La miséricorde du Père

24ème dimanche ordinaire - Saint Léger

Lens, église Saint-Léger, le 11 septembre 2016

                                                                               24ème dimanche ordinaire - Année C

 

La miséricorde du Père

 

Misericorde Misericorde  Allons droit au but ! Ce n’est pas la brebis égarée qu’il nous faut regarder, mais le berger qu’il la recherchée. Ce n’est pas la pièce d’argent perdue qui importe, mais la femme qui retourne la maison avant de la retrouver. Ce n’est pas le fils devenu misérable, mais son père qu’il nous faut contempler.

 

Rappelons-nous que les trois paraboles racontées par Jésus, s’adressent à des pharisiens et des scribes qui récriminent contre lui. On les entend chuchoter entre les piliers du temple : « Rendez-vous compte, cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs. Je vous assure, il mange avec eux ! On m’a dit que, l’autre jour, il est allé manger chez Zachée le publicain ; vous savez, celui qui vole les gens et qui trafique avec les Romains. » Jésus leur répond ouvertement en racontant trois histoires qui mettent en lumière la miséricorde du Père, et non la faiblesse de ses enfants.

 

Tout d’abord il compare Dieu à un berger. Pendant les vacances, cet été, à un moment de notre marche, nous nous sommes retrouvés au milieu d’un troupeau de moutons. C’était amusant de voir combien l’expression « suivre comme un mouton » est justifiée. Il suffisait que l’un d’entre eux descende le chemin pour que tous en fassent autant. Ce jour-là, je n’ai pas remarqué de brebis égarée. A moins que, justement, une d’entre-elle se soit éclipsée avant notre passage. Il faut être le berger pour savoir si un des moutons est manquant. Si c’était le cas, l’animal avait fait preuve d’un grand esprit d’indépendance. C’est tellement plus facile de suivre l’avis général et de faire comme les autres. Le berger, qui connaît ses brebis, sait laquelle est récalcitrante. Quand il observe son troupeau, il commence par regarder si la plus teigneuse est présente. Il sait aussi que si elle s’éloigne trop, si elle n’en fait qu’à sa tête, elle se met en danger. Le loup n’est jamais très loin des solitaires.

 

Le travail du berger est de rendre sa brebis solidaire. C’est un long apprentissage. Ce n’est pas simple pour le berger : il doit réussir à intégrer un élément perturbateur, une brebis qui ne pense pas comme tout le monde. Le troupeau, à en croire l’expérience de cet été, se fiche bien de savoir si tout le monde est là. Tant qu’il y a de l’herbe à brouter, « du pain et des jeux »… Après tout, si quelqu’un est manquant, c’est bien de sa faute, il n’avait qu’à écouter les autres ! Le bon pasteur s’évertue à retrouver la brebis perdue. Il cherche à la réintégrer. Et pour cela, il la porte sur ses épaules. Parce qu’il sait que son enfant terrible est épuisé. Qu’il est seul avec ses questions, son regard différent sur le monde. Il sait que sa différence lui est souvent insupportable pour lui-même, bien plus encore que pour les autres. Le berger sait que cet enfant-là a besoin de se mettre à l’écart pour ne pas être happé par la pensée commune, le formatage des esprits. Le berger console, rassure, et remet son enfant au milieu de ses semblables alors qu’il le sait différent. Le berger sait aussi que, probablement bientôt, il faudra de nouveau rechercher cet esprit indépendant.

 

Le travail du bon pasteur consiste aussi à faire changer la mentalité du groupe. Faire en sorte que les quatre-vingt-dix-neuf justes se rendent compte de leur manque d’imagination. Faire comprendre aux gentils scribes et pharisiens que le pécheur n’est pas à exclure. Qu’il est riche d’une expérience qu’aucun autre n’aura faite : seul le pécheur pardonné aura éprouvé la tendresse du berger. Lui seul pourra témoigner de sa patience. Jésus rappelle aux prêtres et aux légistes que ruminer l’herbe verte des prières n’est pas suffisant. Le pécheur converti a goûté la miséricorde du Père, et il peut témoigner comment, sur ses épaules, ce Père le prit !

 

Puis Jésus raconte l’histoire d’une femme qui recherche et finit par retrouver sa dixième piècepiece perdue piece perdue   d’argent. Nous avons tous fait l’expérience de perdre un objet de valeur. Et nous avons retourné la maison de fond en comble. Pendant plusieurs jours, nous avons remué ciel et terre pour retrouver un médaillon, une bague, une image, une lettre, un agenda, des clés de voiture… On s’est surpris à prier Saint Antoine de Padoue. On s’est énervé. On a réfléchi aux endroits où l’on aurait pu poser l’objet recherché. On a regardé une quatrième fois sous le fauteuil du salon. On a soulevé un couvercle en espérant n’être pas dingue au point d’avoir posé sa montre dans une marmite ! Et quand, enfin, on a retrouvé la pièce d’argent, on a descendu les escaliers quatre à quatre, ou on a téléphoné à ses copines, bref on a prévenu tout le monde en criant : « Je l’ai retrouvé ! », parce qu’évidement, entre temps, tout le ban et l’arrière-ban avaient été alertés de notre mésaventure.

