Songe

Lens, église Saint Léger, 4ème dimanche de l'avent

Lens, église Saint Léger, le 18 décembre 2016

4ème dimanche de l’Avent - A

 

Songe

 

croix (7) croix (7)  Il était trois heures du matin, cette nuit, quand je me suis réveillé. Moi qui d’ordinaire dors à poings fermés, voici qu’une étrange insomnie venait me taquiner. En pensant à Joseph, au songe qui l’a bouleversé, je me suis mis à prier. J’ai pris la croix entre mes mains, puis je l’ai serrée sur mon cœur et, j’espère, j’ai laissé Dieu parler. Voici que je vous partage les mots de cette prière.

 

« Jésus… Fils de Dieu, écoute-moi. Ecoute-nous. Je ne comprends pas pourquoi la croix est le témoignage de notre rédemption. C’est un signe violent, un symbole de mort. Toi, le Dieu de la vie, pourquoi as-tu inscrit au centre de l’histoire humaine le signe de la mort ? Pourquoi la croix, Jésus ? Pourquoi la croix est-elle l’ultime révélation de ton amour divin ? N’y avait-il pas, dans la splendeur de ta création, d’autres éléments plus doux, plus acceptables ? Je ne comprends pas, Jésus. Je ne comprends pas. Mais, faudrait-il tout comprendre pour consentir à ton projet ?

 

Jésus, je ne veux en aucun cas me servir de toi. Je désire te servir. Mais tu sais ô combien ce désir n’est pas réalisé. Jésus, ton projet n’est-il pas irréalisable ? Entends-tu seulement ce que tu nous demandes ? Te rends-tu compte de ce que tu demandes ? Aimer toujours, tout le temps, tout le monde. Sans juger. Et pardonner. Et pardonner encore. Ô pardonner de petites blessures, oui bien sûr… Mais pardonner comme toi, Jésus… Je n’en n’ai pas la force. Pas toujours. Et toi tu dis que le pardon se donne « soixante-dix fois sept fois » !

 

Jésus, regarde, regarde notre monde… Regarde Alep. L’horreur. La destruction et les bombes. Les crimes. Pleures-tu avec nous ? Pleures-tu avec les familles déchirées ? Hurles-tu aussi fort que les mères ? Brailles-tu autant que les enfants ? Où es-tu ? Et où est l’homme que tu as créé ? Où est l’homme que tu as créé pour un projet d’amour ? Je m’adresse à toi Jésus, réponds ! Parlons d’homme à homme, veux-tu ? Ne te défile pas derrière ton Nom de Tout-puissant, de Tout-Autre. Tu as choisi de partager notre humanité - et j’ose croire à Noël, à la personne que tu es : le Verbe incarné - Mais il faut assumer… Réponds-moi les yeux dans les yeux, le cœur en face : est-ce la mort que tu veux ?

 

Jésus, qui suis-je pour te provoquer ? Pardon pour ma colère. Les mots maladroits. Je crois, Seigneur, que tout en Toi est amour et vérité. Je sais que tu veux la vie. Comprends-tu que nos âmes dépourvues ont besoin de jeter la pierre sur un autre qui serait responsable ? Il nous faut encore un bouc-émissaire, un coupable, quelqu’un sur qui nous pouvons vomir notre colère. C’est toi, Jésus, qui, cette nuit encore, reçois mon trop plein de questions, mes larmes, ma misère.

 

Jésus, Fils de Dieu, pardonne-moi, pardonne-nous. Fais de nous des artisans de paix. Des porteurs de lumière. Ce ne sont pas là les mots d’une pieuse prière. Une récitation. Jésus, tu sais que mon cœur n’a nulle envie de te chanter la litanie des gentillesses : tu es beau, tu es grand, tu es l’amour… Tout cela est vrai. Mais nous n’en sommes plus aux séductions. Nous n’avons plus besoin de nous dorloter, de nous rassurer. Jésus, puisque ton amour est de feu, brûle nos cœurs de charité ! Jésus, fais-nous mieux entrer dans le projet de ton Père. Fais de nous des êtres vivants, non selon la chair, mais selon l’Esprit.

