Monsieur Orgue

Homélie du dimanche 23 février 2014 de l'abbé Xavier

Lens, Saint Léger

Le 23.02.14

 

 

Monsieur Orgue

 

 

Hier soir dans l’église, j’ai surpris une conversation étrange. Quand je suis arrivé dans la sacristie, j’ai d’abord entendu l’orgue qui disait : (ORGUE, joyeux).

 

Je me suis demandé à qui il pouvait bien parler pour dire de telles choses. J’ai regardé discrètement et la seule présence que j’ai vue, c’étaient les quelques bougies allumées au fond de l’église. J’ai tendu l’oreille et j’ai fini par comprendre que l’orgue et les bougies, qui se croyaient seuls, étaient en train de se réconcilier. Sans doute aurais-je dû m’en aller, mais les paroles étaient tellement belles que je n’ai pas su m’éloigner. Puisse le Seigneur me pardonner.

 

Je vais essayer de vous restituer le dialogue que j’ai entendu hier.

 

Quand je suis arrivé Monsieur Orgue disait donc : (ORGUE, même morceau)

 

Avouez que c’est beau. Moi, j’en ai eu les larmes aux yeux. Les bougies aussi. J’en ai vu plusieurs qui ont laissé couler de la cire depuis le creux de leurs yeux lumineux. A ce moment-là, une des plus petites a pris la parole. Je voyais que c’était elle qui parlait puisque c’était la seule dont la flamme s’animait. Elle disait : « Comment pouvez-vous nous pardonner tout le mal que nous vous avons fait ? Nos sœurs, et nous-mêmes, depuis des années, nous vous avons malmené. Notre fumée a encrassé vos tuyaux et vous voilà malade, bien abîmé. Vous êtes constamment enrhumé. » Et une autre bougie, plus grande, toute jeune, presque une enfant, de façon un peu effrontée, a demandé : « C’est vrai, Monsieur Orgue, que vous risquez de mourir ? »

 

Monsieur Orgue ne s’est pas offusqué de la question posée par l’enfant lumière. Il lui a doucement répondu : (ORGUE, doux).

 

Là encore la cire a coulé. Voilà que le vieux meuble disait tout son amour. Que toujours il avait voulu servir. Servir en jouant. Que sa mission dans cette église était de faire plaisir aux gens. De leur offrir du beau. De les aider à chanter. Que son plus grand bonheur quand il était plus jeune, quand il avait plus de voix, quand il était plus juste, était de pouvoir répondre aux trompettes et aux flûtes. Souvent à la fin d’un concert les gens se levaient et applaudissaient. Ces applaudissements, et c’était sa joie, étaient pour le maître qui l’employait. Et puis c’est vrai, petit à petit, et notamment – il le disait sans reproche mais avec vérité – par la faute des bougies, mais pas que de leur faute, ses capacités se sont amoindries. Aujourd’hui, les artistes se contentent d’utiliser qu’une partie du clavier. Il disait aussi qu’il ne sert à rien d’en vouloir à quelqu’un en particulier… 

 

« Même pas à nous ? » avait demandé l’enfant bougie. Et Monsieur Orgue avait répondu (ORGUE, très doux).

 

« Vous auriez pu être en colère contre nous ? Nous en vouloir. Vous auriez pu vous venger et nous éteindre en utilisant votre grand souffle ». C’est alors que l’orgue a montré de quoi il était encore capable. Et là j’ai sursauté (ORGUE, pleins jeux).

 

Toutes les flammes des bougies s’étaient animées. Mais malgré le puissant courant d’air, aucune ne s’était éteinte. C’est à croire que Monsieur Orgue avait su justement les impressionner. Il disait sa force et sa majesté. Il aurait pu les vaincre, mais il les aimait.

 

« D’où vous vient cet amour ? » Avait alors demandé la bougie la plus petite, la plus âgée. Et l’orgue lui avait fait cette réponse. (ORGUE, solennel).

 

C’est à ce moment-là que je me suis décidé à vous raconter ce dont j’avais été témoin. Monsieur Orgue venait de dire qu’à force d’écouter l’Evangile le dimanche ou à l’occasion des cérémonies, il s’était converti. Lui aussi voulait aimer ses ennemis. Les aimer au point de ne pas les considérer comme ennemis. Aimer envers et contre tout. Aimer toujours.

 

Rassurez-vous, en vous racontant tout cela, je ne prends pas l’orgue en défaut. N’est-ce pas Monsieur Orgue (ORGUE très court).

 

Ce matin, je suis venu le voir et je lui ai avoué que j’avais écouté sa conversation avec les bougies. Je l’ai aussi dit aux bougies. N’est-ce pas mesdames les bougies ? L’orgue et les bougies m’ont donné l’autorisation de relater leurs échanges. Vous Monsieur Orgue, vous étiez un peu gêné. Mais les bougies, elles, ont insisté.

 

Monsieur Orgue, au nom de tous les paroissiens, comme l’ont fait les bougies, je voudrais vous dire pardon et merci. Pardon, parce que nous ne faisons pas suffisamment attention à vous, à votre état de santé. Il est temps que nous réagissions, sinon, vous risquez l’extinction de voix. Votre soufflerie est fort abîmée. Sans vous nos messes, nos mariages, nos funérailles, nos célébrations ne pourront plus être aussi belles et solennelles. Merci de vouloir nous accompagner encore longtemps. Merci Monsieur Orgue de n’avoir aucune rancune envers nous, de ne pas nous en vouloir d’avoir oublié les soins dont vous aviez besoin depuis quelques années. Merci à vous Monsieur Orgue et merci aux musiciens qui aiment vous faire chanter. Merci aussi aux membres de l’association qui veulent vous sauvegarder.

 

Monsieur Orgue, puis-je terminer en vous demandant une faveur ? Je sollicite aussi l’aide des bougies. Voulez-vous illuminer notre prière par un air magnifique ? Voulez-vous nous inviter une fois encore à suivre Jésus-Christ ? Jouez-nous encore, s’il vous plaît, l’air où il nous est demandé d’aimer nos ennemis… (ORGUE, assez long).

 

Abbé Xavier

et Etienne en Monsieur Orgue.

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2271 visites