Hameçon

Homélie du 24 août 2014 21ème dimanche

Hameçon

 

 

        
      
       index2 index2       « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » La phrase a surgi. Elle vient du tréfonds de son être. De son âme. Pierre est peut-être le premier surpris par sa réponse. Elle n’est pas de lui. « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux » lui dit Jésus. Pierre est traversé par une vérité dont il n’est pas l’auteur. La phrase est fulgurante et sa lumière est aussi vive qu’un éclair d’orage. Soudain tout s’ébranle. La vérité est dite. L’homme a été emporté par un souffle. Ce qu’il vient d’exprimer le dépasse et il n’a aucune idée de la puissance de ses paroles. Comment cela s’est-il produit ?

 

Voilà déjà des mois qu’il marche aux côtés de Jésus. Compagnon de route, il a été le témoinindex index   privilégié des discours de son maître. Il a vu sa manière de se comporter avec les puissants dont il n’a pas peur, et avec les plus humbles qu’il n’a de cesse de relever. Pierre entend Jésus et il le voit agir. Il constate la cohérence des propos et des actes. Jusqu’alors Jésus ne semblait pas se soucier de ce que l’on disait de lui. A Césarée de Philippe, lorsque Jésus provoque ses disciples en leur demandant « Pour vous, qui suis-je ? », Pierre se laisse emporter par une évidence qui a mûri en lui : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! ».

 

Sitôt après que Pierre aura osé cette folle réponse, Jésus va lui confier sa mission. Jésus est un provocateur. Il provoque en posant une question redoutable. Il sait que c’est le moment de la poser, que son disciple est prêt, que son esprit est mûr, c’est-à-dire suffisamment ouvert à la Grâce. C’est le moment de provoquer une réaction. Il y a un temps pour tout, et Jésus est un fin pédagogue. Il sait déceler l’instant précis où l’autre doit être taquiné ; l’instant où son âme va « mordre à l’hameçon ». C’est Pierre le pêcheur, et c’est lui qui va être pêché ! Quel humour de la part de Jésus. Quelle jolie capacité à retourner les situations et, ici, la personne. Quelques mois auparavant, il avait prédit à Pierre qu’il ferait de lui un pêcheur d’hommes, transformant ainsi son métier en vocation. Et quelques jours auparavant, alors que Pierre allait se noyer en voulant rejoindre Jésus qui marchait sur l’eau, son maître lui avait saisi la main pour le sauver. Le disciple était comme un poisson sorti de l’eau par une sorte de canne à pêche : le bras sauveur de son Seigneur.

 

Aujourd’hui, Jésus permet à son apôtre de faire une expérience plus profonde encore. Une expérience nécessaire avant de recevoir la mission qui lui est réservée. Pour saisir l’identité de Jésus, Pierre doit faire l’expérience d’une autre « noyade ». Il doit se laisser submerger par la présence de l’Esprit en lui. Il doit laisser jaillir l’Esprit et lui laisser toute la place. Lorsqu’il affirme : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! », c’est comme s’il refaisait surface une seconde fois. Cette fois-ci, c’est son âme qui sort des eaux sales de son ego. Jésus, en pêcheur de perles, a mis en lumière celle qui habite le cœur de Pierre. « Ce n’est pas la chair et le sang… », ce n’est pas ta corporéité, ton intelligence, ni même ton caractère aussi généreux soit-il, qui t’ont révélé cela… C’est une autre présence en toi : celle de mon Père, lui dit Jésus. Cette fois, Pierre comprend. Il ne comprend pas seulement qui est Jésus, mais qui il est lui-même. Il est pécheur sauvé, habité. Il est, comme le dit Saint Paul : « Un vase d’argile portant un trésor » (2 Co 4, 7), celui de la divinité. Il est un être éternel. Jésus vient de le lui révéler.

 

index1 index1  Son âme est donc sauvée. Depuis toujours elle est aimée, habitée. Maintenant qu’il le sait, il est invité à en témoigner. Bien plus, Jésus lui demande de prendre le relais. De prendre les filets à sa place. De partir à la pêche ! « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »

 

L’apôtre usera de la même patience, de la même douceur, de la même pédagogie que son maître. Il témoignera, il agira, il aimera. Et il pardonnera. Il déliera les cœurs. Il permettra à chacun de découvrir la source intérieure. En aimant, en pardonnant, il mettra en œuvre la provocation de Jésus. « pro-vocation », littéralement : pour vocation. La vocation de Pierre est de bâtir l’Eglise. Une communauté de pécheurs, de pauvres, où chacun fait l’expérience du salut par l’amour fraternel. Le roc, la pierre sur laquelle Jésus la fonde est solide. On pourrait reprendre l’expression du livre d’Isaïe: « Stable comme un piquet qu'on enfonce dans un sol ferme » (Is 22, 23). Mais sa stabilité n’a rien à voir avec une doctrine figée. La stabilité de l’Eglise réside dans son audace, dans sa capacité à provoquer, non pas à choquer, mais à faire vivre la vocation de tous. Car en toute personne, et nous le chantions dans le chant d’entrée : « Chacun reçoit la grâce de l’Esprit » (A 14-56-1), en toute personne l’Esprit de Dieu demeure. Il doit être dévoilé, mis en lumière. L’Eglise dont Pierre est le premier serviteur, est une communauté de pêcheurs de perles. Tous, nous avons à contempler la lumière qui brille au fond des âmes. Et à en rendre grâce à Dieu. Il nous invite tous à partager sa divinité.

 

images images  Comment ? En aimant. En servant. En cessant de nous plaindre. En lançant l’hameçon de l’Evangile et en le laissant flotter sur les eaux troublées de ceux que l’on croit être nos ennemis. Oui, en laissant patiemment nos cœurs « baigner » à la surface de leur vie. Silencieux. Priants. Prêts à se laisser atteindre, à se laisser « mordre ». Et rester fidèles à cette parole : « Aime ton ennemi ». Risquer notre vie. Tout offrir. S’abandonner. Tout cela pour laisser surgir une phrase venue d’ailleurs. Permettre à l’Esprit Saint d’agir envers et contre tout. « … Ne vous inquiétez pas de la façon dont vous vous défendrez ni de ce que vous direz. Car l’Esprit Saint vous enseignera à cette heure-là ce qu’il faudra dire. » (Lc 12, 11-12) Dieu inspire celles et ceux qui désirent la paix. Il leur donne les moyens de la mettre en œuvre. Les artisans de paix sont toujours émerveillés des paroles et des actes qu’ils osent. Ils comprennent qu’une force agit à travers eux. Leur joie provient quelques fois de la paix espérée et acquise. Mais lorsque la paix semble encore loin, leur joie réside dans une certitude : cette paix viendra ! Elle viendra puisqu’elle leur a été révélée par la puissance de l’amour qu’ils ont éprouvé en eux. « Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu. » (Rm 8, 39)

 

Mes amis, les âmes sont des perles. Et Dieu y révèle sa beauté. A nous, pauvres pécheurs, de jeter les filets. A nous d’oser dire à notre prochain : « Toi aussi, tu es le fils du Dieu vivant. »

 

Abbé Xavier

 

 

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2140 visites