En eau profonde
Homélie de la messe de la santé à Notre Dame de Boulogne le 6 février 2016
Notre-Dame de Boulogne
Messe de la santé
Samedi 6 février 2016
En eau profonde
« Nous avons peiné toute la nuit. » Nous avons entendu cette phrase dans le chapeau des lectures. « Nous avons peiné toute la nuit. ». Mais la nuit dont nous allons parler maintenant, n’est pas une nuit qui commence à 18 heures en hiver et qui se finit à 8 heures le matin, qui ne dure finalement qu’une quinzaine d’heures. La nuit dont nous allons parler, est une nuit dont il vaudrait mieux que ce soit un autre que moi qui en parle. C’est une nuit qui, pour certains, peut durer quelques jours, souvent quelques mois, parfois une vie entière. Cette nuit est terriblement noire quelquefois. Terriblement ténébreuse. Cette nuit, vous l’avez compris, c’est la nuit des douleurs dues à la maladie, quelle que soit la maladie. Physique ou psychique. Il y a des corps qui se tordent de douleur à longueur de temps. Et il y a des personnes autour de ces corps, de ces personnes malades, qui aident et qui soignent. Il y a des gens qui peinent à cause de la maladie qui les ronge, et puis il y a des gens qui peinent pour soigner cette maladie.
« Nous avons peiné toute la nuit. » Nous avons peiné depuis si longtemps. Et nous peinons encore. Aujourd’hui, nous portons dans notre prière les personnes malades. Tout à l’heure à la fin de la messe, nous donnerons les custodes qui renferment le Corps du Christ pour que cette Eucharistie soit portée aux malades, et que, de fait, celles et ceux qui ne peuvent pas être avec nous à cause de la vieillesse, à cause du handicap, puissent être présents, profondément présents, grâce à la communion, grâce à l’amour qui nous rassemble. Oui, aujourd’hui et demain aussi, et chaque jour, déjà depuis longtemps, et encore pour longtemps, toujours, nous portons dans notre prière celles et ceux qui sont dans la nuit de la maladie.
Mais ont-ils, les malades et les soignants, et nous, avons-nous, tous peiné sans rien prendre ? Est-ce que depuis tant de temps, depuis tant de souffrance personnelle ou infligée aux autres à cause de notre état, est-ce qu’au bout du compte nous sommes bredouilles ? Autrement dit, est-ce que notre vie n’a aucun sens ? Est-ce que cette maladie, cette épreuve, cette souffrance, n’a pas de sens ? Je n’ai absolument pas envie de dire que la souffrance en tant que telle est souhaitée et souhaitable pour vivre notre rédemption. Il y a eu, à une époque dans l’Eglise, un discours sur la souffrance rédemptrice mais un discours raccourci peut-être, pensant qu’il fallait souffrir pour mériter son ciel. Heureusement l’Eglise a cheminé et son discours est bien différent sur la souffrance. La souffrance est là quelquefois, la maladie est là et personne évidemment ne l’a souhaitée. La souffrance et la douleur se combattent. Il faut chercher à les apaiser. Personne n’a souhaité passer sa vie dans un fauteuil, personne n’a souhaité être branché de toutes parts, recevoir des piqûres, vomir…
Mais dans ce qui est vécu là, dans ces moments de noirceur, nous pouvons oser une parole. Avec prudence et respect, l’Eglise ose une parole, parce qu’elle croit au Christ ressuscité. Que fait Jésus ? Jésus, au début de ce passage d’Evangile, est sur le bord du lac et il enseigne. Il ose une première parole à quelques-uns venus pour l’écouter. Et puis il ose une parole à ce pêcheur qui n’a rien demandé à personne. Qui n’a peut-être qu’un seul souhait, celui de se reposer après cette nuit où justement il ne s’est rien passé. Une nuit sans sommeil. Une nuit pour rien, si ce n’est l’angoisse d’un lendemain encore plus difficile. Et Jésus ose dire à celui qui est fatigué : « Prête-moi ta barque. Laisse-moi monter dans ce qui est ton lieu de vie. » Si on faisait le parallèle, on pourrait comprendre que Jésus est en train de dire à une personne malade, laisse-moi me coucher à côté de toi dans le lit, laisse-moi me mettre là, sous la grande voile de tes draps, laisse-moi partager la sueur. Et puis « avance au large ».
« Avance au large… » Pour Pierre, il s’agit de donner quelques coups de rames, peut-être tendre la voile avant de jeter le filet, d’aller en effet un peu plus loin sur les flots pour réaliser cette pêche extraordinaire. Mais pour le malade qui n’a que son fauteuil, ou son lit, ou sa télé, ou ses quatre murs desquels il ne peut pas sortir, que veut dire cette phrase ? Jésus, je crois, invite le malade à avancer avec lui. L’avancée en eau profonde consiste en un acte d’abandon plus grand encore. Croire, ressentir, que Jésus prend sur lui, tout ce que le malade subit d’agression sur son corps, ou dans son esprit. Le Christ est comme une éponge, il intègre tout. Oh me direz-vous, la personne est toujours en souffrance. Oui c’est vrai. Le dos fait toujours aussi mal. Mais le Christ assume et transforme. Parce que nous croyons à la mort et à la résurrection du Christ, nous osons dire que tous les maux, toutes ces souffrances, sont anéantis par l’amour. Parce que si la souffrance en tant que telle n’a aucun sens, la manière de la traverser en Christ, avec le Christ, par le Christ, dans l’amour, a un sens. Là nous allons bien plus profond dans le sens de la vie. L’eau profonde, c’est l’amour.
La personne malade, la personne dont la santé est abîmée, la personne cassée dans son psychisme, est d’abord un être aimé et capable d’aimer. C’est pourquoi la souffrance n’aura pas le dernier mot. JAMAIS. La mort, qui pourtant semble inéluctable dans quelques semaines, dans quelques mois, elle non plus n’aura pas le dernier mot. Nous pourrions penser qu’il ne sert à rien de nous battre puisque de toute façon cela arrivera. Mais non ! Si la mort se présente un jour, l’amour qui aura été vécu, envers et contre tout, sera bien plus fort que la mort. Regardons le Christ : bien des fois, il est confronté à la maladie, la maladie corporelle, spirituelle. Lui-même est confronté à la souffrance : les blessures dues à la torture de la croix, mais aussi les injures contre lui. Mais aussi, et surtout, toutes les maladies du monde : le mensonge, la calomnie, la violence… Le Christ va mourir, c’est vrai, mais il ressuscite. Et puisque tout ce qu’il a traversé, il l’a vécu dans l’amour, sans jamais culpabiliser les autres, sans jamais chercher à faire porter la faute ou la responsabilité sur Dieu, ou je ne sais qui. Tout ce chemin d’amour, au-delà des souffrances, prend un sens car l’amour glorifie Dieu. Christ traverse tout en aimant. Et lorsqu’il accompagne les malades aujourd’hui, lorsqu’il avance en eau profonde avec chacun, il permet à toutes et tous d’aimer, de manière surhumaine, divinement. « L’amour ne passera jamais. »
Les apôtres découvrant comment le Christ donne à profusion vont témoigner de lui, vont le suivre. Grâce à leur témoignage, les personnes malades que nous côtoyons, que nous sommes peut-être, et les personnels soignants que nous sommes sans doute aussi pour tel ou tel parent, tous nous saisissons combien Dieu se fait proche et nous croyons que nous pouvons encore aller plus loin. Nous pouvons, grâce à Dieu, avancer plus profondément dans les eaux miraculeuses de l’amour.
Amen.
Abbé Xavier