Fortuits

homélie à Saint Léger du 7ème dimanche Année A

le pardon le pardon  Je vous propose trois exemples, sachant que toute ressemblance avec des événements existants ou ayant existé est purement fortuite. Je vous demande donc d’imaginer des scènes qui deviendraient les vôtres.

 

Premier exemple :

 

Sans vous avoir prévenu, votre voisin a monté un mur de clôture entre vos deux jardins. Déjà vous auriez préféré qu’il plante des thuyas parce que ce mur de parpaings est vraiment laid et montre combien il désire marquer la séparation entre lui et vous. Intérieurement vous vous dites que décidément les murs sont à la mode : en 2015, la Hongrie en bâtissait un le long de sa frontière avec la Croatie, aux Etats-Unis, le nouveau président veut en construire un pour empêcher l’immigration Mexicaine. Des murs aux frontières, il y en a une quarantaine dans le monde aujourd’hui : entre l’Inde et le Bengladesh, entre Israël et la Palestine… Quand ils seront tous construits, on comptera 39692 km de murs, de quoi séparer le monde en deux ou d’emmurer 13 fois la France… Bref, vous vous dites que votre voisin est en train de commencer le 39693ème kilomètre et que c’est bien triste. Mais le pire c’est qu’il s’est permis d’empiéter sur votre propriété. Selon vous, le cadastre est formel, les fondations sont sur votre terrain. Vous essayez de discuter mais le voisin ne veut rien entendre. Vous commencez alors une action en justice et là… Procédures, dossiers, constations, rendez-vous, avocats, nouveau dossier, changement d’avocat, etc. Ça n’en finit pas. Déjà quatre ans et rien ne bouge. Sachant que bien sûr, au cours des quatre années, votre voisin vous a traité de menteur et vous a laissé quelques messages dans votre boite aux lettres à propos des poubelles que vous sortez trop tôt, selon lui. Vraiment, celui-là est sans vergogne. Plutôt détestable. C’est ce que vous vous disiez encore ce matin en passant devant chez lui pour venir à la messe. Et voilà que l’Evangile vous annonce tout de go : « Si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau ! » (Mt 5, 40)

 

Deuxième exemple :

 

Vous terminez des études importantes. Vous avez travaillé pendant plusieurs années et vous avez sacrifié une partie de votre jeunesse, refusant de sortir avec les amis que vous avez perdus depuis. Vous avez lu des dizaines d’ouvrages, écrit des centaines de pages sur un sujet pointu. Vous êtes allé à l’étranger pour comprendre les problématiques qui se posent sur le terrain. On peut dire que vous méritez le poste qu’une entreprise propose. Vous êtes largement qualifié pour ce type de responsabilité. Mais… Un ami du PDG a eu le poste. D’où vient-il ? Quel est son niveau d’étude ? Sa spécialité ? Nul ne sait vraiment. Ce que vous savez, c’est que le poste que vous méritiez vous a échappé. L’injustice est grande. Vous êtes écœuré. Et ce matin au petit-déjeuner, quand en ouvrant le journal, vous avez lu le gros titre : « Monsieur TRUC nommé directeur des laboratoires MACHIN-CHOSE » et que vous avez découvert la photo de votre rival, vous avez été pris de haine pour cet homme que vous n’avez pourtant jamais rencontré. Vous aviez envie de vomir et d’aller vous recoucher. Mais votre femme voulait venir à la messe. Vous l’avez accompagnée par gentillesse. Vous avez le cœur lourd et c’est justement aujourd’hui que l’Evangile vous dit : « Aimez vos ennemis. » (Mt 5, 44)

 

Troisième exemple:

 

Ça pourrait être une histoire ancienne, mais il n’y a rien à faire, la rancune est toujours là. Ça doit faire six ou sept ans maintenant. Vous aviez eu ce terrible accident et bien sûr les amis et la famille sont venus vous visiter à l’hôpital. Enfin, ils sont venus les premières semaines. Après, ils vous ont oublié. Pendant les 18 mois d’hospitalisation, combien sont venus plus de trois fois ? Mis à part le petit-fils et sa fiancée, aucun ! Et ça fait mal. Combien de coup de fil en dehors de ceux de la voisine qui ne peut bouger à cause de son âge ? Peu. Si peu. Pour ne pas dire aucun lors des 10 derniers mois. Qui a entretenu la maison, soigné les chats, coupé l’herbe du petit jardin ? Au fur et à mesure que les mois s’écoulaient, votre rancœur n’a pas cessé de grandir. Déçu de votre famille, de vos relations, du prêtre et de plusieurs paroissiens qui auraient pu venir une fois ou l’autre. Ce matin, en rentrant dans l’église, en voyant tous les visages, et en disant bonjour aux uns et aux autres, vous aviez une noirceur au fond du cœur. Le bonjour était poli, mais l’âme était ailleurs. Heureusement, vous avez beaucoup d’humour, les infirmiers le disaient souvent, et cet humour vous a aidé à tenir le coup. L’humour et la foi aussi. Alors à l’instant, quand vous avez entendu : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5, 46-47), à ce moment-là, vous avez souri… Dieu aussi ne manque pas d’humour !

