prière des laudes, je suis quelque peu distrait : mon esprit quitte les réalités du Pas-de-Calais et s’envole vers les sommets alpins.thVW2PWKYK thVW2PWKYK  

 

Tel un brouillard qui se déchire

Et laisse émerger une cime,

Ce jour nous découvre, indicible,

Un autre jour que l’on devine…

 

Peut-être n’est-ce pas une si grande distraction… Ne sommes-nous pas comme cette montagne ? Trop souvent la colère ou la médisance, la jalousie ou le mépris, ou je ne sais quelle brume mesquine, envahit notre territoire intérieur. Nous ressentons alors tristesse ou amertume. Notre cœur traverse les nuages de la mélancolie. Le moral, comme le ciel, est bien bas. Mais alors que nous sommes plongés dans la nuit et les ténèbres, les noirceurs du péché, voici qu’une lumière vient nous éclairer. Notre cœur se laisse toucher par une Parole. L’Evangile vient combattre nos ténèbres. Mystérieusement la Parole de Jésus pénètre en nous. Elle se développe doucement et tout notre être en est illuminé. Bien sûr il y a des résistances, notre brouillard intérieur est au moins aussi dense qu’un brouillard ch’ti ! Le brouillard de l’âme est à couper au couteau. D’aucuns diraient : « l’âme de couteau », mais oublions cette expression qui pourrait nous embrouiller davantage.

 

Quoique… Permettez-moi de revenir sur ce jeu de mot nébuleux : l’âme de couteau. Dans le livre de l’Apocalypse, on peut lire : « Le Fils d’homme avait dans sa main droite sept étoiles. De sa bouche sortait une épée aiguë à deux tranchants ; et son visage était comme le soleil lorsqu'il brille dans sa force. » (Ap 1, 16). Ou encore, le psaume 149 que nous chantons le dimanche matin : « Que les fidèles exultent glorieux criant leur joie à l'heure du triomphe. Qu'ils proclament les éloges de Dieu tenant en main l'épée à deux tranchants. ». On peut aussi lire dans la lettre de Saint Paul aux Hébreux : « La Parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu’une épée quelconque à deux tranchants, pénétrante jusqu’à partager l’âme et l’esprit, jointures et moelles ; elle juge les sentiments et les pensées du cœur. » (Hb 4, 12). Souvent, dans la Bible, on compare la Parole de Dieu à une arme tranchante. Un glaive, un couteau qui vient percer nos cœurs pour séparer les pensées de la chair, c’est-à-dire la purée de pois de nos fautes, de notre aspiration la plus profonde, de notre vocation la plus intime : aimer Dieu de tout notre cœur et de toutes nos forces.

 

Et que nous disent les textes de la liturgie d’aujourd’hui ? En ce premier dimanche de l’Avent, alors que nous commençons notre chemin vers Noël, le prophète Isaïe annonce : « ‘Venez ! Montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers.’ Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur. Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. » La montagne de Jérusalem, c’est notre cœur ! Un cœur en paix. Touchés, percés, illuminés par la Parole, nous devenons la ville sainte en agissant dans et pour la paix. En rendant le pardon pour l’agression. En osant la justice et la miséricorde. Dans la deuxième lecture, Saint Paul nous dit ceci : « La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les œuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière. Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauches, sans rivalité ni jalousie, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ. » Autrement dit, n’oublions jamais que nous portons la robe lumineuse du baptême. Ce vêtement nous indique comment conduire notre vie pour rester fidèle à Dieu.

 

Quant à l’Evangile, il se termine par cette invitation à la vigilance : « Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. » (Mt 24, 44) C’est à l’heure où vous n’y penserez pas que vos ténèbres intérieures se dissiperont. Gardez confiance ! La Parole est efficace. Hier, avec une vingtaine de confirmands, nous regardions un film. Le thème de notre temps fort était l’incarnation, pour préparer Noël. Comment Dieu prend corps pour révéler sa présence et sa proximité. Le film s’intitule : « Qui a envie d’être aimé ? » Il raconte l’histoire vraie de la conversion d’un avocat. Alors que tout lui réussit dans la vie, cet homme découvre la présence du Christ grâce à un groupe de catéchèse. Peu de temps auparavant, il était entré dans une église où une statue du Christ l’avait interpellé. Il ne le savait pas encore, mais jusqu’à lors cet homme était dans la nuit, le brouillard de l’arrogance. Petit à petit, il découvre l’amour tel que le présente l’Evangile. Voici qu’un rayon de soleil vient s’élargir sur le versant abrupt de son âme. L’homme ouvre son cœur. Doucement il chemine. L’homme ne savait ni le jour ni l’heure. Dieu a déchiré le voile, la brume épaisse de son orgueil. En cet homme, voici un autre jour que l’on devine.

 

Dans le film, tout ne se fait pas en douceur. Il y a des colères et des révoltes. Des ratés, des incompréhensions. Tout n’est pas tout de suite gagné. Ce n’est pas parce qu’il adhère à la foi que soudainement l’homme a toutes les clés. L’Evangile ne sera jamais un prêt-à-porter ! Mais il est plutôt comme ces feux antibrouillard dont je vous parlais. Il déchire la nuit. Il permet de distinguer les bordures, le chemin à suivre. La Parole nous illumine et nous inspire. Elle permet de discerner le bien du mal. La frontière est parfois très mince, mais par la Parole l’âme est aiguisée : c’est « l’âme de couteau » ! La Parole nous invite à choisir la route la plus sûre pour grandir dans la paix. C’est toujours une lutte, mais, dans l’Espérance, nous savons que la victoire est acquise.

 

Permettez-moi de terminer en repartant vers les hauts sommets en vous chantant la suite et la fin de l’hymne :

 

Tout rayonnant d’une promesse,

Déjà ce matin nous entraîne,

Figure de l’aube éternelle,

Sur notre route quotidienne.

Vienne l’Esprit pour nous apprendre

À voir dans ce jour qui s’avance

L’espace où mûrit notre attente

Du jour de Dieu, notre espérance.

 

Abbé Xavier