Chose facile

Saint-Léger, le 7 septembre 2014- homélie du 23ème dimanche du temps ordinaire

Saint-Léger, le 7 septembre 2014

23ème dimanche du T.O. – A

 

 

              Quelle est la chose la plus difficile qu’un ou une ami(e) nous ait demandée ? Quel est le sacrifice, la conversion, le changement d’attitude qu’il, ou elle, ait osé nous demander de réaliser, au nom même de la relation vécue avec lui, avec elle ? La confiance de l’ami se mesure à la folie de sa demande. S’il nous demande un petit changement, une bricole, alors il ne croit que peu en nous. S’il nous demande l’impossible, c’est qu’il, ou elle, nous sait capable de cet impossible. Ce n’est donc pas d’abord un reproche qu’il faut entendre dans la critique de l’ami(e), mais la confiance. L’autre nous croit capable de réussir une prouesse que jamais nous n’aurions pensé savoir accomplir. L’autre croit en nous. Aussi, avant de nous fâcher, de nous braquer, de nous fermer parce que notre ami(e) nous a interpellé sur tel ou tel point de notre conduite, réjouissons-nous du regard qu’il, ou elle, pose sur nous. Et à partir de cette approche, étudions en profondeur la parole que nous recevons. Elle n’est pas d’abord un reproche. Elle est une marque d’estime.

 

Il y a deux façons de répondre à une demande… Le refus ou l’acceptation. La fermeture ou l’ouverture. Il n’y a pas d’entre deux. « Que ton oui soit oui, que ton non soit non. »

 

 

       Commençons par le refus.Toutes les raisons sont bonnes pour éviter de faire ce que l’autre vient nous demander. Il est facile de se rétracter derrière les attitudes bien connues de la fuite ou du déni. Vous savez, ce genre de phrase : « Mais de quoi se mêle-t-il celui-là ?... » Ou encore : « Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles… » Il n’y a pas plus sourd que celui (ou celle) qui ne veut pas entendre. Il y a aussi et bien souvent, le manque de confiance en soi. On se dit : « Je n’en suis pas capable. Ce que tu me demandes m’est impossible, laisse-moi tranquille. » Comme une sorte de reniement de soi-même, de ses potentialités. Qu’est ce qui est pire, le fait de ne pas vouloir entendre pour ne pas être dérangé dans une habitude, ne pas être remis en cause sur un agissement, ou bien de ne pas croire en soi ? L’immobilisme est un travers, mais ce défaut n’est rien devant le doute, le manque de confiance en soi. Le doute a des effets pervers. A plus ou moins longue échéance, il nous sclérose. Il nous rapetisse. Il nous fait nous recroqueviller. Nous devenons comme des zombis, des fantômes, l’ombre de nous-mêmes.

 

Mais nous pouvons aussi choisir de dire oui. Nous pouvons accepter la demande et tout faire pour la mettre en œuvre. Oser changer. Oser entendre et changer. Cette démarche est humble et ouvre à la vie. Humble parce qu’elle nécessite de faire appel à Dieu. De nous-mêmes, de nos propres forces, c’est vrai, ce qui nous est demandé est probablement impossible. L’effort est trop grand. Mais « Rien n’est impossible à Dieu ! » En demandant l’aide de l’Esprit Saint, en priant, nous trouvons la force de la conversion. La requête faite par notre ami(e) met alors en lumière une autre présence. Dieu se révèle à l’œuvre dans notre vie. Il nous sauve. Ce ne sont plus nos talents personnels, ou je ne sais quels traits de caractère, qui nous permettent la transformation, mais le Don de Dieu. En acceptant, nous mettons en œuvre notre volonté, nous faisons appel à nos énergies les plus profondes. Le courage est une noble valeur. Il met en lumière la puissance que Dieu met en nous. Bien plus, en osant la conversion, nous découvrons que c’est Lui, Dieu, qui nous fait confiance. L’ami, le frère, est un médiateur. L’autre, par sa juste remarque, nous a renvoyés à l’Esprit de notre baptême. Notre conscience est la demeure de Dieu. Et Dieu croit en nous ; il veut nous faire grandir. Il veut nous faire advenir à notre stature d’hommes et de femmes libres.