 

Mes amis, nous pourrions imaginer tellement d’autres situations. Il est bien probable que nous pourrions tous raconter un fait qui nous a valu, ou nous vaut, d’avoir de la rancœur, du ressentiment, voire de la haine, pour telle ou telle personne ou groupe de personnes. Et bien souvent les raisons sont légitimes.

 

Regardons Jésus. Si les enseignements qu’il donne n’étaient que des discours, ses paroles seraient vaines. Elles seraient belles, pleines de sens, philosophiquement intéressantes, mais sans consistance. Elles pourraient même être considérées comme moralisantes, et donc presqu’inaudibles. Mais Jésus ne se contente pas de donner un enseignement, il le met en pratique. Il nous montre que ce qu’il  annonce est réalisable. Qui plus que lui peut prétendre avoir souffert ? Trahi et abandonné par ses amis les plus proches, calomnié par les chefs thFAJC8HJA thFAJC8HJA  religieux, injurié par la foule, torturé par les soldats, mis à mort sur une croix infâme. Mais avant de mourir il dit : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34). Il leur trouve des excuses et implore le pardon. 

 

En d’autres endroits de l’Evangile, on comprend la cohérence entre les paroles et les actes de Jésus. Au chapitre 9 de saint Luc, on peut lire : « Jésus prit résolument la route de Jérusalem. Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s’étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : ‘Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume ?’ Mais lui, se retournant, les réprimanda. Et ils firent route vers un autre village » (Lc 9, 51-56) A savoir que le châtiment du feu était celui qu’Elie avait infligé à ses adversaires selon le livre des Rois : « Ocozias envoya vers Élie un officier avec ses cinquante hommes. Celui-ci monta vers Élie, le trouva assis au sommet de la montagne et lui dit : ‘Homme de Dieu, par ordre du roi : Descends !’ Élie répondit à l’officier : ‘Si je suis un homme de Dieu, qu’un feu du ciel descende et te dévore, toi et tes cinquante hommes !’ Et un feu du ciel descendit et le dévora, lui et ses cinquante hommes. Le roi envoya encore vers Élie un autre officier avec ses cinquante hommes. Celui-ci prit la parole : ‘Homme de Dieu, ainsi parle le roi : Descends vite !’ Élie leur répondit : ‘Si je suis un homme de Dieu, qu’un feu du ciel descende et te dévore, toi et tes cinquante hommes !’ Et le feu de Dieu descendit du ciel et le dévora, lui et ses cinquante hommes. » (2 R 1, 9-12) Jésus, qui est bien plus puissant qu’Elie, et aussi bien plus puissant que Jacques et Jean, surnommés ‘les fils du tonnerre’, ne répond pas par la force ou la violence. Jésus passe son chemin et n’applique pas l’ancienne loi : la loi du Talion consistant à rendre coup pour coup, « Œil pour œil, dent pour dent ».

 

Dans les trois exemples fictifs donnés à l’instant, selon vous, que ferait Jésus ? Comment réagirait-il ? Il pardonnerait n’est-ce pas ? Il tendrait la joue droite. Au risque de passer pour naïf ou faible, il chercherait la réconciliation et la paix. Il ferait preuve de non-violence. Au lieu de bâtir un mur, il essaierait de construire un pont. Il mettrait en pratique son enseignement que certains pensent subversif : « Priez pour ceux qui vous persécutent. » (Mt 5, 44)

 

Mes amis, je ne sais pas si l’un ou l’une d’entre vous s’est retrouvé dans un de ces exemples fortuits. Si c’était le cas, cette homélie peut être ressentie comme une agression. S’il vous plait, ne vous mettez pas en colère, ne laissez pas la place à la rancœur, elle noircit l’âme et abîme toutes les relations. Si, à l’instant, par ces mots un tant soit peu moralisateurs, vous vous êtes senti persécutés, s’il vous plait, priez pour votre persécuteur ! 

 

Abbé Xavier