Humour et relèvement
Lens, église Saint-Léger, le 13 mars 2016 - 5ème dimanche de Carême
Lens, église Saint-Léger, le 13 mars 2016
5ème dimanche de Carême
Humour et relèvement
Combien sont-ils ? Il y en a deux qui tirent la femme par les poignets. Elle se débat. Ses cheveux et ses vêtements sont pleins de poussière. On comprend qu’elle a dû être traînée sur plusieurs mètres. Elle a des bleus sur le visage. Un homme, derrière elle, a dénoué sa ceinture pour en faire un fouet. Il la frappe. Elle hurle. Plusieurs autres la traitent de vaurienne. Les injures pleuvent. On lui crache dessus. Des femmes aussi l’insultent. Les commentaires vont bon train. Combien sont-ils pour réduire en poussière la vie de cette femme ? Jésus, au jardin des Oliviers, quelques jours plus tard, sera emmené de la même façon. Injurié, fouetté, tiré…
Il y a deux raisons à cette violence, au moins deux. Il y a deux motivations. La première est celle des faibles. La voisine par exemple, et toutes ces autres personnes qui profitent du scandale pour exorciser leurs peurs, ou plutôt leurs propres faiblesses. Chacun se sait tenté par des désirs inavouables. La plupart des hommes ont désiré partager le lit de cette fille aux yeux de braise. Certains ont essayé mais elle les a repoussés. Vexés, ils se vengent. Les femmes, jalouses de sa beauté, et de sa fine intelligence, en profitent pour salir sa réputation, sa tenue. Elles oublient qu’elles-mêmes, aux soirs de solitude, rêvent d’un autre homme. La première raison de la violence exprimée contre cette femme est qu’elle permet de condamner le péché, en pensant le péché extérieur à soi. Dénoncer et chasser l’horreur du mal, ailleurs qu’en soi. La pécheresse, prise en flagrant délit d’adultère, devient le bouc-émissaire.
Ce phénomène expiatoire a toujours existé. Dans les civilisations les plus anciennes et jusqu’à nos jours, on a souvent cherché à accuser l’autre de tous les maux. On a facilement incriminé des personnes ou des peuples d’être les causes de tel ou tel malheur. Dans bien des cultures, les femmes ont souvent été et sont encore martyrisées, soi-disant parce qu’elles sont responsables des fléaux les plus divers. Plusieurs fois au moyen-âge, et plus particulièrement encore au siècle dernier, ce fut le peuple juif, qui a subi les pires violences. Aujourd’hui, il semblerait qu’aux Etats-Unis, un candidat républicain « réussisse » sa campagne en accusant les musulmans de tous les maux. C’est tellement plus facile de stigmatiser plutôt que de chercher à remettre en cause un système qui produit des inégalités. Heureusement, cela n’a pas lieu en France, à moins que je ne me trompe…
Pauvre femme ! Certes coupable, mais ô combien utilisée. Pauvres chômeurs, homosexuels, agriculteurs, intellectuels, jeunes, fonctionnaires, syndicalistes, politiciens, et j’en passe… Tous responsables des disfonctionnements de nos sociétés. On se rassure comme on peut : la faute c’est l’autre. Mais en fait on ne détruit pas les véritables racines du mal. Disons qu’on se voile la face. C’est un procédé subtil. Ça fonctionne… Jusqu’au moment où soi-même on devient bouc-émissaire. Soudain on devient la cible parce que l’on a fait une erreur et cette erreur arrange bien le collègue de bureau qui, gentiment, dit au patron que ce n’est pas la première fois que l’équipe se plaint de votre travail. Quand on monte les personnes les unes contre les autres, quand on crée la division pour régner, ou pour se protéger, un jour, on se retrouve seul. Un jour, on est jeté dans la poussière. La première raison de la violence est l’individualisme. Le chacun pour soi. On sauve sa peau en livrant celle de l’autre. Ce n’est pas très joli !
La deuxième raison de cette condamnation, Saint Jean l’explique très bien, c’est la volonté de tendre un piège à Jésus. On veut le coincer. Et là, une opportunité magnifique s’offre à ses adversaires. Si Jésus dit qu’il faut condamner « ces femmes-là » – au passage, remarquons le dédain, la condescendance de cette expression « ces femmes-là » – alors il contredit la miséricorde et le pardon qu’il ne cesse de prêcher. Si au contraire, il ne la condamne pas, alors il n’agit pas selon la Loi de Moïse…
Que faire ? Dans les deux cas, Jésus est pris au piège. Alors il s’assied. Il touche la poussière. On nous dit qu’il trace des traits sur le sol. Il se salit les mains. Il prend la condition de la femme. Il est déjà lui-même le martyrisé. Il prend sur lui. C’est la compassion. Il trace des traits. Qu’écrit-il ? Que compte-t-il ? Nul ne le sait. Certains disent que c’est l’humour de Dieu que de peut-être compter les péchés, les pécheurs. Mais l’humour de Dieu n’est pas cynique. Il s’exprime autrement ici, dans la réponse que Jésus trouve, et on l’imagine facilement en train de sourire. Sans doute a-t-il pris le temps de prier l’Esprit Saint de lui inspirer cette réponse : que celui, ou celle, qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.
Mes amis, d’où vient la pierre ? Peut-être serait-elle prise sur le Temple ? Peut-être alors le Temple serait-il détruit pour ne faire qu’un monticule sur un corps déjà bien abîmé ? On détruirait le temple de Dieu pour édifier le temple de Satan. Au lieu de la vie, ce serait la mort. Et… les hommes alors regardent leur vie. Ce n’est plus l’autre qui est coupable mais soi-même, en situation d’adultère. Ô peut-être pas d’avoir pris la femme de l’autre, ou l’homme, mais tant de fois dans le vol, la jalousie, le mensonge, … l’écart par rapport à l’amour de Dieu. Oui trop souvent pécheurs. Et si, par malheur, quelqu’un s’estimait sans péché et jetait la première pierre, alors celui-là se considérerait comme Dieu. Puisqu’il est sans péché, il est parfait. Mais s’il se considère comme Dieu, c’est à lui d’être lapidé. Pécheur par orgueil.
L’humour de Jésus. La réponse de l’Esprit Saint est magnifique. Elle retourne la situation. Alors ils s’en vont. Tous ceux qui condamnaient repartent. Ils n’ont plus d’arguments, si ce n’est leurs propres fautes à corriger. Ils ont à repartir vers le Temple, le vrai Temple, passer la porte du Temple pour demander le pardon de Dieu. Expier leurs fautes, les leurs. Tout, les illusions, les leurres de leur vie.
Reste Jésus avec la femme. Seuls, ils ne sont que deux. Tous les deux aussi sales. Et tous les deux se relèvent, ensemble. Jésus permet à cette femme une résurrection. Elle est sauvée. Et il lui fait cette demande : ne pèche plus. Si personne ne t’a condamnée, si moi-même je ne t’ai pas condamnée, ne pèche plus. Regarde l’œuvre de Dieu dans ta vie. Regarde sa miséricorde et témoignes-en.
La miséricorde c’est de prendre sur soi tout en gardant la Loi de Dieu, de la mettre en pratique, non pas pour condamner et juger, mais pour aimer et sauver. Amen.
Abbé Xavier