Le propre de l'homme

homélie du 18 janvier 2015

Le propre de l’homme.

 

humour humour  Puisque l’humour est le propre de l’homme, j’espère n’être pas trop bête et en avoir un peu ! D’ailleurs je vais tenter de jouer avec. Je prends un risque car il se peut que tous les autres humains pourvus d’humour certain, ne partagent pas le mien. Le danger de l’humour, nous le savons bien, est d’être confronté à quelqu’un qui n’en aurait pas moins, mais un différent. Tout cela pour dire, qu’en exprimant cette opinion qui me fait sourire, il se peut que certains rient moins, voire pas du tout. J’espère que personne ne rira bêtement, ce serait le comble… C’est très drôle de penser que l’humour, qui est le propre de l’homme, puisse faire rire bêtement ! Enfin, moi je trouve ça drôle. Mais bon, les goûts et les couleurs…

 

Par exemple, moi je n’aime pas le jaune, je veux dire le rire jaune. Je trouve qu’il est la conséquence d’un mal-être, un mal-être humain ! Je n’aime pas non plus le noir. Je parle de l’humour, pas des êtres qui ont la peau noire. Eux, je les aime profondément. Ce sont mes frères. Des frères de sang. D’ailleurs dans nos veines, le rouge est le même. C’est l’humour noir que je n’aime pas, enfin pas trop. Je le trouve cynique. Trop souvent il utilise et amplifie la peine des gens. Par contre j’aime bien l’humour taquin. T’as qu’un mot à dire et l’autre réagit aussi vite. Cela dit, cet humour-là aussi a ses limites. En abuser peut vexer et même blesser. Il peut se transformer en provocation ou en ironie dont on dit que c’est l’humour des faibles ou des méchants. Sans rire, l’humour, devenu dérision, est dangereux justement parce qu’il ne connaît pas de limite. Il arrive que, sous prétexte de liberté d’expression, l’humour se permette d’agresser. Il voulait faire rire, il fait pleurer. Il voulait, espérons-le, faire prendre conscience d’une injustice ou d’une erreur, et voilà qu’il accroît le malentendu. La moquerie ne sera jamais un bon chemin pour communiquer. Elle enferme. Elle braque ceux qui en sont victimes. Il existe des blagues à « deux balles » comme on dit trivialement (au passage je n’aime pas non plus l’humour vulgaire) qui tuent réellement. Il y a des blagues racistes qui enferment l’autre, des histoires qui abîment des peuples entiers, des cultures, des religions. Sous couvert d’humour, je devine que bientôt vont circuler des histoires infectes dans lesquelles seront mises en scène les victimes des pires événements de ces derniers jours. Bientôt l’on va glorifier l’horreur.

 

Comme pour l’amour, il y a des humours interdits. Tout n’est pas permis. On dira que l’humour aide à dédramatiser, à exorciser les peurs. C’est vrai. L’humour est un excellent remède, peut-être même le meilleur. A condition qu’il soit juste, qu’il soit fin, qu’il soit respectueux. Cela veut dire qu’avant même d’être prononcé, gestué, l’humour doit connaître quelle sera la réaction de son auditeur. L’humour doit avoir fait l’effort de regarder celui à qui il s’adresse. Et s’il juge que l’autre ne sera pas capable de recevoir ce type d’humour, il doit avoir le courage de ne pas se dire. Et trouver une autre façon de s’exprimer. Trouver un autre chemin, une autre astuce plus adaptée à l’autre, plus recevable par l’autre. Plus douce, plus savoureuse, plus rigolote, non pas pour le donneur, mais pour le receveur. Il y a donc un travail de rencontre à vivre avant même la rencontre. L’amour doit précéder l’humour. On dit de Devos qu’avant d’entrer en scène, il ressentait l’amour de son public. L’humoriste faisait alors chanter les mots et, par un jeu génial d’absurdités, il transformait les maux de la société en rire, en détente. Ce rire-là est bon, salutaire. S’il y a des humoristes magnifiques, il en est d’autres - Pardon pour cette note d’humour, mais c’est ma liberté d’expression (Je le dis avec un petit sourire), - qui ne sont vraiment pas drôles. Lorsque tout un spectacle se vit en dessous de la ceinture, et que les mots utilisés ne sont que jurons et insultes, franchement… Mais peut-être que le soi-disant humoriste avait besoin d’être applaudi pour lui-même, égoïstement, et qu’il a réduit son public aux bassesses de son esprit… Pardon pour cet humour piquant ! J’utilise ici le moyen à mon goût trop agressif de ceux qui, trop souvent, aiment être corrosifs. Selon leur théorie, c’est ainsi que l’on peut se faire entendre. Je n’en suis pas sûr, mais bon…

