Quand les mots nous manquent

Homélie du 15 novembre 2015

images0YY7MTDJ images0YY7MTDJ  Quand les mots nous manquent

 

Les mots que je vais dire seront en-deçà de nos sentiments. Je ne désire pas rajouter de l’émotion aux événements. Nous sommes suffisamment choqués, la France et le monde assez meurtris. Vendredi soir à Paris, la semaine dernière à Beyrouth, et à longueur de temps au Nigéria ou dans les pays d’Afrique du Nord… Tant de violence, tant de folie. La barbarie… Je n’ai pas les mots. Personne ne les a. Ils n’existent pas, parce que ces horreurs ne font pas partie du langage humain. Pourtant, je voudrais, qu’ensemble, nous exprimions quelque chose. Un au-delà de parole. Je voudrais, qu’ensemble, nous donnions une réponse sublime, inattendue et puissante.

 

Avant cela, il nous faut nous recueillir. Faire silence. Prions mes amis.

 

Prions pour les victimes. Prions pour leurs familles et leurs proches. Prions pour celles et ceux qui pleurent un être aimé, perdu soudainement. Prions pour que les blessés soient bien soignés et accompagnés. Prions pour que les médecins, les infirmiers, les psychologues, tous les professionnels de la santé soient éclairés dans les soins qu’ils ont à donner. Que la fatigue ne les atteigne pas. Qu’ils fassent des miracles. Prions pour toutes celles et ceux qui ont à assurer la sécurité de nos pays. Prions pour les responsables de tous les pays. Pour qu’ils trouvent les chemins de la justice. Prions pour notre président. Devant de tels actes, des décisions sont à prendre. Prions pour que son immense solitude soit comblée par des messages de réconfort, et des conseils avisés. Prions pour nous-mêmes. Que nous ne nous laissions pas atteindre par la spirale de la haine et de la vengeance. Pour que nous ne fassions pas d’amalgame : l’islamisme n’a rien à voir avec la foi musulmane qui, elle, prône la tolérance et la paix. Que notre colère et notre peine se transforment en un plus grand élan de solidarité envers celles et ceux qui souffrent de tous les conflits, de toutes les horreurs. Et prions aussi pour les bourreaux. Les ennemis. Pour le salut de leur âme. Que Dieu pose sur eux son regard de miséricorde.

 

Prions et agissons. Agissons dans le calme. Sans céder à la panique. Et sans laisser place au moindre doute : notre liberté, jamais, ne se laissera piétiner. Nous sommes un peuple libre et fort. Nous croyons aux valeurs de la France et aux droits de l’homme. Les armes, aussi effrayantes soient-elles, ne sauront pas éteindre notre espérance. Au contraire, le mal commis par des fous fanatiques, nous invite à nous lever et à oser la réponse de la paix. Il ne s’agit pas d’être de doux rêveurs. Nous savons que l’adversaire est capable d’horreur. Il reproduira probablement d’autres actes aussi et peut-être plus odieux encore. Et nous devons nous défendre avec les moyens appropriés. Mais, au-delà de la légitime défense, nous aurons aussi pour réponse de montrer combien notre civilisation croit en l’homme. Nous sommes capables de fraternité. Notre réponse sera l’amour !

 

Encore une fois, il ne s’agit pas d’être des « béni-oui-oui », des naïfs déconnectés du réel. La violence existe. Elle tue. Et elle tue à nos portes, aveuglément. Nous sommes, nous aussi, habités de violence. Ensemble, nous allons orienter toutes nos énergies vers le bien, le beau et le bon. Ensemble, nous allons faire grandir la fraternité. Non la haine et la vengeance, mais la justice et la paix.

 

Comment ? En commençant par montrer aux fanatiques que nous n’avons pas peur. Que nous allons continuer à vivre. Bien sûr nous allons respecter le temps du deuil. Mais ensuite nous allons montrer que nous sommes un peuple joyeux qui sait rire et chanter. Que nous sommes des êtres libres. Que nous croyons à la nécessaire diversité des cultures, des religions, des partis politiques… Peut-être y aura-t-il une marche ou un événement pour exprimer l’unité nationale. Nous y participerons, soit physiquement, soit symboliquement. On veut nous diviser, nous allons nous unir. On veut nous faire peur, nous allons montrer que nous sommes des géants.

 

Agir, c’est aussi agir personnellement. Prendre l’engagement, en tous lieux, en toutes occasions, de faire le bien. Choisir le bien. Nous rééduquer mutuellement à la gentillesse. C’en est fini des manques de respect. Lorsque nous entrerons dans les maisons, nous ferons attention à bien essuyer nos pieds, par délicatesse pour celle ou celui qui vient de tout nettoyer. L’amour commence par les petites choses, les petits riens… Je n’ai pas envie de tomber dans la platitude d’un discours moral. Je voudrais seulement faire entendre que la paix du monde passe d’abord par nos actes quotidiens. Que le mal n’aura jamais le dernier mot, mais il faut aussi qu’en tout moment le bien ait le premier. Nous voulons toujours choisir le chemin qui fait grandir l’autre et nous-mêmes.

