Mettre à mal Amalec

Lens, église Saint Léger, 29ème dimanche ordinaire – Année C - Bénédiction de l’orgue

Lens, église Saint Léger, le 16 octobre 2016

29ème dimanche ordinaire – Année  C

Bénédiction de l’orgue

 

Mettre à mal Amalec.

 

 

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Les Amalécites risquent de gagner contre les Hébreux. Ce sont de puissants guerriers. Leur chef est un fin stratège. L’agresseur est organisé. Il attaque par vagues successives. Tout d’abord les archers. Des milliers de flèches. Certes petites mais leur nombre produit de l’effet. « On ne peut décidément rien vous confier ! », « Mais qui donc vous a embauché ? », « Au moins, vous savez faire le café ! », « Comment fait-elle votre femme pour vous supporter ? »…

 

A petites doses, à coups de petites pointes savamment distillées, le corps, le cœur de l’homme est blessé. Il ne peut s’en rendre compte tout de suite : les phénomènes de harcèlement commencent dans la discrétion. Puis ils deviennent de plus en plus fréquents, de plus en plus lourds, et les allusions de plus en plus méchantes. Une sorte d’habitude qui consiste à ridiculiser l’homme, ou la femme, ou l’élève, ou le vieillard, qui, trop faible, ne peut pas se défendre. Les Amalécites en profitent. Ils s’en donnent à cœur joie. Ils sortent de leur carquois d’autres flèches, plus mesquines. Elles sont envoyées en présence de collègues, de copains : « C’est dans votre culture qu’on pratique ces choses-là ? », « Vous devriez vous coiffer », « Vous êtes vraiment nul ! ». Et l’homme, ou la femme, ou l’élève, ou le vieillard, commence à perdre pied, perdre confiance. Douter de lui. Douter d’elle. Et bientôt douter de l’Autre.

 

C’est la deuxième salve qu’envoie le puissant Amalec. Après les vexations, vient le temps d’attaquer le rempart des croyances. Il fait douter de Dieu, de sa puissance, de sa présence, de son existence. « Si Dieu existait, il n’y aurait pas toutes ces horreurs… » Il fait aussi douter du conjoint, de sa parole, de sa fidélité. Au fur et à mesure, on doute de ses amis, de leur sincérité. On s’enferme. On suspecte. On imagine que tout est fait pour nous détruire. Amalec est malin, il n’attaque pas de front. Mais il détruit les fortifications, les meilleures relations.

 

Quand l’homme est bien fatigué, bien isolé, il envoie les chevaux de la terreur. Pour l’un l’angoisse, et pour l’autre une maladie ; pour celui-ci la mort d’un proche, la solitude, et pour celui-là une mutation imprévue ; pour quelqu’un d’autre le chômage et pour un autre encore l’endettement… Les fléaux sont multiples. Le mal est infernal. Nous allons périr.

 

Jésus raconte comment les armées d’Amalec ont attaqué une femme de son temps. Elle avait affaire à un juge dépourvu de justice. Un juge qui ne craignait ni les hommes, ni Dieu. Quelqu’un qui n’avait aucune considération pour les gens et certainement pas pour cette femme, cette veuve. Elle n’existait pas à ses yeux. Aucune considération, que du mépris ! Plusieurs fois elle était venue et autant de fois il s’était moqué d’elle. Des vexations, des frustrations, et même, on peut l’imaginer, des attaques personnelles : « Si vous aviez fait plus attention à votre mari, il ne serait pas mort », « J’ai d’autres cas à traiter… ». L’égoïsme et la méchanceté n’ont pas de limite.

 

Jésus raconte une histoire… D’une certaine façon son histoire. Peut-être une expérience que sa propre mère a vécue. Mais non, il met en scène sa propre expérience de combat contre le mal. Il est lui-même confronté à des juges sans justice, des pharisiens et des docteurs de la Loi qui, eux, disent craindre Dieu, mais qui, en réalité, ne cessent d’ajouter de lourds fardeaux sur les épaules du petit peuple. Jésus dénonce la perversité des dirigeants. Ils ne servent pas la miséricorde de Dieu. Ils font appliquer des lois qu’ils ne respectent pas eux-mêmes. Ils se moquent des gens. La seule chose qui compte pour eux, c’est de siéger aux premières places. Jésus les interpelle. Mais ils n’écoutent pas. Cependant, Jésus les dérange. Un peu trop. Beaucoup trop ! Les pharisiens comprenant que les flèches de la mesquinerie et du doute n’agissent pas sur lui, ne peuvent qu’utiliser l’arme de la trahison. Judas devient l’espion. La Loi dit « Tu ne tueras point », mais la soif du pouvoir aveugle les juges. La lance Amalécite perce le côté du prophète mis en croix.

