Les murs lazardés

Homélie du 25 septembre 2016 à Saint Léger

Lens, église Saint-Léger, le 25 septembre 2016

26ème dimanche ordinaire - Année C

Fête des équipes Saint Vincent-de-Paul

 

Les murs lazardés

 

thJ2HMKUBB thJ2HMKUBB  En l’an 30 de notre ère, aux dires de Jésus, un riche s’amuse. Il se régale de repas fastueux. Il rit. Il profite de la vie. Il a de l’argent, alors il le gaspille. Il est en sécurité à l’intérieur de son palais. Il sait qu’à l’extérieur, pas très loin, juste à la porte, un pauvre mendie. Il le connaît. Il connaît même son prénom : Lazare. Le riche sait que Lazare a faim. Mais il s’en moque. A quoi bon se soucier de cet homme dont les chiens viennent lécher les plaies. C’est sans importance…

 

Poursuivons le repas.

 

 

750 ans plus tôt, le prophète Amos dénonce que, sur la colline de Samarie, des hommes et des femmes « couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable » (Am 6, 4). Ils sont tranquilles. « Ils improvisent au son de la harpe, ils inventent, comme David, des instruments de musique ; ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! » (Am 6, 5-6). Ils savent bien que les Assyriens sont aux portes de la ville, qu’ils abîment les murs en essayant de les faire tomber, mais les princes et princesses préfèrent jouir des plaisirs de la vie. Poursuivons les orgies.

 

1600 ans après Jésus-Christ, dans un village du sud de la France, Saint Vincent de Paul frappethRI05IYRI thRI05IYRI   à la porte d’un riche propriétaire terrien. Les nobles se sont enfermés dans le château. Dehors, la lèpre fait des ravages. Il faut attendre la fin du fléau. Oui, c’est triste pour ces familles, on compatit, mais, allons les amis, changeons-nous les idées : poursuivons les agapes.

 

2000 ans après le pauvre Lazare, les écrans des télés montrent la faim en Afrique, la guerre et les bombardements en Syrie, les révoltes au Congo, les réfugiés aux portes de l’Europe. Abrités derrière les murs d’interminables négociations, des hommes et des femmes s’émeuvent pour un enfant noyé sur la plage. Ils ont même appris son prénom : Aylan. Mais c’est trop triste. On ne va pas à la messe pour nous rabâcher des mauvaises nouvelles. Poursuivons l’Eucharistie.

 

Long silence.

 

En l’an 30 de notre ère, Jésus annonce que le riche meurt et contrairement à Lazare, il ne va pas au Paradis. Depuis la Géhenne, par deux fois, il demande à Abraham de faire intervenir Lazare afin qu’il lui vienne en aide. Il se croit encore supérieur. Il pense qu’il peut encore utiliser le pauvre. Il ne s’est pas encore converti.

 

En 721 avant notre ère, les murs de Sion ne sont plus lézardés : la ville est un champ de ruines. C’est la prise de Samarie et la fin du royaume du Nord. Les habitants sont déportés. Exilés, ils se souviennent du Dieu d’Abraham et crient vers lui de ne pas les abandonner. On prie Dieu quand on a besoin de lui, pour sortir de l’ornière. Par utilité. Le peuple s’est-il vraiment converti ?

Il y a 400 ans, pour venir en aide à tous les pauvres, Saint Vincent de Paul fondait l’institut des lazaristes. Ils sillonnaient les rues pour réconforter les mendiants. Ils soignaient aussi les princes puisque la lèpre, ou les barbares, avaient fini par entrer dans les châteaux. Puissent les riches, s’ils reviennent des abîmes, mieux utiliser leurs pouvoirs. Oui, puissent-ils se convertir !

 

En 2016, ou plutôt dans 30 ou 50 ans, des milliers de réfugiés politiques, économiques, démographiques ou climatiques seront probablement passés en Europe. Des milliers, des milliers, des milliers… Il ne sert à rien de construire des murs ou chercher à rassurer en prononçant des discours populistes… Plutôt que de refuser la réalité en faisant l’autruche (on pourrait dire en faisant l’Autriche qui vient de fermer ses frontières en décrétant une loi d’Etat d’urgence migratoire), il serait temps de penser un avenir fondé sur des notions de partage. Comme le disait, en juillet dernier, le Pape François aux deux millions de jeunes réunis à Cracovie pour les JMJ : « Ne cherchez pas le bonheur dans les divans ! Mettez des chaussures et allez vers les pauvres.» Bien sûr, cela nécessite de perdre de notre standing et de notre confort. Il faudra cesser de nous enrichir sur le dos des pays surnommés Lazare. Mais il est thI6DUK3F4 thI6DUK3F4  préférable de partager intelligemment et justement les richesses plutôt que de se laisser surprendre par les invasions qui ne pourront qu’être de plus en plus nombreuses. Envisager cette option est inquiétant. Et l’on pense que c’est impossible à réaliser. Un tel changement nécessite courage et imagination. Prions Dieu : saurons-nous nous convertir ?

 

Maintenant que nos murs sont lazardés, poursuivons l’Eucharistie.

 

Abbé Xavier