Le Juste Roi

Saint Léger, Fête du Christ Roi

 

Juste Roi !

 

 

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Qu’ont-ils fait les deux autres ? Qu’ont-ils fait de si grave pour mériter la mort ? La mort par crucifixion. L’Evangile ne le dit pas. L’un des deux reconnaît que leur condamnation est légitime : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. » Mes amis, je voudrais m’arrêter sur cette phrase, sur le « c’est juste », juste pour dire qu’elle n’est pas juste !

 

Revenons d’abord sur les brigands. Ils ont commis de graves crimes. Peut-être le vol, ou le viol. Peut-être des meurtres. Un attentat contre un prêtre du Temple ? Nul doute que ces deux hommes sont détestables et il ne faudrait pas minimiser l’ampleur de leurs délits, voire sauvageries. Ils sont ignobles, pervers, méchants. Sur la croix l’un des deux est cynique et arrogant : « L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait » raconte saint Luc. Bref, ce sont des brigands, des comploteurs, des trafiquants, des pourris… Et Jésus est crucifié au milieu de ces deux sal… Non le mot ne se dit pas dans une église, mais c’est ainsi que l’on nomme ceux qui ont commis de telles horreurs. En fait, on ne trouve pas les mots pour désigner ces hommes, simplement parce qu’on se demande si ils sont encore des hommes.

 

Alors puisque ce sont des sauvages, des bêtes, il est préférable de les éliminer, les tuer. Et de les tuer en les faisant souffrir. Le supplice devient une vengeance : ils subissent le mal qu’ils ont infligé à d’autres. Et la torture sert aussi d’exemple. Voilà ce qui arrive à ceux qui troublent l’ordre public. On régit la société par la vengeance et la violence, par la peur et la mort. La méthode est efficace. Pardon : semble efficace. Elle rassure probablement une population qui se sent libérée de tels individus. Les prostituées pourront retourner dans la rue ; nous pourrons de nouveau déposer notre argent à la banque ; nous pourrons retourner dans l’arène sans craindre de tomber sur le zélote que les soldats recherchaient depuis des semaines. La vie va pouvoir reprendre. La vie ordinaire. La vie juste… Et Jésus est crucifié au milieu de ce peuple qui pense rendre justice en tuant les méchants.

 

Loin de moi le désir d’excuser les actes odieux. Le mal est terrifiant et il se condamne. La justice doit être rendue. Bien sûr, on ne punit pas un vol de quelques pièces d’argent comme on punirait un meurtre prémédité. Il y a une échelle dans les peines infligées. Cependant il semblerait qu’il faille faire payer le coupable en lui donnant une peine plus lourde que le mal qu’il a commis. Ceci afin d’être certain que ce mal soit réparé et que les victimes soient tant soit peu consolées. On pourrait penser que le principe est bon, mais il a ses limites. Par exemple si le brigand crucifié a tué plusieurs personnes, sa mort personnelle ne suffit pas. Et on ne peut pas le faire mourir plusieurs fois. Dans ce cas, le seul moyen est de torturer afin que le condamné ressente toutes les souffrances que d’autres portent à cause de lui. Trente coups de fouet pour la peine de cette veuve, une marque de fer sur les parties génitales pour avoir agressé une vierge. Une brûlure des paupières pour… Pour quoi au fait ?

 

Quand la torture devient un moyen de justice, c’est toujours elle-même qu’elle aveugle. Au final on ne sait plus où est le bien. Car en rendant le mal pour le mal, la mort pour la mort, la justice se déshumanise. Elle entre dans la folie de la violence. Elle devient ce qu’elle condamne. Elle devient barbare. Car la torture n’a pas de limites. L’imagination humaine dans ce domaine dépasse tout entendement. Voulez-vous des exemples ? En Afrique du Sud, on enflammait un pneu autour du cou du condamné. Mais il y a eu aussi l’écartèlement durant l’Antiquité et au Moyen-Age, la chaise électrique il n’y a pas si longtemps, la décapitation au Moyen-Orient, les fusillades pour l’exemple durant la première guerre mondiale et encore aujourd’hui, la pendaison en Chine, l’injection létale aux USA qui semble plus douce parce ce que le corps se détruit à l’intérieur, les organes explosent mais les spectateurs assistent à une mort dite douce, le visage de la victime restant endormi. Ces exemples ne sont malheureusement pas exhaustifs. Que d’horreurs !

 

Pardon de vous choquer. Nous ne venons pas à la messe pour entendre ces horreurs. Nous venons pour écouter une Bonne Nouvelle. Et je vais y venir. Mais dans un temps où l’on entend certains souhaiter le retour à une justice pratiquant la peine de mort, il est important de savoir redire les acquis de notre société. Ne nous voilons pas la face, nous aussi nous avons tué au nom de la foi chrétienne. Et pas seulement lors de la période de l’Inquisition. Les papes Jean-Paul II et François ont demandé pardon pour les graves crimes perpétrés au cours des siècles pour des raisons religieuses. Et nous devons toujours veiller car la tentation est grande d’imposer nos convictions par la force plutôt que par le dialogue et le respect. Oui, vraiment pardon de vous choquer, mais aujourd’hui des discours insoutenables sur la nécessité de la torture émergent çà et là. « Il faudrait faire parler les terroristes, il y a des méthodes efficaces pour ça ! ». Cela s’entend aujourd’hui. Mes amis, qui devient terroriste quand on enfonce une aiguille dans le corps d’un homme ? Quand on brûle les ongles ? Qui devient la bête ? Qui est le monstre ? Sachant qu’en plus, le torturé se sent davantage dans la vérité. Il se dit qu’il a eu raison d’agir contre un régime aussi barbare. Et puisque son principe est d’être martyr pour atteindre un au-delà, la torture est pour lui l’occasion d’aller au bout de ses convictions. Au final la torture et la peine de mort encouragent la sauvagerie.

