Ne nous laisse pas entrer en tentation
Lens, église Sainte-Barbe -1er dimanche de l’Avent - Année B
Ne nous laisse pas entrer en tentation
Dans la première lecture, trois fois nous avons entendu l’expression « notre Père ». Trois fois nous avons entendu : « C’est toi notre Père. » Et dans la seconde lecture, cette expression a de nouveau été reprise « A vous la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ. » L’expression est belle : « à vous la grâce et la paix ».
Aujourd’hui, sitôt que nous employons cette expression, nous pensons à la prière que Jésus nous a enseignée « Notre Père… ». Elle est récitée partout dans le monde et dans toutes les langues de la terre. Tout à l’heure, nous allons même la prier en patois. Et juste après, la chorale reprendra cette prière en la chantant. Savez-vous que le Pape François a apporté une modification au texte de cette prière que nous avons apprise par cœur durant nos heures de catéchisme ? Il a remplacé « Ne nous soumets pas à la tentation » par « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Et voilà que les évêques de France ont demandé qu’à partir d’aujourd’hui, premier dimanche de l’Avent, nous utilisions cette formule quand nous « récitons » ou plutôt prions le Notre Père. Cela dit, ce sera sans doute difficile d’improviser la modification aujourd’hui dans le texte en patois ou dans le beau chant de Rimsky-Korsakoff ! Pas grave, promis, nous ferons le nécessaire dès demain, selon la volonté du Pape !
Je reviens sur cette modification. Ce n’est pas un caprice du Pape... Quand nous disions « Ne nous soumets pas à la tentation », nous étions quand même mal à l’aise. Cela induisait que Dieu pouvait nous tenter. Qu’il était une sorte d’être divin un peu vicieux, susceptible de faire miroiter les pires désirs, pour vérifier si nous allions résister et lui rester fidèle. C’est comme-ci un père voulait éduquer son enfant, et pour lui apprendre à ne pas être gourmand, mettait devant ses yeux une gaufre de fête foraine avec du « suc’ à gogo » ! Vous pouvez êtes sûrs « que l’p’tit Quinquin » va craquer ! Parce que ce père-là serait assez pervers. Un père ne tente pas son fils pour le tester.
La nouvelle formule qui consiste à dire « Ne nous laisse pas entrer en tentation » nous révèle un autre visage du Père. Non seulement il n’est plus le responsable de la tentation, mais surtout, il lutte avec nous pour résister à cette tentation. Dieu est notre allié, notre meilleur allié, pour ne pas succomber aux pouvoirs du néant. Ici, nous supplions Dieu d’être avec nous pour ne pas commencer un chemin qui nous éloignerait de lui et de nous-mêmes. Nous lui demandons son aide. Et nous savons qu’il nous procurera cette aide. Nous le savons grâce à Jésus.
Jésus, le Fils de Dieu, est l’auteur de cette prière. C’est lui qui l’a enseignée à ses disciples. Jésus dit aussi : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. » (Jn 14, 13). Jésus qui fut tenté par le Diable, mais qui a su lui résister parce qu’il priait son Père. Cela était déjà vrai après qu’il a vécu quarante jours au désert. Cela l’est encore davantage à la veille de sa passion, lorsqu’il prie au Jardin des oliviers : « Père, si tu le peux, éloigne cette coupe, mais non pas ma volonté, mais ta volonté. » (Mt 26, 39) C’est-à-dire que Jésus implore son Père de l’aider.
Mes amis, nous savons tous ce que peut être la tentation. Elle peut prendre des formes très différentes. Sournoise, elle peut même se déguiser sous les meilleures intentions. Je vous en liste quelques-unes : la tentation de répondre à la place de l’autre, pensant qu’il ou qu’elle n’en n’est pas capable. La tentation de ne pas déclarer une personne que l’on embauche. La tentation de se moquer d’une personne fragile ou différente. Celle de fermer sa porte à l’étranger. La tentation de tricher en classe. De séduire la femme de son ami. De raconter des « caffouniettes » pour ne pas dire la vérité. La tentation de faire savoir le bien que l’on fait. Ou de ragoter. De frapper. De juger... J’en passe...