Qu’est-ce que la liberté ? La liberté, c’est tout simplement la faculté de dire : « Oui je le veux. »Pour le croyant, et on l’entend lors des ordinations notamment, elle s’accompagne de cette parole : « Avec la grâce de Dieu ». La liberté est une attitude d’intériorité. Le corps peut être en prison, l’âme peut choisir d’être libre. Personne ne peut enfermer l’esprit humain. La volonté, la conscience, est le propre de l’homme. Eprouvée, elle révèle la dignité de la personne humaine, sa force. « Oui, je le veux. »

 

Lorsqu’un proche nous demande de revoir notre position, lorsque discrètement, il ose une réflexion sur notre péché, car il s’agit d’un péché, nous pouvons faire appel à un autre péché, plus grand, l’orgueil. Dire que l’on n’est pas d’accord, que l’on a raison. On peut se fermer, se rétracter. Au final, c’est la mort parce que l’on croyait avoir la vérité absolue. Plutôt que la lumière, nous sommes dans les ténèbres. Or la vérité est en Christ. « Je suis le chemin, la vérité et la vie » Voilà ce que nous dit Jésus. La vérité est au-delà de soi, au-delà de nous. Le frère en a une part lui aussi. La communauté des frères une plus grande part encore. « Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, dit Jésus, je suis au milieu d’eux. » La vérité se reçoit en Eglise. Ecoutons donc nos frères qui nous parlent ! Cette écoute mène à la vie. A une plus grande, une plus haute connaissance de Dieu qui est amour et humilité, amour en humilité.

 

Il ne s’agit pas d’être masochiste et nous devrions oser quelquefois cette demande : « Y aurait-il, dans la famille, dans ce bureau, dans cette assemblée, dans cette association, un frère, un véritable ami, qui me croie capable d’être meilleur ? Quelqu’un pourrait-il me dire ce que je dois corriger de mon attitude ? Quelqu’un pourrait-il me dire où est mon péché que je ne vois pas en moi ? Y a-t-il un ami qui croit suffisamment en moi pour oser une parole exigeante sur moi ? »

 

Jésus, l’ami, le fait avec ses disciples : « Vous êtes mes amis. » Et il leur dit : « Que ta main droite ignore ce que donne ta main gauche. » Quelle exigence ! « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi. » « Veillez,… pardonnez soixante-dix-sept fois sept fois… ». Et puis : « Aimez vos ennemis… » Jésus n’est pas un donneur de leçon. Il est le Fils de Dieu. Il sait de quoi le cœur de l’homme est capable. L’homme est capable de Dieu, « Capax Dei » dit Saint Thomas d’Aquin. « Tu as le choix entre la vie et la mort. » C’est dans le livre du Deutéronome. « Choisis la vie ! » Jésus, Parole de Dieu, Verbe incarné, demande à ses amis d’aller au bout d’eux-mêmes, de mettre en pratique les commandements, non pas pour obéir à une loi qui les sécuriserait, mais pour découvrir combien Dieu se rend présent à leur vie. Combien, en osant le bien, en osant le service, la gratuité, l’amour, ils sont des êtres divinisés.

 

En leur demandant d’être généreux, d’être saints, Jésus montre à ses disciples que son Père les espère à ses côtés. « La terre était promise à vos ancêtres qui ont quitté l’esclavage d’Egypte. Ils se sont surpassés en faisant confiance à Moïse et en traversant le désert. Le ciel vous est promis, à vous qui osez traverser l’épreuve du don de vous-mêmes. N’ayez pas peur de la passion et de la croix. Croyez que moi, le Christ, je vous ai déjà fait traverser la mort. Croyez en une vie plus grande, celle que je vous offre. Osez vous convertir à mon amour. Croyez en vous. Croyez en ma Parole que je vous donne par l’intermédiaire de mon Eglise, celle assemblée, de deux, de trois, de plus, de celle de tous ceux qui sont là en mon nom. N’ayez pas peur, je suis avec vous. Ayez confiance. »

 

Mes amis, quelle est la chose la plus difficile qu’un ami nous ait demandée ? La chose la plus difficile ? Peut-être oser croire, non sans humour, que grâce à Lui, grâce à Dieu, la conversion devient facile !

 

Abbé Xavier

Article publié par Chantal Erouart - • Publié • 2690 visites