Feu nouveau

Homélie de la Veillée Pascale du 15 avril 2017 à Saint Léger

 

 

feu-126718 feu-126718  Hier soir, notre cœur était dans la peine. En vénérant la croix de Jésus, nous étions unis à lui et à toutes les personnes qui traversent un temps de deuil. Nous pensions à celles et ceux qui ont quitté un pays ou une maison, à d’autres qui ont perdu des facultés physiques ou le sens de leur vie. Hier soir, nous partagions la peine de toutes celles et de tous ceux qui sont morts à une relation, à un projet, à une ambition. Et nous espérions que les peines pourraient conduire à des nouveautés, mais ce n’était pas encore le moment. Il fallait aller au bout de la souffrance infligée, pour réellement descendre au tombeau et ressentir les ténèbres de la mort. C’était hier soir. Et aujourd’hui encore. Depuis l’instant de la crucifixion, nous étions dans les douleurs et dans la peine.

 

Et puis... Il y a quelques instants, nous nous sommes rassemblés autour d’un feu. Les bûches se transformaient en cendres brûlantes et le feu crépitait. Du bois mort jaillissait une danse de flammes jaunes et orangées. Dans le foyer, le bois produisait une vie, qu’au cours de son existence, lui-même ne pouvait suspecter. Vivant, le bois faisait circuler la sève en vue de la fleur. Mort, il produit une autre matière, une autre beauté, une autre chaleur. Une autre vie. Nous nous sommes rassemblés autour du feu et nous avons contemplé un avenir !

 

La brûlure est pénible. La blessure est immense. La plaie est encore ouverte. Comme le sont celles du Ressuscité qui les montre à ses disciples. Les traces de la souffrance sont présentes, les braises sont rouge écarlate. Mais la vie a gagné. Elle se montre autrement. Le Christ est ressuscité. Les disciples voient la flamme d’un nouveau buisson ardent. Et leur vie est transformée. Leur cœur est tout brûlant. Les Apôtres qui étaient morts, parce que leur maître avait été torturé et tué, parce qu’ils avaient perdu confiance en eux-mêmes en fuyant au moment décisif, ou en le reniant pour se défendre, eux qui étaient enfermés dans le tombeau du Cénacle, verrouillés dans la peur, étaient comme des brindilles de bois sec liées en fagots. Et voici qu’ils deviennent le feu qu’ils contemplent.

 

Ce soir, nous sommes les Apôtres. Ce soir, nous sommes le feu nouveau. Ce soir, nous savons que toutes les blessures, et toutes les morts, sont aussi des chemins qui mènent à la vie éternelle. Nous le savons parce que le Christ assume toute vie en y déposant son amour. Rien n’est jamais perdu. Tout est charité, car le Christ immolé sur l’autel de la croix a vaincu les puissances de la mort. En tuant le Christ, la mort s’est donné la mort, puisque le Christ, le Fils de Dieu revenu à la vie, lui a rendu la vie. La mort est donc morte, et tout ce qui conduit à la mort est définitivement détruit. Nos souffrances terrestres sont encore les soubresauts d’une ennemie qui essaie d’exprimer sa puissance, mais nous savons que nous sommes appelés à la vie ! A la danse joyeuse de la vie éternelle acquise par le Christ sauveur.

 

Tout cela est bien beau. Le discours est assez philosophique, un brin poétique, mais concrètement, qu’est-ce qu’il se passe dans nos vies ? Pour répondre à cette question, je vais encore m’appuyer sur un symbole : le feu, toujours ! Dans quelques instants, Jessy, Maxime, Mélodie, Priscilla et Sophie, vous allez recevoir la lumière des mains de vos parrains et marraines, ainsi que les enfants baptisés. Cette lumière proviendra du cierge pascal que nous venons d’allumer au feu dont on vient de parler. Vous les nouveaux baptisés, vous allez recevoir la lumière du Christ, pour être dans le monde, dans votre monde, des témoins de la résurrection. Cela est aussi vrai pour toutes les personnes qui composent cette assemblée et qui, avant vous, portaient la lumière en entrant en procession. Tous, nous sommes les témoins du Christ vivant.

