Que cela est beau!

Homélie du 3ème dimanche de Pâques à Saint Léger

Lens, église Saint-Léger, le 10 avril 2016

3ème dimanche de Pâques

 

 

« Que cela est beau ! ».

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J’entends, dans les mots de Pierre « Je m’en vais à la pêche », une tristesse. J’entends : « Il faut bien s’occuper. Il faut bien faire quelque chose, alors, je m’en vais à la pêche. » Et j’entends dans la réaction de ses frères, tout près : « Nous allons avec toi » comme une sorte de protection. Peut-être ont-ils peur que cet homme allant en mer ne fasse une bêtise, tant son cœur est abîmé. Pierre est encore sans doute à cet instant dans le remords, la tristesse, l’amertume d’une trahison. Jésus l’avait prévenu mais il se croyait plus fort. Alors grande est la déception. Déception de lui-même. Et puis comment vivre au cœur du groupe, lorsque devant tous on a dit « Non Seigneur, je ne t’abandonnerai pas » et que tous savent qu’on a menti. Comment porter la honte ? Ô bien sûr, personne ne peut lui faire la morale puisque tous se sont sauvés, mis à part Jean.

 

Mais que c’est dur de porter l’échec ! Et puis aussi cette impuissance. Une impuissance à la fois extérieure, face aux pouvoirs religieux et militaire, mais aussi impuissance intérieure : les peurs, les limites personnelles, la fuite… Alors oui, il s’en va pêcher, mais même ça il ne sait plus le faire. Le cœur n’y est plus. Il n’y croit plus, c’est la nuit. Perte de confiance. Perte de confiance par rapport aux institutions, aux dirigeants. Par rapport même peut-être aux collègues de travail : après tout, si cette pêche est infructueuse, peut-être est-ce aussi de leur faute à eux. Et puis perte de confiance par rapport à soi-même : je suis un traître, un menteur. Peut-être encore perte de confiance par rapport à Dieu. Jésus, celui qui disait être le Fils de Dieu, Fils de l’Eternel, n’est plus visible.

 

Crise des institutions, de la justice, des pouvoirs politiques, des responsables religieux. Perte de confiance face aux luttes de pouvoir, dans le travail, … tous ces lieux de mesquinerie. Perte de confiance en soi. La barque de nos vies tremble aussi quelquefois. Des scandales de blanchiment d’argent, une dimension internationale, des scandales de pédophilie dans un diocèse, des violences innommables sur des jeunes filles africaines perpétrées par des soldats de la paix. A Taizé d’où je reviens, lieu de paix et de prière magnifique, on contrôle le sac d’un prêtre que l’on vient de voir célébrer la messe. Oui la sécurité bien sûr, mais la sécurité poussée à son paroxysme c’est de la bêtise. Tout le monde suspecte tout le monde. Où en est-on ? Ce matin, un message SMS d’une amie : « Je viens de faire le bilan de ces treize dernières années, rien de très fameux. » Une sorte d’amertume, il manque quelque chose.

 

Mes amis, beaucoup ont perdu la joie de vivre, le goût de vivre, le désir de vivre. Aussi pour des raisons de santé. Beaucoup sont trop abîmés par des événements tellement douloureux, maisth5G1GO78A th5G1GO78A   aussi par le doute ambiant. C’est grave. Les maîtres du soupçon sont de retour. Dans Harry Potter, on les appelle « les détracteurs », des êtres sombres qui puisent dans la conscience des hommes les énergies les meilleures. Une sorte d’ombre qui passe et qui désespère, qui ne montre que l’obscurité ambiante. Alors tout le monde y va de sa parole : « C’est vrai, c’est dur. » « On n’y arrivera pas. » « C’est la crise. » Etc…

 