 

Jésus, amour de ma vie, tu sais combien je suis indigne. Tu sais mes péchés. Ah, Jésus, comme il me tarde d’en être libéré. Ton apôtre dit qu’il existe une épine dans notre chair, elle rappelle notre faiblesse et sert à l’humilité. Puisse la mienne avoir cette utilité, car trop souvent Jésus, il me semble que l’épine m’éloigne de ton projet. Il te faut être patient avec moi. Et je crois que tu l’es. Je crois que tu ne sais pas désespérer. Et ton regard sur moi, sur chacun, me redonne courage et force. Et je t’en rends grâce. Oui, Jésus, je te rends grâce parce que je t’aime.

 

Jésus, les mots sont fragiles. Ils ne disent rien, ou si peu, de nos émotions, de la profondeur de nos sentiments. Il faudrait inventer un mot nouveau, un verbe sublime. Peut-être ce mot est-ce ton nom Jésus ? J’apprends dans ton Evangile qu’il signifie « Dieu avec nous ». Jésus, tout l’amour de nos cœurs provient de ton compagnonnage, de ta proximité. Rien de ce qui est humain ne t’est étranger. Tout est dans tes mains. Tout est contenu dans la grandeur de ton prénom. Jésus, tu es l’au-delà de la beauté.

 

Jésus, la nuit est agitée. Les larmes coulent et mon cœur saigne. Je voudrais dire aux gens que j’aime combien, cette nuit, nous avons conversé. Je voudrais leur écrire cette prière. Il y aura un danger : je risque avec tes mots de me glorifier. Ô Jésus, garde-moi, garde-nous des tentations de l’orgueil. Il nous détruit. Il casse les relations. Si je parle, Jésus, ce n’est que pour ton nom. Pour toi, mon unique projet. Pour eux, qui te connaissent bien mieux que moi. Pour leur confirmer que, lorsqu’eux aussi serrent ta croix sur leur cœur, tu leur parles avec une infinie douceur. Peut-être Jésus n’est-il pas nécessaire de le leur dire ? Peut-être mes mots seront encore une trace de ma pénible vanité. Jésus, délivre-nous du péché.

 

Jésus, je voudrais, lorsque le jour va se lever, proclamer ton amour et ta paix. Dire quelque chose de ton projet. Ton père, non celui du ciel, mais Joseph qui te l’a si bien enseigné, était un exemple de sagesse. Après avoir écouté l’ange, il a changé ses projets. La justice des hommes dont il était un exemple parfait ne lui suffisait plus. Après une nuit agitée, Joseph acceptait de prendre chez lui celle qui t’abritait. Ta mère était, pour toi, le rempart de la chair et de la pureté ; Joseph était celui de l’âme et de l’humilité. L’un enrichissait l’autre pour que tu naisses et que tu sois le corps divinisé. Jésus, je te prie pour toutes les familles, pour tous les pères, pour toutes les mères, pour que tous soient touchés par la douceur de tes parents. Pour que les enfants naissent et grandissent dans des foyers où règne la paix.

 

Jésus, est-ce un songe ? Ou n’est-ce qu’une insomnie passagère ? En me levant aurai-je oublié ? N’est-ce qu’une mauvaise nuit ? Une de ces nuits où l’on ne se parle qu’à soi-même ? Où l’on ressasse les erreurs, les peurs, les oublis ? La croix, sur mon cœur, est-elle comme ces hochets que les bébés secouent pour se rassurer dans le silence de la nuit ? Ou bien, Jésus, est-ce un songe ? Est-ce bien toi qui es venu pour que change mon cœur ? Est-ce toi, Jésus ? Est-ce toi qui nous appelles à entrer dans un projet dont nul ne connaît le chemin et qui, pourtant, motive puissamment les cœurs ? Est-ce toi Jésus qui appelles à aimer, à chanter, à vivre, à donner le tout de sa vie, simplement à dire à tous que tu es le Seigneur ?

 

Jésus, si c’était toi, durant la nuit, qui viens nous parler… Si c’était toi. Peut-être faut-il qu’on y songe. Oui Jésus, peut-être faut-il qu’on y songe ! »

Abbé Xavier