 

Demain matin, nous n’allons pas nous promener dans la rue avec notre bougie allumée. Mardi, et les jours suivants, nous n’allons pas aller au travail en brandissant le cierge pascal. C’est un peu encombrant ! Non. Vous allez, nous allons être le cierge pascal. Nous allons être le Christ pour nos proches. Voilà qui semble un défi bien orgueilleux. Seul le Christ est Christ. Oui, mais par le baptême, nous avons reçu son Esprit. Et donc nous agissons comme lui.

 

Que fait Jésus ? Sitôt qu’il voit une personne en souffrance, il s’approche d’elle et la console. Il la soigne. Lorsque l’injustice est flagrante, il dénonce le mensonge et l’hypocrisie. Mais vous savez tout cela. Après deux ans de catéchuménat, vous avez découvert ce que dit et fait Jésus. Pourquoi et pour qui il agit. Comment il agit. Vous avez découvert son extrême humilité. Baptisés dans son Esprit, nous ne pouvons pas passer à côté de la misère. Nous ne pouvons pas nous replier sur nous-mêmes. Oui, nous sommes blessés, nos vies sont marquées par des épreuves, mais par la force de l’Esprit Saint, nous allons porter la vie là où justement la vie est abîmée. Nous allons porter la joie là où la tristesse et l’angoisse s’alimentent mutuellement. Parce que nous sommes de ce monde, blessés et limités, autant que nos proches, nous savons que nous ne pouvons pas faire la morale et donner des conseils condescendants. Mais, parce que nous sommes baptisés, nous savons que le Christ, en nous, peut transformer la vie de ceux qui nous entourent. Parce que nous pouvons les aimer infiniment. Les aimer comme le Christ aime. En pardonnant. En offrant notre vie sans chercher de récompense. En servant jusqu’à l’extrême. La vie éternelle n’est pas la vie que l’on vivra « au ciel », dans je ne sais quel espace, après la vie terrestre. La vie éternelle est cette vie consumée par l’amour miséricordieux, offert par Dieu.

 

Vous voyez cette icône au pied de l’autel ? C’est l’icône du Christ miséricordieux. Depuis le mois de février, et jusqu’à la Pentecôte, elle circule de maison en maison. Je vous lis un petit passage d’un des témoignages écrit dans le cahier. « Chaque soir, nous avons pris le temps en famille, dans nos vies agitées et bien remplies, de nous poser pour nous retrouver autour de l’icône et lire les propositions du livret... Comme nous traversons une période mouvementée, tant sur le plan familial que professionnel, nous avons appelé le Christ à nous venir en aide et nous donner la force d’avancer dans la foi et par la foi... » D’autres témoignages disent des choses similaires. C’est concret. La vie n’est pas simple. Elle est trépidante et parfois douloureuse. Mais avec Jésus, par Jésus, en tout instant, nous sommes en capacité de transmettre la lumière. Comme les membres de cette famille, nous sommes appelés à la confiance. Quelles que soient les difficultés, aimer est toujours possible. Grâce au Christ, Le mal et la mort n’auront plus jamais le dernier mot.

 

Dans quelques minutes, et pour la première fois, vous allez recevoir le Corps du Christ. Ce sera aussi la première fois pour toi, Sandrine. La première, cela veut dire qu’il y en aura une multitude ensuite. Nous ne communierons jamais assez souvent. Ne pensons pas que nous ne sommes pas dignes. C’est justement parce que nos vies sont marquées par le péché qu’il nous faut communier à la vie de Jésus. Seul Jésus sauve. Ce ne sont pas nos autoévaluations qui nous sauvent. Quand nous nous jugeons nous-mêmes indignes, nous prenons la place de Dieu. Lui nous veut à sa table, souvent. Il en est de même pour le sacrement de réconciliation. Le plus grand orgueil est le refus de la miséricorde divine. Cessons de nous chercher des excuses mortelles quand la vie éternelle nous appelle. Alors, brûlés par l’amour infini, pénétrés par l’indescriptible bonté de Dieu, nous ne pourrons que regarder nos proches en les aimant à notre tour. Nous perdrons tout jugement, toute volonté de contrôle sur eux, et sur nous-mêmes. Nous serons libres. Plus rien ne nous fera peur. La mort en nous sera anéantie. La mort sera morte !

Mes amis, ce soir nous contemplons notre présent et notre avenir. Nous contemplons, en la recevant, la vie éternelle que le Christ ressuscité fait danser, en embrassant, en embrasant tous les cœurs.

 

Abbé Xavier