Un vieux couple lensois

Homélie dominicale du 23 octobre 2011

 

Lens, le 23 octobre 2011

30ème dimanche A

Dimanche des missions

 

Un vieux couple lensois

 

           Puisque « Tout ce qu’il y a dans l’Ecriture – dans la Loi et les Prophètes - dépend de ces deux commandements » : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. Et aimer son prochain comme soi-même » ; puisque tout se résume dans le verbe ‘aimer’, allons-y, parlons de l’amour ! L’amour, qu’est ce que c’est ?

 

          Passons rapidement sur l’amour sentiment. C’est le début. Le cœur que l’on trace sur un cahier. L’autre plait à cause de son charme, de sa beauté, de sa façon de se tenir, d’un certain nombre de qualités. On est séduit. On est touché. On aimerait être avec lui, avec elle. Cette étape est belle et nécessaire mais trop souvent, l’amour n’est présenté que dans cette dimension : on se plait, alors on s’aime. Pourtant, nous n’en sommes qu’aux prémices de l’amour. L’amour sentiment en tant que tel ne dure pas. Il s’use. Simplement parce qu’il n’a pas assez de profondeur. Il n’est qu’un amour de surface. Sincère, il reste fragile, pas assez éprouvé. Car si au début l’amour est un cadeau, un don, il devient ensuite un combat.

 

          Il ne s’agit pas de rentrer en guerre contre l’être aimé. Ce serait un paradoxe insupportable. La violence de l’amour ne réside pas dans la volonté de détruire l’autre. Au contraire, il s’agit de le faire grandir. Aimer, c’est être sans cesse tourné vers l’autre pour l’autre. Sans aucune recherche d’intérêt. Toi pour toi. Et donc aimer nécessite de mourir. Mourir à soi-même. Je ne me cherche plus, je ne cherche plus à te plaire. Je veux seulement que tu vives, que tu vives plus ! Que tu vives selon ton cœur. Je veux que tu deviennes ce que tu dois être. Cette attitude de décentrement est un perpétuel combat. Ce n’est pas contre l’autre que l’on lutte, c’est contre soi. La guerre que déclare l’amour est une guerre contre l’égoïsme.

Saleté d’égoïsme qui vient se nicher dans les recoins de notre âme ! Une force obscure nous attire pour que nous vivions selon nos plaisirs, faisant fi des désirs de l’autre. Saleté d’égoïsme qui abime et tue la relation. L’amour est relation. Ecoute de l’altérité. Accueil. « Non pas ma volonté, mais ta volonté ». L’amour nous arrache à nous-mêmes. Il nous blesse. Il nous brûle aux entrailles, parce que l’on ne possède pas celui ou celle que l’on aime. L’autre échappe sans cesse. L’orgueil possède. La toute-puissance possède. L’égoïsme possède. Mais l’amour ne possède pas, jamais. Sitôt qu’il s’aperçoit détenir le moindre pouvoir, il le remet. L’amour désire la liberté de l’aimé(e). L’amour se fait humble et service.

 

          C’est un vieux couple Lensois. Assis de l’autre côté de la table, l’homme dit à sa femme : « Dieu nous a toujours aidé. Et toi, tu es mon épaule. On a tout traversé à deux. Le plus difficile ça a été le décès… » La gorge se noue. L’homme pleure, et elle aussi. Le silence qui suit dit la force qui unit les amoureux. Pas les amoureux sentimentaux, les amoureux toujours nouveaux, sans cesse tournés vers l’autre, ouverts à l’autre. Ils se regardent, et les rides se répondent. Ils sourient, et, à son tour, c’est le témoin qui pleure. Parce que c’est beau. L’amour vrai est capable de silence. Et le silence n’est pas un vide, il devient un au-delà de parole.