 

Mes amis, j’ai conscience que tout ce que je dis là n’est pas très drôle ! « Pas très marrant l’curé ce matin ! Il f’rait bien de mettre un peu d’humour dans ses paroles. » Je vous l’accorde. Mais comme je viens de parler d’esprit, je me permets de poursuivre en vous parlant d’un autre esprit : L’Esprit Saint, celui qui rend les choses saines. Je crois, non sans humour, que l’humour du Bon Dieu est rarement tout de suite compréhensible. Il faut souvent du temps pour décoder ce qu’il a voulu nous exprimer. Nous pourrions prendre plusieurs exemples dans l’Evangile. A commencer par celui d’aujourd’hui où l’on entend Jésus jouer avec les mots : « Tu es Simon, tu seras Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mon Eglise. » On pense bien sûr aussi à ces répliques : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. », « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. » Ou à celle-ci : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » Ou encore à cette idée magnifique de mettre un enfant ou un homme à la main  paralysée, un pauvre, au milieu du groupe des savants et des docteurs de la Loi. Bref, Jésus décentre. Il n’affronte pas directement l’adversaire, il utilise l’image, la parabole. Il utilise les connaissances de son auditoire ainsi que l’intelligence et les capacités d’analyse des personnes, qui feront ou non, un chemin de conversion. Jésus dit la vérité sans aucune agressivité. Il fait de l’Esprit, ce qui est la moindre des choses puisqu’il en est le dépositaire. Il est un expert en Esprit. C’est son mode d’expression. C’est fait exprès pour que Sion se convertisse. Si on veut le dire autrement, Jésus prie l’Esprit et seulement après se prononce. Il ne donne pas forcément de réponse…

 

On le voit encore dans l’Evangile d’aujourd’hui : « Maître où demeures-tu » lui demandent les deux premiers disciples. « Venez et vous verrez ! ». Voilà une drôle de façon de répondre. Et oui, c’est drôle ! C’est drôle parce que c’est ouvert. Ce n’est pas figé. Ce n’est pas une leçon. L’autre est libre. Il est invité, mais il n’est pas emprisonné dans la vérité de l’invitant. Il n’y a pas d’agression. Je ne vous fais pas de dessin pour vous dire ô combien le dessein est grand. Et pourtant, Jésus n’insiste pas. Juste quelques mots : « Venez, vous verrez ! », autrement dit : « Vous jugerez par vous-mêmes ». Ce n’est pas une caricature de dire que Jésus responsabilise celui à qui il s’adresse ! Et ça marche. Au propre comme au figuré : les deux hommes se mettent en route ! Jésus sait utiliser le propre de l’homme. Désormais, deux hommes figureront parmi les disciples. L’humour de Jésus respecte la liberté d’autrui. Pour autant Jésus n’est pas un agneau. Enfin si, Jean-Baptiste annonce qu’il est « l’Agneau de Dieu » ! Mais pas un agneau au sens de laisser tout faire ou tout dire. Grâce à l’humour, il dit les choses, il pose des actes prophétiques, et même dérangeants. Il est sans cesse sur le fil, parfois à la limite de la provocation. Mais il n’utilise cette façon de faire que lorsqu’il a en face de lui des gens qui le provoquent à vivre sa vocation : annoncer la vérité d’un amour qui ose le pardon, non pas sept fois, de façon bien établie, bien comptable, mais soixante-dix fois sept fois. Infiniment. Là aussi la réplique est magnifique de subtilité. Autrement dit, Jésus est toujours dans l’esprit de la conversation, et de la conversion. On pourrait dire qu’il ne cesse pas de retourner les situations. Il transforme la peine en joie, la haine en amour, la guerre en paix. Mais pour réaliser un tel tour de force, un tel miracle, il faut connaître le cœur et aimer l’interlocuteur.

 

Bon, j’annonce la couleur… Celle que je préfère. Pour moi l’humour le meilleur est celui que l’on s’adresse à soi-même. Je vais donc avoir pitié de vous et cesser mon monologue. Je vais vite mettre un terme à ce sketch. Vous avez devant vous un piètre humoriste. Heureusement que vous n’avez pas payé bien cher votre droit d’entrée ! Mes amis, aurez-vous quand même la gentillesse de ne retenir qu’une petite chose de ce long bla-bla ? Voudrez-vous au moins croire ceci, mes amis : « Dieu est humour ! », et le propre de l’homme est de lui ressembler !

                                                                                                                                     Xavier Lemblé