Huis Clos

Homélie à Lens, église Saint-Léger - 23ème du T.O. - B

 

 

Huis clos

 

Ce n’est pas vraiment la saison, mais l’Evangile me fait penser à la préparation du réveillon de la Saint Sylvestre. Avec un peu d’avance… Plus particulièrement à l’ouverture des huîtres. Les gourmets se régalent par l’avance en imaginant un magnifique plateau de fruits de mer orné de rondelles de citrons, mais, avant de passer à la dégustation, il faut ouvrir les coquilles et ce n’est pas une mince affaire... La plupart des coquillages s’ouvrent facilement. D’autres sont assez récalcitrants, voire complètement réfractaires. Peut-être, probablement, parce que ceux-là ont un plus grand trésor, une plus jolie perle à cacher.

 

Il faut d’abord reconnaître que beaucoup de gourmands ne connaissent pas forcément la bonne technique pour ouvrir les huîtres. Certains s’y prennent mal et abîment la coquille, si bien qu’ensuite il est très compliqué de trouver l’ouverture. L’huître se serait laissé faire si l’ouvreur avait été plus doux, plus délicat. Donc certaines huîtres ne sont pas responsables de leur fermeture. D’autres, par contre, même confrontées aux meilleurs chefs du guide Michelin, n’en font qu’à leur tête (qu’elles cachent !) et restent obstinément fermées. Le chef peut essayer toutes les techniques qu’il a apprises au cours de ses études ou de ses stages, rien n’y fait, l’huître reste close.

 

sourd-muet-bada6 sourd-muet-bada6  J’en viens à l’Evangile. Des gens amènent un sourd à Jésus. Sans doute ont-ils déjà essayé quelques remèdes. Rien n’y fait, le malade n’a pas guéri. Les médecins n’ont pas trouvé de solution. Jésus emmène l’homme à l’écart, loin de la foule. Les œuvres de Dieu, souvent, sont discrètes. Elles se vivent en huis clos. Dieu n’aime pas les démonstrations tapageuses, il préfère agir sans bruit. Jésus touche le malade. Et il lui parle. « Ephata, Ouvre-toi ». Un simple mot. Un ordre. Et Jésus prie en regardant le ciel. Puis il soupire, comme pour donner le souffle de la vie. Et l’homme sourd et muet se met à entendre et parler correctement.

 

Que s’est-il réellement passé ? Jésus était totalement donné au malade et à Dieu. Ses doigts, sa salive, son corps se sont mis au service du malade, tandis que ses yeux étaient tournés vers le ciel. Jésus était disponible à l’homme souffrant autant qu’à son Père du ciel. Et parce qu’il était lui-même totalement ouvert à l’autre et au Tout-Autre, parce qu’il était lui-même l’Ephata, l’ouverture, il a accompli le miracle. Si Jésus n’avait pas été complètement disponible, s’il avait été, ne serait-ce qu’un peu centré sur lui-même, la guérison ne se serait pas produite. Jésus n’a pas cherché son intérêt personnel. Pas un iota. Sans doute est-ce aussi la raison de la mise à l’écart : ne pas chercher les honneurs. N’accomplissent des miracles que ceux qui ne cherchent pas à détourner les mérites qui ne reviennent qu’au Tout-puissant.

 

Tout homme, toute femme, est doué de talents. Pas forcément des dons de guérison. Les dons de Dieu sont divers. S’ils sont mis au service des autres, ces talents sont merveilleux et enrichissent toute la communauté. Mais il arrive que l’homme veuille garder une part de récompense, oh même une toute petite part quelquefois. Qu’il ne veuille pas tout rendre à Dieu. Comme s’il se prenait une petite commission au passage, sur ce qui appartient à plus grand que lui. C’est une forme de vol : il s’attribue quelque chose, pas grand-chose, juste ce qu’il faut pour se montrer, par vanité, par peur, par on ne sait quoi ... Bref, il oublie de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Dieu lui avait confié cinq talents, il en a produit dix, mais n’en a rendu que neuf. Il a gardé le dernier parce qu’il pensait en avoir besoin pour exister. L’homme s’est attribué un peu de mérite, par orgueil. Par manque de confiance envers le Très-haut, qui n’est pas dupe. Qui est un peu blessé par cette attitude, par ce manque de confiance absolu. Et qui, de ce fait, ne peut pas agir davantage.

 

Jésus, lui, donne tout. Toute sa vie. Tout son être. Tout son corps. Il se donne sur la croix, les bas ouvert, le cœur blessé. Totalement donné aux autres et à Dieu : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Jésus ne garde rien. Il ne se sert pas au passage. Il sert. Il se met aux pieds de ses disciples, de tous ses disciples, même du traître. Jésus ne calcule pas. Il est ouvert à la grâce. Son centre de gravité n’est pas son nombril, mais le cœur de celles et ceux qu’il rencontre, et chez qui il découvre le visage du Père. Et parce qu’il est totalement ouvert, il permet aux autres de s’ouvrir. Le sourd entend.