Il y a une tentation qui est pire que toutes les autres. Toutes celles que je viens d’annoncer, et malheureusement, la liste est loin d’être exhaustive, sont pardonnables. Il suffit de faire un acte de repentance sincère devant Dieu. Dieu sait notre condition humaine et il pardonne. Bien-sûr aussi à condition qu’au cœur de notre contrition il y ait le désir de ne pas recommencer. Pour cela il faudra donc encore prier Dieu de nous aider à tenir la prochaine fois que Satan viendra nous susurrer une mauvaise idée. Il faudra supplier de toutes nos forces : « Père, ne nous laisse pas entrer en tentation. »
Je vous disais qu’il y a une tentation plus forte et bien plus terrible que toutes les autres. C’est celle de penser que Dieu ne combat pas le mal avec nous. La tentation de penser que Dieu est indifférent à notre condition pécheresse. Qu’il serait je ne sais où au-dessus des nuages, ou sur un trône de gloire inatteignable. Totalement extérieur à la vie des hommes. Et de ce fait absolument pas enclin à les aider dans leur lutte contre le pouvoir du mal. La tentation d’un Dieu pur, propre, qui ne descendrait pas au fond du trou de la mine, de notre condition, qui n’aurait pas les mains sales, un dieu sans émotion pour sa création, qui ne veillerait pas sur elle, alors qui elle doit combattre les ténèbres. La tentation serait alors de penser que l’homme lutte seul. Et qu’en définitive il aurait l’orgueil de penser réussir à s’en sortir seul ! Seul il pourrait vaincre les pouvoirs du Démon, du Mal dont la puissance est inouïe. Penser pouvoir livrer le combat contre le mal sans faire appel à Dieu, c’est se prendre soi-même pour Dieu. Et c’est exactement ce que désire le Diable : que nous nous fassions l’égal de Dieu. Que nous construisions notre tour de Babel. Que nous mangions le fruit défendu pour être comme des dieux. L’orgueil est la pire des tentations. « Nous sommes bien capables de faire sans Dieu » pensent les fous !
Oui, ils sont fous ceux qui veulent arrêter le mécanisme du mal sans utiliser la prière. C’est comme si l’on fêtait la Sainte Barbe sans célébrer la messe, cela n’aurait aucun sens. Evidemment, il faut agir, toujours. Evidemment, il faut poser des actes concrets pour la paix. Oser des réconciliations. Oser y mettre du sien. Et cette année, nous faisons en sorte que partout, dans nos familles et nos quartiers, dans nos communautés et nos associations, partout la paix soit notre leitmotiv... En avril prochain, au cours du rassemblement « Faites la paix » nous la célébrerons en organisant notamment une chaîne humaine de 15 kilomètres. Mais la paix, celle qu’on souhaite, pas simplement à l’autre bout du monde mais chez nous, là, maintenant, ne se fera pas sans la prière. Et pourquoi pas aussi par l’intercession de Sainte-Barbe qui fut un exemple de fidélité. L’Evangile d’aujourd’hui l’annonce : il faut veiller. Veiller c’est agir et prier. Nous ne saurons pas tenir les défis de la non-violence et du respect de tout être humain, sans supplier Dieu de nous y aider. Sans lui demander de toutes nos forces qu’il nous aide à ne pas entrer dans la tentation de la vengeance. Il faut prier. Il faut implorer Dieu de faire de nous les disciples de son Fils. Ceci afin que nous ayons le même courage que lui. Le même cœur que Lui. La même folie amoureuse pour le monde que lui. Implorer Dieu, pour qu’avec son Fils, nous puissions sauver l’humanité de ses pulsions guerrières, de ses instincts violents.
Mes amis, la prière du Notre Père est à redire mille et une fois. Elle nous oblige à agir parce que Dieu, le Père de toute création, a donné son Fils pour que le monde soit sauvé. Grâce au Fils, nous n’entrerons plus dans la tentation de détruire l’autre. Mais nous saurons l’aimer. Parole de Ch’ti !
D’ailleurs, ch’ti qui vient à Noël et qui va nous permettre de vivre la paix, celui que nous attendons dans ce temps de l’Avent, c’est le Sauveur du monde. Alors prions Dieu de le suivre afin de ne jamais plus entrer en tentation !
Abbé Xavier