Adieu la mie

Eglise Saint-Léger Fête du Saint-Sacrement

 

 

Adieu la mie !

 

A la fin du repas, au moment de débarrasser, il arrive que l’on trouve dans une assiette, des restes de pain. Ou plus précisément des croûtes de pain. L’enfant, qui était assis à cette place, s’est régalé avec la mie et a laissé de côté l’enveloppe brune trop cuite ou trop dure à son goût. Alors il reste un trou ! Le meilleur était au centre, les doigts gourmands de l’enfant l’ont vite compris. Adieu la mie !

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Les parents auront sans doute une parole à dire à leur enfant pour que cela ne se reproduise plus. Je leur suggère de transformer l’événement en petite catéchèse...

 

Regardons ensemble ce reste de croûte. De fait, le trou est régulier. La mie a été minutieusement rongée. Le cercle est parfait. Mais passons sur cet art du grignotage. La mie, le cœur du pain a disparu, parce que c’était la partie la plus tendre. L’enfant ne s’y est pas trompé. Les petites boules de pain qu’il a roulées entre ses doigts étaient agréables au palais. Si douces. Pas besoin de les mâcher. L’enfant n’a pris que le meilleur.

 

Jésus dit : « Je suis le pain vivant ». Jésus n’est-il que la mie ? Evidemment, il est l’ami. Il est le tendre ami, et comme il est bon de l’attendre, de l’entendre. Mais il est bien plus que la mie. Il est le pain. Le pain tout entier, certains diraient : le pain complet. Jésus n’est pas que la mie, il est la croûte aussi. Et lorsque l’on communie à lui, lorsque l’on reçoit son Eucharistie, on mange son cœur, sa tendresse, mais aussi sa chair, son enveloppe, son écorce, sa robustesse.

 

Nous sommes toujours attirés par la douceur de Jésus. Heureusement d’ailleurs. Nous aimons ses paroles de paix, ses gestes d’empathie. Nous adhérons totalement à la mie savoureuse de ses regards fraternels. Nous essayons de suivre sa route. Mais il arrive que nous en restions à la mi-chemin, que nous laissions la croûte.

 

Le visage de Jésus est brûlé de soleil. Le Christ a séjourné quarante jours au désert. Il s’est endurci en se battant contre le doucereux serpent. Sous la chaleur des tentations, le corps du Christ s’est recouvert d’une protection, une sorte de peau, comme une nouvelle manne, suffisamment rude pour empêcher le démon de salir la mie blanche de son cœur. Au désert, dans la lutte contre le mal, le Christ s’est endurci sans pour autant devenir mauvais ou violent.

Quand nous mangeons son corps, nous mangeons et son cœur et sa chair, et la mie et la croûte. Nous ne laissons rien dans l’assiette. Nous nous fortifions pour résister aux assauts de l’ennemi. Le diable trouve toujours le moyen de nous éloigner de la volonté de Dieu. L’Eucharistie nous défend du tentateur parce qu’elle pose en nous et sur nous une carapace, une armure, une seconde peau que le démon ne peut percer.

 

Cette seconde peau est le courage. Le courage de se battre, de ne pas mâcher ses mots. Sans violence et sans haine, oser prendre la parole, défendre l’opprimé, réagir devant les injustices. Ne pas rester silencieux. La croûte, c’est savoir interpeler ses proches lorsqu’une personne est en détresse. La croûte, c’est crier avec le défenseur des droits républicains que près d’ici, à Calais, la situation des réfugiés est calamiteuse. La croûte, c’est la mise en pratique de ces paroles : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! » (Mt 25, 35-36) La croûte, aujourd’hui, c’est d’aller voter et de s’engager dans les réseaux associatifs ou politiques. Ce n’est pas l’affaire des autres. Les chrétiens ne peuvent pas être les amis du monde s’ils ne sont que moelleux ! Il nous faut dire la consistance de l’Evangile.

 

Recevoir la communion, ce n’est pas seulement prendre entre ses doigts les sourires apaisants de l’ami Jésus pour en faire de petites boulettes relativement faciles à digérer. Communier au corps du Christ, c’est manger le tout de sa Parole pour en témoigner aujourd’hui. Devenir une parole de chair. Ainsi nos mots, mais aussi nos corps, nos façons de regarder, de toucher, d’être, montrent le Christ présent au milieu du monde. Cette présence amicale n’est pas mielleuse ou doucereuse, elle est parfois rude parce que brûlée par le soleil de l’amour divin.

 

Le tentateur est malin. Il saura toujours nous donner bonne conscience. Sans nous culpabiliser outre mesure, il nous faut discerner les appels de l’Evangile. Quelle est donc la croûte que nous avons refusé de manger ? Quelle est cette part plus dure de la mission que nous avons laissée de côté ? Quel effort, quelle conversion allons-nous réaliser pour être mieux dans notre assiette ? Tout est là... Il s’agit d’être bien dans notre peau ! Que la vie, qui nous est si chère soit, en corps, nourrie d’essentiel. Car l’essentiel n’est pas d’abord le pain de blé, mais le pain du sens !

 

Lorsque Jésus raconte la parabole de l’enfant revenant vers son père, il insiste pour dire : « Personne ne lui donnait rien à manger » (Lc15, 16). Personne ne se soucie de lui. Il n’a plus d’existence. Sa vie n’a plus de sens puisqu’il ne compte pour personne. Il retrouve la vie en revenant vers son père. Il est prêt à devenir l’un de ses serviteurs : « Père, je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers. » (Lc 15, 19). Il est prêt à se donner. La faim qu’il a éprouvée a mis en lumière ce qu’il devait devenir : un humble serviteur du père. Et c’est à cet instant que le père le réhabilite comme fils : « Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le. Mettez-lui un anneau au doigt. » (Lc 15, 22) L’enfant mourant de faim, qui aurait aimé manger les gousses que mangeaient les porcs, participe à un festin. Il goûte un pain nouveau. Et croyez bien qu’il n’en perd pas une miette. Devenu fils, il se régale de la mie de tendresse paternelle. Humble ouvrier, il se régale aussi de la croûte rugueuse du service courageux !

 

En ce jour de fête du Saint-Sacrement, et de fête des pères, nous demandons à Dieu que les pères, tous les pères, soient tendres et courageux. Nous lui demandons que nous tous, ses enfants, nous soyons doux et généreux. Que, de son fils Jésus, nous soyons l’ami... quoiqu’il en croûte !

 

Amen.

Abbé Xavier