L’amour est beau quand, comme l’or, il est passé par le creuset du feu. Quand il a traversé la souffrance portée par l’autre. Quand il a rit, sans moquerie, des limites de l’autre. Quand il a fait sienne la petitesse de l’autre. Quand il se fait plus petit que la petitesse de l’autre. L’amour est humble. Il ne juge pas. Il comprend. Et quand il ne comprend pas, il s’efforce de dire : « Pardonne-moi ». Car l’amour redonne toujours la chance. Il fait confiance. Il croit l’autre capable de meilleur. L’amour est acharnement. Un acharnement à ne jamais enfermer l’autre dans une idée, un geste, une erreur. Acharnement à ne même pas désirer être aimé. Car il est gratuit. Dépossession. Il n’a pas de raison, si ce n’est celle de contempler l’être aimé.

 

          L’amour est grand. Malgré sa fragilité. Par sa fragilité. Il est comme un cristal. Sa beauté réside dans la pureté. C’est pourquoi, l’amour ne se bafoue pas. Il est interdit de profiter de l’amour pour réaliser une carrière, ou pour combler un manque. L’amour n’est pas un jeu. Il est un don et un devoir. Un devoir de respect. On ne sacrifie pas l’amour sur l’autel des pulsions. On a inventé la société de consommation en créant des besoins. Puis on a créé des désirs. Aujourd’hui, on surfe sur les pulsions. L’amour ne se vend pas, ne s’achète pas ! Il ne se commercialise pas. Le cœur d’un être humain n’a pas de prix. L’amour est toujours gratuit.

 

Là est sa noblesse. Il ne fait pas de bruit. Et pourtant il relève, il rassure. Il réconforte. Jamais il ne ferme la porte. Toujours il montre l’Espérance, le jour qui lève. L’amour s’épuise à accompagner. Jamais ne désespère. Il tend la main. Il embrasse. Il est tendresse. Douceur. Caresse. Mais il est aussi vérité. Il sait se prononcer et dénoncer les erreurs. L’amour ne cherche pas à être protégé. Il s’expose. Ose. Agit. Parle. Transforme. L’amour est justice. L’amour est partage. Jamais il n’accepte que quelqu’un puisse mourir de faim ou de solitude. L’amour n’a pas de frontière. Il est toujours en mission.

Celui qui aime donne sa vie. La vie n’est rien face à l’amour qu’elle permet de donner. La vie n’existe qu’en vue de l’amour. Car l’amour transcende la vie. L’amour transfigure la vie, il la prolonge, l’éternise. L’amour est plus grand que la vie. La vie ne dure que quelque temps. L’amour est intemporel. La vie est sacrée, mais l’amour est divin. L’amour divinise la vie.

          L’amour est tout autre. Au-delà. Autre langage. Autre signe. Bien plus que le dessin d’un cœur, il est signe de croix. Une large coupure que l’on trace sur soi pour dire ô combien, à la suite du Seigneur, nous acceptons de mourir pour un pécheur. L’amour libère l’ennemi. L’amour aime envers et contre tout, toujours. L’amour est une personne : Jésus, le Christ. L’unique capable de dire : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Le ‘comme’ implique l’oblation. C’est l’amour jusqu’au sang. L’amour est sacrifice. Cet amour est Agape. Absolu.

 

          L’amour est aujourd’hui. Maintenant. Tout instant. Présent continu. Continuelle offrande. L’amour se reçoit et se donne. Il souffre de ne pas savoir se donner autant qu’il s’est reçu. L’amour est réponse, dialogue. Echange. « Je me donne à toi ». Un présent, un cadeau qui ne finit pas.

L’amour est joie. Même blessé, il chante parce qu’il connaît sa source. Elle est trinitaire. Le Père et le Fils s’aiment dans un même Esprit. Ils sont trois unis. Avant le commencement des siècles, la puissance de l’amour inonde ce qui deviendra le temps et l’espace, la création, la vie. Avant tout commencement, il y avait déjà le rire joyeux de Dieu. Le rire amoureux d’un Père pour son Fils. L’amour est créateur. L’amour est immensité. Partout visible, puisque tout est imprégné de la puissance créatrice originelle.

 

          L’amour est parole de paix. Comme celle d’un vieux couple lensois. L’homme disait encore à sa femme : « Je t’aime, mon amour. » Un témoin de la scène pleurait. En silence, il contemplait le tout premier commandement : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Et tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Abbé Xavier

 

 

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 3400 visites