 

Qu’est-ce que c’est le Royaume de Dieu ? Jésus semble dire qu’il viendra après que le monde aura connu de terribles épreuves. C’était aussi le sens de la lecture du livre du prophète Daniel. Les attentats, les guerres, et les autres fléaux dus à l’égoïsme et à l’orgueil des hommes sont des épreuves terrifiantes. Est-ce à dire que les temps sont accomplis, que le Salut approche ? Je me méfie de ce genre de raccourci que les charlatans, les profiteurs de misère, savent si bien utiliser. C’est si facile de surfer sur les peurs pour se faire des adeptes. Je ne sais si toutes les catastrophes vécues dernièrement sont des signes avant-coureurs annonçant le retour du Christ. Nul ne le sait. Et pour tout dire, je ne le pense pas…

 

Le Royaume de Dieu est parmi nous depuis deux mille ans. Depuis que le Verbe, la Parole de Dieu, s’est incarné. Depuis que Dieu a parlé à travers le corps du Christ. Un corps livré. Mis en croix. Tué. Enseveli. Ressuscité. Depuis l’avènement du Christ, nous avons les moyens de répondre à la violence par l’amour. Dieu a mis en notre humanité la toute-puissance de sa Grâce. Nous sommes capables d’aimer envers et contre tout. Nous avons, en nous, les moyens de nous défendre, et ce moyen c’est l’amour révélé en Christ. Nous n’avons pas les mots, mais le Christ est le Verbe. Il nous indique le chemin des actes à poser.

 

Que nous dit-il et que fait-il ? « Si l’on te frappe la joue droite, tends aussi l’autre ». Mes amis, ne soyons pas sots. Cette parole de Jésus n’est évidemment pas une invitation à chercher d’autres malheurs. Il ne s’agit pas de se laisser faire. Et puis ce genre de parole est si facile à dire lorsqu’aucun membre de sa famille n’a été victime des atrocités de vendredi. Jésus, lui, peut se permettre ces mots parce qu’il traverse la souffrance qu’on lui inflige. Il est pourtant innocent. Et s’il nous demande d’accueillir ces mots, c’est pour que nous ne nous enfermions pas dans la spirale de la violence. Lorsque le Christ tend l’autre joue, il montre à ses bourreaux qu’ils peuvent, malgré tout, aussi y poser un baiser. Le Christ ne réduit jamais l’homme à la violence qu’il peut montrer, il lui signifie qu’il est capable d’autre chose, de meilleur, de bonté. Autrement dit, le Christ, le Fils de Dieu, espère l’homme. Le Royaume qu’il annonce, et qu’il montre en sa personne, est cette Espérance que Dieu porte sur sa créature. Le mal n’anéantira pas l’homme. L’homme est plus grand que la violence qui peut le traverser. Le sacrifice du Christ en est l’unique et absolu témoignage.

 

Mes amis, enfants de Dieu, frères et sœurs du Christ, nous qui sommes marqués du sceau de l’Esprit Saint, osons la paix. Osons la prière et les gestes qui font grandir la paix, en tous lieux. Dans nos familles, dans nos écoles, dans nos universités, dans nos quartiers, dans nos communautés... Aujourd’hui, c’est le dimanche du Secours Catholique. Avec ce mouvement, nous pouvons montrer notre solidarité envers les personnes blessées par la vie. Merci aux bénévoles de ce service de montrer que le chemin de l’amitié et de la confiance est toujours possible. Sans doute, pour eux et pour chacun, faut-il du courage aujourd’hui pour ne pas céder au désespoir ou à la colère. Choisissons la vie ! Choisissons Dieu qui choisit la vie. Certes, il faut une grande foi en Dieu pour croire que Dieu ne cesse pas de croire en l’homme. Et il faut une grande foi en l’homme pour oser lui révéler que son destin sera toujours la fraternité. Cette foi nous allons la proclamer ensemble dans un instant, et nous allons en vivre !

 

Les mots sont fragiles. Et ils me manquent. Comme ils manquent à chacun. Et je demande pardon pour ce discours qui ne veut pas en être un. Avec vous, je voudrais tant qu’il n’y ait plus jamais de telles horreurs. Avec vous, je demande pardon à Dieu pour nos folies. Avec vous, je le prie, et je crois qu’il fera de chacun de nous des prophètes de la paix. Pour cela, je demande à Dieu qu’il nous bénisse et nous sanctifie !

 

Abbé Xavier