 

Alors me viennent ces questions : suis-je réellement disponible à Dieu et aux autres ? Ne m’arrive-t-il pas de chercher les honneurs plutôt que de rendre grâce à Dieu ? Garder un talent. Et, avec une pointe d’humour, de me demander aussi si je ne suis pas une huître qui reste fermée à cause de sa certitude de posséder la vérité. Si mon cœur n’est pas parfois enfermé dans une coquille dont les parois ne peuvent s’ouvrir à cause de la colle extrêmement puissante qu’est mon orgueil ou ma fierté. Si cet orgueil n’est justement pas la part de vérité que je me suis attribuée.

 

Et puis je me demande aussi, avec le même humour, si l’huître n’est pas communautaire parfois. Il existe, il me semble, des groupes fermés. L’amitié entre lessans-titre sans-titre   personnes est forte. Mais elle exclut. Un étranger ne pourra pas pénétrer, ne pourra pas venir dans le pays, ou dans le groupe tout simplement. Ses idées sont trop novatrices, son caractère est trop entier, sa famille n’est pas vraiment fréquentable, sa gentillesse nous dérange... Bien sûr, on ne l’exprime pas de cette façon - quoique – mais on s’arrange pour écarter. C’est subtil ou on n’en a même pas conscience. Parce que l’on a une responsabilité dans l’association, ou dans la paroisse, et que l’on ne veut pas partager le pouvoir... Ayant oublié que ce n’était pas un pouvoir, mais un service. On s’en défend mais c’est bien ce qu’il se passe. Un don qu’il nous faut rendre entièrement, pour le bien du monde et pour la gloire de Dieu. Oui il y a des huîtres communautaires bien closes. J’ai envie de dire qu’il existe des huis clos d’huîtres closes.

 

Que faut-il faire ? D’abord prier davantage. Prier mieux. S’en remettre à Dieu. Plus intensément. Prier les uns pour les autres. Prier pour soi-même. Demander pardon à Dieu pour nos attitudes. Nos désirs de retenir, de garder pour nous-mêmes, parce qu’on l’on voulait se rassurer. Pardon pour notre manque de confiance en lui, en son Esprit, en son souffle. Lui demander de convertir notre attitude personnelle et collective. « Seigneur, ouvre-nous davantage à ta grâce. Guéris-nous. Prononce l’Ephata sur nos cœurs endurcis. » D’abord prier, seul et avec d’autres.

 

Et puis vivre l’aumône. Non pas la charité condescendante mais vraiment le partage avec les frères, et en particulier le pauvre, qui est bien plus riche que nous-mêmes. Etre généreux, toujours plus, sans compter, ouvert, pas que le porte-monnaie mais le cœur.

 

Prier, aimer et jeûner. Les huîtres attendront le nouvel an ! Mais le jeûne n’est pas qu’une affaire de gourmands. Jeûner, c’est-à-dire se passer des choses futiles, ou apprendre à s’en servir pour leur juste utilité. Le portable est un bel exemple. Combien de sonneries nous éloignent au lieu de nous rapprocher ? Parce qu’il y a des messages qui polluent les relations. Les excès sont condamnables. Comment revenir à une plus saine utilisation d’Internet, des réseaux sociaux, qui sont bons en soi ? Jeûner c’est aussi savoir se taire, ne pas surenchérir, ne pas colporter une rumeur, ne pas prêter l’oreille. Jeûner c’est avoir le courage de dire stop aux propos qui détruisent. Jeûner c’est se rendre disponible à Dieu. N’avoir faim que de lui, que de son royaume.

Que fait Jésus ? Souvent, il se met à l’écart pour prier. Et pour jeûner. Et pour aimer. Quarante jours au désert avant de commencer sa mission d’annonce du Royaume. Puissions-nous l’imiter.

 

Mes amis, c’était ma dernière prédication dans cette belle église Saint-Léger. Et je vous th8QC7X323 th8QC7X323  remercie pour ce que nous avons vécu ensemble. Et peut-être que le plat que je viens de vous servir vous a semblé un peu lourd. Les huîtres ne se digèrent pas toujours bien. Croyez bien que tout ce que j’ai pu dire ici, c’est d’abord à moi, et peut-être qu’à moi, que je l’ai prêché. Aussi je vous demande humblement de prier pour l’huître que je suis. Priez pour que j’accepte d’entendre l’Ephata qui me permettra de m’ouvrir. Priez pour qu’avec ma nouvelle communauté, à Béthune, nous vivions avec les autres. Que jamais nous ne vivions en huis clos.

Abbé Xavier