 

C’est incroyable combien cette parabole de Jésus est actuelle. Voici qu’aujourd’hui il y a de la joie dans le ciel. Ecoutez le tonnerre qui gronde, écoutez le vent d’ouragan. Dieu le Père descend quatre à quatre les escaliers de son trône divin pour annoncer à tous les saints et à une armée des anges : « Mes amis, grâce à vous, j’ai retrouvé Marcel, celui qui a fait les quatre cents coups ; réjouissez-vous avec moi, il vient de me demander pardon pour la quatre-centième fois ! »

 

enfant prodigue enfant prodigue  Et puis il y a l’histoire du fils parti pour un pays lointain. On pourrait parler longtemps de son éloignement. Son frère l’accuse d’avoir gaspillé sa fortune avec des prostituées. Pourtant le texte ne parle que d’une vie de désordre. Peut-être projette-t-il sur son cadet, son péché inconscient ? Le plus jeune reconnaît qu’il a péché. Il revient vers le père. Il revient vers celui qu’il nous invite à regarder. Ce père l’a laissé partir. L’enfant était libre. Mais le père ne l’a jamais quitté. Tôt le matin jusqu’à tard dans la nuit, son regard était tourné vers cet horizon où, quelques mois, quelques années plus tôt, l’enfant s’en était allé. « Toi mon enfant, tu es toujours avec moi » dit-il à l’aîné resté auprès de lui. Mais cette phrase est spirituelle. Elle est aussi ancrée dans le cœur de l’enfant rebelle. Et lorsque celui-ci entre enfin en lui-même, il entend la voix de l’Esprit. Il trouve la force de revenir, de faire le parcours à l’envers. Revenir de l’enfer. Seul l’amour permet ce chemin. Seul le fait de se savoir aimé permet de trouver les forces nécessaires. L’enfant sait, au fond de lui-même, que jamais son père ne pourra le rejeter. Il devine que, malgré le mal qui lui a fait, son père saura l’accueillir et le soulager.

Le père était inquiet. Il avait maigri. Une ride au front trahissait son anxiété. Mais quand il voit son fils au bout de l’horizon, il oublie la chaste distance qu’il s’était imposé pour permettre à l’enfant de grandir autrement. Il oublie et il court. Il court vers lui. Il saute de joie. On dirait que c’est lui qui se jette aux pieds de son enfant. Il l’embrasse. Il pleure. Il ne sait pas quoi dire. Il ne sait pas quoi faire. Il dit n’importe quoi : « Vite tuez le veau gras. Mangeons, festoyons. Faisons la fête. Je n’en pouvais plus de cette situation, de cette peur de t’avoir perdu, de cette boule au fond du ventre ressentie depuis des années. Et te voilà mon enfant. Te voilà. Comme je t’aime ! » Et l’enfant sait que cet amour-là n’est pas n’importe quoi.

 

Regardons ce père dont le cœur explose de joie. Regardons Dieu. Regardons le ciel. Regardons cette éclaircie au firmament. On dirait que Dieu vient de demander à David de prendre sa harpe et à Cécile de chanter les plus beaux cantiques. Le ciel est en feu. Le ciel est en joie. Et la terre, embrasée par les couleurs d’un lever de soleil, est invitée à entrer dans la danse et la lumière.

 

Le frère aîné qui était aux champs, sur la terre, entend, voit le mouvement des nuages, la clarté du soleil. Il est tenté de rester dans ses terres, dans les reproches et dans la guerre. Il est tenté de garder, à son tour, des cochons de misère. Le père sort de la danse, descend du ciel, descend aux enfers pour l’extraire de la boue de l’orgueil et de la colère. Il l’implore. Il le prie : « Viens. Réjouis-toi, car ton frère était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé. ». Il le prie comme un berger prit une brebis égarée sur ses épaules.

 

Puissent les pharisiens qui murmurent sous les colonnes du temple, quitter leur estime et leurs jugements, et accorder leur voix à celles des saints et des anges. Puissent-ils entrer dans la danse joyeuse d’un berger, d’une femme, ou d’un père. Puissent les pharisiens et les scribes découvrir la miséricorde du Père.

 

Abbé Xavier