 

Dans l’histoire qu’il racontait, Jésus soulignait que, malgré tous les obstacles, la femme veuve n’a pas abandonné. Et, à cause de sa ténacité, le juge inique a fini par céder. Non qu’il ait eu une soudaine compassion pour elle, mais il voulait simplement être tranquille. « Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.» Voici qu’Amalec montre sa fragilité… Le tout-puissant guerrier, l’arrogant, s’incline devant la ténacité. Le colosse a une faille : quand son adversaire le tanne en restant fidèle à sa propre justice, le juge sans justice finit par craquer. C’est la victoire de la droiture et de la persévérance.

 

Jésus meurt en croix. Et à cet instant le rideau du Temple se déchire. L’Arche d’Alliance redevient visible. Le Christ n’a pas changé un iota de la Loi, mais il n’a fait qu’appliquer l’esprit de la Loi : la miséricorde et la paix. L’amour et le pardon. Quand de son côté ouvert coule le sang et l’eau, c’est sa fidélité à Dieu qui irrigue le monde et la terre. L’homme ne doit pas suivre la Loi par devoir, par crainte ou pour acheter Dieu. Ce serait vivre comme les païens qui adorent les divinités pour recevoir quelques récompenses ou bénédictions. Le Christ, par le don de sa vie, par sa fidélité à la Loi divine, montre un chemin nouveau : celui de l’amour inconditionnel, patient, vertueux. L’amour de l’ennemi. L’amour de celui qui blesse ou tue. Les Amalécites ne peuvent rien contre la ténacité de cet amour. Cette ténacité est quelques fois dite avec humour, et d’autres fois dans la sagesse d’un silence. Toujours dans le respect de l’agresseur. Jamais dans le reniement de soi-même. Toujours dans la confiance au Dieu de Moïse et d’Aaron.

 

Pour lutter contre l’adversaire, Moïse s’en remet à la prière. Il lève les mains vers Dieu. Il faut tenir dans la prière, comme le faisaient Sainte Elisabeth de la Trinité ou Saint Salomon, tous deux originaires de notre diocèse, canonisés aujourd’hui. Ne rien lâcher. Ne pas baisser les thF0GAF7SL thF0GAF7SL  bras. Pour cela Moïse se fait aider par Hour et Aaron. Les fidèles compagnons l’aident à prier, à garder les mains levées vers le ciel. Je le répète : Amalec ne peut rien devant une telle ténacité. Le mal ne peut rien contre la prière, particulièrement la prière communautaire, la prière des carmélites, la prière de tous. Mais il nous faut tenir dans la prière. C’est le rôle justement d’une communauté. Aujourd’hui le rôle de l’Eglise. Etre porté par des sœurs et des frères. Sans eux, nous ne pouvons être missionnaires, nous risquons de nous décourager, « d’avoir les bras qui tombent ! ». Tous les jours, et plus particulièrement le dimanche, nous venons chercher des forces en nous appuyant sur la prière d’une communauté. Sœur Elisabeth de la Trinité et Frère Salomon ont vécu cette prière communautaire. Tous deux ont lutté contre les mauvais coups d’Amalec.

 

Mes amis, nous subissons probablement tous des mauvais coups d’Amalec. La Bible, dans le livre de l’Exode, révèle qu’il faut se serrer les coudes, ou plutôt se donner la main. Je nous invite alors à prendre maintenant celles de vos voisins. Allons-y, prenons la main. Et puis levons-nous, n’hésitons pas à combler l’allée. Pensons à l’instant à toutes ces difficultés que nous traversons depuis des mois ou des années. Toutes les fois où nous avons crié vers le ciel. Les frustrations, les fatigues, les appels au secours pour lesquels nous avons le sentiment qu’ils restent sans réponse. Imaginons aussi toutes les prières de celui ou celle à qui nous tenons la main, quels peuvent être les ennuis de nos voisins. Et maintenant levons les mains. Et prions en silence.

Et puisqu’il a fallu beaucoup de ténacité de la part de l’association pour que cet orgue chante à nouveau, et puisqu’il est un instrument de la louange, qu’il vient d’être béni pour cela, laissons-nous porter par sa musique : ce sont nos mains qui composent la prière.

 

Mes amis, seule la prière, commune et tenace, met à mal les mauvais coups d’Amalec !

 

Abbé Xavier