En deux mots

Homélie du jour de la Toussaint

 

Lens, le 1er Novembre 2011

Fête de Toussaint

En deux mots !

 

             La langue française permet une multitude de combinaisons. Et de ce fait, on peut jouer avec les mots. Par exemple si vous prenez le mot « Toussaint ». Tout de suite on pense à la fête du 1er novembre. C’est d’ailleurs ce que nous célébrons maintenant. Et dans ce cas, « Toussaint » s’écrit en un mot. Mais si je vous dis : « Ah si seulement, nous étions tous un ! », vous comprenez que le mot s’écrit en deux. Si je résume ma pensée en un mot ou deux, il y a « Toussaint » et « tous un », mais les orthographes, quoique différentes, expriment la même idée ! Car nous ne serons tous saints (en deux mots) que si nous devenons tous un (en deux mots aussi !).

 

                Mais que veut dire être « tous un », en deux mots ? Bizarrement, cela ne veut pas dire que le « tous » se résume à un seul. Un « tous » est forcément pluriel ! Nous – qui, ici n’est qu’un pluriel de majesté, et n’exprime l’idée que d’une seule personne – nous pensons que l’unité se fait à partir de la différence de ceux qui composent le « tous ». Tous sont uns, ou uniques, et l’unité est la somme globale des différences unifiées !

 

         Abandonnons le « nous » qui manque de simplicité. Mais, tous, d’un seul homme, poursuivons la réflexion… Etre « tous un » en deux mots dont le deuxième est en deux lettres, c’est être comme deux êtres qui s’aiment tellement qu’ils ne forment plus qu’un ! La condition de l’unité est donc l’amour. Mais un amour partagé. Quel paradoxe, c’est le partage qui fait l’unité !

 

             Qui plus est, le « tous » exprime bien plus qu’un simple couple qui s’aime. Le « tous », c’est nous tous, les uns et les autres ! Et même, bien plus… Tous les autres aussi ! Quand on dit « Tous un » en deux mots, on est entrain de dire que c’est toute l’humanité qui forme un tout. Attention, pas pour que chacun soit noyé dans le grand tout ! Chacun reste spécifique, mais comme tous accueillent la différence des autres, tous sont égaux, parce que tous reçoivent ce qui manquait à leur plénitude. Parce que quand on est « tous », on est plein ! Pas seulement « plein » au sens de plein de monde… On est plein, c'est-à-dire entiers. S’il manquait quelqu’un, si ce n’est qu’un seul, ce ne serait pas plein. Il y a un manque… dont tout le monde alors se plaint !

 

              Prenons un exemple. « Notre corps forme un tout » Oui, je sais, j’emprunte l’exemple à saint Paul. Si demain, le genou disait : « Je n’ai pas besoin des deux mains », il est fort probable que le lendemain le genou se plaigne de n’avoir pas quatre bras pour tout faire. Le genou comprendrait qu’il s’est mis le doigt dans l’œil ! Il se rendrait vite compte de l’utilité des autres membres. Les mains sont différentes de lui mais il a besoin d’elles. « Elles » ce sont les mains, même si, vu l’état du genou, les ailes faciliteraient le déplacement. Mais là je m’éloigne !

 

             Reprenons l’épaule de pitre, pardon l’épitre de Paul : l’exemple du genou. C’est d’ailleurs le bon exemple, parce que tous, nous savons que l’articulation « je-nous » est très délicate. Passer de « soi » à « tous » est difficile. Ca ne va pas de soi. En tous cas pas pour tous. C’est d’ailleurs là que se joue la sainteté. Rester soi au milieu de tous pour que tous soient heureux de la totale unité de chacun. Mais il faut que tous jouent le jeu !

 

          Et comme c’est une joute de mots, j’ajoute que c’est un jeu de joie. Car, rrrr-rrrr - excusez-moi, je tousse - si tous permettent à chacun d’être soi, personne ne déçoit qui que ce soit, puisque chacun est lui-même, tout joyeux ! C’est tout simple. Soit dit en passant, c’est le dessein de tous que tous aient la joie dans les yeux. Et la joie se voit aussi sur la joue de tous ceux qui sourient.

 

          D’où l’Evangile d’aujourd’hui. Pas de demain. Celui de maintenant. Jésus, le Saint des saints, en fait l’unique, nous dit comment devenir saints comme tous ceux que l’on fête aujourd’hui. Il nous donne le B.A. BA de la béatification. Non pas un sourire béat, voire bêta, mais une belle attitude de pluralisation. Une attention à tous. On ne devient pas saint seul : le « heureux » de Jésus est un pluriel. « Heureux les pauvres, heureux les doux, heureux ceux qui pleurent… ». Seulement, il semblerait que ce pluriel ait déplu. Certains, du haut de leur majesté - pas nous bien sûr, d’autres – se croyaient déjà arrivés. Le « nous » qu’ils employaient n’était qu’un singulier, et ce singulier-là, vous l’avez compris, n’est pas sain ! Il est égoïste et orgueilleux. Il est plein de lui-même. C’est le nœud du problème.

 

           Jésus, par sa sainteté dénoue le nœud. Parce qu’il aime. Il aime chacun, et même tous ! Même ceux qui se croient au dessus de tout. Il aime les grands et les petits, les intelligents et les simples d’esprit. C’est là que réside la sainteté de Jésus (en fait sa vraie majesté).

 

         Car, et cela risque de compliquer le propos, le Christ est le seul qui honnêtement puisse parler en « nous ». Puisqu’en lui, en son sein, existe trois personnes. L’Esprit et lui vont de pair. Le père étant la troisième. Mais ils sont tellement unis qu’ils ne forment qu’un. Comme le couple dont je vous parlais tout à l’heure… Ou comme nous tous, si l’on est saint !

 

            Donc, pour synthétiser, pour le dire en deux mots, il y a « Toussaint » et « tous un ». Les deux sont bons. Pas de maux dans ces mots. Que du bon. Mais les mots sont mêlés. D’où cette dernière explication : on ne devient pas saint tout seul. On le devient grâce à tous, sachant que le seul, le Saint des saints, c’est Jésus, devant qui nous sommes à genoux ; le Christ, dont nous formons le Corps. Pour le dire encore autrement : « En Christ nous sommes tous un », en un seul ou deux mots !

Abbé Xavier

 

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2110 visites