 

Jésus est condamné, exposé, torturé entre deux voleurs. Il est face à une foule devenue silencieuse. « Le peuple restait là à observer. » Que peut-elle faire d’autre maintenant que le corps agonise ? Les gens attendent, immobiles, figés. Morts. Car c’est la foule qui est tuée. C’est la justice qui est outragée. Le « Tu ne tueras pas » fondamental a été bafoué. Ce ne sont pas que les chefs ou les soldats qui ricanent et se moquent de Jésus, c’est Satan qui jubile. La Loi a été pervertie. Les hommes n’auront plus de repères pour vivre ensemble. Tuer est permis ! Le commandement de Dieu a été aboli par la loi des hommes. Les chefs des prêtres ont choisi un nouveau roi. « Nous n’avons pas d’autre roi que César » (Jn 19,15) ont-ils affirmé pour obtenir la condamnation de Jésus. « Nous n’avons pas d’autre roi que la violence des armes. Pas d’autre royaume que l’organisation humaine. Pas d’autre roi que nous-mêmes ! ». L’orgueil humain : « Humanité, sauve-toi toi-même ! ». Le blasphème atteint son paroxysme au moment où l’on utilise les mots du Tentateur : « Si tu es… ». Souvenons-nous, alors que le diable avait emmené Jésus sur le faîte du Temple, il lui susurrait : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : ‘Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder’… » (Lc 4, 9-10). Et ici : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! ». Si tuer devient la Loi, le doute sera le régime. La peur, le quotidien. La délation, le mode vie. La misère et la mort, le résultat.

 

La foule est immobile, silencieuse. Elle observe. Elle comprend l’abomination. Le danger qu’elle encourt. Surtout, elle constate que les brigands sont aussi le fruit de ce système pernicieux. Chacun est responsable. Ces deux hommes sont-ils réellement plus bandits que nous-mêmes ? Bien sûr, nous n’avons pas tué. Nous n’avons pas volé. Mais nous avons laissé faire. Nous avons trouvé des boucs émissaires. Des hommes portent notre offense puisque c’est vrai, reconnaissons-le, nous ne sommes pas purs nous non plus. Nous faisons des publicités pour l’alcool en écrivant en petits caractères qu’il est dangereux d’en abuser. Nous condamnons les proxénètes mais nous surfons sur Internet à la recherche d’images salaces. Nous crions au scandale mais nous acceptons des pots-de-vin. Nous nous indignons devant le salaire des gladiateurs de l’OM mais nous parions sur eux toutes les semaines. Nous hurlons devant la misère d’autres continents mais nous plaçons notre argent dans les industries qui pillent les réserves des pays en voie de sous-développement ! Soyons honnêtes, il est plus que probable que ces deux larrons soient le fruit de nos comportements. Il est même possible qu’avec moins de chance dans la vie, nous aurions pu devenir nous-mêmes des criminels. C’est d’ailleurs ce que reconnaît humblement le Pape François lorsqu’il visite les prisonniers : « J’aurais pu être à votre place… ». Oui, la foule est hypocrite. Mais parfois le jugement rendu sur autrui lui permet d’analyser ses propres comportements. Et bien souvent ses propres fautes.

 

Cela est d’autant plus vrai lorsque le condamné est innocent. Lorsqu’il est réellement un bouc émissaire. C’est le cas de Jésus. Qu’a-t-il donc fait de mal, si ce n’est d’avoir renversé les tables d’un temple qui devenait une maison de commerce ? On y adorait l’argent, Mammon et non plus Dieu. Jésus avait prévenu que l’on ne pouvait pas servir les deux. Lui Jésus servait Dieu. Yahvé. Le seul Dieu. Le Dieu de la justice et de la miséricorde. Le Dieu pardon. La dernière parole qu’il accorde au larron placé à côté de lui révèle combien Jésus sert le Dieu miséricordieux : « Amen, je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi en Paradis. » Jésus accorde la grâce du pardon. Il fait entrer en paradis, le royaume dans lequel les relations sont rétablies dans la vérité. La justice que Jésus rend est celle de la grâce et du pardon. Cette justice nécessite une prise de conscience et une réelle volonté de conversion. Mais à peine choisit-on d’agir autrement que l’amour de Dieu nous envahit, nous submerge et nous donne la force d’affronter nos ténèbres intérieures. Dieu, en Jésus, pardonne et sauve. Voilà la Bonne Nouvelle qu’il nous faut annoncer. Jésus est le Temple nouveau, le nouveau lieu où la justice est rendue, non selon les œuvres uniquement, mais selon le désir de changer et de progresser. On ne se sauve pas par soi-même, seul le Christ est Sauveur.

 

Mes amis, non ce n’est pas juste que des hommes soient tués à cause de leurs méfaits, aussi ignobles soient-ils. Ce qui est juste, c’est l’amour miséricordieux que Dieu porte lorsqu’il porte nos croix. Dieu aime et défend la vie, coûte que coûte. Toujours. Et Dieu offre la rédemption à tous, en tout instant, même jusqu’à l’instant du dernier souffle.

 

Mes amis, nous n’avons qu’un seul roi, juste un seul roi : le Christ, le Juste Roi !

 

Abbé Xavier