« Jetez le filet à droite. » Jetez le filet du côté du cœur percé du Christ. Jetez le filet. Osez encore. Bien sûr le sentiment d’être à bout de force mais… osez jeter le filet. Croyez en une parole. Et les disciples, ensemble, jettent le filet. Le résultat, on le connaît, on vient de l’entendre : une pêche miraculeuse, comme celle vécue quelques mois plus tôt, avec Jésus vivant. Quelques mois plus tôt, quand Pierre avait dit à Jésus de se reculer parce qu’il ne se sentait pas digne d’être proche de lui. (Lc 5, 8) Et Jésus lui avait dit : « Maintenant tu seras pêcheur d’hommes. » (Lc 5, 10)  Alors Pierre se souvient et Pierre plonge. Il plonge, non pour en finir, mais pour recommencer. Il renouvelle son baptême. Vous vous souvenez, cette expérience qu’il avait déjà vécue, là aussi, sur le lac, une nuit de tempête. Jésus avait rejoint les disciples en marchant sur l’eau et Pierre avait demandé à Jésus de lui ordonner de venir jusqu’à lui. Et puis à un moment, il avait douté, il avait commencé à s’enfoncer. Il avait douté et il s’était enfoncé. Et il avait crié : « Seigneur, sauve-moi ! » et Jésus l’avait tiré hors de l’eau. (Mt 14, 25-31) C’était comme son baptême. Cette fois, Pierre plonge et on pourrait dire que c’est comme sa confirmation. Il renouvelle sa foi. Il se rapproche du Christ. Il court, pourrait-on dire. Il court vers Jésus. Et il va redire par trois fois combien il aime le Christ. Autant de fois qu’il fut menteur.

 

Lorsque les temps sont difficiles, il nous faut, non par morale, non par devoir, mais parce que c’est notre foi, il nous faut plonger davantage en Jésus. Se rapprocher de lui. L’aimer plus intensément. Lire sa Parole, la goûter, le prier en silence, comme ces 1500 jeunes à Taizé qui pendant 20 minutes prient. On n’entend rien. Ils prient et ils aiment. Et pouvoir dire à Jésus, encore et encore, dans l’extase : « Mon Seigneur je t’aime. » Hier soir, nous avons entendu une conférence à propos de l’extase : Berlioz et l’extase. Ô il ne s’agit pas de produire par soi-même une extase pour dire « J’ai vu Dieu ». Ce n’est pas cela l’extase, nous expliquait-on hier. L’extase, c’est se laisser saisir par la grâce. Et demander encore et encore, et encore éternellement, d’être touché par l’amour pour donner l’amour. Recevoir l’amour. Non pas fuir, mais accueillir le regard du Christ sur notre parcours et nous laisser aimer. Pour donner la beauté de l’amour. Témoigner de cet amour. Œuvrer. Changer le monde là où nous sommes, chacun, en osant, grâce à Jésus Sauveur, une parole, un geste, le petit rien de la charité, toujours possible, qui change tout, qui transforme le regard. Reconstruire, redonner confiance. Etre fidèle dans les choses les plus humbles, les plus petites. Montrer le beau, le possible. Etre fidèle pour montrer à chacun combien il est beau, combien sa vie a du sens. Combien sans lui, sans elle, le monde serait bien plus abîmé. Que lui seul peut tout transformer. Etre proche de tous, du plus lointain et du plus proche.

 

Etre proche des 153 personnes qui nous attendent. 153, c’est étonnant ce nombre ! 153 poissons. Vous le savez sans doute, c’est le nombre d’espèces connues à l’époque de l’écriture de l’Evangile. Autant dire que toutes les espèces, toute l’humanité sont dans le filet de Pierre. Toute l’humanité attend le geste de fraternité que nous sommes capables de poser, pour faire lever la lumière, lever le jour. Etre pêcheur d’hommes aujourd’hui, c’est réenchanter le monde, montrer la vie, donner la vie, oser la vie. Sans naïveté.

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Pierre n’est pas naïf. Pierre n’est plus naïf. Il connaît maintenant le monde extérieur, les institutions et les fragilités, tous les pouvoirs, les violences. Il sait tout cela. Il connaît aussi le monde intérieur, le sien, son âme. Tout n’est pas net. Il existe la peur et le mensonge. Mais si Pierre n’est pas naïf, n’est plus naïf, Pierre est touché, infiniment touché par l’amour qu’il proclame. Et à la suite de Pierre, sans naïveté, nous voulons dire que oui, ce monde créé et recréé est beau, est bon. Que les fleurs, les poissons, la vie et surtout les hommes et les femmes, les enfants, les vieillards, les malades, tous, tout ce monde, Dieu dit que cela est beau. « Que cela est beau ! ».

 

Amen.

 

Abbé Xavier